Discours par Maximilien Robespierre — 21 octobre 1789-1er juillet 1794
Il n'y a qu'un moyen pour un peuple qui ne peut pénétrer par lui-même à chaque instant dans les replis de l'intrigue; c'est de conserver ses droits et de faire en sorte que son courage ne puisse échouer contre la perfidie; c'est de comparer avec la justice tout ce qui n'en a que l'apparence; tout ce qui tend à un résultat dangereux est dicté par la perfidie.
Il est un sentiment gravé dans le c½ur de tous les patriotes, et qui est la pierre de touche pour reconnaître leurs amis; quand un homme se tait au moment où il faut parler, il est suspect; quand il s'enveloppe de ténèbres, ou qu'il montre pendant quelques instants une énergie qui disparaît aussitôt; quand il se borne à de vaines tirades contre les tyrans, sans s'occuper des m½urs publiques et du bonheur de tous ses concitoyens, il est suspect.
Quand ont voit des hommes ne sacrifier des aristocrates que pour la forme, il faut porter un examen sévère sur leurs personnes.
Quand on entend citer des lieux communs contre Pitt et les ennemis du genre humain, et que l'on voit les mêmes hommes attaquer sourdement le gouvernement révolutionnaire; quand on voit des hommes, tantôt modérés, tantôt hors de toute mesure, déclamant toujours, et toujours s'opposant aux moyens utiles qu'on propose, il est temps de se mettre en garde contre les complots.
La révolution se terminerait d'une manière bien simple, et sans être inquiétée par les factieux, si tous les hommes étaient également amis de la patrie et des lois.
Mais nous sommes bien éloignés d'en être arrivés à ce point; j'en atteste les hommes probes, qu'ils déclarent si, lorsqu'ils veulent défendre un patriote tout criblé des blessures de l'aristocratie, et qu'un aristocrate doucereux se présente, il ne se groupe pas aussitôt autour de ce dernier beaucoup d'hommes qui cherchent à le soutenir.
Mais les gémissements d'un patriote opprimé ont-ils donc plus de peine à se faire entendre dans de certaines âmes, que les plaintes hypocrites de l'aristocratie?
Concluons de là que le gouvernement républicain n'est pas encore bien assis, et qu'il y a des factions qui contrarient ses effets. Le gouvernement révolutionnaire a deux objets, la protection du patriotisme, et l'anéantissement de l'aristocratie. Jamais il ne pourra parvenir à ce but, tant qu'il sera combattu par les factions. Assurer la liberté sur des bases inébranlables sera pour lui une chose impossible, tant que chaque individu pourra se dire: Si aujourd'hui l'aristocratie triomphe,, je suis perdu. Il y aura toujours dans le sein du peuple une grande réaction contre les intrigues, et il en résultera peut-être beaucoup de déchirements.
Mais les scélérats ne triompheront pas, car il est impossible que les hommes qui ont épousé le système profond de la justice et de la liberté consentent jamais à laisser à de si vils ennemis un triomphe qui serait à la fois la honte et la perte de l'humanité entière. Il faut que ces lâches conspirateurs, ou renoncent à leurs complots infâmes, ou qu'ils nous arrachent la vie. Je sais qu'ils le tenteront, ils le tentent même tous les jours, niais le génie de la patrie veille sur les patriotes.
J'aurais voulu donner plus d'ordre et de précision à ces réflexions, mais j'ai suivi le sentiment de mon âme. Je cherche à étouffer les germes de division et à empêcher qu'il ne se forme deux partis dans la Convention: j'invite tous les membres à se mettre en garde contre les insinuations perfides de certains personnages qui, craignant pour eux-mêmes, veulent faire partager leurs craintes. Tant que la terreur durera parmi les représentants, ils seront incapables de remplir leur mission glorieuse. Qu'ils se rallient à la justice éternelle, qu'ils déjouent les complots par leur surveillance; que le bruit de nos victoires soit la liberté, la paix, le bonheur et la vertu, et que nos frères, après avoir versé leur sang pour nous assurer tant d'avantages, soient eux-mêmes assurés que leurs familles jouiront du fait immortel que doit leur garantir leur généreux dévoûment!