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Histoire d'Attila et de ses successeurs (2/2): jusqu'à l'établissement des Hongrois en Europe

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Note 607: (retour) Vox Dei et populi hungarici, quod die tali, unusquisque armatus in tali loco præcise debeat comparere. Sim. Kez. l. i, c. 2, § 1.
Note 608: (retour) Quicumque ergo edictum contempsisset, prætendere non valens rationem, lex scythica per medium cultro, hujusmodi detruncabat, vel exponi in causas desperatas, aut detrudi in communium servitutem... Id., ibid.

Les Huns partent donc, côtoient la mer Noire et ne s'arrêtent qu'au bord du Danube. De l'autre côté de ce fleuve règne le Lombard Macrinus, tétrarque de Pannonie, de Dalmatie, de Macédoine, de Pamphylie et de Phrygie; ce royaume ne lui appartient pas en propre: il le tient de Théodoric de Vérone, que les Romains ont nommé roi d'Italie. A la vue des Huns, qui se déploient sur la rive gauche du Danube, Macrinus pousse un cri de détresse, et Théodoric accourt à son aide avec une armée composée des nations de tout l'Occident. Il se réunit aux Lombards sous les murs de Potentiana; mais tandis que les deux chefs délibèrent sur le point où ils doivent attaquer les Huns, ceux-ci, arrivés pendant la nuit, traversent le Danube sur des outres et dispersent l'arrière-garde romaine. Théodoric se retire dans les plaines marécageuses où s'élèvera plus tard la ville d'Albe-Royale; il y attire les Huns, auxquels il livre à Tarnok-Welg une grande bataille dans laquelle ceux-ci sont vaincus: cent vingt-cinq mille de leurs guerriers restent sur la place, mais Théodoric a perdu deux cent mille des siens. Un des capitaines des Huns, Kewe, de la race de Zémeïn, était tombé parmi les morts: les Huns s'en aperçoivent dans leur fuite, et reviennent sur leurs pas pour chercher son cadavre, qu'ils enterrent au bord du grand chemin; puis ils élèvent sur sa fosse une colonne ou pyramide de pierres, à la manière des Huns609, ajoute la tradition. Le canton prit dès lors le nom de Kewe-Haza (la demeure, le sépulcre de Kewe), qu'il conserva chez les Hongrois.

Note 609: (retour) Reversi ad locum certaminis, sociorum cadavera, quæ poterant invenire, Cuvem que capitaneum prope stratam ubi statua est erecta lapidea, more scythico, solemniter terræ commendarunt, partesque illius territorii dictæ sunt Cuve-Azoa. Sim. Kez. Chron., l. i, c. 2, § 4.--Kewe-Haza. Ms. Poson.--Chron. Bud.

Cette pyramide sépulcrale, où doit un jour reposer Attila, commence la consécration d'un petit territoire qui deviendra, à mesure que les événements se développeront, le champ sacré de la Hongrie, et réunira successivement dans ses limites la capitale païenne des Huns, Sicambrie, la capitale chrétienne des Hongrois, Albe-Royale, et les trois sépultures d'Attila, d'Arpad et de saint Étienne. On ne devine pas bien à quel événement historique on pourrait rapporter la bataille de Tarnok-Welg, car le tétrarque Macrinus est un personnage imaginaire, de même que sa ville de Potentiana est une ville imaginaire. Les Lombards, comme on sait, ne se sont établis en Pannonie que dans la première moitié du vie siècle, et quant à Théodoric de Vérone, c'est le héros fantastique des poëmes allemands. Toutefois on rejetterait difficilement ces souvenirs à titre de pures inventions: il est probable au contraire que la bataille de Tarnog-Welg et celle qui va la suivre, livrées toutes deux sur la rive droite du Danube, antérieurement au règne d'Attila, appartiennent aux traditions locales de la Pannonie.

Les Huns avaient une revanche à prendre, ils la prennent glorieuse. A la poursuite de leur ennemi vainqueur, ils l'attaquent à quelques milles au-dessus de Vienne, dans un lieu appelé par la tradition Cézunmaur, et qui n'est autre que le défilé fortifié du Mont-Cettius. La bataille dure depuis l'aube du jour jusqu'à la neuvième heure. L'armée romaine et germaine est mise en pleine déroute, Macrinus est tué, Théodoric blessé. Une flèche qui l'atteint au front pénètre dans l'os et s'y fixe: son sang coule comme un déluge; mais il défend qu'on arrache le fer de sa blessure, tant il est impatient de regagner Rome pour instruire le sénat de son désastre. Il saute à cheval, il dévore l'espace, il arrive, il entre dans l'assemblée portant au front le fer et le bois de la flèche610, sanglant témoin des luttes qu'il vient de soutenir. Rome apprend par ce narrateur muet et sa propre défaite et la vigueur d'un ennemi qui sait frapper de pareils coups. «Cette aventure, nous dit le vieux récit, valut à Théodoric le surnom d'Immortel que lui donnent les Hongrois dans leurs chansons, Halathalon Detreh611

Note 610: (retour) Cujus tandem sagittæ truncum ipse Detricus (Theodericus)... in curiam pro documento certaminis in fronte detulisse... Thwrocz., Chron. Hung., c. 12.
Note 611: (retour) Propter hoc immortalitatis nomen usurpasse narratur; Hungarorum que in idiomate, Halathalon Detreh dici meruit, præsentem usque diem. Id. ibid.

Du côté des Huns, quarante mille guerriers jonchaient la plaine de Cézunmaur, et dans ce nombre les capitaines Béla, Kadicha et Rewa, qui furent inhumés sous la pyramide de Kewe-Haza. Des six chefs militaires qui avaient amené les Huns d'Asie en Europe, il ne restait plus qu'Attila et Buda: Attila est proclamé roi, mais il s'associe son frère, à qui il abandonne le gouvernement des pays situés à l'orient de la Theïsse, se réservant tout ce qui a été déjà conquis et tout ce qu'il doit conquérir lui-même à l'occident de cette rivière. Il pose de sa main la borne séparative des deux États, fixe sa résidence à Sicambrie et veut que cette ville porte désormais son nom. Les rois de Germanie, que la défaite de Cézunmaur a remplis de crainte, viennent lui rendre hommage, et Théodoric à leur tête se déclare son vassal. Flatteur insinuant et perfide, Théodoric déguise sa haine sous un faux semblant d'amitié, et pousse le nouveau roi à des expéditions aventureuses où il espère le voir périr; ainsi il lui met en tête de subjuguer par ses armes tous les royaumes de l'Europe. Attila, enflé d'orgueil, ajoute à ses titres de roi des Huns, petit-fils de Nemrod, ceux de fléau de Dieu et de maillet du monde; flagellum Dei, malleus orbis612.

Note 612: (retour) Sim. Kez. l. i, c. 1, § 5.--Chron. Budens., p. 17.--Thwrocz. c. 13.

L'Attila de la tradition magyare est en grande partie celui de l'histoire: basané, court de taille, large de poitrine, la tête rejetée en arrière, il porte en outre une barbe longue et touffue comme les Huns blancs et les Turks613, tandis que l'Attila historique est presque imberbe comme les Finno-Huns et les Mongols. On ne lui trouve point non plus dans la fiction traditionnelle cette fière simplicité que l'histoire remarque, et qui le distinguait entre tous les Barbares de l'Orient. Ici il a les allures somptueuses et l'attirail superbe d'un kha-kan turk. Sa tente d'apparat se compose de lames d'or articulées, qui s'ouvrent et se referment comme les branches d'un éventail; elle a pour supports des colonnes d'or ciselé garnies de pierres précieuses. Son lit, qu'il emporte avec lui dans toutes ses guerres, est la merveille des arts; sa table est d'or, son service d'or, ainsi que ses ustensiles de cuisine. La pourpre et la soie tapissent ses écuries, que peuplent les plus belles races de chevaux; leurs harnais et leurs selles sont d'or incrusté de diamants; c'est en un mot toute la féerie orientale. Attila a pour armes un épervier couronné: cet oiseau, appelé Turul en vieil hongrois, est peint sur son écu et brodé sur sa bannière; il orna aussi le drapeau des Magyars jusqu'au temps de saint Étienne614. L'épervier, dans la poésie traditionnelle hongroise, est le symbole d'Attila et sa personnification: Almus, arrière-petit-fils du roi des Huns, est qualifié d'enfant de Turul615.

Note 613: (retour) Barbam prolixam deferebat. Sim. Kez. l. i, c. 1, § 6.--Cf. Jorn., R. Get., 35. Voir ci-dessus Histoire d'Attila, c. 2, p. 52, not. 2.
Note 614: (retour) Banerium quoque regis Ethelæ, quod proprio scuto gestare consueverat, similitudinem avis habebat, quæ hungarice Turul dicitur, in capite cum corona. Sim. Kez. l. ii, c. 2, § 6.
Note 615: (retour) De genere Turul. Sim. Kez. l. ii, c. 1, § 4.

D'après le conseil de Théodoric de Vérone, Attila traverse le Rhin et entreprend la conquête des Gaules. Je ne le suivrai pas dans les détails du récit traditionnel, qui ne fait guère que résumer les légendes des pays latins, en les accommodant à sa guise et les tournant à la gloire des Huns. Il fallait s'attendre à y trouver Attila toujours vainqueur; c'est ce qui arrive en effet, même au combat des champs catalauniques, qui ne se passe point en Champagne, comme le veut l'histoire, mais en Catalogne à cause de la ressemblance des noms. Là, un tiers de l'armée hunnique se sépare du reste, pour aller conquérir l'Espagne et le Maroc616, tandis que les deux autres tiers ravagent la Gaule, parcourent la Frise, le Danemark, la Suède, la Lithuanie, et regagnent les bords du Danube par la Thuringe. Ces guerres épisodiques fournissaient aux rapsodes magyars des cadres commodes, dans lesquels la noblesse de Hongrie pouvait aisément intercaler ses aïeux.

Note 616: (retour) Sim. Kez. l. i, c. 3, § 1.--Chron. Bud., p. 21, 22.--Thwrocz., c. 15, 16.

Le retour d'Attila à Sicambrie amène entre son frère et lui la sanglante tragédie qui malheureusement appartient à l'histoire comme à la tradition. Buda, animé d'une secrète envie, a déplacé la borne posée par Attila entre leurs deux gouvernements. Il a fait plus: au mépris des ordres de son frère, qui prescrivait que Sicambrie portât son nom, Buda l'a fait appeler Budavar, c'est-à-dire la ville, la forteresse de Buda. Irrité de ces actes de désobéissance, Attila le traite en rebelle et le tue. «Les Germains, frappés de crainte, dit à ce propos Simon Kéza, se hâtèrent de changer le nom de Sicambrie en celui d'Ethelburg, ville d'Ethel ou d'Attila; mais les Huns, qui n'avaient pas peur, continuèrent à l'appeler Budavar617.» C'est aujourd'hui la ville de Ó-Bude, Vieille-Bude.

Maître d'une grande partie de l'univers, Attila veut régler la police de son royaume. Il établit un service de surveillance et de guet qui, de Sicambrie comme d'un point central, se dirige vers les quatre points cardinaux. Des crieurs échelonnés d'espace en espace sur ces lignes, jusqu'à la portée de la voix humaine, se transmettent mutuellement les nouvelles, et chaque jour l'on sait aux extrémités du monde ce que fait le grand roi des Huns618.

Note 617: (retour) Teutonici interdictum formidantes eam Echulburc (Etzelburg) vocaverunt, Hunni vero curam parvam illud reputantes interdictum, usque hodie eamdem vocant Oubudam (Ó Budam) sicut prius. Sim. Kez., l. i, c. 3, § 4.
Note 618: (retour) Sim. Kez., l. i, c. 3, § 5.--Chron. Bud., p. 24.

L'Italie lui manquait encore: il y conduit une armée innombrable. Tandis qu'il ravage d'abord la Dalmatie et l'Istrie, et rase au niveau du sol les magnifiques palais de Salone, Zoard, un de ses capitaines, descend, le long de la mer Adriatique, vers l'Apulie et la Calabre. Zoard parcourt ce pays le fer et la flamme en main; il dévaste la terre de Labour et couronne son expédition par le sac de l'abbaye du Mont-Cassin619. Là s'enchaînait, suivant toute apparence, une série d'épisodes destinés à glorifier les grandes maisons hongroises, principalement celle de Léel, dont Zoard était réputé le fondateur.

Note 619: (retour) Sim. Kez., l. i, c. 4, § 1.--Chron. Bud., p. 27.--Thwrocz. c. 20, 21.

La tradition éprouve ici dans les chroniques une sorte de bifurcation que je dois signaler. Celles qui sont postérieures au xiie siècle ne font guère que copier les traditions locales et les légendes qu'elles ont empruntées à l'Italie: ainsi le prétendu siége de Ravenne, la conférence d'Attila avec l'archevêque arien de cette ville, qui l'engage à marcher sur Rome pour exterminer le pape et la papauté, l'apparition de saint Pierre et de saint Paul armés de glaives et menaçant la tête du roi des Huns tandis que saint Léon le supplie à genoux, toutes ces fables italiennes, dont j'ai parlé dans l'exposé des traditions latines, sont reproduites presque sans variantes par Simon Kéza et par ses imitateurs. Mais les chroniques antérieures au xiiie siècle ne contiennent rien de ce bagage étranger. C'est donc à elles qu'il faut demander la vraie et pure tradition magyare sur la campagne d'Attila en Italie; nous la trouvons en effet dans la chronique de l'évêque Chartuicius, empreinte d'une originalité et d'une grandeur poétique incomparables. Ce n'est plus ici la peur de deux fantômes qui arrête Attila aux portes de Rome, l'empêche de violer la ville éternelle et sauve de la profanation les tombeaux des apôtres; ce n'est pas même la prière d'un pape agenouillé: c'est Dieu qui vient en personne changer la résolution du barbare. Jésus-Christ ordonne à son fléau de respecter les ossements de ceux qui furent ses vicaires, et il lui promet, pour prix de sa docilité, qu'un de ses successeurs recevra un jour d'un des successeurs de Pierre une grâce qui rejaillira sur toute sa race. Le grand marché est conclu par l'intermédiaire d'un ange, et l'on aperçoit en perspective, dans le lointain des siècles, la conversion des Magyars au christianisme, saint Étienne, le pape Sylvestre et la sainte couronne de Hongrie. Telle est la vraie tradition, ainsi qu'elle était formulée au lendemain de la mort de saint Étienne. Quelle différence n'y a-t-il pas entre cette inspiration vraiment épique et les grossières imaginations de la légende italienne! En abrégeant le précieux récit de Chartuicius, je tâcherai de lui conserver son caractère de simplicité biblique et d'énergie parfois sauvage.

«Le roi Attila, dit le vieux chroniqueur, franchit les montagnes des Alpes, et parcourt la vaste plaine de Lombardie toute parsemée de villes florissantes, tout entrecoupée de murailles, toute décorée de hautes tours: il dévaste la campagne, il ruine les villes, il nivelle les tours, il disperse les pierres des murailles, et fait peser tant d'épouvanté et de calamités sur les habitants que ceux-ci le surnomment la plaie de Dieu620.

Note 620: (retour) Terram vastavit, muros dissipavit, turres confregit, pro iniquitate autem tali, plaga Dei appellatus est. Chartuic., Chron. Hung. 3.

«Une seule idée le préoccupe, celle de parcourir l'univers entier et de fouler aux pieds l'empire romain; il fait donc marcher son armée du côté de Rome; lui-même la précède, l'âme cuirassée de férocité621. A la première station de la nuit, comme il dormait sous sa tente, un ange du ciel lui apparaît et lui dit:--«Écoute, Attila, voici ce que te commande le Seigneur Dieu Jésus-Christ. N'entre pas avec ta colère dans la sainte cité, où reposent les corps de mes apôtres; arrête-toi ici et retourne sur tes pas. Quand tu auras de nouveau traversé les Alpes, tu entreras dans la contrée des Croates et des Esclavons; je te la livre, parce que les peuples qui l'habitent ont mérité ma malédiction en s'élevant contre un roi que j'aimais et le faisant périr traîtreusement, car ils ont dit dans leur cœur: Il n'y aura jamais de roi sur nous, mais nous-mêmes nous serons rois. Voici encore ce que je te promets pour prix de ta soumission: un jour viendra où ta génération visitera Rome en toute humilité, et un de tes descendants y recevra le don d'une couronne qui n'aura point de fin622.» L'ange disparut à ces mots.

Note 621: (retour) Armatus feroci animo procedebat. Chartuic., Chron. hung., 3.
Note 622: (retour) Generationem autem tuam post te in humilitate Romam visitare et coronam perpetuam habere faciam. Id., ub. sup.

«Quand le matin fut venu, Attila, se rappelant son rêve, obéit aux paroles de l'ange. Il replie ses tentes, donne à son armée le signal du retour, et reprend à travers l'Italie la route qu'il venait déjà de parcourir. On eût dit que ce n'était plus Attila, tant son cœur avait changé. Il entrait dans les villes et ne les pillait point; il passa devant Venise et l'épargna. A quelques milles au delà, il fait halte sur le rivage de la mer et fonde une grande cité que de son nom il appelle Attileia: ce fut la ville d'Aquilée. Lorsqu'il la voit debout, il recommence sa marche et entre dans les Alpes carinthiennes, où le guide la vengeance céleste. Au revers des montagnes, il aperçoit, rangés en bon ordre, avec leurs hommes d'armes, les princes de Croatie et d'Esclavonie, qui cherchent à lui couper le passage. Leurs troupes innombrables couvrent à perte de vue la plaine, les vallées, les collines; et le soleil, répercuté sur les boucliers d'or, embrase les montagnes comme d'un vaste incendie. Attila descend, et la bataille s'engage. Huit jours entiers on se bat sans repos ni trêve; enfin le Seigneur livre aux mains d'Attila la terre des Slaves et des Croates, parce que ces hommes étaient infidèles623, et que le roi des Huns avait obéi docilement aux ordres de Dieu.

Note 623: (retour) Tradidit autem eos Deus in manus Attilæ regis propter regem eorum... quem tradiderunt et turpiter occiderunt. Chartuic., Chron. Hung., 3.

«Maître de la Croatie et de l'Esclavonie, Attila passe la Drave. Plus il parcourt le pays qu'il a conquis, plus il l'aime. Du pied des Alpes au Danube, ce ne sont que prairies verdoyantes, tapissées de hautes herbes, peuplées de troupeaux et de pâtres, de juments et de poulains indomptés624. Au delà du Danube et de la Theïsse s'étend une contrée plus spacieuse encore et plus belle, plus riche en prairies, plus abondante en moissons. Longtemps il avait roulé dans son esprit le projet de retourner en Asie, au berceau de ses ancêtres; il délibère de nouveau en lui-même s'il accomplira ce dessein, ou s'il se fixera dans le pays soumis par ses armes. Se souvenant alors de la promesse de l'ange, il se décide à rester, établit son armée à demeure, distribue la terre aux princes et aux barons, et, du consentement de tous, règle que son fils aîné sera roi après sa mort.»

Note 624: (retour) Terram planam et campestrem herbisque superfluis virentem, pastoribus et pecudibus, jumentis et poledris indomitis plenam. Id., ibid.

Attila avait alors cent vingt-quatre ans625, ce qui n'était pas chez les Huns un âge très-avancé, puisque son père Bendekuz vivait encore et gouvernait en Asie la tribu des enfants de Nemrod626. A cet âge, il n'a rien perdu de l'ardeur et des passions de la jeunesse. Un peuple de femmes qu'il augmente sans cesse par de nouveaux mariages remplit son palais: à leur tête figurent deux princesses de sang illustre, la Romaine Honoria, fille d'Honorius, empereur de Grèce, et la Germaine Crimhilde, fille du duc de Bavière. Chacune d'elles lui a donné un fils, déjà sorti de l'adolescence: le fils d'Honoria se nomme Chaba, celui de Crimhilde, Aladarius. Enfants de deux mères rivales, ces deux jeunes gens se jalousent, et leur inimitié menace l'empire des Huns de déchirements et de ruines. Nous trouvons ici un mélange bizarre de la tradition nationale avec la tradition allemande; celle-ci a fourni Crimhilde, celle-là Honoria. La vanité asiatique n'a pas voulu que l'amour d'une fille d'empereur romain, si indigne qu'on la supposât, fût perdu pour un roi des Huns, et elle a marié Attila à la petite-fille de Théodose. Elle a fait plus: elle a voulu que sa descendance légitime se perpétuât seulement par cette misérable folle qu'il ne réclama jamais sérieusement, et qu'il dédaigna quand il put l'avoir. Honoria, dans la tradition magyare, est la véritable épouse d'Attila, la souche féminine des ducs et rois de la Hongrie, l'aïeule prédestinée de saint Étienne.

Note 625: (retour) Thwrocz. Chron. Hungar., c. 22.
Note 626: (retour) De consilio Bendekuz avi sui quem sanum sed nimis decrepitum dicitur invenisse. Chron. Bud., p. 31.--Cf. Sim. Kez. l. I. c. 4, § 5, 6.--Thwrocz.

Cependant arrive du fond de l'Asie à la cour d'Attila une jeune fille d'une incomparable beauté, que son père, roi des Bactriens, offre pour épouse au grand roi des Huns. Elle se nomme Mikolt627, et tous les yeux sont éblouis en la voyant. Attila veut que son nouvel hymen soit inauguré par des fêtes splendides, des courses de chevaux, des combats simulés et un repas qui dure trois jours; mais des pronostics menaçants viennent se mêler aux éclats de sa joie. Son cheval favori meurt subitement le jour même des noces, et quand sa fiancée, le soir, veut entrer dans la chambre nuptiale, elle se heurte le pied droit contre le seuil de la porte si rudement qu'elle est obligée de s'asseoir. «Que tardes-tu?» criait Attila dans son impatience.--«Je viendrai quand il sera temps628!» répondit Mikolt. On vit dans cette scène un présage de mort. Le lendemain en effet, Attila est trouvé dans son lit, froid et tout baigné de sang: une hémorragie l'a enlevé pendant qu'il dormait. Nous reconnaissons ici la tradition hunnique directe, celle que propagèrent les fils mêmes du conquérant, lorsqu'ils firent chanter à ses funérailles que la mort de leur père ne réclamait point de vengeance.

Note 627: (retour) Al. Mykolth. Sim. Kez., l. 1, c. 3, § 4.--Micolch., Chron. Bud., p. 28.
Note 628: (retour) Novæ nuptæ cubiculum intrantis pes dexter, sic limini impactus est, ut præ dolore aliquantisper assederit, auditaque est ejus vox dicentis: Si tempus est, veniam. Quibus verbis mortem in dolore compellasse credidere. Callimach., Vit. Attil., in fin.

A peine la tombe du roi des Huns est-elle fermée, que ses deux fils, Chaba et Aladarius, tirent l'épée pour s'arracher les lambeaux de son héritage. C'est Théodoric qui les pousse à la destruction du royaume de leur père629. Les Germains prennent parti pour le fils de Crimhilde, les Huns pour celui d'Honoria, et la lutte à mort va se vider sur un plateau qui domine Bude, ville fatale, déjà marquée par un fratricide. La bataille ne dure pas moins de quinze jours; quinze jours durant, la flèche siffle dans l'air, les boucliers se heurtent et les épées se croisent: on ne vit jamais pareil massacre dans le monde. Chaba est vaincu, mais Aladarius vainqueur meurt de ses blessures. Les Germains donnèrent à cette terrible journée le nom de Crimhilt, en souvenir de la princesse germaine, mère d'Aladarius, qui avait semé la haine dans le cœur des deux frères, et qui peut-être présidait à la bataille où périt son fils. «Tant de sang y fut verse, dit Simon Kéza, que si les Allemands ne s'obstinaient pas à mentir par vanité, ils confesseraient que pendant plusieurs jours ni hommes ni bêtes ne purent boire dans le Danube entre Potentiana et Sicambrie, attendu que le fleuve roulait dans son lit moins d'eau que de sang630.» Cette phrase nous prouve qu'il existait au moyen âge une rivalité patriotique entre les minnesingers allemands et les rapsodes hongrois; chacun cherchant à exalter son pays aux dépens de l'autre: ce fut au milieu de ces joutes de l'orgueil national et de la poésie que la tradition revêtit sa dernière forme.

Note 629: (retour) Ditrici astutia Veronensis. Sim. Kez., l. 1, c. 4, § 5.
Note 630: (retour) In quo quidem prælio tantus sanguis effusus est, quod si Teutonici ob dedecus non celarent, et vellent pure reserare, per plures dies aqua bibi in Danubio non poterat, nec per homines nec per pecus, quoniam de Sicambria usque urbem Potentianæ sanguine inundavit. Id. ub. sup.

Chaba vaincu se réfugie en Grèce avec quinze mille Huns, débris de son armée. Honorius, son aïeul, d'après la tradition (car la similitude de nom a fait d'Honoria une fille d'Honorius631), le reçoit avec tendresse à Constantinople, veut le retenir près de lui, et lui offre pour ses sujets des terres et des femmes. «Non, répond résolument le fils du Hun, j'ai en Asie, dans le pays des Moger, un autre aïeul que je dois revoir, j'ai une famille et une nation auxquelles je dois demander vengeance de la perfidie des Germains.» Il part donc après un court séjour en Grèce, et trouve dans le pays des Magyars son grand-père Bendekuz encore vivant, mais courbé sous les infirmités et le chagrin. Chaba le console, l'assiste dans le gouvernement de sa tribu et finit par lui succéder. Toutefois le fils d'Attila ne parvient pas à gagner l'affection des Magyars. Fier de sa descendance impériale, il affiche des prétentions blessantes pour sa nation. Les Magyars le rejettent à leur tour et le regardent comme un étranger; leurs filles mêmes s'éloignent de lui, aucune ne consent à le prendre pour époux, et il faut que Bendekuz aille chercher une femme pour son petit-fils chez les tribus du Korasmin632. Ce rôle de Chaba parmi les Magyars, son orgueil romain et le souvenir de sa mère Honoria planant sur toute cette histoire, mais à peine indiqué dans les maigres chroniques qui nous restent, donnent lieu de penser qu'ici se développait dans l'épopée hongroise quelque grand épisode se reliant à des traditions asiatiques aujourd'hui perdues. Chaba néanmoins fait oublier son orgueil; sa lignée prend racine dans le Dentumoger, et continue le rameau direct d'Attila jusqu'à la naissance d'Almus, père d'Arpad. Ses fils sont parmi les Magyars les gardiens fidèles des vieux souvenirs et de la renommée de leur aïeul; ils ne cessent d'animer leurs compatriotes à la recouvrance du patrimoine des Huns, envahi par les Germains et les Slaves.

Note 631: (retour) Iste ergo Chaba filius Ethelæ est legitimus, ex filia Honorii imperatoris Græcorum genitus. Sim. Kez. l. 1, c. 4, § 6.
Note 632: (retour) Propter quod ex Scythia uxorem non accepit, sed traduxit de gente Corosmina. Id., ibid.

Mais Chaba et ses quinze mille compagnons fugitifs ne sont pas le seul débris du peuple d'Attila; un autre débris parvient à se maintenir en Hunnie. La chaîne des Carpathes, comme on le sait, est couronnée à l'orient par un grand cirque de montagnes abruptes qu'un défilé presque inaccessible ferme au midi, et qui s'ouvre et s'incline doucement du côté du nord. Les forêts séculaires dont ce plateau est couvert lui ont fait donner en langue hongroise le nom d'Erdeleu, terre des forêts, en latin Transylvania. Trois mille guerriers huns échappés au massacre de Crimhilt s'y sont retranchés comme dans une forteresse naturelle; mais comme ils voient les Germains acharnés à l'extermination de leur race, ils quittent leur nom de Huns, afin de se mieux cacher et prennent celui de Szekelyek633 (Siculi), qui ne signifie pas autre chose qu'habitants des siéges administratifs ou des districts634. A la faveur de ce subterfuge, ils se propagent et conservent leur indépendance, soit contre les Germains, soit contre les Valakes et les Slaves. Du haut des montagnes où il est campé comme en vedette, le Sicule a les yeux incessamment tournés vers l'Asie, d'où il attend Chaba et les Magyars, et avec eux la délivrance de sa terre natale; mais son attente est vaine, il faut qu'il se passe quatre générations d'hommes avant que le temps marqué pour cette délivrance soit accompli, et c'est à lui, enfant des compagnons d'Attila, qu'est réservé l'honneur d'introduire les Magyars dans l'héritage des Huns. Le Sicule est en Occident ce qu'est en Orient la tribu de Chaba, le gardien officiel de la tradition. Ce rôle, il le revendiquait au moyen âge, et son langage était plein d'allusions à l'histoire du conquérant et de ses fils. Ainsi il donnait à une plante médicinale de ses montagnes le nom de baume de Chaba, «attendu que Chaba, instruit dans les secrets de la nature, avait employé cette herbe après la bataille de Crimhilt à guérir ses soldats blessés et à se guérir lui-même635.» On citait de lui, dès le xiie siècle, un proverbe plein de mélancolie patriotique et de tendresse. Un Sicule se séparait-il de l'ami qu'il craignait de ne plus revoir, il lui disait avec un doux reproche: «Oh! tu me reviendras, quand Chaba reviendra de la Grèce636

Note 633: (retour) Timentes occidentis nationes, in campo Chigle usque Arpad permanserunt, qui se ibi non Hunnos, sed Zaculos (al. Siculos) vocarunt. Sim. Kez, l. 1, c. 5, § 6.
Note 634: (retour) Szek, siége administratif, d'où Szekelyek habitant des siéges administratifs.
Note 635: (retour) Pimpinella saxifraga Chaba-Ire, hoc est, Chabæ implastrum; nam ferunt Chabam regem Attilæ regis minorem filium... Olahus. Vit. Attil.
Note 636: (retour) Unde vulgus adhuc loquitur in communi: Tunc redire debeas, dicunt recedenti, quando Chaba de Græcia revertetur. Sim. Kez. l. 1, c. 4, § 6.--Thwrocz., i, c. 24.

Dans toutes ces traditions, il n'est pas question de l'empire avar. Les Avars y sont confondus avec les Huns; leurs guerres de Carinthie, de Dalmatie et d'Allemagne y sont attribuées à leurs devanciers ou à leurs successeurs, et les exploits de Baïan allongent la vie d'Attila. Si quelque vague souvenir du nom d'Avar reste encore dans le moyen âge hongrois, il s'applique à on ne sait quelle race de sorciers et de fées qui aurait construit ces grands remparts des kha-kans, dont les derniers vestiges ont disparu de nos jours637. Quant aux Sicules, l'opinion est unanime depuis le xie siècle pour les considérer comme un peuple antérieur à l'arrivée des Magyars sur les bords du Danube. En admettant cette antériorité, qui paraît incontestable, on peut encore se demander si les Sicules, comme ils le prétendent, sont un reste des Huns d'Attila, ou simplement un reste des Avars. Historiquement leur descendance directe des Huns n'aurait rien d'impossible, car les faits démontrent qu'il resta parmi les Gépides, devenus maîtres de la Hunnie, plusieurs noyaux de population hunnique, et même un fils d'Attila638; toutefois il est plus raisonnable, plus conforme à la nature des choses, de voir dans le peuple sicule une tribu avare que les envahissements des Slaves n'ont pas eu le temps d'étouffer. L'une ou l'autre hypothèse est indifférente dans la question qui nous occupe. Le rôle attribué aux Sicules par la tradition, d'avoir été les introducteurs des Magyars dans l'ancienne Hunnie et les gardiens des souvenirs d'Attila, s'expliquerait également bien, que les Sicules fussent des Avars, ou qu'ils fussent des Huns.

Note 637: (retour) On peut consulter sur ces vagues traditions l'intéressant ouvrage de M. J. Boldényi, la Hongrie ancienne et moderne, 1851.
Note 638: (retour) Histoire des Fils et des Successeurs d'Attila, c. i.

ARPAD.

Quatre générations se sont écoulées depuis la mort du grand roi des Huns, et Elleud, fils d'Ugek, fils d'Ed, fils de Chaba, fils d'Attila, règne sur la tribu d'Erd, au pays des Magyars. Elleud est sombre et chagrin, car il n'a point de fils, et sa femme chérie, Emésu, maudit nuit et jour sa stérilité. Une nuit que, lasse de pleurer, elle a cédé au sommeil, elle voit en songe l'oiseau Turul, l'épervier, symbole d'Attila, qui, planant au-dessus d'elle, semble l'enchaîner sous son vol, puis replie doucement ses ailes et vient dormir à son côté639. Elle rêve ensuite que son sein se brise, et qu'il en jaillit un torrent brillant et brûlant comme du feu, qui parcourt le monde en le couvrant de ruines. Neuf mois après, elle met au monde un fils qu'elle appelle Almus, mot qui signifie également l'enfant du rêve et l'enfant sanctifié640; les Magyars le surnomment l'enfant de l'épervier641. Cette incarnation d'Attila dans son petit-fils Almus n'a rien que de conforme aux idées orientales.

Note 639: (retour) Matri ejus prægnanti per somnium apparuit divina visio in forma austuris quæ quasi veniens eam gravidavit... Anonym., Chron. Hung., 3.
Note 640: (retour) Quia ergo somnium in lingua hungarica dicitur Almu, et illius ortus per somnium fuit prognosticatus, ideo ipse vocatus est Almus; vel ideo vocatus est Almus, id est sanctus, quia ex progenie ejus sancti reges et duces erant nascituri. Id., ub. sup.
Note 641: (retour) De genere Turul. Sim. Kez. l. ii, c. i, § 4.

Aujourd'hui encore les Mongols attendent la venue de Timour, qui doit s'incarner pour relever son peuple et lui rendre la domination de l'Asie. Almus ouvre un nouveau cycle de la poésie magyare, en même temps qu'une nouvelle période de l'empire des Huns.

Il grandit et se développe dans tout l'éclat de la beauté magyare. «Il était brun, tirant sur le noir, dit la tradition; il avait de grands yeux noirs, une taille dégagée et souple, les mains grosses et les doigts longs642. Nul ne l'égalait en générosité, en bravoure et en justice, car, bien qu'il fût païen, le Saint-Esprit était avec lui643.» Il se marie, et son fils Arpad devient homme à ses côtés; mais une inquiétude secrète tourmente Almus. Quelque chose l'entraîne hors de son pays, à la recherche des royaumes jadis conquis par Attila: cédant enfin à sa destinée, l'enfant de Turul se décide à partir et appelle à lui des compagnons. Il s'en présente sept, sept chefs braves et renommés que suit une armée innombrable, et qui portent, dans la tradition, le nom d'Hétu-Moger, c'est-à-dire les sept Magyars par excellence. Les Huns, à leur départ d'Asie, comptaient aussi sept chefs, six capitaines et le grand-juge Turda. Les Hétu-Moger choisissent Almus pour commandant suprême ou duc, et se lient entre eux et à lui par un serment terrible. Rangés en cercle autour d'un baquet, le bras gauche étendu, ils s'ouvrent la veine avec leur poignard, et, confondant dans le baquet leur sang qui jaillit, ils jurent de reconnaître pour leurs ducs à perpétuité Almus et ses descendants, de mettre en commun leur butin et leurs conquêtes, de se tenir tous pour égaux, ayant place au conseil du chef; et tandis que leur sang tombe à gros bouillons dans le vase, ils prononcent ensemble ces mots: «Qu'ainsi coule jusqu'à la dernière goutte le sang de quiconque se révoltera contre le chef, ou tentera de diviser sa famille! Qu'ainsi coule le sang du chef, s'il viole jamais les conditions de ce pacte644!» Telle fut la première loi de la république des Magyars.

Note 642: (retour) Manus habebat grossas et digitos prolixos... Anonym., Chron. Hung., 3.
Note 643: (retour) Donum spiritus sancti erat in eo licet pagano... Id., ibid.
Note 644: (retour) Sanguis nocentis funderetur sicut sanguis eorum fuit fusus in juramento, quod fecerunt Almo duci.--Ut si quis de posteris ducis Almi et aliarum personarum principalium juramenti statuta ipsorum infringere voluerit... Anonym. Gest. Hung., 6.

Les Magyars partent sous la conduite d'Almus. Ils traversent les steppes, évitant les lieux habités, mangeant le gibier des broussailles et le poisson des rivières, et ne touchant à rien de ce qu'a produit le labeur de l'homme. Quand ils rencontrent devant eux quelque large fleuve, ils le passent, assis sur leur tulbou, outre de cuir qui leur sert de nacelle645. Ils arrivent enfin aux bords du Dniéper, que domine la grande et forte cité de Kiew, habitée par les Russes. A la nouvelle que les Magyars approchent et que leur duc Almus est un petit-fils de cet Attila à qui la Russie payait jadis tribut646, Kiew ferme ses portes, et les Russes appellent à leur aide les Cumans blancs leurs voisins; mais le duc Almus n'a pas besoin d'aide, car le Saint-Esprit combat pour lui647. La bataille commence avec une ardeur égale de part et d'autre, et les Russes poussent des cris féroces qui étonnent un moment les Magyars. «Rassurez-vous, dit le duc Almus à ses soldats: ce sont là des hurlements de chiens, et quand les chiens ont vu le fouet du maître, ils se couchent à plat ventre et se taisent.» La fureur des combattants redouble; les Russes enfoncés sont mis en fuite, et les têtes tondues des Cumans roulent à terre comme des courges crues648.

Note 645: (retour) Super tulbou sedentes, ritu paganismo (sic) transnataverunt. Anonym., ibid., 7.
Note 646: (retour) Tum duces Ruthenorum hoc intelligentes, timuerunt valde, eo quod audiverunt Almum ducem filium Ugek de genere Athile regis esse, cui proavi eorum annuatim tributa persolvebant. Anonym., Gest. Hung., 8.
Note 647: (retour) Almus, cujus adjutor erat spiritus sanctus, armis indutus, ordinata acie... Id. Gest. Hung., 6.
Note 648: (retour) Tonsa capita Cumanorum Almi ducis milites mactabant tanquam crudas cucurbitas. Id., ibid.

Kiew ouvre ses portes, et ses principaux habitants, les mains chargées de présents inestimables viennent trouver le duc Almus dans son camp. «Que veux-tu faire dans notre pays? lui disent-ils. Vois là-bas, au soleil couchant, par-delà la forêt des Neiges, c'est l'ancien royaume d'Attila, la terre de Pannonie649: il n'en est pas de meilleure au monde. Des fleuves remplis de poisson, le Danube, la Theïsse, le Vag, le Maros, le Temèse, la traversent, et des ruisseaux sans nombre la fertilisent. Cette bonne terre est actuellement aux mains des Slaves, des Bulgares, des Valakes et des bergers romains qui s'en sont emparés après la mort du roi Attila. Les Romains ont dit que la Pannonie était leur pacage: ils ont bien dit, car ils font paître leurs troupeaux sans trouble sur le patrimoine des Magyars650.» Ces paroles excitent l'impatience d'Almus; il reçoit des Russes un tribut de dix mille marcs d'or; des fourrures et de riches tapis, des chevaux harnachés d'or et des chameaux; puis il emmène leurs otages et part. Sept chefs cumans, voyant sa vaillance, lui demandent la permission de le suivre.

Note 649: (retour) Ut ultra sylvam Ho-vos, versus occidentem in terram Pannoniæ descenderet, quæ primo Athile regis terra fuisset. Id., 9.
Note 650: (retour) Et jure terra Pannoniæ pascua Romanorum esse dicebatur, nam et modo Romani pascuntur de bonis Hungariæ. Anonym., Gest. Hung., 9.

Il traverse le pays de Lodomer sans s'y arrêter; il entre dans la Galicie, mais il y fait halte. Partout on lui livre des otages, partout on lui offre des présents. On lui amène des bœufs harnachés pour porter son bagage: l'or d'Arabie, l'hermine, les riches vêtements remplissent ses chariots. «Pourquoi restes-tu si longtemps ici? lui dit le duc de Galicie: là-bas, derrière la forêt des Neiges, s'étend la terre de Pannonie, héritage du roi Attila. Les Romains, les Bulgares et les Slaves la possèdent: les Romains l'ont occupée jusqu'au Danube et y ont placé leurs pasteurs; les Bulgares ont pris ce qui se prolonge au delà entre le Danube et la Theïsse jusqu'aux frontières des Russes et des Polonais, et les Slaves ont usurpé le reste. Aucun pays au monde ne peut être comparé à ce bon pays; la terre y est grasse et féconde; des fleuves poissonneux l'arrosent, et d'innombrables ruisseaux le fertilisent651

Note 651: (retour) Dicebant quod terra illa nimis bona esset, et ibi confluerent nobilissimi fontes. Id., 11.

Almus crut à ces paroles, et reprit gaiement sa marche. Le duc de Galicie lui a donné deux mille archers pour le guider, et trois mille paysans armés de haches et de faux pour lui ouvrir une route dans la forêt des Neiges. Bientôt les Magyars commencent à franchir la pente des montagnes, et leurs guides les abandonnent. Ils montent toujours, et entrent dans un canton sauvage où les aigles perchent sur les rameaux des arbres, serrés comme des nuées de moucherons: à la vue des chevaux et des bœufs des Magyars, ces oiseaux s'abattent sur eux pour les dévorer652. Sorti de ce canton inhospitalier, Almus errait à l'aventure, quand il voit arriver des étrangers qui parlent la langue des Hongrois: ce sont les Sicules d'Erdeleu, qui, instruits par la renommée de l'approche d'un petit-fils de Chaba, sont descendus de leur plateau pour le recevoir653. Avec leur assistance, les Hongrois enlèvent la ville de Hung-Var, et s'établissent dans la contrée voisine: ils ont posé le pied sur la terre d'Attila pour n'en plus sortir. Magyars et Szekelyek célèbrent ce grand événement et la joie de leur réunion par un aldumas qui dure quatre jours654: pendant quatre jours, grands et petits s'enivrent en mangeant de la chair de cheval que les prêtres ont consacrée.

Note 652: (retour) De arboribus tanquam muscæ, descendebant aquilæ et consumebant devorando pecora eorum et equos. Chron. Bud., p. 36, 37.--Thwrocz, ii, c. i.
Note 653: (retour) Siculi Hunnorum residui, dum Hungaros in Pannoniam iterato cognoverunt remeasse, redeuntibus in Rutheniæ finibus occurrerunt, insimulque Pannonia conquestrata, partem in ea sunt adepti, non tamen in plano Pannoniæ, sed cum Wlakis in montibus confiniis sortem habuerunt. Sim. Kez., i, c. 3, § 6.--Omnes Siculi qui primo erant populi Athile regis... obviam pacifici venerunt. Anonym., Gest. Hung., 50.
Note 654: (retour) Diis magnas victimas fecerunt, et convivia per quatuor dies celebraverunt. Anonym., 13.--More paganismo, occiso equo pinguissimo, magnum aldumas fecerunt. Id., 16.

La mission de l'enfant du rêve se termine ici, Almus meurt, et son fils Arpad lui succède comme duc des Magyars. Campés au sommet des Carpathes, les Magyars ne possèdent que d'âpres vallées, tandis que les grasses plaines de Dacie et de Pannonie s'étendent près de là, sous leurs pieds. Elles appartiennent au duc Swatepolc, chef des Slaves Marahunes ou Moraves, qui réside sur la rive gauche du Danube, dans une ville baignée par les eaux du fleuve. Arpad fait venir vers lui Kusid, fils de Kund, homme intelligent et rusé. «Va explorer ce pays, lui dit-il, et rapporte-moi s'il est bon et si Swatepolc est notre ami.» Kusid, fils de Kund, part aussitôt avec une bouteille vide à la main et un sac de cuir sur le dos. Il va trouver Swatepolc dans son palais et lui adresse ces paroles: «Arpad, mon seigneur, te prie de lui accorder, pour y faire paître ses troupeaux, un coin de ce pays, que son aïeul, le très-puissant roi Attila, posséda jadis tout entier.» Swatepolc, supposant que les Magyars étaient une nation de bons paysans qui désiraient cultiver sa terre et faire paître leurs troupeaux moyennant tribut655, accueille avec joie Kusid, fils de Kund. «Eh bien! dit alors l'espion, permets-moi de puiser dans cette bouteille un peu d'eau du fleuve, et de mettre dans ce sac un peu de terre des champs avec un peu d'herbe des prés, afin que les Magyars jugent si cette terre et cette herbe sont bonnes, et si cette eau vaut celle des fleuves de leur patrie.--Fais comme il te plaira,» lui répond le Morave.

Note 655: (retour) Putabat enim illos esse rusticos et venire ut terram ejus incolerent... Chron. Bud., p. 38.--Thwrocz, ii, c. 3.

Kusid descend vers le fleuve, remplit d'eau sa bouteille et la rebouche; il s'avance ensuite dans la plaine, prend une poignée de sable noir qu'il met dans son sac, et passe de là dans la prairie, où il en prend une autre de différentes herbes656; puis, chargé de ce fardeau, il regagne le chemin de la montagne. Son récit enchante Arpad et les Magyars, on se presse autour de lui, on l'accable de questions; chacun veut voir et goûter l'eau, la terre et l'herbe, que l'on déclare de bonne apparence et de bon goût. Alors Arpad, mettant de cette eau dans sa corne à boire, la verse solennellement sur la terre en prononçant par trois fois cette invocation: Dieu! Dieu! Dieu! que les Magyars répètent en chœur657.

Note 656: (retour) Kusid autem de aqua Danubii lagenam implens, et herbam periarum ponens in utrem et de terra nigri sabuli accipiens... Chron. Bud., p. 38.--Anonym., 14.--Thwrocz, ii, c. 3.
Note 657: (retour) Arpad vero de aqua Danubii cornu implens... et omnes Hungari clamaverunt: Deus! Deus! Deus! Chron. Bud., ibid.--Anonym., 14.--Thwrocz, l. c.

Quelques jours après, Kusid se remet en marche par le même chemin: il est chargé d'offrir à Swatepolc, au nom d'Arpad et des Magyars, un grand cheval blanc qu'il conduit par la bride. Le frein de ce cheval est d'or, et sa selle est dorée avec de l'or d'Arabie. «Tiens, dit-il au duc des Moraves, voilà ce qu'Arpad t'envoie pour le prix de la terre que tu lui permettras d'occuper.--Qu'il en occupe tant qu'il voudra658!» répond Swatepolc, toujours dans l'erreur, et s'imaginant qu'on lui envoie ce cheval en signe d'hommage et de soumission. Les Magyars, apprenant sa réponse, descendent de la montagne dans la plaine; ils se répandent par tout le pays, s'emparant de la terre et des villages, non comme des hôtes ou des fermiers, mais à titre de maîtres, en vertu d'un droit héréditaire de propriété659. Swatepolc, à qui ces violences sont rapportées, ne sait plus que penser de la conduite de ces étrangers. Il allait leur dépêcher ses ordres, quand un nouveau messager hongrois se présente et lui dit: «Voici ce qu'Arpad et les Magyars te déclarent par ma bouche: Il ne convient pas que tu restes plus longtemps dans ce pays que tu nous as vendu, car nous avons acheté de toi la terre au prix du cheval, l'herbe au prix du frein, l'eau au prix de la selle.--Eh bien! donc, s'écria le Morave en poussant un grand éclat de rire, j'assommerai le cheval avec mon maillet, je jetterai le frein dans la prairie, et je noierai la selle dorée dans le Danube660.--Quel mal cela fera-t-il à mon maître? reprit tranquillement l'envoyé. Si tu tues le cheval, ses chiens rencontreront le cadavre et en feront leur curée; si tu jettes le frein dans la prairie, ses faucheurs le trouveront et le lui remettront; si tu noies la selle dans le Danube, ses pêcheurs la retireront de l'eau, la feront sécher sur la rive et la reporteront à sa maison. Qui possède la terre, l'herbe et l'eau possède tout661

Note 658: (retour) Habeant quantumcumque volunt... Chron. B. Ibid.--Thwrocz, ub. sup.
Note 659: (retour) Sed sicut terram jure hæreditario possidentes. Chron. Bud., p. 39.
Note 660: (retour) Subridens dixit: Equum illum malleo ligneo interficiam, frenum autem in pratum projiciam, sellam autem deauratam in aquam Danubii abjiciam. Ibid., p. 39.--Thwrocz, ii, c. 3.
Note 661: (retour) Si equum interficies, canibus suis victualia dabis: si frenum in herbam projicies; homines sui, qui fenum falcant, aurum freni invenient; si vero sellam in Danubium abjicis, piscatores illius aurum sellæ super littus exponent, atque domi reportabunt. Si ergo terram, herbam et aquam habent, totam habent. Chron. Bud., p. 39.--Thwrocz, l. c.

Instruit un peu trop tard du caractère de ses hôtes, Swatepolc essaie de les combattre, mais il est vaincu; son armée est mise en déroute, et lui-même désespéré se jette dans le Danube la tête la première662. Arpad, possesseur de la rive gauche du fleuve, passe sur la droite, et bientôt Slaves, Bulgares et Romains sont chassés de la Pannonie ou forcés de se soumettre au nouveau maître. L'armée magyare se trouve grossie d'un nombre immense d'étrangers de toute race qui viennent partager sa conquête. Arpad fait enfin son entrée triomphale dans la ville de Sicambrie, restée déserte depuis la mort d'Attila. Il y retrouve les palais de son aïeul, les uns encore debout, les autres ne présentant plus qu'une grande ruine, et les Magyars remarquent avec admiration que tous ces édifices avaient été construits en pierre663. C'est au milieu de ces débris de la puissance des Huns qu'Arpad célèbre l'aldumas destiné à fêter sa victoire. Ce grand aldumas dure vingt jours entiers; des troupeaux de chevaux blancs égorgés et consacrés par les prêtres passent de la boucherie sur des tables, où tous les Magyars sont assis, depuis le duc jusqu'au dernier soldat. Le bruit des instruments de musique et les chansons des rapsodes égaient les convives pendant le repas664. Arpad et les nobles sont servis dans des plats d'or, les simples soldats et le peuple dans des plats d'argent. Enfin, pour couronner dignement les joies de ce long festin, le chef distribue le butin et les terres conquises à ses capitaines, à son armée, aux étrangers qui l'ont assisté.

Note 662: (retour) Præ timore in Danubium se jactavit. Chron. Bud., p. 39.
Note 663: (retour) Intraverunt in civitatem Athile regis et viderunt omnia palatia regalia, quædam destructa usque ad fundamentum, quædam non, et admirabantur ultra modum omnia illa ædificia lapidea. Anonym., 46.
Note 664: (retour) In palatio Athile regis conlateraliter sedendo, et omnes symphonias atque dulces sonos cythararum et fistularum, cum omnibus cantibus joculatorum habebant ante se. Id., ibid.

L'ancienne Hunnie est reconquise; la bannière de l'épervier flotte sur les murs ruinés de Sicambrie, et la pyramide funéraire de Kewe-Haza, qui recouvre les ossements des Huns, n'est plus sous la domination de l'étranger. La mission d'Arpad se termine là, comme celle d'Almus s'est terminée au sommet des Carpathes, à l'entrée de la terre promise. Il meurt, et les Magyars l'enterrent près de la source d'une petite rivière qui baigne le territoire où doit se fonder plus tard la cité chrétienne d'Albe-Royale665. La sépulture d'Arpad devient celle des chefs hongrois de la première période, ducs et païens: à la limite du canton se trouve celle d'Attila et des Huns, et entre les deux s'élèvera plus tard l'Église-Blanche où reposeront les rois chrétiens de la Hongrie. Le tombeau d'Arpad est un nouveau gage de consécration pour ce coin de terre, où se pressent les grands monuments de la nation magyare, les symboles de son passé et de son avenir.

Note 665: (retour) Castra fixit in monte Noë prope Albam, et ille locus est primus, quem sibi elegit in Pannonia: unde et civitas Alba per sanctum regem Stephanum... fundata est ibi prope. Chron. Bud., p. 40.

A l'action principale que je viens d'esquisser se joignent dans les récits traditionnels beaucoup de détails, empruntés évidemment aux chansons domestiques. Si l'on en veut croire ces vieilles poésies, les violences et les cruautés des Magyars contre les Allemands ne sont que des représailles de famille, dont l'origine remonte aux guerres d'Attila et de ses fils. Ainsi Bulchu, un des plus épouvantables héros de l'histoire hongroise, que ses actions atroces firent surnommer de son vivant Ver-Bulchu, c'est-à-dire Bulchu le mauvais, commettait ses barbaries dans un esprit de vengeance héréditaire. «Il faisait rôtir à la broche, nous dit Simon Kéza, tous les Allemands qu'il pouvait rencontrer, et buvait leur sang en guise de vin, par la raison que les Germains avaient fait périr cruellement un de ses ancêtres à la bataille de Crimhilt666.» On aperçoit bien ici comment le lien épique, passant d'une époque à l'autre, formait un seul tissu de toutes ces traditions générales ou particulières. Enfin les documents traditionnels que nous possédons contiennent, outre les faits relatifs à la conquête, l'état du pays conquis et la désignation des lots attribués à chaque famille par droit de premier occupant ou par concession ultérieure. C'est le Doomesday-Book de la Hongrie: à chaque ligne on y retrouve la mention que le droit de propriété dérive du roi Attila.

Note 666: (retour) Pro eo enim Ver-Bulchu vocatus est, quia cum avus ejus in prælio Crimildino per Teutonicos fuisset interfectus, et id ei pro certo constitisset, volens recipere vindictam super eos, plures Germanos assari fecit super veru, et tanta crudelitate dicitur in eos exarsisse, quod quorumdam quoque sanguinem bibit, sicut vinum. Sim. Kez., l. ii, c. i, § 11.

SAINT ÉTIENNE ET LA SAINTE COURONNE.

Nous arrivons au dénoûment de l'épopée magyare, et quelques explications historiques préliminaires aideront à bien comprendre le sens profond de cette péripétie, qui clôt les temps héroïques de la Hongrie ainsi que la tradition proprement dite.

De l'époque d'Arpad, nous sommes transportés aux dernières années du xe siècle. Il y a quatre-vingts ans que les Magyars ont fondé un petit État au midi des Carpathes, et quatre-vingts ans que le pillage et la dévastation partent de ce petit État pour aller atteindre jusqu'aux nations européennes les plus éloignées. Une haine instinctive du christianisme et le goût des profanations donnent à ces ravages un caractère particulièrement effrayant pour la chrétienté. On ne peut disconvenir que l'intrusion de cette république de brigands païens au cœur même de l'Europe n'ait été, pendant près d'un siècle, un vrai fléau pour le christianisme et pour la civilisation. L'Europe eut beau mettre ces brigands hors du droit des nations, attacher les chefs au gibet, et traiter les soldats sans quartier: ce triste système de représailles, en ravalant la civilisation au niveau de la barbarie, n'amenait que l'exaspération de la barbarie même. On songea enfin à l'emploi d'un remède essayé à diverses époques sur les peuples païens de l'Europe septentrionale, et qui consistait dans un certain mélange de coercition morale et de violence armée. Quand un de ces peuples qui gênaient le développement chrétien et monarchique des grands États européens se rendait par trop insupportable à ses voisins, on le pourchassait, on le mettait aux abois, et lorsque, à bout de ressources, il implorait la paix, on la lui accordait telle qu'elle le chargeât d'une double chaîne, au dehors et au dedans. Ainsi on l'obligeait par traité à recevoir des missionnaires chrétiens, à laisser construire des églises et des couvents sur son territoire, à reconnaître les évêques qu'on lui donnerait, et ces instruments d'une conquête religieuse, mis sous la foi des traités, asservissaient ce peuple en changeant ses mœurs. Dagobert avait usé de ce procédé, non sans succès, avec les Bavarois, Charlemagne avec les Saxons, et les empereurs germains de la maison de Saxe l'éprouvaient à leur tour sur les populations slaves de la Pologne.

La cour de Rome, comme on le pense bien, était toujours de moitié dans l'application de ce remède héroïque, et les armes qu'elle avait en main ne possédaient pas moins de puissance que l'épée temporelle des empereurs d'Allemagne, quoiqu'elles fussent d'une autre nature. La plupart des peuples susceptibles d'être ainsi convertis se trouvaient organisés en aristocraties militaires, sorte de gouvernement essentiellement favorable à l'esprit de turbulence et d'entreprise: tant que cette forme d'administration devait persister, il semblait impossible d'obtenir de ces peuples avec l'exécution sincère des traités un état de paix durable. Force était donc de ruiner le gouvernement aristocratique chez la peuplade qu'on voulait convertir, et d'amener celle-ci à une monarchie fondée sur des principes analogues à ceux des autres gouvernements européens; c'était là un des premiers soins de la politique chrétienne et civilisatrice. Le but n'était pas très-difficile à atteindre, l'ambition des hommes aidant. On faisait briller aux yeux de chefs avides de pouvoir et rivaux les uns des autres la perspective d'une royauté concédée au plus digne, c'est-à-dire à celui qui aurait montré le plus de zèle pour la propagation du christianisme parmi les siens, et c'était au pape, dispensateur des couronnes en vertu du droit divin, qu'appartenaient le choix et l'institution des nouveaux rois. Les évêques et les missionnaires, agents du pouvoir pontifical près des nations en cours de conversion, travaillaient incessamment l'esprit des chefs, et l'appât d'une couronne manquait rarement son effet. Les choses se passaient ainsi en Pologne dans les dernières années du xe siècle. Commencée à grands coups d'épée par l'empereur Othon Ier, la conversion des Polonais se poursuivait sous des auspices plus pacifiques. Le duc qui les gouvernait alors, Miesco, autrement dit Miecislas, néophyte plus ambitieux que convaincu, s'agitait en tout sens sinon pour consolider l'œuvre chrétienne, du moins pour faire croire au pape qu'il l'avait consolidée, et déjà il réclamait ce titre royal qui était l'aiguillon et la récompense des grands succès.

Ce fut vers cette époque et dans des circonstances à peu près pareilles que la foi chrétienne s'introduisit en Hongrie à la suite d'un traité de paix. Les Hongrois avaient lassé la patience de leurs voisins, soit en leur faisant directement la guerre, soit en entrant comme auxiliaires dans toutes les révoltes qui les déchiraient. Enfin en 955 les Germains se concertèrent pour exterminer cette nation turbulente. Tandis qu'elle assiégeait la ville d'Augsbourg avec une année qui renfermait toute sa jeunesse, l'empereur Othon Ier, accompagné de forces supérieures, cerna les assiégeants, les culbuta soit contre la ville, soit contre la rivière du Lech, qui la traverse, et, refusant de les recevoir à composition, ne leur laissa que le choix de leur mort. Leurs deux chefs, Léel et Bulchu, furent pendus au gibet de Ratisbonne667, ainsi que je l'ai raconté plus haut. Cette terrible défaite abattit l'audace des Magyars qui demandèrent la paix en suppliant; mais l'empereur Othon, après de longs refus, ne l'accorda qu'à la condition qu'ils se feraient chrétiens, ou du moins qu'ils ouvriraient leur territoire au christianisme. Les féroces Magyars reçurent donc des missionnaires, laissèrent construire chez eux des églises, eurent des prêtres et des évêques, mais ne se firent point chrétiens. Leurs prédicateurs périrent presque tous de mort violente, et le duc Toxun, sous le gouvernement duquel avait été conclu le traité, mourut dans l'impénitence païenne. Sous Geiza, son fils et son successeur, le christianisme fit un assez grand pas. Ce duc hongrois, qui paraît avoir eu plusieurs femmes, en aimait une passionnément, et celle-ci, d'un caractère viril et décidé, qui montait à cheval, buvait et se battait comme un homme, avait pris sur lui un ascendant presque absolu. Elle était fille de Gyla, duc de Transylvanie, se nommait Sarolt, et avait reçu des Slaves, à cause de sa grande beauté, le surnom de Beleghnegini668, c'est-à-dire la belle maîtresse. Un beau jour, elle se convertit, et bientôt après Geiza fut baptisé.

Note 667: (retour) Mala morte ut digni erant mulctati sunt; suspendio namque crepuerunt. Witichind. Chron., 3, ad ann. 955.--Suspensi patibulis. Hepidan. Monach. eod ann.
Note 668: (retour) Voir plus haut les Légendes et Traditions germaniques.--Cf. Pray, p. 376 et seqq.

Jusqu'à quel point l'éclat de cette couronne royale qu'on faisait resplendir dans le lointain aux yeux des néophytes concourut-il, avec les séductions de la belle maîtresse, à déterminer la conversion de Geiza? On ne saurait le dire; mais on sait que Geiza, homme d'un caractère faible et incertain, s'il avait convoité la couronne, n'osa pas la mériter. Une révolte survenue parmi ses sujets pour le rétablissement du culte païen le trouve pusillanime et presque renégat; non-seulement il ne la réprime pas, mais il fait acte de paganisme, se rase la tête et mange du cheval pour sauver son autorité menacée. Il resta duc, mais il dut renoncer à être roi. Quant à Sarolt, d'une âme mieux trempée et d'une foi plus sincère, elle brava les menaces et ne broncha pas un instant. Si la couronne eût pu être donnée à une femme, Sarolt était digne de la recevoir et l'aurait noblement portée; par malheur, les institutions magyares ne le permettaient point encore, et plus malheureusement Sarolt n'avait point de fils sur qui pût se reverser la reconnaissance de l'église. C'est à ce moment critique pour la race d'Attila et pour les destinées chrétiennes de la Hongrie que nous allons reprendre le cours interrompu des traditions.

«Le temps marqué par les décrets de Dieu est arrivé,» nous dit sur le ton d'une prophétie la chronique de l'évêque Chartuicius669. Il fait nuit, et Sarolt, en proie au chagrin de sa stérilité, n'a cédé qu'avec peine au sommeil, quand un jeune homme lui apparaît dans son rêve. Ce jeune homme tout resplendissant d'une beauté céleste porte le vêtement des diacres chrétiens. Il s'approche de sa couche et lui dit: «Femme, aie confiance en Dieu. Tu mettras au monde un fils, et à ce fils est réservée une couronne d'une durée infinie. Tu auras soin de lui donner mon nom.»--«Qui donc êtes-vous?» demande Sarolt étonnée670.--«Je suis, reprit la vision, le proto-martyr Étienne, le premier qui versa son sang en témoignage pour le Christ.» Neuf mois après cette apparition, Sarolt accouche d'un fils qu'elle nomme Étienne ou plutôt Stephanos, vrai nom du proto-martyr, et, suivant la remarque faite par le légendaire lui-même, ce mot signifie couronne671. Voilà donc le fils de Geiza prédestiné à cette royauté perdue par la faiblesse de son père, reconquise par les mérites de sa mère. Étienne est l'enfant de la femme forte, et l'enfant du rêve comme Almus. Nous retrouvons ici une contre-partie de l'histoire d'Émésu, avec une différence de forme en rapport avec la différence des religions: Almus est une incarnation païenne d'Attila; Étienne est l'enfant de la promesse de Dieu, le petit-fils couronné que l'ange montrait dans le lointain au roi des Huns comme le prix de son obéissance.

Note 669: (retour) Adest tempus cœlitus dispositum. Chartuic. Vit. S. Stephan. reg. 3.
Note 670: (retour) Apparuit ei beatus proto-martyr Stephanus, levitico habitu ornatus, in visionibus... Certa esto quia filium paries, cui primogenito corona debetur et regnum: meum quoque nomen illi impones. Chartuic., Chron. hungar., 4.--Id. Vit. S. Stephan., 4.--Quis es, Domine, et quo nomine nuncuparis? Id., ibid.
Note 671: (retour) Stephanus quippe græce, coronatus sonat latine. Ipsum quippe in hoc sæculo Deus voluit ad regni potentiam, et in futuro corona beatitudinis semper manentis redimere. Id. Vit. S. Stephan., 5.

Saint Adalbert reçoit Étienne des mains de sa mère pour le diriger et l'instruire. Il façonne au christianisme, il nourrit de sentiments charitables et justes l'adolescent, en qui éclatent déjà l'audace et l'inflexibilité maternelles. A quinze ans, quand il perd son père, Étienne est un homme avec qui les plus turbulents doivent compter. Enhardis par sa jeunesse, les magnats se révoltent, veulent enlever sa mère et le tuer, tandis que les prêtres païens entonnent la chanson des anciens dieux: «Rasons les églises, étranglons les moines et brisons les cloches.» Étienne fait face à tout; il abat les nobles, il disperse les païens, intimide l'ennemi du dehors, qui envenimait les querelles du dedans pour en profiter, et sauve le christianisme d'une ruine presque assurée. A dix-neuf ans, toutes les bouches le proclamaient l'apôtre armé de la Hongrie672.

Note 672: (retour) Vit. major. et minor. S. Stephan., in Monument. Arpadian.--Chartuic., Vit. S. Steph.--Chron. hungar.

Cependant un événement considérable allait s'accomplir sur la frontière même du pays des Magyars, et donner aux Polonais une sorte de suprématie chrétienne parmi les barbares du nord de l'Europe. Cet événement, c'était l'élévation du duc Miesco à la royauté qu'il ambitionnait si ardemment et depuis tant d'années673. Le siége de saint Pierre était alors occupé par un des plus savants hommes qui s'y soient assis, le Français Gerbert, autrement dit, Sylvestre II, à qui sa grande perspicacité, ses vastes études et son penchant pour les sciences occultes valurent au moyen âge un certain renom de sorcellerie. Tout sorcier qu'il était ou qu'on le croyait, Gerbert se laissa abuser sur le caractère personnel de Miesco et sur la réalité des conversions que le néophyte prétendait avoir provoquées et obtenues parmi ses sujets. Dans son erreur, il promit au duc tout ce que le duc lui demandait, bénédiction apostolique, titre royal et diadème, et il fit fabriquer à son intention une couronne digne par sa richesse et sa beauté de la munificence du chef de l'église. Déjà même il avait fixé le jour où il recevrait l'envoyé de Miesco, Lambertus, évêque de Cracovie, à qui il voulait remettre de sa main le bref apostolique et le diadème: encore quelques semaines, et le duc des Polonais sera le premier roi chrétien des races du Nord.

Note 673: (retour) Meschco (Misca, Vit. S. Stephan., 9) Polonorum dux, christianam roborare cum suis amplexatus fidem... apostolica fulciri benedictione ac regio postulaverat diademate coronari. Chartuic., Chron. hungar. 5.

Dieu se souvint alors que cinq siècles et demi auparavant la sainte cité de Rome avait été menacée d'une grande profanation, lorsque Attila s'avançait avec toutes ses forces pour l'anéantir. Il se souvint aussi qu'il avait envoyé un ange pour arrêter le barbare dans sa marche, et que l'ange avait promis au nom du Christ «qu'un jour viendrait où la génération du roi des Huns obtiendrait, dans ces mêmes murs de Rome et de la main du successeur des apôtres, une couronne qui n'aurait point de fin.» Le Seigneur comprit que le moment de remplir sa promesse était venu674. Aussitôt il inspire au duc Étienne l'idée de réclamer pour lui-même du souverain pontife la bénédiction apostolique et le titre royal, en récompense de ses mérites et des fruits de son apostolat. Étienne convoque donc à une diète générale les évêques, les magnats et le peuple du duché de Hongrie; il leur expose ses travaux, il leur confie son désir, et tous décident qu'il faut députer à Rome Astricus, évêque de Strigonie, pour mettre aux pieds du saint-père la demande d'Étienne et le vœu du peuple hongrois. Astricus part, et les deux ambassades cheminent sur la même route sans le savoir: une seule journée de marche les sépare; mais par la volonté de Dieu, Lambertus s'est attardé, et Astricus a pris les devants. Tous deux ignorent qu'ils se rendent au même lieu, pour le même objet; leurs peuples l'ignorent aussi, et le pape Sylvestre ne sait rien, sinon que l'envoyé polonais doit se présenter devant lui au jour convenu, dès les premiers rayons du soleil. Parée d'ornements inaccoutumés, la salle du palais pontifical est disposée pour l'audience; la couronne destinée à Miesco est là: les orfévres l'ont fabriquée de l'or le plus pur, incrustée des pierres les plus éclatantes675. Jamais l'art n'a rien produit de si beau, et jamais aussi la bénédiction du vicaire de Jésus-Christ n'a doté un objet matériel de plus de grâces et de promissions pour ce monde et pour l'autre.

Note 674: (retour) Quia novit Dominus qui sibi sint in futurum dilecti, idcirco præscius sanctum electum suum Stephanum, temporali statuerat feliciter insignire corona, postmodum felicius eum decoraturus æterna, sicut avo ejus Attilæ per Angelum sanctum suum promiserat. Chartuic., Chron. hung., 5.
Note 675: (retour) Coronam egregii operis operari (Papa) jam fecerat. Chartuic. Chron. hungar., 5.--Miro opere præparata. Id., 6.--Auro et lapidibus pretiosis fabricata. Id., ibid.

Préoccupé de la cérémonie du lendemain, Gerbert commençait à céder au sommeil, quand une vision du ciel éblouit ses yeux. Un ange lui apparaît et lui dit: «Sache que demain, au point du jour, les envoyés d'une nation inconnue, fille de la Hongrie orientale, mais dépouillée de la férocité du paganisme, viendront te demander à genoux une couronne royale pour leur duc676. Celle que tu destinais à Miesco, donne-la-leur, car elle leur appartient, et Miesco ne doit point la posséder. De lui sortira une génération maudite qui aura plus de souci de planter des forêts que des vignes, de semer de l'ivraie que du bon grain, qui multipliera les bêtes fauves plutôt que les brebis et les bœufs, les chiens plutôt que les hommes, pour qui l'iniquité sera justice, la trahison concorde, la tyrannie charité. Cette race ressemblera à une couvée d'animaux sauvages se nourrissant de chair humaine, à un nid de serpents rongeant le cœur de la terre677. Confiant dans la folie de leur puissance et rejetant comme des fables les saintes prophéties, ces hommes oublieront que je suis le Dieu fort, qui me venge sur la troisième et quatrième génération, qui afflige ceux qui m'affligent et ne laisse pas plus le mal impuni que le bien sans récompense. Quand cette génération aura passé, je prendrai en pitié celle qui suivra, je l'élèverai et je la couronnerai de la couronne des saints. Fais comme je t'ai dit.» Après avoir prononcé ces paroles, l'ange disparaît aux regards de Sylvestre.

Note 676: (retour) Crastina die, hora prima, ignotæ gentis stirpis orientalis Hungariæ nuntios, ad te venturos esse cognovis, qui suæ gentilitatis abjecta ferocitate... Chartuic., Chron. hungar., 6.--Id., Vit. S. Stephan., 9.
Note 677: (retour) Generatio de ipso exibit quæ plus delectabitur in sylvis crescendis quam vineis... plus feras sylvarum quam oves et boves camporum, plus canes quam homines... Eruntque quasi belluæ vorantes homines, et quasi geminicca viperarum rodentes cor terræ suæ. Id. l. c.

Les premiers rayons du jour coloraient à peine le faîte du palais papal, que les envoyés de Hongrie entraient à Rome, et ils sont bientôt devant le pontife. Prosterné aux pieds de son trône, l'évêque de Strigonie expose humblement les travaux du duc Étienne et le vœu du peuple hongrois qui réclame pour son chef la bénédiction apostolique et le titre de roi. Sylvestre en l'écoutant laisse éclater son allégresse, car il se rappelle les paroles de l'ange, et reconnaît la vérité de sa vision. Il l'encourage avec une bienveillance paternelle. Exécuteur des promesses du Christ, il livre, pour être remise au descendant d'Attila, cette couronne qu'il avait fait fabriquer avec tant de sollicitude, et qu'il avait enrichie de tous les dons du ciel et de la terre, gage mystérieux qu'il avait préparé à son insu, prix du marché jadis conclu entre Jésus-Christ et son fléau pour le rachat de Rome et des ossements des apôtres. Sylvestre, admirant les voies de Dieu, accorde une autre grâce encore au duc Étienne; il lui fait don d'une croix qui doit être portée devant lui comme marque de son apostolat678. «Je ne suis que l'apostolique, dit-il à l'évêque Astricus; Étienne est l'apôtre élu de Dieu pour la conversion de son peuple679.» Chargée de ces précieux trésors et d'une lettre qui renferme la bénédiction du saint-père, l'ambassade se remet en route sans perdre un instant, et regagne à toute vitesse les bords du Danube.

Note 678: (retour) Valde gavisus romanæ sedis pontifex coronam prout fuerat postulatam, benigne cruce insuper ferendo regi velut in signum apostolatus misit. Chartuic., Vit. S. Stephan., 9.
Note 679: (retour) Ego sum Apostolicus, ille vero Christi apostolus. Chartuic., Vit. S. Stephan., 11.

Le lendemain, c'était le jour de Lambertus et des envoyés polonais. Aux premiers rayons du jour, ils entrent dans le palais pontifical: mais le souverain pontife les accueille par les paroles d'Isaac à Ésaü: «Un autre est venu qui a dérobé la bénédiction de son frère680.» Lambertus à ces mots pousse un cri de surprise et de douleur: «Père très-saint, dit-il à Sylvestre, si la couronne a été enlevée à Miesco, qu'il conserve du moins ta bénédiction!»--«Alors, reprend le pape d'un ton sévère, faites pénitence, car le seigneur est irrité contre vous. Il m'a ordonné par son ange de vous rejeter, et de couronner d'une couronne chrétienne le duc de la nation féroce et indomptable des Hongrois681. Cette nation sera grande, les apôtres Pierre et Paul la protègent, et quiconque s'élèvera contre elle encourra leur indignation.» Ainsi, par la vertu d'Attila, non-seulement les Hongrois possèdent cette couronne «d'une durée infinie» qui leur était promise depuis tant de siècles, mais ils l'enlèvent aux Polonais, leurs rivaux, leurs prédécesseurs dans la voie du christianisme. Le peuple magyar est l'Israël des peuples du Nord, conquis par l'Évangile à la civilisation.

Note 680: (retour) Subripuit benedictionem... Chartuic., Chron. hung., 9.
Note 681: (retour) Stephanum in regem genti Hungarorum quæ ferox et indomita est, christianiter coronare et diademate honorare, per angelum sanctum suum mihi in visione præcepit. Id., 6.

La sainte couronne (c'est le nom qu'elle prit dès lors et qu'elle porte encore aujourd'hui) est reçue triomphalement par le peuple hongrois, accouru en foule au-devant d'elle, ducs et sujets, grands et petits.

L'évêque de Strigonie la place avec respect sur la tête d'Étienne; puis, soustraite aux regards profanes, elle est déposée dans un sanctuaire comme un objet sacré. Le règne d'Étienne remplit toutes les espérances qu'il avait fait naître: par les soins du nouveau roi, le christianisme s'affermit et se propage; d'autres révoltes des magnats, d'autres tentatives des prêtres païens échouent contre sa fermeté; l'empereur d'Allemagne, qui cherche à profiter de ces troubles intérieurs pour dépouiller le royaume, est repoussé honteusement. Étienne, avec une confiance sublime en l'assistance de Dieu, défie tous les périls. On raconte qu'un jour, dans une circonstance désespérée, il fit don solennel du royaume et du peuple hongrois à la vierge Marie, «reine et impératrice du ciel et de la terre682,» et que la Hongrie fut sauvée.

Note 682: (retour) Regina cœli, imperatrix mundi. Chartuic. Vit. S. Stephan., 15, 21.--Domina imperatrix cœli et terræ. Chron. hung., 8.

Étienne donne à son gouvernement des institutions en rapport avec la foi nouvelle. Il fonde à quelques milles au-dessous de Sicambrie, capitale païenne des Huns et des Magyars, la ville d'Albe-Royale, capitale de la Hongrie régénérée par le baptême. C'est là qu'il est enterré, dans l'Église-Blanche qu'il a dédiée à la mère de Dieu, «reine céleste des Hongrois683.» Sa tombe achève la consécration du petit territoire où tant d'événements se sont accomplis. Une grande réconciliation s'opère et embrasse tout le passé. Si les mérites d'Attila ont préparé la puissance d'Arpad et la sainteté d'Étienne, la sainteté d'Étienne rejaillit sur ses deux glorieux ancêtres. La croix qui domine l'Église-Blanche éclaire au loin de ses rayons la sépulture du duc magyar et le cyppe funéraire de Kewe-Haza.

Note 683: (retour) Chartuic., Vit. S. Stephan., 12, 21.

Ici se termine l'épopée traditionnelle des Hongrois avec l'époque héroïque de leur histoire, et c'est ici que nous nous arrêterons. Les traditions que les temps postérieurs voient naître n'ont plus ni la même poésie, ni le sens profond et mystique qui donne à celle-ci un caractère à mon avis si admirable. On n'y rencontre plus dès lors que des versions plus ou moins altérées de la réalité.

Qu'était-ce donc que cette sainte couronne, rançon du tombeau de saint Pierre, gagnée par le fléau de Dieu dans l'exercice de sa terrible mission, et exécutée par les soins d'un pape français tant soit peu sorcier? Ceux qui l'ont vue et décrite s'accordent à dire que c'était un ouvrage d'une rare perfection, fabriqué d'or très-fin, incrusté d'une multitude de pierreries et de perles. Elle présentait la forme d'un hémisphère ou calotte garnie d'un cercle horizontal à son bord et de deux cercles verticaux se coupant en équerre à son sommet, le tout surmonté d'une croix latine. Deux émaux quadrangulaires entourés d'une guirlande de rubis, d'émeraudes et de saphirs, et représentant le Christ et sa mère, étaient placés l'un au front de la couronne, l'autre à l'opposite, et l'intervalle était rempli par des figures d'apôtres, de martyrs et de rois chrétiens. Une suite de médaillons pareils, séparés par des lignes de brillants, recouvraient les cercles verticaux et se reliaient par en bas aux premières images. Vers la fin du xie siècle, on gâta cette couronne de fabrique italienne et d'une noble simplicité en la superposant à une couronne ouverte de style byzantin, cadeau fait en 1072 par l'empereur d'Orient Michel Ducas au roi Geiza II, son protégé. Les deux diadèmes, également chargés de pierres précieuses, de figures d'anges et de saints, furent soudés ensemble, de manière à former une coiffure unique d'une grande richesse, mais d'une grande incohérence de style et d'un aspect assez bizarre. C'est dans cet état que la sainte couronne est arrivée jusqu'à nous. Des lettres grecques accompagnent les anges et les saints de la partie byzantine et leur servent de légendes. La croix latine se trouve courbée par suite d'un accident advenu au xvie siècle, quand la reine Isabelle, sur le point d'être prisonnière, emballa précipitamment la sainte couronne dans un coffre trop étroit et la faussa pour l'y faire entrer. Depuis ce temps, on ne l'a point redressée, tant on craindrait de la profaner en y touchant, et elle a servi, ainsi infléchie, au couronnement de bien des rois684.

Note 684: (retour) Consulter Petr. de Rewa. Comit. Commentar. S. Coron.--M. Jean. Boldényi, la Hongrie ancienne et moderne. Part. ii, p. 7 et suiv.

La sainte couronne n'était pas chez les Hongrois un simple emblème de la royauté, c'était la royauté elle-même: elle contenait sous une enveloppe matérielle les droits divins et humains attachés au pouvoir suprême tel que l'entendait le moyen âge. L'ancien droit magyar la qualifiait de loi des lois et de source de la justice: y porter la main, s'en emparer, c'était crime, non de lèse majesté seulement, mais de sacrilége685. Quoique les rois de Hongrie fussent électifs, l'élection ne constituait pour eux, d'après le droit du pays, qu'une préparation à la royauté, le couronnement seul les faisait rois686. Les actes émanés d'un prince élu, mais non couronné, ne devenaient légitimes qu'en vertu d'une sanction donnée par lui après son couronnement. Si, par suite de circonstances quelconques, même par l'effet d'un beau dévouement à la patrie, ainsi qu'il arriva au roi Wladislas sous les murs de Varna, le prince élu mourait sans avoir été couronné, ses actes étaient rescindés comme nuls, et son nom rayé de l'album des rois687. Plus d'une fois l'église, dans ses différends avec la noblesse et les rois de Hongrie, essaya de retirer de la sainte couronne les bénédictions qui la rendaient si précieuse, pour les transporter à une autre; ce fut toujours en vain. Les dons mystérieux dont l'avait dotée Sylvestre II étaient réputés inséparables du diadème de Saint-Étienne. Le peuple n'eut jamais foi qu'en celui-là. Les reliques mêmes du saint monarque, dont on essaya un jour de composer une couronne en l'absence de l'autre, furent impuissantes à faire un roi688; mais aussi, quand on avait reçu la sainte couronne sur la tête, il fallait mourir ou régner. Comme conséquence de cette doctrine, les épouses des rois de Hongrie qui n'exerçaient pas le pouvoir royal devaient être couronnées sur l'épaule droite; les reines régnantes l'étaient sur le front. Dans ce dernier cas la reine prenait le titre de roi: Moriamur pro rege nostro Maria-Theresia.

Note 685: (retour) Tanta vis ejus est, ut non saltem in legem majestatis peccet, qui illam lædere præsumat: sed in ipsam religionem divinitatemque delinquat Petr. de Rew. Comment. S. Coron., p. 50.
Note 686: (retour) Nemo vel creatur, vel appellatur rex qui non eo coronetur diademate. Ranzan., Hist. hungar.
Note 687: (retour) Nisi post coronationem per eumdem fuissent confirmatæ et stabilitæ. Petr. de Rew. Commentar. S. Coron., p. 50.--Cassatæ, revocatæ et viribus destitutæ quæ nunquam teneantur. Jus Consuet. hungar., Part. ii, tit. 14.
Note 688: (retour) Dominus Wladislaus qui non vera sacraque regni hujus corona, sed reliquiarum capitis sancti Stephani regis ornamento insignitus fuerat... Jus consuet. hungar., P. ii, tit. 14.

L'institution politique des Magyars faisait de la sainte couronne plus qu'une personne civile, comme nous disons dans le langage du droit; elle en faisait presque un être animé. La sainte couronne avait sa juridiction, ses officiers, ses propriétés qui étaient inviolables689, son palais, sa garde. Son palais était tantôt le château de Bude, tantôt la forteresse de Visegrade, tantôt celle de Posonie, suivant les nécessités des temps. A Bude, on la déposait dans un compartiment de l'église du château muni d'une épaisse et solide porte perpétuellement surveillée; elle-même était serrée dans un triple coffre cuirassé de fer et sous une triple clef. Sa résidence de Visegrade était encore plus forte. Construite sur un rocher à pic et protégée à son pied par une seconde forteresse plongeant dans le Danube, la forteresse de Visegrade passait pour imprenable. Une petite chapelle murée y recevait la sainte couronne, toujours enfermée dans sa triple boîte. Deux gardiens, nommés préfets, passaient la nuit à tour de rôle contre la porte murée de la chapelle, et ne la perdaient jamais de vue pendant le jour. Une milice nombreuse et bien armée, placée sous leur commandement, faisait le guet sans interruption, dedans et dehors. Deux grands dignitaires choisis par la diète elle-même dans la plus haute noblesse du royaume, et appelés duumvirs de la sainte couronne en étaient les conservateurs responsables690. Ils juraient de la défendre au péril de leur vie, et de ne point rompre ni laisser rompre la clôture de la porte, à moins d'un décret délibéré solennellement par l'assemblée des trois ordres.

Note 689: (retour) Tam condendæ legis, quam etiam cujuslibet possessionariæ collationis atque omnis judiciariæ potestatis, facultas in juridictionem sacræ regni hujus coronæ... simul cum imperio et regimine translata est. Jus consuet. hungar., Part. ii, tit. 3.
Note 690: (retour) Nous devons ces détails à l'un de ces duumvirs, Pierre de Rewa, qui composa, au xviie siècle, un curieux traité sur la sainte Couronne et sa juridiction.

Ces précautions indiquaient assez que le dépôt qu'on voulait garantir était menacé de bien des périls. Elles furent impuissantes à les écarter. Tantôt des gardiens ambitieux ou corrompus, tantôt la ruse, tantôt la violence armée, forcèrent l'hôte sacré dans le sanctuaire de sa résidence. Les aventures de la sainte couronne, dérobée, emportée même hors du royaume, reconquise ou rachetée, formeraient une curieuse histoire dans l'histoire de Hongrie. Une fois, elle fut perdue sur les chemins par un candidat errant qui l'avait mise dans un petit baril pour la mieux cacher; une autre fois, en 1440, elle fut donnée en gage par Élisabeth, mère de Ladislas le Posthume, à Frédéric III, empereur d'Allemagne, pour la somme de 2,800 ducats. L'acte passé à cet effet nous apprend qu'elle était alors ornée de cinquante-trois saphirs, quatre-vingts rubis pâles, une émeraude et trois cent vingt-huit opales, et qu'elle pesait neuf marcs et six onces. Enfin en 1529, lorsque Soliman envahit pour la seconde fois la Hongrie, l'empereur Ferdinand ayant voulu enlever les insignes royaux de Visegrade, les gardiens, par excès de fidélité, s'y refusèrent sans un décret de la diète, et pendant ces débats les Turcs purent prendre Visegrade et la sainte couronne, qu'ils donnèrent au duc de Transylvanie, leur protégé.

Chaque fois que, par un événement quelconque, la sainte couronne disparut, la vie politique sembla suspendue chez la nation hongroise. Un contemporain de Mathias Corvin nous raconte que lorsque ce roi la ramena de Vienne après l'avoir rachetée de Frédéric III, les Hongrois voulurent la traîner avec des rubans et des guirlandes comme si c'eût été Dieu même, et que les paysans accoururent des cantons les plus éloignés pour la reconnaître et se prosterner devant elle691. Aujourd'hui encore, malgré tant de révolutions et de si grands changements dans les mœurs, tout son prestige n'est pas évanoui. Durant la dernière guerre, les insurgés vaincus l'avaient enterrée au pied d'un arbre dans un lieu désert, pour la soustraire à la possession de l'Autriche. L'Autriche a tout fait pour la retrouver, et un Magyar l'a livrée à prix d'argent. Le jour où ce palladium de la Hongrie a pu rentrer dans la chapelle de Bude au milieu d'une armée autrichienne et au bruit des salves d'artillerie, dans l'appareil d'un roi restauré, a été un beau jour pour l'Autriche. «D'aujourd'hui seulement, disait un ministre de cette puissance, nous recommençons à régner en Hongrie.»

Note 691: (retour) Singulari pompa, haud aliter quam rem cœlo demissam tæniis advehunt... Innumera multitudo agnovit, agnotamque adoravit. Bonfin. Rer. Hungaric., Dec. iii, 9.

Le souvenir du grand roi des Huns continua à se rattacher pendant tout le moyen âge aux destinées de la sainte couronne. Un annaliste hongrois rendant compte du couronnement de Rodolfe en 1572, et voulant donner une haute idée de l'appareil royal qui s'y déploya, en résume le tableau par ces mots: «On eût cru assister à une fête du roi Attila.692»

Note 692: (retour) Attilæ provinciarum domitoris victrices copias repræsentare videbantur armis atque vestitu; equorum nobilium colores atque picturæ... Rudolph. Coronat. ap. Scriptor. rer. hungaric.

III. Épée d'attila.--dernières traditions en hongrie et en orient.

La Hongrie possédait au xie siècle ou croyait posséder une bien précieuse relique d'Attila, son épée, qui, disait-on, n'était autre que l'épée de Mars, idole des anciens Scythes, découverte jadis par une génisse blessée, déterrée par un berger et portée au roi des Huns, qui en avait fait son arme de prédilection. «C'était, dit un vieux chroniqueur allemand, le glaive qu'Attila avait abreuvé du sang des chrétiens; c'était le fouet de la colère de Dieu693.» On y attachait l'idée d'une force irrésistible et de la domination sur le monde694, et les Hongrois, tout bons chrétiens qu'ils étaient, gardaient l'épée de Mars dans leur trésor national presque aussi religieusement que la sainte couronne. Or il arriva que le jeune roi Salomon, fils d'André Ier, ayant été chassé du trône par une révolte des magnats en 1060, et rétabli en 1063 avec l'assistance d'Othon de Nordheim, duc de Bavière, la reine-mère n'imagina rien de mieux, pour prouver sa reconnaissance au duc de Nordheim, que de lui offrir cette épée, qui promettait à ses possesseurs la souveraineté universelle. Othon, parvenu en peu de temps à une haute fortune, avait encore plus d'ambition que de bonheur; il accepta le don avec empressement, le conserva toute sa vie et le légua en mourant au jeune fils du marquis Dedhi, qu'il aimait beaucoup. Des mains du jeune marquis, mort prématurément, l'épée passa entre celles de l'empereur Henri IV, qui en fit cadeau à son conseiller favori Lupold de Merspurg. Un jour qu'il allait dîner à la villa impériale d'Uten-Husen avec un brillant cortége de seigneurs, comme l'heure pressait, Henri poussa sa monture en avant, et les courtisans, aiguillonnant leurs chevaux, s'élancèrent sur sa trace à qui mieux mieux. Il y eut un moment de désordre, dans lequel le cheval de Lupold se cabra et lança à terre son cavalier, qui en tombant s'enferra de sa propre épée. On remarqua qu'il portait ce jour-là, par honneur, celle dont l'avait gratifié l'amitié de son maître695. Si le glaive du roi des Huns avait cessé d'être fatal au monde, il l'était encore au profanateur qui osait le ceindre à son flanc comme une arme vulgaire.

Note 693: (retour) Gladius... quo famosissimus quondam rex Hunnorum Attila, in necem christianorum atque in excidium Galliarum, hostiliter debacchatus fuerat... Gladius ipse vindex iræ Dei, sive flagellum Dei. Lambert. Schafnaburg., Chron.
Note 694: (retour) Quod gladius idem ad interitum orbis terrarum atque ad perniciem multarum gentium fatalis esset... Id. ub. sup.
Note 695: (retour) Accidit ut Leopoldus de Merspurg caballo forte laberetur, et proprio mucrone transfossus, illico exspiraret: notatum est autem hunc ipsum gladium uisse... Lambert. Schafnaburg. Chron.

Attila n'eut point à souffrir de la disparition de ses petit-fils, les rois hongrois de la dynastie arpadienne. La dynastie française qui les remplaça, loin de combattre les souvenirs traditionnels chers à sa patrie d'adoption, s'en montra, comme je l'ai dit plus haut, la gardienne intelligente et zélée. En même temps que Louis Ier introduisait chez les Magyars les institutions littéraires de la France au xive siècle, il faisait compulser sous ses yeux les documents relatifs aux origines de la nation; c'était s'occuper d'Attila. Jean Hunyade et Mathias Corvin, son fils, qui montrèrent sous le costume hongrois à l'Europe du xve siècle, si peu chevaleresque et si froidement chrétienne, les deux derniers héros de la chevalerie, s'inspiraient sans cesse des chants magyars et du nom d'Attila. Attila et les Huns devinrent l'objet d'une véritable passion à la cour de Mathias Corvin. Sa femme, la belle et savante Béatrix d'Aragon, pour payer dignement le bon accueil des Hongrois, suscita, avec l'aide des érudits italiens qu'attirait sa protection, une sorte de renaissance des lettres hunniques, comme les papes à Rome et les Médicis à Florence suscitaient une renaissance des lettres latines. Et quand Mathias, vainqueur des Turks et le seul adversaire devant qui eût reculé Mahomet II, fut placé d'une voix unanime à la tête d'une croisade préparée par la chrétienté, l'Europe ne vit pas sans étonnement le nouveau Godefroy de Bouillon proclamé par son peuple un second Attila696. On trouve de temps à autre, dans les écrits du xve et du xvie siècles, la preuve certaine que les traditions sur Attila vivaient toujours, étaient toujours invoquées avec autorité.

Note 696: (retour) Novus Attila. Thwrocz, Chron., Prœfat.

Les longues et poignantes infortunes qui s'appesantirent sur la Hongrie après la funeste bataille de Mohâcz, l'occupation de Bude par les Turks et la transmission de la sainte couronne à une dynastie allemande, jalouse de la nationalité magyare, amortirent la tradition sans l'étouffer. Vint ensuite au xviiie siècle l'esprit novateur et moqueur, qui de France souffla en Hongrie comme partout, ébranlant dans bien des cœurs la foi aux traditions, le goût des chants nationaux et le respect filial du nom d'Attila. En vain chercherions-nous dans les livres hongrois du dernier siècle le sentiment traditionnel, si vif encore au xve; s'il s'y trouve, il s'y cache soigneusement, car il rougit de lui-même et craint la raillerie. Il est fort douteux qu'aujourd'hui, malgré le retour aux études de l'antiquité et la mode des vieux blasons, les élégants Magyars de la cour de Vienne osent parler sans rire de leur grand-père Attila. Le peuple seul garde sa mémoire, qui fleurit dans les foires, où se vendent pour les campagnards de rustiques images des rois de Hongrie. Son nom est encore prononcé avec foi sous le chaume du paysan montagnard, principalement en Transylvanie. Là se perpétuent, par la bouche de quelques vieillards, des traditions de plus en plus vagues, qui nous rappellent les chroniques des xiie et xiiie siècles. Quant aux chansons nationales, elles semblent être entièrement oubliées: encore un demi-siècle, et le fil de la tradition orale sera rompu.

L'anecdote suivante nous fera voir quelle est encore parfois la susceptibilité du Sicule quand on attaque ses traditions. Un voyageur français parcourait, il y a quelques années, la Transylvanie, dont il se proposait d'observer à loisir les magnificences originales. Les auberges n'abondent pas dans ce beau pays; mais l'hospitalité y supplée, et notre compatriote fut reçu chez un paysan sicule avec la même cordialité et aussi peu d'apprêt qu'autrefois Ulysse chez Eumée. La maison était pauvre, mais assez propre. Sur la muraille, crépie à blanc, deux images grossièrement coloriées, clouées l'une en face de l'autre, attiraient tout d'abord l'attention. L'une d'elles représentait un général qu'à son uniforme vert, à son grand cordon de la Légion d'honneur, surtout à son petit chapeau, le Français reconnut aisément, et étendant la main avec vivacité il s'écria: «Napoléon!» L'autre figure, d'un aspect farouche, était affublée d'une sorte de manteau royal et coiffée d'une couronne à longues dents; elle portait à sa main une bannière sur laquelle on distinguait un épervier. Ce fut cette fois le tour du Sicule, et comme le Français semblait embarrassé d'attacher un nom à cette figure grotesque, son hôte s'écria d'un air triomphant: «Attila Magyarock kiralya!» Attila, roi des Magyars!--«Attila n'était point roi des Magyars; il était roi des Huns,» dit notre compatriote, choqué apparemment de l'anachronisme qui, confondant les Hongrois avec les Huns, plaçait Attila au ixe siècle.--«Il n'était pas roi des Magyars?» reprit le Sicule d'un ton presque suppliant et en fixant sur son interlocuteur un regard qui semblait dicter la réponse.--«Non,» répliqua imperturbablement celui-ci. A ce non articulé d'une voix ferme, le front du Transylvain s'assombrit; il baissa la tête et se tut. Son hospitalité ne cessa point d'être attentive et polie, mais elle devint froide: la confiance avait disparu. Notre compatriote ne s'expliqua que plus tard le changement survenu dans les manières de son hôte: il avait blessé mortellement le préjugé filial et l'orgueil du Szekel. Au regret d'avoir affligé cet homme bon et naïf, il se promit bien de ménager désormais jusque dans ses erreurs de chronologie la fière nation qui prenait Napoléon pour le second de ses héros.

Voilà les traditions qui survivent encore parmi les Huns d'Europe: ceux d'Asie n'ont-ils pas les leurs? Les conquêtes du premier empire hunnique et le nom d'Attila ne sont-ils pas chantés ou racontés, soit dans les contrées de l'Oural, berceau des Huns noirs, soit dans les steppes de la mer Caspienne et du Caucase, ancienne patrie des Huns blancs? Pour répondre avec quelque assurance à cette question, il faudrait connaître les peuples de l'Asie septentrionale beaucoup mieux que nous ne les connaissons aujourd'hui. D'après le peu de notions que nous avons sur leurs mœurs, leurs croyances, leur histoire domestique, la question devrait se résoudre négativement. Oui, le nom d'Attila paraît oublié dans le pays qui pourrait avant tout autre revendiquer sa gloire. On dirait que ce monde mobile des nations nomades ne retient la mémoire que de ceux qui l'ont opprimé, ou qui ont frappé directement ses regards par de grandes catastrophes. Les catastrophes assurément n'ont point manqué à la vie d'Attila, mais les ravages de ses guerres et l'action violente de son gouvernement se sont portés surtout hors de l'Asie et loin de l'Asie. Il est arrivé aussi que, depuis lui, des conquérants sortis des mêmes races ont bouleversé ce grand continent et laissé après eux des successeurs pour perpétuer leur renommée. Tchinghiz-Khan et Timour sont aujourd'hui les héros du monde oriental: Attila ne l'est plus.

Si bonnes que semblent ces raisons, on a peine à se persuader néanmoins qu'un aussi grand événement que la destruction de l'empire romain d'Occident par les Huns, et une aussi grande figure que celle d'Attila, n'aient pas laissé chez des races pleines d'imagination quelques souvenirs, si vagues qu'on les suppose. La vie du roi des Huns, fertile en incidents romanesques, a dû fournir plus d'une anecdote à ce recueil d'histoires merveilleuses que les Orientaux se transmettent de génération en génération avec des variantes de temps, de lieux et de noms, et qui constituent le patrimoine littéraire des peuples pasteurs. Il n'est pas douteux qu'on n'en trouvât çà et là plus d'une, si l'on savait les chercher. Je n'en veux pour preuve que le conte suivant, que je prends presque au hasard dans un voyage publié à Paris il y a une vingtaine d'années. L'auteur de ce voyage est un Hongrois qui, à l'exemple de beaucoup de ses compatriotes, s'était mis en quête de la Magyarie orientale, le Dentumoger des traditions de son pays. Avant d'aller chercher comme certains autres, cette patrie imaginaire en Sibérie où au Thibet, il voulut s'assurer si les steppes qui séparent la mer Noire de la mer Caspienne ne renfermaient pas quelques rejetons de la souche magyare antérieure à l'établissement des Hongrois en Europe. Son attente fut bien heureusement remplie, s'il rencontra dans la vallée du Kouban, ainsi qu'il nous le dit, une peuplade qui non-seulement connaissait le nom de Magyar, mais encore prétendait que ses ancêtres l'avaient porté autrefois: cette peuplade était celle des Karatchaï. La fraternité, ou du moins la similitude de nom, ayant créé entre notre voyageur et le chef ou vali de la tribu une sorte d'intimité, voici ce qu'il entendit sous la tente et de la bouche même de ce chef, un soir qu'ils buvaient ensemble le tchaïa, accroupis sur des tapis de Perse. Le voyageur ignorait l'idiome des Karatchaï, mais un interprète turk lui traduisait le récit phrase par phrase, et il s'empressa de le confier au papier dès qu'il fut rentré dans sa tente. Je le donnerai ici en l'abrégeant, et je le ferai avec d'autant plus de confiance, que l'écrivain à qui je l'emprunte semble n'y pas voir autre chose qu'une sorte de féerie orientale où il est question des Magyars.

«A Constantinople vivait jadis un empereur d'humeur bizarre et ombrageuse, pour qui l'honneur de son nom et la considération de sa couronne étaient tout, et qui eût sacrifié au désir de préserver sa gloire enfants, parents et amis. Le ciel lui avait donné une fille unique, chez qui éclata dès l'enfance la beauté la plus merveilleuse. Craignant que cette beauté n'attirât plus tard quelque catastrophe sur sa maison, il fit élever sa fille loin de Constantinople, dans une petite île de la Propontide, sous la garde d'une matrone sévère et en compagnie de quinze demoiselles attachées à son service. Il défendit aussi par un décret à tout homme, quel qu'il fût, d'approcher de l'île sous peine de la vie.

«Les charmes d'Allemely (c'était le nom de la princesse) se développèrent avec les années; on ne pouvait la voir sans l'aimer. Les éléments en devinrent épris: quand elle se promenait dans la campagne, le vent la caressait de son haleine; quand elle marchait sur le rivage de la mer, les flots accouraient baiser ses pieds: un jour qu'elle s'était endormie sur son sopha, la fenêtre de sa chambre ouverte, un rayon de soleil entra, l'enveloppa amoureusement, et la rendit mère. Bientôt des signes certains révélèrent sa grossesse à tous les yeux. Rien ne peut rendre la colère qu'éprouva l'empereur à cette vue; il résolut de perdre sa fille pour cacher le secret de son déshonneur, mais, n'osant pas la tuer de ses propres mains, il la fit embarquer avec la matrone qui l'avait si mal gardée et les quinze demoiselles, dans un navire rempli d'or et de diamants, qu'il abandonna aux caprices du vent et des flots.

«Mais le vent poussa doucement l'esquif vers le Bosphore, jusqu'à la mer Noire, et cette mer, d'ordinaire si courroucée contre ceux qui osent troubler ses eaux, le berça de rivage en rivage jusqu'aux contrées du Caucase, où dominaient alors les tribus des Magyars. Le hasard voulut que le jeune chef de ces tribus fît une grande chasse du côté de la mer. A la vue du navire orné de banderoles, dont le pont était couvert de femmes richement vêtues qui lui tendaient les bras en signe de détresse, le jeune khan, qui était vigoureux et adroit, décocha une de ses flèches, au bout de laquelle il avait attaché une longue corde de soie, et la flèche étant tombée sur le navire sans blesser personne, les jeunes filles nouèrent la corde autour du mât, et le khan, aidé de ses compagnons, les remorqua sur la plage.

«Allemely lui raconta toutes ses infortunes, sa naissance, son emprisonnement dans une île déserte, et l'aventure merveilleuse par suite de laquelle elle errait sur la mer avec ses compagnes. Le khan ne put se défendre de l'aimer et la conduisit dans son palais. Elle y mit au monde ce fils qu'elle avait engendré au contact du soleil, et ayant épousé le khan, elle lui donna aussi un fils. Ces deux enfants grandirent l'un près de l'autre, divisés par une haine mortelle. En vain, le chef magyar, qui les regardait tous deux comme ses fils, essaya de les réconcilier; en vain, sentant sa mort prochaine, il eut soin de régler sa succession: ces jeunes gens, quand il ne fut plus, se disputèrent le commandement, et les Magyars, prenant parti pour l'un ou pour l'autre, se livrèrent une cruelle guerre civile. Tandis qu'ils se déchiraient de leurs propres mains, les étrangers fondirent sur eux: ils furent vaincus, dispersés, et perdirent jusqu'à leur nom: c'est ainsi que finit la nation des Magyars.»697

Note 697: (retour) Voyage en Crimée, au Caucase, etc., fait en 1830, pour servir à l'Histoire de Hongrie.--Paris, 1838.

Qui ne reconnaîtrait dans ce récit l'histoire d'Honoria arrangée à la manière orientale? Tout y est sous des noms différents et avec tous les enjolivements que la fantaisie peut imaginer: le célibat forcé de la petite-fille de Théodose, sa grossesse par suite d'une intrigue avec son intendant Eugène, son emprisonnement par les ordres de son oncle Théodose II, sa délivrance ou sa fuite, et ses fiançailles avec Attila. On y retrouve de plus la donnée traditionnelle de son mariage avec le roi des Huns, de la naissance de son fils Chaba et des désastres que ce fils attira sur les Huns après la mort de son père. C'est là, je n'en doute point, un lambeau de la tradition asiatique dont j'ai parlé plus haut, et qui donnait un développement tout particulier aux aventures d'Honoria et de Chaba. Ainsi l'écho de cette grande tempête qui, partie de l'Asie au IVe siècle, démolit l'empire romain et couvrit l'Europe de ruines, revient mourir en Asie, comme un soupir d'amour, dans un conte digne des Mille et une Nuits.

FIN

NOTES
ET
PIÈCES JUSTIFICATIVES

PIECES RELATIVES
A L'HISTOIRE LÉGENDAIRE D'ATTILA

I
TRADITIONS LATINES.

Il existe, soit en latin, soit en vieille langue française, plusieurs romans composés au moyen âge sous le titre: Attile flagellum Dei (Attila, fléau de Dieu); et qui sont ordinairement une compilation des traditions d'Italie et de Gaule, faite d'après l'ouvrage du Dalmate Juvencus Cœlius Calanus, auteur d'une histoire du roi des Huns, remplie d'enjolivements fabuleux. Un de ces poëmes ou romans se trouve parmi les manuscrits de la bibliothèque de Modène. Il est écrit en français, mais traduit du latin. En voici la description, telle que nous la donne M. Paul Lacroix, dans ses Notices et Extraits des manuscrits concernant l'histoire de France et la littérature française, conservés dans les bibliothèques d'Italie, in-8º, Paris, 1839.

«Libri Attile flagellum Dei, 2 vol. in-4, pap., miniature à la plume et en couleur, écriture du XIVe siècle.

«Le premier volume est intitulé: Liber primus Attile flagellum Dei translatus de cronica in lingua franciæ per Nicolaum, olim D. Johannis de Casola, de Bononia.

«Commencement du roman:

Deu fils la Vergen, li souverain criator,
Jeshu Crist verais il nostro redemptor...

«Ce roman qui paraît une traduction de l'histoire de Juvencus Cœlius Calanus, est rempli de notes marginales écrites de la main de J.-M. Barbieri, auteur d'un traité Della Origo della Poesia rimata, publié par Tiraboschi.....»

II
TRADITIONS GERMANIQUES

DESCRIPTION DE LA COUR d'ATTILA D'APRÈS L'HELDENBUCH.

ETZELS HOFHALTUNG.

1. Es sass in Ungerlande
Ein konick so wol bekant,
Der was Etzel genande;
Sein gleichen (man) nydert fant:
An reichtum und an milde
Was im kein konick gleich;
Zwelf konicklich kron und schilde
Dinten dem konick reich.

2. Er hat zwelf konickreich freye,
Dye waren im underthan,
Zwelf hertzog auch do peye,
Dreyszt grafen wolgethan,
Manck riter und auch knechte,
Darzu manck edelman;
Der konig was milt und gerechte:
Sein gleich man nydert fant.

3. Konick Artus was auch reiche,
Wol zu derselben zait,
Er was Etzel nit gleiche;
Auf aller erden weit
Dorft niemant wider in thune,
Er hat sein leib verlorn;
Der konig hilt frid, gleit schune,
Was seyner lant do worn.

4. Konick Etzel lies mit schalle
Beruffen ein wirtschafft,
Die konig und fursten alle,
Die heten adels kraft,
Und auch alle die recken,
Die waren in seynem lant,
Ein zil liesz er in stecken,
Nach ydem er do sant.

5. Dasz er gen hof solt komen,
Wol mil der frawen sein,
Das mocht im wol gefrumen
Gegen dem konig rein;
«Und auch die gewaschte kinder,
Pey firtzehen jaren wol,
Dye las nimant dohinder;
Der konig die haben sol.»

6. Er speist sunst alle tage
Drew taussent menschen wol;
Nach armen that er frage,
Die musten sein gar vol.
Auch speist die konigine
Mit irer speisz so rein
Arm frawen must man pringen,
Der must vierhundert seyn.

7. Itlicher kong da nome
Die werden frawen sein;
Und mit den fursten kome,
Manch furstin und greffein:
Die komen alsampt dare
Zu Etzel dem kong gut;
Ir zukunft freut in gare,
Er wurt gar hoch gemut.

8. Er entpfing die kong am ersten,
Darnach die fursten gut,
Die frawen allermersten,
Als man zu hoffe thut.
Der kong selzt sich zu tische
Wol mit den recken fein,
Man pracht wilpret und fische,
Mocht nit zu teuer sein,

9. Kein tor mit was beschlossen,
Und nye beschlossen wart:
«Man sol mirs offen lassen;»
Sprach Etzel der konig zart
«Wan ich hab doch kein feinde
Auf aller welte preit:
Die tor mir fast auf leinde;
Er darf nimant gelait.»

III
TRADITIONS HONGROISES

PRÉFACE DE L'OUVRAGE DE L'ÉVÊQUE CHARTUICIUS INTITULÉ
CRONICA HUNGARORUM.

E CODICE WARSAVIENSI SÆCULI XIII.

Domino suo Colomano regi excellentissimo, Chartuicius episcopus spirituale ministerium Dei benignitate adeptus, post huius uite terminum illud euge precatur sempiternum. Aggredior nunc opus serenissime rex jussu tuo mihi demandatum, a quo hactenus ingenioli mei impericia abhorruit, ob id presertim quod Priscianus grammaticus mihi olim sat bene perspectus et cognitus, procul a me digressus, iam decrepito mihi, tanquam caligine quadam septus faciem exhibet obscurissimam. Sed cum alia ex parte dignitatis tue attenderem autoritatem, uicit tandem anxie mentis dubitacionem omnem uirtutum omnium lux et gemma obediencia, cuius forti presidio fretus, tametsi mihi uires cernerem haud quaquam suppetere, operis inchoandi fiduciam suscepi. Cum sint autem plerumque inuidie obnoxie, que bona animi fiducia geruntur, supplex oro regiam sublimitatem tuam, uti opusculi huius suscipere ne gravetur patrocinium, nec offendatur parum commoda diccione aut ordinis et rerum gestarum confusione. Quod si occurrat quidpiam, quod fedam habeat offensionem, malim codicem ignibus absumi, quam livoris materiam cuipiam offerri. Et quia bona omnia ad nos ex diuina misericordia proficiscuntur, ipsius munere sic libet opusculum presens auspicari.

PREFACIO AUTORIS.

Omne datum optimum et omne donum perfectum desursum est descendens a patre luminum. Huius patris datum optimum, post passionem et gloriosam resurrectionem et ascensionem domini nostri Iesu Christi, omnes regiones proueniens, qui omnes homines uult salvos fieri, ad orientalem Hungarorum regionem usque defusum est, quos Iesus Christus, qui est deus optimus, non in propria regione, in aliena que Sclaviania nominatur, post multos labores et erumnas ad fidem catholicam mirabili sua prouidencia uocare dignatus est.

*
* *

(1) De Aquila rege. Cum autem rex eorum qui Aquila proprio nomine nuncupabatur, esset locupletatus argento et auro et gemmis, hominorumque animalium uolucrum ac bestiarum siluestrium maxima multitudine, ita ut delicie mundi ex omni parte ei affluerent, exaltatum est et elauatum est cor eius, et decreuit in animo suo ut omnia regna terrarum et omnes naciones consurgeret et suo imperio subiugaret. Exit edictum ab ipso ut omnes naciones super quas timor eius erat ad bellum ualidum parati et armati congregarentur. Quod cum convenissent et innumerabiles campos onerassent, elegit acies de uiris strenuissimis et ad bella promptissimis, a nemine consilium disquirens, ne quis sibi ob pigriciam, uel amore possessionum, uel dolore uxoris aut puerorum suorum dissuaderet, sed cum probitate cordis sui et corporis constancia consilium iniens, contra Lithuam acies mouit, quos statim oppressit et omnem terram uastavit. Quibus subiectis Scuciam, ubi sanctus Brandanus requiescit, intrauit, et sue potentie suppeditauit. Inde uero Daciam ingrediens cum ipsis conflictum habuit, quibus terga uertentibus multos occidit, reliquos suæ dominacioni subdidit. Congregatis autem carinis in Dacia mare ascendit, et ubi fluuius qui Rhenus dicitur mare intrat, per Rhenum exectis remis Theutoniam ingressus est, et ad Coloniam ciuitatem egregiam ueniens tentoria fixit.

(2) De occisione xi uirginum millium. Mox illi contra occurrunt xi millia uirginum, uisitatis liminibus sanctorum apostolorum Petri et Pauli de Uerona ueniencium. Quas cum uidissent perterriti sunt custodes, et celeriter nunciant regi, quia nondum aliquis perturbauerat, postquam Allemaniam intrauerat. Rex et acies subito territi contra uirgines Christi exierunt, et eas cedere ceperunt. Cum autem fere omnes cese fuissent, et rex ipse ad uirginem christianam Ursulam appropinquasset, et eam intuitus fuisset, et quod uirgo non uir esset cognouisset, dixit ad eam: O si ad nostram regiam magnificentiam tam tua nobilis uirginitas nuncium direxisset, et nobis tuum gloriosum aduentum significasset, nunquam nostrum militum ferocitas tuas acies occidisset. Unde quia hoc per ignoranciam factum est, noli de tuis collegis tristari, sed magis consolari, quia mihi copulaberis et regina omnium regnorum eris. Cui respondens beata Ursula dixit: inique canis ferox et audax. Ego regi Cesari copulata sum, te autem qui est draco iniquus uorans christianos ut diabulum despicio. Quod cum uituperatum coram exercitu suo se cognouisset, rex iratus uehementer decollari eam percepit cum reliquis uirginibus suis. Una autem cui nomen erat Cordula, inter funera uiua latitabat. Cum autem media nox esset descendit Iesus Christus cum luce clara et angelis canentibus, et deportauit animam sancte Ursule et animas sanctarum uirginum ad regna celorum. Quod cum uidisset sancta Cordula lacrymari cepit amarissime, quod sodales suas dereliquisset. Mane autem facto statim surrexit, et per funa deambulare cepit. Quod cum uidisset quidam paganus, gladio caput ejus amputauit.

(3) De uictoria Aguile regis. Mouit autem de Colonia tentoria sua ad Austriam, et ibi pugnavit cum rege Theutonico. Quo deuicto Apuliam ingressus est. Ibi cum Normandis et Francigenis pugnam habuit, et eos deuincens sue magnitudini subiugavit. Post hoc montes pertransiens, Lombardiam planam terram inueniens ciuitatibus multis repletam, muribus ornatam, turribus altissimis decoratam, terram uastavit, mures dissipauit, turres confregit, pro iniquitate autem tali plaga dei appellatus est. Totum autem mundum peragrare uolens et romanum imperium sibi usurpare cupiens, Romam exercitum suum mouit, et armatus feroci animo procedebat. Cui in prima stacione nocturni, siue cum in cubiculo dormiret, per uisum angelus sanctus: precepit tibi dominus deus Iesus Christus, ut cum ferocicitate tua ciuitatem sanctam Romam, ubi apostolorum meorum corpora requiescunt, ne introeas, sed reuerte et meum electum regem Casimirum, qui in Sclauonie et Chruacie partibus toto cordis ac mentis affectu fideliter seruiuit, et in eis qui ipsum tradendo turpiter occiderunt, ulciscere. Quia dixerunt nunquam rex erit super nos, sed nos ipsi regnabimus. Generationem autem tuam post te in humilitate Romam uisitare et coronam perpetuam habere faciam. His dictis discessit angelus. Cum autem mane factum esset, rex mouit exercitus suos in ciuitatem quæ Uenetia uocatur, et inde progrediens uenit supra littus maris, ibidemque ciuitatem nouam edificauit, eamque ad honorem nominis sui et ad memoriam posterorum Aquileiam nominauit, unde ab Aquila rege Hungarorum nomen sumpsit. Mouit autem inde se et exercitus suos, et pertransiuit alpes Carinthie, et uenit in terminos Chruacie et Sclauonie inter fluuios Sauam et Drauam. Ibique occurerunt ei principes Chruacie et Sclauonie, et direxerunt acies, et refulsit sol in clypeos aureos, et resplenderunt montes ab eis. Et fecerunt conflictum magnum octo diebus. Tradidit autem eos deus in manus Aquile regis propter regem eorum Casimirum, quem tradiderunt et turpiter occiderunt. Cesi sunt autem Sclaui et Chruati, alii fugierunt, alii in captiuitatem ducti sunt.

Cum autem post uictoriam fluuium qui Draua dicitur pertransisset, et uidisset terram planam atque frugiferam, et post xxv annorum curriculum ab egressu terre sue orientalis Ungarie computasset, et post tantorum bellorum uictorias se debilitatum presensisset, quid agere deberet cogitare cepit, utrum in terram propriam redire, uel istam occupatam possideret. Unde cum multos dies in cogitatione et tristicia duceret rex, hoc ei bonum uisum est consilium, si uxores Sclauas et Chruatas copularet, ita terram in pace et quiete possideret. Quod cum retulisset exercitui suo, placuit omnibus consilium. Obambulauit autem terram et delectabatur in ea, quia terra promissionis, tanquam terra israelitico populo. Missis autem nunciis suis accepit a principe Sclauorum filiam de tribu eadem, et copulauit sibi eam in uxorem, similiter et exercitus ejus de eadem tribu uxoribus copulatus est. Pertransiens autem Danubium inuenit terram planam et campestrem, herbisque superfluis uirentem, pastoribus et pecudibus seu jumentis et poledris indomitis plenam. Nam in terra hac solum pastores et aratores morabantur. Rex uero Sclauonie et Chruacie circa mare delectabatur in ciuitate que Sipleth dicitur, quam sanctus Paulus apostolus ad fidem christianam conuertit, et ipsam episcopalem cathedram v annis tenuit, deinde ordinato episcopo Romam peciit.

IV
MAGISTRI SIMONIS DE KEZA, DE ORIGINIBUS HUNGARORUM LIBRI II.

PROLOGUS.

Cum nostro cordi affectuose adiaceret Hungarorum gesta cognoscere et id etiam ueraciter constitisset, nationis eiusdem uictorias, quæ diuersis sparsæ bellis per Italiam, Franciam, ac Germaniam sparsæ sunt et diffusæ, in uolumen unum redigere procuraui, non imitatus Orosium, qui fauore Ottonis Cæsaris, cui Hungari in diuersis suis præliis confusiones plures intulerant, multa in libellis suis apochrifa confingens, ex Dæmonibus incubis Hungaros asseruit generatos. Scripsit enim, quod Filimer magni Aldarici Regis Gottorum filius, dum fines Scythiœ armis impeteret, mulieres, quæ generationes nomine Bal tucme nominantur, plures secum in exercitu suo dicitur deduxisse. Quæ dum essent militibus infestissimæ, retrahentes plurimos per blandities a negotio militari, consilium Regis ipsas fertur, de consortio exercitus, ea propter expulisse. Quæ quidem peruagantes per deserta litora paludis Meotidis tandem descenderunt. Ibique diutius dum mansissent, priuatæ solatio maritali, incubi Dæmones ad ipsas uenientes, concubuisse cum ipsis, iuxta dictum Orosii, referuntur. Ex qua quidem coniunctione dixit Hungaros oriundos. Sed vt ejus assertio palam fiat falsissima, porro per textum comprobatur Evangelicum, quod spiritus carnem, et ossa non habent, et quod est de carne, caro est, quod autem de spiritu, spiritus est. Contrarium quoque naturis rerum dixisse iudicatur, et penitus aduersatur ueritati, vt spiritus generare possint, quibus non sunt concessa naturalia instrumenta, quæ uirtutem, ac officium dare possint generandi, ualentes perficere ueram formam embrionis. Quocirca patet, sicut mundi nationes alias, de uiro et femina Hungaros originem assumpsisse. In eo etiam idem satis est transgressus ueritatem, ubi solos sinistros præliorum euentus uidetur meminisse ipsorum Hungarorum, felices præteriisse silentio perhibetur, quod odii manifesti materiam portendit euidenter. Uolens itaque veritatem imitari, sic improsperos, vt felices interseram, scripturus quoque ortum præfatæ nationis, ubi et habitauerint, quot etiam regna occupauerint, et quoties immutauerint sua loca. Illius tamen adiutorio, et gratia ministrante, qui rerum omnium, quæ sub lunari circulo esse habent, et ultra, uita quoque fruuntur creatione habita, est, Deus Opifex Creator idem et Redemptor, cui sit honor et gloria, in secula sempiterna.

V

QUO HABITU ATTILA FUERIT, EIUS INDOLES, POTENTIA ET PUGNANDI RATIO, TENTORIA, AC RELIQUA SUPPELLEX. MILITUM COPIA, ARMA HUNORUM. ATTILÆ INSIGNIA.

Erat enim Rex Ethela colore teter, oculis nigris et furiosis, pectore lato, elatus incessu, statura breuis, barbam prolixam cum Hunis deferebat. Audaciæ quidem temperantis erat, in præliis astutus, et sollicitus, suo corpore competentis fortitudinis habebatur. In uoluntate siquidem magnanimus, politis armis, mundis tabernaculis, cultuque utebatur. Erat enim uenerens ultra modum, in arca sua æs tenere contemnebat. Propter quod ab extera natione amabatur, eo, quod liberalis esset, ac communis. Ex natura uero seueritatem habebat, (ideo) a suis Hunis mirabiliter timebatur. Nationes ideoque regnorum diuersorum ad ipsum de finibus orbis terræ confluebant, quibus pro posse liberaliter affluebat. Decem enim millia curruum falcatorum in suo exercitu deferri faciebat, cum diuersis generibus machinarum, quibus urbes et castra destrui faciebat. Tabernacula etiam uariis modis, Regnorum diuersorum, habere consueuerat operata, unum habebat sic celebre et solemne, vt ex laminis aureis mirifice coniunctim solidatum modo solui, et nunc reconiungi ad tendentium staret uoluntatem. Columnæ eius ex auro laboratæ habentes iunctiones, opera ductilia, in medio tamen uacuæ, in iuncturis suis pretiosis lapidibus iungebantur mirabiliter fabricatæ. Sed etiam sua maristalla, dum pergeret in exercitum, equis diuersarum patriarum replebantur, quos quamuis (caros) uisus esset habuisse, largiter egentibus tribuebat, ita quidem, vt uix duos haberet aliquando pro usu equitandi: Ista ergo maristalla ex purpura et bysso habebant paraturam. Sellæ uero regales ex auro, et lapidibus pretiosis fuerant laborate. Mensa autem eius erat tota aurea, uasa etiam coquinarum. Thalamus quidem eius ex auro purissimo, laboratu mirifico, in exercitu secum ferebatur. Expeditio autem eius, præter exteras nationes, decies centenis armatorum millibus replebatur, ita quidem, vt si unum Scythicum decedere contigisset, alter pro ipso confestim ponebatur. Sed arma gentis eius ex corio maxime, et etiam metallis uariis diuersimode fuerant laborata, ferens arcus, cultros, et lanceas. Banerium quoque Regis Ethelæ, quod proprio scuto gestare consueuerat, similitudinem auis habebat, quæ hungarice turul dicitur in capite cum corona. Illud enim banerium Huni usque tempora ducis Geiche dum se regerent pro communi, in exercitu semper secum gestauere. In istis itaque, et aliis pompis huiusmodi, Ethela rex Hunorum, præ ceteris regibus sui temporis, gloriosior erat in hoc mundo. Ciuitatum, Castrorum, Urbium, dominus fieri cupiebat, et super illas dominari, habitare uero in ipsis contemnebat. Cum gente enim sua in campis cum tabernaculis, et bigis incedebat; extera natio, quæ eum sequebatur, in ciuitatibus, et in uillis (habitabat). Indumentorum uero ac forma sua, et gentis, modum Medorum continebat.

FIN DES PIÈCES JUSTIFICATIVES.

TABLE DES MATIÈRES DU TOME SECOND.

TROISIÈME PARTIE.

HISTOIRE DES SUCCESSEURS D'ATTILA.--EMPIRE DES AVARS.

Chapitre premier.--Second empire hunnique: Domination des Avars sur le Danube.--Mœurs de ce peuple; son organisation politique.--Goût de Baïan pour le luxe.--Les Franks-austrasiens vaincus par les enchantements des Avars.--Baïan épargne la ville d'Augusta sur la demande de ses femmes.--Déclamation imprudente de l'ambassadeur Commentiole; Baïan le fait mettre aux fers.--Irruption des Slovènes jusqu'à la longue muraille.--Intrigue d'un Bocolabras avec une femme du kha-kan; il fuit sur le territoire romain; ses révélations à l'empereur Maurice.--Baïan ravage la rive droite du Danube et les vallées de l'Hémus.--Spécimen de la langue parlée en Pannonie au vie siècle.--Hallucination de Baïan devant les murs de Drizipère.--Trompé par une ruse de Maurice, il fait la paix.--Campagne des Romains contre les Slaves; Baïan veut s'y opposer; discours de l'ambassadeur Kokh.--Le roi slave Ardagaste surpris par Priscus.--Histoire d'un transfuge gépide.--Le roi Musok est massacré avec son peuple.--Amitié de Baïan et de Priscus.--Conseils du médecin Théodore au kha-kan.--Baïan déclare que la rive gauche du Danube est sa province.--Nouvelle guerre; férocité de Baïan; profanation des os de S. Alexandre à Drizipère.--La peste éclate dans son armée; sept de ses fils périssent.--Il est battu plusieurs fois au nord du Danube; il perd quatre autres fils dans un marais.--Les Romains pénètrent au delà de la Theïsse; massacre d'une bourgade gépide.--Mort de Baïan et de l'empereur Maurice.

Chapitre deuxième.--Avénement d'Héraclius au trône des Romains.--Épuisement de l'empire sous Phocas; corruption de l'armée; guerre civile.--Phocas veut faire baptiser tous les Juifs; ceux-ci appellent les Perses à leur secours.--Tentative d'Héraclius pour rétablir la paix avec Chosroès; insolence du roi de Perse; invasion de la Galilée.--Les Juifs rachètent les captifs chrétiens pour les égorger.--Prise de Jérusalem par les Perses; enlèvement de la sainte croix, qui est emmenée d'abord en Arménie, puis au fond de la Perse.--La sainte lance et l'éponge sont apportées à Constantinople.--Deuil général des chrétiens; Héraclius jure d'aller reconquérir la croix en Perse ou de mourir; enthousiasme du peuple et du sénat.--Situation de l'empire du côté de l'Europe.--Résumé des affaires de la Hunnie jusqu'en l'année 610; les Avars envahissent le Frioul.--Le duc Ghisulf est tué; sa veuve Romhilde livre au kha-kan la ville de Forum-Julii.--Halte de l'armée hunnique au Champ-Sacré; les fils de Ghisulf s'enfuient; aventure du jeune Grimoald; massacre des prisonniers; châtiment de Romhilde.--Bonnes dispositions apparentes du kha-kan envers l'empire; il propose de venir trouver l'empereur dans Héraclée.--Héraclius prépare une grande fête pour le recevoir.--Trahison du kha-kan; il veut enlever l'empereur, qui s'échappe en laissant à terre son manteau impérial.--Course des Huns jusqu'au mur de Constantinople.--Explications du kha-kan.--Reprise des négociations; la paix est jurée.--L'empereur se prépare par la retraite et le jeûne à sa campagne contre les Perses; il règle le gouvernement de l'empire pendant son absence; sa noble conduite vis-à-vis du kha-kan des Avars.--La flotte impériale met à la voile.

Chapitre troisième.--Expédition d'Héraclius contre les Perses; il débarque en Colchide; les tribus du Caucase se joignent à lui.--Invasion de l'Atropatène; Héraclius détruit les Pyrées des mages et éteint le feu consacré.--La guerre se porte dans les hautes chaînes du Caucase et du Taurus; héroïsme d'Héraclius et de son armée.--Schaharbarz se concerte avec le kha-kan des Avars pour assiéger Constantinople par terre et par mer.--Le patrice Athanase député au kha-kan pour sonder ses intentions est retenu prisonnier.--Plan hardi d'Héraclius pour déjouer la coalition formée contre lui; il partage son armée en trois corps, fortifie la garnison de Constantinople, et marche lui-même près de Tiflis au-devant des Khazars.--Entrevue du chef khazar Zihébil et de l'empereur romain; leur alliance; quarante mille Khazars auxiliaires entrent au service d'Héraclius.--Siége de Constantinople par les Perses et les Avars; Schaharbaz occupe la rive orientale du Bosphore, l'avant-garde avare arrive à Mélanthiade.--Le kha-kan renvoie Athanase à Constantinople pour la sommer de se rendre; Athanase mal accueilli par le sénat justifie sa démarche.--Arrivée du kha-kan devant la ville.--Ses troupes; son matériel; sa flotte.--Description de Constantinople.--Belle défense des assiégés; machine inventée par un matelot.--Ambassadeurs perses à l'armée du kha-kan; celui-ci demande à conférer avec quelques députés romains; singularités de cette conférence.--La flotte avare veut traverser le Bosphore à Chelæ; elle est dispersée par des galères romaines.--Colère du kha-kan; attaque nocturne de la ville par terre et par mer; sages dispositions du patrice Bonus.--Bataille navale gagnée par les Romains.--Déroute de l'armée avare.--Retraite du kha-kan.--Constantinople fête sa délivrance.

Chapitre quatrième.--Campagne d'Héraclius en Assyrie.--Bataille de Ninive.--Fin malheureuse de Chosroès; son fils Siroès lui succède: Héraclius devient l'arbitre de la paix.--Son entrée triomphale à Constantinople.--Des envoyés viennent le féliciter de la part de Dagobert, roi des Franks.--Invasion de l'islamisme sur le territoire de l'empire.--Conquêtes des khalifes Abou-Bekr, Omar et Khaled.--Perte de la Syrie.--Héraclius rapporte la sainte Croix de Jérusalem à Constantinople; changement opéré en lui par le malheur.--Politique d'Héraclius vis-à-vis des Avars: Affaires intérieures de la Hunnie.--Révolte des Slaves; un marchand frank nommé Samo les conduit an combat; ils le prennent pour roi.--Alliance d'Héraclius avec lui.--Les sujets de Samo attaquent une caravane de marchands franks.--Réclamations de Dagobert; sotte conduite de son envoyé Sicharius.--Victoire des Vendes-Carinthiens sur les Franks à Vogastiburg.--Mort du kha-kan des Avars; prétention de Cubrat, roi de Bulgarie, à lui succéder; scission entre les Avars et les Bulgares.--Cubrat sollicite l'alliance des Romains.--Héraclius appelle des colonies slaves au midi du Danube; fondation des deux royaumes de Croatie et de Servie.--Les Avars confinés dans leur territoire se livrent à un luxe grossier.--Apologue de Crumn, roi des Bulgares.--Décadence du second empire hunnique; ses dernières relations avec le roi des Lombards.

Chapitre cinquième.--Premières missions chrétiennes en Hunnie.--Saint Émeramme de Poitiers; saint Rupert.--Destruction de la ville de Laureacum et de l'œuvre de saint Rupert.--Les Huns sont repoussés derrière le mont Comagène.--Révolution survenue dans l'empire frank; une nouvelle dynastie remplace les rois mérovingiens; grandeur de la France sous Charlemagne.--Deux ennemis menacent l'empire frank; les Saxons au nord de l'Allemagne, les Grecs en Italie; situation intermédiaire des Avars.--Haine de Tassilon, duc de Bavière, et de sa femme Liutberg contre Charlemagne.--Apparition des Huns à la diète de Paderborn.--Défaite des Franks près du mont Suntal; exécution de quatre mille cinq cents Saxons.--Witikind se soumet; il est baptisé.--Tassilon négocie avec les Avars; mandé à la diète de Worms, il refuse de s'y rendre.--Une armée franke marche sur la Bavière; Tassilon renouvelle son serment de fidélité et livre des otages.--Alliance de Tassilon avec les Huns.--Dénoncé par ses leudes, il est jugé à Ingelheim et condamné à mort; Charlemagne lui fait grâce de la vie; Tassilon se fait moine.--Les Huns descendent en Italie pour se joindre aux Grecs; les Grecs et les Huns sont battus.--Les Huns envoient une armée en Bavière et sont défaits.--Charlemagne leur déclare la guerre.--Sentiment de la Gaule à cette nouvelle; préparatifs et plan de campagne de Charlemagne; la reine Fastrade le suit à Ratisbonne.--Fortifications du pays des Huns; ce que c'était que les Hrings ou Rings.--Charlemagne fait célébrer les litanies; sa lettre à Fastrade.--Il attaque le rempart du mont Comagène sur la rive droite du Danube; Theuderic attaque celui de la Kamp sur la rive gauche; double victoire des Franks.--Charlemagne pousse jusqu'au Raab, Theuderic jusqu'au Vaag; siége de la grande île du Danube.--Succès de l'armée d'Italie commandée par Pépin; le jeune roi pénètre dans la presqu'île sirmienne; il prend et pille un des rings intérieurs.--Une épizootie se répand sur les chevaux des Franks.--Fin de la campagne.

Chapitre sixième.--Politique de Charlemagne à l'égard de la Hunnie; effroi de la cour de Constantinople.--Charlemagne veut joindre le Rhin au Danube par un canal; il commence l'entreprise sans pouvoir l'achever.--Les Saxons sollicitent les Avars de reprendre les armes; parti de la paix et parti de la guerre parmi les Huns; le parti de la paix l'emporte; le kha-kan et le ouïgour sont massacrés.--Nouvelle campagne des Franks en Hunnie; Héric, duc de Frioul, prend et pille un des rings intérieurs en Pannonie; le ring royal situé aux bords de la Theïsse tombe au pouvoir du roi Pépin.--Entrée triomphale de Pépin à Aix-la-Chapelle.--Charlemagne distribue le butin fait sur les Avars au pape, aux autres souverains, aux métropoles, aux églises des Gaules et à ses fidèles.--Le kha-kan Tudun et plusieurs nobles avars reçoivent le baptême à Aix-la-Chapelle; fête donnée à cette occasion; vers de l'évêque Théodulf.--Construction de la grande cité d'Aix; chasse dans les forêts voisines; tableau de la cour du roi des Franks.--Retour de Tudun dans ses États; les Pannonies sont incorporées à l'empire frank ainsi que la Hunnie septentrionale jusqu'au Vaag, le reste forme un royaume soumis aux Franks.--Franco-Chorion.--Colonies bavaroises et carinthiennes établies en Pannonie.--Révolte parmi les Avars; Tudun abjure le christianisme.--Attaque de la frontière bavaroise; le comte Gérold est tué.--Nouvelle campagne des Franks; mort de Tudun; conquête définitive de la Hunnie.--Organisation administrative des Pannonies.--Kha-kans devenus chrétiens; procédé du comte Ingo pour gagner les nobles huns au christianisme.--Fanfaronnade d'un soldat gaulois; conséquences nombreuses de la guerre de Hunnie.--Les Slaves et les Bulgares attaquent les Huns qui demandent à quitter leur pays; Charlemagne les cantonne au midi du Danube.--Puissance des Slaves-Moraves.--Lettre du pape Eugène II au kha-kan et au peuple des Avars.

Conclusion.--Arrivée des Hunugars en Europe.--Ils habitent la Lébédie d'où ils sont chassés par les Petchénègues.--Ils se divisent; une partie retourne au pied du Caucase, l'autre s'établit au bord du Danube.--Le kha-kan des Khazars institue Arpad prince des Hunugars danubiens.--L'empereur Léon le Sage achète leur secours contre les Bulgares.--Ceux-ci défont le roi Siméon et ravagent la Bulgarie.--Siméon appelle à son secours les Petchénègues qui se jettent sur les campements des Hunugars; Arpad se retire dans les montagnes de la Transylvanie.--Les Hunugars se renforcent de huit tribus exilées de la Khazarie, parmi lesquelles figure la tribu des Magyars.--Berceau de la nation et de la langue hongroises.--Situation des contrées danubiennes depuis la destruction de l'empire des Avars; faiblesse des successeurs de Charlemagne; progrès de la domination des Moraves.--Le roi de Moravie Swatepolc se brouille avec le roi de Germanie Arnulf son seigneur; caractère de ces rois; Arnulf ouvre les Carpathes aux Hongrois.--Irruption des bandes d'Arpad; défaite et disparition de Swatepolc.--Guerre des Hongrois avec ses fils; conquête des plaines de la Theïsse; chute du royaume des Moraves.--Arnulf se fait couronner empereur à Rome; les Hongrois attaquent la Bavière et l'Italie.--Férocité de ce peuple; épouvante des Italiens; cri de malédiction contre Arnulf.--Progrès de la nation hongroise sur les deux rives du Danube.--Fondation d'un troisième empire hunnique.

QUATRIÈME PARTIE.

HISTOIRE LÉGENDAIRE ET TRADITIONNELLE D'ATTILA.

Légendes et traditions latines.--I. Caractères divers de l'Attila légendaire chez les peuples latins.--Attila destructeur.--Attila fondateur.--Attila en face des évêques et du pape.--Attila flagellum Dei.

II. Mythe du Fléau de Dieu.--Son origine dans les idées chrétiennes du ve siècle.--Son développement au moyen âge.--Légende de saint-Loup.--Attila infernal.--Attila théologien.--Attila vertueux.--Fiésole et Florence.--Confusion de l'histoire et de la légende.

Légendes et traditions germaniques.--I. Sources de la tradition germanique sur Attila.--Elle prend naissance chez les Germains orientaux.--Les Germains occidentaux l'adoptent en la modifiant.--Traditions chez les Franks, chez les Anglo-Saxons, chez les Scandinaves, chez les Germains du Rhin.

II. Caractère d'Attila dans les divers poëmes germaniques.--Sa fin tragique de la main d'une femme.--Traditions sur Ildico.--Hildr la Danoise, Hildegonde, Gudruna, Crimhilde.--Poëme de Walter d'Aquitaine; Hildegonde chez Attila; son enlèvement par Walter.--Chants scandinaves sur Gudruna et Atli; leur mariage.--Atli tue les frères de Gudruna pour avoir leurs trésors.--Vengeance de Gudruna.

III. Dernier état de la tradition.--Poëme allemand des Niebelungs.--Altération du mythe de Sigurd.--Férocité des Niebelungs et de leur sœur Crimhilde.--Attila ami des chrétiens; il fait baptiser son fils Ortlieb.--Pilegrin évêque de Passau, auteur du poëme des Niebelungs.--Pilegrin fut l'apôtre des Hongrois.--Son rôle historique.--Caractère et objet de son poëme.

Légendes et traditions hongroises.--I. Possibilité d'une tradition huunique chez les Hongrois.--Authenticité de leurs monuments traditionnels.--Chants populaires.--Chroniques et légendes.--Influence de l'éducation chrétienne.--Le notaire anonyme du roi Béla.--L'évêque Chartuicius.--Simon Kéza.--Chronique de Bude.--Thwroczi.

II. Épopée magyare.--Attila, Arpad, Saint-Étienne.

III. Épée d'Attila.--Dernières traditions en Hongrie et en Orient.

NOTES ET PIÈCES JUSTIFICATIVES.

FIN DE LA TABLE.

PARIS.--IMPRIMERIE DE J. CLAYE, RUE SAINT-BENOIT, 7.

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