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Énigmes et découvertes bibliographiques

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PRIX
DES
LIVRES DE THÉOLOGIE
EN 1797.


Lors de la suppression des ordres monastiques et des maisons religieuses, il y eut une baisse immédiate dans le prix des livres de théologie, non-seulement parce que les bibliothèques de couvents contenaient une énorme quantité de ces sortes de livres, qui allaient inévitablement rentrer dans la circulation commerciale, mais parce que les fonds des éditions publiées par les Bénédictins de Saint-Maur et par d’autres congrégations se trouvaient accumulés dans des dépôts qui devenaient propriété nationale. Pendant cinq ou six ans, en effet, ces beaux livres, si précieux pour l’histoire, furent frappés d’un tel discrédit, qu’on les vendait au poids du papier, et qu’on détruisait ainsi des éditions presque entières. Quelques libraires pressentirent alors que les grandes collections des Pères, des Conciles, des historiens de l’Église, reprendraient bientôt leur valeur; ils achetèrent, comme papier à la rame et comme vieux papier, tout ce qu’ils purent trouver dans ce genre, et ils ne tardèrent pas, en effet, à réaliser d’énormes bénéfices, en vendant à l’étranger d’abord, et, peu de temps après, en France, ces ouvrages excellents, dont le Gouvernement avait, pour ainsi dire, provoqué la destruction.

Une vente à l’encan, qui eut lieu à Paris, rue et porte Saint-Jacques, les 15 et 16 floréal an VI (1797), révéla tout à coup une hausse inattendue sur les livres de théologie que le libraire chargé de la vente avait osé admettre dans une notice sommaire. Ravier, qui publiait alors son Journal de la librairie et des arts, y inséra un extrait de cette notice, qu’il fit précéder des observations suivantes, que nous croyons devoir reproduire à cause de leur justesse, malgré leur mauvais style; c’est un document curieux pour constater les variations du prix des livres:

«Nous insérons la notice suivante, quoique peu conséquente, parce qu’elle contient un genre de livres qu’on ne rencontre pas très-fréquemment dans les ventes, la plus grande partie des bibliothèques qui les contenoient ayant été fondues dans les dépôts nationaux; on sera surpris de voir que des livres, qu’on ne croyoit pas susceptibles aujourd’hui d’un grand produit, aient été portés à leur ancienne valeur, et plus surpris que le Gouvernement n’ait pas été conseillé, lorsqu’il en étoit encore temps, de faire passer, en Espagne, en Portugal et en Italie, ces masses énormes, qu’il auroit pu échanger très-avantageusement. Il n’est plus temps aujourd’hui de s’occuper de cette idée; les circonstances ont fixé, dans tous les gouvernements, et dans les corporations religieuses surtout, cet esprit d’inquiétude qui s’accorde moins avec les acquisitions de ce genre qu’avec tout autre. Il ne reste d’autre moyen d’en tirer parti que de les verser dans le commerce, ce dont on nous menace tous les jours; mais, si ce projet s’effectue, les volumes de 15 à 18 francs, la plupart de ces chefs-d’œuvre d’impression se vendront au poids, et, pour retirer une goutte d’eau, le Gouvernement aura porté le dernier coup au commerce. Ainsi, pour n’avoir pas saisi le moment opportun de s’en défaire, il se trouve aujourd’hui dans l’impérieuse nécessité de les conserver.»

  • J. Menochii Commentarii totius Scripturæ, studio R. J. de Tournemine. Parisiis, 1719; 2 vol. in-fol., 19 fr. (Valeur actuelle, selon le Manuel du Libraire, de Brunet, 24 à 30 fr.; estimé 30 à 45 fr.)
  • Œuvres de Bossuet. Paris, 1743, 20 vol. in-4, v. m., 106 fr. (Selon Brunet, 100 fr. environ, après avoir valu 250 à 300 fr. sous la Restauration; estimé 150 à 180 fr.)
  • J. Goar, Rituale Græcorum, gr. et lat. Parisiis, 1647, in-fol., 18 fr. (Selon Brunet, 30 fr.)
  • Pontificale romanum, in-fol., fig.; net 10 fr. (Selon Brunet, 20 à 24 fr.)
  • J. Cottelerii Patres apostolici, gr. et lat., ex edit. J. Clerici. Amsterd., 1724; 2 vol. in-fol., 35 fr. (Selon Brunet, 120 à 150 fr.)
  • L. Dacherii Spicilegium veterum aliquot scriptorum. Parisiis, 1723; 8 vol. in-fol., 30 fr. (Selon Brunet, 100 fr.; estimé 150 à 180 fr.)
  • Ecclesiæ Græciæ monumenta, gr. et lat., ex edit. J. Cottelerii, Parisiis, 1677; 3 vol. in-4, 15 fr. (Selon Brunet, 30 à 36 fr.; estimé 60 à 90 fr.)
  • S. Justini opera, gr. et lat., ex edit. Benedictinorum. Parisiis, 1742; in-fol., 20 fr. (Selon Brunet, 40 à 48 fr.; estimé 50 à 80 fr.)
  • S. Cypriani opera, ex edit. Steph. Baluzii. Parisiis, 1726; in-fol., 19 fr. (Selon Brunet, 36 à 40 fr.; estimé 50 à 70 fr.)
  • S. Irenei opera, gr. et lat., ex edit. B. Massuet. Parisiis, 1710; in-fol., 18 fr. (Selon Brunet, 40 à 48 fr.; estimé 40 à 60 fr.)
  • S. Hilarii opera, gr. et lat., ex edit. Petri Constant. Parisiis, 1693; in-fol., 13 fr. (Selon Brunet, 30 à 36 fr.; estimé 40 à 60 fr.)
  • S. Cyrilli Hierosolymitani opera, gr. et lat., ex recensione A. Touttée. Parisiis, 1720; in-fol., 18 fr. (Selon Brunet, 36 à 48 fr.; estimé 50 à 70 fr.)
  • S. Basilii magni opera, gr. et lat., ex edit. J. Garnier. Parisiis, 1721; 3 vol. in-fol. (Selon Brunet, 120 à 150 fr.; estimé 150 à 180 fr.)
  • S. Ambrosii opera, ex edit. Le Nourry. Parisiis, 1686; 2 vol. in-fol., 65 fr. (Selon Brunet, 70 à 72 fr.; estimé 70 à 100 fr.)
  • S. Joannis Chrysostomi opera, gr. et lat., ex edit. Bern. de Montfaucon. Parisiis, 1718; 13 vol. in-fol., 200 fr. (Selon Brunet, 500 à 600 fr.; estimé 800 fr.)
  • S. Hieronymi opera, ex edit. Ant. Pouget. Parisiis, 1693; 5 vol. in-fol., 94 fr. (Selon Brunet, 120 à 150 fr.; estimé 200 à 250 fr.)
  • S. Augustini opera, ex edit. Benedictinorum. Parisiis, 1679; 8 vol. in-fol., 73 fr. (Selon Brunet, 200 à 250 fr.; estimé 250 à 350 fr.)
  • S. Leonis magni opera, ex edit. Pascasii Quesnel. Lugduni, 1700; in-fol. Réuni à l’article suivant, faute d’acquéreur.
  • S. Prosperi opera, ex edit. L. Mangeart. Parisiis, 1711; in-fol., 18 fr. (Selon Brunet, 24 à 36 fr.; estimé 40 à 50 fr. Quant à l’édition des Œuvres de saint Léon, en un seul volume, elle est peu estimée en comparaison des éditions de Rome et de Venise, en 3 vol in-fol. chacune; néanmoins, elle vaut bien 15 à 25 fr.)
  • S. Gregorii magni opera, ex edit. Benedictinorum. Parisiis, 1705; 4 vol. in-fol., 71 fr. (Selon Brunet, 80 à 120 fr.; estimé 150 à 200 fr.)
  • Guarini Grammatica hebraica et lexicon, 4 vol. in-4, v. m., 54 fr. (Selon Brunet, 40 à 48 fr.; estimé 50 à 80 fr.)

On voit, par le rapprochement de ces différents prix à cinquante et soixante ans d’intervalle, que les bons livres tombés au rabais par suite de circonstances qu’on peut appeler de force majeure, ne manquent jamais de se relever et de remonter à leur ancien prix, sinon à un prix supérieur. Ainsi la vente du C***, au mois de floréal an VI, fut comme le signal de la hausse qui n’a pas cessé depuis de favoriser le commerce des grands ouvrages de théologie, et qui ne paraît pas même s’être arrêtée par suite de la réimpression à bon marché de ces ouvrages, indispensables à toute bibliothèque d’érudition.


PLAN D’UNE ÉDITION
DES
OPUSCULES D’ANTOINE-ALEXANDRE BARBIER.


Les bibliographes sont généralement un peu paresseux, dès qu’il s’agit de publier; ils travaillent beaucoup, ils travaillent sans cesse; ils entreprennent et ils mènent à bonne fin des ouvrages immenses, dont l’idée seule épouvanterait le littérateur le plus prodigue de son encre, mais qu’on ne leur parle pas de faire imprimer: ils n’ont jamais fini la tâche qu’ils se sont imposée, ils ne la jugent jamais assez parfaite, ils veulent toujours y ajouter, et ils y ajoutent toujours. Voilà comment tant de beaux travaux bibliographiques restent inédits, quoique achevés. Adry, Mercier de Saint-Léger, Beaucousin et tant d’autres, ont laissé une prodigieuse quantité de notes manuscrites qui feraient d’excellents livres.

Cet exorde n’a pas d’autre objet que de chercher querelle (et Dieu fasse qu’il me le pardonne!) à mon cher et savant collègue, M. Louis Barbier, directeur de la Bibliothèque du Louvre. Je l’accuse hautement de négligence, sinon de paresse, à l’égard de l’admirable monument bibliographique élevé par son illustre père, et continué par lui avec tant de zèle et de persévérance; oui, je lui reproche, dans un sentiment d’affectueuse et sincère sympathie qu’il appréciera, de ne pas faire paraître une nouvelle édition augmentée et complète du Dictionnaire des anonymes et pseudonymes. Ce dictionnaire, dont la seconde édition (Paris, Barrois, 1822-27, 4 vol. in-8) est épuisée depuis plus de trente ans, n’est pas seulement un livre utile et vraiment digne d’estime, c’est un livre nécessaire, indispensable pour quiconque s’occupe de bibliographie; tout le monde désire, tout le monde attend une réimpression que M. Louis Barbier nous a promise, et qu’il nous doit, à nous tous qui sommes les humbles et fidèles disciples de l’auteur du célèbre Dictionnaire des anonymes.

Ce dictionnaire est presque un chef-d’œuvre de critique et d’érudition; on peut le perfectionner en certaines parties, on peut l’augmenter et l’étendre, on peut surtout le continuer jusqu’à présent, mais il ne faut pas songer à le refondre ou à le refaire sur un nouveau plan. Ce serait en détruire l’économie et lui ôter sa valeur intrinsèque. Il s’agit là d’un ouvrage essentiellement remarquable, connu partout, cité sans cesse et adopté d’une manière définitive. Si cet ouvrage était de ceux qui changent de forme et qui se remplacent par d’autres plus complets et mieux exécutés, les exemplaires qu’on voit passer de temps en temps dans les ventes publiques trouveraient-ils acquéreur au prix de 70 à 80 francs? Au reste, nous savons, de bonne source, que M. Louis Barbier n’a pas cessé depuis trente-cinq ans de préparer l’édition que nous lui demandons avec instances aujourd’hui, au nom des bibliographes et des bibliophiles, pour l’honneur de la mémoire de son digne père.

Mais ce n’est point assez, et s’il fait droit à notre demande, comme nous l’espérons, nous sommes déterminés à lui demander davantage. Il ne prendra pas, Dieu merci, nos demandes en mauvaise part. Nous lui demandons, dès à présent, de réunir les opuscules bibliographiques d’Antoine-Alexandre Barbier, et de les publier aussi, pour la plus grande joie des bons bibliophiles. Il y a maintenant un public, et même un public nombreux et passionné, pour ces sortes de publications. Les brochures que Peignot faisait imprimer à petit nombre pour les distribuer à ses amis, qui ne les lisaient pas toujours, sont recherchées maintenant par les amateurs, qui se les disputent dans les ventes, à des prix de plus en plus excessifs. Quand Techener recueillera les œuvres bibliographiques de Charles Nodier, il trouvera plus de souscripteurs que le charmant conteur et spirituel écrivain n’en eut pour ses romans et ses nouvelles fantastiques. Le moment est bon, ce me semble, pour rassembler en corps d’ouvrage les travaux épars, oubliés ou inconnus, d’un bibliographe.

Antoine-Alexandre Barbier a été un des meilleurs collaborateurs de Millin, et il a répandu quantité de mémoires, de notices et de lettres dans la volumineuse collection du Magasin et des Annales encyclopédiques, collection précieuse que les grandes bibliothèques publiques ne possèdent pas. Auparavant, il coopérait à la rédaction du Mercure de France; plus tard, il a prêté son concours à d’autres recueils périodiques, ainsi qu’à diverses publications collectives. Tout ce qu’il a écrit pour les journaux et pour les encyclopédies est marqué au coin d’un rare esprit de critique. Aucun de ses contemporains ne fut initié mieux que lui aux détails intimes de l’histoire littéraire, non-seulement pour la France, mais encore pour les pays étrangers. Personne ne traitait comme lui un point de bibliographie raisonnée; personne ne composait plus solidement un article de biographie; personne, en un mot, ne faisait un meilleur usage des livres, et personne ne savait mieux les juger.

N’est-il pas étrange et monstrueux que des travaux si utiles et si estimables soient comme non avenus, et se trouvent enfouis çà et là dans des collections qu’on ne lit plus? Eh bien! je propose d’en extraire avec soin tout ce qui doit former les œuvres bibliographiques et critiques de l’auteur du Dictionnaire des Anonymes. Quelques-unes de ces notices ont été tirées à part, et même le marquis de Chateaugiron avait fait imprimer à dix exemplaires un titre destiné à les réunir en volume. Ces dix exemplaires, que sont-ils devenus? Nous n’en avons pas vu passer un seul dans le flot incessant des ventes de livres. Mais un volume ne suffit pas pour nous contenter, il en faut trois, il en faut quatre et davantage, si notre cher collègue, M. Louis Barbier, nous donne satisfaction en publiant les travaux inédits de son père, notamment les rapports que le bibliothécaire de l’empereur Napoléon Ier rédigeait, par ordre, sur des ouvrages anciens et nouveaux.

Voici comment j’entendrais la division des œuvres d’Antoine-Alexandre Barbier.

I. Lettres bibliographiques. Je comprendrais sous ce titre les lettres de différents genres que l’auteur a fait insérer dans les journaux, de 1795 à 1825. Je vais citer, sans ordre méthodique, celles de ces lettres qui sont venues à ma connaissance.

  • Lettres relatives à divers points d’histoire littéraire. (Clef du cabinet des souverains, nos 1717, 1331, 1334 et 1785.)
  • Lettre aux rédacteurs des Soirées littéraires. (T. III, p. 142 de ce Recueil.)
  • Lettre sur l’Histoire de Marie Stuart, par Mercier, de Compiègne. (Mercure de France, t. XX, p. 236.)
  • Lettre sur le Gouvernement civil de Locke, et particulièrement sur les traductions françaises de cet ouvrage. (Ibid., t. XXII, p. 29.)
  • Lettre sur les Aventures de Friso, par Guillaume de Haren, traduites par Jansen, et sur la littérature hollandaise. (Ibid., t. XXIII, p. 3.)
  • Lettre sur le jugement que l’auteur des Soirées littéraires a porté du philosophe Favorin et de J.-J. Rousseau. (Ibid., t. XXVI, p. 357.)
  • Lettre sur l’Aristénète grec et l’Aristénète français. (Ibid., t. XXIX, p. 25.)
  • Lettre contenant la dénonciation de plusieurs plagiats. (Ibid., t. XXIX, p. 94.)
  • Lettre à Chardon de la Rochette sur la bibliographie. (Magasin encyclopédique, 1799, t. III, p. 97.)
  • Lettre à Millin sur quelques articles du Magasin encyclopédique. (Ibid., 1799, t. V, p. 79.)
  • Lettre au même sur un article relatif à dom Lieble. (Ibid., 1814, t. II, p. 369.)
  • Lettre sur la traduction de Plaute, par Levée. (Ibid., t. VI, 1815, p. 275.)
  • Lettre au sujet de la Notice nécrologique de Ripault. (Revue encyclopédique, t. XXII, p. 766.)
  • Nombreuses lettres publiées depuis la mort d’Antoine-Alexandre Barbier, dans le Bulletin du Bibliophile et dans d’autres recueils littéraires par les soins de son fils.

II. Études bibliographiques. Ce sont des dissertations et des notices, dans lesquelles l’auteur a prouvé qu’il ne s’arrêtait pas aux titres des livres, et qu’il envisageait toujours la bibliographie au point de vue littéraire.

  • Catalogue des livres qui doivent composer la bibliothèque d’un lycée; rédigé à la demande de Fourcroy. (Paris, impr. de la République, an XII-1803, in-12 de 43 p.)
  • Préface et table des divisions du Catalogue des livres de la bibliothèque du Conseil d’État. (Paris, an XI-1803, in-8 de 54 pages.)
  • Réponse à un article du Mercure de France relatif au Dictionnaire des Anonymes. (Paris, 1807, in-8; réimprimé à la fin du t. IV de la 1re édit. de ce Dictionnaire.)
  • Notice sur les éditions des Vies de Plutarque et du roman d’Héliodore; traduits par Amyot. (A la suite du t. IV de la 1re édit. du Dictionnaire des Anonymes.)
  • Articles insérés dans l’Encyclopédie moderne de Courtin: Anonymes, Autographes, Bibliographie, Catalogue.
  • Analyse du Mémoire de Mulot sur l’état actuel des bibliothèques. (Mercure de France, t. XXVII, p. 33.)
  • Anecdote bibliographique sur les Illustrium et eruditorum virorum Epistolæ. (Magasin encyclopédique, 1802, t. I, p. 235.)
  • —Sur le véritable auteur de la Connoissance de la mythologie. (Ibid., 1801, t. I, p. 37.)
  • —Sur l’Histoire critique du Vieux Testament. (Ibid., 1803, t. I, p. 295.)
  • Notice du Catalogue raisonné des livres de la bibliothèque de l’abbé Goujet. (Ibid., 1803, t. V, p. 182, et t. VI, p. 139.)
  • Notice des principaux ouvrages relatifs à la personne et aux ouvrages de J.-J. Rousseau. (Annales encyclopédiques, 1818, t. IV, p. 1.)
  • Notice sur les dictionnaires historiques les plus répandus. (Revue encyclopédique, t. I, p. 142.)
  • Notice sur la table des matières du Magasin encyclopédique. (Ibid., t. I, p. 574.)
  • Notice sur les Recherches de Petit-Radel, relatives aux bibliothèques et à la bibliothèque Mazarine. (Ibid., t. I, p. 575, et t. II, p. 360.)
  • Notice sur le Manuel du Libraire, de M. Brunet. (Ibid., t. VIII, p. 154.)
  • Notice bibliographique sur les Lettres portugaises. (Ibid., t. XXII, p. 707.)
  • État des différentes Bibliothèques publiques de Paris en 1805. (Imprimé dans l’Annuaire administratif et statistique du département de la Seine, par P.-J.-H. Allard.)
  • Réflexions sur l’anecdote relative à la première édition de l’Imitation de Jésus-Christ, traduite par l’abbé de Choisy. (Publiciste, 16 prairial an XII.)
  • —Sur une édition rare de l’Exposition de la Doctrine de l’Église catholique, par Bossuet. (Journal des Débats, 15 fructidor an XII.)
  • Notice des principales éditions des Fables et des Œuvres de la Fontaine. (Imprimé dans l’ouvrage de Robert, intitulé: Fables inédites des XIIe, XIIIe et XIVe siècles, 1825.)

On grouperait dans ce volume d’études bibliographiques toutes les notices qui se rapportent plus particulièrement à la bibliographie et à la recherche des anonymes.

III. Notices biographiques. La plupart de ces notices tiennent tellement à la bibliographie, qu’on pourrait les faire entrer dans le volume précédent. Nous signalerons seulement les plus remarquables.

  • Notice sur la vie et les ouvrages de David Durand. (Magasin encyclopédique, t. IV, p. 487; réimpr. avec des additions à la fin du t. IV de la 1re édit. du Dictionnaire des Anonymes.)
  • Particularités sur Mouchet. (Ibid., 1807, t. IV, p. 62.)
  • Notice sur la vie et les ouvrages de Louis-Théodore Hérissant. (Ibid., 1812, t. VI, p. 85.)
  • Notice sur la vie et les ouvrages de Thomas Guyot. (Ibid., 1813, t. IV, p. 275.)
  • Notice sur la vie et les ouvrages de l’abbé Denina. (Ibid., 1814, t. I, p. 113.)
  • Notice sur Jean Heuzet. (Mag. encycl., 1814, t. II, p. 176.)
  • Notice sur la vie et les ouvrages de Casimir Freschot. (Ibid., 1815, t. VI, p. 304.)
  • Notice sur la vie et les ouvrages d’Auguste-Nicolas de Saint-Genis. (Annales encyclopédiques, 1817, t. III.)
  • Notice nécrologique sur l’abbé Grosier. (Revue encyclopédique, t. XXI, p. 740.)
  • Notice sur Jean Rousset. (Prospectus de la 9e édition du Dictionnaire biographique de Prudhomme, 1809.)
  • Notice sur la vie de Moulines. (En tête de sa traduction des Écrivains de l’Histoire Auguste, 1806.)
  • Notice sur la vie et les ouvrages de Collé. (En tête du Journal historique de Collé, 1807.)
  • Notice sur Néel. (En tête du Voyage de Paris à Saint-Cloud, 1797.)

Et beaucoup d’autres notices biographiques qui devaient figurer dans le second volume de l’Examen critique des Dictionnaires historiques, volume que l’auteur ne voulait publier qu’après l’achèvement de la Biographie universelle de Michaud.

IV. Notices littéraires. C’est encore de la bibliographie raisonnée et critique de main de maître.

  • Dissertation sur soixante traductions françaises de l’Imitation de Jésus-Christ. (Paris, Lefebvre, 1812, in-12.).—M. Louis Barbier a vivement excité notre intérêt, en nous apprenant que son père avait laissé un exemplaire de ce savant ouvrage tout chargé de corrections et d’additions.
  • —Sur les Lettres manuscrites de P.-D. Huet. (Mercure de France, t. XXVI, p. 289.)
  • —Sur les Contes et Nouvelles de Mirabeau. (Ibid., t. XXXIII, p. 263.)
  • —Sur les Œuvres de Vauvenargues. (Ibid., t. XXXIV, p. 204.)
  • —Sur l’Introduction à l’Analyse infinitésimale, d’Euler. (Ibid., t. XXXVI, p. 342.)
  • Examen de plusieurs assertions hasardées par la Harpe dans sa Philosophie du XVIIIe siècle. (Magasin encyclopédique, 1805, t. III, p. 5.)
  • —Sur le Recueil des Lettres de Mme de Sévigné. (Mag. encycl. 1801, t. VI, p. 7.)
  • —Sur le poëme de la Conversation, du P. Janvier. (Revue philosophique, 1807, 2e trimestre, p. 88.)
  • Rapport au Conseil du Conservatoire des objets de science et d’art, sur le Recueil des Lettres de P.-D. Huet, évêque d’Avranches, trouvé parmi les livres de l’ex-jésuite Querbœuf. (Journal des Savants, an V, p. 334.)

Je m’arrête, car il faut savoir se borner, même en bibliographie; je ne pousserai pas plus loin cette nomenclature qui, si variée qu’elle soit, ne supplée pas aux articles eux-mêmes qui se recommandent tous par une connaissance approfondie du sujet et par des observations aussi savantes qu’ingénieuses. Ces articles ont été fort remarqués au moment de leur apparition dans le Magasin encyclopédique, dans la Revue encyclopédique, etc.; mais lorsqu’ils seront réunis et classés systématiquement, ils offriront un intérêt de plus, en présentant sous un nouveau jour le talent analytique et critique d’Antoine-Alexandre Barbier. Ce volume de mélanges littéraires viendra se placer avec honneur dans les bibliothèques, à côté de recueils du même genre qui appartiennent à la même époque, et qui réunissent les articles et les feuilletons de Dussault, Feletz, Maltebrun et Boissonade.

Mon cher collègue, M. Louis Barbier, ne me saura pas mauvais gré, sans doute, d’avoir évoqué le souvenir bibliographique de son savant et vénéré père: il approuvera certainement la publication que je lui propose de faire de ces opuscules, qui ne demandent qu’à être réunis et coordonnés pour acquérir toute leur importance littéraire; mais il aura quelque prétexte plausible à faire valoir, pour s’excuser de n’avoir pas encore publié la troisième édition du Dictionnaire des Anonymes: il me dira que son manuscrit est prêt depuis dix ans, depuis vingt ans même, ce que je me plais à reconnaître avec plaisir, mais qu’un libraire lui a manqué pour entreprendre une édition aussi coûteuse... Il y a dix ans, il y a vingt ans de cela; la bibliographie n’était pas alors en bonne odeur auprès de la librairie marchande, et le Dictionnaire des Anonymes, qu’on avait vu tomber à vil prix (10 à 15 fr. l’exemplaire), passait pour un livre dur à la vente; l’éditeur Barrois se plaignait même d’avoir fait une triste affaire; mais tel temps, telle mode; aujourd’hui le même Dictionnaire des Anonymes, réimprimé avec les augmentations qu’il réclame, se vendra sur-le-champ à 1,500 exemplaires, et le reste de l’édition ne moisira pas en magasin. Vienne donc le plus tôt possible cette troisième édition, revue, corrigée et augmentée par le fils de l’auteur: elle aura le même succès que la cinquième édition du Manuel du Libraire, de ce chef-d’œuvre incomparable de la science bibliographique, auquel le vénérable M. Brunet met la dernière main à l’âge de quatre-vingt-deux ans, M. Brunet, notre maître à tous et le glorieux chef de la bibliographie française.

Nota. M. Louis Barbier, à qui je reproche de nous faire attendre si longtemps la réimpression du Dictionnaire des Anonymes, n’en a pas moins dignement suivi les traces de son père, en faisant, de la bibliothèque du Louvre, de cette bibliothèque que son père a créée, une des plus belles, des plus riches, des plus curieuses bibliothèques du monde. Une autre fois, je vous parlerai du bibliothécaire, à propos de cette bibliothèque merveilleuse qui vient d’attirer à elle et d’absorber la bibliothèque de mon ami Motteley. Dieu merci! les livres de Motteley sont en bonnes mains et sous bonne garde.


EXTRAITS
D’UNE
CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.


I

La lettre suivante, datée de janvier 1858, renferme une curieuse anecdote de l’histoire littéraire:

«En feuilletant un charmant petit volume: Un Million de rimes gauloises, lequel aura pour lecteurs tout ce qui reste de Gaulois en France, je remarque, à la page 256, une Épitaphe de Désaugiers, par lui-même, que je vous demande la permission de restituer à son véritable auteur, malgré le témoignage de Charles Nodier, sur lequel se fonde l’éditeur du recueil, M. Alfred de Bougy. Cette épitaphe, si mes souvenirs ne me trompent pas, fut improvisée par M. Paul Lacroix, le jour même de la cruelle opération que Désaugiers venait de subir et qui paraissait avoir bien réussi. M. Paul Lacroix envoya ces vers dans une lettre de félicitations adressée au pauvre malade, qui devait succomber peu de jours après, et qui s’empressa de répondre par quatre vers sur les mêmes rimes. Les deux pièces de vers furent successivement imprimées alors dans deux numéros du Figaro, rédigé par le Poitevin Saint-Alme, Maurice Alhoy, Étienne Arago, Jules Janin, etc. On a, depuis, recueilli les vers de M. Paul Lacroix, et on a oublié ceux de Désaugiers, qui ne méritent pas cet oubli. Mais où trouver une collection complète du Figaro, pour y chercher l’épitaphe que Désaugiers a faite sur son lit de douleurs et qui aurait pu être gravée sur sa tombe, peu de jours après? M. Alfred de Bougy nous donnera peut-être les deux épitaphes dans la seconde édition du Million de rimes gauloises? Ce sera donc pour le mois prochain.

«Un vieux rédacteur du premier Figaro.»

II

Le bibliophile Jacob, dans une suite d’articles consacrés à l’histoire des mystificateurs et des mystifiés, a de nouveau attiré l’attention sur un livre très-singulier et très-divertissant, assez rare et peu connu, qu’on réimprimera peut-être un jour[22]. Ce livre est intitulé: Correspondance philosophique de Caillot Duval, rédigée d’après les pièces originales, et publiée par une société de littérateurs lorrains (Nancy et Paris, 1795, in-8). Le bibliophile Jacob attribue à Fortia de Piles cette prodigieuse mystification, qui consistait à écrire de Nancy une série de lettres ridicules, sous divers pseudonymes, à différentes personnes plus ou moins notables de Paris, et à obtenir ainsi une série de réponses authentiques sur des sujets plus ou moins saugrenus. Fortia de Piles fit imprimer impitoyablement les réponses avec les lettres, mais il eut toutefois la précaution de ne représenter certains noms que par des initiales, qui étaient alors transparentes, et qui sont devenues tout à fait inintelligibles pour nous. Un amateur nous communique une Clef manuscrite de la Correspondance philosophique de Caillot Duval, trouvée dans un exemplaire qui appartenait au marquis de Fortia d’Urban, cousin de l’auteur.

[22] Il a été réimprimé, en effet, par les soins de M. Lorédan Larchey, mais avec des retranchements regrettables.

CLEF DE LA CORRESPONDANCE PHILOSOPHIQUE DE CAILLOT DUVAL.

Tiré d’un exemplaire ayant appartenu au marquis de Fortia.

L’abbé Aub. Aubert.
M. B., secrétaire de l’acad. d’Amiens Baron.
M. Beau., à Marseille Beaujard.
M. Berthel., à Paris Berthelemot.
Mlle Ber., à Paris Bertin.
M. B., à Nancy Beverley.
M. Bl. de Sain Blin de Sainmore.
M. Car., facteur de Cors Caron.
M. Chaum., perruquier Chaumont.
M. Cher., à Paris Chervain.
Mme De Lau., à Paris Delaunay.
M. Dors., de la Comédie Italienne Dorsonville.
Mme Du Ga., de la Comédie Italienne Dugazon.
M. Duv., au Grand Monarque. Duval.
Le P. Herv., aux Augustins. Le P. Hervier.
M. L..r, maître de musique. Lair.
M. L., à Paris. Laïs.
Mlle Lau., de la Comédie française. Laurent.
M. Le C., à Abbeville. Le Cat.
M. L’Heur. de Chan. L’Heureux de Chanteloup.
M. M.....y, libraire à Caen. Manoury.
M. Mesm. Mesmer.
M. M...y, imprimeur à Marseille. Mossy.
M. Nic., à Paris. Nicolet.
M. De P..s, à Paris. De Piis.
M. Poi..t, huissier priseur. Poiret.
M. Roc., maître d’écriture. Rochon.
Mlle S., de l’Opéra. Saulnier.
M. Saut. de M.y. Sautereau de Marsy.
M. Sou., r. Dauphine. Soude.
M. Taco., bourrelier. Taconet.
M. Ther., à Nancy. Therain.
M. Ur., lieut. de police. Urlon.

III

Parmi les livres estimés qui sont sortis sains et saufs de l’épreuve d’une longue dépréciation commerciale, il faut citer le précieux ouvrage archéologique de Millin, intitulé: Antiquités nationales, ou recueil de monuments pour servir à l’histoire générale et particulière de l’Empire françois, tels que tombeaux, inscriptions, vitraux, fresques, etc., tirés des abbayes, monastères, châteaux et autres lieux devenus domaines nationaux (Paris, Drouhin, 1790-An VII), 5 vol. in-4, avec 249 planches. Ce titre, où il est question de l’Empire français, avait remplacé le titre primitif, qui ne parlait, bien entendu, que de République; c’était une première tentative pour écouler, vers 1810, les exemplaires restants de cette vaste collection, malheureusement incomplète, dans laquelle on retrouve tant de monuments que le vandalisme révolutionnaire a fait disparaître. Malgré ce changement de titre, malgré la réduction de prix (60 à 72 francs), le livre ne se vendait pas. On essaya de le rajeunir au moyen d’un nouveau titre ainsi conçu: Monuments françois, tels que tombeaux, inscriptions, statues, vitraux, mosaïques, fresques, etc. Paris, an XI. Mais ce titre, imaginé pour faire concurrence à la Description du Musée des Monuments français, que publiait alors avec succès Alexandre Lenoir, n’accéléra pas le débit de l’édition, quoique la plupart des premiers souscripteurs eussent négligé de retirer les livraisons au moment où elles avaient paru. Il y avait encore 500 ou 600 exemplaires en magasin, quand le libraire Barba eut occasion de les acquérir vers 1819; il les fit entrer dans la librairie au rabais, qu’il avait adjointe à sa librairie théâtrale: il ne parvint à les écouler, au prix réduit de 25 à 30 francs, qu’après plus de quinze ans, et ce à grand renfort d’annonces et de prospectus. Mais il eut le plaisir d’augmenter lui-même la valeur des derniers exemplaires, qu’il porta au prix de 45 et 60 francs. Le livre avait désormais repris sa place dans l’estime des connaisseurs, et Barba, qui possédait les cuivres, put réimprimer un texte abrégé pour un nouveau tirage des gravures: cette édition, tout imparfaite qu’elle fût, s’épuisa en quelques années. On n’avait tiré, il est vrai, que 500 exemplaires de ce texte mutilé. Quant à l’édition originale, elle était de plus en plus recherchée, et maintenant un exemplaire en bon état de conservation coûte dans les ventes 90 à 125 francs, et 150 francs en papier vélin. Les exemplaires tirés de format in-folio, dont les épreuves des planches sont plus belles, valent jusqu’à 200 francs, et l’on peut prédire que ce livre, qui ne sera jamais réimprimé ni refait, doublera de prix, si l’étude de l’archéologie nationale continue à prendre de l’accroissement.

IV

Le savant bibliographe allemand, Guillaume Fleischer, qui était venu en France sous le Directoire pour faire de la bibliographie française, eut l’idée de publier, en 1806, un Manuel de la Librairie française moderne, ou Catalogue général des ouvrages qui se trouvaient, à la fin de 1806, comme livres de fonds ou en nombre, chez les libraires de France, et principalement chez ceux de Paris, etc. Il publia plusieurs prospectus et circulaires adressés aux libraires pour leur demander la note de leurs livres de fonds ou en nombre; il commença son travail avec le courage et la patience d’un Allemand; mais, au bout de deux années, il se vit obligé d’y renoncer: la moitié des livres qui existaient chez les libraires en 1806, avaient changé de main, ou bien étaient mis à la rame en 1808, ou du moins avaient subi un rabais plus ou moins considérable. Fleischer jugea que la librairie française était aussi mobile que le caractère français, et il essaya de donner à son ouvrage une base plus stable, en préparant un Dictionnaire de Bibliographie française générale; il n’en fit paraître que deux volumes, en 1812, car les souscripteurs ne se hâtèrent pas de l’encourager, et il retourna en Allemagne, en déclarant que la France n’était pas digne d’avoir un bibliographe.

V
EXTRAIT D’UNE LETTRE ANONYME.

Nice, 23 juin 1858.

... «Un de mes amis, qui s’occupe de linguistique, eut l’honneur de vous écrire, il y a trois ans, pour vous demander des notions sur un mot dont l’origine lui paraissait obscure. J’avoue, Monsieur, que l’empressement avec lequel vous lui avez répondu, et votre regret de ne pouvoir satisfaire sa curiosité, ont été pour beaucoup dans la résolution que j’ai prise de m’adresser à vous. Il s’agissait du verbe chafrioler, qu’il avait lu dans un roman en vogue. Mon ami le croyait un archaïsme, et il vous priait de lui en dire l’étymologie.

«Vous lui écrivîtes que vous n’aviez jamais rencontré ce mot dans vos études sur le vieux langage. Induit à erreur par l’orthographe fautive qu’il vous en avait donnée (chaffrioler), vous supposiez que c’était une corruption argotique du verbe affrioler; et cela, avec d’autant plus de raison, que l’auteur qui s’en était servi, M. Eugène Sue, a été souvent entraîné, par la peinture des mœurs, à accorder droit de bourgeoisie à des expressions du domaine de l’argot. Vous ajoutiez même que vous seriez très-embarrassé de le décomposer étymologiquement.

«En feuilletant, par hasard, un vieux dictionnaire qui est toujours bon, quoique cent-quinquagénaire, poussiéreux et vermoulu, j’ai découvert une étymologie qui, si elle n’est pas la bonne, est au moins vraisemblable, et vaut bien celle que Le Duchat a donnée de chafouin.

«Avant de la soumettre à votre appréciation, permettez-moi, Monsieur, de vous transcrire plusieurs exemples de l’emploi de chafrioler, que j’ai recueillis dans des romanciers, et qui vous donneront de cette locution l’idée la plus précise et la plus complète:

«Est-ce qu’on dit ces choses-là? On garde ces friands petits bonheurs-là pour soi tout seul; ce sont de ces petites félicités coquettes et mysticoquentieuses, dont on se chafriole en secret, et qu’on n’avoue pas!» (E. Sue, Mathilde, ou les Mémoires d’une jeune femme.) «Et l’évêque Cautin?... Oh! celui-ci ressemble à un gros et gras renard en rut... Œil lascif et matois, oreille rouge, nez mobile et pointu, mains pelues... Vous le voyez d’ici chafriolant sous sa fine robe de soie violette... Et quel ventre! On dirait une outre sous l’étoffe!» (Le même, les Mystères du Peuple.) «En l’attendant, l’évêque Cautin, chafriolant de posséder enfin la jolie fille qu’il convoitait depuis longtemps, s’était remis à table.» (Id.) «L’évêque Cautin, cédant à son penchant pour la buvaille et la ripaille, voyant par avance Ronan le Vagre, l’ermite laboureur et la belle évêchesse suppliciés le lendemain, le bon Cautin ne se sentait point d’aise: il buvait et rebuvait, chafriolait et discourait, agressif, moqueur, insolent comme un compère qui, avant le repas du matin, avait déjà opéré son petit miracle.» (Id.) «Vous êtes le plus compromettant et le plus indiscret des hommes, mon cher chevalier, dit le petit abbé Fleury en chafriolant.» (Baron de Bazancourt, le Chevalier de Chabriac.)

«Vous le voyez, Monsieur, on peut faire de ce néologisme des applications très-heureuses; si l’on arrive à le décomposer d’une manière satisfaisante, je crois qu’il aura de grandes chances de succès. Il est d’une tournure fine et originale; il a dans sa physionomie une grâce et une gentillesse, qui décèlent sa naissance. M. de Balzac le met dans la bouche d’un des personnages de Grandeur et Décadence de César Birotteau; lui seul, si je ne me trompe, a droit de le revendiquer; c’est son œuvre; on reconnaît le flou de sa touche coquette.

«Quel verbe ravissant pour exprimer, par exemple, l’extase radieuse du gastronome, pour peindre la gourmandise qui brille dans son œil et sur ses lèvres! Attablé en face d’un gigot cuit à point ou d’une poularde bondée de truffes et diluviée de jus, il se délecte, il se pâme d’aise. Il manifeste sa jubilation par un épanouissement de lèvres, par un battement d’ailes (pardonnez-moi cette expression), par un trémoussement de tout son corps, par de petits sauts, par de petits bonds, que le verbe chafrioler résume et rend avec un rare bonheur. Ce mot exhale un fumet rabelaisien; c’est tout un poëme de lécherie et de sensualité; il est dommage qu’il ne soit pas éclos sous la plume culinophile de Brillat-Savarin.

«Dussé-je faire sourire votre érudition de la confiance que j’ai dans ma faiblesse, je reviens à mon étymologie, pour laquelle je sollicite votre indulgence. Si vous lui attribuez quelque valeur, votre assentiment me sera, Monsieur, d’un très-grand prix.

«Chafrioler, dans lequel j’avais vu d’abord une altération de cabrioler, me paraît, maintenant, composé de chat et de frioler. Frioler est un vieux verbe qui a dû concourir à la formation d’affrioler, et qui se trouve dans le Dictionnaire français-italien d’Antoine Oudin (1707). Celui-ci le traduit par ghiottoneggiare, bien qu’il signifie: se livrer à la gourmandise avec délicatesse et raffinement. Chafrioler serait donc, au propre, d’après ma dissection étymologique: éprouver une sensation délectable, analogue à celle du chat qui friole, qui boit du lait, par exemple, et qui s’en lèche les barbes. D’autant plus que le chat jouit d’une réputation de sensualité, parfaitement établie, ainsi que le prouvent le mot chatterie, le verbe chatter qui figure dans Oudin avec la signification de friander, et les expressions: friande comme une chatte, amoureuse comme une chatte, qui sont admises dans le Dictionnaire de l’Académie.

«Par extension, on a dégagé le verbe chafrioler, de toute idée comparative, et il a pris le sens général de: se réjouir, se délecter, avec cette différence, toutefois, qu’il est plus expressif et plus voluptueux que ces derniers.

«J’ai extrait du Dictionnaire national de Bescherelle plusieurs mots qui dérivent de frioler, qui l’expliquent, et qui mettent son existence hors de toute contestation:

«Friolerie, s. f. S’est dit dans le sens de gourmandise, friandise. «Aussi peu eussé-je pu vivre sans ces frioleries, à quoi j’avais pris goût.» (Le Sage.)

«Friolet, ette, adj. S’est pris dans le sens de gourmet, délicat, recherché dans ses aliments.

«Friolet, s. m. S’est dit pour petit chien friand, accoutumé à ne vivre que de friandises, des gimblettes.

«Friolette, s. f. Art culinaire. Espèce de pâtisserie légère.»

«Voilà, Monsieur, tout ce que j’ai pu découvrir sur ce verbe, dont M. Eugène Sue lui-même ignorait la provenance. J’ai consulté Nicot, Furetière, Trévoux, Richelet, Boiste, etc.; malgré ce recours à des dictionnaires estimés, je n’ai pu faire aboutir mes recherches à un résultat plus décisif. Si mon étymologie n’est pas la bonne, je renonce à la trouver jamais: je laisse ce soin à des esprits plus perspicaces que moi. Je suis, au reste, dans un pays où les livres sont vus d’assez mauvais œil et où l’on fait tout, par conséquent, pour les en éloigner. Aussi, grâce à la mesquine allocation de la municipalité dont les goûts laborieux sont très-contestables, notre bibliothèque publique est dans une grande pénurie, surtout sous le rapport linguistique. Je tends les bras vers vous; soyez indulgent pour un jeune étymologiste sans expérience, qui se distingue par son ardeur bien plus que par son savoir. Il ose espérer que vous serez assez bon pour lui répondre, et pour le prévenir s’il a fait fausse route.

«Agréez, etc.

E. B.

Réponse. Malgré la piquante dissertation philologique que renferme la lettre précédente, notre opinion sur l’origine du verbe chaffrioler ou chafrioler n’a pas changé. Ce verbe est de l’invention de Balzac, qui l’employa le premier dans ses Contes drolatiques. On sait que Balzac avait la passion du néologisme, mais il ne se préoccupait pas toujours des règles étymologiques qui doivent présider à la formation des mots nouveaux. Eugène Sue et de Bazancour ont adopté sans examen le mot chafrioler, dont le sens n’était pas même nettement défini, comme le prouvent les citations qui ont été recueillies dans leurs ouvrages.

Il est certain que chaffrioler ou chafrioler n’est autre que le verbe affrioler, prononcé à l’allemande. Je ne doute pas que le verbe frioler, dont nous n’avons gardé que le composé affrioler, ne se soit dit dans le langage familier ou trivial, au dix-septième siècle. Antoine Oudin, sieur de Préfontaine, qui a bien voulu admettre frioler dans son Dictionnaire français-italien, avait une connaissance très-approfondie de ce qu’on appelait la langue comique et populaire; quoiqu’il fût professeur de langues italienne et espagnole, attaché à l’éducation du roi Louis XIV, il menait une vie assez libre avec les poëtes de cabaret et les chantres du Pont-Neuf. On peut donc apprécier en quels lieux il avait ramassé le verbe frioler.

M. Bescherelle, dans son curieux Dictionnaire qui contient tout (rudis indigestaque moles), a très-bien fait d’y recueillir frioler avec toute sa famille. Nous ne savons pourquoi cependant il a laissé de côté friolet, sorte de poire peu estimée, que lui fournissait le Dictionnaire de Trévoux, et les friolets, tetons friands, qu’il aurait pu prendre dans le Dictionnaire comique de Philibert-Joseph le Roux. Le véritable sens de friolet ou plutôt friollet, a toujours été friand, qu’un vieux dictionnaire italien traduit par goloso, leccardo. On disait aussi frigolet, qui nous indique la meilleure étymologie du verbe frioler, en le rattachant aux mots fricot et frigousse.

Mais en voilà trop sur un verbe hors d’usage, qui offrirait matière à plus longue discussion, si nous cherchions encore à le faire rentrer dans le berceau du vieux verbe rigoler.

VI

«Cher Bibliophile,

«Lorsque je vous écrivais, ces mois derniers, pour charmer les ennuis de la solitude, je ne pensais pas que mes notules auraient les honneurs de l’impression[23].

[23] Voir les nos 2 et 3 du Bulletin de la librairie à bon marché.

«Quant à la signature que vous y avez mise, elle n’est plus de saison: l’ermitage de Saint-Vincent-lez-Agen est aujourd’hui un couvent de Carmes! Frère Hermann s’y trouvait il y a quelques années, et, lorsqu’il touchait l’orgue, de nombreux amateurs gravissaient les rochers de l’ermitage.

«Verum enim vero, ce n’est point de rochers qu’est entourée la grotte de la Rosa Ursina... Lisez: «La vignette du titre représente une grotte entourée de rosiers; un ours est debout devant la grotte; indè: Ursus Rosæ custos.» C’était une faute bien facile à corriger, ainsi que la suivante que je remarque dans les Trois Rome, de Mgr Gaume, tome I, page 157: credat judæus Appollo, pour Apella. (Voyez Horace, satire 5e du livre premier, ad finem.)

«Mais, pour corriger d’autres fautes d’impression, il faut des connaissances spéciales; en voici une preuve. Dans l’intéressant ouvrage de M. Huc: «Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine,» on trouve, tome II, page 337-342, une dissertation sur la prière incessante et universelle des Thibétains: «Salut, précieuse fleur du lotus!» formule dont le mot-à-mot est ainsi figuré:

Om mani padmé houm!
O! le joyau dans le lotus, amen!

«Mani signifie joyau; padmé est le locatif de padma, lotus.» Le locatif est, en effet, l’un des huit cas du sanscrit... Mais, dans l’édition précitée de M. Adrien Le Clere, in-8, 1850, on lit que padmé est au vocatif; ce qui est un non-sens.

«En fait de fautes d’impression, je n’en ai pas vu de plus plaisante que celle que je remarquai dans un journal de modes et de littérature, 1834, in-8. Je n’ai pas noté le titre de ce recueil; je me rappelle fort bien qu’il renfermait la délicieuse Harmonie de M. de Lamartine: la Source dans les bois:

Tu parais!... le désert s’anime,
Une haleine sort de tes eaux;
Le vieux chêne élargit sa cime,
Pour t’ombrager de ses rameaux.

«Eh bien! l’imprimeur dudit recueil avait mis:

Tu parais!... le désert s’anime,
Une baleine sort de tes eaux.

«Vale!

«Johannes Eremita[24].»

[24] Le bibliophile très-érudit et très-lettré, qui signait l’Ermite de Saint-Vincent-lez-Agen dans le Bulletin des Arts et l’Ermite d’Auvillars dans le Bulletin du Bouquiniste, se nommait M. Bressolles aîné. Il habitait Auvillars depuis près de 40 ans et il y mourut plus que septuagénaire, en décembre 1862. Sa jeunesse avait été consacrée au professorat, sa vie entière fut vouée à l’étude. Il n’a rien publié, excepté des correspondances littéraires dans quelques journaux de bibliographie. Il avait commencé un examen bibliographique de toutes les traductions en vers français. C’était un critique fin et délicat, qui possédait la mémoire la plus étendue et la mieux remplie. Il a dû laisser une énorme quantité de notes manuscrites et de travaux préparés. On peut espérer que son frère, M. le général Bressolles, les publiera, et nous serons heureux de l’aider dans cette noble tâche d’éditeur.

VII

«Vous connaissez probablement un opuscule de Charles Rivière Dufresny: les Amusements sérieux et comiques, qui donnèrent, assure-t-on, à Montesquieu, l’idée des Lettres persanes?

«Ces Entretiens siamois eurent dans le temps une grande vogue. J’en ai trouvé trois éditions dans une «librairie de village,» comme dit Montaigne.

«La plus récente des trois, Paris, Briasson, 1751, in-18, porte sur le titre: par feu Dufresny.

«La deuxième, Paris, Morin, 1731, in-12, est anonyme. Mais celle de Claude Barbin, 1701, petit in-12, porte en toutes lettres sur le titre: Par M. de Fontenelle, de l’Académie françoise.

«Fontenelle, déjà célèbre en 1701, avait-il eu la complaisance de prêter son nom à Dufresny?...

«Dans le court errata qui termine ce volume, on lit: «Petit maitre doit être en italique comme mot nouveau.» En effet, ce mot n’est pas encore consigné dans la deuxième édition du Dictionnaire de l’Académie française, 1718, 2 vol. in-folio.

«Auvillars (Tarn-et-Garonne).

«L’Ermite.»

VIII

12 avril 1858.

«... Conformément à l’ordonnance du docteur-Ermite, avez-vous profité de la journée du dimanche, pour faire un exercice salutaire?... L’Ermite, au rebours. Le jour du Seigneur est pour lui un jour de clôture; il repasse ses notes et supplée à la distraction ou à l’ignorance des protes, voire même, à leur outrecuidance, car il en est qui commettent de grosses bévues, croyant faire merveille... Par exemple, à la page 153 du t. II de l’Histoire de l’Astronomie de Bailly, abrégée par V. Comeyras, 1805, 2 vol. in-8, on lit: «Le P. Scheiner, jésuite... a fait plus de 2,000 observations, qu’il a publiées dans un ouvrage intitulé: Rosa Ursina, d’un nom du Dieu des Ursins,» pour: «du nom d’un duc des Ursins, à qui il était dédié.»

«Je présume que le compositeur ou le prote a cru faire une correction, en mettant historia brevissima, pour: bravissima Caroli V fugati, etc., à la page 139 du Bulletin du Bouquiniste, 2e année.

«D’autres fois, ce sont d’inconcevables distractions. Ainsi, au t. IV de la Biographie universelle en 6 vol. grand in-8, édition imprimée à Besançon, chez Ch. Deis, sous les yeux de M. Weiss, on lit à la dernière page: «Une des meilleures éditions des œuvres de Plutarque, traduction d’Aragot (pour Amyot), est celle qu’a donnée Clavier, etc.»

«J’en trouve à l’instant un autre exemple, au t. III de la Biographie générale de MM. Didot, colonne 792: «Les ouvrages d’Autrey sont: 1o l’Antiquité PESTIFIÉE» pour: l’Antiquité JUSTIFIÉE, ou réfutation du livre de Boulanger: l’Antiquité dévoilée, etc.»

«L’Ermite de Saint-Vincent-lez-Agen.»

—Dans une autre lettre, le savant auteur de la précédente revient sur l’ouvrage curieux Rosa Ursina, qui est l’origine de ce singulier dieu des Ursins, que les archéologues mettront peut-être un jour dans le Panthéon de la mythologie antique.

«Je reviens, dit l’Ermite, sur le singulier ouvrage d’astronomie intitulé: Rosa Ursina, auctore Scheiner, Braccianni, 1626-1630, in-folio. Au frontispice est le soleil sous la forme d’une rose au milieu des planètes. La vignette du titre représente une grotte entourée de rosiers, avec cette devise: Ursus Rosæ custos. En effet, un ours se tient debout devant la grotte. L’ouvrage est dédié au duc Orsini. Quel plaisant intitulé pour un ouvrage où il est partout question des taches du soleil! Peu de temps après, parut, sur le même sujet, un livre dont le titre est non moins bizarre: Oculus Enoch et Eliæ, auctore Schyrleo de Rheita, Antuerpiæ, 1645, in-folio. Le frontispice représente le paradis. On y voit Énoch et Élie tenant chacun le bout d’une chaîne à laquelle le soleil est suspendu.»

Ces deux ouvrages ont fourni matière aux plus drolatiques méprises de la bibliographie. Dans la plupart des catalogues, la Rosa Ursina a été placée parmi les traités de botanique; l’Oculus Enoch et Eliæ, parmi les livres de théologie.

Plusieurs bibliographes n’ont pas manqué de signaler l’erreur des faiseurs de catalogues, mais en commettant une nouvelle erreur: ils ont dit que la Rosa Ursina était un commentaire sur la Rose des vents, et l’Oculus Enoch et Eliæ, une histoire de ces deux patriarches!

Ces deux volumes, ajoute l’Ermite, se font remarquer par ce papier ferme, élastique, sonore, comme dit Charles Nodier dans la préface de son Catalogue de 1844, papier inaltérable qui traverse les siècles... Ainsi n’est point, hélas! le papier de la plupart des livres imprimés ces dernières années, papier qui a d’ailleurs l’inconvénient de se piquer, comme les étoffes de coton; et cela n’est pas seulement advenu à des livres de pacotille, mais à de beaux et bons ouvrages. J’en ai malheureusement force preuves sous les yeux.... Je me bornerai à citer le Montaigne, édité par J.-V. Le Clerc, 5 vol. in-8, 1826, impr. de J. Didot; les Contes de la Fontaine, édition de Bourdin, gr. in-8; Malherbe, Boileau, J.-B. Rousseau, grand in-8, édition Lefèvre; le Rabelais, 5 vol. in-32, 1826-27, etc.»

L’Ermite-bibliophile aurait pu aisément augmenter à l’infini cette vaste nomenclature de beaux livres gâtés ou perdus; ainsi les magnifiques éditions de Voltaire et de J.-J. Rousseau, publiées par Delangle et Dalibon, n’offrent plus, dans la plupart des exemplaires, qu’un papier jauni, enfumé, cassant, ou taché de rouille; ainsi le Rabelais en 9 vol. in-8, dont le papier d’Annonay faisait la joie des amateurs, est couvert de stigmates déplorables; ainsi la France littéraire de Quérard, ce précieux recueil qui devrait surtout avoir toutes les conditions matérielles de durée, est certainement destinée à tomber en poudre, car le papier a été brûlé dans l’opération du blanchiment, et il y a déjà des feuilles qui se rongent peu à peu. Il est triste de voir que l’honorable maison des Didot n’ait pas surveillé avec plus de soin le choix du papier qu’elle consacrait à l’impression de ce grand ouvrage si utile et si coûteux.

IX

On nous promet des détails curieux sur la fabrication d’une espèce de papier, qui fut en usage, vers 1840, pour l’impression d’un grand nombre d’ouvrages populaires, et qui avait été préparé, avec préméditation, par ordre de certains industriels, avec des ingrédients portant en eux-mêmes un germe de destruction latente. C’était là une invention, non brevetée il est vrai, à l’aide de laquelle on assignait d’avance une durée déterminée au papier, qui était soumis à diverses préparations chimiques. Il en résultait que ce papier devait se désorganiser, inévitablement, au bout de quinze, de dix, et même de cinq ans. Par bonheur, ce procédé ingénieux n’a pas été longtemps mis en œuvre, à cause des conséquences fâcheuses qu’on en pouvait attendre. Mais le papier, déjà fabriqué sur échantillon, a été vendu à d’honnêtes libraires, qui l’ont employé, sans savoir le mystère: Latet anguis in herba.

X

La lettre suivante a été publiée dans un de ces recueils périodiques de bibliographie qui n’ont fait que paraître et disparaître, le Bulletin de la librairie à bon marché, dont il n’existe que huit numéros en trois fascicules, janvier à juillet 1858:

«Mon cher Monsieur,

«Vous venez d’ajouter à votre Bibliothèque gauloise un des plus curieux volumes que vous pussiez y faire entrer. C’est le recueil des Aventures burlesques de Dassoucy, rassemblées et annotées avec beaucoup d’intelligence et de goût, par M. Émile Colombey. Cette édition remettra certainement en honneur l’auteur et son livre. Elle contient quatre ouvrages de Dassoucy, publiés d’abord séparément et à différentes époques. Deux de ces ouvrages sont rares: les Aventures d’Italie et la Prison de M. Dassoucy; le troisième est très-rare, les Pensées de M. Dassoucy dans le Saint-Office de Rome; on ne connaît à vrai dire que le quatrième, les Aventures de M. Dassoucy, imprimées plusieurs fois à un grand nombre d’exemplaires; intéressants mémoires, qui, dans ces derniers temps, ont servi de base aux discussions des biographes sur l’époque du voyage de Molière en Languedoc avec sa troupe de comédiens. Les autres écrits de Dassoucy n’ont pas eu l’avantage d’être relus et discutés avec le même intérêt. Ils sont bien dignes pourtant de reprendre leur place, sinon parmi les chefs-d’œuvre de la littérature du dix-septième siècle, du moins entre les ouvrages les plus amusants et les plus originaux que cette littérature a produits.

«Je signalerai seulement ici une particularité bibliographique, qui me paraît avoir échappé à tous les biographes, comme à tous les éditeurs de Molière: on trouve, dans les Aventures d’Italie, un couplet de chanson, composé par Molière (voy. p. 240 de la nouvelle édition). C’est Dassoucy qui fait chanter ce couplet, par un de ses pages de musique, devant la cour de Savoie:

Loin de moy, loin de moy, tristesse,
Sanglots, larmes, soupirs!
Je revoy la princesse
Qui fait tous mes désirs:
O célestes plaisirs!
Doux transports d’allégresse!
Viens, Mort, quand tu voudras,
Me donner le trespas:
J’ay reveu ma princesse!

«A ce couplet, qui fut probablement improvisé à table en l’honneur de quelque comédienne, Dassoucy en ajouta un second, qui ne vaut pas le premier et qui n’en est que la faible paraphrase; mais, comme il en avait aussi composé la musique, il les faisait chanter ensemble pour avoir le prétexte d’associer son nom à celui de Molière: «Vous, monsieur Molière, dit-il, dans ses Aventures d’Italie, vous qui fistes à Béziers le premier couplet de cette chanson, oseriez-vous bien dire comme elle fut exécutée et l’honneur que vostre muse et la mienne reçurent en cette rencontre?»

«Dassoucy n’était pas seulement un écrivain plaisant et spirituel, un poëte aimable et charmant; c’était encore un compositeur de musique très-distingué; et, pendant plus de vingt ans, les airs qu’il composait avec accompagnement de luth et de théorbe, furent chantés à la cour avec ceux de Guedron et de Boesset. Les paroles de quelques-uns de ces airs sont imprimés dans les recueils, mais sans nom d’auteur. Il faudrait avoir le manuscrit original des Airs de M. Dassoucy, que possédait le duc de la Vallière et que nous avons vu à la Bibliothèque impériale, il y a vingt-cinq ans (si toutefois notre mémoire ne nous fait pas défaut), pour retrouver les chansons que Molière fit mettre en musique par cet ami de sa jeunesse; car Dassoucy déclare positivement qu’il avait animé plusieurs fois des paroles de Molière. Castil-Blaze ne s’est pas même préoccupé de chercher ces paroles, ces vers du grand homme, en compilant deux gros volumes de savantes recherches sous le titre de: Molière musicien

XI

Cette lettre, d’un correcteur d’imprimerie, à l’éditeur de la Bibliothèque gauloise, M. Delahays, a été publiée dans le Bulletin de la librairie à bon marché, en 1858; elle mérite d’être recueillie:

«Monsieur,

«Vous avez bien voulu me charger de revoir, comme correcteur, une partie des réimpressions d’anciens ouvrages, qui font partie de votre Bibliothèque gauloise. Ce travail, souvent difficile, et toujours long et minutieux, m’a permis d’apprécier les différences notables qui existent entre vos éditions et d’autres éditions précédentes plus ou moins estimées. La critique actuelle se soucie bien aujourd’hui de signaler ces différences! elle ne fait même aucune distinction entre un bon et un mauvais texte. Je vous demande la permission de vous indiquer quelques-unes des variantes que j’ai eu l’occasion de remarquer dans les éditions dont j’ai corrigé les épreuves. Je commencerai par Bonaventure des Periers.

«L’édition de la Bibliothèque elzévirienne et celle de la Bibliothèque gauloise, quoique revues également sur les éditions originales, offrent une dissemblance presque radicale au point de vue de l’orthographe, de la ponctuation, etc. Il ne m’appartient pas de décider quelle est la meilleure de ces deux éditions; mais voici seulement un certain nombre de passages où le texte diffère essentiellement dans l’une et l’autre.

ÉDITION DE LA BIBLIOTHÈQUE GAULOISE. ÉDITION DE LA BIBLIOTH. ELZÉVIRIENNE.
Pages.  
10. J’ay bien esprouvé que pour cent francs de melancolie n’acquitterons-nous pas pour cent sols de debtes n’acquittent pas.
30. Un homme ne se fie pas volontiers en une fille qui lui a presté un pain sur la fournée. à une fille.
31. Combien qu’ils fussent Bretons..., s’estoyent meslez de faire bons tours avec ces Bretes, qui sont d’assez bonne volonté. avec ces brettes.
33. Ilz espouserent: ilz font grande chère, ilz battent: que voulez-vous plus? ils espousent... que voulez-vous de plus?
36. Il est advenu, dit-il, depuis n’ha gueres. dit-il n’hagueres.
42. Mon amy, ce luy dit l’autre, incontinent que. Mon amy, luy dit l’autre.
51. Car volontiers, quand il en vient quelque faute aux femmes grosses. quand il advient quelque faute.
Je m’esbahy qu’il ne s’est advisé de le faire, tout devant que departir. ne s’en est advisé... devant que de partir.
52. Et à l’une des fois. Et à une des fois.
Demandez à sire André. Demandez-le à sire André.
Quel achevement est cecy? est ce cy?
57. Quand il se fust despouillé. Quand il fut despouillé.
59. Tantost le barbier luy demandoit. Le barbier luy demandoit.
63. Marie la prophetesse la met à propos et bien au long en un livre..., et dit ainsi. et fort bien au long... et disant ainsi.
Gehenner. geiner.
66. Il print envie de bastir une ville, et fortune voulut. une ville. La fortune.
70. Un advocat, qui s’appeloit la Roche Thomas, l’un des plus renommez de la ville, comme de ce temps y en eust bon nombre de sçavans. comme que de ce temps.
72. Quand ce fut à presenter le pasté, il estoit aysé à veoir qu’il avoit passé par de bonnes mains. présenter ce pasté, il estoit aisé de veoir.
74. La pedisseque n’avoit jamais esté desjunée de ce mot de plurier nombre, parquoy elle se le fit expliquer au clerc, qui luy dit. par le clerc.
76. J’ay un fils qui a des-jà vingt ans passez, ô reverence! et qui est assez grand quierc; il a desjà. qui est assez grand; il a desjà.
.... Comme prince qu’il estoit; et, avec sa magnificence, avoit une certaine privaulté. qu’il estoit. Avec sa magnificence, il avoit.
78. Or, est-il que le reverendissime s’appeloit, en son propre nom, Phelippes. s’appeloit Phelippes.
80. De l’enfant de Paris nouvellement marié, et de Beaufort, qui trouva un subtil moyen de. qui trouva moyen de.
Un jeune homme, enfant de Paris, après avoir hanté les Universitez deçà et delà les montz... se trouvant bien à son gré ainsi qu’il estoit; n’ayant point faute. natif de Paris... de çà et de les montz... se trouvant bien à son gré, n’ayant point faulte.
81... qu’autant valoit-il y entrer de bonne heure, délibéroit de se faire sage, faisant ses desseins en soy-mesme. Qu’autant valoit y entrer... faisant les desseins.
86... et de vous rendre entre les mains. et vous rendre.
88... de peur qu’il se faschast d’aventure. Il vient. qu’il se faschast. D’aventure il vient.
89. O! de par le diable! dit-il en fongnant. en se fongnant.
Beaufort avoit fait une partie de ses affaires, qui se sauva. et se sauva.
C’estoit d’un feu qui ne s’estaint pas pour l’eau de la riviere. par l’eau.
94. Ce levrier se fourroit à toute heure chez luy, et luy emportoit tout. et emportoit.
Ce menuizier couroit après avec sa houssine. couroit après sa houssine.
101. Un laboureur riche et aisé, après avoir. riche, après avoir.
110. Mais par-dessus tous les cordouanniers. par sus tous, les.
111. Pour Dieu, ce dit maistre Pierre, envoyez-m’en querir. envoyez-moy querir.
113. Mes deux cordouanniers se trouverent à l’hostelerie chacun avec une bote à la main. à l’hostelerie avec une bote à la main.
114. Tandis qu’ilz estoyent en ce debat. à ce débat.
... se trouverent bien camus. se trouverent camus.
et maistre Pierre escampe de hait. eschappe de hait.
Il y en avoit un en Avignon. Il y avoit en Avignon un tel averlan.
118. Il la fit ramener le lendemain en la mesme place, pour veoir si quelqu’un se la vendiqueroit. se la revendiqueroit.
120. Un conseiller du Palais avoit gardé une mule vingt-cinq ans ou environ, et avoit eu entre autres un pallefrenier. et avoit entre autres.
121... Nous en accorderons bien, vous et moy; sinon, je la reprendray. C’est bien dit. Le conseiller se fait amener ceste mule. C’est bien, dit le conseiller. Il se faict.
126. Il avoit un maistre d’hostel qui mettoit peine de luy entretenir ce qu’il aymoit; auquel fut donné par quelqu’un de ses amys un asne. ce qu’il aymoit, et à celuy mesme fut donné.
135. En la ville de Maine-la-Juhes, au bas pays du Maine. au bas du pays du Maine.
136. Il sembloit à sa mine que quelques foys il s’efforçast de parler, au plaisant regnardois qu’il jargonnoit. parler en son plaisant regnardois.
137. Encore, pour cela, il ne manquoit pas d’en trouver tousjours quelqu’un en voye. d’en trouver quelqu’un.
141. De maistre Jean du Pontalais. de Pontalais.
142. Et ne luy sembloit point qu’il y eust homme en Paris qui le passast en esprit et habileté. qui le surpassast en esprit et en habileté.
146. Maistre Jean du Pontalais, selon sa coustume, fit sonner son tabourin. fit sonner le tabourin.
147. Il fut remonstré que ce n’estoit pas l’acte d’un sage homme. le fait d’un sage.
148. Ilz deviserent un temps. ils diviserent du temps.
149. Vous me logeastes l’autre nuict bien large. bien au large.
151. Elle se leva le matin d’auprès de monsieur. d’auprès monsieur.
155. Elle en voulut parler au curé et luy en dire ce qu’il luy en sembloit. et luy dire.
158. Le lendemain matin l’evesque voulut sçavoir qu’avoyent eu ses chevaux. Le lendemain matin voulut sçavoir.
171. Il y avoit un prestre de village, qui estoit tout fier d’avoir veu un petit plus que de son Caton. un petit plus que son Caton.
174. L’hoste le laisse entrer, et luy, met son cheval en l’estable aux vaches. et met son cheval à l’estable.
185. Chanter des leçons de matines, vigiles et benedicamus, pour luy façonner sa langue; là où pourtant il ne profita pas, sinon que. des leçons de matines et des vigiles et des benedicamus... là où pourtant il ne proufita d’autre chose, sinon que.
187. Toutesfois il tastonna tant par ceste cave environ les tonneaux. par ceste cause.
188. Eh! monsieur! que faictes-vous là-bas. Eh! mon Dieu.
Si se print à chanter le grand maledicamus. se print à chanter.
194. Qui fut du temps que les arrestz se delivroyent en latin. se livroyent.
208. Prenant poinctz de poinct. poingz de poinct.
218. Voici un pays esgaré. escarté.
222. Il tiroit l’une de ces receptes à l’adventure comme on fait à la blanque. comme on met.
225. De plain saut. de prinsaut.
229. L’abbesse qui la visitoit toute nue. qui le visitoit.
260. Un des gentilz hommes de Beausse, que l’on dit qu’ilz sont deux à un cheval. de la Beausse... Qui sont deux.
264. Pleine une grande jate de bois avec de la soupe. une grande jate avec de la souppe.
277. Si est-ce qu’elle regarda ce gentilhomme de fort mauvais œil, et si ne s’en peut pas taire. et si ce ne s’en peut taire.
296. Ce qui faisoit les coqs devenir ainsi durs. aussi durs.
298. Il se declara en disant qu’il y avoit une faute qui valloit quinze. qu’il avoit faict une faute.
300. Il escoutoit d’une telle discretion, comme s’il eust entendu les parlans, en faisant signes. d’une discretion... et faisoit.

«Je m’arrête dans cette confrontation de textes, laquelle n’est pas sans intérêt, quand il s’agit des œuvres d’un écrivain classé désormais irrévocablement parmi les maîtres de notre vieille littérature. Mais je m’aperçois que j’aurais peut-être mieux constaté la différence complète qui existe entre les deux éditions, par le rapprochement d’une page entière prise dans chacune de ces éditions. C’est là une comparaison à faire que je conseille aux nombreux souscripteurs de la Bibliothèque gauloise.

«J’ai l’honneur d’être, etc.

V. S.»

XII

J’ai entendu plus d’une fois des bibliophiles instruits et judicieux s’entretenir sur l’étrange et inexplicable placement de trois feuilles blanches, chiffrées 259, 260 et 261, au milieu de l’ouvrage intitulé: Liber chronicarum (per Hartman Schedel, Nurembergæ, Ant. Koberger, 1493; in-fol. max. goth.). Dieu sait les suppositions sur ces pages blanches, où la censure semblait avoir passé!

J’avais souvent eu entre les mains cette chronique, pour quelques recherches ou bien pour examiner les gravures en bois de P. Wolgemut, le maître d’Albert Durer, mais je ne m’étais jamais soucié de dévoiler le mystère des feuillets blancs où maître Antoine Koberger n’avait imprimé que le chiffre de la pagination. Les dissertations ex-professo me mirent martel en tête: je demandai au livre même le pourquoi de cette suppression du texte dans ces trois feuillets blancs, et je trouvai une note ainsi conçue, qui suit immédiatement les initiales de l’auteur Ha. S. D., et qui termine le verso du feuillet 258: «Cartas aliquas sine scriptura pro sexta ætate deinceps relinquere convenit judicio possessorum, qui emendare, addere, atque gesta principum et primatuum succedentium prescribere possunt. Non enim omnia possumus omnes, et quandoque bonus dormitat Homerus. In terra enim aurum queritur et de fluviorum alveis splendens profertur gloria, Pactolusque ditior est ceno quam fluento. Varii quoque mirabilesque motus in orbe exorientur, qui novos requirunt libros, quibus ordine relevantur pauca tamen de ultima ætate, ut perfectum opus relinquatur, in fine operis adjiciemus.» Ces pages blanches étaient donc destinées à recevoir les annotations et les additions des possesseurs de l’ouvrage; on en a fait ainsi à l’égard des manuscrits, sur les gardes desquels on écrivait souvent un mémorial des faits contemporains.

La dernière partie du Liber chronicarum présenterait encore une foule d’observations curieuses: on y verrait que Hartman Schedel était cardinal et ami du pape Æneas Sylvius; qu’il a voulu compléter sa Chronique par une description géographique de la Germanie composée par ce savant pape (Pie II); qu’il y a ajouté lui-même diverses notices sur d’autres parties de l’Europe; qu’il a fait imprimer, après coup, un mémoire concernant la Pologne et formant quatre feuillets intercalaires, sans pagination, entre les feuillets 288 et 289, etc.

On ferait un volume de remarques sur ce gros livre, plein d’admirables dessins. Cette édition illustrée, qui a dû coûter des sommes énormes et dont sans doute on a tiré un nombre prodigieux d’exemplaires, est commune par toute l’Europe, et se vend plus cher chez les marchands d’estampes que chez les libraires. Un des plus beaux et des plus purs exemplaires que j’aie vus, c’était celui d’Armand Bertin. L’exemplaire du duc de la Vallière, étant imparfait, ne s’est vendu que 24 livres. Il y a des exemplaires anciennement coloriés, en Allemagne.

XIII

On rencontre quelquefois, dans les préfaces de certains livres qu’on regarde comme frivoles et de pure imagination, des détails bibliographiques que l’auteur y a jetés en passant et qui sont dignes d’être recueillis par des bibliographes sérieux. Nous pouvons ainsi garantir l’authenticité d’un passage de l’Avant-propos de l’éditeur des Mémoires du cardinal Dubois (Paris, Mame et Delaunay, 1829; 4 vol. in-8), mémoires apocryphes, il est vrai, mais composés quelquefois sur d’excellents manuscrits.

«Une partie des papiers de Mercier (l’auteur du Tableau de Paris) appartenait, en 1818, à M. Lalle...., un de ses parents. Ces papiers contenaient plusieurs ouvrages inédits entiers ou en fragments. J’ai entendu louer, entre autres, un poëme en dix chants et en vers de dix syllabes, dans le goût de la Pucelle de Voltaire, et illustré par une centaine de figures dessinées par Mercier lui-même; un recueil de satires et de contes; des drames, etc. M. Lalle...., ainsi que tous les fonctionnaires publics (il demeurait place Vendôme), faisait assez peu de cas de Mercier, de la poésie et des autographes. Il avait un fils, aimable et mauvais sujet, qui ne partageait pas son mépris de bureaucrate contre tout ce qui était vers. Ce jeune homme, élève de seconde au collége de Louis-le-Grand, avait découvert, au fond d’une armoire hermétiquement fermée, l’héritage lubrique de la muse de son grand-oncle; les préceptes qu’il y trouvait lui semblaient préférables à ceux de ses professeurs. Un jour, M. Lalle...., rentrant de mauvaise humeur, surprit son fils en commerce avec feu Mercier, de l’Institut national. Dans l’impétuosité d’un premier mouvement, il saisit tous les papiers et les jeta au feu.»

XIV

Il n’existe pas de bibliographie spéciale sur l’histoire des ouvrages posthumes qui se sont perdus par la négligence des bibliographes. Combien de manuscrits autographes ont passé dans les ventes de vieux papiers, faute d’avoir été signalés! Témoin la comédie des Querelles des deux frères, par Collin d’Harleville, retrouvée chez l’épicier; les Historiettes de Tallemant des Réaux, acquises au prix de 27 francs en vente publique, etc.

Un des derniers bibliothécaires de la ville de Soissons, nommé Mezurolles, qui était cordelier en 1788 et qui avait jeté le froc aux orties dès le commencement de la Révolution, a composé une immense quantité d’ouvrages de différents genres. Ceux qui concernaient l’histoire soissonnaise méritent seuls d’être regrettés, quoique les autres annonçassent un homme d’esprit et d’érudition. On ignore le sort de ces travaux historiques et littéraires, qui ont occupé toute la vie de Mezurolles et dont aucun n’a vu le jour.

On sait seulement que ces manuscrits formaient plus de cent volumes in-folio et in-quarto; ils étaient encore dans les mains d’un habitant de Soissons, nommé Potaufeu, il y a quelques années (vers 1825); après la mort de l’auteur, trois ou quatre de ces manuscrits sont entrés dans la bibliothèque de sa ville natale, entre autres: un Abrégé d’histoire universelle, in-4; une Chronologie, et une Notice historique sur la ville de Soissons, in-folio. Mezurolles, qui a fait le premier catalogue de cette bibliothèque, n’est pas un bon écrivain, mais ses recherches sur les antiquités locales présentent de l’intérêt pour les personnes qui étudient l’histoire du Soissonnais. Ses autres manuscrits seraient donc bien placés dans la bibliothèque publique de Soissons.

XV

On savait autrefois, comme aujourd’hui, faire du pittoresque, c’est-à-dire appliquer un texte à des gravures, rassembler de vieux bois et les utiliser, au moyen d’une composition faite par un de ces manœuvres littéraires qui ont pris naissance avec la librairie et parmi lesquels on a eu le tort de confondre François de Belleforest, auteur de la Cosmographie universelle de tout le monde et des Annales de France.

Ainsi, les belles gravures de la Cosmographie de Thevet ont été employées de nouveau, en partie, dans les éditions latines et françaises des œuvres d’Ambroise Paré; mais la Prosopographie ou description des hommes illustres et autres renommés, enrichie de figures et médailles pour l’embellissement de l’œuvre (Lyon, par Paul Frelon, 1605; 3 vol. in-fol.); cette seconde édition d’un détestable ouvrage d’Antoine du Verdier, sieur de Vauprivas (qui n’en a pas fait de bons, excepté sa Bibliothèque françoise, qu’on réunit à celle de La Croix-du-Maine), avait été préparée par l’auteur, peu de temps avant sa mort, qui arriva en 1600, dans le but de rassembler en un seul cadre une foule de gravures sur bois, à demi usées, qui la plupart provenaient des anciens fonds de l’imprimerie lyonnaise. On a vu, par les planches d’Albert Durer reproduites à l’infini en Allemagne et qui se tirent encore de nos jours, qu’un bois taillé à la manière des vieux maîtres pouvait tirer plus de cent mille exemplaires.

Le libraire Paul Frelon, comme pour remplir les conditions de son nom, alla donc butiner dans les magasins de Jean de Tournes, de Gryphe et de Roville, afin de faire son édition pittoresque de la Prosopographie, revue, augmentée et continuée par Claude du Verdier, fils de l’auteur. Il n’avait plus tous les portraits de la première édition, mais il y suppléa, en insérant tour à tour, dans cette espèce d’abrégé chronologique de l’histoire universelle, les gravures carrées d’une Bible de Roville, les gravures ovales et rondes des Images des dieux des anciens, par le même Du Verdier; les médaillons des empereurs empruntés aux ouvrages de numismatique de Jacques Strada; les sujets d’un Novum Testamentum, publié par Gryphius; les médaillons des rois de France, tirés d’un autre ouvrage d’Antoine Du Verdier, intitulé: La Biographie et Prosopographie des rois de France jusqu’à Henri III, ou leurs vies brièvement descrittes et narrées en vers, avec les portraits et figures d’iceux (Paris, 1588, in-8), etc. Enfin, le libraire Frelon prit les figures de quelque Fleur des saints et certaines images isolées, avec lesquelles il illustra son livre, en remplaçant les portraits absents par des cadres vides, de diverses grandeurs et de différents dessins, accompagnés de fleurons hétéroclites.

Il y a, dans le premier volume, deux ou trois grandes planches qui appartenaient primitivement à une Bible et que l’éditeur a fait précéder d’une façon de préface telle que celle-ci: «Or, pour ce que nous avons souvent fait mention de la terre de Chanaan, promise de Dieu aux enfants d’Israël, où ils ont été introduits par Josué, nous avons estimé estre chose nécessaire et utile de la représenter comme la charte ou figure suivante le demonstre.» Suit une carte de la Terre de promission. Ailleurs (page 34), Paul Frelon établit au milieu de la page une magnifique tour de Babel, avec cette simple note: Et sa forme estoit telle que la figure suivante représente, sans s’apercevoir que cette figure est toute bariolée de lettres renvoyant à des explications qui se trouvaient dans l’ouvrage primitif et qui manquent dans celui-ci. Plus loin, l’habile Paul Frelon se garde bien de laisser perdre une belle planche, qui avait déjà fait son apparition dans quelque Bible: Et, afin de faire voir au lecteur, dit-il avec son charlatanisme ordinaire, l’ordre auquel marchoient les Enfants d’Israel lorsqu’estant sortis d’Egypte ils passèrent le chemin, nous avons fait tailler industrieusement la figure suivante.

On recueillerait bien des observations de ce genre dans les trois in-folio de la Prosopographie, qui montre aussi, par la magie de son nom gréco-français, que les libraires du XVIe siècle avaient deviné la magie des titres. Nous recommandons ce curieux et volumineux tour de force aux faiseurs de pittoresque.

XVI

On n’a pas encore nommé l’auteur d’un livre célèbre, publié au commencement de la Révolution et intitulé: Essai historique sur la vie de Marie-Antoinette d’Autriche, reine de France, pour servir à l’histoire de cette princesse. A Londres, 1789; in-8 de 79 p. Ce libelle, qui eut alors un immense succès et qui fut réimprimé plusieurs fois clandestinement, a été recherché et anéanti avec soin par ordre de la cour; les exemplaires qui ont échappé à cette destruction systématique ne sont pourtant ni rares ni chers. Quant à la seconde partie, plus rare que la première, elle pourrait bien ne pas être sortie de la même plume.

Dans l’introduction, l’éditeur, qui destinait cet Essai historique «à porter le repentir et le remords dans l’âme d’une femme coupable,» se défend de l’accusation de libelliste qu’on voudrait lui adresser, et déclare qu’il ne croit pas avoir dépassé les bornes de l’histoire; il dit que cet ouvrage anonyme a été trouvé à la Bastille, après la prise de cette forteresse, le 14 juillet 1789, et que c’est vraisemblablement le même manuscrit qui fut racheté à tout prix, au moment où il allait être publié, et qui avait alors pour titre: Les Passe-temps d’Antoinette.

Un vieux bouquiniste, fort bien instruit des particularités secrètes de la Révolution, dans laquelle il avait joué un assez triste rôle (je l’ai connu, en 1829, étalant ses livres sur le parapet du quai Malaquais, vis-à-vis de la rue des Saints-Pères), m’a plusieurs fois assuré que ce pamphlet, payé par le duc d’Orléans, était de Brissot, lequel fut mis à la Bastille pour l’avoir fait imprimer à Paris, chez Lerouge, sous la rubrique de Londres. Le bouquiniste me racontait qu’il avait coopéré lui-même à la saisie de l’édition, qu’on enleva du domicile de Brissot, pour la transporter au greffe de la Bastille. M. Laurence, graveur au Palais-Royal, avait connaissance personnelle de ce fait, très-important pour l’histoire littéraire et politique des causes de la Révolution. M. Laurence avait été attaché, en 1789, au cabinet particulier du lieutenant de police, et, par conséquent, il savait mieux que personne les motifs de la détention des prisonniers de la Bastille.

D’après cette indication, que mon bouquiniste appuyait de témoignages incontestables, nous avons, en effet, retrouvé le style déclamatoire et fleuri de l’avocat Brissot dans cette notice bourrée de calomnies, mais écrite avec esprit et agrément. M. de Montrol, dans les excellents Mémoires de Brissot qu’il a rédigés avec les documents fournis par la famille, donne une autre cause au dernier emprisonnement de ce publiciste, qui ne se faisait pas faute de lancer un pamphlet de plus ou de moins; celui que nous signalons ne paraît pas avoir été connu du rédacteur des Mémoires.

Nous avons entre les mains deux éditions de cette brochure, toutes deux offrant le même nombre de pages, mais différentes d’impression pour le papier comme pour les caractères: dans l’une, mieux imprimée que l’autre, l’introduction est en italiques et les notes sont en petit texte. Ce sont surtout ces notes qui trahissent Brissot: ses idées, ses haines, ses sentences, son anglicanisme, tout l’homme enfin, se montrent à chaque ligne. Mais on ne doit pas supposer que Brissot ait continué son ouvrage, auquel un misérable faiseur de romans obscènes (le marquis de Sade, dit-on) ajouta une seconde partie, sous ce titre: Essai historique sur la vie de Marie-Antoinette, reine de France et de Navarre, née archiduchesse d’Autriche le 2 novembre 1755; orné de son portrait et rédigé sur plusieurs manuscrits de sa main. De l’an de la liberté françoise 1789, à Versailles, chez la Montansier, hôtel des Courtisanes. Cette suite, dont il existe aussi plusieurs éditions, est peu commune.

On voit, par la liste des livres saisis qui étaient conservés au dépôt de la Bastille, sous le cachet de M. Lenoir, que cinq cent trente-quatre exemplaires de l’Essai historique sur la vie de Marie-Antoinette avaient été retirés de la circulation, où, sans doute, ils sont rentrés après la prise de la Bastille. On a prétendu que Marat était l’auteur du libelle, composé sous les auspices du duc d’Orléans, et que l’édition originale avait été fabriquée dans la cave où il imprimait en cachette son journal de l’Ami du peuple.

FIN.

TABLE DES MATIÈRES


Pages.
A mon ami Léopold Double V
Énigmes et découvertes bibliographiques 1
I. L’Énigme des Quinze Joies du Mariage 3
II. Recueil manuscrit de Chansons et motets, provenant de la bibliothèque de Diane de Poitiers 8
III. La Confrérie de l’Index et les Œuvres de Cyrano de Bergerac 19
IV. Marcel travesti en Mézerai 28
V. Les Mémoires du comte de Modène 33
VI. L’Abbé de Saint-Ussans et ses ouvrages 38
VII. Un Livre connu qui n’a jamais existé 46
VIII. Le Véritable Auteur de quelques ouvrages de Restif de la Bretonne 50
IX. Les Romans de J. Potocki 57
X. Les Manuscrits de Stanislas de l’Aulnaye 61
XI. Dénonciation faite au public sur les dangers du Jeu 71
Polémique bibliographique 79
I. Jacques Saquespée et Jean Certain 81
II. Ronsard et Colletet 89
III. Pierre du Pelletier et Pierre Guillebaud 99
IV. Isarn ou Ménage 107
V. Les Premiers Mémoires de Sanson 123
VI. Tabarin et le Bibliophile tabarinesque 136
Notices sur quelques livres rares 147
I. La Moralité de l’Aveugle et du Boiteux, et la farce du Meunier 149
II. La Condamnation de Bancquet 156
III. Le Vergier amoureux 165
IV. La Récréation ou Passe-temps des Tristes 171
V. Vasquin Philieul et son poëme sur les Échecs 179
VI. Le Sieur de Cholières et ses ouvrages 186
VII. Les Amours folastres et récréatives du Filou et de Robinette 193
VIII. Les Vaux de Vire d’Olivier Basselin 212
IX. La Muse folastre 234
X. Chansons folastres et prologues tant superlifiques que drolatiques des Comédiens françois 239
XI. La Satyre Ménippée, ou Thomas Sonnet, sieur de Courval 250
XII. Le Parnasse des Muses 258
XIII. Le Banquet des Muses 263
XIV. Les Délices de Verboquet 270
XV. L’Abus des nuditez de gorge 276
XVI. Les deux Muses du sieur de Subligny 281
XVII. Le Polissonniana de l’abbé Cherrier 293
Varia 301
I. Livres à l’index, en 1774 303
II. Prix des livres de théologie, en 1797 312
III. Plan d’une édition des opuscules d’Alexandre-Antoine Barbier 317
IV. Extrait d’une Correspondance littéraire 328
Table des matières 369

Au lecteur.

L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée, mais quelques erreurs clairement introduites par le typographe ou à l'impression ont été corrigées. Ces corrections sont soulignées en pointillés dans le texte. Placez le curseur sur le mot pour voir l'orthographe originale.

La ponctuation a été tacitement corrigée à quelques endroits.


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