Énigmes et découvertes bibliographiques
The Project Gutenberg eBook of Énigmes et découvertes bibliographiques
Title: Énigmes et découvertes bibliographiques
Author: P. L. Jacob
Release date: September 20, 2020 [eBook #63253]
Most recently updated: October 18, 2024
Language: French
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Elle appartient au domaine public.
ÉNIGMES
ET
DÉCOUVERTES
BIBLIOGRAPHIQUES
Tiré à 260 exemplaires numérotés, dont 250 sur papier vergé et 10 sur papier de Chine.
No 257.
| Papier vergé | 10 fr. |
| Papier de Chine | 20 fr. |
Paris.—Typ. de Ad. Lainé et J. Havard, rue des Saints-Pères, 19.
ÉNIGMES
ET
DÉCOUVERTES
BIBLIOGRAPHIQUES
PAR
P.-L. JACOB
BIBLIOPHILE
PARIS
AD. LAINÉ, LIBRAIRE-ÉDITEUR
Rue des Saints-Pères, 19
DE SAINT-DENIS ET MALLET
Libraires, 27, quai Voltaire
1866
Droits réservés.
A MON AMI LÉOPOLD DOUBLE
Je vous l’avais prédit, lorsque vous vous êtes décidé, dans un moment d’impatience et peut-être de dépit (vous vous lassiez des lenteurs inséparables de la formation d’une bibliothèque d’amateur), à vous défaire de l’admirable choix de livres que vous aviez déjà réunis: les goûts éclairés et intelligents d’un bibliophile sont indélébiles; il peut, pour un temps, renoncer à la passion du bouquin; cette passion renaîtra tôt ou tard plus vive et plus opiniâtre, et, suivant cet axiôme que Charles Nodier avait formulé avant moi: «Quiconque a aimé les livres, les aime encore, quoi qu’il dise, et les aimera toujours, quoi qu’il fasse.»
Il y a trois ans à peine que votre cabinet de bibliophile a été vendu avec un succès et un éclat qui ont surpassé tout ce qu’on raconte des ventes de livres les plus fameuses; vos armoires étaient restées tout à fait vides, et l’on pensait que la place serait bonne pour les ivoires, les émaux, les camées, les tabatières, les bijoux anciens, et ces mille et un objets d’art de petite dimension, qui composent le vaste et capricieux domaine de la Curiosité. Mais, tout à coup, vous vous êtes ravisé, vous avez senti de nouveau l’amour des livres précieux et des belles reliures, et vous voilà redevenu bibliophile comme devant.
Mais il s’est opéré, dans votre goût, une transformation toute logique et toute naturelle. Vous aviez, à grands frais, rassemblé de splendides manuscrits à miniatures, de rares éditions gothiques, des reliures d’orfèvrerie du moyen âge et des reliures en vieux maroquin, à la devise de Grolier et de Maioli, aux armes et aux chiffres de François Ier, de Diane de Poitiers, de Catherine de Médicis, de Henri III et de Henri IV. Ces souvenirs historiques et littéraires, qui appartenaient surtout au XVIe siècle, se trouvaient en présence du mobilier le plus authentique, le plus complet et le plus merveilleux, qu’un fin connaisseur ait jamais emprunté à la brillante époque de l’Art français, au XVIIIe siècle; c’était là un anachronisme flagrant, c’était aussi une discordance et une contradiction perpétuelles.
Qu’avaient à faire les vieux poètes, Martin Franc, Molinet, Crétin, Clément Marot, et même Baïf et Ronsard, les romans de chevalerie et les mystères, les conteurs et les chroniqueurs du bon vieux temps, vis-à-vis des traditions presque vivantes de ce mobilier, si magnifique et si harmonieux, qui nous transportait en plein règne de Louis XVI, et qui semblait avoir gardé le parfum de Marie-Antoinette?
Aussi, votre nouvelle bibliothèque ne sera qu’un meuble de plus, au milieu de ce mobilier bien digne de Versailles, de Trianon et de Fontainebleau, puisqu’il vient en partie de ces résidences royales: vous aurez des livres qui seront de ce temps-là, des livres gracieux et spirituels, qu’on lisait alors, des livres ornés d’estampes de Moreau, de Marillier et d’Eisen, reliés splendidement par Padeloup et Derome, des livres enfin que la marquise de Pompadour et la reine Marie-Antoinette reconnaîtraient pour les avoir tenus dans leurs mains.
Le volume, il est vrai, que je vous offre aujourd’hui en témoignage de ma sincère et cordiale amitié, n’a pas la prétention de prendre rang dans cette collection commémorative du XVIIIe siècle; il vous rappellera seulement que vous étiez bibliophile avant la vente de votre célèbre bibliothèque, et que vous n’avez pas cessé de l’être après cette vente qui, en quatre jours d’encan, a produit, avec quatre cents articles de catalogue, représentant sept ou huit cents volumes, l’énorme somme de 430,000 francs.
De bibliophile à bibliophile, il n’y a que la main, et voici la mienne dans la vôtre.
P. L. Jacob,
bibliophile.
Paris, 1er mai 1866.
ÉNIGMES
ET
DÉCOUVERTES BIBLIOGRAPHIQUES
L’ÉNIGME
DES
QUINZE JOIES DE MARIAGE.
Je regrette de venir troubler un savant estimable, M. André Pottier, bibliothécaire de la ville de Rouen, dans la possession d’une découverte bibliographique, qu’il a faite il y a dix-huit ans et qu’on ne songeait plus à lui contester; mais, en fait de bibliographie, une découverte chasse l’autre, et les oracles des plus doctes bibliographes se trouvent souvent démentis par le dernier venu. Sic transit gloria... librorum.
Tout le monde sait que M. André Pottier a le premier soutenu que le rédacteur des Cent Nouvelles nouvelles, Antoine de La Sale, était aussi l’auteur des Quinze Joies de mariage. C’est dans une lettre à M. Techener, publiée par la Revue de Rouen en octobre 1830, que cette opinion a été émise d’abord, avec quelque apparence de probabilité. «Les raisons sur lesquelles se fonde M. Pottier, pour attribuer les Quinze Joies à Antoine de La Sale, dit M. P. Jannet dans la préface de son édition de ce dernier ouvrage, ont paru tellement concluantes, que son opinion a été généralement adoptée, et qu’il ne nous est pas même venu à la pensée de la contester.» Nous avouerons, néanmoins, que nous n’avons jamais été satisfait de l’explication que M. Pottier a donnée de l’énigme rimée, qui se trouve à la fin du manuscrit des Quinze Joies, conservé à la Bibliothèque de Rouen.
Voici cette énigme, telle que M. Pottier l’a transcrite un peu arbitrairement:
«En ces huyt lignes trouverez le nom de celui qui a dictes les XV joies de mariage, au plaisir et à la louange des mariez, esquelles ils sont bien aises. Dieu les y veuille continuer. Amen. Deo gratias.»
«C’est évidemment une charade, dont il s’agit de rassembler les membres épars, dit M. Pottier; ce sont des lettres ou des syllabes, qu’il faut extraire et coordonner. Or, j’ai pensé que c’étaient des syllabes, et que, puisque l’on devait décapiter la belle, sa mère, et le seconde, si l’on faisait attention que ces mots étaient écrits dans l’original de manière à ne composer avec l’article qui les précède qu’un seul vocable, on devait les considérer comme autant de mots complets, et opérer sur eux en conséquence de cette donnée. L’auteur, pensais-je, s’est peut-être amusé à combiner ce redoublement d’obscurité, qui devait, selon toutes apparences, faire faire fausse route à la plupart des interprétateurs. Les syllabes obtenues par le procédé indiqué seraient la, sa, le; or, c’est exactement, et avec son orthographe primitive, le nom patronymique de l’ingénieux auteur du Petit Jehan de Saintré, d’Antoine La Sale.»
Après avoir expliqué de la sorte les quatre premières lignes de l’énigme, où doit se trouver le nom de celui qui a dictes les XV joies de mariage, M. Pottier a laissé de côté les quatre derniers vers, qui lui ont semblé tout à fait inintelligibles. C’était affaire à maître Génin de vouloir les comprendre et de les interpréter à sa guise.
Maître Génin, qui savait son Pathelin mieux que personne en France, imagina d’attribuer cette farce célèbre à l’auteur du Petit Jehan de Saintré, à Antoine de La Sale, que M. Pottier avait fait auteur des Quinze Joies de mariage, en vertu de sa découverte cryptographique. Génin se garda bien de retirer à son cher Antoine de La Sale la paternité des Quinze Joies, et il accepta les yeux fermés les prémisses de la découverte de M. Pottier, qu’il essaya toutefois de compléter dans une lettre adressée à l’Athenæum, en date du 14 mars 1854: «Ces trois syllabes: la, sa, le, disait-il, viendront s’unir au mot messe, privé de sa première syllabe, ce qui donne se; nous y joindrons le mot monde, mais de manière à n’avoir en tout que deux syllabes (mond), ce qui fera le sens complet: La Sale semond; comme s’il y avait: C’est ici La Sale qui prêche.» On voit que maître Génin aurait dit son fait au Sphinx.
J’en suis bien fâché pour Antoine de La Sale, mais je ne le trouve pas dans la charade logogriphe, dont M. Pottier nous a fait connaître le texte, en déclarant que le manuscrit d’où il l’a tiré n’est pas un original, mais une assez mauvaise copie faite en 1464. Nous n’attacherons donc pas d’importance à l’adhérence de l’article et du substantif, dans les vocables la belle, sa mère et le seconde, d’autant plus que M. Pottier paraît seulement supposer que ces mots étaient écrits de cette manière dans l’original; de plus, nous croyons qu’il faut lire la seconde, et non le seconde, qui n’a pas de sens. J’arrive à mon explication, n’en déplaise à Antoine de La Sale.
J’ôte, très-vitement, devant le monde, la tête de la belle, et cette tête ôtée, il me reste le; je décapite sa mère, et je retiens la lettre m; puis, en admettant que le quatrième vers (tantost et après le seconde) soit altéré, je prends la seconde syllabe ou la finale onde: ce qui me donne: le monde. Ensuite, les trois syllabes (toutes trois) dont se compose ce mot viendront à messe sans tête, c’est-à-dire à Essé, patrie de l’auteur, et elles tiendront le monde en éveil, avec le livre des Quinze Joies, que j’attribue à un nommé Lemonde, natif du village d’Essé ou Essey, département de l’Orne, canton du Mesle-sur-Sarthe, à 24 kilomètres de Mortagne. N’oublions pas que le manuscrit de Rouen, donné aux capucins de Mortagne en 1675, par mademoiselle de La Barre, avait été sans doute écrit dans le pays.
On me demandera certainement où j’ai trouvé un écrivain de la fin du XVe siècle, nommé Lemonde, puisqu’on ne le rencontre pas dans les Bibliothèques françoises de La Croix du Maine et de Du Verdier? M. Brunet, dans son Manuel, en citant une pièce de vers imprimée vers 1500: Le Grand Jubilé de Millan, ajoute cette note: «Petit poëme composé de quatre cents vers de huit syllabes. Les sept derniers vers donnent en anagramme le mot le monde; peut-être est-ce le nom de l’auteur de cet opuscule.» Voici ces sept vers, qui sont évidemment de la même main que le huitain qu’on lit à la fin du manuscrit des Quinze Joies:
D’où il appert que le Grand Jubilé de Millan et les Quinze Joies de mariage sont du même auteur; que cet auteur, né à Essé ou Essey, en Normandie, se nommait Lemonde, et qu’il a vécu ou plutôt flori, comme disait maître Génin, de 1464 à 1500.
RECUEILS MANUSCRITS
DE
CHANSONS ET MOTETS
PROVENANT
DE LA BIBLIOTHÈQUE DE DIANE DE POITIERS[1].
[1] Ces trois recueils, décrits très-sommairement sous les nos 389, 390 et 391 du Catalogue de la Bibliothèque de M. Léopold Double (Paris, Techener, 1863, in-8), ont été vendus: 5,250, 4,600, et 3,975 fr.
Ces trois recueils, qui ont appartenu à Diane de Poitiers et qui faisaient partie de sa collection musicale, se recommandent surtout par une importance historique, que leur origine nous laissait d’ailleurs pressentir, et que nous nous bornerons à établir dans cette courte notice. Il suffira d’avoir appelé l’attention des érudits et des curieux sur ces rares monuments de la musique de chambre au milieu du XVIe siècle.
Tous les grands amateurs se disputeront de pareils livres, à cause de leur illustre provenance, à cause de leur admirable reliure, qui s’est conservée intacte et dans toute sa fraîcheur à travers plus de trois siècles; mais aucun de ces bibliophiles n’aurait eu peut-être le loisir de chercher, en feuilletant à la hâte ces trois recueils, les particularités intéressantes, que nous avons pu y découvrir, à l’aide d’un examen attentif et minutieux.
Voilà pourquoi je consignerai ici le résultat de cet examen.
No 389. Ce recueil, le plus précieux des trois, sans contredit, est aussi le plus volumineux. Il se compose de 191 feuillets chiffrés, non compris les six feuillets de la table, divisée ainsi: 1o Tabula motettorum octo vocum; 2o Tabula motettorum septem vocum; 3o Table des chansons à huyt parties; 4o Tabula motettorum sex vocum; 5o Table des chansons à six voix; 6o Tabula motettorum quinque vocum; 7o Table des chansons à cinq voix; 8o Tabula motettorum quatuor vocum; 9o Table des chansons à quatre voix. Chaque partie commence par une grande initiale en entrelacs, d’une seule couleur ou de deux couleurs; chaque morceau de musique commence aussi par une majuscule plus petite, en couleur, du même genre. Ces initiales, exécutées à la manière des chefs-d’œuvre calligraphiques du temps, sont toutes variées et du dessin le plus ingénieux. Dans la lettre V, rouge et bleue, qui est au feuillet 72, l’artiste a placé un cœur d’azur, lequel représente sans doute l’amour de Henri II pour Diane de Poitiers; au verso du feuillet 168, il y a deux cœurs en couleur jaune ou or, mis en regard, dans les entrelacs de la lettre S. Enfin, la date 1552 est inscrite en encre bleue dans les entrelacs de la lettre V, au verso du feuillet 144. Nous ne dirons rien de plus, au sujet de la description matérielle du volume, qui accuse la main habile d’un bon calligraphe et copiste de musique.
On sait que Rabelais a donné, dans le prologue de son 4e livre, une liste très-nombreuse des meilleurs musiciens qu’il avait entendus dans deux concerts différents, dont le second eut lieu justement en 1552, trente-sept ans après le premier. Notre recueil offre les noms de dix de ces musiciens, savoir: Josquin des Prez, Rouzée (Cyprianus de Rore), Constantio Festi ou Festa, Pierre Manchicourt, Morales (Cristobal, dit Tubal), Nicolas Gombert, Doublet, Archadelt, Verdelot, Janequin. Les autres noms que nous fournit le recueil de Diane de Poitiers, et qu’on reconnaîtra peut-être un jour parmi les noms mentionnés par Rabelais, sont les suivants, italiens, flamands ou français: Ludovicus Episcopus, Christianus Hollander, Philippe de Wildre, Zaccheus, Descaudam alias-Remigy, J. Clemens non papa, Antonius Galli, Baschi, Corneille Canis, Dominicus Phinot, Castileti, Alphonso de la Violla, Hubert Waesrant, Goddart, Bosse, Josquin Baston, Thomas Crequillon, Jean-Louis (Goudimel?), Jean Crespel, Petit-Jan (Jean de Latre), Charles Chastellain, Magdalain, Larchier, Coq, et Claude Gervais. C’est affaire maintenant au savant M. Fétis de nous apprendre quels furent ces artistes célèbres, dont les noms étaient tombés dans l’oubli, avant qu’il les eût remis en lumière.
Je n’ai pas à m’occuper des morceaux de musique composés sur des paroles latines, flamandes et italiennes. On devine que les motets latins sont des chants d’église pour la plupart, et nous ne leur chercherons pas querelle sur la place qu’ils ont prise, à leurs risques et périls, parmi des chansons d’amour. N’oublions pas cependant qu’un de ces motets, au feuillet 97, n’est autre que l’hymne triomphal en l’honneur de Charles VIII, hymne composé en Italie et mis en musique par Jacobus Clemens non papa; il commence ainsi: Carole, magnus eras, et le poëte royal, poeta regius, n’a pas craint de dire au roi de France: Roma tua est, Europa tua est.
Dans les chansons françaises, il y en a plus d’une, certainement, dont Henri II fait les paroles, mais nous ne pouvons hasarder que des conjectures à cet égard, car les poésies de ce prince reposent encore inédites dans les manuscrits de la Bibliothèque impériale. Quant à Diane de Poitiers, quoique les mêmes manuscrits nous aient conservé des pièces de vers sous son nom, nous avons lieu de croire que cette belle enchanteresse s’adressait alors aux poëtes de cour, surtout à Clément Marot, à Saint-Gelais, à Heroet, et même à Sagon, qui mettaient volontiers leurs rimes à son service. Nous avons reconnu seulement trois chansons de Clément Marot, imprimées dans ses œuvres (ce sont les chansons V, VIII et XIII de l’édit. de Lenglet du Fresnoy): elles se trouvent aux feuillets 75, 77 et 82 du recueil. La tradition veut que Clément Marot, malgré son nez camard, ses yeux chassieux et sa barbe rousse, ait précédé le roi Henri II dans les bonnes grâces de la duchesse de Valentinois. Ce serait, de la part de celle-ci, un témoignage de fidèle souvenir, que la présence de ces trois chansons dans un recueil formé huit ans après la mort de Clément Marot proscrit et malheureux. Il faut constater que sa chanson amoureuse: Tant que vivray en aage florissant, est devenue, au moyen d’un léger changement qui a introduit Jésus-Christ à la place de l’Amour, une chanson protestante! Il y a plus que des chansons, il y a (feuillet 186) un petit conte du même poëte, mais un conte qui eût semblé trop hardi à La Fontaine et à J.-B. Rousseau, et dont nous ne transcrirons que le premier vers:
On lira le reste, si l’on veut, dans les œuvres de Clément Marot, édit. in-12 de Lenglet Du Fresnoy, tome III, page 146.
Laissons de côté les chansons amoureuses, pour nous arrêter à quelques chansons populaires qui ont toute la naïveté, ou, pour mieux dire, toute la grossièreté du genre; l’une, au feuillet 184, commence: Je feray fourbir mon bas; l’autre, au feuillet 186: Le moys de may sur la rouzée. La chanson: Je file ma quenouille, au feuillet 187, présente un refrain en onomatopée: O voy, qui nous paraît reproduire l’evoè et le ah! oui des chansons de geste du moyen âge. La chanson de Marion, au feuillet 128, est évidemment un écho du Jeu de Robin et Marion, d’Adam de la Hale.
Mais les deux pièces principales sont une chanson de Diane de Poitiers et une chanson de François Ier. La première, au feuillet 172, s’adresse très-vraisemblablement à Henri II, qui partait pour l’armée, ou qui du moins allait se séparer de sa maîtresse. Cette chanson mérite d’être rapportée en entier:
(Le vers suivant manque.)
La chanson de François Ier termine le recueil et lui sert, en quelque sorte, de moralité. Brantôme nous a raconté que ce roi de la chevalerie française avait tracé ces deux vers, avec un diamant, sur une vitre du château de Chambord:
La mémoire de Brantôme lui a fait défaut; il a resserré en deux vers un quatrain que François Ier avait mis lui-même en musique, puisqu’on lit en tête de ce morceau: Le Roy. Je vais transcrire les paroles, un autre transcrira la musique:
No 390.—Ce recueil, semblable au précédent sous le double rapport de l’écriture et des ornements calligraphiques, se compose de 128 feuillets chiffrés, outre 5 feuillets de table. Cette table est divisée ainsi: 1o Tabula motettorum octo vocum; 2o Table des chansons à huyt parties; 3o Table des chansons à sept; 4o Tabula motettorum sex vocum; 5o Table des chansons à six parties; 6o Table des chansons à trois parties. La date de 1552 est écrite en bleu, au centre de l’initiale du feuillet 19, avec un cœur d’azur dans les entrelacs.
On voit, d’après la table générale, que ce volume renferme la moitié des chansons et motets du recueil précédent, mais, en revanche, les chansons à trois parties s’y montrent pour la première fois. Ces chansons nous offrent trois noms nouveaux, que nous retrouvons dans la liste de Rabelais: ce sont Adrien Willart, Jean Mouton et Robinet Fevin. Quant aux autres noms, il faut citer Ninon le Petit, Perabosco et Noël Balduwin, que nous n’avions pas encore vus.
Parmi les chansons à trois voix, nous pourrions reconnaître des vers de Clément Marot, de Saint-Gelais et du roi François Ier, mais le temps nous manque pour faire cette recherche. Mentionnons seulement les chansons populaires, dont quelques-unes doivent être d’anciens airs rajeunis par les compositeurs de musique de la chambre du roi. Ainsi, la Rousée du moys de may, au feuillet 113, remonte au quinzième siècle environ. Les paroles de la chanson du feuillet 99 ont couru longtemps dans le peuple, avant d’arriver à la cour; on en jugera par une citation:
Plusieurs de ces chansons populaires sont très-libres; c’est leur péché originel. Nous n’en citerons que le timbre ou le premier vers, en laissant le lecteur imaginer le reste: Au joly bois sur la verdure; Allons gay, gayement; Pleusist à Dieu qui crea nostre monde, etc. Le chef-d’œuvre du genre, au verso du feuillet 109, débute de la sorte: Arrousez voz vi vo vi vo violettes. On peut se représenter Diane et Henri, faisant chacun leur partie dans cet étrange morceau à trois voix. Au bon vieux temps, on n’y entendait pas malice, ou plutôt, malice entendue, on riait, et tout était pour le mieux.
Chantons encore la chanson à six voix de la Fille de quinze ans (au feuillet 20): Entre vous, fille de quinze ans.... Mais ayons soin d’abord de faire éloigner les dames, qui ne lisent plus les Bigarrures du seigneur des Accords, et qui croiraient que nous parlons grec. Ce grec-là, que le beau sexe comprenait autrefois, était le bon français de la cour de Henri II.
No 391.—Ce recueil, semblable aux précédents, se compose de 88 feuillets chiffrés, avec 4 feuillets de table. Cette table est divisée comme il suit: 1o Tabula motettorum octo vocum; 2o Table des chansons à huyt parties; 3o Table des chansons à trois voix; 4o Table des chansons à deux parties. On voit que cette 4e division est la seule qui ne se retrouve pas dans les deux recueils précédents. La date de 1552 est écrite en rouge dans les entrelacs de l’initiale du feuillet 16, mais les cœurs emblématiques ne figurent nulle part dans les ornements calligraphiques du volume.
Les chansons à deux parties nous donnent seulement trois nouveaux noms de musiciens, Jean Gero, Claude (Claude le jeune) et Pierre Certon, dont les deux derniers appartiennent encore à la liste de Rabelais.
La charmante chanson de Clément Marot: Tant que vivray en aage florissant, est ici dans les chansons à deux parties, mais sans avoir subi sa métamorphose calviniste. Une autre chanson du même poëte (feuillet 82): Le cueur de vous ma presence desire, a pu être faite pour lui-même, lorsqu’il aimait Diane et qu’il en était encore pour ses frais d’amour et de poésie: telle est, du moins, la tradition que Lenglet Du Fresnoy a recueillie (t. II, p. 343, de son édit. in-12).
Nous ne voyons ici qu’une chanson populaire, dont le début donnera l’idée:
Mais plusieurs de ces chansons à deux voix furent composées évidemment, paroles et musique, par Henri II et sa maîtresse, ou, du moins, pour eux et sous leur nom. Ainsi la chanson: Je suis déshéritée (fol. 78), semble avoir été faite pendant un voyage du roi, pour exprimer les regrets de l’absence. Il est permis de supposer que le roi l’aura mise en musique, car elle ne porte pas le nom du musicien, ainsi que d’autres chansons qui se prêtent naturellement à une attribution analogue. Ces autres chansons, en effet, sont du même style que les vers de Henri II, qui n’était pas tous les jours poëte, mais qui avait toujours, en prose comme en vers, un sentiment exquis de tendresse et d’admiration pour la favorite, dont il faisait reproduire partout le monogramme, les emblèmes et la devise: Donec totum impleat orbem. Voici une de ces chansons, qu’on retrouvera probablement dans les poésies inédites du roi:
Le volume finit par un canon joyeux de Dominicus Phinot, qui entonne à plein gosier, sauf le respect qu’on doit aux dames:
Dieu soit loué, dieu des bibliophiles! j’ai pu toucher, avec émotion, avec bonheur, ces merveilleux livres, qui ont été touchés par les mains royales de Henri II, par les belles mains de Diane de Poitiers.
LA CONFRÉRIE DE L’INDEX
ET
ŒUVRES DE CYRANO DE BERGERAC.
Les œuvres complètes de Cyrano de Bergerac ont été imprimées au moins douze fois, sans compter les éditions partielles, qui sont nombreuses; cependant on peut les ranger parmi les livres qui, sans être rares, ne se rencontrent presque pas dans le commerce de la librairie et qui manquent souvent dans les grandes bibliothèques. Pourquoi ces éditions ont-elles disparu? Sont-elles allées pourrir sur les quais et tomber en pâte sous le pilon? Non, certainement, car elles n’ont jamais été décriées et négligées; jamais l’acheteur ne leur a fait défaut, et leur prix vénal s’est maintenu toujours à un taux honnête, sinon élevé. L’auteur est connu, l’ouvrage est estimé, mais le livre a disparu.
Nous sommes convaincu que, jusqu’à l’époque de la Révolution de 89, les éditions de Cyrano de Bergerac ont été détruites systématiquement par les soins infatigables de la mystérieuse confrérie de l’Index. Cette confrérie, qui faisait une guerre sourde et terrible aux ouvrages des philosophes et des libres penseurs, qu’elle avait marqués du sceau de l’athéisme ou de l’impiété, se recrutait parmi les laïques comme parmi les ecclésiastiques; ses instruments les plus actifs et les plus redoutables étaient les confesseurs in extremis et les syndics de la librairie. Dès qu’un homme, connu par ses opinions hardies en matière de religion et noté comme tel sur les listes de l’Index, était dangereusement malade, il se voyait circonvenu et obsédé par des gens qui tenaient à honneur de le confesser, de le convertir, de lui faire faire amende honorable: s’il cédait à ces persécutions, on lui enlevait ses papiers. Dans tous les cas, après sa mort, sa succession avait peine à défendre son cabinet et sa bibliothèque contre l’invasion de la confrérie de l’Index, qui faisait main basse sur tout écrit, sur tout imprimé, portant témoignage des idées anti-religieuses du défunt. C’est ainsi que s’épuraient les collections de livres, qui ne pouvaient être mises en vente sans avoir subi le contrôle rigoureux de deux experts du syndicat de la librairie. L’objet de cette visite était d’extraire et d’anéantir les livres défendus, les uns notoirement désignés par l’autorité civile comme dangereux à certains égards, les autres condamnés secrètement comme hérétiques par la confrérie de l’Index. Quant aux ouvrages inédits des écrivains accusés d’être les ennemis avoués ou latents de la religion catholique, quant à leurs correspondances particulières, on les recherchait avec un zèle et une persévérance, qui triomphaient tôt ou tard de la vigilance des parties intéressées. Voilà comment nous avons perdu non-seulement tous les autographes de Molière, mais encore toutes les lettres qui lui avaient été adressées, toutes celles aussi où son nom se trouvait mentionné, comme si l’on eût essayé d’effacer la mémoire de l’auteur du Tartufe.
Il en a été de même de Cyrano, qui était, ainsi que Molière, inscrit dans le répertoire des athées, par la confrérie de l’Index. De son vivant, on l’eût fait brûler vif, si les dénonciations anonymes avaient suffi pour allumer un bûcher; on le menaça, on l’inquiéta de poursuites judiciaires; on fit interdire la représentation de sa tragédie d’Agrippine; on fit saisir la première édition de sa comédie du Pédant joué; pendant sa dernière maladie, on tenta de s’emparer de ses manuscrits, pour les détruire, mais, par bonheur, ses amis, qui les avaient cachés, en sauvèrent au moins une partie; après sa mort, on ne cessa de faire disparaître les exemplaires de ses œuvres, que le clergé avait mises à l’index, sans que le parlement eût jamais autorisé cette proscription, qui n’en fut que plus ardente et plus impitoyable. Les éditions avaient beau succéder aux éditions, les ouvrages de Cyrano ne parvenaient pas à se répandre; son nom seul était populaire, et entaché encore presque de ridicule! On ne saurait mieux donner une idée de cette guerre acharnée faite à l’auteur par la confrérie de l’Index, qu’en constatant que la première édition des Œuvres diverses, in-4o, publiée en 1654, ne se trouve plus que dans les grandes bibliothèques publiques, et qu’elle n’a figuré dans aucun catalogue de bibliothèque particulière depuis deux siècles.
En publiant une nouvelle édition des œuvres de Cyrano de Bergerac, nous aurions voulu pouvoir remplir les déplorables lacunes qui existent dans l’Histoire comique des États et Empires de la Lune. Mais le savant M. de Monmerqué, qui possédait un manuscrit complet de cet ouvrage, s’était proposé de le publier lui-même. «Il y a plus de vingt ans, nous écrivait-il à ce sujet, que j’ai acquis un manuscrit des États et Empires de la Lune du singulier Cyrano de Bergerac, dans lequel les passages retranchés, et dont l’absence est indiquée par des points, se trouvent, sans que le sens éprouve d’interruption. Je le publierai, dès que j’aurai achevé de payer mon tribut à madame de Sévigné... Cyrano faisait partie d’une coterie prétendue philosophique, avec d’autres littérateurs du temps, sur laquelle je lèverai quelques voiles... Publiez donc votre édition sans moi et sans mes manuscrits; je viendrai après vous et je profiterai de vos recherches.
«Tout ce que je puis vous dire, c’est que les passages retranchés dans les États de la Lune, outre certaines bizarreries propres à Cyrano, sont les avant-coureurs de la philosophie du dix-huitième siècle, dont les auteurs n’ont cherché qu’à nier et à repousser toutes les bases religieuses.
«Mon manuscrit est du temps de Bergerac; je ne serais pas éloigné de croire qu’il est de sa main; mais je n’ai jamais vu une lettre écrite et signée par lui. Quand je le publierai, les morceaux inédits seront, je pense, imprimés en caractères italiques, pour les faire mieux distinguer des autres, sauf les observations de mon éditeur, qui pourrait demander de simples guillemets.»
Les indications que nous fournit la lettre de M. de Monmerqué sont de nature à nous faire regretter davantage de n’avoir pu faire usage de son manuscrit. Nous ne partageons pas, d’ailleurs, son sentiment à l’égard du caractère personnel de Cyrano de Bergerac: la coterie dont Cyrano faisait partie était celle des jeunes philosophes, élèves de Gassendi, de Campanella et de Descartes; ils ne se piquaient pas d’athéisme proprement dit; quelques-uns même, par exemple Jacques Rohault, étaient fort pieux; mais ils soumettaient à l’examen philosophique la religion, la morale et la politique; ils s’élevaient, par la raison et la science, au-dessus des ténèbres du préjugé et de la superstition; ils avaient la passion du beau et du vrai; ils étudiaient la Nature, ils lui dérobaient ses secrets; ils apprenaient à douter, en s’initiant aux mystères de la sagesse humaine.
On a dit que Cyrano de Bergerac était un fou, fou spirituel, selon les uns; fou sublime, suivant les autres. C’était plutôt un sage, plein de caprice et d’imagination; c’était un homme de génie, qui n’a pas vécu dans des conditions favorables pour faire reconnaître généralement sa supériorité comme philosophe, son mérite comme écrivain, sa puissance comme inventeur. Il y a sans doute beaucoup de verve comique dans son Pédant joué, beaucoup d’éloquence théâtrale dans son Agrippine, beaucoup d’esprit et d’originalité dans ses Lettres; mais, malgré de grossières incorrections de style, malgré de nombreuses fautes de goût, qui sont les mêmes dans toutes les compositions de l’auteur, on peut regarder comme deux chefs d’œuvre, comparables à ceux que le dix-septième siècle a produits, l’Histoire comique des États et Empires de la Lune, et surtout l’Histoire comique des États et Empires du Soleil, quoique ce dernier ouvrage ne soit pas achevé et que le précédent ait été mutilé par la prudence timorée des premiers éditeurs.
Nous sommes certain que tôt ou tard Cyrano de Bergerac reprendra son rang parmi les écrivains les plus remarquables de la France et en même temps parmi les philosophes les plus illustres des temps modernes. Heureux si nous avons pu contribuer, en réimprimant ses œuvres avec quelque soin, à le réhabiliter au double point de vue littéraire et scientifique! Nous espérons aussi que la nouvelle édition des œuvres de Cyrano, en attirant l’attention sur un auteur si original, amènera la découverte de quelques-uns de ses ouvrages inédits, en prose et en vers, notamment celle de l’Histoire de l’Étincelle, qu’il regrettait lui-même à son lit de mort, quand il conjurait les détenteurs des manuscrits qu’on lui avait dérobés, de les donner au public comme l’expression de ses dernières volontés.
Voici le relevé bibliographique de toutes les éditions partielles et générales des œuvres de Cyrano de Bergerac, éditions que nous citons d’après les catalogues les plus estimés, quand nous ne les avons pas vues de nos propres yeux. Tout en présentant une liste plus étendue que celles qui ont été dressées jusqu’à présent, nous craignons bien d’avoir omis certaines éditions anciennes, dont il ne reste plus aucun exemplaire.
La Mort d’Agrippine, tragédie, par M. de Cyrano Bergerac. Paris, Ch. de Sercy, 1654, in-4o de 4 ff. et 107 pages, plus 1 feuillet pour le privilége; frontisp. gravé.
—La Même. Ibid., id., 1656, in-12 de 6 ff. prélim. et 84 p.
—La Même. Ibid., id., 1661, in-12.
—La Même. Ibid., id., 1666, in-12.
Le Pédant joué, comédie, par M. de Cyrano Bergerac. Paris, Ch. de Sercy, 1654, in-4o de 2 ff. prélim. et 167 pages.
C’est un tirage à part de la seconde partie des Œuvres diverses.
—Le Même. Ibid., id., 1654, in-12.
—Le Même. Ibid., id., 1658, in-12 de 250 p. et 4 ff.
—Le Même. Lyon, Fourmy, 1663, in-12.
—Le Même. Paris, Ch. de Sercy, 1664, in-12.
—Le Même. Ibid., id., 1671, in-12.
—Le Même. Rouen, J.-B. Besongne, 1678, in-12.
—Le Même. Paris, Ch. de Sercy, 1683, in-12.
Les Œuvres diverses de M. de Cyrano Bergerac. Paris, Ch. de Sercy, 1654, 2 part. en 1 vol. in-4 de 4 ff. prélim. et 294 pages pour la première partie; 2 ff. non chiffrés et 167 pages pour la seconde; plus 2 ff. pour le privilége.
Contenant, avec la dédicace au duc d’Arpajon surmontée de ses armoiries, les Lettres de M. de Bergerac, les Lettres satyriques de M. Bergerac de Cyrano, les Lettres amoureuses de M. de Cyrano Bergerac, et le Pédant joué. Ainsi, le nom de l’auteur est écrit de trois manières différentes dans le même recueil.
Histoire comique ou Voyage dans la Lune, par Cyrano de Bergerac. S. l. et s. d. (1650?), in-12.
Cette édition, qui fut imprimée, certainement sans privilége du roi, dans une ville du Midi, soit à Montauban, soit à Toulouse, n’est citée que dans le Catalogue de la Bibliothèque du Roi, rédigé par l’abbé Sallier; voyez le t. II des Belles-Lettres, p. 33, no 703 A.
Histoire comique des États et Empires de la Lune. Paris, 1656, in-12.
Édition citée par le P. Niceron.
Histoire comique, par M. Cyrano de Bergerac, contenant les États et Empires de la Lune. Paris, de Sercy, 1659, in-12.
—La Même. Ibid., id., 1663, in-12.
Œuvres diverses. Paris, Ant. de Sommaville, 1661, 3 part. en 1 vol. in-12.
Contenant: Histoire comique des États et Empires de la Lune (191 pages); Lettres satyriques, amoureuses, etc. (344 pages); et le Pédant joué (152 pages), avec un titre et une pagination particulière.
—Les Mêmes. Rouen, B. Séjourné ou F. Vaultier, 1676, 3 part. en 1 vol. pet. in-12.
«On remarque, à la fin du second acte du Pédant joué, une curieuse petite gravure sur bois,» dit M. Claudin, dans son Catalogue mensuel de livres anciens.
Nouvelles Œuvres de Cyrano Bergerac, contenant l’Histoire comique des Estats et Empires du Soleil et autres pièces divertissantes. Paris, Ch. de Sercy, 1662, in-12, portr. par Le Doyen.
—Les Mêmes. Paris, Ch. de Sercy, 1676, in-12.
Nouvelles Œuvres et Œuvres diverses. Paris, Ch. de Sercy, 1662-66. 5 part. en 1 vol. in-12, portr.
Œuvres (complètes, avec les préfaces). Lyon, 1663, 2 vol. in-12.
—Les Mêmes. Paris, Ch. de Sercy, 1676, 2 vol. in-12.
—Les Mêmes. Rouen, 1677, 2 vol. in-12.
—Les Mêmes. Ibid., J. Besongne, 1678, 2 vol. in-12.
—Les Mêmes. Ibid., Ch. de Sercy, 1681, 2 vol. in-12, portr.
Les Œuvres diverses, enrichies de fig. en taille douce. Amsterdam, Daniel Pain, 1699, 2 vol. in-12.
Malgré le titre d’Œuvres diverses, ce sont les œuvres complètes de l’auteur. Il y a des exemplaires sur papier fort, tirés in-8.
—Les Mêmes. Amsterdam, J. Desbordes (Trévoux), 1709, 2 vol. in-12.
—Les Mêmes. Ibid., id. (Rouen), 1710, 2 vol. in-12, portrait.
Il y a des exemplaires tirés de format in-8.
—Les Mêmes. Amsterdam, Jacq. Desbordes (Paris), 1741, 3 vol. in-12, frontisp. grav. et portr.
Édition entièrement conforme à celle de 1662-66.
—Les Mêmes. Ibid., id., 1761, 3 vol. in-12.
C’est l’édition précédente avec de nouveaux titres.
Œuvres (choisies), précédées d’une notice par Le Blanc. Toulouse, impr. de A. Chauvin, 1855, in-12.
Contenant seulement les deux Histoires comiques des États et Empires de la Lune et du Soleil.
MARCEL
TRAVESTI EN MÉZERAI.
Notre infatigable bibliographe Quérard a composé quatre gros volumes, qui sont loin d’être complets, mais qui sont très-curieux et très-piquants, sur les Supercheries littéraires, dans lesquelles il a confondu, sans y prendre garde, les faits qu’il faut imputer aux auteurs mêmes, et ceux dont les libraires seuls doivent être responsables. Nous regrettons qu’on n’ait pas fait la part des uns et des autres.
Le précieux livre de M. Quérard, il est vrai, a été rédigé au point de vue des écrivains plutôt que des libraires. Nous ne nous occuperons donc que de ces derniers, qui ont, de leur pleine autorité, travesti les titres des livres et changé les noms des auteurs, pour les besoins d’un commerce peu loyal sans doute et, à coup sûr, peu littéraire. Ce sont là les supercheries bibliopoliques. Il convient de rendre au libraire, en justice distributive, ce qui lui appartient.
Ce ne sont pas toujours les bons livres qui se vendent, témoin l’Histoire de France de Guillaume Marcel, laquelle ne s’est jamais vendue.
C’est pourtant là, et sans aucune comparaison, le meilleur abrégé chronologique de notre histoire, qu’on ait publié depuis qu’il y a des abrégés chronologiques.
Celui-ci fut publié en 1686, à Paris, chez Denys Thierry, en 4 vol. pet. in-8, sous ce titre: Histoire de l’origine et des progrès de la monarchie françoise, suivant l’ordre des temps, où tous les faits historiques sont prouvez par des titres authentiques et par les auteurs contemporains.
Guillaume Marcel n’était malheureusement pas un écrivain: c’était un savant universel, doué d’une mémoire prodigieuse; il avait lu énormément, et il n’avait pas perdu un fait ni une date de tout ce qu’il avait entassé dans son cerveau. Il passait pour le premier chronologiste du monde, et, afin de justifier sa réputation, il avait publié successivement des Tablettes chronologiques pour l’histoire de l’Église (Paris, 1682, in-8), et des Tablettes chronologiques, depuis la naissance de Jésus-Christ, pour l’histoire profane (Paris, 1682, in-8). Ces deux ouvrages, ces deux chefs-d’œuvre, furent bien accueillis et même bien vendus; on les mit dans les mains des enfants, mais on ne les mit pas dans les bibliothèques. Voilà pourquoi on ne les trouve pas dans les catalogues de livres.
Cependant Marcel et son libraire furent encouragés par ce succès. Marcel coordonna les notes qu’il avait rassemblées, lorsqu’il était sous-bibliothécaire de l’abbaye de Saint-Victor, et il exécuta, en trois années, son Abrégé chronologique de l’histoire de France, auquel il ne donna point toutefois ce titre, que l’ouvrage de Mézeray ne lui permettait pas de prendre. Ce n’était pas non plus dans l’intention de rivaliser avec Mézeray, qu’il avait voulu présenter une chronologie simple, précise et aride des événements, depuis l’origine de la monarchie jusqu’à la fin du règne de Louis XIII. Il savait bien que son livre n’était pas une histoire proprement dite; il se flattait seulement d’avoir fait un livre instructif et utile. Dieu sait l’érudition historique qu’il a accumulée dans ses quatre volumes, dont le premier, consacré à l’histoire des Gaulois, est encore égal, sinon supérieur, à tout ce qui a été écrit sur les origines obscures de la France! Quels matériaux excellents sont préparés et classés dans les quatre volumes, qui forment, en quelque sorte, une table des matières, chronologique et systématique, des principaux documents originaux de notre histoire!
Eh bien! il faut l’avouer, à la honte du public éclairé et lettré de cette époque, l’ouvrage de Marcel ne trouva pas d’acheteurs, parce qu’il n’avait pas trouvé de prôneurs. L’édition entière resta dans les magasins du libraire. L’auteur eut tant de chagrin de cet échec, qu’il jura de ne plus rien publier de son vivant. Peu de temps après, il obtint la place de commissaire des classes de la marine à Arles, et il se retira dans cette ville.
L’édition de son malheureux livre ne l’y suivit pas. Le libraire, Denys Thierry, s’en débarrassa, dix-huit ans après, en la vendant à la rame. Mais le spéculateur, qui l’achetait comme vieux papier, ne la mit pas au pilon: ce spéculateur avait des accointances avec la librairie de colportage, et voici le procédé qu’on employa pour vendre un livre qui ne s’était pas vendu. L’Abrégé chronologique de Mézeray était toujours en grande faveur; les éditions succédaient aux éditions, et la dernière, formant sept vol. in-12 (y compris l’Avant-Clovis), imprimée à Amsterdam, chez Antoine Schelte, en 1696, avait été introduite en France où elle fut bientôt épuisée. L’acquéreur des exemplaires de l’Histoire de Marcel divisa les quatre volumes en sept, au moyen du partage des trois derniers tomes en six volumes, car le premier tome, orné de gravures et de cartes, était beaucoup plus mince que les autres; puis, il fit faire, dans une imprimerie clandestine, des titres nouveaux ainsi conçus: Abrégé chronologique de l’histoire de France, par François de Mézeray, historiographe de France, nouvelle édition revue et corrigée sur la dernière de Paris, et augmentée de la vie des reines. Amsterdam, Henri Schelte, 1705.
Mézeray était mort depuis plus de vingt ans; il n’eut garde de réclamer contre l’abus qu’on faisait de son nom; Guillaume Marcel n’était pas encore mort, mais il ne réclama pas davantage, et l’on peut supposer qu’il ignora toujours la singulière métamorphose qu’on avait fait subir à son livre: il mourut, trois ans après la mise en vente de la nouvelle édition de l’Abrégé chronologique de Mézeray, sous le nom duquel on vit circuler, en France et à l’étranger, l’admirable ouvrage de Marcel. Quarante ans plus tard, le président Hénault ne se faisait pas le moindre scrupule d’emprunter à cet ouvrage le plan et les éléments d’un nouvel Abrégé chronologique de l’histoire de France, qui fit oublier à la fois ceux de Marcel et de Mézeray.
LES MÉMOIRES
DU
COMTE DE MODÈNE.
Lettre à M. Aubry, éditeur du Bulletin du Bouquiniste.
Mon cher Monsieur,
Je veux attirer votre attention sur un bouquin (je qualifie de la sorte tout livre décrié, ou négligé, ou inconnu, qui s’en va moisir sur les étalages), lequel deviendra un excellent livre de bibliothèque, dès qu’on saura ce qu’il est et ce qu’il vaut.
Vous annoncez justement un exemplaire dudit bouquin, broché, au prix de 4 francs, dans votre dernier numéro du Bulletin. Certes! le prix de 4 fr. est aujourd’hui très-convenable, mais demain peut-être il sera porté à 6 fr., à 12 fr. et au delà, jusqu’à ce qu’on réimprime l’ouvrage, que vous décrivez ainsi:
«Mielle (J.-B.). Mémoires du comte de Modène sur la révolution de Naples, de 1647; 3e éd. Paris, 2 vol. in-8.»
Votre annonce, permettez-moi de vous le dire, donnerait à penser que vous considérez le bonhomme J.-B. Mielle comme l’auteur de ces Mémoires, qui seraient ainsi apocryphes, de même que ceux de madame du Barry, du cardinal Dubois, de madame de Châteauroux, etc. Mais loin de là; ces Mémoires sont très-authentiques, composés, sinon entièrement écrits, par un homme qui avait joué un rôle actif dans cette romanesque révolution de Naples, où le duc Henri de Guise faillit devenir roi, en succédant au pêcheur Masaniello.
Esprit de Raymond de Mormoiron, comte de Modène (qui a un article dans la Biographie universelle de Michaud, grâce à ses relations avec notre Molière, grâce surtout à l’intérêt héraldique que lui portait un de ses descendants, le savant marquis de Fortia d’Urban), écrivait tant bien que mal en prose et en vers, aimait passionnément les lettres et le théâtre, et se ruinait volontiers pour des comédiennes. Il avait connu Molière chez Madeleine Béjart, dont il fut un des premiers adorateurs, et plus tard, Molière, qui avait été son successeur dans les bonnes grâces de Madeleine, devint son gendre en épousant Armande-Gresinde Béjart, laquelle n’était autre que la fille naturelle du comte de Modène, née à Paris et baptisée à Saint-Eustache, en 1638, sous le nom de Françoise.
On comprend qu’il n’en fallait pas davantage pour que Molière eût des rapports intimes avec le comte de Modène. Ces rapports amenèrent entre eux une sorte de collaboration, qui ne fut, de la part de Molière, qu’un acte de complaisance à l’égard du père d’Armande-Gresinde Béjart. Le comte de Modène, après une vie d’aventures, de débauches et de campagnes militaires, revenait de Naples, où il avait été témoin de cette étrange révolution populaire, qui eut pour héros Masaniello et le duc de Guise: il s’avisa d’écrire ses mémoires et Molière lui vint en aide. On n’a pas de peine, en effet, à reconnaître le style franc et ferme de Molière au milieu de la narration souvent emphatique du vieil ami de Tristan l’Hermite. La dédicace du livre à madame la duchesse de Luynes, veuve du connétable, est évidemment sortie tout entière de la plume de Molière, ainsi que beaucoup de passages de ces curieux Mémoires, qui parurent avant ceux du duc de Guise, rédigés par de Saint-Yon, son secrétaire.
Le premier volume de l’ouvrage du comte de Modène fut publié en 1666, et le second, en 1667. Pithon-Curt cite, dans son Histoire de la Noblesse du comté Venaissin, une première édition in-4, imprimée à Avignon; mais nous ne croyons pas à l’existence de cette édition, d’après le privilége de celle qui parut à Paris, en 1666 chez Boullard, 3 vol. in-12. Le troisième volume ne doit avoir paru qu’en 1668, ou en 1667 au plus tôt. Il y a des exemplaires avec les noms des libraires Guill. de Luyne, Barbin, etc. Le Journal des savants, dans son numéro du 13 mai 1666, a rendu compte du premier volume, en disant que cette Histoire est écrite avec plus de fidélité que les relations italiennes qui avaient déjà vu le jour.
On ne sait à quelle circonstance particulière attribuer la rareté excessive de cette édition. Elle n’est pas citée dans les catalogues de livres les plus considérables, et nous ne l’avons rencontrée que dans celui de la bibliothèque de Secousse. Lorsque Fortia d’Urban voulut la réimprimer, il la chercha inutilement dans le commerce de la librairie ancienne, et il ne la trouva que dans deux grandes bibliothèques publiques de Paris.
Ce fut en 1826 que Fortia d’Urban en fit à ses frais une nouvelle édition, sous ce titre: Histoire de la révolution de la ville et du royaume de Naples, par le comte Raymond de Modène, avec des notes généalogiques et historiques, Paris, Sautelet, 2 vol. in-8. Il mit en tête de cette édition une généalogie de la maison de Raymond-Modène, et une liste des ouvrages sur la révolution de Naples, au nombre de 58, tant imprimés que manuscrits. Ces deux morceaux furent tirés à part sous le titre de: Extrait des Mémoires du comte de Modène (Paris, Lebègue, 1826, in-8 de 32 p.) et distribués aux amis de l’auteur. L’édition des Mémoires du comte de Modène ne se vendit pas, et le libraire Sautelet pria Fortia d’Urban de reprendre tous ses exemplaires. Nous n’avons pas découvert par quelles raisons J.-B. Mielle, qui était un des amis de l’éditeur, fut prié de donner ces Mémoires comme une troisième édition faite par lui-même: on changea seulement les titres, la préface et quelques feuillets des notices préliminaires, et le livre, rafraîchi et rajeuni, reparut chez Pelicier, avec la date de 1827. Il ne se vendit pas davantage et retomba, plus décrié que jamais, dans les bas-fonds de la bouquinerie, non loin du gouffre où les malheureux livres disparaissent sous le pilon.
Eh bien! mon cher monsieur, les quelques exemplaires qui ont échappé au naufrage méritent d’être sauvés et d’entrer dans le port des bibliophiles. Quant à la première édition de 1666-1668, il ne faut pas y songer: il n’en existe peut-être pas quatre exemplaires au monde[2]. L’édition de Fortia d’Urban peut en tenir lieu et doit même lui être préférée, à cause des additions utiles qu’elle renferme. Cette édition de 1826 ne nous semble pas inférieure à celle de 1827, malgré les changements que Mielle a faits dans cette dernière, pour expliquer son rôle d’éditeur. Mais peu importe Mielle ou Fortia; c’est le comte de Modène, c’est Molière, que nous voulons trouver dans ces intéressants Mémoires sur les révolutions de Naples. Reste à faire la part de l’un et de l’autre, qui n’étaient pas de même force sous le rapport littéraire: le comte de Modène dictait ou plutôt racontait; Molière écrivait, et le beau-père n’eut pas le bonheur de voir rejaillir sur lui un reflet de la gloire de son illustre gendre.
Agréez, etc.
P.-L. Jacob, bibliophile.
[2] M. Solar en possédait un, très-beau, dans son admirable bibliothèque.
L’ABBÉ DE SAINT-USSANS
ET SES OUVRAGES.
M. Robert Luzarche, fils du savant bibliothécaire de la ville de Tours, a le premier évoqué le souvenir d’un poëte du dix-septième siècle, que les biographes et même les bibliographes avaient injustement laissé dans l’oubli depuis plus de cent soixante ans. La notice qu’il a consacrée à deux ouvrages de l’abbé de Saint-Ussans, les Contes en vers et les Billets en vers, est enfouie, malheureusement, dans une feuille bibliographique qui a vécu ce que vivent les feuilles, et qui est déjà oubliée (le Chasseur bibliographe, no 8, août 1863).
Ces deux ouvrages, qu’on s’étonne de ne pas trouver décrits dans le Manuel du libraire, ont été remis en honneur comme ils méritaient de l’être, et ils ne passeront plus inaperçus, sous les yeux des bibliophiles, dans les ventes publiques, car l’auteur de cette résurrection littéraire n’a eu qu’à citer quelques vers de ce malin et spirituel conteur, pour prouver que notre La Fontaine avait pu le considérer comme un de ses plus dignes émules. En effet, Pierre Richelet, dans son Dictionnaire de la langue françoise, a cité l’abbé de Saint-Ussans presque aussi souvent que La Fontaine.
Ce conte, que M. Robert Luzarche a choisi parmi les plus courts et les plus piquants du recueil, n’est-il pas un petit chef-d’œuvre?
Les Contes de l’abbé de Saint-Ussans, qu’on chercherait inutilement dans beaucoup de catalogues, ont eu pourtant deux et, peut-être, trois éditions. La première ne porte pas le nom de l’auteur sur le titre: Contes nouveaux en vers, dédiez à Son Altesse Royale Monsieur, frère du Roi (Paris, Augustin Besoigne, 1672, in-12). La seconde édition fut imprimée en 1677, et mise en vente à Paris, chez Trabouillet. Il y a des exemplaires datés de 1676. Les contes sont au nombre de 25, dans l’une et l’autre édition. Dans la dédicace à Monsieur, frère du roi, l’auteur n’a pas manqué de faire l’éloge de La Fontaine, dont les Contes et Nouvelles étaient alors dans toutes les mains, et qu’il se flattait d’imiter, sinon d’égaler: «Ce serait trop parler sur cette matière, dit-il en terminant l’apologie du conte, après un habile homme que j’y reconnois pour le maistre, et après lequel je n’eusse voulu même rien conter, si je n’avois cru que, mes contes estant presque tous nouveaux, on ne m’accuseroit pas d’en vouloir faire comparaison avec les siens, qu’il a tirés de Boccace et d’autres endroits qu’il cite. Que si on les compare ensemble contre mon intention, il ne pourra qu’en tirer de l’avantage, et je lui donneray du lustre.» On n’a pas besoin d’ajouter que les contes de l’abbé de Saint-Ussans sont moins libres que ceux de La Fontaine. «On comprend, dit Viollet-Le-Duc, qu’il n’ait pas signé ses contes du nom de son abbaye. Il ne manque ni de naturel, ni de facilité. Sa poésie, comme celle de son maître, est gaie, mais n’est pas obscène.»
L’abbé de Saint-Ussans a pu, sans scrupule, mettre son nom d’abbé à son second ouvrage: Billets en vers, de M. de Saint-Ussans (Paris, Jean Guignard, 1688, in-12). Il y a des exemplaires avec l’adresse de veuve de Claude Thiboust, sous la même date. «Bien que les Billets en vers contiennent des choses qu’un ecclésiastique ne voudrait pas imprimer aujourd’hui, dit Viollet-Le-Duc, on conçoit que, comme abbé du beau monde, il y ait mis le nom sous lequel il était plus universellement connu. C’était un homme d’esprit. Ses billets, adressés la plupart à des personnes connues, entre autres Racine et Boileau, sont facilement écrits, de bon goût, et sans abuser de la négligence que comporte le genre. Le volume contient, en outre, des devises, Corps et Ames, et des chansons.» La devise était un genre dans lequel l’abbé de Saint-Ussans avait des succès qui le faisaient rechercher dans la belle société de Paris. Nous avons vu de lui une pièce volante, intitulée: Vers à M. Payelle, en luy envoyant une devise faite pour M. le chancelier Boucherat, par Saint-Ussans (Paris, And. Cramoisy, 1686, in-4).
Je veux encore signaler ici plusieurs autres ouvrages de l’abbé de Saint-Ussans, et rassembler quelques rares indications biographiques que La Monnoye nous a données sur le compte de cet abbé poëte et savant. Adrien Baillet n’avait eu garde de l’oublier dans la Liste des auteurs déguisés, où il le mentionne ainsi: «Glas (le sieur de Saint-), N.... de Saint-Ussans.» La Monnoye a complété ce simple renseignement, par une note ainsi conçue: «L’abbé de Saint-Ussans, de Toulouse, nommé Pierre de Saint-Glas, auteur des Billets en vers, imprimés à Paris, in-12, 1688, y avoit, dix ans auparavant, fait imprimer, sous le nom de Saint-Glas, un volume de même taille, intitulé: Contes nouveaux en vers. C’étoit fort peu de chose. Il mourut le 11 mai 1699.» Il est nommé de Saint-Glats, dans la Bibliothèque de Richelet, par Laurent-Josse Leclerc, en tête du Dictionnaire de la langue françoise (Lyon, Bruyset, 1728, 3 vol. in-fol.).
La Monnoye, qui l’avait connu certainement, le cite encore deux fois dans ses additions au Menagiana (Paris, Florentin Delaulne, 1715, 4 vol. in-12). Voici d’abord l’article de Ménage: «Un jeune prince avoit une volière, dans laquelle, entre autres oiseaux, il nourrissoit des tourterelles. Un jour qu’elles se faisoient mille caresses, il leur dit: «Dépêchez-vous vite, car voici mon gouverneur qui vient.» Là-dessus, La Monnoye ajoute (t. IV, p. 235): «Ceci n’est qu’un déguisement du 201e conte du Pogge: de Adolescentula segregata à viro. Saint-Ussans, sous le nom de Saint-Glas, en a fait une paraphrase de quatre-vingts et tant de vers. Ces quinze ennuieront un peu moins:
Nous regrettons de ne pouvoir citer le second passage (t. IV, p. 22), qui se rapporte aussi à Saint-Ussans. C’est une traduction très-peu voilée de ce distique d’Owen sur l’horloge d’eau:
Les quatre vers français de la traduction valent mieux que les deux vers latins, mais ils bravent l’honnêteté, suivant l’expression de Boileau. Le bon abbé n’y regardait pas de si près, et l’on peut, sans lui faire tort, supposer qu’il menait joyeuse vie, car il écrivait pour le théâtre et il faisait représenter ses pièces par les comédiens du roi, à l’hôtel de Bourgogne. Nous avons de lui une comédie, en un acte et en prose, intitulée: les Bouts rimés. Cette comédie, représentée avec succès le 25 mai 1682, fut imprimée, la même année, à Paris, chez Pierre Trabouillet, en vertu d’une permission du lieutenant de police, M. de La Reynie, en date du 15 juillet. Elle est dédiée à S. A. S. Monseigneur le Prince, qui était un des protecteurs de notre abbé.
Au reste, cet abbé-là ne se bornait pas à faire des contes et des comédies; il se mêlait de science, d’histoire naturelle, de philosophie et d’histoire. Il avait publié, l’année même où parurent ses Contes nouveaux, un recueil fort intéressant, composé de pièces de différents genres, que lui avait fournies le portefeuille de ses amis, l’abbé Guéret et Mangars, interprète du roi pour la langue anglaise; ce recueil a pour titre: Divers Traités d’histoire, de morale et d’éloquence: 1o la Vie de Malherbe (par Racan); 2o l’Orateur (par Gabriel Guéret); 3o de la Manière de vivre avec honneur et avec estime dans le monde (par l’éditeur); 4o si l’Empire de l’éloquence est plus grand que celui de l’amour (par Guéret); 5o Méthode pour lire l’Histoire; 6o Discours sur la musique d’Italie et des opéras (Paris, veuve Thiboust, 1672, in-12). La préface de ce recueil est signée de son véritable nom.
Il signa également un autre opuscule, qui n’était pas moins avouable: Particularitez remarquables des sauterelles qui sont venues de Russie (Paris, 1690, in-4). Ces maudites sauterelles avaient-elles fait leurs orges dans le clos de l’abbaye de Saint-Ussans, pour que l’abbé les anathématisât à la façon du moyen âge qui exorcisait les animaux nuisibles et malfaisants? Quoi qu’il en soit, l’abbé de Saint-Ussans, qui devait avoir alors la cinquantaine au moins, ne s’occupait plus, sans doute, de poésie galante, car il rédigea ou compila, pour le Grand Dictionnaire de Moréri, un gros Supplément, qui parut à Paris, en 1689, et qui fut refondu depuis dans les éditions du Dictionnaire imprimées en Hollande.
Les recueils d’airs et de parodies, publiés par les Ballard, contiennent beaucoup de chansons, assez décentes, signées: de Saint-Ussans. Le lecteur ira les y chercher, si le cœur lui en dit. Mais nous ne résistons pas au plaisir de transcrire ici un conte épigrammatique, qui fut attribué à La Fontaine, lorsqu’il courait manuscrit, et que Duval, de Tours, a recueilli dans son Nouveau Choix de pièces de poésie (La Haye, Henry van Bulderen, 1715, 2 vol. in-8, t. I, p. 50):
Ce conte doit avoir été inspiré par l’incendie de la Sorbonne, que la muse de Santeul a célébré en vers latins.
Ce bon abbé de Saint-Ussans préférait évidemment les contes aux homélies. Nous sommes bien aises, cependant, d’avoir découvert, à défaut de son abbaye qui a échappé à toutes nos recherches, une pièce de vers plus édifiante, qu’il a signée de son nom d’abbé; elle est intitulée: Sur un tableau de la nativité de N. Seigneur, fait par monsieur Le Brun, premier peintre du roi. A monsieur Helvetius, docteur en médecine. (Paris, de l’impr. de J. Cusson, in-8 de 4 p.) Cette pièce porte la date de 1689, écrite à la main. Ce sont peut-être les seuls vers que Pierre de Saint-Glas se soit permis en dehors du genre profane et galant.
UN LIVRE CONNU
QUI N’A JAMAIS EXISTÉ.
Il y a vingt-cinq ans que je cherche partout un ouvrage, cité par les bibliographes et dont l’existence n’a jamais été contestée par personne; cet ouvrage est intitulé: les Pieds de mouches, ou Nouvelles Noces de Rabelais (Paris, 1732, 6 vol. in-8). Je m’étonnais cependant que le marquis de Paulmy, contemporain de Gueullette, qui fut même de ses amis, n’eût pas analysé, dans la Bibliothèque universelle des romans, une œuvre d’imagination, que recommandaient à la fois le nombre des volumes et la singularité du titre. Je m’étais assuré que les Pieds de mouches ne se trouvaient pas dans l’immense collection de romans français que possède la Bibliothèque de l’Arsenal. Il fallut donc se résigner à attendre du hasard la découverte des fameux Pieds de mouches, que je crus plus d’une fois avoir rencontrés dans le Pied de Fanchette, de Restif de la Bretonne, ou dans la Mouche, du chevalier de Mouhy.
J’avais cependant donné en librairie le signalement de l’introuvable roman, et je ne fus pas peu surpris d’apprendre que plusieurs curieux avaient fait avant moi la même recherche sans plus de succès. «Tous les ans, me dit un des libraires les plus capables de dénicher le phénix des livres, tous les ans je reçois dix ou douze commissions pour les Pieds de mouches de Gueullette; mais ce bouquin doit être bien rare, car je ne l’ai jamais vu.—Et moi, dit un semi-bibliographe qui était là feuilletant un volume, je l’ai vu deux ou trois fois sur les étalages des quais.—Diable! repris-je tout alléché d’espérance, vous êtes plus heureux que vous ne le méritez, puisque vous avez laissé échapper une si belle occasion.—Margaritas ante porcos! répliqua notre homme, j’ai peu de goût, je vous l’avouerai, pour Gueullette et ses contes.» Depuis lors, on a continué, de tous les points du monde des bibliophiles, à demander les Pieds de mouches aux échos de la vieille librairie.
Obstiné dans mon désir, comme un vrai bibliophile, j’ai voulu me remettre à la piste des Pieds de mouches de Gueullette, et j’ai eu recours d’abord à la France littéraire de Quérard, ce précieux répertoire de bibliographie usuelle, qui serait sans défauts, si son savant et infatigable auteur avait pu le corriger et le compléter dans une seconde édition. L’article Gueullette m’a fourni cette indication: «Les Pieds de mouches, ou les Nouvelles Noces de Rabelais, 1732, 6 vol. in-8. Avec Jamet l’aîné.» A l’article Jamet, reparaît naturellement la même indication, avec un renvoi à la France littéraire de 1769 (par les abbés d’Hébrail et de la Porte). Ce renvoi me fit supposer que, dans l’intervalle de la publication des deux articles, M. Quérard avait été prié de donner un renseignement précis à l’égard des Pieds de mouches de Gueullette. M. Quérard n’avait pas su mieux faire que de renvoyer ses lecteurs à la source où il avait puisé de confiance.
Je m’adressai, en conséquence, à la France littéraire de 1769: elle était muette, dans les notices de Gueullette et de Jamet, au sujet de leurs Pieds de mouches. Mais le Supplément de 1778, qui est de l’abbé de La Porte seul, me mit sur la trace desdits fameux Pieds de mouches. Page 98, dans la liste des auteurs morts et vivants, addition à l’article Gueullette, publié en 1769: «Il a eu part, avec M. Jamet l’aîné, aux Pieds de mouches ou Nouvelles Noces de Rabelais, 6 vol. in-8, 1732.» Page 170 de la seconde partie, dans la liste des ouvrages, je retrouvais encore les mêmes Pieds de mouches, par MM. Gueullette et Jamet, 6 vol. in-8. «Pour le coup, m’écriai-je avec confiance, je tiens mes Pieds de mouches!»
Mais voici que l’aveugle dieu des bibliographes me ramène à la page 105 de la première partie du volume, et je lis avec stupéfaction cette phrase complémentaire de l’article de Jamet L’ainé: «Il a eu part, avec Gueullette, aux Pieds de Mouches ET aux nouvelles NOTES SUR RABELAIS.» Ce fut un trait de lumière, et je compris sur-le-champ que les Pieds de mouches étaient l’œuvre d’une triple faute d’impression. Gueullette et Jamet avaient eu part, en effet, non pas aux Pieds de mouches, mais aux Essais de Montaigne, édition de 1725, 3 vol. in-4; non pas aux Nouvelles Noces de Rabelais, mais aux Nouvelles Notes sur Rabelais, dans l’édition de 1732, en 6 volumes in-8.
Vous verrez que, dans un demi-siècle, les bibliophiles seront encore en quête des Pieds de mouches de Gueullette, et que les bibliographes inviteront encore les amateurs aux Nouvelles Noces de Rabelais.
LE VÉRITABLE
AUTEUR DE QUELQUES OUVRAGES
DE RESTIF DE LA BRETONNE.
I
Les bibliographes se sont préoccupés d’une note, que j’ai jetée dans un Catalogue de livres[3], et qui n’était pas mon dernier mot sur la question; voici cette note: «Nous croyons que Restif n’est pas l’auteur des quatre premiers volumes des Idées singulières, mais qu’il s’est chargé seulement de les publier, en y ajoutant quelques notes qui portent l’empreinte de son style.» Nous aurions pu dire, qu’après un examen approfondi de la collection des Idées singulières, comprenant le Pornographe, le Mimographe, les Gynographes, l’Andrographe et le Thesmographe, nous sommes certain que Restif a été seulement l’éditeur responsable de ces différents ouvrages, dans lesquels il a fait des interpolations qui tranchent d’une manière marquée avec le reste, notamment dans le Thesmographe, où il a inséré des essais dramatiques, des lettres de famille, des pamphlets personnels, etc.
[3] Catal. de livres relat. à l’histoire de France, à l’histoire de Paris, aux beaux-arts et à la bibliographie, provenant de la bibl. de M. de N***. Paris, Edwin Tross, 1856, in-8o. (Voy. le no 42.)
Il faudrait, pour établir notre opinion sur des bases solides, procéder par voie de citations et de rapprochements littéraires. La place nous manquerait ici, pour entrer dans de longs développements, et pour démontrer, Monsieur Nicolas à la main, que Restif était absolument incapable de traiter avec connaissance de cause les matières sur lesquelles roulent ces ouvrages de philosophie sociale et d’économie politique. On y trouve une érudition qu’il n’avait pas, le pauvre homme; on y trouve surtout des idées qu’il n’a jamais eues. Aussi, était-il tellement embarrassé de la pseudo-paternité des Graphes (c’est le nom qu’il leur donnait), que son Monsieur Nicolas en parle à peine, et toujours avec une sorte d’hésitation, si ce n’est quand il s’agit du Pornographe, qu’il avait adopté plus ouvertement, par affection et par habitude.
Je me bornerai donc à révéler le véritable auteur des Graphes, n’en déplaise à Restif et à ses bibliographes particuliers. On lit dans Monsieur Nicolas, ce livre extraordinaire, qui commence à être connu et apprécié, t. XVI, p. 4561: «En 1771, ayant traité avec le libraire Costard, pour un ouvrage intitulé: le Nouvel Émile, à un sou la feuille de deux mille exemplaires, je me proposais d’y faire entrer le Marquis de Tavan, comme exemples historiques; mais je ne tardai pas à m’apercevoir qu’ils gâteraient un ouvrage, pour lequel ils n’avaient pas été faits. J’en fis donc un petit roman, que j’imprimai pour mon compte, mais que je changeai complétement de fond et de forme, en le composant moi-même à la casse, aidé néanmoins par le jeune Ornefri, fils de Parangon. Je le surchargeai de morale et de discours: l’action y manquait déjà, je l’étouffai encore: ce fut un traité de morale symétriquement divisé en quatre parties, assez platement raisonné pour être digne de Guinguenet, qui cependant n’en n’eût pas fait l’Épître dédicatoire à la Jeunesse; ce morceau est un petit chef-d’œuvre d’élégance et de raisonnement. Aussi, mon ami Renaud me dit-il, en achevant de la lire: «Voici votre meilleur ouvrage!»—Un moment! L’Épître dédicatoire ne répond que pour elle!... Il trouva ensuite l’ouvrage moral médiocre, mais amusant par ses épisodes, c’est-à-dire par ses défauts.»
J’ai souligné, dans cette citation, tout ce qui semble indiquer que l’ouvrage n’est pas de Restif: ce qui lui appartient, c’est un petit roman; ce qui ne lui appartient pas, c’est un Traité de morale assez platement raisonné. L’auteur de ce traité de morale n’est autre que Ginguené, que Restif appelle ici Guinguenet, parce qu’il était alors brouillé avec lui. Restif serait donc seulement l’auteur de l’Épître dédicatoire aux jeunes gens.
Pierre-Louis Ginguené était arrivé à Paris en 1770, âgé de vingt-deux ans, sans autres ressources que son esprit naturel, son instruction très-étendue et son envie de réussir. Il fut placé dans les bureaux du Contrôle général; il fit connaissance avec Restif, chez Bultel-Dumont, trésorier de France, qui s’était fait l’ami et le Mécène de Monsieur Nicolas. Ginguené se piquait d’être philosophe et d’imiter J.-J. Rousseau; il confia donc ses élucubrations à Restif, qui se chargea de les publier, et même de les imprimer lui-même. Telle est l’origine des Graphes, qui parurent d’abord sans nom d’auteur, et que Restif finit par s’approprier, en s’imaginant peut-être qu’il les avait écrits, parce qu’il les avait peut-être composés à la casse. Cependant il avait eu l’imprudence de promettre à ses lecteurs le Glossographe, quoique Ginguené ne lui eût remis que quelques fragments de cet ouvrage; pendant vingt ans, il annonça que le Glossographe allait voir le jour, et enfin, de guerre lasse, il imprima ce qu’il en avait, dans le seizième volume de son Monsieur Nicolas. Voy. p. 4689 et suivantes de ce t. XVI.
Rendons à Ginguené ce qui est à Ginguené, en demandant pardon de la liberté grande à Monsieur Nicolas.
II
Comment Restif de la Bretonne s’appropriait les ouvrages des autres.
Nous avons dit quel était le véritable auteur du Marquis de T*** ou l’École de la Jeunesse, publié en 1771, comme tirée des mémoires recueillis par N.-E.-A. Desforêts, homme d’affaires de la maison de T... (Londres et Paris, Le Jay, 1771, 4 parties, in-12). Nous ajouterons que Restif, en imprimant cet ouvrage, hésitait encore à y mettre son nom, car on lit cette annonce derrière le titre du premier volume: «On trouve chez le même libraire quelques autres ouvrages amusants, tels que la Famille vertueuse, 4 parties; Lucile ou les progrès de la vertu, 1 partie; la Confidence nécessaire, lett. angl., 2 parties, etc.» Ce sont là les ouvrages de Restif, ou, du moins, ceux qu’il s’était chargé de publier sous sa responsabilité, et dont il ne s’attribuait pas encore tout l’honneur. Il n’en est pas moins démontré que des écrivains qui voulaient se faire imprimer incognito, avaient recours à l’intermédiaire officieux de Restif, en raison de ses rapports avec l’imprimerie, la censure de police et la librairie de colportage.
Voici ce que nous lisons, dans la Revue des ouvrages de l’auteur, placée à la suite de la description des figures du Paysan perverti, édition de 1788: «L’École des Pères (Ve Duchesne, imprimé à 1,500 exemplaires) parut en mai 1776, 3 volumes, après avoir été retenue fort longtemps. L’auteur l’avait rachetée du libraire Costard, pour la mettre à la rame et en extraire le meilleur pour son Nouvel Émile, mais il en fut détourné par quelqu’un de ses amis, qui le conseilla mal. Cet ouvrage est bien supérieur à l’École de la Jeunesse, publiée cinq ans auparavant.»
Il résulte, de ce passage, assez obscur aujourd’hui, que Restif acheta l’édition entière d’un livre qui ne pouvait paraître, faute de privilége, et qui était arrêté depuis longtemps par la censure et la police. Restif, au lieu de détruire cette édition, y fit des cartons et la rendit par là susceptible d’être autorisée, du moins tacitement. Il n’hésita pas ensuite à se donner pour l’auteur de l’ouvrage, qu’il avait publié seulement, à ses risques et périls, en parlant de cet ouvrage avec certaines réticences obligées. Restif n’a pas même l’air de savoir qu’une partie de son École de la Jeunesse, publiée en 1771, se retrouve textuellement dans l’École des Pères, publiée en 1776, il est vrai, mais imprimée SIX ANS auparavant.
L’École des Pères, que Restif fit paraître en 1776, sous son nom, avec cette rubrique: En France et à Paris, chés la veuve Duchesne, Humblot, Le Jay et Doréz (on peut certifier, à en juger d’après l’orthographe, que Restif est du moins l’auteur du titre), forme trois volumes in-8, sur papier fort: le premier volume a 480 pages; le deuxième 192, et le troisième 372.
Or, l’édition originale, dont nous avons un exemplaire sous les yeux, devait porter d’abord ce titre: le Nouvel Émile ou l’Éducation pratique, avec cette épigraphe: Res eadem vulnus opemque feret (Ovid. II. Trist. v. 20); fleuron: un aigle sur des attributs de musique, dans une couronne. A Genève, et se trouve à Paris, chez J.-P. Costard, libraire, rue Saint-Jean de Beauvais, 1770. Sur le faux titre: Idées singulières. L’Éducographe. Restif ne soupçonnait pas que cet ouvrage était destiné à faire partie des Graphes! Le premier volume a 480 pages, de même que l’École des Pères, mais les pages suivantes ont été remplacées par des cartons, dans l’École des Pères: 1-2, 3-4, 9-10, 31-32, 41-42, 51-52, 53-54, 57-58, 65-66, 79-80, 81-82-86 (deux pages au lieu de six), 87-88, 211-212, 247-248, 355-356.
Le second volume offre des différences bien plus importantes; il a 480 pages, tandis qu’il n’en a plus que 192 dans l’École des Pères. Il paraît que le censeur exigea d’abord des cartons aux pages suivantes: 1-2, 59-60, 121-128 (en supprimant ainsi six pages), 189-190, 191-192, 419-420, 435-436, 437-438, 439-440, 441-442. Puis, de tout le volume, on ne conserva que les 192 premières pages, en supprimant tout le reste.
Le troisième est également mutilé; de ses 476 pages, il n’en est resté que 372 dans l’École des Pères. On demanda des cartons depuis la première page jusqu’à la page 48; et, sans doute, lorsque ces cartons furent présentés, on refusa de les admettre, et on retint définitivement le permis de publier.
C’est six ans plus tard que Restif acheta l’édition pour la mettre à la rame, c’est-à-dire au pilon; mais il connaissait intimement plusieurs censeurs, et il proposa de nouveaux cartons qui furent acceptés, après plusieurs remaniements successifs. Le livre parut enfin, avec son nom, mais tellement défiguré, que le véritable auteur ne voulut pas reconnaître son ouvrage. Il n’y eut donc pas débat de paternité entre le vrai père et le faux père, pour l’École des Pères: Restif resta seul maître de l’enfant ou plutôt de l’avorton, qu’il avait circoncis.
LES ROMANS
DE J. POTOCKI.
On peut dire que, dans la bibliographie, il y a l’instinct (si cette expression rend bien ma pensée) à côté de la science. L’instinct du bibliographe, c’est une sorte de divination, qui lui fait découvrir souvent le véritable auteur d’un livre anonyme ou pseudonyme. Voici un fait entre mille.
On n’a peut-être pas oublié le célèbre procès littéraire, qui fut un coup de massue pour le spirituel et imprudent auteur des Souvenirs de Mme la marquise de Créquy. C’était à la fin de l’année 1841. Le journal la Presse avait commencé la publication des Mémoires inédits de Cagliostro, traduits de l’italien par un gentilhomme: le premier épisode de ces Mémoires venait de paraître sous le titre du Val funeste; le second épisode, intitulé: Histoire de don Benito d’Almusenar, paraissait, quand le National (15 octobre 1841) dénonça le plagiat le plus effronté qui eût été jamais commis dans le monde des romans et des feuilletons.
Le Val funeste était l’extrait littéral d’un ouvrage attribué au comte Joseph Potocki: Dix Journées de la vie d’Alphonse van Worden (Paris, Gide, 1814, 3 vol. in-12); l’Histoire de don Benito d’Almunesar devait être également un extrait non moins littéral d’un autre roman anonyme du même auteur: Avadoro, histoire espagnole (Paris, Gide, 1813, 4 vol. in-12).
Le rédacteur en chef du feuilleton de la Presse, M. Dujarier, s’indigna d’une accusation qui n’attaquait que le soi-disant auteur des prétendus Mémoires de Cagliostro; il intenta un procès au National et appela en garantie M. de Courchamps, qui fut honteusement convaincu de s’être approprié deux romans oubliés, sinon dignes d’oubli. Peu d’années après, M. de Courchamps mourait de chagrin, à l’hospice de Sainte-Périne.
Quel était le véritable auteur d’Avadoro et de Dix Journées de la vie d’Alphonse van Worden? Le premier de ces deux romans portait les initiales L. C. J. P., et Barbier, dans son Dictionnaire des anonymes, l’avait présenté comme faisant partie d’un manuscrit plus considérable, qui pouvait fournir 7 vol. in-12, et qui était l’ouvrage du comte Jean Potocki. Suivant une note du général de Senovert, communiquée au savant bibliographe, cet ouvrage aurait été imprimé hors de France, sous le titre de Manuscrit trouvé à Saragosse (S. l. n. d., in-4).
Quant au révélateur du vol au roman, lequel semblait si bien instruit et si sûr de son fait, on ne savait pas encore que c’était un des meilleurs amis de la famille Nodier, un écrivain caustique et ingénieux qui a toujours écrit sous le pseudonyme de Stahl.
Je fus très-préoccupé, très-intrigué, il m’en souvient, par cette affaire qui produisit tant de scandale et qui resta enveloppée de certain mystère. Je voulus lire Avadoro, et je n’eus pas plutôt lu le premier volume, que je m’écriai: «C’est Charles Nodier qui a composé ou du moins écrit ce roman!» Je lus ensuite les Dix Journées de la vie d’Alphonse van Worden, et je fus plus que jamais certain de l’identité de mon auteur. J’interrogeai les amis de Nodier, Taylor, Jal, Wey, et tous ceux que je rencontrai, dans l’ardeur de ma nouvelle découverte; mais je ne pus obtenir que des indications vagues.
J’étais pourtant persuadé que les deux ouvrages du comte Jean ou Joseph Potocki avaient été écrits par Charles Nodier et que le rédacteur du Dictionnaire des anonymes s’était laissé égarer par un faux renseignement. Mon opinion était alors tellement arrêtée, que je me procurai à grand’peine des exemplaires de ces deux romans et que je les fis relier avec le nom de Charles Nodier sur le dos des volumes.
Ces deux romans sont très curieux, très-intéressants, et très-dignes, en un mot, de l’auteur de Smarra et de Trilby. Je supposai donc que quelques circonstances particulières avaient empêché Charles Nodier de revendiquer son droit de paternité littéraire.
Eh bien! j’avais deviné juste, il y a seize ans: Charles Nodier est réellement le seul auteur d’Avadoro, et de Dix Journées de la vie d’Alphonse van Worden: le manuscrit autographe existe; il est là sous mes yeux.
Avis à l’éditeur futur des œuvres complètes de notre ami Charles Nodier.
LES MANUSCRITS
DE
STANISLAS DE L’AULNAYE.
Lettre à M. Aubry, libraire.
N’est-ce pas dans le Bulletin du Bouquiniste que vous auriez publié une lettre d’un de vos correspondants, sur divers volumes annotés, provenant de la bibliothèque du savant éditeur de Rabelais, F.-H. Stanislas de l’Aulnaye, né à Madrid en 1739, mort à Paris en 1830, à l’âge de quatre-vingt-douze ans?
J’ai consulté la table des matières de votre excellent Bulletin du Bouquiniste, mais je n’ai pas su y retrouver cette lettre, qui a laissé un souvenir vague dans ma mémoire. Votre correspondant, ce me semble, invitait les amateurs à rechercher soigneusement les volumes annotés de la bibliothèque de Stanislas de l’Aulnaye.
Ces volumes, la plupart du moins, se retrouveront peut-être, à l’exception de ceux qui, ayant trop mauvaise mine et ne conservant pas de couverture, auront été impitoyablement jetés au rebut. Mais ce qui serait plus précieux que les livres et ce qui paraît perdu pour toujours, ce sont les manuscrits, les ouvrages inédits du docte commentateur de Rabelais.
Il est à peu près certain que les papiers et les livres de Stanislas de l’Aulnaye, décédé dans l’hospice de Sainte-Périne, à Chaillot, ont été recueillis par l’Administration des domaines et vendus à l’encan, sans catalogue et sans annonces, à la salle des ventes du Domaine, dans l’hôtel du Bouloi.
Nous avons fait bien des démarches pour découvrir ces précieux papiers littéraires, accumulés pendant la longue vie laborieuse de ce savant universel; nous avons espéré, un moment, d’après une indication qui semblait exacte, les faire sortir des greniers de l’hospice de Sainte-Périne, où ils auraient été déposés, mais il faut renoncer à toute espérance, après la lettre que nous a écrite à ce sujet l’honorable directeur de cet hospice.
Nous croyons pouvoir donner à cette lettre la publicité qu’elle mérite: non-seulement elle nous fournit plusieurs faits intéressants pour la bibliographie, mais encore elle signale, de la part du Domaine, une fâcheuse indifférence à l’égard des papiers et des manuscrits qui font partie des successions vacantes. Voici la lettre de M. Varnier, directeur de l’institution de Sainte-Périne:
Paris, 18 Juin 1856.
Monsieur,
Je me suis empressé de faire les recherches que vous désiriez relativement aux manuscrits laissés par M. Stanislas de l’Aulnaye. Malheureusement, les informations que j’ai recueillies ne peuvent guère éclairer la question. Le directeur chargé de Sainte-Périne, à cette époque, est mort: lui seul aurait probablement pu dire ce qu’étaient devenus ces manuscrits. Il paraît bien certain, du reste, qu’ils n’ont jamais été laissés à l’Institution, la bibliothèque de notre établissement n’ayant été fondée qu’en 1839, par M. Uginet, autrefois attaché à la maison de Louis-Philippe, et aujourd’hui décédé. Je serais porté à croire que ces manuscrits ont été enlevés par le Domaine, comme l’ont été, à une époque postérieure, ceux de M. Montverand et de M. Leroy de Petitval. M. Montverand avait laissé une pièce en cinq actes, et M. de Petitval, des Anecdotes de l’ancienne cour, des Observations sur les finances d’Angleterre depuis le règne d’Élisabeth jusqu’en 1815, et le Récit d’un voyage en Angleterre. Mais il est à craindre que ces écrits, recueillis par le Domaine comme papiers de succession, n’aient été vendus au poids.
Agréez, etc.
Ainsi, les manuscrits de Stanislas de l’Aulnaye ont été vendus au poids, comme ceux de MM. Montverand et Leroy de Petitval, comme ceux de tant d’autres savants et littérateurs, dont la succession est tombée dans le gouffre du Domaine. Dieu veuille que les fureteurs d’autographes aient pu les racheter entre les mains des épiciers! On sait que Villenave a fait ainsi de précieuses découvertes parmi les vieux papiers achetés au poids et sauvés du pilon.
Entre les manuscrits de Stanislas de l’Aulnaye les plus regrettables, il faut citer son Essai de bibliographie encomiastique, ou bibliographie des éloges qui ont pour objet les choses et les personnes. Ce grand travail, qui ne comprenait pas moins de 5,000 articles, aurait formé environ quatre volumes in-8. On en trouve quelques extraits curieux dans le Rabelaisiana, qui est imprimé à la suite du glossaire, dans les deux éditions de Rabelais publiées par de l’Aulnaye.
La première de ces éditions (Paris, Desoer, 1820, 3 vol. in-18) est plus recherchée des amateurs que la seconde, qui a l’avantage d’être beaucoup plus complète; mais cette première édition peut passer pour un chef-d’œuvre typographique, comparable aux plus jolies éditions elzeviriennes. Le texte des deux éditions du Rabelais de Stanislas de l’Aulnaye est défiguré par un système d’orthographe étymologique, poussé jusqu’à l’exagération. Nous nous reprochons d’avoir adopté ce texte dans notre édition, qu’il n’a pas empêché de devenir populaire, et qui s’est vendue à plus de 30,000 exemplaires (Paris, Charpentier, 1840 et années suivantes, in-12). Le troisième volume des deux éditions de Stanislas de l’Aulnaye est un piquant répertoire d’érudition rabelaisienne.
Lorsque Stanislas de l’Aulnaye faisait imprimer la seconde édition de son Rabelais (Paris, Louis Janet, 1823, 3 vol. in-8o, imprim. de Jules Didot), il était âgé de quatre-vingt-deux ans; il avait conservé toute sa verve et son originalité d’esprit. Il demeurait alors dans une mansarde de la rue Saint-Hyacinthe, près de la place Saint-Michel: cette mansarde n’avait pas d’autres meubles qu’un grabat et une chaise; le pauvre vieillard travaillait dans son lit, dont il ne sortait que pour aller chercher de l’eau-de-vie chez le liquoriste du coin, car il ne vivait que d’eau de-vie, et il était rarement ivre. Sa chambre était encombrée de livres et de paperasses, entassés sur le carreau et couverts de poussière. Ordinairement, sa mémoire prodigieuse lui servait de bibliothèque.
Les derniers temps qu’il passa dans ce bouge, comme la clef restait jour et nuit à la porte, un voleur était entré pendant son sommeil et lui avait pris son pantalon, le seul qu’il possédât. Chaque fois que quelqu’un ouvrait la porte, il criait d’une voix de Stentor: «Eh bien! me rapportez-vous mon pantalon?» Quand l’apprenti de l’imprimerie Didot arrivait avec un paquet d’épreuves, de l’Aulnaye lui disait, sans bouger de son lit: «Petit, tu trouveras une pièce de dix sous dans mes souliers; va voir si mon pantalon est au porte-manteau sur l’escalier. S’il n’y est pas, descends chez le liquoriste et achète-moi pour dix sous d’eau-de-vie, pendant que je corrigerai ton épreuve.» L’épreuve était corrigée, avant que l’enfant fût de retour.
Le libraire Louis Janet, ayant été instruit de l’état de détresse dans lequel se trouvait le vieux savant, lui envoya un pantalon neuf, qui fut déposé au pied du lit où de l’Aulnaye était couché. Celui-ci, à son réveil, aperçut le pantalon et s’empressa de s’en revêtir avec joie, sans soupçonner que ce fût un vêtement neuf. «Celui qui m’avait emprunté mon pantalon, dit-il en riant, ne me le reprendra plus, car je coucherai avec.» Ce qu’il fit à l’avenir.
Il écrivait sans cesse. Il avait achevé la rédaction de sa grande Histoire générale et particulière des religions et des cultes de tous les peuples du monde, tant anciens que modernes, dont le premier volume seulement avait paru en trois livraisons, Paris, 1791: cet ouvrage devait avoir 12 volumes in-4o. Il s’occupait aussi de l’examen critique du Rabelais, publié par Esmangard et Éloy Johanneau, chez Dalibon: «Il me faudra, disait-il gaiement, plus de neuf volumes in-8o, pour rassembler les âneries et les coq-à-l’âne qui distinguent cette édition variorum, que je propose d’appeler édition Aliborum.»
Stanislas de l’Aulnaye se livrait encore aux spéculations de la science hermétique: «Vous verrez, disait-il, que, le jour même où je mourrai de faim, j’aurai trouvé le secret de faire de l’or.»
DENON, DORAT ET BALZAC.
Quel est le véritable auteur d’un petit opuscule, intitulé: Point de lendemain, qui a été d’abord imprimé sous le nom de Dorat, que Vivant-Denon a fait depuis réimprimer avec quelques changements, sans y mettre son nom, et que Balzac enfin n’a pas dédaigné de s’approprier, en l’encadrant dans sa Physiologie du mariage?
Cet opuscule a paru, pour la première fois, en juin 1777, dans les Mélanges littéraires ou Journal des Dames, dédié à la Reine (Paris, veuve Thiboust, imprimeur du roi, in-8), que Dorat publiait, avec le concours de la comtesse de Beauharnais, sa maîtresse, et de quelques amis. Le conte Point de lendemain est accompagné de ces initiales, qui ne semblaient pas représenter le nom de Dorat: par D. G. O. D. R. Cependant ce conte fut reproduit textuellement dans le Coup d’œil sur la littérature, ou Collection de différents ouvrages tant en prose qu’en vers, par M. Dorat, pour faire suite à ses Œuvres. Amsterdam et Paris, Gueffier, 1780, 2 vol. in-8. Ce recueil, qui ne vit le jour que peu de semaines avant la mort de Dorat (29 avril 1780), était réimprimé, la même année, à Neuchâtel, de l’imprimerie de la Société typographique, contrefaçon que M. Quérard n’a pas citée dans la France littéraire.
On trouve, à la page 227 de l’édition originale et à la page 235 de la contrefaçon du Coup d’œil sur la littérature, en tête des contes: Point de lendemain, conte premier, avec cette note qui est bien de Dorat: «Il ne se trouve que dans mes Mélanges littéraires; et je l’ai transporté dans cette collection pour ceux qui désiroient se le procurer dans un ouvrage moins volumineux.» Ce conte occupe 35 pages; mais il ne se termine plus, comme dans les Mélanges littéraires, par les initiales: D. G. O. D. R. On le trouve aussi dans l’édition des Œuvres de Dorat, en 20 volumes in-8, publiée, chez Séb. Jorry et Delalain, de 1764 à 1780.
Ce conte, à son apparition dans les Mélanges littéraires, avait eu un très-grand succès de curiosité; on s’était préoccupé d’en découvrir les personnages, et l’on pensa naturellement que Dorat avait voulu se mettre en scène sous le nom de Damon, et que la comtesse de *** ne pouvait être que sa maîtresse, la comtesse Fanny de Beauharnais, déjà fameuse par ses galanteries. Dorat acceptait volontiers, pour son propre compte, toutes les bonnes fortunes qu’on lui attribuait, et, par conséquent, il n’eut garde de décliner la paternité du conte Point de lendemain: il avait fini, peut-être, par se persuader de bonne foi qu’il en était l’auteur.
Trente-deux ans plus tard, Vivant-Denon, alors directeur des Musées impériaux, faisait soigneusement réimprimer ce joli conte libertin, chez Pierre Didot l’aîné (1812, in-18 de 52 pages, papier vélin), et il le distribuait mystérieusement à la cour, en disant que l’édition n’avait été tirée qu’à 12 exemplaires. Mais nous pouvons affirmer que le nombre des exemplaires s’élevait à 50 au moins, qui sont devenus fort rares et qui ont été la plupart détruits. Le bruit courut alors qu’une princesse de la famille impériale avait fourni les principaux traits du tableau, et que Denon était un peintre indiscret. Il va sans dire que Denon, auteur ou éditeur, avait retouché le style de la publication primitive.
Seize ans plus tard, un exemplaire de ce conte fut communiqué à Balzac par le baron Dubois, chirurgien de l’empereur, lequel le tenait du baron Denon lui-même, et Balzac, enchanté de la conquête de cet opuscule qu’on lui donnait comme entièrement inconnu, ne se fit pas scrupule de l’admettre dans la première édition anonyme de sa Physiologie du mariage, en y faisant quelques retouches et sans dire la source de son heureux larcin. Mais, dans une édition postérieure de la Physiologie (Paris, Olivier, 1834, 2 vol. in-8, tome II, p. 170 et suiv.), il rendit à Denon ce qu’il croyait à Denon; et il annonça que Point de lendemain ne lui appartenait qu’en qualité d’éditeur. Puis, mieux renseigné à l’égard du conte et du conteur, il remplaça définitivement le nom de Denon par celui de Dorat, dans l’édition de la Comédie humaine. Cependant, entre Dorat et Denon, la bibliographie n’a pas encore prononcé le jugement de Salomon.
La question n’est pas difficile à résoudre.
On représenta, en 1769, au Théâtre-Français, Julie ou le Bon Père, comédie en trois actes et en prose, qui fut soutenue par la cour et qui réussit à Paris comme à Versailles. L’auteur ne s’était pas nommé; il fit toutefois imprimer sa pièce, en conservant l’anonyme, avec ces mots: par M. D* N**, gentilhomme ordinaire du roi (Paris, Delalain, 1769, in-12). On sut alors que c’était le baron de Non ou Denon, l’ami, l’élève, l’alter ego de Dorat, et son coadjuteur, disait-on, auprès de la comtesse de Beauharnais.
Quelques années plus tard, Denon signait de ses initiales: D. G. O. D. R. (Denon, gentilhomme ordinaire du roi) le conte Point de lendemain, que Dorat faisait paraître dans le Journal des Dames. Mais, comme Dorat avait probablement retouché ce conte et que tout le monde lui en faisait honneur, il se l’appropria, en l’insérant, sans signature, dans un de ses ouvrages. Ce ne fut que trente-deux ans après, que Denon eut l’idée de reprendre son bien et de revendiquer son droit d’auteur.
Ainsi donc, Denon a composé le conte, Dorat l’a refait et s’en est emparé. Balzac est resté détenteur de cette propriété indivise, et le conte en litige a eu plus de lecteurs dans la Physiologie du mariage, que Dorat et Denon ne lui en avaient jamais donnés.
DÉNONCIATION
FAITE
AU PUBLIC SUR LES DANGERS DU JEU.
Il ne s’agit pas ici d’un livre imprimé, mais d’un manuscrit, qui se trouvait dans la bibliothèque de Viollet-le-Duc, l’agréable auteur de la Bibliothèque poétique, et qui me fut confié pour l’examiner et en donner mon avis. Les bibliographes devraient, comme les augures romains, ne pas se regarder sans rire, car ils prononcent des oracles de la meilleure foi du monde, et ils reconnaissent eux-mêmes, presque aussitôt, qu’ils n’ont pas été prophètes. La faute en est à la bibliographie plutôt qu’aux bibliographes.
Je rapporterai d’abord le titre du manuscrit, avant de dire les conjectures auxquelles je me suis livré pour en découvrir l’auteur, qui est peut-être encore à trouver:
DÉNONCIATION FAITE AU PUBLIC SUR LES DANGERS DU JEU, ou les Crimes de tous les joueurs, croupiers, tailleurs de pharaon, banquiers, bailleurs de fonds, de biribi, de 31, de parfaite-égalité, et autres jeux non moins fripons, dévoilés sans aucune réserve; l’on y trouve les noms, surnoms, demeures, origine et mœurs de toutes les personnes des deux sexes, qui composent les maisons de jeux, appelées Maisons de Société. A Paris, de l’imprimerie du sieur Baxal, docteur dans tous les jeux; et se vend au Palais-Royal, avec permission tacite, aux nos 180, 123, 164, 13, 15, 44, 29, 33, 36, 40, 60, et rue de Richelieu, hôtel de Londres, 1791.—Manuscrit in-16, de 73 feuillets, v. m. tr. d.
Nous avons reproduit en entier le titre de ce curieux manuscrit, disais-je dans le Bulletin du bouquiniste (du 15 novembre 1857), pour donner une idée des singuliers détails que l’auteur anonyme a recueillis dans les maisons de jeu de Paris, surtout dans celles du Palais-Royal, au commencement de la Révolution. C’était alors la belle époque de la passion du jeu, et le Palais-Royal semblait être un temple, élevé par la dépravation des mœurs à tous les vices et même à tous les crimes. L’auteur anonyme, qui a composé ex-professo cet étrange et intéressant ouvrage, devait être un joueur émérite: «Je puis, dit-il, traiter cette partie avec d’autant plus de vérité et de précision, que je la connais très-particulièrement, malheureusement pour ma bourse et pour moi; que je suis imbu de toutes les menées tortueuses et rusées des scélérats qui sont à la tête de ces maisons de jeu, de ces repaires infâmes où le vice triomphe, où la vertu périt.» C’est au prix de sa fortune que le malheureux avait acquis la triste expérience qui lui a permis d’écrire le livre le plus scandaleux et le mieux renseigné que nous connaissions sur l’histoire des jeux de Paris.
«Nous n’avons pas eu de peine à découvrir le nom de l’historien, dans son initiale M, accompagnée de cinq étoiles. Mayeur de Saint-Paul s’est d’abord présenté à notre pensée; le nom de Mayeur correspond, en effet, à l’initiale et aux cinq étoiles, qui désignent l’auteur des Dangers du jeu; quant à l’ouvrage, il offre plus d’une analogie avec le genre et le style de l’Espion désœuvré; en outre, Mayeur avait transporté son atelier de médisance et d’injures, en 1791, du boulevard du Temple au Palais-Royal: c’est là qu’il publiait ses Petits B. du Palais-Royal, et d’autres pamphlets de même encre. Mais, après avoir lu et comparé avec soin, nous avons reconnu que le sentiment qui a dicté ces mémoires secrets des maisons de jeu était trop honnête pour qu’on pût l’attribuer à Mayeur de Saint-Paul, et nous nous sommes convaincu qu’il fallait en faire honneur à Mérard de Saint-Just, l’auteur de tant d’opuscules imprimés à un très-petit nombre d’exemplaires et recherchés par les amateurs, à cause de cette seule particularité.
«Mérard était un joueur et un libertin, qui ne se corrigea jamais de ces deux défauts; il avait épousé la fille aînée du président d’Ormoy, et il ne ménageait pas la dot de sa femme. Celle-ci, dont il avait fait une espèce de Sapho ou de Corinne, imagina, pour ramener son mari à la vertu, de composer et de publier un roman, intitulé: Mémoires de la baronne d’Alvigny, par madame M. D. S. J. N. A. J. F. D. (Londres et Paris, Maradan, 1788, in-12); réimprimé sous le titre suivant: les Dangers de la passion du jeu, ou Histoire de la baronne d’Alvigny (Paris, Maradan, 1793, in-18). Elle avait probablement pris la donnée et les éléments de ce roman licencieux dans les Dangers du jeu ou les Crimes de tous les joueurs, que Mérard de Saint-Just venait de lui offrir en témoignage de repentir. Madame Mérard, qui n’était pas d’ailleurs très-scrupuleuse dans sa conduite et qui eut toujours un goût prononcé pour les compositions érotiques (voy. son Recueil d’espiègleries, joyeusetés, bons mots, folies, etc., publié sous le nom de la marquise de Palmareze), ne fut sans doute pas trop effarouchée des anecdotes graveleuses que contient l’ouvrage inédit de son mari, mais elle s’opposa certainement à ce qu’il fût imprimé.
«Les deux époux n’étant plus là pour décider la question, nous espérons que ce manuscrit sera imprimé à 50 ou 100 exemplaires, par les soins d’un bibliophile, qui fera ainsi une bonne œuvre dans l’intérêt de l’histoire parisienne. Notre vœu à cet égard sera peut-être entendu et rempli par MM. de Goncourt, qui ont déjà consacré des recherches si patientes et si ingénieuses à ce que nous appellerons l’archéologie morale du dix-huitième siècle. Nous leur recommandons ce manuscrit, dont la seconde partie porte un titre spécial, ainsi conçu: les Joueurs et M. Dussaulx, Agrippinæ, chez M. Lescot, 1791. L’auteur de cette chronique scandaleuse a voulu prouver que Dussaulx, en faisant paraître sa célèbre déclamation philosophique sur le jeu (De la passion du jeu depuis les temps anciens jusqu’à nos jours, 1779), n’avait étudié son sujet que dans les livres et surtout dans ceux des philosophes.
«Pourquoi Mérard, qui a fait imprimer à ses frais, chez Didot, une foule de petits volumes en vers et en prose, plus ou moins mauvais ou inutiles, n’a-t-il pas, de gré ou de force, publié son énergique tableau des maisons de jeu, pour servir de pièces justificatives au petit roman immoral de sa femme?»
J’étais assez content de la consultation bibliographique que j’avais fournie au libraire sur ce manuscrit, que les amateurs se disputaient déjà; mais je ne tardai pas à concevoir des doutes, au sujet de la découverte de l’anonyme, en faisant cette réflexion que Mérard de Saint-Just n’avait rien publié sur le jeu ni sur les joueurs, dans ses nombreuses broutilles en vers et en prose; or j’avais remarqué que tous les auteurs qui ont écrit sur le jeu ne se sont pas bornés à un seul ouvrage, car il n’y a que les joueurs, corrigés ou non, qui se plaisent à traiter ce sujet et à invectiver le jeu, comme pour se venger de ses rigueurs et de ses injustices. Mes doutes ne firent que s’accroître et se confirmer, quand je lus dans le Bulletin du Bouquiniste (15 janvier 1858) la note suivante, rédigée de main de maître et signée Alex. Destouches:
«Dans son numéro du 15 novembre dernier (1857), le Bulletin du Bouquiniste a publié une notice intéressante de M. P. L. (Bibliophile Jacob) sur un manuscrit daté de 1791, ayant pour titre: Dénonciation faite au public sur les dangers du jeu, etc. Guidé par l’initiale M, accompagnée de cinq étoiles, qui peuvent servir de signature au manuscrit, l’ingénieux bibliophile, après avoir pensé d’abord que Mayeur de Saint-Paul pouvait en être l’auteur, s’est enfin décidé à l’attribuer à Mérard de Saint-Just. Ce qui pourrait corroborer cette supposition, c’est qu’au dire de M. P. L., ce manuscrit contient les éléments d’un roman, publié en 1793 par madame Mérard de Saint-Just et intitulé: les Dangers de la passion du jeu, ou Histoire de la baronne d’Alvigny. Qu’on nous permette de mettre en avant une hypothèse, dont nous abandonnons la vérification au propriétaire actuel du manuscrit.
«D’après M. P. L., la seconde partie de cette «chronique scandaleuse» porte un titre spécial, ainsi conçu: les Joueurs et M. Dussaulx, Agrippinæ, chez M. Lescot, 1791. Or nous avons, dans ce moment, sous les yeux, un in-8 de 60 pages, imprimé à la date de 1780, qui porte ce même titre, avec les indications qui suivent, sauf de légères différences d’orthographe (Dusaulx, Agripinæ, M. Lescot). Les proportions de ce bouquin s’accordent assez avec les 73 feuillets, qui composent le manuscrit in-16 de M. P. L. De là notre supposition, qui est celle-ci: ce manuscrit ne serait-il pas la préparation d’une édition nouvelle de l’imprimé, qu’on aurait voulu rafraîchir, dix ans après sa publication, par un titre neuf? Nous croirions volontiers qu’au lieu d’être le titre d’une seconde partie, ce fut le titre adopté dans le principe pour le tout, car, si d’une part les 60 pages d’impression in-8 paraissent pouvoir représenter la matière de 73 feuillets d’écriture in-16, d’autre part l’explication donnée par M. P. L. du contenu du manuscrit est applicable de tous points à celui de l’imprimé.
«Quant au nom de l’auteur de ce dernier, Barbier et Quérard l’attribuent à la collaboration de Jacquet, l’abbé Duvernet, Delaunay et Marcenay. L’initiale M, apposée, d’après M. P. L., au bas du manuscrit de 1791, désigne-t-elle le quatrième collaborateur, Marcenay de Ghuy, auteur de deux traités sur la gravure (1756 et 1764) et d’un Essai sur la beauté (1770)? Ce qui gênerait cette hypothèse, c’est le nombre des étoiles qui accompagnent l’M, à moins qu’on ne l’accepte comme indéterminé.
«Un moment, et sauf la même difficulté, nous avons pensé être sur la trace de Théveneau de Morande, le Gazetier cuirassé. A la page 59 de cette curieuse et emportée satire, l’auteur individuel ou collectif, après avoir supposé son ouvrage traduit d’un Anglais, nommé Warthon, exprime la crainte que les gens de la police de Paris n’en prennent de l’humeur et qu’on ne lui envoie l’ami Tinch ou Finch T..., qui fut autrefois «dépêché du pays d’Albion, pour venir complimenter le Gazetier cuirassé sur la beauté de son style.» Doit-on voir là une rancune personnelle? Nous connaissons enfin, en dernière analyse, une brochure de 66 pages, imprimée au commencement de ce siècle, par un nommé J.-C. Mortier, homme de loi, et intitulée: A bas tous les jeux! Est-ce là l’initiale du manuscrit? Une décision est à intervenir.»
Après avoir lu cette note, pleine de critique et de sens, je changeai brusquement mes conclusions, et je cessai d’attribuer à Mérard de Saint-Just la Dénonciation, dont je lui avais fait honneur. Je ne voulus pourtant pas admettre que le graveur Marcenay de Ghuy fût pour quelque chose dans cette pièce manuscrite. Je n’admis pas davantage que la brochure, intitulée: les Joueurs et M. Dusaulx, eût exigé, comme le prétend Barbier dans son Dictionnaire des Anonymes, la collaboration de quatre auteurs ou quatre joueurs, étonnés de se rencontrer ensemble: Jacquet, le graveur Marcenay de Ghuy, l’abbé Duvernet et Delaunay. C’est une analyse de cette brochure, que l’auteur de la Dénonciation a placée tout naturellement à la suite de son ouvrage.
Mais l’auteur de la Dénonciation? M. Alex. Destouches l’a nommé, n’en déplaise aux cinq étoiles du manuscrit: J.-C. Mortier, homme de loi, qui publia, vers 1803 ou 1804, à Paris, chez Pelletié, un terrible réquisitoire contre la roulette et le biribi, sous ce titre: A bas tous les jeux! in-8 de 66 pages. Il ne faut pas songer à Théveneau de Morande, qui avait bien autre chose à faire que de dénoncer les jeux en 1791, et qui périt, l’année suivante, dans le massacre des prisons, le 2 septembre 1792.
POLÉMIQUE
BIBLIOGRAPHIQUE.
JACQUES SAQUESPÉE ET JEAN CERTAIN.
Mon savant collègue, M. Henri Cocheris, bibliothécaire à la Bibliothèque Mazarine, s’était peut-être trop pressé d’annoncer, dans le Bulletin du Bouquiniste (31e no, 1er avril 1858), que M. Alphonse Chassant, paléographe justement estimé, venait enfin de découvrir le nom de l’auteur du célèbre roman du Châtelain de Coucy et de la Dame de Fayel, que G.-A. Crapelet avait publié pour la première fois, en 1829, dans sa belle Collection des anciens monuments de la langue française.
Le nom de cet auteur inconnu se trouvait caché dans ces 22 vers, qui commencent son roman et que l’éditeur a publiés comme il suit:
- Ot pour y tant qu’amours m’a pris
- Et en son service m’a mis,
- En l’onnour d’une dame gente,
- Ai-je mis mon cuer et m’entente
- A rimer ceste istoire cy.
- Et mon non rimerai ausy,
- Si c’on ne s’en percevera,
- Qui l’engien trouver ne sara:
- I’en sui certain, car n’afferroit
- A personne qui faire l’arroit,
- C’on le tenroit à vanterie,
- Espoir ou en melancolie.
- Mès se celle pour qui fait l’ay
- En set nouvelle, bien le say:
- Si li plaist bien guerredonné
- Sera mès qu’ el’ recoive en gré...
- A li m’ofri et me present,
- Qu’en face son commandement.
- En lui ai mis tout mon soulas,
- S’en chant souvent et haut et bas.
- Et liement me maintenray
- Pour lui tant comme viveray.
M. Chassant, dans ses recherches sur l’auteur du roman, avait cru trouver l’engien, que ce poëte aurait imaginé pour mieux déguiser son nom aux yeux des profanes. Il supposait donc que cet engien devait être un acrostiche-anagramme; puis, en déplaçant, à sa guise, 13 vers, qu’il choisissait arbitrairement dans ce groupe de 22 vers, ou en intervertissant leur ordre, sans se préoccuper du sens général, il parvenait à composer ces deux noms ou plutôt ces deux semblants de noms: Jacqes et Saqespe, qu’il traduisait en Jacques Saquespée. Était-il de Champagne? était-il de Picardie? C’était là une question secondaire, qu’il eût été plus facile de résoudre, si maître Jacques Saquespée avait pris rang dans notre littérature du moyen âge.
Je fus médiocrement satisfait, j’en conviens, de la découverte de M. Chassant, et j’eus peut-être le tort d’avoir raison. Les paris étaient ouverts, et tous les jeunes paléographes cherchaient à deviner l’énigme que le sphinx bibliographique avait mis sur le tapis. Je ne me pique pas d’être plus Œdipe qu’un autre, mais je ne résistai pas à l’envie de donner un avis, comme vous autres, messieurs. Le Bulletin du Bouquiniste (1er mai 1858) fit savoir, urbi et orbi, que, selon moi, Jacques Saquespée n’avait plus qu’à céder la place à Jean Certain.
«Mon cher monsieur Aubry,
«Une découverte bibliographique vaut à mes yeux la découverte de l’Amérique, ou peu s’en faut. Par bonheur, il y a toujours du nouveau à découvrir à travers l’océan des livres. C’est donc avec joie que j’ai vu, dans votre Bulletin du Bouquiniste, qu’on avait enfin découvert le nom de l’auteur d’un admirable poëme du XIIIe siècle: le Roman du Châtelain de Coucy et de la Dame de Fayel.
«La lettre de M. H. Cocheris, qui annonçait cette bonne nouvelle, m’avait fait battre le cœur d’espérance: les recherches de M. Alphonse Chassant, si ingénieuses qu’elles soient, m’ont laissé d’abord dans le doute; puis, après avoir relu soigneusement sa curieuse dissertation, je suis resté convaincu que l’énigme était encore à chercher, par conséquent à trouver. Je regrette que le savant et spirituel auteur de l’ouvrage intitulé: les Nobles et les Vilains du temps passé, n’ait fait que s’égarer dans un paradoxe spécieux et vraiment impraticable.
«Selon lui, le nom de Jacques Saquespée, qu’il a formé tant bien que mal, en choisissant un certain nombre de lettres parmi celles qui commencent les mots en tête des vingt-deux premiers vers du roman, ce nom, très-connu dans l’histoire nobiliaire de la Champagne et de la Picardie, serait celui de l’auteur anonyme.
«Nous n’avons rien à dire sur le nom de Saquespée: qu’il appartienne à une famille champenoise, comme le croit M. Chassant, ou bien plutôt à une famille picarde, comme le suppose M. Cocheris, la question n’en est pas encore là. Il y a eu des familles de ce nom dans plusieurs provinces de France, et les maisons nobles fournissaient volontiers des trouvères à la gaie science.
«Ce qu’il importe d’abord de constater, c’est que les deux noms de Jacques et de Saquespée ne se trouvent représentés, ni en acrostiche, ni en anagramme, dans les premiers vers du roman du Châtelain de Coucy; car la règle fondamentale de l’acrostiche consiste à reproduire, dans les initiales de plusieurs vers ou lignes de prose, toutes les lettres d’un nom, d’un mot ou d’une phrase, suivant l’ordre rigoureux de ces mêmes lettres; autrement, ce ne serait pas un acrostiche. Quant à l’anagramme, il faut, dans un nombre de lettres déterminé, retrouver, sans aucune addition ni suppression, les lettres composant un nom, un mot ou une phrase. Voilà pourquoi l’acrostiche-anagramme, proposé par M. Chassant, n’a pas de raison d’être.
«M. Chassant, pour créer cet acrostiche, a été obligé de grouper à sa fantaisie les vers qui pouvaient le composer, en séparant les uns de leur ordre naturel, en rapprochant les autres et en les forçant, pour ainsi dire, de se ranger à son système: «Ainsi, dit-il, en partant du 6e vers des 22 que nous avons reproduits plus haut, et suivant sans interruption jusqu’au 11e, on trouvera le prénom Jacques, en prenant les initiales des vers numérotés 9, 10, 11 (lettre double), 6, 7. Et, reprenant le 16e vers et ceux qui suivent jusqu’au 22e et dernier, on lira Saquespé, écrit dans l’ordre suivant: 16, 17, 18 (lettre double), 19, 20, 22, 21.» Nous le répétons, cette manière de procéder est inadmissible et contraire à toutes les règles de l’acrostiche et de l’anagramme, puisque l’anagramme et l’acrostiche ont aussi leurs règles, en quelque sorte, grammaticales.
«M. Chassant en conviendra lui-même, s’il veut se servir du même mode de transposition des mêmes vers, pour obtenir d’autres noms. Ainsi, en prenant les initiales des vers numérotés 13, 10, 11, 12, on aura Macé, pour prénom; ensuite, les vers numérotés 20, 17, 22, 21, 18 (lettre double), 19, donneront le nom de Sapèque. On peut varier à l’infini le placement des vers et en tirer une foule de combinaisons plus ou moins acrostiches. Que si l’on tenait absolument au nom de Saquespée, il serait plus simple et plus logique de le découvrir à peu près dans un acrostiche régulier, qui offre, à partir du 9e vers, ces deux mots: Jacemes Saqesep. Ajoutons encore, en passant, que le prénom de Jacques, auquel on a donné la préférence (l’acrostiche libre fournit aussi bien Mai ou Amé, etc.), s’écrivait Jacques, et ne s’est jamais écrit Jacqes au XIIIe siècle.
«Mais cela importe peu ou point; il s’agit de découvrir, une fois pour toutes, le nom, le vrai nom de l’auteur du roman du Châtelain de Coucy.
«Il faut avouer que le texte des vingt-deux vers, dans lesquels ce nom doit se trouver, a été altéré évidemment par le premier éditeur, quoique ce ne soit pas Crapelet qui ait fait pour son édition une copie collationnée sur le manuscrit de la Bibliothèque impériale. Nous sommes étonné que M. Alphonse Chassant, de qui la science paléographique est incontestable, n’ait pas eu l’idée de corriger ce texte, avant de procéder à la recherche de l’engien qu’il contient. Quant à la traduction de Crapelet, elle est pleine de non-sens, et l’on s’aperçoit que le prétendu traducteur ne comprenait pas même la langue du XIIIe siècle.
«Mais le nom de l’auteur? me direz-vous. Nous faisons bon marché du texte et de la traduction. Nous demandons seulement le nom de l’auteur du roman? C’est ici qu’Œdipe s’embarrasse.
«En effet, nous avons trouvé cinq ou six noms très convenables, en les cherchant, soit dans la rime, soit dans l’acrostiche final, soit dans l’assonance, soit dans l’équivoque. C’est à l’équivoque ou au rébus que nous nous arrêterons. Le roman du Châtelain de Coucy est en dialecte picard, comme le remarque fort bien M. Cocheris; le sujet, d’ailleurs, appartient à la Picardie: or, la Picardie ayant la spécialité des rébus, c’était là un engien qui lui fut toujours familier et que la Flandre lui emprunta depuis. Eh bien! le nom de l’auteur doit être renfermé dans un rébus picard ou flamand.
«Voici d’abord trois vers qui servent de préface à l’engien:
«Voici maintenant l’engien, au 10e vers:
«C’est-à-dire que l’auteur se nomme JEAN CERTAIN. Ce trouvère du XIIIe siècle était Picard, ou Artésien, ou Flamand. L’Histoire littéraire de la France (t. XXIII, p. 537) dit qu’il appartenait aux provinces du Nord. M. Arthur Dinaux ne l’a pas oublié dans son précieux recueil des Trouvères artésiens (p. 428). Laborde l’avait déjà cité, sous le nom de Chiertain, dans ses Mémoires historiques sur Raoul de Coucy, t. II, p. 180 et 319. On croit que ce Certain était abbé ou prieur de couvent, parce que, dans un jeu parti qui nous reste de lui (Bibl. imp., ancien fonds, no 7613), il se défend d’avoir des relations coupables avec ses religieuses; ce qui ne l’empêche pas de traiter cette grave et délicate question: Laquelle vaut-il mieux avoir pour maîtresse? Une nonnain ou une dévote laïque?
«Faut-il conclure de là que, Jean Certain ayant composé son roman en l’honneur d’une dame gente, cette dame était certainement une dévote, sinon une religieuse?
«Agréez, etc.
«P.-L. Jacob, bibliophile.»
M. Chassant ne se tint pas pour battu et releva le gant, d’un air de mauvaise humeur, dans le no 37 du Bulletin du Bouquiniste. Il insista, il persista, pour maintenir Jacques Saquespée, ou plutôt Jacqes Saqespe, en possession du droit d’auteur, que j’avais osé transférer à Jean Certain. Sa réplique n’était pas plus solide que sa première argumentation; et l’érudition réelle, qu’il avait mise en jeu au profit d’une thèse imaginaire, laissait subsister dans leur entier toutes mes objections contradictoires. J’aurais eu beaucoup à dire, si j’avais jugé à propos de continuer le débat, et il m’eût suffi de recourir au manuscrit du roman du Châtelain de Coucy, sur lequel le savant M. Paulin Paris a consigné, dans une note autographe, le résultat de ses propres recherches.
Je préférai m’abstenir et attendre le jugement dernier de la bibliographie. Ce jugement dernier est venu avec la dernière édition du Manuel du libraire de notre seigneur et maître Jacques-Charles Brunet. On lit, à l’article Crapelet, t. II, col. 407: «On a cherché le nom de l’auteur de l’Histoire du Châtelain de Coucy, dans les premiers vers de ce poëme. M. Chassant y a trouvé Jacques Saquespée, et le bibliophile Jacob, avec plus de vraisemblance, Jean Certain, poëte picard ou flamand du XIIIe siècle.»
N’est-ce pas là une bien précieuse récompense pour un bibliophile?
RONSARD ET COLLETET.
Le poëte élégant qui a publié, con amore, non-seulement les Œuvres inédites ou non recueillies de Pierre de Ronsard, mais encore une édition des Œuvres complètes de l’illustre chef de la Pléiade, ne pouvait manquer de s’intéresser à la recherche de la maison que Ronsard possédait à l’entrée du faubourg Saint-Marcel, et que les deux Colletet avaient occupée après lui. Où était située cette maison? M. Prosper Blanchemain la demandait en vain aux échos du vieux Paris.
Il avait pourtant, pour se guider dans sa recherche, un passage de la Vie de Ronsard, écrite par Guillaume Colletet, laquelle fait partie des Vies des Poëtes françois, dont la Bibliothèque du Louvre conserve le manuscrit autographe; ce passage est ainsi conçu:
«Dans la maturité de son aage, il (Ronsard) aimoit le séjour de l’entrée du faux-bourg Saint-Marcel, à cause de la pureté de l’air, et de cette agréable montagne que j’appelle son Parnasse et le mien. Et certes je marqueray toujours d’un éternel crayon ce jour bienheureux, que la faveur du ministre de nos roys me donna le moyen d’achepter une des maisons qu’il aimoit autrefois habiter, en ce mesme faux-bourg, et sans doute, après celle de Baïf, qu’il aima le plus. Et, aussy, fut-ce sur ce sujet, que je composay, il y a quelques années, un sonnet que je ne feindray point d’insérer icy, par marque du respect inviolable que je porte à la mémoire de ce divin homme, et de la joye que je ressens d’habiter les sacrés lieux, que ses muses habitèrent autrefois avec tant de gloire.
Les notes railleuses que Tallemant des Réaux avait ajoutées à ce sonnet, en le citant dans ses Historiettes, d’après le recueil des Épigrammes du sieur Colletet (Paris, L. Chamhoudry, 1653, in-12, p. 47), devaient suffire pour fixer exactement la situation de la maison de Ronsard. M. Prosper Blanchemain eut le tort de se laisser égarer par les termes amphibologiques d’un sonnet inédit, qu’il découvrit parmi les papiers de Guillaume Colletet, et qui avait été adressé à ce poëte par son ami Jean Leblanc, auteur de la Néoptémachie poétique et des Odes pindariques.
M. Prosper Blanchemain publia ce sonnet, qui avait été composé sans doute vers 1625, puisque Jean Leblanc était déjà très-vieux quand il fit réimprimer ses Odes pindariques, en 1611, et qui fixe approximativement l’époque où Colletet devint propriétaire de la maison de Ronsard, où il réunissait ses amis, poëtes et buveurs. «Voilà bien, disait M. Prosper Blanchemain, ce grand meurier de des Réaux, et, de plus, nous savons que l’habitation est située dans la rue des Morfondus. Jaillot et le plan de Gomboust nous apprennent que la rue des Morfondus, plus tard rue du Puits-de-Fer, n’est autre que la rue Neuve-Saint-Étienne-du-Mont, illustrée d’autre part pour avoir été habitée par Pascal et par Rollin, dont les demeures sont connues. Il ne me restait plus qu’un pas à faire pour arriver au but de mes recherches: déterminer l’emplacement exact de la maison; il m’a été impossible d’y parvenir.»
Le mûrier de Ronsard, ce grand mûrier dont Colletet vendait les mûres, au dire de Tallemant des Réaux, et que Jean Leblanc célébrait comme l’ornement de la cour du Balustre, cour gaie et magnifique, qui, suivant Tallemant, n’avait que quatre pieds en carré; ce mûrier était là, ce me semble, pour mieux diriger la recherche que M. Blanchemain a faite au milieu du faubourg Saint-Marcel, au lieu de rester à l’entrée de ce faubourg, comme le lui conseillaient les textes qu’il a cités.
Je réfutai donc en ces termes l’article que M. Prosper Blanchemain avait consacré à sa découverte, dans le no 102 du Bulletin du Bouquiniste (15 mars 1861):
«M. Prosper Blanchemain, à qui nous devons une très-bonne édition des œuvres complètes de Ronsard, et qui avait préludé à ce grand travail d’éditeur passionné, par la publication des pièces que n’ont pas recueillies les anciens éditeurs de son poëte favori, s’est occupé naturellement de retrouver la maison que Ronsard possédait à Paris. Cette maison était déjà célèbre dans l’histoire littéraire, par les assemblées de la Pléiade, que Ronsard convoquait chez lui et qu’il présidait lui-même, concurremment avec son ami Baïf. Mais on ne savait pas exactement dans quel quartier ni dans quelle rue il fallait la chercher; or cette maison peut exister encore, si le mauvais génie des démolitions ne l’a pas fait disparaître incognito.
«M. Prosper Blanchemain a constaté, d’après un passage des Vies des Poëtes, de Guillaume Colletet, ouvrage inédit dont le manuscrit est à la Bibliothèque du Louvre, que la maison de Ronsard devait être située à l’entrée du faubourg Saint-Marcel, et que Guillaume Colletet l’avait habitée après lui. Les poëtes se succèdent et ne se ressemblent pas. Suivant la vie de Guillaume Colletet, écrite par un de ses amis, P. Cadot, avocat au parlement, et non encore publiée, la maison, qui avait été le berceau de la Pléiade au seizième siècle, aurait vu se former au dix-septième les premières réunions de l’Académie française. Ce sont là des faits intéressants, que M. Prosper Blanchemain nous a révélés dans une note insérée au Bulletin du Bouquiniste.
«Mais il n’a pas été aussi heureux dans la recherche qu’il a faite de l’endroit même où cette maison fameuse était placée. Un sonnet inédit de J. Leblanc, adressé à Guillaume Colletet, sur sa maison du faubourg Saint-Marcel, nous apprend que ladite maison s’élevait
Dans une région dite la Morfondue.
«M. Blanchemain a cru que cette région n’était autre que la rue des Morfondus, plus tard rue du Puits-de-Fer, et maintenant rue Neuve-Saint-Étienne-du-Mont. C’est là qu’il est allé demander la maison de Ronsard ou celle de Guillaume Colletet. Nous ne sommes pas surpris qu’il ne l’ait pas trouvée, car la rue Neuve-Saint-Étienne-du-Mont, qu’on appelait, du temps de Ronsard, la rue du Puits-de-Fer, à cause d’un puits public, et qui s’était appelée auparavant chemin du Moulin à vent, ne fût bâtie, comme son nom l’indique, qu’à la fin du seizième siècle, c’est-à-dire après que la construction de l’église de Saint-Étienne-du-Mont, commencée sous le règne de François Ier, eut été achevée. On la nomma aussi rue des Morfondus, parce qu’on n’y voyait qu’une seule maison, que le peuple avait plaisamment baptisée: la maison des morfondus ou des réchauffés.
«Guillaume Colletet, qui mourut le 19 janvier 1659, fut enterré dans l’église de Saint-Sauveur, au faubourg Saint-Denis, où il n’avait pas d’épitaphe, dit expressément Piganiol de La Force. La tradition rapporte qu’il était si pauvre, que ses amis furent obligés de se cotiser pour payer les frais de l’enterrement. La tradition pourrait bien être fausse ici comme ailleurs, car Guillaume Colletet était alors propriétaire de la maison du faubourg Saint-Marcel, qui passa en la possession de son fils François Colletet, que Boileau nous représente crotté jusqu’à l’échine et allant quêter son pain de cuisine en cuisine. François Colletet fut, comme son père, propriétaire et bourgeois de Paris. Il possédait une magnifique bibliothèque qui ne lui avait pas coûté ce qu’elle valait, il est vrai, et qui se vendrait aujourd’hui 2 ou 300,000 francs, car elle était toute composée de vieux romans, de facéties, de vieux poëtes français, de mystères, de farces et d’anciennes pièces de théâtre. Il est certain que François Colletet ne fut pas plus pauvre que son père ne l’avait été, et nous avons même de bonnes raisons pour supposer qu’il avait fait des économies, aux dépens de sa nourriture et de son habillement.
«Quant à la maison, qu’il habitait comme son père et qui lui appartenait à titre de domaine patrimonial, elle n’était pas dans la rue des Morfondus ou du Puits-de-Fer, comme l’a supposé M. Prosper Blanchemain, mais dans la petite rue du Mûrier, qui s’était nommée d’abord rue Pavée, et qui changea de nom en l’honneur du mûrier, sous l’ombrage duquel la Pléiade tenait ses séances poétiques. Cette rue s’ouvre, en effet, à l’entrée du faubourg Saint-Marcel, au pied de la montagne de Sainte-Geneviève, exposée aux vents du nord, dans une région dite la Morfondue.
«En 1676, François Colletet, à qui ses publications littéraires n’avaient pas trop bien réussi, voulut se faire industriel et recréer le Bureau d’adresses, que Théophraste Renaudot exploitait auparavant avec tant de succès et de profit. Il eut l’idée de faire un journal d’affiches et d’annonces, le premier qu’on ait vu paraître en France. Ce journal, qui devait être distribué et affiché dans Paris tous les huit jours, se composait d’une feuille in-4; il parut, pour la première fois, au mois d’août 1676; mais il fut supprimé, peu de semaines après, sur un ordre du lieutenant de police, au moment où l’entreprise de François Colletet devenait si prospère, qu’elle avait nécessité la fondation de plusieurs bureaux auxiliaires. Le principal bureau était dans le domicile de François Colletet. Voici le titre que ce pauvre industriel ajouta au recueil factice des numéros publiés par son Bureau d’adresses: Journal des avis et des affaires de Paris, contenant ce qui s’y passe tous les jours de plus considérable pour le bien public. (Paris, du Bureau des journaux, des avis et affaires publiques, rue du Meurier, proche Saint-Nicolas-du-Chardonnet, 1676, in-4 de 152 pages.) A la fin de chaque numéro, on annonce que «les cahiers du journal se distribuent tous les jeudis chez le sieur Colletet, rue du Meurier, proche Saint-Nicolas-du-Chardonnet.»
«Il n’y a donc pas de doute ni d’amphibologie possible: la maison de Colletet, c’est-à-dire celle de Ronsard, était dans la rue du Mûrier, et quoiqu’elle fût proche de l’église de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, elle dépendait de la paroisse de Saint-Médard, comme François Colletet l’a déclaré lui-même dans son poëme burlesque du Tracas de Paris:
«Lorsque j’ai publié le Tracas de Paris, à la suite du Paris ridicule de Claude Le Petit (Paris, Adolphe Delahays, 1859, in-12), j’ignorais encore la demeure de François Colletet, et j’avoue humblement que je n’avais pas pris la peine de la chercher. Maintenant qu’elle est trouvée, du moins à peu près, il faut demander à notre archéologue parisien, M. Berty, qui a fait des travaux si complets sur la topographie de l’ancien Paris, ce qu’il a pu découvrir, aux Archives de l’Empire, relativement à la maison de Ronsard et des Colletet.»
M. Prosper Blanchemain ne renonça pas, toutefois, à placer la maison de Ronsard dans la rue Neuve-Saint-Étienne-du-Mont, laquelle n’avait encore, je le répète, qu’une maison construite, dans les premières années du dix-septième siècle, quand on la nommait rue des Morfondus. Il aurait pu, cependant, s’en rapporter au témoignage de François Colletet lui-même, à qui appartint la maison qu’il avait héritée de son père et qu’il habitait toujours en 1676, rue du Mûrier, proche Saint-Nicolas-du-Chardonnet.
1o La maison de Ronsard était surtout connue par ce mûrier, qui donna son nom à la rue Pavée et qui subsistait encore à la fin du dix-septième siècle.
2o Cette maison était située à l’entrée du faubourg Saint-Marcel, c’est-à-dire non loin de l’enceinte de Philippe-Auguste, à côté de la place Maubert, là où commençait le faubourg enfermé depuis, en partie, dans l’enceinte de Charles V.
3o Le quartier de la place Maubert, comprenant le faubourg Saint-Marcel, représente exactement cette région dite la Morfondue, que M. Blanchemain a prise pour une rue. Le mot région ne peut s’entendre que d’un quartier.
4o La maison du pauvre Guillaume Colletet, malgré les superbes lions qui en gardaient le portique, malgré sa magnifique cour du Balustre, malgré son parterre et ses doubles allées, n’était pas un palais, tant s’en faut: les allées étaient de quatre pieds chacune, comme nous l’apprend Tallemant des Réaux; la cour avait quatre pieds en carré!
C’était assez pour Guillaume Colletet, qui, le chef couvert d’une calotte de drap, buvait frais, à l’ombre du mûrier de Ronsard, avec ses amis Garnier, Leblanc et le père Thomas.