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Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5 - (D - E- F)

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Présentons tout d'abord un de ces exemples, qui fera ressortir d'une façon plus claire ce que nous allons dire. Nous donnons ici un chapiteau de l'église abbatiale de Bourg-Dieu près Châteauroux (Déols) sculpture date de 1130 environ (1).

Or voici (2) des feuilles de fougère au moment où elles commencent à se développer, à sortir de leur tissu cotonneux. Il n'est pas besoin, pensons-nous, de faire remarquer, dans ce chapiteau, l'intention évidente de l'artiste; il a certainement voulu se servir de ces formes puissantes données par ces bourgeons de fougère, de la fougère qu'on trouve partout, en France, sous les grands bois. Le sculpteur ne s'est inspiré ni des traditions romaines, ni des ornements byzantins: il a cueilli un brin de fougère, l'a examiné curieusement, s'est épris de passion pour ces charmantes productions naturelles, puis il a composé son chapiteau. Observons à notre tour cette fig. 2; nous aurons l'occasion d'y revenir. C'est là, pour cette époque, disons-le encore, un fait isolé. Mais bientôt l'école des architectes laïques s'élève, s'empare de toutes les constructions, particulièrement dans le domaine royal. Dès ses premiers pas, on sent que cette école laïque veut rompre avec les traditions d'art des moines. Il y avait peut-être de l'ingratitude dans le procédé, puisque cette école s'était élevée sous les voûtes des cloîtres; mais cela nous importe peu aujourd'hui. Comme système de construction (voy. CATHÉDRALE, CONSTRUCTION), comme méthode de bâtir, les architectes laïques de la seconde moitié du XIIe siècle cherchent à rompre avec les traditions monastiques. Les formes qu'ils adoptent, les moulures qu'ils tracent, les profils qu'ils taillent et les ornements qu'ils sculptent s'appuient sur des principes étrangers à l'art roman; l'examen, la recherche, remplacent la tradition. Quand il s'agit d'ornements, ils ne veulent plus regarder les vieux chapiteaux et les frises romanes: ils vont dans les bois, dans les champs; ils cherchent, sous l'herbe, les plus petites plantes; ils examinent leurs bourgeons, leurs boutons, leurs fleurs et leurs fruits, et les voilà qui, avec cette humble flore, composent une variété infinie d'ornements d'une grandeur de style, d'une fermeté d'exécution qui laissent bien loin les meilleurs exemples de la sculpture romane. Soit instinct, soit raisonnement, ces artistes comprennent que les plus petites plantes, comme les insectes, sont douées d'organes relativement beaucoup plus forts que les arbres et les grands animaux; destinées à vivre dans le même milieu, à résister aux mêmes agents, la nature prévoyante a en effet donné à ses créations les plus humbles une puissance relativement supérieure à celle des grands êtres. Les formes des plus petits insectes, comme celles des plus petites plantes, ont une énergie, une pureté de lignes, une vigueur d'organisation qui se prêtent merveilleusement à exprimer la grandeur et la force; tandis qu'au contraire on remarque, dans les formes des grands végétaux particulièrement, une sorte d'indécision, de mollesse, qui ne peut fournir d'exemples à la sculpture monumentale. D'ailleurs, qui sait? Ces artistes laïques qui s'élèvent en France à la fin du XIIe siècle, et qui s'élèvent au milieu d'une société mal constituée, ces artistes à peine compris de leur temps, fort peu aujourd'hui, trouvaient peut-être un certain charme à envelopper leur art de mystère; de même qu'ils se transmettaient leurs grands principes à l'ombre d'une sorte de franc-maçonnerie, de même aussi, en allant chercher leurs motifs de décorations au bord des ruisseaux, dans les prés, au fond des bois, dans les plus infimes productions végétales, se laissaient-ils conduire par cet instinct du poëte qui ne veut pas découvrir au vulgaire les secrets de ses conceptions. L'art véritable a sa pudeur: il cache aux regards ses amours fécondes. Qui sait si ces artistes ne trouvaient pas des joies intimes dans la reproduction monumentale de ces humbles plantes, d'eux seuls connues, aimées d'eux seuls, cueillies et observées longuement dans le silence des bois? Ces réflexions nous sont venues souvent lorsqu'en examinant les merveilleux développements de végétaux perdus sous l'herbe, leurs efforts pour repousser la terre, la puissance vitale de leurs bourgeons, les lignes énergiques de leurs tigettes naissantes, les formes des beaux ornements de la première période gothique nous revenaient en mémoire. Puisque nous allions chercher des éléments d'un art dans ces productions infimes sur lesquelles la nature semble avoir jeté un de ses plus doux regards, pourquoi d'autres avant nous ne l'auraient-ils pas fait aussi? Pourquoi des artistes observateurs, ennuyés de la monotonie des arts romans, ne se seraient-ils pas épris de cette modeste flore des champs, et, cherchant un art, n'auraient-ils pas dit, en découvrant ces trésors cachés: «Je l'ai trouvé»? Une fois sur cette voie, nous suivîmes pas à pas, et non sans un vif intérêt, les interprétations ingénieuses de nos devanciers; notre examen nous conduisit à de singuliers résultats. Nous reconnûmes que les premiers artistes (il est entendu que nous ne parlons ici que de l'école laïque qui s'élève, de 1140 à 1180, dans l'Île-de-France et les provinces voisines) s'étaient attachés à imiter la physionomie de ces modestes plantes des champs au moment où elles se développent, où les feuilles sortent à peine de leurs bourgeons, où les boutons apparaissent, où les tiges épaisses pleines de séve n'ont pas atteint leur développement; qu'ils avaient été jusqu'à chercher comme motifs d'ornements des embryons, ou bien encore des pistils, des graines et jusqu'à des étamines de fleurs. C'est avec ces éléments qu'ils composent ces larges chapiteaux que nous admirons autour du choeur de Notre-Dame de Paris, dans l'église Saint-Julien-le-Pauvre, dans celle de Saint-Quiriace de Provins, à Senlis, à Sens, à Saint-Leu d'Esserent, dans le choeur de Vézelay, dans l'église de Montréale, à Notre-Dame de Châlons-sur-Marne, autour du sanctuaire de Saint-Remy de Reims. Bientôt (car nous savons que ces artistes ne s'arrêtent pas en chemin) de l'imitation de la flore naissante ils passent à l'imitation de la flore qui se développe: les tiges s'allongent et s'amaigrissent; les feuilles s'ouvrent, s'étalent; les boutons deviennent des fleurs et des fruits. Plus tard, ces artistes oublient leurs humbles modèles primitifs: ils vont chercher leurs exemples sur les arbustes; ils s'emparent du lierre, de la vigne, du houx, des mauves, de l'églantier, de l'érable. À la fin du XIIIe siècle, ils en viennent à copier servilement le chêne, le prunier sauvage, le figuier, le poirier, aussi bien que les feuilles d'eau, le liseron, le persil, les herbacées, comme les feuillages des grands arbres de nos forêts; tout leur est bon, tout leur est un motif d'ornement. Disons tout de suite que l'imitation s'approche d'autant plus de la réalité que l'art gothique avance vers sa décadence. À la fin du XIIe siècle, et encore au commencement du XIIIe, cette imitation est soumise à des données monumentales qui prêtent à la sculpture une beauté particulière. Disons encore que cette sculpture est d'autant plus grande, large, puissante, monumentale enfin, qu'elle va chercher ses inspirations parmi les plantes les plus modestes; tandis qu'elle tombe dans la sécheresse et la maigreur lorsqu'elle veut copier les feuilles des grands végétaux.

Les artistes laïques du XIIe siècle, se servant de ces plantes, en saisissent les caractères principaux, la physionomie; elles deviennent pour eux un sujet d'inspiration plutôt qu'un modèle banal. Mais prenons quelques exemples. N'est-il pas évident, par exemple, que les rinceaux qui décorent l'un des côtés du trumeau de la porte centrale de la cathédrale de Sens (1170 environ) ont été inspirés de ces jeunes pousses de fougère dont nous avons donné plus haut quelques brins, et ces feuilles naissantes de plantain (3) n'ont-elles pas inspiré les artistes qui sculptaient les chapiteaux du choeur de l'église de Vézelay, ceux de la galerie du choeur de Notre-Dame de Paris (3 bis), ou ceux de l'église de Montréale (Yonne)(4)?

N'y a-t-il pas entre les petites fleurs de la corolle à peine développées (5) et les crochets primitifs qui ornent les angles de ces chapiteaux une grande analogie? La section d'une de ces feuilles de plantain (fig. 3), faite sur ab et tracée en A, est observée fidèlement dans les sculptures que nous donnons ici. Avant de pousser plus loin l'examen de la flore monumentale de l'école laïque, il est nécessaire de se rendre un compte exact du mélange qui s'était fait, pendant la période romane, des traditions antiques avec certaines formes inspirées évidemment par quelques végétaux de nos bois. Des écrivains ont déjà fait, à ce sujet, des observations ingénieuses, sans toutefois appuyer ces observations par des figures étudiées: les uns prétendent que les ornements qui, au XIIe siècle, sont arrivés à former ce qu'on appelle la fleur de lis, ont été inspirés de l'iris ou du glaïeul; les autres, que ces ornements sculptés et peints, si fréquents à dater de la fin du XIe siècle, sont une réminiscence des plantes aroïdes. Nous laisserons chacun juger le procès, nous nous bornerons à fournir les pièces; aussi bien importe-t-il assez peu, à notre avis, que les sculpteurs des XIe et XIIe siècles aient copié l'iris ou l'arum: la question est de savoir si ces sculpteurs ont ajouté quelque chose aux traditions usées des arts romans dans leur ornementation. Le fait ne paraît pas douteux.

Prenons d'abord les Aroïdées, qui paraissent avoir inspiré nos sculpteurs dès une époque fort ancienne.

D'après Jussieu, les Aroïdées sont «des plantes à racines tubéreuses, à feuilles simples, alternes, engaînantes; fleurs unisexuelles, réunies dans une véritable spathe colorée, avec ou sans périanthe particulier; un style; fruit bacciforme.»

L'Arum maculatum, connu vulgairement sous le nom de Gouet ou Pied-de-veau, porte une tige dressée, simple, nue, haute de 0,20 c. environ, glabre; les feuilles sont radicales, portées sur de longs pétioles, grandes, sagittées-cordiformes, comme tronquées obliquement des deux côtés à la base, entières, sans taches, glabres; la spathe terminale est allongée, aiguë; le spadice est moitié moins long qu'elle; en mûrissant, la portion qui est au-dessus des baies tombe; celles-ci restent grosses, nombreuses, rouges et contiennent deux graines chagrinées. Les fleurs (spathe) sont d'un vert pâle et tournent au violet en se fanant. L'Arum apparaît en avril et mai, et est très-commun dans les bois humides des environs de Paris, de Champagne et de Bourgogne.

Comme il n'est pas certain que tous les architectes soient botanistes, nous donnons (6) une représentation de l'Arum. En A, la spathe est fermée; elle enveloppe encore le spadice. En B, la plante est montrée entière avec sa racine tubéreuse; la spathe s'est développée, s'est ouverte et laisse voir le spadice. Les feuilles sont sagittées. En C est donnée une coupe de la spathe, laissant voir le spadice entier avec ses étamines et ses pistils à la base. Quand le fruit est mûr, D, la partie supérieure du spadice se détruit; la spathe demeure à l'état de débris, E. En F est une des étamines. Il n'est personne qui, en se promenant au printemps dans les bois, n'ait examiné cette plante d'une physionomie remarquable, déjà épanouie lorsque les arbres et les buissons portent quelques feuilles tendres à peine sorties des bourgeons. L'Arum et l'Iris sont les premiers signes du retour des beaux jours. Est-ce pour cela que les sculpteurs romans paraissent avoir affectionné ces plantes, comme le réveil de la nature? Faut-il attacher à l'imitation des Aroïdes une idée symbolique, y voir quelque tradition antique? Nous nous garderons de trancher la question. Le fait est que, dans les sculptures de la fin du XIe siècle, nous trouvons la trace évidente de cette imitation. Les beaux chapiteaux de la nef de l'église abbatiale de Vézelay nous montrent des imitations d'Aroïdes (7) qui terminent des feuillages plus ou moins dérivés de la sculpture romaine du chapiteau corinthien.

En A, la spathe de l'Arum est développée, l'extrémité du spadice est tombée et les graines restent apparentes. En B, ce sont les feuilles de l'Arum qui se roulent en volutes ou crochets aux angles d'un chapiteau. Dans la fig. 7 bis, le sculpteur a doublé le spadice en A, l'a laissé simple en B; mais, dans l'un et l'autre cas, la spathe enveloppe le fruit.

Ces plantes de bois marécageux ne paraissent pas seules avoir inspiré les sculpteurs romans; nous voyons qu'ils ont une affection particulière pour les nénuphars, pour les feuilles d'eau. Deux autres chapiteaux de la nef de Vézelay présentent encore, en guise de crochets, des feuilles fanées de nénuphars avec ou sans fleurs (8). On sait avec quelle rapidité se flétrissent les plantes d'eau lorsqu'elles ont été cueillies; il semble, dans l'exemple A, que le sculpteur a suspendu près de lui, pour décorer l'angle de son chapiteau, des feuilles de nénuphars si communs dans nos étangs, et que celles-ci se soient fermées, comme il arrive bientôt lorsqu'elles ne peuvent plus s'étendre sur la surface de l'eau.

Ces imitations sont fort libres, ainsi qu'il arrive chez les artistes primitifs, mais elles ne paraissent guère douteuses. Il ne s'agissait pas, en effet, de reproduire, avec tout le soin d'un naturaliste, telle ou telle plante, mais de trouver un motif d'ornement. D'ailleurs les yeux d'observateurs naïfs se contentent d'une interprétation, et tous les jours nous voyons des enfants pour lesquels un pantin grossièrement taillé dans un morceau de bois est l'image complète d'un personnage. Il faut bien reconnaître aussi que le style dans les arts, pour les ornements comme pour toute chose empruntée à la nature, demande l'interprétation plutôt que l'imitation scrupuleuse de l'objet. Les plantes ont une allure, une physionomie, un port, qui frappent tout d'abord un observateur inexpérimenté. Celui-ci saisit ces caractères généraux sans aller au delà; il produit une seconde création qui devient une oeuvre d'art, bien qu'on retrouve dans cette seconde création l'empreinte puissante de la nature. Les artistes romans se sont tenus à ces inspirations primitives; ils les corrompent même à mesure que leur main acquiert de l'habileté, et il est intéressant de voir comment, lorsque l'art devient laïque, l'esprit d'examen s'introduit promptement dans la sculpture d'ornement; comment l'inspiration libre, ou soumise à certaines traditions de métier, est bientôt étouffée par le désir d'arriver à l'imitation servile de la nature.

Disons un mot maintenant de la fleur d'Iris, qui joue aussi un grand rôle dans l'ornementation romane des XIe et XIIe siècles. La fleur de l'iris est enveloppée dans une spathe membraneuse avant son épanouissement. La corolle, d'après Linné, «est à six divisions profondes, alternativement dressées et réfléchies; le style est court, portant trois lanières pétaloïdes, souvent échancrées, qui tiennent lieu de stigmates; la capsule infère est à trois valves, à trois loges polyspermes.»

Voici (9) une fleur d'iris, connue sous le nom de flambe, copiée de grandeur naturelle. Si nous présentons cette fleur de manière à régulariser ses diverses parties, nous obtenons la fig. 10.

Les six divisions de la corolle sont visibles en AA, BB, CC. Deux des lanières pétaloïdes sont apparentes en D, la troisième devant se trouver dans l'axe de la fleur. La spathe est en E. De cette figure à l'ornement connu sous le nom de fleur de lis, il n'y a pas loin. Dans les ornements romans du XIIe siècle (11 509, 12 et 13 510), on reconnaît l'essai d'artistes qui cherchent à s'inspirer des formes générales de la fleur d'iris, tout en conservant le faire de l'art romain dégénéré. Ces artistes affectionnent tout particulièrement l'arum et l'iris; ces deux plantes donnent, dès le commencement du XIIe siècle, une physionomie particulière à l'ornementation sculptée ou peinte (voy. PEINTURE). Quelle était la raison qui avait fait choisir de préférence ces végétaux des lieux humides, qui arrivent à leur floraison dès les premiers jours du printemps? M. Woillez, auteur d'une brochure fort intéressante sur ce sujet 511, n'hésite pas à voir dans cette imitation des plantes aroïdes une idée symbolique de la puissance. Il voit là un reste du paganisme, et s'exprime ainsi 512: «Je pense que le gouet, type actuel de la famille botanique des aroïdes, ou une autre plante du même genre 513, devint, en quelque sorte, le phalle transfiguré par le christianisme. La simple appellation rustique de la première plante dans certains lieux de la Picardie, et notamment dans les environs de Clermont (Oise), a suffi pour me suggérer d'abord cette opinion. Je savais que ce végétal, caché sous les bois humides et ombragés, bizarre dans ses formes extérieures, était en grand crédit parmi les magiciens et les enchanteurs du moyen âge, lorsque j'appris sa dénomination la plus vulgaire. Cette qualification correspond aux mots latins presbiteri phallus; le spadice enveloppé de sa spathe verte est encore appelé vicaire, tandis que, au moment de la fécondation, et lorsque ce spadice a pris une teinte violette, c'est un curé... Le gouet, que l'on pourrait appeler le phalle végétal, est une des premières plantes qui annoncent le retour de la végétation, ou, comme le phalle proprement dit, le réveil de la nature; il peut bien être l'expression ou l'emblème de la puissance génératrice impérissable, puisque, chaque année, sans culture préalable, on le voit percer la terre, puis disparaître après la fructification, pour reparaître après l'hiver suivant. Mais il y a plus: de même que le phalle, il a été figuré comme l'attribut de la puissance en général, ce qui prouverait son identité avec lui...» M. Woillez rappelle à propos la notice du docteur Colson 514 sur une médaille de Julia Mamée, au revers de laquelle on voit Junon tenant un phallus d'une main et un lis de l'autre, et il est à remarquer, en effet, que les premiers sceptres portés par des rois ou même la Vierge sainte sont terminés par une fleur d'arum ou une fleur de lis assez semblable à celle que nous avons donnée plus haut (fig. 10); seulement M. Woillez ne voit dans ces ornements que l'imitation des plantes aroïdes. Je pense qu'on y trouve et l'arum et l'iris (flambe); quelquefois même, comme dans l'ornement (fig. 13), un mélange des deux plantes printanières. Il ne nous paraît pas, toutefois, que l'on puisse, dans l'état des connaissances actuelles, donner comme des faits certains l'influence de ces traditions païennes d'une haute antiquité dans les arts du moyen âge.

Si la flore sculptée romane mêle aux derniers débris des arts romains des inspirations nouvelles provoquées par l'observation des plantes printanières des bois, elle subit aussi l'influence des arts de l'Orient. Pendant les Xe, XIe et XIIe siècles, quantité d'objets apportés de Byzance et de Syrie remplissaient les trésors des monastères et des palais: étoffes, ivoires sculptés, ustensiles, menus meubles, venaient en grand nombre d'Orient et fournissaient aux artistes français des motifs d'ornements qu'ils interprétaient à leur manière. Beaucoup de ces ornements byzantins étaient empruntés eux-mêmes à la flore orientale. Il ne faut donc pas s'étonner si l'on trouve sur nos chapiteaux et nos frises des XIe et XIIe siècles des formes qui rappellent certains végétaux qui alors n'étaient pas connus en Occident (voy. SCULPTURE).

Telles étaient les diverses sources auxquelles avaient été puiser les sculpteurs romans lorsqu'apparut l'école laïque de la seconde moitié du XIIe siècle; cette école ne pouvait rompre tout à coup avec celle qui la précédait. Dans un même édifice on voit, comme à la cathédrale de Paris, comme autour du choeur de l'église de Saint-Leu d'Esserent, comme à Noyon, des sculptures empreintes encore des traditions romanes à côté d'ornements d'un style entièrement étranger à ces traditions, recueillis dans la flore française. Ce sont les feuilles de l'Ancolie, de l'Aristoloche, de la Primevère, de la Renoncule, du Plantain, de la Cymbalaire, de la Chélidoine, de l'Hépatique, du Cresson, des Géraniums, de la Petite-Oseille, de la Violette, des Rumex, des Fougères, de la Vigne; les fleurs du Muflier, de l'Aconit, du Pois, du Nénuphar, de la Rue, du Genêt, des Orchidées, des Cucurbitacées, de l'Iris, du Safran, du Muguet; les fleurs, fruits ou pistils des Papaveracées, des Polygalées, du Lin, des Malvacées, de quelques Rosacées, du Souci, des Euphorbiacées, des Alismacées, des Iridées et Colchicacées qui inspirent les sculpteurs d'ornement. Mais il ne faudrait pas se méprendre sur la valeur de notre observation, ces artistes ne sont pas botanistes; s'ils cherchent à rendre la physionomie de certains végétaux, ils ne se piquent pas d'exactitude organographique; ils ne se font pas faute de mêler les espèces, de prendre un bouton à telle plante, une feuille à celle-ci, une tige à celle-là; ils observent avec une attention scrupuleuse les caractères principaux des végétaux, le modelé des feuilles, la courbure et la diminution des tiges, les attaches, les contours si purs et si fermes des pistils, des fruits ou des fleurs; ils créent une flore qui leur appartient, mais qui, toute monumentale qu'elle est, conserve un caractère de vraisemblance plein de vie et d'énergie. Cette flore monumentale a ses lois, son développement, ses allures; c'est un art, pour tout dire en un mot, non point une imitation. Nous sommes aujourd'hui si loin de la voie suivie à toutes les belles époques, qu'il nous faut faire quelques efforts pour comprendre la puissance de cette création de second ordre, éloignée autant de l'imitation servile et de la banalité que de la fantaisie pure. Nos monuments se couvrent d'imitations de l'ornementation romaine, qui n'est qu'une copie incomprise de la flore monumentale des Grecs; nous copions les copies de copies, et à grands frais; notre parure architectonique tombe dans la vulgarité, tandis que l'école laïque de la fin du XIIe siècle allait aux sources chercher ses inspirations. Non-seulement ainsi elle trouvait une décoration originale, mais elle s'appuyait sur un principe toujours neuf, toujours vivant, toujours applicable. L'art français de la grande école laïque d'architecture est logique; dans la construction, il émet des principes nouveaux qui, sans imposer une forme, sont applicables partout et dans tous les temps; dans la décoration, cet art ne fait de même qu'émettre des principes; il ne prescrit pas l'emploi d'une forme hiératique, comme l'a fait l'art oriental. Le génie de chaque artiste peut sans cesse tirer de ces principes féconds des formes neuves, imprévues.

De nos jours, on a remplacé en France la méthode, l'énoncé des principes, par l'enseignement, non raisonné, d'une ou de plusieurs formes de l'art; on a pris l'une des applications du principe pour l'art lui-même, et on a dit alors avec beaucoup de raison: «Toute imitation est funeste, si nous proscrivons l'imitation des arts de l'antiquité, nous ne pouvons prescrire l'imitation des arts du moyen âge.» Mais remplaçant l'enseignement de telle ou telle forme, d'une des applications du principe, par l'enseignement du principe lui-même, on ne prescrit pas l'imitation, on ne fait que se servir d'une méthode vraie qui permet à chacun de suivre ses inspirations. Nous savons bien qu'il est une école pour laquelle des principes sont un embarras: elle veut que la fantaisie soit le seul guide de l'artiste. La fantaisie a des tours charmants quand elle n'est que le vernis d'un esprit réfléchi, observateur, quand elle couvre d'un vêtement à mille reflets imprévus un corps solide, bien fait et sain; mais rien n'est plus monotone et fatigant que la fantaisie lorsqu'elle est seule et ne drape qu'un corps inconsistant, chétif et pauvre. Il y a certainement de la fantaisie, et beaucoup, dans l'ornementation architectonique de notre école française; mais elle ne fait que se jouer autour des principes solides, vrais, dérivés d'une observation subtile de la nature; la fantaisie alors n'est autre chose que la grâce qui sait éviter la pédanterie. Poursuivons notre étude.

Voici (14) une plante bien vulgaire, le Cresson. Regardons cependant avec attention ces tiges souples et grasses, ces pétioles bien soudées, ces courbes gracieuses des limbes, leur profil A. Dans ces limbes cependant, il y a une indécision de contour qui ne se prête pas à la décoration monumentale; les stipules B jettent de la confusion au milieu des masses. Pour faire un ornement avec cette plante, il faut en sacrifier quelque chose, donner de la fermeté aux silhouettes des pétioles; il faut prendre et laisser, ajouter et retrancher; ce qu'il faut conserver, c'est la force, la grâce, la souplesse, l'aisance de ces contours. Avec une adresse incomparable, les sculpteurs de Notre-Dame de Paris sont arrivés à ce résultat (15) 515.

Tout en conservant la silhouette de ces feuilles de cresson, ils leur ont donné un accent plus ferme, monumental, précis; entre ces limbes, ils ont ajouté des grappes qui donnent de la grandeur et de la finesse en même temps à l'ornement. Ils ont vu, étudié la nature, et en ont tiré une création nouvelle. Ici, point de traditions des ornements romains ou byzantins: c'est original, vivant, bien compris comme composition, exécuté avec habileté. Cela se fait regarder comme toute oeuvre où l'art s'appuie sur la nature sans la copier platement.

Examinons encore cette feuille de Chélidoine (éclaire) (16), plante si commune dans nos campagnes; ces feuilles sont profondément pinnatifides, à folioles ovales, à dents et lobes arrondis; leur faisceau fibreux est accusé, épais; les stipules latérales développées.

Il s'agit d'interpréter cette plante, belle par sa forme générale et par ses détails. Les mêmes sculpteurs 516 composent l'ornement (17). Ils retournent le limbe supérieur, le font retomber sur lui-même, le doublent d'une seconde feuille pour augmenter sa masse. Ils observent les deux stipules latérales; ils élargissent démesurément le pétiole; ils conservent ces oeils qui donnent un caractère particulier à la feuille de chélidoine, ces lobes arrondis; de ce faisceau fibreux, puissant, ils exagèrent la structure: ainsi, fig. 16, la section transversale d'une des stipules donne le tracé A; B étant le dessous de la feuille, ils adoptent la section C dans leur sculpture. Toujours attentifs à saisir les caractères principaux, tranchés, qui se prêtent à l'ornementation monumentale, ils font bon marché des détails dont la reproduction rapetisse ou amaigrit la sculpture. Sans chercher la symétrie absolue, cependant ils évitent les irrégularités incertaines de la plante. Ils composent un ornement avec plusieurs membres de végétaux, mais ils ont assez bien observé la nature pour donner à leur composition la vraisemblance. Beaucoup de ces inspirations sont des monstres, au point de vue de la science, mais ce sont des monstres qui sont créés viables. Nous retrouvons ces mêmes qualités chez les sculpteurs du XIIIe siècle, lorsqu'ils composent des animaux fantastiques (voy. SCULPTURE, GARGOUILLE).

Si ces artistes ne possèdent pas la science du botaniste, s'ils ne copient pas exactement telle plante ou telle partie de plante, ils ont cependant observé avec délicatesse certaines lois organiques dont ils ne s'écartent pas; ils connaissent l'anatomie du végétal et suivent ses règles générales: ainsi le faisceau fibreux, qui est comme l'ossature de la feuille, est toujours disposé d'une manière vraisemblable; le modelé du limbe est finement rendu et, comme nous le disions plus haut, inspiré de préférence sur ces petits végétaux dont la puissance d'organisation est relativement plus développée que chez les grands, dont les formes sont plus caractérisées, plus simples et d'un style plus ferme.

Dans la fig. 18, par exemple, qui nous donne, en A, des feuilles de la famille des Scrofuliacées 517, on voit comme le dernier limbe B se retourne sur lui-même lorsqu'il est récemment sorti du bourgeon; comme cette feuille d'Ombellifère C, de grandeur naturelle, est bien découpée, puissante, largement modelée. À l'aide de ces humbles végétaux, nos sculpteurs du XIIIe siècle vont composer une frise d'un aspect monumental, énergique et grand.

La petite feuille B leur aura fourni le motif de ces crochets aux têtes saillantes de la fig. 19 518, et la feuille d'ombellifère ce bouquet qui s'interpose entre chaque tige du crochet. Sur la façade occidentale de la cathédrale de Paris 519, le sculpteur a su faire de la feuille du Rumex (20) 520 une grande ornementation (21), d'une largeur de modelé et d'une pureté de forme incomparables.

Quelquefois d'une fleur (car rarement les fleurs se prêtent à la sculpture monumentale) ils composent un ornement qui n'a rien de la fleur, si ce n'est une silhouette particulière, un galbe étrange; mais aux corolles, dont les formes sont presque toujours indécises, ils substituent de véritables feuilles très-nettement caractérisées. Ainsi (22), de la fleur du Muflier, dont nous donnons les divers aspects en A, ils ont composé une tête de crochet B 521, dont les trois membres rappellent la feuille de l'Hépatique (23).

De ces mêmes fleurs de mufliers encore jeunes, C, ils ont fait des crochets feuillus extrêmement simples D, que l'on trouve aux angles des chapiteaux du commencement du XIIIe siècle. De cette feuille de l'hépatique, fig. 23, les artistes de cette époque ont tiré un grand parti: ils en ont orné les bandeaux, les corbeilles des chapiteaux; quelquefois ils ont superposé ces limbes pour former des cordons d'archivoltes; en conservant exactement ce modelé concave, simple, lisse, mais en accentuant un peu les découpures du limbe.

Bien que l'école laïque voulût évidemment rompre avec les traditions de la sculpture romane, on sent encore, jusque vers 1240, percer parfois quelques restes vagues de cette influence. Peut-être aussi les objets d'art que l'on rapportait alors de l'Orient en Occident fournissaient-ils certains motifs d'ornements qui ne peuvent être dérivés de la flore française; mais ces exemples sont si rares, ils sont, dirons-nous, tellement effacés, qu'ils ne font que confirmer la règle. D'ailleurs, les maîtres qui construisaient nos édifices du commencement du XIIIe siècle étaient obligés de recourir à un si grand nombre de sculpteurs pour réaliser leurs conceptions, qu'ils devaient souvent employer et des vieillards et des jeunes gens; les premiers, nécessairement imbus des traditions romanes, ne pouvaient tout à coup se faire à la mode nouvelle et mêlaient, timidement il est vrai, les restes de l'art de leur temps aux modèles qu'on leur imposait. Comme preuve de la répulsion de l'école laïque pour ces traditions vieillies, c'est que l'on ne trouve des réminiscences du passé, dans la sculpture, que sur certaines parties sacrifiées, peu apparentes des monuments. Là où la sculpture était visible, où elle occupait une place importante, on reconnaît, au contraire, l'emploi de la flore nouvelle dès les premières années du XIIIe siècle.

L'esprit d'analyse, de recherche, de rationalisme de l'école laïque repoussait, dans l'ornementation architectonique comme dans la construction, les traditions romanes: d'abord, parce que ces traditions appartenaient aux anciens ordres religieux, et qu'une réaction générale s'était faite contre ces ordres; puis, parce que la nouvelle école tenait à se rendre compte de tout, ou plutôt à donner la raison de tout ce qu'elle créait. C'était un système qui, comme tout système, était inflexible, impérieux dans son expression, n'admettait nulle concession, nul écart. C'était une réforme radicale.

Si, comme nous l'avons vu au commencement de cet article, les moines clunisiens avaient introduit dans leur décoration sculptée quelques végétaux empruntés à la flore locale; s'ils avaient, peut-être les premiers, placé l'art de l'ornemaniste sur cette voie, il faut bien reconnaître qu'ils avaient adopté un grand nombre d'ornements qui dérivaient de la décadence romaine, quelques autres pris sur les objets ou les étoffes que l'Orient leur fournissait. Comme nous avons eu plusieurs fois l'occasion de signaler ce dernier fait, il est nécessaire, tout en restant dans le sujet de cet article, de donner nos preuves.

Nous possédons en France aujourd'hui, grâce à nos jardins et à nos serres-chaudes, un grand nombre de végétaux qui nous viennent du fond de l'Orient, et qui, au XIe siècle, étaient parfaitement inconnus en France. Telle est, par exemple, cette plante charmante désignée par les botanistes sous le nom de Diclytra, dont les belles grappes de fleurs affectent des formes si élégantes et d'un contour si original (24).

La Diclytra vient de Chine et de l'Inde. Nous ne savons si, au XIe siècle de notre ère, elle se trouvait sur les rives du Tigre et de l'Euphrate; mais ce qui est apparent pour tous, c'est que la forme bien caractérisée de ces fleurs est reproduite sur les étoffes ou les menus objets sculptés les plus anciens qui sont venus d'Orient par Byzance. Or nous trouvons parmi les cordons d'arcs doubleaux et d'archivoltes de l'église abbatiale de Vézelay des ornements qui ne sont qu'une interprétation mal comprise et de seconde main de ces fleurs (25).

Nous pourrions multiplier ces exemples, mais il faut nous borner. On comprend très-bien que ces ornements, aux yeux de gens qui prétendaient trouver à toute chose une raison d'être, une origine, n'étaient que des conceptions barbares, dues au hasard, n'ayant aucune signification, qu'ils devaient rejeter, par conséquent. Aussi, l'école laïque tombe-t-elle bientôt dans l'abus de son système; après avoir interprété, arrangé la flore naturelle des champs, pour l'approprier aux données sévères de la sculpture monumentale, elle arrive à imiter scrupuleusement cette flore, d'abord avec réserve, en choisissant soigneusement les végétaux qui, par leur forme, se prêtent le mieux à la sculpture, puis plus tard en prenant les plantes les plus souples, les plus déliées, puis en exagérant même le modelé de ces productions naturelles. Cette seconde phase de l'art gothique est plus facile à faire connaître que la première; elle est encore pleine d'intérêt. En se rapprochant davantage de la nature, les sculpteurs du milieu du XIIIe siècle, observateurs fins et scrupuleux, saisissent les caractères généraux de la forme des plantes et reproduisent ces caractères avec adresse. Ils aiment les végétaux, ils connaissent leurs allures, ils savent comment s'attachent les pétioles des feuilles, comment se disposent leurs faisceaux fibreux; ils conservent et reproduisent avec soin ces contours si beaux, parce qu'ils expriment toujours une fonction ou se soumettent aux nécessités de l'organisme; ils trouvent dans les végétaux les qualités qu'ils cherchent à faire ressortir dans la structure de leurs édifices, quelque chose de vrai, de pratique, de raisonné: aussi y a-t-il harmonie parfaite entre cette structure et l'ornementation. Jamais celle-ci n'est un placage, une superfétation. L'ornementation de l'architecture gothique de la belle époque est comme une végétation naturelle de la structure; c'est pour cela qu'on ne fait rien qui puisse satisfaire le goût, lorsqu'en adoptant le mode de construire de ces architectes raisonneurs, on veut y appliquer une ornementation prise ailleurs ou de fantaisie. La construction gothique est (nous l'avons démontré ailleurs) la conséquence d'un système raisonné, logique; les profils sont tracés en raison de l'objet; de même, aussi, l'ornementation a ses lois comme les produits naturels qui lui servent de types. Ces artistes vont jusqu'à admettre la variété que l'on remarque dans les feuilles ou fleurs d'un même végétal, ils ont observé comment procède la nature et ils procèdent comme elle. Pourquoi et comment avons-nous perdu ces charmantes facultés, inhérentes à notre pays? Pourquoi avons-nous abandonné ces méthodes d'art sorties de notre esprit gaulois? Pourquoi, au lieu d'aller recourir aux sources vraies, aux modèles que nous fournit notre intelligence, notre faculté de comprendre la nature, avons-nous été chercher des arts étrangers, abâtardis, pour les copier sans les comprendre, puis recopier ces copies? Nous nous garderons de le dire ici, parce que ce sujet nous entraînerait trop loin (voy. GOÛT, STYLE). Constatons simplement que ce que l'on appelle vulgairement les fantaisies de l'art gothique sont, dans la structure comme pour l'ornementation, des déductions très-logiques et très-délicates d'un système complet, d'un corps de doctrine établi sur une suite d'observations vraies, profondes et justes.

Une preuve que le principe d'ornementation admis par la grande école laïque d'architecture est fertile, c'est que chaque province en fait une application différente en raison de son caractère propre. Dans l'Île-de-France, l'imitation servile des végétaux ne se fait sentir qu'assez tard, vers la seconde moitié du XIIIe siècle; pendant longtemps, l'interprétation de la nature, le style, persistent dans les grands ornements, l'imitation matérielle étant permise seulement dans quelques détails trop peu importants pour influer sur les lignes de l'architecture. En Champagne, l'imitation matérielle paraît plus tôt; elle incline rapidement vers la sécheresse et la manière. En Bourgogne, l'imitation se fait sentir dès que le gothique apparaît; mais elle conserve longtemps un tel caractère de grandeur, de puissance, elle est si vivante, qu'elle étouffe, pour ainsi dire, ses modèles sous sa plantureuse apparence. La flore architectonique de la Bourgogne possède, jusqu'à la fin du XIIIe siècle, un caractère large, énergique, qui ne tombe jamais dans la manière; elle est toujours monumentale, bien qu'elle reproduise souvent les végétaux avec une scrupuleuse exactitude. Ce n'est pas en Bourgogne qu'il faut aller chercher ces délicates frises et archivoltes de feuillages que nous voyons sculptées, dès 1257, sur le portail méridional et sous les voussures de la porte Rouge de Notre-Dame de Paris, ou de l'ancienne porte de la chapelle de la Vierge de Saint-Germain-des-Prés 522; mais nous y trouvons encore, dans les monuments du milieu du XIIIe siècle, de grands chapiteaux à larges feuillages, de hautes frises dont la végétation de pierre est largement traitée.

Les sculpteurs bourguignons vont chercher les végétaux dont les feuilles sont hardiment découpées, comme celles de l'Ancolie (26), de la Chrysantème (27), du Persil (28); dont les pétioles et les faisceaux fibreux sont longs, bien attachés, vivement accentués. Ils aiment les jeunes pousses de la Vigne (29), les boutons du Liseron (30), les feuilles, d'un si beau caractère, de la Scabieuse (31).

Ils dédaignent l'Églantier, souvent reproduit par les sculpteurs du XIIIe siècle, le Trèfle, les feuilles de la Mauve, de la Brione, des Ombellifères, de la Chélidoine, d'un modelé si doux, de la Potentille, si fines, des Géraniums, si délicates. S'ils veulent se servir des feuillages à contours simples mais d'un modelé puissant, ils cueillent l'Aristoloche, la Violette, l'Oseille, l'Hépatique, le Fraisier, le Plantain, le Lierre. Observons, par exemple, comment ces hardis sculpteurs ont tiré parti des feuilles de la Chrysanthème et du Persil. On voit, sur la porte principale de la façade de l'église abbatiale de Vézelay, une belle archivolte refaite vers 1240 autour d'un cintre du XIIe siècle. Cette archivolte se compose d'une suite de claveaux portant chacun, dans une gorge, un large bouquet de feuilles vigoureusement retournées sur elles-mêmes et refouillées de main de maître. L'un de ces bouquets A, que nous donnons ici (32), reproduit des feuilles de Persil; l'autre, B, des feuilles de Chrysanthème.

Ce n'est pas là cette sculpture rangée, contenue, soumise aux profils, que nous trouvons à la même époque sur les monuments de l'Île-de-France. C'est une véritable végétation reproduite avec un surcroît de sève. Le sang bourguignon a poussé la main de l'artiste. Il prend la nature, il ne l'arrange pas comme son confrère des bords de la Seine et de la Marne; il la développe, il l'exagère. N'est-ce point un art, celui qui permet ainsi à l'artiste d'imprimer si vivement son caractère sur son oeuvre, tout en suivant un principe admis? Bien que les sculpteurs de nos trois écoles laïques françaises choisissent les végétaux qui s'accordent avec leur tempérament, tous appliquent scrupuleusement certaines lois qui, aux yeux du botaniste, ne sont pas suffisantes pour indiquer l'individualité de la plante, mais qui, pour les artistes, sont les véritables: celles dont l'observation donne à chaque imitation d'un végétal sa physionomie, son caractère propre. Lorsque aujourd'hui nous copions une centième copie d'une feuille d'Acanthe ou d'Angélique, parce que les Grecs ont imité ces végétaux, nous pouvons faire faire à nos sculpteurs d'ornement une oeuvre parfaite, comme exécution, sur le marbre, la pierre, le stuc ou le bois; mais nous ne saurions donner les qualités apparentes de la vie à ces imitations de centième main: ce ne sont là que des décorations glacées qui n'intéressent personne, ne font songer à autre chose, sinon que nous avons fait faire un chapiteau ou une frise. Il est même admis que pour occuper le moins possible l'oeil du passant, nous répéterons dix, vingt, cent fois le même chapiteau, sur un modèle identique. Ce point établi, que l'architecture pour être classique doit être ennuyeuse, nous ne pouvons, sous peine d'être mis au ban de l'école classique, essayer d'intéresser le public à nos oeuvres. Pourvu que l'ornementation sculptée soit propre, égale, uniforme, chacun doit être satisfait; on ne s'inquiète point de savoir si ces feuilles qui courent sur nos tympans, si ces enroulements qui se développent sur une frise, ont quelques points de rapport avec les végétaux; s'ils sont créés viables, s'ils se soumettent à ces lois admirables, parce qu'elles sont raisonnables, de la flore naturelle. Les artistes du XIIIe siècle, que l'on veut bien croire livrés à la fantaisie, ont d'autres scrupules: ils pensent que des ornements soumis à une même ordonnance ne doivent pas, pour cela, être tous coulés dans un même moule; que le public prendra quelque plaisir à voir vingt chapiteaux différant par les détails; qu'il aimera retrouver autour de ces chapiteaux, sur ces bandeaux, sous ces archivoltes, les plantes de ses champs; qu'imiter pour imiter, mieux vaut chercher ses modèles dans la nature, qui est toujours vraie, souvent belle et variée, que d'aller copier des passementeries byzantines ou des ornements romains exécutés à la tâche par des artistes peu soucieux de la forme, d'après des traditions mal comprises; que la flore locale étant admise comme point de départ de toute ornementation, les types étant suffisamment variés, faciles à trouver, vivants, chacun peut, suivant son goût ou son mérite, trouver des applications innombrables de ces types; que, dans les arts, s'il faut établir des principes très-rigoureux, il est nécessaire de permettre toutes les applications qu'on en peut faire. Si bien que ces artistes laïques du XIIIe siècle, qui ont fermement cru ouvrir aux arts une ère de liberté, de progrès, et qui l'ont ouverte en effet, seraient probablement étonnés s'ils entendaient dire aujourd'hui, par ceux qui veulent nous river aux arts de l'antiquité et à leurs imitations non raisonnées, que cet art du XIIIe siècle est un art suranné, sans applications nouvelles.

«Eh! qui vous empêche d'en faire? pourraient-ils répondre; nous n'avons pas imposé des formes, nous n'avons mis que des principes en avant, soit en construction, soit en ornementation; nous avons pris la forme, il est vrai, qui nous semblait le mieux s'accorder avec ces principes et notre goût; mais qui vous interdit d'en prendre d'autres, ou de modifier celles que nous avons adoptées? Croyez-vous être neuf parce que vous imitez un chapiteau du temple de Mars Vengeur, ou d'une maison de Pompéi, ou une arabesque de la Renaissance, ou un cartouche du XVIIe siècle, ou une frise du boudoir de madame de Pompadour? Ne pensez-vous point qu'il y aurait plus de chances de trouver des formes neuves en allant cueillir dans les bois quelques-unes de ces herbes sur lesquelles vous marchez, indifférents; en analysant ces plantes, comme nous le faisions nous-mêmes; en examinant les angles de leurs pétioles, le galbe de leurs feuilles, les attaches de leurs tigettes? Qui vous demande de copier nos chapiteaux? Allez chercher les mêmes modèles que nous, tâchez de les mieux comprendre que nous, ce qui ne vous sera pas difficile, puisque vous êtes plus savants et que toute la terre apporte ses végétaux dans vos serres. Est-ce que nous nous copiions réciproquement? est-ce que nos artistes n'allaient pas recourir sans cesse à ces sources naturelles? Il y a peut-être un million de chapiteaux de notre temps en France, vous n'en trouverez pas deux identiquement semblables; il en est de même pour toute notre ornementation sculptée. Nous avons reproduit des milliers de fois et la feuille de vigne, et celle du figuier, et celle du lierre, et celles des géraniums, et celle de l'érable, et celle de la grenadine, et celle de la violette, et celles des fougères; mais pour faire une feuille d'érable nous n'allions pas copier la sculpture de notre voisin, nous allions nous promener dans les taillis; aussi nos feuilles d'érable sculptées sur les édifices que nous avons élevés sont aussi variées que peuvent l'être celles qui poussent dans les bois. D'ailleurs, avec ces fragments de végétaux, nous composions, nous inventions des combinaisons neuves; pourquoi ne pas faire comme nous avons fait, et en quoi cette méthode vous fera-t-elle rétrograder?--Rétrograder est votre plus grande crainte.--Bien; est-ce pour cela que vous repoussez le seul art qui permette d'aller en avant à cause de la largeur et de la libéralité de ses principes? Et, pour ne parler que de l'ornementation sculptée, pensez-vous ouvrir des voies nouvelles en copiant une fleur ciselée par les Étrusques, ou en reproduisant pauvrement quelque beau chapiteau du temps d'Auguste, ou en imitant la sculpture étiolée de la fin du dernier siècle? Cependant que vous disputez s'il est plus conforme au goût immuable de copier les Romains ou les lourdes fantaisies du siècle de Louis XIV, les champs continuent à se couvrir, chaque printemps, de leur charmante parure, les arbres bourgeonnent toujours, les fleurs ne cessent d'éclore; que n'allez-vous donc puiser à cet écrin inépuisable? C'est parce que nous voulions fonder une méthode d'art toujours jeune, toujours vivante, que nous allions y puiser nous-mêmes. Les végétaux sont-ils moins variés, ont-ils moins de grâce et de souplesse que de notre temps?»

Que pourrions-nous répondre à ces artistes, qui parlent dans leurs oeuvres, nos devanciers de six siècles, mais plus jeunes que nous et surtout plus amis du progrès?

Ce que l'on ne saurait trop étudier dans les applications que ces artistes ont faites de la flore à l'ornementation sculptée, c'est l'exacte observation des caractères principaux de la forme. Les détails, ils les négligent ou les suppriment; mais ce qu'ils expriment avec l'attention d'amants passionnés de la nature, ce sont les grandes lignes, celles qui caractérisent chaque végétal, comme, par exemple, les angles formés par les faisceaux fibreux des feuilles, le port des pétioles, les belles lignes données par le bord de ces feuilles, le caractère de leurs échancrures, les profils saillants du modelé, le renflement énergique des coussinets. Analysons, car, sur ce sujet qui nous paraît important, il ne faut laisser aucune incertitude dans l'esprit de nos lecteurs. Les feuilles, par exemple, ne sont flexibles que dans un sens, elles peuvent se recourber dans le sens de leur plat; mais, à cause du tissu fibreux qui forme un étrésillonnement entre leurs côtes, elles ne peuvent se contourner dans le sens de leur champ.

Ainsi (33) une feuille d'Érable A peut être tortillée comme l'indique le tracé B, mais ne saurait donner le tracé G sans détruire ou chiffonner son tissu et altérer sa forme. Cependant nous voyons que, depuis la Renaissance, où l'étude de ces productions naturelles a été remplacée par des imitations de la sculpture antique de plus en plus corrompues, nos sculpteurs d'ornement ont enfreint cette loi principale. Son observation, au contraire, laisse à la sculpture monumentale une fermeté, une vie nécessaires. Les artistes gothiques ont-ils une frise ou une guirlande de feuilles à faire: en plaçant les feuilles dans tous les sens, suivant les besoins de l'ornementation, ils ont le soin de conserver à chaque feuille l'immobilité qu'elle doit nécessairement garder dans le sens du champ. Pour obtenir de la variété dans le modelé, ils présentent quelquefois ces feuilles tantôt du côté du dos, tantôt du côté du plat, ainsi que le fait voir la fig. 34 523. Ils observent que les faisceaux fibreux imposent nécessairement la forme au tissu, comme les os des animaux imposent la forme des muscles. C'est donc sur les faisceaux fibreux qu'ils portent toute leur attention, afin qu'étant obligés de supprimer certains détails pour donner à la sculpture l'aspect monumental qu'elle doit garder, ils puissent conserver toujours la physionomie du végétal. Ainsi, par exemple, d'une feuille de Figuier (35), ils retrancheront beaucoup de dentelures, assez molles de forme, qui alourdissent la feuille, mais (36) 524 ils conserveront exactement les angles du faisceau fibreux; ils exagéreront le caractère des échancrures principales; ils saisiront tous les points saillants, les belles lignes des redents; ils donneront au modelé assez plat de cette feuille une grande énergie, tout en respectant son galbe.

Mais si nous jetons les yeux sur la fig. 35, nous voyons que dans la feuille de figuier, comme dans la plupart des feuilles, les contours se contrarient, en conservant cependant, de chaque côté des branches fibreuses, des portions de tissus qui présentent une certaine symétrie. Ainsi, en face des dépressions A se trouvent des renflements B. La même observation peut être faite sur les contours musculeux des animaux. Cette disposition des bords des tissus donne aux feuilles une souplesse et une élégance particulières. Les sculpteurs du moyen âge ont, en cela, suivi fidèlement les règles naturelles dans tous les cas où les besoins de l'ornementation n'exigeaient pas une pondération rigoureuse des deux bords, comme dans les parties milieux. La fig. 36, qui nous montre comme ces sculpteurs ont interprété la feuille du figuier, ne donne deux bords absolument pondérés que sur le membre central de la feuille; quant aux six autres membres, ils sont galbés suivant le principe naturel. Leur imitation de la flore est donc parfaitement intelligente; l'artiste sait faire les sacrifices nécessaires; d'une plante, il produit une oeuvre d'art qui lui appartient, bien qu'elle conserve et fasse ressortir même les caractères distinctifs, les qualités, les allures de l'objet naturel. La feuille sculptée que nous donnons ici a une physionomie beaucoup plus caractérisée que la feuille de l'arbre. Elle est (au point de vue de l'art sinon de la science) plus feuille de figuier que n'est la véritable.

Il est rare que les sculpteurs du XIIIe siècle prennent pour modèles des feuilles aussi grandes d'échelle que celle-ci; habituellement, ainsi que nous l'avons dit plus haut, ils vont chercher leurs inspirations dans les végétaux les plus petits, parce qu'ils possèdent des formes plus simples, des contours plus énergiques, un modelé plus puissant. On a pu voir, par les exemples déjà donnés, quel parti l'ornemaniste peut tirer de ces plantes qui s'élèvent à peine au-dessus du sol. Ce qui paraît avoir déterminé le choix de ces artistes, c'est, d'abord, la belle disposition des pétioles et des faisceaux fibreux; puis, les angles et les contours donnés par les tissus des feuilles. Lorsque les contours sont mous, n'accusent pas clairement l'anatomie, contrarient la direction des faisceaux fibreux, ce qui arrive quelquefois, ils rejettent la feuille. Or les feuilles dont l'anatomie est la plus belle et la plus claire, ce sont celles des plus petites plantes.

Voici (37) une Fougère fort commune, copiée un peu plus grande que nature. Y a-t-il rien de plus énergique comme disposition de lignes et comme modelé que cette petite plante? Que l'on observe les belles courbes des pétioles, la délicatesse et la fermeté des jonctions, on comprendra qu'un sculpteur peut tirer un grand parti de ce modèle; aussi, ne s'est-on pas fait faute de s'en inspirer dans les ornements du XIIIe siècle et même du XIVe. Ces fines dentelures des extrémités des feuilles ont souvent servi également comme moyen décoratif de grands ornements auxquels on tenait à donner un aspect délicat et précieux (38) 525.

Les artistes du XIVe siècle ne vont chercher des exemples que parmi les plantes d'un modelé tourmenté: ils choisissent l'Ellébore noire, les Chrysanthèmes, la Sauge, la Grenadine, le Fraisier, la Mauve, les Géraniums, les Fougères à larges feuilles, le Chêne, l'Érable, la Passiflore, le Lierre, la Vigne, et ils copient les feuilles de ces végétaux avec une rare perfection, en exagérant souvent leur modelé ou leurs contours. Ils abandonnent ces bourgeons, ces graines, avec lesquels les artistes de la fin du XIIe siècle avaient su composer de si beaux ornements. Non-seulement ils choisissent des feuilles parvenues à leur entier développement, mais encore ils aiment à les froisser; ce qu'ils veulent, c'est produire de l'effet, et à tout prendre, leurs ornements deviennent confus, mesquins, par le manque de simplicité dans les contours et le modelé. De la feuille de vigne, dont le galbe est large, disposé par grands plans, ils trouvent moyen de composer l'ornement (39) 526. Ils aiment les lignes ondulées, les feuilles plissées, chiffonnées; ils cueillent cette grande fougère qui vient sur les parois des murs humides (40); ils observent ces capsules ou coques A, placées sur la surface inférieure des feuilles et qui forment des bosses sur leur face externe, et en exagérant encore les plis des appendices foliacés, ils obtiennent des ornements d'un contour chiffonné, d'un modelé gras, dont l'aspect est saisissant de près, mais qui, à distance, ne présentent plus qu'une suite de ressauts de lumières et d'ombres très-difficiles à comprendre (41) 527.

Vers le commencement du XVe siècle, l'imitation des végétaux tombe absolument dans le réalisme. Les sculpteurs alors choisissent les feuillages les plus découpés, la Passiflore, les Chardons, les Épines, l'Armoise (42); et, de cette dernière plante, si petite qu'à peine l'aperçoit-on sur les terrains pierreux où elle pousse, ils composent de grandes et larges frises, des cordons, des crochets énergiques, mais refouillés à l'excès. Cependant on conçoit qu'avec ces feuilles, dont les lignes sont belles, on puisse faire de grands ornements: c'était encore là un reste des traditions de l'école laïque du XIIIe siècle, qui cherchait ses modèles d'ornements parmi les infimes créations de l'ordre végétal. Les artistes du XVe siècle aiment aussi à imiter les algues d'eau douce ou marines, d'un modelé très-puissant (voy. FLEURON, SCULPTURE).

À la fin du XVe siècle, les artistes gothiques avaient atteint les dernières limites du possible dans l'art de la construction; pour l'ornementation, ils étaient de même arrivés aussi loin que faire se pouvait dans l'imitation des végétaux les plus délicats et les plus difficiles à rendre sur la pierre ou le bois; la Renaissance vint arrêter cette progression de la sculpture vers le réalisme outré. Pendant quelques années, de 1480 à 1510, on voit la vieille école française de sculpture mêler ses traditions aux réminiscences de l'antiquité; mais il est facile de reconnaître que les artistes ne vont plus puiser aux sources naturelles, qu'ils ne consultent plus la flore, et que leurs ornements ne sont autre chose que des poncifs plus ou moins habilement exécutés. Ils copient, ou interprètent plutôt, les ornements empruntés à l'antiquité sans les comprendre; en mêlant ces imitations aux derniers vestiges de l'art gothique, ils produisent encore des oeuvres remarquables, tant le goût de la sculpture était vivace chez nous alors, tant les exécutants étaient habiles de la main. Mais, à travers cette confusion de styles et d'origines, on a bien de la peine à suivre la marche d'un art; c'est un mouvement imprimé par une école puissante, qui continue longtemps après la disparition de cette école. Peu à peu, cependant, l'exécution s'amollit, et l'art de la sculpture d'ornement, à la fin du XVIe siècle, n'est plus qu'un pâle reflet de ce qu'il était encore en France sous le règne de Louis XII; l'étude de la nature n'entre plus pour rien ni dans la composition ni dans le travail de l'artiste; les ornements perdent ce caractère vivant et original qu'ils possédaient un siècle auparavant pour se reproduire de proche en proche sur des types qui, chaque jour, s'abâtardissent. Vers le commencement du XVIIe siècle, l'ornementation se relève quelque peu par suite d'une étude plus attentive de l'antiquité; mais l'originalité, la séve manquent depuis lors à cet art que notre vieille école laïque avait su porter si haut.

Note 509: (retour) Musée de Toulouse (frise).
Note 510: (retour) Chapiteaux déposés dans les magasins de l'église impériale de Saint-Denis.
Note 511: (retour) Iconog. des plantes aroïdes figurées au moyen âge en Picardie, et considérées comme origine de la fleur de lis de France. Amiens, 1848.
Note 513: (retour) L'iris, comme nous venons de le faire voir, a servi de type aux sculpteurs romans.
Note 514: (retour) Mémoires de la Société des antiq. de Picardie, t. VIII, p. 245.
Note 515: (retour) Portail occidental de la cathédrale de Paris, premières années du XIIIe siècle.
Note 516: (retour) De Notre-Dame de Paris. Cet ornement se trouve sous les statues du portail, au droit des contre-forts; commencement du XIIIe siècle.
Note 517: (retour) Un peu plus grandes que nature.
Note 518: (retour) De la corniche extérieure de la salle synodale de Sens; 1235 environ.
Note 519: (retour) Bandeau sous la grande galerie; 1215 environ.
Note 520: (retour) De grandeur naturelle.
Note 521: (retour) De la cathédrale de Paris; 1220 environ.
Note 522: (retour) Fragments déposés à Saint-Denis; 1250 environ.
Note 523: (retour) Du jubé de la cathédrale de Chartres; fragments, 1245 environ.
Note 524: (retour) De Notre-Dame de Paris; portail méridional, 1257.
Note 525: (retour) Chapiteau de la nef de Notre-Dame de Paris; triforium, 1205 environ.
Note 526: (retour) Du tombeau de l'évêque Pierre de Roquefort. Saint-Nazaire de Carcassonne; 1325 environ.
Note 527: (retour) De l'église abbat. d'Eu.


FONDATION, s. f. Les Romains de l'empire ont toujours fondé leurs édifices sur un sol résistant, au moyen de larges blocages qui forment, sous les constructions, des empattements homogènes, solides, composés de débris de pierres, de cailloux, quelquefois de fragments de terre cuite et d'un mortier excellent. Les fondations romaines sont de véritables rochers factices sur lesquels on pouvait asseoir les bâtisses les plus lourdes sans craindre les ruptures et les tassements. D'ailleurs la construction romaine étant concrète, sans élasticité, il fallait nécessairement l'établir sur des bases immuables. Pendant la période romane, les édifices sont généralement mal fondés, et cela tenait à plusieurs causes: on connaissait peu la nature des sols, les approvisionnements considérables de matériaux étaient difficiles, on ne savait plus cuire et employer convenablement la chaux. Nous avons expliqué ailleurs (voy. CARRIÈRE, CONSTRUCTION) les raisons qui s'opposaient à ce que les constructeurs romans pussent réunir beaucoup de matériaux en un court espace de temps, et pourquoi, n'ayant pas les ressources dont disposaient les Romains, ils négligeaient souvent les fondations des édifices les plus importants.

Les architectes laïques de l'école du XIIe siècle avaient vu tant de constructions romanes s'écrouler, par faute de fondations ou par suite de la poussée des voûtes mal contre-buttées, qu'ils voulurent cependant faire en sorte d'éviter ces sinistres; à cet effet, ils mirent un soin particulier à établir des fondations durables et à rendre leurs constructions assez élastiques pour que les tassements ne fussent plus à craindre. Mais si habile que nous supposions un architecte, faut-il qu'on lui fournisse les moyens matériels de construire; or, dans l'édification des grandes cathédrales et de beaucoup d'églises, l'empressement et le zèle des évêques ne correspondaient pas toujours à l'étendue de leurs ressources financières; alors le clergé séculier tenait surtout à faire paraître son influence: il s'agissait pour lui d'amoindrir la puissance des monastères, d'attirer à lui les fidèles; dans bien des cas on voulut donc, avec des moyens relativement insuffisants, élever des édifices religieux qui pussent dépasser en étendue et en richesse les églises des moines Bénédictins. C'est ce qui explique pourquoi quelques-unes de nos grandes cathédrales, comme celles de Troyes, de Châlons-sur-Marne, de Séez, de Meaux, sont mal fondées. Il fallait élever rapidement des édifices somptueux, d'une belle apparence, et, les ressources étant relativement médiocres, on ne voulait pas les enfouir en grande partie au-dessous du sol. D'autres cathédrales, élevées au milieu de diocèses riches, comme celles de Paris, de Reims, d'Amiens, de Bourges, sort au contraire fondées avec un luxe de matériaux extraordinaire. Quant aux châteaux, quant aux constructions militaires et civiles, elles sont toujours bien fondées; les seigneurs laïques comme les municipalités tenaient moins à l'apparence, voulaient des constructions durables, parce que le châtelain construisait pour se garder lui et les siens à perpétuité, que les villes bâtissaient pour une longue suite de générations.

Les fondations de la période romane sont toujours faites en gros blocages jetés pêle-mêle dans un bain de mortier; rarement elles sont revêtues. Les fondations des constructions gothiques sont au contraire souvent revêtues de parements de pierres de taille (libages) posées par assises régulières et proprement taillées; les massifs sont maçonnés en moellons bloqués dans un bon mortier. Ces fondations sont (quand les ressources ne manquaient pas) très-largement empattées et s'appuient sur des sols résistants. Il faut dire cependant, à ce sujet, que les constructeurs gothiques n'avaient pas les mêmes scrupules que nous: quand ils trouvaient un sol de remblai ancien, bien comprimé et tassé par les eaux, ils n'hésitaient pas à s'établir dessus. D'anciennes vases, des limons déposés par les eaux, des remblais longtemps infiltrés, leur paraissaient être des sols suffisants; mais aussi, dans ce cas, donnaient-ils à la base des fondations une large assiette. Ils ne manquaient jamais de relier entre eux tous les murs et massifs en fondation; c'est-à-dire que, sous un édifice composé de murs et de piles isolées, par exemple, ils formaient un gril de maçonnerie sous le sol, afin de rendre toutes les parties des fondements solidaires. Pendant les XIVe et XVe siècles, les fondations sont toujours établies avec un soin extrême sur le sol vierge, avec libages sous les points d'appui principaux et murs nombreux de liaison. Il arrive même souvent alors que les parements en fondation sont aussi bien dressés que ceux en élévation (voy. CONSTRUCTION).



FONTAINE, s. f. À toutes les époques, les fontaines ont été considérées comme des monuments d'utilité publique de premier ordre. Les Romains, lorsqu'ils établissaient une ville, ou lorsqu'ils prenaient possession d'anciennes cités, avant toute chose, pensaient à l'aménagement des eaux. Ils allaient au loin, s'il le fallait, chercher des sources abondantes, pures, et ne reculaient devant aucun travail, aucune dépense, pour conduire des masses d'eau considérables dans les centres de population. À Rome, bien que les quatre cinquièmes des aqueducs antiques soient détruits, ceux qui restent suffisent cependant pour fournir à la ville moderne une quantité d'eau plus considérable que celle qui alimente la ville de Paris, cinq fois plus populeuse. À Nîmes, à Lyon, à Fréjus, à Arles, à Autun, à Paris même, nous trouvons encore des traces d'aqueducs romains allant chercher les eaux très-loin et à des niveaux supérieurs pour pouvoir obtenir une distribution facile au moyen de grands réservoirs. Partout, en France, où se trouve une source abondante et salubre, on est presque certain de découvrir des restes de constructions romaines. Les Romains attachaient une importance majeure à la police urbaine; il n'y a pas de police sans une bonne édilité, il ne peut y avoir une bonne édilité sans eau. À cet égard, nous avons quelque chose à faire; beaucoup de nos grandes villes manquent d'eau encore aujourd'hui; on ne doit donc pas s'étonner si, pendant le moyen âge, les fontaines n'étaient pas très-communes au milieu des cités. Chez les Romains, l'eau était la véritable décoration de toute fontaine; on n'avait pas encore songé à élever des fontaines dans lesquelles l'eau n'est qu'un accessoire plus incommode qu'utile. Les quelques fontaines du moyen âge que nous avons pu recueillir n'ont pas cet aspect monumental, ne présentent point ces amas de pierre, de marbre et de bronze, que l'on se croit obligé d'accumuler de nos jours pour accompagner un filet d'eau. Cependant (et cela dérivait probablement des traditions de l'antiquité) l'eau semblait une chose si précieuse, qu'on ne la donnait au public qu'entourée de ce qui pouvait faire ressortir sa valeur; on la ménageait, on la mettait à la portée de tous, mais avec plus de respect que de vanité. La fontaine du moyen âge est donc un monument d'utilité, non point une décoration, un prétexte pour figurer des allégories de marbre et de métal plus ou moins ingénieuses, mais qui ont toutes le grand défaut d'être ridicules pour des gens qui croient médiocrement à la mythologie, aux fleuves barbus et aux naïades couronnées de roseaux. La fontaine qui imprime une trace vive dans le souvenir, c'est celle qu'on trouve au bord de la route poudreuse, laissant voir son petit bassin d'eau limpide sous un abri, sa tasse de cuivre attachée à une chaîne et la modeste inscription rappelant le nom du fondateur. Sans être toujours aussi humble, la fontaine du moyen âge conserve quelque chose de la simplicité de ce programme; elle n'assourdit et n'éclabousse pas, mais elle invite le passant à l'approcher. Il n'est pas nécessaire de recevoir une douche pour s'y désaltérer.

La fontaine du moyen âge est un petit bassin couvert dans lequel on vient puiser en descendant quelques marches, ou une colonne, une pile entourée d'une large cuve et d'un plus ou moins grand nombre de tuyaux qui distribuent l'eau à tous venants. Les bassins entourés de degrés étaient réservés aux jardins, aux vergers.

Dans les contes et fabliaux des XIIe et XIIIe siècles, il est souvent question de ces sortes de fontaines(1), et sans sortir du domaine de la réalité, nous voyons encore, en Poitou, en Normandie, en Bretagne et en Bourgogne, un assez grand nombre de ces fontaines placées sur le bord des routes pour les besoins du voyageur. La source est ordinairement couverte par une arcade en maçonnerie, le bassin s'avançant sur la voie comme pour inviter à y puiser; des bancs permettent de se reposer sur ses bords; une niche, ménagée au fond de la voûte, reçoit la statue de la Vierge ou d'un saint; les armoiries du fondateur décorent le tympan de l'arcade ou les parois de la fontaine 528. En dehors du faubourg de Poitiers, le long du Clain, on voit encore une fontaine de ce genre, restaurée en 1579, mais dont la construction remonte au XIVe siècle. Elle tourne le dos à la route, et on arrive à son bassin au moyen d'une rampe établie sur l'une des parois de l'édicule. Les armoiries du donateur sont disposées de façon que de la route et de cette rampe on peut les reconnaître. La disposition de ces fontaines est évidemment fort ancienne; on y reconnaît la trace de l'antiquité romaine. Un édicule protégeant la source et recevant la divinité qui en est la dispensatrice, une inscription signalant le nom du fondateur à la reconnaissance publique, des bancs pour se reposer, n'est-ce pas là un programme antique? Mais ces sortes de fontaines ne conviennent guère qu'à la campagne; dans les villes, sur les places ou les carrefours, il faut que le bassin soit accessible à un grand nombre de personnes à la fois. Il faut que l'on puisse recueillir l'eau, non dans ce bassin qui est troublé par le mouvement des puiseurs, mais à la source même distribuée en un certain nombre de goulottes.

C'est ainsi qu'est disposée la fontaine du XIIe siècle que l'on voit encore à Provins en face de l'hôpital (2). Une vasque hexagone, une grosse colonne dont le chapiteau est percé de trois trous munis de têtes de bronze assez saillantes pour verser l'eau dans les vases que l'on apporte au bord de la vasque, tel est ce petit monument dans sa simplicité primitive. Peut-être, autrefois, le chapiteau était-il surmonté d'une statue ou d'un pinacle, comme certaines fontaines que l'on voit représentées dans des peintures et manuscrits du XIVe siècle. En A est tracé le plan de la fontaine de Provins, en B est donné le détail d'un des goulots de bronze.

Quelques villes d'Italie, Pérouse, Viterbe, Sienne, ont conservé leurs fontaines de la fin du XIIIe siècle et du commencement du XIVe. En France, nous possédions, à cette époque, d'assez belles fontaines urbaines; mais nous les avons détruites depuis longtemps; c'est à peine si, par hasard, on découvre quelques fragments de ces monuments dus à la générosité de souverains ou de riches seigneurs. Ils étaient composés à peu près de la même manière, c'est-à-dire qu'ils consistaient en un bassin inférieur élevé de deux à trois pieds au-dessus du sol (0,60 c. à 0,90 c.), bassin très-peu profond, fait pour recueillir l'eau des goulots, poser et laver les vases; bassin dans lequel on ne puisait pas; d'une pile centrale recevant de longs tuyaux de distribution arrivant jusque près du bord de ce bassin inférieur et permettant de remplir les cruches. La pile centrale était plus ou moins décorée, portait quelquefois une vasque supérieure laissant échapper de petits jets qui n'étaient là que pour l'agrément. Il y avait sur le parvis de Notre-Dame à Paris une assez belle fontaine de ce genre qui fut remplacée au XVIIe siècle par un monument fort lourd; on en voit une encore, mais mutilée et dénaturée, sur la place de la ville de Saint-Florentin (Yonne). À Brioude, il existe d'assez jolies fontaines du XIIIe siècle, dont la plupart des détails ont été modifiés. Les villes des bords du Rhin et de l'Allemagne possèdent aussi quelques fontaines monumentales d'une époque assez récente (XVe et XVIe siècles), quoique tracées sur les anciens programmes.

Nous donnons (3) une de ces fontaines du XIIIe siècle en plan, et (4) en élévation perspective. Le plan (fig. 3) indique, en A, la section horizontale du monument au-dessous de la vasque inférieure; en B, la section au-dessus de cette vasque, et en C la section de la pile supérieure portant la statue, avec la projection des deux vasques superposées. Ces fontaines étaient alimentées au moyen d'aqueducs souterrains, ainsi que nous avons souvent eu l'occasion de le constater. Ces aqueducs étaient habituellement en maçonnerie, revêtue à l'intérieur d'un bon enduit en ciment suivant la méthode romaine; rarement les conduites étaient en plomb; cependant nous en avons trouvé des fragments à Carcassonne, à Clermont (Auvergne) et dans le voisinage d'anciennes abbayes, à Saint-Denis près Paris, à Clairvaux. Près de Coutances, on voit encore les restes d'un aqueduc qui paraît dater du XIVe siècle; et qui, porté sur des arcades en tiers-point, traverse le vallon au nord-ouest de cette ville. Du Breul, dans son Théâtre des Antiquités de Paris, dit que les prévôts des marchands et échevins avaient «d'antiquité, pour conduire des eaux de sources aux fontaines de la ville, fait construire de grands aqueducs et canaux, composez de murs de maçonnerie et pierre de taille, pavez de grandes noües ou esviers aussi de pierre (comme aussi auroient iceux recouvert de fort grandes pierres) contenans, iceux aquéducs, cinq cents toises de longueur et plus, sans qu'il y aie aucune clarté sinon celle que l'on y peut porter avec feu, et de six pieds de hauteur sur trois pieds de largeur, le long desquels les personnes peuvent facilement cheminer la lumière à la main; lesquels aquéducs sont accompagnez d'auges ou réceptacles pour faire roüer et purifier l'eau des dites sources: à l'entrée desquels est une forme de bastiment, auquel y a un grand réceptacle servant d'acueil (d'émissaire) pour recevoir les eaues descendants d'une montagne sablonneuse, appellée la montagne de Belle-Ville-sur-Sablon, au haut et fin duquel aqueduc est un regard en forme ronde, et au milieu d'iceluy une forme de puits, servant d'auge à recevoir trois belles sources, descendant en iceluy par trois divers endroits. Édifice voûté en forme ronde appellé cul-de-four, garny de son ouverture pour une lanterne à jour; et en iceluy deux descentes de pareille forme ronde; édifice artiste et curieusement bâti: desquelles noües et esviers, en l'an 1457, en fut refait de neuf environ quatre vingt seize toises de longueur, le surplus desdits acquéducs ou canaux basty de grande antiquité...» Que cet aqueduc fût d'origine romaine ou qu'il ait été bâti dans les premiers siècles du moyen âge, toujours est-il qu'on s'en servait et qu'on l'entretenait encore au XVe siècle.

C'est principalement dans les monastères que l'on trouve les traces les plus nombreuses et les mieux conservées de travaux hydrauliques. Tous les cloîtres possédaient, au centre du préau ou le long d'une des galeries, de belles vasques de pierre ou de marbre, autour desquelles des tuyaux répartissant l'eau en une quantité de jets permettaient aux moines de faire leurs ablutions (voy. LAVABO). Ces fontaines affectent toutes à peu près la même forme jusque vers la fin du XIVe siècle. Au XVe siècle, la colonne, ou le faisceau de colonnes placé au centre d'une vasque circulaire, polygonale ou lobée, est souvent remplacée par un pinacle orné de sculptures.

Telle est une fontaine (5) que nous voyons figurée dans un manuscrit de cette époque 529. À Rouen, il existe encore un assez joli monument de ce genre qui date du milieu du XVe siècle 530. Lorsque les fontaines gothiques étaient adossées à une construction civile, elles ne se composaient que d'une petite vasque et d'un goulot posé dans un renfoncement pratiqué à même la muraille; aussi modestes que le sont nos bornes-fontaines, elles étaient seulement faites pour satisfaire aux besoins journaliers des habitants. Le moyen âge ne voyait nul inconvénient à mettre un peu d'art dans ses oeuvres les plus vulgaires; aujourd'hui, si nous poussons jusqu'à l'exagération la richesse et le luxe des monuments décoratifs de nos cités, nous rachetons ce défaut, si c'en est un, par la pauvreté et la banalité des objets les plus utiles, comme le sont nos bornes-fontaines, nos candélabres, nos supports d'éclairage.

Note 528: (retour) Voir le lai de Narcisse, le lai de l'Oiselet, le Paradis d'Amour; dans ce dernier fabliau, l'auteur décrit une fontaine cachée dans un jardin. On y descendait, dit-il, par des degrés de marbre auxquels tenait attachée, avec une chaîne d'argent, une tasse d'or émaillée.
Note 529: (retour) Poésies de Guillaume de Machaut, ms. app. à M. Guillebon. Aire-sur-la-Lys.
Note 530: (retour) Fontaine dite de la Pucelle.


FONTS, s. m. S'emploie au pluriel. Fonts baptismaux. Cuve destiné à contenir l'eau du baptême. Il y a lieu de supposer que, dans les premiers temps de l'Église, le baptême se donnait par aspersion, puisque les apôtres baptisaient des royaumes et des provinces entières, des milliers de personnes en un jour 531. Le baptême se fit ensuite par infusion 532; puis par immersion. Les Ariens plongeaient trois fois le catéchumène dans l'eau pour marquer qu'il y avait trois natures aussi bien que trois personnes en Dieu. Saint Grégoire le Grand conseille à saint Léandre, évêque de Séville 533, de ne pratiquer qu'une immersion. Le quatrième concile de Tolède, en 1633, a décidé la même chose et, rapportant la lettre de saint Grégoire, il déclare qu'une seule immersion signifie la mort et la résurrection de Jésus-Christ, et l'unité de la nature divine dans la trinité des personnes 534. Sans entrer dans de plus amples détails à ce sujet, nous nous contenterons d'observer que, pendant le cours du moyen âge, en Occident, le baptême par immersion fut toujours pratiqué. Les bas-reliefs, les peintures des manuscrits et des vitraux nous montrent les catéchumènes baptisés par immersion. «Autrefois, dit Thiers 535, dans la province de Reims, et peut-être aussi ailleurs, après le baptême on donnait du vin à boire à l'enfant, en lui disant ces paroles: Corpus et sanguis Domini nostri Jesu Christi custodiat te in vitam æternam. C'était encore l'usage du Périgord de bénir du vin après le baptême et d'en faire boire à l'enfant nouvellement baptisé. Le rituel de Périgueux, de 1536, nous marque toute cette cérémonie.» Cet auteur ajoute plus loin: «Depuis un peu plus d'un siècle (c'est-à-dire depuis le commencement du XVIIe siècle), la coutume s'est introduite en quantité de paroisses, et particulièrement de la campagne, de sonner les cloches après le baptême des enfants. Ce sont, à mon avis, les sonneurs, les sacristains, les fossoyeurs, les bedeaux, qui l'ont introduite, par la considération de l'intérêt bursal qui leur en revient... Le concile provincial de Reims, en 1583, n'autorise pas cette coutume...»

Jusqu'au IXe siècle, il paraîtrait qu'on ne baptisait solennellement que les jours de Pâques et de la Pentecôte; du moins cet usage semble-t-il avoir été établi à dater du Ve siècle, car il est certain que dans les premiers siècles du christianisme les apôtres baptisaient sans observer ni les jours ni les temps 536. Clovis fut baptisé le jour de Noël 537. Le pape saint Léon, qui s'élève avec force contre la coutume de baptiser en autres temps que le jour de la Résurrection, admet toutefois que le baptême peut être donné, en des cas extrêmes, hors le jour consacré.

Pascalin, évêque de Lilybée en Sicile, fait savoir au pape saint Léon, en 443, qu'il y avait, dans cette île, une église (du village de Meltines) dont les fonts se remplissaient miraculeusement tous les ans, la nuit de Pâques, à l'heure du baptême, sans qu'il y eût ni tuyau, ni canal, ni eau dans les environs. Après le baptême, cette eau disparaissait. Ajoutons, cependant, que saint Augustin dit clairement que le baptême pouvait être donné en tout temps: Per totum annum, sicut unicuique vel necessitas fuit vel voluntas...

La solennité donnée au sacrement du baptême explique pourquoi, dans le voisinage des églises les plus anciennes, il y avait un baptistère; c'est-à-dire un édifice assez spacieux pour contenir un certain nombre de catéchumènes venant le même jour pour recevoir le baptême. Ces édifices étaient ordinairement circulaires, occupés au centre par un bassin peu profond dans lequel on faisait descendre les personnes que l'on baptisait par immersion 538.

La coutume de baptiser les enfants peu après leur naissance, en tout temps, prévalut sur les défenses de saint Léon et des conciles de Tolède, d'Auxerre, de Paris et de Gironne; dès le XIe siècle, nous voyons que des cuves baptismales sont placées dans toutes les églises, non dans des édifices spéciaux, et que le baptême est donné par les prêtres, en dehors des fêtes de Pâques, de la Pentecôte ou de Noël. C'est précisément la date de ces fonts baptismaux les plus anciens qui nous porte à croire qu'alors (au XIe siècle) cette coutume s'était définitivement introduite en France. Comme il ne s'agissait plus de baptiser des païens convertis, mais des enfants nouveau-nés, ces fonts sont d'une petite dimension et ne diffèrent de ceux que l'on fait aujourd'hui que par leur forme. Il n'est pas besoin, en effet, d'une cuve bien grande pour immerger un nouveau-né. En souvenir des baptistères, c'est-à dire des édifices uniquement destinés à contenir la cuve baptismale, on observe que les fonts disposés dans l'église étaient généralement couverts d'un édicule (1) 539.

Quelquefois ces fonts étaient des cuves antiques, dépouilles de monuments romains. Le P. Du Breul 540 prétend que la cuve de porphyre rouge que l'on voyait, de son temps, dans l'église abbatiale de Saint-Denis, derrière les châsses des martyrs, et qui avait été prise par Dagobert à l'église de Saint-Hilaire de Poitiers, servait de fonts baptismaux. Nous n'avons point à nous occuper des baptistères ni des bassins qu'ils protégeaient, puisque ces monuments sont antérieurs à la période de l'art que nous étudions; les fonts baptismaux seuls doivent trouver place ici. Beaucoup de ces cuves, dès l'époque où elles furent en usage, étaient en métal, et consistaient en une large capsule enfermée et maintenue dans un cercle ou un châssis porté sur des colonnettes. Cette disposition paraît avoir été suivie souvent, lors même que les fonts étaient taillés dans un bloc de pierre.

Ainsi l'on voit, dans l'église de Saint-Pierre, à Montdidier, une cuve baptismale de la fin du XIe siècle, qui présente cette disposition (2). Dans la crypte de l'église Notre-Dame de Chartres, il existe encore une cuve en pierre, du XIIe siècle, taillée de façon à figurer un vase inscrit dans un châssis porté sur des colonnettes. Cette tradition persiste encore pendant le XIIIe siècle, ainsi que le démontre la fig. 3, copiée sur une cuve de l'église de Ver (canton de Sains, Picardie) 541.

Souvent les fonts baptismaux du XIIe siècle sont de forme barlongue, afin probablement de permettre de coucher et d'immerger entièrement l'enfant que l'on baptisait. Il existe une cuve baptismale de cette forme et de ce temps dans la cathédrale d'Amiens: c'est une grande auge de 0,60 c. de large sur une longueur de 1m,60 environ et une profondeur de 0,50 c. Elle est fort simple; aux quatre angles seulement sont sculptées les figures des quatre évangélistes, en demi-bosse et de petite dimension. Les pieds qui la supportent datent du XIIIe siècle.

Nous donnons (4) une petite cuve de ce genre qui provient de l'église de Thouveil (Maine-et-Loire). Elle date du XIe siècle. L'église de Limay, près Mantes, possède des fonts baptismaux du commencement du XIIIe siècle dont la forme se rapproche encore de celle-ci, mais qui sont assez richement sculptés. Cette cuve, reproduite dans l'ouvrage de M. Gailhabaud 542, est de forme ovale à l'intérieur, dodécagone allongé à l'extérieur; deux des côtés parallèles au grand axe présentent une légère saillie réservée pour mieux détacher les angles du prisme qui sur ce point eussent été trop mousses. Un beau cordon de feuilles orne le bord supérieur; la partie intermédiaire est occupée par douze rosaces parmi lesquelles se trouvent sculptés un agneau pascal, une croix et une tête de boeuf. Le socle en retraite présente une suite de petites arcatures. Le pavage autour de ces fonts offre une particularité assez remarquable: ce sont huit disques de pierres grises incrustées au nu des dalles, et qui semblent marquer les places des personnes qui doivent entourer la cuve au moment du baptême. Une feuillure a été ménagée sur le bord de la cuve pour recevoir un couvercle; c'est qu'en effet les cuves baptismales, d'après les décrets des conciles, devaient être couvertes dès une époque fort ancienne, comme elles le sont encore aujourd'hui.

Les fonts baptismaux de l'église paroissiale de la ville de Cluny méritent d'être signalés: taillés dans un bloc de pierre, ils affectent la forme d'une cuve hémisphérique à l'intérieur, et sont décorés à l'extérieur par quatre colonnettes supportant quatre têtes, entre lesquelles règne une frise de feuillages de lierre d'une bonne sculpture (5). Les quatre petits repos qui portent les têtes avaient une utilité et servaient probablement à poser le sel, l'huile et les flambeaux. En A, nous donnons le plan de cette cuve; en B, sa coupe. Elle date du milieu du XIIIe siècle.

Les cuves baptismales du moyen âge sont autant variées par la forme que par la matière. La façon dont elles sont décorées permet de supposer qu'une grande liberté était laissée aux artistes. Ces cuves sont à pans ou circulaires et même carrées, lobées, ovales, creusées à fond de cuve ou en cuvette; leurs parois sont ornées de feuillages, de simples moulures, de figures ou de compartiments géométriques; elles sont taillées dans de la pierre ou du marbre, coulées en bronze ou en plomb. Leurs couvercles se composent de châssis de bois, de lames de métal, ou sont richement ornés en forme de cônes ou de dais, et ne peuvent être enlevés alors qu'au moyen de potences ou de petites grues à demeure. Il n'est pas besoin de dire que les fonts baptismaux en bronze, antérieurs à la fin du dernier siècle, ont été fondus en France; on en voit encore quelques-uns en Italie, en Allemagne et en Belgique 543. Les fonts de la cathédrale de Hildesheim sont particulièrement remarquables. La cuve, dit M. de Caumont 544 auquel nous empruntons cette description, «repose sur quatre personnages ayant chacun un genou en terre et tenant une urne dont l'eau se répand sur le pavé: ce sont les figures emblématiques des quatre fleuves du Paradis; et sur le cercle qui porte sur leurs épaules, on lit l'inscription suivante, expliquant le rapport symbolique de chacun de ces fleuves avec la prudence, la tempérance, le courage et la justice:

+ TEMPERIEM. GEON. TERRE. DESIGNAT. HIATVS.

+ EST. VELOX. TIGRIS. QVO. FORTIS. SIGNIFICATVR.

+ FRVGIFER. EVFRATES. EST. JVSTITIA. QVE. NOTATVS.

+ OSMVTANS. PRISON. EST. PRVDENTI. SIMILATVS.»

La cuve est couverte de quatre bas-reliefs représentant le passage du Jourdain par les Israélites sous la conduite de Josué, le passage de la mer Rouge, le baptême de Jésus-Christ, la Vierge et l'enfant Jésus, devant lesquels est l'évêque donateur Wilherms. Au-dessus des quatre fleuves sont huit médaillons représentant la Prudence et Isaïe, la Tempérance et Jérémie, le Courage et Daniel, la Justice et Ézéchiel. Au-dessus se voient les signes des évangélistes. Le couvercle conique est également décoré de bas-reliefs. Ces fonts, de la seconde moitié du XIIIe siècle, sont peut-être les plus beaux qui existent et les mieux composés par le choix des sujets accompagnés d'inscriptions. Nous citerons aussi les fonts en bronze de l'église de Saint-Sébald à Nuremberg, qui datent de la fin du XVe siècle. Autour du pied sont posés les quatre évangélistes, ronde-bosse, et autour de la cuve les douze apôtres en bas-relief dans une arcature d'un travail délicat.

À défaut de ces monuments précieux par le travail et la matière, nous ne trouvons plus en France que des fonts de peu de valeur. L'église de Berneuil (arrondissement de Doullens) contient des fonts qui présentent un certain intérêt. La cuve est en plomb et date du XIIe siècle (6); autour sont disposées seize niches alternativement garnies de figures en demi-relief et d'ornements.

Cette cuve repose sur un socle en pierre, à huit pans, d'une époque plus récente. L'ancien couvercle (en plomb probablement et de forme conique) a été remplacé par un chapeau de menuiserie du XVIe siècle.

On voit, dans l'église de Lombez (Gers), une petite cuve baptismale en plomb de forme cylindrique, divisée en deux zones: la zone supérieure représente une chasse, celle inférieure seize figures dans des quatre-feuilles (7). Le même modèle a servi cinq fois pour la zone supérieure, et dans la zone inférieure les seize petites figures qui représentent des ordres religieux sont obtenues au moyen de quatre modèles seulement. Ces sortes de cuves ne demandaient donc pas de grands frais de fabrication; les fondeurs ou potiers d'étain qui les vendaient les composaient avec des modèles conservés en magasin: ainsi, dans l'exemple que nous donnons ici, le sujet de chasse est évidemment d'une époque antérieure aux petites figurines et aux quatre-feuilles de la zone inférieure, qui datent de la seconde moitié du XIIIe siècle. Un orifice A pratiqué au milieu du fond plat de la cuve sert à la vider.

À Visme (Somme), une cuve de même dimension en plomb, mais à huit pans, présente, sur sa paroi externe, seize arcatures qui autrefois étaient remplies de figurines en ronde-bosse rapportées sur des culs-de-lampe 545. Ces fonts reposent sur une table de pierre portée sur quatre colonnettes, du commencement du XIIIe siècle; la cuve est du XVe.

Quant aux fonts baptismaux du moyen âge dont les couvercles étaient mus au moyen de grues ou de potences en fer, on en voit de très-beaux à Hal, à Saint-Pierre de Louvain (Belgique), à Sainte-Colombe de Cologne. Ces monuments étant fort bien gravés dans l'ouvrage de M. Gailhabaud 546, il nous semble inutile de nous étendre sur leur composition. D'ailleurs leur style est étranger à l'art français.

Quelquefois, sur les parois intérieures des cuves baptismales, sont sculptés des poissons, des coquilles, des grenouilles. On voit, dans l'église Saint-Sauveur de Dinan (Bretagne), des fonts baptismaux du XIIe siècle qui se composent d'une sorte de coupe, portée par quatre figures très-mutilées et d'un travail grossier. L'intérieur de la cuve, taillé en cratère, est orné de godrons en creux et de deux poissons sculptés dans la masse.

Nous terminerons cet article en donnant les fonts baptismaux en pierre, d'une ornementation singulière, qui sont déposés près de la porte de la cathédrale de Langres (8): ils datent de la fin du XIIIe siècle.

On se servait aussi, pendant le moyen âge, de cuves précieuses, apportées d'Orient, pour baptiser les enfants. Chacun a pu voir, au musée des Souverains, à Paris, la belle cuve de travail persan dans laquelle on prétend qu'ont été baptisés les enfants de saint Louis.

«Isnelement fist un fonz aprester,

En une cuve qui fu de marbre cler,

Qui vint d'Arrabe en Orenge par mer.

El fonz le metent: quant l'ont fet enz entrer,

Se 'l baptiza li vesques Aymer 547

Lorsque l'on renonça aux baptistères, on plaça cependant les fonts baptismaux dans une chapelle fermée, autant que faire se pouvait. Aujourd'hui, les fonts doivent être non-seulement couverts, mais dans un lieu séparé de la foule des fidèles par une clôture.

Note 531: (retour) Saint-Luc. Actes, ch. 2 et 4.
Note 532: (retour) Arcudius. De Sacram. LI.
Note 533: (retour) L. III, Épist. XLI.
Note 535: (retour) Des Superstitions, t. II, ch. XII.
Note 536: (retour) Primum omnes docebant, et omnes baptizabant quibuscumque diebus vel temporibus fuisset occasio (Auctor sub nomine Ambrosii, in Epist. ad Ephes., cap. IV). Voy. Guillaume Durand, trad., édit. de M. Barthélemy. Notes, t. IV, p. 430 et suiv.
Note 537: (retour) Lettre de Saint-Avit, évêque de Vienne, à Clovis.
Note 538: (retour) Il existe un baptistère à côté de la basilique de Saint-Jean-de-Latran à Rome; on a depuis peu découvert celui qui était proche de l'ancienne cathédrale de Marseille, du Ve siècle. On voit encore ceux des cathédrales d'Aix en Provence et de Fréjus. L'édifice placé sous le vocable de saint Jean, à Poitiers, paraît avoir servi de baptistère pendant les Ve et VIe siècles.
Note 539: (retour) Ivoire du XIe siècle. Collect. de l'auteur.
Note 540: (retour) Le Théât. des Antiq. de Paris, 1622. L. IV, p. 1103.
Note 541: (retour) Nous devons ces dessins à l'obligeance de M. Duthoit, d'Amiens.
Note 542: (retour) L'Architecture et les arts qui en dépendent. t. IV.
Note 543: (retour) : Voy. l'Architecture et les arts qui en dépendent, t. IV. M. Gailhabaud.
Note 544: (retour) Bulletin monum., t, XX, p. 299.
Note 545: (retour) Ces figurines ont été enlevées.
Note 546: (retour) L'Architecture et les arts qui en dépendent, t. IV.
Note 547: (retour) Guillaume d'Orange. Chanson de geste des XIe et XIIe siècles, vers 7584, et suiv. Baptême de Renouerd.


FORMERET, s. m. Arc recevant une voûte d'arête le long d'un mur (voy. ARC formeret, CONSTRUCTION).



FOSSÉ, s. m. Tranchée longue, faite dans le sol pour opposer un obstacle autour d'un camp, d'un château, d'une ville, d'un parc, d'un enclos. Il y a des fossés secs et des fossés pleins d'eau, des fossés en talus ou à fond de cuve, des fossés revêtus ou non revêtus.

Les fossés secs sont ceux qui sont taillés autour d'un château, d'un manoir ou d'une place situés en des lieux trop élevés pour pouvoir y amener et y conserver l'eau.

Les fossés pleins sont ceux dans lesquels on fait passer un cours d'eau, ou que l'on inonde au moyen d'une prise dans la mer, dans un lac ou un étang.

Les fossés en talus sont ceux simplement creusés dans un sol inconsistant, et dont l'escarpe et la contrescarpe, revêtues de gazon, donnent un angle de 45 degrés.

Les fossés revêtus sont ceux dont les parois, c'est-à-dire l'escarpe et la contrescarpe, sont revêtues d'un mur en maçonnerie avec un faible talus.

Les fossés à fond de cuve sont ceux dont le fond est plat, les parois revêtues, et qui peuvent ainsi permettre d'ouvrir des jours dans l'escarpe servant de soubassement à une fortification. Les fossés taillés dans le roc peuvent être aussi à fond de cuve.

Les Romains creusaient des fossés autour de leurs camps temporaires ou permanents. Ces fossés avaient habituellement quinze pieds d'ouverture au bord supérieur, c'est-à-dire 4m, 95. Ils étaient souvent doublés, séparés par un chemin de 4 à 5 mètres de largeur. Quand César établit son camp en face des Bellovaques sur le mont Saint-Pierre, dans la forêt de Compiègne, «il fait élever un rempart de douze pieds avec parapet; il ordonne de creuser en avant deux fossés de quinze pieds, à fond de cuve; il fait élever un grand nombre de tours à trois étages, réunies par des ponts et des chemins de ronde, dont le front était garni de mantelets d'osier, de telle sorte que l'ennemi fût arrêté par un double fossé et deux rangs de défenseurs: le premier rang sur les chemins de ronde supérieurs d'où, étant plus élevés et mieux abrités, les soldats lançaient des traits plus loin et plus sûrement; le second rang derrière le parapet plus près de l'ennemi, où il se trouvait protégé contre les traits par la galerie supérieure 548

Les travaux de campagne que les Romains ont exécutés dans les Gaules ont eu, sur l'art de la fortification chez nous, une telle influence jusqu'à une époque très-avancée dans le moyen âge, et les fossés ont été, dans les temps où les armes de jet avaient une faible portée, une partie si importante de l'art de défendre les places, que nous devons arrêter notre attention sur ce curieux passage. Il faut connaître d'abord les lieux décrits ici par César.

L'assiette de son camp, les Commentaires à la main, avait été évidemment choisie sur un plateau situé en face le mont Saint-Marc, plateau désigné, dans les cartes anciennes, sous le nom de Saint-Pierre-en-Chastres 549. Ce plateau escarpé de tous côtés, offrant à son sommet une large surface horizontale sur laquelle la petite armée que César conduisait avec lui pouvait tenir fort à l'aise, se prêtait merveilleusement au genre de défense qu'il avait adopté; défense dont on reconnaît d'ailleurs la trace sur les lieux mêmes.

Voici donc (1) le profil de l'ouvrage de circonvallation. Les assaillants ne pouvant arriver au bord du premier fossé A qu'en gravissant une longue pente assez abrupte, étaient difficilement vus par les défenseurs placés en B; à plus forte raison se trouvaient-ils entièrement masqués pour les défenseurs postés le long du parapet C en dedans du deuxième fossé G. Ces défenseurs postés en C étaient cependant plus rapprochés de l'assaillant que ne l'étaient ceux postés en E sur les galeries réunissant les tours à trois étages, la ligne CO étant plus courte que la ligne EO. Des assaillants se présentant en K, à portée de trait, ne pouvaient atteindre les défenseurs postés derrière le parapet C, que s'ils envoyaient leurs projectiles en bombe suivant une ligne parabolique KL. Donc les clayonnages du chemin de ronde supérieur E protégeaient les soldats postés en C. César décrit très-bien les avantages de ses ouvrages en disant que les soldats placés en E voyaient l'ennemi de plus loin et pouvaient tirer sur lui sûrement. L'assaillant, gravissant la pente P, ne voit que le sommet des tours de bois et les galeries qui les réunissent; il n'a pas connaissance des deux fossés qui vont l'arrêter en O. Pendant qu'il gravit cette pente, il est exposé aux armes à longue portée de la défense supérieure; mais dès qu'il atteint la crête O, non-seulement il trouve deux obstacles devant lui s'il veut passer outre, mais il est exposé aux traits qui partent du chemin de ronde E et du rempart C, ces derniers traits pouvant être lancés directement, comme l'indique la ligne CO, mais aussi, en bombe, comme l'indique la parabole HM. En admettant que les troupes gravissant la pente K eussent été lancées, pleines d'ardeur, arrivant haletantes en O, il leur eût été bien difficile d'atteindre le vallum C. Cependant César, au camp du Mont-Saint-Pierre, ne craignait pas une attaque sérieuse des Bellovaques; au contraire, il cherchait à les attirer hors de leurs propres défenses. Lorsqu'il redoutait réellement une attaque, ses précautions étaient plus grandes encore. Autour d'Alesia, il établit des lignes de contrevallation et de circonvallation afin de bloquer l'armée de Vercingétorix renfermée dans cette ville, et de se mettre en défense contre les secours considérables qui menacent son camp. La ligne de contrevallation se compose: 1°, vers l'ennemi, d'un fossé large de vingt pieds, profond d'autant, et à fond de cuve. À quatre cents pieds en arrière de ce fossé, il établit ses retranchements. Dans l'intervalle, il fait creuser deux fossés de quinze pieds de large chacun et de quinze pieds de profondeur; le fossé intérieur est rempli d'eau au moyen de dérivations de la rivière; derrière ces fossés, il élève un rempart de douze pieds de haut, garni de parapets avec meurtrières. À la jonction du parapet et du rempart, il fait planter de forts palis fourchus pour empêcher l'escalade. Des tours, distantes entre elles de quatre-vingts pieds, flanquent tout le retranchement. Ces précautions, après quelques sorties des Gaulois, ne lui semblent pas suffisantes: il fait planter des troncs d'arbres ébranchés, écorcés et aiguisés, au fond d'une tranchée de cinq pieds de profondeur; cinq rangs de ces pieux sont attachés entre eux par le bas, de manière à ce qu'on ne puisse les arracher. Devant cet obstacle, il fait creuser des trous de loup coniques de trois pieds de profondeur, en quinconce, au fond desquels on enfonce des pieux durcis au feu et aiguisés qui ne sortent de terre que de quatre doigts; ces pieux sont fixés solidement en foulant le sol autour d'eux; des ronces les cachent aux regards. Les trous de loup sont disposés sur huit rangs, distants l'un de l'autre de trois pieds (2).

En avant sont fixés, très-rapprochés les uns des autres, des aiguillons, stimuli (3), d'un pied de long, armés de broches en fer. Dans un mémoire sur le blocus d'Alesia 550, M. le capitaine du génie Prévost nous paraît avoir parfaitement compris comment étaient façonnés les stimuli dont parle César. Parmi les objets antiques trouvés près d'Alise, dit le savant officier, on remarque des broches en fer, qui ont résolu pour lui la question des stimuli. Ces morceaux de fer ont 0,29 c. et un peu plus, c'est-à-dire qu'ils ont un pied romain; leur équarrissage au milieu est de 0,01 c.; ils sont cintrés en côte de vache et appointés par les deux bouts. «Tous les auteurs, ajoute M. Prévost, qui ont parlé des stimuli de César, ont cru qu'ils consistaient en un rondin de bois enfoncé en terre, avec une pointe en fer encastrée elle-même dans le piquet et surgissant au-dessus du sol. Quelque simple que soit cet objet, il est encore difficile à exécuter: on aurait fendu bien des rondins, en essayant d'y introduire de force une tige de fer; il aurait fallu ensuite appointer cette dernière en la limant à froid, ce qui eût demandé beaucoup de temps» (puis fallait-il avoir des limes); «on eût été obligé de frapper avec précaution sur la tête du piquet en bois pour l'enfoncer en terre sans risquer de le fendre. Toutes ces minuties sont très-appréciées de ceux qui ont l'occasion de faire exécuter rapidement de petits objets en nombre immense par les premiers individus venus 551. Rien n'est plus facile avec les broches trouvées à Alise: quelques forgerons les fabriquaient; ils faisaient aussi les petits crampons A, pareils à ceux avec lesquels nous attachons nos conducteurs sur les mandrins de bourrage des fourneaux de mine. On fixait à l'aide de deux de ces crampons la broche sur la paroi d'un rondin ayant un pied de long. Maintenu en C et en D, le fer ne pouvait glisser le long du bois dans aucun sens, puisqu'il avait son plus fort équarrissage au milieu...» et une courbure qui le forçait de se serrer fortement contre le bois. «Peut-être mettait-on deux ou trois broches pareilles autour du même piquet; dans ce dernier cas, il fallait, pour l'enfoncer en terre, frapper sur sa tête par l'intermédiaire d'un rondin recevant les coups de la masse; alors l'engin représentait encore mieux le hamus du texte latin.»

De leur côté, les Gaulois, du temps de César, entouraient leurs camps et places fortes de fossés creusés en terre ou même dans le roc; ces derniers étaient à parois verticales avec rempart intérieur. C'est ainsi que sont disposées les défenses de l'oppidum gaulois que l'on voit encore à l'extrémité occidentale du mont Ganelon, près Compiègne. Les fossés de cette place ont dix mètres de largeur sur une profondeur de trois à quatre mètres, sont séparés l'un de l'autre par un espace de quinze mètres environ; un vallum de cinq mètres de hauteur est élevé en arrière du second fossé. De gros quartiers de rochers sont laissés au fond de ces fossés comme obstacles.

Les fossés des villes gallo-romaines, au moment de l'invasion des barbares, tels que ceux de Sens, de Bourges, de Beauvais, étaient très-larges, et autant que possible remplis d'eau 552. Les Gaulois avaient d'ailleurs adopté les moyens de défense que les Romains employaient contre eux, ainsi que le constate César lui-même; ces moyens, ils durent les conserver longtemps. Dans le Roman de Rou, il est question de fossés disposés d'une façon nouvelle, et qui aurait été souvent adoptée au XIe siècle.

«Par tuz li champs ki prof esteint

Par ù Bretuns venir debveient,

Firent fosses parfunt chavées (creusés profondément),

Desuz estreites, dedenz lées (larges):

La terre ke il fors unt gelée (qu'ils ont jetée dehors)

Unt tute as altres camps portée;

De virges et d'erbes k'il coillirent,

Li fosses tutes recuvrirent.

Quant Bretun vindrent chevalchant,

Prez de férir, paeenz quérant (cherchant les païens);

Par li camps vindrent tresbuchant,

D'un fossé en altre chéant;

Chaent asdenz, chaent envers,

Chaent sor coste è de travers 553

Comment avait-on pu creuser des fossés plus larges au fond qu'à la crête? C'est ce qu'il est difficile d'expliquer, à moins de supposer qu'on ait étançonné les parois. Nous voyons que ces fossés sont recouverts de broussailles et d'herbe pour dissimuler leur ouverture.

Les Normands entourèrent leurs fortifications de fossés très-larges et très-profonds, quelquefois avec chemin couvert palissadé au-dessus de la crête extérieure. Les châteaux d'Arques et de Tancarville, et plus tard le château Gaillard, conservent encore leurs fossés taillés dans le roc au sommet de l'escarpement qui sert d'assiette à ces forteresses (voy. CHÂTEAU). Des souterrains également creusés dans le roc conduisent de l'intérieur des châteaux au fond des fossés; ils servaient surtout à permettre à la garnison de sortir pour attaquer les mineurs qu'on attachait aux bases des remparts et tours ou aux escarpements qui les portaient.

Nous n'avons pas vu de contrescarpes revêtues avant le XIIIe siècle, tandis qu'à dater de cette époque les fossés sont presque toujours revêtus autour des forteresses importantes, et leur fond dallé même autour des châteaux bâtis avec soin. Le fossé du donjon de Coucy (commencement du XIIIe siècle) est dallé; le grand fossé devant la porte du château de Pierrefonds (commencement du XVe siècle) l'est également. À la cité de Carcassonne, il reste des fragments considérables de revêtements de contrescarpes des fossés du côté de l'est (fin du XIIIe siècle). La contrescarpe du large fossé qui sépare le château de Coucy de sa baille était revêtue (commencement du XIIIe siècle). Les fossés du château de Vincennes ont été revêtus depuis la reconstruction de ce château pendant le XIVe siècle; ceux du Louvre l'ont été depuis Charles V 554. Non-seulement les châteaux, les villes étaient entourées de fossés, mais aussi les abbayes situées hors des villes et même quelquefois les églises paroissiales.

Lorsque l'artillerie fut employée pour assiéger les places, on élargit encore les fossés, et l'on pensa surtout à disposer des défenses pour les enfiler, des chemins couverts pour protéger leurs approches, des ouvrages bas pour obtenir un tir rasant au niveau du fond, des cunettes pour conduire les eaux pluviales, des écluses et retenues pour les inonder quand des cours d'eau ou des étangs voisins le permettaient (voy. ARCHITECTURE MILITAIRE, BASTILLE, BASTION, BOULEVARD, CHÂTEAU, PORTE, SIÉGE). C'était au seigneur suzerain à régler l'étendue et la largeur des fossés, c'était lui qui dans certains cas exigeait qu'on les comblât. Quant à leur entretien, il était à la charge du seigneur ou à la charge des vassaux par suite de conventions spéciales. Nous trouvons dans un recueil très-curieux publié par M. A. Champollion-Figeac 555 la traduction d'un texte en langage gascon qui a pour titre: «Ayssi es la ordonnansa cum una viela se deu fermar et armar contra son enamixs 556.» Dans ce texte, les passages relatifs aux fossés de défense sont à noter.

«La manière de la fermeure de la ville: Premièrement, il y doit avoir tout à l'entour des grans, larges et profonds fossés, si profonds qu'il y sorte de l'eau; et es endroits où il ne peut point avoir de l'eau, doit estre fait au fonds des fossés grande quantité de vosias 557, couvertes avec muraille de terre et d'herbe; et après, y doit avoir de grands et hauts murs, avec tours de défense de dix en dix brasses (environ 16 mètres), et que les fossés soient bien netoyés et curés, du pied du mur jusqu'au fond, d'herbes et de branchages. Et aux portails et entrées, il y doit avoir des ponts-levis, et tous les chemins des entrées doivent être rompus en travers, de grands fossés en cinq ou six lieux fors un petit et estroit passage, lequel on doit rompre quand besoing est, afin qu'on ne se puisse point approcher des portes, à pied ni à cheval, ni amener du feu en carexs (charrette), ni en autre chose, et faire grande quantité de vosias par les chemins des entrées... 558»

Nous avons souvent trouvé des traces de ces coupures faites en travers des routes aboutissant aux portes. Ces coupures étaient garnies de barrières, et comme les routes longeaient presque toujours les fossés, afin d'être battues de flanc par les tours et courtines, les coupures donnaient dans le fossé de ceinture, afin de ne pouvoir servir de refuge aux assiégeants; mais ces détails sont expliqués à l'article PORTE.

Les petites villes ou bastides bâties dans la seconde moitié du XIIIe siècle en Guienne sont entourées de fossés avec enceinte; la plupart de ces petites cités sont, ainsi que leurs défenses, d'une régularité parfaite 559. À propos de la bastide de Sauveterre, M. Leo Drouyn, dans l'excellent ouvrage qu'il publie sur la Guienne militaire, donne le texte des priviléges accordés à cette commune, en 1283, par Édouard Ier. Dans ce texte latin 560, nous lisons l'article suivant relatif aux enceintes et fossés:

«Item nous voulons que soldats et maîtres, bourgeois ou habitants de ladite ville, soient exempts de tous les travaux communaux (communibus), excepté ceux des ponts, des puits, des routes et clôtures de la ville, travaux auxquels les voisins du lieu sont tenus, sans aucun doute de coopérer. Pour nous, nous sommes tenus de faire la première clôture de la ville, et lesdits soldats et maîtres doivent veiller de jour et de nuit pendant l'exécution du travail; les autres voisins sont, à leur tour, responsables des maléfices qui se commettront de jour et de nuit...» Ainsi les clôtures, c'est-à-dire les fossés et remparts, étaient faits par le seigneur, sous la surveillance de la commune, autour de ces bastides ou bourgs fondés par privilége spécial du suzerain. Les seigneurs féodaux réclamaient contre l'établissement de ces petites communes, les évêques excommuniaient et les fondateurs et les habitants; mais ces réclamations et excommunications n'empêchaient pas les villes de s'élever.

Les murailles d'Avignon, commencées en 1349 et terminées en 1374, étaient entourées de fossés de vingt mètres de largeur environ sur une profondeur moyenne de quatre mètres au-dessous de la crête de la contrescarpe. Cette contrescarpe n'était pas entièrement revêtue; mais, pour éviter les affouillements causés par les inondations du Rhône, on avait dallé le fond du fossé en larges pierres de taille 561. Le Rhône, la Sorgue et un bras de la Durance remplissaient en temps ordinaire une grande partie de ces fossés.

Note 548: (retour) De Bello Gall., I. VIII, c. IX.
Note 549: (retour) Voy. l'article de M. de Saulcy sur le VIIIe liv. de César. Revue archéologique, 1860.
Note 550: (retour) Recherches sur le blocus d'Alesia. Paris, 1858. Leleux.
Note 551: (retour) C'est en appuyant les recherches archéologiques sur ces observations pratiques que l'on peut en effet arriver aux découvertes sérieuses, et M. Prévost est ici parfaitement dans le vrai, lorsqu'il dit que beaucoup de ces questions si longuement débattues entre les archéologues ne peuvent être réellement résolues que par les praticiens.
Note 552: (retour) Les fossés de Sens étaient inondés, et d'une largeur de vingt mètres environ.
Note 553: (retour) Le Roman de Rou, vers 6893 et suiv. Ce stratagème paraît avoir singulièrement plu aux historiens du temps; car ils l'ont signalé trois fois, savoir: 1° en 992, dans la bataille de Conquereuil, entre Conan, duc de Bretagne, et Foulques, comte d'Anjou; 2º dans la circonstance présente; 3º dans une invasion de l'Aquitaine par les Scandinaves, en 1019. (Note de M. Aug. Le Prévost.)
Note 555: (retour) Droits et usages concernant les travaux de construction publics ou privés sous la troisième race des rois de France. Paris, 1860. Leleux, édit.
Note 556: (retour) Coll. Doat, t. CXLVII, fº 282. M. A. Champollion-Figeac ne nous donne pas la date de ce texte. D'après la nature des défenses, il paraît être de la fin du XIVe siècle.
Note 557: (retour) M. Champollion-Figeac ne traduit pas le mot vosias.
Note 558: (retour) Il semblerait que ces vosias sont de petites traverses ou cavaliers peu élevés. On trouve des traces de ces traverses terrassées dans la descente à la barbacane de la cité de Carcassonne, et même dans les fossés creusés le long du front nord de cette forteresse.
Note 559: (retour) À ce sujet, M. A. Champollion-Figeac paraît s'étonner, dans son recueil des Droits, de ce que nous ayons avancé ce fait (suffisamment prouvé par les belles recherches de M. de Vernheil et les travaux de M. Leo Drouyn), savoir: que des plans des villes d'Aigues-Mortes, de Carcassonne, de Villeneuve-le-Roy, de Villeneuve-l'Archevêque, de Sainte-Foy, de Monpasier, de Monségur, de Sauveterre, etc., ont été arrêtés d'avance par des seigneurs suzerains du XIIIe siècle, et il ajoute, à propos du plan de Monpasier en Périgord: «L'auteur (du Dictionnaire) donne même le plan de cette dernière ville. Mais il est vrai que cet auteur ne nous apprend pas d'où il a tiré ce plan d'une ville du XIIIe siècle.» Nous avons tiré ce plan d'où M. Champollion-Figeac pourrait le tirer lui-même, c'est-à-dire de Monpasier, «jolie petite ville, dit le Dictionnaire de M. Girault de Saint-Fargeau (Dordogne), à 46 kil. de Bergerac, chef-lieu de canton, fondée en 1284, sous la direction du fameux captal de Buch, Jean de Grailly; bien bâtie, formée de rues larges et tirées au cordeau...» Il y a dans l'ouvrage de M. Champollion-Figeac, au milieu de recherches pleines d'intérêt, lorsqu'il cite d'anciens textes, bien d'autres appréciations singulières. Le savant compilateur nous accuse, par exemple, de nous laisser guider par les fantaisies de notre imagination au sujet des châteaux, lorsque nous donnons des plans d'après les monuments existants; entre autres choses, il paraît ignorer que le château Gaillard est encore debout en grande partie, que ses fossés taillés dans le roc vif ne sont nullement altérés; il prétend, en citant notre texte tronqué, qu'à la Roche-Guyon nous n'avons trouvé qu'une poterne du XIIIe siècle, et que, sur ce fragment, nous bâtissons ce qu'il veut bien appeler des théories rétrospectives; cependant les touristes qui descendent la Seine peuvent voir, non-seulement le château, mais le donjon intact qui le surmonte. Pour combattre ce qu'il présente comme des théories, des systèmes, et faire ressortir chez nous des contradictions nombreuses, M. Champollion-Figeac remplit quelques pages de son livre de citations empruntées au Dictionnaire; citations incomplètes, avec commentaires, appréciations ou suppositions intercalées; ce qui n'est pas digne, pensons-nous, d'une critique sérieuse. Il n'est point d'auteur que l'on ne puisse mettre en contradiction avec lui-même en prenant un membre de phrase ici, un autre là, et en soudant ces fragments à l'aide de commentaires. M. Champollion croit, de la meilleure foi du monde, qu'en fait de monuments, la France ne possède que des archives et des bibliothèques; il ne comprend pas que l'on puisse distinguer une construction du XIIe siècle d'un édifice du XIVe, sans le secours des actes de fondation. Il n'admet point les classifications par écoles, et nous demande des preuves. C'est à peu près comme si on demandait à des Anglais de prouver qu'ils s'entendent lorsqu'ils parlent entre eux. Apprenez l'anglais, et vous aurez la preuve.
Note 560: (retour) Publié par la commission des monuments historiques de la Gironde; 1847.
Note 561: (retour) Le dallage se trouve à trois mètres au-dessous du sol, lorsque les propriétaires actuels des terrains pris sur les fossés y font creuser des puits.


FOUR, s. m. Four à pain. Dans les villes de France, le suzerain permettait l'établissement des fours à pain; c'était un privilége pour les seigneurs laïques, séculiers, ou pour les abbayes, qui en tiraient un profit. Ces fours banals, chauffés par les possesseurs du privilége, étaient établis dans des logis où chacun pouvait apporter son pain et le faire cuire en payant une redevance. Quelquefois ces fours banals, établis aux frais d'un seigneur féodal, étaient affranchis de tous droits par le suzerain. Certaines villes obtenaient le privilége de bâtir autant de fours qu'il plaisait aux bourgeois d'en construire. Dans les tours des villes fortifiées, on établissait souvent des fours, afin de permettre à la garnison, en cas de blocus, de faire cuire son pain sans recourir aux habitants ou aux fours banals. La plupart des donjons possèdent leur four (voy. ARCHITECTURE MILITAIRE, CHÂTEAU, DONJON, PORTE, TOUR).

Les fours à chaux ne pouvaient, non plus que les fours à pain, être établis sans la permission du seigneur.



FOURCHES PATIBULAIRES. «Les hautes justices locales, dit M. A. Champollion-Figeac 562, pouvaient élever autant de fourches qu'elles désiraient en établir. Les ordonnances du roi Jean, de 1345 et de 1356, paraissent suffisamment l'indiquer. Mais le sage monarque Charles V y ajouta un privilége nouveau pour certaines localités, celui d'avoir des fourches patibulaires à deux piliers. L'abbaye de Cluny obtint cette permission toute de faveur en 1360, au mois de septembre 563. N'omettons pas un dernier fait, qui prouvera qu'il n'était pas permis d'orner ces atroces instruments de supplice d'autres signes que ceux que le roi voulait qu'on y plaçât. Le comte de Rhodez ayant mis ses armes au haut d'une potence établie sur la place des Carmes de cette ville, le sénéchal de Rouergue fut immédiatement informé que le roi s'opposait formellement à ce qu'elles y fussent placées, et que le comte serait traduit devant la haute justice du monarque. Il est vrai que l'apposition du comte de Rhodez représentait, dans ce cas, une prise de possession de la justice et de la place; mais c'était bien mal, pour un seigneur du Rouergue, de choisir cette occasion de faire parade du blason de ses armes,» C'était un privilége; le mal était d'en user s'il n'en avait pas le droit.

À ce propos, et pour prouver jusqu'à quel point le roi était jaloux de ses droits de juridiction, pendant le séjour des papes à Avignon, un insigne malfaiteur, poursuivi par les officiers de la justice pontificale, traversa, devant la ville, un bras du Rhône et se réfugia dans l'île dite du Mouton. Les gens du pape y abordèrent en même temps que le criminel, s'emparèrent de sa personne et le pendirent sur place à une potence dressée par leur ordre. Le cadavre du supplicié fut inhumé après le délai voulu. Ces faits ne furent rapportés que longtemps après aux officiers du roi de France, qui accusèrent les gens du pape d'avoir empiété sur les droits seigneuriaux du roi; les officiers du pape alléguèrent, pour leur défense, qu'ils n'avaient pas l'intention d'usurper la juridiction royale, mais qu'ils avaient cru devoir débarrasser la contrée d'un homme dangereux. Les juges royaux n'insistèrent pas; mais pour que ce précédent ne pût être invoqué plus tard contre les droits de leur souverain, ils se transportèrent à leur tour dans l'île du Mouton, y procédèrent contre le supplicié, et, après lui avoir fait un procès en règle, le rependirent, en effigie, à une potence aux armes du roi 564.

Le droit de haute, moyenne et basse justice, appartenait à la féodalité; les grands vassaux qui relevaient directement du souverain «inféodèrent certaines portions de leurs domaines à des vassaux d'un rang inférieur; et ceux-ci, les imitant, constituèrent également de nouveaux fiefs, dont ils gardèrent la suzeraineté. En même temps, les uns et les autres firent cession de leur droit de justice sur ces portions de territoire, non sans mettre, toutefois, quelques restrictions à cet abandon, mais limitant plus ou moins l'étendue du pouvoir qu'ils concédaient 565... Les fourches patibulaires consistaient en des piliers de pierre réunis au sommet par des traverses de bois auxquelles on attachait les criminels, soit qu'on les pendît aux fourches mêmes, soit que, l'exécution ayant été faite ailleurs, on les y exposât ensuite à la vue des passants. Le nombre des piliers variait suivant la qualité des seigneurs: les simples gentilshommes hauts-justiciers en avaient deux, les châtelains trois, les barons quatre, les comtes six, les ducs huit; le roi seul pouvait en avoir autant qu'il le jugeait convenable.» Il pouvait aussi faire supprimer les gibets dont il avait permis l'établissement. En 1487 566, «le procureur du roi au Chastelet alla en divers lieux de la prévosté et vicomté de Paris faire démolir les fourches patibulaires, carquans, échelles, et autres marques de haute justice, attendu que le roi Louis XI avoit accordé à plusieurs droit de haute justice, qui fut révoqué par Édit de révocation générale de tous dons de portion du domaine aliéné depuis le deceds de Charles VII que fit publier Charles VIII à son avènement à la couronne.»

Les fourches patibulaires, dit Loyseau 567, étaient placées au milieu des champs, près des routes et sur une éminence. En effet, beaucoup de lieux élevés, en France, dans le voisinage des abbayes, des résidences seigneuriales, ont conservé le nom de la Justice, la grande Justice.

Certains gibets étaient faits de bois, se composaient de deux poteaux avec traverse supérieure et contre-fiches; mais nous n'avons pas à nous occuper de ceux-ci, qui n'ont aucun caractère monumental. Parmi les gibets renommés, pouvant être considérés comme des édifices, il faut citer en première ligne le gibet de Montfaucon. Sauval dit que, «dès l'an 1188 et peut-être auparavant, il y avait un lieu patibulaire sur le haut de Montfaucon... Montfaucon, ajoute-t-il, est une éminence douce, insensible, élevée, entre le faubourg Saint-Martin et celui du Temple, dans un lieu que l'on découvre de quelques lieues à la ronde. Sur le haut est une masse accompagnée de seize piliers 568, où conduit une rampe de pierre assez large, qui se fermoit autrefois avec une bonne porte. La masse est parallélogramme, haute de deux à trois toises, longue de six à sept, large de cinq ou six, terminée d'une plate-forme, et composée de dix ou douze assises de gros quartiers de pierres bien liées et bien cimentées, rustiques ou refendues dans leurs joints. Les piliers gros, quarrés, hauts chacun de trente-deux à trente-trois pieds, et faits de trente-deux ou trente-trois grosses pierres refendues ou rustiques (à bossages), de même que les précédentes, et aussi bien liées et bien cimentées, y étoient rangées en deux files sur la largeur et une sur la longueur. Pour les joindre ensemble et pour y attacher les criminels, on avoit enclavé dans leurs chaperons deux gros liens de bois qui traversoient de l'un à l'autre, avec des chaînes de fer d'espace en espace. Au milieu étoit une cave où se jettoient apparemment les corps des criminels, quand il n'en restoit plus que les carcasses, ou que toutes les chaînes et les places étoient remplies. Présentement cette cave est comblée, la porte de la rampe rompue, ses marches brisées: des pilliers, à peine y en reste-t-il sur pied trois ou quatre, les autres sont ou entièrement ou à demi ruinés.»

Bien que Sauval ne nous dise pas à quelles sources il a puisé ses renseignements, divers documents 569 établissent l'existence d'un gibet à Montfaucon, au moins dès le XIIIe siècle.--Un acte d'accommodement du mois de septembre 1233 entre le prieur de Saint-Martin-des-Champs et le chapitre de Notre-Dame contient le passage suivant:... «Quatuor arpenta et dimidium quarterium juxta pressorium combustum, duo arpenta et dimidium quarterium circa gibetum, quatuordecim, arpenta...»--Un acte de vente du mois de juin 1249:... «Super tribus arpentis vince site juxta pressorium sancti Martini prope gybetum, in censiva ejusdem capituli... 570» Il résulte de ces deux actes que, dans les années 1233 et 1249, ajoute M. de Lavillegille, il existait un gibet sur le territoire du Cens commun: or le gibet de Montfaucon se trouvant précisément dans cette censive, c'est évidemment de lui dont il est parlé. Dans le roman de Berthe aux grans piés, qui date de 1270 environ, il est question d'un certain Tibot pendu aux fourches de Montfaucon. Il y a donc lieu de croire que Pierre de Brosse ou Enguerrand de Marigny, auxquels on attribue la construction des fourches de Montfaucon, n'ont fait que les réparer ou les reconstruire. L'ouvrage en pierres de taille à bossages dont parle Sauval ferait croire que cet édifice avait été entièrement refait au commencement du XIVe siècle ou à la fin du XIIIe, ce genre d'appareil étant fort usité alors pour les bâtisses civiles. Ce gibet monumental était situé à côté de l'ancien chemin de Meaux, non loin de la barrière du Combat 571. Comme le fait observer M. de Lavillegille, les seize piliers de l'édifice de Montfaucon étaient encore réunis (ce que Sauval n'explique pas et ne pouvait indiquer clairement, puisque de son temps le gibet était ruiné) par des traverses en bois intermédiaires. Louis X «... commanda pendre et étrangler Enguerrant à la plus haulte traverse de boys du gibet de Paris. Paviot fut puny de pareille punition, excepté qu'il fut attaché au-dessous de Enguerrant 572.» La tapisserie de l'Hôtel de ville de Paris (plan de Paris) indique le gibet de Montfaucon avec trois traverses de bois. De plus, Sauval, dans les Comptes et ordinaires de la prévôté de Paris (t. III, p. 278), donne la pièce suivante, qui est importante (1425, Charles VII):

«OEuvres et réparations faites en la grande Justice de Paris. À... pour avoir fait en ladite Justice les besognes cy-après: c'est à sçavoir, avoir pellée et découverte la terre au pourtour des murs qui font closture de ladite Justice, quarante pieds loing d'iceux murs: et si ont découverte et blanchie la place qui est dedans icelle closture, et aussi ont blanchi tous lesdits murs et les pilliers et poultres d'icelle Justice, tant dehors comme dedans, à chaux et colle et... chaux, colle, croye (craie), et eschafaux, peines d'ouvriers pour ce faire, etc.

«À... tailleurs de pierres et maçons, pour avoir fait arracher plusieurs vieux carreaux (de pierre) qui estoient rompus et froissés, tant ès pilliers cormiers (d'angle), comme ès pilliers estraiefs (intermédiaires), et ès murs qui font closture au pourtour de la closture d'icelle Justice; et en lieu d'iceux y avoir mis et assis quarante carreaux doubles (boutisses) et un cartron de parpaings de la pierre du blanc caillou, et rétabli plusieurs trous qui estoient esdits murs par dehors oeuvre, et empli de plastre tous les joints desdits murs, et pour avoir désassis et rassis tous les entablemens de pierre qui sont sur lesdits murs au pourtour de ladite Justice, et fait deux eschiffes de mur qui sont d'un côte et d'autre de l'entrée d'icelle Justice, et désassises et rassises les marches de taille qui sont en icelle entrée, de dessellées quarante-huit vieilles poultres qui ont été otées et descendues d'icelle Justice, et en scellées quarante-huit autres qui y ont été mises neuves, et mis deux coings de pierre en l'un des pilliers estraiefs, au lieu de deux autres qui estoient usés et mangés d'eau et de gelée, dont pour ce avoir fait, ils doivent avoir, etc.»

En 1466, nous lisons dans les mêmes Comptes (p. 389) ce passage: «À la grant Justice de Paris furent attachées et clouées cinquante deux chaînes de fer pour servir à pendre et étrangler les malfaiteurs qui en icelle ont été et seront mis par ordonnance de justice.» En 1485, le gibet de Montfaucon menaçait ruine, car les Comptes de la prévôté contiennent cet article (p. 476): «et fut fait aussi un gibet joignant le grand gibet, qui est en danger de choir et tomber de jour en jour.»

Les condamnés étaient suspendus aux traverses au moyen d'échelles auxquelles ils devaient monter, précédés du bourreau. «Huit grandes échelles neuves mises en la Justice patibulaire de Montfaucon 573.» Ces échelles dépassaient chaque traverse de manière à ce que le patient eût la tête à la hauteur voulue; le bourreau, monté sur le haut de l'échelle, lui passait la chaîne autour du cou, et, descendant, retirait l'échelle.

Voici donc, d'après la description de Sauval et les documents graphiques 574, le plan (1) en A des fourches patibulaires de Montfaucon. Vu leur hauteur (10m,00 au moins), les piliers ne pouvaient pas avoir moins d'un mètre de diamètre; les seize piliers, rangés «en deux files sur la largeur et une sur la longueur,» devaient laisser quinze intervalles entre eux de 1m,50 sur le grand côté et de 1m,20 sur les deux petits. Il ne pouvait donc y avoir qu'une chaîne à chaque traverse des petits côtés et deux au plus entre celles du grand. Les traverses étant au nombre de trois, cela faisait soixante chaînes. Ainsi s'explique le nombre de cinquante-deux chaînes neuves fournies en 1466; peut-être en restait-il quelques-unes anciennes pouvant servir. Les traverses étaient nécessairement doublées, tant pour fixer les chaînes que pour permettre au bourreau de se tenir dessus, et pour étrésillonner convenablement des piles aussi hautes. Il fallait donc quatre-vingt-dix traverses ou soixante seulement, si les traverses basses étaient simples. La fourniture de quarante-huit traverses neuves faite en 1425 n'a donc rien qui puisse surprendre.

La hauteur des piles (en admettant que la tapisserie de l'Hôtel de ville indique une traverse de trop) ne peut laisser de doutes sur le nombre de ces traverses. On n'aurait pas élevé des piles de plus de dix mètres de hauteur pour ne poser qu'une traverse supérieure et une seule intermédiaire, car il y aurait eu ainsi des places perdues en hauteur; or il est certain qu'on tenait à en avoir le plus grand nombre possible.

On voit, en B, sur le plan A, le caveau indiqué en pointillé, avec son orifice C, destiné à jeter les corps et débris, et sa porte de vidange D. En E est tracée la coupe faite sur ab montrant le degré, avec les murs d'échiffre réparés en 1425, et la porte, munie de vantaux, dont parle Sauval. On dressait les échelles au moment des exécutions, et celles-ci étaient vraisemblablement déposées sur la plate-forme.

Parfois la cave destinée à servir de dépôt pour les restes des suppliciés se trouvait tellement encombrée, la plate-forme jonchée de débris, les chaînes garnies d'ossements, qu'il fallait faire une vidange générale et enterrer ces restes corrompus ou desséchés. Cette opération était nécessaire, par exemple, lorsqu'il fallait remplacer les poutres, ce qui avait lieu assez fréquemment.

Au bas de l'éminence sur laquelle s'élevait le gibet de Montfaucon vers le couchant, une croix de pierre avait été dressée, disent quelques auteurs, par Pierre de Craon, en mémoire de l'ordonnance que ce seigneur avait obtenue de Charles VI en 1396, et par laquelle des confesseurs étaient accordés aux condamnés. Mais cette croix semblerait plutôt avoir été placée là, en 1403, à la suite de l'exécution de deux écoliers de l'Université ordonnée par le prévôt de Paris. En effet, Monstrelet 575 rapporte ainsi le fait: «...Messire Guillaume de Tigouville, prévost de Paris, feit exécuter deux des clercs de l'Université: Est à sçavoir: un nommé Legier de Monthilhier, qui estoit Normant; et l'autre nommé Olivier Bourgeois, qui estoit Breton: lesquels estoient chargez d'avoir commis plusieurs larcins en divers cas. Et pour ceste cause nonobstant qu'ils fussent clercs, et qu'en les menant à la justice criassent hault et clair, clergie, affin d'estre recoux; neantmoins (comme il est dit) furent exécutez et mis au gibet; et depuis par les pourchats de l'Université, fut iceluy prévost privé de tout office royal. Et avec ce fut condamné de faire une croix de pierre de taille, grande et eslevée, assez près du gibet, sur le chemin de Paris; où estoient les images d'iceux deux clercs, entaillées. Et outre les feit despendre d'iceluy gibet, et mettre sur une charrete couverte de noir drap: et ainsi accompaigné de ses sergens et autres gens portant torches de cire, allumées; furent menez à S. Mathurin et là rendus par le prévost au recteur de l'Université...»

Nous donnons (2) une vue de cet édifice du côté de l'arrivée faisant face au sud-ouest. Le degré étant placé, bien entendu, par derrière, les condamnés étaient amenés sur la plate-forme après avoir fait le tour du massif de maçonnerie. En bas de notre figure est placée la croix de Guiliaume de Tigouville, indiquée d'ailleurs dans la tapisserie de l'Hôtel de ville.

La figure 3 présente le gibet du côté de l'entrée.

Il ne paraît pas qu'il ait existé sur le territoire de la France d'autres fourches patibulaires d'un aspect aussi monumental. À Paris, elles n'étaient pas les seules: il existait un gibet hors de la porte Saint-Antoine, un sur le terrain de la Cité derrière l'Évêché, un sur l'emplacement occupé aujourd'hui par l'extrémité occidentale de la place Dauphine, un aux Champeaux, un derrière les jardins des Petits-Augustins, à peu près à la hauteur de la rue Saint-Benoît, et qui se trouvait sur les terrains de l'abbaye Saint-Germain-des-Prés. Ce dernier gibet, comme beaucoup d'autres, se composait de quatre piliers de pierre avec quatre traverses de bois. Il est figuré dans la tapisserie de l'Hôtel de ville et dans le grand plan de Mérian. D'autres encore se composaient de deux piles avec une seule traverse, ou de trois posées aux angles d'un triangle équilatéral avec trois traverses de couronnement. L'aspect hideux de ces édifices, l'odeur empestée qui s'en exhalait n'empêchaient pas l'établissement de cabarets, de courtilles et de lieux de débauche dans leur voisinage.

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