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Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome II

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[ 398 Cependant madame de Montespan tâchoit de se soutenir encore le mieux qu'il lui étoit possible; elle avoit prié le grand Alcandre de vouloir du moins venir chez elle comme il avoit accoutumé, et elle tâchoit d'insinuer à tout le monde que son crédit étoit encore plus grand qu'on ne pensoit; que l'amour du grand Alcandre pour madame de Fontanges n'étoit qu'un amour passager et dont il seroit bientôt revenu; et qu'enfin il reviendroit à elle plus amoureux qu'il n'avoit jamais été. Ses partisans tâchoient d'ailleurs de donner quelque crédit à ces faux bruits; mais comme on voyoit que ce prince s'adonnoit entièrement à sa nouvelle passion, chacun rechercha les bonnes grâces de madame de Fontanges, qui procura des établissements aux uns et aux autres, de même qu'à la plupart de sa famille.]

Note 398: (retour) Le passage qui suit, entre crochets, a été intercalé encore dans les dernières éditions de l'histoire de mademoiselle de Fontanges, mais au début.

Madame de Montespan, voyant que le grand Alcandre se détachoit d'elle tous les jours de plus en plus, en conçut tant de rage qu'elle commença à médire publiquement de madame de Fontanges. Elle disoit à chacun qu'il falloit que le grand Alcandre ne fût guère délicat, d'aimer une fille qui avoit eu des amourettes dans sa province; qu'elle n'avoit ni esprit ni éducation, et qu'enfin, à proprement parler, ce n'étoit qu'une belle peinture. Elle en disoit encore mille autres choses aussi fâcheuses, ce qui, bien loin de ramener le grand Alcandre comme elle pensoit, le détourna encore davantage de revenir à elle. En effet, il lui voyoit toujours le même esprit d'orgueil qu'il n'avoit jamais pu humilier, et qui étoit encore tout prêt de lui faire mille algarades. Il s'en plaignit au prince de Marsillac, qui l'entretint dans l'aversion qu'il se sentoit pour elle, et qui en sut faire sa cour ensuite à madame de Fontanges.

Cependant cette fille vint à accoucher peu de temps après, et on prit ce temps-là, à ce qu'on croit, pour l'empoisonner 399, ce que l'on a attribué à madame de Montespan, soit qu'on s'imagine qu'une personne dans le chagrin où elle étoit dût se porter à un si grand crime, ou qu'on croie que, dans le poste où étoit madame de Fontanges, et ayant une rivale sur les bras, elle ne dût mourir que d'une mort violente. Quoi qu'il en soit, elle tomba dans une langueur incontinent après ses couches, dont il lui resta une perte de sang, ce qui empêcha le grand Alcandre de coucher davantage avec elle. Cependant il la visitoit souvent, lui témoignant le déplaisir où il étoit de l'état où il la voyoit réduite. Mais madame de Fontanges, qui se voyoit mourir tous les jours, le pria de permettre qu'elle se retirât de la cour, ajoutant en pleurant que la malice de ses ennemis étoit cause qu'elle ne devoit plus songer qu'à l'autre monde.

Note 399: (retour) Madame de Sévigné parle en effet d'une perte de sang continuelle qui avoit ruiné la santé de mademoiselle de Fontanges. Dans sa lettre du 1er mai 1680 elle dit même: «Vous savez tout ce que la fortune a soufflé sur la duchesse de Fontanges. Voici ce qu'elle lui garde: une perte de sang si considérable qu'elle est encore à Maubuisson, dans son lit, avec une fièvre qui s'y est mêlée. Elle commence même à enfler; son beau visage est un peu bouffi.» Cependant mademoiselle de Fontanges revint à la cour et retrouva une apparence de faveur. Mais le Roi ne quittoit pas madame de Maintenon, et mademoiselle de Fontanges, au dire de madame de Sévigné, ne cessoit de pleurer son bonheur perdu. Enfin la lettre du 1er septembre 1680 constate les soupçons d'empoisonnement: «On dit que la belle beauté a pensé être empoisonnée... Elle est toujours languissante.»

[ 400 Le grand Alcandre, qui étoit bien aise qu'elle donnât ordre aux affaires de son salut, et qui d'ailleurs étoit sensiblement touché d'être présent à ses souffrances, lui accorda ce qu'elle lui demandoit. Elle se retira dans un couvent au faubourg Saint-Jacques 401, où il envoyoit tous les jours savoir de ses nouvelles. Le duc de La Feuillade y alloit aussi deux ou trois fois la semaine la visiter de sa part, mais il n'en rapportoit jamais que de méchantes nouvelles; car cette pauvre dame, qui avoit toutes les parties nobles gâtées, soit de poison ou d'autre chose, se voyoit décliner tous les jours; de sorte que le duc de La Feuillade dit au grand Alcandre que c'en étoit fait et qu'il n'y avoit plus d'espérance. En effet, elle mourut peu de jours après, laissant encore plus de soupçon après sa mort d'avoir été empoisonnée qu'on n'en avoit eu pendant sa maladie: car l'ayant ouverte, on trouva qu'il y avoit de petites marques noires attachées aux parties nobles, lesquelles sont des témoignages indubitables, à ce que l'on prétend, qu'elle a été empoisonnée].

Note 400: (retour) Encore un passage intercalé dans l'histoire de mademoiselle de Fontanges, dans les mauvaises éditions.

Note 401: (retour) À l'abbaye de Port-Royal de Paris, où elle mourut.

Le grand Alcandre témoigna publiquement la douleur qu'il avoit de sa perte, et, voulant faire voir que l'estime qu'il avoit eue pour elle duroit encore après sa mort, il donna une abbaye à un de ses frères 402; il maria aussi une de ses sœurs 403 fort avantageusement, et fit encore quantité d'autres choses en faveur de sa famille 404. Madame de Montespan croyoit cependant que ce prince alloit revenir à elle; mais 405 elle fut tout étonnée de voir que madame de Maintenon 406 avoit toute sa confiance. Elle en fut au désespoir: car, comme c'étoit elle qui l'avoit faite ce qu'elle étoit, elle ne pouvoit souffrir que son propre ouvrage servît à la détruire elle-même.

Note 402: (retour) Louis Léger de Scorrailles, abbé de Valloire, mort en 1692.

Note 403: (retour) Catherine Gasparde, mariée à Sébastien de Rosmadec, lieutenant général de Bretagne, gouverneur de Nantes, brigadier et mestre de camp de cavalerie.

Note 404: (retour) Par exemple, il donna l'abbaye de Chelles à Jeanne de Scorrailles, qui étoit religieuse à Faremoustier, et qui fut bénite abbesse le 25 août 1680. Madame de Sévigné parle du voyage que fit à Chelles madame de Fontanges, pour assister à la cérémonie d'installation de sa sœur: «Madame de Fontanges est partie pour Chelles; assurément je l'irois voir si j'étois à Livry. Elle avoit quatre carrosses à six chevaux, le sien à huit. Toutes ses sœurs étoient avec elle, mais tout cela si triste qu'on en avoit pitié: la belle perdant tout son sang, pâle, changée, accablée de tristesse, méprisant quarante mille écus de rente et un tabouret qu'elle a, et voulant la santé et le cœur du Roi qu'elle n'a pas.» (Lettre du 17 juillet 1680.)

Note 405: (retour) Le passage qui suit, entre crochets, a été encore introduit textuellement dans l'histoire de mademoiselle de Fontanges. On y retrouve aussi les lignes qui précédent, mais légèrement modifiées.

Note 406: (retour) Madame de Maintenon aura plus tard son historiette.

Ce qui la chagrinoit encore davantage, c'est qu'elle ne croyoit pas qu'il entrât aucune foiblesse dans leur intelligence, qui devoit être par conséquent de plus longue durée, puisqu'elle ne dépendoit point d'un amour passager, qui commence et finit souvent tout en un même jour. En effet, elle a vu que la confiance que le grand Alcandre a prise en cette dame subsiste encore aujourd'hui, et qu'au contraire l'amour qu'il a eu pour elle a dégénéré en une espèce de mépris. Cependant il ne lui en fait rien paroître, sachant qu'une certaine honnêteté de bienséance est toujours le reste de l'amour d'un honnête homme, qui en use ainsi plutôt pour sa propre réputation, que pour conserver encore quelque sentiment de tendresse.

Il sembloit que, le grand Alcandre ayant renoncé à l'amour, chacun y dût renoncer de même, et que les dames, à l'exemple de madame de Montespan, qui fait maintenant la prude, dussent être prudes aussi; mais leur tempérament et leur inclination l'emportant par dessus toutes sortes de raisons, elles continuent toujours la même vie. La duchesse de La Ferté surtout est plus emportée que jamais dans ses plaisirs. La duchesse de Vantadour, sa sœur, n'en est pas moins friande, quoiqu'elle fasse ses affaires avec plus de discrétion et de conduite. Pour ce qui est de la maréchale de La Ferté, elle est à qui plus donne, et est revêtue d'une si grande humilité, depuis certains malheurs qui lui sont arrivés, semblables à ceux que j'ai rapportés de sa belle-fille, qu'elle a fait vœu de ne refuser personne, pourvu qu'il ait de l'argent. Ses débauches, qui vont jusqu'à l'excès, feroient un gros volume, si on se donnoit la peine de les écrire. On en verra un échantillon dans un manuscrit qui m'est tombé entre les mains 407 et où on lui rend justice, aussi bien qu'à une autre dame 408 de son calibre 409. On y verra quelques aventures qui ont du rapport avec celle-ci; mais comme c'est une autre main qui a fait son histoire, on la donnera au public telle qu'on l'a reçue.

Note 407: (retour) C'est le pamphlet connu sous le titre de: les Vieilles amoureuses.

Note 408: (retour) Madame de Lionne.

Note 409: (retour) C'est par ces mots que finit, dans les éditions de pacotille, l'histoire de mademoiselle de Fontanges.

[ 410 Pour ce qui est de mademoiselle de Montpensier, après avoir pleuré pendant dix ans entiers la prison de M. de Lauzun, enfin elle a trouvé moyen d'obtenir sa liberté: car, considérant que tous les biens du monde ne sont rien en comparaison de son contentement, elle a apaisé la colère du grand Alcandre moyennant la principauté de Dombes et la comté d'Eu qu'elle a assurées au duc du Maine, son fils naturel. Par ce moyen-là M. de Lauzun est revenu, non pas à la cour, mais à Paris, où il est obligé de vivre en homme privé. En effet, le grand Alcandre n'a pas voulu permettre que son mariage se déclarât; mais il est si souvent chez la princesse, que c'est tout de même que s'il y logeoit. Cependant elle en est si jalouse, qu'il voudroit bien n'avoir jamais songé à elle 411 . Elle a mis des espions auprès de lui, et il n'ose faire un pas qu'elle n'en soit avertie. Ainsi, l'on peut dire de lui qu'en sortant d'une prison il est rentré dans une autre, qui ne lui semble pas moins rude. Elle lui a donné deux terres 412 , du consentement du grand Alcandre; mais c'est tout ce qu'elle a fait pour lui, car elle ne sauroit lui donner un sou, ayant perdu tout son crédit par ce mariage, personne ne lui voulant plus prêter d'argent, de peur qu'on ne dise un jour à venir qu'étant en puissance de mari elle n'a pu emprunter valablement. C'est ce qui fait qu'il y a bientôt quatre ou cinq ans qu'elle a commencé à bâtir sa maison de Choisi 413 , sans qu'elle soit achevée, car il faut qu'elle prenne cette dépense sur son revenu. Mais elle se consoleroit encore de tout cela, si M. de Lauzun étoit le même qu'il a été autrefois, je veux dire s'il étoit toujours aussi brave homme avec les dames qu'il l'étoit dans le temps de sa faveur. Mais on dit que c'est maintenant si peu de chose, qu'on auroit peine à juger de ce qu'il a été autrefois par ce qu'il est aujourd'hui. Cependant, c'est un défaut qui lui est commun avec beaucoup d'autres: car on sait par expérience qu'il faut que toutes choses prennent fin. C'est pour cela aussi que la princesse dit aujourd'hui que celui-là a menti bien impudemment, qui a dit le premier que tout bon cheval ne devient jamais rosse.]

Note 410: (retour) Le passage qui suit, jusqu'à la fin, manque dans les éditions qui ont pillé cette histoire au profit de celle de mademoiselle de Fontanges.

Note 411: (retour) Mademoiselle de Montpensier se plaint souvent de Lauzun, qui, à son retour de Pignerolles, affecte de faire l'empressé auprès des dames et se montre d'une avidité insatiable. Voy. surtout t. 7, p. 53 et suiv., édit. citée.

Note 412: (retour) «Le roi permit que je donnasse du bien à M. de Lauzun. D'abord il fut dit de lui donner Châtellerault et quelques autres de mes terres du voisinage. Il n'en voulut pas; il aima mieux le duché de Saint-Fargeau, qui étoit alors affermé 22,000 livres, la ville et baronnie de Thiers, en Auvergne, qui est une des plus belles terres de la province, de la valeur de 8,000 livres, et 10,000 livres de rente par an sur les gabelles du Languedoc. Au lieu d'être content, il se plaignit que je lui avois donné si peu qu'il avoit eu peine à l'accepter.»

Note 413: (retour) Cette maison, que mademoiselle de Montpensier acheta du président Gontier, quand ses créanciers le forcèrent de la vendre, fut en effet longtemps en construction. Mais le luxe qu'y déploya Mademoiselle ne pouvoit s'improviser, et, par la description qu'elle en fait (t. 7, p. 31 et suiv.), on comprend qu'elle ait été plusieurs années avant de la voir terminée.


FIN DU TOME II.










TABLE DES MATIÉRES

CONTENUES DANS CE VOLUME.

Préface.
Les agrémens de la jeunesse de Louis XIV, ou son amour pour mademoiselle de Mancini.
Le Palais-Royal, ou les Amours de madame de La Vallière.
Histoire de l'amour feinte du Roi pour Madame.
La déroute et l'adieu des filles de joye.
Regrets des filles d'honneur à madame de La Vallière.
La Princesse, ou les Amours de Madame.
Le Perroquet, ou les Amours de Mademoiselle.
Junonie, ou les Amours de madame de Bagneux.
Les fausses prudes, ou les Amours de madame de Brancas et autres dames de la cour.
La France galante, ou Histoires amoureuses de la cour (madame de Montespan, mademoiselle de Montpensier, etc.).



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