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Elémens de la philosophie de Neuton: Mis à la portée de tout le monde

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La pesanteur sur notre Globe est en raison réciproque des quarrés des distances des corps pesants du centre de la Terre; ainsi plus ces distances augmentent, plus la pesanteur diminue.

La force qui fait la pesanteur ne dépend point des tourbillons de Matiere subtile, dont l'existence est démontrée fausse.

Cette force, telle qu'elle soit, agit sur tous les corps, non selon leurs surfaces; mais selon leurs masses. Si elle agit à une distance, elle doit agir à toutes les distances; si elle agit en raison inverse du quarré de ces distances, elle doit toujours agir suivant cette proportion sur les corps connus, quand ils ne sont pas au point de contact, je veux dire, le plus près qu'il est possible d'être, sans être unis.

Si, suivant cette proportion, cette force fait parcourir sur notre Globe 54000 pieds en 60 secondes, un corps qui sera environ à soixante rayons du centre de la Terre, devra en 60 secondes tomber seulement de quinze pieds de Paris ou environ.

La même cause qui fait tomber les corps sur la Terre, dirige la Lune autour de la Terre.

La Lune dans son moyen mouvement est éloignée du centre de la Terre d'environ soixante rayons du Globe de la Terre: or par les mesures prises en France on connoît combien de pieds contient l'Orbite que décrit la Lune; on sait par-là que dans son moyen mouvement elle décrit 187961 pieds de Paris en une minute.

La Lune dans son moyen mouvement, est tombée de A, en B, elle a donc obéï à la force de projectile, qui la pousse dans la tangente A, C, & à la force, qui la feroit descendre suivant la ligne A, D. égale à B, C: ôtez la force qui la dirige de A, en C, restera une force qui pourra être évaluée par la ligne C, B: cette ligne C, B. est égale à la ligne A, D; mais il est démontré que la courbe A, B. valant 187961. pieds, la ligne A, D. ou C, B. en vaudra seulement quinze; donc que la Lune soit tombée en B, ou en D, c'est ici la même chose, elle auroit parcouru 15. pieds en une minute de C, en B; donc elle auroit parcouru 15. pieds aussi de A, en D. en une minute. Mais en parcourant cet espace en une minute, elle fait précisément 3600 fois moins de chemin qu'un mobile n'en feroit ici sur la Terre: 3600. est juste le quarré de sa distance; donc la gravitation qui agit ici sur tous les corps, agit aussi entre la Terre & la Lune précisément dans ce rapport de la raison inverse du quarré des distances.

Mais si cette puissance qui anime les corps, dirige la Lune dans son Orbite, elle doit aussi diriger la Terre dans le sien, & l'effet qu'elle opére sur la Planete de la Lune, elle doit l'opérer sur la Planete de la Terre. Car ce pouvoir est par-tout le même: toutes les autres Planetes doivent lui être soumises, le Soleil doit aussi éprouver sa loi: & s'il n'y a aucun mouvement des Planetes les unes à l'égard des autres, qui ne soit l'effet nécessaire de cette puissance, il faut avouer alors que toute la Nature la démontre; c'est ce que nous allons observer plus amplement.


CHAPITRE DIX-NEUF.

Que la gravitation & l'attraction dirigent toutes les Planetes dans leurs Cours.

Comment on doit entendre, la Théorie de la pesanteur chez Descartes.

PResque toute la Théorie de la pesanteur chez Descartes est fondée sur cette loi de la Nature, que tout corps qui se meut en ligne courbe, tend à s'éloigner de son centre en une ligne droite, qui toucheroit la courbe en un point. Telle est la fronde qui en s'échapant de la main au point B, suivroit cette ligne B, C.

Tous les corps en tournant avec la Terre font ainsi un effort pour s'éloigner du centre; mais la Matiere subtile faisant un bien plus grand effort repousse, disoit-on, tous les autres corps.

Il est aisé de voir que ce n'étoit point à la Matiere subtile à faire ce plus grand effort, & à s'éloigner du centre du tourbillon prétendu, plutôt que les autres corps; au contraire c'étoit sa nature (supposé qu'elle éxistât) d'aller au centre de son mouvement, & de laisser aller à la circonférence tous les corps qui auroient eu plus de masse. C'est en effet ce qui arrive sur une table qui tourne en rond, lorsque dans un tube pratiqué dans cette table, on a mêlé plusieurs poudres & plusieurs liqueurs de pesanteurs spécifiques différentes; tout ce qui a plus de masse s'éloigne du centre, tout ce qui a moins de masse s'en approche. Telle est la loi de la Nature; & lorsque Descartes a fait circuler à la circonférence sa prétendue Matiere subtile, il a commencé par violer cette loi des forces centrifuges, qu'il posoit pour son premier principe. Il a eu beau imaginer que Dieu avoit créé des dés tournans les uns sur les autres: que la raclure de ces dés qui faisoit sa Matiere subtile, s'échapant de tous les côtés, acquéroit par-là plus de vîtesse: que le centre d'un tourbillon s'encroutoit, &c.; il s'en falloit bien que ces imaginations rectifiassent cette erreur.

Sans perdre plus de tems à combattre ces Etres de raison, suivons les loix de la Mécanique qui opére dans la Nature. Un corps qui se meut circulairement, prend en cette maniere, à chaque point de la courbe qu'il décrit, une direction qui l'éloigneroit du Cercle, en lui faisant suivre une ligne droite.

Cela est vrai. Mais il faut prendre garde que ce corps ne s'éloigneroit ainsi du centre, que par cet autre grand Principe: que tout corps étant indifférent de lui-même au repos & au mouvement, & ayant cette inertie qui est un attribut de la Matiere, suit nécessairement la ligne dans laquelle il est mu. Or tout corps qui tourne autour d'un centre, suit à chaque instant une ligne droite infiniment petite, qui deviendroit une droite infiniment longue, s'il ne rencontroit point d'obstacle. Le résultat de ce principe, réduit à sa juste valeur, n'est donc autre chose, sinon qu'un corps qui suit une ligne droite, suivra toujours une ligne droite; donc il faut une autre force pour lui faire décrire une courbe; donc cette autre force, par laquelle il décrit la courbe le feroit tomber au centre à chaque instant, en cas que ce mouvement de projectile en ligne droite cessât. A la vérité de moment en moment ce corps iroit en A, en B, en C. s'il s'échapoit;

Ce que c'est que la force centrifuge, & la force centripète.

Mais aussi de moment en moment il retomberoit de A, de B, de C. au centre; parce que son mouvement est composé de deux sortes de mouvemens, du mouvement de projectile en ligne droite, & du mouvement imprimé aussi en ligne droite par la force centripète, force par laquelle il iroit au centre. Ainsi de cela même que le corps décriroit ces tangentes A, B, C. il est démontré qu'il y a un pouvoir qui le retire de ces tangentes à l'instant même qu'il les commence. Il faut donc absolument considerer tout corps se mouvant dans une courbe, comme mu par deux puissances, dont l'une est celle qui lui feroit parcourir des tangentes, & qu'on nomme la force centrifuge, ou plutôt la force d'inertie, d'inactivité, par laquelle un corps suit toujours une droite s'il n'en est empêché; & l'autre force qui retire le corps vers le centre, laquelle on nomme la force contripète, & qui est la véritable force.

C'est ainsi qu'un corps mu selon la ligne horisontale G, E. & selon la ligne perpendiculaire G, F. obéït à chaque instant à ces deux puissances en parcourant la diagonale G, H.

De l'établissement de cette force centripète, il résulte d'abord cette démonstration, que tout mobile qui se meut dans un cercle, ou dans une ellipse, ou dans une courbe quelconque, se meut autour d'un centre auquel il tend.

Il suit encore que ce mobile, quelques portions de courbe qu'il parcoure, décrira dans ses plus grands arcs & dans ses plus petits arcs, des aires égales en tems égaux. Si, par exemple, un mobile en une minute borde l'espace A, C, B. qui contiendra cent milles d'aire, il doit border en deux minutes un autre espace B, C, D. de deux cens milles.

Cette Loi inviolablement observée par toutes les Planetes, & inconnue à toute l'Antiquité, fut découverte il y a près de 150. ans par Kepler, qui a mérité le nom de Législateur en Astronomie, malgré ses erreurs Philosophiques. Il ne pouvoit savoir encore la raison de cette règle à laquelle les corps célestes sont assujettis. L'extrême sagacité de Kepler trouva l'effet dont le génie de Neuton a trouvé la cause.

Je vais donner ici la substance de la Démonstration de Neuton: elle sera aisément comprise par tout Lecteur attentif; car les hommes ont une Géométrie naturelle dans l'esprit, qui leur fait saisir les rapports, quand ils ne sont pas trop compliqués. On trouvera la Démonstration plus étendue en Notes[1] [2].

Que le corps A. soit mu en B. en un espace de tems très-petit: au bout d'un pareil espace, un mouvement également continué (car il n'y a ici nulle accélération) le feroit venir en C; mais en B. il trouve une force qui le pousse dans la ligne B, H, S.; il ne suit donc ni ce chemin B, H, S. ni ce chemin A, B, C; tirez ce parallélogramme C, D. B, H. alors le mobile étant mu par la force B, C. & par la force B, H. s'en va selon la diagonale B, D. Or cette ligne B, D. & cette ligne B, A. conçues infiniment petites sont les naissances d'une courbe, &c.; donc ce corps se doit mouvoir dans une courbe.

Cette démonstration prouve que le Soleil est le centre de l'Univers & non la Terre.

Il doit border des espaces égaux en tems égaux, car l'espace du triangle S, B, A. est égal à l'espace du triangle S, B, D.: ces triangles sont égaux; donc ces aires sont égales; donc tout corps qui parcourt des aires égales en tems égaux dans une courbe, fait sa révolution autour du centre des forces auquel il tend; donc les Planetes tendent vers le Soleil, tournent autour du Soleil, & non autour de la Terre. Car en prenant la Terre pour centre, leurs aires sont inégales par rapport aux tems, & en prenant le Soleil pour centre, ces aires se trouvent toujours proportionnelles aux tems; si vous en exceptez les petits dérangemens causés par la gravitation même des Planétes.

Pour bien entendre encore ce que c'est que ces aires proportionnelles aux tems, & pour voir d'un coup d'œil l'avantage que vous tirez de cette connoissance, regardez la Terre emportée dans son ellipse autour du Soleil S. son centre. Quand elle va de B, en D. elle ballaye un aussi grand espace que quand elle parcourt ce grand arc H. K: le Secteur H, K. regagne en largeur ce que le Secteur B, S, D. a en longueur. Pour faire l'aire de ces Secteurs égale en tems égaux, il faut que le corps vers H, K. aille plus vîte que vers B, D. Ainsi la Terre & toute Planéte se meut plus vîte dans son périhélie, qui est la courbe la plus voisine du Soleil S, que dans son aphélie, qui est la courbe la plus éloignée de ce même foyer S.

C'est pour les raisons précédentes que nous avons plus d'Eté que d'Hyver.

On connoît donc quel est le centre d'une Planéte, & quelle figure elle décrit dans son orbite par les aires qu'elle parcourt; on connoît que toute Planéte, lorsqu'elle est plus éloignée du centre de son mouvement, gravite moins vers ce centre. Ainsi la Terre étant plus près du Soleil d'un trentième, c'est-à-dire, d'un million de lieues, pendant notre Hyver que pendant notre Eté, est plus attirée aussi en Hyver; ainsi elle va plus vîte alors par la raison de sa courbe; ainsi nous avons huit jours & demi d'Eté plus que d'Hyver, & le Soleil paroît dans les Signes Septentrionaux huit jours & demi de plus que dans les Méridionaux. Puis donc que toute Planéte suit, par rapport au Soleil, son centre, cette Loi de gravitation que la Lune éprouve par rapport à la Terre, & à laquelle tous les corps sont soumis en tombant sur la Terre, il est démontré que cette gravitation, cette attraction, agit sur tous les corps que nous connoissons.

Mais une autre puissante Démonstration de cette Vérité, est la Loi que suivent respectivement toutes les Planétes dans leurs cours & dans leurs distances; c'est ce qu'il faut bien examiner.


CHAPITRE VINGT.

Démonstration des loix de la gravitation, tirée des règles de Kepler; qu'une de ces loix de Kepler démontre le mouvement de la Terre.

Grande règle de Kepler.

KEPLER trouva encore cette admirable règle, dont je vais donner un exemple avant que de donner la définition, pour rendre la chose plus sensible & plus aisée.

Jupiter a 4. Satellites qui tournent autour de lui: le plus proche est éloigné de 2. Diamétres de Jupiter & 5. sixièmes, & il fait son tour en 42. heures: le dernier tourne autour de Jupiter en 402. heures; je veux savoir à quelle distance ce dernier Satellite est du centre de Jupiter. Pour y parvenir, je fais cette règle. Comme le quarré de 42. heures, révolution du 1er. Satellite, est au quarré de 402. heures, révolution du dernier; ainsi le cube de deux Diamétres & 5/6 est à un 4e. terme. Ce 4e. terme étant trouvé, j'en extrais la racine cube, cette racine cube se trouve 12. 2/3.; ainsi je dis que le 4e. Satellite est éloigné du centre de Jupiter de 12. Diamétres de Jupiter & 2/3.

Je fais la même règle pour toutes les Planétes qui tournent autour du Soleil. Je dis: Venus tourne en 224. jours, & la Terre en 365; la Terre est à 30000000. de lieues du Soleil, à combien de lieues sera Venus? Je dis: comme le quarré de l'année de la Terre est au quarré de l'année de Venus, ainsi le cube de la distance moyenne de la Terre est à un 4e. terme dont la racine cubique sera environ 21700000. de lieues, qui font la distance moyenne de Venus au Soleil; j'en dis autant de la Terre & de Saturne, &c.

Cette loi est donc, que le quarré d'une révolution d'une Planete est toujours au quarré des révolutions des autres Planetes, comme le cube de sa distance est aux cubes des distances des autres, au centre commun.

Raisons indignes d'un Philosophe données par Kepler de cette loi admirable.

Kepler qui trouva cette proportion, étoit bien loin d'en trouver la raison. Moins bon Philosophe qu'Astronome admirable, il dit (au 4e. Liv. de son Epitome) que le Soleil a une ame, non pas une ame intelligente animum, mais une ame végétante, agissante, animam: qu'en tournant sur lui-même il attire à soi les Planetes; mais que les Planetes ne tombent pas dans le Soleil, parce qu'elles font aussi une révolution sur leur axe. En faisant cette révolution, dit-il, elles présentent au Soleil tantôt un côté ami, tantôt un côté ennemi: le côté ami est attiré, & le côté ennemi est repoussé; ce qui produit le cours annuel des Planetes dans des Ellipses.

Il faut avouer pour l'humiliation de la Philosophie, que c'est de ce raisonnement si peu Philosophique, qu'il avoit conclu que le Soleil devoit tourner sur son axe: l'erreur le conduisit par hazard à la vérité; il devina la rotation du Soleil sur lui-même plus de 15. ans avant que les yeux de Galilée la reconnussent à l'aide des Telescopes.

Kepler ajoute dans son même Epitome p. 495. que la masse du Soleil, la masse de tout l'Ether, & la masse des Sphéres des Etoiles fixes sont parfaitement égales; & que ce sont les 3. Symboles de la Très-Sainte Trinité.

Le Lecteur qui en lisant ces Elémens, aura vu de si grandes rêveries, à côté de si sublimes vérités, dans un aussi grand homme que Kepler, dans un aussi profond Mathématicien que Kirker, ne doit point en être surpris: on peut être un Génie en fait de calcul & d'observations, & se servir mal quelquefois de sa raison pour le reste; il y a tels Esprits qui ont besoin de s'appuyer sur la Géométrie, & qui tombent quand ils veulent marcher seuls. Il n'est donc pas étonnant que Kepler, en découvrant ces loix de l'Astronomie, n'ait pas connu la raison de ces loix.

Raison véritable de cette loi trouvée par Neuton.

Cette raison est, que la force centripète est précisément en proportion inverse du quarré de la distance du centre de mouvement, vers lequel ces forces sont dirigées; c'est ce qu'il faut suivre attentivement. Il faut bien entendre, qu'en un mot cette loi de la gravitation est telle, que tout corps qui approche 3. fois plus du centre de son mouvement, gravite 9. fois davantage: que s'il s'éloigne 3. fois plus, il gravitera 9. fois moins; & que s'il s'éloigne 100. fois plus, il gravitera 10000. fois moins.

Un corps se mouvant circulairement autour d'un centre, pese donc en raison inverse du quarré de sa distance actuelle au centre, comme aussi en raison directe de sa masse; or il est démontré que c'est la gravitation qui le fait tourner autour de ce centre, puisque sans cette gravitation, il s'en éloigneroit en décrivant une tangente. Cette gravitation agira donc plus fortement sur un mobile, qui tournera plus vîte autour de ce centre; & plus ce mobile sera éloigné, plus il tournera lentement, car alors il pesera bien moins.

C'est par cette raison que la Terre, quoique 1170. fois plus petite que Jupiter, ne pese pourtant sur le Soleil que 8. fois moins que Jupiter; & cela en raison directe des masses, & en raison inverse des quarrés des distances de ces Planetes au Soleil.

Récapitulation des preuves de la gravitation.

Voilà donc cette loi de la gravitation en raison du quarré des distances, démontrée

1o. Par l'Orbite que décrit la Lune, & par son éloignement de la Terre, son centre;

2o. Par le chemin de chaque Planete autour du Soleil dans une Ellipse;

3o. Par la comparaison des distances & des révolutions de toutes les Planetes autour de leur centre commun.

Ces découvertes de Kepler & de Neuton servent à démontrer que c'est la Terre qui tourne autour du Soleil.

Il ne sera pas inutile de remarquer que cette même règle de Kepler, qui sert à confirmer la découverte de Neuton touchant la gravitation, confirme aussi le Systême de Copernic sur le mouvement de la Terre. On peut dire que Kepler par cette seule règle a démontré ce qu'on avoit trouvé avant lui, & a ouvert le chemin aux vérités qu'on devoit découvrir un jour. Car d'un côté il est démontré que si la loi des forces centripètes n'avoit pas lieu, la règle de Kepler seroit impossible; de l'autre il est démontré que suivant cette même règle, si le Soleil tournoit autour de la Terre, il faudroit dire: Comme la révolution de la Lune autour de la Terre en un mois, est à la révolution prétendue du Soleil autour de la Terre en un an, ainsi la racine quarrée du cube de la distance de la Lune à la Terre, est à la racine quarrée du cube de la distance du Soleil à la Terre. Par ce calcul on trouveroit que le Soleil n'est qu'à 510000. lieues de nous; mais il est prouvé qu'il en est au moins à environ 30. millions de lieues; ainsi donc le mouvement de la Terre a été démontré en rigueur par Kepler. Voici encore une démonstration bien simple tirée des mêmes théorêmes.

Démonstration du mouvement de la Terre tirée des mêmes loix.

Si la Terre étoit le centre du mouvement du Soleil, comme elle l'est du mouvement de la Lune, la révolution du Soleil seroit de 475. ans, au lieu d'une année; car l'éloignement moyen où le Soleil est de la Terre, est à l'éloignement moyen où la Lune est de la Terre, comme 337. est à un: or le cube de la distance de la Lune est 1., le cube de la distance du Soleil 38272753: achevez la règle, & dites: Comme le cube 1. est à ce nombre cubé 38272753. ainsi le quarré de 28. qui est la révolution périodique de la Lune est à un 4e. nombre: vous trouverez que le Soleil mettroit 475. ans au lieu d'une année à tourner autour de la Terre; il est donc démontré que c'est la Terre qui tourne.

Il semble d'autant plus à propos de placer ici ces Démonstrations, qu'il y a encore des hommes destinez à instruire les autres en Italie, en Espagne, & même en France, qui doutent, ou qui affectent de douter du mouvement de la Terre.

Il est donc prouvé par la loi de Kepler & par celle de Neuton, que chaque Planete gravite vers le Soleil, centre de l'Orbite qu'elles décrivent: ces loix s'accomplissent dans les Satellites de Jupiter par rapport à Jupiter, leur centre: dans les Lunes de Saturne par rapport à Saturne, dans la nôtre par rapport à nous: toutes ces Planetes secondaires qui roulent autour de leur Planete centrale gravitent aussi avec leur Planete centrale vers le Soleil; ainsi la Lune entraînée autour de la Terre par la force centripète, est en même tems attirée par le Soleil autour duquel elle fait aussi sa révolution. Il n'y a aucune varieté dans le cours de la Lune, dans ses distances de la Terre, dans la figure de son Orbite, tantôt aprochante de l'ellipse, tantôt du cercle, &c. qui ne soit une suite de la gravitation en raison des changemens de sa distance à la Terre, & de sa distance au Soleil.

Si elle ne parcourt pas exactement dans son Orbite des aires égales en tems égaux; Mr. Neuton a calculé tous les cas où cette inégalité se trouve: tous dépendent de l'attraction du Soleil; il attire ces 2. Globes en raison directe de leurs masses, & en raison inverse du quarré de leurs distances. Nous allons voir que la moindre variation de la Lune est un effet nécessaire de ces pouvoirs combinez.


CHAPITRE VINGT-UN.

Nouvelles preuves de l'attraction. Que les inégalités du mouvement & de l'Orbite de la Lune sont nécessairement les effets de l'attraction.

LA Lune n'a qu'un seul mouvement égal, c'est sa rotation autour d'elle-même sur son axe, & c'est le seul dont nous ne nous appercevons pas: c'est ce mouvement qui nous présente toujours à-peu-près le même disque de la Lune; de sorte qu'en tournant réellement sur elle-même, elle paroît ne point tourner du tout, & avoir seulement un petit mouvement de balancement, de libration, qu'elle n'a point, & que toute l'Antiquité lui attribuoit.

Tous ses autres mouvemens autour de la Terre sont inégaux, & doivent l'être si la règle de la gravitation est vraye. La Lune dans son cours d'un mois est nécessairement plus près du Soleil dans un certain point, & dans un certain tems de son cours: or dans ce point & dans ce tems sa masse demeure la même: sa distance étant seulement changée, l'attraction du Soleil doit changer en raison renversée du quarré de cette distance: le cours de la Lune doit donc changer, elle doit donc aller plus vîte en certains tems que l'attraction seule de la Terre ne la feroit aller; or par l'attraction de la Terre elle doit parcourir des aires égales en tems égaux, comme vous l'avez déja observé au Chapitre 19.

On ne peut s'empêcher d'admirer avec quelle sagacité Neuton a démêlé toutes ces inégalités, réglé la marche de cette Planete, qui s'étoit dérobée à toutes les recherches des Astronomes; c'est-là sur-tout qu'on peut dire:

Nec propius fas est mortali attingere Divos.

Exemple en preuve.

Entre les exemples qu'on peut choisir, prenons celui-ci: Soit A. la Lune: A, B, N, Q. l'Orbite de la Lune: S. le Soleil; B. l'endroit où la Lune se trouve dans son dernier quartier[c]. Elle est alors manifestement à la même distance du Soleil qu'est la Terre. La différence de l'obliquité de la ligne de direction de la Lune au Soleil étant comptée pour rien, la gravitation de la Terre & de la Lune vers le Soleil est donc la même. Cependant la Terre avance dans sa route annuelle de T. en V. & la Lune dans son cours d'un mois avance en Z.: or en Z. il est manifeste qu'elle est plus attirée par le Soleil S. dont elle se trouve plus proche que la Terre; son mouvement sera donc accéléré de Z. vers N.; l'Orbite qu'elle décrit sera donc changée, mais comment sera-t-elle changée? En s'aplatissant un peu, en devenant plus approchante d'une droite depuis Z. vers N.; ainsi donc de moment en moment la gravitation change le cours & la forme de l'Ellipse, dans laquelle se meut cette Planete.

Par la même raison la Lune doit retarder son cours, & changer encore la figure de l'Orbite qu'elle décrit, lorsqu'elle repasse de la conjonction N. à son premier quartier Q; car puisque de son dernier quartier elle accéléroit son cours en aplatissant sa courbe vers sa conjonction N. elle doit retarder ce même cours en remontant de la conjonction vers son premier quartier.

Mais lorsque la Lune remonte de ce premier quartier vers son plein A. elle est alors plus loin du Soleil qui l'attire d'autant moins, elle gravite plus vers la Terre. Alors la Lune accélérant son mouvement, la courbe qu'elle décrit s'applatit encore un peu comme dans la conjonction; & c'est-là l'unique raison pour laquelle la Lune est plus loin de nous dans ses quartiers, que dans sa conjonction & dans son opposition. La courbe qu'elle décrit est une espèce d'ovale approchant du cercle à-peu-près en cette maniere.

Ainsi donc le Soleil, dont elle s'approche, ou s'éloigne à chaque instant, doit à chaque instant varier le cours de cette Planete.

Inégalités du cours de la Lune, toutes causées par l'attraction.

Elle a son apogée & son périgée, sa plus grande & sa plus petite distance de la Terre; mais les points, les places de cet apogée & de ce périgée, doivent changer.

Elle a ses nœuds, c'est-à-dire, les points où l'Orbite qu'elle parcourt, rencontre précisément l'Orbite de la Terre; mais ces nœuds, ces points d'intersection, doivent toujours changer aussi.

Elle a son Equateur incliné à l'Equateur de la Terre; mais cet Equateur, tantôt plus tantôt moins attiré, doit changer son inclinaison.

Elle suit la Terre malgré toutes ces variétés: elle l'accompagne dans sa course annuelle; mais la Terre dans cette course se trouve d'un million de lieues plus voisine du Soleil en Hyver qu'en Eté. Qu'arrive-t-il alors indépendemment de toutes ces autres variations? L'attraction de la Terre agit plus pleinement sur la Lune en Eté: alors la Lune acheve son cours d'un mois un peu plus vîte; mais en Hyver au contraire, la Terre elle-même plus attirée par le Soleil, & allant plus rapidement qu'en Eté, laisse ralentir le cours de la Lune, & les mois d'Hyver de la Lune sont un peu plus longs que ses mois d'Eté. Ce peu que nous en disons suffira pour donner une idée générale de ces changemens.

Si quelqu'un faisoit ici la difficulté que j'ai entendu proposer quelquefois, comment la Lune étant plus attirée par le Soleil, ne tombe pas alors dans cet Astre? Il n'a d'abord qu'à considerer que la force de gravitation qui dirige la Lune autour de la Terre est seulement diminuée ici par l'action du Soleil; nous verrons de plus à l'article des Cometes, pourquoi un corps qui se meut en une Ellipse & qui s'approche de son foyer ne tombe point cependant dans ce foyer.

Déduction de ces vérités.

De ces inégalités du cours de la Lune, causées par l'attraction, vous conclurez avec raison, que deux Planetes quelconques, assez voisines, assez grosses pour agir l'une sur l'autre sensiblement, ne pourront jamais tourner dans des cercles autour du Soleil, ni même dans des Ellipses absolument réguliéres. Ainsi les courbes que décrivent Jupiter & Saturne, éprouvent, par exemple, des variations sensibles, quand ces Astres sont en conjonction: quand, étant le plus près l'un de l'autre qu'il est possible, & le plus loin du Soleil, leur action mutuelle augmente, & celle du Soleil sur eux diminue.

La gravitation n'est point l'effet du cours des Astres, mais leur cours est l'effet de la gravitation.

Cette gravitation augmentée & affoiblie selon les distances, assignoit donc nécessairement une figure elliptique irréguliére au chemin de la plûpart des Planetes; ainsi la loi de la gravitation n'est point l'effet du cours des Astres, mais l'orbite qu'ils décrivent est l'effet de la gravitation. Si cette gravitation n'étoit pas comme elle est en raison inverse des quarrés des distances, l'Univers ne pourroit subsister dans l'ordre où il est.

Si les Satellites de Jupiter & de Saturne font leur révolution dans des courbes qui sont plus approchantes du cercle, c'est qu'étant très-proches des grosses Planetes qui sont leur centre, & très-loin du Soleil, l'action du Soleil ne peut changer le cours de ces Satellites, comme elle change le cours de notre Lune; il est donc prouvé que la gravitation, dont le nom seul sembloit un si étrange paradoxe, est une loi nécessaire dans la constitution du Monde; tant ce qui est peu vraisemblable est vrai quelquefois.

Souvenons-nous ici combien il sembloit absurde autrefois que la figure de la Terre ne fût pas sphérique, & cependant il est prouvé, comme nous l'avons vu, que la Terre ne peut avoir une forme entiérement sphérique; il en est ainsi de la gravitation.

Il n'y a pas à présent de bon Physicien qui ne reconnoisse & la règle de Kepler, & la nécessité d'admettre une gravitation telle que Neuton l'a prouvée; mais il y a encore des Philosophes attachés à leurs tourbillons de Matiere subtile, qui voudroient concilier ces tourbillons imaginaires avec ces Vérités démontrées.

Cette gravitation, cette attraction, peut être un premier Principe établi dans la Nature.

Nous avons déja vu combien ces tourbillons sont inadmissibles; mais cette gravitation même ne fournit-elle pas une nouvelle démonstration contr'eux? Car supposé que ces tourbillons existassent, ils ne pourroient tourner autour d'un centre que par les loix de cette gravitation même; il faudroit donc recourir à cette gravitation, comme à la cause de ces tourbillons, & non pas aux tourbillons prétendus, comme à la cause de la gravitation.

Si étant forcé enfin d'abandonner ces tourbillons imaginaires, on se réduit à dire, que cette gravitation, cette attraction, dépend de quelqu'autre cause connue, de quelqu'autre proprieté secrette de la Matiere: ou cette autre proprieté sera elle-même l'effet d'une autre proprieté, ou bien sera une cause primordiale, un premier principe établi par l'Auteur de la Nature; or pourquoi l'attraction de la Matiere ne sera-t-elle pas elle-même ce premier principe?


CHAPITRE VINGT-DEUX.

Nouvelles preuves & nouveaux effets de la gravitation: que ce pouvoir est dans chaque partie de la Matiere; Découvertes dépendantes de ce principe.

REcueillons de toutes ces notions que la force centripète, l'attraction, la gravitation, est le Principe indubitable & du cours des Planetes, & de la chûte de tous les corps, & de cette pesanteur que nous éprouvons dans les corps. Cette force centripète, cette attraction, n'est & ne peut être le simple pouvoir d'un corps d'en appeller un autre à lui: nous la considérons ici comme une force dont résulte le mouvement autour d'un centre; cette force fait graviter le Soleil vers le centre des Planetes, comme les Planetes gravitent vers le Soleil, & attire la Terre vers la Lune, comme la Lune vers la Terre.

Une des loix primitives du mouvement est encore une nouvelle Démonstration de cette Vérité: cette loi est que la réaction est égale à l'action; ainsi si le Soleil gravite sur les Planetes, les Planetes gravitent sur lui, & nous verrons au commencement du Chapitre suivant en quelle maniere cette grande loi s'opére.

Or cette gravitation agissant nécessairement en raison directe de la masse, & le Soleil étant environ 760 fois plus gros que toutes les Planetes mises ensemble, (sans compter les Satellites de Jupiter, & l'anneau & les Lunes de Saturne) il faut que le Soleil soit leur centre de gravitation; ainsi il faut qu'elles tournent toutes autour du Soleil.

Remarque générale & importante sur le principe de l'attraction.

Remarquons soigneusement que, quand nous disons que le pouvoir de gravitation agit en raison directe des masses, nous entendons toujours que ce pouvoir de la gravitation agit d'autant plus sur un corps, que ce corps a plus de parties, & nous l'avons démontré en faisant voir qu'un brin de paille descend aussi vîte dans la Machine purgée d'air, qu'une livre d'or. Nous avons dit (en faisant abstraction de la petite résistance de l'air) qu'une balle de plomb, par exemple, tombe de 15. pieds sur la Terre en une seconde: nous avons démontré que cette même balle tomberoit de 15. pieds en une minute, si elle étoit à 60. rayons de la Terre comme est la Lune; donc le pouvoir de la Terre sur la Lune est au pouvoir qu'elle auroit sur une balle de plomb transportée à l'élévation de la Lune, comme le corps solide de la Lune seroit avec le corps solide de cette petite balle. C'est en cette proportion que le Soleil agit sur toutes les Planetes; il attire Jupiter & Saturne, & les Satellites de Jupiter & de Saturne, en raison directe de la matiere solide, qui est dans les Satellites de Jupiter & de Saturne, & de celle qui est dans Saturne & dans Jupiter.

De-là il découle une Vérité incontestable, que cette gravitation n'est pas seulement dans la masse totale de chaque Planete, mais dans chaque partie de cette masse; & qu'ainsi il n'y a pas un atome de matiere dans l'Univers, qui ne soit revêtu de cette proprieté.

La gravitation, l'attraction, est dans toutes les parties de la matiere également.

Nous choisirons ici la maniere la plus simple dont Neuton a démontré que cette gravitation est également dans chaque atome. Si toutes les parties d'un Globe n'avoient pas également cette proprieté: s'il y en avoit de plus foibles & de plus fortes, la Planete en tournant sur elle-même présenteroit nécessairement des côtés plus foibles, & ensuite des côtés plus forts à pareille distance; ainsi les mêmes corps dans toutes les occasions possibles éprouvent tantôt un degré de gravitation, tantôt un autre à pareille distance; la loi de la raison inverse des quarrés des distances & la loi de Kepler seroient toujours interverties; or elles ne le sont pas; donc il n'y a dans toutes les Planetes aucune partie moins gravitante qu'une autre.

En voici encore une Démonstration. S'il y avoit des corps en qui cette proprieté fût différente, il y auroit des corps qui tomberoient plus lentement & d'autres plus vîte dans la Machine du vuide: or tous les corps tombent dans le même-tems, tous les pendules mêmes font dans l'air de pareilles vibrations à égale longueur: les pendules d'or, d'argent, de fer, de bois d'Erable, de verre, font leurs vibrations en tems égaux; donc tous les corps ont cette proprieté de la gravitation précisément dans le même degré, c'est-à-dire, précisément comme leurs masses; de sorte que la gravitation agit comme 100. sur 100. atomes, & comme 10. sur 10. atomes.

De Vérité en Vérité on s'éleve insensiblement à des connoissances qui sembloient être hors de la sphére de l'Esprit humain.

Calcul hardi & admirable de Neuton.

Neuton a osé calculer à l'aide des seules loix de la gravitation, quelle doit être la pesanteur des corps dans d'autres Globes que le nôtre: ce que doit peser dans la Lune, dans Saturne, dans le Soleil, le même corps que nous appellons ici une livre; & comme ces différentes pesanteurs dépendent directement de la masse des Globes, il a fallu calculer quelle doit être la masse de ces Astres. Qu'on dise après cela que la gravitation, l'attraction, est une qualité occulte: qu'on ose appeller de ce nom une loi universelle, qui conduit à de si étonnantes découvertes.

Il n'est rien de plus aisé que de connoître la grosseur d'un Astre quelconque, dès qu'on connoît son diametre; car le produit de la circonférence du grand Cercle par le diametre donne la surface de l'Astre, & le tiers du produit de cette surface par le rayon fait la grosseur.

Mais en connoissant cette grosseur, on ne connoît point du tout la masse, c'est-à-dire, la quantité de la matiere que l'Astre contient; on ne le peut savoir que par cette admirable découverte des loix de la gravitation.

Comment on peut connoître la quantité de matiere d'un Astre, & ce que les mêmes corps pesent sur les divers Astres.

1o. Quand on dit densité, quantité de matiere, dans un Globe quelconque, on entend que la matiere de ce Globe est homogène; par exemple, que tout pied cubique de cette matiere est également pesant.

2o. Tout Globe attire en raison directe de sa masse; ainsi toutes choses égales, un Globe qui aura 10. fois plus de masse, attirera 10. fois davantage qu'un corps 10. fois moins massif n'attirera à pareille distance.

3o. Il faut absolument considerer la grosseur, la circonférence de ce Globe quelconque; car plus la circonférence est grande, plus la distance au centre augmente, & il attire en raison renversée du quarré de cette distance. Exemple, si le diametre de la Planete A. est 4. fois plus grand que celui de la Planete B. toutes deux ayant également de matiere, la Planete A. attirera les corps à sa superficie 16. fois moins que la Planete B. & ce qui pesera une livre sur la Planete A. pesera 16. livres sur la Planete B.

4o. Il faut savoir sur-tout en combien de tems les mobiles attirés par ce Globe duquel on cherche la densité, font leur révolution autour de ce Globe; car, comme nous l'avons vu au Chapitre 19. tout corps circulant autour d'un autre, gravite d'autant plus qu'il tourne plus vîte; or il ne gravite davantage que par l'une de ces deux raisons, ou parce qu'il s'approche plus du centre qui l'attire, ou parce que ce centre attirant contient plus de matiere. Si donc je veux savoir la densité du Soleil par rapport à la densité de notre Terre, je dois comparer le tems de la révolution d'une Planete comme Venus autour du Soleil, avec le cours de la Lune autour de notre Terre, & la distance de Venus au Soleil avec la distance de la Lune à la Terre.

5o. Voici comme je procéde. La quantité de matiere du Soleil, par rapport à celle de la Terre, est comme le cube de la distance de Venus au centre du Soleil est au cube de la distance de la Lune au centre de la Terre (prenant la distance de Venus au Soleil 257. fois plus grande que celle de la Lune à la Terre), & aussi en raison réciproque du quarré du tems périodique de Venus autour du Soleil, au quarré du tems périodique de la Lune autour de la Terre.

Cette opération faite, en supposant toujours que le Soleil est à la Terre en grosseur comme un million à l'unité, & en comptant rondement, vous trouverez que le Soleil, plus gros que la Terre un million de fois, n'a que 250000. fois ou environ plus de matiere.

Cela supposé, je veux savoir quelle proportion se trouve entre la force de la gravitation à la surface du Soleil, & cette même force à la surface de la Terre; je veux savoir en un mot combien pese sur le Soleil ce qui pese ici une livre.

Pour y parvenir, je dis: La force de cette gravitation dépend directement de la densité des Globes attirants, & de la distance du centre de ces Globes aux corps pesants sur ces Globes: or les corps pesants se trouvants à la superficie du Globe, leur distance est précisément le rayon du Globe; mais le rayon du Globe de la Terre est à celui du Soleil comme 1. est à 100. & la densité respective de la Terre est à celle du Soleil comme 4. est à 1. Dites donc: comme 100, rayon du Soleil multiplié par un, est à 4, densité de la Terre multipliée par 1. ainsi est la pesanteur des corps sur la surface du Soleil à la pesanteur des même corps sur la surface de la Terre: ce rapport de 100. à 4. réduit aux plus petits termes, est comme 25. à 1.; donc une livre pese 25. livres sur la surface du Soleil, ce que je cherchois.

J'ai supposé ici les densités respectives de la Terre & du Soleil comme 4. & 1., mais ce n'est pas tout-à-fait 4; aussi la pesanteur des corps sur la surface du Soleil est à celle des corps sur la Terre environ comme 24., & non pas comme 25. à 1.

On ne peut avoir les mêmes notions de toutes les Planetes, car celles qui n'ont point de Lunes, point de Satellites, manquant de Planetes de comparaison, ne peuvent être soumises à nos recherches; ainsi nous ne savons point le rapport de gravitation qui est entre Mercure, Mars, Venus & nous, mais nous savons celui des autres Planetes.

Je vais donner une petite Théorie de tout notre Monde Planétaire, tel que les découvertes de Neuton servent à le faire connoître; ceux qui voudront se rendre une raison plus approfondie de ces calculs, liront Neuton lui-même, ou Grégory, ou Mr. de Gravesande. Il faut seulement avertir qu'en suivant les proportions découvertes par Neuton, nous nous sommes attachés au calcul Astronomique de l'Observatoire de Paris. Quel que soit le calcul, les proportions & les preuves sont les mêmes.


CHAPITRE VINGT-TROIS.

Théorie de notre Monde Planétaire.

Le Soleil.

LE Soleil est au centre de notre Monde Planétaire & doit y être nécessairement. Ce n'est pas que le point du milieu du Soleil soit précisément le centre de l'Univers; mais ce point central vers lequel notre Univers gravite, est nécessairement dans le corps de cet Astre, & toutes les Planetes, ayant reçu une fois le mouvement de projectile, doivent toutes tourner autour de ce point, qui est dans le Soleil. En voici la preuve.

Soient ces deux Globes A. & B. le plus grand représentant le Soleil, le plus petit représentant une Planete quelquonque. S'ils sont abandonnés l'un & l'autre à la loi de la gravitation, & libres de tout autre mouvement, ils seront attirés en raison directe de leurs masses: ils seront déterminés en ligne perpendiculaire l'un vers l'autre; & A. plus gros un million de fois que B. forcera B. à se jetter vers lui un million de fois plus vîte que le Globe A. n'ira vers B.

Démonstration du mouvement de la Terre autour du Soleil tirée de la gravitation.

Mais qu'ils ayent l'un & l'autre un mouvement de projectile en raison de leurs masses, la Planete en B, C. le Soleil en A, D.: alors la Planete obéït à 2. mouvemens: elle suit la ligne B, C. & gravite en même-tems vers le Soleil suivant la ligne B, A; elle parcourera donc la ligne courbe B, F. le Soleil de même suivra la ligne A, E; & gravitant l'un vers l'autre, ils tourneront autour d'un centre commun. Mais le Soleil surpassant un million de fois la Terre en grosseur, & la courbe A, E. qu'il décrira étant un million de fois plus petite que celle que décrit la Terre, ce centre commun est nécessairement presqu'au milieu du Soleil.

Il est démontré encore par-là que la Terre & les Planetes tournent autour de cet Astre; & cette démonstration est d'autant plus belle & plus puissante, qu'elle est indépendante de toute observation, & fondée sur la Mécanique primordiale du Monde.

Grosseur du Soleil.

Si l'on fait le Diametre du Soleil égal à cent Diametres de la Terre, & si par conséquent il surpasse un million de fois la Terre en grosseur, il est 760. fois plus gros que toutes les Planetes ensemble, en ne comptant ni les Satellites de Jupiter ni l'Anneau de Saturne. Il gravite vers les Planetes & les fait graviter toutes vers lui; c'est cette gravitation qui les fait circuler en les retirant de la tangente, & l'attraction que le Soleil exerce sur elles, surpasse celles qu'elles exercent sur lui, autant qu'il les surpasse en quantité de matiere. Ne perdez jamais de vûe que cette attraction réciproque n'est autre chose que la loi des mobiles gravitants tous & tournants tous vers un centre commun.

Il tourne sur lui-même autour du centre commun du Monde planétaire.

Le Soleil tourne donc sur ce centre commun, c'est-à-dire sur lui-même en 25. jours & ½. son point de milieu est toujours un peu éloigné de ce centre commun de gravité, & le corps du Soleil s'en éloigne à proportion que plusieurs Planetes en conjonction l'attirent vers elles; mais quand toutes les Planetes se trouveroient d'un côté & le Soleil d'un autre, le centre commun de gravité du Monde Planétaire sortiroit à peine du Soleil, & leurs forces réunies pourroient à peine déranger & remuer le Soleil d'un Diametre entier.

Il change toujours de place.

Il change donc réellement de place à tout moment, à mesure qu'il est plus ou moins attiré par les Planetes: & ce petit approchement du Soleil rétablit le dérangement que les Planetes opérent les unes sur les autres; ainsi le dérangement continuel de cet Astre entretient l'ordre de la Nature.

Quoiqu'il surpasse un million de fois la Terre en grosseur, il n'a pas un million plus de matiere, comme on l'a déja dit.

S'il étoit en effet un million de fois plus solide, plus plein que la Terre, l'ordre du Monde ne seroit pas tel qu'il est; car les révolutions des Planetes & leurs distances à leur centre dépendent de leur gravitation, & leur gravitation dépend en raison directe de la quantité de la matiere du Globe où est leur centre; donc si le Soleil surpassoit à un tel excès notre Terre & notre Lune en matiere solide, ces Planetes seroient beaucoup plus attirées, & leurs Ellipses très-dérangées.

Sa densité.

En second lieu la matiere du Soleil ne peut-être comme sa grosseur; car ce Globe étant tout en feu, la rarefaction est nécessairement fort grande, & la matiere est d'autant moindre que la rarefaction est plus forte.

Par les loix de la gravitation il paroît que le Soleil n'a que 250000. fois plus de matiere que la Terre; or le Soleil un million plus gros n'étant que le quart d'un million plus matériel, la Terre un million de fois plus petite aura donc à proportion 4. fois plus de matiere que le Soleil, & sera quatre fois plus dense.

Le même corps en ce cas, qui pese fur la surface de la Terre comme une livre, peseroit sur la surface du Soleil comme 25. livres; mais cette proportion est de 24. à l'unité, parce que la Terre n'est pas en effet 4. fois plus dense, & que le diametre du Soleil surpasse seulement 97 fois & demi celui de la Terre.

En quelle proportion les corps tombent sur le Soleil.

Le même corps qui tombe ici de 15. pieds dans la 1ere. seconde, tombera d'environ 350. pieds sur la surface du Soleil, toutes choses d'ailleurs égales.

Le Soleil perd toujours, selon Neuton, un peu de sa substance, & seroit dans la suite des siècles réduit à rien, si les Cometes, qui tombent de tems en tems dans sa Sphére, ne servoient à réparer ses pertes; car tout s'altére & tout se répare dans l'Univers.

Mercure.

Depuis le Soleil jusqu'à onze à douze millions de nos lieues ou environ, il ne paroît aucun Globe.

A 11. ou 12. millions de nos lieues du Soleil est Mercure dans sa moyenne distance. C'est la plus excentrique de toutes les Planetes: elle tourne dans une Ellipse qui la met dans son périhélie près d'un tiers plus près que dans son aphélie; telle est à-peu-près la courbe qu'elle décrit.

Mercure est à-peu-près 27. fois plus petit que la Terre; il tourne autour du Soleil en 88. jours, ce qui fait son année.

Idée de Neuton sur la densité du corps de Mercure.

Sa révolution sur lui-même qui fait son jour est inconnue; on ne peut assigner ni sa pesanteur, ni sa densité. On sait seulement que si Mercure est précisément une Terre comme la nôtre, il faut que la matiere de ce Globe soit environ 8. fois plus dense que la nôtre, pour que tout n'y soit pas dans un degré d'effervescence qui tueroit en un instant des Animaux de notre espèce, & qui feroit évaporer toute matiere de la consistence de eaux de notre Globe.

Voici la preuve de cette assertion. Mercure reçoit environ 7. fois plus de lumiere que nous, à raison du quarré des distances, parce qu'il est environ 2. fois 2/3 plus près du centre de la lumiere & de la chaleur; donc il est 7. fois plus étouffé, toutes choses égales. Or sur notre Terre la grande chaleur de l'Eté étant augmentée environ 7. à 8. fois, fait incontinent bouillir l'eau à gros bouillons; donc il faudroit que tout fût environ 7. fois plus dense qu'il n'est, pour résister à 7. ou 8. fois plus de chaleur que le plus brûlant Eté n'en donne dans nos Climats; donc Mercure doit être au moins 7. fois plus dense que notre Terre, pour que les mêmes choses qui sont dans notre Terre puissent subsister dans le Globe de Mercure, toutes choses égales. Au reste, si Mercure reçoit environ 7. fois plus de rayons que notre Globe, parce qu'il est environ 2. fois 2/3 plus près du Soleil, par la même raison le Soleil paroît, de Mercure, environ 7. fois plus grand, que de notre Terre.

Venus.

Après Mercure est Venus à 21. ou 22. millions de lieues du Soleil dans sa distance moyenne; elle est grosse comme la Terre, son année est de 224. jours. On ne sait pas encore ce que c'est que son jour, c'est-à-dire, sa révolution sur elle-même. De très-grands Astronomes croyent ce jour de 23. heures, d'autres le croyent de 25. de nos jours. On n'a pas pu encore faire des observations assez sûres pour savoir de quel côté est l'erreur; mais cette erreur, en tout cas, ne peut-être qu'une méprise des yeux, une erreur d'observation, & non de raisonnement.

L'Ellipse que Venus parcourt dans son année est moins excentrique que celle de Mercure; on peut se former quelqu'idée du chemin de ces 2. Planetes autour du Soleil par cette figure.

Prédiction de Copernic sur les Phases de Venus.

Il n'est pas hors de propos de remarquer ici que Venus & Mercure ont par rapport à nous des Phases différentes ainsi que la Lune. On reprochoit autrefois à Copernic, que dans son Systême ces Phases devoient paroître, & on concluoit que son Systême étoit faux, parce qu'on ne les appercevoit pas. Si Venus & Mercure, lui disoit-on, tournent autour du Soleil, & que nous tournions dans un plus grand cercle, nous devons voir Mercure & Venus, tantôt pleins tantôt en croissant, &c.; mais c'est ce que nous ne voyons jamais. C'est pourtant ce qui arrive, leur disoit Copernic, & c'est-ce que vous verrez, si vous trouvez jamais un moyen de perfectionner votre vûe. L'invention des Telescopes & les observations de Galilée servirent bien-tôt à accomplir la prédiction de Copernic. Au reste, on ne peut rien assigner sur la masse de Venus & sur la pesanteur des corps dans cette Planete.

La Terre.

Après Venus est notre Terre placée à 30. millions de lieues du Soleil, ou environ, au moins dans sa moyenne distance.

Elle est à-peu-près un million de fois plus petite que le Soleil: elle gravite vers lui, & tourne autour de lui dans une Ellipse en 365. jours, 5. heures & 48. minutes; & fait au moins 180. millions de lieues par an. L'Ellipse qu'elle parcourt est très-dérangée par l'action de la Lune sur elle, & tandis que le centre commun de la Terre & de la Lune décrit une Ellipse véritable, la Terre décrit en effet cette courbe à chaque Lunaison.

Quelle est la cause de la rotation journaliére de la Terre.

Son mouvement de rotation sur son axe d'Occident en Orient constitue son jour de 23. heures, 56. minutes. Ce mouvement n'est point l'effet de la gravitation. Il paroît sur-tout impossible de recourir ici à cette raison suffisante dont parle le grand Philosophe Leibnitz. Il faut absolument avouer que les Planetes & le Soleil pouvoient tourner d'Orient en Occident; donc il faut convenir que cette rotation d'Occident en Orient est l'effet de la volonté libre du Créateur, & que cette volonté libre est l'unique raison suffisante de cette rotation.

La Terre a un autre mouvement que ses Poles achevent en 25920. années: c'est la gravitation vers le Soleil & vers la Lune qui cause évidemment ce mouvement; ce que nous prouverons dans le Chapitre XXV.

La Terre éprouve encore une révolution beaucoup plus étrange, dont la cause est plus cachée, dont la longueur étonne l'imagination, & qui sembleroit promettre au Genre Humain une durée que l'on n'oseroit concevoir. Cette période est selon toutes les apparences d'un million neuf cens quarante-quatre mille ans. C'est ici le lieu d'insérer ce qu'on fait de cette étonnante découverte avant que de finir le Chapitre de la Terre.

Digression

Sur la Période de 1944000. ans nouvellement découverte.

L'Egypte & une partie de l'Asie, d'où nous sont venues toutes les Sciences qui semblent circuler dans l'Univers, conservoient autrefois une Tradition immémoriale, vague, incertaine, mais qui ne pouvoit être sans fondement. On disoit qu'il s'étoit fait des changemens prodigieux dans notre Globe, & dans le Ciel par rapport à notre Globe. La seule inspection de la Terre donnoit un grand poids à cette opinion.

On voit que les Eaux ont successivement couvert & abandonné les lits qui les contiennent; des Végétaux, des Poissons des Indes, trouvés dans les pétrifications de notre Europe, des Coquillages entassés sur des Montagnes, rendent assez témoignage à cette ancienne Vérité.

Ovide en exposant la Philosophie de Pithagore, & en faisant parler ce Philosophe instruit par les Sages de l'Asie, parloit au nom de tous les Philosophes d'Orient, lorsqu'il disoit:

Nil equidem durare diu sub imagine eâdem
Crediderim; sic ad ferrum venistis ab auro
Sæcula, sic toties versa est fortuna locorum.
Vidi ego quod fuerat quondam solidissima Tellus
Esse Fretum: vidi factas ex Æquore Terras:
Et procul à pelago Conchæ jacuere marinæ:
Quodque fuit Campus Vallem decursus aquarum
Fecit; & eluvie Mons est deductus in Æquor,
Eque paludosa siccis humus aret arenis.

On peut rendre ainsi le sens de ces Vers.

Le Tems qui donne à tout le mouvement & l'être,
Produit, acroît, détruit, fait mourir, fait renaître,
Change tout dans les Cieux, sur la Terre & dans l'Air;
L'Age d'Or à son tour suivra l'Age de Fer:
Flore embellit des Champs l'aridité sauvage:
La Mer change son lit, son flux & son rivage:
Le limon qui nous porte est né du sein des Eaux:
Le Caucase est semé du débris des Vaisseaux:
Bien-tôt la main du Tems applanit les Montagnes,
Il creuse les Vallons, il étend les Campagnes;
Tandis que l'Eternel, le Souverain des tems,
Est seul inébranlable en ces grands changemens.

Voilà quelle étoit l'opinion de l'Orient, & ce n'est pas lui faire tort de la rapporter en vers, ancien langage de la Philosophie.

A ces témoignages que la Nature donne de tant de révolutions qui ont changé la face de la Terre, se joignoit cette idée des anciens Egyptiens, Peuple autrefois Géometre & Astronome, avant que la Superstition & la Mollesse en eussent fait un Peuple méprisable. Cette idée étoit que le Soleil s'étoit levé pendant des Siècles à l'Occident; il est vrai que c'étoit une Tradition aussi obscure que les Hiéroglyphes. Hérodote, qu'on peut regarder comme un Auteur trop récent, & par conséquent de trop peu de poids à l'égard de telles Antiquités, rapporte au Livre d'Euterpe que, selon les Prêtres Egyptiens, le Soleil dans l'espace de onze mille trois cens quarante ans, (& les années des Egyptiens étoient de 365. jours) s'étoit levé deux fois où il se couche, & s'étoit couché deux fois où il se leve, sans qu'il y eût eu le moindre changement en Egypte, malgré cette variation du cours du Soleil.

Ou les Prêtres qui avoient raconté cet Evénement à Hérodote, s'étoient bien mal expliqués, ou Hérodote les avoit bien mal entendus. Car que le Soleil eût changé son cours, c'étoit une Tradition qui pouvoit être probable pour des Philosophes; mais qu'en onze mille & quelques années, les Points cardinaux eussent changé deux fois, cela étoit impossible. Ces deux révolutions, comme nous l'allons voir, ne pourroient s'opérer qu'en près de quatre millions d'années. La révolution entiére des Poles de l'Ecliptique ou de l'Equateur s'acheve en près de 1944000. années, & cette révolution de l'Ecliptique & de l'Equateur peut seule, à l'aide du mouvement journalier de la Terre, tourner notre Globe successivement à l'Orient, au Midi, à l'Occident, au Septentrion. Ainsi ce n'est que dans une Période de deux fois 1944000. années que notre Globe peut voir deux fois le Soleil se coucher à l'Occident, & non pas en 110. Siècles seulement, selon le rapport vague des Prêtres de Thèbes, & d'Hérodote, le Pere de l'Histoire & du mensonge.

Il est encore impossible que ce changement se fût fait sans que l'Egypte s'en fût ressentie; car si la Terre en tournant journellement sur elle-même eût successivement fourni son année d'Occident en Orient, puis du Nord au Sud, d'Orient en Occident, du Sud au Nord en se relevant sur son axe, on voit clairement que l'Egypte eût changé de position comme tous les Climats de la Terre. Les pluyes qui tombent aujourd'hui depuis si long-tems du Tropique du Capricorne, & qui fertilisent l'Egypte en grossissant le Nil, auroient cessé. Le terrain de l'Egypte se fût trouvé dans une Zone glaciale, le Nil & l'Egypte auroient disparu.

Platon, Diogène de Laërce & Plutarque ne parlent pas plus intelligiblement de cette révolution; mais enfin ils en parlent, ils sont des témoins qui restent encore d'une Tradition presque perdue.

Voici quelque chose de plus frappant & de plus circonstancié. Les Philosophes de Babylone comptoient, au tems de l'entrée d'Aléxandre dans leur Ville, quatre cens trente mille ans depuis leurs premiéres Observations Astronomiques, l'Année Babylonienne n'étant que de 360. jours; mais cette Epoque de 403000. ans a été regardée comme un Monument de la vanité d'une Nation vaincue, qui vouloit, selon la coutume de tous les Peuples & de tous les Particuliers, regagner par son antiquité la gloire qu'elle perdoit par sa foiblesse.

Enfin les Sciences ayant été apportées parmi nous, & s'étant peu-à-peu cultivées, le Chevalier de Louville, distingué parmi la foule de ceux qui ont fait honneur au Siècle de Louïs XIV. alla exprès à Marseille en 1714. pour voir si l'obliquité de l'Ecliptique y paroissoit la même qu'elle avoit été observée & fixée par Pitheas, il y avoit plus de 2000. ans. Il trouva cette obliquité de l'Ecliptique, c'est-à-dire, l'angle formé par l'axe de l'Equateur & par l'axe de l'Ecliptique, moindre de 20. minutes que Pitheas ne l'avoit trouvé. Quel rapport de cet angle diminué de 20. minutes avec l'opinion de l'ancienne Egypte? avec les 403000. ans dont se vantoit Babylone? avec une Période du Monde de près de deux millions d'années, & même, selon l'Observation du Chevalier de Louville, de plus de deux millions? Il faut voir l'usage qu'il en fit, & comment il en doit résulter un jour une Astronomie toute nouvelle.

Si l'angle que l'axe de l'Equateur fait avec l'axe de l'Ecliptique est plus petit aujourd'hui de 20. minutes, qu'il ne l'étoit il y a 2000. ans, l'axe de la Terre en se relevant sur le Plan de l'Ecliptique, s'en approche d'un degré entier en 6000. ans.

Que cet angle, P. E. soit, par exemple, d'environ 23. degrés & ½. aujourd'hui, & qu'il décroisse toujours jusqu'à ce qu'il devienne nul, & qu'il recommence ensuite pour accroître & décroître encore, il arrivera certainement que dans 23. fois & ½. six mille ans, c'est-à-dire, dans 141000. années, notre Ecliptique & notre Equateur coïncideront dans tous leurs points: le Soleil sera dans l'Equateur, ou du-moins s'en éloignera très-peu pendant plusieurs Siècles; les Jours, les Nuits, les Saisons seront égaux sur toute la Terre. Il se trouve selon le calcul de l'Astronome Français, calcul un peu réformé depuis, que l'axe de l'Ecliptique avoit été perpendiculaire à celui de l'Equateur, il y a environ 399000. de nos années, supposé que le Monde eût existé alors. Otez de ce nombre le tems qui s'est écoulé depuis l'entrée triomphante d'Aléxandre dans Babylone, on verra avec étonnement que ce calcul se rapporte assez juste avec les 403000. années de 360. jours que comptoient les Babyloniens: on verra qu'ils commençoient ce compte précisément au point où le Pole de la Terre avoit regardé le Bélier, & où la Terre dans sa course annuelle avoit été du Midi au Nord; enfin où le Soleil se levoit & se couchoit aux Régions du Ciel où sont aujourd'hui les Poles.

Il y a quelque apparence que les Astronomes Chaldéens avoient fait la même opération, & par conséquent le même raisonnement que le Philosophe Français: ils avoient mesuré l'obliquité de l'Ecliptique, ils l'avoient trouvée décroissante: & remontant par leurs calculs jusqu'à un Point Cardinal, ils avoient compté du point où l'Ecliptique & l'Equateur avoient fait un angle de 90. degrés; point qu'on pourroit considérer comme le commencement, ou la fin, ou la moitié, ou le quart de cette Période énorme.

Par-là l'Enigme des Egyptiens étoit débrouillée, le compte des Chaldéens justifié, le rapport d'Hérodote éclairci, & l'Univers flatté d'un long avenir, dont la durée plaît à l'imagination des hommes; quoique cette comparaison fasse encore paroître notre vie plus courte.

On s'opposa beaucoup à cette découverte du Chevalier de Louville, & parce qu'elle étoit bien étrange, & parce qu'elle ne sembloit pas encore assez constatée. Un Académicien avoit, dans un Voyage en Egypte, mesuré une Pyramide: il en avoit trouvé les 4. faces exposées aux 4. Points Cardinaux; donc les Méridiens, disoit-on, n'avoient pas changé depuis tant de Siècles; donc l'obliquité de l'Ecliptique, qui par sa diminution eût du changer tous les Méridiens, n'avoit pas en effet diminué. Mais ces Pyramides n'étoient point une Barriére invincible à ces découvertes nouvelles; car étoit-on bien sûr que les Architectes de la Pyramide ne se fussent pas trompés de quelques minutes? La plus insensible aberration, en posant une pierre, eût suffi seule pour opérer cette erreur. D'ailleurs, l'Académicien n'avoit-il pas négligé cette petite différence, qui peut se trouver entre les Points où le Soleil doit marquer les Equinoxes & les Solstices sur cette Pyramide, supposé que rien n'ait changé, & les Points où il les marque en effet? N'auroit-il pas pu se tromper dans les fables de l'Egypte où il opéroit par pure curiosité, puisque Ticho-Brahé lui-même s'étoit trompé de 18. minutes dans la position de la Méridienne d'Uranibourg, de sa Ville du Ciel, où il rapportoit toutes ses Observations; mais Ticho-Brahé s'étoit-il en effet trompé de 18. minutes, comme on le prétend? Ne se pouvoit-il pas encore, que cette différence trouvée entre la vraye Méridienne d'Uranibourg & celle de Ticho-Brahé, vint en partie du changement même du Ciel, & en partie des erreurs presqu'inévitables, commises & par Ticho-Brahé & par ceux qui l'ont corrigé?

Mais aussi le Chevalier de Louville s'étoit pu tromper lui-même, & avoir vu un décroissement d'obliquité qui n'existe point. Pitheas sur-tout étoit vraisemblablement la source de toutes ces erreurs: il avoit observé comme la plûpart des Anciens avec peu d'exactitude: il étoit donc de la prudence, avec laquelle on procéde aujourd'hui en Physique, d'attendre de nouveaux éclaircissemens; ainsi le petit nombre qui peut juger de ce grand différend demeura dans le silence.

Enfin, en 1734. M. Godin (l'un des Philosophes que l'amour de la Vérité vient de conduire au Pérou) reprit le fil de ces découvertes: il ne s'agit plus ici de l'examen d'une Pyramide sur laquelle il restera toujours des difficultés; il faut partir de la fameuse Méridienne tracée en 1655. par Dominique Cassini dans l'Eglise de St. Pétrone, avec une précision dont on est plus sûr que de celle des Architectes des Pyramides. L'obliquité de l'Ecliptique qui en résultoit est de 23.d. 29′. 15′′. mais on ne peut plus douter par les dernieres Observations, que cet angle de l'Ecliptique & de l'Equateur ne soit à présent de 23.d. 28′. 20′′. à-peu-près, à moins que les réfractions, qui entrent dans la détermination de la hauteur du Pole faite par l'Etoile Polaire, & par conséquent aussi dans celle de l'élévation de l'Equateur & de l'obliquité de l'Ecliptique, ne soient un peu changées depuis ce tems: changement qu'on commence à soupçonner par la différence des élévations du Pole, trouvées dans les mêmes Villes après quelque espace de tems, comme dans celles de Londres, d'Amsterdam & de Coppenhague; quoique ces Observations ne suffisent pas encore pour nous assûrer entiérement, que de siècle en siècle l'air se trouve tantôt plus, tantôt moins transparent. Il est vrai qu'on a découvert depuis peu, & démontré infailliblement, que les réfractions de deux endroits, même à très-peu de distance l'un de l'autre, peuvent différer quelquefois au delà de l'opinion; ce qui oblige à présent un Observateur exact de bien déterminer, avant toutes choses, les réfractions de son Horizon, s'il veut que ses observations soient accréditées; mais l'on sait aussi que, selon l'expérience de Mr. Huygens, en laissant une Lunette dans une situation constante, & dirigée vers la pointe de quelque Clocher élevé, depuis midi jusqu'au soir, l'on y verra cette pointe toujours plus élevée sur le déclin du jour, qu'à midi, & que par conséquent l'air peut changer de transparence. Cependant comme tout cela ne contribue rien à un changement, tel que celui qu'on pourroit soupçonner de se mêler au Phénomêne de cette question, on auroit tort d'admettre un fait aussi douteux, vû qu'on n'en a point encore de preuves convaincantes, ni de raisons Physiques.

A l'égard des Pyramides d'Egypte, & de la constance des Méridiens, qui semble contraire à cette mobilité des Poles de l'Equateur, il est à propos de remarquer encore, qu'en supposant la figure de la Terre, non pas sphéroïde, comme elle l'est véritablement, mais exactement sphérique, ce mouvement du Plan de l'Equateur & de ses Poles, se peut concevoir de deux manieres. Car, ou la plûpart des Places, situées à présent sous l'Equateur, auront après quelques siècles une Latitude Méridionale ou Septentrionale, l'Equateur les ayant quittées pour s'approcher de l'Ecliptique, (auquel cas tous les Méridiens seront dérangés, & deux Villes quelconques, sans avoir changé de place, de distance, ni de leur premiére situation sur la Terre, auront pourtant changé de Rumb, l'une à l'égard de l'autre); ou l'Equateur n'abandonnera jamais les Places, qui ont été de tout tems situées sous lui, mais son Plan tournera avec elles autour de l'Ecliptique, sans qu'il se fasse jamais aucun changement dans les Méridiens, leur constance ne prouvant pas la même chose contre le mouvement de l'Equateur que dans la premiére supposition. Au contraire reprenant la figure sphéroïde de la Terre, qui est la véritable, il est clair que ses parties solides se soutenant & ne se pouvant pas quitter les unes les autres, les plus éloignées du Centre de la Terre demeureront toujours dans le même éloignement, & que par conséquent la circonférence de l'Equateur, qui les a une fois environnées, ne les quittera jamais; de sorte que le Plan de l'Equateur, tant mobile qu'immobile, ne sauroit jamais apporter aucun dérangement aux Méridiens. On voit par là que, quoique les Architectes Egyptiens ayent eu ordre d'asseoir les Pyramides parallèlement aux quatre Points Cardinaux du Monde, & qu'ils ayent exécuté cet ordre avec la derniere exactitude, cela n'empêche pas que l'angle de l'intersection de l'Equateur & de l'Ecliptique ne puisse toujours varier autant que l'on voudra.

Rien ne fait plus de plaisir que de voir rétablir le crédit des Vérités les plus respectables par leur ancienneté, après avoir été mises en contestation dans des Siècles aussi circonspects & aussi peu crédules qu'est le nôtre; mais il faut avouer néanmoins, que si les Egyptiens & les Babyloniens ont été les premiers à découvrir le décroissement de cette obliquité, ils l'ont découvert par des raisonnemens bien moins fondés, que ne sont ceux par lesquels nous leur attribuons cette découverte. Hérodote publia son Histoire environ cent ans après qu'Anaximandre de Milet eut trouvé, le premier, le moyen de mesurer l'obliquité de l'Ecliptique: & cette invention ayant passé peu après en Egypte par les Voyages de Cléostrate, d'Harpale & d'Eudoxe, les Egyptiens, qui ne manquérent pas de trouver cette obliquité plus petite que ne l'avoit trouvée Anaximandre, s'en prévalurent pour en faire honneur à leur Nation; comme si la diminution & par conséquent la mesure de l'obliquité de l'Ecliptique avoient été connues chez eux pendant des milliers d'années, dans le tems que cette derniére venoit seulement d'être découverte parmi les Grecs. Nous avons dit ci-dessus à-peu-près la même chose des Babyloniens, qui également jaloux des Egyptiens & des Grecs, ont remonté, par un pareil calcul, jusqu'à une antiquité incomparablement plus absurde que n'est celle des Egyptiens.

Mais, soit que ce mouvement de l'Equateur existe, soit qu'il n'existe pas, il est toujours certain, qu'il ne peut-être produit par aucun méchanisme de ceux qui sont tombés dans la pensée du savant Newton. Le mouvement qui ressemble plus naturellement à celui de l'axe de la Terre, est la variation de l'inclinaison de l'Orbe de la Lune, qui est de 5. deg. 18. ou 19. min. quand les Nœuds de la Lune se trouvent en conjonction, ou en opposition avec le Soleil, & de 5. deg. seulement, quand ces mêmes Nœuds sont dans les Quadratures. Il est vrai que, par une analogie naturelle, ce grand Philosophe attribue à l'axe de la Terre un petit mouvement alternatif, par lequel l'angle de l'intersection de l'Ecliptique & de l'Equinoxiale se trouvant dans les Equinoxes, par exemple, de 23. deg. 29. min. s'étrecit en approchant des Solstices, & s'élargit derechef depuis les Solstices jusqu'aux Equinoxes; de sorte qu'aux Solstices, cet angle, dans sa plus petite dimension, est de 23. deg. 29. min. moins quelques secondes.

Mais ces alternatives de diminution & d'accroissement ne produisent point de mouvement circulaire du Plan de l'Equinoxiale, d'un Pole de l'Ecliptique à l'autre. Il faut donc, que cette circulation dépende de quelqu'autre raison inconnue jusqu'à présent, qu'il faut tâcher de découvrir, au cas que ce Phénomêne soit réel.

Pour que la diminution de cet angle égale toujours son accroissement, il faut que le centre absolu de pesanteur de toute la masse de la Terre soit le même que le centre géométrique de sa figure sphéroïde; mais il se peut bien faire que cela ne soit pas. Car, si la Terre est tant soit peu plus matérielle du côté Boréal de l'Equateur, que du côté Méridional, & qu'il arrive au dedans de cette Planete, ou à sa surface, quelque changement, qui diminue la quantité de matiére dans un endroit & qui l'augmente dans un autre, il est évident, que la surface extérieure de la Terre & le centre commun de la pesanteur de toute sa masse changeront de position, l'un à l'égard de l'autre; & comme le centre géométrique de sa surface sphéroïde extérieure demeure toujours le même, il est nécessaire que ce centre change aussi de position, à l'égard de celui de pesanteur, dès que quelque raison constante, ou non constante, ôte quelque peu de matiere en quelqu'endroit, pour le porter ailleurs. Or les deux centres, savoir le géométrique de la figure ovale de la Terre & celui de sa pesanteur générale, doivent nécessairement être dans le même axe de son tournoyement, si ce tournoyement doit être égal & uniforme pendant 24. heures, sans s'accélérer & se retarder par reprises; ce qui seroit contraire à l'expérience.

Pour effectuer donc ce mouvement du Plan de l'Equateur, il suffit qu'il y ait, au-dedans de la Terre, une matiere, qui en circulant continuellement, mais lentement, déplace toujours le centre commun de pesanteur, par rapport à la surface de la Terre, parce que l'axe du tournoyement suivra toujours le même chemin de ce centre.

Si cette matiere ne circule pas, mais qu'elle ait un mouvement irrégulier & très-petit, le Plan de l'Equateur changera aussi de position avec l'Ecliptique, mais sans règle certaine, & pourra être tantôt plus près, tantôt plus loin d'elle; ce qui seroit peut-être plus vraisemblable qu'une circulation parfaite. Mais tout ce raisonnement n'aura lieu que lorsqu'il sera démontré d'une maniere tout-à-fait incontestable, que l'approchement de l'Equateur & de l'Ecliptique, dont les plus habiles Observateurs prétendent s'appercevoir aujourd'hui, est réel: & qu'il n'y a point d'illusion, ni de la part des réfractions, ni des Instrumens, dans une affaire qui est encore si delicate, & si peu sensible dans les observations modernes, où il ne s'agit encore que de quelques secondes de diminution; de sorte que ce ne sera qu'après plusieurs Siècles d'observations continuées, que l'on pourra dire, avec une pleine certitude, si l'obliquité est variable, ou comment elle l'est.

Le moyen le plus court & le plus sûr de terminer cette question, seroit de mesurer exactement l'élévation du Pole des ruïnes de l'ancienne Ville de Syène en Egypte. L'on sait, au rapport de Strabon dans le dernier Livre de sa Géographie, que cette Ville étoit située précisément sous le Tropique du Cancer, & qu'il y avoit un Puits très-profond, dans lequel on ne voyoit jamais l'image du Soleil, qu'au point de Midi, aux Solstices d'Eté, le Soleil donnant verticalement sur la surface Horizontale de l'eau, au bas du Puits. Strabon ajoute au même endroit, qu'en partant de la Gréce, cette Ville étoit la premiére que l'on rencontroit, où les Gnomons, ou des Colomnes érigées verticalement n'eussent point d'ombre Méridienne une fois dans l'année, savoir au Solstice d'Eté; de sorte que voilà deux preuves différentes, qui nous assûrent que du tems de Strabon, ou quelque tems avant lui, le Tropique du Cancer a passé par le point vertical de cette Ville.

Or si en mesurant à présent la Latitude de l'endroit, où a été autrefois cette Place, on y trouvoit le Pole Septentrional élevé de 23. deg. 49. min. ou davantage, ce seroit une preuve indubitable que Mr. le Chevalier de Louville avoit trouvé la vérité, & que l'obliquité de l'Ecliptique étoit diminuée de 20. min. pendant près de 18. siècles. Je dis de 23. deg. 49. min. ou davantage, car la Tour de Syène étant déja renommée, à cause de la propriété dont nous venons de parler, du tems du Prophête Ezéchiel, qui en fait mention au Chap. 29. de sa Prophétie, il est apparent que si l'obliquité de l'Ecliptique étoit variable, elle auroit encore diminué de 5. à 6. minutes, dans la même proportion, depuis le tems de ce Prophête jusqu'à celui de Strabon, pendant plus de cinq Siècles, sans compter ce qu'il pourroit y avoir de diminution depuis la fondation de cette Tour jusqu'au tems de ce Prophête.

Mais si au contraire on n'y trouvoit le Pole élevé que de 23. deg. & demi, ou environ, il faudroit conclure, sans hésiter, que, pendant toute cette suite de Siècles, l'obliquité en question a été constamment la même, ou que sa diminution n'a rien eu de considérable; & que l'espace compris entre l'Equinoxiale & l'Ecliptique ne s'est que peu, ou point rétreci. Toute la difficulté ne consisteroit qu'à bien découvrir la situation de cette ancienne Ville au voisinage du Nil & de l'Isle Eléphantine. Ce seroit le moyen de prévenir les soins de la Postérité, & de se faire un mérite auprès d'elle, en lui présentant des Démonstrations achevées d'une vérité, dont l'éclaircissement pourra lui coûter plusieurs siècles.

Le dénombrement que nous avons entrepris de faire ici des principales particularités qui regardent la Terre, par rapport au rang qu'elle tient parmi les Planetes, nous engage à examiner les preuves de sa figure sphéroïde que nous avons supposée véritable, & de faire voir l'impossibilité du changement des Méridiens. Nous en avons déja donné une idée générale au Chapitre XVIII. lorsque, par rapport à l'étendue & aux divers degrés de la pesanteur, nous avons fait mention de l'inondation des Eaux vers les Régions de l'Equateur, qui devoit résulter nécessairement du tournoyement de la Terre autour de son axe, si elle étoit exactement sphérique. Mais comme ce n'étoit pas là le lieu de prouver que cette différence étoit assez sensible pour pouvoir être mesurée, nous allons faire voir ici ce qui en est.

Les preuves, dont nous nous servirons, sont tirées en partie des raisonnemens de Physique, & en partie de l'Expérience même. Les raisonnemens de Physique, qui nous prouvent la nécessité de cette figure, ne supposent pour tout Principe, que le mouvement journalier de la Terre, de 23. heures 56. minutes. Si la Terre est exactement sphérique, la vîtesse du tournoyement de tous les Corps pesants sous l'Equateur diminuera leur pesanteur, ou la vîtesse de leur chûte, à mesure qu'elle différera moins de celle qu'il faudroit pour faire circuler tous les corps pesants sous l'Equateur, sans pouvoir jamais tomber, ou s'approcher du centre de la Terre; ou pour faire que tout ce qu'il y a de corps sous l'Equateur, fussent autant de Satellites, qui tournassent par leur mouvement journalier dans la circonférence de l'Equateur, comme fait la Lune dans son Orbite. Or en disant par une Règle de Trois: Comme le cube de la distance de la Lune, de 60. sémi-diametres de la Terre, est au cube d'un seul de ces sémi-diametres, de même le quarré de 39343 minutes, qui font un mois périodique de la Lune, est au quarré des minutes de la révolution des Satellites, ou des corps pesants, dans la circonférence de l'Equateur terrestre, si l'on vouloit que la force centrifuge contrebalançât exactement la pesanteur. On trouve pour le résultat de ce calcul 84. 2/5 de minutes de révolution; de sorte que si le jour des Etoiles étoit de 84 2/5 de minutes, au lieu qu'il est de 23. heures 56. min. qui est 17. fois plus grand, il n'y auroit sous l'Equateur, ni chûte, ni poids des corps.

On trouve le même nombre de 84 2/5 de minutes, sans se servir de la Lune, en suivant le Théorême de Mr. Huygens, par lequel il a trouvé qu'un corps, pour tourner circulairement, d'une force centrifuge égale à son propre poids, doit faire tout le tour du Cercle en autant de tems, qu'un Pendule, de la longueur du rayon du même Cercle, employeroit à faire deux vibrations. Or pour faire l'application de ce Théorême au Cercle de l'Equateur, & au sémi-diametre de la Terre, il faut seulement dire: Comme 3. pieds, & 17/288 d'un pied, longueur du Pendule d'une seconde, sont au quarré d'une seconde, ainsi 19615800 pieds du sémi-diametre de la Terre, selon la mesure de Mr. Picart, sont à 6412430, qui est le quarré de 2532. secondes, ou de 42. min. 12. secondes. Un Pendule de la longueur du sémi-diametre de la Terre, feroit donc chaque vibration en 42. min. 12. secondes; & par conséquent pour égaler la pesanteur à la force centrifuge de la rotation journalière sous l'Equateur, il faudroit que cette rotation s'achevât en 84. min. 24. secondes.

Mais, comme elle se trouve 17. fois plus lente, il est évident qu'en supposant la surface de la Terre exactement sphérique, la pesanteur sous l'Equateur excéde sa diminution, ou la force centrifuge, 17. fois 17 fois, c'est-à-dire 289. fois, & par-là la vîtesse de la chûte des corps, sous l'Equateur, seroit à celle de leur chûte sous les Poles, comme 288 sont à 289; & un Pendule d'une seconde, qui feroit sous le Pole 86400. vibrations pendant un jour Solaire, n'en feroit sous l'Equateur qu'environ 86250. tout de même que le Pendule d'une seconde de Paris, étant transporté sous l'Equateur, & y faisant ses chûtes curvilignes, ou ses vibrations un peu plus lentes qu'ici, retarderoit par jour de 2. min. 5. secondes, ou environ.

L'expérience de Mr. Richer faite dans l'Isle de Caïenne, celle de Mr. Halley dans l'Isle de Ste. Hélène, & celles de ceux dont on peut voir les noms à la page 227. de cette Edition, ayant vérifié, à quelques circonstances près, cette diminution de la pesanteur sous l'Equateur, qui est une conséquence nécessaire & indubitable du mouvement journalier de la Terre; il nous reste à voir le dérangement que causeroient sur sa surface les forces centrifuges de ce même mouvement sous les Cercles parallèles de l'Equateur, si la Terre étoit exactement sphérique.

Tout le monde sait qu'une Balance exacte étant suspendue par son milieu, & demeurant en repos, les Bassins, ou des Poids égaux suspendus par des cordelettes à ses deux extrémités, font prendre à ces cordelettes, ou plutôt à leurs milieux, des situations perpendiculaires à leurs Horizons, & qui tendent directement au centre de la Terre. Mais si l'on donne à cette Balance un mouvement circulaire, dont le centre soit le point de suspension de la Balance, on verra d'abord que les Bassins, ou les poids, s'éloigneront de la perpendiculaire, à proportion de la vîtesse du mouvement circulaire; de sorte que les cordelettes ne suivront plus la direction ordinaire de la pesanteur vers le centre de la Terre.

Figurons-nous à présent une grande Balance curviligne, dont le milieu soit suspendu à l'un des Poles de la Terre, & dont les deux extrémités s'étendent jusqu'à égale élévation du même Pole, de part & d'autre; il est évident que si la figure sphérique de la Terre (qui est-ce que nous examinons) tourne autour de son axe, & qu'elle emporte en même tems cette Balance curviligne, par un mouvement circulaire autour du même axe, les poids qui étant en repos devroient converger vers le centre de la Terre, s'éloigneront un peu de cette convergence & des perpendiculaires, de part & d'autre. Ainsi le Sinus du petit angle de déviation, compris entre la perpendiculaire & la nouvelle direction du poids, sera bien près de 1/289 du produit du Sinus, & du Co-Sinus de l'élévation du Pole, divisé par le rayon.

On voit clairement que sans imaginer cette Balance curviligne, ce raisonnement peut également s'appliquer à toutes les lignes à plomb, qui se trouvent sur la surface de la Terre. C'est de cette maniére qu'on trouve qu'à Paris, & en cent autres endroits de même Latitude, qu'un Pendule en repos ne tendroit pas perpendiculairement à l'Horizon, mais feroit avec la perpendiculaire un angle de près de six minutes, ce qui seroit assez sensible, si la Terre étoit exactement sphérique; cependant comme en nul endroit du Monde on ne trouve aucune déviation, c'est une preuve suffisante que la face de la Terre est telle, qu'il faut qu'elle soit, pour que la direction de la pesanteur soit perpendiculaire, ce qui ne se peut que dans une figure sphéroïde.

Cette figure sphéroïde produit encore un autre changement à l'égard de la pesanteur, mais de peu de conséquence. L'on sait que, sans considérer la diminution de la pesanteur, dont nous venons de parler, la pesanteur elle-même varie encore selon la diversité des distances du centre de la Terre, quand même il n'y auroit point de rotation. C'est ce qui fait que les expériences des Pendules transportés en différens Climats, ne répondent pas dans la derniére précision au calcul que nous avons donné ci-dessus, quoiqu'elles prouvent toutes en général que la pesanteur différe sensiblement, & qu'elle est toujours moins forte vers l'Equateur, que vers les Poles. C'est aussi ce qui partage les sentimens des plus grands Géométres sur la proportion de l'axe de la rotation de la Terre au diametre de son Equateur. Mr. Huygens & après lui Jaques Herman dans son excellent Ouvrage de la Phoronomie, ont déterminé cette proportion, comme de 577. à 578.; mais Neuton nous la donne de 229. à 230, environ triple de la précédente. La différence de ces mesures ne provient que de ce que Mr. Huygens n'a considéré la pesanteur que comme une force qui pousse les corps vers un seul centre; au lieu que Neuton l'a considérée comme une force par laquelle tous les corps & toutes les particules de la Terre, jusqu'aux plus petites, sont tirées les unes vers les autres.

Mars.

La quatrième Planete de notre Systême est Mars. Sa moyenne distance du Soleil est de 46. millions de lieues. De toutes les Planetes supérieures, c'est celle qui a la plus grande excentricité, aussi n'en connoît-on point parmi tous les Corps célestes, dont la grandeur apparente soit plus variable; de sorte que sa plus grande Phase excéde jusqu'à 7. fois la plus petite. Au mois d'Août 1719. Mars étant opposé au Soleil, à 2 ou 3 degrés seulement de distance de son périhélie, l'on se souvient encore que plusieurs personnes, qui n'avoient aucune teinture d'Astronomie, furent étonnées de le voir, & le prirent pour une Comete, ou un nouvel Astre, qui venoit de naître dans le Ciel, comme on a fait de Vénus l'année derniere, lorsqu'au mois de Mai ayant atteint sa plus grande hauteur Méridienne au commencement du Cancer, & étant encore assez loin du Soleil pour n'être point éclipsée par son éclat, elle lança ses rayons par le chemin le plus court de la partie Boréale de l'Atmosphére.

Comme la grande excentricité de Mars rend son mouvement apparent fort inégal, c'est de lui principalement que Kepler s'est servi, pour examiner & vérifier la découverte qu'il avoit faite de l'égalité des aires parcourues par chaque Planete en particulier, en tems égaux; & c'est aussi par lui, qu'il a reconnu & prouvé la nécessité qu'il y avoit de n'admettre par tout le Ciel que des excentricités plus petites, environ de la moitié de celles qui avoient été établies par les Anciens.

De toutes les Planetes, Mars est encore celle qui a la plus grande Atmosphére, à proportion de son noyau, du moins à ce qu'on en connoît jusqu'à présent; ce qui se prouve par le changement de couleur d'une Fixe observée par Mr. Römer, en approchant & en quittant le disque de Mars, laquelle pâlit sensiblement à l'approche de ce disque, étant encore éloignée de lui des deux tiers du diametre du même disque, & qui étant sortie de derriére le corps opaque de Mars, ne recouvra la vivacité naturelle & ordinaire de sa lumiére qu'à la distance des deux tiers du même diametre.

Sans l'Etoile de Mars nous ignorerions tout-à-fait l'éloignement & la véritable grandeur des Corps célestes; & c'est le célèbre Mr. Cassini le Pere, qui s'est avisé le premier, de se servir des distances apparentes de cette Planete d'avec les Fixes prochaines, lorsqu'elle est opposée au Soleil, pour trouver la véritable dimension de notre Systême. Sa parallaxe horizontale, qui dans cette situation est assez grande pour être observée & calculée sans qu'il y ait à craindre aucune erreur trop sensible, savoir de 26 à 27. secondes dans son périhélie, nous donne le moyen de calculer les parallaxes horizontales du Soleil & des autres Planetes, qui ne peuvent être observées par elles-mêmes, à cause de leur petitesse. Par les taches de Mars, que nous représentons ici de la maniere, dont elles ont apparu en 1719. l'on a découvert & l'on s'est convaincu, qu'il tourne autour d'un axe toujours parallèle à lui-même, (comme celui de la Terre) en 24 heures, 40 minutes;

Ou que 36 révolutions de Mars autour de son axe égalent 37 révolutions de la Terre autour du sien.

Remarques sur les taches de Mars.

Les taches de cette Planete semblent être plus variables que celles de toutes les autres. Les bandes obscures qu'on a observées en 1704. 1717. & 1719. ne conviennent point entr'elles, ni par rapport à leur situation, ni par rapport à leur figure. En 1704. & 1717. on a vu une bande obscure occupant plus d'un hémisphére de Mars, avec cette différence qu'en 1704. elle avoit au milieu une pointe, qui ne s'y trouvoit point en 1717. & qu'en 1717. elle étoit plus éloignée de l'équateur de Mars, & plus près de son pole Méridional qu'en 1704. En 1719. on a trouvé une bande coudée, formée seulement après le mois de Juillet, dont la partie la plus Méridionale, par rapport à nos yeux, s'étendoit obliquement sur la moitié de l'hémisphére de Mars, & égaloit environ un quart de Cercle, prenant son commencement entre le pole Méridional & l'équateur de Mars, & finissant entre son équateur & son pole Septentrional, où les deux parties de cette bande, en se joignant, faisoient un angle, comme cela se voit Figure 2. Le 13. de Juillet d'auparavant on n'avoit observé qu'une seule bande obscure rectiligne, telle qu'on la voit Figure 1.

Outre ces bandes obscures, on avoit découvert des taches confuses de figure fort irréguliére, comme dans les Fig. 3. & 4. qui n'étoient aussi que temporaires, & qui n'avoient presque rien de commun avec celles qu'on avoit observées auparavant, que leur inconstance.

Mais les taches les plus considérables de cette Planete sont celles, qui s'observent proche de ses deux poles, dont cependant on n'en voit jamais qu'une à la fois, & qui sont ordinairement plus claires que le reste du corps. Il y a près de 70 ans, que ces taches-là sont connues, & qu'on en voit presque toujours l'une ou l'autre, ce qui prouve qu'elles sont permanentes, & que les vicissitudes d'apparition & d'occultation qu'elles subissent, procédent seulement de quelque changement de l'atmosphére de Mars, semblable à celui de la nôtre, causé en partie par la différente constitution de l'air en Eté & en Hyver, & en partie par la différente quantité de pluye, & de beau tems en différens endroits du même Climat. C'est ainsi que depuis le 17. Mai jusqu'au mois de Novembre 1719. le Pole, qui est à notre égard le Méridional, se trouvant éclairé par le Soleil, & par conséquent l'Eté y régnant, & l'Atmosphére y étant rarefiée autant qu'elle l'a pu être, la lumiere éclatante de cette Zone déliée a pu frapper notre vûe, dans le tems que celle du Pole opposé, qui avoit paru aux Observateurs en 1704 & 1717. avec le même éclat que la derniére, se déroboit alors à nos yeux à la faveur des nuages & des vapeurs congelées, qui y changeoient l'Atmosphére, & la rendoient moins transparente. La différence de la clarté de cette Zone, dont une moitié conserva constamment le même degré de lumiére, & dont l'autre au contraire diminua, disparut, puis reparut, ne ressemble pas mal à la différence du tems qu'il fait aux Andes du Pérou, où il ne pleut jamais, & à Borneo où il pleut presque tous les jours. Il se peut qu'il y ait encore d'autres raisons qui puissent produire cet effet; mais il est toujours constant que cette diversité d'apparences vient de la diverse constitution de l'Atmosphére.

Jupiter.

Jupiter la plus grande de toutes les Planetes de notre Systême, parcourt en 4331 jours, ou 12 ans, en comptant rondement, une Orbite, dont le demi-diametre, en sa moyenne quantité, ou la distance moyenne du Soleil, est de 156. millions de lieues. Son diametre est dix fois plus grand que celui de la Terre. La pesanteur des corps qui tendent vers le centre de cette Planete, ou l'espace qu'ils parcourent en tombant directement sur elle, se peut calculer.

Maniére de calculer la pesanteur des corps qui tombent sur la surface de Jupiter.

Pour cet effet, l'on cherche premiérement le tems périodique d'un Satellite qui raseroit la surface de Jupiter, ce qui se trouve par cette règle: Comme le cube de 25 1/3 de demi-diametres de Jupiter, (qui font la distance du quatrième Satellite), est au quarré de son tems périodique, qui est de 16 2/3 de jours; ainsi le cube d'un seul sémi-diametre de Jupiter est au quarré du tems périodique qu'on cherche. On trouve par-là qu'un tel Satellite acheveroit sa période autour de Jupiter, près de sa surface, en 193 à 194 minutes.

Comme toutes sortes de pesanteurs sont en raison directe des rayons des cercles que décrivent les corps pesants, sans tomber, & en raison inverse des quarrés des tems périodiques, on détermine la quantité de la pesanteur de ces corps sur Jupiter de cette maniére: Comme 1 sémi-diametre de la Terre est à 10 ½ des mêmes sémi-diametres, qui sont la mesure de celui de Jupiter; ainsi 15 1/12 de pieds de chûte sur la Terre, pendant la premiére seconde, sont à 158 3/8 de pieds de chûte sur Jupiter pendant la premiére seconde, si les tems périodiques des Satellites aux surfaces de Jupiter & de la Terre sont égaux. Mais ayant trouvé ci-dessus que le tems périodique d'un Satellite de la Terre, auprès de sa surface, est de 84 2/5 de minutes, il en faut venir à cette derniére règle: Comme le quarré de 193 ½ de minutes est au quarré de 84 2/5 de minutes; ainsi 158 3/8 de pieds de chûte, (si les deux périodes sont égales) sont à 30 pieds de chûte véritable sur Jupiter. Le pendule à secondes sera donc en Jupiter de 7 pieds & ½.

Ces mêmes considérations nous font aussi voir que le diametre polaire, ou l'axe de rotation de Jupiter, est plus petit que celui de son équateur, & que cette différence doit être bien plus sensible sur la surface de Jupiter, que sur celle de la Terre. La révolution journaliére de Jupiter est de 9 heures 56 minutes; & la révolution du plus bas Satellite, qui pourroit être autour de lui, ayant été trouvée de 194 minutes, qui n'est quasi que le tiers de sa révolution journaliére, sa pesanteur restante, c'est-à-dire, diminuée par les forces centrifuges sous l'équinoxiale de Jupiter, sera à la pesanteur primitive (en supposant la figure de Jupiter exactement sphérique) comme 8 sont à 9. C'est ce qui donne la proportion du petit axe au grand, à peu de chose près, comme 17 sont à 18, en dressant le calcul selon les principes de Mrs. Huygens & Herman, & comme 7 à 8, en suivant ceux de Neuton, fondés sur la gravitation mutuelle de toutes les parties intérieures de la Planete. Le sentiment de Neuton semble être appuyé par les Observations de Mr. Cassini, le Pere, rapportées à la fin de la XIX. Proposition du III. Livre de sa Philosophie, où il est dit, que le diametre de Jupiter d'Orient en Occident est visiblement plus grand que celui du Sud au Nord.

Les bandes obscures de Jupiter, couchées le long de son disque, & toujours parallèles, à-peu-près, à son équateur, sont représentées par les deux Figures suivantes.

Cet équateur ne fait avec l'orbite de Jupiter qu'une obliquité de 2. deg. 55. min. au lieu que la nôtre est de 23. deg. & demi. Ces bandes semblent n'être que des exhalaisons, qui, en s'élevant & se joignant ensemble, prennent une figure circulaire. Il est vrai qu'elles ne se produisent jamais toutes entiéres à la fois, témoin surtout cette bande Méridionale, qui renaît quasi de six en six ans, & qui nous ramene toujours une tache noire, située à son bord Septentrional, comme cela est arrivé aux années 1665. 1677. 1713. au mois de Septembre, & aux années 1672. & 1708. au mois d'Avril. En comparant les anciennes Observations avec celles qui ont été faites en dernier lieu, on remarque que ces bandes, qui avoient d'abord paru subir des changemens tout-à-fait bizarres, & ne suivre aucune règle, ne laissent pas d'avoir des retours assez réguliers, qui nous mettront peut-être un jour en état de prédire leurs apparences avec la même certitude qu'on peut calculer les Eclipses.

Remarque sur la tache noire de Jupiter.

La bande dont nous venons de parler, accompagnée de la tache noire, se présente ordinairement, quand Jupiter est aux derniers degrés de la Vierge & des Poissons, vers le tems qu'il a été en opposition avec cet Astre. Ce qu'il y a de plus particulier, c'est que ces apparences suivent plutôt le vrai mouvement de Jupiter que le moyen; car on voit bien que depuis l'opposition de cette Planete avec le Soleil au Signe des Poissons jusqu'à celle qui se fait au Signe de la Vierge, il se passe 6 ans & demi, & 5 seulement & demi de celle-ci au retour de la premiére, le tout faisant ensemble 12 années, pendant lesquelles s'acheve la révolution de Jupiter. Ceci fait voir que, si l'on pouvoit marquer tous les changemens qui surviennent à ces bandes, & qui sont sans doute affectés à certains Signes du Zodiaque, aussi-bien que le Phénomêne de la tache noire, on auroit lieu d'espérer, que l'ordre de leur retour se pourroit prédire, comme celui de cette tache.

C'est principalement à cette même tache que nous sommes redevables de la connoissance que nous avons de la révolution journaliére de Jupiter, dont la vîtesse nous surprendroit, sans doute, par rapport à la grandeur de son corps, si Mr. de Mairan n'en avoit pas démontré la possibilité, dans un savant Mémoire inséré dans ceux de l'Académie de l'Année 1729. où il démontre que la différence qu'il y a entre le poids de la partie inférieure d'une Planete, qui est tournée vers le Soleil, & celui de la supérieure qui ne l'est pas, est capable de produire sa rotation d'Occident en Orient.

Cette tache est aussi connue aux Astronomes, que la situation d'une célèbre Ville aux Géographes; & on en a déterminé la Latitude Méridionale sur la surface de Jupiter d'environ 16. degrés, comme l'on détermine celle de quelque Place remarquable sur la Terre. Il est vrai qu'en observant ses révolutions au milieu de son parallèle exposé vers nous, on a trouvé qu'elles n'étoient pas tout-à-fait les mêmes, & qu'elles différoient de quelques secondes, quoiqu'il soit très-naturel de les supposer toujours égales entr'elles, comme sont celles de la Terre; mais cela n'est pas de conséquence, & dans une recherche de cette nature, bien loin de blâmer les Astronomes, on doit admirer leur sagacité, & leur savoir bon gré de ne différer entr'eux qu'en secondes.

Pourquoi les Satellites de Jupiter semblent quelquefois moins grands.

Les Satellites de Jupiter, & sur-tout le quatrième, étant tournés vers nous, ont des taches obscures, qui les font paroître quelquefois bien plus petits qu'ils ne sont ordinairement; ce qui fait que le quatrième disparoît quelquefois entiérement, lorsqu'il est bien éloigné du corps & de l'ombre de Jupiter. Mais on n'a point encore déterminé, si ces taches naissent subitement, ou si c'est le tournoyement des Satellites autour d'eux-mêmes, qui nous montre ces taches dans un tems, & nous les cache dans un autre; quoiqu'il y ait bien à parier pour ce tournoyement, à cause des circonstances périodiques qu'on prétend avoir observées dans le quatrième Satellite. Il se pourroit aussi, que les ombres mêmes des Satellites fissent entr'eux de petites Eclipses, dont on ne pourroit s'appercevoir que par la diminution de leur éclat; mais c'est ce qui n'a point encore été examiné.

Saturne.

Saturne parcourt son orbe autour du Soleil en 29 ans & demi. Si, en comptant rondement, la distance moyenne de la Terre au Soleil est, comme nous l'avons dit par-tout ailleurs, de trente millions de nos lieues, il s'ensuit par la même raison, que la distance médiocre de Saturne à cet Astre est de 285. à 286. millions des mêmes lieues. C'est la derniére Planete, & la plus éloignée du Soleil qui nous soit connue; du moins n'a-t-on point encore découvert au-delà aucun corps dans de Ciel, qui ait une orbite constante, & qui tourne circulairement. Il est vrai que les Cometes font leurs cours dans des Régions bien plus éloignées que ne fait Saturne; mais comme leur excentricité est beaucoup plus grande que celles des Planetes ordinaires, elles ne font point partie du Systême planétaire que nous considérons dans ce Chapitre. Car quand même on en supposeroit quelqu'une qui feroit réguliérement sa révolution autour du Soleil, par exemple, à 600. millions de lieues de distance du Centre universel de notre Systême, de quoi lui serviroit la lumiére & la chaleur de cet Astre, dans une distance où il ne paroîtroit pas plus grand que ne nous paroissent Jupiter & Venus? J'ai supposé 600. millions de lieues de distance moyenne de ce prétendu corps au Soleil, parce que si cette distance étoit moindre, les Planetes se tireroient & s'embarrasseroient trop par leurs gravitations réciproques.

Calcul de la pesanteur des corps qui tombent sur la surface de Saturne.

Le diametre de Saturne est près de 10. fois plus grand que celui de la Terre. Par ce moyen on peut calculer la proportion de la pesanteur sur Saturne à celle que nous éprouvons sur notre Terre. Son dernier Satellite étant éloigné de lui de 53 à 54. de ses sémi-diametres, c'est-à-dire, le rayon de son orbite étant 53 ou 54. fois plus grand que le sémi-diametre de Saturne, sa révolution doit se faire en 79. jours 22. heures, qui font 1918. heures. Je dis donc que comme 157464, cube de 54 sémi-diametres de Saturne, est à l'unité, ou au cube d'un seul sémi-diametre du même Saturne, ainsi 3678724, quarré de 1918. heures, est à 23 2/5, à-peu-près; d'où tirant la racine quarrée, l'on trouve pour le tems périodique de cette révolution 4 heures & 5/6, ou 4 heures 50 minutes. Donc un corps qui feroit le tour de la surface de Saturne, sans baisser jamais par sa pesanteur, le feroit, comme nous venons de voir, en 4 heures 50 minutes.

Pour trouver, à-présent, de combien de pieds les corps pesants tombent sur Saturne pendant la premiére seconde de tems, je dis que, comme 1. sémi-diametre de la Terre, divisé par le quarré de 84. min. & 2/5, que nous avons trouvées page 320, est à 9 ½ sémi-diametres de la Terre, ou à un seul sémi-diametre de Saturne, divisé par le quarré de 290. minutes, que nous venons de trouver; ainsi 15. pieds parcourus par la chûte d'une seconde de tems vers la Terre, sont à 12. pieds de chûte vers Saturne pendant la premiére seconde, & quelque peu davantage. Mais cette pesanteur des corps vers le centre de Saturne souffre une diminution considérable par leur gravitation, en sens contraire, vers la cavité de son anneau, comme nous l'allons montrer dans la suite.

Les Figures suivantes nous représentent les différentes configurations de Saturne: 1. Sa phase ronde avec une seule bande obscure au milieu, causée par l'ombre de l'anneau, & par sa partie obscure, qui ne reçoit point de rayons du Soleil: 2. Cette même phase ronde avec d'autres bandes encore, telles qu'on les a vues en 1715: 3. La phase de son anneau, qui se perd de vûe, & qui reparoît après avoir été quelque tems invisible; & 4. Cet anneau dans sa plus grande largeur, avec des bandes qui environnent le disque de Saturne, comme cela s'est vu en 1696.

Le diametre extérieur de l'anneau de Saturne, pris d'un bout à l'autre, est au diametre de cette Planete, comme 9 sont à 4, selon la mesure de Mr. Huygens, ou comme 11 sont à 5, selon celle de Mr. Cassini. Le diametre intérieur, compris entre les deux cavités opposées, est à celui de Saturne comme 6 ½ sont à 4; car depuis le corps de Saturne jusqu'à la cavité de son anneau, il y a autant d'espace, que depuis cette cavité jusqu'à sa circonférence extérieure. Si Saturne lui-même a 30000 lieues de diametre, il y aura depuis sa surface, jusqu'à la cavité en question, 9375 lieues, & delà jusqu'au bout, aussi 9375, au lieu desquelles on en compte ordinairement 8000. de largeur.

La quatrième Figure nous représente cet anneau dans sa plus grande ouverture, lorsque sa largeur de B, en C, ou de D en F, nous paroît la moitié de sa longueur A, E. C'est par cette proportion de longueur & de largeur que l'on a calculé l'angle que fait cet anneau avec l'orbite de sa Planete, savoir de 30 à 31 degrés. Il est à remarquer qu'au milieu de sa largeur apparente, on observe une ligne obscure, telle qu'on la voit marquée par la ligne pointillée. La couleur de sa partie intérieure, qui est plus près du corps de la Planete, paroît plus vive & plus lumineuse, que celle de sa partie extérieure, & la ligne noire, dont nous venons de parler, en fait la séparation. Ainsi toutes les fois que cet anneau disparoît, c'est sa partie extérieure qui se perd la premiére; car l'autre ne disparoît que quelques jours après.

Dans les années 1714 & 1715, où l'on a vu cet anneau disparoître & reparoître deux fois, on a observé que sa partie Orientale se perdoit de vûe un jour ou deux plutôt que sa partie Occidentale, & que cette même partie Occidentale se découvroit au contraire un jour ou deux plutôt que sa partie Orientale. En 1671. Mr. Cassini, le Pere, avoit déja observé quelque chose de semblable; ce qui lui fit juger avec raison que les parties de cet anneau, qui sont du même côté, par exemple, A, B, & D, E, de la troisième Figure, ne sont pas dans le même plan, & que par conséquent il est plus mince ou plus pointu par ses extrémités A & E, que vers la cavité intérieure B, C, ou D, F.

Raisons de la disparition de l'anneau de Saturne.

Il y a deux causes différentes, qui nous font perdre cet anneau de vûe. La premiére est que son plan venant à passer par le centre du Soleil, ses deux côtés ne reçoivent ses rayons que fort obliquement de part & d'autre; ce qui fait que sa lumiére devient trop foible pour frapper nos yeux. Cela arrive lorsque Saturne, à l'égard du Soleil, est au 19 degré 45 min. des Poissons ou de la Vierge. Quand il n'y a point d'autre cause qui produit la phase ronde de Saturne, que celle-là, elle ne dure guères au-delà d'un mois, comme on le prouve par les Observations des années 1685 & 1701. Vers la fin de cette phase, on s'apperçoit plus clairement de l'ombre de l'anneau sur le corps de Saturne, qui paroît un peu au-dessus ou au-dessus du milieu de son disque, comme cela se voit Fig. 1.

La seconde cause qui nous rend l'anneau invisible, est la coïncidence de sa partie éclairée avec le rayon visuel, qui passe du côté de celle qui ne l'est pas. Cette apparence a des termes moins limités que celle dont il a été parlé ci-devant; cependant on est toujours assûré de la voir deux fois, quand Saturne, apperçu du Soleil au 19 degré 45 min. des Poissons ou de la Vierge, est retrograde par rapport à nous. Sa Latitude étant observée de la Terre, ne peut différer chaque fois que de fort peu de chose; mais ce peu de chose ne laisse pas d'être assez sensible, pour avancer ou proroger ces termes. En 1671, il y eut plus de six mois entre les deux disparitions des anses, à compter depuis la fin du mois de Mai jusqu'au 8 de Décembre. Le lieu de Saturne, étant vu du Soleil, se trouvoit la premiére fois au 13 degré des Poissons, & la seconde au commencement du vingtième. En 1714. le 12 Octobre, jour auquel les anses disparurent, Saturne se voyoit du Soleil au commencement du 17e. degré de la Vierge, & le 22e. de Mars. En 1715. jour moyen de la seconde disparition, il étoit déja à 21 degrés & demi du même Signe à l'égard du Soleil; mais le tems qui s'écoula entre ces deux disparitions, n'est que de 5 mois & quelques jours. Ainsi les phases rondes vers le commencement de Juillet 1744, & au mois de Mars 1760. ne se redoubleront point; & il faudra par conséquent laisser à la Postérité l'observation du retour de ce Phénomêne.

Bien des gens sont curieux de savoir si cet anneau est un corps continu ou solide, ou si ce ne sont que des Satellites, qui sont si près les uns des autres, que notre vûe ne peut les distinguer. La derniére de ces deux conjectures me paroît plus vraisemblable. Car si l'on m'objecte que le mouvement de tous ces Satellites, dans une orbite commune, ne pourroit se faire, sans qu'ils se choquassent les uns les autres, s'il y avoit tant soit peu d'excentricité; il me suffira de répondre que ce mouvement n'est point du tout excentrique. Si l'on dit aussi que les Satellites supérieurs ne pourroient pas achever leurs périodes en même tems que les inférieurs, parce que la pesanteur, ou la force centripète de leur mouvement circulaire, diminue en raison quarrée de leur éloignement du centre de Saturne: je réponds encore, qu'à la vérité cette différence de leurs périodes est telle que l'on prétend; mais que la ressemblance exacte de tous les Satellites d'un même ordre nous fait regarder cet assemblage de Satellites séparez comme un corps continu.

Il reste pourtant encore une petite difficulté à lever. Cette orbite, dira-t-on, loin de pouvoir être exactement circulaire, est elliptique, son grand axe étant toujours perpendiculaire à une ligne tirée du centre du Soleil à celui de Saturne; parce que tous les Satellites ne sont que des Lunes, qui pour cette raison doivent obéïr aux mêmes loix de la gravitation que la nôtre. Or comme l'orbite de la Lune doit un peu s'applatir dans les conjonctions, de même que dans les oppositions, & avoir plus de courbure aux quadratures, ainsi que nous l'avons prouvé au Chapitre XXII. il s'ensuit nécessairement que le même changement arrivera dans celle des autres Satellites. La chose dépend donc uniquement de la différence de la gravitation de Saturne sur le Soleil, & de celle de ses Satellites sur lui-même; & c'est de cette différence que nous donnerons la mesure au Chap. XXV.

Les bandes de Saturne, dont le parallèlisme avec son anneau fait voir, que ce qui les cause est élevé au-dessus de la surface de cette Planete à une assez grande distance, pour que leur courbure ne soit que peu ou point sensible, prouvent indubitablement, que Saturne est environné d'une Atmosphére beaucoup plus vaste que la nôtre. Mais en supposant, comme ci-dessus, que cet anneau n'est composé, que d'une infinité de Satellites, il ne sera pas nécessaire de l'étendre jusque-là. Cependant quelque vaste que soit cette Atmosphére, il faut qu'elle soit incomparablement plus transparente que la nôtre, puisque les Fixes que l'on voit quelquefois entre les anses & le corps de Saturne, n'y souffrent jamais ni réfraction, ni changement de figure, comme dans les autres Atmosphéres.

C'est une chose fort remarquable, que parmi les 5 Satellites de Saturne, il y en a quatre, qui font leurs révolutions dans le plan même de son anneau, & que le cinquième est le seul, qui suive une route particuliére. Ce dernier n'a que 15 à 16 degrés d'inclinaison de son orbite à celle de Saturne, au lieu que les 4 autres circulent dans un plan incliné à celui de leur Planete principale de 30 deg. ou davantage. Aussi ses nœuds sont-ils un peu différens de ceux des autres. Ceux-ci ont les mêmes nœuds, que l'anneau, savoir au 19 degré 45 min. des Poissons & de la Vierge; mais le dernier coupe l'orbite de Saturne environ quinze degrés plutôt, savoir au quatrième, ou au cinquième degré des mêmes Signes.

Ralentissement du mouvement de Saturne.

Avant que de quitter Saturne, il faut remarquer une autre particularité de son mouvement qu'on n'a point encore observée à l'égard des autres Planetes. Toutes les plus anciennes Observations étant comparées entr'elles, ainsi qu'avec les modernes, nous donnent son moyen mouvement annuel de 12 degrés 13 minutes, & 33 à 36 secondes, au plus. Mais les modernes seules, comparées les unes avec les autres, donnent ce même mouvement diminué de quelques secondes, savoir de 12 degrés 13 min. & 20 à 29 secondes par an. On a encore observé d'autres petites inégalitez dans le mouvement de Saturne depuis Tycho-Brahé; mais qui ne laissent pas de s'accorder toutes à nous faire voir, que son moyen mouvement est moins prompt à présent, que du tems des Chaldéens & des Egyptiens. Mr. Cassini a prouvé cela incontestablement, en comparant les observations modernes, ainsi que celles de Ptolomée, avec une observation fort ancienne faite le 1. Mars de l'année 4485 de la Période Julienne, dans un Mémoire présenté à l'Académie le 10. Janvier 1728.

Quoique Neuton ait prouvé que, lorsque Jupiter est le plus près de Saturne qu'il est possible, il dérange sensiblement le mouvement de cette Planete, néanmoins le ralentissement du mouvement de celui-ci est trop sensible, & d'une nature trop différente de ce qu'elle devroit être, pour en accuser seulement Jupiter. En effet, s'il n'y avoit pas d'autres corps qui y contribuassent, comment se pourroit-il faire que, dans les plus grandes proximités de ces Planetes, le mouvement de Saturne fût tantôt accéléré, & tantôt retardé, comme le démontrent les observations rapportées par Mr. Cassini?

Je crois donc que le ralentissement du mouvement qu'éprouve Saturne beaucoup plus sensiblement que toutes les autres Planetes, est causé par l'attraction de plusieurs Cometes, qui font leurs traverses dans les immenses Régions de l'Univers au-delà de lui. Leur nombre & leur grandeur sont assez considérables pour pouvoir être sensible à l'égard de la pesanteur de Saturne sur le Soleil, qui n'est que la 90me. partie de l'attraction de la Terre vers le centre de notre Systême. Aussi les inégalités de ce ralentissement s'expliquent-elles bien plus commodément par les différentes proximités des Cometes, que par toute autre cause; & si les Planetes inférieures se sentent moins que Saturne de leur approchement, c'est parce que la force attractive du Soleil est bien plus forte que celle des Cometes dans les Régions inférieures, que dans celle de Saturne, comme nous l'avons déja dit.


CHAP. VINGT-QUATRE.

De la Lumiére Zodiacale, des Cometes, & des Fixes.

De la Lumiére Zodiacale.

LA principale raison qui nous engage à faire ici mention de la Lumiére Zodiacale, est que certaines Hypothèses, par lesquelles on explique ce Phénomêne, semblent contraires aux Démonstrations de Neuton sur le mouvement des corps dans des milieux résistans; & c'est ce qu'il faut tâcher d'éclaircir.

La lumiére zodiacale est une clarté semblable à celle de la Voye Lactée, & quelquefois meme plus claire, qui s'étend presque le long du Zodiaque à 50, 60, 70, 80, 90, & quelquefois à 100 degrés & davantage du lieu du Soleil, de part & d'autre. Ainsi ses pointes & une grande partie de son arc lumineux, quand elle n'est pas enveloppée, ou mêlée de notre crépuscule, paroissent avoir un mouvement annuel & journalier autour de la Terre, pareil à celui que le Vulgaire attribue au Soleil. Selon les savantes remarques de Mr. de Mairan, tirées des Observation de Mrs. Cassini, Eimmart, Kirch & d'autres, c'est sur la fin de l'Hyver, & au commencement du Printems, que le soir est plus propre dans nos Climats pour bien observer cette Lumiére; & le matin vers la fin de l'Eté & le commencement de l'Automne. Cette différence est un effet de la différente position de l'Ecliptique sur l'Horizon, qui fait tomber la pointe de la lumiére en question, quelquefois plus haut, quelquefois plus bas.

L'angle de sa pointe, où les deux côtés se réunissent, est fort inégal. On l'a vu quelquefois de 20 degrés, & quelquefois de huit seulement. Mr. de Mairan rapporte encore des observations de Mr. Cassini, qui l'avoit trouvée d'une figure irréguliére, & courbée comme une faucille; il en rapporte aussi de Mr. Fatio de Duilliers, où les deux côtés ont eu des points qu'on appelle en Géométrie points de rebroussement, ou d'inflexion contraire, semblables à ceux de deux conchoïdes sur une même asymptote.

Une connoissance des plus essentielles de ce Phénomêne, dont nous sommes redevables à la grande sagacité de Mr. de Mairan, est que la section du milieu de cette lumiére, ou de la matiére qui la réfléchit vers nous, est la même que le plan de l'équateur du Soleil, ayant tous deux les mêmes nœuds avec notre Ecliptique, & faisant avec elle un angle de 7 degrés & demi. Cela prouve fort vraisemblablement, que cette matiére appartient naturellement au Soleil; aussi n'est-ce pas sans raison, qu'on lui a donné le nom d'Atmosphére Solaire, quoiqu'il ne faille pas la confondre avec celle qui l'environne de plus près, & dans laquelle nagent les taches Solaires, qui font avec elle leur révolution périodique en 25 jours & demi.

La Figure de cette Atmosphére extérieure est une Sphéroïde fort platte, dont le grand diametre est souvent 5, ou 8 à 9 fois plus grand, que celui qu'on imagine d'un Pole à l'autre. Son étendue est en différens tems si inégale, que sa pointe supérieure est quelquefois bien au-dessous de l'orbite de la Terre, & va quelquefois bien au-delà. C'est ce qui a porté, Mr. de Mairan à croire, que cette Sphéroïde étoit fort excentrique, & que ses apsides avoient un mouvement bien plus prompt, & peut-être moins régulier, que celles des orbites planétaires. Il faudroit donc que l'aphélie de cette Sphéroïde s'étendît jusqu'entre les orbites de Mars & de la Terre, & que son périhélie se terminât au-dessus de l'orbite de Vénus, sans atteindre celle de la Terre.

Sur cela on auroit raison de demander comment il se peut faire, que la Terre & la Lune, qui entrent toutes deux dans cette Atmosphére Solaire, ne sentent pas la résistance d'une matiére, qui doit nécessairement avoir quelque densité? Pourquoi la vîtesse de leur mouvement ne se ralentit point? Et pourquoi enfin l'orbite de la Terre ne devient pas plus petite de siècle en siècle, comme cela devroit arriver infailliblement, si ce mouvement se faisoit dans un milieu résistant?

C'est une vérité incontestable, & démontrée par Neuton dans la IV. Section du Livre II. de sa Philosophie, que la densité du milieu étant posée en raison inverse des distances du centre du mouvement, & la pesanteur en double raison inverse de ces mêmes distances, le mouvement circulaire doit se changer en celui de spirale; & que cette spirale est précisément celle que Descartes & le R. P. Mersène ont connue les premiers; je veux dire, celle qui coupe tous les rayons partans d'un seul centre, sous un angle toujours égal. Donc, si l'Atmosphére Solaire enveloppe la Terre & la Lune, les années doivent toujours devenir plus courtes, parce que l'Orbite devient plus étroite: la vîtesse de mouvement annuel & journalier diminuera toujours: le diametre apparent du Soleil nous paroîtra toujours plus grand; & la chaleur augmentera à la fin jusqu'à faire périr tout ce qu'il y a de vivant sur la Terre.

Voici la maniére, dont je crois pouvoir résoudre cette difficulté. Toutes les parties les plus petites de cette Atmosphére sont autant de petites Planetes, qui tournent autour du Soleil, à peu près de la même maniére & dans le même sens, que les grandes qu'on a connues jusqu'ici sous ce nom. Cela fait qu'elles ont elles-mêmes par-tout des vîtesses fort peu différentes de celles de la Terre dans les mêmes distances du Soleil.

On voit bien qu'un amas de particules, qui tournent avec la même rapidité qu'un corps d'une grandeur considérable, qui en est environné, ne peut faire aucune résistance au mouvement que ce corps fait dans le même sens. On voit aussi que, si les vîtesses de cet assemblage de petites Planetes résistent quelquefois un peu à une plus grande qui se trouve parmi elles, les vîtesses du côté opposé, qui doivent être plus grandes, lui font bien-tôt regagner, ce qu'elle en avoit perdu auparavant.

C'est particuliérement au célèbre Fatio de Duilliers que nous avons l'obligation de cette idée. Quoique ce grand Géométre n'ait pas prévu l'inconvénient, qui naîtroit de la résistance de cette matiére par rapport au mouvement de la Terre, de la Lune, de Vénus & de Mercure; il est cependant le premier, qui nous ait averti, que cette lumiére pourroit bien être un amas sphéroïde de petites Planetes, comme la Voye Lactée n'est qu'un nombre infini de Fixes si petites, qu'on ne peut les appercevoir.

Premiére Objection contre le sentiment de Mr. de Duilliers.

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