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Elémens de la philosophie de Neuton: Mis à la portée de tout le monde

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The Project Gutenberg eBook of Elémens de la philosophie de Neuton: Mis à la portée de tout le monde

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Title: Elémens de la philosophie de Neuton: Mis à la portée de tout le monde

Author: Voltaire

Contributor: marquise Gabrielle Emilie Le Tonnelier de Breteuil Du Châtelet

Release date: October 30, 2015 [eBook #50340]
Most recently updated: October 22, 2024

Language: French

Credits: Produced by Claudine Corbasson and the Online Distributed
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"E-rara.ch"))

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK ELÉMENS DE LA PHILOSOPHIE DE NEUTON: MIS À LA PORTÉE DE TOUT LE MONDE ***

Au lecteur

Table des chapitres

L. F. Dubourg inv.

I. Folkema Sculp.


ELEMENS
DE  LA
PHILOSOPHIE
DE NEUTON.


Jacob Folkema Sculpcit.


A MADAME

LA

MARQUISE DU CH.**

TU m'appelles à toi vaste & puissant Génie,
Minerve de la France, immortelle Emilie,
Disciple de Neuton, & de la Vérité,
Tu pénétres mes sens des feux de ta clarté,
Je renonce aux lauriers, que long-tems au Théâtre
Chercha d'un vain plaisir mon esprit idolâtre.
De ces triomphes vains mon cœur n'est plus touché.
Que le jaloux Rufus à la terre attaché,
Traîne au bord du tombeau la fureur insensée,
D'enfermer dans un vers une fausse pensée,
Qu'il arme contre moi ses languissantes mains
Des traits qu'il destinoit au reste des humains.
Que quatre fois par mois un ignorant Zoïle,
Eleve en fremissant une voix imbécile.
Je n'entends point leurs cris que la haine a formez.
Je ne vois point leurs pas dans la fange imprimez.
Le charme tout-puissant de la Philosophie
Eleve un esprit sage au-dessus de l'envie.
Tranquille au haut des Cieux que Neuton s'est soumis,
Il ignore en effet s'il a des Ennemis.
Je ne les connois plus. Déja de la carriere
L'auguste Vérité vient m'ouvrir la barriere.
Déja ces tourbillons l'un par l'autre pressez,
Se mouvant sans espace, & sans règle entassez,
Ces fantômes savants à mes yeux disparaissent.
Un jour plus pur me luit; les mouvements renaissent.
L'espace qui de Dieu contient l'immensité,
Voit rouler dans son sein l'Univers limité,
Cet Univers si vaste à notre faible vûe,
Et qui n'est qu'un atome, un point dans l'étendue.
Dieu parle, & le Chaos se dissipe à sa voix;
Vers un centre commun tout gravite à la fois,
Ce ressort si puissant l'ame de la Nature,
Etoit enséveli dans une nuit obscure,
Le compas de Neuton mesurant l'Univers,
Leve enfin ce grand voile & les Cieux sont ouverts.
Il déploye à mes yeux par une main savante,
De l'Astre des Saisons la robe étincelante.
L'Emeraude, l'azur, le pourpre, le rubis,
Sont l'immortel tissu dont brillent ses habits.
Chacun de ses rayons dans sa substance pure,
Porte en soi les couleurs dont se peint la Nature,
Et confondus ensemble, ils éclairent nos yeux,
Ils animent le Monde, ils emplissent les Cieux.
Confidens du Très-Haut, Substances éternelles,
Qui brûlés de ses feux, qui couvrez de vos aîles
Le Trône où votre Maître est assis parmi vous,
Parlez, du grand Neuton n'étiez-vous point jaloux?
La Mer entend sa voix. Je vois l'humide Empire,
S'élever, s'avancer, vers le Ciel qui l'attire,
Mais un pouvoir central arrête ses efforts,
La Mer tombe, s'affaisse, & roule vers ses bords.
Cometes que l'on craint à l'égal du tonnerre,
Cessez d'épouvanter les Peuples de la Terre,
Dans une ellipse immense achevez votre cours,
Remontez, descendez près de l'Astre des jours,
Lancez vos feux, volez, & revenant sans cesse,
Des Mondes épuisez ranimez la vieillesse.
Et toi Sœur du Soleil, Astre, qui dans les Cieux,
Des sages éblouïs trompois les faibles yeux,
Neuton de ta carriere a marqué les limites,
Marche, éclaire les nuits; tes bornes sont prescrites.
Terre change de forme, & que la pesanteur,
En abaissant le Pole, éleve l'Equateur.
Pole immobile aux yeux, si lent dans votre course,
Fuyez le char glacé de sept Astres de l'Ourse,
Embrassez dans le cours de vos longs mouvements,
Deux cens siècles entiers par delà six mille ans.
Que ces objets sont beaux! que notre ame épurée
Vole à ces vérités dont elle est éclairée!
Oui dans le sein de Dieu, loin de ce corps mortel,
L'esprit semble écouter la voix de l'Eternel.
Vous à qui cette voix se fait si bien entendre,
Comment avez-vous pu, dans un âge encor tendre,
Malgré les vains plaisirs, ces écueils des beaux jours,
Prendre un vol si hardi, suivre un si vaste cours,
Marcher après Neuton dans cette route obscure
Du labyrinthe immense, où se perd la Nature?
Puissai-je auprès de vous, dans ce Temple écarté,
Aux regards des Français montrer la Vérité.
Tandis[a] qu'Algaroti, sûr d'instruire & de plaire,
Vers le Tibre étonné conduit cette Etrangere,
Que de nouvelles fleurs il orne ses atraits,
Le Compas à la main j'en tracerai les traits,
De mes crayons grossiers je peindrai l'Immortelle.
Cherchant à l'embellir je la rendrais moins belle,
Elle est ainsi que vous, noble, simple & sans fard,
Au-dessus de l'éloge, au-dessus de mon Art.

A MADAME

LA

MARQUISE DU CH**

AVANT PROPOS.

MADAME,

Ce n'est point ici une Marquise, ni une Philosophie imaginaire. L'étude solide que vous avez faite de plusieurs nouvelles vérités & le fruit d'un travail respectable, sont ce que j'offre au Public pour votre gloire, pour celle de votre Sexe, & pour l'utilité de quiconque voudra cultiver sa raison & jouïr sans peine de vos recherches. Il ne faut pas s'attendre à trouver ici des agrémens. Toutes les mains ne savent pas couvrir de fleurs les épines des Sciences; je dois me borner à tâcher de bien concevoir quelques Vérités & à les faire voir avec ordre & clarté. Ce seroit à vous de leur prêter des ornemens.

Ce nom de Nouvelle Philosophie ne seroit que le titre d'un Roman nouveau, s'il n'annonçoit que les conjectures d'un Moderne, opposées aux fantaisies des Anciens. Une Philosophie qui ne seroit établie que sur des explications hazardées, ne mériteroit pas en rigueur le moindre examen. Car il y a un nombre innombrable de manieres d'arriver à l'Erreur, il n'y a qu'une seule route vers la Vérité: il y a donc l'infini contre un à parier, qu'un Philosophe qui ne s'appuiera que sur des Hypothèses ne dira que des chiméres. Voilà pourquoi tous les Anciens qui ont raisonné sur la Physique sans avoir le flambeau de l'expérience, n'ont été que des aveugles, qui expliquoient la nature des couleurs à d'autres aveugles.

Cet Ecrit ne sera point un cours de Physique complet. S'il étoit tel, il seroit immense; une seule partie de la Physique occupe la vie de plusieurs hommes, & les laisse souvent mourir dans l'incertitude.

Vous vous bornez dans cette étude, dont je rends compte, à vous faire seulement une idée nette de ces Ressorts si déliez & si puissants, de ces Loix primitives de la Nature, que Neuton a découvertes; à examiner jusqu'où l'on a été avant lui, d'où il est parti, & où il s'est arrêté. Nous commencerons, comme lui, par la lumiere: c'est de tous les corps qui se font sentir à nous le plus délié, le plus approchant de l'infini en petit, c'est pourtant celui que nous connoissons davantage. On l'a suivi dans ses mouvemens, dans ses effets; on est parvenu à l'anatomiser, à le séparer en toutes ses parties possibles. C'est celui de tous les corps dont la nature intime est le plus développée. C'est celui qui nous approche de plus près des premiers Ressorts de la Nature.

On tâchera de mettre ces Elémens, à la portée de ceux qui ne connaissent de Neuton & de la Philosophie que le nom seul. La Science de la Nature est un bien qui appartient à tous les hommes. Tous voudroient avoir connaissance de leur bien, peu ont le tems ou la patience de le calculer; Neuton a compté pour eux. Il faudra ici se contenter quelquefois de la somme de ces calculs. Tous les jours un homme public, un Ministre, se forme une idée juste du résultat des opérations que lui-même n'a pu faire; d'autres yeux ont vu pour lui, d'autres mains ont travaillé, & le mettent en état par un compte fidèle de porter son jugement. Tout homme d'esprit sera à peu près dans le cas de ce Ministre.

La Philosophie de Neuton a semblé jusqu'à présent à beaucoup de personnes aussi inintelligible que celle des Anciens: mais l'obscurité des Grecs venoit de ce qu'en effet ils n'avoient point de lumiere; & les ténèbres de Neuton viennent de ce que sa lumiere étoit trop loin de nos yeux. Il a trouvé des vérités: mais il les a cherchées & placées dans un abîme, il faut y descendre & les apporter au grand jour.

On trouvera ici toutes celles qui conduisent à établir la nouvelle proprieté de la matiere découverte par Neuton. On sera obligé de parler de quelques singularités, qui se sont trouvées sur la route dans cette carriere; mais on ne s'écartera point du but.

Ceux qui voudront s'instruire davantage, liront les excellentes Physiques des Gravesandes, des Keils, des Muschenbroeks, des Pembertons & s'approcheront de Neuton par degrez.


CHAPITRE PREMIER.

Ce que c'est que la Lumiere & comment elle vient à nous.

Définition singuliére par les Péripatéticiens.

LES GRECS & ensuite tous les Peuples Barbares, qui ont appris d'eux à raisonner & à se tromper, ont dit de Siècle en Siècle: «La Lumière est un accident, & cet accident est l'acte du transparent en tant que transparent, les couleurs sont ce qui meut les corps transparens. Les corps lumineux & colorez ont des qualités semblables à celles qu'ils excitent en nous par la grande raison que rien ne donne ce qu'il n'a pas. Enfin, la lumiere & les couleurs sont un melange du chaud, du froid, du sec, & de l'humide; car l'humide, le sec, le froid, & le chaud, étant les Principes de tout, il faut bien que les couleurs en soient un composé».

C'est cet absurde galimatias que des Maîtres d'ignorance, payez par le Public, ont fait respecter à la crédulité humaine pendant tant d'années: c'est ainsi qu'on a raisonné presque sur-tout, jusqu'aux tems des Galilées & des Descartes. Long-tems même après eux ce Jargon, qui deshonore l'Entendement humain, a subsisté dans plusieurs Ecoles. J'ose dire que la Raison de l'homme, ainsi obscurcie, est bien au-dessous de ces connaissances si bornées, mais si sûres, que nous appellons Instinct dans les Brutes. Ainsi nous ne pouvons trop nous féliciter d'être nez dans un tems & chez un Peuple, où l'on commence à ouvrir les yeux, & à jouïr du plus bel appanage de l'Humanité, l'usage de la Raison.

L'Esprit Systématique a égaré Descartes.

Tous les prétendus Philosophes ayant donc deviné au hazard, à travers le voile qui couvroit la Nature, Descartes est venu qui a découvert un coin de ce grand voile. Il a dit: la Lumiere est une matiere fine & déliée, qui est répandue par-tout, & qui frappe nos yeux. Les couleurs sont les sensations que Dieu excite en nous, selon les divers mouvemens qui portent cette Matiere à nos organes. Jusques-là Descartes a eu raison, il falloit, ou qu'il s'en tint là, ou qu'en allant plus loin, l'expérience fût son guide. Mais il étoit possédé de l'envie d'établir un Systême. Cette passion fit dans ce grand Homme ce que font les passions dans tous les hommes; elles les entraînent au-delà de leurs Principes.

Il avoit posé pour premier fondement de sa Philosophie, qu'il ne falloit rien croire sans évidence; & cependant au mépris de sa propre Règle, il imagine trois Elémens formez des cubes prétendus qu'il suppose avoir été faits par le Créateur, & s'être brisez en tournant sur eux-mêmes, lorsqu'ils sortirent des mains de Dieu. Ces trois Elémens imaginaires sont, comme on sait:

Son Systême.

1o. La partie la plus épaisse de ces cubes, & c'est cet Elément grossier dont se formerent selon lui les corps solides des Planetes, les Mers, l'Air même.

2o. La poussiere impalpable que le brisement de ces dés avoit produite, & qui remplit à l'infini les interstices de l'Univers infini dans lequel il ne suppose aucun vuide.

3o. Les milieux de ces prétendus dés brisés, attenués également de tous côtés, & enfin arondis en boules, dont il lui plaît de faire la lumiere, & qu'il répand gratuitement dans l'Univers.

Faux.

Plus ce Systême étoit ingénieusement imaginé, plus vous sentez qu'il étoit indigne d'un Philosophe. Car, puisque rien de tout cela n'est prouvé, autant valloit adopter le froid & le chaud, le sec & l'humide. Erreur pour erreur qu'importe laquelle domine! Ne perdons point de tems à combattre cette création des cubes & des trois Elémens, ou plutôt ce Chaos. Contentons-nous de voir ici seulement les erreurs Philosophiques dans lesquelles l'esprit Systématique a entraîné le génie sublime de Descartes; & ne réfutons sur-tout que ces sortes d'erreurs qui, ayant l'air de la vérité, sembloient respectables, & méritoient d'être relevées.

Selon Descartes la lumiere ne vient point à nos yeux du Soleil, mais c'est une matiere globuleuse répandue par-tout, que le Soleil pousse, & qui presse nos yeux comme un bâton poussé par un bout presse à l'instant à l'autre bout. Cela paroissoit plausible, mais cela n'en est pas moins faux: cependant Descartes étoit tellement persuadé de ce Systême que dans sa dix-septième Lettre du troisième Tome, il dit & répète positivement: J'avoue que je ne sai rien en Philosophie si la lumiere du Soleil n'est pas transmise à nos yeux en un instant. En effet, il faut avouer que, tout grand génie qu'il étoit, il savoit encore peu de chose en vraye Philosophie; il lui manquoit l'expérience du Siècle qui l'a suivi. Ce Siècle est autant supérieur à Descartes, que Descartes l'étoit à l'Antiquité.

Du mouvement progressif de la lumiere.

1o. Si la lumiere étoit toujours répandue, toujours existante dans l'air, nous verrions clair la nuit comme le jour, puisque le Soleil sous l'Hemisphére pousseroit toujours les globules en tout sens, & que l'impression en viendroit également à nos yeux.

2o. Il est démontré que la lumiere émane du Soleil, & on sait que c'est à peu près en sept ou huit minutes de tems qu'elle fait ce chemin immense, qu'un boulet de Canon conservant sa vîtesse ne feroit pas en vingt-cinq années.

Erreur du Spectacle de la Nature.

L'Auteur du Spectacle de la Nature, Ouvrage très-estimable, est tombé ici dans une petite méprise qu'il corrigera sans doute à la premiere Edition de son Livre. Il dit que la lumiere vient en sept minutes des Etoiles, selon Neuton; il a pris les Etoiles pour le Soleil. La lumiere émane des Etoiles les plus prochaines en six mois, selon un certain calcul fondé sur des expériences très-délicates & très-fautives. Ce n'est point Neuton, c'est Huygens & Hartsoeker, qui ont fait cette supposition. Il dit encore, pour prouver que Dieu créa la lumiere avant le Soleil, que la lumiere est répandue par toute la Nature, & qu'elle se fait sentir, quand les Astres lumineux la poussent; mais il est démontré qu'elle arrive des Etoiles fixes en un tems très-long. Or, si elle fait ce chemin, elle n'étoit donc point répandue auparavant. Il est bon de se précautionner contre ces erreurs, que l'on répète tous les jours dans beaucoup de Livres qui sont l'écho les uns des autres.

Voici en peu de mots la substance de la Démonstration sensible de Romer, que la lumiere employe sept à huit minutes dans son chemin du Soleil à la Terre.

Démonstration du mouvement de la lumiere.

On observe de la Terre en C. ce Satellite de Jupiter, qui s'éclipse réguliérement une fois en quarante-deux heures & demie. Si la Terre étoit immobile, l'Observateur en C. verroit en trente fois quarante-deux heures & demie, trente émersions de ce Satellite, mais au bout de ce tems, la Terre se trouve en D. alors l'Observateur ne voit plus cette émersion précisément au bout de trente fois quarante-deux heures & demie, mais il faut ajouter le tems que la lumiere met à se mouvoir de C. en D. & ce tems est sensiblement considérable. Mais cet espace C. D. est encore moins grand que l'espace G. H. car C. D. est corde du Cercle, & G. H. est le Diametre du Cercle. Ce Cercle est le grand Orbe que décrit la Terre, le Soleil est au milieu; la lumiere en venant du Satellite de Jupiter, traverse C. D. en dix minutes, & G. H. en 15. ou 16. minutes. Le Soleil est entre G. & H. donc la lumiere vient du Soleil en 7 ou 8 minutes.

Mr. Broadley, en dernier lieu, a observé par des expériences réïtérées & sûres, que plusieurs Etoiles, vues en différens tems, paroissoient tantôt un peu plus vers le Nord, tantôt un peu plus vers le Sud; il a prouvé que cette différence ne pouvoit venir que du mouvement annuel de la Terre, & de la progression de la lumiere. Il a observé que si ces Etoiles ont une parallaxe, cette parallaxe n'est que d'une seconde.

Or cela présupposé, voici le raisonnement que je fais: Un Astre, qui n'a qu'une seconde de parallaxe annuelle, est quatre cens mille fois plus loin de nous que le Soleil; si la lumiere nous vient du Soleil en 8. minutes, comme le croit Mr. Broadley, elle nous viendra donc de ces Etoiles en 6. années & plus d'un mois. Mais ce n'est pas tout. Ces Etoiles sont de la premiere grandeur, donc les Etoiles de la sixième grandeur, étant six fois plus éloignées, ne font parvenir leur lumiere à nous qu'en plus de 36. ans & demi.

3o. Les rayons qu'on détourne par un Prisme, & qu'on force de prendre un nouveau chemin, démontrent que la lumiere se meut effectivement, & n'est pas un amas de globules simplement pressé.

4o. Si la lumiere étoit un amas de globules existans dans l'air & en tous lieux, un petit trou qu'on pratique dans une chambre obscure devroit l'illuminer toute entiére: car la lumiere, poussée alors en tout sens par ce petit trou, agiroit en tout sens, comme des boules d'yvoire rangées en rond, ou en quarré, s'écarteroient toutes, si une seule d'elles étoit fortement pressée; mais il arrive tout le contraire. La lumiere reçue par un petit orifice, lequel ne laisse passer que peu de rayons, éclaire à peine un demi-pied de l'endroit qu'elle frappe.

5o. La lumiere entre toujours par un trou en ligne droite, en quelque sens que l'on puisse imaginer, mais si des globules étoient simplement pressés, il seroit impossible que cette pression se fît en ligne droite. Il est donc démontré que Descartes s'est trompé & sur la nature de la lumiere & sur la maniere dont elle nous est transmise.

Erreur du Pere Mallebranche.

Le Pere Mallebranche, génie plus subtil que vrai, qui consulta toujours ses méditations, mais non toujours la Nature, adopta sans preuve les trois Elémens de Descartes; mais il changea beaucoup de choses à ce Château enchanté. Il imagina sans autre preuve une autre explication de la lumiere.

Des vibrations du Corps lumineux impriment, selon lui, des secousses à de petits tourbillons mous, capables de compression, & tout composés de matiere subtile. Mais si on avoit demandé à Mallebranche comment ces petits tourbillons mous auroient transmis à nos yeux la lumiere, comment l'action du Soleil pourroit passer en un instant à travers tant de petits corps comprimés les uns par les autres, & dont un très-petit nombre suffiroit pour amortir cette action, comment enfin ses tourbillons mous, ne se seroient point mêlez en tournant les uns sur les autres, qu'auroit répondu le Pere Mallebranche? Sur quel fondement posoit-il cet édifice imaginaire? Faut-il que des hommes qui ne parloient que de vérité n'ayent écrit que des Romans!

Définition de la lumiere.

Qu'est-ce donc enfin que la lumiere? C'est le feu lui-même, lequel brûle à une petite distance, lorsque ses parties sont moins tenuës, ou plus rapides, ou plus réunies; & qui éclaire doucement nos yeux, quand il agit de plus loin, quand ses particules sont plus fines, & moins rapides, & moins réunies.

Ainsi une bougie allumée brûleroit l'œil qui ne seroit qu'à quelques lignes d'elle, & éclaire l'œil qui en est à quelques pouces. Ainsi les rayons du Soleil, épars dans l'espace de l'air, illuminent les objets, & réunis dans un verre ardent fondent le plomb & l'or.

Ce feu est dardé en tout sens du point rayonnant: c'est ce qui fait qu'il est apperçu de tous les côtez; il faut donc toujours le considérer comme des lignes partant d'un centre à la circonférence. Ainsi tout faisceau, tout amas, tout trait de rayons, venant du Soleil ou d'un feu quelconque, doit être considéré comme un cone, dont la base est sur notre prunelle, & dont la pointe est dans le feu qui le darde.

Cette matiere de feu s'élance du Soleil jusqu'à nous & jusqu'à Saturne, &c. avec une rapidité qui épouvante l'imagination.

Le calcul apprend que, si le Soleil est à vingt-quatre mille demi-diametres de la Terre, il s'ensuit que la lumiere parcourt de cet Astre à nous, (en nombres ronds) mille millions de pieds par seconde. Or un boulet d'une livre de balle, poussé par une demi-livre de poudre, ne fait en une seconde que 600. pieds; ainsi donc la rapidité d'un rayon du Soleil est, en nombres ronds, seize cens soixante & six mille six cens fois plus forte que celle d'un boulet de Canon.

Voyez Mémoires de l'Académie 1728.

Je n'entrerai point ici dans la fameuse dispute des forces vives; je renvoye sur cela le Lecteur au Mémoire plein de sagesse & de profondeur qu'a donné Mr. de Mairan.

J'espére que ce Philosophe & ceux qui sont le plus opposés aux forces vives, permettront qu'on avance en toute rigueur cette Proposition suivante:

L'effet que produit la force d'un corps dans un mouvement, du moins uniformement accéléré, est le produit de sa masse par le quarré de sa vîtesse; c'est-à-dire qu'un corps, s'il a dix degrez de vîtesse, fera, toutes choses égales, cent fois autant d'impression, que s'il n'avoit qu'un degré de vîtesse.

Extrême petitesse du corps de la lumiere.

Si donc une seule particule de lumiere agit en raison du quarré de sa vîtesse, & si cette vîtesse est environ seize cens mille par rapport à celle du boulet, ce quarré sera 2560000000000; il sera donc vrai que, si cet atome n'est que deux milliasses cinq cens soixante miliards moins gros qu'une livre, il fera encore le même effet qu'un boulet de Canon. Supposez cet atome mille miliards plus petit encore; un moment d'émanation de lumiere détruiroit tout ce qui vegète sur la surface de la Terre. Concevez qu'elle doit être la petitesse d'une particule de lumiere, qui passe si librement à-travers d'un verre; & pour avoir quelque idée de l'infini, concevez ce que doit être une matiere un million de fois plus subtile encore, qui passe entre les pores de l'Or & de l'Aimant, & qui pénétre les Rochers & les entrailles de la Terre.

Le Soleil qui nous darde cette matiere lumineuse en sept ou huit minutes, & les Etoiles, ces autres Soleils, qui nous l'envoyent en plusieurs années, en fournissent éternellement, sans paraître s'épuiser, à peu près comme le Musc élance sans cesse autour de lui des corps odoriférants, sans rien perdre sensiblement de son poids.

Enfin, la rapidité avec laquelle le Soleil darde ses rayons est en proportion avec sa grosseur, qui surpasse environ un million de fois celle de la Terre, & avec la vîtesse dont ce Corps de feu immense roule sur lui-même en vingt-cinq jours & demi.

Proportion dans laquelle toute lumiere agit.

La force, l'illumination, l'intensité, la densité de toute lumiere, est calculée. Il se trouve par un calcul singulier que cette force est précisément en même raison, que la force avec laquelle les corps tombent, & avec laquelle Mr. Neuton fait voir que tous les Globes célestes s'attirent. Cette proportion est ce qu'on appelle la raison inverse du quarré des distances. Il faut se familiariser avec cette expression. Elle signifie une chose simple & intelligible: c'est qu'un corps qui sera exposé à quatre pieds d'un feu quelconque, sera seize fois moins éclairé & moins échauffé, recevra seize fois moins de rayons que le corps qui sera à un pied; seize est le quarré de quatre. Or quatre est la distance où est le corps moins éclairé, donc la lumiere envoye à ce corps distant de quatre pieds, non pas quatre fois moins de rayons, mais seize fois moins de rayons. Voilà ce qu'on appelle la raison inverse du quarré des distances, ce qu'il faut bien entendre; car cette proportion sera un des fondemens de la Nouvelle Philosophie que nous tâchons de rendre familiere.

Progression de la lumiere. Preuve de l'impossibilité du plein.

Nous pouvons en passant conclure de la célérité avec laquelle la substance du Soleil s'échappe ainsi vers nous en ligne droite, combien le plein de Descartes est chimérique. Car 1o. comment une ligne droite pourroit-elle parvenir à nous, à travers tant de millions de couches de matiere mues en ligne courbe, & à travers tant de mouvemens divers? 2o. Comment un corps si délié pourroit-il en sept ou huit minutes parcourir l'espace de trente millions de nos lieues, qui est entre le Soleil & nous, s'il avoit à pénétrer dans cet espace une matiére résistante? Il faudroit que chaque rayon dérangeât en un moment trente millions de lieues de matiére subtile. Remarquez encore que cette prétendue matiére subtile résisteroit dans le plein absolu, autant que la matiére la plus compacte. Car une livre de poudre d'or, pressée dans une boëte, résiste autant qu'un morceau d'or pesant une livre. Ainsi un rayon du Soleil auroit bien plus d'effort à faire, que s'il avoit à percer un cone d'or, dont l'axe seroit trente millions de lieues.

Il y a plus. L'expérience, ce vrai Maître de Philosophie, nous apprend que la lumiere en venant d'un Elément dans un autre Elément, d'un milieu dans un autre milieu, n'y passe pas toute entiere, comme nous le dirons: une grande partie est réflechie, l'air en fait rejaillir plus qu'il n'en transmet; ainsi il seroit impossible qu'il nous vint aucune lumiere des Etoiles, elle seroit toute absorbée, toute répercutée, avant qu'un seul rayon pût seulement venir à moitié de notre atmosphére. Mais dans les Chapitres, où nous expliquerons les principes de la gravitation, nous verrons une foule d'arguments, qui prouvent que ce plein prétendu étoit un Roman.

Arrêtons-nous ici un moment pour voir combien la Vérité s'établit lentement chez les hommes.

Il y a près de cinquante ans que Romer avoit démontré par les observations sur les Eclipses des Satellites de Jupiter, que la lumiere émane du Soleil à la Terre en sept minutes & demie ou environ, cependant non-seulement on soutient encore le contraire dans plusieurs Livres de Physique; mais voici comme on parle dans un Recueil en trois Volumes, tiré des observations de toutes les Académies de l'Europe, imprimé en 1730. page 35. Volume. 1.

«Quelques-uns ont prétendu que d'un Corps lumineux, comme le Soleil, il se fait un écoulement continuel d'une infinité de petites parties insensibles, qui portent la lumiere jusqu'à nos yeux; mais cette opinion, qui se ressent encore un peu de la vieille Philosophie, n'est pas soutenable».

Cette opinion est pourtant démontrée de plus d'une façon: & loin de ressentir la vieille Philosophie, elle y est directement contraire; car quoi de plus contraire à des mots vuides de sens, que des mesures, des calculs, & des expériences?


CHAPITRE DEUX.

La proprieté que la lumiere a de se réflechir n'étoit pas véritablement connue. Elle n'est point réflechie par les parties solides des corps, comme on le croioit.

AYANT su ce que c'est que la lumiere, d'où elle nous vient, comment & en quel tems elle arrive à nous; voyons ses proprietés, & ses effets ignorés jusqu'à nos jours. Le premier de ses effets est qu'elle semble rejaillir de la surface solide de tous les objets, pour en apporter dans nos yeux les images.

Tous les hommes, tous les Philosophes, & les Descartes & les Mallebranches, & ceux qui se sont éloignez le plus des pensées vulgaires, ont également cru qu'en effet ce sont les surfaces solides des corps qui nous renvoyent les rayons. Plus une surface est unie & solide, plus elle fait, dit-on, rejaillir de lumiere; plus un corps a de pores larges & droits, plus il transmet de rayons à travers sa substance. Ainsi le miroir poli dont le fond est couvert d'une surface de vif argent, nous renvoye tous les rayons; ainsi ce même miroir sans vif argent ayant des pores droits & larges & en grand nombre, laisse passer une grande partie des rayons. Plus un corps a de pores larges & droits, plus il est diaphane: tel est, disoit-on, le diamant, telle est l'eau elle-même; voilà les idées généralement reçues, & que personne ne révoquoit en doute.

Cependant toutes ces idées sont entiérement fausses, tant ce qui est vraisemblable, est souvent ce qui est le plus éloigné de la vérité. Les Philosophes se sont jettez en cela dans l'erreur, de la même maniere que le Vulgaire y est tout porté, quand il pense que le Soleil n'est pas plus grand qu'il le paroît aux yeux. Voici en quoi consistoit cette erreur des Philosophes.

Aucun corps uni.

Il n'y a aucun corps dont nous puissions unir véritablement la surface. Cependant beaucoup de surfaces nous paraissent unies & d'un poli parfait. Pourquoi voyons nous uni & égal ce qui ne l'est pas? La superficie la plus égale, n'est par rapport aux petits corps qui composent la lumiere, qu'un amas de montagnes, de cavitez & d'intervales, de même que la pointe de l'éguille la plus fine est hérissée en effet d'éminences & d'aspérités que le Microscope découvre.

Tous les faisceaux des rayons de lumiere qui tomberoient sur ces inégalités, se réflechiroient selon qu'ils y seroient tombez; donc étant inégalement tombez ils ne se réflechiroient jamais réguliérement, donc on ne pourroit jamais se voir dans une glace.

Lumiere non réflechie par les parties solides.

La lumiere qui nous apporte notre image de dessus un miroir, ne vient donc point certainement des parties solides de la superficie de ce miroir; elle ne vient point non plus des parties solides de mercure & d'étain étendues derriere cette glace. Ces parties ne sont pas plus planes, pas plus unies, que la glace même. Les parties solides de l'étain & du mercure sont incomparablement plus grandes, plus larges, que les parties solides constituantes de la lumiere; donc si les petites particules de lumiere tombent sur ces grosses parties de mercure, elle s'éparpilleront de tous côtés comme des grains de plomb tombant sur des platras. Quel pouvoir inconnu fait donc rejaillir vers nous la lumiere réguliérement? Il paroît déja que ce ne sont pas les corps qui nous la renvoyent ainsi. Ce qui sembloit le plus connu le plus incontestable chez les hommes, devient un mystère plus grand que ne l'étoit autrefois la pesanteur de l'air. Examinons ce Problême de la Nature, notre étonnement redoublera. On ne peut s'instruire ici qu'avec surprise.

Prenez un morceau, un cube de cristal, par exemple; voici tout ce qui arrive aux rayons du Soleil qui tombent sur ce corps solide & transparent.

1o. Une petite partie des rayons rebondissent à vos yeux de sa premiere surface A. sans toucher même à cette surface, comme il sera plus amplement prouvé.

2o. Une partie des rayons est reçue dans la substance de ce corps, elle s'y joue, s'y perd & s'y éteint.

3o. Une troisième partie parvient à l'intérieur C. de la surface B. & d'auprès de cette surface B. elle retourne en A. & quelques rayons en viennent à vos yeux.

4o. Une quatrième partie passe dans l'air.

5o. Une cinquième partie qui est la plus considérable revient d'au-delà de la surface ultérieure B. dans le cristal, y repasse, & vient se réflechir à vos yeux. N'examinons ici que ces derniers rayons qui, s'échappant de la surface ultérieure B. & ayant trouvé l'air, rejaillissent de dessus cet air vers nous en rentrant à travers le cristal. Certainement ils n'ont pas rencontré dans cet air des parties solides sur lesquelles ils ayent rebondi, car si au lieu d'air ils rencontrent de l'eau à cette surface B. peu reviennent alors, ils entrent dans cette eau, ils la pénétrent en grand nombre. Or l'eau est environ huit cens fois plus pesante, plus solide, moins rare que l'air. Cependant ces rayons ne rejaillissent point de dessus cette eau, & rejaillissent de dessus cet air dans ce verre, donc ce n'est point des parties solides des corps que la lumiere est réflechie.

Voici une observation plus singuliere & plus décisive: Exposez dans une chambre obscure ce cristal A. B. aux rayons du Soleil de façon, que les traits de lumiere parvenus à sa superficie B. fassent un angle de plus de 40. degrez avec la perpendicule.

Expériences décisives.

La plûpart de ces rayons alors ne pénétre plus dans l'air, ils rentrent tous dans ce cristal à l'instant même qu'ils en sortent, ils reviennent, comme vous voyez, mais cette courbure est insensible.

Certainement ce n'est pas la surface solide de l'air qui les a repoussés dans ce verre, plusieurs de ces rayons entroient dans l'air auparavant, quand ils tomboient moins obliquement; pourquoi donc à une obliquité de 40 degrez dix-neuf minutes, la plûpart de ces rayons n'y passe-t-elle plus? trouvent-ils à ce degré plus de résistance, plus de matiere dans cet air, qu'ils n'en trouvent dans ce cristal qu'ils avoient pénétré? trouvent-ils plus de parties solides, dans l'air à quarante degrés & un tiers qu'à 40? l'air est à peu près deux mille quatre cens fois plus rare, moins pesant, moins solide, que le cristal, donc ces rayons devoient passer dans l'air avec deux mille quatre cens fois plus de facilité, qu'ils n'ont pénétré l'épaisseur du cristal. Cependant, malgré cette prodigieuse apparence de facilité, ils sont repoussez; ils le sont donc par une force qui est ici deux mille quatre cens fois plus puissante que l'air, ils ne sont donc point repoussez par l'air; les rayons encore une fois ne sont donc point réflechis à nos yeux par les parties solides de la matiere. La lumiere rejaillit si peu dessus les parties solides des corps, que c'est en effet du vuide qu'elle rejaillit.

Vous venez de voir que la lumiere tombant à un angle de 40. degrez 19. minutes sur du cristal, rejaillit presque toute entiere de dessus l'air qu'elle rencontre à la surface ultérieure de ce cristal. Que la lumiere y tombe à un angle moindre d'une seule minute, il en passe encore moins hors de cette surface dans l'air. Qu'on ôte l'air, il ne passera plus de rayons du tout. C'est une chose démontrée.

Or quand il y a de l'eau à cette surface, beaucoup de rayons entrent dans cette eau au lieu de rejaillir. Quand il n'y a que de l'air, bien moins de rayons entrent dans cet air. Quand il n'y a plus d'air, aucun rayon ne passe; donc c'est du vuide en effet que la lumiere rejaillit.

Voilà donc des preuves indubitables que ce n'est point une superficie solide qui nous renvoye la lumiere: il y a bien d'autres preuves encore de cette nouvelle vérité; en voici une que nous expliquerons à sa place. Tout corps opaque réduit en lame mince, laisse passer à travers sa substance des rayons d'une certaine espèce, & réflechit les autres rayons: or, si la lumiere étoit renvoyée par les corps, tous les rayons qui tomberoient sur ces lames, seroient réflechis sur ces lames. Enfin nous verrons que jamais si étonnant paradoxe n'a été prouvé en plus de manieres. Commençons donc par nous familiariser avec ces Vérités.

1o. Cette lumiere qu'on croit réflechie par la surface solide des corps, rejaillit en effet sans avoir touché à cette surface.

2o. La lumiere n'est point renvoyée de derriere un miroir par la surface solide du vif argent; mais elle est renvoyée du sein des pores du miroir, & des pores du vif argent même.

3o. Il ne faut point, comme on l'a pensé jusques à présent, que les pores de ce vif argent soient très-petits pour réflechir la lumiere, au contraire il faut qu'ils soient larges.

Plus les pores sont petits plus la lumiere passe.

Ce sera encore un nouveau sujet de surprise pour ceux qui n'ont pas étudié cette Philosophie, d'entendre dire que le secret de rendre un corps opaque, est souvent d'élargir ses pores, & que le moyen de le rendre transparent est de les étrecir. L'ordre de la Nature paraitra tout changé: ce qui sembloit devoir faire l'opacité, est précisément ce qui opérera la transparence; & ce qui paraissoit rendre les corps transparens, sera ce qui les rendra opaques. Cependant rien n'est si vrai, & l'expérience la plus grossiére le démontre.

Un papier sec, dont les pores sont très-larges, est opaque, nul rayon de lumiere ne le traverse: étrecissez ses pores en l'imbibant, ou d'eau ou d'huile, il devient transparent; la même chose arrive au linge, au sel, &c.

Il y a donc des principes ignorés qui opérent ces merveilles, des causes qui font rejaillir la lumiere, avant qu'elle ait touché une surface, qui la renvoyent des pores du corps transparent, qui la ramenent du milieu même du vuide; nous sommes invinciblement obligés d'admettre ces faits, quelle qu'en puisse être la cause.

Etudions donc les autres mystères de la lumiere, & voyons si de ces effets surprenans, on remonte jusqu'à quelque Principe incontestable, qu'il faille admettre aussi-bien que ces effets même.


CHAPITRE TROIS.

De la proprieté que la lumiere a de se briser en passant d'une substance dans une autre, & de prendre un nouveau chemin.

LA SECONDE proprieté des rayons de la lumiere qu'il faut bien examiner, est celle de se détourner de leur chemin en passant du Soleil dans l'air, de l'air dans le verre, du verre dans l'eau, &c. C'est cette nouvelle direction dans ces différens milieux, c'est ce brisement de la lumiere qu'on appelle réfraction, c'est par cette proprieté qu'une rame plongée dans l'eau parait courbée au Matelot qui la manie; c'est ce qui fait que dans une jatte nous appercevrons, en y jettant de l'eau, l'objet que nous n'appercevions pas auparavant en nous tenant à la même place.

Enfin c'est par le moyen de cette réfraction que nos yeux jouïssent de la vûe. Les secrets admirables de la réfraction étoient ignorés de l'Antiquité, qui cependant l'avoit sous les yeux, & dont on faisoit usage tous les jours, sans qu'il soit resté un seul Ecrit, qui puisse faire croire qu'on en eût deviné la raison. Ainsi encore aujourd'hui nous ignorons la cause des mouvemens même de notre corps, & des pensées de notre ame; mais cette ignorance est différente. Nous n'avons & nous n'aurons jamais d'Instrument assez fin pour voir les premiers ressorts de nous-mêmes; mais l'industrie humaine s'est faite de nouveaux yeux, qui nous ont fait appercevoir sur les effets de la lumiere, presque tout ce qu'il est permis aux hommes d'en savoir.

Comment la lumiere se brise.

Il faut se faire ici une idée nette d'une expérience très-commune. Une pièce d'or est dans ce bassin: votre œil est placé au bord du bassin à telle distance, que vous ne voyez point cette pièce:

Qu'on y verse de l'eau, vous ne l'apperceviez point d'abord où elle étoit: maintenant vous la voyez où elle n'est pas; qu'est-il arrivé?

L'objet A. réflechit un rayon qui vient frapper contre le bord du bassin, & qui n'arrivera jamais à votre œil: il réflechit aussi ce rayon A. B. qui passe par-dessus votre œil: or à présent vous recevez ce rayon A. B. ce n'est point votre œil qui a changé de place, c'est donc le rayon A. B.; il s'est manifestement detourné au bord de ce bassin en passant de l'eau dans l'air, ainsi il frappe votre œil en C.

Mais vous voyez toujours les objets en ligne droite, donc vous voyez l'objet suivant la ligne droite C. D. donc vous voyez l'objet au point D. au-dessus du lieu où il est en effet.

Si ce rayon se brise en un sens, quand il passe de l'eau dans l'air, il doit se briser en un sens contraire, quand il entre de l'air dans l'eau.

J'élève sur cette eau une perpendiculaire, le rayon A. qui partant du point lumineux se brise au point B. & s'approche dans l'eau de cette perpendiculaire en suivant le chemin B. D. & ce même rayon D. B. en passant de l'eau dans l'air, se brise en allant vers A., & en s'éloignant de cette même perpendiculaire; la lumiere se réfracte donc selon les milieux qu'elle traverse. C'est sur ce Principe que la Nature a disposé les humeurs différentes qui sont dans nos yeux, afin que les traits de lumiere, qui passent à travers ces humeurs, se brisent de façon qu'ils se réunissent après dans un point sur notre rétine: c'est enfin sur ce Principe que nous fabriquons les Lunettes dont les verres éprouvent des réfractions encore plus grandes qu'il ne s'en fait dans nos yeux, & qui, apportant ainsi plus de rayons réunis, peuvent étendre, jusqu'à deux cens fois, la force de notre vûe; de même que l'invention des leviers a donné une nouvelle force à nos bras, qui sont des leviers naturels. Nous allions expliquer la raison que Neuton a trouvée de cette proprieté de la lumiere; mais vous voulez voir auparavant comment cette réfraction agit dans nos yeux, & comment le sens de la vûe, le plus étendu de tous nos Sens, doit son existence à la réfraction. Quelque connue que soit cette matiere, il est bon de fortifier par un nouvel examen les idées que vous en avez. Les personnes qui pourront lire ce petit Ouvrage, seront bien-aises de ne point chercher ailleurs ce qu'elles desireroient savoir touchant la vûe.


CHAPITRE QUATRE.

De la conformation de nos yeux, comment la lumiere entre & agit dans cet organe.

Description de l'œil.

POur connaitre l'œil de l'homme en physicien qui ne considere que la vision, il faut d'abord savoir que la premiere enveloppe blanche, le rempart & l'ornement de l'œil, ne transmet aucun rayon. Plus ce blanc de l'œil est fort & uni, plus il réflechit de lumiere; & lorsque quelque passion vive porte au visage de nouveaux esprits, qui viennent encore tendre & ébranler cette tunique, alors des étincelles semblent en sortir.

Au milieu de cette membrane s'éleve un peu la cornée, mince, dure & transparente, telle précisément que le verre de votre montre que vous placeriéz en cette façon sur une boule.

Sous cette cornée, est l'iris, autre membrane, qui, colorée par elle-même, répand ses couleurs sur cette cornée transparente qui la couvre; c'est cette iris tantôt brune, tantôt bleue, qui rend les yeux bleus ou noirs. Elle est percée dans son milieu, qui ainsi paroît toujours noir; & ce milieu est la prunelle de l'œil. C'est par cette ouverture que sont introduits les rayons de la lumiere: elle s'agrandit par un mouvement involontaire dans les endroits obscurs, pour recevoir plus de rayons; elle se resserre ensuite, lorsqu'une grande clarté l'offense.

Les rayons admis par cette prunelle ont déja souffert une réfraction assez forte en passant à travers la cornée dont elle est couverte. Imaginez cette cornée comme le verre de votre montre, il est convexe en dehors, & concave en dedans: tous les rayons obliques se sont brisés dans l'épaisseur de ce verre; mais ensuite sa concavité rétablit ce que sa convéxité a brisé. La même chose arrive dans notre cornée. Les rayons ainsi rompus & brisés, trouvent après avoir franchi la cornée, une humeur transparente dans laquelle ils passent. Cette eau est nommée l'humeur aqueuse. Les Anatomistes ne s'accordent point encore entr'eux sur la forme de ce petit réservoir. Mais, quelle que soit sa figure, la Nature semble avoir placé là cette humeur claire & limpide, pour opérer des réfractions, pour transmettre purement la lumiere, pour que le cristallin, qui est derriere, puisse s'avancer sans effort, & changer librement de figure, pour que l'humidité nécessaire s'entretienne, &c.

Enfin, les rayons étant sortis de cette eau trouvent une espèce de diamant liquide, taillé en lentille, & enchassé dans une membrane déliée & diaphane elle-même. Ce diamant est le cristallin, c'est lui qui rompt tous les rayons obliques, c'est un principal organe de la réfraction & de la vûe; parfaitement semblable en cela à un Verre lenticulaire de Lunette. Soit ce cristallin ou ce Verre lenticulaire.

Le rayon perpendiculaire A. le pénétre, sans se détourner; mais les rayons obliques B & C. se détournent dans l'épaisseur du Verre en s'approchant des perpendiculaires, qu'on tireroit sur les endroits où ils tombent. Ensuite quand ils sortent du Verre pour passer dans l'air, ils se brisent encore en s'éloignant du perpendicule; ce nouveau brisement est précisément ce qui les fait converger en D. foyer du Verre lenticulaire.

Or la rétine, cette membrane legére, cette expansion du nerf optique, qui tapisse le fond de notre œil, est le foyer du cristallin: c'est à cette rétine que les rayons aboutissent: mais avant d'y parvenir, ils rencontrent encore un nouveau milieu qu'ils traversent; ce nouveau milieu est l'humeur vitrée, moins solide que le cristallin, moins fluide que l'humeur aqueuse.

C'est dans cette humeur vitrée que les rayons ont le tems de s'assembler, avant de venir faire leur derniere réunion sur les points du fond de notre œil. Figurez-vous donc sous cette lentille du cristallin, cette humeur vitrée sur laquelle le cristallin s'appuye; cette humeur tient le cristallin dans sa concavité, & est arondie vers la rétine.

Les rayons en s'échapant de cette derniere humeur achevent donc de converger. Chaque faisceau de rayons parti d'un point de l'objet vient fraper un point de notre rétine.

Une figure, où chaque partie de l'œil se voit sous son propre nom, expliquera mieux tout cet artifice, que ne pourroient faire des lignes, des A. & des B. La structure des yeux ainsi développée, on peut connaitre aisément pourquoi on a si souvent besoin du secours d'un Verre, & quel est l'usage des Lunettes.

Oeil presbite.

Souvent un œil sera trop plat, soit par la conformation de sa cornée, soit par son cristallin, que l'âge ou la maladie aura desseché; alors les réfractions seront plus faibles & en moindre quantité, les rayons ne se rassembleront plus sur la rétine. Considérez cet œil trop plat que l'on nomme œil de presbite.

Ne regardons, pour plus de facilité, que trois faisceaux, trois cones des rayons, qui de l'objet tombent sur cet œil, ils se réuniront aux points A. A. A. par delà la rétine, il verra les objets confus.

La Nature a fourni un secours contre cet inconvénient, par la force qu'elle a donnée aux muscles de l'œil d'allonger, ou d'aplatir l'œil, de l'approcher ou de le reculer de la rétine. Ainsi dans cet œil de Vieillard, ou dans cet œil malade, le cristallin a la faculté de s'avancer un peu, & d'aller en D. D.: alors l'espace entre le cristallin & le fond de la rétine deviennent plus grands, les rayons ont le tems de venir se réunir sur la rétine, au lieu d'aller au-delà; mais lorsque cette force est perdue, l'industrie humaine y supplée, un verre lenticulaire est mis entre l'objet & l'œil affaibli. L'effet de ce verre est de rapprocher les rayons qu'il a reçus, l'œil les reçoit donc & plus rassemblés & en plus grand nombre: ils viennent aboutir à un point de la rétine comme il le faut; alors la vûe est nette & distincte.

Oeil myope.

Regardez cet autre œil, qui a une maladie contraire, il est trop rond: les rayons se réunissent trop tôt, comme vous le voyez au point B. ils se croisent trop vîte, ils se séparent en B. & vont faire une tache sur la rétine. C'est-là ce qu'on appelle un œil myope. Cet inconvénient diminue à mesure que l'âge en amene d'autres, qui sont la sécheresse & la faiblesse: elles aplatissent insensiblement cet œil trop rond; & voilà pourquoi on dit que les vûes courtes durent plus long-tems. Ce n'est pas qu'en effet elles durent plus que les autres, mais c'est qu'à un certain âge, l'œil desseché s'aplatit: alors celui qui étoit obligé auparavant d'approcher son Livre à trois ou quatre pouces de son œil, peut lire quelquefois à un pied de distance: mais aussi sa vûe devient bien-tôt trouble & confuse, il ne peut voir les objets éloignés; telle est notre condition, qu'un défaut ne se répare presque jamais que par un autre.

Or, tandis que cet œil est trop rond, il lui faut un Verre qui empêche les rayons de se réunir si vîte. Ce Verre fera le contraire du premier, au lieu d'être convexe des deux côtés, il sera un peu concave des deux côtés, & les rayons divergeront dans celui-ci, au lieu qu'ils convergeroient dans l'autre. Ils viendront par conséquent se réunir plus loin, qu'ils ne faisoient auparavant dans l'œil, & alors cet œil jouïra d'une vûe parfaite. On proportionne la convéxité & la concavité des Verres aux défauts de nos yeux: c'est ce qui fait que les mêmes Lunettes qui rendent la vûe nette à un Vieillard, ne seront d'aucun secours à un autre; car il n'y a ni deux maladies, ni deux hommes, ni deux choses au monde égales.

L'Antiquité ne connaissoit point ces Lunettes. Cependant elle connaissoit les Miroirs ardents; une vérité découverte n'est pas toujours une raison pour qu'on découvre les autres véritéz qui y tiennent. L'attraction de l'Aimant étoit connue, & sa direction échapoit aux yeux. La démonstration de la circulation du sang étoit dans la saignée même que pratiquoient tous les Médecins Grecs, & cependant personne ne se doutoit que le sang circulât.

Il y a grande apparence que c'est du tems de Roger Bacon au XIII. Siècle que l'on trouva ces lunettes appellées besicles, & les loupes qui donnent de nouveaux yeux aux Vieillards; car il est le premier qui en parle.

Vous venez de voir les effets que la réfraction fait dans vos yeux, soit que les rayons arrivent sans secours intermédiaire, soit qu'ils ayent traversé des cristaux: vous concevez que sans cette réfraction opérée dans nos yeux, & sans cette réflexion des rayons de dessus les surfaces des corps vers nous, les organes de la vûe nous seroient inutiles. Les moyens que la Nature employe pour faire cette réfraction, les loix qu'elle suit, sont des mystères que nous allons déveloper. Il faut auparavant achever ce que nous avons à dire touchant la vûe, il faut satisfaire à ces questions si naturelles: Pourquoi nous voyons les objets au-delà d'un Miroir, & non sur le Miroir même? Pourquoi un Miroir concave rend l'objet plus grand? Pourquoi le Miroir convexe rend l'objet plus petit? Pourquoi les Telescopes rapprochent & agrandissent les choses? Par quel artifice la Nature nous fait connaitre les grandeurs, les distances, les situations? Quelle est enfin la véritable raison, qui fait que nous voyons les objets tels qu'ils sont, quoique dans nos yeux ils se peignent renversez? Il n'y a rien là qui ne mérite la curiosité de tout Etre pensant; mais nous ne nous étendrions pas sur ces sujets que tant d'illustres Ecrivains ont traités, & nous renverrions à eux, si nous n'avions pas à faire connaitre quelques vérités assez nouvelles, & curieuses pour un petit nombre de Lecteurs.


CHAPITRE CINQ.

Des Miroirs, des Telescopes: des Raisons que les Mathématiques donnent des mystères de la vision; que ces raisons ne sont point du tout suffisantes.

LES RAYONS qu'une Puissance, jusqu'à nos jours inconnue, fait rejaillir à vos yeux de dessus la surface d'un Miroir, sans toucher à cette surface, & des pores de ce Miroir, sans toucher aux parties solides; ces rayons, dis-je, retournent à vos yeux dans le même sens qu'ils sont arrivés à ce Miroir. Si c'est votre visage que vous regardez, les rayons partis de votre visage parallèlement & en perpendiculaire sur le Miroir, y retournent de même qu'une balle qui rebondit perpendiculairement sur le plancher.

Miroir plan.

Si vous regardez dans ce Miroir M. un objet qui est à côté de vous comme A. il arrive aux rayons partis de cet objet la même chose qu'à une balle, qui rebondiroit en B. où est votre œil. C'est ce qu'on appelle l'angle d'incidence égal à l'angle de réflexion.

La ligne A. C. est la ligne d'incidence, la ligne C. B. est la ligne de réflexion. On sait assez, & le seul énoncé le démontre, que ces lignes forment des angles égaux sur la surface de la glace; maintenant pourquoi ne vois-je l'objet ni en A. où il est, ni dans C. dont viennent à mes yeux les rayons, mais en D. derriere le Miroir même?

La Géométrie vous dira: c'est que l'angle d'incidence est égal à l'angle de réflexion: c'est que votre œil en B. rapporte l'objet en D.; c'est que les objets ne peuvent agir sur vous qu'en ligne droite, & que la ligne droite continuée dans votre œil B. jusques derriere le miroir en D. est aussi longue que la ligne A C. & la ligne C B. prises ensemble.

Enfin elle vous dira encore: vous ne voyez jamais les objets que du point où les rayons commencent à diverger. Soit ce Miroir M. I.

Miroir plan.

Les faisceaux de rayons qui partent de chaque point de l'objet A, commencent à diverger dès l'instant qu'ils partent de l'objet; ils arrivent sur la surface du Miroir: là chacun de ces rayons tombe, s'écarte, & se réflechit vers l'œil. Cet œil les rapporte aux points D. D. au bout des lignes droites, où ces mêmes rayons se rencontreroient; mais en se rencontrant aux points D. D. ces rayons feroient la même chose qu'aux points A. A. ils commenceroient à diverger; donc vous voyez l'objet A. A. aux points D. D.

Ces angles & ces lignes servent, sans doute, à vous donner une intelligence de cet artifice de la Nature; mais il s'en faut beaucoup qu'elles puissent vous apprendre, la raison Physique efficiente, pourquoi votre ame rapporte sans hésiter l'objet au-delà du Miroir à la même distance qu'il est au deçà. Ces lignes vous représentent ce qui arrive, mais elles ne vous apprennent point pourquoi cela arrive.

Si vous voulez savoir comment un Miroir convexe diminue les objets, & comment un Miroir concave les augmente, ces lignes d'incidence & de réflexion vous en rendront la même raison.

Miroir convexe.

On vous dit: Ce cone de rayons qui diverge du point A. & qui tombe sur ce Miroir convexe, y fait des angles d'incidence égaux aux angles de réflexion, dont les lignes vont dans notre œil. Or ces angles sont plus petits que s'ils étoient tombés sur une surface plane, donc s'ils sont supposés passer en B. ils y convergeront bien plutôt, donc l'objet qui seroit en B. B. seroit plus petit.

Or votre œil rapporte l'objet en B. B. aux points d'où les rayons commenceroient à diverger, donc l'objet doit vous paraitre plus petit, comme il l'est en effet dans cette figure. Par la même raison qu'il parait plus petit, il vous parait plus près, puisqu'en effet les points où aboutiroient les rayons B. B. sont plus près du Miroir que ne le sont les rayons A. A.

Par la raison des contraires, vous devez voir les objets plus grands & plus éloignés dans un Miroir concave, en plaçant l'objet assez près du Miroir.

Car les cones des rayons A. A. venant à diverger sur le Miroir aux points où ces rayons tombent, s'ils se réflechissoient à travers ce Miroir, ils ne se réuniroient qu'en B. B. donc c'est en B. B. que vous les voyez. Or B. B. est plus grand & plus éloigné du Miroir que n'est A. A. donc vous verrez l'objet plus grand, & plus loin.

Voilà en général ce qui se passe dans les rayons réflechis à vos yeux, & ce seul Principe, que l'angle d'incidence est toujours égal à l'angle de réflexion, est le premier fondement de tous les mystères de la Catoptrique.

MAINTENANT il s'agit de savoir, comment les lunettes augmentent ces grandeurs & raprochent ces distances. Enfin pourquoi les objets se peignant renversés dans vos yeux, vous les voyez cependant comme ils sont.

Explications géométriques de la vision.

A l'égard des grandeurs & des distances, voici ce que les Mathématiques vous en apprendront. Plus un objet fera dans votre œil un grand angle, plus l'objet vous paraitra grand: rien n'est plus simple. Cette ligne H. K. que vous voyez, à cent pas, trace un angle dans l'œil A. (figure premiere); à deux cens pas, elle trace un angle la moitié plus petit dans l'œil B. (figure seconde). Or l'angle qui se forme dans votre rétine & dont votre rétine est la baze, est comme l'angle dont l'objet est la baze. Ce sont des angles opposez au sommet: donc par les premieres notions des Elémens de la Géométrie ils sont égaux; donc si l'angle formé dans l'œil A. est double de l'angle formé dans l'œil B., cet objet paraitra une fois plus grand à l'œil A. qu'à l'œil B.

Maintenant pour que l'œil étant en B. voye l'objet aussi grand, que le voit l'œil en A., il faut faire en sorte que cet œil B. reçoive un angle aussi grand que celui de l'œil A. qui est une fois plus près. Les verres d'un télescope feront cet effet.

Ne mettons ici qu'un seul verre pour plus de facilité, & faisons abstraction des autres effets de plusieurs verres. L'objet H. K. (troisième figure) envoye ses rayons à ce verre. Ils se réunissent à quelque distance du verre. Concevons un verre taillé de sorte, que ces rayons se croisent pour aller former dans l'œil en C. un angle aussi grand que celui de l'œil en A. alors l'œil, nous dit-on, juge par cet angle. Il voit donc alors l'objet de la même grandeur, que le voit l'œil en A. Mais en A. il le voit à cent pas de distance: donc en C. recevant le même angle, il le verra encore à cent pas de distance. Tout l'effet des verres de lunettes multipliez, & des télescopes divers, & des microscopes qui agrandissent les objets, consiste donc à faire voir les choses sous un plus grand angle. L'objet A. B. est vu par le moyen de ce verre sous l'angle D, C, D. qui est bien plus grand que l'angle A, C, B.

Vous demandez encore aux règles d'optique, pourquoi vous voyez les objets dans leur situation, quoiqu'ils se peignent renversez sur notre rétine?

Le rayon qui part de la tête de cet homme A., vient au point inférieur de votre rétine A. ses pied B. sont vus par les rayons B. B. au point supérieur de votre rétine B. Ainsi cet homme est peint réellement la tête en bas & les pieds en haut au fond de vos yeux. Pourquoi donc ne voyez-vous pas cet homme renversé, mais droit, & tel qu'il est?

Pour résoudre cette question, on se sert de la comparaison de l'aveugle, qui tient dans ses mains deux bâtons croisez avec lesquels il devine très-bien la position des objets.

Car le point A., qui est à gauche, étant senti par la main droite à l'aide du bâton, il le juge aussi-tôt à gauche; & le point B. que sa main gauche a senti par l'entremise de l'autre bâton, il le juge à droite sans se tromper.

Tous les Maîtres d'optique nous disent donc, que la partie inférieure de l'œil rapporte tout d'un coup sa sensation à la partie supérieure A. de l'objet, & que la partie supérieure de la rétine rapporte aussi naturellement la sensation à la partie inférieure B.; ainsi on voit l'objet dans sa situation véritable.

Nul rapport immédiat entre les règles d'optique & nos sensations.

Quand vous aurez connu parfaitement tous ces angles, & toutes ces lignes Mathématiques, par lesquelles on suit le chemin de la lumiere jusqu'au fond de l'œil, ne croyez pas pour cela savoir comment vous appercevez les grandeurs, les distances, les situations des choses. Les proportions géométriques de ces angles & de ces lignes sont justes, il est vrai; mais il n'y a pas plus de rapport entr'elles & nos sensations, qu'entre le son que nous entendons & la grandeur, la distance, la situation de la chose entendue. Par le son, mon oreille est frappée; j'entends des tons & rien de plus. Par la vûe, mon œil est ébranlé; je vois des couleurs & rien de plus. Non-seulement les proportions de ces angles, & de ces lignes, ne peuvent en aucune maniere être la cause immédiate du jugement que je forme des objets; mais en plusieurs cas ces proportions ne s'accordent point du tout avec la façon dont nous voyons les objets.

Exemple en preuve.

Par exemple, un homme vu à quatre pas, & à huit pas, est vu de même grandeur. Cependant l'image de cet homme, à quatre pas, est précisément double dans votre œil, de celle qu'il y trace à huit pas. Les angles sont différens, & vous voyez l'objet toujours également grand; donc il est évident par ce seul exemple, choisi entre plusieurs, que ces angles & ces lignes ne sont point du tout la cause immédiate de la maniere dont nous voyons.

Avant donc de continuer les recherches que nous avons commencées sur la lumiere, & sur les loix mécaniques de la Nature, vous m'ordonnez de dire ici comment les idées des distances, des grandeurs, des situations, des objets, sont reçues dans notre ame. Cet examen nous fournira quelque chose de nouveau & de vrai, c'est la seule excuse d'un Livre.


CHAPITRE SIXIE'ME.

Comment nous connaissons les distances, les grandeurs, les figures, les situations.

Les angles, ni les lignes optiques, ne peuvent nous faire connaitre les distances.

COMMENÇONS par la distance. Il est clair qu'elle ne peut être apperçue immédiatement par elle-même; car la distance n'est qu'une ligne de l'objet à nous. Cette ligne se termine à un point, nous ne sentons donc que ce point; & soit que l'objet existe à mille lieues, ou qu'il soit à un pied, ce point est toujours le même.

Nous n'avons donc aucun moyen immédiat, pour appercevoir tout d'un coup la distance, comme nous en avons, pour sentir par l'attouchement, si un corps est dur ou mou; par le goût, s'il est doux ou amer; par l'ouïe, si de deux sons l'un est grave & l'autre aigu. Il faut donc que l'idée de la distance nous vienne par le moyen d'une autre idée intermédiaire: mais il faut au moins que j'apperçoive cette intermédiaire; car une idée que je n'aurai point, ne servira certainement pas à m'en faire avoir une autre. Je dis qu'une telle maison est à un mille d'une telle riviére; mais si je ne sai pas où est cette riviére, je ne sai certainement pas où est cette maison. Un corps cède aisément à l'impression de ma main; je conclus immédiatement sa mollesse. Un autre résiste, je sens immédiatement sa dureté; il faudroit donc que je sentisse les angles formés dans mon œil, pour en conclure immédiatement les distances des objets. Mais personne ne s'avise de songer à ces angles quand il regarde un objet. La plûpart des hommes ne savent pas même si ces angles existent; donc il est évident que ces angles ne peuvent être la cause immédiate de ce que vous connaissez les distances.

Exemple en preuve.

Celui qui, pour la premiere fois de sa vie, entendroit le bruit du Canon, ou le son d'un Concert, ne pourroit juger si on tire ce canon, ou si on exécute ce concert à une lieue, ou à trente pas. Il n'y a que l'expérience qui puisse l'accoutumer à juger de la distance qui est entre lui & l'endroit d'où part ce bruit. Les vibrations, les ondulations de l'air, portent un son à ses oreilles, ou plutôt à son ame; mais ce bruit n'avertit pas plus son ame de l'endroit où le bruit commence, qu'il ne lui apprend la forme du canon ou des instrumens de Musique.

C'est la même chose précisément par rapport aux rayons de lumiere qui partent d'un objet, ils ne nous apprennent point du tout où est cet objet.

Ces lignes optiques ne font connaitre ni les grandeurs ni les figures.

Ils ne nous font pas connaitre davantage les grandeurs ni même les figures.

Je vois de loin une espèce de petite Tour. J'avance, j'apperçois, & je touche un grand Bâtiment quadrangulaire. Certainement ce que je vois & ce que je touche, n'est pas ce que je voiois. Ce petit objet rond qui étoit dans mes yeux, n'est point ce grand Bâtiment quarré.

Exemple en preuve.

Autre chose est donc l'objet mesurable & tangible, autre chose est l'objet visible. J'entends de ma chambre le bruit d'un carosse: j'ouvre la fenêtre & je le vois; je descends & j'entre dedans. Or ce carosse que j'ai entendu, ce carosse que j'ai vu, ce carosse que j'ai touché, sont trois objets absolument divers de trois de mes sens, qui n'ont aucun rapport immédiat les uns avec les autres.

Il y a bien plus: il est démontré, comme je l'ai dit, qu'il se forme dans mon œil un angle une fois plus grand, quand je vois un homme à quatre pieds de moi, que quand je vois le même homme à huit pieds de moi. Cependant je vois toujours cet homme de la même grandeur: comment mon sentiment contredit-il ainsi le mécanisme de mes organes? L'objet est réellement une fois plus petit dans mes yeux, & je le vois une fois plus grand. C'est en vain qu'on veut expliquer ce mystère par le chemin, ou par la forme que prend le cristallin dans nos yeux. Quelque supposition que l'on fasse, l'angle sous lequel je vois un homme à quatre pieds de moi, est toujours double de l'angle sous lequel je le vois à huit pieds; & la Géométrie ne résoudra jamais ce Problême.

Ni la situation des objets.

Ces lignes & ces angles géométriques ne sont pas plus réellement la cause de ce que nous voyons les objets à leur place, que de ce que nous les voyons de telles grandeurs, & à telle distance.

L'ame ne considere pas si telle partie va se peindre au bas de l'œil, elle ne rapporte rien à des lignes qu'elle ne voit point. L'œil se baisse seulement, pour voir ce qui est près de la terre, & se relève pour voir ce qui est au-dessus de la terre.

Tout cela ne pouvoit être éclairci, & mis hors de toute contestation, que par quelqu'aveugle-né, à qui on auroit donné le sens de la vûe. Car si cet aveugle, au moment qu'il eût ouvert les yeux, eût jugé des distances, des grandeurs & des situations, il eut été vrai que les angles optiques, formez tout d'un coup dans sa rétine, eussent été les causes immédiates de ses sentimens. Aussi le Docteur Barclay assûroit après Mr. Loke (& allant même en cela plus loin que Loke) que ni situation, ni grandeur, ni distance, ni figure, ne seroit aucunement discernée par cet aveugle, dont les yeux recevroient tout d'un coup la lumiere.

Preuve par l'expérience de l'aveugle-né guéri par Chiselden.

Mais où trouver l'aveugle, dont dépendoit la décision indubitable de cette question? Enfin en 1729. Mr. Chiselden, un de ces fameux Chirurgiens, qui joignent l'addresse de la main aux plus grandes lumieres de l'esprit, ayant imaginé qu'on pouvoit donner la vûe à un aveugle-né, en lui abbaissant ce qu'on appelle des cataractes, qu'il soupçonnoit formées dans ses yeux, presqu'au moment de sa naissance, il proposa l'opération. L'aveugle eut de la peine à y consentir. Il ne concevoit pas trop, que le sens de la vûe pût beaucoup augmenter ses plaisirs. Sans l'envie qu'on lui inspira d'apprendre à lire & à écrire, il n'eût point desiré de voir. Il vérifioit par cette indifférence, qu'il est impossible d'être malheureux, par la privation des biens dont on n'a pas d'idée: vérité bien importante. Quoi qu'il en soit, l'opération fut faite & réussit. Ce jeune homme d'environ quatorze ans, vit la lumiere pour la premiere fois. Son expérience confirma tout ce que Loke & Barclay avoient si bien prévu. Il ne distingua de long-tems ni grandeur, ni distance, ni situation, ni même figure. Un objet d'un pouce, mis devant son œil, & qui lui cachoit une maison, lui paraissoit aussi grand que la maison. Tout ce qu'il voioit, lui sembloit d'abord être sur ses yeux, & les toucher comme les objets du tact touchent la peau. Il ne pouvoit distinguer ce qu'il avoit jugé rond à l'aide de ses mains, d'avec ce qu'il avoit jugé angulaire, ni discerner avec ses yeux, si ce que ses mains avoient senti être en haut ou en bas, étoit en effet en haut ou en bas. Il étoit si loin de connaitre les grandeurs, qu'après avoir enfin conçu par la vûe, que sa maison étoit plus grande que sa chambre, il ne concevoit pas comment la vûe pouvoit donner cette idée. Ce ne fut qu'au bout de deux mois d'expérience, qu'il put appercevoir que les tableaux représentoient des corps solides: & lorsqu'après ce long tatonnement d'un sens nouveau en lui, il eut senti que des corps, & non des surfaces seules, étoient peints dans les tableaux; il y porta la main, & fut étonné de ne point trouver avec ses mains ces corps solides, dont il commençoit à appercevoir les représentations. Il demandoit quel étoit le trompeur, du sens du toucher, ou du sens de la vûe.

Ce fut donc une décision irrévocable, que la maniere dont nous voyons les choses, n'est point du tout la suite immédiate des angles formés dans nos yeux; car ces angles Mathématiques étoient dans les yeux de cet homme, comme dans les nôtres, & ne lui servoient de rien sans les recours de l'expérience & des autres sens.

Comment nous connaissons les distances & les grandeurs.

Comment nous représentons-nous donc les grandeurs & les distances? De la même façon dont nous imaginons les passions des hommes, par les couleurs qu'elles peignent sur leurs visages, & par l'altération qu'elles portent dans leurs traits. Il n'y a personne, qui ne lise tout d'un coup sur le front d'un autre, la honte, ou la colére. C'est la Langue que la Nature parle à tous les yeux; mais l'expérience seule apprend ce langage. Aussi l'expérience seule nous apprend, que quand un objet est trop loin, nous le voyons confusément & faiblement. Delà nous formons des idées, qui ensuite accompagnent toujours la sensation de la vûe. Ainsi tout homme qui, à dix pas, aura vu son cheval haut de cinq pieds, s'il voit, quelques minutes après, ce cheval comme un mouton, son ame, par un jugement involontaire, conclud à l'instant ce cheval est très-loin.

Il est bien vrai que, quand je vois mon cheval gros comme un mouton, il se forme alors dans mon œil une peinture plus petite, un angle plus aigu; mais c'est-là ce qui accompagne, non ce qui cause mon sentiment. De même il se fait un autre ébranlement dans mon cerveau, quand je vois un homme rougir de honte, que quand je le vois rougir de colére; mais ces différentes impressions ne m'apprendroient rien de ce qui se passe dans l'ame de cet homme, sans l'expérience dont la voix seule se fait entendre.

Loin que cet angle soit la cause immédiate de ce que je juge qu'un grand cheval est très-loin, quand je vois ce cheval fort petit; il arrive au contraire, à tous les momens, que je vois ce même cheval également grand, à dix pas, à vingt, à trente pas, quoique l'angle à dix pas soit double, triple, quadruple.

Exemple.

Je regarde de fort loin, par un petit trou, un homme posté sur un toit, le lointain & le peu de rayons m'empêchent d'abord de distinguer si c'est un homme: l'objet me parait très-petit, je crois voir une statue de deux pieds tout au plus: l'objet se remue, je juge que c'est un homme, & dès ce même instant cet homme me parait de la grandeur ordinaire; d'où viennent ces deux jugemens si différens?

Quand j'ai cru voir une statue, je l'ai imaginée de deux pieds, parce que je la voiois sous un tel angle: nulle expérience ne plioit mon ame à démentir les traits imprimés dans ma rétine; mais dès que j'ai jugé que c'étoit un homme, la liaison mise par l'expérience, dans mon cerveau, entre l'idée d'un homme & l'idée de la hauteur de cinq à six pieds, me force, sans que j'y pense, à imaginer, par un jugement soudain, que je vois un homme de telle hauteur, & à voir une telle hauteur en effet.

Nous apprenons à voir comme à lire.

Il faut absolument conclure de tout ceci, que les distances, les grandeurs, les situations, ne sont pas, à proprement parler, des choses visibles, c'est-à-dire, ne sont pas les objets propres & immédiats de la vûe. L'objet propre & immédiat de la vûe, n'est autre chose que la lumiere colorée: tout le reste, nous ne le sentons qu'à la longue & par expérience. Nous apprenons à voir, précisément comme nous apprenons à parler & à lire. La différence est, que l'art de voir est plus facile, & que la Nature est également à tous notre Maître.

La vûe ne peut faire connaitre l'étendue.

Les jugemens soudains, presque uniformes, que toutes nos ames, à un certain âge, portent des distances, des grandeurs, des situations, nous font penser, qu'il n'y a qu'à ouvrir les yeux, pour voir de la maniere dont nous voyons. On se trompe; il y faut le secours des autres sens. Si les hommes n'avoient que le sens de la vûe, ils n'auroient aucun moyen pour connaitre l'étendue, en longueur, largeur, & profondeur; & un pur Esprit ne pourroit jamais la connaitre, à moins que Dieu ne la lui revelât. Il est très-difficile de séparer dans notre entendement l'extension d'un objet d'avec les couleurs de cet objet. Nous ne voyons jamais rien que d'étendu, & de-là nous sommes tout portez à croire, que nous voyons en effet l'étendue. Nous ne pouvons guère distinguer dans notre ame ce jaune que nous voyons dans un Louïs d'or, d'avec ce Louïs d'or dont nous voyons le jaune. C'est comme, lorsque nous entendons prononcer ce mot Louïs d'or, nous ne pouvons nous empêcher d'attacher, malgré nous, l'idée de cette monnoye au son que nous entendons prononcer.

Si tous les hommes parloient la même Langue, nous serions toujours prêts à croire, qu'il y auroit une connexion nécessaire entre les mots & les idées. Or tous les hommes ont ici le même langage, en fait d'imagination. La Nature leur dit à tous: Quand vous aurez vu des couleurs pendant un certain tems, votre imagination vous représentera à tous, de la même façon, les corps auxquels ces couleurs semblent attachées. Ce jugement prompt & involontaire que vous formerez, vous sera utile dans le cours de votre vie; car s'il falloit attendre pour estimer les distances, les grandeurs, les situations, de tout ce qui vous environne, que vous eussiez examiné des angles & des rayons visuels; vous seriez morts avant de savoir, si les choses dont vous avez besoin, sont à dix pas de vous, ou à cent millions des lieues, & si elles sont de la grosseur d'un ciron, ou d'une montagne. Il vaudroit beaucoup mieux pour vous être nés aveugles.

Nous avons donc très-grand tort quand nous disons que nos Sens nous trompent. Chacun de nos sens fait la fonction à laquelle la Nature l'a destiné. Ils s'aident mutuellement pour envoyer à notre ame, par les mains de l'expérience, la mesure des connaissances que notre état comporte. Nous demandons à nos Sens, ce qu'ils ne sont point faits pour nous donner. Nous voudrions que nos yeux nous fissent connaitre la solidité, la grandeur, la distance, &c.; mais il faut que le toucher s'accorde en cela avec la vûe, & que l'expérience les seconde. Si le Pere Mallebranche avoit envisagé la Nature par ce côté, il eût attribué moins d'erreurs à nos Sens qui sont les seules sources de toutes nos idées.

Il est tems de reprendre le fil des découvertes de Neuton, & de rentrer dans l'examen Physique & Mathématique des choses.


CHAPITRE SEPT.

De la cause qui fait briser les rayons de la lumiere en passant d'une substance dans une autre; que cette cause est une loi générale de la Nature inconnue avant Neuton; que l'inflexion de la lumiere est encore un effet de cette cause, &c.

NOUS avons déja vu l'artifice presque incompréhensible de la réflexion de la lumiere, que l'impulsion connue ne peut causer. Celui de la réfraction dont nous allons reprendre l'examen n'est pas moins surprenant.

Ce que c'est que réfraction.

Commençons par nous bien affermir dans une idée nette de la chose qu'il faut expliquer. Souvenons-nous bien, que quand la lumiere tombe d'une substance plus rare, plus legére comme l'air, dans une substance plus pesante, plus dense comme l'eau, & qui semble lui devoir résister davantage, la lumiere alors quitte son chemin & se brise en s'approchant d'une perpendicule, qu'on éleveroit sur la surface de cette eau.

Mr. Le Clerc, dans sa Physique, a dit tout le contraire faute d'attention. En son Livre cinq, chapitre huit: «Plus la résistance des corps est grande, dit-il, plus la lumiere qui tombe dans eux s'éloigne de la perpendicule. Ainsi le rayon s'éloigne de la perpendicule en passant de l'air dans l'eau». Ce n'est pas la seule méprise qui soit dans le Clerc, & un homme qui auroit le malheur d'étudier la Physique dans les Ecrits de cet Auteur, n'auroit guère que des idées fausses ou confuses.

Pour avoir une idée bien nette de cette vérité, regardez ce rayon qui tombe de l'air dans ce cristal.

Vous savez comme il se brise. Ce rayon A E. fait un angle avec cette perpendiculaire B E. en tombant sur la surface de ce cristal. Ce même rayon réfracté dans ce cristal, fait un autre angle avec cette même perpendiculaire qui régle sa réfraction. Il fallut mesurer cette incidence & ce brisement de la lumiere. Snellius trouva le premier la proportion constante, suivant laquelle les rayons se rompent dans ces différens milieux. On en fit l'honneur à Descartes. On attribue toujours au Philosophe le plus accrédité les découvertes qu'il rend publiques: il profite des travaux obscurs d'autrui, & il augmente sa gloire de leurs recherches. La découverte de Snellius étoit alors un Chef-d'œuvre de sagacité. Cette proportion découverte par Snellius est très-aisée à entendre.

Ce que c'est que sinus de réfraction.

Plus la ligne A. B. que vous voyez, est grande, plus la ligne C. D. sera grande aussi. Cette ligne A. B. est ce qu'on appelle sinus d'incidence. Cette ligne C. D. est le sinus de la réfraction. Ce n'est pas ici le lieu d'expliquer en général ce que c'est qu'un sinus. Ceux qui ont étudié la Géométrie le savent assez. Les autres pourroient être un peu embarassez de la définition. Il suffit de bien savoir que ces deux sinus, de quelque grandeur qu'ils soient, sont toujours en proportion dans un milieu donné. Or cette proportion est différente, quand la réfraction se fait dans un milieu différent.

La lumiere qui tombe obliquement de l'air dans du cristal, s'y brise de façon, que le sinus de réfraction C. D. est au sinus d'incidence A. B. comme 2. à 3. ce qui ne veut dire autre chose, sinon que cette ligne A. B. est un tiers plus grande dans l'air, en ce cas, que la ligne C. D. dans ce cristal.

Dans l'eau cette proportion est de 3. à 4. Ainsi il est palpable que le cristal réfracte, brise la lumiere d'un neuvième plus fortement que l'eau. Il faut donc savoir que dans tous les cas, & dans toutes les obliquités d'incidence possibles, le cristal sera plus refringent que l'eau d'un neuvième. Il s'agit de savoir non-seulement la cause de la réfraction, mais la cause de ces réfractions différentes.

Idée de Descartes ingénieuse, mais fausse.

Le corps le plus solide n'est pas le plus réfractant.

Preuve.

Descartes a trouvé, à son ordinaire, des raisons ingénieuses & plausibles de cette proprieté de la lumiere; mais là, comme en tout le reste, mettant son esprit à la place des choses, il a donné des conjectures pour des vérités. Il a feint que la lumiere, en passant de l'air dans un milieu nouveau, plus épais, plus compact, y passe plus librement, y est moins retardée dans sa tendance prétendue au mouvement, & moins retardée, disoit-il, moins troublée dans un milieu dense, comme le verre, que dans un milieu moins épais, comme l'eau. Nous avons déja vu combien il s'abuse en assûrant que la lumiere n'a qu'une tendance au mouvement. Nous avons vu que les rayons se meuvent en effet, puisqu'ils changent de place à nos yeux dans leurs réfractions. Mais son erreur ici est encore assez importante: il se trompe en croyant que les corps les plus solides sont toujours ceux qui brisent le plus la lumiere, & qui lui ouvrent en la brisant un chemin plus facile. Il n'est pas vrai que tous les corps solides réfractent, brisent plus la lumiere absolument, que les corps fluides; car quoiqu'en effet l'eau opére une réfraction moins forte, absolument parlant, que le verre; cependant par rapport à sa densité, elle opére une réfraction plus forte. Il est bien vrai que la lumiere se brise environ un neuvième davantage dans le verre, que dans l'eau; mais si la réfraction suivoit le rapport de la densité, elle devroit, dans le verre, aller fort au delà d'un neuvième. Imaginez deux hommes, dont l'un aura quatre fois plus de force, que l'autre. Si le plus fort ne porte qu'un poids une fois plus pesant, il sera vrai de dire que par rapport à sa force, il n'a pas, à beaucoup près, tant porté que l'autre; car il devroit porter quatre fois davantage.

L'ambre opére une réfraction bien plus forte que le cristal, par rapport à sa densité. Peut-on dire cependant que l'ambre ouvrira un chemin plus facile à la lumiere, que le cristal? C'est donc une supposition fausse: que la lumiere se brise vers la perpendiculaire, quand elle trouve un corps transparent plus solide qui lui résiste moins, parce qu'il est plus solide.

Remarquez que toute expérience & tout calcul ruïne presque toutes les idées de Descartes, quand ce grand Philosophe ne les fonde que sur des hypothèses. Ce sont des perspectives brillantes & trompeuses qui diminuent à mesure qu'on en approche. Tous les autres Philosophes ont cherché des solutions de ce Problême de la Nature; mais l'expérience a renversé aussi leurs conjectures.

Méprise des autres grands Géométres à ce sujet.

Barrow enseignoit, après le Pere Deschalles, que la réfraction de la lumiere, en approchant de la perpendicule, se faisoit par la résistance du milieu; que plus un milieu résistoit au cours de la lumiere, plus cette réfraction devoit être forte.

Cette idée étoit le contraire de celle de Descartes; elle prouvoit seulement qu'on va à l'erreur par différens chemins. Ils n'avoient qu'à voir les expériences; ils n'avoient qu'à mesurer les réfractions qui se font dans l'esprit de vin, beaucoup plus grandes que dans l'eau; ils n'avoient qu'à considerer qu'assûrément l'esprit de vin ne résiste pas plus que l'eau, & que cependant il opére une réfraction une fois plus forte, ils auroient corrigé cette petite erreur. Aussi le Pere Deschalles avoue qu'il doute fort de son explication.

Grande découverte de Neuton.

Enfin Neuton seul à trouvé la véritable raison qu'on cherchoit. Sa découverte mérite assûrément l'attention de tous les Siècles. Car il ne s'agit pas ici seulement d'une proprieté particuliere à la lumiere, quoique ce fût déja beaucoup; nous verrons que cette proprieté appartient à tous les corps de la Nature.

Considerez que les rayons de la lumiere sont en mouvement, que s'ils se détournent en changeant leur course, ce doit être par quelque loi primitive, & qu'il ne doit arriver à la lumiere, que ce qui arriveroit à tous les corps de même petitesse que la lumiere, toutes choses d'ailleurs égales.

Qu'une balle de plomb A. soit poussée obliquement de l'air dans l'eau, il lui arrivera d'abord le contraire de ce qui est arrivé à ce rayon de lumiere; car ce rayon délié passe dans des pores, & cette balle, dont la superficie est large, rencontre la superficie de l'eau qui la soutient.

Attraction.

Cette balle s'éloigne donc d'abord de la perpendiculaire B.; mais lorsqu'elle a perdu tout ce mouvement oblique qu'on lui avoit imprimé, elle est abandonnée à elle-même, elle tombe alors, à peu près suivant une perpendiculaire, qu'on élèveroit du point où elle commence à descendre. Or Neuton a découvert & a prouvé qu'il y a dans la Nature une force, qui fait tendre tous les corps, en ligne perpendiculaire, les uns vers les autres en proportion directe de leur masse. Donc cette force (telle qu'elle soit) doit agir dans l'eau sur ce rayon; & la masse du rayon étant incomparablement moindre que celle de l'eau, ce rayon doit sensiblement être mu vers elle.

Regardez donc ce rayon de lumiere qui descend perpendiculairement de l'air sur la surface de ce cristal.

L'attraction agit en perpendicule, & accélere la chûte des rayons.

Comme cette ligne descend perpendiculairement, le pouvoir de l'attraction, tel qu'il soit, agissant en ligne droite, le rayon ne se détourne point de son chemin; mais il arrive plus promptement, qu'il n'auroit fait en B., & c'est encore une vérité apperçue par Neuton.

Avant lui on croioit que ce rayon de lumiere étoit retardé dans son cours en entrant dans l'eau. Au contraire, il y entre avec accélération. Pourquoi? Parce qu'il y est porté, & par son propre mouvement, & par celui de l'attraction que l'eau, ou le verre, lui imprime. Ce rayon arrive donc en B. par cette force accélératrice plus promptement qu'il n'eût franchi l'air.

Mais si nous considerons dans ce même bassin d'eau, ou dans cette même masse de verre, ce rayon oblique qui tombe dessus, qu'arrive-t-il? Il conserve son mouvement d'obliquité en ligne droite, & il en acquiert un nouveau en ligne perpendiculaire.

Que cette attraction, que cette tendance, que cette espèce de gravitation existe, nous n'en pouvons douter: car nous avons vu la lumiere attirée par le verre, y rentrer sans toucher à rien; or cette force agit nécessairement en ligne perpendiculaire, la ligne perpendiculaire étant le plus court chemin.

Puisque cette force existe, elle est dans toutes les parties de la matiere. Les parties de la superficie d'un corps quelconque, éprouvent donc ce pouvoir, avant qu'il pénétre l'intérieur de la substance, avant qu'il parvienne au centre où il est dirigé. Ainsi dès que ce rayon est arrivé près de la superficie du cristal, ou de l'eau, il prend déja un peu en cette maniere le chemin de la perpendicule.

Lumiere brisée avant d'entrer dans les corps.

Il se brise déja un peu en C. avant d'entrer: plus il entre, plus il se brise; c'est que plus les corps sont proches, plus ils s'attirent, & que celui qui a le plus de masse détermine vers lui, celui qui en a moins. Ainsi il arrive à ce rayon de lumiere la même chose qu'à tout corps, qui a un mouvement composé de deux directions différentes; il n'obéït à aucune, & tient un chemin qui participe des deux. Ainsi ce rayon ne tombe pas tout-à-fait perpendiculairement, & ne suit pas sa premiere ligne droite oblique, en traversant cette eau, ou ce verre; mais il suit une ligne qui participe des deux côtés, & qui descend d'autant plus vîte, que l'attraction de cette eau, ou de ce cristal, est plus forte. Donc loin que l'eau rompe les rayons de lumiere, en leur résistant, comme on le croioit, elle les rompt en effet, parce qu'elle ne résiste pas, &, au contraire, parce qu'elle les attire. Il faut donc dire que les rayons se brisent vers la perpendiculaire, non pas quand ils passent d'un milieu plus facile dans un milieu plus résistant, mais quand ils passent d'un milieu moins attirant dans un milieu plus attirant. Observez qu'il ne faut jamais entendre par ce mot attirant, que le point vers lequel se dirige une force reconnue, une proprieté incontestable de la matiere.

Vous savez que beaucoup de gens, autant attachés à la Philosophie, ou plutôt au nom de Descartes, qu'ils l'étoient auparavant au nom d'Aristote, se sont soulevés contre l'attraction. Les uns n'ont pas voulu l'étudier, les autres l'ont méprisee, & l'ont insultée après l'avoir à peine examinée; mais je prie le Lecteur de faire les trois réflexions suivantes.

Il faut examiner l'attraction avant de se révolter contre ce mot.

1o. Qu'entendons-nous par attraction? Rien autre chose qu'une force par laquelle un corps s'approche d'un autre, sans que l'on voye, sans que l'on connaisse, aucune autre force qui le pousse.

2o. Cette propriété de la matiere est établie par les meilleurs Philosophes en Angleterre, en Allemagne, en Hollande, & même dans plusieurs Universitez d'Italie, où des Loix un peu rigoureuses ferment quelquefois l'accez à la Vérité. Le consentement de tant de savans hommes n'est pas une preuve, sans doute; mais c'est une raison puissante pour examiner au moins si cette force existe ou non.

3o. L'on devroit songer que l'on ne connait pas plus la cause de l'impulsion, que de l'attraction. On n'a pas même plus d'idée de l'une de ces forces que de l'autre; car il n'y a personne qui puisse concevoir pourquoi un corps a le pouvoir d'en remuer un autre de sa place. Nous ne concevons pas non plus, il est vrai, comment un corps en attire un autre, comment les parties de la matiere gravitent mutuellement. Aussi ne dit-on pas que Neuton se soit vanté de connaitre la raison de cette attraction. Il a prouvé simplement qu'elle existe: il a vu dans la matiere un phénomêne constant, une propriété universelle. Si un homme trouvoit un nouveau métal dans la terre, ce métal existeroit-il moins, parce que l'on ne connaitrait pas les premiers Principes dont il seroit formé? Que le Lecteur qui jettera les yeux sur cet Ouvrage ait recours à la discussion métaphysique sur l'attraction, faite par Mr. de Maupertuis, dans le plus petit & dans le meilleur Livre qu'on ait écrit peut-être en Français, en fait de Philosophie. On y verra à travers la reserve avec laquelle l'Auteur s'est expliqué, ce qu'il pense, & ce qu'on doit penser de cette attraction, dont le nom a tout effarouché.

Nous avons vu dans le second chapitre, que les rayons réflechis d'un Miroir ne sauroient venir à nous de sa surface. Nous avons expérimenté que les rayons transmis dans du verre à un certain angle, reviennent au lieu de passer dans l'air; que, s'il y a du vuide derriere ce verre, les rayons qui étoient transmis auparavant reviennent de ce vuide à nous. Certainement il n'y a point-là d'impulsion connue. Il faut de toute nécessité admettre un autre pouvoir; il faut bien aussi avouer, qu'il y a dans la réfraction quelque chose qu'on n'entendoit pas jusqu'à présent.

Preuves de l'attraction.

Or quelle sera cette puissance qui rompra ce rayon de lumiere dans ce bassin d'eau? Il est démontré (comme nous le dirons au chapitre suivant) que, ce qu'on avoit cru jusqu'à présent un simple rayon de lumiere, est un faisceau de plusieurs rayons, qui se réfractent tous différemment. Si de ces traits de lumiere contenus dans ce rayon, l'un se réfracte, par exemple, à quatre mesures de la perpendiculaire, l'autre se rompra à trois mesures. Il est démontré que les plus réfrangibles, c'est-à-dire, par exemple, ceux qui en se brisant au sortir d'un verre, & en prenant dans l'air une nouvelle direction, s'approchent moins de la perpendiculaire de ce verre, sont aussi ceux qui se réflechissent le plus aisément, le plus vîte. Il y a donc déja bien de l'apparence, que ce sera la même loi qui fera réflechir la lumiere, & qui la fera réfracter.

Enfin, si nous trouvons encore quelque nouvelle propriété de la lumiere, qui paraisse devoir son origine à la force de l'attraction, ne devrons-nous pas conclure que tant d'effets appartiennent à la même cause?

Inflexion de la lumiere auprès des corps qui l'attirent.

Voici cette nouvelle propriété qui fut découverte par le Pere Grimaldi Jésuite vers l'an 1660. & sur laquelle Neuton a poussé l'examen jusqu'au point de mesurer l'ombre d'un cheveu à des distances différentes. Cette propriété est l'inflexion de la lumiere. Non-seulement les rayons se brisent en passant dans le milieu dont la masse les attire; mais d'autres rayons, qui passent dans l'air auprès des bords de ce corps attirant, s'approchent sensiblement de ce corps, & se détournent visiblement de leur chemin. Mettez dans un endroit obscur cette lame d'acier, ou de verre aminci, qui finit en pointe: exposez-la auprès d'un petit trou par lequel la lumiere passe; que cette lumiere vienne raser la pointe de ce métal.

Vous verrez les rayons se courber auprès en telle maniere, que le rayon qui s'approchera le plus de cette pointe, se courbera davantage, & que celui qui en sera plus éloigné, se courbera moins à proportion. N'est-il pas de la plus grande vraisemblance, que le même pouvoir qui brise ces rayons, quand ils sont dans ce milieu, les force à se détourner, quand ils sont près de ce milieu? Voilà donc la réfraction, la transparence, la réflexion, assujeties à de nouvelles loix. Voilà une inflexion de la lumiere, qui dépend évidemment de l'attraction. C'est un nouvel Univers qui se présente aux yeux de ceux qui veulent voir.

Nous montrerons bien-tôt qu'il y a une attraction évidente entre le Soleil & les Planetes, une tendance mutuelle de tous les corps les uns vers les autres. Mais nous avertissons ici d'avance, que cette attraction, qui fait graviter les Planetes sur notre Soleil, n'agit point du tout dans les mêmes rapports que l'attraction des petits corps qui se touchent. Il faudra que l'on songe bien, que ces rapports changent au point de contact. Qu'on ne croye point que la lumiere est infléchie vers le cristal & dans le cristal, suivant le même rapport, par exemple, que Mars est attiré par le Soleil. Tous les corps, comme nous le verrons, sont attirez en raison inverse du quarré de leurs distances; mais au point de contact, ils le sont en raison inverse des cubes de leurs distances, & beaucoup plus encore. Ainsi l'attraction est bien plus forte, & la force s'en dissipe bien plus vîte; & cette attraction des corps qui se touchent, augmente encore à mesure que les corps sont petits. Ainsi des particules de lumiere attirées par les petites masses du verre, sont bien loin de suivre les loix du Systême planétaire. Deux atomes, & deux Planetes telles que Jupiter & Saturne, obéïssent à l'attraction, mais à différentes loix de l'attraction. C'est ce que nous nous reservons d'expliquer dans l'avant dernier Chapitre, & ce que nous avons cru nécessaire d'indiquer ici pour lever toute équivoque.


CHAPITRE HUIT.

Suites des merveilles de la réfraction de la lumiere. Qu'un seul rayon de la lumiere contient en soi toutes les couleurs possibles; ce que c'est que la refrangibilité. Découvertes nouvelles.

Imagination de Descartes sur les couleurs.

SI vous demandez aux Philosophes ce qui produit les couleurs, Descartes vous répondra que les globules de ses Elémens sont déterminez à tournoyer sur eux-mêmes outre leur tendance au mouvement en ligne droite, & que ce sont les différens tournoyemens qui font les différentes couleurs. Mais, en vérité, ses Elémens, ses globules, son tournoyement, ont-ils même besoin de la pierre de touche de l'expérience pour que le faux s'en fasse sentir? Une foule de démonstrations anéantit ces chiméres. Voici les plus simples & les plus sensibles.

Rangez des boules les unes contre les autres: supposez les poussées en tout sens, & tournant toutes sur elles-mêmes en tout sens; par le seul enoncé, il est impossible, que ces boules contigues puissent avancer en lignes droites réguliérement. De plus, comment verriez-vous sur une muraille ce point bleu, & ce point verd?

Les voilà marquez sur cette muraille; il faut qu'ils se croisent en l'air au point A. avant d'arriver à vos yeux. Puisqu'ils se croisent, leur prétendu tournoyement doit changer au point d'intersection. Les tournoyemens qui faisoient le bleu & le verd ne subsistent donc plus les mêmes: il n'y auroit donc plus alors de point verd, ni de point bleu. Un Jésuite Flamand fit cette objection à Descartes. Celui-ci en sentit toute la force, mais que croiriez-vous qu'il répondit? Que ces boules ne tournoyent pas à la vérité, mais qu'elles ont une tendance au tournoyement. Voilà ce que Descartes dit dans ses Lettres. L'acte du transparent en tant que transparent, est-il plus intelligible?

Vous me direz, sans doute, que cette difficulté est égale dans tous les Systêmes. Vous me direz que ces rayons, qui partent de ce point bleu & de ce point verd, se croisent nécessairement, quelque opinion qu'on embrasse touchant les couleurs; que cette intersection des rayons devroit toujours empêcher la vision, qu'en un mot, il est toujours incompréhensible que des rayons qui se croisent, arrivent à nos yeux dans leur ordre; mais ce scrupule sera bien-tôt levé, si vous considerez que toute partie de matiere a plus de pores incomparablement que de substance. Un rayon du Soleil, qui a plus de trente millions de lieues en longueur, n'a pas probablement un pied de matiere solide mise bout à bout. Il seroit donc très-possible qu'un rayon passât à travers d'un autre en cette maniere, sans rien déranger.

Mais ce n'est pas seulement ainsi qu'ils passent, c'est l'un par-dessus l'autre comme deux bâtons. Mais direz-vous, des rayons émanez d'un centre n'aboutiroient pas précisément, & en rigueur Mathématique, à la même ligne de circonférence. Cela est vrai. Il s'en faudra toujours un infiniment petit. Mais deux hommes ne verroient pas les mêmes points du même objet. Cela est encore vrai. De mille millions de personnes qui regarderont une superficie, il n'y en aura pas deux qui verront les mêmes points.

Il faut avouer que dans le plein de Descartes, cette intersection de rayons est impossible; mais tout est également impossible dans le plein, & il n'y a aucun mouvement, tel qu'il soit, qui ne suppose & ne prouve le vuide.

Erreur de Mallebranche.

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