Histoire d'Attila et de ses successeurs (1/2): jusqu'à l'établissement des Hongrois en Europe
CHAPITRE SIXIÈME
Successeurs d'Attila.--Aventures des Ouar-Khouni; ils sont sujets des Avars.--Les Turks les emmènent en captivité.--Leur fuite.--Ils prennent le nom d'Avars.--Leur ambassade à Justinien qui les reçoit à sa solde.--Ils subjuguent les Outigours et les Coutrigours au nom des Romains.--Leur arrivée sur les bords du Danube; ils demandent des terres en Mésie.--Le grand kha-kan des Turks les réclame comme ses esclaves fugitifs: leur fraude est découverte.--Leurs ambassadeurs sont joués par Justinien.--Les Avars se rejettent sur les Slaves qu'ils soumettent jusqu'aux montagnes de la Thuringe.--Ils rencontrent les Franks et sont battus.--Leur retour sur le Bas-Danube.--Mort de Justinien.--Caractère de Justin II.--Caractère de Baïan kha-kan des Avars.--Audience de Justin aux ambassadeurs des Avars; il les repousse arrogamment.--Nouvelles querelles entre les Lombards et les Gépides.--Alboïn appelé en Italie par Narsès, veut anéantir d'abord la nation des Gépides.--Il s'allie avec Baïan.--La Gépidie conquise par les Avars reprend son nom de Hunnie.--Baïan réclame des Romains la possession de Sirmium; fermeté du duc Bonus.--Entrevue de ce duc et de Baïan.--Revers des Romains en Pannonia.--Justin tombe en démence et meurt.--Menaces de Turxanth à l'ambassadeur Valentinus au sujet des Ouar-Khouni.--Baïan se procure une flotte.--Il construit un pont de bateaux devant Sirmium.--Opposition du gouverneur romain de Singidon.--Baïan jure d'abord au nom de ses dieux, puis au nom du Dieu des chrétiens qu'il ne veut pas prendre la ville.--Ambassade avare à Constantinople.--Discours insolent de Solakh.--Siége de Sirmium.--Cent mille Slovènes appelés par Baïan s'abattent sur la Mésie et la Thrace.--Tibère abandonne Sirmium aux Avars.
557--582.
La vie des peuples nomades, mobilisée pour ainsi dire dans le désert et soumise à un perpétuel flux et reflux de fortune, a quelque chose de l'imprévu qui s'attache aux aventures de la vie individuelle. Leur histoire est souvent un roman. Telle fut au plus haut degré celle des Huns-Avars, qui, s'incorporant les débris des premiers Huns, relevèrent le trône d'Attila sur les bords du Danube, amenèrent Constantinople et la Grèce à deux doigts de leur ruine, et après avoir effrayé l'Europe par une résurrection de l'empire hunnique, finirent par tomber sous l'épée de Charlemagne, ajoutant, comme leurs prédécesseurs, tombés sous celle d'Aëtius, une page glorieuse à nos annales.
Avar n'était point leur nom; ils s'appelaient Ouar, mot auquel s'ajoutait communément celui de Khouni, qui indiquait leur origine hunnique859. Effectivement les Ouar-Khouni étaient Huns du rameau oriental, et compris dans cette masse de tribus qui, sous le nom d'Ougour ou Ouigour, parcouraient, aux Ve et VIe siècles, les grands espaces au nord de la mer Caspienne et, à l'est du Volga. Les Ouar-Khouni avaient été jadis puissants entre toutes ces tribus; ils avaient eu leur période d'expansion et de gloire, puis, à une époque qu'on ne saurait bien déterminer, ils avaient subi le joug de conquérants d'une autre race, qui étendirent leur domination sur toute l'Asie centrale depuis la frontière chinoise jusqu'aux limites de l'Europe. Ces conquérants étaient les Avars860. Tous les peuples de la Haute-Asie obéirent à cette nation redoutable ou se turent devant elle; mais nulle part la fortune n'est plus fragile et plus passagère que dans ces solitudes sans bornes, condamnées par la nature à être le domicile des peuples pasteurs: une des nations vassales des Avars se souleva contre eux, les dispersa, les vainquit, et s'empara de tout le pays qu'ils avaient possédé. C'étaient les Turks, dont le nom apparaît alors dans l'histoire pour la première fois. Leur domination eut pour siége les monts Altaï, et leur souverain, qui prenait le titre de «grand kha-kan, roi des sept nations et seigneur des sept climats du monde861,» dressa sa tente impériale dans les vallées de la Montagne d'Or. Pour s'assurer la soumission des anciens vassaux des Avars, le kha-kan des Turks voulut visiter les bords du Volga et se montrer dans tout l'éclat de sa puissance aux populations ougouriennes. Sa visite fut sanglante, car, s'il en faut croire les historiens, ces peuples ayant voulu lui résister, trois cent mille hommes périrent par les mains des Turks, et leurs cadavres couvrirent la terre sur une longueur de quatre journées de chemin862. Frappée et vaincue comme les autres, la nation des Ouar-Khouni fut emmenée en captivité.
Note 859: (retour) On verra plus bas comment ils se firent passer pour des Avars, et comment leur fraude ayant été reconnue, ils reçurent des Grecs le nom de Pseudabares, faux Avars:--Nimirum etiam usque ad nostram ætatem Pseudabares (sic enim magis proprie appellari debent) generis origine distincti; alii Var, alii Chunni (Οὐὰρ καὶ Χουννί) veteri nomine dicuntur. Theophylact. On trouve le vrai nom de ce peuple sous les formes Ouar ou Var et Chouni, Var et Chunni, et fréquemment sous celle de Varchonitæ. Les Grecs, suivant leur usage constant d'expliquer les étymologies des noms de peuples par des noms d'hommes, nous disent que Ouar et Kheounni étaient deux chefs d'où ces tribus tirèrent leur dénomination. Il est plus raisonnable d'y voir une indication ethnographique.
Internés dans un coin de ces déserts, les Ouar-Khouni auraient pu se consoler par le spectacle d'une plus grande infortune, celui de leurs anciens maîtres, les Avars, dont les restes, traqués de toutes parts, trouvaient à peine un asile chez les peuples les plus éloignés; mais ils n'avaient point tant de philosophie, et dans leur désir de la liberté, ils ne se donnèrent ni paix ni trêve, qu'ils n'eussent trouvé les moyens de s'enfuir. Bien des années s'écoulèrent dans l'attente. Un jour enfin, profitant du moment propice, leur principale horde, qui comptait deux cent mille têtes863, attela ses chariots et partit dans la direction du soleil couchant. Elle laissait derrière elle trois autres tribus, les Tarniakhs, les Cotzaghers et les Zabenders, qui ne voulurent ou ne purent pas la suivre864. La peur donna des ailes aux Ouar-Khouni. Devenus terribles dans leur fuite, ils culbutent tout ce qui s'oppose à leur passage: les Sabires sont rejetés sur les Ougours et les Hunnougours, les Saragours sur les Acatzires, et ceux-ci vont se choquer contre les Alains865. Chaque peuple en mouvement en déplaçait d'autres, qui se précipitaient sur leurs voisins. La comparaison d'une fourmilière en désordre rendrait à peine l'idée de ces masses d'hommes, de troupeaux, de chars errant pêle-mêle, se poussant, se croisant, se heurtant dans les plaines du Volga, du Khoubah et du Don.
Ce qui rendait la frayeur plus grande, c'est que tous ces peuples croyaient avoir affaire aux Avars à cause de la similitude de ce nom avec celui des Ouars; d'ailleurs les nouveaux arrivants portaient un des signes distinctifs des races intérieures de l'Asie et en particulier de la race turke: leurs cheveux pendaient sur leurs épaules en deux longues tresses entrelacées et retenues avec des rubans, ornement étranger aux Huns, dont les cheveux étaient courts et complétement rasés sur le front. Les Ouar-Khouni avaient adopté cette mode pendant leur captivité chez les Turks. Voyant qu'on les prenait pour des Avars, ils se gardèrent bien de détruire une erreur qui leur était si favorable; ils reçurent au contraire, comme leur étant dus, les présents de beaucoup de tribus et toutes les marques de soumission que ce nom jadis redouté inspirait toujours866. Tandis qu'ils erraient ainsi de lieu en lieu sans savoir où se fixer, l'idée leur vint de s'adresser aux Romains, dont la richesse excitait la convoitise de tous les barbares, et à qui ils espérèrent bien arracher, comme tant d'autres, des terres et de l'argent. Leur kha-kan (c'est le titre que prit leur chef, à l'imitation des rois de l'Asie intérieure, et pour compléter la transformation des Ouar-Khouni en Avars867), leur kha-kan s'adressa dans cette pensée à Saros, roi des Alains, qui se piquait d'être bien vu à la cour de Constantinople, et Saros désireux d'éloigner de lui ce terrible voisinage, promit de mettre les Avars en «connaissance et amitié» avec le grand empereur des Romains868. Le gouverneur de la province de Lazique, au midi du Caucase, informé par ses soins, demanda les ordres de Justinien, dont il était le neveu. Justinien répondit qu'on devait laisser passer librement les ambassadeurs qui se présenteraient de la part du kha-kan des Avars, et sur cette assurance, celui-ci dépêcha à Constantinople un de ses officiers, appelé Kandikh, avec un cortége considérable.
Le nom des Avars, leur ancienne puissance et leurs revers étaient parfaitement connus des Romains d'Orient, et la nouvelle que ce vaillant peuple, échappé au joug des Turks, venait d'arriver dans les plaines du Caucase et envoyait une ambassade à Constantinople, excita un intérêt universel. On courut de toutes parts sur les routes pour voir passer les ambassadeurs, et quand ils firent leur entrée dans la ville, les fenêtres et les toits des maisons, les rues et les places étaient encombrés de curieux. On remarqua que leur costume était celui des Huns, leur langage celui des Huns, attendu qu'ils avaient pour truchement l'interprète ordinaire de ce peuple; mais ce qui surprit les yeux comme une nouveauté, ce furent ces deux tresses flottantes qui leur tombaient jusqu'au milieu du dos869 et que les poëtes romains comparèrent à de longues couleuvres. Les Ouar-Khouni ayant accepté nettement leur rôle d'Avars, les ambassadeurs s'étaient préparés à le soutenir jusqu'au bout, et Kandikh, prenant une attitude qu'il crut convenir à son personnage, prononça à l'audience impériale ce discours passablement arrogant: «Empereur, dit-il à Justinien, une nation vaillante et nombreuse, la plus nombreuse et la plus vaillante de l'univers, vient se livrer à toi. Ce sont les Avars, race invaincue et invincible, capable d'exterminer tous les ennemis de l'empire romain et de lui servir de bouclier. Ton intérêt étant de faire société d'armes avec une pareille nation, et de te l'attacher à tout jamais comme auxiliaire, nous t'offrons notre alliance, pour laquelle il ne faudra que deux choses, faire aux Avars des présents dignes d'eux, leur payer annuellement une pension, et leur concéder de bonnes terres où ils puissent s'établir en paix870.» Justinien plus jeune et moins accablé par les calamités publiques (on était alors dans la funeste année 557, au milieu de la peste et des tremblements de terre) aurait su relever ce que ces paroles renfermaient d'irrespectueux et d'outrecuidant, mais il se contenta de répondre qu'il aviserait, et l'audience fut levée. Le sénat, dont il voulut avoir l'avis, le pria de suivre son inspiration personnelle, toujours si salutaire à la chose publique, et l'empereur fit délivrer aux ambassadeurs, comme gage de bon vouloir, des cadeaux du genre de ceux qui plaisaient aux Orientaux, savoir des chaînes d'or émaillé dans la forme de celles dont on liait les captifs, des lits d'or sculptés propres à servir de couche et de trône, de riches vêtements et des étoffes de soie brochées d'or871. Il les congédia ensuite en leur annonçant qu'ils seraient suivis de près par un officier nommé Valentinus, porteur de ses instructions pour leur kha-kan.
Note 869: (retour) Gens insolens atque incognita Constantinopolim advenit... Ad ejus spectaculum, quod nusquam visi fuissent hujus formæ homines, cuncta urbs effusa est... Comas siquidem a tergo longas admodum tæniis revinctas et implexas gestabant, reliquus licet habitus hunnico simillimus conspiceretur. Theophan. Chronogr., p. 196.--Colubrimodis Avarum gens nexa capillis. Coripp., Laud. Justin. Min.
Note 870: (retour) Adesse gentem omnium maximam et fortissimam, Avares, genus hominum invictum qui ejus omnes hostes repellere et funditus extinguere possent. Illius rationibus valde conducere cum eis armorum societatem facere et auxiliarios optimos sibi adsciscere qui tamen non alia conditione servirent, quam si donis pretiosis, annuis etiam stipendiis et fertili regione quam habitarent, donarentur. Menand., Exc. leg., p. 101 et 102.
Note 871: (retour) Imperator dona ad legatos misit, catenas auro variegatas et lectos et sericas vestes et alia quamplurima quibus leniret et demulceret animos superbiæ et insolentiæ plenos. Menand., Exc. leg., p. 101.--Erant autem catellæ auro variegatæ quasi ad vinciendos fugientes comparatæ... Id., ibid.
Valentinus était chargé au nom de l'empereur de négocier avec le kha-kan, le paiement d'une subvention annuelle à la condition que celui-ci ferait une rude guerre à tous les ennemis de l'empire du côté du Caucase: il devait promettre aussi des cadeaux conformes à la dignité de ce chef, mais ne point parler de concession de terres, ou ne s'expliquer sur cet article, que d'une façon ambiguë, évitant de rien promettre ni refuser. L'affaire urgente aux yeux de l'empereur était de tourner l'activité dangereuse des Avars contre les ennemis de sa frontière d'Orient. L'historien grec Ménandre loue à ce propos la sagacité de Justinien, et nous révèle un point caché de sa politique: c'est qu'il se souciait assez peu que les Avars fussent vainqueurs dans la lutte qu'il provoquait, attendu que l'empire aurait presque également à gagner, soit qu'ils fussent battants, soit qu'ils fussent battus. Quant au chef des Ouar-Khouni, se mettant consciencieusement à l'œuvre, il assaillit d'abord les Hunnougours, puis les Huns-Ephthalites, et ensuite les Sabires, qu'il faillit exterminer872. Des rivages de la Mer-Caspienne, qu'habitaient ces peuplades, passant à ceux de la Mer-Noire, il se jeta sur les Outigours, en guerre alors avec les Coutrigours, et sans s'inquiéter si les premiers étaient amis et les seconds ennemis des Romains, il les traita exactement de la même façon: déjà affaiblies par leurs guerres acharnées, les deux hordes succombèrent presque sans résistance, et leurs débris incorporés allèrent grossir la horde des Ouar-Khouni. Maître des rives du Dniéper, le kha-kan se trouva en face des Antes, qui essayèrent de l'arrêter, mais qui furent battus. Un incident de cette guerre montra le peu de respect qu'avaient les Ouar-Khouni pour le droit des gens observé pourtant par les nations les plus sauvages. Les Slaves, voulant traiter du rachat de leurs prisonniers et sonder les dispositions de l'ennemi au sujet de la paix, lui avaient député un certain Mésamir, beau parleur, bouffi de vanité, mais qui jouissait d'un grand crédit chez les siens. Mésamir aborda le kha-kan avec un discours plein d'arrogance et de menaces, et qui ressemblait plus à une déclaration de guerre perpétuelle qu'à une offre de paix. Le kha-kan restait tout interdit, quand un de ses intimes conseillers, que l'histoire appelle Cotragheg ou Coutragher, et qui pouvait bien être un des chefs coutrigours entrés dans le conseil des Avars, le prit en particulier et lui dit: «Cet homme-ci exerce dans son pays par son bavardage une autorité toute-puissante; s'il veut que les Slaves te résistent, ils te résisteront tous jusqu'au dernier. Tue-le et jette-toi ensuite sur eux, c'est ce que tu as de mieux à faire873.» Le kha-kan trouva ce conseil bon, et fit tuer Mésamir sans souci du titre d'ambassadeur qui rendait cet homme inviolable.
Les Ouar-Khouni avaient ainsi tourné la Mer-Noire, et, descendant à travers les plaines pontiques, de proche en proche ils arrivèrent au Danube. On était alors en 562, et il y avait cinq ans qu'ils guerroyaient ou prétendaient guerroyer pour le service de Rome. Leur avant-garde, lancée avec ardeur, passa le delta du fleuve, et pénétra dans la petite Scythie874; mais le kha-kan fit halte avec le gros de l'armée sur la rive gauche, où il planta ses tentes et dressa son camp de chariots; en même temps il faisait demander à l'officier qui commandait les postes romains de la rive droite qu'on lui montrât les terres que l'empereur Justinen lui avait destinées875. Fort embarrassé de répondre, l'officier l'engagea à s'adresser directement à l'empereur au moyen d'une ambassade qu'il se chargeait de faire parvenir à Constantinople, et le kha-kan y consentit. Au nombre des personnages qui composèrent l'ambassade se trouva un certain Œcounimos, qu'à la physionomie de son nom on peut prendre pour un Grec des villes politiques, enlevé peut-être par les Avars, auxquels il servait d'interprète. Cet Œcounimos, pour reconnaître le bon accueil de l'officier romain, le prévint secrètement qu'il avait à faire bonne garde, car, suivant ses propres expressions, «les Avars avaient une chose sur les lèvres et une autre chose dans le cœur876.» Ne sachant pas bien quelle résistance les Romains pouvaient leur opposer, ils cherchaient à franchir le Danube sans combat; mais une fois de l'autre côté, ils n'en sortiraient plus. L'officier se hâta d'expédier cet avis à l'empereur, et sa lettre trouva la cour de Constantinople déjà bien renseignée sur le compte des prétendus Avars, dont on connaissait l'origine, la fuite et toutes les impostures: or voici à quelle aventure bizarre Justinien devait ces révélations, qui lui venaient des Turks eux-mêmes. Les anciens maîtres des Ouar-Khouni, en apprenant la fuite de leurs vassaux, étaient entrés dans une violente colère, et le grand kha-kan s'était écrié en étendant la main: «Ils ne sont pas oiseaux pour s'être envolés dans l'air; ils ne sont pas poissons pour s'être cachés dans les abîmes de la mer; ils sont sur terre, et je les rattraperai.» Suivant les fugitifs à la piste, il avait découvert successivement leur changement de nom, leur passage en Europe et leur alliance avec les Romains, dont ils se vantaient d'obtenir des terres. Ce fut alors contre l'empereur des Romains, coupable d'avoir donné assistance et refuge à ces misérables, que se tourna la colère des Turks, et le grand kha-kan, seigneur des sept climats du monde, fit partir pour Constantinople des ambassadeurs chargés de réclamer, non pas les Avars qui étaient subjugués dans l'intérieur de l'Asie, mais les Ouar-Khouni, vassaux de ces mêmes Avars, vassaux des Turks, et de faire sentir à l'empereur combien il s'était abaissé en prenant pour amis les esclaves de leurs esclaves. Ce fut ainsi que le mystère se dévoila. La chancellerie romaine, honteuse probablement de s'être ainsi laissé prendre, s'épuisa en explications de toute sorte et en protestations d'amitié vis-à-vis des Turks que l'on combla de cadeaux et de promesses. Justinien jeta même à cette occasion les fondements d'une alliance offensive des deux peuples contre la Perse, alliance qui se réalisa plus tard. Cette aventure, comme on le pense bien, diminua considérablement le crédit des Ouar-Khouni auprès du gouvernement impérial, qui dissimula pour le moment, attendu que les barbares étaient là sur le Danube, dans une position à ménager; toutefois on se réserva le droit de les appeler en temps et lieu menteurs et faux Avars877, et les poëtes de la cour limèrent déjà des vers dans lesquels on les menaça de couper «les sales tresses de cheveux» qu'ils se permettaient de porter à la manière des Avars et des Turks, quoiqu'ils ne fussent que des Huns878.
Note 876: (retour) Justinus autem sibi unice conciliaverat ex legatis Œconimum, qui secreto eum monuit, Avaros aliud in ore habere et aliud sentire.... Etenim simul atque Istrum transmiserint, nihil quidquam illis esse deliberatius, quam omnibus copiis in bellum erumpere. Menand., Excerpt. legat., p. 101.
L'ambassade des Ouar-Khouni, auxquels, malgré leur imposture, nous laisserons le nom d'Avars, qu'ils ont conquis par leur bravoure et sous lequel leur domination fut connue en Europe, arrivant en de telles circonstances à Constantinople, y fut accueillie avec une froideur et une défiance fort naturelles. On lui fit attendre longtemps l'honneur d'être introduite en la présence sacrée de césar, puis on lui fit attendre sa réponse; en un mot, on s'étudia à la promener de délai en délai pour les moindres choses. Quand ces hommes fiers et impatients s'irritaient des lenteurs, Justinien les calmait par des présents, des paroles flatteuses ou des promesses qui n'aboutissaient à rien, mais qui retardaient une déclaration de refus que l'empereur ménageait pour la fin. Le kha-kan se laissa d'abord abuser comme ses députés; puis, soupçonnant la manœuvre des Romains, il rappela son ambassade, que l'on retint pourtant encore de prétextes en prétextes. Lorsque Justinien se trouva poussé dans ses derniers retranchements, il parut céder, et proposa au kha-kan d'échanger la petite Scythie, que celui-ci avait sous la main, contre le canton occupé naguère par les Hérules dans la Haute-Mésie, autour de Singidon, et que ce peuple avait laissé vacant à son départ pour l'Italie879. Ce canton, resserré entre les possessions des Gépides et des Lombards, barré au midi par l'empire et dominé par la ville de Singidon, où stationnait une garnison nombreuse, présentait un territoire facile à isoler; le kha-kan le sentit bien et déclina l'offre de l'empereur. «La Scythie lui convenait, disait-il, et il n'en sortirait pas880;» elle lui convenait surtout en ce qu'elle n'interrompait point ses communications avec les pays qu'il avait conquis à l'est et à l'ouest de la Mer-Noire. Cette dernière proposition rejetée, il fallut bien laisser partir les ambassadeurs. Justinien les avait autorisés à se fournir à Constantinople de toutes les marchandises qui pourraient leur plaire, mais il apprit qu'ils avaient accaparé sous main une grande quantité d'armes. Au nom du droit des gens, il les fit arrêter sur la route, leur enleva les armes881 et s'exhala en plaintes contre leur mauvaise foi. Grâce à tous ces retards, le maître des milices d'Illyrie avait eu le temps de réunir des troupes, d'approvisionner les forteresses, d'équiper la flotte, en un mot de mettre le Danube en un état de défense respectable. Le kha-kan s'aperçut qu'il avait rencontré plus habile et plus rusé que lui, et comme il n'osait pas s'aventurer armes en main dans un pays inconnu, il se contenta de répondre aux plaintes par des menaces. Seulement il assit ses campements d'une manière stable dans les plaines au nord du Danube, surveillant de là ses conquêtes, et ayant par la petite Scythie un pied posé sur l'empire romain.
Les Antes, mal soumis, s'étaient livrés à des hostilités contre lui, il leur fit une nouvelle guerre dans laquelle il les écrasa. Des Antes il passa aux Slovènes, des Slovènes aux Vendes: la terreur précédait ses armes toujours victorieuses. Il traversa ainsi la Slavie de l'est à l'ouest jusqu'aux montagnes de la Thuringe, où il se trouva en face d'un adversaire tout autrement redoutable que ces essaims de sauvages qu'il chassait jusqu'alors devant lui: c'étaient les Franks austrasiens, dont les possessions, englobant l'ancien royaume de Thuringe, s'étendaient jusqu'à l'Elbe, où elles confinaient aux Saxons, et déjà aux populations vendes qui s'avançaient vers le midi par un accroissement régulier. Clotaire, fils de Clovis, était mort l'année précédente, 561, et dans le partage de sa succession, qui renfermait l'empire frank tout entier, le royaume d'Austrasie venait d'échoir à Sigebert, le quatrième de ses enfants. Le jeune Sigebert accourut au-devant des Avars, dont l'approche menaçait sa frontière, et les défit au delà de l'Elbe, dans une grande bataille, à la suite de laquelle le kha-kan proposa une paix que le roi frank ne refusa pas, tant sa victoire avait été rudement achetée882. Revenus chez eux par le même chemin, mais harcelés vraisemblablement dans leur marche par les Gépides, qui ne voyaient pas leur voisinage de trop bon œil, les Avars reprirent leurs cantonnements du Bas-Danube, au moment même où un grand changement allait s'opérer dans la situation de l'empire romain: Justinien était mourant, et son neveu Justin ne tarda à pas le remplacer sur le trône des césars.
Note 882: (retour) Post mortem Chlotarii regis, Chunni Gallias adpetunt, contra quos Sigebertus exercitum dirigit, et gesto contra eos bello vicit, et fugavit: sed postea rex eorum amicitias cum eodem per legatos meruit. Greg. Tur., Hist. Fr., IV, 23.--Comperta, Hunni qui et Avares, morte Chlotarii regis, super Sigebertum ejus filium irruunt, quibus ille in Thuringia occurrens, eos juxta Albim fluvium potentissime superavit eisdemque petentibus pacem dedit. Paul. Diac., l. II, c. 10.
L'avénement de Justin II fut plus qu'un changement de personnes, ce fut une révolution complète soit dans la politique vis-à-vis des Barbares, soit dans l'administration intérieure. Élevé avec beaucoup d'apparat, comme un candidat possible au trône, ce fils de la sœur de Justinien n'avait retiré des écoles que le goût de la déclamation, des idées fausses sur le monde, et avec l'estime la moins dissimulée de son propre mérite, une secrète et âpre jalousie contre son oncle, dont la gloire l'offusquait. Ce fut la plaie hideuse qu'il couvait dans son sein, qui le tua, et qui emporta l'empire avec lui. Tout ce qu'avait créé ce grand règne fut dès lors abandonné ou compromis; avoir coopéré à sa grandeur devint une cause naturelle de discrédit pour les hommes, de ruine pour les choses; et la flatterie la plus douce au cœur du nouvel Auguste fut de dénigrer son bienfaiteur. L'impératrice Sophie, femme vaniteuse et cruelle, le secondait avec ardeur dans cette œuvre d'ingratitude. On avait trouvé mauvais que Justinien, durant ses dernières années, fît la guerre aux Barbares d'Asie avec de l'or, comme s'il n'avait pas montré contre les Vandales et les Goths qu'il la faisait assez bien avec du fer; c'était là l'accusation banale des malveillants et des envieux, qui proclamaient sans vergogne que le second fondateur de l'empire et le libérateur de Rome n'avait pas eu le cœur romain. Justin II prenant ces sottes clameurs pour point de départ de sa politique, se posa devant les Avars comme Marius devant les Teutons, et parla aux Perses le langage de Trajan: par malheur ce Trajan manquait de génie, et ce Marius de soldats. Il crut payer le monde, comme il se payait lui-même, avec un patriotisme d'école. A force d'outrecuidance et de paroles hautaines que rien ne soutenait, il arma contre l'empire romain toutes les nations barbares, et à force d'ingratitude envers les serviteurs de Justinien, il perdit la plus belle conquête de ce grand empereur, celle de l'Italie; puis, à la vue des tempêtes que ses imprudences avaient soulevées, aussi dénué de courage que de bon sens, il devint fou comme pour se tirer d'embarras. Tel était le successeur que la mauvaise fortune des Romains donnait à Justinien.
Vers la même époque, et pour contraster en quelque sorte avec ce césar fatal, elle donnait aux Ouar-Khouni en la personne d'un nouveau kha-kan un grand homme à la manière des peuples de la Haute-Asie, un de ces politiques conquérants dont Tchinghiz-Khan, Timour et Attila présentent les types les plus parfaits. Celui-ci se nommait Baïan883, et était dans toute la vigueur de la jeunesse. Habile à démêler les desseins secrets des hommes, à profiter de leurs fautes, à prendre toutes les formes pour les tromper, il mettait plutôt sa gloire à assurer ses conquêtes par la ruse qu'à les risquer par les armes. On le vit faire la guerre par colère, jamais par vanité ou pour la vaine gloriole d'étaler sa bravoure: bien différent de ces fiers Germains que le point d'honneur amenait à leurs duels de peuples, dussent-ils ne s'y point battre, Baïan ne trouvait nulle honte à fuir quand il avait le dessous, et ne tirait l'épée que pour gagner. Sa patience à supporter l'injustice et les humiliations, plutôt que d'entreprendre une guerre inégale, pouvait étonner et encourager un adversaire imprudent; mais le moment venu, Baïan savait se venger. Quand il jugeait à propos de sévir, sa cruauté froide et calculée ne respectait rien; le droit des nations, les traités, les serments ne valaient à ses yeux que comme des moyens de succès, et il ne voyait dans le parjure qu'un stratagème. Avec tout cela, Baïan, toujours altéré de richesses et sans vergogne dans sa cupidité vis-à-vis de l'étranger, était considéré par son peuple comme un grand chef. Il se montrait généreux envers les siens, magnifique dans son entourage, poussant même la délicatesse et le luxe à des recherches surprenantes pour un barbare. Nous le verrons critiquer les arts de la Grèce et repousser avec dédain comme indigne de lui un lit d'or ciselé auquel avaient travaillé les meilleurs ouvriers de Constantinople. Sa longue vie lui permit de tenir tête successivement à trois empereurs romains, d'établir son peuple sur le Danube et de voir presqu'à l'apogée l'empire qu'il avait fondé en Europe. Malgré ses revers et de cruels retours de la fortune, il fut pour ce second âge des Huns ce qu'Attila avait été pour le premier.
Les Avars connaissaient un peu Justin, qui leur avait servi d'introducteur près de Justinien en 557, lorsqu'il était gouverneur de la province de Lazique. Ils se hâtèrent donc de lui envoyer une ambassade pour le féliciter, renouveler avec lui les anciennes conventions et recevoir de sa main les présents d'usage. Baïan avait composé cette ambassade de jeunes gens lestes, hardis et de belle apparence, et leur avait donné pour chef un certain Targite, personnage important dont il sera souvent question dans la suite de ces récits. Justin, qui avait préparé pour ses débuts impériaux une scène théâtrale et une harangue, ne fit point attendre les ambassadeurs, dont l'audience eut lieu peu de jours après leur arrivée. Un poëte, témoin oculaire, l'Africain Corippus, nous a laissé de cette réception solennelle et du cérémonial auquel les députés avars furent soumis, un curieux tableau que nous reproduirons ici, en ne faisant guère que traduire littéralement ses vers. Peut-être trouvera-t-on que le poëte favori de la cour de Byzance au VIe siècle, intéressant au point de vue de l'histoire du temps, ne manquait point de mérite littéraire, ni même d'un certain éclat de poésie.
«Dès que le prince, vêtu de sa pourpre, a monté les degrés du trône, le maître des cérémonies, ayant pris ses ordres, va ouvrir aux ambassadeurs l'intérieur du palais sacré... Cette fière jeunesse parcourt avec étonnement les vestibules et les longues galeries qui précèdent la demeure des césars. A chaque pas, elle s'arrête, elle admire la haute stature des guerriers rangés en haie, leurs boucliers d'or, leurs lances d'or, surmontées d'une pointe d'acier, et leurs casques d'or, d'où retombe un panache de pourpre. Elle tressaille involontairement en passant sous le tranchant des haches ou sous le fer acéré des piques. Cette pompe éblouit les jeunes barbares, et ils se demandent si le palais des césars n'est pas un autre ciel; mais à leur tour ils sont fiers qu'on les admire, et les regards fixés sur eux leur chatouillent le cœur884. Ainsi, quand la nouvelle Rome donne un spectacle à ses peuples, on voit des tigres d'Hyrcanie, amenés la chaîne au cou par leurs conducteurs, gémir d'abord avec un redoublement de férocité, puis quand ils sont entrés dans l'amphithéâtre, dont les gradins disparaissent sous un épais rideau de spectateurs, ils promènent en haut leurs yeux ébahis, et la peur leur enseigne à s'adoucir. Ils ont déposé toute leur rage, ils ne se révoltent plus contre leurs chaînes, mais d'un pas étonné ils arpentent le terre-plein du cirque, attentifs à la foule qui les applaudit. On dirait qu'ils s'étalent aux regards avec complaisance et qu'ils en marchent plus superbes885... Mais voici le voile qui ferme la salle des audiences impériales; il s'entr'ouvre, et l'on aperçoit les lambris étincelants de dorure, le trône et le diadème brillant sur la tête de césar. A cette vue, Targite plie le genou trois fois et salue l'empereur le front contre terre; les autres se prosternent à son exemple, et le tapis de la salle est inondé des flots de leurs chevelures886.»
Note 885: (retour)Non secus Hyrcanæ quotiens spectacula tigres
Dat populis nova Roma suis, ductore magistro,
Non solita feritate fremunt, sed margine toto
Intrantes plenum populorum millia circum,
Suspiciunt......
Ipsumque superbæ
Quod spectantur amant...
Coripp., Laud. Just. min., III, 246 et seqq.
Le poëte ajoute que l'orateur de l'ambassade ayant entonné, comme de coutume, les louanges du peuple avar, «ce peuple innombrable et invincible, roi des régions intérieures du monde, conquérant de l'Altaï, terreur de la Perse, et dont l'armée, s'il la réunissait, suffirait pour boire les eaux de l'Hèbre jusqu'à la dernière goutte887,» Justin l'arrêta par ces paroles: «Tu me racontes là, jeune homme, des choses que nous ne croyons guère, et auxquelles tu n'as ajouté foi que sur de vains bruits, si tant est que tu y croies toi-même. Ce sont des rêves ou des mensonges que tu me débites. Cesse de me vanter des fugitifs, épargne-moi la gloire d'une tourbe exilée qui cherche en vain une patrie. Quel puissant royaume aurait-elle subjugué, elle qui n'a pas su se défendre elle-même888?» Il est très-probable, quoique l'histoire ne le dise pas, que ces mots ou d'autres, d'une égale amertume, furent prononcés par Justin, car ils étaient dans son caractère et dans le rôle qu'il s'était donné. Toutefois nous laisserons là le poëte pour nous en tenir strictement à la version des historiens.
Note 887: (retour)Crudus et asper Avar dictis sic cœpit acerbis:
Rex Avarum Cagan debellans intima mundi,
Famosos stravit magna virtute tyrannos,
Innumeros populos, et fortia regna subegit.....
Cujus Threïcium potis est exercitus Hebrum
Exhausto siccare lacu, fluviumque bibendo
Nudare.....
Ibid., V. 274.
Note 888: (retour)Quid profugos laudas? Famaque attollis inani
Extorrem populum? quæ fortia regna subegit?
Effera gens Avarum proprias defendere terras
Non potuit, sedesque suas fugitiva reliquit.
Tu velut ignarus falsis rumoribus audes
Vana loqui, turpique dolo nova somnia fingis.....
Coripp., Laud., Justin., min., V. 268.
Suivant ceux-ci, Targite, dans un discours dont la feinte modération ne déguisait ni l'arrogance, ni les intentions ironiques, rappelait à l'empereur que, tenant la puissance impériale des mains de son père (c'est ainsi qu'il désignait Justinien), son premier devoir était de remplir les obligations de ce père vis-à-vis de fidèles alliés, et de faire mieux encore pour bien prouver sa reconnaissance889. Les Avars étaient les bons amis de son père; mais s'ils avaient reçu de lui beaucoup, ils lui avaient beaucoup donné. En premier lieu, ils n'avaient point pillé ses provinces, pouvant le faire impunément; en second lieu, ils avaient empêché les autres de les piller. Il existait des peuples dont l'habitude était autrefois de dévaster la Thrace chaque année et qui ne l'avaient plus fait. Pourquoi? Parce qu'ils savaient que les Avars, amis et alliés des Romains, n'étaient pas d'humeur à le souffrir890. «Nous venons ici, ajouta Targite, bien convaincus que tu seras avec nous comme était ton père, et mieux encore, afin que notre amitié pour toi soit aussi plus vive: mais sache bien ceci: c'est que notre chef ne sera ton ami qu'autant que tu lui feras des présents convenables, et qu'il dépend de toi, par la façon dont tu le traiteras, de dissiper toute pensée qui pourrait lui venir de prendre les armes contre toi891.» Ce discours assurément était d'une insolence extrême. Justin aurait pu y répondre sans phrases par les embarras qu'il aurait suscités au kba-kan, et qui eussent plus vivement piqué celui-ci que la déclamation la plus injurieuse: Justin préféra le procédé contraire. «Oui, répondit-il aux ambassadeurs, je ferai pour vous plus que n'a fait mon père, en rabattant votre outrecuidance et vous ramenant à de plus sages conseils; car apprenez de moi que celui qui arrête l'insensé courant à sa perte, et lui rend la raison, est plus son ami que celui qui se prête à ses caprices pour le perdre892. Allez-vous-en avec cet avis amical, qui vous fera vivre tranquilles et saufs dans vos campements, si vous le suivez, et au lieu de l'argent que vous espériez remporter d'ici, remportez-en une crainte salutaire. Nous n'avons point besoin de votre assistance, et vous ne recevrez rien de nous que ce que nous daignerons vous accorder comme prix de vos services ou récompense de votre sujétion à l'empire, dont vous êtes les esclaves893.» C'était la rupture de toutes relations avec les Avars. Justin était-il en mesure d'en garantir les suites? Il n'y avait pas même songé. Les ambassadeurs partirent exhalant leur colère par des menaces; mais leur maître, non moins irrité, ne fit point paraître la sienne: il ne déclara point l'alliance rompue, il ne dit mot; Baïan voulait conserver le droit d'invoquer dans l'occasion les traités conclus avec Justinien, les engagements solennels des Romains, et prolonger la guerre sourde qu'il faisait à l'empire sous le manteau de l'amitié.
D'ailleurs Baïan était préoccupé d'une affaire plus importante encore à ses yeux. D'un côté, il voyait l'inimitié des Lombards et des Gépides, ses voisins sur le Danube, s'exaspérer graduellement et marcher vers une catastrophe prochaine; d'un autre côté, il n'ignorait pas le projet des Lombards de se jeter quelque jour à l'improviste sur l'Italie, projet qu'arrêtait seule la crainte inspirée par Narsès, qui, après avoir achevé la conquête de ce pays, le gardait avec vigilance et fermeté. Des campements avars, où il se tenait en observation, Baïan épiait attentivement l'une ou l'autre occasion, ou plutôt toutes les deux à la fois, et ce fut précisément Justin qui se chargea de les lui offrir. Narsès, coupable entre tous d'avoir illustré le règne de Justinien, était également entre tous l'objet de la haine du nouvel empereur et de sa femme. On avait, commencé par le dénigrer, par se moquer de son âge (il était plus que nonagénaire): puis on provoqua des plaintes des Italiens, et l'empereur lui adressa de vertes remontrances tant sur les rigueurs de son administration que sur l'argent que coûtait son armée894. Ces reproches avaient un caractère personnel que l'empereur s'étudiait à rendre blessant. Le vieux général réfuta avec calme tous les griefs, et démontra la nécessité de conserver en Italie une armée d'occupation qui maintînt dans l'obéissance le reste des Goths et les partisans des Goths, et empêchât d'autres barbares (les Lombards particulièrement) de se ruer en deçà des Alpes. Sa modération ne fit qu'enhardir ses ennemis; on parla de le destituer, et l'impératrice Sophie, ajoutant une insulte de femme à l'injustice de la souveraine, envoya à Narsès une quenouille et un fuseau, lui faisant dire qu'il vînt prendre l'intendance des travaux de ses femmes et laissât la guerre aux hommes. Narsès, comme on sait, était eunuque, et cette grossière injure lui causa une douleur poignante. «Allez, répondit-il au messager, et dites à votre maîtresse que je lui prépare une fusée qu'elle et les Romains ne démêleront pas facilement895.» Quittant à l'instant sa charge, il se retira dans la ville de Naples, en dépit des prières des Italiens et des supplications de son armée. L'histoire ajoute que dans un aveugle emportement il fit remettre au roi des Lombards quelques fruits et du vin d'Italie avec ces mots: «Tu peux venir896!» Ce dernier trait, dont on aimerait à douter, ne serait-il pas vrai, sa retraite en disait autant.
L'heure des Lombards était donc arrivée, et Alboïn, leur roi, fit ses dispositions pour un prompt départ. Pourtant une chose le retenait en Pannonie, la haine de son peuple contre les Gépides, et son propre ressentiment, contre leur roi Cunimond897, fils de ce Thorisin qui avait été un ennemi si acharné des Lombards. S'en aller comme un fugitif sans avoir assouvi sa vengeance, et laisser derrière soi des terres sur lesquelles les Gépides ne manqueraient pas de se jeter, bravant la rage impuissante des Lombards et profitant de leurs dépouilles, c'était un parti qu'Alboïn, au dernier moment, ne se sentit pas le courage de prendre. On a prétendu avec assez de probabilité que les aiguillons de l'amour se mêlaient dans le cœur du barbare à ceux de la vengeance; qu'épris de la belle Rosemonde, fille de Cunimond, il l'avait enlevée autrefois pour en faire sa maîtresse ou sa femme, mais que Rosemonde, échappée à la captivité, s'était réfugiée près de son père898; or Alboïn avait juré de la reprendre et de l'emmener avec lui en Italie. En proie à ces anxiétés, il songea à se servir des Avars, qui se trouvaient là tout à propos pour l'assister, et il envoya en grande pompe une ambassade à leur kha-kan. Les ambassadeurs lombards avaient pour mission principale de mettre les Avars en communauté de sentiment avec eux, en les piquant d'honneur et leur rappelant tous les mauvais procédés des Gépides et des Romains à leur égard. «Si les Lombards sont animés d'un vif désir de guerre contre les Gépides, dirent-ils à Baïan, c'est qu'ils veulent affaiblir l'empereur Justin, ennemi mortel des Avars, qui leur a retiré leur pension et les traite avec ignominie899. Que les Avars se joignent aux Lombards, et les Gépides seront infailliblement exterminés; alors les richesses ainsi que les terres de ce peuple leur appartiendront à chacun par moitié. Plus tard, les Avars, maîtres de la Scythie entière, passeront une vie tranquille et heureuse; rien ne leur sera plus facile que d'occuper la Thrace, de ravager toutes les provinces grecques, et d'aller même jusqu'à Byzance900.» Ils ajoutèrent que si les Avars consentaient à une alliance, il leur fallait se hâter pour empêcher les Romains de les prévenir; qu'ils pouvaient bien compter au reste que l'empire était pour eux un implacable ennemi, qui les poursuivrait dans tous les coins du monde et n'épargnerait rien pour les détruire. Les ambassadeurs s'attendaient avoir Baïan accueillir avec empressement ces ouvertures, et se jeter à corps perdu dans une alliance qui lui annonçait tant d'avantages; mais il n'en fut point ainsi. Baïan les écouta froidement901, et parut faire peu de cas de leurs propositions: «il ne voyait pas clairement, disait-il, ce que son peuple y gagnerait.» Tantôt il déclarait qu'il ne pouvait pas entrer dans cette guerre, tantôt il confessait qu'il le pouvait, mais qu'il ne le voulait pas902. Il les ballotta ainsi pendant longtemps, et quand il vit leur impatience de conclure arrivée à son terme, il feignit de céder avec répugnance et proposa ceci: 1º que les Lombards lui abandonnassent immédiatement la dixième partie de tout le bétail qu'ils possédaient, 2º qu'ils lui assurassent en cas de victoire la moitié des dépouilles et la totalité du territoire appartenant aux Gépides903. Ces deux conditions furent reportées à Alboïn, qui ne les examina seulement pas; il eût tout donné, son royaume, les enfants de son premier mariage et lui-même, pour voir la Gépidie détruite, Cunimond sous ses pieds et Rosemonde en son pouvoir? Cunimond effrayé envoya à Constantinople des avis et des demandes de secours; mais Justin ne comprit pas quel intérêt l'empire avait à défendre les Gépides dans la circonstance présente: il promit tout et ne tint rien. La guerre ne fut pas longue. Pris en face par les Lombards, en flanc par les Avars, les Gépides furent rompus, dispersés, repris et accablés partiellement904. Les Lombards ne firent point de quartier, et si les vaincus trouvèrent quelque compassion, ce fut auprès des Avars, qui n'étaient pourtant point leurs frères de race, et qui épargnèrent cette population infortunée, en la réunissant dans quelques villages où elle fut tenue en état de servitude905. Des Huns avaient donc reconquis l'ancienne Hunnie, et Baïan tout joyeux planta sa tente aux lieux où s'élevait, cent ans auparavant, le palais d'Attila. Alboïn, non moins joyeux, partit pour l'Italie avec la belle Rosemonde, qu'il avait retrouvée parmi les captifs, et le crâne de Cunimond, qu'il fit nettoyer et enchâsser pour lui servir de coupe à boire dans les festins906.
Baïan ne fut pas plus tôt installé dans la Hunnie, qui reprit avec lui son ancien nom, que les Romains le virent arriver chez eux. Les Gépides possédaient, comme on sait, sur la rive droite du Danube et dans cette langue de terre située entre la Drave et la Save, qu'on appelait la presqu'île sirmienne, plusieurs cantons qu'ils avaient conquis à différentes époques sur les Lombards ou sur les Goths, et ils avaient même enlevé Sirmium aux Romains. Baïan se prétendait le maître de ces cantons et de la ville, attendu qu'ils avaient appartenu aux Gépides, et qu'en outre les Lombards les lui avaient cédés; mais Sirmium n'était déjà plus à sa disposition. Au plus fort de la guerre, les provinciaux pannoniens qui formaient la population de la ville, et les soldats gépides qui la gardaient, s'entendirent pour ouvrir leurs portes aux troupes romaines, et Sirmium rentra sous les lois de l'empire. Or Baïan n'avait rien de plus à cœur que de reprendre sa ville, comme il disait, et d'en chasser les Romains, qui la lui avaient enlevée injustement. Il essaya de s'en emparer par surprise, mais il fut repoussé dans un combat où le duc Bonus, qui commandait la place, reçut une blessure après avoir vigoureusement battu l'armée assiégeante. Suivant son habitude quand il avait le dessous, Baïan décampa, et on le croyait déjà loin, lorsqu'un des habitants, placé en vedette dons une sorte d'observatoire qui dominait les bains publics, aperçut des cavaliers qui s'avançaient à toute bride dans la campagne907. L'alerte fut donnée, la garnison prit les armes; mais on reconnut bientôt à leurs signaux que c'étaient des parlementaires qui venaient conférer avec le commandant. Bonus voulait se rendre à la conférence, malgré sa blessure qui le retenait au lit; son médecin, nommé Théodore, s'y opposa nettement908, et ce furent des officiers et quelques citoyens notables qui se rendirent auprès des parlementaires, en dehors des portes. Le kha-kan, disaient ceux-ci, se tenait à quelque distance de là, et ils devaient servir d'intermédiaires entre le commandant et lui. Ne voyant pas le duc Bonus arriver, ils demandèrent ce qu'il était devenu, et comme on n'osa pas leur dire qu'il était blessé, de peur d'enfler leur confiance, ils soupçonnèrent davantage, ils le crurent mort; appuyant avec d'autant plus de chaleur sur la nécessité de sa présence, ils protestèrent qu'ils n'avaient mission de traiter qu'avec lui909.
La situation devenait difficile. Théodore, qui était citoyen de Sirmium, où il occupait un rang distingué, après avoir mûrement réfléchi, pensa qu'il pouvait garantir la vie de Bonus sans compromettre la sûreté de sa patrie: il appliqua un baume puissant sur la blessure, la banda fortement, et fit placer le général à cheval910. Les Avars en l'apercevant se trouvèrent passablement désappointés. La conférence commença. Les Huns exposèrent leur prétention sur la propriété de Sirmium, et demandèrent en outre l'extradition d'un chef gépide appelé Ousdibade, celui-là même probablement qui venait de livrer la ville aux Romains. Leurs raisons se résumaient ainsi: «Tout Gépide nous appartient comme esclave, de même que toute chose possédée par les Gépides nous appartient en propriété.» Ils s'exhalèrent ensuite en plaintes sur l'injustice de l'empereur envers de si bons amis, qui ne désiraient que deux choses: vivre en paix et le servir. Bonus déclina toute espèce d'examen de leurs propositions; il était chargé, disait-il, de défendre Sirmium et nullement de faire un traité; toutefois il consentirait volontiers à faire passer leurs ambassadeurs sur le territoire romain, s'ils voulaient s'adresser à l'empereur. Baïan, à qui cette réponse fut portée, la trouva juste et raisonnable; mais il ajouta qu'il était fort embarrassé de ce que penseraient de lui les peuples qu'il avait traînés à la guerre. «J'ai honte, disait-il, de m'en retourner sans avoir rien fait et sans rien remporter que je puisse faire voir comme un gain de cette campagne911. Envoyez-moi quelques présents de peu de valeur, afin que je ne paraisse pas avoir essuyé inutilement les fatigues de cette expédition, car à mon départ je n'ai rien pris avec moi, et si vous ne me venez en aide pour mon honneur, je ne partirai pas d'ici912.» Cette demande, qui peut nous paraître étrange, l'était beaucoup moins dans l'idée des barbares d'Asie. Ne rien rapporter d'une course était bien pis qu'avoir été battu en sauvant son butin, et Baïan, qui voulait renouer ses négociations avec les Romains, tenait à prouver que les Romains avaient fait vers lui le premier pas. Ce qui est certain, c'est que les Sirmiens présents à la conférence, particulièrement l'évêque de la ville, trouvèrent la demande de Baïan fort sensée et l'appuyèrent près du duc Bonus; Baïan d'ailleurs, fort modéré dans ses prétentions, ne réclamait qu'une coupe d'argent, une petite somme en or et un habit à la scythique913. Bonus et son conseil n'osèrent rien prendre sur eux. «Les Romains, fut-il répondu au kha-kan, avaient un maître prompt à s'irriter et dont il fallait attendre les ordres914; de plus, ni Bonus ni les siens n'avaient avec eux autre chose que ce qui était nécessaire dans un camp, leurs armes et leurs habits, et assurément le kha-kan ne leur conseillerait pas de se déshonorer en livrant leurs armes.»--«Si l'empereur veut t'obliger en te faisant des présents, dit encore Bonus, j'en serai heureux pour mon compte; j'exécuterai ses ordres avec empressement, et je m'efforcerai d'être agréable à un serviteur et ami de mon seigneur.» Baïan accueillit ces excuses avec des invectives et des menaces, et jura qu'il ferait le dégât sur les terres de l'empire. «Eh bien donc! répliqua Bonus, l'empire te châtiera.915» A quelque temps de là, dix mille Coutrigours firent irruption dans la Dalmatie916, qu'ils mirent à feu et à sang, et dont ils occupèrent plusieurs cantons. Le kha-kan protesta que c'était sans son aveu, et qu'il n'était pas responsable de ce que faisaient ces peuples turbulents; en effet, comme s'il eût été complétement étranger à ce qui venait de se passer, il envoya une ambassade pacifique à Constantinople.
L'expédition des Coutrigours avait inspiré au kha-kan la prétention la plus extraordinaire qu'il eût encore mise en avant dans ses négociations: il eut l'idée de réclamer l'arriéré des pensions payées autrefois par Justinien aux Coutrigours et aux Outigours, arriéré qui lui appartenait d'après le système qu'il appliquait aux Gépides. Les Coutrigours et les Outigours étant devenus ses esclaves, leurs créances sur l'empire romain étaient tombées dans son domaine, il en était propriétaire, et il les réclamait à ce titre. Suivaient les demandes relatives à Sirmium et à l'extradition du Gépide Ousdibade917. Le discours que fit à ce sujet Targite, l'orateur ordinaire des députations avares, était conçu dans une forme si curieuse, que nous croyons devoir le reproduire ici au moins en partie. «Empereur, dit à Justin le noble Hun, je suis ici de la part de ton fils, qui m'a envoyé, car tu es vraiment le père de Baïan, notre maître; aussi n'ai-je point douté que tu ne marques ton affection paternelle à ton fils en lui rendant ce qui lui appartient. Quand tu nous auras restitué ce qui nous revient, tu le posséderas encore par cela seulement que nous le tiendrons918. Eh bien! lui feras-tu abandon de ce qui lui est dû? En le faisant, tu n'avantageras ni un étranger ni un ennemi; la chose restituée ne changera pas de mains, puisqu'elle te reviendra par ton fils919. Seulement il faut que tu consentes de bonne grâce aux demandes que je suis chargé de te faire.»
Note 917: (retour) Avarorum dux misit Targitium, qui una cum Vitaliano interprete imperatori denunciaret, ut Sirmium et pecunias, quas Cutriguri et Utiguri a Justiniano accipere soliti erant, quia utramque gentem subegerat, illi traderet: Usdibadam quoque Gepidam, dicebat enim et Gepidas omnes in suum jus, dominiumque venisse, qui eos devicerat. Menand., Excerp., leg., p. 154.
Note 918: (retour) O Imperator, adsum a tuo filio missus: tu enim vere pater es Baïani, ejus, qui apud nos dominatur. Ea res fecit, ut crederem te affectum paternum exhibiturum esse filio, in eo quod reddes ea, quæ filii sunt; cum enim nostra tenuerimus, mox nostra quoque, quæ tua sunt, tenebis. Menand., ibid., p. 155.
Je ne sais si Baïan comptait beaucoup sur l'effet de pareils syllogismes; au moins procura-t-il à Justin II une magnifique occasion pour une de ces harangues où le neveu de Justinien déployait sa fermeté patriotique beaucoup mieux que sur les champs de bataille. Le duc Bonus reçut une verte réprimande pour avoir laissé passer les ambassadeurs sans ordre de l'empereur, et puis Justin crut tout fini. Il n'en était point ainsi: Baïan armait à force, et l'empereur, dont la puissance reculait en Italie devant les Lombards, et qui s'était aliéné par ses manières hautaines les Perses et les Sarrasins, n'avait point de troupes à lui opposer. Obligé de reprendre lui-même les négociations malgré tout l'éclat qu'il venait de faire, il envoya sur les lieux Tibère, un de ses généraux, pour traiter avec le kha-kan l'affaire de Sirmium. Il fut impossible de s'entendre. Tibère, à propos de la cession de quelques cantons de la Pannonie, avait demandé comme otages les enfants de plusieurs nobles avars; le kha-kan exigea la même chose des Romains. C'était trop de honte, et Tibère préféra recourir aux armes. Il osa tenir la campagne avec des recrues, et fut battu; on dit qu'il suffit presque des cris des barbares et du tintamarre de leurs cymbales pour mettre en fuite ces levées tumultuaires. Il fallut se résigner à traiter à tout prix, rendre au kha-kan sa pension avec l'arriéré920, et signer une convention dans laquelle pourtant Sirmium resta aux Romains, Baïan, contre toute attente, n'ayant plus insisté pour l'avoir. Un convoi partit pour Constantinople à l'effet de toucher les sommes dues au kha-kan ainsi que les cadeaux que l'empereur y devait ajouter, mais l'annonce de ce convoi mit les voleurs en éveil. Une troupe de ces bandits, qui, sous le nom de Scamares, infestaient le voisinage de l'Hémus, où ils avaient leurs repaires, se posta sur la route qu'il devait suivre au retour, mit l'escorte en déroute, et enleva les chevaux, les voitures et tout ce qu'elles contenaient921. Justin fit courir après les voleurs, et dut restituer à Baïan ce qui lui avait été enlevé, sous peine de passer pour complice du vol aux yeux des Avars. Tel était le déluge de misères et d'ignominies que cet insensé faisait pleuvoir sur le monde romain.
Note 921: (retour) Scamares vulgo in iis locis dicti, ex insidiis illis vim fecerunt, et equos, argentum et reliquam suppellectilem eripuerunt; quapropter legationem ad Tiberium miserunt quæ rapta repeteret. Menand., p. 114.--Cf. Theophan., p. 367.--Il a été déjà question des Scamares dont Mundus, fils d'Attila, s'était fait proclamer roi.
En effet, les tristes événements de la Pannonie n'étaient qu'un épisode de la ruine universelle qui s'étendait sur l'empire. Le roi de Perse Chosroès envahissait l'Asie-Mineure et la Syrie; les Lombards conquéraient l'Italie; la vie romaine s'en allait de toutes parts. Sous le poids de ces désastres qui faisaient la condamnation de son orgueil, la faible intelligence de Justin s'égara; il devint fou. En proie à des accès de démence furieuse, il ne voyait plus que des ennemis, il voulait tuer tout ce qui l'approchait; puis, revenu à lui, il demandait pardon à tout le monde en versant des torrents de larmes. Cet homme présomptueux, qui devait éclipser tous les empereurs, se sentit enfin incapable de gouverner et prit pour régent, sous le nom de césar, Tibère, ce général qui venait d'échouer fatalement contre les Avars, mais dont les talents militaires, le caractère généreux et la vie irréprochable promettaient aux Romains la réparation de leurs maux. Tibère-César releva l'empire en Asie par la défaite de Chosroès, et aida Rome à se garantir des Lombards. Proclamé auguste en 578, à la mort de Justin, il continua ce qu'il avait commencé comme césar. S'il ne fit pas davantage, ce fut plus la faute de sa fortune que la sienne; Tibère serait grand dans l'histoire, s'il eût été toujours heureux922.
Note 922: (retour) Menand., Exc. leg., p. 118.--Theophyl. Sim., III, 11, 12. Evagr., V, 12, 13.--Zonar., XIV, t. II, p. 70 et seqq.--Theophan., Chronogr., p. 208 et seqq.--Chron. Pasch., p. 376.--Greg. Tur., Hist. Franc., IV, 39, V, 20.--Hist. Misc., XVI, XVII, ap. Murat., I, p. 111, 112.--Anast., p. 70.--Niceph. Call., XVII, 39, 50.--Codren., t. I, p. 390, 391.
Tandis que les Ouar-Khouni prenaient racine au centre de l'Europe sous le nom emprunté d'Avars, leurs anciens maîtres les Turks, se rapprochant graduellement des contrées occidentales, se mettaient en relation avec les Romains. Devenus possesseurs des contrées qui forment aujourd'hui le Turkestan, et se trouvant voisins, c'est-à-dire ennemis de la Perse, ils comprirent qu'ils avaient intérêt de s'allier aux Romains, et cette ambassade de reproches et de menaces adressée à Justinien par le seigneur des sept climats aboutit, sous Justin II et Tibère, à une alliance offensive contre Chosroès. A la faveur des rapports politiques se nouèrent des rapports commerciaux entre les deux nations; des marchands et même des curieux, suivant les ambassades envoyées dans l'empire, visitèrent Constantinople, et les historiens nous disent que vers la fin du VIe siècle, cette ville renfermait un grand nombre de Turks dans ses murs923. Toutefois, malgré l'empressement de ce peuple et les marques de son amitié intéressée, il garda longue rancune au gouvernement roman de sa conduite passée à l'égard des Ouar-Khouni. Si les Turks à ce sujet dissimulaient prudemment leur pensée dans la grande métropole dont la richesse aiguillonnait leur convoitise en les émerveillant, ils ne craignirent pas d'ouvrir leur cœur plus d'une fois aux Romans qu'ils tenaient en leur pouvoir chez eux, et que leur sincérité brutale dut inquiéter à plus d'un titre. Tibère en 580 ayant envoyé une ambassade au grand kha-kan pour lui faire part de son avénement au trône impérial et en même temps obtenir de lui quelques secours contre la Perse, il s'engagea entre l'ambassadeur Valentinus et Turxanth, personnage important, chef d'une des huit tribus dont se composait alors la fédération turke, une conversation relative aux Ouar-Khouni, et dans laquelle se déploya librement toute la haine que les hommes de cette race portaient aux Romains. Lorsque Valentinus, après les compliments d'usage, vint à lui parler des secours que l'empereur espérait de sa nation, Turxanth l'interrompit par un geste de colère et s'écria: «Vous êtes donc toujours ces Romains qui ont dix langues pour un seul mensonge!924» et mettant ses dix doigts dans sa bouche, puis les retirant avec précipitation, il continua:
«Oui, c'est ainsi que vous donnez et retirez votre parole, trompant tantôt moi, tantôt mes esclaves. Toutes les nations ont éprouvé tour à tour vos séductions et vos tromperies, et quand l'une d'elles, pour vous plaire, s'est jetée dans le péril, vous l'y laissez. Et vous-mêmes, qui vous appelez ambassadeurs, que venez-vous faire chez moi, sinon essayer de m'abuser par des fourberies? Aussi vais-je fondre sur votre pays à l'instant, et ne croyez pas à de vains mots de ma part: un Turk n'a jamais menti... Celui qui règne chez vous recevra la peine de sa perfidie, lui qui se prétend mon ami et qui s'est fait l'allié des Ouar-Khouni, ces fugitifs soustraits à la domination de mes esclaves. Que ces Ouar-Khouni se montrent à moi, qu'ils osent attendre ma cavalerie, et au seul aspect de nos fouets ils rentreront dans les entrailles de la terre925! Ce n'est pas avec nos épées que nous exterminerons cette race d'esclaves, nous l'écraserons comme de viles fourmis sous le sabot de nos chevaux926. C'est sur quoi vous pouvez compter par rapport aux Ouar-Khouni.
«Mais vous-mêmes, ô Romains, pourquoi vos ambassadeurs viennent-ils toujours me trouver par le Caucase avec des peines infinies? Ils disent que de Byzance ici, il n'y a point d'autre chemin qu'ils puissent prendre, mais ce n'est que pour me tromper, et afin que la difficulté des lieux me fasse perdre l'envie de les attaquer au centre de leur empire. Je sais pourtant très-exactement où coule le Dniéper; je sais de même quel pays arrosent le Danube et l'Hèbre, ces fleuves que les Ouar-Kouni, nos esclaves, ont passé pour envahir vos terres; je n'ignore pas non plus quelles sont vos forces, car toute la terre m'obéit depuis les contrées où naît le soleil jusqu'aux barrières de l'Occident927.»
Note 927: (retour) Vos autem Romani, quid est, quod legati, quos ad me mittitis, per Caucasum iter instituunt, et dicitis alio iter non esse? Sed tamen ego eximie scio, qua Danapris fluvius, qua Ister, qua Hebrus fluit et labitur, qua transierunt in Romanorum ditionem Varchonitæ servi nostri, ut ipsam invaderent: neque ego sum nescius vestrarum virium. Omnis enim terra, quæ a primis solis radiis incipit, quæque solis occidentis finibus terminatur, mihi paret, et subest. Menand., ub. sup.
On le voit, l'empire romain était prédestiné à sa ruine du côté de l'Orient, et il faut savoir gré aux césars de Byzance d'avoir retardé si longtemps cette catastrophe pour le salut de la civilisation. Tous ces barbares qu'envoyait par myriades la Haute-Asie, vraie matrice des nations, en possédaient pour ainsi dire la carte et la statistique. Les Turks et les Tartares marquaient déjà leurs étapes de Samarcand et de Boukhara au Danube et au Bosphore.
Cependant le kha-kan Baïan semblait avoir oublié ses prétentions sur Sirmium, il n'en parlait plus et vivait en bonne intelligence avec le commandant romain de cette ville et avec celui de Singidon. Il s'occupait, disait-il, de constructions dans lesquelles il se modelait sur les Romains, et il demanda à l'empereur des ouvriers pour se bâtir des bains chauds. Tibère lui en envoya, et dans le nombre d'habiles charpentiers; mais à peine furent-ils arrivés, que Baïan, changeant d'idée ou plutôt révélant son idée véritable, voulut leur faire construire un pont sur le Danube928. Un pareil travail était long, difficile, et devait déplaire sans nul doute aux Romains, qui l'empêcheraient aisément au moyen de leurs navires: ces considérations le frappèrent, et il sentit le besoin d'avoir aussi sa flotte. On fit main basse, par son ordre, sur tous les gros bateaux qu'on put trouver dans la Haute-Pannonie, de quelque forme qu'ils fussent, et l'on en prit beaucoup, que les charpentiers romains transformèrent tant bien que mal en vaisseaux de guerre, en les élargissant, les haussant ou les allongeant. Il sortit de ce travail une flotte grossière et fort mal équipée, mais capable de contenir beaucoup de soldats. Des captifs romains servirent d'instructeurs pour former les rameurs à la manœuvre; puis le kha-kan fit descendre cette flotte jusqu'à Singidon, avec ordre de remonter à l'embouchure de la Save, entre Singidon et Sirmium, le tout sous les apparences les plus pacifiques. Lui-même, pendant qu'on équipait ses navires, fit passer une armée de terre dans la presqu'île sirmienne, et il se trouvait déjà campé dans une forte position, sur la Save, en face de Sirmium, quand son armée navale le rejoignit. Cette coïncidence, comme on le pense bien, jeta l'alarme dans toutes les villes de la Pannonie929, et ce fut bien pis quand on vit le kha-kan installer le long de la rivière les escouades d'ouvriers qui lui avaient construit sa flotte, et y commencer un pont de bateaux. Aux explications que lui demanda le gouverneur de Singidon, qui avait la surveillance militaire de toute cette zone, Baïan répondît qu'il travaillait pour les Romains autant que pour lui, en joignant les deux rives de la Save; que le pont qu'il voulait construire permettrait d'envoyer rapidement des troupes contre les Slovènes, qui, traversant le Bas-Danube, venaient de ravager affreusement la Mésie et la Pannonie: c'était, ajoutait-il, de concert avec l'empereur qu'il allait châtier ces brigands930; lui-même avait d'ailleurs des injures personnelles à venger sur eux, car ils avaient tué ses ambassadeurs. Le gouverneur de Singidon, qui n'avait point entendu parler d'un pareil concert pour une guerre pareille, déclara qu'il ne laisserait pas continuer le pont sans un ordre formel de l'empereur. «Qu'à cela ne tienne, dit Baïan, j'irai moi-même à Constantinople931»; mais en attendant, et pour ne point interrompre des travaux de si grande urgence, il offrit de jurer par ce qu'il y avait de plus sacré au monde, par ses dieux et par le Dieu des Romains, qu'il n'avait aucune mauvaise intention932 et n'entreprendrait rien contre ce chaudron: c'est ainsi qu'il appelait habituellement la ville de Sirmium933, soit pour la déprécier et faire croire qu'il en faisait peu de cas, soit que cette place, située sur la Save, et en partie dans un îlot, présentât par sa forme arrondie quelque ressemblance avec une chaudière.
Tout en protestant que son pont était imaginé dans l'intérêt des Romains plus encore que dans le sien, le kha-kan ajoutait froidement qu'un seul trait décoché sur ses travailleurs serait considéré par lui comme une déclaration de guerre, et qu'il rendrait alors attaque pour attaque934. La question ainsi posée parut grave au gouverneur de Singidon et à son conseil d'officiers, qui en délibérèrent. Il fut décidé que l'on attendrait les ordres de l'empereur avant de rien faire, et que puisque le kha-kan offrait de jurer qu'il n'entreprendrait rien contre Sirmium, on ferait bien de recevoir son serment comme une garantie, la seule qu'on pût espérer en ce moment. La chose étant ainsi résolue, le gouverneur fit savoir à Baïan qu'il était prêt à l'entendre jurer, comme il l'avait proposé lui-même. On choisit pour cette étrange solennité un lieu situé hors de la ville, parce que Baïan ne s'aventurait guère dans des murailles romaines, et à l'heure marquée, le gouverneur, accompagné de l'évêque de Singidon, qui faisait porter avec lui le livre des saintes Écritures, se trouva au rendez-vous. Pour que l'acte qui allait se passer reçût plus d'éclat du concours des assistants, le gouverneur et l'évêque se firent suivre, selon toute apparence, par un nombreux cortége d'officiers, de notables habitants et de prêtres. Baïan arriva de son côté, et alors commença une scène vraiment horrible, et qui fait voir à quel degré effrayant ces barbares de l'Asie poussaient l'impiété, outrageant à la face du monde et pour le plus mince intérêt, toutes lois divines et humaines.
En présence de sa suite, composée de nobles avars et probablement aussi de chamans, Baïan s'avança dans l'intervalle qui le séparait des Romains, et, tirant son épée, dont il leva la pointe vers le ciel935, il prononça à haute voix et de manière à être entendu des deux partis les paroles suivantes: «Si, en bâtissant un pont, sur la Save je fais une chose qui puisse nuire aux Romains, et si c'est là mon intention, que Baïan périsse, que tous les Avars périssent jusqu'au dernier; que le ciel tombe sur eux; que le feu qui est le dieu du ciel, tombe sur eux; que les sommets des montagnes et les forêts tombent sur eux; que la Save sorte de son lit et les submerge!936» Après avoir prêté ce serment, qui était celui de sa religion, il garda un moment le silence, pais il dit: «Maintenant, Romains, je veux jurer à votre manière,» et il demanda ce que les Romains avaient de plus sacré, de plus inviolable, et par quoi ils ne crussent pas pouvoir se parjurer sans attirer sur eux la malédiction du ciel; ce furent ses propres paroles, au témoignage des historiens937. L'évêque de Singidon alla prendre alors à l'endroit où on l'avait déposé le livre des Écritures, dans lequel étaient contenus les saints Évangiles, et le présenta ouvert au kha-kan. Baïan, qui s'était rassis après son serment, se lève de son siége, s'avance comme en tremblant, et, recevant le livre avec les signes du plus profond respect, il s'agenouille et dit: «Je jure, au nom du Dieu qui a proféré les paroles contenues dans ce saint livre, que tout ce que j'ai avancé est vrai, et que telle est ma pensée938.» Comme il avait parlé d'aller de sa personne à Constantinople pour conférer avec l'empereur, il s'excusa d'avoir changé d'avis, demandant qu'on y fît passer du moins ses ambassadeurs. Le gouverneur de Singidon s'en chargea. Pendant le délai qu'exigèrent les pourparlers et la sombre solennité qui en fut la suite, Baïan avait poussé ses travaux avec une activité incroyable, et le pont avançait rapidement.
Note 936: (retour) Sibi et Avarorum genti dira est imprecatus, si quid mali comminisceratur Romanis, in eo quod pontem super Sao flumine facere susceperat; ut ipse et universa gens ad internecionem usque periret, cœlum ex alto super ipsis, et ignis Deus, qui in cœlo est, rueret, sylvæ et montes casu et ruina illos obtererent, Saüs fluvius superscaturiens eos submergeret... Menand., Exc. leg., p. 128.
Note 938: (retour) Qui in Singidone urbe summam sacrorum potestatem habebat, statim sancta Biblia quæ in medio continebant sacro-sancta Evangelia, protulit: et ille quidem occultans ea quæ mente volvebat, multo cum tremore et magna cum reverentia præ se ferens ea suscipere, procedit ex cathedra, tum alacri et prompto animo in genua provolutus: Juro, inquit, secundum proferentem, in verba, quæ habentur in sacris chartis, me in nullo eorum, quæ prolata sunt, mentiri et fallere. Menand., Exc. leg., p. 128.
L'ambassade n'entretint guère l'empereur que de la nécessite de prévenir les brigandages futurs des Slovènes par une bonne répression, et, pour cela, d'envoyer une flotte romaine qui, réunie à la flotte du kha-kan, transporterait les troupes avares; elle glissa légèrement sur tout ce qui concernait le pont de la Save, dont la construction fort innocente ne pouvait, disaient les ambassadeurs, offusquer l'amitié des Romains. L'embarras de l'empereur, qui connaissait déjà toute l'affaire, n'était pas moindre que celui de son gouverneur de Singidon; car le kha-kan avait là son armée toute prête, tandis que l'armée romaine, qui se battait en Orient, où elle soutenait glorieusement la guerre contre les Perses, ne pouvait rien en Occident. Que faire en de telles conjonctures? L'esprit de l'empereur flottait indécis. Il prit un détour et répondit que pour son compte il remettait à un autre temps le devoir de châtier les Slovènes et qu'il s'en chargeait; «mais vous, Avars, ajouta-t-il, pourquoi vous jeter dans une entreprise difficile, quand vos ennemis les Turks se rassemblent, en force autour de la Chersonèse taurique939? Vous devez savoir qu'ils ne vous oublient pas, et ils choisiront peut-être le moment où vous serez engagés en Slavie pour se jeter sur vous et vous détruire.» Les ambassadeurs ne crurent point à ce que leur disait Tibère; ils le remercièrent néanmoins de ses avis et partirent940.
Ils n'étaient encore qu'à peu de journées de Constantinople, quand une seconde ambassade y entrait. Celle-ci, conduite par un certain Solakh, était partie des bords de la Save, immédiatement après l'achèvement du pont: elle n'avait plus rien à ménager et ne ménagea rien. «Empereur, dit Solakh à Tibère, je crois inutile de t'annoncer que les deux rives de la Save sont aujourd'hui jointes par un pont: tu le sais aussi bien que moi, et il est inconvenant de vouloir apprendre aux gens ce qu'ils savent déjà941. Sirmium est perdue; les Avars l'assiégent, et la Save interceptée n'y peut plus porter les vivres dont les habitants ont le plus pressant besoin, à moins pourtant que tu n'aies une armée assez forte pour percer la nôtre, arriver à notre pont et le détruire. Mais fais mieux, crois-moi, renonce à cette mauvaise ville, à ce chaudron qui ne vaut pas le sang que tu verserais pour le conserver942. Écoute-moi, empereur: on ne nous ôtera jamais de la tête que les Romains ne tiennent à la paix vis-à-vis de notre kha-kan que parce que leurs troupes sont occupées contre les Perses, et qu'une fois débarrassés de cette dernière guerre ils nous en feront une qui sera rude, car ils disposeront alors de toutes leurs forces. Eh bien! dans ce cas, nous autres Avars, nous aurons dans Sirmium un rempart pour nous couvrir et une porte pour entrer chez vous sans qu'un grand fleuve et les difficultés d'une longue route nous gênent dans nos opérations. Notre kha-kan jouit à la vérité des présents que l'empereur lui octroie tous les ans; mais on aurait beau nager dans l'abondance de toutes choses, avoir de l'or, de l'argent et des habits de soie: la vie est encore plus précieuse et mérite la préférence de nos soins943. Le kha-kan fait toutes ces réflexions, ô empereur, et trouve dans le passé de quoi se justifier. On lui dit que les Romains, dans les mêmes lieux, par les mêmes moyens, avec l'appât des mêmes largesses et de traités semblables, ont attiré successivement un grand nombre de nations, mais qu'ils ont si bien pris leur temps pour les attaquer, qu'il n'en est pas une seule qu'ils n'aient détruite. Le kha-kan te déclare ceci: Ni présents, ni protestations, ni promesses, ni menaces, ne pourront me faire désister de mon entreprise. Je tiens Sirmium des Gépides; Sirmium sera à moi ainsi que la presqu'île sirmienne, que je peuplerai de mes sujets.» Tibère à ces paroles s'écria comme frappé d'une douleur mortelle: «Et moi, par ce Dieu que votre kha-kan a pris à témoin pour s'en jouer, ce Dieu qui le punira, je déclare qu'il n'aura pas Sirmium, et que j'aimerais mieux lui donner une de mes deux filles que de lui céder jamais cette place.944»
Une guerre bien inégale commença. Les officiers romains, à force de battre le pays, réunirent une armée de recrues qui tint pourtant la campagne. Sirmium se ravitailla, et les troupes romaines, retranchées dans deux petites îles de la Save nommées Casia et Carbonaria, gênèrent beaucoup les opérations du siége, qui traîna en longueur. Cependant les malheureux Sirmiens, redoutant le retour prochain de la famine, demandaient à grands cris qu'on livrât une bataille décisive, ou qu'on fît la paix. Baïan profita de ces dispositions pour sonder le général en chef, nommé Théognis, et l'appeler à une entrevue qui se passa sur la rive gauche du fleuve. Théognis y vint en bateau, et Baïan à cheval. Le barbare, après avoir mis pied à terre, s'assit sur un siége d'or qu'on lui avait préparé au-dessous d'un dais enrichi de pierreries, et l'on plaça en guise de rempart, devant sa poitrine et son visage, un large bouclier, dans la crainte probable que les Romains ne se missent à tirer sur lui par trahison945, les Romains et les Avars n'étant éloignés les uns des autres que de la portée de la voix. Quand il fut temps, les interprètes des Avars, s'avançant dans l'intervalle, crièrent qu'il y avait trêve946, et les hérauts romains répondirent par le même cri. Baïan n'avait rien à dire de nouveau, si ce n'est que, d'après des avis sûrs qu'il avait reçus, les provisions de Sirmium étaient encore une fois épuisées; mais Théognis refusa de l'entendre, opposant un refus péremptoire à toute proposition tant que les Avars ne seraient pas rentrés dans leur pays, et menaceraient la ville. Les deux interlocuteurs disputèrent ainsi longtemps et avec vivacité sur la condition préliminaire posée d'une manière absolue par Théognis, et celui-ci, s'échauffant outre mesure, finit par dire au kha-kan: «Retire-toi de devant mes yeux, et prends tes armes!» C'était annoncer assez clairement qu'il voulait livrer bataille le lendemain947; mais ni le lendemain, ni les deux jours suivants, on ne vit les Romains quitter leurs lignes. Attendaient-ils eux-mêmes l'attaque des Avars? Théognis se repentait-il d'un défi jeté dans un accès de colère, et qu'il n'osa pas soutenir de sang-froid? L'inaction des Romains, quelle qu'en fût la cause, enhardit les barbares, qui achevèrent de bloquer Sirmium du côté de la Dalmatie par l'établissement d'un second pont.
Note 945: (retour) Itaque Baïanus advenit, et de equo descendens, in cathedra aurea quæ illi apposita fuit, sedit sub textili gemmis adornato, quod illi præparatum fuerat tanquam tectum. Ante pectus illius et vultum, propugnaculi vice, erat objectum scutum, ne a Romanis forte confertim in eum tela jaculantibus appeteretur. Menand., Exc. leg., p. 131.
Quelques semaines après l'entrevue dont je viens de parler, on apprit que cent mille Slovènes, traversant le delta du Danube, s'abattaient sur la Mésie et la Thrace, et il ne fut pas difficile de deviner la main qui les avait lancés, en songeant que Baïan était maître de la rive droite du fleuve dans la petite Scythie. Les envahisseurs semblaient avoir pour mot d'ordre de détruire plus encore que de piller, et des cris de détresse partirent de ces provinces, que l'armée de Théognis ne secourait point. Entre ces cris et ceux des Sirmiens, que la famine commençait à tourmenter, l'empereur hésitait à faire un choix douloureux; il le fit enfin, et sacrifia Sirmium. Baïan, qui n'avait cessé de déclarer qu'il voulait la ville nue, les murailles, et pas davantage, exigea dans la capitulation que les habitants, qui sortiraient, laisseraient leurs meubles, même leurs habits; il exigea en outre que l'empereur lui fît le rappel des trois dernières années de sa pension, ce qui faisait deux cent quarante mille pièces d'or, à raison de quatre-vingt mille par année948. Enfin, comme il fallait toujours une nullité dans toutes les conventions que consentait le kha-kan, il voulut imposer aux Romains l'obligation de trouver dans l'empire et de lui livrer un transfuge avar qui avait eu commerce avec une de ses femmes: il ne considérerait, disait-il, la paix comme définitive que lorsque cette condition aurait été remplie949. On s'épuisa à lui démontrer qu'elle était presque impossible dans un empire aussi vaste que celui des Romains, où un homme trouvait aisément moyen de se dérober aux recherches, que d'ailleurs il pouvait se faire que cet homme fût déjà mort. «Eh bien! s'écria Baïan, jurez-moi du moins de ne le point cacher, et de me le livrer, mort ou vif, dès qu'il vous tombera sous la main950.» Les Romains le jurèrent, et les Avars prirent possession de Sirmium.
FIN DU TOME PREMIER.
TABLE DES MATIÈRES
DU TOME PREMIER.
Première Partie.--HISTOIRE D'ATTILA.
Chapitre premier.--Origine des Huns.--Leur portrait.--Ils envahissent l'Europe orientale.--Chute de l'empire gothique d'Ermanaric; fuite des Visigoths vers le Danube.--Divisions politiques et querelles religieuses de ce peuple.--Ambassade d'Ultila à l'empereur Valens.--L'empereur accorde aux Visigoths une demeure en Mésie, à la condition de se faire ariens.--Les Visigoths passent le Danube.--Conduite odieuse des préposés romains.--Misère des Visigoths; ils prennent les armes.--Bataille d'Andrinople; défaite des Romains et mort de Valens.--Sage politique de Théodose à l'égard des Visigoths.--Rufin les tire de leurs cantonnements de Mésie pour les jeter sur l'Occident.
Chapitre deuxième.--Arrivée des Huns sur le Danube.--Déplacement des peuples barbares, voisins de la vallée du Danube; les uns se précipitent sur l'Italie, les autres envahissent la Gaule et l'Espagne.--Progrès des Huns vers le haut Danube.--Ils entrent en contact avec les Burgondes de la forêt Hercynienne; ceux-ci se font chrétiens pour leur mieux résister.--Roua, chef de la principale tribu des Huns, devient auxiliaire de l'empire; sa liaison avec Aëtius.--Attila et Bléda, nouveaux rois des Huns; traité de Margus.--Portrait d'Attila.--Il soumet tous des chefs des Huns à son autorité.--Sa campagne contre les Acatzires; il donne pour roi à ce peuple Ellak, son fils aîné.--Il tue son frère Bléda.--L'épée de Mars est découverte par une génisse blessée.--Empire d'Attila.--Différend entre les Huns et les Romains, au sujet de l'évêque de Margus.--Guerres d'Attila, en Pannonie, en Mésie et en Thrace.--L'empereur Théodose II lui achète la paix.
Chapitre troisième.--Ambassade d'Attila à Théodose.--Qui étaient Edécon et Oreste.--L'eunuque Chrysaphius engage Edécon à tuer Attila.--Ambassade de Théodose à Attila: Maximin, Priscus, Vigilas.--Les ambassadeurs huns et romains se rendent ensemble en Hunnie.--État déplorable de la Thrace et de la Mésie.--Halte à Sardique; dîner donné par Maximin; altercation entre les Romains et les Huns; menaces d'Oreste.--Ruines de Naïsse.--Grande chasse préparée par Attila en Pannonie; passage du Danube.--Les ambassades se séparent.--Camp d'Attila.--Visite des officiers huns à Maximin.--Audience d'Attila; tableau de sa cour; sa colère contre l'interprète Vigilas.--Il renvoie Vigilas à Constantinople.--Défense aux Romains de rien acheter en Hunnie.--Maximin et Priscus suivent l'armée d'Attila.--Attila épouse la fille d'Escam.--Voyage des Romains à travers les marais de la Theisse; ils sont assaillis par un orage.--Une des femmes de Bléda leur donne l'hospitalité.--Ils rencontrent des ambassadeurs envoyés à Attila par l'empereur d'Occident.--Sujet de cette ambassade; vases de Sirmium.--Les deux ambassades arrivent dans la ville d'Attila.
Chapitre quatrième.--Palais d'Attila et de Kerka.--Bain d'Onégèse.--Entrée d'Attila dans sa ville capitale.--Onégèse, premier ministre d'Attila.--Conversation de Priscus avec un Grec qui s'était fait Hun: comparaison de la vie barbare et de la vie civilisée.--Onégèse et Maximin.--Audience de la reine Kerka.--Attila rend la justice.--Conversation des Romains sur la puissance et les projets d'Attila.--Attila invite à sa table les deux ambassades romaines.--Description du repas; cérémonial; chants nationaux.--Fils d'Attila.--Apparition du nain Zercon.--Repas chez la reine Kerka.--Attila congédie Maximin.--Mauvaise foi des seigneurs huns; cruauté d'Attila.--Retour de Vigilas avec son fils.--Vigilas est conduit devant Attila et convaincu de complot.--Il avoue pour sauver son fils.--Attila envoie Oreste à Constantinople avec la bourse de Vigilas pendue au cou.--Il demande la tête de Chrysaphius.--Son message menaçant aux deux empereurs d'Orient et d'Occident.
Chapitre cinquième.--Attila tourne ses vues sur l'empire d'Occident.--Signes précurseurs de la guerre.--Servatius, évêque de Tongres, va consulter les apôtres saint Pierre et saint Paul sur leurs tombeaux.--Situation de la Gaule tourmentée par la bagaudie.--Un chef de bagaudes appelle les Huns.--Attila réclame sa fiancée Honoria avec une moitié de l'empire d'Occident.--Il s'allie à Genséric, roi des Vandales, contre les Romains et les Visigoths de la Gaule.--Un prince des Franks trans-rhénans implore son assistance.--Attila mande aux Romains qu'il les délivrera des Visigoths; et aux Visigoths qu'il brisera pour eux le joug des Romains.--Lettre de Valentinien III à Théodoric; les Visigoths restent chez eux.--Dénombrement de l'armée d'Attila.--Sa marche vers le Rhin.--Les Franks des bords du Necker et les Thuringiens se rallient à lui.--Il passe le Rhin sur deux points.--Ses protestations d'amitié pour les Gaulois.--Les Burgondes cis-rhénans sont battus.--Les garnisons romaines et les Franks-Ripuaires et Saliens se retirent au midi de la Loire.--Dévastation de la Gaule par les Huns: les deux Germanies et la seconde Belgique sont mises au pillage.--Sac de Trèves, de Metz et de Reims; meurtre de l'évêque Nicasius et de sa sœur Eutropie.--Rôle des évêques dans l'invasion d'Attila.--Les habitants de Paris veulent fuir: Geneviève les arrête.--Famille de Geneviève, son enfance, sa vocation religieuse aidée par saint Germain d'Auxerre.--Ses austérités; ses extases.--Sa réputation de prophétesse répandue dans tout le monde.--Les Parisiens repoussent ses conseils et veulent la tuer; les femmes s'enferment avec elle au baptistère de Saint-Etienne.--Paris est préservé.--Attila concentre ses forces et se replie sur Orléans.--Sangiban, roi des Alains, promet de lui livrer cette ville.
Chapitre sixième.--Orléans au Ve siècle.--Les habitants mettent leur ville en état de défense.--L'évêque Agnan va trouver dans Arles le patrice Aëtius.--Aëtius promet de secourir Orléans.--Inutilité de ses efforts pour entraîner les Visigoths.--Les Gaulois et les Barbares fédérés et Lètes accourent sous ses drapeaux.--Force de l'armée d'Aëtius.--Caractère d'Avitus; sa liaison avec les Visigoths; son influence sur Théodoric; il le décide à partir.--Les habitants d'Orléans réduits à l'extrémité se découragent.--Ambassade d'Agnan vers Attila.--Les Huns entrent dans Orléans; arrivée d'Aëtius; combat; retraite des Huns.--Attila traverse la Champagne.--Loup, évêque de Troyes, est emmené par Attila.--Combat sanglant entre les Franks et les Gépides à Méry-sur-Seine.--Camp d'Attila près de Châlons.--Attila consulte ses devins sur le succès de la bataille.--Divination des Huns.--Affaire des Champs catalauniques; ordre de bataille des Huns et des Romains.--Discours d'Attila à ses soldats.--La bataille s'engage; horrible mêlée; mort de Théodoric, roi des Visigoths.--Attila est défait et se retranche dans son camp.--Funérailles de Théodoric; son fils Thorismond lui succède.--Thorismond amène les Visigoths à Toulouse.--Joie d'Attila.--Sa retraite jusqu'au Rhin.--Les Visigoths s'attribuent la victoire de Châlons.--Injustice de la cour de Ravenne envers le patrice Aëtius.
Chapitre septième.--Attila réunit une nouvelle armée pour entrer en Italie.--L'envie se déchaîne contre Aëtius; on l'accuse de trahir l'empire.--Aëtius veut emmener l'empereur en Gaule; il y renonce.--Son plan de campagne; l'armée romaine est concentrée en deçà de la ligne du Pô.--Les Huns traversent les Alpes Juliennes.--Siége d'Aquilée.--Force de cette ville; son importance commerciale et maritime.--Vains efforts d'Attila pour s'en emparer.--Des cigognes lui pronostiquent la chute d'une tour.--La ville tombe en son pouvoir.--Héroïsme d'une jeune femme.--Traditions relatives au siége d'Aquilée.--Les Aquiléens se retirent à Grado.--Fondation de Venise.--Lettre de Cassiodore aux tribuns des lagunes.--Ravage de la Vénétie et de la Ligurie par les Huns.--Attila à Milan.--Il veut attaquer Rome; craintes superstitieuses des Huns.--Rome députe vers lui le pape Léon.--Caractère et mérite du pape Léon.--Son entrevue avec le roi des Huns; celui-ci consent à la paix.--Il réclame encore une fois la princesse Honoria.--Retraite de l'armée des Huns par le Norique.--Une druidesse arrête Attila au passage du Lech.--Attila menace l'empire d'Orient.--Erreur de Jornandès au sujet d'une seconde campagne d'Attila dans les Gaules.
Chapitre huitième.--Grands préparatifs de fête chez les Huns; Attila épousé Ildico.--Repas nuptial; Attila est trouvé mort dans son lit.--Douleur furieuse des Huns.--Bruits divers au sujet de la mort d'Attila.--Les chefs des Huns déclarent qu'il a été étouffé par le sang pendant son sommeil.--Funérailles d'Attila.--Chant funèbre des Huns.--Célébration d'une strava.--Cercueils et tombe d'Attila.--Signes prophétiques de sa fin.--La discorde se met entre ses fils.--Ils refusent de reconnaître pour roi Ellak, leur frère aîné.--Révolte d'Ardaric, roi des Gépides.--Guerre entre les capitaines d'Attila et ses fils.--L'empire d'Attila est brisé.--Les Gépides occupent la Hunnie et les Ostrogoths la Pannonie.--Les Ruges et les Scyres entrent au service de Rome.--Dissolution morale de l'empire d'Occident.--Orgueil d'Aëtius.--Il veut marier son fils Gaudentius à la fille de l'empereur.--Perfidie de Valentinien III; il tue le patrice de sa propre main.--Rôle des capitaines d'Attila dans l'empire d'Occident.
Deuxième partie.--HISTOIRE DES FILS ET DES SUCCESSEURS D'ATTILA.
Chapitre premier.--Fils d'Attila: Leur discorde ruine l'empire des Huns.--Les vassaux germains se révoltent.--Bataille du Nétad.--Les Gépides occupent la Hunnie.--Description du cours du Danube.--Anciennes populations de la Pannonie et de la Mésie.--Valakes ou Roumans.--État florissant de la Pannonie et de la Mésie sous l'empire romain.--Empereurs et généraux nés dans ces provinces.--État militaire de la zone du Danube.--Dispersion des Germains après la victoire du Nétad.--Les Huns se fortifient dans l'Hunnivar.--Ils essaient de remettre les Ostrogoths sous le joug et sont vaincus.--Caractère des fils d'Attila: Denghizikh, Hernakh, Emnedzar, Uzindour, Gheism.--Nouvelle attaque des Huns contre les Ostrogoths.--Scission des fils d'Attila; Denghizikh reste dans l'Hunnivar.--Établissement d'Ernakh et du roi alain Candax dans la petite Scythie; d'Emnedzar et d'Uzindour dans la Dacie riveraine.--Sarmates, Cémandres et Satagares en Mésie et en Pannonie.--Politique de l'empire d'Orient à l'égard des fils d'Attila.
Chapitre deuxième.--Les fils d'Attila attaquent de nouveau les Ostrogoths et sont battus.--Ils attaquent l'empire romain.--Campagne d'Hormidac en Mésie.--Siége de Sardique.--Trahison du général de la cavalerie romaine.--Retraite d'Hormidac. Portrait des Huns par Sidoine Apollinaire.--Les fils d'Attila demandent à l'empereur Léon le droit de commercer en Mésie.--Refus de l'empereur.--Colère des fils d'Attila; ils délibèrent en commun; Denghizikh veut la guerre, Hernakh soutient la paix.--Denghizikh entre sur le territoire romain.--Des volontaires goths se joignent à lui.--Campagne de l'Hémus.--L'armée des Huns, enfermée dans un défilé, demande des vivres aux Romains.--Discours du Hun Khelkhal aux Goths auxiliaires des Huns.--Les Huns et les Goths se battent ensemble.--Nouvelle campagne de Denghizikh en Mésie; il est pris et tué; sa tête est exposée dans le cirque de Constantinople.--Les Huns fédérés se plient aux habitudes romaines.--Tribus des Fossaticii et des Sacro-Monticii.--Généraux romains fournis par les Huns.--Ce que deviennent les descendants d'Attila.--Aventures de Mundo fils de Gheism.--Il déserte le territoire des Gépides et se fait brigand.--Les voleurs scamares le prennent pour roi.--Il est assiégé dans Herta; les Ostrogoths le délivrent.--Il se fait vassal de Théodoric.--Il se soumet à Justinien.--Mundo à Constantinople: service qu'il rend à Justinien dans la révolte du Cirque.--Il est nommé commandant de l'Illyrie.--Ses exploits à Salone; il perd son fils Maurice.--Sa fin désespérée.--Jeu de mots des Romains sur sa mort.
Chapitre troisième.--Suites de la mort de Denghizikh; dissolution de son royaume; constitution de nouvelles hordes sur le Volga et sur le Don.--Huns outigours et Huns coutrigours.--Première apparition des Slaves: Antes, Vendes, Slovènes.--Type physique et mœurs des Slaves.--Commencement des Bulgares; portrait de ce peuple; sa religion, ses mœurs.--Alliance hunno-vendo-bulgare.--Les confédérés attaquent l'empire romain.--Combat de la Zurta; les Romains attribuent leur défaite aux sortiléges des Bulgares.--Les Gépides vendent aux Slaves le passage du Danube.--Nouvelles expéditions des Huns, des Bulgares et des Slaves; caractère de chacune de ces barbaries.--État de l'empire romain dans les premières années du VIe siècle: le nestorianisme et l'eutycheisme divisent l'Église d'Orient.--Les Césars de Byzance se font théologiens: Hénotique de Zénon.--Anastase le Silentiaire, empereur; son goût pour la théologie; il n'est couronné qu'après avoir souscrit la formule du concile de Chalcédoine.--Bonnes qualités et défauts d'Anastase.--Il remet en vigueur l'hénotique de Zénon; ses erreurs gnostiques; il opprime les orthodoxes.--Révolte à Constantinople; guerre religieuse dans le nord de l'empire.--Vitalianus.--Le Sénat traite au nom d'Anastase; conditions de la paix.--Anastase construit le long mur pour garantir Constantinople.--Nouveaux ravages des Huns.--Mort d'Anastase.--Justin met le Danube en état de défense.--Tranquillité de l'empire sous son règne; il s'associe son neveu Justinien.
Chapitre quatrième.--Justinien, empereur.--Jugements contradictoires sur ce prince.--Son origine, son nom, sa famille.--Éducation de Justinien; son génie universel, ses passions.--Il épouse la danseuse Théodora.--Commencements de son règne.--Il entreprend de chasser les Vandales d'Afrique.--Réapparition des Slaves et des Huns sur le Danube; ils sont battus par Germain.--Défaite des Slovènes, mort de Khilbudius.--Les Romains battus par les Bulgares; Constantius, Acum et Godilas pris au filet.--Affreux ravages de l'armée hunno-vendo-bulgare dans toute l'Illyrie.--Justinien reprend les travaux de défense commencés par Justin; ses prodigieuses constructions en Mésie et en Thrace.--Sourdes hostilités des Gépides contre l'empire; ils surprennent Sirmium.--Justinien appelle les Lombards en Pannonie et les oppose aux Gépides.--Inimitié des deux peuples.--Ils s'envoient un défi à jour marqué.--Tous les deux réclament l'assistance de l'empereur.--Justinien donne audience à leurs délégués.--Discours des Lombards.--Discours des Gépides.--Justinien se décide en faveur des Lombards.--Incident des Goths Tétraxites.--Leurs ambassadeurs viennent demander un évêque à l'empereur.--Origine et mœurs de ce peuple.--Révélations de ses ambassadeurs au sujet des Huns coutrigours et outigours; Justinien suit leurs conseils.--Ambassade envoyée à Sandilkh roi des Outigours.--Sandilkh promet d'attaquer les Coutrigours toutes les fois qu'ils attaqueront les Romains.--Gépides et Lombards se présentent pour vider leur querelle; une terreur panique s'empare d'eux; leurs armées s'enfuient au lieu de combattre.
Chapitre cinquième.--Rupture de la trêve entre les Gépides et les Lombards.--Kinialkh amène aux Gépides une armée de Huns coutrigours; ceux-ci s'en débarrassent en les jetant sur la Mésie.--Lettre de Justinien à Sandilkh.--Les Huns outigours grossis des Goths Tétraxites attaquent les Coutrigours.--Horrible massacre; des prisonniers romains rompent leurs fers et se sauvent en Mésie.--Kinialkh marche au secours de son pays.--Deux mille Coutrigours obtiennent des terres en Thrace.--Lettre de Sandilkh à Justinien.--Fin du duel des Gépides et des Lombards: les Lombards vainqueurs accusent Justinien de leur avoir manqué de foi.--Vieillesse de Justinien; son gouvernement décline.--Désorganisation de l'armée romaine; corruption des magistrats.--La peste et les tremblements de terre désolent l'empire.--Nouvelle guerre des Huns coutrigours, des Slaves et des Bulgares sous la conduite de Zabergan.--Trois armées envahissent la Thessalie, la Chersonèse de Thrace et le territoire de Constantinople.--Terreur des Romains; faiblesse de la milice palatine.--Le vieux Bélisaire défend Constantinople avec une poignée d'hommes.--Sa tactique prudente devant l'ennemi.--Embuscade qu'il dresse à Zabergan; les Huns sont mis en déroute.--Bélisaire vainqueur est privé de son commandement par Justinien.--Mauvais succès des deux autres armées hunniques.--Belle défense de la Chersonèse de Thrace par Germain; combat naval; mort de ce général.--Zabergan repasse le Danube.--La guerre recommence entre les Coutrigours et les Outigours; arrivée des Avars qui les pacifient en les asservissant.
Chapitre sixième.--Successeurs d'Attila: Aventures des Ouar-Khouni; ils sont sujets des Avars.--Les Turks les emmènent en captivité.--Leur fuite.--Ils prennent le nom d'Avars.--Leur ambassade à Justinien qui les reçoit à sa solde.--Ils subjuguent les Outigours et les Coutrigours au nom des Romains.--Leur arrivée sur les bords du Danube; ils demandent des terres en Mésie.--Le grand kha-kan des Turks les réclame comme ses esclaves fugitifs: leur fraude est découverte.--Leurs ambassadeurs sont joués par Justinien.--Les Avars se rejettent sur les Slaves qu'ils soumettent jusqu'aux montagnes de la Thuringe.--Ils rencontrent les Franks et sont battus.--Leur retour sur le Bas-Danube.--Mort de Justinien.--Caractère de Justin II.--Caractère de Baïan kha-kan des Avars.--Audience de Justin aux ambassadeurs des Avars; il les repousse arrogamment.--Nouvelles querelles entre les Lombards et les Gépides.--Alboïn appelé en Italie par Narsès, veut anéantir d'abord la nation des Gépides.--Il s'allie avec Baïan.--La Gépidie conquise par les Avars reprend son nom de Hunnie.--Baïan réclame des Romains la possession de Sirmium; fermeté du duc Bonus.--Entrevue de ce duc et de Baïan.--Revers des Romains en Pannonie.--Justin tombe en démence et meurt.--Menaces de Turxanth à l'ambassadeur Valentinus au sujet des Ouar-Khouni.--Baïan se procure une flotte.--Il construit un pont de bateaux devant Sirmium.--Opposition du gouverneur romain de Singidon.--Baïan jure d'abord au nom de ses dieux, puis au nom du Dieu des chrétiens qu'il ne veut pas prendre la ville.--Ambassade avare à Constantinople.--Discours insolent de Selakh.--Siége de Sirmium.--Cent mille Slovènes appelés par Baïan s'abattent sur la Mésie et la Thrace.--Tibère abandonne Sirmium aux Avars.
FIN DE LA TABLE DU TOME PREMIER.
PARIS.--IMPRIMERIE DE J. CLAYE, RUE SAINT-BENOIT, 7.