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Discours par Maximilien Robespierre — 21 octobre 1789-1er juillet 1794

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Lyon, le 26 mai.

"La faction maratiste est tombée dans le plus grand discrédit, le parti contraire réussit dans presque toute la France, et ce parti est le républicanisme voilé dont se sont couverts tous les honnêtes gens. Une chose qui a été nécessaire pour faire tomber le parti de Marat, qui n'avait pas moins que le projet de faire égorger tous les honnêtes gens, ç'a été de se dire vraiment républicain; et ce qui me paraît encore plus fâcheux, c'est qu'il a fallu dire hautement que cette faction abominable de Jacobins s'entendait avec les puissances étrangères et les émigrés, chose que je n'ai jamais sue. On assure que des lettres prouvent évidemment cette connivence. Je crois que ceci peut être très défavorable aux émigrés; car le peuple est toujours avide de nouvelles choses. Et aujourd'hui qu'on lui fait ouvrir les yeux sur ses véritables intérêts, tous ceux qui pensent comme moi voient avec peine qu'il faut se servir de ce prétexte pour mériter sa confiance. Nous croyons donc qu'il serait très à propos que tous les émigrés fissent une adresse aux Français, pour leur annoncer que jamais leurs sentiments n'ont été ceux d'une faction abominable et désorganisatrice; que jamais les chevaliers français n'ont pris part à toutes les horreurs qui, depuis si longtemps, ravagent nos misérables contrées. Un exposé court de leurs sentiments, et surtout de leur amour pour le peuple serait, je crois, absolument nécessaire dans la circonstance où nous nous trouvons."

Vous voyez ici tout le plan des conspirations: l'aristocratie, dirigée par la faction brissotine, avait donné au parti républicain le nom de maratiste. Pour le combattre, on avait pris le parti de se dire républicain, et même de publier que les Jacobins étaient coalisés avec les puissances étrangères et avec les émigrés; mais l'aristocrate qui développe ce système à son ami ne lui dissimule pas qu'il est triste que les honnêtes gens soient obligés de prendre ce parti; car il craint qu'à force de parler république, on ne finisse par fortifier l'attachement du peuple à la liberté.

Un autre fait pourra jeter quelque lumière sur les manoeuvres actuelles. On vous a dit que le système des agents de nos ennemis était de calomnier et de perdre les plus zélés défenseurs de la liberté, pour amener la dissolution de la Convention nationale. Vous allez voir quels sont les moyens qu'ils emploient pour parvenir à ce but.

Voici une lettre adressée à M. Brissot, dans sa maison, rue Grétry; elle n'a été mise à la poste que pour qu'elle y fût arrêtée.

De Londres, le 9 novembre 1793.

"Cher ami et frère, j'adresse à votre maison, pour que ma lettre ne soit pas interceptée, parce que j'espère que vous y avez des gens de confiance qui vous la feront tenir. Je vous apprendrai que je suis arrivé d'hier dans cette ville: que ma tournée d'Irlande et d'Ecosse a été des plus heureuses, pour moi personnellement, bien au dessus de mes espérances. Je n'ai été troublé dans ma course que par la nouvelle de votre arrestation: je me suis flatté qu'elle était sans fondement; il m'a semblé qu'il était impossible que vos amis vous abandonnassent, vu que vous étiez un des meilleurs amis de la patrie; que les bruits qui couraient étaient pour amuser les aristocrates; mais quelle a été ma surprise et mon chagrin , quand nos amis m'ont confirmé que cette malheureuse nouvelle n'était que trop vraie ? Hélas! c'est donc le prix de votre zèle, non seulement à les servir, mais encore à leur donner les moyens de saisir l'occasion que les circonstances leur procuraient de faire leur fortune et celle de la mettre à couvert. Nos amis et moi sommes confondus et outrés de l'ingratitude des hommes; j'en avais quelque expérience, mais jamais je n'aurais imaginé qu'elle pourrait être poussée ace point, mais au moins, cher ami, si c'est une consolation pour les malheureux d'espérer d'être vengés, vous pouvez en jouir d'avance; car, s'ils vous abandonnent réellement, leur triomphe passera comme une fumée, même leur fortune, excepté ce qu'ils ont dans les banques.

"Je vous préviens que je viens d'expédier à nos correspondants d'Amsterdam, de Gênes et de Genève, enfin à tous nos associés, de se tenir prêts d'un commun accord; et que s'il vous arrive la moindre chose, qu'il ne soit plus question de leurs dix-sept millions. Tous nos amis ici sont très décidés à cela, ainsi que la convenance pour le bien des émigrants rompue; prévenez-en, s'il en est encore temps, comme je l'espère, Danton, Robespierre et Lecointre; j'espère que tout sentiment n'est pas encore éteint en eus, et surtout leur position étant la plus considérable, ça sera sur eux que nous tomberons les premiers. Pour Pétion, il n'est plus à craindre, vous êtes déjà vengé de lui-même pour sa fortune; les agents de l'égalité s'en sont emparé. Pour Bazire, Legendre, Buzot et Collot-d'Herbois, qu'ils tremblent de pousser trop loin leurs criaillements, nous les tenons: ainsi, qu'ils vous ménagent, s'ils ne veulent point se perdre.

"Pour votre fortune, cher infortuné ami, tel malheur qu'il vous arrive, elle est à l'abri, soyez tranquille; même proposez-la à vos ennemis, vous pouvez leur promettre en foi d'honnête homme, et la leur donner eu sûreté, je m'en rends garant; si cela peut les engager à vous servir, faites-le-moi savoir au plus vite, alors j'enverrai tout de suite un exprès à Gènes, et vous pouvez prendre sur M. K. F. tout ce qui vous sera nécessaire pour leur prouver que vous êtes de bonne foi; prenez tout de suite cinquante ou soixante mille livres. Ne soyez pas inquiet, je vous en prie, sur l'avenir; que ça ne vous occupe en rien: pensez à gagner vos ennemis, persuadez-vous que vous avez de bons amis ici, et surtout moi; que je me trouve bien malheureux d'avoir douté jusqu'à présent de la vérité, je crains d'être en partie la cause de votre malheur. Si ma lettre, qui est mon seul espoir, arrive trop tard, je ne m'en consolerai jamais. Adieu, trop infortuné ami, de grâce répondez-moi tout de suite pour dissiper mes craintes qui sont extrêmes, ou faites-le-moi faire si vous êtes privé de cette liberté. Adieu; au moins ne doutez pas un moment de l'amitié lit ph« Sincère de votre ami pour la vie.

A. C. D.

"P S. Nos amis me chargent de vous assurer que vos malheurs resserrent encore, s'il est possible, l'amitié qu'ils vous ont toujours vouée. M. L. écrira demain à M.K.F. Adieu."

Je ne ferai point de commentaire sur cette lettre; je vais vous en communiquer une autre qui n'est ni moins curieuse, ni moins instructive. Celle-ci m'est adressée; je l'ai reçue hier par la poste. Le cachet porte l'empreinte d'un gros évêque; sur l'enveloppe est écrit au crayon, Soleure.—Plus bas, à la main: Très pressée. De l'autre côté: On prie les personnes par les mains desquelles passera cette lettre de ne pas l'ouvrir. Cette lettre ne fut pas ouverte, quoiqu'elle dût l'être comme on voit; elle me fut remise, et voici ce qu'on y lit:

Ce 16 novembre. "Je connais trop bien, citoyen, ta façon de penser aristocrate, pour que je te puisse laisser dans l'incertitude sur l'état de nos affaires, et cela est d'autant plus important, que la place que tu occupes est plus éminente. Je sais que tu veux la république, mais tu veux aussi les nobles et les prêtres, selon que tu l'as mainte et mainte fois déclaré à Paris lorsque j'y séjournais. Je te parle à coeur ouvert, parce que je sais que, persuadé de ton civisme, on ne te fera pas de mal. Les patriotes, ces f….. sacrés coquins, pour me servir de tes expressions, sont battus de toutes parts. J'espère que bientôt le temps viendra de te manifester. Il est très adroit à toi d'avoir fait mourir le duc d'Orléans, ce vilain, et en même temps de t'être emparé de l'autorité, afin de pouvoir la remettre entre les mains des princes, qui, comme je l'espère, ainsi que toi, ne tarderont pas à venir. Tu me mandes, dans ta dernière lettre, que tu es dans une situation affreuse; je me le persuade facilement, étant obligé d'approuver toutes les horreurs qui se commettent sous tes yeux. J'ai écrit au comte d'Artois pour ce que tu sais bien: il m'a dit que tu devais te tenir tranquille jusqu'à ce que le prince de Cobourg soit proche de Paris. Il accepte la proposition de livrer Paris à ce général autrichien; j'ai fort bien fait tes affaires auprès de lui. Adieu, cher citoyen; je t'aime et t'embrasse de tout mon coeur, et suis à la vie ton ami."

Et sur un chiffon inclus dans la lettre est écrit, par P.S.: "Comme ma lettre est déjà cachetée, je veux l'ouvrir pour te dire que, depuis ma dernière lettre, je n'ai pas changé de demeure; je suis toujours où tu sais bien, chez le citoyen N. Il n'est pas étonnant que tu aies été affligé de la mort de la reine, c'est un événement fait pour cela, et tous les gens de bien en sont là. Fais graver le cachet dont je me suis servi pour cacheter ma lettre; c'est Pie VI, il est très ressemblant. Tout le monde que tu m'as chargé de saluer te fait bien des remercîments et te salue bien."

Ces coups sont dirigés par les agents des cours étrangères, qui ont juré la perte des vrais patriotes, comme le seul moyen de faire triompher la cause des tyrans. Je ne craindrai pas de dire que cette lettre a été faite à Paris, malgré les apparences contraires.

Voyez quels rapports on peut saisir: comme ceci s'adapte aux dernières réflexions que je fis à cette tribune. Parce que je me suis opposé au torrent des extravagances contre-révolutionnaires imaginées par nos ennemis pour réveiller le fanatisme, on a prétendu pouvoir en conclure que j'étayais les prêtres, que je soutenais le fanatisme, et la lettre que je viens de vous lire porte principalement sur cette idée. S'il n'était question que de conjectures. je croirais pouvoir affirmer que j'ai reconnu la main qui a composé ce tissu d'horreurs. Elles sont vraisemblablement l'ouvrage de ce vil Proli et de ses complices, de ce criminel étranger qui prétend diriger les Jacobins pour les compromettre.

Réfléchissez avec quelle perfidie on attaque chaque jour les membres de la Convention nationale en détail, surtout ceux qui jouissent d'une longue réputation de civisme et d'énergie; voyez comme on commence à répandre sur la Montagne tout entière les plus sombres nuages; voyez comme on cherche à décréditer le comité de salut public, trop redouté des ennemis de la France pour n'être pas le principal objet des attaques de leurs lâches émissaires.

Une longue diatribe écrite par un Gascon, et venue dit-on de Bayonne, vient d'être lue à cette tribune; croyez-vous que ce soit l'homme qui a été faible jadis qu'on poursuit aujourd'hui; non, c'est l'homme qui, détrompé sur le compte de quelques hypocrites dangereux, leur a porté des coups mortels, et sert très utilement la république; ce n'est point l'individu qu'on attaque: c'est le représentant du peuple, membre du comité de salut public, et tout ce qu'on veut en conclure, c'est ce que dit formellement l'auteur même de la lettre, "Que le peuple doit se défier des hommes habiles qui composent le comité de salut public."

Au reste, je vous l'ai déjà dit, vous à qui notre vigilance déplaît, venez prendre nos places.

Venez résister à tous les tyrans venez étouffer les conspirations, déjouer les intrigues, punir les traîtres, stimuler les lâches; venez d'une main repousser la calomnie; de l'autre, tous les efforts des innombrables ennemis de la liberté! Nous, alors, nous serons dans les tribunes; si vous commettez des erreurs, ne trouvez pas mauvais que nous ayons pour vous un peu plus d'indulgence que vous ne nous en témoignez, mais si vous commettez des crimes, si vous ne voulez gouverner que pour livrer la république aux tyrans que nous combattons, alors nous vous dénoncerons; nous périrons, s'il le faut, pour conserver le plus grand ouvrage que la raison humaine ait élevé.

Croient-ils donc que nous laisserons la patrie en proie à leur extravagance incivique, et que nous souffrirons au sein de la république le règne des valets de Georges et de l'Autriche? Croient-ils que, dupes de leurs déclamations philosophiques, nous n'étoufferons pas dans leurs mains les flambeaux de la guerre civile, qu'ils jettent au milieu de nous! Oui, dans le mouvement subit et extraordinaire qui vient d'être excité, nous prendrons tout ce que ce peuple peut avouer, et nous rejetterons tous les excès par lesquels nos ennemis veulent déshonorer notre cause; nous tirerons de ces moments les ressources dont la patrie a besoin pour foudroyer ses ennemis; nous en tirerons un hommage rendu à la morale et à la liberté; mais nous ne souffrirons pas qu'on lève l'étendard de la persécution contre aucun culte; que l'on cherche à substituer des querelles religieuses à la grande cause de la liberté, que nous défendons. Nous ne souffrirons pas que l'on confonde l'aristocratie avec le culte, et le patriotisme avec l'opinion qui les proscrit. A ce compte, les perfides ennemis de la liberté acquerraient des titres de civisme, et le peuple serait proscrit par le peuple lui-même. Un Canisi, un évêque fanatique qui .prêchait naguère la guerre civile au nom du Néant, deviendrait un héros de la république en se déprêtrisant!

La Convention nationale maintiendra. la liberté des cultes, en proscrivant le fanatisme et en punissant la rébellion: elle protégera les patriotes mêmes contre leurs erreurs; elle fera justice des contre-révolutionnaires, malgré le masque dont ils se couvrent; elle imposera silence à toutes les disputes religieuses, et elle ralliera tous les citoyens contre les ennemis de l'humanité. Il est des prêtres philosophes, que des intentions pures ont déterminés, ils ont droit à |'estime de leurs concitoyens et à la protection du gouvernement républicain; quant à ceux qui n'ont pris qu'une nouvelle forme pour intrigu.er et pour conspirer, on ne leur tiendra pas compte d'une comédie nouvelle; on doit distinguer les citoyens paisibles et patriotes, qui apportent sur l'autel de la patrie les monuments inutiles de la superstition, des aristocrates déguisés qui affectent d'insulter aux choses que le peuple a révérées, pour irriter les esprits; qui prêchent l'athéisme, avec un fanatisme outré, dans la seule vue d'imputer cette conduite à la Convention nationale et aux amis de la patrie.

On a vu des aristocrates décriés se mettre à la tête de certaines processions, et aller ensuite en d'autres lieux exciter le peuple par le récit de certaines farces très ridicules, qu'ils avaient eux-mêmes jouées; on en a vu d'autres se signaler par leur zèle à honorer la mémoire de ce même Marat, qu'ils ont fait assassiner, et répandre le bruit que Paris adorait Marat, et qu'il ne reconnaissait plus d'autre dieu. On en a vu d'autres employer la violence, ou l'autorité, pour interdire aux citoyens l'exercice de leur culte accoutumé, et cela dans les lieux où la superstition régnait, et voisins des armées rebelles. Plusieurs espèces de causes ont concouru à ces abus: les uns, couverts d'une tache originelle en révolution, ont voulu l'effacer par les démonstrations d'un zèle outré, beaucoup de prêtres et de nobles sont de ce genre; les autres ont été guidés par une sorte de manie philosophique et par l'ambition du bel esprit; semblables à ce Manuel, qui, pendant sa magistrature, sua sang et eau pour faire des épigrammes contre les prêtres. Emportés par la juste indignation que l'hypocrite perfidie des prêtres a allumée dans les coeurs, les patriotes ont applaudi à ces mesures excessives.

Une quatrième classe a calculé, avec un sang-froid atroce, le parti que les ennemis de la liberté pouvaient tirer de ces événements pour troubler l'Etat et élever une nouvelle barrière entre le peuple français et les autres nations, et ils ont poussé aux excès; ils ont mis en oeuvre les différents mobiles que je viens de développer pour arriver à leur but.

A la tête de ce complot sont les agents détestables des cours étrangères, que j'ai déjà désignés plusieurs fois, et qui sont les véritables auteurs de nos maux.

Ce sont ces misérables qui sèment au milieu de nous la division, l'imposture, la calomnie, la corruption, qui cherchent à immoler les fondateurs de la république et les représentants du peuple français aux vils tyrans qui les soudoient.

Les rois de l'Europe ont vu partout leurs armées repoussées ou arrêtées, leurs sujets fatigués, le peuple français déterminé à défendre sa liberté, et assez puissant pour exterminer tous ses ennemis; la république, s'affermissant par l'énergie de la Convention nationale, ils ont tenté un dernier effort pour nous diviser: ils ont imaginé de faire déclarer cette guerre étrange et subite au culte en vigueur, et à tous les cultes; et, tandis que leurs complices exécutent ce projet en France, ils nous dénoncent à tous les peuples comme une nation athée et immorale. Tous les peuples sont attachés à un culte quelconque, et ils abusent de cet empire que la religion ou la superstition ont acquis sur les hommes pour recruter leurs armées, raffermir leurs trônes, prévenir les insurrections qu'ils redoutaient, refroidir nos alliés et multiplier nos ennemis.

Et de quoi s'avisent ceux qui les secondent, soit par imprudence, soit par malveillance? D'où vient qu'on nous occupe uniquement, éternellement, de prêtres et de religion? N'avez-vous plus d'ennemis à vaincre, de traîtres à punir, de conspirations à étouffer, de lois salutaires à exécuter?

N'est-il plus rien à faire ou à imaginer pour assurer l'abondance et la paix? Les pleurs de tous les malheureux sont-ils séchés? Les veuves de nos défenseurs sont-elles assez promptement secourues? Les décrets qui assurent leur subsistance sont-ils toujours respectés? Que ne vous occupez-vous à aplanir les obstacles que la froideur, que l'aristocratie souvent oppose à leurs justes réclamations. Au lieu de nous harceler sans cesse par de vaines déclamations, que ne travaillez-vous à faciliter l'exécution des lois populaires? Que ne surveillez-vous des détails intéressants, auxquels nous ne pouvons suffire dans des temps orageux? Des républicains doivent-ils avilir le gouvernement do leur pays, lorsqu'il lutte avec courage contre tous les ennemis du peuple français, ou bien l'aider, le faire respecter autant qu'il est en leur pouvoir? Se dispute-t-on les places de la république avant qu'elle soit sauvée? Est-ce au fort de la tempête que l'équipage dispute le gouvernail aux pilotes ?

An reste, nous protestons ici, à la face de l'univers, que jamais ni la calomnie, ni les dangers ne nous forceront à dévier un moment de la carrière que nous parcourons sous les auspices sacrés de la patrie, et s'il faut qu'un combat s'élève entre la vérité et l'intrigue, entre les représentants fidèles du peuple et ses ennemis, nous déclarons que nous comptons sur la raison publique et sur la victoire.

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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours pour déterminer la Convention à protéger la liberté des cultes, prononcé à la Convention nationale le 15 frimaire an II de la république française (5 décembre 1793)

Citoyens, les projets des intrigants qui veulent renverser fa liberté semblent déjà s'exécuter. C'est une chose remarquable que l'émigration qui se fait du Midi en Suisse, depuis qu'on a imprimé le mouvement extraordinaire contre le culte. Il existe des communes qui ne sont pas fanatiques, mais où cependant on trouve mauvais que des autorités, que la force armée, ordonnent de déserter les églises et mettent en arrestation des ministres du culte, à cause de leur qualité seule: des hommes qui les premiers ont apporté les dépouilles du culte ont aussi réclamé; ils ont cédé dans les premiers moments à l'impulsion, par amour pour la paix. Je ne dis pas que ces communes soient moins attachées à la liberté qu'à leur culte, mais enfin elles réclament.

Nos ennemis se sont proposé un double but en imprimant ce mouvement violent contre le culte catholique: le premier de recruter la Vendée, d'aliéner les peuples de la nation française, et de se servir de la philosophie pour détruire la liberté; le second.de troubler la tranquillité de l'intérieur, et de donner ainsi plus de force à la coalition de nos ennemis.

Je pourrais démontrer jusqu'à l'évidence la conspiration dont je viens de vous montrer les principales bases, si je voulais mettre à nu ceux qui en ont été les premiers agents. Je me contenterai de vous dire qu'à la tête il y a des émissaires de toutes les puissances qui nous font la guerre; qu'il y a des ministres protestants. (Rabaut Saint-Etienne venait d'être arrêté à Paris.) Qu'avez-vous à faire dans de pareilles circonstances? parler en philosophes? Non, mais en législateurs politiques, en hommes sages et éclairés. Vous devez protéger les patriotes contre leurs ennemis, leur indiquer les pièges qu'on leur tend, et vous garder d'inquiéter ceux qui auraient été trompés par des insinuations perfides; protéger enfin ceux qui veulent un culte qui ne trouble pas la société. Vous devez encore empêcher les extravagances, les folies qui coïncident avec les plans de conspiration: il faut corriger les écarts du patriotisme, mais faites-le avec le ménagement qui est dû à des amis de la liberté qui ont été un instant égarés.

Je demande que vous défendiez aux autorités particulières de servir nos ennemis par des mesures irréfléchies, et qu'aucune force armée ne puisse s'immiscer dans ce qui appartient aux opinions religieuses, sauf dans le cas où elle serait requise pour des mesures de police.

Enfin, je vous propose une mesure digne de la Convention; c'est de rappeler solennellement tous les citoyens à l'intérêt public, de les éclairer par vos principes, comme vous les animez par votre exemple, et de les engager à mettre de côté toutes les disputes dangereuses, pour ne s'occuper que du salut de la patrie.

Le projet du comité de salut public présente les mêmes vues. En y réfléchissant, vous sentirez la nécessité d'adopter les mesures que nous vous proposons: si vous ne le faites pas, comptez que les émissaires des cours étrangères profiteront de votre silence pour exécuter leurs projets criminels.

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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours sur les sourdes menées de l'étranger pour égarer et pour perdre les patriotes, prononcé au Club des Jacobins le 6 nivôse an II de la république française (26 décembre 1793)

On vous a dit à cette tribune des vérités qui seront toujours un préservatif contre le poison de l'intrigue, vous venez d'entendre la voix de patriotes dont l'énergie est connue de toute la France; vous venez d'entendre une adresse de la part d'une partie intéressante de cette commune où naquit la liberté, qui fut toujours la terreur de l'intrigue et de la tyrannie. C'est là, c'est parmi les vertueux sans-culottes du faubourg Saint-Antoine que les ennemis de la liberté cherchent à se glisser pour égarer le patriotisme sans défiance.

Je suis plus en état que qui que ce soit de juger et de prononcer sur les personnes; je crois connaître les véritables causes de cet imbroglio politique. Je connais toutes le» intrigues, et je vois que si les citoyens sont suspects les uns aux autres, s'ils craignent d'être trompés les uns par les autres, c'est parce qu'il se trouve des politiques adroits qui font naître des inimitiés entre des hommes qui devraient naturellement agir ensemble d'une manière amicale. Lorsque nous devrions nous réjouir de nos victoires, toute notre attention est absorbée dans des querelles particulières. A Londres, à Vienne et à Berlin, on s'imagine que la société des Jacobins s'occupe de préparer des triomphes à nos guerriers vainqueurs de la tyrannie sous les murs de Toulon, et, pendant ce temps, elle s'occupe à des altercations qui se sont élevées entre quelques-uns de ses membres. Les papiers publics vont apprendre à l'Europe que les grands succès qui devraient vous enivrer, ont fait si peu d'impression sur vous, que vous n'avez fait que continuer les vils débats des séances précédentes. Pitt, dans sa frayeur, a pensé que c'en était fait de la ligue abominable des rois, que les Jacobins allaient triompher, et mettre à profit leurs victoires, en achevant d'exterminer tous les tyrans échappés à la vengeance du peuple français; il devra se réjouir, quand il apprendra que s'il est un lieu où les succès de nos armes n'ont produit aucun effet, c'est dans la société des Jacobins.

Il s'en faut bien que je sois un modéré, un feuillant, comme on le débite dans les cafés; mais voilà mes sentiments, et puisque mon âme est tout entière absorbée dans |es grands événements qui se passent, je ne puis m'empêcher de dire que cette séance fera un grand plaisir à M. Pitt. S'il était à craindre qu'un patriote fût opprimé, si je ne savais pas que la Convention défend tous les patriotes, alors .je quitterais ces grands objets pour vous entretenir des opprimés, parce que je sais que la cause d'un opprimé intéresse le peuple entier.

Une dénonciation avait été faite contre Ronsin. La Convention avait décrété que le rapport lui en serait fait: pourquoi le lendemain de ce décret vient-on présenter une pétition pour demander ce qu'elle avait décrété? Ne voyez-vous pas que cette conduite a été dictée par les agents de nos ennemis. Pitt, l'infâme Pitt, dont nous devons faire et dont nous avons fait justice, a l'insolence de se jouer de notre patriotisme! Il doit bien s'applaudir des petites trames qui engagent les patriotes faits pour porter la foudre contre les tyrans, et dont le c½ur brûlant de patriotisme est le foyer d'où doivent partir les traits destinés à frapper tous les ennemis de l'humanité; il doit, dis-je, s'applaudir des trames qui engagent les patriotes à oublier les grands objets de salut public, pour nous entretenir des principes qui sont déjà gravés dans nos c½urs.

Je suis convaincu qu'il y a des hommes qui se regardent mutuellement comme des conspirateurs et des contre-révolutionnaires, et qui ont pris cette idée des coquins qui les environnent, et qui cherchent à exciter des défiances entre nous. Ce sont les étrangers qui entraînent les patriotes dans des malheurs inconsidérés et qui les poussent dans des excès contraires. C'est de cette source que viennent ces accusations précipitées, ces pétitions imprudentes, ces querelles où l'on prend le ton de là menace. Dans ce système, suivi par les puissances étrangères, on veut faire croire à l'Europe que la représentation nationale n'est pas respectée, que pas un patriote n'est en sûreté, et que tous sont exposés aux mêmes dangers que les contre-révolutionnaires. Qu'est-ce qu'il nous importe de faire, à nous patriotes et républicains? C'est d'être au but que nous nous sommes proposé, c'est d'écraser les factions, les étrangers, les modérés, mais non de perdre des patriotes, et bien moins de nous égarer dans les routes où les passions les ont jetés. Pour cela, il faut éloigner l'aigreur et les passions, en écoutant les réflexions de chacun; il faut que ceux qui les feront en agissent de même. N'oublions pas les grands principes qui ont toujours germé dans nos c½urs: l'amour de la patrie, l'enthousiasme des grandes mesures, le respect de la représentation nationale. S'il est des crises où le peuple soit obligé de s'armer contre quelqu'un de ses mandataires infidèles, la représentation nationale n'en est pas moins sacrée lorsqu'elle marche d'un pas ferme et assuré; elle a droit d'exiger le respect et l'amour de tous les individus.

Si je voulais entrer dans des détails, je vous prouverais que la pétition faite pour Ronsin, ou qui parait avoir été faite pour lui, l'a été au contraire pour le perdre. Le but de nos ennemis est de rendre Ronsin suspect, en faisant croire que le faubourg Saint-Antoine est disposé à le défendre et à s'armer pour lui. A-t-on oublié que des patriotes ont été incarcérés, mais qu'ils n'ont excité aucun trouble pour se procurer la liberté? Pourquoi ne serait-on pas calme? pourquoi ne se reposerait-on pas comme eux sur leur innocence? La Convention veut attendre que la vérité soit connue tout entière; elle le sera, n'en doutez pas, et alors on distinguera le crime de la vertu; et les patriotes qui se trouveront purs pourront se réunir contre les ennemis communs.

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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours sur Camille Desmoulins, accusé de modérantisme, prononcé au Club des Jacobins le 18 nivôse an II de la république française (7 janvier 1794)

Il est inutile de lire le cinquième numéro du Vieux Cordelier; l'opinion doit être déjà fixée sur Camille. Vous voyez dans ses ouvrages les principes les plus révolutionnaires à côté des maximes du plus pernicieux modérantisme. Ici il rehausse le courage du patriotisme, là il alimente l'espoir de l'aristocratie. Desmoulins tient tantôt un langage qu'on applaudirait à la tribune des Jacobins; une phrase commence par une hérésie politique; à l'aide de sa massue redoutable, il porte le coup le plus terrible à nos ennemis; à l'aide du sarcasme le plus piquant, il déchire les meilleurs patriotes. Desmoulins est un composé bizarre de vérités et de mensonges, de politique et d'absurdités, de vues saines et de projets chimériques et particuliers.

D'après tout cela, que les Jacobins chassent ou conservent Desmoulins, peu importe, ce n'est qu'un individu: mais ce qui importe d'avantage, c'est que la liberté triomphe et que la vérité soit reconnue. Dans toute cette discussion, il a beaucoup été question d'individus, et pas assez de la chose publique. Je n'épouse ici la querelle de personne; Camille et Hébert ont également des torts à mes yeux. Hébert s'occupe trop de lui-même, il veut que tout le monde ait les yeux sur lui, il ne pense pas assez à l'intérêt national.

Ce n'est donc pas Camille Desmoulins qu'il importe de discuter, mais la chose publique, la Convention elle-même, qui est en butte aux intrigues du parti de l'étranger, qui cause tous les maux dont nous sommes victimes, qui dicte la plus grande partie des erreurs, des exagérations dont nous sommes environnés.

Ce sont ces petits ambitieux, qui, pour avoir occupé une place dans l'ancien régime, se croient faits pour régler les destinées d'un pussant empire; ce sont eux qu'il faut surveiller, puisque leurs passions nous sont devenues si funestes.

Citoyens, vous seriez bien aveugles si, dans tout ce conflit, et les opinions qui se heurtent avec tant de violence, vous ne voyiez que la querelle de quelques particuliers et des haines privés. L'½il observateur d'un patriote éclairé soulève cette enveloppe légère, écarte tous les moyens, et considère la chose sous son véritable point de vue. Il existe une nouvelle faction qui s'est ralliée sous les bannières déchirées du brissotisme. Quelques meneurs adroits font mouvoir la machine, et se tiennent cachés dans les coulisses. Au fond, c'est la même faction que celle de la Gironde, seulement les rôles sont changés, mais ce sont toujours les mêmes acteurs avec un masque différent. La même scène, la même action théâtrale subsistent toujours. Pitt et Cobourg, désolés de voir les trônes s'écrouler, et la cause de la raison triompher, n'ont plus d'autres moyens que de dissoudre la Convention nationale. Aussi tous les efforts des factieux sont-ils dirigés vers ce seul et unique but. Mais deux espèces de factions sont dirigées par le parti étranger.

Voici comment ils raisonnent. Tous moyens sont bons, pourvu que nous parvenions à nos fins; ainsi, pour mieux tromper le public et la surveillance du patriotisme, ils s'entendent comme des brigands dans une forêt. Ceux qui sont d'un génie ardent et d'un caractère exagéré proposent des mesures ultra-révolutionnaires; ceux qui sont d'un esprit plus doux et plus modéré, proposent des moyens citra-révolutionnaires. Ils se combattent entre eux; mais que l'un ou l'autre parti soit victorieux, peut leur importe; comme l'un ou l'autre système doit également perdre la république, ils obtiennent un résultat également certain, la dissolution de la Convention nationale.

On n'ose pas encore heurter de front le pouvoir des représentants du peuple réunis; mais on fait de fausses attaques; on tâte, pour ainsi dire, son ennemi.

On a une certaine phalange de contre-révolutionnaires masqués, qui viennent, à certains temps, exiger de la Convention au delà de ce que le salut public commande.

On a des hypocrites et de scélérats à gages; on propose aujourd'hui un décret impolitique, et le soir même, dans certains cafés, dans certains groupes, on crie contre la Convention, on veut établir un nouveau parti girondin: on dit que la Montagne ne vaut pas mieux que le Marais. On ne dira pas au peuple: Portons-nous contre la Convention; mais, portons-nous contre la faction qui est dans la Convention, sur les fripons qui s'y sont introduits.

Les étrangers seront de cet avis; les patriotes seront égorgés, et l'autorité restera aux fripons. Les deux partis ont un certain nombre de meneurs, et, sous leurs bannières, se rangent des citoyens de bonne foi, suivant la diversité de leur caractère.

Un meneur étranger, qui se dit raisonnable, s'entretient avec des patriotes de la Montagne, et leur dit: Vous voyez que l'on enferme des patriotes (or c'est lui qui a contribué à les faire arrêter); vous voyez bien que la Convention va trop loin, et qu'au lieu de déployer l'énergie nationale contre les tyrans, elle la détourne sur les prêtres et sur les dévots. Et ce même étranger est un de ceux qui ont tourné contre les dévots la foudre destinée aux tyrans.

On sait que les représentants du peuple ont trouvé dans les départements des envoyés du comité de salut public, du conseil exécutif, et que ces mêmes envoyés ont semblé, par leur imprudence, manquer de respect au caractère de représentant.

L'étranger ou le factieux dit aux patriotes: Vous voyez bien que la représentation nationale est méprisée; vous voyez que les envoyés du pouvoir exécutif (car on n'a pas osé encore mettre le comité de salut public en scène), vous voyez que les envoyés du conseil exécutif sont les ennemis de la représentation: donc le conseil exécutif est le foyer de la contre-révolution, donc tel secrétaire de Bouchotte est le chef du parti contre-révolutionnaire.

Vous voyez que le foyer de la contre-révolution est dans les bureaux de la guerre; il est nécessaire de l'assiéger. (On n'ose pas dire: Allez assiéger le comité de salut public.)

Je sens que ces vérités sont dures. Il est certaines gens qui ne s'attendaient pas si tôt à les entendre, mais la conjuration est mûre, et je crois qu'il est temps de prononcer.

Vous apercevez d'un seul coup d'½il tout le système de conspiration qui se développe; vous distinguez les étrangers cherchant, par le moyen de certains fripons, à ressusciter le girondinisme.

Peu leur importe que ce soit Brissot ou un autre qui en soit le chef. Les fautes apparentes des patriotes sont converties en torts réels; les torts réels sont transformés en un système de contre-révolution. Les fripons cherchent à faire croire que la liberté n'a plus d'autres ennemis que ceux que les agents étrangers ont désignés comme tels, afin de trouver un moyen de s'en défaire. On se permet de proposer à la Convention des mesures qui tendent à étouffer l'énergie nationale; et, d'un autre côté, on excite des inquiétudes, on dit que la Convention n'est pas à sa véritable hauteur. Il en est qui vont jusqu'à dire confidentiellement qu'il faut la changer. Dans le même moment, on fait à la Convention des propositions modérées, auxquelles les patriotes ne peuvent répondre, à cause des occupations qui les obligent de s'absenter; alors on fait colporter dans les groupes des motions dangereuses et des calomnies.

Je vous l'ai déjà dit, les moyens ne sont que changés, afin qu'il soit plus difficile de les reconnaître. C'est une trentaine de scélérats qui ont corrompu le côté droit, en s'emparant dans les départements de l'opinion de ceux que le peuple appelait à la Convention: on avait eu soin de leur représenter Paris comme un fantôme épouvantable; chaque jour on augmentait leur terreur par des motions exagérées, que des gens affidés proposaient dans les sections, et par des affiches rédigées par des libellistes contre- révolutionnaires.

On était enfin parvenu à persuader à une foule d'hommes faibles que leurs ennemis étaient dans la Commune de Paris, dans le corps électoral, dans les sections, en un mot, dans tous les républicains de Paris: voilà le système qui est encore suivi actuellement.

(Fabre-d'Eglantine se lève et descend de sa place. Robespierre invite la société à prier Fabre de rester à la séance. Fabre monte à la tribune et veut parler.)

Robespierre. Si Fabre-d'Eglantine a son thème tout prêt, le mien n'est pas encore fini. Je le prie d'attendre.

Il y a deux complots, dont l'un a pour objet d'effrayer la Convention, et l'autre d'inquiéter le peuple. Les conspirateurs qui sont attachés à ces trames odieuses semblent se combattre mutuellement, et cependant ils concourent à défendre la cause des tyrans. C'est la seule source de nos malheurs passés: ce serait celle de nos malheurs à venir, si le peuple entier ne se ralliait autour de la Convention, et n'imposait silence aux intrigants de toute espèce.

Si les tyrans paraissent si opiniâtres à la dissolution de la Convention actuelle, c'est parce qu'ils savent parfaitement qu'ils seraient alors les maîtres de créer une Convention scélérate et traîtresse, qui leur vendrait le bonheur et la liberté du peuple. A cet effet, ils croient que le plus sûr moyen de réussir est de détacher peu à peu beaucoup de patriotes de la Montagne, de tromper et d'égarer le peuple par la bouche des imposteurs.

Notre devoir, amis de la vérité, est de faire voir au peuple le jeu de toutes les intrigues, et de lui montrer au doigt les fourbes qui veulent l'égarer.

Je finis en rappelant aux membres de la Convention ici présents, et au peuple français, les conjurations que je viens de dénoncer. Je déclare aux vrais Montagnards que la victoire est dans leurs mains, qu'il n'y a plus que quelques serpents à écraser.

Ne nous occupons d'aucun individu, mais seulement de la patrie. J'invite la société à ne s'attacher qu'à la conjuration, sans discuter plus longtemps les numéros de Camille Desmoulins, et je demande que cet homme, qu'on ne voit jamais qu'une lorgnette à la main, et qui sait si bien exposer des intrigues au théâtre, veuille bien s'expliquer ici; nous verrons comment il sortira de celle-ci. Quand je l'ai vu descendre de sa place, je ne savais s'il prenait le chemin de la porte ou de la tribune, et c'est pour s'expliquer que je l'ai prié de rester.

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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours sur le gouvernement anglais, prononcé au Club des Jacobins le 1er pluviôse an II de la république française (28 janvier 1794)

Tous les orateurs qui ont parlé sur cet objet ont manqué le véritable but pour lequel ils devaient parler. Ce but consiste à éclairer le peuple anglais, et à imprimer dans l'âme des Français une indignation profonde contre le gouvernement anglais.

Il ne fallait pas parler au peuple anglais, il fallait que ce peuple fût simplement le témoin attentif de nos discussions, de nos vertus républicaines et de notre gloire. Il fallait que le peuple pût prendre, lui seul, dans notre constitution ce qui lui convient; on a pris une mauvaise marche en la lui présentant et en la lui jetant pour ainsi dire à la figure.

C'est une vengeance éclatante que nous avons à tirer du gouvernement anglais, et non des leçons à donner. Il ne fallait donc pas s'adresser au peuple anglais, mais discuter en sa présence et devant toute l'Europe les crimes de Pitt et les droits imprescriptibles de l'homme.

Il est plusieurs orateurs qui ont fait, par rapport aux Anglais, ce que ceux-ci ont fait pour une partie de la France; c'est cet effort liberticide qui tend à faire rétrograder l'opinion publique en la devançant. Quiconque a des idées de la situation politique de l'Europe, et surtout de l'Angleterre, doit savoir que les tyrans ont élevé entre les peuples et nous une barrière morale, qui est la calomnie, et des nuages épais, qui sont les préjugés et les passions.

D'après cela, vous sentez que pour être goûté des peuples, il faut se prêter à leurs faiblesses, et s'accommoder de leur langage. Vous vous trompez, si vous croyez que la moralité et les lumières du peuple anglais soient égales aux vôtres: non, il est à deux siècles loin de vous; il vous hait, parce qu'il ne vous connaît pas, parce que la politique de son gouvernement a toujours intercepté la vérité; il vous hait, parce que depuis plusieurs siècles la politique du ministre a été d'armer les Anglais contre les Français, et que la guerre a toujours été un moyen pour se soutenir contre le parti de l'opposition.

Il ne suit pas de là que le peuple anglais ne fera pas une révolution; il la fera, parce qu'il est opprimé, parce qu'il est ruiné. Ce sont vos vaisseaux qui feront cette révolution: elle aura lieu, parce que le ministre est corrompu; Pitt sera renversé, parce qu'il est un imbécile, quoi qu'en dise une réputation qui a été beaucoup trop enflée.

Ceci pourrait être un blasphème aux oreilles de quelques Anglais, mais c'est une vérité aux oreilles des personnes raisonnables.

Pour le prouver, je n'ai besoin que de nos armées, de nos flottes, de notre situation sublime et grande, et des cris élevés contre Pitt dans toute l'Angleterre. Le ministre d'un roi fou est un imbécile, parce qu'à moins d'être un imbécile, on ne peut pas préférer l'emploi de ministre d'un roi fou à l'honorable titre de citoyen vertueux.

Un homme qui, placé à la tête des affaires d'un peuple chez qui la liberté poussa autrefois des racines, veut faire rétrograder vers le despotisme et l'ignorance une nation qui a conquis ses droits, est à coup sûr un imbécile. Un homme qui, abusant de l'influence qu'il a acquise dans une île jetée par hasard dans l'Océan, veut lutter contre le peuple français; celui qui ne devine pas l'explosion que la liberté doit faire dans son pays; celui qui prétend servir longtemps la ligue des rois aussi lâches et aussi bêtes que lui; celui qui croit qu'avec des vaisseaux il va bientôt affamer la France, qu'il va dicter des lois aux alliés de la France; celui-là, dis-je, ne peut avoir conçu un plan aussi absurde que dans la retraite des Petites-Maisons, et il est étonnant qu'il se trouve au dix-huitième siècle un homme assez dépourvu de bon sens pour penser à de pareilles folies.

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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours non prononcé sur la faction Fabre-d'Eglantine (c. février 1794)

Texte en français moderne par Albert Laponneraye, d'après le rapport de
Courtois qui reproduit le manuscrit

Deux coalitions rivales luttent depuis quelque temps avec scandale, l'une tend au modérantisme, et l'autre aux excès patriotiquement contre-révolutionnaires. L'une déclare la guerre à tous les patriotes énergiques, prêche l'indulgence pour les conspirateurs; l'autre calomnie sourdement les défenseurs de la liberté, veut accabler en détail tout patriote qui s'est une fois égaré, en même temps qu'elle ferme les yeux sur les trames criminelles de nos plus dangereux ennemis. Toutes deux professent le patriotisme le plus brûlant, quand il s'agit d'attaquer leurs adversaires; toutes deux font preuve d'une profonde indifférence, lorsqu'il est question de défendre les intérêts de la patrie et de la vérité: toutes deux cherchent à sacrifier la république à leur intérêt particulier. Le patriotisme dont elles se vantent n'est point absolu ni universel; il n'éclate que dans certaines circonstances, et se renferme dans la sphère des intérêts de la secte. Il n'a rien de commun avec la vertu publique. Il ressemble à la haine, à la vengeance, à l'intrigue et à l'ambition. Toutes deux ont raison, lorsqu'elles se dénoncent réciproquement; elles ont tort, dès qu'elles prétendent conclure quelque chose en leur faveur des vices de leurs adversaires. Toutes deux prouvent tout contre leurs adversaires, et rien en leur faveur.

L'une cherche à abuser de son crédit ou de sa présence dans la Convention nationale; l'autre, de son influence dans les sociétés populaires. L'une veut surprendre à la Convention des décrets dangereux, ou des mesures oppressives contre ses adversaires; l'autre fait entendre des cris douloureux dans les assemblées publiques. L'une cherche à alarmer la Convention, l'autre à inquiéter le peuple; et le résultat de cette lutte indécente, si l'on n'y prend garde, serait de mettre la Convention nationale en opposition avec le peuple, et de fournir aux ennemis de la république l'occasion qu'ils attendent d'exécuter quelque sinistre dessein; car les agents des cours étrangères sont là qui soufflent le feu de la discorde, qui font concourir à leur but funeste l'orgueil, l'ignorance, les préjugés des deux partis, et tiennent tous les fils de cette double intrigue, et en dirigent tous les résultats vers leur but.

Le triomphe de l'un ou de l'autre parti serait également fatal à la liberté et à l'autorité nationale. Si le premier écrasait l'autre, le patriotisme serait proscrit, la Convention nationale perdrait l'énergie qui seule peut sauver la république, et la chose publique retomberait entre les mains de l'intrigue, de l'aristocratie et de la trahison: si le second l'emportait, la confusion et l'anarchie, l'avilissement de la représentation nationale, la persécution de tous les patriotes courageux et sages, seraient les fruits de sa victoire.

Dissoudre la Convention nationale, renverser le gouvernement républicain, proscrire les patriotes énergiques et remettre à la fois le commandement des armées et les rênes de l'administration révolutionnaire dans les mains des fripons et des traîtres: tel est, tel sera l'intérêt, le but de tous les tyrans coalisés contre la république, jusqu'à ce que le dernier d'entre eux ait expiré sous les coups du peuple français. Tel est aussi le véritable but de l'intrigue que je vais développer.

Un système d'attaque se développa contre le comité de salut public, dès le moment où il commença à montrer un caractère vraiment inquiétant pour les ennemis de la république.

Peu de temps après l'époque où il fut renouvelé, et que Lacroix et quelques autres en sortirent, on se flattait hautement qu'il ne pourrait jamais porter le poids des fonctions qui lui étaient imposées. Pour le paralyser tout à coup, ou proposa à la Convention de détruire le conseil exécutif, et de le charger seul de tout le fardeau de l'administration, sous le nom de comité du gouvernement. Le comité de salut public, à qui cette question fut renvoyée, prouva facilement que cette proposition, soutenue avec beaucoup d'opiniâtreté, tendait à détruire le gouvernement, sous le prétexte de le perfectionner, et à annuler le comité de salut public, sous le prétexte d'augmenter sa puissance; et la Convention eut la sagesse de laisser les choses dans l'état où elles étalent. Cependant le gouvernement, quel qu'il fût, comprimait vigoureusement les ennemis du dedans, et combattait avec avantage les ennemis du dehors. On continua de le harceler d'une autre manière. Non content de contrarier indirectement par des motions insidieuses ses mesures les plus sages, on employa contre lui l'arme la plus puissante et la plus familière des ennemis de la liberté, la calomnie (on peut se rappeler l'époque). Un représentant du peuple qui était sorti vivant de Valenciennes, tombée sous le joug autrichien (Briez, séance du 25 septembre 1793) osa, dans un libelle qu'il qualifiait rapport, rejeter sur le comité de salut publie l'ignominie d'une trahison, que la patrie indignée reprochait en grande partie à sa lâcheté, et cette calomnie impudente fut accueillie avec transport par les ennemis secrets de la république, que la punition récente des conspirateurs avait condamnés an silence. Elle fut même récompensée par un décret qui adjoignait son auteur au comité de salut public, mais cette erreur fut à l'instant même reconnue et réparée.

On n'en continua pas moins de calomnier et d'intriguer dans J'ombre. Les meneurs cherchaient un champion assez déhonté pour le lancer le premier dans l'arène. Il se présenta un homme (Philippeaux), qui avait joué dans la Vendée un rôle aussi honteux que le premier délateur dans Valenciennes. Un représentant du peuple, naguère avocat du tyran, et lâche flagorneur de Roland et de la faction brissotine dans un journal ignoré, un homme dont l'existence équivoque était à peine aperçue des amis et des ennemis de la liberté, un homme dont le rappel de la Vendée avait été l'un des remèdes nécessaires pour mettre fin à nos désastres, et l'époque de nos succès, cet homme répandit tout à coup un libelle, où l'effronterie supplée en même temps à la vérité et à la vraisemblance, où il se constitue le panégyriste des généraux perfides et diffamés avec lesquels il a vécu; un dénonciateur des représentants fidèles qui l'avaient dénoncé, des patriotes qu'il a constamment persécutés, enfin, du comité de salut public, qui n'avait à se reprocher qu'un excès d'indulgence à son égard.

Le comité de salut public, qu'on voulait distraire des travaux immenses sous lesquels on le croyait près de succomber, pour le forcer à répondre aux pamphlets, se reposa sur le mépris que devaient inspirer et l'ouvrage et l'auteur. Il se trompa.

L'atrocité de la calomnie fut précisément ce qui en fit la fortune: tous les ridicules mêmes de l'auteur ne purent nuire à ses succès. Tous les hommes faciles à tromper, tous les intrigants à qui un gouvernement patriote était redoutable se rallièrent sous les bannières d'un homme qu'ils méprisaient. Il n'était question que de trouver quelqu'un pour ouvrir la tranchée. La sottise et la perversité lui prodiguèrent les encouragements les plus flatteurs, et il enfanta de nouveaux libelles, tous imprimés et distribués avec une profusion scandaleuse. Chaque jour, la tribune retentit de ses insolentes déclamations. Il fut secondé par tous ceux qui avaient partagé ses torts dans la Vendée. Bientôt parurent les numéros de Camille Desmoulins, égaré par une impulsion étrangère, mais qui développa, par des motifs personnels, la doctrine liberticide de la nouvelle coalition.

Dès le mois de….. elle était déjà si forte, que le comité de salut public était fortement ébranlé dans l'opinion d'une partie de la Convention nationale. On avait déjà fait passer en principe qu'il était responsable de tous les événements fâcheux qui pouvaient arriver, c'est-à-dire des torts de la fortune, et même des crimes de ses ennemis; et le triomphe de la calomnie était d'autant plus certain, que l'on ne doutait pas qu'il ne succombât nécessairement sous le poids de la tâche qui lui était imposée.

Au moment de la plus grande tourmente du gouvernement naissant, on en provoqua brusquement le renouvellement, motivé par des diatribes violentes contre ses membres; mais cette hostilité subite heurtait, choquait trop violemment l'opinion publique; et, le lendemain, le décret qui changeait l'existence du comité fut rapporté, au moment où les listes des meneurs étaient suspendues au scrutin. Parmi les noms inscrits sur ces listes, on distinguait celui de Dubois-Crancé et ceux de quelques autres membres intéressés particulièrement à la ruine du comité.

Les intrigants poursuivirent l'exécution de leur plan avec une activité nouvelle. Calomnié au dehors par tous les tyrans et par tous les traîtres, le comité de salut public l'était d'une manière beaucoup plus dangereuse, au sein de la Convention même, par tous ses ennemis. Déjà ceux-ci avaient fait passer en principe qu'il était responsable de tous les événements malheureux qui pouvaient arriver, c'est-à-dire des torts de la fortune et des crimes mêmes de ses ennemis. C'en était fait, si le génie de la liberté n'avait opéré tout à coup les prodiges étonnants qui ont sauvé la république. Déjà on avait répandu dans tout le Midi que le comité de salut public avait pris la résolution de livrer Toulon, et d'abandonner tous les pays méridionaux au delà de la Durance, tandis qu'au sein de la Convention on l'accusait sourdement de ne pas prendre les mesures nécessaires pour réduire Toulon. La victoire prodigieuse qui remit cette cité au pouvoir de la république fit taire pour un moment la calomnie; mais si cet heureux événement avait été seulement reculé, le gouvernement républicain était accablé sous le poids de la calomnie. Alors les ennemis de la révolution auraient proscrit à leur gré les défenseurs de la liberté, qu'ils avaient renfermés dans le comité de salut public, comme dans un défilé, pour les immoler. Le sort de la liberté retombait entre les mains des fripons et des traîtres; la Convention nationale perdait la confiance publique, et la cause de la tyrannie triomphait. Aussi, quand le comité de salut public apporta à la Convention cette heureuse. nouvelle, tous les amis purs de la liberté qui siègent à la Montagne, dans les transports de leur joie civique, nous témoignèrent à l'envi leur satisfaction, sous le rapport même de la persécution suscitée aux plus zélés défenseurs de la patrie.—Vous avez bien fait de réussir, nous disaient-ils, car si Toulon n'avait pas été pris si tôt, vous étiez perd.us; je crois qu'ils nous auraient fait décréter d'accusation. D'un autre côté, il était facile de lire sur les visages des calomniateurs que cet heureux événement n'était pour eux qu'un revers personnel, et que le triomphe de la république déconcertait leurs projets.

Mais ni Toulon enlevé, ni la Vendée détruite, ni Landau délivré, rien ne put arrêter le cours des libelles: il semblait qu'on voulût se venger de tant de succès en outrageant ceux qui y avaient coopéré. Cependant, comme on n'osait plus attaquer directement le comité de salut public, on revint au premier système, de le paralyser, en désorganisant le gouvernement et en minant tous ses appuis. On déguisa, selon l'usage, ce projet sous des prétextes très patriotiques. On commença par répéter, contre les agents nécessaires du gouvernement républicain, choisis par les patriotes et nommés par la Convention, tous les reproches qui s'appliquaient aux ministres de la cour. On enchérit sur les injures prodiguées naguère par la faction brissotine aux patriotes qui secondaient les vues du comité de salut public, et qui étaient investis de sa confiance. On renouvela la motion insensée de changer le gouvernement actuel, et d'en organiser un nouveau. Des commis du département de la guerre, accusés d'impertinence ou d'intrigue, des rixes survenues entre eux et certains membres de la Convention, les torts plus ou moins graves de plusieurs agents du conseil exécutif, et surtout les discours ou les procédés peu respectueux de quelques-uns d'entre eux à l'égard de quelques représentants du peuple: tels étaient les prétextes dont on se servait pour tout entraver, pour tout bouleverser, pour arrêter le cours de nos succès, pour rassurer les ennemis de la république, pour encourager tous les anciens complices des Dumouriez et des Custine, en avilissant le ministère actuel, et en portant le découragement dans le coeur de tous les patriotes appelés à concourir au salut de la patrie.

Quel était leur but? De porter le découragement dans le coeur de tous les patriotes appelés à concourir au salut de la patrie, de les remplacer par de nouveaux Dumouriez et par de nouveaux Beurnonville, afin d'arrêter le cours de nos succès, et de rassurer les ennemis de la France par le spectacle de nos divisions et de notre folie.

En effet, quel temps choisissait-on pour déclamer contre le gouvernement, et particulièrement contre l'administration de la guerre? Celui où nos armées victorieuses faisaient oublier les époques de l'histoire les plus fécondes en exploits militaires. Pouvait-on avouer plus clairement avec quel chagrin on avait vu le succès de nos armes, victorieuses de l'Europe? La Convention, trompée par ces tristes déclamateurs, semblait regarder comme un triomphe d'écraser un commis de la guerre ou un officier de l'armée révolutionnaire. Non contente de venger l'humanité outragée, elle vengeait encore les querelles de Philippeaux. Avec quelle perfidie ils la faisaient descendre à ces débats scandaleux et à de honteuses divisions, dans le moment où elle devait se montrer si imposante à toute l'Europe!

Et quels sont les auteurs de ce système de désorganisation? Ce sont des hommes qui tous ont un intérêt particulier et coupable à renverser le gouvernement républicain, de manière qu'on ne trouve guère, parmi les ennemis du comité de salut public et de ses coopérateurs, que des fripons démasqués, dont la sévérité contraste ridiculement avec les rapines que la voix publique leur reproche:

C'est un Dubois-Crancé, accusé d'avoir trahi les intérêts de la république devant Lyon;

C'est Merlin, fameux par la capitulation de Mayence, plus que soupçonné d'en avoir reçu le prix:

C'est Bourdon, dit de l'Oise; c'est Philippeaux; ce sont les deux Goupilleau, tous deux citoyens de la Vendée; tous ayant besoin de rejeter sur les patriotes qui tiennent les rênes du gouvernement, les prévarications multipliées dont ils se sont rendus coupables durant leur mission de la Vendée;

C'est Maribon, dit Montaut, naguère créature et partisan déclaré du ci-devant duc d'Orléans; le seul de la famille qui ne soit point émigré, jadis aussi enorgueilli de son titre de marquis et de sa noblesse financière qu'il est maintenant hardi à les nier; servant de son mieux ses amis de Coblentz dans les sociétés populaires, où il vouait dernièrement à la guillotine cinq cents membres de la Convention nationale; cherchant à venger sa caste humiliée par ses dénonciations éternelles contre le comité de salut public et contre tous les patriotes.

(lacune dans le manuscrit)

[C'est Fabre-d'Eglantine]…..Des principes, et point de vertus; des talents, et point d'âme; habile dans l'art de peindre les hommes, beaucoup plus habile dans l'art de les tromper, il ne les avait peut-être observés que pour les exposer avec succès sur la scène dramatique; il voulait les mettre en jeu, pour son profit particulier, sur le théâtre de la révolution: connaissant assez bien les personnages qui marquaient dans tous les partis, parce qu'il les avait tous servis ou trompés, mais affectant de se tenir à côté des plus zélés défenseurs de la liberté; se tenant à l'écart avec un soin extrême, tandis qu'il faisait agir les autres à leur insu, moins encore pour cacher ses intrigues que pour les soustraire à la défaveur de sa mauvaise réputation, seul préservatif contre son caractère artificieux; mais compromettant le succès de ses intrigues politiques par le scandale de ses intrigues privées, et nuisant à son ambition par sa sordide avarice. Placé au centre des opinions diverses et des factions opposées, il travaillait avec assez d'habileté à en diriger les résultats vers son but particulier: des intérêts de plus d'un genre l'attachaient au projet de renverser le gouvernement actuel. Fabre a un frère digne de lui, dont il voulait absolument faire un général; c'est pour cela qu'à diverses époques il avait courtisé Beurnonville, ensuite intrigué pour faire nommer Alexandre et perdre Bouchotte. Un motif plus puissant encore le portait à cabaler contre le comité de salut public et contre le ministre de la guerre: sans compter le désir ambitieux de placer à la tête des affaires ses amis et lui-même, il était tourmenté par la crainte de voir la main sévère des patriotes déchirer le voile qui couvrait ses criminelles intrigues et sa complicité dans la conspiration dénoncée par Chabot et Bazire.

De là, le plan conçu par cette tête féconde en artifices d'éteindre l'énergie révolutionnaire, trop redoutable aux conspirateurs et aux fripons; de remettre le sort de la liberté entre les mains du modérantisme: de proscrire les vrais amis de la liberté, pour provoquer une amnistie, en forçant les patriotes même à la désirer, et, par conséquent, de changer le gouvernement, dont les principes connus étaient de réprimer les excès du faux patriotisme, sans détendre le ressort des lois vigoureuses, nécessaires pour comprimer les ennemis de la liberté.

Telle fut la source principale des dissensions et des troubles qui, dans les derniers temps, agitèrent tout à coup la Convention nationale. Fabre et ses pareils avaient jeté un oeil observateur sur cette auguste assemblée, et ils avaient cru y trouver les éléments nécessaires pour composer une majorité conforme à leurs vues perfides.

Fabre ne doutait pas d'abord que les anciens partisans de la faction girondine ne fussent prêts à saisir l'occasion de se rallier à toute secte anti-civique, et d'accabler les patriotes que leurs chefs avaient proscrits. Il comptait sur tous les hommes faibles; il comptait sur ceux des représentants du peuple qui étaient assez petits pour regarder la fin de leur mission comme une injure, ou qui ne pouvaient pardonner au comité de salut public les fautes dont ils s'étaient rendus coupables. Il comptait sur l'ambition des uns, sur la vanité des autres, sur les ressentiments personnels de ceux-ci, sur la jalousie de ceux-là. Il comptait particulièrement sur les terreurs de ceux qui avaient partagé ses crimes; il se flattait même d'intéresser au succès de son plan la vertu des bons citoyens, offensés de certains abus, et alarmés de certaines intrigues dont ils n'avaient point approfondi les véritables causes.

Le moment sans doute était favorable pour prêcher une doctrine lâche et pusillanime, même à des hommes bien intentionnés, lorsque tous les ennemis de fa liberté poussaient de toutes leurs forces à un excès contraire; lorsqu'une philosophie vénale et prostituée à la tyrannie oubliait les trônes pour renverser les autels, opposait la religion au patriotisme, mettait la morale en contradiction avec elle-même, confondait la cause du culte avec celle du despotisme, les catholiques avec les conspirateurs, et voulait forcer le peuple à voir dans la révolution, non le triomphe de la vertu, mais celui de l'athéisme; non la source de son bonheur, mais la destruction de toutes ses idées morales et religieuses; dans ces jours où l'aristocratie, affectant de délirer de sang-froid, croyait forcer le peuple à partager sa haine pour l'égalité, en attaquant les objets de sa vénération et de ses habitudes; où le crime de conspirer contre l'Etat se réduisait au crime d'aller à la messe, et où dire la messe était la même chose que conspirer contre la république.

La république était alors déchirée entre deux factions, dont une paraissait incliner à un excès d'énergie, l'autre à la faiblesse; factions opposées en apparence, mais unies en effet par un pacte tacite, et dont les chefs avaient le secret de les diriger par l'influence des tyrans étrangers; factions qui, par leurs crimes mutuels, se servaient réciproquement d'excuse et de point d'appui, et qui, par des routes opposées, tendaient au même but, le déchirement de la république et la ruine de la liberté.

Fabre prétendait faire la guerre à celle qui fut appelée, assez légèrement, ultra-révolutionnaire. Voulait-il la détruire? Non; il ne voulait qu'en faire le prétexte de ses propres machinations et le point d'appui de son système perfide. Le vit-on jamais dénoncer les grands conspirateurs qui ont tour à tour déchiré la république? quelle résistance a-t-il opposée à ce dernier complot où il était initié, dont le but était de mettre la liberté aux prises avec la religion? ne l'eût-il pas favorisé, même pour son compte? Il a dénoncé clandestinement le nommé Proli, et il dînait avec lui.

Comment un coupable tremblant devant son crime peut-il poursuivre d'autres coupables? Les fripons de tous les partis se connaissent, se craignent et se ménagent mutuellement; ils laissent combattre les hommes purs, et cherchent ensuite à usurper les fruits de la victoire.

Que voulait-il? Gagner la confiance des patriotes, en leur dénonçant des abus véritables et quelques intrigues subalternes; confondre ensuite, avec ces intrigants, les vrais patriotes, dont il voulait se défaire; répandre des nuages épais sur les trames contre-révolutionnaires, dont il était un des principaux artisans; donner le change à l'opinion publique, et surtout à la Convention nationale, sur le but des conspirations et sur leurs chefs; frapper les imaginations d'un grand danger, et détourner ensuite les soupçons et la sévérité de la Convention contre des personnages insignifiants, et contre les patriotes qu'il voulait perdre.

Quel est le résultat de tontes ces confidences mystérieuses, de toutes .ces dénonciations sourdes? quels sont ces ennemis redoutables qui conspirent depuis si longtemps contre la république? C'est un adjoint de Bouchotte; c'est le commandant d'un escadron de l'armée révolutionnaire; c'est le commandant de l'armée révolutionnaire, nommé par le comité de salut public, sur la proposition de Bouchotte, revêtu de la confiance des représentants du peuple à Ville-Affranchie. Voilà la première et la dernière dénonciation de Fabre-d'Eglantine, voilà le fruit de toutes les recherches précieuses de ce défenseur inquiet de la liberté, et de cet espionnage civique qu'il a exercé si longtemps parmi les contre-révolutionnaires, et chez les amis de la république.

Mais est-ce Ronsin, est-ce Mazuel, est-ce Vincent qui sont le véritable but des attaques de Fabre et de ses adhérents? Non, ce n'est là qu'une fausse attaque; c'est contre le gouvernement qu'il dirige toutes ses forces; c'est le comité de salut public, c'est le ministre de la guerre et tous les agents fidèles du gouvernement qu'il veut atteindre.

Au moment où ce personnage si discret hasardait, pour la première fois, une dénonciation publique, il croyait avoir rempli les esprits d'assez de terreur; il croyait avoir assez artistement rassemblé les circonstances dont il voulait composer son système de calomnie.

Aussi, parcourons les débats de la Convention, à commencer par ceux où ce discret personnage se détermina à cette explosion, si contraire à son tempérament politique; voyez si tout ne se rapporte pas à ce but.

S'il dénonce Vincent, c'est pour affirmer que le foyer des conspirations est dans les bureaux de la guerre. Avec quel art il avait saisi le moment d'apprendre à la Convention qu'il existait, au comité de salut public, une lettre du représentant Isabeau à Bouchotte, où celui-ci était accusé de lui avoir écrit en termes despectueux! Un politique si réservé ne se serait pas permis une dénonciation publique, la première qu'il ait hasardée de sa vie, s'il n'avait compté sur les alliés qu'il s'était déjà assurés d'avance, et s'il n'avait pas regardé cette démarche comme un coup décisif.

Mais il avait endoctriné Philippeaux, il avait inspiré Desmoulins, il s'était associé Bourdon (de l'Oise). Aussi, quels étaient les conspirateurs auxquels Philippeaux imputait les maux de la république, et même la guerre de la Vendée? Etait-ce Biron, Brissot, Dumouriez, Beurnonville, et tous les conjurés accusés par le peuple français? Non; mais Bouchotte, Rossignol, Ronsin et le comité de salut public. Quels sont ceux que Desmoulins accuse de l'ordre de chose actuel, qui lui paraît si déplorable? Bouchotte, Vincent, Ronsin, les ministres et le comité de salut public. Que faut-il à Fabre et à ses pareils? Indulgence, amnistie. Que demande Desmoulins? Indulgence, amnistie, cessation des lois révolutionnaires, l'impunité de l'aristocratie et le sommeil du patriotisme.

Que dit Bourdon (de l'Oise) à la Convention? Il faut détruire
Bouchotte, et le conseil exécutif, et le comité de salut public.

Il faut voir, dans la fameuse séance de frimaire (27 frimaire—17 décembre 1793), le concert de quelques fripons pour tromper la Convention. C'est Laurent Lecointre qui ouvre la tranchée, en lui annonçant, avec horreur, un grand attentat commis par un agent du conseil exécutif, qui a arrêté un courrier venant de Givet.

Boursaut, l'honnête Boursaut, ajoute que le même agent a exigé, à Saint-Germain, la représentation de son passeport, et n'a pas voulu le laisser passer outre, sans l'avoir visé.

"Avais-je raison, s'écrie Bourdon, de vous dire que le conseil exécutif est une puissance monstrueuse et abominable, qui vêtit rivaliser avec la Convention nationale?" II est vrai que c'était la quatrième fois, depuis quatre jours, que Bourdon répétait cet anathème, et qu'il demandait formellement la suppression des ministres.

Charlier demande qu'on les frappe d'une manière terrible. Philippeaux dénonce un autre agent, qui, dit-il, a arrêté un paquet. Il invoque Fabre-d'Eglantine, qui, à la suite d'une terrible diatribe contre les bureaux de la guerre, fait décréter que Ronsin, Vincent et Maillard sont des contre-révolutionnaires, et mis, comme tels, en arrestation.

Pressavin veut immoler Héron, patriote connu, qui est défendu par Vadier. On décrète aussi que les membres du conseil exécutif seront mandés à la barre, pour recevoir les témoignages de l'indignation de l'assemblée. Ils paraissent, ils se justifient d'une manière aussi simple que péremptoire: Bourdon, ne pouvant les accuser, les insulte avec grossièreté.

Chaque jour cette lâche intrigue se reproduit sous des formes aussi ridicules. Tantôt on fait paraître à la barre un soldat qui se plaint de n'avoir pas été secouru, tantôt un général qui se plaint d'avoir été suspendu.

Bourdon (de l'Oise) avait dénoncé, du même coup, la commune, l'armée révolutionnaire, Bouchotte et tous les bureaux de la guerre, qu'il déclare être le véritable foyer de la contre-révolution.

Tantôt on lui fait un crime des obstacles insurmontables qui ont été apportés par d'autres à l'arrivée des secours destinés aux prisonniers de Mayence; et Bourdon lui fait un nouveau crime de s'être trop bien justifié sur ce point. Bourdon lui fait un crime, tantôt de ce que l'un de ses commis l'a dénoncé aux Cordeliers; tantôt de ce que lui, Bourdon, s'est pris de querelle avec ce commis, dans une taverne; tantôt de ce qu'il a mal dîné.

Le….., paraît une brochure où d'Aubigny révèle quelques-uns des délits reprochés à Bourdon; et le lendemain, sur la motion de Bourdon, d'Aubigny est traduit au tribunal révolutionnaire par un décret, sur un prétexte si frivole, qu'un instant après, la Convention, éclairée, s'empresse de le rapporter.

Philippeaux prétend que Vincent lui a manqué de respect dans un repas, et veut que la nation entière soit insultée dans sa personne, et demande qu'on fasse le siège des bureaux de la guerre, comme Junon, pour une pareille offense, provoqua jadis le siège de Troie.

Au milieu de tous ces incidents, le comité de salut public, qui, malgré tous les efforts de la malveillance, avait proposé, établi, organisé la plus belle manufacture d'armes de l'Europe, est dénoncé par Bourdon, par Montant, par Philippeaux, sous le prétexte qu'elle n'était point encore en pleine activité; et on confie la surveillance de cette manufacture à un nouveau comité.

C'était toujours le comité de salut public qu'on attaquait, quoiqu'on se crût obligé de protester du contraire, soit en attaquant les agents qu'il employait, en divinisant ceux qu'il destituait par l'intermédiaire du ministre, en critiquant toutes ses opérations, et surtout en les contrariant sans cesse.

Fabre, Bourdon et leurs pareils, dénonçaient à la fois, comme le foyer de la contre-révolution, la commune de Paris, l'armée révolutionnaire, le conseil exécutif, le ministre de la guerre, l'assemblée électorale et le comité de salut public. On aurait cru que Brissot et ses complices étaient ressuscités; du moins, on retrouvait dans la bouche de leurs héritiers, leur langage, leur esprit, leur système: il n'y avait de changé que quelques dénominations et quelques formes.

Dans ce temps-là, en effet, les patriotes étaient partout persécutés, incarcérés; les fédéralistes, les brissotins, les aristocrates avaient arboré l'étendard de la Montagne et de la république, pour égorger impunément les Montagnards et les amis de la république. Les Philippeaux, les Bourdon étaient leurs patrons; les libelles de Desmoulins, leur évangile; Fabre-d'Eglantine et ses complices étaient leurs oracles.

Qui pouvait méconnaître leurs intentions contre-révolutionnaires, en voyant les mêmes hommes qui poursuivaient avec tant d'acharnement les anciens défenseurs de la liberté montrer tant d'indulgence pour les conspirateurs, tant de prédilection et de faiblesse pour les traîtres? Quels étaient leurs héros? un Tunck, misérable escroc, dont le nom même ne peut pas être prononcé sans pudeur; un homme décrié parmi les escrocs eux-mêmes; couvert des blessures que lui a faites, non le fer des ennemis, mais le glaive de la justice; digne compagnon d'armes et de table du procureur Bourdon; Westerman, digne messager de Dumouriez, qui, destitué, a été, au mépris des lois, reprendre le commandement d'une brigade en Vendée; qui dernièrement, contre les ordres du comité de salut public a osé distribuer aux habitants de la Vendée trente mille fusils, pour ressusciter la rébellion. Venu ensuite à Paris, sans congé, pour cabaler contre le gouvernement, avec les Bourdon, les Fabre-d'Eglantine et les Philippeaux; Westerman, absous de tous les crimes aux yeux de ces derniers par quelques succès partiels dans la Vendée, exagérés par lui-même avec une impudence rare; mais destitué par le comité de salut public, comme un intrigant dangereux et coupable; voilà l'homme que ces sévères républicains ont fait venir à la barre, comme un nouveau Dumouriez, pour le couronner des mains de la Convention nationale. Ce que la Convention n'a pas fait, depuis le règne des principes, pour les généraux qui ont vaincu à Toulon, sur les bords du Rhin et de la Moselle; pour ceux qui ont commandé les armées victorieuses des brigands de la Vendée, ils n'ont pas rougi de le faire pour ce ridicule fanfaron, pour ce coupable et lâche intrigant. Quelqu'un a eu l'impudeur de demander que la Convention nationale rendît un décret pour déclarer que Westerman a bien mérité de la patrie; on a fait taire la loi en sa faveur; on a fait décréter que, quoique destitué, il fût défendu au gouvernement de le priver de sa liberté.

Ce sont les mêmes hommes qui accueillaient avec un intérêt si tendre les femmes insolentes des conspirateurs de Lyon, qui venaient à la barre outrager, menacer les patriotes de la Montagne, les vainqueurs du fédéralisme et de la royauté; ce sont les mêmes hommes qui, non contents de proscrire l'armée révolutionnaire et ses chefs envoyés à Lyon pour comprimer cette ville rebelle, calomniaient les intrépides représentants du peuple qui exécutaient contre elle les salutaires décrets de la Convention nationale. Ce sont ces mêmes hommes qui encourageaient sourdement l'aristocratie bourgeoise à reprendre cette audace contre-révolutionnaire que la faction girondine lui avait inspirée; ce sont les mêmes qui, pour faire rétrograder la révolution et flétrir toutes les mesures vigoureuses qui ont arraché la république des mains de la trahison, excitèrent la pitié de la Convention sur les parents des conjurés, constituaient les veuves et les enfants des traîtres créanciers de la république, et les rangeaient, par cet insolent privilège, dans la même classe que les veuves et les enfants des généreux défenseurs de la patrie. Que dis-je! ils les traitaient avec beaucoup plus de faveur et de générosité.

Ce signal de persécution, élevé par des traîtres jusque sur le sommet de la Montagne, fut bientôt entendu dans toute la république: dans le même temps, les patriotes étaient partout persécutés.

Déjà les conspirateurs croyaient avoir atteint le but. Il semblait prouvé que nul homme de bien ne pouvait servir impunément la liberté, et il ne restait plus aux patriotes énergiques, qui avaient triomphé un instant, que de céder pour toujours le champ de bataille aux aristocrates et aux fripons.

Mais le grand objet était la désorganisation du gouvernement.

Bourdon se surpassa lui-même dans un discours révolutionnaire à toute outrance, où il prouva que le gouvernement ne devait plus faire aucune dépense sans un décret formel de la Convention.

Rien n'était plus patriotique que ce discours. On commençait par des sorties contre la royauté et contre la défunte cour, et on y développait les grands principes de la liberté: rien de plus adroit. On y faisait l'éloge du peuple, de la Convention, de la révolution du 10 août et de celle du 31 mai, et on y déployait tous les moyens qui pouvaient chatouiller l'amour-propre des auditeurs.

Mais on concluait à une nouvelle organisation du gouvernement, et provisoirement à ce qu'il ne pût tirer aucun fonds du trésor public sans un décret préalable. Ces dispositions furent adoptées avec enthousiasme, car les esprits étaient préparés: aussi, dès ce moment, le service se trouva arrêté d'une manière si évidente, que les réclamations se firent entendre aussitôt de toutes parts, et que le service des armées allait manquer absolument, si le comité de salut public n'avait pris le parti de violer le décret pour conserver la république. Cette manoeuvre était assez savante: aussi était-elle l'ouvrage de Fabre-d'Eglantine. Ce grand maître s'était même donné la peine de composer lui-même le beau discours que Bourdon avait lu à la tribune, tant le sujet lui semblait important; car tel est le genre de sa politique, qu'il aime beaucoup mieux mettre les autres en action que d'agir lui-même. Fabre est peut-être l'homme de la république qui connaît le mieux le ressort qu'il faut toucher pour imprimer tel mouvement aux différentes machines politiques dont l'intrigue peut disposer. Le mécanicien ne dispose pas plus habilement les rouages de la machine qu'il veut organiser, que cet artisan d'intrigues ne dispose les passions et les caractères, pour concourir à l'exécution de ses intrigues.

Personne ne connaît mieux l'art de faire concourir à l'exécution de son plan d'intrigue la force et la faiblesse, l'activité et la paresse, l'apathie et l'inquiétude, le courage et la peur, le vice et la vertu.

Personne ne connut mieux l'art de donner aux autres ses propres idées et ses propres sentiments, à leur insu; de jeter d'avance, dans les esprits, et comme sans dessein, des idées dont il réservait l'application à un autre temps, et qui semblaient se lier d'elles-mêmes à d'autres circonstances qu'il avait préparées, de manière que c'étaient les faits, la raison, et non lui, qui semblaient persuader ceux qu'il voulait tromper, le patriote faible et fier de ses talent?.

Par lui le patriote indolent et fier, amoureux à la fois du repos et de la célébrité, était enchaîné dans une lâche inaction, ou égaré dans les dédales d'une politique fausse et pusillanime; par lui, le patriote ardent et inquiet était poussé à des démarches inconsidérées; par lui, le patriote inconséquent et timide devenait téméraire par peur, et contre-révolutionnaire par faiblesse. Le sot orgueilleux courait à la vengeance ou à la célébrité par le chemin de la trahison ou de la folie. Le fripon, agité de remords, cherchait un asile contre son crime dans les ruines de la république. Il avait pour principe que la peur est l'un des plus grands mobiles des actions des hommes; il savait qu'elle avait souvent dicté les décrets coupables des assemblées précédentes; il savait avec quel succès les chefs de la faction girondine l'avaient souvent invoquée: il voulut lui élever un temple jusque sur la Montagne. Il entreprit de persuader aux représentants du peuple français, aux vainqueurs de la royauté et du fédéralisme, qu'ils avaient à redouter la puissance d'un commis; il voulut faire peur à la Montagne de Bouchotte, de Henrion, de Ronsin, comme Brissot avait fait peur de la Montagne au reste de la Convention. L'existence de quelques intrigants était pour lui un prétexte de donner ce titre à tous les martyrs de la liberté. Par lui des propos indiscrets, des opinions dictées par l'ignorance ou par la vanité se changeaient en conspiration profonde; il rapportait à ce système les circonstances les plus indifférentes et les faits les plus isolés. Il avait sans cesse l'air d'un homme effrayé devant le fantôme qu'il avait formé pour en épouvanter la Convention entière, et pour la rendre faible par orgueil et injuste par faiblesse.

Quel était le résultat de ces sourdes manoeuvres? La division des défenseurs de la république, la dégradation de la représentation nationale, la dissolution morale de la Convention, l'avilissement du gouvernement républicain, le découragement de tous les patriotes qui en portent le poids, le triomphe de la friponnerie, de l'intrigue et de la tyrannie.

Ainsi, tel qu'un fruit de superbe apparence qu'un insecte invisible dévore en secret, la république, minée sourdement parle ver rongeur de l'intrigue, dépérissait, malgré ses succès brillants, et mourait, pour ainsi dire, dans le sein de la victoire.

Il est sans doute des intrigues, il est des factions; ce sont celles de l'étranger et des fripons: en se combattant, elles sont d'accord sur les points essentiels, qui sont la ruine de la république et la proscription des vrais patriotes; elles marchent quelquefois sous des bannières de diverses couleurs, et par des routes différentes; mais elles marchent au même but.

Des hommes que l'on a vus se battre dans les tribunes comme des champions en champ clos se sont accordés sur les deux points essentiels, la fin de la Convention et la dissolution du gouvernement actuel.

Hébert et Desmoulins, Fabre et Proli, Clootz et Bourdon, Lacroix et Montaut, Philippeaux et ont tour à tour calomnié et caressé le comité de salut public.

Des intrigants subalternes, souvent même des patriotes trompés, se rangent sous l'étendard de différents chefs de conspiration, qui sont unis par un intérêt commun, et qui sacrifient tous les partis à leur ambition ou aux tyrans. Des fripons, lors même qu'ils se font la guerre, se haïssent bien moins qu'ils ne détestent les gens de bien, ils sont toujours à se rallier contre l'ennemi commun, qui est pour eux la vertu et la vérité. Des brigands se disputent pour le partage d'un butin sanglant, mais ils étaient unis pour égorger leur proie. Qu'une nouvelle victime se présente à leurs yeux, ils courront ensemble l'égorger. La proie de tous les tyrans et de tous les fripons, c'est la patrie.

Vous semblez placés aujourd'hui entre deux factions: l'une prêche la fureur, et l'autre la clémence; l'une conseille la faiblesse, et l'autre la folie; l'une veut miner le temple de la liberté, l'autre veut le renverser d'un seul coup; l'une veut faire de la liberté une bacchante, et l'autre une prostituée; l'une veut nous transporter dans la zone torride, et l'autre dans la zone glaciale, mais remarquez bien qu'aucune d'elles ne veut avoir rien à démêler avec le courage, avec la grandeur d'âme, avec la raison, avec la justice. Il est assez difficile de démêler les individus qui appartiennent à l'une et à l'autre; ils ne valent pas même la peine d'être distingués. Ce qui importe, c'est de les apprécier par leur but et par leur résultat: or, sous ce rapport, vous trouverez que les deux factions se rapprochent et se confondent. Les modérés et les faux révolutionnaires sont des complices qui feignent de se brouiller pour exécuter plus facilement leur crime. Il y a plus d'esprit que de justesse dans la qualification d'ultra-révolutionnaire donnée à ces vils scélérats, que la tyrannie soudoie pour parodier notre sublime révolution, et pour la surcharger d'excès, ou funestes ou ridicules. Il importe de la réformer pour rectifier les fausses idées qu'elle peut répandre. Le faux révolutionnaire est encore plus souvent en deçà qu'au delà de la révolution; modéré ou frénétique, selon l'intérêt de la contre- révolution, et selon les ordres de la tyrannie: outrant les mesures révolutionnaires, quand il n'a pas pu les empêcher; terrible à l'innocence, mais…. [le reste du discours n'a pas été retrouvé.]

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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours au sujet du rapport d'Amar sur l'affaire Chabot, prononcé à la Convention nationale le 28 ventôse an II de la république française (16 mars 1794)

Comme Billaud-Varennes, je dois manifester ma surprise de ce que le rapporteur n'a pas mieux saisi l'esprit dans lequel il devait faire son rapport; de ce qu'il a oublié l'objet le plus important, celui de dénoncer à l'univers le système de diffamation adopté par la tyrannie contre la liberté, par le crime contre la vertu.

Oui, il le faut dire hautement ici: les crimes de quelques-uns de nos collègues sont l'ouvrage de l'étranger; et le principal fruit qu'il se proposait d'en recueillir n'était pas la perte de ces individus, mais celle de la république française, qui devait s'opérer en ôtant au peuple la confiance dont il investit ses représentants.

Il y a, sur tout ce qui vient de se passer, une observation péremptoire à faire, et je vais vous la soumettre.

J'appelle les tyrans de la terre à se mesurer avec les représentants du peuple français; j'appelle à ce rapprochement un homme dont le nom a trop souvent souillé cette enceinte, et que je m'abstiendrai de nommer; j'y appelle ce parlement d'Angleterre, associé aux crimes liberticides du ministre que je viens de vous indiquer, et qui a, dans ce moment, avec tous nos ennemis, les yeux ouverts sur la France, pour voir quels seront les résultats du système affreux que l'on dirige contre nous.

Savez-vous quelle différence il y a entre eux et les représentants du peuple français? C'est que cet illustre parlement est entièrement corrompu, et que nous comptons dans la Convention nationale quelques individus atteints de corruption; c'est qu'à la face de la nation britannique, les membres du parlement se vantent du trafic de leur opinion et la donnent au plus offrant; et que, parmi nous, quand nous découvrons un traître ou un homme corrompu, nous l'envoyons à l'échafaud.

Je soutiens, moi, et tout homme raisonnable et juste le soutiendra de même, quelque pays qu'il habite, eût-il le malheur de vivre sous le joug des tyrans coalisés contre nous, que cette affaire même est un nouveau titre de gloire pour la Convention nationale. Oui, elle prouve qu'à notre existence est attachée la destinée des peuples, puisque les tyrans réunissent tous leurs efforts pour nous accabler; puisque nous les soutenons avec la dignité qui convient aux mandataires d'un grand peuple; puisqu'enfin notre existence est le prix du courage héroïque avec lequel nous les repoussons. La corruption de quelques individus fait ressortir, par un contraste glorieux, la vertu publique de cette auguste assemblée.

Peuple, dans quel pays a-t-on vu encore celui qui était investi de la souveraine puissance tourner contre lui-même le glaive de la loi? Dans quel pays a-t-on vu encore un sénat puissant chercher dans son sein ceux qui auraient trahi la cause commune, et les envoyer sous le glaive de la loi? Qui donc encore a donné ce spectacle au monde? Vous, citoyens!

Voilà citoyens, la réponse que je fais en votre nom à tous les tyrans de la terre: voilà celle que vous ferez au manifeste de vos ennemis, à ces hommes couverts de crimes, qui oseraient chercher la destruction de la Convention nationale dans l'avilissement de quelques hommes pervers.

Je suis obligé de le dire avec douleur, le rapport que l'on vous a fait aurait dû renfermer les observations que je viens de vous présenter; et peut-être sa rédaction, dans ce système, eût-elle été mieux conçue. Comme nous devons faire, dans toutes les circonstances, le sacrifice de ce qui est personnel à la chose publique, je demande, en appuyant l'amendement de Billaud-Varennes, que le rapport d'Amar ne soit pas livré à l'impression avant d'avoir été revu.

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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours en réponse aux attaques calomnieuses dont les agents du comité de salut public étaient l'objet, prononcé à la Convention nationale le 30 ventôse an II de la république française (20 mars 1794)

Je ne vous parlerai pas de Héron personnellement. Vous venez de voir que ce qui avait été allégué contre lui a été démenti par des témoignages imposants et des faits certains. Je me contenterai d'ajouter à ce qui en a été dit, que les comités de salut public et de sûreté générale s'étant informés auprès de l'accusateur public pour savoir s'il y avait quelque renseignement contre Héron, il a répondu qu'il ne lui était rien parvenu contre lui.

Vous voyez donc dans ce qui vient de se passer un exemple déplorable des efforts que la malveillance ne cesse de faire pour induire la Convention en erreur, el c'est sur cela principalement que je me propose de fixer votre attention.

Quand les comités découvrirent, dénoncèrent et confondirent, avec l'appui de votre puissance, la faction qui menaçait la liberté, ils ne se dissimulèrent point que les formes dont la faction s'était couverte exposaient la liberté à de grands dangers. Ils avaient bien prévu que l'aristocratie et les autres factions, car il serait absurde de croire qu'il n'y en eût qu'une dans une république en temps de révolution, ils avaient prévu, dis-je, qu'elles se prévaudraient des coups que nous portions sur une d'elles pour exterminer les patriotes qui refusaient de se ranger sous leur bannière, pour suivre l'étendard de la république et de la Convention. Ils ont promis, en votre nom, au peuple, de frapper tous.les conspirateurs; ils ne souffriront pas que le glaive de la tyrannie effleure un seul patriote. Ils ont promis de conserver le" amis de la liberté, ils ont promis que nul ne serait alarmé, excepté ceux dont les desseins criminels auraient servi les factions, quelque nom qu'ils portent, de quelque forme qu'ils s'enveloppent. On a apporté mille obstacles au zèle des comités; on a voulu donner au cours de la justice une impulsion fausse et précipitée; on a osé former le coupable projet d'envelopper dans la procédure tous les patriotes, dont une faction, maintenant bien connue du peuple et de nous tous, redoute la pureté et l'énergie.

Pour consommer ce crime, il fallait dépouiller peu à peu les comités et le tribunal révolutionnaire de la connaissance de la conspiration. Pour cela, il fallait répandre dans la Convention nationale des insinuations perfides et de fausses idées, pour lui donner le change sur la nature et les auteurs de la conspiration. On a voulu établir deux espèces de puissances, pour suivre un plan dont les succès tiennent à l'unité de conduite. Pour cela, on s'est flatté qu'on calomnierait les hommes les plus purs, qu'on les rendrait suspects à la confiance publique, qu'on surprendrait à la Convention des décrets, parce que, ne pouvant pas elle-même connaître les faits, elle les adopterait sur-le-champ, sur la motion d'un membre qui l'alarmerait sur des dangers chimériques. Par là, la procédure ne devait pas avoir le cours certain et uniforme qui lui appartient. Comme les conspirateurs s'étaient cachés sous le masque du patriotisme, on croyait facile de perdre ainsi les sincères amis de la liberté, en les rangeant dans la classe de ces faux patriotes. Hier encore, un membre fit une irruption au Comité de salut public, et, avec une fureur qu'il est impossible de rendre, demanda trois têtes.

Ce système de calomnie est suivi d'une manière effrayante et porté jusqu'à l'atrocité; il est vrai que nous sommes, comme on l'a dit, pressés entre deux crimes; il est vrai qu'une faction qui voulait déchirer la patrie est près d'expirer; mais l'autre n'est point abattue, elle veut trouver dans la chute de la première une espèce de triomphe, et dans tout cela, on compte pour rien la république. Il semblerait que le sang du peuple ne coule que pour quelques conspirateurs; que les prodiges de sa vertu n'éclatent que pour le triomphe de quelques fripons. Non, ce n'est ni pour assurer l'impunité aux coupables, ni pour servir les projets de quelques ambitieux soudoyés par l'étranger, ni pour laisser au crime le patrimoine de la vertu, que nous nous sommes dévoués à la fureur des factions les plus dangereuses, que nous avons bravé les périls qui nous étaient offerts. En combattant la folie armée du glaive du patriotisme, nous avons consenti à mourir, s'il le fallait, pour la patrie, pourvu que nous eussions soulevé un coin du voile qui couvrait l'abîme où l'on voulait l'entraîner. Eh bien! ce courage, nous l'avons montré contre toutes les factions de la république, et nous ne prendrons point de repos qu'elle ne soit affermie.

Si l'influence de l'amour de la patrie, si les droits du peuple français ne triomphaient pas en ce moment de toutes les factions, vous manqueriez la plus belle occasion que la Providence vous ait présentée pour consolider la liberté. La faction qui survivrait rallierait tous ceux de l'autre qui auraient échappé au glaive de la loi. Pressés comme vous entre deux crimes, je ne sais si nous serons étouffés; mais si cela arrive, si la vertu de la Convention n'est pas assez forte pour triompher de ses ennemis, ce qui sera le plus heureux pour nous, c'est de mourir, c'est d'être enfin délivrés du spectacle trop long et trop douloureux de la bassesse et du crime qui ont passé depuis trois ans sur la scène de la révolution, et qui se sont efforcés de ternir l'éclat des vertus républicaines; mais si la Convention est demain et après-demain ce qu'elle est depuis quelques mois; si elle est décidée à faire triompher le peuple, la justice et la raison….; si telle est la disposition constante de la Convention; si elle veut atteindre la palme de la gloire qui lui est offerte; si nous voulons tous, au sortir de notre mission, goûter le bonheur des âmes sensibles, qui consiste dans la jouissance du bien qu'on a fait, à voir un peuple grand s'élever à ses hautes destinées et jouir du bonheur que nous lui aurons préparé, je dis que si la Convention, exempte de prévention et de faiblesse, veut terrasser d'un bras vigoureux une faction après avoir écrasé l'autre, la patrie est sauvée!

Le résultat de ce que je viens de dire est le rapport du décret illégalement surpris à la Convention.

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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours sur la situation des partis, prononcé au Club des Jacobins le 1er germinal an II de la république française (21 mars 1794)

La république est placée entre les muscadins, les aristocrates, et la faction dont Hébert et complices peuvent vous donner une idée. Les muscadins ne veulent pas la punition des traîtres; ceux qui sont patriotes à la manière de Proly attaquent bien les aristocrates; mais ils veulent perdre avec eux les patriotes pour régner sur leur ruine totale; et les patriotes sont à la veille d'en être les victimes, si nous ne déployons une énergie capable d'effrayer et de terrasser nos ennemis.

A Commune-Affranchie, les amis de Chalier et de Gaillard, de ce patriote malheureux qui s'est poignardé par un mouvement de désespoir, parce qu'au moment où tout semblait être tranquille il prévoyait les maux qui devaient fondre sur la patrie; les amis dis-je de ces deux amis de la liberté sont proscrits dans le moment actuel. J'ai vu des lettres de quelques-uns d'entre eux, de ceux qui, échappés des prisons, étaient venus implorer le secours de la Convention. Ils expriment le même désespoir que Gaillard, et si l'on n'apporte le remède le plus prompt à leurs maux, ils ne trouveront de soulagement que dans la recette de Caton et de Gaillard.

L'étranger soudoie parmi nous la faction des modérés et celle des hommes perfides qui, sous le masque d'un patriotisme extravagant, voulaient égorger les patriotes. Il est indifférent pour l'étranger que l'une ou l'autre de ces deux factions triomphe. Si c'est Hébert, la Convention est renversée, les patriotes sont massacrés, la France retombe dans le chaos, et la tyrannie est satisfaite. Si se sont les modérés, la Convention perd son énergie, les crimes de l'aristocratie sont impunis, et les tyrans triomphent. L'étranger doit protéger toutes ces factions, sans s'attacher à aucune. Que lui importe qu'Hébert expie ses trahisons sur l'échafaud, s'il se trouve après lui d'autres scélérats qui veulent perdre la république et égorger tous ceux qui ont combattu constamment contre les traîtres et les tyrans!

Tous ces scélérats, ligués avec l'étranger, comptent pour rien la république; ce n'est pour eux qu'un objet de rapine. Le peuple n'est à leur yeux qu'un vil troupeau qu'ils croient fait pour s'attacher à leur char et les traîner à l'opulence et à la fortune. A chaque révolution le peuple triomphe, parce qu'il est debout, et qu'alors ils se cachent. Mais à peine est-il rentré dans ses foyers, que les factieux reparaissent, et aussitôt le peuple est replongé dans le même état de détresse d'où il était sorti. Vous avez vu Lafayette, Pétion, Dumouriez concevoir te projet affreux de l'affamer et de l'asservir. Ces monstres sont tombés. Après eux, on a vu s'élever une faction nouvelle qui voulait exécuter le même complot. Après elle, il en paraîtra une autre qui aura le même but, si la Convention diffère de foudroyer toutes les factions. Il faut enfin tout rapporter au peuple et à l'intérêt général. Que ceux qui se groupent pour arrêter la marche de la révolution tombent sous le glaive de la loi. Si tous ceux qui ont formé des projets contre la liberté; si les successeurs de Brissot ne subissent pas le même sort que lui, attendez-vous aux plus grands malheurs. Vous verrez les fripons s'introduire dans les armées, certains fonctionnaires publics se liguer avec eux, comme autrefois ils se sont ligués avec les autres: la paix d'aujourd'hui ne sera que passagère, les armées seront battues, les femmes et les enfants égorgés… Je défie qui que ce soit de démentir ces vérités terribles. Si la dernière faction ne périt pas demain, ne périt pas aujourd'hui, les armées seront battues, vos femmes et vos enfants égorgés, la république sera déchirée par lambeaux, Paris sera affamé, vous tomberez vous-mêmes sous les coups de vos ennemis, et vous laisserez une postérité sous le joug de la tyrannie. Mais je déclare que la Convention est déterminée à sauver le peuple, en écrasant à la fois toutes les factions qui menacent la liberté.

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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours au sujet de l'arrestation de Danton et de ses complices, prononcé à la Convention nationale le 11 germinal an II de la république française (31 mars 1794)

A ce trouble, depuis longtemps inconnu, qui règne dans cette assemblée; aux agitations qu'ont produites les premières paroles de celui qui a parlé avant le dernier opinant, il est aisé de s'apercevoir, en effet, qu'il s'agit ici d'un grand intérêt; qu'il s'agit de savoir si quelques hommes aujourd'hui doivent l'emporter sur la patrie. Quel est donc ce changement qui paraît se manifester dans les principes des membres de cette assemblée, de ceux surtout qui siègent d»ns un côté qui s'honore d'avoir été l'asile des plus intrépides défenseurs de la liberté? Pourquoi une doctrine qui paraissait naguère criminelle et méprisable est-elle reproduite aujourd'hui? Pourquoi cette motion, rejetée quand elle fut proposée par Danton, pour Bazire, Chabot et Fabre-d'Eglantine, a-t-elle été accueillie tout à l'heure par une portion des membres de cette assemblée? Pourquoi? Parce qu'il s'agit aujourd'hui de savoir si l'intérêt de quelques hypocrites ambitieux doit l'emporter sur l'intérêt du peuple français.

Et quoi! nous n'avons donc fait tant de sacrifices héroïques, au nombre desquels il faut compter ces actes d'une sévérité douloureuse, n'avons-nous fait ces sacrifices que pour retourner sous le joug de quelques intrigants qui prétendent dominer?

Que m'importent à moi les beaux discours, les éloges qu'on se donne à soi-même et à ses amis! Une trop longue et trop pénible expérience nous a appris le cas que nous devions faire de semblables formules oratoires. On ne demande plus ce qu'un homme et ses amis se vantent d'avoir fait dans telle époque, dans telle circonstance particulière de la révolution; on demande ce qu'ils ont fait dans tout le cours de leur carrière politique.

Legendre paraît ignorer les noms de ceux qui sont arrêtés: toute la Convention les sait. Son ami Lacroix est du nombre de ces détenus. Pourquoi feint-il de l'ignorer? Parce qu'il sait bien qu'on ne peut sans impudeur défendre Lacroix. Il a parlé de Danton, parce qu'il croit sans doute qu'à ce nom est attaché un privilège: non, nous n'en voulons point de privilège: non, nous n'en voulons point d'idoles!

Nous verrons dans ce jour si la Convention saura briser une prétendue idole pourrie depuis longtemps, ou si, dans sa chute, elle écrasera la Convention et le peuple français. Ce qu'on a dit de Danton ne pouvait-il pas t'appliquer à Brissot, à Pétion, à Chabot, à Hébert même, et à tant d'autres qui ont rempli.la France du bruit fastueux de leur patriotisme trompeur? Quel privilège aurait-il donc? En quoi Danton est-il supérieur à ses collègues, à Chabot, à Fabre-d'Eglantine, son ami et son confident, dont il a été l'ardent défenseur? En quoi est-il supérieur à ses concitoyens? Est-ce parce que quelques individus trompés, et d'autres qui ne l'étaient pas, se sont groupés autour de lui pour marcher à sa suite à la fortune et au pouvoir? Plus il a trompé les patriotes qui avaient en confiance en lui, plus il doit éprouver la sévérité des amis de la liberté.

Citoyens, c'est ici le moment de dire la vérité. Je ne reconnais à tout ce qu'on a dit que le présage sinistre de la ruine de liberté et de la décadence des principes. Quels sont en effet ces hommes qui sacrifient à des liaisons personnelles, à la crainte peut-être, les intérêts de la patrie? qui, au moment où l'égalité triomphe, osent tenter de l'anéantir dans cette enceinte? On veut vous faire craindre les abus du pouvoir, de ce pouvoir national que vous avez exercé, et qui ne réside pas dans quelques hommes seulement. Qu'avez-vous fait que vous n'ayez fait librement, qui n'ait sauvé la république, qui n'ait été approuvé par la France entière? On veut nous faire craindre que le peuple périsse victime des comités qui ont obtenu la confiance publique, qui sont émanés de la Convention nationale, et qu'on veut en séparer; car tout ceux qui défendent sa dignité sont voués à la calomnie. On craint que les détenus ne soient opprimés; on se défie donc de la justice nationale, des hommes qui ont obtenu la confiance de la Convention nationale: on se défie de la Convention qui leur a donné cette confiance, de l'opinion publique qui l'a sanctionnée. Je dis que quiconque tremble en ce moment est coupable; car jamais l'innocence ne redoute la surveillance publique.

Je dois ajouter ici qu'un devoir particulier m'est imposé de défendre toute la pureté des principes contre les efforts de l'intrigue. Et à moi aussi, on a voulu inspirer des terreurs; on a voulu me faire croire qu'en approchant de Danton, le danger pourrait arriver jusqu'à moi; on me l'a présenté comme un homme auquel je devais m'accoler comme un bouclier qui pourrait me défendre, comme un rempart, qui, une fois renversé, me laisserait exposé aux traits de mes ennemis. On m'a écrit, les amis de Danton m'ont fait parvenir des lettres, m'ont obsédé de leurs discours. Ils ont cru que le souvenir d'une ancienne liaison, qu'une foi antique dans de fausses vertus me détermineraient à ralentir mon zèle et ma passion pour la liberté. Eh bien! je déclare qu'aucun de ces motifs n'a effleuré mon âme de la plus légère passion. Je déclare que s'il était vrai que les dangers de Danton dussent devenir les miens, que s'ils avaient fait faire à l'aristocratie un pas de plus pour m'atteindre, je ne regarderais pas cette circonstance comme une calamité publique. Que m'importent les dangers. Ma vie est à la patrie; mon coeur est exempt de crainte; et si je mourrais, ce serait sans reproche et sans ignominie.

Je n'ai vu dans les flatteries qui m'ont été faites, dans les caresses de ceux qui environnaient Danton, que des signes certains de la terreur qu'ils avaient conçue, avant même qu'ils fussent menacés.

Et moi aussi, j'ai été ami de Pétion; dès qu'il s'est démasqué, je l'ai abandonné: j'ai eu aussi des liaisons avec Roland; il a trahi, et je l'ai dénoncé. Danton veut prendre leur place, et il n'est plus à mes yeux qu'un ennemi de la patrie.

C'est ici sans doute qu'il nous faut quelque courage et quelque grandeur d'âme. Les âmes vulgaires ou les hommes coupables craignent toujours de voir tomber leurs semblables, parce que, n'ayant plus devant eux une barrière de coupables, ils restent plus exposés au jour de la vérité; mais, s'il existe des âmes vulgaires, il en est d'héroïques dans cette assemblée, puisqu'elle dirige les destinées de la terre, et qu'elle anéantit toutes les factions.

Le nombre des coupables n'est pas si grand; le patriotisme, la Convention nationale ont su distinguer l'erreur du crime, et la faiblesse des conspirations. On voit bien que l'opinion publique, que la Convention nationale marchent droit aux chefs de partis, et qu'elles ne frappent pas sans discernement.

Il n'est pas si nombreux le nombre des coupables; j'en atteste l'unanimité, la presque unanimité avec laquelle vous avez voté depuis plusieurs mois pour les principes. Ceux qu'on méprise le plus ne sont pas les plus coupables, ce sont ceux qu'on prône et dont on fait des idoles pour en faire des dominateurs. Quelques membres de cette-assemblée, nous le savons, ont reçu des prisonniers des instructions portant qu'il fallait demander à la Convention quand finirait la tyrannie des comités de salut public et de sûreté générale; qu'il fallait demander à ces comités s'ils voulaient anéantir successivement la représentation nationale. Les comités ne tiennent que de la patrie leurs pouvoirs, qui sont un immense fardeau, dont d'autres, peut-être, n'auraient pas voulu se charger. Oui, demandez-nous compte de notre administration, nous répondrons par des faits: nous vous montrerons les factions abattues; nous vous prouverons que nous n'en avons flatté aucune, que nous les avons écrasées toutes, pour établir sur leurs ruines la représentation nationale.

Quoi! on voudrait faire croire que nous voulons écraser la représentation, nous qui lui avons fait un rempart de nos corps! nous qui avons étouffé ses plus dangereux ennemis! on voudrait que nous laissassions exister une faction aussi dangereuse que celle qui vient d'être anéantie, et qui a le même but, celui d'avilir la représentation nationale et de la dissoudre.

Au reste, la discussion qui vient de s'engager est un danger pour la patrie, déjà elle est une atteinte coupable portée à la liberté; car c'est avoir outragé la liberté que d'avoir mis en question s'il fallait donner plus de faveur à un citoyen qu'à un autre: tenter du rompre ici cette égalité, c'est censurer indirectement les décrets salutaires que vous avez portés dans plusieurs circonstances, les jugements que vous avez rendus contre les conspirateurs; c'est défendre aussi indirectement ces conspirateurs, qu'on veut soustraire au glaive de la justice, parce qu'on a avec eux un intérêt commun: c'est rompre l'égalité. Il est donc de la dignité de la représentation nationale de maintenir les principes. Je demande la question préalable sur la proposition de Legendre.

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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours non prononcé sur l'affaire
Chabot (c. mars 1794)

(Il en fut de ce projet comme de celui sur la faction
Fabre-d'Eglantine; il ne fut point accepté par les collègues de
Robespierre. Nous le reproduisons tel qu'il a été publié par Courtois.)

Citoyens représentants du peuple, vous attendez de nous la révélation d'une grande conspiration; nous allons vous la donner; nous allons surtout en fixer le véritable caractère; nous allons remonter à ses véritables chefs, et saisir la main invisible qui en a ourdi les fils dans d'affreuses ténèbres. Quel autre guide peut nous diriger, dans de telles recherches, que les grands principes de la liberté publique? Quel autre motif peut nous y forcer, sinon la nécessité de sauver la patrie? Les représentants du peuple sont-ils des inquisiteurs minutieux, chargés de fouiller dans la vie privée des hommes, et de porter la terreur dans toutes les âmes faibles? Sont-ils des hommes avides de sang, comme la plus lâche hypocrisie a osé nous en accuser? Non; s'ils demandent, au nom des lois, le sang des tyrans, c'est pour épargner celui du peuple; s'ils foudroient les palais, c'est pour protéger les chaumières; s'ils frappent les méchants, s'ils punissent les coupables puissants, c'est pour sauver les bons et soulager les malheureux: ils sont sévères par sensibilité, et inexorables par humanité.

Sommes-nous appelés à respecter le crime, parce qu'il est entouré d'un grand titre et de devoirs plus grands encore? Non.

Sommes-nous appelés aussi à persécuter gratuitement les représentants du peuple français, à verser le mépris sur ceux qui défendirent courageusement la cause de la liberté; à exagérer leurs crimes, à nous réjouir de leurs faiblesses ou de leurs humiliations; à préparer le triomphe des tyrans par une espèce de suicide national? Non. En poursuivant les traîtres, nous saurons venger l'honneur du patriotisme, sauver la majesté du peuple. En dépit des espérances de Londres et de Vienne, cette grande affaire ne sera point le procès de la représentation nationale, mais celui des tyrans qui ont conspiré sa ruine. Loin de nous attacher à une faible ramification du complot, nous en embrasserons, nous en déracinerons le tronc tout entier.

Nous ne voulons point immoler les victimes à la place des oppresseurs, et frapper le peuple lui-même du glaive qui doit exterminer ses ennemis. Nous sommes moins jaloux de briser l'instrument que la main coupable qui le dirigea, et de trouver des conspirateurs que d'étouffer la conspiration. A travers les passions et les intérêts individuels de tous les partis, à travers les préventions, les erreurs et les intrigues, nous irons au but, la justice: à cette justice nationale, la seule que nous devions exercer; à cette justice, qui n'est autre chose que le salut du peuple et la mort des tyrans.

Quelle est la première époque de cette conspiration? L'origine même de la révolution.—Quels en sont les premiers moteurs? Toutes les cours liguées contre nous.—Le but? La ruine de la France.—Les victimes? Le peuple et vous.—Les moyens? Tous les crimes.

Les moyens ont varié suivant les différentes circonstances: l'esprit et la main qui la dirigeaient furent toujours les mêmes.

Nous ne vous retracerons pas ici les innombrables forfaits d'une cour impie, et surtout les manoeuvres ourdies par tous les ennemis de notre liberté, depuis les premiers jours de la révolution, pour corrompre, avilir et détruire la représentation nationale dès sa naissance

Je n'ai pas besoin de vous dire que c'est principalement contre vous qu'elles furent dirigées. Vous avez décrété la république, nulle trêve n'était possible entre vous et la tyrannie.

La Convention nationale naquit au milieu des conspirations, et c'est dans son berceau qu'étaient placés les serpents qui devaient l'étouffer, semblable à ce dieu qui devait purger la terre des monstres qui l'infestaient.

Vous rappellerai-je les moyens odieux et multipliés qu'elle employait pour perdre toute la portion de la représentation nationale qui ne voulait être ni sa dupe ni sa complice? On se plaignait de votre inaction, et on vous paralysait; on disait que vous n'étiez pas libres, et on vous tyrannisait; on invoquait votre dignité, et on vous outrageait avec insolence; on réclamait votre sûreté, et on ne cherchait qu'à vous anéantir: tantôt on appelait contre vous, sous le nom de garde, les phalanges exterminatrices; tantôt on voulait vous traîner à Versailles; tantôt on vous proposait Bourges, tantôt on voulait convoquer une autre assemblée nationale dans une autre lieu; tantôt on voulait réunir les assemblées primaires pour vous renouveler; enfin, on tenta plusieurs fois d'exterminer la Montagne. Deux de vos collègues ont péri martyrs de la cause que nous défendons: nous étions tous voués au même couteau; ne pouvant vous égorger par leurs satellites, les scélérats avaient agité la république entière, comme pour vous ensevelir sous ses ruines.

Enfin, le temps était arrivé où les tyrans, fatigués de la résistance, et le peuple, de la tyrannie, provoquaient à l'envi une crise qui devait perdre ou sauver la patrie. Les jours qui viennent de luire sont gros des destinées de l'univers; les deux génies qui s'en disputaient l'empire sont en présence: la servitude ou la liberté du genre humain sont le prix du combat. La faction criminelle croit toucher au moment de se baigner dans le sang des fidèles représentants du peuple; tous les agents et tous les sicaires des rois étrangers veillent et s'agitent pour les seconder ou pour anéantir du même coup la représentation nationale tout entière; mais le peuple est présent; il entoure la Convention de son bras puissant, il protège même ses lâches ennemis. La Convention, d'une main, remet les traîtres entre les mains de la loi; de l'autre, elle montre à l'univers le pacte social des Français; et, pure, libre enfin, elle s'avance majestueusement dans son immense carrière.

Mais les ennemis de la patrie lui permettront-ils de la parcourir en paix? Non! les fondateurs de la république ne peuvent trouver le repos que dans le tombeau: les traîtres meurent, mais la trahison survit à leur châtiment. Les tyrans coalisés vivent encore, et, tant qu'ils vivront, ils conspireront contre l'existence du peuple français; ils verseront sur nous tous les maux dont la corruption des coeurs est la source inépuisable. Ils ont à leur solde des armées subsidiaires d'espions et de traîtres qui se succèdent sans cesse; ils ont à leur solde toutes les passions et tous les vices, et ils poursuivent avec une activité nouvelle le projet savant de détruire la Convention nationale. Et quelle autre ressource peut leur rester? Sont-ce leurs armées? Elles fuient devant les défenseurs de la république, dès qu'ils cessent un moment d'être guidés par la perfidie. Est-ce la perfidie de vos généraux! Vous en avez cherché, vous en avez trouvé de fidèles: vous punissez les traîtres, vous les arrachez de votre propre sein pour les livrer au glaive des lois; il ne leur reste que de vous détruire vous-mêmes, pour anéantir le point central auquel se rallient toutes les portions de cette immense république, et partager entre eux les lambeaux épars de ce vaste empire. Si vous étiez des traîtres et des lâches, tous les ennemis de la liberté, tous les hommes corrompus se seraient ligués avec vous contre le peuple: vous vous êtes montrés fidèles, ils se sont réunis pour vous déclarer la guerre.

Ce qui prouve que ce n'était point la faction criminelle que certaines gens voulaient détruire, mais les représentants républicains, c'est que les premiers jours qui suivirent le triomphe de la Montagne; vous fûtes insultés dans cette enceinte par un prêtre méprisable* [*Jacques Roux.], qui vint vous dénoncer à vous-mêmes comme auteurs de la disette publique. Ce fut à cette époque que l'on provoqua les rassemblements qui s'étaient formés dans toutes les grandes crises de la révolution; c'est alors que, sous le nom de Marat, des écrivains mercenaires cherchaient sans cesse à exciter le peuple et blasphémaient contre vous; c'est alors que vous fûtes sans cesse assaillis par des pétitions qui tendaient à vous rendre responsables de la disette factice causée par les conspirateurs. Ces manoeuvres perfides ne furent déconcertées que par la vertu de ce même peuple qui vous avait fait triompher le 31 mai.

Dans le même temps, des écrivains mercenaires, osant usurper le nom de Marat, pour le profaner, cherchaient à exciter le peuple aux mêmes désordres que la faction girondine lui avait imputés lâchement: elle cherchait à avilir la Convention nationale. On distinguait parmi ces libellistes le prêtre sacrilège, auteur de la pétition dont je vous ai déjà parlé, émigré, qui avait conduit les patriotes de Lyon sous le couteau de leurs assassins, et ouvert la contre-révolution qui a livré cette ville au pouvoir des rebelles. Ces misérables, et d'autres agents des puissances étrangères, agitaient les clubs populaires et les assemblées sectionnaires, dont les intrigants s'étaient emparés à la faveur de la permanence qui en bannissait le peuple et les patriotes. Plus le peuple vous prodiguait de preuves de sa confiance, plus on s'efforçait de la détruire: tandis que de toutes les parties delà république, on vous conjurait de ne point abandonner le gouvernail de l'Etat au milieu de la tempête, de prétendus patriotes vous sommaient ici de leur céder vos places; des intrigants faisaient adopter cette motion par un club célèbre, l'affichaient sur les murs de Paris, et le publiaient.

Les lâches! ils se mêlent avec les défenseurs de la patrie; ils imitent notre langage; ils flattent notre amour pour la liberté; ils ont l'air quelquefois de le surpasser: ils se parent de tous les signes extérieurs de la révolution, ils en imaginent même de nouveaux; ils ne siègent pas dans les sociétés populaires, ils les président, ils les dirigent. Une fois munis de ces brevets de patriotisme qui les associent à notre cause, ils s'efforcent de la rendre ridicule à force d'exagération et d'extravagances; ils la chargent de toute leur infamie; ils entraînent le zèle ardent et irréfléchi dans leurs perfides systèmes. Les Français applaudissent quelquefois à des motions arrêtées dans les cabinets de Londres ou de Vienne: quelque temps après, on découvre tous les maux qu'elles ont entraînés, et le sang de cent mille Français coule pour expier l'erreur d'un moment. Malheur à quiconque oserait parler alors le langage de la raison! Ils le proscrivent comme un lâche modéré ou comme un ennemi de la liberté. A quels dangers la république ne sera-t-elle pas exposée, si le législateur n'est pas assez éclairé pour les démasquer!

(Ici manque quelque chose. )

A la tête de ce complot était le baron de Batz.

Nous allons vous dire ce que nous pensons sur les chefs de cette conspiration; nous les jugerons, non pas précisément par ce qu'en ont dit ou connu les dénonciateurs, mais par tout ce que nous en connaissons nous-mêmes, et par l'ensemble des preuves qui nous sont parvenues d'autres parts.

D'abord, l'existence du complot de diffamer et de dissoudre la Convention; il est impossible d'en douter. Nous l'avons déjà prouvé par des faits indépendants de la dénonciation; il est attesté par la conduite et par les écrits de tous les ennemis de la France, il est aussi certain que l'existence des rebelles et des rois conjurés contre la république.

Les hommes dénoncés par Bazire et Chabot en sont-ils coupables? Nous allons le discuter.

Le premier qui se présente est Delaunai. Le caractère et la conduite de ce citoyen démentent-ils ou confirment-ils le double témoignage porté contre lui? Delaunai est du nombre de ceux qui semblent avoir joué un rôle équivoque aux yeux du public; mais tous les membres de l'assemblée Législative et de la Convention qui l'ont connu, tous les citoyens initiés dans les événements de la révolution, savent que Delaunai était un agent hypocrite de la faction girondine, le confident et le valet de ce lâche Caritat, qui à l'exemple de son ami Brissot, a fui la justice nationale, et qui ne l'a pas moins méritée. En continuant de conspirer contre l'honneur de la Convention nationale, aurait-il fait autre chose que de continuer son ancien métier? Delaunai était un des faiseurs de cet exécrable libelle nommé la Chronique, où la faction girondine déposait ses poisons les plus subtils. Pendant plus d'un an, il appela à ce titre l'opprobre et les poignards sur les républicains et sur la Montagne; lorsqu'à l'approche de la lumière, le lâche Condorcet commença à redouter la responsabilité de ses impostures liberticides, Delaunai les signa conjointement avec lui; et ces deux hommes donnèrent alors la mesure de leur courage et de leur bonne foi. Quand les patriotes indignés leur demandaient compte de leurs calomnies, Condorcet rejetait la faute sur Delaunai, et Delaunai renvoyait les plaignants à Condorcet.

Delaunai était, comme Ducos et Fonfrède, un émissaire de la faction fédéraliste, siégeant à la Montagne pour la profaner et pour la trahir; il était au chef de la faction ce qu'est un espion aux généraux ennemis qui le soudoient. Son silence et ses discours, ses intrigues sourdes et ses actes publics le décèlent également. Ce député n'était point sans talent, et ne rompit le silence que lorsqu'il fut question de finances. Muet sur les crimes des traîtres et des tyrans, il s'échauffa tout à coup contre les manoeuvres de l'agiotage; il épouvantait les agioteurs pour partager leur proie, comme les Condorcet, les Brissot, et tous les fripons girondins, menaçaient quelquefois la cour, pour partager ses brigandages et son pouvoir.

Le second personnage est Julien. Julien était déjà jugé par l'opinion publique, par des faits antérieurs devenus trop publics; Julien, flottant sans cesse entre tous les partis, avait paru se fixer sur la Montagne, pour cacher ses vues cupides et ambitieuses sous le masque du patriotisme; mais il s'était trahi dès le moment où il était entré au comité de sûreté générale; il ne s'était emparé du soin de faire les rapports des administrations coupables que pour trahir la cause de la liberté, du peuple et de la vérité. Là, les crimes des conspirateurs furent palliés, les vertus des républicains furent calomniées, la mémoire même des martyrs de la liberté fut outragée: la municipalité de Lyon, assassinée par ce royaliste, et son digne chef, le magnanime Chalier, furent lâchement outragés. Cet ouvrage excita les réclamations de tous les amis de la patrie. Son auteur, redoutant la censure de la Convention nationale, s'efforça de la prévenir, en le mettant sous la sauvegarde des Jacobins, qui le rejetèrent, et en le présentant à la municipalité de Paris, qui rétracta, sur la pétition des Jacobins, l'acceptation qu'on lui avait surprise. Enfin Julien, qui s'était obstiné à faire ce rapport après le renouvellement du comité de sûreté générale, déconcerté par la force de l'opinion publique, avoua lui-même l'infidélité de son rapport, demanda que le nouveau comité de sûreté en présentât un nouveau à la Convention nationale.

La résolution vigoureuse et sage que prirent les membres du nouveau comité de sûreté générale, en commençant leur carrière, de mettre les scellés sur ses papiers lui procura de nouvelles preuves de ses prévarications.

Julien entretenait la correspondance la plus intime et même la plus tendre avec l'abbé d'Espagnac.

Cette horde impure était payée pour blasphémer contre la Convention nationale du peuple français. Les tyrans étrangers regardaient comme une victoire de faire tomber du haut de la Montagne un des représentants du peuple, célèbres par leur zèle pour la cause populaire. S'ils pouvaient en égarer un seul, ils auraient conclu que tous étaient capables de la même faiblesse, et qu'il ne restait plus au peuple que de briser le gouvernement républicain, comme il avait renversé le trône, et de se reposer ensuite sous le joug des monarques incorruptibles de l'Autriche, de la Prusse et de Berlin.

Plusieurs représentants du peuple étaient devenus leurs complices et s'étaient ligués avec eux pour étendre sur tous leurs collègues l'ignominie dont ils étaient couverts. Ce n'étaient que des lâches, dont la probité et le civisme avaient toujours été plus qu'équivoques, il fallait tenter des conquêtes plus difficiles et plus intéressantes. On chercha d'abord ou à séduire ou à compromettre des patriotes, ceux qu'un penchant dangereux à la confiance, et peut-être un penchant au plaisir, plus dangereux encore, rendaient plus accessibles à ces attaques: on leur lança deux des plus habiles scélérats que l'Autriche ait vomis parmi nous. Il existe à Paris, depuis les premier" temps de la révolution, deux monstres dignes de servir la cause des tyrans par la profonde hypocrisie qui les caractérise. Ils avaient perdu à Paris les titres et le nom qu'ils portaient à la cour de Vienne; l'un d'eux avait associé à celui qu'il a adopté le nom du fondateur de la liberté romaine; il était entouré de titres patriotiques; il avait composé des ouvrages éloquents pour la défense des droits de l'homme et de la révolution française; il avait même des brevets de persécution; il avait été banni de l'Allemagne par l'empereur Joseph II. Aucun des patriotes qu'il attirait chez lui n'y entrait sans le surprendre, la plume à la main, rêvant sur les droits de l'humanité, ou courbé sur les oeuvres de Plutarque ou de Jean-Jacques. L'extérieur austère et le costume révolutionnaire de Junius répondaient parfaitement à l'idée d'un si grand caractère; la coupe philosophique de sa chevelure, le bonnet rouge qui ornait sa tête philosophique garantissaient à toute la terre la pureté de son patriotisme. Junius Frey avait acquis l'estime de toute sa section; il s'était lié avec des patriotes qui s'honoraient de l'amitié de ce vertueux ami de l'humanité.

Junius chercha particulièrement la société, ensuite l'amitié de François Chabot. Il ne trouvait pas d'expression assez forte pour peindre l'estime, l'admiration, la tendresse que lui inspiraient le caractère et les principes de ce représentant du peuple. Cet estimable étranger, cet ami, ce martyr de la liberté avait une soeur, le modèle de toutes les vertus de son sexe: modestie, naïveté même, patriotisme, talents.

Le généreux cosmopolite se garda bien d'offrir à Chabot cette femme intéressante.

(Lacune.)

Je n'ai pas besoin de peindre la joie que ce triomphe remporté sur la conduite d'un patriote tel que Chabot dut répandre dans les cavernes des brigands autrichiens. L'Autriche crut, dès ce moment, tenir entre ses mains l'honneur de la Convention nationale. Le monstre qui avait trompé Chabot osa se vanter alors que les représentants les plus purs n'échapperaient pas aux filets qui étaient tendus autour d'eux: vous ne serez pas étonnés que, dès ce moment, la calomnie ait tiré parti d'un prétexte si favorable, vous ne le serez pas même d'apprendre que le premier artisan de la diffamation de Chabot ait été le prétendu beau-frère qui en avait préparé le prétexte. Dès ce moment, cette victime de la perfidie fut l'objet de l'attention de toutes les sociétés populaires; le patriotisme inquiet et ardent se réunit en pareil cas pour l'accabler. Je n'ai pas besoin de dire que cet événement fut présenté sous les couleurs les plus défavorables à Chabot, et chargé de toutes les circonstances que la malveillance et l'intrigue pouvaient inventer.

On a raisonné diversement sur la dot de 200,000 livres donnée par Frey à la femme de Chabot. Les uns ont prétendu que cette dot était fournie par Chabot lui-même, et que le contrat de mariage n'était qu'un moyen de déguiser les richesses que Chabot avait déjà amassées précédemment.

Les autres ont trouvé aussi naturelle l'hypothèse contraire; ils ont prétendu qu'un législateur corrompu n'aurait pas cherché à cacher le prix de sa corruption sous un manteau autrichien, qui n'aurait pu que l'afficher.

Ils ont observé qu'un législateur célèbre qui veut se vendre peut se faire acheter, sans se marier à une étrangère, et déguiser sa bassesse sous un voile moins transparent; ils ont conclu au contraire du mariage et de la dot, que les ennemis de la révolution, qui n'auraient pas osé proposer à Chabot de se vendre, avaient été obligés de le tromper, pour le couvrir des apparences de la corruption, parce qu'ils n'espéraient pas le corrompre, et lui ont caché leur présent perfide sous des apparences légitimes.

Les uns ont adopté les interprétations les plus favorables aux vues de l'aristocratie; les autres ont préféré celles qui flattaient le plus le voeu des patriotes.

Mais ce sont les premières qui ont dû naturellement prévaloir dans le public: dans un tel événement, il faut nécessairement que la malignité et l'aristocratie prennent chacune sa part. Malheur à l'homme qui a longtemps défendu la cause du peuple! S'il commet ou une faute, ou une erreur ou une indiscrétion, il est perdu; car le patriotisme, sévère et soupçonneux, et la vengeance des ennemis du peuple se réunissent contre lui: il faut qu'il porte à la fois la peine, et de sa faiblesse actuelle, et de ses services passés.

Au reste, ce n'était ni la personne de Chabot, ni celle de Bazire, que poursuivaient les agents des cours étrangères: nous allons nous-mêmes les laisser à l'écart, pour suivre le système étranger dans son ensemble et dans ses conséquences.

Il existait, en effet, parmi les représentants du peuple français des hommes pervers, initiés dans les mystères de la conspiration étrangère, des hommes qui n'étaient point faibles, mais pervers; qui n'étaient point corrompus, mais corrupteurs; qui n'étaient ni dupes, ni complices, mais chefs des conspirations tramées contre la liberté du peuple.

Or, ces gens-là je ne les ai jamais vus dénoncés; mais prônés, mais défendus par les écrivains plus que patriotes, qui ont sans cesse dénoncé la Convention nationale, et tous les vrais patriotes, depuis le triomphe des principes et de la Montagne.

Cependant ces représentants étaient coalisés avec les banquiers des puissances étrangères et avec leurs principaux agents; ils siégeaient avec la Montagne, comme d'Orléans, pour obscurcir sa gloire, et pour cacher leur bassesse et leurs crimes; ils conspiraient avec les tyrans de l'Angleterre, de l'Autriche et de la Prusse: les uns, par leur patriotisme hypocrite; les autres, par leur or, conspiraient contre l'honneur de la représentation nationale et contre le salut de la république. Plusieurs patriotes furent tentés par eux; Bazire et Chabot furent attirés dans leur société. Le caractère de ceux qui la composaient était plus qu'équivoque. La sollicitude des patriotes cherchait à deviner quelle était cette puissance invisible, qui continuait de porter des coups funestes à la liberté, quand tous ses ennemis étaient dans le silence et dans la terreur. On connaissait leur but, mais non leurs moyens: on devinait le crime, on cherchait le nom des coupables: Bazire et Chabot nous les ont dénoncés. Sont-ils coupables eux-mêmes? A quel point le sont-ils? Les dénonciateurs et ceux qu'ils ont dénoncés doivent-ils être confondus dans la même classe? C'est un des objets que nous soumettons à votre justice impartiale. Pour nous, c'est la conspiration que nous avons voulu atteindre, sans respect des personnes; c'est au salut public que nous avons marché. Nous avons été jusqu'ici plus sévères envers les accusateurs qu'envers les accusés; car les dénonciateurs ont été arrêtés les premiers, presque tous les dénoncés ont fui, ou sont en liberté: ils parlent, ils écrivent tout ce qu'ils jugent à propos sur cette affaire, non seulement contre les dénonciateurs, mais contre la Convention nationale. Vous pouvez, en cela, nous accuser de partialité, ou d'une excessive rigueur envers nos collègues. Si nous méritons ce reproche, nous ne voulons pas y échapper; mais nos intentions sont pures, et nous allons continuer de vous développer les faits qui peuvent éclairer votre sa gesse et votre justice.

Le…… Chabot vint trouver un des membres du comité de salut public, et lui dit: "Je viens te réveiller; mais c'est pour sauver la patrie; je tiens le fil de la conspiration la plus dangereuse qui ait été tramée contre la liberté—Eh bien! il faut la dévoiler.—Mais, pour cela, il faut que je continue de fréquenter les conjurés; car j'ai été admis dans leur société. Ils m'ont conduit par degrés à des propositions, ils m'ont tenté par l'appât de partager le fruit de leur brigandage: le jour est pris où ils doivent se réunir; je dois m'y trouver aussi. Ils croient que je ne devine pas le reste de leur projet; mais ils vont à la contre-révolution ouverte. Si l'on veut, je ferai prendre, en flagrant délit, les conspirateurs.—On ne peut pas rendre un plus grand service à la patrie; tu ne dois pas balancer. Mais quelles seront tes preuves? (Chabot tenait un paquet dans sa main.)—Voilà dit-il, un paquet que l'on m'a remis, pour que je tâchasse de déterminer un membre de la Montagne à se désister des oppositions qu'il a apportées au projet financier de la clique; je n'ai pas voulu rejeter cette commission, pour ne pas me mettre dans l'impossibilité de découvrir et de dévoiler le fond de la conspiration; mais mon intention est d'aller de ce pas déposer ce paquet au comité de sûreté générale, et de dénoncer les traîtres. Au reste, j'offre de donner au comité le moyen de les prendre tous, rassemblés dans un lieu où je me trouverai.—Hâte-toi donc de te rendre au comité de sûreté générale; il accueillera, sans doute, cette offre-là avec empressement.—Oui; mais je ne veux pas que l'on puisse induire de ma présence au milieu des conjurés que je le suis moi-même. Je demande une sûreté. Je veux bien mourir pour ma patrie, mais je ne veux pas mourir en coupable. Ma mère et ma soeur sont ici; je ne veux pas qu'elles expirent de douleur. Ma soeur me disait dernièrement: Si tu as trahi la cause du peuple, je serai la première à te poignarder.—Tu ne dois pas douter que le comité de sûreté générale ne prenne avec toi les moyens nécessaires pour découvrir la conspiration. Tes intentions et l'avis que tu lui auras donné seront ta garantie. Au surplus, tu peux en parler au comité de salut public; il saisira tous les moyens qui lui sont offerts de sauver la patrie." Chabot partit, en annonçant qu'il ferait sa dénonciation au comité de sûreté générale; il la fit le même jour. Bazire en fit une autre relative au même complot.

Il résulte de l'une et de l'autre qu'il existait une conspiration dont le but était de corrompre les représentants du peuple, de diffamer tous les autres, et surtout les patriotes, pour arriver à la contre-révolution par l'anéantissement de la représentation nationale, celui de ruiner les finances, en entraînant la Convention dans des mesures impolitiques, déguisées sous les apparences du bien public.

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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours sur le décret qui oblige les membres de la Convention de mettre au jour leur conduite morale et politique, prononcé au Club des Jacobins le 16 germinal an II de la république française (15 avril 1794)

Puisque l'on convient qu'il s'est passé un événement intéressant pour la liberté, que les opérations sublimes de la Convention viennent encore de sauver la patrie, si elle persévère dans ces opérations, si elle continue de distinguer l'innocence de l'aristocratie, si enfin elle se montre aussi soigneuse de protéger l'une que de frapper l'autre; puisque l'on convient de tous ces faits, je demande que la conjuration soit à l'ordre du jour; que si quelque bon citoyen peut développer les circonstances affreuses qui dérivent du principe de cette conspiration, s'il peut vous faire part des détails importants qui n'ont pas été connus jusqu'à présent, il monte à la tribune, et qu'il fasse connaître toute la scélératesse des conspirateurs qui voulaient nous entraîner dans le précipice où seuls ils sont tombés.

C'est ce cette manière que nous porterons des coups terribles; c'est ainsi que nous écraserons les ennemis de la liberté, et non par des mesures partielles et inconsidérées; c'est en allant droit à eux; c'est en les attaquant en face et avec acharnement; c'est en plongeant dans leur coeur le poignard de la justice, que nous pourrons délivrer la liberté de tous les scélérats qui veulent la détruire.

Cet ordre du jour doit sans contredit l'emporter sur celui que vous a proposé Chasles. Eh! qu'importe que la Convention oblige chacun de ses membres à rendre compte de leur fortune! N'est-il pas évident que les fripons seuls pourront échapper à la rigueur de cette mesure? Les fripons ont leur fortune en portefeuille ou chez l'étranger: Brissot se disait pauvre, et l'on sait qu'il avait des maisons à Londres. Chabot disait qu'il n'avait pas touché la dot de sa femme: tous les coupables qui ont péri par la main de la justice se disaient pauvres. Les scélérats diront toujours au peuple: Nous sommes pauvres et incorruptibles; vous ne pouvez pas prouver que nous sommes riches.

Citoyens, regardons comme un principe invariable de ne jamais présenter aux mauvais citoyens le moyen de se ranger parmi les patriotes; exigeons d'eux des preuves qui appartiennent exclusivement aux patriotes, et rejetons tout ce qui peut être commun aux patriotes et aux aristocrates; les patriotes sont purs; s'il en est à qui la fortune ait accordé des dons que la vertu méprise et que la cupidité seule estime, ils sont bien loin de vouloir les cacher; ils n'ont pas de plus grand désir que d'en faire un noble usage; il n'y a que les conspirateurs qui mettent leur intérêt à les soustraire à la vue du peuple.

Les preuves que nous devons exiger, c'est une vie dont les moments soient tous marqués par des actions vertueuses, une vie remplie de sacrifices faits à la patrie. Qu'importe que l'on ait monté ses gardes et payé régulièrement ses impositions! Qu'importe que l'on me dise: Tu ne prouveras pas que ma fortune est augmentée depuis la révolution! Il faut renvoyer au temps de Lafayette ces moyens, qui n'étaient mis en usage que par ses amis et ses partisans. C'est avec de telles preuves qu'ils prétendaient être les seuls patriotes: eux seuls possédaient au suprême degré le patriotisme, parce qu'eux seuls pouvaient remplir les formalités qu'ils exigeaient eux-mêmes pour être patriotes. Ce n'est donc pas par le nombre des gardes qu'ils ont montées, ou qu'ils ont fait monter pour eux qu'il faut juger les hommes, mais par le sacrifice continuel de leur ambition et de leur orgueil à la cause de la patrie. Il résulte de là, que la proposition faite à la Convention d'obliger tous les membres à rendre compte de leur fortune n'est pas aussi importante qu'elle le paraît au premier coup d'oeil. Je sais qu'elle part d'une âme honnête et juste, mais elle ne présente pas de résultats heureux.

En déjouant les conspirations, nous n'avons pas .encore atteint le but auquel nous tendons; tant qu'il y aura une ligue de tyrans conjurés contre la France, la liberté sera exposée à de grands dangers. Cette réflexion doit soutenir votre justice et notre vigilance, et nous engager à ne pas abandonner les grandes mesures que nous devons prendre. Frapper l'aristocratie dès qu'elle paraît vouloir devenir insolente, lui arracher le masque dont elle se couvre: voilà l'ordre du jour. Epouvantons l'aristocratie, de manière non seulement qu'elle ne puisse plus nous attaquer, mais qu'elle n'ose pas même essayer de nous tromper. D'un autre côté, protégeons l'innocence, et ravissons à la tyrannie l'affreux espoir de détruire les patriotes.

(La proposition de Robespierre fut adoptée.)

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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours sur les menées contre-révolutionnaires de Dufourny, prononcé au Club des Jacobins le 16 germinal an II de la république française (15 avril 1794)

Je suis loin de vouloir faire un crime de l'opinion que l'on peut avoir sur un individu. Je ne veux pas douter de la probité d'un homme, quand elle est aussi bien attestée que celle de Dufourny, attestée par lui-même. Je laisse de côté toutes ces choses, pour ne vous parler que de l'ensemble de la conduite de Dufourny.

Il fréquentait, il n'y a pas longtemps, le comité de sûreté générale, jadis c'était le comité de salât public. Il assistait à toutes les délibérations; il ne pouvait pas manquer à une séance: c'est une preuve de son zèle excessif pour le bien public! Il avait pour prétexte la qualité de président au département de Paris. Il y avait une telle affectation dans ses assiduités, que je lui dis: Vous assistez trop régulièrement à nos délibérations; il me semble que votre premier devoir serait de faire mettre en arrestation tous les aristocrates qui nous entourent.

Il n'y avait pas alors d'autorité qui pût les arrêter autre que le département de Paris. Toujours ils furent tranquilles; toujours Paris fut cerné par eux; ils affluaient dans tous les lieux voisins de cette commune. Le président du département, malgré son patriotisme et sa probité, a donc alors oublié le premier de ses devoirs, celui de dissiper les rassemblements.

Fabre-d'Eglantine jouait une comédie auprès des comités; le métier de cet habile fourbe était de faire de petites dénonciations contre de petits conspirateurs avec lesquels il s'entendait, mais qu'il dénonçait pour faire ignorer ses sentiments. Il trouvait ensuite, par ses fourberies, le moyen d'embrouiller les faits, de manière que la dénonciation était nulle. Je suis fâché qu'un homme probe comme Dufourny ait été le second d'un pareil intrigant.

Le jour où je dénonçai ici Fabre-d'Eglantine, où je traçai ici l'esquisse de son caractère odieux, Dufourny ne put pas s'empêcher de dire que j'avais été engagé par quelque intrigant à faire cette dénonciation; cependant, il était reconnu dès lors que Fabre-d'Eglantine était un fripon.

Le même esprit qui portait Dufourny à repousser les premiers traits de lumière jetés sur Fabre-d'Eglantine lui dicta la conduite qu'il a tenue quand cet intrigant a été conduit au tribunal; je ne dirai pas que ce fut ce même esprit qui engagea Dufourny à mendier la faculté de déposer dans cette affaire; je ne dirai pas que c'était cet esprit qui le rendait si assidu aux séances du tribunal, et qui provoquait de sa part des mouvements en faveur des prévenus; je ne rappellerai pas qu'au club électoral, il dirigea des calomnies obliques contre les Jacobins et contre la Convention elle-même. Croit-il nous donner le change en disant que la Convention ne veut pas que ceux qu'elle envoie au tribunal ne puissent pas se faire reconnaître innocents? N'est-ce pas assez d'avoir dit an milieu du peuple, en parlant des prévenus: Il faut des preuves. C'est-à-dire que c'est sans preuves que la Convention envoie des hommes au tribunal révolutionnaire!

(Dufourny interrompt par quelques paroles.)

Robespierre. Rappelle-toi que Chabot, que Ronsin furent impudents comme toi, et que l'impudence est le caractère hideux que l'on voit imprimé sur le front du crime.

(Dufourny. Le mien, c'est le calme…)

Robespierre. Ah! le calme n'est pas dans ton âme: je prendrai toutes tes paroles pour te dévoiler aux yeux du peuple; je lui ferai voir que chacune d'elles est dite à contre sens, et que, par conséquent, elles ne peuvent pas venir d'une âme pure.

Le calme! les conjurés ne font que l'invoquer: ils voudraient jeter dans nos coeurs un calme et un assoupissement profonds; mais ils n'obtiendront pas ce calme qu'ils désirent; ils ne parviendront pas non plus à troubler la paix de nos âmes.

Quoi! tandis que le peuple demande justice de ses ennemis et de ses assassins; quand les représentants ont la consolation de le sauver du péril, un homme ose prendre leur défense! Quand les crimes des conspirateurs sont écrits avec le sang du peuple; quand la Belgique, encore fumante de carnage, atteste la trahison; quand les coeurs indignés sont convaincus de tant de scélératesse, dont les stupides seuls peuvent douter, un homme ose demander où sont les preuves! c'est-à-dire que les républicains ne savent pas rendre justice, que la Convention et le tribunal révolutionnaire égorgent les innocents!

Tu crois nous donner le change par un lieu commun: Perfide! tu oses nous observer que la Convention n'accuse pas pour interdire à l'accusé la faculté de se justifier. Tous les ennemis de la liberté ont fait ces observations; je crois que tout le monde est convaincu de tes intentions en les faisant.

Tu as été l'ami de Fabre-d'Eglantine; tu t'es agité pour le sauver, pour égarer les citoyens qui devaient le juger, pour diviser l'opinion publique sur le compte de cet intrigant.

Tu as fait souvent des motions malignes, tu as brigué toutes les places, et il était impossible de t'en arracher aucune; et quand celle de président te fut enlevée, tu te déclaras l'ennemi des comités.

Tu as cru en imposer en te donnant un air d'opiniâtreté; tu as défendu ton opinion avec indécence, et tu croyais être assez excusé par cette même opiniâtreté. Tu t'es supposé une maladie, afin d'excuser tes démarches nocturnes. Fabre-d'Eglantine et Danton faisaient de même: tous deux ils croyaient nous fermer les yeux en nous parlant de leur mauvais tempérament. Il n'est pas un homme mal intentionné qui ne se soit prêté quelque défaut physique et moral pour servir d'excuse contre ses torts; voilà ton portrait.

Quelle est cette correspondance dont tu as fait part à la société? Qu'on se rappelle que tu voulais lui faire adopter une opinion contre-révolutionnaire, une opinion qui tendait à exclure du sein de la société les fonctionnaires publics et les membres des sociétés affiliées. Il était évident que les sociétés étant isolées, elles devenaient impuissantes, et que celle-ci était paralysée. Il n'y avait plus alors de barrière contre le fédéralisme. Il résultait aussi de cette opinion que les fonctionnaires publics perdaient le droit le plus cher aux citoyens, celui de contribuer de leurs lumières au salut de la patrie, et qu'un patriote délicat n'aurait jamais voulu recevoir une fonction publique, pour ne pas perdre le droit de citoyen: voilà tes principes. Autant tu fus indulgent envers les ennemis de la liberté, autant tu fus actif à calomnier ses amis.

La journée du 31 mai a sans contredit sauvé la patrie, c'est pour cela que Danton voulut se venger d'Henriot, qui avait écarté les dangers qui environnaient la Convention; c'est pour cela que Danton, Hérault, Lacroix voulurent le faire arrêter, afin de faire tourner l'insurrection contre le peuple: toi, tu as fait la même chose. A la réunion du 10 août, époque critique à laquelle nous étions environnés d'ennemis, il était question de rallier tous les départements autour de la Convention. Le commandant de Paris donnait alors des repas fraternels à nos frères qui étaient venus de toutes les parties de la république, pour resserrer les liens d'amitié qui unissent les bons Français; dans la maison qui avait été donnée à Henriot pour faire ces repas, il se trouva quelques bouteilles de vin appartenant à des émigrés, et les fédérés en burent. Dufourny voulut flétrir cette époque de la révolution et faire de cette action un chef d'accusation contre le commandant, afin de faire dire aux aristocrates qu'Henriot était un voleur.

Au 31 mai, Dufourny s'était introduit dans le comité d'insurrection: quand il vit que son mouvement populaire réussissait, il se retira du comité et chercha les moyens de le rendre impuissant. Dufourny a été le colporteur et l'avocat des calomnies de nos ennemis; on l'a vu assiéger le tribunal révolutionnaire et demander à être entendu, afin de donner à la conjuration une tournure favorable.

Je demande que la société prenne une mesure à l'égard de cet individu.

(Un membre fait la motion de chasser Dufourny et. de le traduire au comité de sûreté générale. Cette proposition est adoptée.)

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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours sur les deux tentatives d'assassinat dont il avait été l'objet de la part de L'Admiral et de Cécile Renault, prononcé à la Convention nationale le 7 prairial an II de la république française (26 mai 1794)

Ce sera un beau sujet d'entretien pour la postérité, c'est déjà un spectacle digne de la terre et du ciel, de voir l'assemblée des représentants du peuple français, placée sur un volcan inépuisable de conjurations, d'une main apporter aux pieds de l'éternel auteur des choses les hommages d'un grand peuple, de l'autre, lancer la foudre sur les tyrans conjurés contre lui, fonder la première république du monde, et rappeler parmi les mortels la liberté, la justice et les vertus exilées!

Ils périront, tous les tyrans armés contre le peuple français! elles périront, toutes les factions qui s'appuient sur leur puissance pour détruire notre liberté! Vous ne ferez pas la paix, mais vous la donnerez au monde, et vous l'ôterez au crime. Cette perspective prochaine s'offrait aux regards des tyrans épouvantés, et ils ont délibéré avec leurs complices que le temps était arrivé de nous assassiner, nous, c'est-à-dire la Convention nationale: car, s'ils nous attaquent, tantôt en masse, et tantôt en détail, vous reconnaîtrez toujours le même plan et les mêmes ennemis. Sans doute ils ne sont pas assez insensés pour croire que la mort de quelques représentants pourrait assurer leur triomphe; s'ils ont cru, en effet, que pour anéantir votre énergie ou pour changer vos principes, il suffit d'assassiner ceux à qui vous avez spécialement confié le soin de veiller pour le salut de la république; s'ils ont cru qu'en nous faisant descendre au tombeau le génie des Brissot, des Hébert et des Danton en sortirait triomphant pour nous livrer une seconde fois à la discorde, à l'empire des factions et à la merci des traîtres: ils se sont trompés! Quand nous serons tombés sous leurs coups, vous voudrez achever notre sublime entreprise, ou partager notre sort; ou plutôt il n'y a pas un Français qui ne voulût alors venir sur nos corps sanglants jurer d'exterminer le dernier des ennemis du peuple!

Cependant, leur délire impie atteste à la fois leurs espérances et leur désespoir.

Ils espéraient jadis réussir à affamer le peuple français; le peuple français vit encore, et il survivra à tous ses ennemis, sa subsistance a été assurée, et la nature, fidèle à la liberté, lui présente déjà l'abondance. Quelle ressource leur reste-t-il donc? l'assassinat!

Ils espéraient exterminer la représentation nationale par la révolte soudoyée, et ils comptaient tellement sur le succès de cet attentat, qu'ils ne rougirent point de l'annoncer d'avance à la face de l'Europe, et de l'avouer dans le parlement d'Angleterre; ce projet a échoué. Que leur reste-t-il? l'assassinat!

Ils ont cru nous accabler sous les efforts de leur ligue sacrilège, et surtout par la trahison: les traîtres tremblent ou périssent, leur artillerie tombe en notre pouvoir, leurs satellites fuient devant nous; mais il leur reste l'assassinat!

Ils ont cherché à dissoudre la Convention nationale par l'avilissement et par la corruption; la Convention a puni leurs complices, et s'est relevée triomphante sur la ruine des factions, et sous l'égide du peuple français: mais il leur reste l'assassinat!

Ils ont essayé de dépraver la morale publique, et d'éteindre les sentiments généreux dont se compose l'amour de la liberté et de la patrie, en bannissant de la république le bon sens, la vertu et l'humanité. Nous avons proclamé la divinité de l'immortalité de l'âme: nous avons commandé la vertu au nom de la république. Il leur reste l'assassinat!

Enfin, calomnies, trahisons, incendies, empoisonnements, athéisme, corruption, famine, assassinats: ils ont prodigué tous les crimes! Il leur reste encore l'assassinat, ensuite l'assassinat, et puis encore l'assassinat!

Réjouissons-nous donc, et rendons grâces au ciel, puisque nous avons assez bien servi notre patrie, pour avoir été jugés dignes des poignards de la tyrannie!

Il est donc pour nous de glorieux dangers à courir! Le séjour de la cité en offre au moins autant que le champ de bataille. Nous n'avons rien à enviera nos braves frères d'armes: nous payons de plus d'une manière notre dette à la patrie.

O rois et valets des rois, ce n'est point nous qui nous plaindrons du genre de guerre que vous nous faites, et nous reconnaissons d'ailleurs qu'il est digne de votre prudence auguste! Il est plus facile, en effet, de nous ôter la vie que de triompher de nos principes et de nos armées: l'Angleterre, l'Italie, l'Allemagne, la France elle-même nous fourniront des soldats pour exécuter ces nobles exploits. Quand les puissances de la terre se lignent pour tuer un faible individu, sans doute il ne doit point s'obstiner à vivre; aussi n'avons-nous pas fait entrer dans nos calculs l'avantage de vivre longuement. Ce n'est point pour vivre que l'on déclare la guerre à tous les tyrans, et, ce qui est beaucoup plus dangereux encore, à tous les crimes. Quel homme sur la terre a jamais défendu impunément les droits de l'humanité? Il y a quelques mois, je disais à mes collègues du comité de salut public: "Si les armées de la république sont victorieuses, si nous démasquons les traîtres, si nous étouffons les factions, ils nous assassineront, et je n'ai point du tout été étonné de voir réaliser m» prophétie; je trouve même pour mon compte que la situation où les ennemis de la république m'ont placé n'est pas sans avantage, car plus la vie des défendeurs de la patrie est incertaine et précaire, plus ils sont indépendants de la méchanceté des hommes. Entouré de leurs assassins, je me suis déjà placé moi-même dans le nouvel ordre de choses où ils veulent m'envoyer; je ne tiens plus à une vie passagère que par l'amour de la patrie et la soif de la justice; et, dégagé plus que jamais de toute considération personnelle, je me sens mieux disposé à attaquer avec énergie tous les scélérats qui conspirent contre mon pays et contre le genre humain! Plus ils se dépêchent de terminer ma vie ici-bas, plus je veux me hâter de le remplir d'actions utiles au bonheur de mes semblables. Je leur laisserai du moins un testament, dont la lecture fera frémir les tyrans et tous leurs complices; je révélerai peut-être des secrets redoutables qu'une sorte de prudence pusillanime aurait pu me déterminer à voiler; je dirai à quoi tiennent encore le salut de la patrie et le triomphe de la liberté; si les mains perfides qui dirigent la rage des assassins ne sont pas encore visibles pour tous les yeux, je laisserai au temps le soin de lever le voile qui les couvre, et je me bornerai à rappeler les vérités qui peuvent seules sauver cette république!

Oui, quoi que puisse penser l'imprévoyante légèreté, quoi que puisse dire la perfidie contre-révolutionnaire, |es destinées de la république ne sont pas encore entièrement affermies, et la vigilance des représentants du peuple français est plus que jamais nécessaire!

Ce qui constitue la république, ce n'est ni la pompe des démonstrations, ni la victoire, ni la richesse, ni l'enthousiasme passager; c'est là sagesse des lois, et surtout la bonté des moeurs; c'est la pureté et la stabilité des maximes du gouvernement. Les lois sont à faire, les maximes du gouvernement à assurer, les moeurs à régénérer. Si l'une de ces choses manque, il n'y a dans un état qu'erreurs, orgueil, passions, factions, ambition, cupidité: la république alors, loin de réprimer les vices, ne fait que leur donner un plus libre essor, et les vices ramènent naturellement à la tyrannie. Quiconque n'est pas maître de soi est fait pour être l'esclave des autres; voulez-vous savoir quels sont les ambitieux? examinez quels sont ceux qui protègent les fripons, qui encouragent les contre-révolutionnaires, qui excusent tous les attentats, qui méprisent la vertu, qui corrompent la morale publique: c'était la marche des conspirateurs qui sont tombés sous le glaive de la loi. Faire la guerre au crime, c'est le chemin du tombeau et de l'immortalité; favoriser le crime, c'est le chemin du trône et de l'échafaud!

Les êtres pervers étaient parvenus à jeter la république et la raison humaine dans le chaos; il s'agit de les en retirer, et de créer l'harmonie du monde moral et politique. Le peuple français a deux garants de la possibilité d'exécuter cette héroïque entreprise: les principes de sa représentation actuelle et ses propres vertus. Le moment où nous sommes est favorable, mais il est peut-être unique. Dans l'état d'équilibre où sont les choses, il est facile de consolider la liberté; il est facile de la perdre. Si la France était gouvernée pendant quelques mois par une législature corrompue, la liberté serait perdue: la victoire resterait aux factions et à l'immoralité. Votre concert et votre énergie ont étonné l'Europe et l'ont vaincue. Si vous savez cela aussi bien que vos ennemis, vous en triompherez facilement?

J'ai parlé de la vertu du peuple, et cette vertu, attestée par toute la révolution, ne suffirait pas seule pour nous rassurer contre les factions, qui tendent sans cesse à corrompre et à déchirer la république. Pourquoi cela? C'est qu'il y a deux peuples en France: l'un est la masse des citoyens, pure, simple, altérée de la justice et amie de la liberté; c'est ce peuple vertueux qui verse son sang pour fonder la république, qui impose aux ennemis du dedans et ébranle les trônes des tyrans;—l'autre est ce ramas d'ambitieux et d'intrigants; c'est ce peuple babillard et charlatan, artificieux, qui se montre partout, qui persécute le patriotisme, qui s'empare des tribunes et souvent des fonctions publiques, qui abuse de l'instruction que les avantages de l'ancien régime lui ont donnée, pour tromper l'opinion publique; c'est ce peuple de fripons, d'étrangers, de contre-révolutionnaires, d'hypocrites, qui se place entre le peuple français et ses représentants, pour tromper l'un et pour calomnier les autres, pour entraver leurs opérations, pour tourner contre le bien public les lois les plus utiles et les vérités les plus salutaires. Tant que cette race impure existera, la république sera malheureuse et précaire. C'est à vous de l'en délivrer par une énergie imposante et par un concert inaltérable. Ceux qui cherchent à nous diviser, ceux qui arrêtent la marche du gouvernement, ceux qui le calomnient tous les jours près de vous par des insinuations perfides, ceux qui cherchent à former contre lui une coalition dangereuse de toutes les passions funestes, de tous les amours-propres irascibles, de tous les intérêts opposés à l'intérêt public, sont vos ennemis et ceux de la patrie, ce sont les agents de l'étranger, ce sont les successeurs des Brissot, des Hébert, des Danton: qu'ils règnent un seul jour, et la patrie est perdue! En disant ces choses, j'aiguise contre moi des poignards, et c'est pour cela même que je les dis. Vous persévérerez dans vos principes et dans votre marche triomphante; vous étoufferez les crimes et vous sauverez la patrie… J'ai assez vécu…, j'ai vu le peuple français s'élancer du sein de l'avilissement de la servitude au faîte de la gloire et de la liberté; j'ai vu ses fers brisés, et les trônes coupables qui pèsent sur la terre près d'être renversés sous ses mains triomphantes; j'ai vu un prodige plus étonnant encore, un prodige que |a corruption monarchique et l'expérience des premiers temps de notre révolution permettent à peine de regarder comme possible, une assemblée investie de la puissance de la nation française, marchant d'un pas rapide et ferme vers le bonheur public, dévouée à la cause du peuple et au triomphe de l'égalité, digue de donner au monde le signal de la liberté et l'exemple de toutes les vertus!

Achevez, citoyens, achevez vos sublimes destinées! vous nous avez placés à l'avant-garde pour soutenir le premier effort des ennemis de l'humanité; nous méritons cet honneur, et nous vous tracerons de notre sang la route de l'immortalité. Puissiez-vous déployer constamment cette énergie inaltérable dont vous avez besoin pour étouffer tous les monstres de l'univers conjurés contre vous, et jouir ensuite en paix des bénédictions du peuple et du fruit de vos vertus!

(Décret voté par acclamation. "La Convention nationale décrète que le discours du citoyen Robespierre sera inséré dans le Bulletin; il sera imprimé aussi sous la forme ordinaire et traduit dans toutes les langues. Il en sera donné six exemplaires à chaque membre de la Convention.")

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Maximilien Robespierre (1758-1794), Premier discours de Robespierre, président de la convention nationale, au peuple réuni pour la fête à l'Etre-Suprême, le 20 prairial an II de la république française (8 juin 1794)

Français républicains, il est enfin arrivé ce jour à jamais fortuné que le peuple français consacre à l'Etre-Suprême! Jamais le monde qu'il a créé ne lui offrit un spectacle aussi digne de ses regards. Il a vu régner sur la terre la tyrannie, le crime et l'imposture: il voit dans ce moment une nation entière aux prises avec tous les oppresseurs du genre humain, suspendre le cours de ses travaux héroïques pour élever sa pensée et ses voeux vers le grand Etre qui lui donna la mission de les entreprendre et la force de les exécuter!

N'est-ce pas lui dont la main immortelle, en gravant dans le coeur de l'homme le code de la justice et de l'égalité, y traça la sentence de mort des tyrans? N'est-ce pas lui qui, dès le commencement des temps, décréta la république, et mit à l'ordre du jour, pour tous les siècles et pour tous les peuples, la liberté, la bonne foi et la justice?

Il n'a point créé les rois pour dévorer l'espèce humaine; il n'a point créé les prêtres pour nous atteler comme de vils animaux au char des rois, et pour donner au monde l'exemple de la bassesse, de l'orgueil, de la perfidie, de l'avarice, de la débauche et du mensonge; mais il a créé l'univers pour publier sa puissance; il a créé les hommes pour s'aider, pour s'aimer mutuellement, et pour arriver au bonheur par la route de la vertu.

C'est lui qui plaça dans le sein de l'oppresseur triomphant le remords et l'épouvante, et dans le coeur de l'innocent opprimé le calme et la fierté; c'est lui qui force l'homme juste à haïr le méchant, et le méchant à respecter l'homme juste, c'est lui qui orna de pudeur le front de la beauté pour l'embellir encore; c'est lui qui fait palpiter les entrailles maternelles de tendresse et de joie; c'est lai qui baigne de larmes délicieuses les yeux du fils pressé contre le sein de sa mère; c'est lui qui fait taire les passions les plus impérieuses et les plus tendres devant l'amour sublime de la patrie; c'est lui qui a couvert la nature de charmes, de richesses et de majesté. Tout ce qui est bon est son ouvrage, ou c'est lui-même: le mal appartient à l'homme dépravé qui opprime ou qui laisse opprimer ses semblables.

L'auteur de la nature avait lié tous les mortels par une chaîne immense d'amour et de félicité: périssent les tyrans qui ont osé la briser!

Français républicains, c'est à vous de purifier la terre qu'ils ont souillée, et d'y rappeler la justice qu'ils en ont bannie! La liberté et la vertu sont sorties ensemble du sein de la Divinité: l'une ne peut séjourner sans l'autre parmi les hommes. Peuple généreux, veux-tu triompher de tous tes ennemis? Pratique la justice, et rends à la Divinité le seul culte digne d'elle. Peuple, livrons-nous aujourd'hui sous ses auspices aux transports d'une pure allégresse! Demain, nous combattrons encore les vices et les tyrans; nous donnerons au monde l'exemple des vertus républicaines, et ce sera l'honorer encore!

* * * * * * * * *

Maximilien Robespierre (1758-1794), Second discours du président de la convention, au moment où l'Athéisme, consumé par les flammes, a disparu, et que la Sagesse apparaît à sa place aux regards du peuple, le 20 prairial an II de la république française (8 juin 1794)

Il est rentré dans le néant, ce monstre que le génie des rois avait vomi sur la France! Qu'avec lui disparaissent tous les crimes et tous les malheurs du monde! Armés tour à tour des poignards du fanatisme et des poisons de l'athéisme, les rois conspirent toujours pour assassiner l'humanité: s'ils ne peuvent plus défigurer la Divinité par la superstition, pour l'associer à leurs forfaits, ifs s'efforcent de la bannir de la terre pour y régner seuls avec le crime.

Peuple, ne crains plus leurs complots sacrilèges; ils ne peuvent pas plus arracher le monde du sein de son auteur que le remords de leurs propres c½urs! Infortunés, redressez vos fronts abattus; vous pouvez encore impunément lever tes yeux vers le Ciel! Héros de la patrie, votre généreux dévoûment n'est point une brillante folie; si les satellites de la tyrannie peuvent vous assassiner, il n'est pas en leur pouvoir de vous anéantir tout entiers! Homme, qui que tu sois, tu peux concevoir encore de hautes pensées de toi-même; tu peux lier fa vie passagère à Dieu même et à l'immortalité! Que la nature reprenne donc tout son éclat, et la sagesse tout son empire! L'Etre-Suprême n'est point anéanti.

C'est surtout la sagesse que nos coupables ennemis voulaient chasser de la république: c'est à la sagesse seule qu'il appartient d'affermir la prospérité des empires; c'est à elle de nous garantir les fruits de notre courage. Associons-la donc à toutes nos entreprises! Soyons graves et discrets dans nos délibérations, comme des hommes qui stipulent les intérêts du monde; soyons ardents et opiniâtres dans notre colère contre les tyrans conjurés, imperturbables dans les dangers, patients dans les travaux, terribles dans les revers, modestes et vigilants dans les succès; soyons généreux envers les bons, compatissants envers les malheureux, inexorables envers les méchants, justes envers tout le monde; ne comptons point sur une prospérité sans mélange et sur des triomphes sans obstacles, ni sur tout ce qui dépend de la fortune ou de la perversité d'autrui; ne nous reposons que sur notre constance et sur notre vertu, seuls, mais infaillibles garants de notre indépendance; écrasons la ligue impie des rois par la grandeur de notre caractère, plus encore que par la force de nos armes.

Français, vous combattez les rois; vous êtes donc dignes d'honorer la Divinité! Etre des êtres, auteur de la nature, l'esclave abruti, le vil suppôt du despotisme, l'aristocrate perfide et cruel t'outragent en t'invoquant; mais les défenseurs de la liberté peuvent s'abandonner avec confiance dans ton sein paternel!

Etre des êtres, nous n'avons point à t'adresser d'injustes prières: tu connais les créatures sorties de tes mains; leurs besoins n'échappent pas plus à tes regards que leurs plus secrètes pensées. La haine de la mauvaise foi et de là tyrannie brûle dans nos c½urs avec l'amour de la justice et de la patrie; notre sang coule pour la cause de l'humanité: voilà notre prière, voilà nos sacrifices, voilà le culte que nous t'offrons!

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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours pour combattre l'ajournement demandé au sujet de la loi du 22 Prairial proposée par Couthon au nom du comité de salut public, prononcé à la Convention nationale dans la séance du 22 prairial an II de la république française (10 juin 1794).

Il n'est pas de circonstance si délicate, il n'est pas de situation si embarrassante où l'on veuille mettre les défenseurs de la liberté, qui puissent les condamner à dissimuler la vérité. Je dirai donc que quoique la liberté de demander un ajournement soit incontestable, quoiqu'on le couvre de motifs spécieux peut-être, cependant il n'en compromettrait pas moins évidemment le salut de la patrie.

Deux opinions fortement prononcées se manifestent dans la république, citoyens; l'une est celle qui tend à punir d'une manière sévère et inévitable les crimes commis contre la liberté; c'est l'opinion de ceux qui sont effrayés de l'obstination coupable avec laquelle on cherche à ranimer les anciens complots, et à en inventer de nouveaux en raison des efforts que font les représentants du peuple pour les étouffer.

L'autre, est cette opinion lâche et criminelle de l'aristocratie, qui, depuis le commencement de la révolution, n'a cessé de demander, soit directement, soit indirectement, une amnistie pour les conspirateurs et les ennemis de la patrie.

Depuis deux mois, vous avez demandé au comité de salut public une loi plus étendue que celle qu'il vous présente aujourd'hui. Depuis deux mois, la Convention nationale est sous le glaive des assassins, et le moment où la liberté paraît obtenir un triomphe éclatant est celui où les ennemis de la patrie conspirent avec plus d'audace. Depuis plus de deux mois, le tribunal révolutionnaire vous dénonce les entraves qui arrêtent la marche de la justice nationale. La république entière vous dénonce de nouvelles conspirations et cette multitude innombrable d'agents étrangers qui abondent sur la surface: c'est dans cette circonstance que le comité de salut public vous présente le projet de loi dont vous venez d'entendre la lecture. Qu'on l'examine cette loi, et au premier aspect on verra qu'elle ne renferme aucune disposition qui ne soit adoptée d'avance par tous les amis de la liberté; qu'il n'y en a pas un article qui ne soit fondé sur la justice et sur la raison; qu'il n'est aucune de ses parties qui ne soit rédigée pour le salut des patriotes et pour la terreur de l'aristocratie conjurée contre la liberté.

De plus, il n'est personne qui ne sache qu'à chaque séance le tribunal révolutionnaire passe quelques heures sans pouvoir remplir ses fonctions, parce que le nombre des jurés n'est pas complet. Nous venons vous proposer de compléter ce nombre: nous venons vous proposer de réformer deux ou trois abus reconnus dans l'institution de ce tribunal, et dénoncés de toutes parts; et on nous arrête par un ajournement! Je soutiens qu'il n'est personne ici qui ne soit en état de prononcer sur cette loi aussi facilement que sur tant d'autres de la plus grande importance, qui ont été adoptées avec enthousiasme par la Convention nationale. Pourquoi fais-je ces réflexions?

Est-ce pour empêcher l'ajournement? Non. J'ai uniquement voulu rendre hommage à la vérité, avertir la Convention des dangers qu'elle court. Car, soyez-en sûrs, citoyens, partout où il s'établit une ligne de démarcation, partout où il se prononce une division, là, il y a quelque chose qui tient au salut de la patrie. Il n'est pas naturel qu'il y ait une séparation entre des hommes également épris de l'amour du bien public. Il n'est pas naturel qu'il s'élève une sorte de coalition contre le gouvernement qui se dévoue pour le salut de la patrie. Citoyens, on veut vous diviser. Citoyens, on veut vous épouvanter. Eh bien! qu'on se rappelle que c'est nous qui avons défendu une partie de cette assemblée contre les poignards que la scélératesse et un faux zèle voulaient aiguiser contre vous. Nous nous exposons aux assassins particuliers, pour poursuivre les assassins publics. Nous voulons bien mourir, mais que la Convention et la patrie soient sauvées. Nous braverons les insinuions perfides par lesquelles on voudrait taxer de sévérité outrée les mesures que prescrit l'intérêt public. Cette sévérité n'est redoutable que pour les conspirateurs, que pour les ennemis de la liberté et de l'humanité.

(Bourdon de l'Oise. Il y a dans la discussion qui vient de s'élever un point autour duquel tous les esprits se rallieront. Dans son discours, Robespierre nous a dit qu'il manquait de jurés. Eh bien! comme aucun de nous ne veut ralentir la marche de la justice nationale, ni exposer la liberté publique, divisons la proposition, adoptons lé liste que nous présente le comité pour compléter le nombre des juges et des jurés, et ajournons le reste.)

Robespierre. Je demande que le projet soit discuté article par article et séance tenante. Je motive ma demande par un seul mot: d'abord cette loi n'est ni plus obscure ni plus compliquée que celles que le comité vous a déjà soumises pour le salut de la patrie. J'observe d'ailleurs que depuis longtemps la Convention nationale discute et décrète sur-le-champ, parce que depuis longtemps il y a dans sa très grande majorité un assentiment prononcé pour le bien public. Je dirai donc que des demandes d'attermoiement de la fortune de la république sont affectées dans ce moment; que quand on est bien pénétré des dangers de la patrie et de ceux que courent ses défenseurs, dans quelque lieu qu'ils se trouvent, quelque poste qu'ils occupent, on est plus enclin à porter des coups rapides contre ses ennemis qu'à provoquer des lenteurs qui ne sont que des délais pour l'aristocratie, qui Ies emploie à corrompre l'opinion et à former de nouvelles conspirations.

On se trompe, si l'on croit que la bonne foi des patriotes a trop de force contre les efforts des tyrans de l'Europe. et de leurs vils agents, dont la rage se manifeste par les calomnies et les crimes qu'ils ne cessent de vomir sur cette enceinte, qui ne vous laisseront aucun repos, et qui ne vous épargneront ni artifices ni conspirations impies que quand ils n'existeront plus. Quiconque est embrasé de l'amour de la patrie accueillera avec transport les moyens d'atteindre et de frapper ses ennemis.

Je demande que, sans s'arrêter à la proposition de l'ajournement, la Convention discute, jusqu'à neuf heures du soir, s'il le faut, le projet de loi qui lui est soumis.

(La proposition de Robespierre est décrétée.)

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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours en réponse à diverses motions qui avaient pour objet d'atténuer la loi du 22 Prairial, prononcé à la Convention nationale dans la séance du 25 prairial an II de la république française (11 juin 1794).

Le discours que vous venez d'entendre prouve la nécessité de donner à ce qu'a dit Couthon des explications plus étendues et plus claires. Si nous avons acquis le droit de ne pas nous dévouer inutilement pour la patrie, le moment est arrivé de l'exercer.

Ce n'est pas par des rétractations éternelles et peut-être concertées; ce n'est pas par des discours qui, sous les apparences de l'accord et du patriotisme concourent toujours au système, si souvent interrompu et si souvent repris, de diviser la représentation nationale, que l'on peut justifier ces démarches. Ce qu'a dit Couthon est resté dans toute sa force, et il est bien démontré qu'il n'y avait pas lieu aux plaintes qui ont été faites.

Citoyens, était-ce bien le moment de demander ce qu'on entendait par dépraver les moeurs publiques, quand les plaies faites à la morale publique par les Chabot, les Hébert, les Danton, les Lacroix saignent encore? Et qui donc a sitôt oublié leurs crimes? Qui ne voit pas que leur système est resté organisé? Qui ne sait pas que la Convention a besoin de toute sa sagesse, de toute son énergie pour extirper les trop profondes racines que la corruption a jetées, pour réparer les maux qu'elle a causés, et pour discerner et frapper ceux qui les répandent, qui trop longtemps ont été impunis.

Quant à l'autre proposition, celle qui fut faite hier; sans doute en l'isolant, elle ne peut paraître qu'absurde; mais il faut la rapprocher de tout ce qui se dit et de tout ce qui se fait chaque jour; son but était de faire croire que le projet présenté par le comité attentait aux droits de la représentation nationale, ce qui est évidemment faux.

Le préopinant a cherché dans la discussion à séparer le comité de la Montagne. La Convention, la Montagne, le comité, c'est la même chose. Tout représentant du peuple qui aime sincèrement la liberté, tout représentant du peuple qui est déterminé à mourir pour la patrie, est de la Montagne.

Citoyens, lorsque les chefs d'une faction sacrilège, lorsque les Brissot, les Vergniaud, les Gensonné, les Guadet, et les autres scélérats dont le peuple français ne prononcera jamais le nom qu'avec horreur, s'étaient mis à la tète d'une portion de cette auguste assemblée; quand ils parvinrent, à force d'intrigues, à la tromper sur les hommes, et, par une conséquence naturelle, sur les choses, c'était sans doute le moment où la partie de la Convention qui était éclairée sur ces manoeuvres liberticides devait faire des efforts pour les combattre et les déjouer. Alors le nom de la Montagne, qui leur servait comme d'asile au milieu de cette tempête, devint sacré, parce qu'il désignait la portion des représentants du peuple qui luttaient contre l'erreur. Mais du moment que les intrigues furent dévoilées, du moment que les scélérats qui les tramaient sont tombés sous le glaive de la loi; du moment que la probité, la justice, les moeurs sont mises à l'ordre du jour; du moment que chaque membre de cette assemblée veut se dévouer pour la patrie, il ne peut y avoir que deux partis dans la Convention, les bons et les méchants, les patriotes et les contre-révolutionnaires hypocrites.

Il me convient d'autant plus de proclamer cette vérité, que personne ne me soupçonnera ici de partialité; car qui fut le premier objet de l'erreur dont je parle? et qui eût été la première victime des calomnies et des proscriptions, sans une chance heureuse de la révolution? J'ose dire que c'était moi. Non, je me trompe, ce n'était pas moi; c'était le fantôme imposteur que l'on présentait, à ma place, à une partie de nos collègues égarés, à la France, à l'univers.

Si j'ai le droit de tenir ce langage à la Convention en général, je crois avoir aussi celui de l'adresser à cette Montagne célèbre, à qui je ne suis pas sans doute étranger. Je crois que cet hommage, parti de mon coeur, vaut celui qui sort de la bouche d'un autre.

Oui, Montagnards, vous serez toujours le boulevard de la liberté publique; mais vous n'avez rien de commun avec les intrigants et les pervers, quels qu'ils soient. S'ils s'efforcent de vous tromper, s'ils prétendent s'identifier avec vous, ils n'en sont pas moins étrangers à vos principes. La Montagne n'est autre chose que les hauteurs du patriotisme; un Montagnard n'est autre chose qu'un patriote pur, raisonnable et sublime: ce serait outrager la patrie, ce serait assassiner le peuple, que de souffrir que quelques intrigants, plus méprisables que les autres, parce qu'ils sont plus hypocrites, s'efforçassent d'entraîner une portion de cette Montagne et de s'y faire les chefs d'un parti.

(Bourdon de l'Oise. Jamais il n'est entré dans mon intention de vouloir me faire chef d'un parti.)

Robespierre. Ce serait l'excès de l'opprobre que quelques-uns de nos collègues, égarés par la calomnie sur nos intentions et sur le but de nos travaux…

(Bourdon de l'Oise. Je demande qu'on prouve ce qu'on avance; on vient de dire assez clairement que j'étais un scélérat….)

Robespierre. Je demande, au nom de la patrie, que la parole me soit conservée. Je n'ai pas nommé Bourdon: malheur à qui se nomme lui-même!

(Bourdon de l'Oise. Je défie Robespierre de prouver…)

Robespierre. Mais s'il veut se reconnaître au portrait général que le devoir m'a forcé de tracer, il n'est pas en mon pouvoir de l'en empêcher. Oui, la Montagne est pure, elle est sublime, et les intrigants ne sont pas de la. Montagne.

(Une voix: Nommez-les.)

Robespierre. Je les nommerai quand il le faudra. A chaque instant du jour, à chaque instant de la nuit même, il est des intrigants qui s'appliquent à insinuer dans l'esprit des hommes de bonne foi qui siègent sur la Montagne les idées les plus fausses, les calomnies les plus atroces; il est des membres purs et respectables auprès desquels des intrigants épuisent à chaque instant les mêmes artifices par lesquels les Brissot, les Chabot, les Danton et tous les autres chefs adroits de la faction de l'étranger voulaient enlacer la Convention nationale tout entière.

Par exemple, lorsqu'il arrive des départements des représentants du peuple qui étaient en mission, et dont le rappel a été déterminé par des vues générales d'ordre public, qui n'avaient rien d'injurieux pour eux, on s'en empare, on verse à longs traits dans leur coeur le poison de la calomnie, on excite leur amour-propre; et s'il s'en trouve de faibles, d'accessibles à quelqu'un des moyens qui sont mis en usage, on les transforme en ennemis du gouvernement créé par la Convention nationale. S'il en était quelques-uns qui se ressouvinssent encore des anciennes mesures prises contre la liberté, qui tinssent à quelque parti abattu, ce serait ceux-là qu'on chercherait surtout à accaparer. Le parti une fois formé, vous verriez s'y réunir infailliblement tous les intrigants de la république, tout ce qu'il y a de fripons et d'hommes perdus; car, il faut vous le dire encore, il suffirait qu'un seul homme manifestât des principes opposés à ceux de la Convention, pour que tous les ennemis de la liberté se ralliassent à lui.

Au reste, ces intrigants cherchent à dissimuler leurs projets; ils se rétractent quand leurs tentatives n'ont pas réussi, et cherchent à dissimuler leurs démarches par des protestations hypocrites d'estime et de dévoûment pour la Convention nationale et pour le comité de salut public; aussitôt après, ils suivent constamment leur plan, et n'en cherchent pas moins à grossir la boule de neige qu'ils forment, et qui, si elle descendait du sommet de la Montagne, ne grossirait que plus rapidement encore.

Il faut rapporter ici un trait qui prouve que tout ce que nous avons dit n'est point chimérique et imaginaire: avant-hier, après que vous eûtes porté la loi que l'on avait eu soin de rendre suspecte à quelques membres, et contre laquelle voulaient conspirer ceux qui s'opposent à tout ce qui affermit la liberté, il en est qui ne purent dissimuler leur mécontentement: on voulait faire une esclandre, exciter un mouvement pour briser les ressorts du gouvernement en lui ôtant la confiance publique. Au sortir de cette enceinte, on rencontra des patriotes, parmi lesquels étaient deux courriers du gouvernement; on crut que l'occasion était favorable, on les insulta: Que faites-vous là, coquins? leur dit-on.—Représentant, je ne vous insulte pas, je suis patriote.—Tu es un coquin, un espion des comités de salut publique et de sûreté générale; ils en ont vingt mille à leurs ordres autour de nous.—Représentant, je ne puis employer la défense contre vous, mais je suis patriote autant que vous.—On répondit par des coups. Trois cents témoins en peuvent rendre témoignage.

Il est donc prouvé que l'on cherche encore à avilir la Convention nationale; qu'on veut, à quelque prix que ce soit, la troubler. Si les patriotes attaqués s'étaient défendus, vous sentez bien qu'on n'aurait pas manqué d'envenimer cette affaire; on serait venu dire le lendemain que des représentants du peuple avaient été insultés par des hommes attachés au comité de salut public, et peut-être ces inculpations, appuyées par des clameurs, n'auraient-elles pas laissé les moyens de se faire entendre. Voilà ce qui s'est passé. Et vous n'en serez pas étonnés, si vous ous rappelez ces étranges discours tenus par quelques membres qui, au sortir de cette enceinte, annonçaient publiquement, à l'exemple de Lacroix, la peur que leur inspirait la seule idée de la justice nationale.

Qui donc a dit à ceux que je désigne que le comité de saint public avait intention de les attaquer? Qui leur a dit qu'il existait des preuves contre eux? Le comité les a-t-il seulement menacés?

A-t-il manqué d'égards dans aucune circonstance envers les membres de la Convention nationale? Si vous connaissiez tout, citoyens, vous sauriez que l'on aurait plutôt le droit de nous accuser de faiblesse. Quand les moeurs seront plus pures, l'amour de la patrie plus ardent, des accusateurs généreux s'élèveront contre nous, et nous reprocheront de n'avoir pas montré assez de fermeté contre les ennemis de la patrie.

C'est à vous de soutenir notre courage et d'animer notre zèle par votre énergie. Ceux qui cherchent à nous distraire de nos pénibles travaux par des trames continuelles, dirigées contre le gouvernement même, font une diversion utile aux tyrans ligués contre nous.

Quant au système de calomnie que l'on a dirigé contre tout ce qui est patriote de bonne foi, il tombera bientôt; car c'est une propriété inséparable du temps que de découvrir toujours la vérité; et si quelques membres purs, dupes du patriotisme hypocrite des quelques gens que je vous ai désignés, avaient pu se livrer aux idées sinistres qu'on leur a suggérées, ils seront bientôt éclairés; et il en sera d'eux comme des hommes purs qui avaient été égarés par les scélérats que la justice nationale a frappés.

La patrie ne court qu'un seul danger, et c'est à vous de l'en garantir. Seulement, ne souffrez pas que des intrigues ténébreuses troublent la tranquillité publique et la vôtre, par quelque explosion subite. S'il n'y a pas eu de mouvement en effet, ce n'est pas qu'on ne l'ait tenté; mais le peuple, invariablement attaché à la cause de la liberté, a été sourd aux instigations de ses ennemis; il a su les juger. Aussi leur désespoir est-il porté à son comble Ils paraissent déterminés à tout hasarder.

A l'égard de dangers qui ne regardent que nous, reposez-vous sur nous du soin de les braver; mais veillez sur la patrie, et ne souffrez pas qu'on porte atteinte à vos principes. Quand la confiance que vous avez mise en nous sera altérée, évitez à la patrie des déchirements. Il vaudrait mieux peut-être encore que les ennemis de la patrie, que les amis de d'Orléans siégeassent momentanément au timon des affaires publiques, que de voir la Convention avilie et divisée.

Si les vérités que je viens de proférer ont été entendues, nous continuerons nos travaux avec courage. Observez toutefois que nous avons besoin d'encouragements, qu'on a tout fait pour rendre notre carrière pénible. C'est assez d'avoir à lutter contre les rois conjurés et contre tous les monstres de la terre, sans trouver à nos côtés des ennemis. Venez donc à notre secours; ne permettez pas que l'on nous sépare de vous, puisque nous ne sommes qu'une partie de vous-mêmes, et que nous ne sommes rien sans vous. Donnez-nous la force de porter le fardeau immense, et presque au dessus des efforts humains, que vous nous avez imposé. Soyons toujours justes et unis, en dépit de nos ennemis communs.

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Maximilien Robespierre (1758-1794), Notes écrites de la main de
Robespierre sur différents députés à la convention (c. juin 1794)

Tous les chefs de la coalition sont déjà notés par des traits d'immoralité et d'incivisme.

Dubois de Crancé. Il est dans le cas de la loi du 27 germinal, qui bannit de Paris ceux qui ont fait valoir de faux titres pour usurper la noblesse. La preuve doit en être dans |es archives du ci-devant Parlement; elle est écrite dans Denisard.

Cette circonstance n'a pas empêché qu'il ne restât en misssion dans l'armée de Cherbourg, où il| s'est fait envoyer par une intrigue, et s'est conduit en contre-révolutionnaire. Il a dit dernièrement, pour révolter toute la Bretagne, qu'il y aurait des chouans tant qu'il existerait un Breton. Cette menace a causé beaucoup de fermentation à Rennes. Elle a été dénoncée par |es officiers municipaux de cette ville, et par Sévestre et Duval, députés à la Convention nationale. Dubois, qui n'avait été envoyé là que pour l'embrigadement, après avoir fait adopter ce mode d'organisation, lié à une profonde machination, par le comité militaire, n'en a pas moins usurpé toute la plénitude des pouvoirs nationaux. Il a fait, entre autres, des arrêtés pour exclure, des sociétés populaires tous les fonctionnaires publics; il les a envoyés à Dufourny, son ami, l'ami de Danton et de l'étranger, duquel Dufourny il ignorait la détention, pour l'engager à communiquer ces arrêtés aux Jacobins, et les faire approuver dans un moment opportun. I| n'y a plus de doute aujourd'hui sur la trahison de Lyon, que Dubois de Crancé ne voulait pas prendre, et d'où il a laissé échapper Précy et ses complices. Dubois ne figura jamais dans les deux assemblées que comme partisan de d'Orléans, avec qui il était étroitement lié.

Delmas. C'est un ci-devant noble, intrigant taré. Il a joué un rôle plus qu'équivoque à l'armée du Nord, au temps des trahisons. Il était coalisé avec la Gironde et intimement lié avec Lacroix. Ce ne peut être que par un revirement d'intrigue qu'il a paru se déclarer pour la Montagne, ainsi que Lacroix dans l'affaire de Marat, dont il avait été le persécuteur. Il annonçait qu'il avait des secrets importants à révéler concernant la faction brissotine; il n'en fit jamais rien. Il n'en laissa échapper tout au plus, ainsi que Lacroix, que des demi-confidences dont le but était de donner le change sur les crimes des conjurés. On l'a connu dans le premier comité de salut public. Il s'est depuis intimement coalisé avec Danton, pour renverser celui qui existe aujourd'hui. C'est lui qui, au temps de l'accusation portée contre Danton et ses complices, ouvrit la scène scandaleuse donnée par la coalition, en demandant avec appareil l'appel de tous les membres des différents comités de la Convention, pour les opposer aux comités de salut public et de sûreté générale. Depuis cette époque, il se signala par quelques petites motions perfides dans le sens de la faction. Comme membre du comité militaire, il communique souvent avec Carnot.

Thuriot ne fut jamais qu'un partisan de d'Orléans. Son silence, depuis la chute de Danton et depuis son expulsion les Jacobins, contraste avec son bavardage éternel avant cette époque. Il se borne à intriguer sourdement et à s'agiter beaucoup à la Montagne, lorsque le comité de salut public propose une mesure fatale aux factions. Il était des dîners de Lacroix, de Danton, chez Guzman et dans d'autres lieux de la même espèce. C'est lui qui, le premier, fit une tentative pour arrêter le mouvement révolutionnaire, en prêchant l'indulgence sous le nom de morale, lorsqu'on porta les premiers coups à l'aristocratie. Il cabala d'une manière visible pour armer la Convention nationale contre le comité de salut public, lorsque ce comité fit le rapport contre Chabot, Danton et autres.

Bourdon (de l'Oise) s'est couvert de crimes dans la Vendée, où il s'est donné le plaisir, dans ses orgies avec le traître Tunk, de tuer des volontaires de sa main. Il joint la perfidie à la fureur. Depuis quelque temps il s'est introduit au comité de salut public sous différents prétextes. Il lui a présenté un commis que Carnot a placé dans ses bureaux, et qui en a été renvoyé sur la proposition réitérée de Robespierre. Il a fait la motion de ne plus payer d'impôts directs, celle de dessécher les étangs dans le moment où l'on manquait de viande, pour nous enlever la ressource du poisson. Il a déclamé dernièrement contre le décret sur le tribunal révolutionnaire. Il a été le plus fougueux défenseur du système d'athéisme. Il n'a cessé de faire du décret qui proclame l'existence de l'Etre-Suprême un moyen de susciter dans la Montagne des ennemis au gouvernement, et il y a réussi. Le jour de la fête à l'Etre-Suprême, en présence du peuple, il s'est permis sur ce sujet les plus grossiers sarcasmes et les déclamations tes plus indécentes. Il faisait remarquer avec méchanceté aux membres de la convention les marques d'intérêt que le public donnait au président, pour tirer contre lui des inductions atroces dans le sens des ennemis de la république.

Il y a à peu près dix jours, il se transporta chez Boulanger, et trouva chez ce dernier une jeune fille, qui est la nièce de ce citoyen. Il s'informa des liaisons de son oncle, de ses moyens d'existence. La fille lui répondit vaguement. Il prit deux pistolets sur la cheminée. La fille lui observa qu'ils étaient chargés. "Eh bien! répondit-il, si je me tue, on dira que c'est toi, et tu seras guillotinée." Il continua de manier les pistolets, et les tira sur la jeune fille; ils ne partirent pas, parce que l'amorce était ôtée.

Il y avait de Bourdon une lettre qui avait été déposée à la police, écrite à un contre-révolutionnaire, où il lui dit que les détenus seront bientôt mis en liberté, et qu'on mettra à leur place ceux qui les auront fait incarcérer.

Cet homme se promène sans cesse avec l'air d'un assassin qui médite un crime; il semble poursuivi par l'image de l'échafaud et par les Furies.

Léonard Boudon. Intrigant méprisé de tous les temps, l'un des principaux complices d'Hébert, ami inséparable de Clootz; il était initié dans la conjuration tramée chez Gobel. Il avait composé une pièce contre-révolutionnaire, dans le sens hébertiste, qui devait être jouée à l'Opéra, et que le comité de salut public arrêta. Rien n'égale la bassesse des intrigues qu'il met en oeuvre pour grossir le nombre de ses pensionnaires, et ensuite pour s'emparer de l'éducation des élèves de la patrie, institution qu'il dénature et qu'il déshonore. Il était aux Jacobins l'un des orateurs les plus intarissables pour propager la doctrine d'Hébert. A la Convention, il fut l'un des premiers qui introduisirent l'usage de l'avilir par des formes indécentes, comme d'y parler le chapeau sur la tête et d'y siéger avec un costume ridicule. Il vint un jour avec Clootz solliciter la liberté des banquiers hollandais Vandenyver. Je les ai vus et entendus tous deux plusieurs fois, et Bourdon a eu le courage de me le nier impudemment aux Jacobins.

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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours sur la fausse marche imprimée au gouvernement révolutionnaire prononcé au Club des Jacobins le 13 messidor an II de la république française (1er juillet 1794)

(Ce fut dans cette séance que Robespierre signala pour la première fois la fausse marche imprimée au gouvernement révolutionnaire. Il réclama pour les patriotes opprimés, répondit aux calomnies auxquelles il était lui-même en butte, et qui pèsent encore sur sa mémoire. Il termina par des insinuations contre ses collègues des comités qui n'échappèrent à personne, et qui furent pour ceux-ci un avis de se tenir prêts. Son discours fit une grande sensation. En voici le texte)

Il est temps peut-être que la vérité fasse entendre dans cette enceinte des accents aussi mâles et aussi libres, que ceux dont cette salle a retenti dans toutes les circonstances où il s'est agi de sauver la patrie.

Quand le crime conspire dans l'ombre la ruine de la liberté, est-il, pour des hommes libres, des moyens plus forts que la vérité et la publicité? Irons-nous, comme les conspirateurs, concerter dans des repaires obscurs les moyens de nous défendre contre leurs efforts perfides?

Irons-nous répandre l'or et semer la corruption? En un mot, nous servirons-nous contre nos ennemis des mêmes armes qu'ils emploient pour nous combattre? Non. Les armes de la liberté et de la tyrannie sont aussi différentes que la liberté et la tyrannie sont opposées. Contre les scélératesses des tyrans et de leurs amis, il ne nous reste d'autre ressource que la vérité et le tribunal de l'opinion publique, et d'autre appui que les gens de bien.

On juge de la prospérité d'un état, moins par les succès de l'extérieur que par l'heureuse situation de l'intérieur. Quand les factions sont audacieuses, quand l'innocence tremble pour elle-même, la république n'est pas fondée sur des bases durables.

Je dénonce ici aux gens de bien un système odieux qui tend à soustraire l'aristocratie à la justice nationale, et à perdre la patrie en perdant les patriotes; car la cause de la patrie et celle des patriotes, c'est la même chose.

De tout temps les ennemis de la patrie ont voulu assassiner les patriotes au physique et au moral. Aujourd'hui, comme dans tous les temps, on s'efforce de jeter sur les défenseurs de la république un vernis d'injustice et de cruauté: on dénonce comme des attentats contre l'humanité la sévérité employée contre les conspirateurs. Celui qui protège et favorise ainsi les aristocrates combat par là même les patriotes: il faut que la révolution se décide par la ruine des uns ou des autres.

L'homme humain est celui qui se dévoue pour la causé de l'humanité, et qui poursuit avec rigueur et avec justice celui qui s'en montre l'ennemi; on le verra toujours tendre une main secourable à la vertu outragée et à l'innocence opprimée.

Le barbare est celui qui, sensible pour les conspirateurs, est sans entrailles pour les patriotes vertueux; les mêmes hommes qui se laissent attendrir pour l'aristocratie sont implacables pour les patriotes. La faction des indulgents, sont des termes par lesquels on a cherché à caractériser les anthropophages, dont l'humanité consiste à parer les coups portés aux ennemis de l'humanité, pour leur donner la facilité d'en porter de nouveaux aux patriotes. Ce système ne doit avoir d'autre nom que celui de contre-révolutionnaire, parce qu'il tend à égorger les défenseurs de la patrie, et à jeter sur eux une teinte affreuse de cruauté. La faction des indulgents est confondue avec les autres; elle en est l'appui et le soutien. Le premier devoir d'un bon citoyen est donc de la dénoncer en public. Je ne prendrais pas aujourd'hui la parole contre elle, si elle n'était pas devenue assez puissante pour essayer de mettre des entraves à la marche du gouvernement.

Tandis qu'un petit nombre d'hommes s'occupe avec un zèle infatigable aux travaux qui leur sont imposés par le peuple, une multitude de fripons et d'agents de l'étranger ourdit dans le silence une combinaison de calomnies et de persécutions contre les gens de bien. Déjà sans doute on s'est aperçu que tel patriote qui veut venger la liberté et l'affermir est sans cesse arrêté dans ses opérations par la calomnie, qui le présente aux yeux du .peuple comme un homme redoutable et dangereux. Elle fait donner à la vertu l'apparence du crime, et à la bassesse du crime la gloire due à la vertu.

Chaque jour elle invente de nouveaux forfaits pour réussir dans ses affreux complots; ce sont les indulgents qui ne cessent de s'en servir comme d'une arme terrible. Cette faction, grossie des débris de toutes les autres, réunit par le même lien tout ce qui a conspiré depuis la révolution; elle a profité de l'expérience pour renouer ses trames avec plus de perfidie: aujourd'hui, elle met en oeuvre les mêmes moyens employés jadis par les Brissot, les Danton, les Hébert, les Chabot, et tant d'autres scélérats.

Plusieurs fois on a vu les comités de salut public et de sûreté générale attaqués eu masse; aujourd'hui, on aime mieux attaquer les membres en particulier, pour parvenir à briser le faisceau. Autrefois, on n'osait pas diriger ses coups contre la justice nationale; aujourd'hui, on se croit assez fort pour calomnier le tribunal révolutionnaire et le décret de la Convention concernant son organisation; l'on va même jusqu'à révoquer en doute sa légitimité. Vous sentez toute l'importance de cette machination; car détruisez la confiance accordée aux patriotes, et alors le gouvernement révolutionnaire est nul, ou il est la victime des ennemis du bien public, et alors l'aristocratie triomphe. Détruisez le tribunal révolutionnaire, ou composez-le de membres agréables aux factieux; comment pourrez-vous espérer de rompre les fils des conspirations, si la justice est exercée par les conjurés eux-mêmes?

Les despotes et leurs satellites savent bien que lors, qu'un patriote succombe, d'autres patriotes succombent aussi, et la cause du patriotisme éprouve le même sort. Ils croient pouvoir nous amener à nous détruire les uns les autres, par la défiance qu'ils veulent exciter parmi nous. Ils affectent de présenter aux citoyens les travaux de la Convention nationale comme ceux de quelque individu. On a osé répandre dans la Convention que le tribunal révolutionnaire n'avait été organisé que pour égorger la Convention elle-même; malheureusement, cette idée a obtenu trop de consistance. En un mot, je le répète, aujourd'hui les premières tentatives faites pour détruire la liberté sont renouvelées avec des formes plus respectables. Le plus haut degré du courage républicain est de s'élever au dessus des considérations personnelles, et de faire connaître, au péril de sa vie et même de sa réputation, les perfidies de nos ennemis. Quant à moi, quelque effort que l'on fasse pour me fermer la bouche, je crois avoir autant de droit de parler que du temps des Hébert, des Danton, etc. Si la Providence a bien voulu m'arracher des mains des assassins, c'est pour m'engager à employer utilement les moments qui me restent encore.

Les défenseurs de la patrie ont à combattre ordinairement les assassins et les calomniateurs; mais il est affreux d'avoir en même temps à répondre aux uns et aux autres. Qu'un homme arrange dans un cercle des actes d'accusation contre les patriotes, c'est un phénomène qui se réalise aujourd'hui. Les assassins et les calomniateurs sont les mêmes hommes envoyés ici par le tyran de Londres. On lit dans les papiers payés par l'Angleterre les mêmes choses que disent chaque jour des Français que je dénonce comme agents de l'Angleterre et de la tyrannie.

Qu'il me soit permis de parler de moi, dans une affaire qui n'est pas bien importante pour moi, du côté de l'intérêt personnel. A Londres, on me dénonce à l'armée française comme un dictateur; les mêmes calomnies ont été répétées à Paris: vous frémiriez si je vous disais dans quel lieu. A Londres, on a dit qu'en France la calomnie avait réussi, et que les patriotes étaient divisés; à Londres on fait des caricatures, on me dépeint comme l'assassin des honnêtes gens, des libelles imprimés dans les presses fournies par la nation elle-même me dépeignent sous les même traits. A Paris, on dit que c'est moi qui ai organisé le tribunal révolutionnaire, que ce tribunal a été organisé pour égorger les patriotes et les membres de la Convention nationale; je suis dépeint comme un tyran et un oppresseur de la représentation nationale. A Londres, on dit qu'en France on imagine de prétendus assassinats pour me faire entourer d'une garde militaire. Ici l'on me dit, en parlant de la Renault, que c'est sûrement une affaire d'amourette, et qu'il faut bien croire que j'ai fait guillotiner son amant. C'est ainsi que l'on absout les tyrans, en attaquant un patriote isolé, qui n'a pour lui que son courage et sa vertu.

La vérité est mon seul asile contre le crime; je ne veux ni de partisans ni d'éloges: ma défense est dans ma conscience. Je prie les citoyens qui m'entendant de se rappeler que les démarches les plus innocentes et les plus pures sont exposées à la calomnie, et qu'ils ne peuvent rien faire que les tyrans ne cherchent à le tourner contre eux.

Quelle doit être la conduite des amis de la liberté, lorsqu'ils se trouvent dans la misérable alternative ou de trahir la patrie, ou d'être traités de tyrans, d'oppresseurs, d'hommes injustes et avides de sang, s'ils ont le courage de remplir leurs devoirs et la tâche que leur impose la Convention, et de préférer l'innocence opprimée à la horde exécrable des scélérats qui conspirent contre la liberté? Trahissez ta patrie d'une manière adroite, bientôt les ennemis du peuple sont à votre secours. Défendez la cause de la justice, vous ne pourrez pas dire une parole sans être appelé tyran et despote; vous ne pourrez pas invoquer l'opinion publique, sans être désigné comme un dictateur. Ceux qui défendent courageusement la patrie sont exposés comme ils l'étaient du temps de Brissot; mais je préférerais encore au moment actuel celui où je fus dénoncé par Louvet, sous le rapport de ma satisfaction personnelle: les ennemis d«s patriotes étaient alors moins perfides et moins atroces qu'aujourd'hui.

L'accusation de Louvet est renouvelée dans un acte trouvé parmi les papiers du secrétaire de Camille Desmoulins, ami du conspirateur Danton; cet acte était près de paraître, lorsque le comité de sûreté générale l'a découvert et l'a renvoyé au comité de salut public. Les conjurés y citent tout ce qui s'est passé dans la révolution, à l'appui de leur dénonciation contre un prétendu système de dictature. A examiner l'absurdité de la dénonciation, il serait inutile d'en parler, des calomnies aussi grossières ne sont pas faites pour séduite les citoyens, mais on verra qu'elles n'étaient préparées que comme un manifeste qui devait précéder un coup de main contre les patriotes. Que direz-vous, si je vous apprends que ces atrocités n'ont pas semblé révoltantes à des hommes revêtus d'un caractère sacré, si parmi nos collègues eux-mêmes, il s'en est trouvé qui les ont colportées!

(Robespierre, après avoir fait observer que toutes les calomnies des tyrans et de leurs stipendies peuvent jeter une sorte de découragement dans l'âme des patriotes, invoque pour appui la vertu de la Convention nationale, vertu qui donne la force de résistance et l'obligation de mettre sous ses pieds les intérêts de l'amour-propre, et de ne pas se laisser ébranler par les efforts redoublés des calomniateurs; il invoque aussi le patriotisme et la fermeté des membres des comités de salut public et de sûreté générale, ainsi que la vertu des citoyens zélés pour les intérêts de la république; il représente que ce ne sont pas des applaudissements et des éloges qui sauveront la liberté, mais une vigilance infatigable; il invite donc les bons citoyens à dénoncer les actes d'oppression, à observer et à dévoiler les intrigues étrangères.)

Quand les circonstances se développeront (continue-t-il), je m'expliquerai plus au long; aujourd'hui, j'en ai dit assez pour ceux qui sentent. Il ne sera jamais au pouvoir de personne de m'empêcher de déposer la vérité dans le sein de la représentation nationale et des républicains. Il n'est pas au pouvoir des tyrans et de leurs valets de faire échouer mon courage.

Qu'on répande des libelles contre moi, je n'en serai pas moins toujours le même, et je défendrai la liberté et l'égalité avec la même ardeur. Si l'on me forçait de renoncer à une partie des fonctions dont je suis chargé, il me resterait encore ma qualité de représentant du peuple, et je ferais une guerre à mort aux tyrans et aux conspirateurs.

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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours de Robespierre sur les persécutions dont les patriotes étaient victimes de la part des aristocrates, Club des Jacobins, Séance du 24 messidor an II de la république française (5 juillet 1794)

Toutes les injustices particulières qui vous sont dénoncées méritent de votre part une sérieuse attention. Le premier devoir d'un patriote est de secourir les opprimés; quiconque manque à ce devoir n'a pas même le sentiment du patriotisme: de toutes les vertus qui ont servi de base à la révolution, la plus belle et la plus véritable est la plus négligée. Rien de si commun que les beaux discours insignifiants; rien de plus rare que la défense généreuse des opprimés, quand on n'en attend aucun profit; rien de si commun que le ménagement pour les aristocrates; rien de si rare qu'une humanité envers les bons citoyens dans le malheur.

De tous les décrets qui ont sauvé la république, le plus sublime, le seul qui l'ait arrachée à la corruption et qui ait affranchi les peuples de la tyrannie, c'est celui qui met la probité et la vertu à l'ordre du jour. Si ce décret était exécuté, la liberté serait parfaitement établie, et nous n'aurions plus besoin de faire retentir les tribunes populaires de notre voix; mais des hommes qui n'ont que le masque de la vertu mettent les plus grandes entraves à l'exécution des lois de la vertu même; ils veulent se faire de ce masque un moyen de parvenir au pouvoir.

Il est peu d'hommes généreux qui aiment la vertu pour elle-même, et qui désirent avec ardeur le bonheur du peuple. Tous les scélérats ont abusé de la loi qui a sauvé la liberté et le peuple français. Ils ont feint d'ignorer que c'était la justice suprême que la Convention avait mise à l'ordre du jour, c'est-à-dire le devoir de confondre les hypocrites, de soulager les malheureux et les opprimés, et de combattre les tyrans; ils ont laissé à l'écart ces grands devoirs, et s'en sont fait un instrument pour tourmenter le peuple et perdre les patriotes.

Il existe un comité révolutionnaire dans la république; vous allez croire peut-être qu'il s'est imaginé qu'il fallait anéantir l'aristocratie. Point du tout, il a cru qu'il fallait arrêter tous les citoyens qui, dans un jour de fête, se seraient trouvés ivres. Grâce à cette heureuse application de la loi, tous les contre-révolutionnaires sont restés tranquilles et en pleine sécurité, tandis que les artisans et les bons citoyens, qui s'étaient par hasard livrés à un mouvement de gaîté, ont été impitoyablement incarcérés.

Sans doute nous sommes plus ennemis de toute espèce de vices que ces inquisiteurs méchants et hypocrites; nous savons que l'ivresse est une maladie dont il faut guérir les hommes, mais nous savons aussi distinguer les faux patriotes qui persécutent le peuple, tandis qu'ils sont indulgents pour les aristocrates.

La ligue de toutes les factions a partout le même système. S'il est parmi elles quelque apparence de vertu, ce n'est qu'un masque imposteur; les scélérats qui se l'adaptent n'exigent jamais une soumission réelle aux lois de la république; ils ne voient dans les nobles que des cultivateurs paisibles, de bons maris, et ils ne s'informent pas s'ils sont amis de la justice ou du peuple.

Le décret qui met la vertu à l'ordre du jour est fécond en grandes conséquences. Nous avions prévu qu'on en abuserait; mais en même temps nous avions pensé que ce décret, porté contre les oppresseurs, imposerait aux fonctionnaires publics le devoir d'exercer la vertu, et de ne jamais s'écarter des obligations qui les lient à la patrie; mais ces obligations ne les forcent point à s'appesantir, avec une inquisition sévère, sur les actions des bons citoyens, pour détourner les yeux de dessus les crimes des fripons: ces fripons, qui ont cessé d'attirer leur attention, sont ceux-là même qui oppriment l'humanité, et sont de vrais tyrans. Si les fonctionnaires publics avaient fait ces réflexions, ils auraient trouvé peu de coupables à punir, car le peuple est bon, et la classe des méchants est la plus petite.

C'est en vain que Roland me vante ses vertus et me présente le tableau de sa vie privée; sans examiner ni cette apologie fastidieuse, ni l'histoire scandaleuse de la vie privée d'un Barbaroux, je demande à un homme: Qu'as-tu fait pour la prospérité de ton pays? Quels travaux as-tu entrepris pour arracher le peuple français au joug odieux de la servitude? S'il me répond à cette question d'une manière satisfaisante, alors je le crois vertueux.

Necker fut dans le sein de sa famille un véritable tyran: n'en soyez pas étonnés; un homme qui manque des vertus publiques ne peut avoir les vertus privées. Cette vertu de Necker et de Roland, q«e des intrigants ont voulu faire résulter du décret dont je vous parlais il n'y a qu'un instant, est diamétralement opposée à l'héroïsme et à l'humanité. Si je voulais suivre le système perfide de ces hommes qui ne connaissent point la vertu, vous verriez les hommes de bien opprimés, et les intrigants relevant leur tête altière. Nos ennemis disent dans leurs assemblées secrètes:

"Faisons en sorte qu'il n'y ait que des fripons; persécutons les patriotes, et ne cessons d'appuyer ceux qui, comme Hébert, veulent détruire sourdement la liberté de la France, ainsi que ceux qui, par leur modérantisme, veulent la ramener à l'esclavage; poursuivons tous ceux qui aspirent à la liberté du genre humain."

Ces monstres dévouent, en conséquence, à l'opprobre et aux tourments tout homme dont ils redoutent l'austérité de m½urs et la sévère probité.

Le devoir du gouvernement est de remédier à cet abus. Pour remplir cet objet, il faut qu'il ait beaucoup d'unité, de sagesse et d'action. Quiconque veut cabaler contre le gouvernement est un traître, et je dénonce ici tous ceux qui se sont rendus coupables de ce crime. On veut calomnier le gouvernement révolutionnaire pour le dissoudre; on veut flétrir le tribunal révolutionnaire, pour que les conspirateurs respirent en paix; les artifices les plus infâmes sont inventés pour persécuter les patriotes énergiques et sauver leurs mortels ennemis.

Il n'est qu'an seul remède à tant de maux, et il consiste dans l'exécution des lois de la nature, qui veulent que tout homme soit juste, et dans la vertu, qui est la base fondamentale de toute société. Autant vaudrait retourner dans les bois que de nous disputer les honneurs, la réputation, les richesses; il ne résulterait de cette lutte que des tyrans et des esclaves. Après cinquante ans d'agitations, de troubles et de carnage, le résultat serait l'établissement d'un nouveau despote.

Il est naturel de s'endormir après la victoire; nos ennemis, qui le savent bien, ne manquent pas de faire des efforts pour détourner notre attention de dessus leurs crimes. La véritable victoire est celle que les amis de la liberté remportent sur les factions: c'est cette victoire qui appelle chez les peuples la paix, la justice et le bonheur. Une nation n'est pas illustrée pour avoir abattu des tyrans ou enchaîné des peuples; ce fut le sort des Romains et de quelques autres nations: notre destinée, beaucoup plus sublime, est de fonder sur la terre l'empire de la sagesse, de la justice et de la vertu.

Nous ne pourrons atteindre ce but que par des institutions sages, qui ne peuvent être fondées que sur la ruine des ennemis incorrigibles de la liberté. Voyez ce qui arrive à chaque effort du crime contre la vertu; les factions redoublent d'artifices, à mesure que nous déployons notre énergie; et si cette même énergie vient à se ralentir, elles en profiteront pour prendre de nouvelles forces; elles disputeront le terrain, et donneront aux conspirateurs le temps de se rallier; à tout moment elles cherchent à diviser et à se faire des partisans; si l'on n'y prenait garde, il se formerait bientôt des factions en assez grand nombre pour lutter contre la liberté et égorger ses amis.

En vous présentant ces réflexions, je dénonce les efforts de nos ennemis sans prédire leurs succès; je sais que tout ce qui est criminel sur la terre doit disparaître; mais il n'est pas moins vrai que le crime fit de tout temps, jusqu'à nous, le malheur du monde.

Il faut une excessive légèreté pour s'endormir sur les conjurations, et pour perdre un instant ce courage ardent qui nous porte à dénoncer les conspirateurs: ce n'est pas pour provoquer aucune mesure sévère contre les coupables, que j'ai pris ici la parole, que m'importe leur vie ou leur mort, pourvu que le peuple et la Convention soient éclairés!

Mon but est de prémunir tous les citoyens contre les pièges qui leur sont tendus, et d'éteindre la nouvelle torche de discorde qu'on cherche à allumer dans la Convention. Ce qu'on voit tous les jours, ce qu'on ne peut se cacher, c'est qu'on veut avilir et anéantir la Convention par un système de terreur; il existe des rassemblements qui ont pour but de répandre ces funestes idées; on cherche à persuader à chaque membre que le comité de salut public l'a proscrit.

Ce complot existe; mais, puisqu'on le connaît, tous les bons citoyens doivent se rallier pour l'étouffer. C'est ici que dans tous les temps les députés patriotes se sont réunis pour faire triompher la vertu: si la tribune des Jacobins devient muette depuis quelque temps, ce n'est pas qu'il ne leur reste rien à dire; mais le profond silence qui y règne est l'effet d'un sommeil léthargique, qui ne permet pas d'ouvrir les yeux sur les dangers de la patrie. On veut donc forcer la Convention à trembler; on veut la prévenir contre le tribunal révolutionnaire, et rétablir le système des Danton, des Camille Desmoulins; on a semé partout des germes de division; on a substitué la défiance à la franchise, le calcul des âmes faibles au sentiment généreux des fondateurs de la république: il faut toujours en revenir à ces principes, la vertu publique et la justice suprême sont les deux lois souveraines sous lesquelles doivent ployer tous ceux qui sont chargés des intérêts de la patrie.

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