Elémens de la philosophie de Neuton: Mis à la portée de tout le monde
Mallebranche vient à son tour & vous dit: Il est vrai que Descartes s'est trompé. Son tournoyement de globules, n'est pas soutenable; mais ce ne sont pas des globules de lumiere, ce sont des petits tourbillons tournoyans de matiere subtile, capables de compression, qui sont la cause des couleurs; & les couleurs consistent comme les sons dans des vibrations de pression. Et il ajoute: Il me parait impossible de découvrir par aucun moyen les rapports exacts de ces vibrations, c'est-à-dire, des couleurs. Vous remarquerez qu'il parloit ainsi dans l'Académie des Sciences en 1699. & que l'on avoit déja découvert ces proportions en 1675; non pas proportions de vibration de petits tourbillons qui n'existent point, mais proportions de la réfrangibilité des rayons qui font les couleurs, comme nous le dirons bien-tôt. Ce qu'il croioit impossible étoit déja démontré, &, qui plus est, démontré aux yeux, reconnu vrai par les sens, ce qui auroit bien déplu au Pere Mallebranche.
D'autres Philosophes sentant le faible de ces suppositions, vous disent au moins avec plus de vraisemblance: Les couleurs viennent du plus ou du moins de rayons réflechis des corps colorez. Le blanc est celui qui en réflechit davantage; le noir est celui qui en réflechit le moins. Les couleurs les plus brillantes seront donc celles qui vous apporteront plus de rayons. Le rouge, par exemple, qui fatigue un peu la vûe, doit être composé de plus de rayons, que le verd qui la repose davantage. Cette Hypothèse parait d'abord plus sensée; mais elle n'est qu'une conjecture (d'ailleurs très-incomplette & erronée), & une conjecture n'est qu'une raison de plus pour chercher, & non pas une raison pour croire.
Expérience & démonstration de Neuton.
Addressez-vous enfin à Neuton. Il vous dira ne m'en croyez pas: n'en croyez que vos yeux & les Mathématiques: mettez-vous dans une chambre tout-à-fait obscure, où le jour n'entre que par un trou extrêmement petit; le rayon de la lumiere viendra sur du papier vous donner la couleur de la blancheur.
Exposez transversalement à un rayon de lumiere ce prisme de verre; ensuite mettez à une distance d'environ seize ou dix-sept pieds une feuille de papier P. vis-à-vis ce prisme.
Vous savez déja que la lumiere se brise en entrant de l'air dans ce prisme; vous savez qu'elle se brise, en sens contraire, en sortant de ce prisme dans l'air. Si elle ne se brisoit pas ainsi, elle iroit de ce trou tomber sur le plancher de la chambre Z. Mais comme il faut que la lumiere, en s'échappant, s'éloigne de la ligne Z. cette lumiere ira donc frapper le papier. C'est-là que se voit tout le secret de la lumiere & des couleurs. Ce rayon qui est tombé sur ce prisme n'est pas, comme on croioit, un simple rayon; c'est un faisceau de sept principaux faisceaux de rayons, dont chacun porte en soi une couleur primitive, primordiale, qui lui est propre. Des mêlanges de ces sept rayons naissent toutes les couleurs de la Nature; & les sept réunis ensemble, réflechis ensemble de dessus un objet, forment la blancheur.
Approfondissez cet artifice admirable. Nous avions déja insinué que les rayons de la lumiere ne se réfractent pas, ne se brisent pas tous également; ce qui se passe ici en est aux yeux une démonstration évidente. Ces sept rayons de lumiere échappez du corps de ce rayon, qui s'est anatomisé au sortir du prisme, viennent se placer, chacun dans leur ordre, sur ce papier blanc, chaque rayon occupant une ovale. Le rayon qui a le moins de force pour suivre son chemin, le moins de roideur, le moins de matiere, s'écarte plus dans l'air de la perpendiculaire du prisme. Celui qui est le plus fort, le plus dense, le plus vigoureux, s'en écarte le moins. Voyez-vous ces sept rayons qui viennent se briser les uns au-dessus des autres?
Chacun d'eux peint sur ce papier la couleur primitive qu'il porte en lui-même. Le premier rayon, qui s'écarte le moins de cette perpendicule du prisme, est couleur de feu; le second orangé; le troisième jaune; le quatrième verd; le cinquième bleu; le sixième indigo. Enfin celui qui s'écarte davantage de la perpendicule, & qui s'éleve le dernier au-dessus des autres, est le violet.
Anatomie de la lumiere.
Un seul faisceau de lumiere, qui auparavant faisoit la couleur blanche, est donc un composé de sept faisceaux qui ont chacun leur couleur. L'assemblage de sept rayons primordiaux fait donc le blanc.
Si vous en doutez encore, prenez un des verres lenticulaires de lunette, qui rassemblent tous les rayons à leur foyer: exposez ce verre au trou par lequel entre la lumiere; vous ne verrez jamais à ce foyer qu'un rond de blancheur. Exposez ce même verre au point, où il pourra rassembler tous les sept rayons partis du prisme:
Il réunit, comme vous le voyez, ces sept rayons dans son foyer. La couleur de ces sept rayons réunis est blanche; donc il est démontré que la couleur de tous les rayons réunis est la blancheur. Le noir par conséquent sera le corps, qui ne réflechira point de rayons.
Couleurs dans les rayons primitifs.
Car, lorsqu'à l'aide du prisme vous avez séparé un de ces rayons primitifs, exposez-le à un miroir, à un verre ardent, à un autre prisme, jamais il ne changera de couleur, jamais il ne se séparera en d'autres rayons. Porter en soi une telle couleur est son essence, rien ne peut plus l'altérer; & pour surabondance de preuve, prenez des fils de soye de différentes couleurs; exposez un fil de soye bleue, par exemple, au rayon rouge, cette soye deviendra rouge. Mettez-la au rayon jaune, elle deviendra jaune: ainsi du reste. Enfin ni réfraction, ni réflexion, ni aucun moyen imaginable, ne peut changer ce rayon primitif, semblable à l'or que le creuset a éprouvé, & encore plus inaltérable.
Vaines objections contre ces découvertes.
Cette propriété de la lumiere, cette inégalité dans les réfractions de ses rayons, est appellée par Neuton réfrangibilité. On s'est d'abord révolté contre le fait, & on l'a nié long-tems, parce que Mr. Mariote avoit manqué en France les expériences de Neuton. On aima mieux dire que Neuton s'étoit vanté d'avoir vu ce qu'il n'avoit point vu, que de penser que Mariote ne s'y étoit pas bien pris pour voir, & qu'il n'avoit pas été assez heureux dans le choix des prismes qu'il employa. Ensuite même, lorsque ces expériences ont été bien faites, & que la vérité s'est montrée à nos yeux, le préjugé a subsisté encore au point, que dans plusieurs Journaux & dans plusieurs Livres faits depuis l'année 1730. on nie hardiment ces mêmes expériences, que cependant on fait dans toute l'Europe. C'est ainsi qu'après la découverte de la circulation du sang, on soutenoit encore des Thèses contre cette vérité, & qu'on vouloit même rendre ridicules ceux qui expliquoient la découverte nouvelle en les appelant Circulateurs.
Enfin, quand on a été obligé de céder à l'évidence, on ne s'est pas rendu encore: on a vu le fait, & on a chicané sur l'expression: on s'est révolté contre le terme de réfrangibilité, aussi-bien que contre celui d'attraction, de gravitation. Eh qu'importe le terme, pourvû qu'il indique une vérité? Quand Christofle Colomb découvrit l'isle Hispaniola, ne pouvoit-il pas lui imposer le nom qu'il vouloit? Et n'appartient-il pas aux Inventeurs de nommer ce qu'ils créent, ou ce qu'ils découvrent? On s'est récrié, on a écrit, contre des mots que Neuton employe avec la précaution la plus sage pour prévenir des erreurs.
Critiques encore plus vaines.
Il appelle ces rayons, rouges, jaunes, &c. des rayons rubrifiques, jaunifiques, c'est-à-dire, excitant la sensation de rouge, de jaune. Il vouloit par-là fermer la bouche à quiconque auroit l'ignorance, ou la mauvaise foi, de lui imputer qu'il croioit comme Aristote, que les couleurs sont dans les choses mêmes, dans ces rayons jaunes & rouges, & non dans notre ame. Il avoit raison de craindre cette accusation. J'ai trouvé des hommes, d'ailleurs respectables, qui m'ont assûré que Neuton étoit Péripatéticien, qu'il pensoit que les rayons sont colorez en effet eux-mêmes, comme on pensoit autrefois que le feu étoit chaud; mais ces mêmes Critiques m'ont assûré aussi que Neuton étoit Athée. Il est vrai qu'ils n'avoient pas lu son Livre, mais ils en avoient entendu parler à des gens qui avoient écrit contre ses expériences, sans les avoir vues.
Ce qu'on écrivit d'abord de plus doux contre Neuton, c'est que son Systême est une Hypothèse; mais qu'est-ce qu'une hypothèse? Une supposition. En vérité, peut-on appeller du nom de supposition, des faits tant de fois démontrez? Est-ce par amour propre qu'on veut absolument avoir l'honneur d'écrire contre un grand Homme?
Mais ne devroit-on pas être plus flatté d'en être le Disciple, que l'Adversaire? Est-ce parce qu'on est né en France qu'on rougit de recevoir la vérité des mains d'un Anglais? Ce sentiment seroit bien indigne d'un Philosophe. Il n'y a, pour quiconque pense, ni Français, ni Anglais: celui qui nous instruit est notre compatriote.
CHAPITRE NEUV.
Où l'on indique la cause de la réfrangibilité, & où l'on trouve par cette cause, qu'il y a des Corps indivisibles en Physique.
Différences entre les rayons de la lumiere.
CETTE réfrangibilité, que nous venons de voir, étant attachée à la réfraction, doit avoir sa source dans le même principe. La même cause doit présider au jeu de tous ces ressorts: c'est-là l'ordre de la Nature. Tous les Végétaux se nourrissent par les mêmes loix; tous les Animaux ont les mêmes principes de vie. Quelque chose qui arrive aux corps en mouvement, les loix du mouvement sont invariables. Nous avons déja vu que la réflection, la réfraction, l'inflexion de la lumiere, sont les effets d'un pouvoir qui n'est point l'impulsion (au moins connue): ce même pouvoir se fait sentir dans la réfrangibilité; ces rayons, qui s'écartent à des distances différentes, nous avertissent que le milieu, dans lequel ils passent, agit sur eux inégalement. Un faisceau de rayons est attiré dans le verre, mais ce faisceau de rayons est composé de masses inégales. Ces masses obéïssent donc inégalement à ce pouvoir par lequel le milieu agit sur elles. Le trait de lumiere le plus solide, le plus compact, doit résister le plus à ce pouvoir, doit être moins détourné de sa route, doit être le moins réfrangible. C'est ce que l'expérience confirme dans tous les milieux, & dans tous les cas. Le rayon rouge est toujours celui qui se détourne le moins de son chemin; le rayon violet est toujours celui qui s'en détourne le plus. Aussi le rayon rouge a-t-il le plus de substance, est-il le plus dur, le plus brillant, & fatigue-t-il la vûe davantage. Le violet qui de tous les rayons colorez repose le plus la vûe est le plus réfrangible, & par conséquent est composé de parties plus fines & moins gravitantes; & ne croyez pas que ce soit ici une simple conjecture, & qu'on devine au hazard, que la lumiere a de la pesanteur, & qu'un rayon pese plus qu'un autre.
La lumiere est pesante.
Des expériences, faites par les mains les plus exercées & les plus habiles, nous apprennent que plusieurs corps acquiérent du poids après avoir été long-tems imbibez de lumiere. Les particules de feu qui ont pénétré leur substance l'ont augmentée. Mais quand on révoqueroit en doute ces expériences, le feu est une matiere; donc il pese, & la lumiere n'est autre chose que du feu.
Il est évident qu'un rayon blanc pese tous les rayons qui le composent. Or supposez, un moment, que ces rayons s'écartent tous également l'un de l'autre, alors il est évident, en ce cas, que le rayon rouge, étant sept fois moins réfrangible que le rayon violet, doit avoir sept fois plus de masse, & sept fois plus de poids, que le rayon violet. Ainsi le rayon rouge pesant comme sept; l'orangé supposé ici, comme six: le jaune supposé, comme cinq: le verd, comme quatre: le bleu, comme trois: le pourpre indigo, comme deux, & le violet, comme un: la somme de tous ces poids étant vingt-huit, & le blanc étant l'assemblage de tous ces poids, il est démontré qu'un rayon blanc, dans la supposition de ce calcul, pese vingt-huit fois autant qu'un rayon violet; &, quel que soit le calcul, il est évident que le rayon blanc pese beaucoup plus qu'aucun autre rayon, puisqu'il les pese tous ensemble.
Nous avons déja vu quelle doit être la petitesse prodigieuse de ces rayons de lumiere, contenant en eux toutes les couleurs, qui viennent du Soleil pénétrer un pore de diamant. Une foule de rayons passe dans ce pore, & vient se réunir près de la surface intérieure d'une facette. De cette foule de traits de lumiere qui occupe un si petit espace, il n'y en a aucun qui ne contienne sept traits primordiaux. Chacun de ces traits est encore lui-même un faisceau de traits teints de sa couleur. Le rayon rouge est un assemblage d'un très-grand nombre de rayons rouges. Le violet est un assemblage de rayons violets. Si donc ce faisceau violet pese vingt-huit fois moins qu'un faisceau blanc, que sera-ce qu'un seul des traits de ce faisceau?
Atomes dont la lumiere est composée.
Les principes des corps sont des atomes.
Considérons un de ces traits simples, qui différe d'un autre trait: par exemple, le plus mince trait rouge différe en tout du plus mince trait violet. Il faut que ses parties solides soient autant d'atomes parfaitement durs, lesquels composent son être. En effet, si les corps n'étoient pas composés de parties solides, dures, indivisibles, de véritables atomes: comment les espèces des corps pourroient-elles rester éternellement les mêmes? Qui mettroit entre elles une différence si constante? Ne faut-il pas que les parties qui font leur essence, soient assez dures, assez solides, assez unes, pour être toujours ce qu'elles sont? Car comment est-ce que dans le germe d'un grain de bled seroient contenus tant de grains de bled, & rien autre chose, si la configuration des petites parties n'étoit pas toujours la même, si elle n'étoit pas toujours solide, indivisible: ce qui ne veut dire autre chose que toujours indivisée? Dans l'œuf d'une mouche se trouvent des mouches à l'infini; mais si ces petites parties qui contiennent tant de mouches n'étoient pas parfaitement dures, elles se briseroient certainement l'une contre l'autre, par le mouvement rapide où tout est dans la Nature. Elles se briseroient d'autant plus, que les petits corps ont plus de surface par rapport à leur grosseur. Cependant cet inconvénient n'arrive point: l'œuf d'une mouche produit toujours les mouches qu'il contenoit; chaque semence, depuis l'Or jusques au grain de moutarde, reste éternellement la même. Donc il est à croire que chaque semence des choses est composée d'atomes toujours indivisés, qui font la substance de chaque chose: mais ce n'est pas assez d'indiquer cette grande Vérité à laquelle l'observation des rayons de la lumiere nous a conduits: il la faut démontrer: il faut prouver en rigueur qu'il y a nécessairement des atomes physiquement indivisibles; & c'est ce que nous allons faire voir dans le Chapitre suivant.
CHAPITRE DIXIE'ME.
Preuves qu'il y a des atomes indivisibles, & que les parties simples de la lumiere sont de ces atomes. Suite des découvertes.
Preuve qu'il y a des atomes.
VOUS avez déja compris quelle est l'extrême porosité de tous les corps. L'eau même qui n'est que dix-neuf fois moins pesante que l'or, passe pourtant entre les pores de l'or même, le plus solide des Métaux. Il n'y a aucun corps qui n'ait incomparablement plus de pores que de matiere: mais supposons un cube qui même, si l'on veut, ait autant de matiere apparente que de pores: par cette supposition il n'aura donc réellement que la moitié de la matiere qu'il parait avoir; mais chaque partie de ce corps étant dans le même cas, & perdant ainsi la moitié d'elle-même, ce cube ne sera donc par cette deuxième opération que le quart de lui-même; il n'y aura donc dans lui que le quart de la matiere qui semble y être. Divisez ainsi chaque partie de chaque partie; restera le huitième de matiere. Continuez toujours cette progression jusqu'à l'infini, & faites passer votre division par tous les ordres d'infini; la fin de la progression des pores sera donc l'infini, & la fin de la diminution de la matiere sera zero. Donc si l'on pouvoit physiquement diviser la matiere à l'infini, il se trouveroit qu'il n'y auroit que des pores & point de matiere. Donc la matiere, telle qu'elle est, n'est pas réellement physiquement divisible à l'infini: Donc il est démontré qu'il y a des atomes indivisibles, c'est-à-dire, des atomes qui ne seront jamais divisés, tant que durera la constitution présente du Monde.
Présentons cette démonstration d'une maniere encore plus palpable. Je suis arrivé par ma division aux deux derniers pores: il y a entre eux un corps, ou non: s'il n'y en a point, il n'y avoit donc point de matiere; s'il y en a, ce corps est donc sans pores. Je dis qu'il est sans pores; puisque je suis arrivé aux derniers pores, cette particule de matiere est donc réellement indivisible.
Au reste, que cette proposition ne vous paraisse point contradictoire à la démonstration géométrique, qui vous prouve qu'une ligne est divisible à l'infini.
La divisibilité de la matiere n'empêche point qu'il n'y ait des atomes.
Ces deux proportions qui semblent se détruire l'une l'autre, s'accordent très-bien ensemble. La Géométrie a pour objet les idées de notre esprit. Une ligne géométrique est une ligne en idée, toujours divisible en idée, comme une unité numérique est toujours réductible en autant d'unités qu'il me plaira d'en concevoir. Je puis diviser l'unité d'un pied, en cent milles milliasses d'autres unités; mais ensuite je pourrai toujours considerer ce pied comme une unité[b].
Les points sans ligne, les lignes sans surfaces, les surfaces sans solides, l'infini 1., l'infini 2., l'infini 3., sont en effet les objets de propositions certaines de la Géométrie; mais il est également certain que la Nature ne peut produire des surfaces, des lignes, des points sans solides. De même il est indubitable qu'une ligne en Géométrie est divisible à l'infini; & il est indubitable qu'il y a dans la Nature des corps indivisibles, c'est-à-dire, des corps indivisés, des corps qui resteront tels, tant que la constitution présente des choses subsistera.
Tenons donc pour certain qu'il y a des atomes. Chaque partie constituante d'un rayon simple coloré, peut être considérée comme un atome; chacun de ces atomes est pesant, c'est sa différente attraction qui fait sa différente réfrangibilité. Songeons que ces atomes les plus réfrangibles sont aussi les plus réflexibles, & qu'enfin puisqu'ils sont réfrangibles à raison de leur attraction vers le milieu le plus agissant, il faut bien qu'ils réflechissent aussi en raison de cette attraction. Maintenant il est aisé de connaitre que le rayon violet, par exemple, qui est le plus réfrangible, est toujours le premier qui se réflechit en sortant du prisme qui a reçu tous les rayons. Mr. Neuton a fait cette expérience à l'aide de quatre prismes avec une sagacité & une industrie dignes de l'inventeur de tant de vérités.
Je donnerai ici la plus simple de ces expériences.
Expérience importante.
Ce prisme a envoyé sur ce papier ces sept couleurs: tournez ce prisme sur lui-même dans le sens A, B, C. vous aurez bien-tôt cet angle selon lequel toute lumiere se réflechira de dedans ce prisme au dehors, au lieu de passer sur ce papier; si-tôt que vous commencez à approcher de cet angle, voilà tout d'un coup le rayon violet qui se détache de ce papier, & que vous voyez se porter au Plat-fond de la chambre. Après le violet, vient le pourpre; après le pourpre, le bleu; enfin le rouge quitte le dernier ce papier où il est peint, pour venir à son tour se réflechir sur le Plat-fond. Donc tout rayon est plus réflexible à mesure qu'il est plus réfrangible; donc la même cause opére la réflexion & la réfrangibilité.
Or la partie solide du verre ne fait ni cette réfrangibilité, ni cette réflexion; donc encore une fois ces proprietés ont leur naissance dans une autre cause que dans l'impulsion connue sur la Terre. Il n'y a rien à dire contre ces expériences, il faut s'y soumettre, quelque rebelle que l'on soit à l'évidence.
Objection.
On pourroit tirer des expériences même de Neuton de quoi faire quelques difficultés contre les loix qu'il établit. On pourroit lui dire, par exemple: Vous nous avez prouvé que l'impulsion d'aucun corps connu ne peut opérer le brisement de la lumiere, ni sa réflexion, puisqu'elle se brise dans des pores & se réflechit dans du vuide: Vous nous avez dit qu'il y a un pouvoir dans la Nature qui fait tendre tous les corps les uns vers les autres, & en attendant que vous nous montriez, comme vous nous l'avez promis, les loix de ce pouvoir, nous concevons qu'en effet sa puissance doit agir sur toute la matiere, & que le plus petit des corps imaginables doit être soumis à cette puissance de même que le plus grand de tous les corps possibles: Vous nous avez dit qu'une des loix de ce pouvoir est d'agir sur tous les corps, selon leurs masses, & nous avouons que cela est bien vraisemblable; mais par vos propres expériences ne démentez-vous pas ce Systême? L'eau a beaucoup plus de masse que l'esprit de vin, que l'esprit de térébenthine: cependant elle attire moins un rayon de lumiere, la réfraction se fait moindre dans l'eau que dans l'esprit de vin; donc ce pouvoir de gravitation, d'attraction, n'agit pas comme vous le dites, selon la masse.
Réponse. Pourquoi les fluides moins pesants que l'eau attirent plus la lumiere.
Cette objection loin d'ébranler la vérité des découvertes nouvelles, la confirme en effet. Pour la résoudre clairement, considérons que tous les corps tendent vers le centre de la Terre, que tous tombent dans l'air avec une force proportionnée à leur masse; mais que si outre cette force on leur en applique encore une autre, ils iront plus vîte qu'ils n'auroient été par leur propre poids. Tel est le cas des rayons de la lumiere entrant dans des corps déja remplis de particules inflammables, lesquelles ne sont que la lumiere elle-même retenue dans leurs pores.
Ces atomes de feu qui résident en effet dans certains corps sulphureux & transparens, augmentent la réfraction de la lumiere vers la ligne perpendiculaire, comme une nouvelle force qui lui est appliquée: il arrive alors ce qui arrive à un flambeau qui vient d'être éteint, & qui fume encore; il se rallume dès qu'il est à une certaine distance d'un autre flambeau allumé.
Il est tout naturel que les rayons de lumiere entrent aisément dans l'esprit sulphureux de térébenthine, comme la flamme dans la méche fumante d'un flambeau éteint; or une nouvelle cause jointe à la réfraction augmente nécessairement la réfraction.
De plus, la réaction est toujours égale à l'action: les corps sulphureux sont ceux sur lesquels le feu, qui n'est que la lumiere, agit davantage; donc ils doivent agir aussi plus que les autres corps sur la lumiere, la briser, la réfracter davantage.
L'attraction n'entre pas dans tous les effets de la lumiere.
Remarquons sur-tout ici que cette attraction inhérente dans la matiere ne s'étend pas à tout, n'opére pas tous les effets. Le mystère de la lumiere réflechie du milieu des pores, & de dessus les surfaces, sans toucher aux surfaces, a des profondeurs que les loix de l'attraction ne peuvent sonder: il n'y a qu'un Charlatan, qui se vante d'avoir un remede universel, & ce seroit être Charlatan en Philosophie que de rapporter tout, sans preuve, à la même cause; cette même force d'esprit qui a fait découvrir à Neuton le pouvoir de l'attraction, lui a fait avouer que ce pouvoir est bien loin d'être l'unique Agent de la Nature.
Il est bien vrai que le rayon le plus réfrangible étant le plus réflexible, c'est une preuve évidente que la même puissance opére la réflexion, la réfraction, & l'accélération de la chûte des rayons dans ce verre, &c.; mais enfin la force de l'attraction semble n'avoir rien de commun avec d'autres phénomênes. Il y a sur-tout des vibrations de rayons, des jets alternatifs de la lumiere allant & venant sur les corps, que la gravitation n'expliqueroit pas; mais ces nouvelles difficultés, c'est Neuton lui-même qui les a créées. Non-seulement il a découvert des mystères que la gravitation développe; mais il en a trouvé qu'elle ne développe pas. Ces jets alternatifs de la réflexion de la lumiere sont un de ces Secrets de la Nature, dont il est bien étonnant que les yeux humains ayent pu s'appercevoir.
Nous parlerons de cette singularité en son lieu dans le Chapitre treizième; continuons à voir les effets de la réfrangibilité. L'Arc-en-Ciel est un de ces effets, & le plus considérable, nous allons l'expliquer dans le Chapitre qui suit.
CHAPITRE ONZIE'ME.
De l'Arc-en-Ciel; que ce Météore est une suite nécessaire des loix de la réfrangibilité.
Mécanisme de l'Arc-en-Ciel inconnu à toute l'Antiquité.
L'Arc-en-Ciel, ou l'Iris, est une suite nécessaire des proprietés de la lumiere que nous venons d'observer. Nous n'avons rien, dans les Ecrits des Grecs, ni des Romains, ni des Arabes, qui puisse faire penser qu'ils connussent les raisons de ce phénomêne. Lucrèce n'en dit rien, & par toutes les absurdités qu'il débite au nom d'Epicure sur la lumiere & sur la vision, il parait que son Siècle, si poli d'ailleurs, étoit plongé dans une profonde ignorance en fait de Physique. On savoit qu'il faut qu'une nuée épaisse se résolvant en pluye, soit exposée aux rayons du Soleil, & que nos yeux se trouvent entre l'Astre & la nuée pour voir ce qu'on appelloit l'Iris, mille trahit varios adverso sole colores, mais voilà tout ce qu'on savoit; personne n'imaginoit ni pourquoi une nuée donne des couleurs, ni comment la nature & l'ordre de ces couleurs sont déterminés, ni pourquoi il y a deux Arcs-en-Ciel l'un sur l'autre, ni pourquoi on voit toujours ce phénomêne sous la figure d'un demi-cercle.
Ignorance d'Albert le Grand.
Albert qu'on a surnommé le Grand, parce qu'il vivoit dans un Siècle où les hommes étoient bien petits, imagina que les couleurs de l'Arc-en-Ciel venoient d'une rosée qui est entre nous & la nuée, & que ces couleurs reçues sur la nuée, nous étoient envoyées par elle. Vous remarquerez encore que cet Albert le Grand, croioit avec toute l'Ecole que la lumiere étoit un accident.
L'Archevêque Antonio de Dominis est le premier qui ait expliqué l'Arc-en-Ciel.
Enfin le célèbre Antonio de Dominis Archevêque de Spalatro en Dalmatie, chassé de son Evêché par l'Inquisition, écrivit vers l'an 1590. son petit Traité De radiis Lucis & de Iride, qui ne fut imprimé à Venise que vingt ans après. Il fut le premier qui fit voir que les rayons du Soleil réflechis de l'intérieur même des goûtes de pluye, formoient cette peinture qui parait en Arc, & qui sembloit un miracle inexplicable; il rendit le miracle naturel, ou plutôt il l'expliqua par de nouveaux prodiges de la Nature.
Sa découverte étoit d'autant plus singuliére, qu'il n'avoit d'ailleurs que des notions très-fausses de la maniere dont se fait la vision. Il assûre dans son Livre que les images des objets sont dans la prunelle, & qu'il ne se fait point de réfraction dans nos yeux: chose assez singuliére pour un bon Philosophe! Il avoit découvert les réfractions alors inconnues dans les goûtes de l'Arc-en-Ciel, & il nioit celles qui se font dans les humeurs de l'œil, qui commençoient à être démontrées; mais laissons ses erreurs pour examiner la vérité qu'il a trouvée.
Son expérience.
Il vit avec une sagacité alors bien peu commune, que chaque rangée, chaque bande de goûtes de pluye qui forme l'Arc-en-Ciel, devoit renvoyer des rayons de lumiere sous différens angles: il vit que la différence de ces angles devoit faire celle des couleurs: il sut mesurer la grandeur de ces angles: il prit une boule d'un crystal bien transparent qu'il remplit d'eau; il la suspendit à une certaine hauteur exposée aux rayons du Soleil.
Imitée par Descartes.
Descartes qui a suivi Antonio de Dominis, qui l'a rectifié & surpassé en quelque chose, & qui peut-être auroit du le citer, fit aussi la même expérience. Quand cette boule est suspendue à telle hauteur que le rayon de lumiere, qui donne du Soleil sur la boule, fait ainsi avec le rayon allant de la boule à l'œil un angle de quarante-deux degrez deux ou trois minutes, cette boule donne toujours une couleur rouge.
Quand cette boule est suspendue un peu plus bas, & que ces angles sont plus petits, les autres couleurs de l'Arc-en-Ciel paraissent successivement de façon, que le plus grand angle, en ce cas, fait le rouge, & que le plus petit angle de 40 degrez 17 minutes forme le violet. C'est-là le fondement de la connaissance de l'Arc-en-Ciel; mais ce n'en est encore que le fondement.
La réfrangibilité unique raison de l'Arc-en-Ciel.
La réfrangibilité seule rend raison de ce phénomêne si ordinaire, si peu connu, & dont très-peu de Commençans ont une idée nette; tâchons de rendre la chose sensible à tout le monde. Suspendons une boule de crystal pleine d'eau, exposée au Soleil: plaçons-nous entre le Soleil & elle; pourquoi cette boule m'envoye-t-elle des couleurs? & pourquoi certaines couleurs? Des masses de lumiere, des millions de faisceaux, tombent du Soleil sur cette boule: dans chacun de ces faisceaux il y a des traits primitifs, des rayons homogênes, plusieurs rouges, plusieurs jaunes, plusieurs verds, &c. tous se brisent à leur incidence dans la boule, chacun d'eux se brise différemment & selon l'espèce dont il est, & selon l'endroit dans lequel il entre.
Vous savez déja que les rayons rouges sont les moins réfrangibles; les rayons rouges d'un certain faisceau déterminé iront donc se réunir dans un certain point déterminé au fond de la boule, tandis que les rayons bleus & pourpres du même faisceau iront ailleurs. Ces rayons rouges sortiront aussi de la boule en un endroit, & les verds, les bleus, les pourpres en un autre endroit. Ce n'est pas assez. Il faut examiner les points, où tombent ces rayons rouges en entrant dans cette boule & en sortant pour venir à votre œil.
Pour donner à ceci tout le degré de clarté nécessaire, concevons cette boule telle qu'elle est en effet, un assemblage d'une infinité de surfaces planes; car le cercle étant composé d'une infinité de droites infiniment petites, la boule n'est qu'une infinité de surfaces.
Des rayons rouges A, B, C. viennent parallèles du Soleil sur ces trois petites surfaces. N'est-il pas vrai que chacun se brise selon son degré d'incidence? N'est-il pas manifeste que le rayon rouge A. tombe plus obliquement sur sa petite surface, que le rayon rouge B. ne tombe sur la sienne? Ainsi tous deux viennent au point R. par différens chemins.
Le rayon rouge C. tombant sur sa petite surface encore moins obliquement se rompt bien moins, & arrive aussi au point R. en ne se brisant que très-peu.
Explication de ce phénomêne.
J'ai donc déja trois rayons rouges, c'est-à-dire, trois faisceaux de rayons rouges, qui aboutissent au même point R.
A ce point R. chacun fait un angle de réflexion égal à son angle d'incidence, chacun se brise à son émergence de la boule, en s'éloignant de la perpendiculaire de la nouvelle petite surface qu'il rencontre, de même que chacun s'est rompu à son incidence en s'approchant de sa perpendicule; donc tous reviennent parallèles, donc tous entrent dans l'œil, selon l'ouverture de l'angle propre aux rayons rouges.
S'il y a une quantité suffisante de ces traits homogênes rouges pour ébranler le nerf optique, il est incontestable que vous ne devez avoir que la sensation de rouge.
Ce sont ces rayons A, B, C. qu'on nomme rayons visibles, rayons efficaces de cette goûte; car chaque goûte a ses rayons visibles.
Il y a des milliers d'autres rayons rouges, qui, venant sur d'autres petites surfaces de la boule, plus haut & plus bas, n'aboutissent point en R, ou qui, tombés en ces mêmes surfaces à une autre obliquité, n'aboutissent point non plus en R.; ceux-là sont perdus pour vous, ils viendront à un autre œil placé plus haut, ou plus bas.
Des milliers de rayons orangés, verds, bleus, violets, sont venus à la vérité avec les rouges visibles sur ces surfaces A, B, C.; mais vous ne pourrez les recevoir. Vous en savez la raison, c'est qu'ils sont tous plus réfrangibles que les rouges: c'est qu'en entrant tous au même point, chacun prend dans la boule un chemin différent; tous rompus davantage, ils viennent au-dessous du point R., ils se rompent aussi plus que les rouges en sortant de la boule. Ce même pouvoir qui les approchoit plus du perpendicule de chaque surface dans l'intérieur de la boule, les en écarte donc davantage à leur retour dans l'air: ils reviennent donc tous au-dessous de votre œil; mais baissez la boule, vous rendez l'angle plus petit. Que cet angle soit de quarante degrez environ dix-sept minutes, vous ne recevez que les objets violets.
Il n'y a personne qui sur ce principe ne conçoive très-aisément l'artifice de l'Arc-en-Ciel; imaginez plusieurs rangées, plusieurs bandes de goûtes de pluye, chaque goûte fait précisément le même effet que cette boule.
Jettez les yeux sur cet Arc, &, pour éviter la confusion, ne considerez que trois rangées de goûtes de pluye, trois bandes colorées.
Il est visible que l'angle P, O, L. est plus petit que l'angle V, O, L., & que l'angle R, O, L. est le plus grand des trois. Ce plus grand angle des trois est donc celui des rayons primitifs rouges: cet autre mitoyen est celui des primitifs verds; ce plus petit P, O, L. est celui des primitifs pourpres. Donc vous devez voir l'Iris rouge dans son bord extérieur, verte dans son milieu, pourpre & violette dans sa bande intérieure. Remarquez seulement que la derniére couche violette est toujours teinte de la couleur blanchâtre de la nuée dans laquelle elle se perd.
Vous concevez donc aisément que vous ne voyez ces goûtes que sous les rayons efficaces parvenus à vos yeux après une réflexion & deux réfractions, & parvenus sous des angles déterminés. Que votre œil change de place, qu'au lieu d'être en O. il soit en T. ce ne sont plus les mêmes rayons que vous voyez: la bande qui vous donnoit du rouge vous donne alors de l'orangé, ou du verd, ainsi du reste; & à chaque mouvement de tête vous voyez une Iris nouvelle.
Ce premier Arc-en-Ciel bien conçu, vous aurez aisément l'intelligence du second que l'on voit d'ordinaire qui embrasse ce premier, & qu'on appelle le faux Arc-en-Ciel, parce que ses couleurs sont moins vives, & qu'elles sont dans un ordre renversé.
Les deux Arcs-en-Ciel.
Pour que vous puissiez voir deux Arcs-en-Ciel, il suffit que la nuée soit assez étendue & assez épaisse. Cet Arc, qui se peint sur le premier & qui l'embrasse, est formé de même par des rayons que le Soleil darde dans ces goûtes de pluye, qui s'y rompent, qui s'y réflechissent de façon, que chaque rangée des goûtes vous envoye aussi des rayons primitifs; cette goûte un rayon rouge, cette autre goûte un rayon violet.
Mais tout se fait dans ce grand Arc d'une maniere opposée à ce qui se passe dans le petit; pourquoi cela? C'est que votre œil qui reçoit les rayons efficaces du petit Arc venus du Soleil dans la partie supérieure des goûtes, reçoit au contraire les rayons du grand Arc venus par la partie basse des goûtes.
Vous appercevez que les goûtes d'eau du petit Arc reçoivent les rayons du Soleil par la partie supérieure, par le haut de chaque goûte; les goûtes du grand Arc-en-Ciel au contraire reçoivent les rayons qui parviennent par leur partie basse. Rien ne vous sera, je crois, plus facile que de concevoir comment les rayons se réflechissent deux fois dans les goûtes de ce grand Arc-en-Ciel, & comment ces rayons deux fois réfractés, & deux fois réflechis, vous donnent une Iris dans un ordre opposé à la premiere, & plus affaiblie de couleur. Vous venez de voir que les rayons entrent ainsi dans la petite partie basse des goûtes d'eau de cette Iris extérieure.
Une masse de rayons se présente à la surface de la goûte en G. là une partie de ces rayons se réfracte en dedans, & une autre s'éparpille en dehors; voilà déja une perte de rayons pour l'œil. La partie réfractée parvient en H. une moitié de cette partie s'échappe dans l'air en sortant de la goûte, & est encore perdue pour vous. Le peu qui s'est conservé dans la goûte, s'en va en K. là une partie s'échappe encore: troisième diminution. Ce qui en est resté en K. s'en va en M. & à cette émergence en M., une partie s'éparpille encore: quatrième diminution; & ce qui en reste parvient enfin dans la ligne M, N. Voilà donc dans cette goûte autant de réfractions que dans les goûtes du petit Arc; mais il y a comme vous voyez deux réflexions au lieu d'une dans ce grand Arc. Il se perd donc le double de la lumiere dans ce grand Arc où la lumiere se réflechit deux fois, & il s'en perd la moitié moins dans le petit Arc intérieur, où les goûtes n'éprouvent qu'une réflexion. Il est donc démontré que l'Arc-en-Ciel extérieur doit toujours être de moitié plus faible en couleur que le petit Arc intérieur. Il est aussi démontré par ce double chemin que font les rayons, qu'ils doivent parvenir à vos yeux dans un sens opposé à celui du premier Arc, car votre œil est placé en O.
Dans cette place O. il reçoit les rayons les moins réfrangibles de la premiere bande extérieure du petit Arc, & il doit recevoir les plus réfrangibles de la premiere bande extérieure de ce second Arc; ces plus réfrangibles sont les violets. Voici donc les deux Arcs-en-Ciel ici dans leur ordre, en ne mettant que trois couleurs pour éviter la confusion.
Ce phénomêne vu toujours en demi-cercle.
Il ne reste plus qu'à voir pourquoi ces couleurs sont toujours apperçues sous une figure circulaire. Considérez cette ligne O, Z. qui passe par votre œil. Soient conçues se mouvoir ces deux boules toujours à égale distance de votre œil, elles décriront des bases de cones, dont la pointe sera toujours dans votre œil.
Concevez que le rayon de cette goûte d'eau R. venant à votre œil O. tourne autour de cette ligne O, Z. comme autour d'un axe, faisant toujours, par exemple, un angle avec votre œil de 42 degrez deux minutes; il est clair que cette goûte décrira un cercle qui vous paraitra rouge. Que cette autre goûte V. soit conçue tourner de même, faisant toujours un autre angle de quarante degrez dix-sept minutes, elle formera un cercle violet; toutes les goûtes qui seront dans ce plan formeront donc un cercle violet, & les goûtes qui sont dans le plan de la goûte R. feront un cercle rouge. Vous verrez donc cette Iris comme un cercle, mais vous ne voyez pas tout un cercle; parce que la Terre le coupe, vous ne voyez qu'un Arc, une portion de cercle.
La plûpart de ces vérités ne purent encore être apperçues ni par Antonio de Dominis, ni par Descartes: ils ne pouvoient savoir pourquoi ces différens angles donnoient différentes couleurs; mais c'étoit beaucoup d'avoir trouvé l'Art. Les finesses de l'Art sont rarement dues aux premiers inventeurs. Ne pouvant donc deviner que les couleurs dépendoient de la réfrangibilité des rayons, que chaque rayon contenoit en soi une couleur primitive, que la différente attraction de ces rayons faisoit leur réfrangibilité, & opéroit ces écartemens qui font les différens angles, Descartes s'abandonna à son esprit d'invention pour expliquer les couleurs de l'Arc-en-Ciel. Il y employa le tournoyement imaginaire de ces globules & cette tendance au tournoyement; preuve de génie, mais preuve d'erreur. C'est ainsi que pour expliquer la systole & la diastole du cœur, il imagina un mouvement & une conformation dans ce viscère, dont tous les Anatomistes ont reconnu la fausseté. Descartes auroit été le plus grand Philosophe de la Terre, s'il eût moins inventé.
CHAPITRE DOUZE.
Nouvelles découvertes sur la cause des couleurs qui confirment la doctrine précédente. Démonstration que les couleurs sont occasionnées par l'épaisseur des parties qui composent les corps.
PAr tout ce qui a été dit jusqu'à présent il résulte donc, que toutes les couleurs nous viennent du mêlange des sept couleurs primordiales que l'Arc-en-Ciel & le prisme nous font voir distinctement.
Les corps les plus propres à réflechir des rayons rouges, & dont les parties absorbent ou laissent passer les autres rayons, seront rouges, & ainsi du reste. Cela ne veut pas dire que les parties de ces corps réflechissent en effet les rayons rouges; mais qu'il y a un pouvoir, une force jusqu'ici inconnue, qui réflechit ces rayons d'auprès des surfaces & du sein des pores des corps.
Connaissance plus approfondie de la formation des couleurs.
Les couleurs sont donc dans les rayons du Soleil, & rejaillissent à nous d'auprès des surfaces, & des pores & du vuide. Cherchons à présent en quoi consiste le pouvoir apparent des corps de nous réflechir ces couleurs, ce qui fait que l'écarlate parait rouge, que les Prés sont verds, qu'un Ciel pur est bleu; car dire que cela vient de la différence de leurs parties, c'est dire une chose vague qui n'apprend rien du tout.
Grandes vérités tirées d'une expérience commune.
Un divertissement d'enfant, qui semble n'avoir rien en soi que de méprisable, donna à Mr. Neuton la premiere idée de ces nouvelles vérités que nous allons expliquer. Tout doit être pour un Philosophe un sujet de méditation, & rien n'est petit à ses yeux. Il s'apperçut que dans ces bouteilles de Savon que font les Enfants, les couleurs changent de moment en moment, en comptant du haut de la boule à mesure que l'épaisseur de cette boule diminue, jusqu'à ce qu'enfin la pesanteur de l'eau & du savon qui tombe toujours au fond, rompe l'équilibre de cette sphére legére, & la fasse évanouïr. Il en présuma que les couleurs pourroient bien dépendre de l'épaisseur des parties qui composent les surfaces des corps, & pour s'en assûrer il fit les expériences suivantes.
Expérience de Neuton.
Que deux crystaux se touchent en un point: il n'importe qu'ils soient tous deux convexes; il suffit que le premier le soit, & qu'il soit posé sur l'autre en cette façon.
Les couleurs dépendent de l'épaisseur des parties des corps, sans que ces parties réfléchissent elles-mêmes la lumiere.
Qu'on mette de l'eau entre ces deux verres pour rendre plus sensible l'expérience qui se fait aussi dans l'air: qu'on presse un peu ces verres l'un contre l'autre, une petite tache noire transparente parait au point du contact des deux verres: de ce point entouré d'un peu d'eau se forment des anneaux colorés dans le même ordre & de la même maniere que dans la bouteille de savon: enfin en mesurant le diamétre de ces anneaux & la convéxité du verre, Neuton détermina les différentes épaisseurs des parties d'eau qui donnoient ces différentes couleurs; il calcula l'épaisseur nécessaire à l'eau pour réflechir les rayons blancs: Cette épaisseur est d'environ quatre parties d'un pouce divisé en un million, c'est-à-dire, quatre millionêmes d'un pouce; le bleu azur & les couleurs tirant sur le violet dépendent d'une épaisseur beaucoup moindre. Ainsi les vapeurs les plus petites qui s'élevent de la Terre, & qui colorent l'air sans nuages, étant d'une très-mince surface, produisent ce bleu céleste qui charme la vûe.
D'autres expériences aussi fines ont encore appuyé cette découverte, que c'est à l'épaisseur des surfaces que sont attachées les couleurs.
Le même corps qui étoit verd, quand il étoit un peu épais, est devenu bleu, quand il a été rendu assez mince pour ne réflechir que les rayons bleus, & pour laisser passer les autres. Ces vérités d'une recherche si délicate, & qui sembloient se dérober à la vûe humaine, méritent bien d'être suivies de près; cette partie de la Philosophie est un Microscope avec lequel notre esprit découvre des grandeurs infiniment petites.
Tous les corps sont transparens.
Tous les corps sont transparens, il n'y a qu'à les rendre assez minces, pour que les rayons ne trouvant qu'une lame, qu'une feuille à traverser, passent à travers cette lame. Ainsi quand l'Or en feuilles est exposé à un trou dans une chambre obscure, il renvoye par sa surface des rayons jaunes qui ne peuvent se transmettre à travers sa substance, & il transmet dans la chambre obscure des rayons verds, de sorte que l'Or produit alors une couleur verte; nouvelle confirmation que les couleurs dépendent des différentes épaisseurs.
Preuve que les couleurs dépendent des épaisseurs.
Une preuve encore plus forte, c'est que dans l'expérience de ce verre convexe-plan, touchant en un point ce verre convexe, l'eau n'est pas le seul élément qui dans des épaisseurs diverses donne diverses couleurs: l'air fait le même effet, seulement les anneaux colorés qu'il produit entre les deux verres, ont plus de diamétre que ceux de l'eau.
Il y a donc une proportion secrete établie par la Nature entre la force des parties constituantes de tous les corps & les rayons primitifs qui colorent les corps; les lames les plus minces donneront les couleurs les plus faibles, & pour donner le noir il faudra justement la même épaisseur, ou plutôt la même ténuité, la même mincité, qu'en a la petite partie supérieure de la boule de savon, dans laquelle on appercevoit un petit point noir, ou bien la même ténuité qu'en a le point de contact du verre convexe & du verre plat, lequel contact produit aussi une tache noire.
Sans que les parties solides renvoyent en effet la lumiere.
Mais encore une fois qu'on ne croye pas que les corps renvoyent la lumiere par leurs parties solides, sur ce que les couleurs dépendent de l'épaisseur des parties: il y a un pouvoir attaché à cette épaisseur, un pouvoir qui agit auprès de la surface; mais ce n'est point du tout la surface solide qui repousse, qui réflechit. Cette vérité sera encore plus visiblement démontrée dans le chapitre suivant qu'elle n'a été prouvée jusqu'ici. Il me semble que le Lecteur doit être venu au point où rien ne doit plus le surprendre; mais ce qu'il vient de voir mene encore plus loin qu'on ne pense, & tant de singularités ne sont, pour ainsi dire, que les frontiéres d'un Nouveau Monde.
CHAPITRE TREIZE.
Suites de ces découvertes; Action mutuelle des Corps sur la lumiere.
LA réflexion de la lumiere, son infléxion, sa réfraction, sa réfrangibilité, étant connues, l'origine des couleurs étant découverte, & l'épaisseur même des corps nécessaire pour occasionner certaines couleurs étant déterminée: il nous reste encore à examiner deux propriétés de la lumiere non moins étonnantes & non moins nouvelles. La premiere de ces propriétés est ce pouvoir même qui agit près des surfaces, c'est une action mutuelle de la lumiere sur les corps, & des corps sur la lumiere.
La seconde est un rapport qui se trouve entre les couleurs & les tons de la Musique, entre les Objets de la vûe & ceux de l'ouïe; nous allons rendre compte de ces deux espèces de miracles, & c'est par-là que nous finirons cette petite introduction à l'Optique de Neuton.
Expérience très-singuliére.
Vous avez vu que ces deux crystaux se touchant en un point, produisent des anneaux de couleurs différentes, rouges, bleus, verds, blancs, &c. Faites cette même épreuve dans une chambre obscure, où vous avez fait l'expérience du prisme exposé à la lumiere qui lui vient par un trou. Vous vous souvenez que dans cette expérience du prisme vous avez vu la décomposition de la lumiere & l'anatomie de ses rayons: vous placiez une feuille de papier blanc vis-à-vis ce prisme: ce papier recevoit les sept couleurs primitives, chacune dans leur ordre: maintenant exposez vos deux verres à tel rayon coloré qu'il vous plaira, réflechi de ce papier, vous y verrez toujours entre ces verres se former des anneaux colorés; mais tous ces anneaux alors sont de la couleur des rayons qui vous viennent du papier. Exposez vos verres à la lumiere des rayons rouges, vous n'aurez entre vos verres que des anneaux rouges;
Mais ce qui doit surprendre, c'est qu'entre chacun de ces anneaux rouges il y a un anneau tout noir. Pour constater encore plus ce fait & les singularités qui y sont attachées, présentez vos deux verres, non plus au papier, mais au prisme, de façon que l'un des rayons qui s'échappent de ce prisme, un rouge, par exemple, vienne à tomber sur ces verres, il ne se forme encore que des anneaux rouges entre les anneaux noirs; mettez derriére vos verres la feuille de papier blanc, chaque anneau noir produit sur cette feuille de papier un anneau rouge, & chaque anneau rouge, étant réflechi vers vous, produit du noir sur le papier.
Il résulte de cette expérience que l'air ou l'eau qui est entre vos verres, réflechit en un endroit la lumiere & en un autre endroit la laisse passer, la transmet. J'avoue que je ne peux assez admirer ici cette profondeur de recherche, cette sagacité plus qu'humaine, avec laquelle Neuton à poursuivi ces vérités si imperceptibles; il a reconnu par les mesures & par le calcul ces étranges proportions-ci.
Au point de contact des deux verres, il ne se réflechit à vos yeux aucune lumiere: immédiatement après ce contact, la premiere petite lame d'air ou d'eau, qui touche à ce point noir, vous réflechit des rayons: la seconde lame est deux fois épaisse comme la premiere, & ne réflechit rien: la troisième lame est triple en épaisseur de la premiere, & réflechit: la quatrième lame est quatre fois plus épaisse, & ne réflechit point: la cinquième est cinq fois plus épaisse, & transmet; & la sixième six fois plus épaisse, ne transmet rien.
De sorte que les anneaux noirs vont en cette progression 0, 2, 4, 6, 8. & les anneaux lumineux & colorés en cette progression, 1, 3, 5, 7, 9.
Conséquences de ces expériences.
Ce qui se passe dans cette expérience arrive de même dans tous les corps, qui tous réflechissent une partie de la lumiere & en reçoivent dans leurs substances une autre partie. C'est donc encore une proprieté démontrée à l'esprit & aux yeux, que les surfaces solides ne sont point ce qui réflechit les rayons. Car si les surfaces solides réflechissoient en effet; 1o. le point où les deux verres se touchent réflechiroit & ne seroit point obscur. 2o. Chaque partie solide qui vous donneroit une seule espèce de rayons devroit aussi vous renvoyer toutes les espèces de rayons. 3o. Les parties solides ne transmettroient point la lumiere en un endroit & ne la réflechiroient pas en un autre endroit, car étant toutes solides toutes réflechiroient. 4o. Si les parties solides réflechissoient la lumiere, il seroit impossible de se voir dans un miroir, comme nous l'avons dit, puisque le miroir étant sillonné & raboteux, il ne pourroit renvoyer la lumiere d'une maniere réguliére. Il est donc indubitable qu'il y a un pouvoir agissant sur les corps sans toucher aux corps, & que ce pouvoir agit entre les corps & la lumiere. Enfin loin que la lumiere rebondisse sur les corps mêmes & revienne à nous, il faut croire que la plus grande partie des rayons qui va choquer des parties solides y reste, s'y perd, s'y éteint.
Ce pouvoir qui agit aux surfaces, agit d'une surface à l'autre: c'est principalement de la derniere surface ultérieure du corps transparent que les rayons rejaillissent; nous l'avons déja prouvé. C'est, par exemple, de ce point B. plus que de ce point A. que la lumiere est réflechie.
Action mutuelle des corps sur la lumiere.
Il faut donc admettre un pouvoir lequel agit sur les rayons de lumiere de-dessus l'une de ces surfaces à l'autre, un pouvoir qui transmet & qui réflechit alternativement les rayons. Ce jeu de la lumiere & des corps n'étoit pas seulement soupçonné avant Neuton, il a compté plusieurs milliers de ces vibrations alternatives, de ces jets transmis & réflechis. Cette action des corps sur la lumiere, & de la lumiere sur les corps, laisse encore bien des incertitudes dans la maniere de l'expliquer.
Conjectures de Neuton.
Mais il faut se défier de toute conjecture.
Celui qui a découvert ce mystère n'a pu, dans le cours de sa longue vie, faire assez d'expériences pour assigner la cause certaine de ces effets. Mais quand par ses découvertes il ne nous auroit appris que des nouvelles proprietés de la matiere, ne seroit-ce pas déja un assez grand service rendu à la Philosophie? Il a conjecturé que la lumiere émane du Soleil & des Corps lumineux par accès, par vibrations; que de ces vibrations du Corps lumineux, la premiere opére une réflexion, la seconde une transmission, & ainsi de suite à l'infini. Il avoit aussi préparé des expériences, qui conduisoient à faire voir en quoi ce jeu de la Nature tient au grand principe de l'attraction; mais il n'a pas eu le tems d'achever ses expériences. Il avoit conjecturé encore qu'il y a dans la Nature une matiere très-élastique & très-rare, qui devient d'autant moins rare qu'elle est plus éloignée des corps opaques: que les traits de lumiere excitent des vibrations dans cette matiere élastique: & il faut avouer, que cette hypothèse rendroit raison de presque tous les mystères de la lumiere, & sur-tout de l'attraction & de la gravitation des corps; mais une hypothèse, quand même elle rendroit raison presque de tout, ne doit point être admise. Il ne suffit pas qu'un Systême soit possible pour mériter d'être cru, il faut qu'il soit prouvé: si les Tourbillons de Descartes pouvoient se soutenir contre toutes les difficultés dont on les accable, il faudroit encore les rejetter, parce qu'ils ne seroient que possibles; ainsi nous ne ferons aucun fondement réel sur les conjectures de Neuton même.
Si j'en parle, c'est plutôt pour faire connaitre l'histoire de ses pensées, que pour tirer la moindre induction de ses idées que je regarde comme les rêves d'un grand Homme; il ne s'y arrête en aucune maniere, il s'est contenté des faits, sans rien oser déterminer sur les causes. Passons à l'autre découverte, sur le rapport qui existe entre les raïons de la lumiere & les tons de la Musique.
CHAPITRE QUATORZE.
Du rapport des sept couleurs primitives avec les sept tons de la Musique.
VOus savez que très-long-tems avant Descartes on s'étoit apperçu, qu'un prisme exposé au Soleil donne les couleurs de l'Arc-en-Ciel: on avoit vu souvent ces couleurs se peindre sur un linge, ou sur un papier blanc, dans un ordre qui est toujours le même: bien-tôt on alla, d'expérience en expérience, jusqu'à mesurer l'espace qu'occupe chacune de ces couleurs; enfin on s'est apperçu que ces espaces sont entre eux les mêmes que ceux des longueurs d'une corde, qui donne les sept tons de la Musique.
Chose très-remarquable dans Kirker.
J'avois toujours entendu dire, que c'étoit dans Kirker, que Neuton avoit puisé cette découverte de l'analogie de la lumiere & du son. Kirker en effet dans son Ars Magna Lucis & Umbræ, & dans d'autres Livres encore, appelle le Son le Singe de la lumiere. Quelques personnes en inféroient que Kirker avoit connu ces rapports; mais il est bon, de peur de méprise, de mettre ici sous les yeux ce que dit Kirker, page 146. & suivantes. «Ceux, dit-il, qui ont une voix haute & forte tiennent de la nature de l'Ane: ils sont indiscrets & pétulans, comme on sait que sont les Anes; & cette voix ressemble à la couleur noire. Ceux dont la voix est grave d'abord, & ensuite aigue, tiennent du Bœuf; ils sont, comme lui, tristes & coléres, & leur voix répond au bleu céleste».
Il a grand soin de fortifier ces belles découvertes du témoignage d'Aristote. C'est-là tout ce que nous apprend le Pere Kirker, d'ailleurs l'un des plus grands Mathématiciens & des plus savans hommes de son tems; & c'est ainsi, à-peu-près, que tous ceux qui n'étoient que Savans, raisonnoient alors. Voyons comment Neuton a raisonné.
Maniere de connaitre les proportions des couleurs primitives de la lumiere.
Il y a, comme vous savez, dans un seul rayon de lumiere sept principaux rayons, qui ont chacun leur réfrangibilité: chacun de ces rayons a son sinus, chacun de ces sinus a sa proportion avec le sinus commun d'incidence; observez ce qui se passe dans ces sept traits primordiaux, qui s'échappent en s'écartant dans l'air.
Il ne s'agit pas ici de considérer que dans ce verre même tous ces traits sont écartés, & que chacun de ces traits y prend un sinus différent: il faut regarder cet assemblage de rayons dans le verre comme un seul rayon, qui n'a que ce sinus commun A, B.: mais à l'émergence de ce crystal chacun de ces traits s'écartant sensiblement prend chacun son sinus différent; celui du rouge, (rayon le moins réfrangible,) est cette ligne C, B. celui du violet, (rayon le plus réfrangible,) est cette ligne C, B, D.
Ces proportions posées, voions quel est ce rapport, aussi exact que singulier, entre les couleurs & la Musique. Que le sinus d'incidence du faisceau blanc de rayons, soit au sinus d'émergence du rayon rouge, comme cette ligne A, B, est à la ligne A, B, C.
Sinus donné dans le verre
Sinus donné dans l'air
Que ce même sinus A, B, d'incidence commune soit au sinus de réfraction du rayon violet, comme la ligne A, B, est à la ligne A, B, C, D.
Vous voyez que le point C est le terme de la plus petite réfrangibilité, & D le terme de la plus grande; la petite ligne C, D, contient donc tous les degrés de réfrangibilité des sept rayons. Doublez maintenant C, D, ci-dessus, en sorte que I, en devienne le milieu, comme ci-dessous.
Alors la longueur depuis A en C fait le rouge: la longueur de A en H, fait l'orangé: de A en G, le jaune: de A en F, le verd: de A en E, le bleu: de A en B, le pourpre; de A en D, le violet. Or ces espaces sont tels que chaque rayon peut bien être réfracté, un peu plus ou moins, dans chacun de ces espaces, mais jamais il ne sortira de cet espace qui lui est prescrit: le rayon violet se jouera toujours entre B & D: le rayon rouge entre C & I, ainsi du reste, le tout en telle proportion que si vous divisez cette longueur depuis I jusqu'à D, en trois cens soixante parties, chaque rayon aura pour soi les dimensions que vous voyez dans la grande figure ci-jointe.
Analogie des tons de la Musique & des couleurs.
Ces proportions sont précisément les mêmes que celles des tons de la Musique: la longueur de la corde qui étant pincée fera Re, est à la corde, qui donnera l'octave de Re, comme la ligne A, I, qui donne le rouge en I, est à la ligne A, D, qui donne le violet en D; ainsi les espaces qui marquent les couleurs, dans cette figure, marquent aussi les tons de la Musique.
La plus grande réfrangibilité du violet répond à Re: la plus grande réfrangibilité du pourpre répond à Mi: celle du bleu répond à Fa: celle du verd à Sol: celle du jaune à La: celle de l'orangé à Si: celle du rouge à l'Ut; & enfin la plus petite réfrangibilité du rouge se rapporte à Re, qui est l'octave supérieure. Le ton le plus grave répond ainsi au violet, & le ton le plus aigu répond au rouge. On peut se former une idée complette de toutes ces proprietés, en jettant les yeux sur la Table que j'ai dressée, & que vous devez trouver à côté.
Il y a encore un autre rapport entre les sons & les couleurs, c'est que les rayons les plus distants (les violets & les rouges) viennent à nos yeux en même-tems, & que les sons les plus distants (les plus graves & les plus aigus) viennent aussi à nos oreilles en même-tems. Cela ne veut pas dire, que nous voyons & que nous entendons en même-tems à la même distance; car la lumiere se fait sentir six cens mille fois plus vîte, au moins, que le son; mais cela veut dire, que les rayons bleus, par exemple, ne viennent pas du Soleil à nos yeux, plutôt que les rayons rouges, de même que le son de la note Si, ne vient pas à nos oreilles, plutôt que le son de la note Re.
Cette analogie secrete entre la lumiere & le son, donne lieu de soupçonner, que toutes les choses de la Nature ont des rapports cachés, que peut-être on découvrira quelque jour. Il est déja certain qu'il y a un rapport entre le Toucher & la Vûe, puisque les couleurs dépendent de la configuration des parties; on prétend même qu'il y a eu des Aveugles nés, qui distinguoient au toucher la différence du noir, du blanc, & de quelques autres couleurs.
Idée d'un Clavessin oculaire.
Un Philosophe ingénieux a voulu pousser ce rapport des Sens & de la lumiere peut-être plus loin qu'il ne semble permis aux hommes d'aller. Il a imaginé un Clavessin oculaire, qui doit faire paraitre successivement des couleurs harmoniques, comme nos Clavessins nous font entendre des sons: il y a travaillé de ses mains, il prétend enfin qu'on joueroit des airs aux yeux. On ne peut que remercier un homme qui cherche à donner aux autres de nouveaux Arts & de nouveaux plaisirs. Il y a eu des Pays, où le Public l'auroit récompensé. Il est à souhaiter sans doute, que cette invention ne soit pas, comme tant d'autres, un effort ingénieux & inutile: ce passage rapide de plusieurs couleurs devant les yeux semble peut-être devoir étonner, éblouïr, & fatiguer la vûe; nos yeux veulent peut-être du repos, pour jouïr de l'agrément des couleurs. Ce n'est pas assez de nous proposer un plaisir, il faut que la Nature nous ait rendus capables de recevoir ce plaisir: c'est à l'expérience seule à justifier cette invention. En attendant il me parait que tout esprit équitable ne peut que louer l'effort & le génie de celui qui cherche à agrandir la carriére des Arts & de la Nature.
Toute cette Théorie de la lumiere a rapport avec la Théorie de l'Univers.
Nous ne pousserons pas plus loin cette Introduction sur la lumiere, peut-être en avons nous trop dit dans de simples Elémens; mais la plûpart de ces vérités sont nouvelles pour bien des Lecteurs. Avant que de passer à l'autre partie de la Philosophie, souvenons-nous, que la Théorie de la lumiere a quelque chose de commun avec la Théorie de l'Univers dans laquelle nous allons entrer. Cette Théorie est, qu'il y a une espèce d'attraction marquée entre les corps & la lumiere, comme nous en allons observer une entre tous les Globes de notre Univers: ces attractions se manifestent par différens effets; mais enfin c'est toujours une tendance des corps, sans qu'il paraisse aucune impulsion.
La matiere a plus de proprietés qu'on ne pense.
Parmi tant de proprietés de la matiere telle que ces accès de transmission & de réflexion des traits de lumiere, cette répulsion que la lumiere éprouve dans le vuide, dans les pores des corps, & sur les surfaces des corps; parmi ces proprietés, dis-je, il faut sur-tout faire attention à ce pouvoir par lequel les rayons sont réflechis & rompus, à cette force par laquelle les corps agissent sur la lumiere & la lumiere sur eux, sans même les toucher. Ces découvertes doivent au moins servir à nous rendre extrêmement circonspects dans nos décisions sur la nature & l'essence des choses. Songeons que nous ne connaissons rien du tout que par l'expérience. Sans le toucher nous n'aurions point d'idée de l'étendue des corps: sans les yeux, nous n'aurions pu deviner la lumiere: si nous n'avions jamais éprouvé de mouvement, nous n'aurions jamais cru la matiere mobile; un très-petit nombre de sens que Dieu nous a donnés, sert à nous découvrir un très-petit nombre de proprietés de la matiere. Le raisonnement supplée aux sens qui nous manquent, & nous apprend encore que la matiere a d'autres attributs, comme l'attraction, la gravitation; elle en a probablement beaucoup d'autres qui tiennent à sa nature, & dont peut-être un jour la Philosophie donnera quelques idées aux hommes.
CHAPITRE QUINZE.
Premieres idées touchant la pesanteur & les loix de la gravitation: Que la matiere subtile, les tourbillons & le plein doivent être rejettés.
UN Lecteur sage qui aura vu avec attention ces merveilles de la lumiere, convaincu par l'expérience qu'aucune impulsion connue ne les opére, sera sans doute impatient d'observer cette puissance nouvelle dont nous avons parlé sous le nom d'attraction, qui doit agir sur tous les autres corps plus sensiblement que sur celui de la lumiere. Que les noms encore une fois ne nous effarouchent point; examinons simplement les faits.
Attraction.
Je me servirai toujours indifféremment des termes d'attraction & de gravitation en parlant des corps, soit qu'il tendent sensiblement les uns vers les autres, soit qu'ils tournent dans des orbes immenses, autour d'un contre commun, soit qu'ils tombent sur la Terre, soit qu'ils s'unissent pour composer des corps solides, soit qu'ils s'arondissent en goutes pour former des liquides. Entrons en matiere.
Tous les corps connus pesent, & il y a long-tems que la legéreté spécifique a été comptée parmi les erreurs reconnues d'Aristote & de ses Sectateurs.
Depuis que la fameuse Machine pneumatique fut inventée, on a été plus à portée de connoître la pesanteur des corps, car lorsqu'ils tombent dans l'air, les parties de l'air retardent sensiblement la chûte de ceux qui ont beaucoup de surface & peu de volume; mais dans cette Machine privée d'air, les corps abandonnés à la force, telle qu'elle soit, qui les précipite sans obstacle, tombent selon tout leur poids.
Expérience qui démontre le vuide & les effets de la gravitation.
La Machine pneumatique inventée par Ottoguerike, fut bien-tôt perfectionnée par Boyle; on fit ensuite des récipiens de verre beaucoup plus longs, qui furent entiérement purgés d'air. Dans un de ces longs récipiens composé de quatre tubes, le tout ensemble aïant huit pieds de hauteur, on suspendit en haut, par un ressort, des pièces d'or, des morceaux de papier, des plumes; il s'agissoit de savoir ce qui arriveroit, quand on détendroit le ressort. Les bons Philosophes prévoioient, que tout cela tomberoit en même-tems: le plus grand nombre assûroit que les corps les plus massifs tomberoient bien plus vîte que les autres; ce grand nombre, qui se trompe presque toujours, fut bien étonné, quand il vit dans toutes les expériences, l'or, le plomb, le papier & la plume tomber également vîte, & arriver au fond du récipient en même-tems.
Ceux qui tenoient encore pour le Plein de Descartes, & pour les prétendus effets de la matiere subtile, ne pouvoient rendre aucune bonne raison de ce fait; car les faits étoient leurs écuëils. Si tout étoit plein, quand on leur accorderoit qu'il pût y avoir alors du mouvement, (ce qui est absolument impossible) au moins cette prétendue matiere subtile rempliroit éxactement tout le récipient: elle y seroit en aussi grande quantité que de l'eau, ou du mercure, qu'on y auroit mis: elle s'opposeroit au moins à cette descente si rapide des corps: elle résisteroit à ce large morceau de papier, selon la surface de ce papier, & laisseroit tomber la balle d'or ou de plomb beaucoup plus vîte, mais cette chûte se fait au même instant; donc il n'y a rien dans le récipient qui résiste; donc cette prétendue matiere subtile ne peut faire aucun effet sensible dans ce récipient; donc il y a une autre force qui fait la pesanteur.
En vain diroit-on qu'il est possible qu'il reste une matiere subtile dans ce récipient, puisque la lumiere le pénétre; il y a bien de la différence. La lumiere qui est dans ce Vase de verre, n'en occupe certainement pas la cent-millième partie; mais selon les Cartésiens, il faut que leur matiere imaginaire remplisse bien plus éxactement le récipient, que si je le supposois rempli d'or, car il y a beaucoup de vuide dans l'or, & ils n'en admettent point dans leur matiere subtile.
La pesanteur agit en raison des masses.
Or par cette expérience la pièce d'or, qui pese cent-mille fois plus que le morceau de papier, est descendue aussi vîte que le papier; donc la force, qui l'a fait descendre, a agi cent mille fois plus sur lui que sur le papier; de même qu'il faudra cent fois plus de force à mon bras pour remuer cent livres, que pour remuer une livre; donc cette puissance qui opére la gravitation, agit en raison directe de la masse des corps. Elle agit en effet tellement selon la masse des corps, non selon les surfaces, qu'une livre d'or réduite en poudre pesera précisément comme cette même livre en feuille. La figure des corps ne change ici en rien leur gravité; ce pouvoir de gravitation agit donc sur la nature interne des corps, & non en raison des superficies.
D'où vient ce pouvoir de pesanteur.
Ce pouvoir ne réside point dans la prétendue matiere subtile, dont nous parlerons au Chapitre 16., cette matiere seroit un fluide. Tout fluide agit sur les solides en raison de leurs superficies; ainsi le Vaisseau présentant moins de surface par sa proue, fend la Mer qui résisteroit à ses flancs. Or quand la superficie d'un corps est le quarré de son diametre, la solidité de ce corps est le cube de ce même diametre: le même pouvoir ne peut agir à la fois en raison du cube & du quarré; donc la pesanteur, la gravitation n'est point l'effet de ce fluide. De plus, il est impossible que cette prétendue matiere subtile ait d'un côté assez de force, pour précipiter un corps de 54000 pieds de haut en une minute, (car telle est la chûte des corps) & que de l'autre elle soit assez impuissante, pour ne pouvoir empêcher le pendule du bois le plus leger de remonter de vibration en vibration dans la Machine pneumatique, dont cette matiere imaginaire est supposée remplir exactement tout l'espace.
Je ne craindrai donc point d'affirmer que, si l'on découvroit jamais une impulsion, qui fût la cause de la pesanteur des corps vers un centre, en un mot la cause de la gravitation, de l'attraction, cette impulsion seroit d'une toute autre nature qu'est celle que nous connoissons.
Voilà donc une premiere vérité déja indiquée ailleurs, & prouvée ici: il y a un pouvoir qui fait graviter tous les corps en raison directe de leur masse.
Pourquoi un corps pese plus qu'un autre.
Si l'on cherche actuellement pourquoi un corps est plus pesant qu'un autre, on en trouvera aisément l'unique raison: on jugera que ce corps doit avoir plus de masse, plus de matiere sous une même étendue; ainsi l'or pese plus que le bois, parce qu'il y a dans l'or bien plus de matiere & moins de vuide que dans le bois.
Le Systême de Descartes ne peut en rendre raison.
Descartes & ses Sectateurs soutiennent qu'un corps est plus pesant qu'un autre sans avoir plus de matiere: non contents de cette idée, ils la soutiennent par une autre aussi peu vraie: ils admettent un grand tourbillon de matiere subtile autour de notre Globe; & c'est ce grand tourbillon, disent-ils, qui en circulant chasse tous les corps vers le centre de la Terre, & leur fait éprouver ce que nous appellons pesanteur.
Il est vrai qu'ils n'ont donné aucune preuve de cette assertion: il n'y a pas la moindre expérience, pas la moindre analogie dans les choses que nous connoissons un peu, qui puisse fonder une présomption legére en faveur de ce tourbillon de matiere subtile; ainsi de cela seul que ce Systême est une pure hipothèse, il doit être rejetté. C'est cependant par cela seul qu'il a été accrédité. On concevoit ce tourbillon sans effort, on donnoit une explication vague des choses en prononçant ce mot de matiere subtile; & quand les Philosophes sentoient les contradictions & les absurdités attachées à ce Roman Philosophique, ils songeoient à le corriger plutôt qu'à l'abandonner.
Hugens & tant d'autres y ont fait mille corrections, dont ils avouoient eux-mêmes l'insuffisance; mais que mettrons-nous à la place des tourbillons & de la matiere subtile? Ce raisonnement trop ordinaire est celui qui affermit le plus les hommes dans l'erreur & dans le mauvais parti. Il faut abandonner ce que l'on voit faux & insoutenable, aussi-bien quand on n'a rien à lui substituer, que quand on auroit les démonstrations d'Euclide à mettre à la place. Une erreur n'est ni plus ni moins erreur, soit qu'on la remplace ou non par des vérités; devrois-je admettre l'horreur du vuide dans une pompe, parce que je ne saurois pas encore par quel méchanisme l'eau monte dans cette pompe?
Commençons donc, avant que d'aller plus loin, par prouver que les tourbillons de matiere subtile n'existent pas: que le Plein n'est pas moins chimérique; qu'ainsi tout ce Systême, fondé sur ces imaginations, n'est qu'un Roman ingénieux sans vraisemblance. Voyons ce que c'est que ces tourbillons imaginaires, & examinons ensuite si le Plein est possible.
CHAPITRE SEIZE.
Que les tourbillons de Descartes & le Plein sont impossibles, & que par conséquent il y a une autre cause de la pesanteur.
DESCARTES suppose un amas immense de particules insensibles, qui emporte la Terre d'un mouvement rapide d'Occident en Orient, & qui d'un Pole à l'autre se meut parallèlement à l'Equateur; ce tourbillon qui s'étend au-delà de la Lune, & qui entraîne la Lune dans son cours, est lui-même enchassé dans un autre tourbillon plus vaste encore, qui touche à un autre tourbillon sans se confondre avec lui, &c.
Preuve de l'impossibilité des tourbillons.
1o. Si cela étoit, le tourbillon qui est supposé se mouvoir autour de la Terre d'Occident en Orient, devroit chasser les corps sur la Terre d'Occident en Orient: or les corps en tombant décrivent tous une ligne, qui étant prolongée passeroit, à-peu-près, par le centre de la Terre; donc ce tourbillon n'existe pas.
2o. Si les cercles de ce prétendu tourbillon se mouvoient & agissoient parallèlement à l'Equateur, tous les corps devroient tomber chacun perpendiculairement sous le cercle de cette matiere subtile auquel il répond: un corps en A. près du Pole P. devroit, selon Descartes, tomber en R.
Mais il tombe à-peu-près selon la ligne A, B. ce qui fait une différence d'environ 1400 lieues; car on peut compter 1400 lieues communes de France du point R à l'Equateur de la Terre B.; donc ce tourbillon n'éxiste pas.
3o. Si ce tourbillon de matiere autour de la Terre, & ces autres prétendus tourbillons autour de Jupiter & de Saturne, &c. éxistoient, tous ces tourbillons immenses de matiere subtile, roulant si rapidement dans des directions différentes, ne pourroient jamais laisser venir à nous, en ligne droite, un rayon de lumiere dardé d'une Etoile. Il est prouvé que ces rayons arrivent en très-peu de tems par rapport au chemin immense qu'ils font; donc ces tourbillons n'éxistent pas.
4o. Si ces tourbillons emportoient les Planetes d'Occident en Orient, les Cometes, qui traversent en tout sens ces espaces d'Orient en Occident & du Nord au Sud, ne les pourroient jamais traverser. Et quand on supposeroit que les Cometes n'ont point été en effet du Nord au Sud, ni d'Orient en Occident, on ne gagneroit rien par cette évasion, car on sait que quand une Comete se trouve dans la région de Mars, de Jupiter, de Saturne, elle va incomparablement plus vîte que Mars, que Jupiter, que Saturne; donc elle ne peut-être emportée, par la même couche du fluide qui est supposé emporter ces Planetes; donc ces tourbillons n'éxistent pas.
5o. Ces prétendus tourbillons seroient ou aussi denses, aussi massifs que les Planetes, ou bien ils seroient plus denses, ou enfin moins denses. Dans le premier cas, la matiere prétendue, qui entoure la Lune & la Terre, étant supposée dense comme un égal volume de Terre, nous éprouverions pour lever un pied cubique de Marbre, par exemple, la même résistance que si nous avions à lever une colomne de Marbre d'un pied de base, qui auroit pour sa longueur la distance de la Terre à la Lune. Dans le deuxième cas, la matiere fluide étant plus grave que la Terre, notre Globe nageroit sur ce fluide, comme un Vaisseau nage sur l'Eau, & ne pourroit être plongé, comme on le prétend, dans cette matiere subtile. Dans le troisième cas, le fluide étant moins dense, moins pesant que la Terre, ce fluide ne pourroit jamais la soutenir, par la raison que l'Eau ne peut soutenir le fer, ni rien de ce qui pese plus qu'elle; donc ces tourbillons n'éxistent pas.
6o. Si ces fluides imaginaires éxistoient, tout l'ordre des Astres seroit interverti: le Soleil qui tourne sur lui-même, perdroit bien-tôt de son mouvement à force de rencontrer ce fluide; & aucune des Planetes ne suivroit la route qu'elle tient, n'auroit le mouvement qu'elle a, n'auroit bien-tôt aucun mouvement.
7o. Les Planetes emportées dans ces tourbillons supposés ne pourroient se mouvoir que circulairement, puisque ces tourbillons, à égales distances du centre, seroient également denses; mais les Planetes se meuvent dans des Ellipses; donc elles ne peuvent être portées par des tourbillons; donc, &c.
8o. La Terre a son Orbite qu'elle parcourt entre celui de Venus & celui de Mars: tous ces Orbites sont elliptiques, & ont le Soleil pour centre: or quand Mars, & Venus & la Terre sont plus près l'un de l'autre, alors la matiere du torrent prétendu, qui emporte la Terre, seroit beaucoup plus resserrée: cette matiere subtile devroit précipiter son cours, comme un Fleuve rétreci dans ses bords, ou coulant sous les arches d'un Pont: alors ce fluide devroit emporter la Terre d'une rapidité bien plus grande qu'en toute autre position; mais au contraire c'est dans ce tems-là même que le mouvement de la Terre est plus ralenti.
Quand Mars paroît dans le Signe des Poissons, Mars, la Terre & Venus sont à-peu-près dans cette proximité que vous voyez: alors le Soleil paroît retarder de quelque minutes, c'est-à-dire que c'est la Terre qui retarde; il est donc démontré impossible qu'il y ait là un torrent de matiere qui emporte les Planetes; donc ce tourbillon n'éxiste pas.
9o. Parmi des démonstrations plus recherchées, qui anéantissent les tourbillons, nous choisirons celle-ci. Par une des grandes loix de Kepler, toute Planete décrit des aires égales en tems égaux: par une autre loi non moins sûre, chaque Planete fait sa révolution autour du Soleil en telle sorte, que si, par exemple, sa moyenne distance au Soleil est 10. prenez le cube de ce nombre, ce qui fera 1000., & le tems de la révolution de cette Planete autour du Soleil sera proportionné à la racine quarrée de ce nombre 1000. Or s'il y avoit des couches de matiere qui portassent des Planetes, ces couches ne pourroient suivre ces loix; car il faudroit que les vîtesses de ces torrents fussent à la fois proportionelles à leur distances au Soleil, & aux racines quarrées de ces distances; ce qui est incompatible.
Pour comble enfin, tout le monde voit ce qui arriveroit à deux fluides circulant l'un vis-à-vis de l'autre. Ils se confondroient nécessairement & formeroient le Chaos au lieu de le débrouiller. Cela seul auroit jetté sur le Systême Cartésien un ridicule qui l'eût accablé, si le goût de la nouveauté, & le peu d'usage où l'on étoit alors d'examiner, n'avoient prévalu.
Il faut prouver à présent que le Plein, dans lequel ces tourbillons sont supposés se mouvoir, est aussi impossible que ces tourbillons.
Preuve contre le Plein.
1o. Un seul rayon de lumiere, qui ne pese pas, à beaucoup près, la cent-millième partie d'un grain, auroit à déranger tout l'Univers, si elle avoit à s'ouvrir un chemin jusqu'à nous à travers un espace immense, dont chaque point résisteroit par lui-même, & par toute la ligne dont il seroit pressé.
2o. Soient ces deux corps durs A, B: (nous avons déja prouvé qu'il faut qu'il y ait des corps durs) ils se touchent par une surface, & sont supposés entourés d'un fluide qui les presse de tous côtés: or, quand on les sépare, il est clair que la prétendue matiere subtile arrive plutôt au point A, où on les sépare, qu'au point B;
Donc il y a un moment où B sera vuide; donc même dans le Systême de la matiere subtile, il y a du vuide, c'est-à-dire de l'espace.
3o. S'il n'y avoit point de vuide & d'espace, il n'y auroit point de mouvement, même dans le Systême de Descartes. Il suppose que Dieu créa l'Univers plein & consistant en petits cubes: soit donc un nombre donné de cubes représentant l'Univers, sans qu'il y ait entre eux le moindre intervalle: il est évident qu'il faut qu'un d'eux sorte de la place qu'il occupoit, car si chacun reste dans sa place, il n'y a point de mouvement, puisque le mouvement consiste à sortir de sa place, à passer d'un point de l'espace dans un autre point de l'espace; or qui ne voit que l'un de ces cubes ne peut quitter sa place sans la laisser vuide à l'instant qu'il en sort, car il est clair que ce cube en tournant sur lui-même doit présenter son angle au cube qui le touche, avant que l'angle soit brisé? donc alors il y a de l'espace entre ces deux cubes; donc dans le Systême de Descartes même, il ne peut y avoir de mouvement sans vuide.
4o. Si tout étoit plein, comme le veut Descartes, nous éprouverions nous-mêmes en marchant une résistance infinie, au lieu que nous n'éprouvons que celle des fluides dans lesquelles nous sommes, par exemple, celle de l'eau qui nous résiste 860. fois plus que celle de l'air, celle du mercure qui résiste environ 14000. fois plus que l'air; or les résistances des fluides sont comme les quarrés des vîtesses; c'est-à-dire, si un homme parcourt dans une tierce un pied d'espace du mercure qui lui résiste 14000. fois plus que l'air, si cet homme dans la seconde tierce a le double de cette vîtesse, ce mercure lui résistera dans la seconde tierce comme le quarré de 2. multiplié par 14000., résistance 56000. fois plus forte que celle de l'air qui résiste alors à nos mouvemens; donc si tout étoit plein, il seroit absolument impossible de faire un pas, de respirer, &c.
5o. On a voulu éluder la force de cette démonstration; mais on ne peut répondre à une démonstration que par une erreur. On prétend que ce torrent infini de matiere subtile pénétrant tous les pores des corps, ne peut en arrêter le mouvement. On ne fait pas réflexion que tout mobile, qui se meut dans un fluide, éprouve d'autant plus de résistance, qu'il oppose plus de surface à ce fluide: or plus un corps a de trous plus il a de surface: ainsi la prétendue matiere subtile en choquant tout l'intérieur d'un corps, s'opposeroit bien davantage au mouvement de ce corps, qu'en ne touchant que sa superficie extérieure; & cela est encore démontré en rigueur.
6o. Dans le Plein tous les corps seroient également pesants; il est impossible de concevoir qu'un corps pese sur moi, me presse, que par sa masse une livre de poudre d'or pese autant sur ma main, qu'un morceau d'or d'une livre. En vain les Cartésiens répondent que la matiere subtile pénétrant les interstices des corps ne pese point, & qu'il ne faut compter pour pesant que ce qui n'est point matiere subtile: cette opinion de Descartes n'est chez lui qu'une pure contradiction, car selon lui cette prétendue matiere subtile fait seule la pesanteur des corps, en les repoussant vers la Terre; donc elle pese elle-même sur ces corps; donc, si elle pese, il n'y a pas plus de raison pourquoi un corps sera plus pesant qu'un autre, puisque tout étant plein, tout aura également de masse, soit solide, soit fluide; donc le Plein est une chimére; donc il y a du vuide; donc rien ne se peut faire dans la Nature sans vuide; donc la pesanteur n'est pas l'effet d'un prétendu tourbillon imaginé dans le Plein.
CHAPITRE DIX-SEPT.
Ce que c'est que le Vuide, & l'Espace, sans lequel il n'y auroit ni pesanteur ni mouvement.
Difficulté contre le Vuide.
CEUX qui ne peuvent concevoir le Vuide, objectent que ce Vuide ne seroit rien, que le rien ne peut avoir des proprietés, & qu'ainsi il ne se pourroit rien opérer dans le Vuide.
Réponse.
On répond qu'il n'est pas vrai que le Vuide soit rien; il est le lieu des corps, il est l'espace, il a des proprietés, il est étendu en longueur, largueur & profondeur, il est pénétrable, il est inséparable, &c. Il est vrai que je ne peux pas me faire dans le cerveau une image de l'Espace étendu, comme je m'en fais une du Corps étendu; mais je me suis démontré que cet Espace éxiste. Je ne puis en Géométrie me représenter une infinité de cercles passant entre un cercle & une tangente; mais je me suis démontré cependant que la chose est vraie en Géométrie, & cela suffit. Je ne puis concevoir ce que c'est qui pense en moi, je suis cependant convaincu que quelque chose pense en moi. De même je me démontre l'impossibilité du Plein & la nécessité du Vuide, sans avoir une image du Vuide; car je n'ai d'image que de ce qui est corporel, & l'Espace n'est point corporel. Autre chose est se représenter une image, autre chose est concevoir une vérité; je conçois très-bien l'Espace, & les Philosophes Epicuriens, qui n'avoient guère raison qu'en cela, le concevoient très-bien.
Il n'y avoit d'autre réponse à cet Argument que de dire que la Matiere est infinie; c'est ce que plusieurs Philosophes ont assûré, & ce que Descartes a renouvellé après eux.
La Matiére n'est pas infinie.
Mais surquoi imagine-t-on que la Matiere est infinie? Sur une autre supposition que l'on s'est plû de faire. On dit: l'Etendue & la Matiere sont la même chose: on ne peut concevoir que l'Etendue soit finie; donc il faut admettre la Matiere infinie.
Cela prouve combien on s'égare, quand on ne raisonne que sur des suppositions. Il est faux que l'Etendue & la Matiere soient la même chose: toute matiere est étendue; mais toute étendue n'est pas matiere. Descartes en avançant que l'Etendue ne peut-être que de la matiere, disoit une chose bien peu Philosophique, car nous ne savons point du tout ce que c'est que Matiere; nous en connoissons seulement quelques proprietés, & personne ne peut nier qu'il ne soit possible qu'il éxiste des millions d'autres substances étendues, différentes de ce que nous appellons Matiere; or ces substances où seront-elles, sinon dans l'Espace?
Outre cette faute, Descartes se contredisoit encore, car il admettoit un Dieu; or où est Dieu? Il n'est pas dans un point mathématique, il est immense; qu'est-ce que son immensité, sinon l'Espace immense?
Discussion de cette Vérité.
A l'égard de l'infinité prétendue de la Matiere, cette idée est aussi peu fondée que les tourbillons. Nous avons vu que le Vuide est d'une nécessité absolue dans l'ordre des choses, & qu'ainsi la Matiere ne remplissant point tout l'Espace, elle n'est point infinie; mais, qu'entend-on par une Matiere infinie? car le mot d'indéfinie, dont Descartes s'est servi, ou revient au même, ou ne signifie rien. Entend-on que la Matiere est infinie essentiellement par sa nature? En ce cas elle est donc Dieu? Entend-on que Dieu l'a créée infinie? D'où le sauroit-on? Entend-on que l'Etendue & la Matiere sont la même chose? C'est un argument dont on a prouvé assez la fausseté.
L'éxistence de la Matiere infinie est, au fond, une contradiction dans les termes. Mais dira-t-on, vous admettez un Espace immense, infini; pourquoi n'en ferez-vous pas autant de la Matiere? Voici la différence: L'Espace éxiste nécessairement, parce que Dieu éxiste nécessairement; il est immense, il est comme la durée, un mode, une proprieté infinie d'un Etre nécessaire, infini. La Matiere n'est rien de tout cela: elle n'éxiste point nécessairement: & si cette substance étoit infinie, elle seroit ou une proprieté essentielle de Dieu, ou Dieu même: or elle n'est ni l'un ni l'autre; elle n'est donc pas infinie & ne sauroit l'être.
Remarque singuliére.
Je conclurai ce Chapitre par une remarque qui me paroît mériter beaucoup d'attention. Descartes admettoit un Dieu Créateur & Cause de tout: mais il nioit la possibilité du Vuide: Epicure nioit qu'il y eût un Dieu Créateur & Cause de tout, & il admettoit le Vuide; or c'étoit Descartes qui par ses principes devoit nier un Dieu Créateur, & c'étoit Epicure qui devoit l'admettre. En voici la preuve évidente.
Si le Vuide étoit impossible, si la Matiere étoit infinie, si l'Etendue & la Matiere étoient la même chose, il faudroit que la Matiere fût nécessaire: or si la Matiere étoit nécessaire, elle éxisteroit par elle-même d'une nécessité absolue, inhérente dans sa nature primordiale, antécédente à tout; donc elle seroit Dieu; donc celui qui admet l'impossibilité du Vuide, doit, s'il raisonne conséquemment, ne point admettre d'autre Dieu que la Matiere.
Au contraire, s'il y a du vuide, la Matiere n'est donc point un Etre nécessaire, éxistant par lui-même, &c.; donc elle a été créée; donc il y a un Dieu; donc c'étoit à Epicure à croire un Dieu, & c'étoit à Descartes à le nier. Pourquoi donc au contraire Descartes a-t-il toujours parlé de l'éxistence d'un Etre Créateur & Conservateur, & Epicure l'a-t-il rejetté? C'est que les hommes dans leurs sentimens, comme dans leur conduite, suivent rarement leurs principes, & que leurs Systêmes ainsi que leurs vies sont des contradictions.
Conclusion.
Nous voyons de tout ce qui précéde que la Matiere est finie, qu'il y a du vuide, c'est-à-dire, de l'espace, & même incomparablement plus d'espace que de matiere dans notre Monde; car il y a beaucoup plus de pores que de solides. Nous concluons que le Plein est impossible, que les tourbillons de matiere subtile le sont pareillement; qu'ainsi la cause que Descartes assignoit à la pesanteur & au mouvement est une chimére.
Nous venons de nous appercevoir par l'expérience dans la Machine pneumatique qu'il faut qu'il y ait une force qui fasse descendre les corps vers le centre de la Terre, c'est-à-dire, qui leur donne la pesanteur, & que cette force doit agir en raison de la masse des corps; il faut maintenant voir quels sont les effets de cette force, car si nous en découvrons les effets, il est évident qu'elle éxiste. N'allons donc point d'abord imaginer des Causes & faire des Hypothèses: c'est le sûr moyen de s'égarer: suivons pas à pas, ce qui se passe réellement dans la Nature; nous sommes des Voyageurs arrivés à l'Embouchure d'un Fleuve, il faut le remonter avant que d'imaginer où est sa source.
CHAPITRE DIX-HUIT.
Gravitation démontrée par les découvertes de Galilée & de Neuton; que la Lune parcourt son Orbite par la force de cette gravitation.
Loix de la chûte des corps trouvées par Galilée.
GALILE'E le restaurateur de la Raison en Italie, découvrit cette importante proposition, que les Corps graves qui descendent sur la Terre (faisant abstraction de la petite résistance de l'air) ont un mouvement accéléré dans une proportion dont je vais tâcher de donner une idée nette.
Un Corps abandonné à lui-même du haut d'une Tour, parcourt, dans la premiere seconde de tems, un espace qui s'est trouvé être de 15 pieds de Paris, selon les découvertes d'Hugens inventeur en Mathématiques. On croyoit avant Galilée que ce Corps pendant deux secondes auroit parcouru seulement deux fois le même espace, & qu'ainsi il feroit 150 pieds en dix secondes, & neuf cens pieds en une minute: c'étoit-là l'opinion générale, & même fort vraisemblable à qui n'examine pas de près; cependant il est vrai qu'en une minute ce corps auroit fait un chemin de cinquante-quatre mille pieds, & deux cens seize mille pieds en deux minutes.
Voici comment ce progrès, qui étonne d'abord l'imagination, s'opére nécessairement & avec simplicité. Un Corps est précipité par son propre poids: cette force quelconque qui l'anime à descendre de quinze pieds dans la premiere seconde, agit également à tous les instans, car rien n'ayant changé, il faut qu'elle soit toujours la même; ainsi à la deuxième seconde le Corps aura la force qu'il a acquise à chaque instant de la premiere seconde, & la force qu'il éprouve chaque instant de la deuxième. Or par la force qui l'animoit à la premiere seconde il parcouroit quinze pieds, il a donc encore cette force quand il descend la deuxième seconde. Il a outre cela la force de quinze autres pieds qu'il acquéroit à mesure qu'il descendoit dans cette premiere seconde, cela fait trente: il faut (rien n'ayant changé) que dans le tems de cette deuxième seconde, il ait encore la force de parcourir quinze pieds, cela fait quarante-cinq; par la même raison le Corps parcourra soixante-quinze pieds dans la troisième seconde, & ainsi du reste.
De là il suit 1o. que le mobile acquiert en tems égaux infiniment petits des degrés infiniment petits de vîtesse, lesquels accélérent son mouvement vers le centre de la Terre, tant qu'il ne trouve pas de résistance.
2o. Que les vîtesses qu'il acquiert sont comme les tems qu'il employe à descendre.
3o. Que les espaces qu'il parcourt sont comme les quarrés de ces tems où de ces vîtesses.
4o. Que la progression des espaces parcourus par ce mobile sont comme les nombres impairs 1, 3, 5, 7. Cette connoissance nécessaire de ce Phénomêne qui arrive autour de nous à tous les instans, va être rendue sensible à ceux même qui seroient d'abord un peu embarrassés de tous ces rapports; il ne faut qu'un peu d'attention en jettant les yeux sur cette petite table que chaque Lecteur peut augmenter à son gré.
| Tems dans les quels le mobile tombe. | Espaces qu'il parcourt en chaque tems. | Espaces parcourus sont comme les quarrés des tems. | Nombres impairs, qui marquent la progression du mouvement, & les espaces parcourus. |
| 1re. Seconde, une vîtesse: | Le Corps descend de 15 pieds: | Le quarré d'un est un, le corps parcourt 15. pieds. | Une fois quinze, |
| 2me. Seconde, deux vîtesses: | Le Corps parcourt 45. pieds: | Le quarré de deux secondes, ou de deux vîtesses est quatre: quatre fois quinze font 60; donc le corps a parcouru 60. pieds, c'est-à-dire, 15. dans la premiere seconde, & 45. dans la deuxième. | Trois fois quinze; ainsi la progression est d'un à 3. dans cette seconde. |
| 3me. Seconde trois vîtesses. | Le Corps parcourt 75. pieds. | Le quarré de 3. secondes est neuf: or neuf fois 15. font 135; donc le corps a parcouru dans les trois secondes 135. pieds. | Cinq fois 15. pieds; ainsi la progression est visiblement selon les nombres impairs 1. 3. 5. &c. |
Il est clair d'abord qu'à chaque instant infiniment petit, le mobile reçoit un mouvement accéléré, puisque, par l'énoncé même de la proposition & par l'expérience, ce mouvement augmente continuellement. Par cette petite Table un coup d'œil démontrera, qu'au bout d'une minute le mobile aura parcouru cinquante-quatre mille pieds, car 54000. pieds font le quarré de soixante secondes, multiplié par quinze; or quinze multiplié par le quarré de soixante, qui est 3600. donne cinquante-quatre mille.
De ces Expériences il naissoit une nouvelle conjecture, à la vérité bien fondée, mais qui requéroit pourtant une démonstration particuliére. Car, voyant qu'un corps, par une pesanteur toujours égale, faisoit soixante fois autant de chemin au bout de 60 minutes, qu'il en faisoit pendant la premiére minute, on présuma que la pesanteur elle-même devoit varier en raison quelconque des distances du centre de la Terre.
Cela fit aussi soupçonner deslors à quelques grands Génies, qui cherchoient une route nouvelle, & entr'autres au fameux Bacon Chancelier d'Angleterre, qu'il y avoit une gravitation, une attraction des Corps au centre de la Terre, & de ce centre aux Corps. Il proposoit dans son excellent Livre Novum Scientiarum Organum, qu'on fît des expériences avec des Pendules sur les plus hautes Tours & aux profondeurs les plus grandes; car, disoit-il, si les mêmes Pendules font de plus rapides vibrations au fond d'un Puits que sur une Tour, il faut conclure que la pesanteur, qui est le principe de ces vibrations, sera beaucoup plus forte au centre de la Terre, dont ce Puits est plus proche. Il essaya aussi de faire descendre des mobiles de différentes élévations, & d'observer s'ils descendroient de moins de quinze pieds dans la premiére seconde; mais il ne parut jamais de variation dans ces expériences, les hauteurs & les profondeurs où on les faisoit étant trop petites.
On restoit donc dans l'incertitude, & l'idée de cette force agissant du centre de la Terre demeuroit un soupçon vague.
Descartes en eut connoissance: il en parle même en traitant de la pesanteur; mais les expériences qui devoient éclaircir cette grande question manquoient encore. Le Systême des tourbillons entraînoit ce Génie sublime & vaste: il vouloit en créant son Univers, donner la direction de tout à sa Matiere subtile: il en fit la dispensatrice de tout mouvement & de toute pesanteur; petit à petit l'Europe adopta son Systême faute de mieux.
Expérience faite par des Académiciens, laquelle conduit à cette découverte.
Enfin en 1672. Mr. Richer dans un Voyage à la Cayenne près de la Ligne, entrepris par ordre de Louïs XIV. sous les auspices de Colbert le Pere de tous les Arts: Richer, dis-je, parmi beaucoup d'observations, trouva que le Pendule de son Horloge ne faisoit plus ses oscillations, ses vibrations aussi fréquentes que dans la Latitude de Paris, & qu'il falloit absolument racourcir le Pendule d'une ligne & de plus d'un quart.
La Physique & la Géométrie n'étoient pas alors, à beaucoup près, si cultivées qu'elles le sont aujourd'hui. Quel homme eût pu croire que de cette remarque si petite en apparence, & que d'une ligne de plus ou de moins, pussent sortir les plus grandes vérités Physiques? On trouva d'abord, qu'il falloit nécessairement que la pesanteur fût moindre sous l'Equateur, que dans notre Latitude, puisque la seule pesanteur fait l'oscillation d'un pendule.
La Terre plus haute à proportion à l'Equateur qu'au Pole.
On vit par conséquent que, puisque la pesanteur des Corps étoit d'autant moins forte, que ces Corps sont plus éloignés du centre de la Terre, il falloit absolument que la Région de l'Equateur fût beaucoup plus élevée que la nôtre, plus éloignée du centre, & qu'ainsi la Terre ne pouvoit être une Sphére. Beaucoup de Philosophes firent à propos de ces découvertes ce que font tous les hommes, à qui il faut changer d'opinion; ils combattirent la Vérité nouvelle. Une partie des Docteurs jusqu'au XV. Siècle avoit cru la Terre plate, plus longue d'Orient en Occident que du Midi au Septentrion, & couverte du Ciel comme d'une Tente en demi-voute. Leur opinion leur paroissoit d'autant plus sûre qu'ils la croyoient fondée sur la Bible. Peu de tems avant la découverte de l'Amérique, un Evêque d'Avila traitoit l'opinion de la rondeur de la Terre, d'impieté, & d'absurdité. Enfin la Raison & le Voyage de Christophe Colomb rendirent à la Terre son ancienne forme sphérique, que les Chaldéens & les Egyptiens lui avoient donnée. Alors on passa d'une extrémité à l'autre; on crut la Terre une Sphére parfaite, comme on croyoit que les Etoiles faisoient leur révolution dans un vrai cercle.
Cependant du moment que l'on commença à bien savoir que notre Globe tourne sur lui-même en vingt-quatre heures, on auroit du juger de cela seul, qu'une forme entiérement ronde ne peut lui appartenir. On n'avoit qu'à considerer que le mouvement de rotation en vingt-quatre heures doit élever les Eaux de la Mer: que ces Eaux élevées plus que le reste du Globe devroient à tout moment retomber sur les Terres de la Région de l'Equateur & les inonder: or elles n'y retombent pas; donc la Terre solide y doit être élevée comme les Eaux. Ce raisonnement si simple, si naturel, étoit échapé aux plus grands Génies; preuve certaine du préjugé qui n'avoit pas même permis ce leger examen. On contesta encore l'expérience même de Richer: on prétendit que nos Pendules ne faisoient leurs vibrations si promptes vers l'Equateur, que parce que la chaleur allongeoit ce métal: on vit que la chaleur du plus brûlant Eté l'allonge d'une ligne sur trente pieds de longueur; & il s'agissoit ici d'une ligne & un quart, d'une ligne & demie, ou même de deux lignes sur une verge de fer longue de 3 pieds 8 lignes.
Quelques années après, Mrs. Deshayes, Varin, Feuillée, Couplet, repétérent vers l'Equateur la même expérience du Pendule; il le fallut toujours racourcir, quoique la chaleur fût très-souvent moins grande sous la Ligne même, qu'à quinze ou vingt degrès de la Ligne Equinoxiale. Cette expérience vient d'être confirmée de nouveau par les Académiciens qui sont à présent au Pérou; & on apprend dans le moment que vers Quito, dans un tems où il geloit, il a fallu racourcir le Pendule à secondes d'environ deux lignes.
Tandis qu'on trouvoit ainsi de nouvelles vérités sous la Ligne, Mr. Picart par les mêmes ordres avoit donné en 1669 une mesure de la Terre, en traçant une petite partie de la Méridienne de la France. Elle ne donnoit pas à la vérité une mesure aussi exacte de notre Globe qu'on l'auroit eue, si l'on en avoit mesuré des degrés en France, & vers l'Equateur & vers le Cercle Polaire; mais cette différence sera trop petite pour être comptée dans les choses dont nous allons parler.
Ces découvertes étoient nécessaires pour fonder la Théorie de Neuton. On se croit obligé ici de rapporter sur ces découvertes & sur cette Théorie une Anecdote qui ne sera pas sans utilité dans l'Histoire de l'Esprit humain, & qui servira à faire connoître combien l'exactitude est nécessaire dans les Sciences & combien Neuton cherchoit sincérement la Vérité.
Anecdote sur ces découvertes.
Il avoit jetté dès l'année 1666 les fondemens de son admirable Systême de la gravitation; mais il falloit pour que ce Systême se trouvât vrai dans toutes ses parties, & sur-tout pour tirer du mouvement de la Lune les conclusions que nous allons voir; il falloit, dis-je, que les degrés de Latitude fussent chacun environ de vingt-cinq lieues communes de France, & de près de soixante & dix milles d'Angleterre.
Dès l'année 1636: Norwood Mathématicien Anglais avoit fait, par pure curiosité, depuis Londres jusqu'à Yorck, vers le Nord d'Angleterre, les mêmes opérations que les bienfaits du Ministère de France firent entreprendre depuis par Picart en 1669, vers le Nord de Paris, dans un moindre espace de terrain.
Les degrés de Norwood se trouvoient, à très-peu de chose près, de 70 milles d'Angleterre, & de 25 lieues communes de France; c'étoit précisément la mesure que Neuton avoit devinée par sa Théorie, & qui pouvoit seule la justifier.
Mais ce qui paroîtra étonnant, c'est qu'en 1666, & même plusieurs années après, Neuton ne savoit rien des mesures de Norwood, prises plus de 30 ans auparavant. Les malheurs qui avoient affligé l'Angleterre, avoient été aussi funestes aux Sciences qu'à l'Etat. La découverte de Norwood étoit ensévelie dans l'oubli; on s'en tenoit à la mesure fautive des Pilotes, qui par leur estime vague comptoient 60 milles seulement pour un degré de Latitude. Neuton retiré à la Campagne pendant la peste de 1666, n'étant point à portée d'être instruit des mesures de Norwood, s'en tenoit à cette fausse mesure des 60 milles.
Ce fut par cette fausse mesure qu'il rechercha, comme nous l'allons dire, si le même pouvoir qui fait graviter ici les corps vers le centre de la Terre, retient la Lune dans son Orbite. Il se trouva assez loin des conclusions, où il seroit parvenu avec une mesure plus exacte de la Terre, & il eut la bonne foi d'abandonner sa recherche.
Il la reprit quelques années après, sur les mesures de Picart, & il s'y confirma encore davantage en 1683. par les mesures plus exactes de Cassini, la Hire, Chazelles & Varin, qui encouragés par Colbert embrassérent un plus grand terrain que Picart.
Ces Académiciens poussérent la Méridienne jusqu'en Auvergne; mais Colbert étant mort, Louvois, qui lui succéda dans le Département de l'Académie, & non dans son goût pour les Sciences, interrompit un peu ce grand travail.
Ce ne fut guère que vers ce tems-là que Neuton eut connoissance des opérations de Norwood; il vit avec étonnement que ces mesures étoient les mêmes que celles de Picart & de Cassini, à cela près, que le degré mesuré par Norwood surpassoit celui de Picart de 240 toises, & ne surpassoit celui de Cassini que de huit. Neuton attribuoit ce petit excédant de huit toises par degré à la figure de la Terre, qu'il croyoit être celle d'un Sphéroïde applati vers les Poles; & il jugeoit que Norwood en tirant sa Méridienne dans des Régions plus Septentrionales que la nôtre, avoit du trouver ses degrés plus grands que ceux de Cassini, puisqu'il supposoit la courbe du terrain mesurée par Norwood plus longue. Quoi qu'il en soit, voici la sublime Théorie qu'il tira de ces mesures, & des découvertes du grand Galilée.
Théorie tirée de ces découvertes.