Discours par Maximilien Robespierre — 21 octobre 1789-1er juillet 1794
Les observateurs les moins attentifs ont dû apercevoir avec quelle activité et avec quel art les inventeurs de ce projet en ont d'avance préparé le succès. Dénonciations journalières du ministre de l'intérieur, combinées avec les déclamations éternelles de quelques députés, contre tout ce qui porte le nom parisien; toutes les ressources de la calomnie, tous les petits manèges de l'intrigue furent prodigués pour remplir l'Assemblée de préventions sinistres et de ridicules alarmes sur sa propre sûreté. On se rappelle que ce fut à la suite d'un discours insidieux du ministre Rolland, et d'une diatribe véhémente de Buzot, contre ce qu'il appelle les flatteurs et les agitateurs du peuple, que fut rendu le décret qui suit:
1° Il sera nommé six commissaires pour rendre compte, à la convention, de la situation de la république et de Paris; 2° il sera fait un projet de loi contre les provocateurs au meurtre et à l'assassinat; 3° il sera proposé un mode, pour que la convention nationale puisse s'environner d'une armée choisie dans les quatre-vingt trois départements.
On n'oublia point d'introduire, dans la nouvelle commission, les détracteurs les plus infatigables de la ville de Paris. Cependant, la moitié des membres qui la composaient s'opposa à l'institution de la force armée. On fit décréter que trois autres membres seraient adjoints au comité. Trois députés, dont le zèle pour le projet n'était point douteux, furent choisis par le président, et Buzot fut chargé de le rédiger et de le présenter à l'Assemblée. Ce projet a alarmé tous les bons citoyens. Je vais en développer l'esprit et les dangers dans les observations adressées à la convention nationale, que je crois devoir remettre sous les yeux de mes concitoyens.
La discussion du projet qui vous est présenté ne peut être ni longue, ni difficile, si vous voulez remonter au principe de la question.
Dans tout état bien constitué, la force publique est une, comme la volonté générale qu'elle est destinée à faire respecter. Elle a un objet unique, celui de maintenir l'exécution des lois, en protégeant les personnes et les droits de tous les citoyens.
Elle ne peut être dirigée qu'au nom de la loi, et par l'ordre du magistrat qui en est l'organe. Les personnes, l'autorité de tous les délégués du peuple reposent, comme les droits et les personnes des citoyens, sous la sauvegarde de cette force publique unique et toute puissante; car elle est la force de la société entière.
Toute force particulière armée, affectée à un homme, à une assemblée, quelque constituée qu'elle soit en puissance, est un monstre dans l'ordre social. Elle est toujours sans objet, puisqu'on ne peut jamais supposer que la force publique, dont je viens de parler, soit insuffisante pour les défendre. Elle est dangereuse, car elle n'est plus dirigée par la volonté générale, mais par la volonté particulière du corps ou de l'individu auquel elle appartient. Elle n'est plus un moyen de protection universelle pour la société; ce n'est qu'un instrument de violence et de tyrannie pour ceux qui l'ont usurpée; c'est, tout au moins un absurde et dangereux privilège. C'est pour cela, sans doute, qu'aux yeux des hommes éclairés, la garde armée, qui environnait les monarques, parut toujours une absurdité tyrannique, même dans le système de la monarchie. C'est pour cela que, dans la première législature, les députés, fidèles au principe, réclamèrent contre l'institution d'une garde pour le roi des Français. Or, si la raison, si le civisme ne pardonne point à la maison militaire des rois, de quel oeil verra-t-il la maison militaire des mandataires du peuple, et le nouveau capitaine des gardes que l'on veut vous donner? Une pareille question est décidée par ce simple dilemme. Ou bien les délégués du peuple ont sa confiance, ou ils ne l'ont pas. Au premier cas, ils n'ont pas besoin de force armée; dans le second, ils ne l'appellent que pour opprimer le peuple. Craignent-ils les entreprises de quelques malveillants? Le peuple et la loi les garantissent contre ce danger. Craignent-ils le peuple lui-même? Ils ne sont plus que des tyrans. Ces principes suffisent pour écarter le projet du comité. Mais combien vous paraîtra-t-il ridicule et funeste à la fois, si vous l'examinez sous le rapport des considérations politiques!
D'abord par quelle fatalité, une assemblée qui commence avec le règne de la république, sous les auspices de l'estime universelle, semble-t-elle écarter cette multitude d'objets d'intérêt public qui la presse de toutes parts pour s'occuper de sa garde particulière? Par quelle fatalité ne se-repose-t-elle pas, soit de sa dignité, soit de sa sûreté, sur celle qui avait environné les deux assemblées précédentes, et qui jusqu'ici lui avait rendu les mêmes services? Ces questions, quoiqu'on puisse dire, ne sont point faciles à résoudre, à moins qu'on ne suppose, à cette conduite, quelques motifs cachés et extraordinaires. .
Eh bien! ces motifs, quels sont ils? Il faut les approfondir. Est-ce la sûreté de la convention nationale? Si ce motif a quelque fondement, il est le plus impérieux de tous; et, dans ce cas, je vote pour le projet. Mais, dans le cas contraire, il faut dissiper de vaines alarmes qui ont été jetées au milieu de vous. Or, quel est l'insensé qui a espéré de vous persuader que les représentants du peuple n'étaient point en sûreté dans cette grande cité qui fut à la fois le berceau, le foyer, le boulevard de la révolution, au milieu de ce même peuple qui a gardé, défendu les deux premières législatures, malgré toutes leurs trahisons? Eh quoi! vos prédécesseurs de l'une et l'autre assemblée avaient lâchement abandonné la cause publique; et ils ont fourni paisiblement leur carrière, en dépit de toute la puissance et de toutes les conspirations de la cour; et vous, les fondateurs de la république, vous, dont tous les actes seront des titres à la reconnaissance de l'humanité, on pourrait vous faire croire à quelques dangers, dans ces mêmes lieux où la liberté vient de remporter un dernier triomphe sur la tyrannie. On vous parle sans cesse de factions conjurées contre vous; où sont-elles? En avez-vous découvert quelque trace? Et s'il s'en élevait, seraient-elles plus puissantes que celles qui environnaient vos devanciers? Les ennemis de la liberté sont-ils plus forts aujourd'hui, depuis la chute des rois? ou bien auriez-vous d'autres ennemis que ceux de la liberté? Sont-ils plus imposants que les représentants de la. nation française, investis de la suprême puissance? Sont-ils plus forts que le peuple immense qui vous entoure? ou bien doutez-vous de ce peuple lui-même? Ah! fussiez-vous despotes, prévaricateurs, il vous respecterait. Les plus ardents amis de la liberté savent mieux que personne, qu'aujourd'hui l'insurrection même la plus légitime ne ferait que hâter la perte de l'Etat et de la liberté. Le peuple français souffrirait avec patience les erreurs, les crimes même de ses mandataires, et il attendrait le moment de juger leur ouvrage. Quelle prétexte d'inquiétude peut donc rester à des hommes qui veulent remplir, avec gloire, les devoirs sublimes qui leur sont imposés? Depuis quand la vertu partage-t-elle les terreurs du crime? Depuis quand le courage raisonne-t-il comme la lâcheté, et la liberté comme la tyrannie?
Mais ce motif, aussi absurde que honteux, il semble que personne ne veuille plus l'avouer aujourd'hui; examinons donc ceux que le rapport des comités nous présente.
La nation entière, dit-on, doit être appelée à couvrir ses représentants de son égide; elle doit concourir de la même manière à la garde de tous les dépôts et de tous les établissements publics qui sont la propriété commune.
La nation, sans doute, doit beaucoup de reconnaissance au zèle de ceux qui réclament, pour elle, ce droit qu'elle avait oublié jusqu'ici; sans doute parce qu'elle croyait en avoir de plus sacrés à conquérir ou à cimenter. C'est à eux qu'il était réservé de découvrir ce principe inconnu, d'où il résulte que la souveraineté du peuple français est compromise, si les quatre-vingt-trois départements ne nomment point des représentons particuliers pour concourir à la garde des ministres, du tribunal de cassation; que dis-je? pour garder nos ports, nos arsenaux, nos forteresses, qui sont aussi des dépôts et des établissements nationaux. Et pourquoi aussi les commis, les huissiers de la convention nationale, ne seraient ils pas pris, aussi bien que ses gardes, dans les quatre-vingt-trois départements de la république. Car toutes ces conséquences dérivent évidemment du même principe; et si elles sont absurdes, ce n'est peut être que la faute du principe.
Mais d'où vient donc ce bizarre scrupule? Partout où l'Assemblée nationale résidera, ne sera-t-elle pas gardée par des Français? à Bordeaux, à Marseille, à Paris, peut importe; elle ne doit point voir des Bordelais, des Marseillais, des Parisiens; mais des citoyens placés sur différons points, d'un état unique et d'une patrie commune à tous. N'est-ce pas la nature même des choses qui veut que, dès que son séjour est fixé à Paris, elle soit gardée par la portion du peuple français qui habite Paris? Et comment peut-on présenter, comme un privilège odieux, ce qui n'est que l'effet de la nature des choses; et que les mêmes circonstances transporteraient indifféremment à d'autres.
Cependant on nous présente la force armée, qu'on veut appeler des départements, comme un lien moral que l'on ne peut méconnaître sans compromettre l'unité, la force et la paix intérieure de l'Etat. Qui l'eût jamais soupçonné, que le salut de l'Etat tenait à un corps de 4000 hommes réunis pour faire le service militaire auprès de l'assemblée représentative? Et ne pensez-vous pas vous-mêmes, citoyens, que le véritable lien de l'unité, de l'indivisibilité de la république française, c'est celle du gouvernement et de la représentation nationale; c'est le système entier de nos lois constitutionnelles?
Mais comment veut-on nous faire voir la consolidation de l'unité politique dans un projet qui tend évidemment à l'altérer? Eh! qu'y a-t-il donc de plus naturellement lié aux idées fédératives que ce système d'opposer sans cesse Paris aux départements, de donner à chaque département une représentation armée particulière; enfin, de tracer de nouvelles lignes de démarcation entre les diverses sections de la république, dans les choses les plus indifférentes et sous les plus frivoles prétextes?
Que dis-je? qui peut songer aux circonstances qui ont accompagné et précédé le projet que je combats, sans voir qu'il ne fait que préparer celui de morceler l'état en républiques fédérées? Eh! que signifient donc ces déclamations intarissables contre l'esprit qui anime les citoyens de Paris contre tous les mandataires que cette ville a choisis? Que signifient ces suppositions éternelles de complots, dont on prétend qu'elle est le foyer; ces dénonciations prodiguées à tous propos par un ministre, commentées avec tant de perfidie, soutenues avec tant de fureur, et que l'on a donné pour motifs à la proposition d'appeler autour de vous une force armée extraordinaire? Que signifie ce ton menaçant avec lequel on annonce sans cesse les bataillons qui arrivent pour nous contenir? Hier encore, l'auteur du projet que nous discutons, n'invitait-t-il pas formellement les quatre-vingt-deux autres départements à s'élever contre celui de Paris? Quel peut être le but de ce système de calomnie et de persécution, si ce n'est de semer l'alarme dans les départements et dans votre sein, pour diviser l'Etat et détruire Paris? Dans ces circonstances, est-il difficile de prévoir les conséquences du décret que l'on vous propose? Ne le regardez-vous pas comme une semence de discorde jetée entre les citoyens de Paris qui ne verront, dans les motifs et dans la nature de cette constitution, qu'une injure et des dangers et ces surveillants armés, qui arriveront pleins de ces préventions sinistres, fruits amères de tant de libelles et de tant d'intrigues? Déjà je crois voir renouveler ces actes arbitraires contre la liberté individuelle, provoqués par les haines personnelles et par l'esprit de parti. Je vois d'un côté l'oppression, de l'autre la résistance; partout l'animosité et les défiances, c'est à-dire, la guerre civile commençant dans Paris. Et dès-lors, quel vaste champ ouvert aux intrigues et aux factions! Quels prétextes de persuader aux départements qu'ils doivent accourir au secours de leurs compatriotes; de crier aux conspirations, aux agitateurs, de grossir la garde de 4000, qu'on avait d'abord proposé de porter à 24000! Et qui peut répondre que l'intrigue et l'esprit de parti ne présideront point à sa composition, ou ne la circonviendront pas; que l'aristocratie déguisée, que les royalistes devenus républicains ne s'y introduiront pas?
De tous les résultats sinistres que ce projet peut produire, qui peut prédire, avec précision, ceux que le temps ferait éclore? Mais aussi, qui peut ne pas les redouter? qui ne doit point les prévenir autant qu'il est en son pouvoir?
Cependant on nous présente la garde nouvelle comme un bienfait pour la ville de Paris, et comme un moyen nécessaire pour resserrer les liens de la confiance et de l'affection entre elle et les départements. Eh! ne les relâchez pas, ces liens, ils seront immortels. Ne vous appliquez point à attiser contre elle une haine ingrate, une absurde jalousie, et elle comptera toujours sur l'attachement des Français. Nous ne craignons pas qu'ils perdent le souvenir des événements immortels de la révolution, ni de la sainte alliance que nous avons jurée tant de fois, et que nous venons de cimenter par notre sang et par la mort des tyrans. Que nous importe, au surplus, cet éloge de Paris, démenti un moment après par des reproches amers, et balancé par le tableau des avantages qu'on semble lui envier! Non, Paris, quoi qu'en dise le rapporteur du comité, ne s'enorgueillit point de cette opulence qu'il a immolée sans regret à la liberté, des monuments dont les arts l'ont embelli; il a renversé tous ceux qui nous rappelaient l'idée du despotisme. Nous avons oublié tous les arts, pour ne connaître que celui de combattre la tyrannie; nous ne sommes pas fiers des vertus d'un petit nombre d'hommes qui viennent les cultiver au milieu de nous. Cette corruption, enfantée par l'opulence que vous nous reprochez, ne nous appartient pas. Elle est le partage de ceux qui possèdent ces richesses; et ces gens là sont bien plus près des principes de nos calomniateurs que des nôtres. Au reste, nous croyons aussi que le peuple magnanime, qui a renversé la Bastille et le trône, qui a souffert les proscriptions et la misère pour conquérir la liberté, n'est pas tout à fait corrompu; et nous pensons que la vertu de nos sans-culottes vaut bien celle des rhéteurs feuillantins, et des républicains-royalistes qui daignent venir cultiver leurs talents sublimes au milieu de nous.
Ne dites donc plus que cette garde est nécessaire, parce qu'on pourrait un jour faire oublier aux habitant de Paris (ce sont les termes du rapport), que leur existence est attachée à l'indépendance des représentants, qu'il doivent s'honorer de posséder dans leurs murs; mais qu'ils ne peuvent jamais influencer impunément!
Représentants du peuple, l'entendez vous? Le voilà donc découvert ce motif caché de l'institution qu'on vous propose! C'est contre les citoyens de Paris qu'elle est invoquée. N'était-ce pas là l'esprit et le langage de ces fougueux défenseurs de l'aristocratie qui, depuis, ont tourné un fer parricide contre le sein de leur patrie, lorsqu'ils déploraient la perte de leurs odieux privilèges anéantis par la volonté souveraine? N'était-ce pas celui de La Fayette, lorsqu'il se baignait dans le sang des plus vertueux citoyens; lorsqu'il environnait cette salle même de satellites égarés, pour enhardir l'assemblée constituante à assassiner la liberté? Eh! pour quel autre raison voudrait on mettre des gens armés entre le peuple et soi, si ce n'est pour le trahir? La vertu n'appelle-t-elle pas toute la force de l'opinion publique, comme le crime la repousse?
Le texte ordinaire des déclamations de tous ces ennemis de la liberté, c'était la tyrannie du peuple de Paris; comme si les Français de Paris étaient d'une autre nature que ceux qui habitaient les autres contrées de la France. Ils savaient bien que s'élever contre l'influence des Français de Paris, c'était un moyen adroit d'attaquer l'opinion générale; qu'attaquer le peuple.de Paris, c'était attaquer indirectement le peuple français; car ce n'était point les citoyens de Perpignan ou de Quimper, qui pouvaient exercer l'heureux ascendant des regards publics sur les opérations dont Paris est le théâtre. Paris avait un tort irréparable aux yeux de tous les fripons politiques; c'était de renfermer une immense population, qui était à chaque instant témoin de tous les événements qui intéressent la liberté publique. Pour affermir la liberté, il faut à ce vaste empire un foyer de lumières et d'énergie, d'où l'esprit public put se communiquer à la multitude infinie de toutes les petites sections qui composent l'universalité du peuple français. Paris fut à ce titre l'écueil du despotisme royal; il est destiné à être celui de toutes les tyrannies nouvelles. Aussi, tant qu'il existera en France des ambitieux qui méditeront des projets contraires à la cause publique, ils chercheront à calomnier, à détruire Paris; ils voudront au moins dérober leurs crimes aux regards du peuple magnanime et éclairé qu'il renferme dans son sein. Citoyens représentants, voilà toute la politique de ceux qui veulent vous égarer et vous maîtriser. Qu'ajouterai-je à tout cela? Vous dirai-je que le corps particulier qu'on veut vous attacher n'est pas plus digne de vous, que la masse des citoyens qui vous entourera partout où vous porterez vos pas; que cette maison militaire choisie par les administrations; que cet équipement, que ces uniformes dont vos comités ont daigné s'occuper, ne valent pas, aux yeux des amis de la liberté, les habits grossiers et variés, ces épaulettes de laine et ces piques de nos sans-culottes que vous allez éloigner de vous? Je ne vous dirai plus qu'un mot. La nation française vous regarde. L'Europe vous observe, et elle vous voit délibérer sur les moyens de vous garder contre le peuple qui vous entoure; le dirai-je? elle vous voit, depuis longtemps, servir, à votre insu, de petites passions qui ne doivent jamais approcher de vous. Il est temps de vous délivrer de ces honteux débats. Hâtez-vous de déclarer qu'il n'y a pas lieu de délibérer sur le projet qu'on vous propose.
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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours sur l'influence de la calomnie sur la révolution, prononcé au Club des Jacobins le 28 octobre 1792 (28 octobre 1792)
Citoyens,
Je veux vous entretenir aujourd'hui d'un sujet qui n'a point encore été traité, que je sache, par aucun écrivain politique. Je parle du pouvoir de la calomnie. Il fallait une révolution telle que la nôtre pour le déployer dans toute son étendue. Je vais vous révéler les prodiges qui l'ont signalé; et vous conviendrez que ce sera puissamment contribuer aux progrès de l'esprit public et de la vérité.
Sous le régime despotique, tout est petit, tout est mesquin; la sphère des vices, comme celle des vertus, est étroite. Sous l'ancien gouvernement, la puissance de la calomnie se bornait à diviser les frères, à brouiller les époux, à élever la fortune d'un intrigant sur la ruine d'un honnête homme; elle n'opérait de révolutions que dans les antichambres et dans le cabinet des rois; le plus noble de ses exploits consistait à déplacer des ministres ou à chasser des courtisans. Notre révolution lui a ouvert une immense carrière. Ce ne sont plus des individus, c'est l'humanité elle-même qui est devenue l'objet de ses trames perfides. Compagne inséparable de l'intrigue, elle a embrassé, comme elle, l'univers dans ses complots. Toutes les factions qui se sont élevées, l'ont invoquée tour à tour pour combattre la liberté.
L'opinion avait donné le branle à la révolution; l'opinion pouvait seule l'arrêter; chaque parti devait donc naturellement faire tous ses efforts pour s'en emparer. Les intrigants savaient bien que la multitude ignorante est portée à lier les principes politiques avec les noms de ceux qui les défendent; ils se sont appliqués surtout à diffamer les plus zélés partisans de la cause populaire. Ils ont fait plus, ils ont calomnié la liberté elle-même. Mais comment déshonorer la liberté? Comment diffamer même ceux qui défendent publiquement sa cause? Il n'était qu'un seul moyen d'y réussir, c'était de peindre chaque vertu sous les couleurs du vice opposé, en l'exagérant jusqu'au dernier excès. C'était d'appeler les maximes de la philosophie appliquées à l'organisation des sociétés politiques, une théorie désorganisatrice de l'ordre public; de nommer le renversement de la tyrannie, anarchie, le mouvement de la révolution, troubles, désordres, factions; la réclamation énergique des droits du peuple, flagorneries séditieuses; l'opposition aux décrets tyranniques qui réduisaient la plus grande partie des citoyens à la condition d'ilotes, déclamations extravagantes ou ambitieuses; c'était, en un mot, de flétrir les choses honnêtes et louables, par des mots odieux, et de déguiser tous les systèmes de l'intrigue et de l'aristocratie, sous des dénominations honorables; car on connaît l'empire des mots sur l'esprit des hommes. Or, les hommes de la révolution étaient les hommes de l'ancien régime; et partout où il y a un sot, un homme faible ou pervers, la calomnie et l'intrigue trouvent à coup sûr une dupe ou un agent. Par là on trouvait le moyen de ressusciter les préjugés et les habitudes faibles ou vicieuses de l'ancien régime, pour les opposer aux sentiments généreux, aux idées saines et pures que suppose le règne de la liberté. Ainsi, on faisait passer l'opinion publique par une route oblique tracée entre les excès monstrueux de l'ancien régime et les principes du gouvernement juste qui devait les remplacer, pour la conduire au but des intrigants ambitieux qui voulaient la maîtriser.
Suivez les progrès de la calomnie, depuis l'origine de la révolution, et vous verrez que c'est à elle que sont dus tous les événements malheureux qui en ont troublé ou ensanglanté le cours. Vous verrez que c'est elle seule qui s'oppose encore au règne de la liberté et de la paix publique.
N'est-ce pas la calomnie qui, par la bouche des prêtres, peignant les travaux de l'Assemblée constituante, comme autant d'attentats contre la morale et contre la divinité, arma la superstition contre la liberté, qui fit couler le sang dés citoyens à Nîmes, à Montauban, et dans plusieurs contrées de l'empire français?
N'est-ce pas la calomnie qui arrêta longtemps les progrès de l'esprit public, tantôt en flétrissant du nom de régicides les premiers représentants de la nation, qui n'osaient pas même toucher à la royauté, tantôt en présentant les défenseurs des droits de l'humanité comme les perturbateurs de la société, et comme les apôtres insensés de la loi agraire?
N'est-ce pas la calomnie qui, déliant toutes les langues aristocratiques, prêchait dès-lors la guerre civile, en excitant la haine et la jalousie des provinces contre les Parisiens? N'est-ce pas elle qui voulait flétrir le berceau de la liberté par ces déclamations éternelles contre les premiers actes de la justice du peuple exercés sur quelques scélérats qui avaient conspiré sa ruine? N'est-ce pas elle qui éleva une barrière entre la révolution et les autres peuples de l'Europe, en leur montrant sans cesse la nation française comme une horde de cannibales, et le tombeau de la tyrannie comme le théâtre de tous les crimes?
Je viens de vous développer le système des champions déclarés du despotisme et de l'aristocratie. La Fayette vint, et le perfectionna. Personne, avant lui, n'avait aussi bien connu la puissance de la calomnie, ni l'art de la mettre en oeuvre. La cour avait cultivé les heureux talents qu'il avait reçus de la nature.
Tout le monde connaît maintenant quel était l'objet de ses vues politiques. Ce petit émule de Monk ou de Cromwell, qui n'était pas plus le chef que l'instrument de la faction qu'il avait embrassée, voulait créer un parti mitoyen entre l'aristocratie hideuse de l'ancien régime et le peuple, et l'appuyer de toute la puissance royale, en faisant entrer Louis XVI dans ce projet. Or, pour le réaliser, il fallait encore commencer par présenter le parti du peuple lui-même, comme une faction. Il fallait travestir la morale de l'égalité et de la justice sociale, en système de destruction et d'anarchie, peindre les plus zélés défenseurs de la liberté, soit dans l'Assemblée constituante, soit dans Paris, soit dans tout l'empire, sous des traits effrayants pour l'ignorance et pour les préjuges. On les montrait aux grands propriétaires comme les flatteurs des artisans et des pauvres; aux marchands, comme les fléaux du commerce; aux hommes pusillanimes, comme les auteurs de tous les mouvements de la révolution, et comme les perturbateurs de la paix publique; à tous, comme des extravagants ou comme des séditieux. Le chef-d'oeuvre de la politique de ce parti fut de faire servir à ses projets le nom des lois et le prestige de la constitution même. Tandis qu'il mettait tout en oeuvre pour la modifier, selon leurs vues ambitieuses et les intérêts de la cour, il s'attachait à persuader que les amis de la liberté, dont le seul voeu était alors de la voir exécuter d'une manière loyale et populaire, n'avaient d'autre but que de la détruire. Cette constitution, dont tous les vices étaient son ouvrage, devint bientôt, entre ses mains, un instrument de tyrannie et de proscription. Toujours nulle pour protéger les patriotes persécutés, elle était toujours active pour justifier tous les attentats contre la liberté, pour pallier tous les complots de la cour et de l'aristocratie,
Par ce système de calomnie, on fournit à tous les mauvais citoyens, trop prudents ou trop lâches pour arborer ouvertement les livrées de l'aristocratie, le moyen de combattre la liberté sans paraître déserter ses drapeaux. On détacha de la cause populaire tous les hommes timides, faibles ou prévenus. Les riches, les fonctionnaires publics, les égoïstes, les intrigants ambitieux, les hommes constitués en autorité, se rangèrent en foule sous la bannière de cette faction hypocrite, connue sous le nom de modérés, qui seule a mis la révolution en péril.
Ainsi on voit que la calomnie est encore la mère du feuillantisme, ce monstre doucereux qui dévore en caressant, et qui a pensé tuer la liberté naissante, en secouant sur son berceau tous les serpents de la haine et de la discorde. C'est la calomnie qui fonda ces clubs anti-populaires, destinés à assurer l'empire de la faction, en dégradant l'opinion publique; c'est elle qui poursuivit, avec un si long et si ridicule acharnement, les jacobins et les sociétés populaires pour anéantir, avec eux, le patriotisme et le peuple.
N'est-ce pas la calomnie qui avait prépare ces forfaits, plus abominables encore, lorsque La Fayette et ses complices égorgèrent, sur l'autel de la patrie, cette multitude de patriotes, paisiblement assemblés, pour provoquer, par une pétition, le jugement de Louis XVI? Comme en un moment elle couvrit toute la France d'un voile funèbre! Avec quelle facilité elle rendit tous les défenseurs de la liberté, les objets de la prévention et de la haine publique, sous les noms de factieux, de républicains, etc., etc., etc.
C'est la calomnie seule qui fit absoudre la tyrannie et la trahison, dans la personne du dernier de nos rois. Quel est donc son fatal ascendant, puisqu'alors réclamer, dans la tribune de l'Assemblée constituante, la juste sévérité des lois et des droits de la nation outragée, ne paraissait, aux représentants de la nation, qu'un langage séditieux, qu'un projet coupable de renverser toutes les lois et de dissoudre l'état? Quel est ce pouvoir magique de changer la vertu en vice, et le vice en vertu! de donner à la sottise, à la corruption et à la lâcheté, le droit d'accuser hautement le courage, l'intégrité et la raison! J'ai vu ce scandale. J'ai vu les délégués d'un grand peuple, vils jouets de perfides charlatans qui trahissaient la patrie, redouter, calomnier le peuple, déclarer la guerre à ceux de ses mandataires qui voulaient rester fidèles à sa cause; leur imputer à crime, et l'estime de leur concitoyens, et les moments spontanés de l'indignation publique, provoqués par la tyrannie; croire stupidement à tous ses fantômes de complots, de brigandage, de dictature, dont on les épouvantait; je les ai vus applaudir eux-mêmes à leur sagesse, à leur modération, à leur civisme, lorsqu'ils renversaient, de leurs propres mains, les bases sacrées de la liberté qu'ils avaient fondée. Je m'en souviens encore, le lendemain de ce jour cruel, qui éclaira le massacre des meilleurs citoyens, dont la démarche légitime nous était aussi étrangère que le crime de leurs bourreaux, j'ai vu Pétion, qui alors luttait aussi contre les intrigants, accueilli par les sénateurs français, à peu près comme Catilina le fut un jour par le sénat romain. Moi-même j'éprouvai le même sort; et de plus, la coalition coupable qui maîtrisait l'Assemblée constituante, ces mêmes hommes, que la république a proscrits, comme des traîtres, agitèrent sérieusement, avec nos collègues, dans leur club anti-révolutionnaire, la question de faire rendre contre moi un décret d'accusation; et, s'il eût été proposé, ce n'eût peut-être pas été la justice qui aurait arrêté l'Assemblée nationale, mais quelque reste de pudeur.
C'est la calomnie qui, alors, éleva le monstrueux ouvrage de la révision de l'acte constitutionnel.
C'est elle qui, avant cette époque, avait assassiné, à Nancy, les plus zélés défenseurs de la liberté; c'est elle qui immola ou chassa de nos armées, avec des cartouches infamantes, par les jugements iniques et par les ordres .arbitraires de l'aristocratie, les soldats les plus dévoués pour la cause publique. C'était elle, qui, dans toutes ces occasions, dictait les lettres des officiers de l'armée, les rapports des ministres, des corps administratifs, les discours des législateurs qui prostituaient leur organe à l'intrigue. C'est elle qui remplit nos cachots des citoyen» dont les tyrans redoutaient l'énergie, c'est elle qui, depuis le commencement de la révolution, à fait couler cent fois le sang du peuple, au nom d'une loi barbare dont le nom seul déshonore les législateurs français.
Dieux! à quelles méprisables causes tiennent les malheurs des nations! et comme le philosophe doit sourire de pitié, lorsqu'il voit de près les vils ressorts des grands événements, qui changent quelquefois la face du globe! La Fayette fut deux ans, au moins, un grand homme et le héros des deux mondes. Le mérite de bien payer, ou de caresser des faiseurs de journaux, lui tint lieu de talents et de vertus; et peu s'en fallut que ce petit homme s'élevât à la dictature, sur des tas de pamphlets. Les folliculaires tiennent dans leurs mains la destinée des peuples. Ils font ou défont les héros, comme un certain Warwic faisait et défaisait les rois. Aussi, comme les princes calculent leurs forces par la multitude de leurs soldats et par les ressources de leurs finances, les chefs des factions rivales, parmi nous, calculent les leurs par le nombre de leurs écrivains et par les moyens pécuniaires qu'ils ont de les alimenter. La Fayette était pénétré de ces grands principes; il sut s'environner d'une armée de journalistes; la Gazette Universelle, l'Ami des Patriotes, le Journal de Paris, la Chronique, Monsieur Perlet lui-même, et tant d'autres firent à son parti plus de conquêtes, dans l'espace de quelques mois, qu'il n'en eût pu faire lui-même à la révolution, durant un demi-siècle, même à la tête d'une armée française.
Indépendamment de ces grands moyens, il avait fondé les plus belles fabriques, et les plus magnifiques arsenaux que l'on eût encore vus, de libelles, soit laudatifs, soit vitupératifs, soit éphémères, soit périodiques, qu'il pouvait transporter, à chaque instant, aux extrémités de l'empire, soit par le ministère de ses aides de camp, soit par celui du gouvernement, Je n'ai pas besoin d'observer qu'il n'oubliait pas de tirer parti de son crédit à la cour et de ses rapports avec la liste civile, pour étendre chaque jour ces utiles établissements.
Cependant, comme la vérité a aussi sa puissance et ses soldats, la petite phalange des jacobins et des défenseurs de la liberté le harcelait dans sa marche avec assez de succès. ll ne put jamais l'entamer, aussi longtemps qu'il demeura séparé d'une autre faction, qui combattait quelquefois avec les patriotes pour arriver à la domination par une autre route.
Je parle de celle qui avait pour chefs les Lameth, Barnave et Duport. Mais, lorsque quelque temps avant la fuite de Louis XVI, elles se confédérèrent pour accabler le parti du peuple, les Lameth renforcèrent le corps d'armée des libellistes de La Fayette, par la jonction de ceux qui étaient à leur solde, et surtout du Logographe, journaliste très fidèle, car il remplissait scrupuleusement l'engagement qu'il avait contracté avec le maître de la liste civile, de défigurer les opinions des députés patriotes et d'embellir celles des orateurs vendus à la cour* [* On trouve la preuve authentique et littérale de ce fait dans les papiers dont la nation doit la découverte à la fermeté inébranlable et à l'infatigable vigilance du comité de surveillance de la commune de Paris.].
Ce fut alors que les deux factions combinées, retranchées sous le château des Tuileries, et à l'abri de la partie de la constitution qui protégeait le despotisme royal, tombèrent sur les patriotes avec toutes leurs forces, et remportèrent les victoires du Champ-de-Mars, de l'inviolabilité absolue et de la révision. Ce fut alors que la France entière fut désolée par l'épidémie du feuillantisme.
Durant cette période, La Fayette et ses alliés régnèrent en effet sur la France. Il était le héros, le libérateur de la nation Il parut au milieu du corps législatif; le président lui dit: "la nation montrera, avec fierté, à ses amis et à ses ennemis la constitution et La Fayette;" et le corps législatif applaudit avec transport. Il vint une autre fois traiter les représentants du peuple beaucoup plus durement que Louis XIV ne harangua le parlement de Paris, le jour où il vint le visiter, le fouet à la main; et les représentants du peuple se prosternèrent devant lui un peu plus bas que le parlement de Paris devant Louis XIV. Pendant toute la durée de son empire, toute parole, tout écrit qui attaquait La Fayette, était un crime. Tous les patriotes, dont les cachots regorgeaient, le savent bien. Médire de La Fayette, c'était détruire la discipline militaire, c'était favoriser Coblentz et l'Autriche, c'était prêcher l'anarchie et bouleverser l'Etat. Aujourd'hui encore, il ne resterait à ceux qui avaient le courage de dénoncer ses crimes passés, et de prédire ceux qu'il méditait, que le nom de fous ou de factieux, s'il n'avait pris le soin de se dénoncer lui-même, et s'il n'avait voulu abuser trop brusquement de la crédulité, j'ai presque dit de la stupidité publique. Le peuple de Paris, qui le détestait depuis longtemps, quand on l'adorait ailleurs, et les fédérés des autres départements, aidés par La Fayette lui- même, renversèrent le monstrueux édifice de sa réputation et de sa fortune, qui ne tomba qu'avec le trône.
Toutes les factions ont-elles été ensevelies sous ses ruines? L'égoïsme, l'ambition, l'ignorance, tous les préjugés et toutes les passions ennemies de l'égalité, ont elles disparu avec La Fayette? Non, son esprit vit encore au milieu de nous; il a laissé des héritiers de son ambition et de ses intrigues. Et quels succès ne peuvent-ils pas se promettre encore, avec un peuple aussi confiant, aussi léger que généreux, qui a longtemps encensé de si ridicules idoles? Que dis-je? Otez le mot de république, je ne vois rien de changé. Je vois partout les mêmes vices, les mêmes cabales, les mêmes moyens, et surtout la calomnie. Vous qui vous dis posez à me démentir, si vous êtes de bonne foi, apprenez à vous défier de vous mêmes; songez que votre usage est d'apercevoir la vérité deux ans trop tard; songez qu'il est bien des intrigues funestes dont vous favorisiez le succès par voire nonchalante incrédulité, et que j'ai dévoilées. Si vous êtes de mauvaise foi, je vous récuse; ce que je vais dire vous intéresse. Qui que vous soyez, qu'aurez-vous à répondre à des faits? Que direz vous, quand je vous aurai démontré qu'il existe une coalition de patriotes vertueux, de républicains austères, qui perfectionne la criminelle politique de La Fayette et de ses alliés, comme ceux-ci avaient perfectionné celle des aristocrates déclarés. Je n'aurai pas même besoin de vous les nommer, vous les reconnaîtrez à leurs oeuvres.
Que dis-je? Dans tout ce que je viens de dire jusqu'ici, n'avez-vous pas cru lire l'histoire des intrigants du jour? N'avez-vous pas reconnu leur tactique et leur langage?
Après la révolution du 14 juillet, vous avez entendu les aristocrates crier à l'anarchie, parler de démagogues incendiaires; déplorer éternellement le brûlement de quelques châteaux et la punition de quelques scélérats. Vous avez vu La Fayette et ses complices commenter ensuite ce texte à leur manière et dans le même esprit.
Que fait la faction nouvelle depuis la révolution du 10 août? Elle crie à l'anarchie, parle sans cesse d'un parti désorganisateur, de démagogues forcenés, qui égarent et qui flattent le peuple. Brigandage, assassinats, conspirations, voilà toutes les idées dont elle entretient sans cesse les quatre-vingt trois départements. Seulement, au mot de factieux, usé par ses prédécesseurs, elle a substitué celui d'agitateurs, un peu moins trivial; car, elle sait, comme eux, que c'est avec des mots qu'on conduit les sots et les ignorants, Et à qui adresse-t-elle ces reproches? Aux aristocrates, aux émigrés, aux royalistes? Non. Aux feuillants; aux modérés hypocrites, aux patriotes dont le zèle républicain remonte jusqu'au dix août? Non. Aux patriotes qui, depuis le commencement de la révolution, étrangers à toutes les factions, imperturbablement attachés à la cause publique, ont marché par la même route au but unique de toute constitution libre, le règne de la justice et de l'égalité; à ceux qui se sont montrés dans la révolution du 10 août, et qui veulent qu'elle ait été faite pour le peuple, et non pour une faction; enfin à ceux-là même qui furent les objets éternels des persécutions de La Fayette, de la cour et de tous leurs complices.
Les aristocrates et les feuillants trouvaient toujours quelques motifs pour méconnaître les droits du peuple, ou pour avilir son caractère.
Les intrigants de la république les copient, en cela, avec une exactitude servile. Comme leurs devanciers, ils déclament contre le public qui assiste aux séances de l'assemblée nationale. Ils n'ont pas dédaigné d'adopter les bons mots dos plus insolents détracteurs du peuple. Comme eux, ils s'égaient sur le souverain des tribunes, sur le souverain de la terrasse des feuillants. D'André et Mauri auraient le droit de poursuivre, comme plagiaires, tels journalistes, prétendus patriotes, que leurs lecteurs peuvent reconnaître à ce trait.
Les aristocrates et les feuillants osaient imputer aux amis de la liberté l'absurde projet de la loi agraire. Mais c'était en rougissant, et dans les ténèbres, qu'ils faisaient circuler cette calomnie. Les intrigants de la république l'ont affichée sur les murs de Paris; ils l'ont fait débiter à l'assemblée législative où ils dominaient, par un ministre qui est leur créature, et c'est contre l'assemblée électorale même du département de Paris qu'ils ont osé diriger cette absurde inculpation, démentie par la notoriété publique et par l'indignation universelle. Il y a plus, lorsqu'immédiatement avant le décret de l'abolition de la royauté, provoqué par un député de Paris, un autre député du même département, connu par les grands services qu'il a rendus à la révolution, eut fait décréter que toutes les propriétés étaient sous la sauvegarde de la nation, n'a-t-on pas vu l'un des journalistes et des coryphées de la coalition dont je parle, membre aussi de la convention nationale, imprimer le lendemain que cette motion n'avait point été faite de bonne foi.
Vous avez vu les aristocrates et les feuillants déclamer éternellement contre Paris. Les intrigants de la république déclament éternellement contre Paris, avec cette différence que, de la part des premiers, ce n'était que des déclamations, et que, de la part des autres, c'est une conspiration contre Paris et contre la république entière.
Voyez avec quel acharnement ils accusent cette cité du projet insensé de vouloir subjuguer la liberté du peuple français, au moment où elle vient de l'enfanter. Voyez comme ils lui reprochent son opulence, quand elle s'est ruinée pour la défense de la cause commune. Voyez comme ils érigent en privilège odieux le séjour fortuit de l'assemblée représentative dans son sein, lorsque c'est à cette circonstance que sont dus, eu partie, et la naissance et les progrès de la révolution. Voyez comme ils vont jusqu'à lui faire un crime même de rappeler ses services et ses sacrifices pour répondre à leurs calomnies. Prennent-ils même le soin de dissimuler que c'est en haine de la liberté qu'ils lui déclarent la guerre? Et pourquoi donc ne cessent-ils d'outrager le conseil général de la commune, qui s'est dévoué à toutes les fureurs de la cour dans la nuit du 9 au 10 août; qui a donné à cette immortelle révolution le mouvement nécessaire pour foudroyer le despotisme? Pourquoi ne cessent-ils d'outrager les sections qui l'ont choisi; les sections qui ont choisi ces mêmes électeurs qu'ils ont diffamé avec tant d'audace; qui ont ratifié solennellement, par elles-mêmes, le choix de ces mêmes députés qu'ils ne rougissent pas de proscrire; ces sections enfin qui ont mérité la reconnaissance, non du peuple français, mais de l'humanité, par la profonde sagesse avec laquelle elles ont préparé, pendant plus de quinze jours, la dernière révolution; par le courage sublime avec lequel elles ont donné solennellement à toute la France le signal de la sainte insurrection qui a sauvé la patrie? Tandis que les Parisiens, unis avec les fédérés, terrassaient le despotisme; tandis qu'ils envoyaient quarante mille défenseurs intrépides pour combattre les ennemis de l'Etat, de lâches libellistes soulevaient contre eux les Français des autres départements, remplissaient de ridicules terreurs et de fatales préventions les députés qui devaient composer la convention nationale, et jetaient partout le germe de la discorde et de tous les maux qui la suivent. Si la convention nationale n'a rien fait encore qui réponde ni à la hauteur de la nouvelle révolution, ni à l'attente du peuple français, il n'en faut pas chercher la cause ailleurs que dans la confiance avec laquelle un grand nombre de ses membres s'est abandonné aux guides infidèles qui les avaient trompés d'avance. Comment s'occuper du bonheur de la nation et de la liberté du monde? lorsqu'on n'est occupé qu'à faire le procès au patriotisme parisien; lorsqu'au milieu du calme profond dont on est environné, on attend sans cesse les orages dont on a tant entendu parler, et ces terribles agitateurs dont une coalition intrigante nous entretient tous les jours; lorsqu'on semble regretter de ne les rencontrer nulle part? Arrive t-il dans le fond de quelque département un de ces mouvemens inséparables de la révolution qui, dans tout autre moment, ne serait pas même aperçu? un ministre ne manque pas d'en faire à l'assemblée un récit épouvantable, et les intrigants de la république de pérorer contre les agitateurs de Paris? Un bateau de blé est il arrêté par un peuple alarmé pour sa subsistance? ce sont les agitateurs de Paris? Des soldats sont-ils accusés d'insubordination justement ou injustement? ce sont les agitateurs de Paris? Cent mille Français infortunés sont-ils à la veille de manquer de pain par la faillite des directeurs d'une banqueroute publique, croyez-vous que les intrigants s'occuperont des moyens de les secourir? Ils ne songeront qu'à déclamer contre la commune de Paris, qui n'en est aucunement coupable. Une pétition qui, dans la bouche de tout autre, eût obtenu des-éloges, est-elle présentée par des citoyens de Paris? le président la calomnie par une réponse insidieuse et préparée, et la faction la dénonce à la France entière. Des citoyens, des magistrats ont-ils mérité l'estime de la république, par la vigilance courageuse avec laquelle ils ont découvert et étouffé les conspirations de la cour dont ils apportent les preuves authentiques? il n'est question que de leur faire le procès; c'est le comité de surveillance de la commune de Paris. Des ouvriers du camp, qui manquent notoirement de travail, viennent-ils spontanément et paisiblement présenter à l'assemblée une pétition légitime? c'est une émeute excitée par les députés de Paris. Un membre apprend que quatre mille ouvriers sont en insurrection sur la place Vendôme, l'assemblée s'alarme. Il n'y a pas un seul ouvrier. Une autre fois, un autre membre vient annoncer que le peuple s'est révolté au Palais-Royal. Le Palais-Royal est calme et désert.
Que serait-ce donc, s'il arrivait, en effet, quelque mouvement partiel qu'il serait impossible de prévoir ou d'empêcher? C'est alors qu'il serait prouvé, aux yeux de tous les départements, que rien n'est exagéré dans le portrait hideux qu'ils ont tracé des horreurs dont Paris est le théâtre, et que les représentants de la république doivent le fuir, en secouant la poussière de leurs pieds. Voilà l'événement que les intrigants de la république attendent avec impatience. Heureusement jusqu'ici les citoyens semblent avoir deviné leur intention. Ce peuple si féroce a lutté contre la misère; il a imposé silence à l'indignation que pouvaient exciter toutes ces lâches persécutions; et ce n'est pas le moindre prodige de la révolution, que ce calme profond qui règne dans une ville immense, malgré tous les moyens qu'ils emploient chaque jour pour exciter eux- mêmes quelque mouvement favorable à leurs vues perfides. C'était là encore un des principaux points de la politique de La Fayette, de provoquer lui-même quelques troubles pour effrayer l'Assemblée nationale et tous les gens paisibles, et pour les imputer ensuite aux patriotes. Or, ils savent encore imiter en cela ce conspirateur, leur ancien ami, et peut-être plus près de l'être encore qu'on ne le pense.
Mais la tranquillité publique les irrite; ils n'en sont que plus ardents à calomnier les Français de Paris; et ce cri séditieux, par lequel l'un des leurs dans la tribune de l'assemblée nationale osa formellement inviter tous les départements à se liguer contre Paris, est tous les jours répété de mille manières différentes dans toute l'étendue de la république,
Ah! du moins les aristocrates, même les plus décriés de l'assemblée constituante, convenaient qu'on pouvait vivre paisiblement à Paris, même en insultant à la révolution. J'ai vu l'abbé Mauri et ses pareils, après avoir blasphémé contre le peuple, s'étonner de la sécurité avec laquelle il traversait tous les jours une multitude immense de citoyens qui savaient les apprécier. Et lorsqu'il s'avisait, par hasard, de menacer le peuple assemblé, en lui montrant les pistolets dont il était muni, je l'ai vu rendre hautement justice aux citoyens armés de Paris, qui l'avaient soustrait facilement à la juste indignation qu'il venait de provoquer.
Les intrigants de la république n'ont pu parvenir encore à exciter ces marques du mépris public, dont ils paraissent assez jaloux. Le zèle inquiet du patriotisme ne forme même plus, dans les lieux voisins de la salle, ces groupes nombreux tant calomniés par les ennemis de la révolution; et ils n'ont pas le désagrément insigne de rencontrer des citoyens assemblés sur leur passage. N'importe, ils ne cessent d'entretenir la France entière des périls épouvantables auxquels leurs personnes sacrées sont exposées. Combien l'abbé Mauri doit paraître aimable aux parisiens, auprès de tels républicains qui occupent chaque jour la tribune nationale!
La Fayette et ses amis avaient bien imaginé de s'environner quelquefois d'un plus épais bataillon de gardes nationales parisiennes, sous le prétexte de garder les représentants de la nation. Mais ils ne s'avisèrent jamais de créer pour eux une maison militaire, et des gardes du corps attachés au service des députés. Jamais ils ne songèrent à appeler à eux les départements, pour les défendre contre Paris. Tous ces tyrans constitutionnels étaient des princes débonnaires en comparaison des petits tyrans de la république. Sans doute, les personnes de ces derniers sont d'une bien autre importance que celles des législateurs précédents, et ce serait manquer à l'espèce humaine toute entière de confier ce dépôt sacré à une seule cité: il faut que tous les départements français partagent l'honneur de leur conservation; ils se trompent, il faut que ce soit toutes les nations du monde.
Encore s'ils n'étaient que ridicules! mais quelle profonde perversité! Quel mépris de la pudeur et des lois les plus saintes! Voyez comme ils se jouent de la majesté des représentants de la nation française! Comme ils leur présentent aujourd'hui brusquement à sanctionner leur honteux projet; comme ils lui en interdisent ensuite la discussion au moment où ils s'aperçoivent que l'opinion publique en éclaire toute la turpitude, ou que le seul instinct de la probité le rejette. Comptez, si vous le pouvez, tous les petits moyens qu'ils ont en vain tentés pour l'extorquer à la convention nationale. Mais ils savent bien se passer de son aveu, et, tandis qu'ils soumettaient cette question à ses lumières, ils la méprisaient assez pour appeler autour d'elle, à son insu, et contre toutes les lois, des corps d'armée considérables. Ne les craignons pas, ils sont composés de citoyens; mais hâtons-nous de les détromper. Jugez par certaines démarches, jugez, par les discours de certains individus, de l'astuce avec laquelle quelques intrigants cherchent à les égarer. A chaque instant, ils versent dans leurs coeurs tous les poisons de la haine et de la défiance; que ne font-ils pas déjà pour engager des rixes funestes, et souffler le feu de la guerre civile? Ah! Français, qui que vous soyez, embrassez-vous comme des frères, et que cette sainte union soit le supplice de ceux qui cherchent à vous diviser.
Ils veulent qu'on les garde. Quel crime veulent-ils donc commettre?
Ils veulent quitter Paris; ils ne dissimulent plus ce projet; ils ont raison. C'est à eux de réaliser le voeu secret que formaient sans doute ces premiers ennemis de la révolution, que je crois quelquefois avoir outragés en les comparant à eux. Dans le fait, ce n'est point au milieu d'un peuple immense, éclairé, accoutumé à démêler le fil des intrigues, et dont ils sont déjà connus; ce n'est point dans une cité, qui est, pour ainsi dire, le rendez-vous de tous les Français; ce n'est point sous les regards les plus perçants et les plus vastes de l'opinion publique qu'il faut rester, lorsqu'on a quelque trame ténébreuse à ourdir. Paris fut tour à tour l'accueil de l'aristocratie ancienne, du despotisme royal et de la tyrannie constitutionnelle; il serait encore celui de toutes les tyrannies nouvelles. Qu'ils partent donc. Qu'ils cessent de fatiguer la nation par de vaines terreurs, par les misérables artifices qu'ils emploient chaque jour pour parvenir à ce but. Qu'ils partent. Où vont-ils? Dans quelle contrée bien froide, bien inaccessible aux ardeurs du patriotisme ou à la lumière de la philosophie; dans quelle ville bien ignorante ou bien travaillée par leurs manoeuvres, vont-ils exercer leur heureux talent pour la calomnie, pour la fraude et pour l'intrigue? Où vont-ils se cacher pour démembrer l'Etat et pour conspirer contre la liberté du monde?
Plus criminels dans leurs moyens que toutes les factions qui les ont précédés, auraient-ils des vues funestes? Mais quelle différence y a-t-il entre les factions? Les autres se disputaient le fantôme du monarque pour exercer l'autorité sous son nom, ceux-ci veulent régner sous un autre titre; et si, pour conserver la puissance, il leur fallait rétablir un roi, pourraient-ils hésiter? A quoi sert en effet l'empire de la justice et de l'égalité! Il n'est bon que pour le peuple, et quand le peuple est ce qu'il doit être, les ambitieux, les hommes cupides et corrompus ne sont rien.
Aussi les voyez-vous former un parti mitoyen entre l'aristocratie rebelle et le peuple, ou les francs républicains. Observez s'ils ne caressent pas toujours les personnages les plus puissants de la république, si ce ne sont pas ceux-là qu'ils fréquentent, qu'ils favorisent eu toute occasion. Observez si ce n'est pas à eux que se rallient les riches, les corps administratifs, les fonctionnaires publics et les citoyens qui inclinent aux idées aristocratiques, tous ceux même qui jadis suivaient le parti des intrigants auxquels ils ont succédé. Enfin, ils sont les honnêtes gens, les gens comme il faut de la république; nous sommes les sang-culottes et la canaille.
Sont-ils moins puissants que leurs prédécesseurs? Ils le sont beaucoup plus. Ils nous accusent de marcher à la dictature, nous, qui n'avons ni armée, ni trésor, ni places, ni parti; nous, qui sommes intraitables comme la vérité, inflexibles, uniformes, j'ai presque dit insupportables, comme les principes. Mais voyez en quelles mains sont passés tout le pouvoir et toutes les richesses. Le trésor public, toute l'autorité du gouvernement, la disposition de toutes les places qu'il dispense leur a été dévolue; voilà leur liste civile. Ils exercent la puissance royale sous un autre nom. Ils dominent au conseil exécutif; ils dominent au sein de la convention: le bureau, le fauteuil, les comités, la tribune même semblent être devenus leur patrimoine. Parler dans l'Assemblée nationale est moins un droit des représentais du peuple qu'un privilège réservé à leurs amis. Etre soupçonné de vouloir contredire leurs vues, équivaut à la privation du droit de suffrage. La loi, si on n'y prend garde, ne sera plus que leur volonté; et pour lui donner le caractère d'un décret, et l'autorité de la volonté générale, il leur suffira d'entretenir, dans l'assemblée des législateurs du peuple français, un tumulte scandaleux qui favorise toutes les intrigues; de prolonger ou de précipiter avec art la fin des délibérations, et de déployer toutes les ressources que présentent au génie la science sublime de poser la question, et surtout l'art de faire mourir subitement la discussion.
Malheur aux patriotes sans appui, qui oseront encore défendre la liberté! ils seront encore écrasés comme de vils insectes. Malheur au peuple, s'il ose montrer quelque énergie ou quelque signe d'existence! Ile savent le diviser pour l'égorger par ses propres mains, et ils ont soif de son sang. Lorsqu'ils luttaient contre une autre faction, et qu'ils cherchaient à transiger avec la cour, ils étaient forcés à caresser le peuple et à ménager jusqu'à un certain point les patriotes pour intimider leurs adversaires ou pour les combattre; et cette lutte même des ennemis de l'égalité laissait respirer les bons citoyens. Mais aujourd'hui qu'ils sont les maîtres, leur unique affaire est de se défaire des plus intrépides amis de la patrie, et de les accabler du poids de leur toute-puissance. Il est vrai que leur empire, comme celui de leurs devanciers, est fondé sur l'erreur et doit être passager comme elle. J'ajouterai même qu'ils sont déjà connus à Paris, Mais ne vous rassurez pas trop vite. Voyez quelle barrière ils ont élevé entre Paris et les autres parties de la république, et ne perdez pas de vue que leur système est précisément de fuir, d'annuler Paris pour éteindre ce grand fanal qui devait éclairer toute la France, de manière qu'ils semblent s'être ménagés le moyen d'échapper à l'opinion, en se réfugiant dans la confusion qu'ils amènent et dans le chaos de la république bouleversée. Est-il temps d'éclairer encore les citoyens des 82 départements, et d'étouffer les dissensions funestes qu'ils cherchent à exciter? En avez-vous les moyens? Car, ne vous y trompez pas, ce qui semble leur garantir la durée de leur puissance, ce sont les facilités immenses qu'ils se sont ménagées dès longtemps pour propager l'erreur et pour intercepter la vérité. Toutes les trompettes de la Renommée, tous les canaux de l'esprit public sont entre leurs mains; et cette confédération de tant d'écrivains perfides, soutenue par toutes les ressources de la puissance publique, est peut- être la plus redoutable à la liberté que toutes les conspirations de la cour.
Quels moyens nous reste-t-il donc aujourd'hui pour déconcerter leurs funestes projets? Je n'en connais point d'autre, en ce moment, que l'union des amis de la liberté, la sagesse et la patience. Citoyens, ils veulent vous agiter pour vous affaiblir, pour vous déchirer par vos propres mains, et vous rendre ensuite responsables de l'ouvrage même de leur perversité: restez calmes et immobiles. Observez, en silence, leurs coupables manoeuvres; laissez-les se démasquer et se perdre eux-mêmes par leurs propres excès. Un peuple magnanime et éclairé est toujours à temps de réclamer ses droits et de venger ses injures. Eclairez-vous, éclairez vos citoyens autant qu'il est en votre pouvoir; dissipez l'illusion sur laquelle se fonde l'empire de l'intrigue, et il ne sera plus.
Passer la vérité, en contrebande, à travers tous les obstacles que ses ennemis lui opposent; multiplier, répandre, par tous les moyens possibles, les instructions qui peuvent la faire triompher: balancer, par le zèle et par l'activité du civisme, l'influence des trésors et des machinations prodiguées pour propager l'imposture, voilà, à mon avis, la plus utile occupation et le devoir le plus sacré du patriotisme épuré; des aimes contre les tyrans, des livres contre les intrigants; la force pour repousser les brigands étrangers, la lumière pour reconnaître les filous domestiques, voilà le secret de triompher à la fois de tous vos ennemis
* * * * * * * * *
Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours pour s'opposer à la permanence des débats de la Convention sur la mise en jugement de Louis XVI, prononcé à la Convention nationale le 4 décembre 1792 (4 décembre 1792)
(Petion ayant demandé que la Convention nationale restai en permanence tous les jours, depuis dix heures du matin jusqu'à six heures du soir, pour terminer et le jugement de Louis XVI, el la loi sur les émigrés, et celles sur les subsistances, Robespierre paraît à la tribune. Une partie de l'assemblée se lève, et réclame la clôture de la discussion.)
Je demande enfin la parole en vertu de mon droit de représentant du peuple. Vous ne pouvez me la ravir….
(Plusieurs voix: Nous pouvons fermer la discussion.)
Il faut que vous m'entendiez, puisque je vous annonce que j'ai une proposition nouvelle à énoncer: car s'il était décidé qu'il faut venir d'un certain côté, et parler le langage convenu, pour avoir la parole…
(Les murmures continuent dans une partie de l'assemblée; l'autre réclame la parole pour Robespierre.)
Je demande, président, que la dignité de l'assemblée soit maintenue par vous. Je dénonce à la nation ces atteintes continuelles portées à k liberté des suffrages.
(Une voix: Je dénonce le despotisme.de Robespierre.)
Robespierre. Je réclame contre cette intrigue abominable.
(Le tumulte redouble. Des cris s'élèvent: A bas de la tribune! à l'Abbaye!)
Duquesnoy, s'avançant an milieu de la salle. Je demande, président, que vous réprimiez les clameurs de ce côté droit, car il est ressuscité parmi nous.
Plusieurs voix: Et les vôtres.
Thuriot. Je demande que tous les membres qui se permettront des personnalités soient rappelés à l'ordre. Il est temps que toutes les personnalités disparaissent devant l'intérêt général.
(Le président se dispose à consulter l'assemblée sur le point de savoir si Robespierre sera entendu. Robespierre quitte la tribune. Réclamations bruyantes d'une partie de l'assemblée. Murmures des tribunes. Quelques membres demandent la parole contre le président; d'autres: Il faut qu'on entende Robespierre, ou nous n'entendrons personne. L'agitation se fait sentir dans l'assemblée et dans les tribunes.)
Le Président. Si l'on veut faire silence, je maintiendrai la liberté des opinions. Robespierre, vous avez la parole.
(Robespierre traverse la salle au milieu des applaudissements tumultueux des spectateurs et d'une partie de l'assemblée. Il remonte à la tribune. Les applaudissements continuent.)
Robespierre. Citoyens, je vous prie de vouloir me permettre d'exprimer librement ma pensée.
Une voix. Non.
(II s'élève un murmure général.)
Birotteau, Lindon, Rebecqui, plusieurs autres membres, tons ensemble. Consultez donc l'assemblée pour savoir si nous serons obligés d'entendre Robespierre.
Le Président. Je maintiendrai la liberté des opinions.
Robespierre. Je demande à exprimer ma pensée aussi librement…
(Plusieurs voix: Au fait, à la question.)
Robespierre. On me rappelle aux bornes de la question; je dis que ces bornes ne peuvent être que celles que me tracent l'intérêt du salut public et le danger de prolonger le désordre où nous nous trouvons. Je vous dénonce un projet formé de perdre la Convention nationale, en mettant le trouble dans son sein.
(Des applaudissements s'élèvent de tous les côtés.)
Robespierre. Pour que vous jugiez le ci-devant roi, il faut que vous soyez dans un état de délibération calme et digne de vous. Avant de juger le dernier des hommes, il faut être justement pénétré des principes de la justice et de l'intérêt publie. Rien n'est plus contraire à cet intérêt suprême que l'habitude où l'on est d'empêcher sans cesse certains membres d'exprimer librement leurs pensées, desquelles cependant peut dépendre quelquefois la sagesse de vos délibérations. C'est pour vous rappeler ces principes que je suis monté à cette tribune, et ai l'on m'eu conteste le droit, on porte par là même une atteinte à la souveraineté du peuple, en privant du droit de suffrage un seul de ses représentants. Croyez-vous qu'il ne soit pas plus satisfaisant pour vous, et d'un meilleur augure pour le salut public, qu'on vous voie délibérer avec calme, que si l'on voit des orateurs, contre lesquels des préventions perfides ont été suscitées par l'ignorance et la calomnie, être arrêtés à chaque instant par des chicanes plus dignes du palais que des fonctions augustes que vous êtes appelés à remplir?
(Applaudissements d'une partie des membres et des spectateurs.)
Robespierre. Mon devoir est donc de me plaindre de la violation plusieurs fois répétée, qui a été faite en ma personne, du droit de représentant, par des manoeuvres multipliées, et je dénonce l'intention où l'on paraît être de mettre le trouble dans l'assemblée, en faisant opprimer une partie par l'autre.
(Mêmes applaudissements des tribunes. Le président leur ordonne le silence.)
Robespierre. Aujourd'hui plusieurs mesures fatales au bien public sont sorties de ce tumulte. Si on avait écouté des explications nécessaires, qui auraient en même temps contribué à diminuer les préventions et les méfiances, on aurait peut-être adopté une mesure grande, qui aurait honoré la Convention: c'était de réparer l'outrage fait à la souveraineté nationale par une proposition qui supposait qu'une nation avait le droit de s'asservira la royauté. Non. C'est un crime pour une nation de se donner un roi.
(On applaudit. Quelques voix: Ce n'est plus la question.)
Robespierre. Ce qu'il m'a été impossible de proposer dans le tumulte, je le propose dans le calme de l'assemblée nationale, réfléchie et pensant aux intérêts de la patrie. Je demande que d'abord il soit décrété en principe que nulle nation ne peut se donner un roi.
(II s'élève quelques murmures. Une voix: Le renvoi au congrès général des nations!)
Robespierre. Je dis que l'assemblée a perdu la plus belle occasion de poser, sinon par un décret au moins par une déclaration solennelle, la seule borne qui convienne au principe trop illimité, et souvent mal entendu, de la souveraineté des peuples. Vous voyez que la sagesse des délibérations tient plus que vous ne pensez au calme des discussions.
C'est ainsi que tout-à-l'heure vous alliez, dans le tumulte et sans m'entendre, porter un décret qui aurait l'influence la plus funeste sur le jugement du ci-devant roi. En effet, la question ne peut plus être pour des Français libres, pour des hommes sincèrement, profondément pénétrés de l'horreur de la tyrannie; elle ne peut plus être de savoir si nous nous tiendrons en séance permanente pour juger Louis Capet; car cette permanence pourrait produire de funestes longueurs; la lassitude amènerait une décision fatale. Quelle est donc la mesure que vous devez prendre? C'est de juger sur-le-champ, sans désemparer. Remarquez bien que cette question, qui ne vous paraît qu'une question minutieuse de forme, aura cependant une influence nécessaire sur le sort de Louis XVI; car votre décision sur ce point entraînera la question de savoir si Louis XVI doit être jugé en vertu de l'insurrection, ou s'il faut lui faire un procès d'après les règles ordinaires.
(On observe qu'il a été décidé que Louis XVI serait jugé.)
Robespierre. Il ne faut pas s'envelopper d'une équivoque. L'assemblée n'a pas décrété qu'il y aurait un procès en forme; seulement elle a décidé qu'elle prononcerait elle-même le jugement ou la sentence du ci-devant roi. Je soutiens que, d'après les principes, il faut le condamner sur-le-champ à mort, en vertu d'une insurrection.
(Un mouvement d'approbation se manifeste dans les tribunes. Des murmures se font entendre dans une grande partie de l'assemblée.)
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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours pour appuyer la projet de décret du bannissement des tous les Bourbons de la république, prononcé au Club des Jacobins le 16 décembre 1792 (16 décembre 1792)
(La proposition de bannir tous les Bourbons, faite à la Convention par
Buzot et appuyée par Louvet, fut vivement combattue aux Jacobins par
Camille Desmoulins. Robespierre monta à la tribune ensuite.)
Camille Desmoulins vous a entretenus de l'astuce des ennemis de la liberté; mais je crois qu'il ne les a pas pénétrés dans toute leur profondeur. Il m'a été impossible de me trouver à la Convention aujourd'hui; mais je déclare que si je m'y étais trouvé, j'aurais voté pour la motion de Louvet. Elle est conforme aux principes, et la conduite de Brutus est applicable à notre position actuelle. J'avoue que la maison d'Orléans a montré beaucoup de patriotisme. Je ne m'oppose aucunement à la reconnaissance que l'on doit à cette famille; mais quels que soient les membres de la ci-devant famille royale, ils doivent être immolés à la vérité des principes. La nation peut-elle s'assurer que tous les membres de cette famille seront invariablement attachés aux principes? Je suis loin d'accuser ceux de ses membres qui semblent avoir été accusés ce matin par le parti aristocratique; je ne les crois d'aucune faction: mais nous devons tenir aux principes. Or, tels sont les nuages répandus sur les caractères, que nous ne pouvons pas connaître le but direct de la maison d'Orléans. Les patriotes ont paru défendre le citoyen Egalité, parce qu'ils ont cru la cause des principes attachée à la cause d'Egalité. Et une chose bien certaine, c'est que les patriotes n'ont jamais eu de liaisons avec la maison d'Orléans, et que ceux qui ont provoqué ce décret ont les plus grandes liaisons avec cette maison. Comment se fait-il que Pétion, qui est de la faction Brissotine, qui est évidemment l'ami d'Egalité, se soit déclaré contre lui? Voilà matière à réflexions. Comment se fait-il que Sillery, confident de la maison d'Orléans n'abandonne pas la société de Brissot et de Pétion? Comment se fait-il que les patriotes qui ont défendu d'Orléans n'ont jamais eu aucune liaison avec la maison d'Orléans? Comment se fait-il que d'Orléans ait été nommé député à la Convention par ceux qui ont des liaisons avec Brissot? Comment se fait-il que Louvet ait cherché à accréditer le bruit que nous voulions élever d'Orléans à la royauté? Comment se fait-il que Louvet, qui sait fort bien que, dans l'assemblée électorale, j'ai voté contre Egalité, ait répandu dans ses libelles que je veux donner la couronne à d'Orléans?
Voici les conséquences que je tire de tout cela: c'est que la motion faite ce matin n'a été qu'une comédie, comme beaucoup d'autres: c'est que cette motion cache un piège où l'on voulait entraîner les patriotes. Le but de cette faction est de se donner un air républicain; et, pour arriver à ce but, elle veut nous imputer tous les projets qu'elle médite elle-même. Le but de cette faction, c'est de jeter dans les esprits un peu crédules les alarmes que répandent quelques mots dont elle se sert. On a parlé de dictature; on a vu que cette calomnie ne faisait pas fortune; en conséquence, on veut faire mouvoir un autre ressort: on veut nous appeler la faction orléaniste. Le but des Brissotins est d'anéantir le peuple en faisant alliance avec un tyran, quel qu'il soit. Cette observation peut répandre quelques lumières. Quant à moi, j'avais depuis longtemps le projet de demander l'exil d'Egalité et de tous les Bourbons; et cette demande n'est point inhumaine comme on vous l'a dit, car ils peuvent se réfugier à Londres, et la nation peut pourvoir d'une manière honorable à la subsistance de la famille exilée. Ils n'ont point démérité de la patrie; leur exclusion n'est point une peine, mais une mesure de sûreté, et si les membres de cette famille aiment, non pas les Brissotins, mais les véritables principes, ils s'honoreront de cet exil, car il est toujours honorable de servir la cause de la liberté; car son exil ne durerait sûrement que pendant les dangers de la patrie, et elle serait rappelée lorsque la liberté aurait été raffermie.
Actuellement voici les dangers de la motion de Louvet. Le but de cette motion est de chasser de la .Convention les meilleurs patriotes; car après avoir chassé Egalité, on voudra encore en chasser d'autres; et lorsqu'ils auront empoisonné l'opinion publique, ils leur sera facile de faire renvoyer les vrais patriotes et les vrais amis du peuple, jusqu'à ce qu'ils restent seuls maîtres du champ de bataille. Déjà ils ont posé en principe que dès qu'une fois le nom d'un homme pouvait alarmer ses concitoyens, on pouvait le chasser par la voie de l'ostracisme. Bois-Guyon a soutenu ces principes dans la Chronique de Paris, Louvet les a développés dans ses libelles contre moi; mais, je le déclare, toutes ces raisons ne doivent point nous empêcher de voter pour les principes de Buzot; je déclare que si les conséquences de ces principes pouvaient s'appliquer un jour contre les amis de la liberté, contre moi-même, je m'y soumettrais avec joie, et je consentirais volontiers à un exil pour le bien de ma patrie; je vivrais heureux dans cet honorable exil, pourvu que je pusse y trouver un asile obscur contre les: persécutions des Brissotins.
J'invite donc mes collègues à voter pour le projet de décret présenté par Buzot; je les invite en même temps à s'opposer aux conséquences que les Brissotins veulent en tirer contre les meilleurs amis du peuple.
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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours sur la nécessité d'instituer un pouvoir plus unitaire et plus actif que celui du conseil exécutif, prononcé à la Convention nationale le 30 mars 1793 (30 mars 1793)
Je demande à parler sur les nouvelles des armées. Citoyens, les nouveaux événements dont vous venez de recevoir la nouvelle ne doivent pas nous étonner. Pour moi, je suis loin de me décourager de la marche rétrograde de notre armée. Quelque affligeant qu'il soit de voir les courageux Liégeois abandonnés à la merci des tyrans dont nous les avons délivrés, il n'est pas pour des hommes de revers réels. Nous irons à l'ennemi, nous terrasserons encore une fois les tyrans qui veulent attenter à notre liberté. Mais il faut que l'ardeur guerrière des défenseurs de la patrie soit secondée par la sagesse et le courage des représentants de la nation. Pour moi, j'avoue que mes notions en politique ne ressemblent en rien à celles de beaucoup d'hommes. On croit avoir tout fait en ordonnant qu'il serait fait un recrutement dans toutes les parties de la république, et moi je pense qu'il faut encore un régulateur fidèle et uniforme de tous les mouvements de la révolution. Je ne doute pas du courage de nos soldats, personne ne doit en douter; mais comment veut-on que cette ardeur se soutienne, si les soldats voient à leur tête des chefs coupables et impunis? Je ne vois pas que l'on se soit encore occupé de tel officier, dont la trahison n'a été justifiée par personne. Vous avez entendu vos commissaires vous dire que, lors de la dernière action, la plupart des officiers avaient abandonné leur poste. Vous avez entendu vous dénoncer celui qui a dit à Dumouriez: "Je n'aime pas la république, mais je combattrai pour vous." Vous avez entendu vous dénoncer celui qui disait: "Si la neutralité venait à être rompue entre la France et l'électeur palatin, il ne faudrait pas me laisser dans cette armée, car, sujet de l'électeur, je ne pourrais répondre de moi." Stengel, enfin, est convaincu de trahison, et le décret d'accusation n'est pas encore porté contre lui! Quels succès pouvons-nous attendre, si nous pardonnons de pareils attentats? Quant à Dumouriez, j'ai confiance en lui, par cette raison qu'il y a trois mois il voulut entrer dans la Hollande, et que, s'il eût exécuté ce plan, la révolution était faite en Angleterre, la nation serait sauvée et la liberté établie.
Dumouriez n'a eu jusqu'ici que des succès brillants, et qui ne me sont pas à moi une caution suffisante pour prononcer sur lui. Mais j'ai confiance en lui, parce que son intérêt personnel, l'intérêt de sa gloire même est attaché au succès de nos armes; mais n'est-il pas prouvé que, dans l'affaire d'Aix-la-Chapelle, la république a été trahie par des officiers qui n'étaient pas à leur poste, par ceux surtout qui se font rendus coupables de faits dénoncés par vos commissaires? Je demande enfin que Stengel soit mis en état d'accusation; s'il a fui, que ses biens soient confisqués, et que la conduite des autres officiers soit examinée.
Ce n'est pas assez d'attacher ses regards sur un fait isolé, sur un individu. En examinant l'ensemble, la marche de la révolution, ou trouve que la même cause enfante tous nos maux; je veux dire l'indulgence coupable que l'on a toujours eue pour les ennemis du bien public. Il est difficile de concevoir comment des hommes à qui l'honneur de réformer le monde semble être réservé tremblent devant un ancien aristocrate; je ne sais par quelle fatalité la loi ne peut atteindre encore un ci-devant noble, un riche même; mais je dis que tant que les traîtres seront impunis, la nation sera toujours trahie. Il ne suffit pas de remporter des victoires éclatantes, il faut faire la guerre avec vigueur, avec audace même; il faut la finir bientôt. La guerre ne peut pas être longue; il est un terme aux dépenses énormes d'une nation généreuse, et ce terme ne peut pas être éloigné. Il faut que cette campagne finisse la guerre, il faut que tous les despotes soient renversés, et la liberté établie sur les débris de toutes les aristocraties; pour cela, il faut des représentants du peuple fermes et plein d'énergie: sans cela, nous ne verrons que troubles dans l'intérieur, et nous n'aurons au dehors que des succès brillants. Nous verrons peut-être même s'établir le système de nous donner alternativement des revers et des succès, jusqu'à ce que l'épuisement de nos forces et de nos richesses nous entraîne dans l'abîme. Tout vous commande donc de jeter un oeil vigilant sur l'armée; voyez ce qui se passe autour de nous: déjà à Lyon l'aristocratie relève une tête insolente, et à Montpellier les patriotes sont opprimés et désarmés par l'ordre despotique d'un directoire oppresseur. Les exemples des persécutions se multiplient contre les plus chauds amis de la liberté.
Tandis que le patriotisme de nos braves frères d'armes porte la terreur au dehors, au dedans il est abattu per les coups de l'aristocratie. Je vous conjure, au nom de la patrie, de changer le système actuel de notre gouvernement; et, pour cela, il faut que l'exécution des lois soit confiée à une commission fidèle, d'un patriotisme épuré; une commission si sûre, que l'on ne puisse plus vous cacher ni le nom des traîtres ni la trame des trahisons. Eh quoi! citoyens, si Lacroix et Danton n'étaient pas venus vous instruire, vous seriez encore dans l'ignorance profonde des circonstances qui ont accompagné l'affaire d'Aix-la-Chapelle! Rappelez-vous le contraste de ce que Lacroix vous a dit avec les lettres que les généraux ont écrites au ministre de la guerre.
La veille de l'arrivée des commissaires, nous étions enivrés de la conquête de la Hollande; nous ne rêvions que succès: un mot de vos commissaires dissipa ce prestige, et fit connaître l'austère vérité. Ce mélange de bonnes et de mauvaises nouvelles ressemble parfaitement à ce qui arrivait dans l'ancien régime, et quand Lafayette commandait nos armées. Il importe donc de nous défier de tout ce qui ne porte pas un caractère de patriotisme marqué.
Il nous faut un gouvernement dont toutes les parties soient rapprochées. Il existe entre la Convention et le conseil exécutif une barrière qu'il faut rompre, parce qu'elle empêche cette unité d'action qui fait la force du gouvernement. Voyez ce qui se passe à Londres; voyez avec quelle promptitude s'exécutent toutes les résolutions du gouvernement britannique. C'est que toutes les autorités, divisées en apparence, se réunissent en effet contre la liberté française.
Chez nous, au contraire, le conseil exécutif, presque isolé, ne communique avec vous non pas seulement par les moyens des comités, mais par celui de tel ou tel individu plus intimement lié à telle ou telle partie du ministère. Les comités se saisissent d'une affaire; sur leur rapport, vous prenez des décisions précipitées. Ainsi, vous avez déclaré la guerre tantôt à un peuple, tantôt à un autre, sans avoir consulté quels étaient vos moyens de soutenir vos résolutions: ainsi, la Convention marche sans se rendre compte de ce qu'elle a fait et de ce qu'elle a à faire. Et c'est ici, citoyens, que j'appelle toute votre attention. Ne conviendrez-vous pas que, placés par votre organisation même au centre de l'Europe politique, au centre de tous les peuples qui veulent être libres, vous deviez vous assurer les moyens de communiquer avec eux et d'exciter ces mouvements que le despotisme a su employer si habilement? Ne conviendrez-vous pas que vous devez employer quelque chose de cet art dont il se sert pour diviser ses ennemis? Qu'est-il résulté des opérations politiques de votre cabinet? quels ennemis a-t-il écartés? quels alliés vous a-t-il faits, même parmi les peuples qui paraissaient être portés pour vous?…
Ce qu'il en est résulté, c'est que tous les gouvernement» vous ont tour à tour déclaré la guerre; que tour à tour ils ont fait des démarches que vous avez réputées hostiles; que, dans aucun pays étranger, il ne s'est fait un mouvement en votre faveur. Quels sont donc les résultats visibles des opérations invisibles d'un ministre dont vous n'avez jamais envisagé la conduite? Une calomnie perpétuelle contre la révolution, l'envoi avec profusion, dans tous les pays, de libelles où les principaux événements de notre révolution étaient dénaturés, et dont l'effet était d'aliéner l'opinion des peuples et de dénigrer les hommes qui ont le plus combattu pour la liberté. Voyez ce qui se dit, ce qui se fait chez l'étranger; voyez ce qui se dit, ce qui se fait parmi nous: le même esprit anime et nos ennemis et nos agents; ils suivent tous le même système. Ici, j'articule un fait qui ne pourra être nié: c'est qu'il a existé parmi les agents français auprès des puissances étrangères une opposition constante à la réunion des peuples à notre république, et que ceux qui l'ont opérée ont eu à lutter contre la volonté de ceux qui étaient chargés de la protéger. J'affirme que Dumouriez proposa, il y a trois mois, l'invasion de la Hollande, et qu'elle fut toujours repoussée par le comité diplomatique; interrogez là-dessus les patriotes bataves, ils vous diront que, pendant ce délai, on a donné le temps à l'intrigue de se développer, et aux despotes de se rassembler. Et comment auriez-vous pu prendre des mesures justes à cet égard, lorsque vous ignoriez les faits?
J'ai été amené à développer ces idées par cette conviction intime, que tout le mal vient de ce que nous n'avons pas un gouvernement assez actif. Je conclus à ce que beaucoup de réformes soient faites dans cette partie, parce que c'est la plus grande mesure de salut public que vous puissiez prendre, et que sans elle vous irez toujours de révolution en révolution, et vous conduirez enfin la république à sa perte.
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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours contre le comité de sûreté générale, et en particulier contre Brissot, prononcé à la Convention nationale le 3 avril 1793 (3 avril 1793)
Citoyens, dans ce moment-ci je me dois à moi-même, je dois à la patrie une profession de foi. Nommé membre du comité de défense générale, mais convaincu que les principes qui doivent sauver la patrie ne peuvent pas y être adoptés, je déclare que je ne me regarde plus comme faisant partie de ce comité. Je ne suis pas bien convaincu qu'un système où la royauté serait combinée avec une sorte de constitution aristocratique déplairait à certains membres de ce comité; je ne suis pas bien convaincu qu'un pareil système ne conviendrait pas à certaines gens qui, quelquefois, parlent de patriotisme, mais qui nourrissent et conservent dans leur âme une haine profonde pour l'égalité. Je ne veux pas délibérer avec ceux qui ont parlé le langage de Dumouriez, avec ceux qui ont calomnié les hommes à qui maintenant Dumouriez déclare une guerre implacable, avec ceux qui, à l'exemple de Dumouriez, ont calomnié Paris et la portion de l'assemblée vraiment amante de la liberté.
S'il ne m'est pas donné de sauver la liberté, je ne veux pas du moins être le complice de ceux qui veulent la perdre; je ne veux pas être membre d'un comité qui ressemble plutôt à un conseil de Dumouriez qu'à un comité de la Convention nationale.
(Murmures à la droite de la tribune.)
Robespierre. J'invoque à l'appui de ce que je dis le témoignage de Dumouriez lui-même, car, dans une de ses lettres, il a dit que le comité dont je parle était excellent, à l'exception de six membres: or, ces six membres, dont je m'honore de faire partie, ne peuvent obtenir la majorité; enfin, je ne veux pas être d'un comité dont la plupart des membres poursuivent avec acharnement les patriotes, tandis qu'ils gardent le silence sur les crimes de nos généraux.
Je ne puis vous dissimuler ma surprise de voir que ceux qui, depuis le commencement de la dernière révolution, n'ont cessé de calomnier ce côté (désignant le côté gauche) qui fut et qui sera toujours la patrie de la liberté, soient restés muets sur les crimes de Dumouriez, et qu'il n'y ait que nous, tant calomniés, qui ayons élevé la voix sur les perfidies de ce traître.
Brissot. Je demande la parole après Robespierre.
Robespierre. Pour étouffer la voix de la vérité dans les moments critiques pour le salut public, on a coutume d'amollir le courage des patriotes par certaines idées de réunion qu'on a l'adresse de jeter en avant; mais moi, je fais profession de croire que l'amour seul de la liberté doit réunir les hommes, et je me défie de ces protestations brusques faites dans des moments critiques où l'on croit avoir besoin de feindre un rapprochement que l'on est bien loin de désirer: je me défie de ceux qui, dans des moments critiques, m'ont tendu la main, et qui, le lendemain, m'ont calomnié. Et, puisque Brissot demande la parole pour me foudroyer, je vais faire sur Brissot l'application de ce que je viens de dire. Je ne veux point sacrifier la patrie à Brissot, et, Brissot eût-il la confiance de cette assemblée, je déclare que si j'avais des faits certains à alléguer contre lui, je ne balancerais pas un moment à le démasquer.
J'applique à Brissot le principe que j'ai avancé.
J'ai dit que je ne voulais point délibérer avec les amis de Dumouriez: eh bien! Brissot a été et est encore l'intime ami de Dumouriez; c'est l'histoire de Dumouriez à la main que je veux le juger. Brissot est lié à tous les fils de la conspiration de Dumouriez. Je déclare qu'il n'y a pas un homme de bonne foi, qui ait suivi la vie politique de Brissot, qui puisse ne pas être convaincu de ce que j'avance.
Je déclare qu'il n'y a pas une seule circonstance où Brissot n'ait pris la défense de Dumouriez. Le système de Dumouriez a été de nous engager dans une guerre funeste et périlleuse, afin de la faire tourner contre la liberté. Dumouriez et Brissot furent les premiers à proposer la guerre contre l'Autriche. Et remarquez que nous leur disions: Avant de déclarer la guerre à l'Europe, abattez la cour et remplacez vos généraux. Que nous répondait-on? On excusait la cour; on nous disait que dire du mal de Lafayette et des généraux, c'était troubler la discipline militaire, c'était se déclarer les ennemis de la patrie; on nous montrait tous les peuples, et principalement la Belgique, disposés à venir au devant des Français, et on nous faisait voir l'étendard de la liberté flottant sur le palais des rois.
Cependant cette guerre commença par des revers, et, malgré cela, on protégeait les généraux, et on les investissait d'un pouvoir dictatorial sur la motion des chefs de parti, ennemis jurés des patriotes.
Après l'époque du 10 août, nous étions cernés de despotes qui avaient juré la perte de la liberté, et qui avaient combiné leurs projets avec les ennemis de l'intérieur; au mois de septembre, nous apprîmes la prise de Verdun et que l'ennemi se portait sur Paris: personne jusqu'alors n'avait donné avis de son approche. Cependant quels étaient les ministres? C'étaient ceux qu'avait fait nommer Brissot. Quels étaient les membres qui composaient la commission des Vingt-et-Un? Brissot et ses partisans. Et ces ministres, nommés par Brissot, vinrent proposer à l'assemblée d'abandonner Paris avec le roi et sa famille, qui étaient alors au Temple! Et si un autre ministre, qui n'est pas du parti Brissot, n'était venu apprendre au peuple ce que lui cachaient les hommes qui le dirigeaient; si la France ne s'était pas levée en masse, les ennemis seraient venus à Paris, et la république serait anéantie!
Dumouriez fut alors nommé pour commander l'armée qu'avait abandonnée Lafayette, et ce furent Brissot et ses partisans qui le portèrent à cette place. Je ne sais ce qu'eut fait Dumouriez, si la France ne s'était levée tout entière; mais ce que je sais, c'est que Dumouriez conduisit poliment le roi de Prusse aux frontières; ce que je sais, c'est que l'armée française était furieuse de voir échapper les ennemis, quand elle eut pu les écraser; ce que je sais, c'est que Dumouriez se montra aussi respectueux envers le monarque prussien, qu'il se montre maintenant insolent envers les représentants du peuple français; enfin, ce que je sais, c'est qu'il ravitailla l'armée ennemie lorsqu'elle était prête à périr de misère et de faim.
Dumouriez, au lieu d'exterminer les Prussiens, qui s'étaient si imprudemment engagés dans le coeur même de la France, vient à Paris. Après avoir passé quelques jours avec les détracteurs des amis de la liberté, dans des festins scandaleux, il va dans la Belgique, où il débute par des succès éclatants pour ceux qui ne l'avaient pas apprécié.
Dumouriez, après avoir établi son empire dans cette partie de la Belgique, part pour la Hollande: s'il fût parti trois mois plus tôt, le succès de cette expédition était assuré. J'ai cru un moment que la gloire retiendrait pendant quelque temps Dumouriez dans les bornes de ses devoirs, et qu'il n'attenterait à la liberté de son pays qu'après avoir abattu les despotes conjurés contre elle; alors Dumouriez, dont les projets auraient été à découvert, me paraissait facile à renverser.
Dumouriez, après s'être emparé de quelques places de la Gueldre, se découvre tout à fait, et, tandis que tout était arrangé pour évacuer la Belgique, les généraux allemands, en partie donnés par Brissot, qui commandaient l'armée devant Maëstricht, nous trahissent. Si l'on ose nier ces faits, j'en donnerai des preuves plus authentiques.
A son retour de la Gueldre, Dumouriez se plaint-il d'avoir été trahi? Non. Il jette au contraire un voile sur tous les faits: il fait l'éloge des généraux; il loue Miranda et Lanoue, généraux très connus par leur incivisme; il impute tous nos malheurs aux soldats; il veut persuader à la France que ses armées ne sont composées que de lâches et de voleurs. Nos revers se succèdent. Il donne une bataille, il la perd; il en accuse l'aile gauche de son armée, qui, dit-il, a plié; mais cette aile gauche était commandée par Miranda, par son ami, et l'on doit se rappeler que Dumouriez disait à son armée: "Ne vous découragez pas; surtout ayez confiance en vos généraux: ils sont mes élèves, ils sont mes amis."
Dumouriez avait établi l'aristocratie dans la Belgique, eu réintégrant les officiers municipaux destitués par vos commissaires; Dumouriez avait fait des emprunts énormes; Dumouriez s'était emparé du trésor public, après en avoir fait emprisonner les gardiens: Dumouriez avait assuré sa fortune et sa trahison; ensuite il déclare la guerre à la Convention nationale; il distingue deux partis qui la composent: l'un qui est subjugué (et Brissot doit se ranger dans ce parti ) et l'autre qui domine.
Dumouriez dit qu'il vient protéger ce parti, qu'il dit être opprimé; il dit que Paris donne la loi à la nation, et qu'il faut anéantir Paris, et c'est dans ce moment que nous délibérons, et que l'on me fait un crime de penser que Dumouriez a ici des partisans, et que ces partisans sont les hommes qu'il veut protéger! On m'en fait un crime, lorsqu'ils tinrent toujours un langage qui devrait les faire reconnaître! on m'en fait un crime, lorsqu'ils firent tout pour se partager la puissance! on m'en fait un crime, lorsque les Anglais, accusés d'avoir des partisans dans cette enceinte, menacent nos côtes! enfin, l'on m'en fait un crime, lorsque Dumouriez s'efforce de décourager la nation, en lui disant que les troubles qui nous agitent nous mettent dans l'impossibilité de résister aux ennemis extérieurs, en même temps que nous réduirons les révoltés de l'intérieur; lorsque Dumouriez méprise la nation au point de dire qu'elle n'a plus d'autre parti à prendre que de transiger avec les ennemis! Et il se propose pour médiateur, lorsqu'il propose de diviser son armée et de marcher avec une partie sur Paris….
Voilà une partie de mes doutes; voilà la source dans laquelle nous devons puiser les moyens de sauver la liberté. Sauver la liberté!… Mais la liberté peut-elle se sauver, lorsque les amis du roi, lorsque ceux qui ont pleuré la perte du tyran, et qui ont cherché à réveiller le royalisme, paraissent nos protecteurs, paraissent les ennemis de Dumouriez, lorsqu'il est évident à mes yeux qu'ils "ont ses complices.
Voilà mes faits: ils ne convaincront que les hommes de bonne foi, mais je déclare que lorsque Dumouriez est d'intelligence avec l'homme que j'ai nommé, et avec tous ceux…..
(Quelques voix: Nommez-les donc!)
Robespierre. Je ne veux point convaincre les conspirateurs ni les ennemis de la France; je ne veux que dire la vérité, et, quand les hommes que j'ai désignés auront assassiné la liberté et ses défenseurs, on dira qu'au moment où ils allaient exécuter leur complot liberticide, je disais la vérité, et que je démasquais les traîtres.
Je déclare que la première mesure de salut à prendre, c'est de décréter d'accusation tous ceux qui sont prévenus de complicité arec Dumouriez, et notamment Brissot.
(Applaudissements des tribunes.)
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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours contre Dumouriez et
Brissot, prononcé au Club des Jacobins le 3 avril 1793 (3 avril 1793)
Le préopinant vous a annoncé des faits; cela suppose que la société n'est pas instruite des dangers qui nous menacent: il faut savoir que Dumouriez est le général de tous les contre-révolutionnaires de France, de tous le royalistes, de tous les feuillants; il faut savoir qu'il est d'intelligence avec les puissances étrangères; il faut savoir qu'il veut nous forcer de transiger sur notre liberté, et qu'il s'offre pour médiateur; il faut savoir qu'on veut rétablir le despotisme. A qui persuadera-t-on que Beurnonville ait été sérieusement arrêté par Dumouriez? Beurnonville est le premier complice de Dumouriez.
Dumouriez n'a pas sérieusement blâmé Brissot, et ce passage du rapport où il reproche à Brissot de nous avoir suscité la guerre est un piège qu'il a tendu aux commissaires. Dumouriez feint d'être l'ennemi de Brissot, pour faire croire qu'il n'est pas d'intelligence avec la faction Brissot; mais il y a dans ce rapport plusieurs passages qui sont faits pour détourner l'attention des vrais complices de Dumouriez.
On a proposé d'envoyer des courriers. Qui les enverra? La Convention? Alors ces courriers seront dévoués à nos ennemis. On nous propose d'écrire aux sociétés affiliées; croyez-vous que cette mesure puisse être exécutée? Je vous ai dit que le premier plan de contre-révolution était dans le directoire de la poste: tant que la poste sera dans la main de nos ennemis, il est impossible que nous ayons aucune correspondance.
Tandis que nous délibérons, nos ennemis correspondent sans cesse; il faut voir si la Convention n'a pas un bandeau sur les yeux, et si les mesures proposées pour arrêter Dumonriez ne sont pas un piège de la cabale qui veut endormir le peuplé sur le bord de l'abîme. C'est contre les députés patriotes, contre les députés énergiques, contre les Jacobins, contre le peuple de Paris. Quant aux royalistes, aux feuillants, c'est de concert avec eux que Dumouriez vient pour écraser la liberté.
Je suis fondé à croire que je suis un de ceux contre lesquels marche Dumouriez. Que m'importe que Paris ait été calomnié; Paris est le boulevard de la liberté. Comme député de Paris, mon devoir est de l'avertir du complot. Toutes les autorités constituées doivent veiller à la conservation de Paris, ïl faut que les sections, que la municipalité, que le département, soient dans la plus active surveillance.
Il faut lever une armée révolutionnaire; il faut que cette armée soit composée de tous les patriotes, de tous les sans-culottes; il faut que les faubourgs fassent la force et le noyau de cette armée. Je ne dirai pas qu'il faut aiguiser nos sabres pour tuer les calotins; ce sont des ennemis trop méprisables, et les fanatiques ne demanderaient pas mieux pour avoir un prétexte de crier.
Il faut chasser impitoyablement de nos sections tous ceux qui se sont signalés par un caractère de modérantisme; il faut désarmer, non pas les nobles et les calotins, mais tous les citoyens douteux, tous les intrigants, tous ceux qui ont donné des preuves d'incivisme; on a pris ces mesures à Marseille. Dumouriez doit arriver à Paris avant les bataillons de Marseille; voilà pourquoi il précipite ses pas. Paris menacé doit se défendre. Il n'y a personne qui puisse s'opposer à ces mesures sans se déclarer mauvais citoyen.
Le moment est venu de transiger avec les despotes ou de mourir pour la liberté, .l'ai pris mon parti: que tous les citoyens m'imitent. Que tout Paris s'arme, que les sections et le peuple veillent, que la Convention se déclare peuple. Je déclare que tant que la poste restera entre les mains des contre-révolutionnaires, que tant que des journaux perfides, qui font l'éloge de Dumouriez, corrompront l'opinion publique, il n'y aura aucun espoir de salut. Mais le génie de la liberté triomphera; le patriotisme et le peuple doivent dominer et dominer partout!
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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours sur la conspiration tramée contre la liberté, prononcé à la Convention nationale le 10 avril 1793 (10 avril 1793)
(Les sections de Paris venaient journellement dénoncer les Girondins à la barre de la Convention. A l'occasion d'une de ces adresses, Robespierre s'exprima ainsi:)
Une faction puissante conspire avec les tyrans de l'Europe, pour nous donner un roi avec une espèce de constitution aristocratique; elle espère nous amener à cette transaction honteuse par la force des armes étrangères et par les troubles du dedans. Ce système convient au gouvernement anglais, il convient à Pitt, l'âme de toute cette ligne; il convient à tous les ambitieux; il plaît à tous les aristocrates bourgeois, qui ont horreur de l'égalité, à qui l'on a fait peur, même pour leurs propriétés; il plaît même aux nobles, trop heureux de trouver, dans la représentation aristocratique et dans la cour d'un nouveau roi, les distinctions orgueilleuses qui leur échappaient. La république ne convient qu'au peuple; aux hommes de toutes les conditions qui ont une âme pure et élevée, aux philosophes amis de l'humanité, aux sans-culottes, qui se sont on France parés avec fierté de ce titre, dont Lafayette et l'ancienne cour voulaient les flétrir, comme les républicains de Hollande s'emparèrent de celui de gueux, que le duc d'Albe leur avait donné.
Le système aristocratique dont je parle était celui de Lafayette et de tous ses pareils, connus sous les noms de feuillants et de modérés; il a été continué par ceux qui ont succédé à sa puissance. Quelques personnages ont changé, mais le but est semblable, les moyens sont les mêmes, avec cette différence que les continuateurs ont augmenté leurs ressources et accru le nombre de leurs partisans.
Tous les ambitieux qui ont paru jusqu'ici sur le théâtre de la révolution ont eu cela de commun, qu'ils ont défendu les droits du peuple aussi longtemps qu'ils ont cru en avoir besoin. Tous l'ont regardé comme un stupide troupeau, destiné à être conduit par le plus habile ou par le plus fort. Tous ont regardé les assemblées représentatives comme des corps composés d'hommes ou cupides ou crédules, qu'il fallait corrompre ou tromper, pour les faire servir à leurs projets criminels. Tous se sont servis des sociétés populaires contre la cour, et, dès le moment où ils eurent fait leur pacte avec elle ou qu'ils l'eurent remplacée, ils ont travaillé à les détruire. Tous ont successivement combattu pour ou contre les jacobins, selon les temps et les circonstances.
Comme leurs devanciers, les dominateurs actuels ont caché leur ambition sous le masque de la modération et de l'amour de l'ordre; comme leurs devanciers, ils ont cherché à décréditer les principes de la liberté.
Pour mieux y réussir, ils ont même cherché à en faire quelquefois de ridicules applications. Ils ont appelé tous les amis de la patrie des agitateurs, des anarchistes, quelquefois même ils en ont suscité de véritables, pour réaliser cette calomnie. Ils se sont montrés habiles dans l'art de couvrir leurs forfaits, en les imputant au peuple. Ils ont, de bonne heure, épouvanté les citoyens du fantôme d'une loi agraire; ils ont séparé les intérêts des riches de ceux des pauvres; ils se sont présentés aux premiers comme leurs protecteurs contre les sans-culottes; ils ont attiré à leur parti tous les ennemis de l'égalité. Maîtres du gouvernement et de toutes les places, dominant dans les tribunaux et dans les corps administratifs, dépositaires du trésor public, ils ont employé toute leur puissance à arrêter les progrès de l'esprit public, à réveiller le royalisme, et à ressusciter l'aristocratie; ils ont opprimé les patriotes énergiques, protégé les modérés hypocrites; ils ont corrompu successivement les défenseurs du peuple, attaché à leur cause ceux qui montraient quelque talent, et persécuté ceux qu'ils ne pouvaient séduire. Comment la république pouvait-elle subsister, quand toute la puissance publique s'épuisait pour décourager la vertu et pour récompenser l'incivisme et la perfidie?
La faction dominante aujourd'hui était formée longtemps avant la Convention nationale. A la fin de juillet dernier, ils négociaient avec la cour, pour obtenir le rappel des ministres qu'ils avaient fait nommer au mois de janvier précédent. L'une des conditions du traité était la nomination d'un gouverneur au prince royal (il n'est pas nécessaire de dire que le choix devait tomber sur l'un d'entre eux). A la même époque, ils s'opposaient de tout leur pouvoir à la déchéance de Louis, demandée par le peuple et par les fédérés; ils firent décréter un message et des représentations au roi. Ils n'ont rien négligé pour empêcher la révolution du 10 août; dès le lendemain, ils travaillèrent efficacement à en arrêter le cours. Le jour même du 10, ils firent tout ce qui était en eux pour que le ci-devant roi ne fût pas renfermé au Temple; ils tâchèrent de nous rattacher à la royauté, en faisant décréter par l'assemblée Législative qu'il serait nommé un gouverneur au prince royal. A ces faits, consignés dans les actes publics et dans l'histoire de notre révolution, vous reconnaissez déjà les Brissot, les Guadet, les Vergniaud, les Gensonné, et d'autres agents hypocrites de la même coalition.
En même temps, ils n'oublièrent rien pour déshonorer la révolution qui venait d'enfanter la république. Dès le lendemain du 10 août, ils calomniaient le conseil de la commune, qui, dans la nuit précédente, venait de se dévouer pour la liberté, en même temps qu'ils entravaient toutes ses opérations par leurs intrigues et par les décrets qu'ils dictaient à l'assemblée Législative.
Eux seuls recueillirent les fruits de la victoire du peuple; ils s'en attribuèrent même tout l'honneur. Leur premier soin, après l'acte conservatoire du prince royal et de la royauté, fut de rappeler au ministère leurs créatures, Servan, Clavière et Roland. Ils s'appliquèrent surtout à s'emparer de l'opinion publique, ils avaient eu soin de faire remettre entre les mains de Roland des sommes énormes pour la façonner à leur gré. Auteurs ou payeurs des journaux les plus répandus, ils ne cessèrent de tromper la France et l'Europe sur la révolution qui venait de renverser le trône. Ils dénoncèrent chaque jour le peuple de Paris et tous les citoyens généreux qui y avaient le plus puissamment concouru.
Il fallait détruire ce vaste foyer du républicanisme et des lumières publiques; ils s'accordèrent tous à peindre cette immortelle cité comme le séjour du crime et le théâtre du carnage, et à travestir en assassins ou en brigands les citoyens et les représentants dont ils redoutaient l'énergie. Ils cherchèrent à armer contre Paris la défiance et la jalousie des autres parties de la république, et cependant les Prussiens se préparaient à envahir notre territoire (c'était l'époque du mois de septembre 1792). Les dominateurs étaient membres du comité diplomatique, du comité de défense générale; ils dirigeaient le ministère, ils avaient eu d'étroites relations avec la cour, et ils laissaient ignorer à la France entière, au corps Législatif même, les dangers qui nous menaçaient. Les ennemis s'étaient rendus maîtres de Longwi, de Verdun; ils s'avançaient vers Paris, et les dominateurs avaient gardé le silence; ils ne s'occupaient que d'afficher, que d'écrire contre Paris. Notre armée était faible, divisée, mal approvisionnée, et si Paris ne s'était levé tout à coup, si, à son exemple, la France ne s'était pas ébranlée, Brunswick pénétrait sans résistance jusqu'au coeur de l'Etat. Mais ce n'est pas tout, la faction voulait livrer Paris et la France; elle voulait fuir avec l'assemblée Législative, avec le trésor public, avec le conseil exécutif, avec le roi prisonnier et sa famille. Les ministres qu'ils avaient nommés, Roland, Servan, Clavière, Lebrun, parlaient de ce projet aux députés; il fut proposé dans le conseil, et il était adopté, si le ministre de la justice n'en eût empêché l'exécution, en menaçant ses collègues de les dénoncer au peuple, et si Paris ne l'eût fait avorter, en se levant pour écraser les ennemis de la France. Ce projet de fuite est connu des membres de l'assemblée Législative et de plusieurs citoyens; il a été dénoncé à la Convention nationale, et Roland lui-même a été forcé de l'avouer dans sa lettre à la Convention nationale, du [30 septembre 1792].
La Convention nationale était convoquée.
La majorité était pure; mais un grand nombre de représentants, trompés d'avance par les papiers imposteurs dont la faction disposait, apportèrent à Paris des préventions sinistres, qui devaient causer bien des maux, et d'ailleurs ce fut toujours le sort des hommes qui ont des lumières sans probité, ou de la probité sans lumières, d'être les complices ou les jouets de l'intrigue.
Le décret qui déclare la royauté abolie, proposé à la fin de la première séance par un des députés de Paris calomniés, fut rendu avec enthousiasme. Si le lendemain on eût agité l'affaire du tyran, il eût été condamné; et si la Convention, libre de leur dangereuse influence, s'était ensuite occupée du bonheur public, la liberté et la paix seraient maintenant affermies; mais les intrigants, qui n'avaient pu s'opposer à la proclamation de la république, s'appliquèrent à l'étouffer dans sa naissance. En possession des comités les plus importants de l'assemblée Législative, qu'ils firent conserver provisoirement, ils composèrent bientôt les nouveaux à leur gré; ils s'emparèrent du bureau, du fauteuil et même de la tribune. Ils tenaient toujours dans leurs mains le ministère et le sort de la nation. Ils occupèrent sans cesse la Convention nationale de dénonciations contre la municipalité de Paris, contre le peuple de Paris, contre la majorité des députés de Paris. Ils inventèrent, ils répétèrent cette ridicule fable de la dictature, qu'ils imputaient à un citoyen sans pouvoir comme sans ambition, pour faire oublier, et l'affreuse oligarchie qu'ils exerçaient eux-mêmes, et le projet de la tyrannie nouvelle qu'ils voulaient ressusciter. Par là, ils cherchaient encore à dégoûter le peuple français de la république naissante, à arrêter les progrès de notre révolution dans les contrées voisines, en leur présentant la chute du trône comme l'ouvrage d'une ambition criminelle, et le changement de gouvernement comme un changement de maître.
De là ces éternelles déclamations contre la justice révolutionnaire qui immola les Montmorin, les Lessart et d'autres conspirateurs, au moment où le peuple et les fédérés s'ébranlaient pour repousser les Prussiens. Dès ce moment, ils ne cessèrent de remplir les âmes des députés de défiance, de jalousie, de haine et de terreurs, et de faire entendre dans le sanctuaire de la liberté, les clameurs des plus vils préjugés, et les rugissements des plus furieuses passions. Dès lors ils ne cessèrent de souffler le feu de la guerre civile, et dans la Convention même, et dans les départements, soit par leurs journaux, soit par leurs harangues à la tribune, soit par leur correspondance.
Ils étaient venus à bout de reculer par là, pendant quatre mois, le procès du tyran. Quelles chicanes! quelles entraves! quelles manoeuvres employées durant la discussion de cette affaire! Qui peut calculer sans frémir les moyens employés par Roland, les sommes prodiguées par le ministère pour dépraver l'esprit public, pour apitoyer le peuple sur le sort du dernier roi? Avec quelle lâche cruauté les avocats du tyran appelaient des corps armés contre Paris et contre les députés patriotes, dénoncés par eux des assassins et comme des traîtres! Avec quel insolent mépris des lois des corps administratifs, dignes de ces députés, les levaient de leur autorité privée aux dépens du trésor public! Avec quelle perfide audace cette même faction protégeait de toutes parts la rentrée des émigrés, et ce rassemblement de tous les assassins et de tous les scélérats de l'Europe à Paris! Avec quel odieux machiavélisme on emploie tous les moyens de troubler la tranquillité de cette ville et de commencer la guerre civile, sans même dédaigner celui de faire ordonner, par un décret, la représentation d'une pièce aristocratique (l'Ami des Lois), qui avait déjà fait couler le sang, et que la sagesse des magistrats du peuple avait interdite!
A quoi a tenu le salut de la patrie et la punition du tyran? Au courage invincible des patriotes, à l'énergie calme du peuple, éclairé sur ses véritables intérêts, et surtout à la réunion imprévue des fédérés. S'ils avaient conservé les fatales préventions que leur avaient inspirées ceux qui les avaient Appelés, si le bandeau était resté deux jours de plus sur leurs yeux, c'en était fait de la liberté: le tyran était absous, les patriotes égorgés, le fer même des défenseurs de la patrie, égarés, se serait combiné avec celui des assassins royaux; Paris était en proie à toutes lès horreurs, et la Convention nationale, escortée des satellites qu'ils avaient rassemblés, fuyait an milieu de la confusion et de la consternation universelle.
Mais, ô force toute-puissante de la vérité et de la vertu! ces généreux citoyens ont abjuré leurs erreurs; ils ont reconnu avec une sainte indignation les trames perfides de ceux qui les avaient trompés; ils les ont voués au mépris public, ils ont serré dans leurs bras les Parisiens calomniés; réunis tous aux jacobins, ils ont juré avec le peuple une haine éternelle aux tyrans et un dévouaient sans bornes à la liberté. Ils ont cimenté cette sainte alliance, sur la place du Carrousel, par des fêtes civiques où assistèrent tous les magistrats de cette grande cité, avec un peuple généreux que l'enthousiasme du patriotisme élevait au dessus de lui- même. Quel spectacle! comme il console des noirceurs, de la perfidie et des crimes de l'ambition! Ce grand événement fit pencher la balance dans la Convention nationale en faveur des défenseurs de la liberté; il déconcerta les intrigants et enchaîna les factieux. Lepelletier seul fut la victime de son courage à défendre la cause de là liberté, quoique plusieurs patriotes aient été poursuivis par des assassins. Heureux martyr de la liberté, tu ne verras pas les maux que nos ennemis communs ont préparés à là patrie!
Au reste, quelques efforts qu'ils aient faits pour sauver Louis XVI, je ne crois pas que ce soit lui qu'ils voulussent placer sur le trône; mais il fallait lui conserver la vie, pour sauver l'honneur de la royauté qu'on voulait rétablir, pour remplir un des articles du traité fait avec Londres et là promesse donnée à Pitt, comme le prouvent les discours de ce ministre au parlement d'Angleterre. Il fallait surtout allumer la guerre civile par l'appel au peuple, afin que les ennemis qui devaient bientôt nous attaquer nous trouvassent occupés à nous battre pour la querelle du roi détrôné.
La punition éclatante de ce tyran, la seule victoire que les républicains aient remportée à la Convention nationale, n'a fait que reculer le moment où la conspiration devait éclater; les députés patriotes, désunis, isolés, sans politique et sans plan, se sont rendormis dans une fausse sécurité, et les ennemis de la patrie ont continué de veiller pour la perdre.
Déjà ils recueillent les fruits des semences de guerre civile qu'ils ont jetées depuis si longtemps, et la ligue des traîtres de l'intérieur avec les tyrans du dehors se déclare.
On se rappellera ici que ce sont les chefs de cette faction qui, en 1791, prêtèrent à la cour le secours de leur fausse popularité, pour engager la nation dans cette guerre provoquée par la perfidie, déclarée par l'intrigue et conduite par la trahison. Je leur disais alors, aux Jacobins, où ils venaient prêcher leur funeste croisade, où Dumouriez lui-même, coiffé d'un bonnet rouge, venait étaler tout le charlatanisme dont il est doué: "Avant de déclarer la guerre aux étrangers, détruisez les ennemis du dedans; punissez les attentats d'une cour parjure, qui cherche elle-même à armer l'Europe contre vous; changez les états-majors qu'elle a composés de ses complices et de ses satellites; destituez les généraux perfides qu'elle a nommés, et surtout Lafayette, déjà souillé tant de fois du sang du peuple. Forcez le gouvernement à armer les défenseurs de la patrie, qui demandent en vain des armes depuis deux ans; fortifiez et approvisionnez nos places frontières, qui sont dans un dénûment absolu. Faites triompher la liberté au dedans, et nul ennemi étranger n'osera vous attaquer; c'est par les progrès de la philosophie et par le spectacle du bonheur de la France! que vous étendrez l'empire de notre révolution, et non par la force des armes et par les calamités de la guerre. En vous portant agresseurs, vous irritez les peuples étrangers contre vous, vous favorisez les vues des despotes et celles de la cour, qui a besoin de faire déclarer la guerre par les représentants de la nation, pour échapper à la défiance et à la colère du peuple."
Les chefs de la faction répondaient par des lieux communs, pour allumer l'enthousiasme des ignorants; ils nous montraient l'Europe entière volant au devant de la constitution française, les armées des despotes se débandant partout pour accourir sous nos drapeaux, et l'étendard tricolore flottant sur les palais des électeurs, des rois, des papes et des empereurs. Ils excusaient la cour, ils louaient les ministres, et surtout Narbonne; ils prétendaient que quiconque cherchait à inspirer la défiance contre les ministres, contre Lafayette et contre les généraux, était un désorganisateur, un factieux qui compromettait la sûreté de l'Etat.
En dépit de toutes leurs intrigues, les jacobins résistèrent constamment à la proposition qu'ils leur firent de prononcer leur opinion en faveur de la guerre; mais tel était le prix qu'ils attachaient à consacrer les projets de la cour par la sanction des sociétés populaires, que le comité de correspondance de cette société, composé de leurs émissaires, osa envoyer, à son insu, une lettre circulaire à toutes les sociétés affiliées, pour leur annoncer que le voeu des jacobins était pour la guerre; ils portèrent même l'imprudence jusqu'à dire que ceux qui avaient combattu ou embrassé l'opinion contraire l'avaient solennellement abjurée. Ce fut par ces manoeuvres que l'on détermina les patriotes même de l'assemblée Législative à voter comme le côté droit et comme la cour
Le prix de cette intrigue fut l'élévation de la faction au ministère, dans la personne de Clavière, Roland, Servan et Dumouriez.
Nos prédictions ne tardèrent pas à s'accomplir. La première campagne fut marquée par des trahisons et par des revers, qui ne furent, pour la cour et pour Lafayette, que de nouveaux prétextes pour demander des lois de sang contre les plus zélés défenseurs de la patrie, et un pouvoir absolu, qui leur fût accordé sur la motion des chefs de la faction, et particulièrement des Guadet, des Gensonné. Dès ce temps-là, tous ceux qui osaient soupçonner les généraux et la cour furent dénoncés comme des agitateurs et des factieux. On se rappellera avec quel zèle les mêmes hommes défendaient, divinisaient le ministre Narbonne, avec quelle insolence ils outrageaient l'armée et les patriotes.
Bientôt tous nos généraux nous trahirent à l'envi. Une invasion dans la Belgique ne produisit d'autre effet que de livrer ensuite nos alliés à la vengeance de leur tyran, et d'irriter les étrangers contre nous, par l'infâme attentat du traître Jarri, qui n'a pas même été puni. Nos places fortes étaient dégarnies; notre armée divisée par les intrigues des états-majors, et presque nulle; tous les chefs s'efforçaient à l'envi de la royaliser, la ligue des tyrans étrangers se fortifiait; l'époque du mois d'août ou de septembre était destinée pour leur invasion, combinée avec la conspiration de la cour des Tuileries contre Paris et contre la liberté. C'en était fait de l'une et de l'autre, sans la victoire remportée par le peuple et les fédérés, le 10 août 1792; et lorsqu'au commencement du mois de septembre suivant, Brunswick, encouragé sans doute par la faction, osa envahir le territoire français, vous avez vu qu'ils ne songeaient qu'à abandonner et qu'à perdre Paris.
Mais, en dépit de tous les factieux hypocrites qui s'opposaient à cette insurrection nécessaire, Paris se sauva lui-même. Dumouriez était à la tête de l'armée. Auparavant Brissot avait écrit de lui, qu'après Bonne-Carrère, Dumouriez était le plus vil des hommes. Dumouriez avait répondu, par écrit, que Brissot était le plus grand des fripons, sans aucune espèce de réserve. Il avait affiché que la cause du courroux que la faction affectait contre lui était le refus qu'il avait fait de partager avec elle les six millions qu'elfe lui avait fait accorder pour dépenses secrètes, dans le temps de son ministère et de leur amitié. Ils annoncèrent des dénonciations réciproques, qui n'eurent point lieu. C'est encore un problème à quel point cette brouillerie était sérieuse; mais ce qui est certain, c'est qu'au moment où il prit le commandement de l'armée de Châlons, il était très bien avec la faction et avec Brissot, qui le pria d'employer Miranda dans une commission importante, s'if en faut croire ce que Brissot a dit lui-même au comité de défense générale. J'ignore ce qu'aurait fait Dumouriez, si Paris et les autres départements ne s'étaient levés au mois de septembre pour écraser les ennemis intérieurs et extérieurs; mais ce qui est certain, c'est que ce mouvement général de la nation n'était pas favorable au roi de Prusse pour pénétrer au coeur de la France. Dumouriez l'éconduisit avec beaucoup de politesse pendant une longue retraite assez paisible, en dépit de nos soldats, dont on enchaînait constamment l'impétuosité, et qui mordaient leurs sabres en frémissant de voir que leur proie leur échappait. L'armée prussienne, ravagée par la maladie et par la disette, a été sauvée; elle a été ravitaillée, traitée avec une générosité qui contraste avec les cruautés dont nos braves défenseurs ont été les victimes. Dumouriez a parlementé, a traité avec le roi de Prusse, dans le moment où la France et l'armée s'attendaient à voir la puissance et l'armée de ce despote ensevelies à la fois dans les plaines de la Champagne ou de la Lorraine, où Dumouriez lui-même avait annoncé, dans ses lettres à l'assemblée nationale, que les ennemis ne pouvaient lui échapper. Il se montra aussi complaisant et aussi respectueux pour le roi de Prusse, qu'il fut depuis insolent avec la Convention nationale. Il est au moins douteux s'il a rendu plus de services à la république qu'aux Prussiens et aux émigrés. Au lieu de terminer la guerre et d'affermir la révolution en exterminant cette armée, dont nos ennemis n'auraient jamais pu réparer la perte; au lieu de se joindre aux autres généraux pour pousser nos conquêtes jusqu'au Rhin, il revient à Paris; et, après avoir vécu quelque temps dans une étroite intimité avec les coryphées de la faction, il part pour la Belgique.
Il débute par un succès brillant, nécessaire pour lui donner la confiance que sa conduite avec les Prussiens était loin de lui avoir assurée; et quiconque rapprochera de ce qui se passe aujourd'hui la brusque témérité qui acheta la victoire de Jemmapes, par le sacrifice de tant de Français républicains, concevra facilement que ce succès même était plus favorable au despotisme qu'à la liberté, Dumouriez était maître de la Belgique; si, dès ce moment, il avait aussitôt envahi la Hollande, la conquête de ce pays était certaine; nous étions maîtres de la flotte hollandaise; les richesses de ce pays se confondaient avec les nôtres, et sa puissance était ajoutée à celle de la France: le gouvernement anglais était perdu, et la révolution de l'Europe était assurée. On a dit, et je l'ai cru moi-même un instant sur ces ouï-dire, que tel était le projet de Dumouriez, qu'il avait été arrêté par le conseil exécutif; mais il est démontré que ce bruit n'était qu'une nouvelle imposture répandue par la faction. En effet, si, comme on l'a dit, Dumouriez avait conçu ce grand dessein, s'il y attachait sa gloire et sa fortune, pourquoi n'a-t-il pas réclamé l'appui de l'opinion publique contre les oppositions perfides du conseil exécutif? pourquoi n'a-t-il pas invoqué la nation elle-même contre des intrigues qui compromettaient son salut? Il est bien plus naturel de penser que ce bruit n'avait été répandu par les ennemis de Dumouriez que pour lui concilier la confiance. On sait assez que les chefs de cette faction ont l'art de paraître quelquefois divisés pour cacher leur criminelle intelligence. Au surplus, que Dumouriez ait eu part ou non au retard funeste qu'a éprouvé l'expédition de la Hollande, il doit au moins être imputé à la malveillance de la majorité du conseil exécutif et des coryphées de la faction, qui dominaient dans les comités diplomatique et de défense générale. Les députés bataves se sont plaints eux-mêmes hautement, dans un mémoire qu'ils ont rendu public, et qui est entre nos mains, de l'opiniâtreté avec laquelle leurs offres et leurs instances ont été repoussées depuis trois mois par le ministre des affaires étrangères. On ne peut nier au moins que Dumouriez et les chefs de la faction ne fussent parfaitement d'accord sur le projet de ravir la Belgique à la France. On connaît les efforts de Dumouriez pour empêcher l'exécution des décrets des 15 et des 25 de décembre. On connaît toutes ses perfidies. D'un autre côté, on sait comment le comité diplomatique a repoussé tous les peuples qui voulaient s'incorporer à nous. Roland disait des députés de la Savoie: "On doit m'envoyer des Savoisiens pour solliciter la réunion de ce pays; je les recevrai à cheval."—"Comment est-il possible que vous vouliez vous réunir à notre anarchie, disait Brissot aux Belges et aux Liégeois?" Tel était le langage des Guadet, des Gensonné. Ils sont venus à bout de retarder toutes ces réunions jusqu'au moment où le parti ennemi de la révolution eut tout disposé pour les troubler, et que les despotes eurent rassemblé des forces suffisantes contre nous.
Dumouriez et ses partisans portèrent un coup mortel à la fortune publique en empêchant la circulation des assignats dans la Belgique. Après avoir fatigué cette contrée par ses intrigues, après avoir levé, de son autorité privée, des sommes énormes qu'il chargeait la nation de rembourser, il part enfin pour la Hollande, et s'empare de quelques places dans la Gueldre. Mais, tandis qu'on ne nous parlait que de succès et de prodiges, tout était disposé pour nous enlever en un moment la Belgique. Stengel et Miranda, le premier, aristocrate allemand, l'autre, aventurier espagnol, chassé du Pérou, ensuite employé par Pitt et donné par l'Angleterre à la France, enfin adoptés particulièrement par Dumouriez, Brissot, Pétion, nous trahissaient en même temps à Aix-la-Chapelle et à Maëstricht. Une partie de l'armée, exposée dans un poste désavantageux, appelée improprement l'avant-garde puisqu'elle n'avait rien derrière elle, disséminée sur un si grand espace de terrain qu'en cas d'attaque les corps qui la composaient ne pouvaient se rallier ni se soutenir, est livrée à une armée ennemie dont notre général avait l'air de ne pas soupçonner l'existence: il avait repoussé tous les avis qu'on lui avait donné? de son approche; le corps les plus distingués par leur patriotisme sont spécialement trahis et égorgés par les ennemis, le reste est obligé de fuir. En même temps, le siège de Maëstricht, entrepris sans aucuns moyens, avec des boulets qui n'étaient pas de calibre, dirigé par une perfidie profonde, pour se défaire de nos plus braves défenseurs en les exposant sans défense à l'artillerie supérieure de nos ennemis; le siège de Maëstricht est levé avec précipitation; nos conquêtes sont abandonnées, les braves Liégeois, nos fidèles alliés, devenus nos frères, sont remis sous la hache des tyrans pour expier encore une fois leur généreux attachement à la cause de la France et de la liberté.
Dumouriez laisse son armée dans la Gueldre et se rend dans la Belgique, pour se mettre à la tête de celle qui a été trahie. Va-t-il se plaindre d'avoir été lui-même trahi par les généraux? va-t-il les dénoncer à la Convention? Non: il jette un voile sur la trahison, parle seulement de quelque imprudence de la part du général de l'avant-garde, montre la plus grande confiance en l'armée, et promet de la conduire à la victoire. Il donne une bataille; elle est perdue. Cependant le centre et l'aile droite, suivant lui, ont eu l'avantage; l'aile gauche a plié, or, l'aile gauche était commandée précisément par ce même Miranda, qui avait trahi à Maëstricht. La suite de ce nouvel échec est la perte de la Belgique. Alors Dumouriez se découvre tout entier; il se déclare ouvertement pour les généraux perfides: il se plaint du décret qui mande à la barre Stengel et Lanoue; il fait le plus pompeux éloge de ce dernier, convaincu d'avoir conspiré en faveur du tyran avant la révolution du mois d'août. Il veut que la Convention imite le sénat romain, et qu'elle remercie les traîtres de n'avoir pas désespéré de la patrie; il menace de l'abandonner, si on contrarie aucune de ses vues. Il loue le civisme et le courage de Miranda, et de tous les autres généraux et officiers, sans distinction. Il impute tous nos maux aux soldats; il oublie que lui-même les avait attribués à celui qui commandait à Aix-la-Chapelle; il oublie qu'il avait vanté lui-même le courage et la conduite de l'armée, et surtout la patience héroïque avec laquelle elle avait supporté la disette et des fatigues au dessus des forces humaines, dans tous les temps, et récemment encore au siège de Maëstricht. Il prétend que l'armée n'est qu'un ramas de lâches et de pillards: ce sont ses propres expressions. Il fait plus, il déclame avec la même insolence contre les nouveaux défenseurs qui volent dans la Belgique de toutes les parties de la république, pour réparer ces revers: il les appelle des brigands.
Tandis qu'il écrivait tout cela, il abandonnait la Belgique aux despotes; il leur abandonnait nos immenses provisions qu'il y avait ramassées: il avait ordonné aux commissaires de compter quatre millions aux Belges; mais, auparavant, il avait eu soin en partant d'y éteindre, autant qu'il était en lui, une espèce d'affection pour les principes de notre révolution, et d'allumer la haine du nom français; il avait été jusqu'à publier hautement, dans une lettre adressée à la Convention, que la Providence punissait le peuple français de ses injustices. Il avait peint Paris comme un théâtre de sang et de carnage; la France comme le séjour du crime et de l'anarchie; les députés patriotes de la Convention, comme des fous ou comme des scélérats. Il avait fait des proclamations qui, sous le prétexte de réprimer certains actes impolitiques, tendaient à réveiller tous les préjugés du fanatisme et de l'aristocratie. Il avait rétabli dans leurs fonctions les administrateurs destitués pour cause d'incivisme par les commissaires de la Convention nationale; il avait détruit les sociétés populaires attachées à notre cause. Il a voulu excuser tous ses forfaits, en disant que l'on avait irrité les Belges par quelques actes de cupidité et d'irréligion. Sans doute c'était le comble de l'étourderie et peut-être de la perfidie de faire la guerre à des saints d'argent. Mais, qui pouvait prévenir ces désordres, si ce n'était un général tout-puissant? Quant aux commissaires du conseil exécutif, contre lesquels il a paru sévir, qui les avait nommés, si ce n'est son propre parti? N'étaient-ils pas l'ouvrage de Roland et des ministres coalisés avec le généralissime Dumouriez?
Ni les déclamations, ni les ordres sévères de ce général intrigant contre un Cheppi et contre d'autres créatures de la même faction ne prouveront jamais qu'il n'était point d'intelligence avec eux. Pour exécuter le projet d'empêcher la réunion de la Belgique à la France, il fallait que la faction employât à la fois des agents qui s'appliquassent à mécontenter les Belges et un général qui profitât de ce mécontentement pour les éloigner à jamais de notre révolution. On parle des désorganisateurs commis pour semer le trouble dans l'armée; mais quoi de plus facile aux généraux que de les réprimer, que de maintenir une discipline sévère; si tous les généraux perfides n'avaient besoin de ces moyens pour exécuter et pour pallier leurs trahisons. Lafayette aussi entretenait, autant qu'il était eu lui, des désordres dans son armée, pour la calomnier, la dissoudre, et pour perdre la liberté; il n'avait oublié qu'une chose; c'était de débuter, comme Dumouriez, par un succès.
Enfin Dumouriez a levé l'étendard de la révolte; il menace de marcher vers Paris, pour ensevelir la liberté sous ses ruines; il déclare qu'il veut protéger les ennemis de la liberté que la Convention renferme dans son sein contre les députés attachés à la cause du peuple, qu'il appelle aussi des anarchistes et des agitateurs: il ne dissimule pas le projet de rétablir la royauté. Après avoir fait égorger une partie de l'armée, il trompe l'autre, et s'efforce de la débaucher, après l'avoir calomniée à son insu. Fier du succès de ses trahisons, gorgé des trésors qu'il a puisés dans la Hollande, dans la Belgique et dans les caisses nationales, dont il s'est emparé; fort de son alliance avec nos ennemis, à qui il a livré nos magasins; fort de l'appui des Belges, qu'il a armés contre nous, il cherche à jeter le découragement dans la nation; il s'efforce de déshonorer le peuple français et nos braves défenseurs aux yeux des peuples étrangers; il nous annonce hautement qu'il ne nous reste plus aucune ressource. Dans ses lettres officielles à Beurnonville, il parle avec une joie insolente des troubles qui allaient éclater au milieu de nous; il en présage de nouveaux; il nous montre déjà les départements du Nord, du Pas-de-Calais, de la Somme en état de contre-révolution; il déclare en propres termes que nous ne pourrons tenir tête à nos ennemis étrangers, parce que nous serons obligés d'employer nos forces à réprimer ceux du dedans. Il nous montre en même temps toutes nos places sans défense; et il ose nous déclarer que nous n'avons d'autre parti à prendre que de demander la paix, et de transiger avec les despotes; que dis-je, il ose se montrer lui-même comme médiateur!
Tel était le coupable secret de la conspiration tramée depuis longtemps contre notre liberté. Le chef de la faction l'a dévoilé, au moment où il croyait pouvoir l'exécuter avec succès. En effet, tout semblait disposé pour la favoriser. Un ministre de la guerre audacieux et hypocrite avait été nommé tout exprès par la faction, pour les grands événements qui devaient arriver. En peu de temps, il avait purgé les bureaux de la guerre, les garnisons et l'armée de tous les agents et de tous les chefs patriotes; il les avait remplacés par des hommes plus que suspects; il avait laissé nos places fortes sans garnisons et sans munitions. On se rappelle avec quelle hardiesse il trompait la Convention nationale sur l'état de nos affaires dans la Belgique, au moment où les trahisons des généraux les avaient déjà perdues, et comment les fausses nouvelles qu'il débitait furent démenties par les commissaires de l'assemblée. Les autres généraux étaient entrés dans ce plan de conspiration; et, pour mieux en assurer le succès, le ministre avait mis le comble à ses attentats, en faisant suspendre la fabrication des armes dans toutes nos manufactures. Dans le même temps, on excitait des troubles dans une grande partie de la France, et surtout dans nos départements maritimes. Les aristocrates révoltés avaient levé de grandes armées bien approvisionnées; ils avaient saccagé des villes, égorgé une multitude de patriotes; et personne n'avait songé à réprimer cette conspiration tramée depuis quatre mois, et ni le ministre, ni le comité de défense générale, composé en grande partie de la faction que je dénonce, n'en avait donné avis à l'assemblée ni à la nation. Enfin le ministre de la guerre nomme un général pour commander les patriotes, et ce général (Marcé) est un traître qui livre notre artillerie aux révoltés, et qui mène les défenseurs de la liberté à la boucherie. Partout il nomme des officiers également perfides, des Witencok, des d'Hermigies, des Ligonier. Il montre surtout, dans ses choix, une prédilection singulière pour les étrangers, pour les sujets des despotes, nos ennemis, et quelquefois même pour les parents de nos tyrans. Grâces à ces criminelles machinations, les troubles se prolongent, et la victoire coûte beaucoup de sang aux républicains; on vient de nous dire que le calme pourra être rétabli dans six semaines ou deux mois. Deux mois de guerre civile et de massacres des plus zélés patriotes, quand l'infâme Dumouriez conspirait contre nous dans la Belgique, avec les despotes de l'Europe et tous les ennemis de l'intérieur! Dumouriez, qui nous annonçait, avec une insolente satisfaction, que, dès le moment où l'équinoxe serait passé, nos départements maritimes seraient envahis par les Anglais. Encouragés par tant d'attentats, les royalistes relevaient partout une tête audacieuse, et osaient menacer les amis de la liberté.
Eh! pourquoi non? Ne pouvaient-ils pas compter sur l'ascendant que la faction exerçait au sein de la Convention nationale? N'était-ce pas elle qui depuis longtemps dépravait l'esprit public dans les départements révoltés? Et les massacres de la Bretagne, et le fanatisme royal et religieux qui égarait les habitants des campagnes, n'étaient-ils pas les dignes fruits des écrits empoisonnés qu'elle avait semés sur la surface de cette importante contrée, de la correspondance perfide des députés qui suivaient sa bannière; enfin, des persécutions suscitées à tous les vrais républicains? N'était-ce pas elle qui, chaque jour, cherchait à dégoûter le peuple de la révolution en aggravant sa misère; qui repoussait toutes les mesures nécessaires pour réprimer la fureur de l'agiotage, pour assurer la subsistance publique, pour mettre un freina l'excès des accaparements? N'était-ce pas elle qui faisait, défaisait les ministres, protégeait tous leurs crimes, et multipliait les conspirateurs par l'impunité? N'était-ce pas elle qui, à la place des lois bienfaisantes que sollicitaient les besoins pressants de la patrie, ne nous donnait que des déclamations, des libelles et des crimes?
Mais son audace redoublait surtout au moment où la conspiration était près d'éclater. Avec quelle perfidie ils désorganisaient tout en criant aux désorganisateurs! avec quelle lâche cruauté ils cherchaient à exciter dans Paris quelques petits mouvements aristocratiques pour préparer au traître Dumouriez le prétexte de marcher contre cette cité, et à les imputer ensuite aux patriotes dont le zèle les avait constamment écartés! Voyez quel affreux parti ils ont voulu tirer d'un attroupement excité par eux, qui s'était porté chez quelques épiciers! Voyez comme l'exécrable Dumouriez, dans sa lettre du 12 mars à la Convention, travestit la vente illégale et forcée des marchandises de quelques marchands et de quelques accapareurs, en scènes de sang et de carnage, et comme il en conclut qu'il doit faire la guerre à Paris et aux patriotes!
Ils avaient dénoncé les députés patriotes qui avaient pressé la condamnation du tyran comme des agitateurs, et il déclare qu'il veut employer la moitié de son armée à les subjuguer. Ils avaient déclamé contre les tribunes, c'est-à-dire contre la portion du peuple qui pouvait assister aux séances de l'assemblée représentative; ils avaient protesté solennellement qu'ils n'étaient pas libres, lorsque le tyran avait été condamné; et il menace les tribunes, et il promet d'aller bientôt affranchir de leur influence la faction qui avait voulu sauver le tyran, qu'il appelle la saine partie de la Convention nationale. Il proclame leurs principes; il consacre leurs calomnies, il déclare la guerre à leurs adversaires, il rédige en forme de manifeste contre la république, les journaux des chroniqueurs, des Brissot, des Gorsas, des Rabaud, des Gensonné, Vergniaud et Guadet, etc. Comme eux, il veut être, dit-il, le restaurateur de l'ordre publique, le fléau de l'anarchie, le libérateur de son pays; enfin, il déclare hautement qu'il veut redonner un roi à la France. Quel était le roi qu'il voulait nous donner? Peu importe sans doute aux républicains qui les détestent tous également; mais c'était apparemment quelque rejeton de la famille de nos tyrans. Or, parmi les généraux de l'armée de Belgique, je vois Valence l'ami de Dumouriez; Valence, le gendre de Sillery, le confident intime du ci-devant duc d'Orléans; Sillery, ci-devant comte de Genlis: ce seul nom dit tout. Je vois le ci-devant duc de Chartres promu au commandement des armées dans un âge ou les citoyens sont à peine dignes d'être soldats. Je vois dans le camp de Dumouriez la soeur de ce jeune général avec la ci- devant comtesse de Genlis, la plus intrigante des femmes de l'ancienne cour, malgré ses livres sur l'éducation; je vois le victorieux Dumouriez aux pieds de la soeur, et dans une attitude respectueuse en présence du frère.
Je vois ensuite le fils de d'Orléans écrire comme Dumouriez; je le vois fuir précipitamment avec Dumouriez, avec Valence, et je n'ai pas besoin d'en savoir davantage pour connaître la faction toute entière. Je devine la perfidie profonde des conspirateurs qui, pour couvrir leurs complots d'un voile impénétrable, avaient feint de vouloir expulser les individus de la ci-devant famille royale, dans un temps où la France entière ne voyait aucun motif à cette proposition imprévue, dans un temps où des patriotes de bonne foi croyaient défendre, en les repoussant, les principes et l'intégrité delà représentation nationale. Je conçois pourquoi ils demandaient l'expulsion des Bourbons en général, pour éloigner la condamnation de la royauté dans la personne de Louis XVI, et pourquoi, depuis la punition du tyran, ils ont oublié et même rejeté cette mesure, dans le moment où l'aristocratie levait l'étendard de la révolte pour rétablir la royauté.
Les amis et les complices de Dumouriez, membres du comité de défense générale, connaissaient sans doute ces secrets mieux que personne; mais ils comptaient sur le succès de sa criminelle entreprise. Aussi, nous les avons vus d'abord excuser la lettre insolente du 12 mars à la Convention, sous le prétexte que ce général devait être irrité par les dénonciations faites contre lui dans les sociétés populaires. Nous les avons vus cherchant à écarter les accusations qu'ils redoutaient, en se hâtant de répéter leurs déclamations ordinaires contre les députés patriotes, contre les jacobins, etc., etc. Là, nous avons entendu Vergniaud prétendre que les opinions politiques de Dumouriez étaient indifférentes, et qu'il était intéressé à la cause de la révolution; là, nous avons vu Gensonné s'indigner de ce que l'on donnait à Dumouriez les qualifications qu'il méritait, et vanter impudemment son civisme, ses services et son génie. Il est prouvé que Gensonné entretenait une correspondance habituelle avec Dumouriez, courrier par courrier; et Gensonné voulait se charger, vis-à-vis des membres de la Convention, présents au comité, du rôle de médiateur auprès de son correspondant et de son ami Dumouriez. Là, nous avons vu Pétion embrasser avec chaleur la défense de Miranda; et, après que j'eus dénoncé ce général, et Stengel et Lanoue, se lever en courroux en s'écriant que l'on dénonçait toujours sans preuves; et le siège de Maëstricht était levé, et l'armée trahie à Aix-la-Chapelle, et la Belgique livrée à nos ennemis: et c'était le moment où on délibérait sur la révolte déclarée de Dumouriez!
Là, nous avons vu, le même jour, Brissot, pour toute mesure de salut public, déclarer que la Convention nationale avait perdu la confiance publique; que son unique devoir était de faire bien vite la constitution et de partir. Je l'ai entendu proposer de s'arranger, dans le comité de défense générale, sur les divers articles de la constitution qui pouvaient partager les avis, et de la faire ensuite adopter d'emblée par la Convention, pour éviter, disait-il, des débats scandaleux. Là, nous avons vu les chefs de la faction refuser ensuite de discuter la conduite de Dumouriez, pour proposer un rapprochement entre ses amis et ses adversaires; et, sous le prétexte de s'expliquer, renouveler toutes les calomnies dont ils avaient tant de fois souillé la tribune et les papiers publics. Nous avons entendu les ministres apporter à ce comité des nouvelles et des projets illusoires, concertés d'avance avec eux; nous avons vu le ministre de la guerre déclamer contre l'insubordination des soldats, sans vouloir convenir de la perfidie des généraux; provoquer des mesures rigoureuses contre ceux qui médisaient des généraux; citer pour preuve de leur républicanisme la fameuse blessure de Valence: nous l'avons entendu faire l'éloge du système défensif, nous garantir la neutralité de la Savoie et du comté de Nice, comme si ces deux départements français étaient pour nous des contrées étrangères. Nous l'avons entendu préparer une trahison ultérieure, et nous annoncer d'avance la retraite de Custines. Nous l'avons entendu répéter tous les lieux communs de Dumouriez sur l'éloignement des Belges pour la révolution française, et le comité approuver beaucoup toutes ces vues. Nous avons entendu surtout Brissot, à ce propos-là même, déclarer que nous étions trop heureux que l'esprit public des Belges ne fût pas plus français, par la raison qu'en renonçant à la Belgique, nous pourrions, avec plus de facilité, obtenir la paix des puissances ennemies. Brissot fut toujours le plus hardi de tous les conspirateurs à jeter en avant les idées de transaction ouvertement proposées par Dumouriez. Dans la discussion de l'affaire de Louis XVI, il osa demander qu'il fût sursis à l'exécution du décret qui le condamnait, jusqu'à ce que l'opinion des puissances étrangères sur ce jugement nous fût manifestée. C'est lui qui nous avait menacés de la colère des rois de l'Europe, si nous osions prononcer la peine de mort contre le tyran. Brissot! combien de faits n'aurais-je pas à rappeler sur lui et sur la faction dont il est le chef!
Enfin, nous avons vu le comité de sûreté générale s'appliquer constamment à retarder toute mesure nécessaire au salut public, pour donner le temps à Dumouriez d'exécuter sans obstacle ses détestables projets. Ensuite on le recomposa de vingt-cinq membres qui lui appartenaient tous, excepté cinq à six patriotes qu'elle y avait introduits par une sorte de transaction, pour endormir les amis de la liberté, et faire servir des noms qui inspiraient la confiance A couvrir leurs perfidies. Aussi Dumouriez écrivait-il que ce comité était bien composé, à l'exception de sept à huit membres. Indigné de tant de perfidies, et reconnaissant le motif qui avait engagé les intrigants à me choisir, je déclarai hautement à la Convention nationale que ce comité n'était que le conseil de Dumouriez, et que, ne pouvant lutter contre la majorité, je donnais publiquement ma démission. Nous avons vu avec douleur, qu'égarée par la même influence, la Convention avait envoyé à Dumouriez cinq commissaires dont l'arrestation était concertée d'avance, et surtout ce Beurnonville, qui fut arrêté par son complice! Que dirons-nous de la comédie grossière de cet aide-de-camp qui vint deux jours après raconter à la barre de l'assemblée nationale qu'il avait reçu un coup de sabre d'un satellite de Dumouriez, et de cette pasquinade plus grossière encore de Dumouriez, qui se plaignait de ce que son confident Beurnonville était venu pour l'assassiner au milieu de son armée, et qui ensuite disait hautement qu'il répondait de lui, parce qu'il était son ami?
Qu'avons-nous vu depuis ce temps jusqu'au moment où je parle? Aucune mesure décisive pour le salut de la patrie; parce que l'influence de la faction les a toutes dirigées. Quelques individus ont été mis en état d'arrestation; le scellé a été apposé sur leurs papiers, mais après qu'ils ont été bien et dûment avertis, et que plusieurs d'entre eux, tels que Sillery et d'Orléans, ont eux-mêmes invoqué cette formalité. Bonne-Carrère, Laclos, Sauvin, et d'autres également suspects, ont été relâchés aussitôt qu'arrêtés. On a mis en otage tous les Bourbons; mais il fallait remettre les prévenus entre les mains de la justice. Les constituer en otage et les envoyer aux extrémités de la république, qu'était-ce autre chose que les soustraire à l'empire de la loi et à l'autorité du tribunal révolutionnaire, que les conspirateurs redoutent? Qu'était-ce autre chose que les réserver, en quelque sorte, comme des objets d'échange avec nos commissaires arrêtés par la connivence de Dumouriez avec les chefs de la faction, et comme des moyens de transaction avec les tyrans?
Je demande que les individus de la famille d'Orléans dite Egalité, soient traduits devant le tribunal révolutionnaire, ainsi que Sillery, sa femme, Valence, et tous les hommes spécialement attachés à cette maison; que ce tribunal soit également chargé d'instruire le procès de tous les autres complices de Dumouriez. Oserai-je nommer ici des patriotes tels que Brissot, Vergniaud, Gensonné, Guadet?—Je renouvelle en ce moment la même proposition que j'ai déjà faite à l'égard de Marie-Antoinette d'Autriche. Je demande que la Convention nationale s'occupe ensuite sans relâche des moyens tant de fois annoncés de sauver la patrie, et de soulager la misère du peuple.
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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours sur les moyens à prendre pour sauver la république, prononcé au Club des Jacobins le 17 avril 1793 (17 avril 1793)
Il est très vrai que l'objet de nos ennemis extérieurs et intérieurs est de nous amener à une transaction avec les despotes, et, pour y parvenir, ils répandent de fausses alarmes. Ne négligeons aucune nouvelle. La vérité ne saurait être trop terrible pour nous. Ceux qui veulent nous forcer à transiger ne connaissent ni l'esprit des républiques, ni le génie de la liberté; mais nous ne pouvons compter sur la punition de nos ennemis qu'autant que nous adopterons des mesures sages et décisives. . .
La conjuration de Dumouriez a fait de grands maux à la France; mais elle n'est point arrivée à son terme. Pour la première fois nous avons un comité patriote. Le comité de salut public n'a pas encore pris toutes les mesures pour sauver la patrie; mais il a fait des choses très utiles, et il n'est question que d'éveiller le patriotisme des citoyens qui composent ce comité.
(Bruit.)
Tout ce qui ne porte pas le caractère d'emportement est écouté avec défaveur, et cependant jamais nous n'avons eu un plus grand besoin du sang-froid de la réflexion.
Ce comité a déjà fait destituer plusieurs officiers aristocrates. Le ministère de la guerre va bien actuellement, je ne réponds pas de l'avenir; mais ce ministère, composé de vrais patriotes, se concerte avec le comité de salut public et travaille avec autant de zèle que de civisme.
Notre armée s'est ralliée et a remporté déjà quelques avantages sur les Autrichiens, et c'est un miracle que notre armée ait survécu aux trahisons de Dumouriez. Si cette trahison était arrivée à son terme, nos places fortes auraient été livrées à l'ennemi, et c'en était fait de la liberté.
Pour assurer le salut de la république, il faut que tous les officiers suspects, placés par Beurnonville et ses complices, soient chassés; il faut ensuite, pour purger l'intérieur, chasser tous les agents du pouvoir exécutif; il faut renouveler le directoire des postes; il faut chasser Clavière, l'artisan de tous nos maux, le protecteur de l'agiotage. Toute la France le proscrit, et le comité de salut public ne tardera pas à le chasser.
Un fléau non moins redoutable, ce sont les papiers publics soudoyés par nos ennemis étrangers. Il est bien singulier qu'ils soient les défenseurs de Dumouriez, les interprètes de Cobourg, et qu'ils s'unissent à nos ennemis pour égarer l'opinion publique et étouffer la liberté.
Une mesure révolutionnaire et indispensable, c'est de créer des papiers patriotes et de proscrire tous ceux que l'aristocratie enfante et protège.
C'est sur la Convention nationale que nous devons fixer nos regards. Dans son sein, il existe un parti qui veut la perte de la république; ce parti a été déconcerté par la découverte de la trahison de Dumouriez; mais il conserve encore une grande force, et il la puise dans son système de calomnie, et dans les journaux qui lui sont dévoués et qui corrompent l'esprit public. Je vous ai dit que les ennemis que la république a au sein de la Convention veulent favoriser la contre-révolution par la convocation des assemblées primaires. Cette vérité est sensible. Plusieurs départements sont déjà, en quelque sorte, en état de contre-révolution. Les choix seraient influencés par les riches, par les égoïstes: le plan de nos ennemis est de ressusciter l'aristocratie. Les assemblées primaires seraient un instrument de guerre civile: parce que le peuple est égaré, il faut s'attacher à l'instruire.
Les chefs de la faction profitent de l'indignation qu'ils allument dans le coeur des citoyens, pour les forcer à convoquer les assemblées primaires; il faut éviter ce piège. Notre objet doit être de déconcerter la manoeuvre de nos ennemis, qui ont voulu profiter de la pétition pour calomnier les patriotes. Ils ont imaginé des moyens pris dans la source même du patriotisme. On vous a parlé d'un courrier arrêté à Bordeaux. J'ignore de quelles dépêches était porteur ce courrier. Le projet de nos ennemis est de dénoncer encore une fois les Jacobins, de remplir la république de calomnies, d'horreurs et d'intrigues, pour opérer un mouvement favorable aux armées étrangères. Je suis instruit qu'il est faux que six mille Marseillais soient en marche pour se rendre à Paris. Si vous avez ordonné l'impression et l'affiche de la lettre de Marseille, c'est un arrêté sur lequel vous pouvez revenir, parce qu'il pourrait fournir à nos ennemis un nouveau prétexte de renouer leurs intrigues.
Je propose donc à la société: 1° de rapporter l'arrêté par lequel elle a ordonné la publicité et l'affiche de la lettre de Marseille, et d'attendre de nouveaux renseignements à ce sujet; 2° de prendre connaissance du contenu des dépêches du courrier arrêté à Bordeaux
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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours sur les moyens propres à arrêter les progrès des Vendéens, prononcé à la Convention nationale le 8 mai 1793 (8 mai 1793)
La nécessité de s'armer pour repousser les ennemis de la liberté est sentie par tous les citoyens. Le besoin de venger nos frères massacrés est dans le coeur des concitoyens de cette grande cité, qui a si bien mérité de la patrie. Une seule raison doit frapper la Convention, c'est d'empêcher que les efforts du patriotisme ne tournent au profit de la trahison et de l'aristocratie. La guerre étrangère et la guerre civile ont été jusqu'ici des gouffres qui ont dévoré les meilleurs citoyens. Paris a fourni plus de cinquante mille hommes, soit contre les despotes coalisés, soit contre les ennemis intérieurs. Ce n'est point assez que nous arrêtions la marche des contre-révolutionnaires; prenons des mesures contre les complices des rebelles et de l'ennemi extérieur, qui cherchent à faire la contre-révolution dans Paris. Paris est le centre de la révolution; Paris fut le berceau de la liberté, Paris en sera le plus ferme rempart. A ce titre, Paris mérite d'être attaqué par tous les ennemis; c'est contre lui que Brunswick, Cobourg et les rebelles dirigent tous leurs efforts. S'il y a une armée de contre-révolutionnaires dans la Vendée, il y en à une autre dans Paris; il faut contenir l'une et l'autre, et quand nous envoyons les patriotes de Paris à la Vendée contre les rebelles, il faut que nous n'ayons rien à craindre ici de leurs complices.
Si l'aristocratie, dans ces derniers jours, a osé lever la tête; si des citoyens que leur incivisme condamnait au silence se sont répandus dans les sections, que sera-ce lorsqu'il sera parti une armée de patriotes? Il faut que les ennemis de la liberté, sous quelque nom qu'ils se présentent, robins, nobles, financiers, banquiers ou prêtres, ne puissent lui nuire. Je demande, en conséquence, que tous les gens suspects soient gardés en otage et mis en état d'arrestation.
(Une grande partie de l'assemblée et les citoyens des galeries applaudissent. Des rumeurs s'élèvent dans la partie opposée.)
Je dis que, sans cette précaution, les efforts des patriotes tourneraient au profit de l'aristocratie. Il ne faut pas non plus déclarer la guerre aux autorités constituées; il faut encourager les efforts de la commune de Paris, du maire, qui, en mettant en état d'arrestation les coupables, est loin encore d'avoir rempli la tâche que lui impose le salut public. Il faut que les bons citoyens veillent sur les intrigants qui affluent dans les sections, et que nos femmes et nos enfants respirent en sécurité. Il faut que les citoyens qui vivent de leur travail, et qui peuvent à peine pourvoir à la subsistance de leurs familles, reçoivent une indemnité le jour où ils monteront leur garde.
Il faut veiller à ce que l'on fabrique des armes de toute espèce, afin de mettre Paris dans un état respectable de défense; car le but des ennemis est de détruire cette ville. Il faut que des forges soient établies dans toutes les places publiques, afin de ranimer l'énergie des citoyens par la vue de nouveaux moyens de défense. Voilà les mesures que je propose; je prie la Convention de les prendre en très grande considération.
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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours insurrectionnel contre les
Girondins, prononcé au Club des Jacobins le 26 mai 1793 (26 mai 1793)
Que le triomphe momentané de l'aristocratie ne vous effraie pas plus que le succès des intrigants dans quelques sections corrompues! Le faubourg Saint-Antoine écrasera la section du Mail, comme les sans-culottes de Bordeaux écraseront les aristocrates. Songez que le peuple de Paris existe encore, que les aristocrates sont innombrables. Vous devez vous prémunir contre les tours du brissotisme. Les brissotins sont adroits; mais le peuple est encore plus adroit qu'eux. Je vous dirais que le peuple doit se reposer sur sa force; mais, quand le peuple est opprimé, quand il ne lui reste plus que lui-même, celui-là serait un lâche qui ne lui dirait pas de se lever! C'est quand toutes les lois sont violées, c'est quand le despotisme est à son comble, c'est quand on foule aux pieds la bonne foi et la pudeur, que le peuple doit s'insurger! Ce moment est arrivé: nos ennemis oppriment ouvertement les patriotes; ils veulent, au nom de la loi, replonger le peuple dans la misère et dans l'esclavage. Je ne serai jamais l'ami de ces hommes corrompus, quelques trésors qu'ils m'offrent. J'aime mieux mourir avec les républicains que de triompher avec ces scélérats.
Je ne connais pour un peuple que deux, manières d'exister: ou bien qu'il se gouverne lui-même, ou bien qu'il confie ce soin à des mandataires. Nous, députés républicains, nous voulons établir le gouvernement du peuple par ses mandataires, avec la responsabilité; c'est à ces principes que nous rapportons nos opinions, mais le plus souvent on ne veut pas nous entendre. Un signal rapide, donné par le président, nous dépouille du droit de suffrage. Je crois que la souveraineté du peuple est violée, lorsque ses mandataires donnent à leurs créatures les places qui appartiennent au peuple. D'après ces principes, je suis douloureusement affecté….
(L'orateur est interrompu par l'annonce d'une députation Tumulte).
Je vais (s'écrie Robespierre) continuer de parler, non pas pour ceux qui m'interrompent, mais pour les républicains.
J'exhorte chaque citoyen à conserver le sentiment de ses droits; je l'invite à compter sur sa force et sur celle de toute la nation; j'invite le peuple à se mettre, dans la Convention nationale, en insurrection contre tous les députés corrompus. Je déclare qu'ayant reçu du peuple le droit de défendre ses droits, je regarde comme mon oppresseur celui qui m'interrompt ou qui me refuse la parole, et je déclare que, moi seul, je me mets en insurrection contre le président et contre tous les membres qui siègent dans la Convention. Lorsqu'on affectera un mépris coupable pour les sans-culottes, je déclare que je me mets en insurrection contre les députés corrompus. J'invite tous les députés montagnards à se rallier et à combattre l'aristocratie, et je dis qu'il n'y a pour eux qu'une alternative: ou de résister de toutes leurs forces, de tout leur pouvoir aux efforts de l'intrigue, ou de donner leur démission.
Il faut en même temps que le peuple français connaisse ses droits, car les députés fidèles ne peuvent rien sans le peuple.
Si la trahison appelle les ennemis étrangers dans le sein de la France; si, lorsque nos canonniers tiennent dans leurs mains la foudre qui doit exterminer les tyrans et leurs satellites, nous voyons l'ennemi approcher de nos murs, alors je déclare que je punirai moi-même les traîtres, et je promets de regarder tout conspirateur comme mon ennemi, et de le traiter comme tel.
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Maximilien Robespierre (1758-1794), Deuxième discours contre les Girondins, prononcé à la Convention nationale le 28 mai 1793 (28 mai 1793)
Je réclame votre attention et votre indulgence, parce que je suis dans l'impossibilité physique de dire tout ce que m'inspire ma sensibilité pour les dangers de la patrie, indignement trahie. Pour sonder toute la profondeur de l'abîme, il suffit de parcourir cette enceinte, de se rappeler ce qui s'est fait hier, alors on concevra qu'il est à craindre que le triomphe de la vertu soit passager, et le triomphe du vice éternel. J'ai promis de ne dire que deux mots. Voici mon opinion. Vous êtes menacés d'une conspiration que des hommes stupides ont pu seuls ne pas apercevoir. Vous avez vu depuis quelques jours une ligue forcenée s'armer contre le patriotisme. Se présentait-on à l'assemblée avec les livrées de l'aristocratie, on était accueilli, embrassé. Les malheureux patriotes paraissaient-ils à leur tour, on les écrasait. On ne respectait pas même les bienséances dont les tyrans s'environnaient. On n'a pas rougi de nommer une commission inquisitoriale; on l'a composée des hommes évidemment connus pour les ennemis des patriotes. La conspiration a été déjouée hier; mais la perfidie a renoué ses trames cette nuit.
Voulez-vous en saisir les fils? rapprochez la conjuration de Dumouriez; rappelez-vous qu'il mettait pour première base de ses propositions la perte des vrais républicains, la perte des patriotes, la perte de Paris. Eh bien! tout ce que vous avez vu depuis quelques jours n'est que la suite de cet infernal système.
Puisqu'il ne m'est pas possible de m'étendre davantage, permettez-moi de vous montrer la véritable cause de nos dangers. Tout ce qui se passe n'a d'autre objet que de rétablir le despotisme. (Il lit.) "On nous parle d'une troisième faction, d'une faction de régicides, qui veut créer un dictateur et établir une république. Si ce parti du régicide existe, s'il existe des hommes qui tendent à établir actuellement la république sur les débris de la constitution, le glaive de la loi doit frapper sur eux comme sur les partisans des deux chambres et sur les rebelles de Coblentz."
Plusieurs voix: La date!
Robespierre. Ne m'interrompez pas!
Biroteau. Tu défendais la constitution.
Robespierre. Voulez-vous comprendre le véritable sens de cette doctrine? Il suffit de rapprocher l'époque où le discours dont je viens de lire un passage a été tenu. C'était le 21 juillet, à la tribune de l'assemblée Législative, à l'époque où les fédérés étaient rassemblés à Paris pour punir un tyran parjure et conspirateur, et demandaient à grands cris la république.
Barbaroux. A cette époque, ne faisais-tu pas le Défenseur de la
Constitution?
Robespierre. Vous voyez qu'on profite de la faiblesse de mon organe pour m'empêcher de faire entendre des vérités. Vous voyez par ce passage d'un ouvrage d'un homme dont ceux qui veulent nous subjuguer proclament l'ardent civisme, le républicanisme imperturbable, et qui cependant disait à la tribune que ceux qui pouvaient attaquer le roi étaient des ennemis de la patrie; vous voyez qu'on cherchait à déshonorer la sainte entreprise des fédérés, en les accusant de vouloir faire un dictateur. Vous voyez que l'orateur disait que ceux qui concevaient ces idées républicaines devaient être frappés du glaive de la loi, comme les contre-révolutionnaires de Coblentz et les partisans des deux chambres. D'après cette doctrine, ouvertement professée par Brissot, à cette époque critique de notre révolution, ne vous étonnez pas que depuis on ait poursuivi les républicains. Ne vous étonnez pas si, dans le moment où je vous parle, on nomme des commissaires perfides, on répand des libelles pour faire égorger les républicains échappés au glaive de ces ardents amis des rois; ne vous étonnez pas qu'au moment où nos troupes éprouvent quelques revers, où l'on apprend que Valenciennes était bloquée, on ait ourdi la conspiration qui s'est hier dévoilée à nos yeux d'une manière si éclatante, et que, tandis que par de subtiles chicanes on tient la Convention dans l'inaction, vous assuriez le triomphe des royalistes. Ils ne cessent de conspirer avec les ennemis intérieurs et extérieurs de la république. Voilà la déclaration que je voulais faire avant de voir la faction détestable consommer la ruine de la patrie, si toutefois la patrie pouvait périr sous les coups des plus vils mortels.
Maintenant, je laisse ces hommes criminels finir leur odieuse carrière. Je leur abandonne cette tribune; qu'ils viennent y distiller leurs poisons; qu'ils viennent y secouer les brandons de la guerre civile; qu'ils entretiennent des correspondances avec les ennemis de la patrie; qu'ils finissent leur carrière: la nation les jugera. Que ce qu'il y a de plus lâche, de plus vil et de plus impur sur la terre triomphe et ramène à l'esclavage une nation de vingt-cinq millions d'hommes qui voulaient être libres! Je regrette que la faiblesse de mes organes ne me permette pas de développer toutes leurs trames. C'est aux républicains à les replonger dans l'abîme de la honte.
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Maximilien Robespierre (1758-1794), Troisième discours contre les Girondins, prononcé à la Convention nationale le 31 mai 1793 (31 mai 1793)
Citoyens, ne perdons pas ce jour en vaines clameurs et en mesures insignifiantes. Ce jour est peut-être le dernier où le patriotisme combattra la tyrannie. Que les fidèles représentants du peuple se réunissent pour assurer son bonheur!
(Vergniaud rentre dans l'assemblée. Il s'élève quelques rumeurs. )
Robespierre. Je n'occuperai point l'assemblée de la fuite ou du retour de ceux qui ont déserté ses séances.
(Vergniaud. Je demande la parole.)
Robespierre. Je vous ai déjà dit que ce n'était pas par des mesures insignifiantes qu'on sauvait la patrie. Votre comité de salut public vous a fait plusieurs propositions. Il en est une que j'adopte, c'est celle de la suppression de la commission des Douze; mais croyez-vous que cette mesure ait assez d'importance pour contenter les amis inquiets de la patrie? Non; déjà cette commission a été supprimée, et le cours des trahisons n'a pas été interrompu; car le lendemain on a osé faire rapporter ce décret salutaire, et l'oppression a pesé sur la tète des patriotes. Supprimez donc cette commission; mais prenez des mesures vigoureuses contre les membres qui la composent; et à cet égard, les pétitionnaires qui viennent d'être entendus vous ont indiqué la marche que vous devez suivre.
Quant à la force armée qu'on propose de mettre à la disposition de l'assemblée, en rendant justice aux motifs patriotiques qui ont dicté cette mesure au comité de salut public, je dois la combattre. En effet, qu'est-ce que la force armée qu'on veut mettre à la disposition de la Convention? Ce sont des citoyens armés pour défendre leur liberté contre les scélérats qui les trahissent, et il y en a dans l'assemblée. De quoi se composent les délibérations de la Convention? N'est-ce pas des individus dénoncés par Paris? et nous avons trop d'exemples que nos délibérations ont été dirigées par ces mêmes hommes; mais n'ai-je pas aujourd'hui même entendu faire la proposition de poursuivre les auteurs de l'insurrection qui vient d'éclater? Il est donc ici des hommes qui voudraient punir cette insurrection? Ce serait donc une absurdité de remettre entre leurs mains la force armée. Mais les mesures proposées par le comité sont-elles les seules que vous deviez adopter? Les pétitionnaires ne vous en ont-ils pas proposé de capables de sauver la chose publique? Les propositions que j'ai combattues peuvent-elles empêcher l'armée d'être trahie? Non. Il faut purger l'armée; il faut….
(Vergniaud. Concluez donc.)
Robespierre. Oui, je vais conclure, et contre vous! contre vous qui, après la révolution du 10 août, avez voulu conduire à l'échafaud ceux qui l'ont faite! contre vous, qui n'avez cessé de provoquer la destruction de Paris! contre vous, qui avez voulu sauver le tyran! contre vous, qui avez conspiré avec Dumouriez! contre vous, qui avez poursuivi avec acharnement les mêmes patriotes dont Dumouriez demandait la tête! contre vous, dont les vengeances criminelles ont provoqué ces mêmes cris d'indignation dont vous voulez faire un crime à ceux qui sont vos victimes! Eh bien! ma conclusion, c'est le décret d'accusation contre tous les complices de Dumouriez et contre tous ceux qui ont été désignés par les pétitionnaires.
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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours au sujet d'une adresse lue à la Convention par le citoyen Royer, curé de Chalons-sur-Saône, prononcé au Club des Jacobins le 7 août 1793 (7 août 1793)
Les envoyés de la république française viennent de sauver la patrie; l'acte qu'ils viennent de faire est le garant immortel de la liberté; il est la réponse à quatre ans de calomnies, qui ont manqué de perdre sans retour la république.
C'est le quatrième démenti qu'ils donnent aux espérances coupables des coupables ennemis du peuple.
Le premier est lorsqu'on 89 ils se rangèrent, malgré les intrigues des ordres privilégiés et la volonté impérieuse d'un despote, sous l'étendard de la liberté naissante.
Le second est lorsqu'au 10 août, malgré le soin des traîtres qui croyaient avoir séduit la majorité des sans-culottes, ils surent déjouer leurs combinaisons astucieuses, en marchant en masse pour écraser le tyran.
Le troisième est lorsqu'à la voix des législateurs ils surent repousser le fédéralisme, que leur insinuaient adroitement les plus perfides et les plus scélérats des hommes.
Le quatrième est en venant aujourd'hui confondre avec nous leurs voeux pour la patrie, et ajouter leurs efforts à ceux que nous déployons sans cesse pour le maintien de la république et l'anéantissement des conspirateurs.
J'applaudis à l'adresse présentée par Royer; j'invite les envoyés de la république à venir en faire hommage à la Convention, et leur promets qu'elle en ordonnera l'insertion dans son bulletin, et l'envoi dans tous les départements de la république.
(Ici un envoyé des départements demande qu'on n'accorde la parole qu'aux envoyés, et qu'on en prive les Parisiens. Après un long murmure, on la réclame pour Robespierre.)
C'est avec regret que je me vois forcé de prendre aujourd'hui la parole: mon devoir était de me taire et de laisser parler les citoyens qui, avec moins d'habitude de le parole, ont apporté ici l'intention et les moyens de sauver la chose publique; mais j'atteste les citoyens qui me connaissent, que la nécessité seule de vous entretenir du salut public a pu m'y engager en cet instant.
Les ennemis du peuple n'ont jamais pris de mesure plus adroite pour perdre la patrie, que d'attribuer aux plus chauds amis de la liberté leurs propres crimes.
Le cabinet de Saint-James, qui a des agents dans la république, et spécialement dans tous les ports de mer, a la plus grande part dans tous ces complots.
J'annonce des nouvelles désastreuses qui ne doivent pas effrayer les républicains, parce qu'ils ne doivent s'effrayer de rien, parce qu'un malheur de plus n'est que l'assurance réitérée d'un succès plus constant.
A Huningue, dans quelques autres villes, des magasins ont été incendiés, et l'on ignore encore, peut-être parce qu'on veut l'ignorer, si ce malheur .est dû au hasard ou à la malveillance.
Tous les moyens ont été employés pour occasionner un mouvement, en amenant une disette factice. Depuis une quinzaine de jours, il est sorti de Paris, en subsistance seulement, au moins de quoi nourrir cent mille hommes; on fomente encore des troubles, et c'est particulièrement vers trois objets que paraissent se diriger les mouvements qu'on provoque.
Faire piller les magasins par le peuple, ou plutôt par des scélérats déguisés sous l'habit que porte le peuple, sous l'habit respectable de la pauvreté.
Le second, de porter le peuple vers les prisons, et d'y renouveler les horreurs de septembre.
Le troisième est de se porter sur l'Arsenal, et de s'y emparer des munitions de toute espèce..
J'engage nos frères des départements à inviter le peuple au courage, à la persévérance, par l'aspect du bonheur que lui procureraient son obéissance aux lois, sa confiance dans ses législateurs, son union et son dévoûment au maintien de la république.
Ces complots auront la même destinée que tous les autres, si tous les citoyens secondent le zèle du maire et du commandant général de la garde nationale parisienne, qui ont pris, dans ces circonstances, toutes les mesures que doivent prendre deux véritables amis du peuple, pour le mettre à l'abri de l'attaque des ennemis.
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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours sur les lenteurs perfides et calculées du tribunal révolutionnaire avant sa réorganisation, prononcé au Club des Jacobins le 25 août 1793 (25 août 1793)
Il faut faire une guerre éternelle aux agents de Pitt et de Cobourg qui infectent nos villes et nos départements. Du sommet de la Montagne, je donnerai le signal au peuple, et lui dirai: Voilà tes ennemis; frappe.
J'ai suivi les formes avocatoires dont s'est entortillé le tribunal révolutionnaire. Il lui faut des mois entiers pour juger un Custine, l'assassin du peuple français! Dans vingt-quatre heures, ses antagonistes seraient écrasés, si la tyrannie pouvait renaître pour ce temps-là seulement. La liberté doit aujourd'hui user des mêmes moyens; elle tient le glaive vengeur qui doit enfin délivrer le peuple de ses plus acharnés ennemis: ceux qui le laisseraient reposer seraient coupables.
Il ne faut pas qu'un tribunal établi pour faire marcher la révolution la fasse rétrograder par sa lenteur criminelle; il faut qu'il soit actif autant que le crime; il faut qu'il soit toujours au niveau des délits. Il faut que ce tribunal soit composé de dix personnes qui s'occupent seulement à rechercher le délit et à appliquer la peine; il est inutile d'accumuler des jurés et des juges, puisqu'il n'existe qu'une seule sorte de délit à ce tribunal, celui de haute-trahison, et qu'il n'y a qu'une seule peine, qui est la mort; il est ridicule que des hommes soient occupés à chercher la peine qu'il faut appliquer à tel délit, puisqu'il n'en est qu'une, et qu'elle est applicable ipso facto.
Le comité de sûreté générale a bien des torts à se reprocher; mais la police de Paris en a de même, et il faut la réformer comme lui. Le comité de sûreté générale a, comme le tribunal révolutionnaire, des vices de forme et d'organisation. D'abord, il est trop nombreux, et cela seul doit entraver ses opérations, outre que cela rend plus difficile la certitude du patriotisme des membres qui le composent.
Il est un autre inconvénient qui souvent fait un grand tort à la marche des affaires. Le comité de salut public, chargé de déjouer les complots, de quelque nature qu'ils soient, fait souvent arrêter telle personne que le comité de sûreté générale, dont les fonctions sont à peu près les mêmes, avait fait rechercher aussi; il en résulte un conflit de juridiction, qui devient souvent nuisible au salut de l'Etat. Le comité de sûreté générale fait mettre en liberté ou absout celui que le comité de salut public avait incarcéré et condamné, parce que tous deux ne jugent pas sur les mêmes pièces, et qu'on supprime avec l'un ce qui a servi de base aux jugements de l'autre, ce qui laisse toujours une porte à l'intrigue.
Je me résume: réforme du tribunal révolutionnaire, et sa prompte réorganisation sur de nouvelles formes; il condamnera, dans une époque déterminée et toujours très prochaine, les coupables ou élargira les innocents;—Création de plusieurs comités révolutionnaires, qui jugeront conjointement les nombreux délits qui se forment tous les jours contre la liberté;—Surveillance générale de la police;—Renouvellement du comité de sûreté générale, et sa composition de dix membres seulement, dont les fonctions seront déterminées;—On tirera une ligne de démarcation entre ses fonctions et celles du comité de salut public.
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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours sur diverses questions d'administration, prononcé au Club des Jacobins le 4 septembre 1793 (4 septembre 1793)
(Robespierre commence par démontrer la nécessité de renouveler promptement l'administration des postes, puis il ajoute:)
On a voulu empêcher dans la Convention la destitution de ces employés rolandistes, et on s'est servi pour cela du prétexte qu'un homme suspect (Duplain) se trouvait sur la liste des remplaçants. Je conviens que la conduite qu'a tenue Duplain dans l'affaire de Custine lui a fait perdre l'estime des patriotes, et qu'ils ne le verront pas sans peine occuper une place quelconque, que lorsqu'il aura réparé ses torts; mais on a affecté de le confondre avec Duplain, auteur de l'Echo. Il est, sur la liste qu'on a présentée, des hommes sûrs et qui monteront cette machine d'une manière vraiment républicaine. Il faut renouveler, à quelque prix que ce soit, cette administration gangrenée, et, quand il s'y glisserait un homme faible, il n'en résulterait pas d'aussi grands maux que d'y laisser plus longtemps des conspirateurs et des hommes infiniment suspects: tout délai est donc dangereux.
(Mais c'est sur un complot d'affamer Paris et de le plonger dans le sang, complot dont le comité de salut public a des preuves, que Robespierre veut fixer l'attention de la société. L'orateur développe les mesures perfides qu'emploient les ennemis du peuple pour amener la famine, et présente les remèdes qu'on peut y apporter.)
Toulon (ajoute-t-il) est peut-être pris; déjà le bruit s'en est répandu. Je dois dire pourtant que la nouvelle n'est pas absolument certaine, et qu'on peut encore élever quelques doutes à cet égard: mais supposons qu'il le soit, assurément ce serait un grand malheur pour la république; faudrait-il en désespérer pour cela? Nous vaincrons sans Toulon, et nos succès ailleurs nous en sont de sûrs garants. Déjà Marseille est au pouvoir des patriotes; Bordeaux est venu à résipiscence, et Lyon va s'écrouler sous les efforts des soldats républicains. Les armées du Nord, du Rhin et de la Moselle sont dans une situation brillante, et Dunkerque a juré de se défendre jusqu'à la mort. Le peuple n'a qu'un voeu unanime, c'est de sauver la patrie. Croyons donc que les succès de nos ennemis seront éphémères, et que la liberté triomphera….
Quant aux subsistances, nous ferons des lois sages, mais en même temps terribles, qui, en assurant tous les moyens d'existence, détruiront à jamais les accapareurs, pourvoiront à tous les besoins du peuple, préviendront tous les complots, les trames perfides ourdies par les ennemis du peuple pour l'insurger par la faim, l'affaiblir par les divisions, l'exterminer par la misère. Si les fermiers opulents ne veulent être que les sangsues du peuple, nous les livrerons au peuple lui-même. Si nous trouvions trop d'obstacles à faire justice des traîtres, des conspirateurs, des accapareurs, nous dirions au peuple de s'en faire lui-même justice. Réunissons donc ce faisceau redoutable contre lequel tous les efforts des ennemis du bien public se sont brisés jusqu'à ce jour. Ne perdons pas de vue qu'ils ne désirent autre chose que de nous rendre suspects les uns aux autres, et particulièrement de nous faire haïr et méconnaître toutes les autorités constituées. Des malveillants, des scélérats, se joignent aux groupes qu'on voit à la porte des boulangers, et les irritent par des propos perfides. On alarme le peuple, en lui persuadant que les subsistances vont lui manquer. On a voulu armer le peuple contre lui-même, le porter sur les prisons pour y égorger les prisonniers, bien sûr qu'on trouverait moyen de faire échapper les scélérats qui y sont détenus, et d'y faire périr l'innocent, le patriote que l'erreur a pu y conduire.
Ces scélérats ont voulu égorger la Convention nationale, les jacobins, les patriotes. Ils ont cherché à leur aliéner le peuple, en leur attribuant tous les maux dont ils l'ont rendu victime. On assure que dans ce moment Pache est assiégé, non pas par le peuple, mais par quelques intrigants qui l'injurient, l'insultent, le menacent….
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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours en réponse à une pétition qui demandait la permanence des sections, prononcé à la Convention nationale le 17 septembre 1793 (17 septembre 1793)
Le peuple n'a pas dicté la pétition qui vient de vous être présentée; il avait au contraire provoqué le décret contre lequel on réclame, et, lorsqu'il fut rendu, il vous témoigna sa reconnaissance par ses nombreux applaudissements. Vous le savez, citoyens, et vous en avez acquis la triste expérience, c'est pour anéantir les droits du peuple que quelques intrigants ont l'air de réclamer pour lui une étendue illimitée. Et, pour faire l'application de ce principe, n'est-il pas vrai que pendant la permanence des sections, le peuple ne délibérait pas sur ses intérêts? En effet, quels étaient ceux qui pouvaient sacrifier leur temps pour assister aux assemblées: était-ce la classe industrieuse et estimable des artisans? était-ce les citoyens vivant du produit de leur travail? Non; c'était les riches, les intrigants, les muscadins. Le peuple dérobait au plus deux jours par semaine, qu'il aurait employé à soulager ses besoins, pour exercer son droit de souveraineté, et pour assurer sa liberté; et, quand il paraissait dans les assemblées politiques, alors les muscadins étaient muets et l'aristocratie impuissante…. Je crois me connaître en morale et en principes aussi bien que l'orateur des pétitionnaires, et j'avoue hautement que je professe une opinion contraire à la sienne sur l'indemnité; il n'y a que l'aristocratie qui puisse entreprendre de faire croire au peuple qu'il est avili, parce que la patrie vient au devant de ses besoins, et qu'elle tâche de rapprocher la pauvreté de l'insolente richesse.
Pourquoi donc cet avilissement qu'on prétend jeter sur l'homme qui reçoit une indemnité de la justice nationale? Sommes-nous donc avilis, nous, représentants du peuple, en recevant l'indemnité qu'il nous accorde pour subvenir à nos besoins? Non, sans doute; je m'honore de l'indemnité que je reçois, parce qu'elle m'est nécessaire, et je déclare que le jour où, par l'effet d'une motion aristocratique, je me trouverais privé de cette indemnité, il ne me serait plus possible de rester au poste où la confiance du peuple m'a appelé, pour la conservation de ses droits, et que, dès ce moment, la liberté serait perdue par l'assemblée nationale.
Citoyens, rappelez-vous que le premier moyen qu'employa l'aristocratie à l'assemblée Constituante, pour la dissoudre, fut de tâcher d'avilir cette indemnité, parce qu'elle savait bien qu'un grand nombre de membres ne pourraient supporter les dépenses qu'occasionnait leur déplacement; mais nous, représentants du peuple, incorruptibles, nous avons combattu pour conserver cette indemnité qui nous rappelait sans cesse et nos devoirs et nos engagements. Je demande, au nom de l'honorable indigence, de la vertu laborieuse et des droits sacrés de l'homme, l'ordre du jour sur la pétition qui vient de vous être présentée, et sur laquelle peut-être le peuple fera plus que de passer à l'ordre du jour.
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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours sur l'opposition dont le comité de salut public était l'objet au sein de la Convention, prononcé à la Convention nationale le 25 septembre 1793 (25 septembre 1793)
Texte en français moderne par Albert Laponneraye, d'après le rapport de
Courtois qui reproduit le manuscrit
Si ma qualité de membre du comité de salut public doit m'empêcher de m'expliquer sur ce qui s'est passé avec une indépendance entière, je dois l'abdiquer à l'instant, et après m'être séparé de mes collègues, que j'estime et que j'honore (et l'on sait que je ne suis pas prodigue de ce sentiment), je vais dire à mon pays des vérités nécessaires. La vérité est la seule arme qui reste entre les mains des intrépides défenseurs de la liberté pour terrasser les perfides agents de l'aristocratie. Celui qui cherche à avilir, à diviser, à paralyser la Convention, est un ennemi de la patrie, soit qu'il siège dans cette enceinte, soit qu'il y soit étranger; qu'il agisse par sottise ou par perversité, il est du parti des tyrans qui nous font la guerre. Or, il existe ce projet d'avilissement, il existe dans les lieux même où le patriotisme devrait régner, dans des clubs qui prétendent être plus que patriotes. On fait la guerre à la Convention dans la personne de tous les défenseurs de la liberté. Mais, ce qu'il y aurait de plus déplorable, ce serait que ce lâche système eût des partisans. Depuis longtemps le comité de salut public soutient la guerre que lui font quelques membres, plus envieux et plus prévenus que justes. Quand il s'occupe jour et nuit des grands intérêts de la patrie, on vient vous apporter ici des dénonciations écrites, présentées avec astuce. Serait-ce donc que les citoyens que vous avez voués aux plus pénibles fonctions auraient perdu le titre de défenseurs imperturbables de la liberté, parce qu'ils ont accepté ce fardeau? Ceux qui les attaquent sont-ils plus patriotes, parce qu'ils n'ont pas reçu cette marque de confiance? Prétendez-vous que ceux qui ont ici défendu la liberté et les droits du peuple au péril de leur vie, au milieu des poignards, doivent être traités comme de vils protecteurs de l'aristocratie.
Nous braverons la calomnie et les intrigues. Mais la Convention est attachée au comité de salut public; votre gloire est liée au succès des travaux de ceux que vous avez revêtus de la confiance nationale.
On nous accuse de ne rien faire; mais a-t-on donc réfléchi à notre position? Onze armées à diriger le poids de l'Europe entière à porter, partout des traîtres à démasquer, des émissaires soudoyés par l'or des puissances étrangères à déjouer, des administrateurs infidèles à surveiller, à poursuivre; partout à aplanir des obstacles et des entraves à l'exécution des plus sages mesures; tous les tyrans à combattre, tous les conspirateurs à intimider, eux qui se trouvent presque tous dans une caste si puissante autrefois par ses richesses, et encore par ses intrigues: telles sont nos fonctions. Croyez-vous que sans unité d'action, sans secret dans les opérations, sans la certitude de trouver un appui dans la Convention, le gouvernement puisse triompher de tant d'obstacles et de tant d'ennemis? Non, il n'y a que la plus extrême ignorance, ou la plus profonde perversité qui puisse prétendre que, dans de pareilles circonstances, on ne soit pas un ennemi de la patrie, alors qu'on se fait un jeu cruel d'avilir ceux qui tiennent le timon des affaires, d'entraver leurs opérations, de calomnier leur conduite. Ce n'est pas impunément que vous lasseriez la force d'opinion nécessaire. Je n'en veux d'autre preuve que les discussions qui viennent d'avoir lieu.
Le comité de salut public voit des trahisons au milieu d'une victoire; il destitue un général encore investi de la confiance, et revêtu de l'éclat d'un triomphe apparent: et on lui fait un crime de son courage même! Il expulse les traîtres, et jette les yeux sur les officiers qui ont montré le plus de civisme; il les choisit après avoir consulté les représentants du peuple qui avaient des connaissances particulières sur le caractère de chacun d'eux: cette opération demandait du secret pour avoir son plein succès; le salut de la patrie l'exigeait; on avait pris toutes les mesures nécessaires pour que ce secret fût gardé, ne fût-ce que par rapport aux autres armées. Eh bien! au moment où nous sommes impatients de connaître le résultat de ces mesures, on nous dénonce à la Convention nationale; on critique notre travail sans en connaître les motifs. On veut que nous divulguions le secret de la république, que nous donnions aux traîtres le temps de s'échapper; on cherche à frapper de défaveur les nouveaux choix, sans doute pour que la confiance ne puisse se rétablir,
On déclame sans cesse contre les nobles, on dit qu'il les faut destituer; et, par une étrange contradiction, quand nous exécutons cette grande mesure de révolution, et que même nous y apportons tous les ménagements possibles, on nous dénonce. Nous venons de destituer deux nobles, savoir l'un des hommes de cette caste proscrite les plus suspects par leurs antiques relations avec la cour, et un autre, connu par ses liaisons et ses affinités avec les nobles étrangers; l'un et l'autre d'une aristocratie prononcée: eh bien! on nous accuse de tout désorganiser. On nous disait qu'on ne voulait voir que de vrais sans-culottes à la tête des armées, nous avons choisi ceux que des exploits nouveaux à l'affaire de Bergues et de Dunkerque désignaient à la reconnaissance nationale, qui ont vaincu malgré Houchard, qui ont déployé le plus grand talent; car l'attaque de Hondschoote devait faire périr l'armée française; c'est principalement à Jourdan qu'est dû le succès étonnant qui a honoré cette armée, qui a forcé la levée du siège de Dunkerque; c'est cet officier qui, au moment où l'armée ne s'attendait pas à trouver 18,000 hommes bien retranchés, et où elle était surprise par la décharge d'une artillerie effrayante, c'est Jourdan qui s'élança à la tête d'un bataillon dans le camp ennemi, qui fit passer son courage au reste de l'armée, et la prise de Hondschoote fut l'effet de ses habiles dispositions et de l'ardeur qu'il sut inspirer!
Le chef de l'état-major étant justement suspect, nous l'avons remplacé par un homme dont les talents et le patriotisme ont été attestés par tous vos commissaires, un homme connu par des exploits qui l'ont signalé du temps même où les plus odieuses trahisons sacrifiaient cette armée. Il s'appelle Ernould, il s'est distingué dans la dernière affaire, et a même reçu des blessures. Et l'on nous dénonce!
Nous avons fait les mêmes changements dans les armées de la Moselle et du Rhin; tous les choix ont porté sur des hommes du caractère de celui que je viens de vous dépeindre. Et l'on nous accuse encore!
S'il est quelques présomptions morales qui puissent diriger le gouvernement et servir de règles aux législateurs, ce sont celles que nous avons suivies dans ces opérations.
Quelle est donc la cause de ces dénonciations?
Ah! cette journée a valu à Pitt, j'ose le dire, plus de trois victoires. A quel succès, en effet, peut-il prétendre, si ce n'est à anéantir le gouvernement national que la Convention a établi, à nous diviser, à nous faire déchirer de nos propres mains? et si nous passons dans l'Europe pour des imbéciles ou des traîtres, croyez-vous qu'on respectera davantage la Convention, qui nous a choisis, qu'on sera même disposé à respecter les autorités que vous établirez par la suite?
Il est donc important que le gouvernement prenne de la consistance et que vous remplaciez un comité qui vient d'être dénoncé avec succès dans votre sein
Il ne s'agit pas ici des individus, il s'agit de la patrie et des principes. Je le déclare, il est impossible que dans cet état de choses, le comité puisse sauver la chose publique; et si on me le conteste, je rappellerai combien est perfide, combien est étendu le système de nous avilir et de nous dissoudre, combien les étrangers et les ennemis de l'intérieur ont d'agents payés à cet effet; je rappellerai que la faction n'est point morte, qu'elle conspire du fond de ses cachots, que les serpents du Marais ne sont point encore écrasés.
Les hommes qui déclament perpétuellement, soit ici, soit ailleurs, contre les hommes qui sont à la tête du gouvernement, ont eux-mêmes donné des preuves d'incivisme ou de bassesse. Pourquoi donc veut-on nous avilir? quel est celui de nos actes qui nous a mérité cette ignominie?
Je sais que nous ne pouvons nous flatter d'avoir atteint la perfection; mais lorsqu'il faut soutenir une république environnée d'ennemis, armer la raison en faveur de la liberté, détruire les préjugés, rendre nuls les efforts particuliers contre l'intérêt public; il faut alors des forces morales et physiques que la nature a peut-être refusées, et à ceux qui nous dénoncent, et à ceux que nous combattons.
Le comité a des droits à la haine des rois et des fripons; si vous ne croyez pas à son zèle, aux services qu'il a rendus à la chose publique, brisez cet instrument; mais auparavant, examinez dans quelles circonstances vous êtes. Ceux qui nous dénoncent sont dénoncés eux-mêmes au comité, d'accusateurs qu'ils sont aujourd'hui, ils vont devenir accusés. Mais, quels sont les hommes qui s'élèvent contre la conduite du comité, et qui, dans cette séance, ont aggravé vos revers, pour aggraver leurs dénonciations?
Le premier se déclara le partisan de Custine et de Lamarlière; il fut le persécuteur des patriotes dans une forteresse importante, et dernièrement encore, il a osé ouvrir l'avis d'abandonner un territoire réuni à la république, dont les habitants, dénoncés par lui, se défendent aujourd'hui avec énergie contre les fanatiques et les Anglais.
Le second n'a pas encore réparé la honte dont il s'est couvert en revenant d'une place confiée à sa défense après l'avoir rendue aux Autrichiens. Sans doute, si de tels hommes parviennent à prouver que le comité n'est pas composé de bons citoyens, la liberté est perdue; car sans doute ce ne sera pas à eux que l'opinion éclairée donnera sa confiance, et remettra les rênes du gouvernement. Qu'on ne pense pas que mon intention est de rendre ici imputation pour imputation. Je prends l'engagement de ne jamais diviser les patriotes; mais je ne comprends pas, parmi les patriotes, ceux qui n'en ont que le masque, et je dévoilerai la conduite de deux ou trois traîtres qui sont ici les artisans de la discorde et de la dissension.
Je pense donc que la patrie est perdue, si le gouvernement ne jouit d'une confiance illimitée, et s'il n'est composé d'hommes qui la méritent. Je demande que le comité de salut public soit renouvelé. (Non, non! s'écrie-t-on de nouveau dans l'assemblée entière.)
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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours en réponse à quelques calomnies qui avaient pour but de diviser les jacobins, prononcé au Club des Jacobins le 9 novembre 1793 (9 novembre 1793)
Je profite des éclaircissements qu'on vient de vous donner pour vous soumettre des questions importantes.
Enfin, nous avons purgé les armées de la république des traîtres qui compromettaient le succès de ses armes.
Enfin, nous avons découvert un petit nombre de guerriers républicains, auxquels nous avons confié le sort de l'Etat. Nous avons cru pouvoir nous reposer sur des sans-culottes du soin d'exterminer les satellites des tyrans.
Le but de nos ennemis a donc dû être de nous faire traiter les généraux républicains comme nous traiterions des traîtres qui auraient vendu la république; de là les calomnies que vous avez vu se reproduire sur le compte des généraux.
Deux espèces d'hommes s'attachent particulièrement à servir nos ennemis et à perdre la république. Ce sont, d'une part, des patriotes faibles, égarés, qui ne sont que l'écho des fripons.
De l'autre, des émissaires de nos ennemis, cachés parmi nous.Doute-t-on qu'il n'y en ait qu'ils entretiennent, avec de grandes dépenses, pour deviner nos secrets et rendre nul l'effet de nos plus heureuses résolutions.
D'abord, je vous dirai que nous sommes parvenus à réunir dans l'armée du Nord trois républicains, qu'il serait peut-être fort difficile de rencontrer ailleurs. C'est Beauregard, général sans-culotte, dont vous connaissez les talents;
C'est Renoud, chef de l'état-major, ami de Jourdan; c'est Duquesnoy, aussi ami de Jourdan. Tous trois s'entendent parfaitement, et l'amitié de ces trois hommes peut sauver la chose publique.
Un homme que je suppose peu instruit ou trompé est venu vous dire que Duquesnoy, député, et Duquesnoy, général, étaient des ambitieux qui voulaient perdre Jourdan. Il m'a dit, à moi, cet homme, qu'il le tenait de Renoud lui-même; ainsi Renoud devait regarder Duquesnoy comme un coquin; et j'avais une lettre de Renoud, qui faisait l'éloge de Duquesnoy, en rendant hommage à ses talents.
Je l'observe ici, l'homme qui me parlait, frappé de ce raisonnement, se hâta de me quitter et vint vous débiter les mêmes mensonges.
On a reproché à Duquesnoy d'être dur; d'abord ce n'est pas avec les soldats, mais au contraire avec les généraux; reproche bien rare. Je n'ai vu dans sa conduite qu'un patriotisme ardent qui a pu quelquefois le pousser un peu loin.
Je lui ai dit à lui-même qu'il ne fallait pas dégoûter les généraux quand ils étaient bons, mais cela ne lui est jamais arrivé.
On lui a reproché d'avoir promu son frère au grade de général. Il s'est lavé de ce reproche par ce qu'il nous a dit; il aurait pu y ajouter encore que Duquesnoy lui-même refusa le grade qui lui était offert;
Que le ministre de la guerre écrivit au député: "Vous ne connaissez pas assez votre frère; il a plus de talent que vous ne lui en supposez."
Si un député avait un frère qui pût sauver la patrie, pourquoi ne voudrait-on pas qu'il pût le proposer?
Il fallait, au contraire, qu'il le nommât devant le peuple, comme l'homme dont il pouvait attendre des services éminents, qu'il fît tout pour lui obtenir le poste où il était nécessaire.
Je n'ai rien vu de plus admirable dans toute la révolution que cet amour qui unit deux frères à la tête d'une armée; dont l'un la guide aux combats par le chemin de la victoire, et l'autre combattant dans le rang, fait passer dans l'âme des soldats son amour, son enthousiasme, son dévoûment pour la patrie.
La plus grande vérité qu'on puisse vous dire à cette tribune, c'est que l'on cherche à vous perdre par vous-mêmes.
C'était le but et le moyen des fédéralistes, des aristocrates, des puissances étrangères….. Divisez les Jacobins, disaient-ils, en suscitant au milieu d'eux des hommes qui les égarent et répandent le soupçon sur le plus ferme appui de la révolution.
Je voudrais les voir, ces hommes qui nous calomnient et se prétendent plus patriotes que nous. Ils veulent nos places… Eh bien! qu'ils les prennent…
Je voudrais les voir, sondant nuit et jour les plaies de l'Etat, sans cesse occupés du peuple, consacrant leur existence entière à son salut. Veut-on seulement détruire la liberté, en calomniant ses défenseurs? Qu'on ne s'imagine plus y réussir, ce n'est pas seulement le patriotisme, cet amour inné de la liberté, l'enthousiasme qui nous soutient; c'est la raison qui doit éterniser la république: c'est par son empire que le peuple doit régner, son règne est donc impérissable.
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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours dans lequel il attaque le philosophisme et répond aux déclamations des athées par une profession de foi, prononcé au Club des Jacobins le 1er frimaire an II de la république française (21 novembre 1793)
J'avais cru que le préopinant traiterait l'objet important soumis par Hébert à l'attention de l'assemblée; il ne l'a pas même abordé, et il nous reste à chercher les véritables causes des maux qui affligent encore notre patrie.
Est-il vrai que nos plus dangereux ennemis soient les restes impurs de la race de nos tyrans, les odieux captifs dont les noms servent encore de prétexte à la politique criminelle de quelques rebelles, et surtout des puissances étrangères? Je vote en mon coeur pour que la race des tyrans disparaisse de la terre; mais puis-je m'aveugler sur la situation de mon pays, au point de croire que cet événement suffirait pour éteindre le foyer des conspirations qui nous déchirent? A qui persuadera-t-on que la punition de la méprisable soeur de Capet en imposerait plus à nos ennemis que celle de Capet lui-même et de sa criminelle compagne?
Est-il vrai encore que la principale cause de nos maux soit le fanatisme? Le fanatisme! il expire; je pourrais même dire qu'il est mort. En dirigeant depuis quelques jours toute notre attention contre lui, ne la détourne-t-on pas de nos véritables dangers?
Vous craignez, dites-vous, les prêtres! les prêtres craignent bien davantage les progrès de la lumière. Vous avez peur des prêtres! et ils s'empressent d'abdiquer leurs titres, pour les échanger contre ceux de municipaux, d'administrateurs, et même de présidents de sociétés populaires. Croyez seulement à leur amour pour la patrie, sur la foi de leur abjuration subite, et ils seront très contents de vous…. Vous ne le serez peut-être pas également d'eux. Avez-vous peur de ces évêques qui naguère étaient très attachés à leur bénéfice constitutionnel, qui leur rapportait soixante-dix mille livres de rentes, et qui en ont fait le sacrifice dès qu'il a été réduit à six mille livres; de ces évêques qui, aujourd'hui, en sollicitent et en ont peut-être obtenu l'indemnité? Oui, craignez, non pas leur fanatisme, mais leur ambition; non pas l'habit qu'ils portaient, mais la peau nouvelle dont ils se sont revêtus. Au reste, ceci ne s'applique point à tous les prêtres; je respecte les exceptions, mais je m'obstine à croire qu'elles sont rares.
Non, ce n'est point le fanatisme qui doit être aujourd'hui le principal objet de nos inquiétudes. Cinq ans d'une révolution qui a frappé sur les prêtres déposent de son impuissance; la Vendée même, son dernier asile, ne prouve point du tout son pouvoir. C'est la politique, c'est l'ambition, ce sont les trahisons de ceux qui gouvernaient jadis qui ont créé la Vendée; c'étaient des hommes sans honneur, comme sans religion, qui traînaient des brigands étrangers ou français au pillage, et non au pied des autels. Encore, la force de la république et le zèle du gouvernement actuel les ont-ils frappés à mort, malgré tant d'obstacles et de crimes; car ils ont perdu leur place d'armes, leurs magasins, la plus grande partie de leur force; il ne leur reste qu'une horde fugitive, dont l'existence ne pourrait être prolongée que par la malveillance et par l'ineptie. Je ne vois plus qu'un seul moyen de réveiller parmi nous le fanatisme, c'est d'affecter de croire à sa puissance. Le fanatisme est un animal féroce et capricieux; il fuyait devant la raison: poursuivez-le avec de grands cris, il retournera sur ses pas.
Et quels autres effets peut produire cette chaleur extraordinaire et subite, ce zèle exagéré et fastueux avec lequel on semble lui faire la guerre depuis quelque temps. Je l'ai dit à la Convention, et je le répète ici, il est une infinité de choses que le bon esprit du peuple a tournées au profit de la liberté, et que nos ennemis n'avaient imaginées que pour la perdre.
Que des citoyens animés par un zèle pur viennent déposer sur l'autel de la patrie les monuments inutiles et pompeux de la superstition, pour les faire servir à son triomphe, la patrie et la raison sourient à ces offrandes. Que d'autres renoncent à telles ou telles cérémonies, et adoptent sur toutes ces choses l'opinion qui leur paraît la plus conforme à la vérité, la raison et la philosophie peuvent applaudir à leur conduite; mais de quel droit l'aristocratie et l'hypocrisie viendraient-elles ici mêler leur influence à celle du civisme et de la vertu? De quel droit des hommes inconnus jusqu'ici dans la carrière de la révolution viendraient-ils chercher au milieu de tous ces événements les moyens d'usurper une fausse popularité, d'entraîner les patriotes même à de fausses mesures, et de jeter parmi nous le trouble et la discorde? De quel droit viendraient-ils troubler la liberté des cultes, au nom de la liberté, et attaquer le fanatisme par un fanatisme nouveau? De quel droit feraient-ils dégénérer les hommages solennels rendus à la vérité pure, en des farces éternelles et ridicules? Pourquoi leur permettrait-on de se jouer ainsi de la dignité du peuple, et d'attacher les grelots de la folie au sceptre même de la philosophie?
On a supposé qu'en accueillant des offrandes civiques, la Convention avait proscrit le culte catholique.
Non, la Convention n'a point fait cette démarche téméraire: la Convention ne la fera jamais. Son intention est de maintenir la liberté des cuites, qu'elle a proclamée, et de réprimer en même temps tous ceux qui en abuseraient pour troubler l'ordre public; elle ne permettra pas qu'on persécute les ministres paisibles du culte, et elle les punira avec sévérité toutes les fois qu'ils oseront se prévaloir de leurs fonctions pour tromper les citoyens et pour armer les préjugés ou le royalisme contre la république. On a dénoncé des prêtres pour avoir dit la messe: ils la diront plus longtemps, si on les empêche de la dire. Celui qui veut les empêcher est plus fanatique que celui qui dit la messe.
Il est des hommes qui veulent aller plus loin; qui, sous le prétexte de détruire la superstition, veulent faire une sorte de religion de l'athéisme lui-même. Tout philosophe, tout individu peut adopter là-dessus l'opinion qu'il lui plaira. Quiconque voudrait lui en faire un crime est un insensé; mais l'homme public, mais le législateur serait cent fois plus insensé qui adopterait un pareil système. La Convention nationale l'abhorre. La Convention n'est point un faiseur de livres, un auteur de systèmes métaphysiques, c'est un corps politique et populaire, chargé de faire respecter, non seulement les droits, mais le caractère du peuple français. Ce n'est point en vain qu'elle a proclamé la déclaration des droits de l'homme en présence de l'Etre suprême!"
On dira peut-être que je suis un esprit étroit, un homme à préjugés; que sais-je, un fanatique.
J'ai déjà dit que je ne parlais, ni comme un individu, ni comme un philosophe systématique, mais comme un représentant du peuple. L'athéisme est aristocratique; l'idée d'un grand être, qui veille sur l'innocence opprimée, et .qui punit le crime triomphant, est toute populaire. Le peuple, les malheureux m'applaudissent; si je trouvais des censeurs, ce serait parmi les riches et parmi les coupables. J'ai été, dès le collège, un assez mauvais catholique; je n'ai jamais été ni un ami froid, ni un défenseur infidèle de l'humanité. Je n'en suis que plus attaché aux idées morales et politiques que je viens de vous exposer: "Si Dieu n'existait pas, il faudrait |'inventer."
Je parle dans une tribune où! impudent Guadet osa me faire un crime d'avoir prononcé le mot de providence. Et dans quel temps! lorsque le coeur ulcéré de tous les crimes dont nous étions les témoins et les victimes; lorsque versant des larmes amères et impuissantes sur la misère du peuple éternellement trahi, éternellement opprimé, je cherchais à m'élever au dessus de la tourbe impure des conspirateurs dont j'étais environné, en invoquant contre eux la vengeance céleste, au défaut de la foudre populaire. Ce sentiment est gravé dans tous les coeurs sensibles et purs; il anime dans tous les temps les plus magnanimes défenseurs de la liberté. Aussi longtemps qu'il existera des tyrans, il sera une consolation douce au coeur des opprimés; et si jamais la tyrannie pouvait renaître parmi nous, quelle est l'âme énergique et vertueuse qui n'appellerait point en secret, de son triomphe sacrilège, à cette éternelle justice, qui semble avoir écrit dans tous les coeurs l'arrêt de mort de tous les tyrans. Il me semble du moins que le dernier martyr de la liberté exhalerait son âme avec un sentiment plus doux, en se reposant sur cette idée consolatrice. Ce sentiment est celui de l'Europe et de l'univers, c'est celui du peuple français. Ce peuple n'est attaché ni aux prêtres, ni à la superstition, ni aux cérémonies religieuses; il ne l'est qu'au culte en lui-même, c'est-à-dire à l'idée d'une puissance incompréhensible, l'effroi du crime et le soutien de la vertu, à qui il se plaît à rendre des hommages qui sont autant d'anathèmes contre l'injustice et contre le crime triomphant.
Si le philosophe peut attacher sa moralité à d'autres bases, gardons-nous néanmoins de blesser cet instinct sacré et ce sentiment universel des peuples. Quel est le génie qui puisse en un instant remplacer, par ses inventions, cette grande idée protectrice de l'ordre social et de toutes les vertus privées?
Ne voyez-vous pas le piège que nous tendent les ennemis de la république et les lâches émissaires des tyrans étrangers? En présentant comme l'opinion générale les travers de quelques individus, et leur propre extravagance, ils voudraient nous rendre odieux à tous les peuples, pour affermir les trônes chancelants des scélérats qui les oppriment. Quel est le temps qu'ils ont choisi pour ces machinations? Celui où les armées combinées ont été vaincues ou repoussées par le génie républicain; celui où ils veulent étouffer les murmures des peuples fatigués ou indignés de leur tyrannie; celui où ils pressent les nations neutres et alliées de la France de se déclarer contre nous. Les lâches ne veulent que réaliser toutes les calomnies grossières dont l'Europe entière reconnaissait l'impudence, et repousser de vous, par les préjugés ou par les opinions religieuses, ceux que la morale et l'intérêt commun attiraient vers la cause sublime et sainte que nous défendons.
Je le répète: nous n'avons plus d'autre fanatisme à craindre que celui des hommes immoraux, soudoyés par les cours étrangères pour réveiller le fanatisme, et pour donner à notre révolution le vernis de l'immoralité, qui est le caractère de nos lâches et féroces ennemis.
J'ai parlé des cours étrangères. Oui, voilà les véritables auteurs de nos maux et de nos discordes intestines.
Leur but est d'avilir, s'il était possible, la nation française, de déshonorer les représentants qu'elfe a choisis, et de persuader aux peuples que les fondateurs de la république n'ont rien qui les distingue des valets de la tyrannie.
Ils ont deux espèces d'armées; l'une, sur nos frontières, impuissantes, plus près de sa ruine, à mesure que le gouvernement républicain prendra de la vigueur, et que la trahison cesse de rendre inutiles les efforts héroïques des soldats de la patrie; l'autre, plus dangereuse, est au milieu de nous: c'est une armée d'espions, de fripons stipendiés, qui s'introduisent partout, même au sein des sociétés populaires. Depuis que les chefs d'une faction exécrable, le plus ferme appui des trônes étrangers, ont péri; depuis que la journée du 31 mai a régénéré la Convention nationale qu'ils voulaient anéantir, ils redoublent d'activité, pour séduire, pour calomnier, pour diviser tous les défenseurs de la république, pour avilir et pour dissoudre la Convention nationale.
Bientôt cet odieux mystère sera entièrement dévoilé. Je me bornerai dans ce moment à vous offrir quelques traits de lumière, qui sortent de 1a discussion même qui vous occupait.
Hébert vous a révélé deux ou trois mensonges impudents dictés par la faction dont je parle.
Un homme, vous a-t-il dit, un homme très connu, a voulu lui persuader qu'après l'arrestation de la Montansier, je devais dénoncer cette mesure, dénoncer à cette occasion Pache, Hébert et toute la Commune. Je devais apparemment prendre un vif intérêt à cette héroïne de la république, moi qui ai provoqué l'arrestation de tout le Théâtre Français, sans respect pour les augustes princesses qui en faisaient l'ornement; moi qui n'ai vu dans tant de solliciteuses enchanteresses, que les amantes de l'aristocratie, et les comédiennes ordinaires du roi. Je devais dénoncer Pache, moi qui l'ai défendu dans un temps où une portion du peuple, trompée par les ennemis de notre liberté, vint lui imputer à la barre de la Convention la disette qui était leur ouvrage; moi qui, alors, président de la Convention, opposais l'éloge de sa vertu pure et modeste, qui m'est connue, à un orage passager excité par la malveillance! Peut-être ai-je montré alors une fermeté que n'auraient point eue ceux qui, lâches calomniateurs du peuple opprimé n'auraient jamais osé dire la vérité au peuple triomphant; je me confiais alors, et je me confie encore dans ce moment au caractère du peuple, qui, étranger à tous les excès, est toujours du parti de la morale, de la justice et de la raison.
Enfin j'aurais dénoncé en faveur de la Montansier, la municipalité et les braves défenseurs de la liberté, moi qui, défenseur de tous les patriotes, et martyr de la même cause, ai toujours eu pour principe qu'il fallait autant d'indulgence pour les erreurs mêmes du patriotisme, que de sévérité pour les crimes de l'aristocratie, et pour les perfidies des fripons accrédités.
Hébert vous a dit encore que je l'avais accusé d'être payé par Pitt et par Cobourg. Dans la dernière séance, vous m'avez entendu, vous avez vu que je n'ai attribué qu'à une erreur patriotique des inculpations qui pouvaient perdre cinq ou six défenseurs de la liberté, et que j'en ai trouvé la source dans le plan de calomnie inventé par les ennemis de la république. Vous pouvez apprécier ce nouveau trait d'impudence qui tendait à diviser les patriotes; je le dénonce avec Hébert, et comme il est émané d'un prétendu patriote membre de cette société qu'Hébert nous nommera, j'en conclus qu'il faut soulever le masque du patriotisme qui cache certains visages, et purger cette société des traîtres qu'elle renferme dans son sein.
.le vous ai promis de vous indiquer quelques-uns des agents soudoyés par les tyrans pour nous diviser, pour déshonorer la cause du peuple français, en avilissant la représentation nationale. Je citerai d'abord un homme qu'Hébert a nommé comme l'auteur de la première des deux calomnies. Quel est cet homme? Est-ce un aristocrate? Il n'a porté ce titre que jusqu'au trois quarts à peu près du chemin de la révolution.
Depuis cette époque, c'est un patriote, c'est un Jacobin très ardent. Il est membre de vos comités, il les dirige. Un jour il sortit tout à coup de son obscurité. Lebrun l'avait envoyé en qualité de commissaire dans la Belgique au temps des trahisons de Dumouriez. Dumouriez avait déjà menacé la Convention par ses manifestes séditieux; la Convention avait déjà fulminé contre ce traître. Dubuisson (c'est son nom) parut tout à coup à cette tribune, le coeur comme oppressé des grands secrets qu'il avait à nous révéler, avec l'air d'un homme accablé du poids des destinées de la France qu'il portait. Il vous découvrit la trahison de Dumouriez, qui était découverte; à la place des pièces authentiques qui la constataient, il vous substitua une prétendue conservation de lui et de ses deux compagnons avec Dumouriez, bien louche, bien bizarre, et où les intérêts de J.-P. Brissot étaient ménagés. Il vous annonça en même temps que s'il n'était pas assassiné dans la nuit, il ferait le lendemain son rapport à la Convention nationale, et que la patrie serait sauvée. Il ne fut point assassiné; il parla à la Convention, où il se fit escorter par des députés de la société des Jacobins; il obtint les honneurs de la mention honorable et de l'impression, votés par la faction girondine et par le côté droit, avec un empressement qui dut beaucoup édifier les patriotes.
Mais il est un autre personnage, plus important encore, et le véritable chef de la clique, le compagnon de Dubuisson dans la fameuse mission dont je viens de parler.
Que la république est heureuse! Si elle a été trahie par une multitude d'enfants ingrats, elle est servie avec un désintéressement admirable par des seigneurs étrangers, et même par les fils des princes allemands. De ce nombre est le fils du principal ministre de la maison d'Autriche, du fameux prince de Kaunitz. Il se nomme Proli. Vous savez que renonçant à son père, à sa patrie, il s'est dévoué tout entier à la cause de l'humanité. Il prétend diriger les Jacobins, dont il n'a pas voulu être membre par discrétion. Il tient chez lui des directoires secrets, où l'on règle les affaires de la société, où on lit la correspondance, où on prépare les motions, les dénonciations; où l'on organise un système patriotique de contre-révolution qui n'a pu être déjoué que par le génie de la liberté, qui éclaire la majorité de vos membres, et la masse du peuple qui vous entend. Le même seigneur a fondé une cinquantaine de clubs populaires pour tout bouleverser et pour perdre les Jacobins. Il s'occupe aussi des sections, et surtout des femmes révolutionnaires, dont il fait nommer les présidentes. C'est le sylphe invisible qui les inspire; il a sous ses ordres plusieurs autres sylphes visibles qui appellent le mépris public et le carnage sur la Convention nationale, depuis la journée du 3l mai. Proli est connu, et cependant Proli est libre: il est imprenable comme ses principaux complices, qui sont des aristocrates déguisés sous le masque du sans-culotisme, et surtout des banquiers prussiens, anglais, autrichiens, et même français.
Souffrirons-nous que le» plus vils scélérats de l'Europe détruisent impunément sous nos yeux les fruits de nos glorieux et pénibles travaux? Ferons-nous alliance avec les complices, avec les valets de ces mêmes tyrans, dont les satellites égorgent sans pitié nos femmes, nos enfants, nos frères, nos représentants? Je demande que cette société se purge enfin de cette horde criminelle; je demande que Dubuisson soit chassé de cette société, ainsi que deux autres intrigants dont un vit avec Proli, sous le même toit, et qui tous sont connus de vous comme ses affiliés; je parle de Desfieux et de Pereyra.
Je demande qu'il soit fait un scrutin épuratoire à la tribune, pour reconnaître et chasser tout les agents des puissances étrangères, qui, sous leurs auspices, se seraient introduits dans cette société.
Je demande qu'on renouvelle de la même manière les comités de la société qui renferment sans doute d'excellents patriotes, mais où ils ont, sans doute aussi glissé plusieurs de leurs affidés.
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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours sur les partis qui agitent la France, prononcé au Club des Jacobins le 8 frimaire an II de la république française (28 novembre 1793)
Je demande la parole, non pour faire un discours, mais pour faire connaître des faits propres à répandre un grand jour sur les machinations des ennemis de la liberté. Je vais commencer par lire une lettre saisie sur un émigré, qu'a fait passer au comité du salut public le général Pichegru, et que le comité m'a autorisé à vous communiquer. Elle est adressée à madame Larive, à Fribourg. Elle est remplie d'écritures différentes, dont une composée par des moyens chimiques. La voici.