Histoire de France 1516-1547 (Volume 10/19)
CHAPITRE XXI
DERNIÈRE GUERRE, RUINE ET MORT DE FRANÇOIS Ier
1539-1547
On peut dater d'ici le règne d'Henri II et de Diane de Poitiers. François Ier n'est plus qu'une cérémonie, une ombre. La réaction règne par Montmorency d'abord, ami de Diane et de l'Empereur; puis par les prêtres, les cardinaux de Tournon, de Lorraine, et les cadets de Lorraine, les Guises, généraux du clergé, tous serviteurs et créatures de la triomphante maîtresse.
Comment finit François Ier? Il meurt huit ans d'avance par une horrible maladie (1539), dont la médecine ne le sauve qu'en l'exterminant[27]. Ses derniers portraits font frémir; leur bouffissure difforme témoigne de l'énergie des remèdes qui ne lui donnèrent ce répit qu'en bouleversant l'homme physique, éteignant l'homme moral.
À ce prix on parvint à pouvoir le montrer, le remettre à cheval, le mener quelque peu à l'armée, à la chasse. Au conseil même, dans quelques circonstances, il voulut décider; mais tout lui échappait. Il était incapable de suite. Sans sa maîtresse ou garde-malade, la duchesse d'Étampes, qui s'indignait, le réveillait parfois, il se fût résigné peut-être; mais elle ne cessait, dans sa haine jalouse contre Diane, de rouvrir les yeux du malade sur sa déchéance réelle. Contre le nouveau roi, si peu Français, si contraire à son père, et qu'on eût cru plutôt un fils de l'Empereur, elle élevait, créait un rival, le jeune et brillant duc d'Orléans pour qui elle eût voulu un trône.
Dès le 23 septembre 1538, le roi étant revenu à Compiègne, et souffrant d'un cruel abcès qui le mit à la mort, Montmorency ne perdit pas un moment et inaugura la politique nouvelle en faisant arrêter, poursuivre son ennemi, l'ami de la duchesse d'Étampes, Brion (ou l'amiral Chabot)[28]. Il le fit éplucher avec une rigueur extraordinaire par ses légistes à lui, de manière à trouver quelque indélicatesse, quelque abus de pouvoir, péchés communs à tous les favoris.
Tous nos ambassadeurs reçurent en même temps un nouveau mot d'ordre, fort surprenant (ils n'y pouvaient croire): de travailler partout pour l'Empereur. Ordre d'agir pour lui auprès du Turc, de lui ménager une trêve. Ordre d'engager l'Allemagne à s'unir contre Soliman. Défense au protégé du roi, au duc de Wurtemberg, d'agir contre les évêchés catholiques, et notification à la diète que le roi s'unissait à l'Empereur pour rétablir la religion.
Henri VIII eût volontiers épousé une princesse française. On venait d'en donner une au roi d'Écosse. On s'engage à Madrid à ne faire avec l'Angleterre aucun traité de mariage. Loin de là, on accueille un plan d'un de nos envoyés pour le détrônement d'Henri, le démembrement de son royaume, l'anéantissement de l'Angleterre.
Dans cette année 1539, Montmorency fut la vraie providence de Charles-Quint. Au moment où l'Espagne le menaçait par ses cortès, au moment où Gand révolté décapitait son doyen, comme partisan de l'Empereur, au moment où il apprenait les révoltes de ses armées, où tout lui échappait, Montmorency lui met la France dans les mains, le secret de nos négociations avec le Turc et l'Angleterre, lui confie le fil même de notre diplomatie (5 août 1539), jusqu'à trahir la confiance de Gand qui se livrait à nous.
Dans ce mois d'août 1539, un coup heureux délivra Charles-Quint des vieilles bandes espagnoles qu'il ne pouvait ni payer, ni contenir. Mis dans la petite ville ouverte de Castel-Novo, quatre mille de ces soldats furent surpris par Barberousse. Six mille, qui étaient à Tunis, furent habilement tirés du fort, embarqués pour la Sicile, et là, à force de serments, le vice-roi les endormit, les dispersa, les égorgea.
Belle délivrance pour l'Empereur; mais bonne leçon pour l'Espagne, si mal récompensée! Les levées y furent quelque temps extrêmement difficiles. On aimait mieux la mer, les Indes, que le service. À la guerre qui suivit, l'Empereur ne demandait que six mille Espagnols, et il ne put en avoir que trois mille (Navagero). Il se trouva très-faible. Les Turcs prirent toute la Hongrie, et ils auraient pris les Deux-Siciles, pour peu que la France eût aidé.
Si quelque chose dut le rendre dévot, ce fut certainement ce miracle qu'à ce moment de ses plus extrêmes nécessités, un tel secours lui fût tombé du ciel, celui de son ennemi. Désarmé et sanglant de cette Saint-Barthélemy de ses propres soldats, il se vit gardé par la France. Montmorency le pria de se fier à nous, de venir, de montrer que la France ne faisait qu'un avec l'Espagne et qu'on aurait affaire à elle si on touchait à l'Empereur.
Charles-Quint, qui avait fait son testament avant l'expédition de Tunis, le refit avant le voyage de France (5 novembre 1539, Granvelle, II, 545, 554). Il y donne Milan au second fils du roi qui épousera une fille de Ferdinand, pourvu que Ferdinand y consente. Ce petit mot réservait tout.
Entré en France vers le 20 novembre, il vit longuement Montmorency et les fils du roi, avant le roi, et entra à Paris le 1er janvier 1540. Le connétable tout-puissant avait exigé des villes les fêtes les plus retentissantes, et il fit avertir toutes les cours de l'Europe de cette union intime, définitive, du roi et de l'Empereur. Charles-Quint vit très-bien le besoin que la coterie régnante avait de lui. Il prit ses avantages, attisant d'une part la rivalité des deux frères, d'autre part ébranlant la fidélité du roi de Navarre, lui faisant espérer que l'infant épouserait sa fille, qui deviendrait la reine de l'Espagne et des Indes.
La duchesse d'Étampes et son protégé, le second fils du roi, auraient été d'avis de retenir l'Empereur jusqu'à ce qu'on eût Milan. C'est d'eux que vint sans doute le mot hardi de Triboulet au roi, écrivant sur la liste des fous célèbres l'Empereur, mais disant: «S'il échappe, j'y mettrai Votre Majesté.»
On prétend que le jeune Orléans eut l'idée, avec ses amis, d'enlever Charles-Quint. Cette cour de jeunes gens était fort hasardeuse; elle se piquait de folie, de duels, de sauts périlleux, de courir de toits en toits. L'un d'eux offrait à la duchesse d'Étampes de changer la situation et de rompre la fascination qui retenait le Dauphin, par un moyen très-simple, en coupant le nez à Diane.
L'Empereur n'était pas rassuré. Plus d'un malheur arriva sur sa route. À Bordeaux, il faillit être asphyxié; à Amboise, incendié. Ailleurs, une bûche lui tomba sur la tête. Le roi était furieux des mésaventures de son hôte, et voulait faire pendre tout le monde.
L'Empereur crut utile de désarmer à tout prix sa belle ennemie, la duchesse d'Étampes, en faisant briller à ses yeux une offre inattendue, celle de relever la maison de Bourgogne; il eût donné au duc d'Orléans bien autre chose que Milan, toutes les provinces des Pays-Bas. Il est vrai qu'Orléans, du vivant de Charles-Quint, n'en eût pas été souverain, mais seulement gouverneur.
La pauvre Gand fut brisée de la réception de Charles-Quint et de son union avec le roi. Chaque fête qu'on lui donna fut comme une bataille perdue par la Flandre. Il ne trouva nulle résistance, brida la ville avec un fort et fit mourir qui il voulait.
Sorti de France à la fin de janvier, en février il se retrouva maître, très-solide et très-affermi, libre d'examiner ce qu'il voulait tenir de ses promesses. S'il eût donné les Pays-Bas, c'eût été pour le cas où Orléans eût eu des enfants de sa fille; mais, en échange de ce don incertain, il voulait que le roi, sur-le-champ, se dessaisît du Piémont, ainsi que des droits sur Milan. Montmorency, trompé, désespéré, alla, pour gagner l'Empereur, jusqu'à promettre par écrit que le roi l'aiderait contre ses alliés d'Allemagne. Lettre fatale que l'Empereur montra et répandit plus tard.
La honte d'être dupe à ce point tira le roi de sa léthargie. Il fit une chose violente. Il maria la fille de sa sœur, contre le gré de sa sœur, au duc de Clèves, capital ennemi de Charles-Quint.
Ce fut une scène très-violente et d'une choquante tyrannie. La petite fille, qui avait douze ans et qui était malade, ne voulait pas marcher. Le roi dit à Montmorency: «Porte-la sur ton cou.» Et alors on vit le connétable, ce premier homme du royaume, faire l'office d'une nourrice ou d'un valet de pied. Il prit l'enfant et la porta devant toute la cour, croyant apaiser le roi par cette humiliation. Et, en effet, il garda encore quelque temps le pouvoir. Mais son grand ami, l'Empereur, le brisa, lui donna le coup de grâce, en investissant son fils de Milan (octobre), en brisant ainsi tout espoir, et montrant que Montmorency était ou un traître, ou un sot.
Il ne lui restait, après cela, qu'à fuir et se cacher. On satisfit à la colère du roi par la ruine d'un homme qui tenait à Montmorency, du seul de ce parti qui eût servi la France, du chancelier Poyet. Tout le monde lui en voulait pour ses belles ordonnances qui fermaient le trésor aux courtisans. Il avait essayé de couper court à la chicane, de rogner les griffes des procureurs, de leur ôter les faux-fuyants et l'obscurité du latin; il força la justice de parler français. Poyet eut encore le mérite d'ouvrir l'état civil, d'exiger l'inscription des baptêmes par des actes où signerait un notaire avec le curé. Mais son crime principal fut d'avoir limité la justice ecclésiastique, supprimé ces appels fantasques du plaideur qui, sentant sa cause mauvaise, la tirait du bailliage royal pour la porter devant l'évêque. Grand coup et décisif. Les tribunaux d'évêques devinrent presque déserts.
Qui succède à Montmorency? Un gouvernement anonyme, le conseil, le fauteuil du roi, où siégera rarement le malade. Les influences principales sont celles d'un âpre fanatique, du cardinal de Tournon et du cardinal de Lorraine, frère et oncle des Guises, l'homme des grandes et terribles fêtes expiatoires de 1528 et 1535. Un honnête et grossier soldat, Annebaut, qu'ils mettent près d'eux, servira à couvrir dans les choses de la guerre les sourds commencements des Guises, qui, contre l'antipathie du roi, s'étayeront peu à peu d'une popularité militaire.
La toute-puissance des cardinaux, leur royauté réelle, avait déjà déchaîné le fanatisme dans les provinces. Dès la fin de 1538, après l'entrevue de Nice, il est lâché partout. On brûle à Toulouse, à Agen, à Annonai; on brûle à Rouen et à Blois. Le Parlement d'Aix, sûr de plaire à Paris, a porté en 1540 un horrible arrêt contre plusieurs villages de Provence, séjour d'une colonie vaudoise, d'hérétiques et de révoltés. Le massacre eût eu lieu, si les protestants d'Allemagne n'eussent réclamé, si Guillaume du Bellay, s'adressant au roi même, n'eût obtenu une enquête, et tiré de lui des lettres de grâce (8 février 1541). C'est le dernier triomphe des du Bellay. Dans la guerre qui doit suivre, Guillaume n'a plus voix au chapitre. Son frère, Jean, cardinal, évêque de Paris, dure, en se faisant subalterne. Il s'enfuit à Rome à la mort de François Ier.
L'œuvre de Montmorency subsistait. Nous étions isolés, haïs et méprisés. L'Angleterre était contre nous, l'Allemagne était contre. L'horreur des protestants pour une France persécutrice et fanatique les rapprochait de l'Empereur. Charles-Quint, converti à la tolérance par l'approche des Turcs, promettait que les affaires religieuses seraient réglées par un concile assemblé en Allemagne, ou même par une diète d'Empire; jusque-là, interim, égalité des deux partis.
La France ne comptait plus; elle était hors du droit de l'Europe. On le vit, en juillet 1541, quand le marquis du Guast (un homme noir qui ne jurait que par les Borgia) fit assassiner en Lombardie notre envoyé Rincon, qui allait à Constantinople. Il croyait prendre ses dépêches. Mais Guillaume du Bellay, qui craignait ce malheur, les avait gardées en Piémont pour les faire passer droit à Venise. La vengeance de cet acte atroce était facile. Un bandit italien venait de prendre à Ferdinand une place de l'Adriatique, et il voulait la vendre aux Français ou aux Turcs. Venise eut peur de tels voisins et acheta cette place. Si la France l'avait devancée, comme le voulait du Bellay, elle mettait une forte épine au cœur de la maison d'Autriche.
Ce conseil intrépide eût été accueilli peut-être de François Ier bien portant, comme au soir de Pavie où il envoie sa bague à Soliman. Mais l'abcès avait tout changé en 1538; il était mort à cette époque.
Telles sont les phases bizarres du gouvernement personnel. Le règne de Louis XIV se partage en deux parts: avant la fistule, après la fistule. Avant, Colbert et les conquêtes; après, madame Scarron et les défaites, la proscription de cinq cent mille Français.
François Ier varie de même: avant l'abcès, après l'abcès. Avant, l'alliance des Turcs, etc.; après, l'élévation des Guises et le massacre des Vaudois, par lesquels finira son règne.
Le meurtre de Rincon, comme celui de Merveille en 1534, étaient de ces choses qui pouvaient réveiller le roi.
Deux événements l'engageaient à agir. Ferdinand, battu par les Turcs, les vit prendre possession de toute la Hongrie; et Charles-Quint, qui, pour couvrir ce revers dans l'opinion, avait improvisé une expédition contre Alger, y éprouva un désastre effroyable, repoussé par les Maures, battu, brisé par les tempêtes. Le 3 décembre 1541, il rentre tout seul à Carthagène.
La jeune cour de France, divisée entre les deux princes, Henri de vingt-trois ans, Charles de vingt et un, ne manque pas de crier que c'est fait de l'Empereur, qu'il faut tomber sur lui, l'achever. Une arène s'ouvre où veulent briller les deux partis. Les prêtres même y ont leur compte. Le cardinal de Lorraine y voit l'avancement des Guises. Le cardinal de Tournon obtient qu'on constate que la guerre n'est pas luthérienne. Enjoint aux Parlements de poursuivre les suspects, aux curés d'exciter les dénonciations.
L'appel fut entendu; la police passa aux curés; les listes de communiants aux grandes fêtes, sévèrement examinées, devinrent celles de la vie et de la mort; on eut peu à chercher: la plupart des martyrs se désignaient eux-mêmes.
Donc, c'est la France catholique contre la catholique Espagne. La France seule en Europe, et n'ayant plus l'appui du parti anticatholique. Elle ne peut plus même faire de levées en Allemagne. Elle va chercher des soldats jusqu'en Danemark et en Suède.
Quoi donc? Il n'y a plus d'hommes en France? Non, on ne veut plus de Français. «Élevés de la servitude au noble métier des armes, ils sont trop indociles. Les nobles se sont plaints, disant au roi: Les vilains vont se faire gentilshommes et les gentilshommes vilains. Donc, on néglige les légionnaires; on revient aux mercenaires suisses.» (Fr. Giustiniani, Rel. Ven. S. I., vol. I., 212, Ann. 1538.)
Sur les cinq armées de la France, dans cette dernière guerre, et dans les plus périlleuses extrémités, on hasarda à peine d'avoir douze ou quinze mille de ces dangereux soldats roturiers. Du Bellay les relève fort, et dit qu'ils n'avaient pas leurs pareils aux assauts.
Il fait grand cas aussi des soldats italiens, disant, en trois passages, que «c'étaient les plus aguerris.» La France n'en profite guère. Elle repousse, en 1542, l'effort suprême de l'émigration italienne, qui, sous Du Bellay et Strozzi, lui avait préparé une armée de douze mille hommes.
Rien désormais hors du cercle des Guises. Claude de Guise, avec le cadet des deux princes, Charles d'Orléans, a l'armée du Nord, qui envahit le Luxembourg. Le fils de Claude, François (qui sera le grand Guise), candidat secret du parti, sans titre encore, a l'armée du Midi, sous le Dauphin, et envahit le Roussillon.
L'espoir des Guises, le prix de leurs exploits, devait être l'intime alliance de toute-puissante Diane, astre futur du prochain règne. Ils comptaient à la paix épouser une de ses filles, et serrer le lien d'intrigue qui devait tenir Henri II.
L'affaire du Nord était très-importante. Dans l'attaque du Luxembourg, on agissait avec les restes du parti des La Mark, étouffé, non écrasé, par l'Empereur. On donnait la main au duc de Clèves, qui lâchait dans les Pays-Bas une masse sauvage d'aventuriers allemands qui se souvenaient du sac de Rome et comptaient sur le sac d'Anvers.
Le succès fut facile au Luxembourg, mais non soutenu. Au lieu de pousser aux Pays-Bas, d'appuyer Clèves, le jeune prince regardait au midi. Il apprenait que le Dauphin, son frère, outre l'armée d'Espagne, s'adjoignait l'armée d'Italie. Il eut peur d'une victoire d'Henri, revint. François Ier ne s'effrayait pas moins. Il avait écrit au Dauphin de ne pas donner bataille sans lui. Pendant qu'il avance à petites journées, la saison passe. Perpignan, qu'on assiége, résiste. La campagne est manquée, perdue au midi, vaine au nord.
Avec ce grand effort de cinq armées, on n'avait pas entamé l'Empereur. À lui maintenant d'attaquer à son tour. Et il allait le faire avec un énorme avantage, s'étant rallié Henri VIII, à qui il offrait la France même, ne se réservant que la Picardie.
Nous recueillîmes le fruit de la sottise avec laquelle nous avions constamment irrité Henri. Nous avions marié à son capital ennemi, le roi d'Écosse, la sœur de François de Guise, mère de Marie Stuart, mère féconde des maux de l'Europe. Le tout-puissant cardinal de Lorraine, et la protectrice des Guises, Diane de Poitiers, firent faire ce mariage royal à une fille cadette des cadets de Lorraine, bientôt veuve et régente pour la romanesque Marie, dont le fatal berceau fut une boîte de Pandore.
L'Empereur, déjà sûr d'Henri VIII, s'assure des luthériens. Il laisse là les questions religieuses, et les somme, au nom de l'Empire, au nom de la patrie allemande, de le suivre contre les Turcs et les Français. Soliman est aux portes sur la frontière d'Autriche. Barberousse et sa grande flotte tiennent la mer avec les Français.
La France catholique, gouvernée par deux cardinaux, la France, cruelle pour les chrétiens, suivait le drapeau musulman, le drapeau des pirates et des marchands d'esclaves. Le jeune duc d'Enghien, uni à Barberousse, assiégea Nice. En vain. Les Algériens se dédommagèrent par les pillages et les enlèvements. Mis par nous dans Toulon, ils firent en Provence même leur récolte de filles et leur provision de forçats. L'année suivante, ravage encore plus grand; six mille esclaves enlevés en Toscane, huit mille au royaume de Naples, spécialement un choix de deux cents vierges prises dans les couvents d'Italie pour la part du sultan.
L'horreur de l'Allemagne pour nous perd le duc de Clèves. Elle l'abandonne; il est écrasé pour toujours. Coup fatal à la France. Ce petit prince était sa meilleure force, comme son recruteur allemand, le noyau militaire de toutes les résistances de la basse Allemagne.
Qui empêchait l'Empereur de pénétrer en France? Les Vénitiens, qui suivaient l'armée impériale, remarquent: que les grands généraux des temps de Pavie sont morts, et que l'Empereur n'a plus que le duc d'Albe, médiocre, ignorant. (Lor. Contarini.)
Charles-Quint, dirigé par des conseillers italiens, ordonne tout lui-même, autant que peut le faire un homme appesanti déjà, maladif, grand mangeur, qui se lève fort tard et tous les jours entend deux messes. (Navagero.) L'armée de ce malade était à son image, lente et lourde, chargée de bagages infinis, qui se développaient sur une longue file, séparaient, isolaient les troupes, empêchaient l'avant-garde de toucher le corps de bataille. Il eût suffi d'une petite bande leste et hardie pour le couper cent fois.
Heureusement pour lui, le roi de France traîne aussi. Il craint fort la bataille. Où l'Empereur s'arrête, il s'arrête, à Luxembourg, à Landrecies. Le roi est trop heureux de ravitailler Landrecies. Voilà tout le succès de cette grande armée. Chacun va se panser chez soi.
Marino, qui était à la cour de France en 1544, dit nettement que la France, abandonnée des Turcs, envahie par les protestants, ses anciens alliés, était aux abois et désespérée. Ce que le roi avait encore le plus à craindre, c'était son peuple qui, s'il y eût eu revers, aurait fait une sauvage et bestiale révolution (tumulto bestiale).
Quarante mille Allemands entraient à l'est. Vingt mille Anglais débarquaient à l'ouest. L'Empereur avec la grande armée marchait droit vers Paris. Les vues étaient sérieuses. Charles-Quint, qui lisait toujours Commines, savait le mot de Louis XI, qu'on prend la France dans Paris. Il s'agissait cette fois d'en finir ou de détruire François Ier et de changer la dynastie, ou de tellement l'asservir qu'il devînt serf de l'empereur, soldat à son service, sbire et recors impérial pour assujettir l'Allemagne.
Il était trop évident, en présence d'une crise si terrible, que la vieille méthode de faire une diversion en Milanais ne ferait rien, ne servirait à rien. Qu'importait de prendre Milan, si l'on perdait Paris?
Le roi avait en Italie cinq mille Suisses allemands, quatre mille Suisses français, cinq mille Gascons, trois mille Italiens. Cette armée eût dû revenir en hâte, assurant seulement le Piémont. Ce n'était pas l'avis du jeune duc d'Enghien, qui pour la première fois arrivait général sur le champ de bataille, comme Gaston de Foix à Ravenne. Enghien, fils de Vendôme et cadet de Bourbon, avait là une occasion de briller, d'éclipser les Guises. La rivalité des maisons de Guise et de Bourbon, qui allait troubler le siècle, se prononçait déjà. Le roi favorisait Enghien et l'opposait aux amis de son fils.
C'est, je crois, de cette manière qu'on doit expliquer l'imprudente permission qu'il donna de livrer bataille, Montluc, envoyé par Enghien pour l'obtenir, en fait honneur à son éloquence gasconne. Quoi qu'il en soit, la chose tourna bien (à Cérisoles, 14 avril 1544).
Nos Suisses et nos Gascons, fortifiés d'une nombreuse noblesse française, accourue tout exprès, et qui se mit à pied, soutinrent l'épouvantable choc de dix mille Allemands que le général impérial, Du Guast, nous lançait d'une colline. Trois cents lances françaises enfoncèrent la cavalerie légère de l'ennemi, qui, poussée sur le flanc de son infanterie, la mit elle-même en déroute. Enghien faillit périr comme Gaston à Ravenne. Il se précipita avec une petite bande de jeunes gens à travers le noir bataillon des Espagnols et le perça de part en part. Fort affaibli, il dut, pour rejoindre les siens, percer encore cette troupe formidable. Il le fit, en sortit, mais presque seul, et ne vit plus les siens; il crut la bataille perdue. Elle était gagnée, et les nôtres revinrent, rompirent les Espagnols. Bataille infiniment sanglante; selon Du Belay, douze mille morts.
Quel résultat? Aucun. Sans argent et sans vivres, l'armée fond, se dissipe. Et Charles-Quint avance. Ralenti par la résistance de Saint-Dizier qu'il prend par ruse, il avance pourtant, et les Français ne lui opposent que leur propre ruine, la dévastation, le désert. Les barbaries de la Provence sont renouvelées sur la Champagne. La France se traite plus cruellement que n'eût fait l'ennemi. L'Empereur va toujours, poussant le Dauphin devant lui vers l'ouest et vers les Anglais; il le leur livre, il le leur donne. Si ceux-ci eussent daigné le prendre, fait quelques pas, c'en était fait.
L'Empereur, qui a pris nos magasins, nos vivres, nourri par nous, arrive à treize lieues de Paris, à Crépy-en-Valois. On en était aux dernières ressources; on travaillait en vain à faire une armée de séminaristes ou écoliers. Une défaite nous sauva, la perte de Boulogne, que l'Anglais prit et qui inquiéta l'Empereur.
Très-fatigué lui-même, pris d'un accès de goutte, il pensait qu'après tout, au lieu de faire les affaires d'Henri VIII, il valait mieux conserver, exploiter cette misérable France ruinée. Affaiblie à ce point, elle ne pouvait plus que suivre son impulsion. Le roi détruit lui valait moins que le roi asservi et devenu son capitaine. (Traité de Crépy, 18 septembre 1544.)
Le roi, en effet, s'engagea à guerroyer pour lui, à fournir, à payer une armée contre le Turc (au fond contre les luthériens).
L'affaire avait été brassée de fort bonne heure entre le confesseur de l'Empereur et celui de François Ier.
Le roi restituait la Savoie. L'Empereur faisait du duc d'Orléans son gendre ou son neveu, le mettant à Milan ou aux Pays-Bas, non comme duc et souverain, mais comme gouverneur impérial. En adoptant ainsi le cadet, le tenant sous sa main et se chargeant de sa fortune, il fondait une bonne et solide discorde entre les frères. Et, en effet, le Dauphin protesta.
Navagero remarque que la mort avait toujours été du parti de Charles-Quint, l'avait toujours servi. Le premier Dauphin, prince de grande espérance, et qui avait infiniment souffert de la captivité d'Espagne, était mort en 1536 (d'épuisement ou de pleurésie?). Son échanson italien avoua l'avoir empoisonné. Tout le monde le crut alors. En 1543, voici le troisième fils du roi, Charles d'Orléans, qui meurt aussi, et, dit-on, de la peste, au grand profit de l'Empereur, que cet événement dégageait de sa parole. Il n'eût pas ordonné un crime. Mais ses agents, qui, sans scrupule, assassinaient nos envoyés, n'avaient-ils pas dispense pour la guerre du poison contre les alliés des Turcs? Rien ne paraît plus vraisemblable.
Au reste, ce ne sont pas les impériaux peut-être que l'on doit accuser. Un mot violent d'Henri II, que nous citerons plus tard, montre qu'il haïssait son frère Charles. Ses amis très-peu scrupuleux, les hommes de Diane, ont bien pu le servir, et sans le consulter.
Une troisième mort survint, fort surprenante, celle d'Enghien, de ce Bourbon que François Ier venait d'élever si haut en lui faisant gagner une bataille. Qui le tue? Celui même qui profite le plus à sa mort, le jeune Guise. Dans un combat de boules de neige, pour boulette, il lui jette un coffre. Il s'excuse, disant avoir eu ordre de M. le Dauphin.
Dès lors il n'y eut plus deux partis. Le roi se trouva seul, et le Dauphin fut le vrai roi.
Sa maîtresse avait tout à craindre. On disait que, si la campagne de 1544 avait si tristement fini, la faute en était à elle, qu'elle avait aidé l'Empereur à prendre Saint-Dizier et les places où se trouvaient nos magasins.
Le roi, très-affaissé, devenait un jouet. On décidait sans lui, ou sur quelque mot vague qu'on lui tirait, les choses les plus graves et les plus terribles affaires, comme le massacre des Vaudois.
Il y avait quatre ans que le peuple infortuné des Vaudois de Provence flottait entre la vie et la mort, condamné en 1540, gracié en 1541, puis incertain de plus en plus à l'approche du nouveau règne. Les Vaudois n'étaient pas d'accord: les uns ne songeaient qu'à la fuite; d'autres voulaient se défendre et achetaient des fusils. S'ils s'étaient défendus, ils eussent été aidés peut-être par les Suisses. Après l'affaire de Cérisoles, le clergé saisit le moment. On détacha au roi un homme qui avait fort à expier, qui devait ménager les prêtres, l'ami de Barberousse, le capitaine Paulin de la Garde. Il lui parla à Chambord, dit que ce petit peuple était fort dangereux, qu'il faisait de la poudre, qu'il y avait là comme un avant-poste de l'Empereur. On était en pleine guerre, à la veille de l'invasion du Nord. Le roi est alarmé; il dit: «Défais-moi ces rebelles.»
Il paraît que Paulin voulut un ordre écrit. Après la paix, le 1er janvier 1545, le cardinal de Tournon écrivit et présenta à la signature du malade une révocation, de quoi? De la grâce accordée en 1541. Le roi signa sans lire comme il faisait le plus souvent. (V. le Procès, et Muston, I, 107.) Ce témoignage lui est rendu par l'historien protestant et vaudois, qui, plus sérieusement que personne, a épuisé l'examen de l'affaire.
Au reste, cette signature n'était pas tout. Il fallait celle du secrétaire d'État; le cardinal fit signer Laubespin. Il fallait celle du procureur du roi au Grand-Conseil; il refusa. Celle au moins de son substitut; il refusa. Et il fallait encore que le chancelier mît le sceau; il refusa. Le hardi cardinal y mit un sceau quelconque, et donna cette pièce informe à l'huissier du Parlement de Provence, qui était à la porte, attendant cette arme de mort.
Elle n'eût pas suffi, cependant; elle n'autorisait pas l'exécution militaire. Au-dessous de la signature, d'une écriture toute autre que celle de la pièce, quelqu'un, on ne sait qui, écrivit l'ordre qui livrait ce peuple aux soldats.
Ce qui rendait l'affaire hideuse, c'est que les parlementaires, si zélés contre l'hérésie, étaient des familles seigneuriales qui allaient recueillir la dépouille sanglante des victimes. Ils étaient juges et héritiers.
L'arrêt de 1540 ordonnait de punir les chefs. Et la pièce informe de 1545, l'horrible faux, ordonnait d'exterminer tout.
Pour en être plus sûr, on s'adressa à des brigands, aux soldats des galères, dont bon nombre étaient repris de justice, endurcis aux guerres barbaresques. Le président d'Oppède, sans bruit, sans notification, mène lui-même cette bande. Des dix-sept villages vaudois, plusieurs étaient vers Avignon, en terre papale. Mais le légat du pape donna de grand cœur l'autorisation[29].
Une circonstance curieuse, c'est que, ceux de Cabrières s'étant livrés sur la parole du président, il dit aux troupes de tuer tout. Elles refusèrent d'abord; les galériens se montrèrent plus scrupuleux que les magistrats. Ce ne fut pas sans peine qu'on les mit à tuer, voler et violer.
La chose une fois lancée, il y eut des barbaries exécrables. «Dans une seule église, dit un témoin, j'ai vu tuer quatre ou cinq cents pauvres âmes de femmes et d'enfants.» Et comment? Avec une furie, des supplices, des caprices atroces, dignes du génie de Gomorrhe. Vingt-cinq femmes, échappées, cachées dans une caverne, sur terre du pape, y furent, par ordre du légat, enfermées, étouffées. Cinq ans après, quand on fit le procès, on retrouva leurs os. Il y eut huit cents maisons brûlées, deux mille morts (au moindre calcul), sept cents forçats. Les soldats, au retour, vendaient à bon compte aux passants les petits garçons et les petites filles, dont ils ne voulaient plus.
La nouvelle ayant éclaté, il y eut un violent débat en Europe. Les Espagnols louèrent. Les Suisses et Allemands poussèrent des cris d'indignation. Cela servit les criminels. Ils firent entendre au roi qu'on n'avait tué que des rebelles, et qu'il ne devait pas souffrir que l'étranger se mêlât de nos affaires.
En quel état se trouvait-il alors? Et que restait-il de lui-même? Les protestants l'excusent, paraissent croire qu'alors il était fini et ne régnait plus.
Vieilleville place en 1538 une scène qui ne peut être de cette année, puisqu'elle suppose l'exil de Montmorency. Je la crois de la fin, des derniers temps où, par la mort de ses fils, le roi se trouva seul; où les gens du Dauphin, de Diane et des Guises crurent régner et déjà oublièrent le mourant.
Le Dauphin dit un jour devant ses familiers qu'à son avénement il ferait ceci et cela, donnerait tels offices. Et il leur distribua généreusement toutes les charges de la couronne. Un témoin de la scène, auquel on n'avait pas pris garde, était un simple, vieil enfant et fou à bourlet, appelé Briandas. Soit de lui-même, soit poussé par la duchesse d'Étampes, il court au roi, et, fièrement: «Dieu te garde, François de Valois!» Le roi s'étonne. «Par le sang Dieu! tu n'es plus roi; je viens de le voir. Et toi, monsieur de Thaïs, tu n'as plus l'artillerie, c'est Brissac.» Et à un autre: «Tu n'es plus chambellan, c'est Saint-André,» etc. Puis, s'adressant au roi: «Par la mort Dieu! tu vas voir bientôt M. le connétable qui te commandera à baguette et t'apprendra à faire le sot. Fuis-t'en! Je renie Dieu, tu es mort.»
Le roi fait venir la duchesse d'Étampes. On fait dire au fou tous les noms de ces nouveaux officiers de la couronne. Puis le roi prend trente hommes de sa garde écossaise, va à la chambre du Dauphin. Personne. Rien que des pages qu'on fit sauter par les fenêtres. On brise, on casse tout. Mais après, qu'aurait fait le roi? Il n'avait pas d'autre héritier. Sa maîtresse, tout à l'heure sans appui et à la discrétion du Dauphin, apaisa, arrangea les choses. Le roi se garda seulement des amis de son fils, qui auraient pu l'empoisonner.
Telles furent les amertumes, les expiations de ses derniers jours. La plus grande était de laisser le trône de France à cette triste figure d'Henri II, qui n'avait rien de son père ni de son pays, qui ne représentait que la captivité de Madrid, qui, lors même qu'il aurait des succès, des conquêtes, n'irait qu'à la ruine. Pourquoi? En combattant l'Espagne, il ne serait rien qu'Espagnol.
Le songe de Basine et de Childéric se renouvelle ici. Elle vit les descendants de ce roi franc tomber du lion au loup, du loup aux chiens, et cette dynastie finir honteusement par un combat de tournebroches qui se mangeaient à belles dents.
Un tel fils, de tels petits-fils ont relevé beaucoup François Ier par le contraste. Les protestants surtout, qui avaient tant à l'accuser, l'ont traité avec une indulgence qui les honore infiniment. Ils sont même excessifs; ils lui laissent le titre de grand, qu'il ne mérite en aucun sens.
On assure qu'en mourant il devina les Guise. Ces héros intrigants, protégés de Diane, qui mirent leur catholique épée au service d'une jupe fort sale, allaient nuire cruellement à la France, par leurs succès surtout, qui pervertirent l'opinion.
Des mots sauvages ouvrirent le nouveau règne. Pendant l'agonie du roi, Diane et Guise folâtraient et disaient: «Il s'en va, le galant!» et le fils même, aux funérailles, voyant passer le cercueil de son frère qui précédait celui de son père, fit cette bravade parricide: «Voyez-vous ce bélître? il ouvre l'avant-garde de ma félicité.»
Au moment de la mort du roi, cent cinquante familles fuirent à Genève, et bientôt quatorze cents, au moins cinq mille individus[30]. Cette élite française, avec une élite italienne, fonda la vraie Genève, cet étonnant asile entre trois nations, qui, sans appui (craignant même les Suisses), dura par sa force morale. Point de territoire, point d'armée; rien pour l'espace, le temps, ni la matière; la cité de l'esprit, bâtie de stoïcisme sur le roc de la prédestination.
Contre l'immense et ténébreux filet où l'Europe tombait par l'abandon de la France, il ne fallait pas moins que ce séminaire héroïque. À tout peuple en péril, Sparte pour armée envoyait un Spartiate. Il en fut ainsi de Genève. À l'Angleterre, elle donna Pierre Martyr, Knox à l'Écosse, Marnix aux Pays-Bas; trois hommes, et trois révolutions.
Et maintenant commence le combat! Que par en bas Loyola creuse ses souterrains! Que par en haut l'or espagnol, l'épée des Guises, éblouissent ou corrompent[31]!... Dans cet étroit enclos, sombre jardin de Dieu, fleurissent, pour le salut des libertés de l'âme, ces sanglantes roses, sous la main de Calvin. S'il faut quelque part en Europe du sang et des supplices, un homme pour brûler ou rouer, cet homme est à Genève, prêt et dispos, qui part en remerciant Dieu et lui chantant ses psaumes.
FIN DU TOME DIXIÈME
TABLE DES MATIÈRES
NOTE
- De la méthode, ruine de l'histoire doctrinaire 9
CHAPITRE PREMIER
- Le Turc, le Juif. 1508-1512 11
- Progrès irrésistibles des Turcs 13
- Le grand canon d'Albert Dürer 17
- Persécutions des Maures d'Espagne 18
- Persécutions des Juifs 23
- Excellence de la famille juive 25
- Les dominicains et Grain-de-Poivre 26
- Reuchlin défend les Juifs 27
- Fraternité de l'Orient et de l'Occident 30
- Anquetil-Duperron et Burnouf 31
- La Presse.—Hutten. 1512-1516 33
- L'Allemagne plus vivante que la France 33
- Epistolæ obscurorum virorum. 1514 38
- Victoire de la Presse 41
- Vie d'Hutten 42
- Il se retire chez l'archevêque de Mayence 46
CHAPITRE III
- La Banque.—L'Élection impériale et les indulgences. 1516-1519 49
- Banques juive, italienne, allemande 50
- La banque et les peintures d'Augsbourg 52
- Tous les rois étaient jeunes et prodigues 53
- Danger de l'Europe 54
- Génie exterminateur de Sélim 60
CHAPITRE IV
- Suite. 1516-1519 63
- Culte meurtrier de l'or 63
- Extermination des Américains 64
- Brocantage des indulgences 65
- La Hongrie couvrait encore l'Allemagne 67
- Les électeurs 69
- Les Fugger font l'élection 70
- Adresse de Marguerite d'Autriche 71
- Ses calomnies contre la France 74
- Juin 1519, Charles-Quint élu empereur 78
- Réaction contre la Banque.—Melancolia.—Luther.—La Musique 81
- L'Allemagne a conscience de la situation 82
- La Melancolia d'Albert Dürer 85
- Chants de Luther 89
- Origines populaires de la musique 92
- Grandeur de Luther; la joie héroïque 96
CHAPITRE VI
- Suite.—Luther. 1517-1523 101
- Luther a épuré la famille 102
- Il a rendu la lecture populaire 105
- Ses précédents 107
- Sa prédication 111
- La diète de Worms et la Wartbourg 116
- Humanité et tolérance de Luther 117
- Son embarras au milieu des femmes réfugiées chez lui 119
CHAPITRE VII
- La Cour de France.—Camp du drap d'or. 1520 122
- La querelle de Charles-Quint et de François Ier 125
- Ils courtisent Henri VIII 128
- La cour au camp du drap d'or 133
- Juin 1520, l'entrevue 134
- Anne Boleyn 137
- François Ier irrite Henri VIII 140
- La Guerre.—La Réforme.—Marguerite. 1521-1522 142
- 1521-1715.—Guerre de deux siècles 144
- Dès le début François Ier manque d'argent 148
- Fureur des Impériaux 149
- Le roi ne défend point le peuple 152
- Mouvement religieux de Meaux 155
- Marguerite y prend part 156
- Son portrait 158
- Ses lettres et sa passion 159
- Brutalité de son frère 166
- 1522.—Sa mère nous fait perdre l'Italie 170
CHAPITRE IX
- Le Connétable de Bourbon. 1521-1524 172
- Il était Gonzague et Montpensier 173
- Sa puissance royale 176
- La reine-mère veut l'épouser 177
- Il traite avec l'empereur 181
- La noblesse et les parlements le favorisent 184
CHAPITRE X
- Défection et invasion du connétable. 1523-1524 188
- Son traité avec Charles-Quint et Henri VIII 190
- L'invasion de 1523 191
- Fuite de Bourbon 195
- Désaccord et retraite des Anglais et Impériaux 199
- Saint-Vallier sauvé par Diane de Poitiers 201
- Mort de Bayard 203
- Bourbon envahit la Provence. 1524 204
CHAPITRE XI
- La bataille de Pavie. 1525 209
- Le roi assiége Pavie 211
- Il passe l'hiver dans une villa italienne 212
- Caractère de ces villas 213
- L'Italie du Corrège 214
- La bataille (8 février 1525) 217
CHAPITRE XII
- La captivité. 1525 220
- Le roi envoie sa bague à Soliman 221
- Il s'humilie devant Charles-Quint 222
- Ses poésies 223
- Demandes de l'empereur 225
- Embarras du vainqueur.—Révolutions 227
- Dure captivité du roi en Espagne 230
- Sa maladie, voyage de sa sœur 231
- La France trahit-elle l'Italie? 233
- Conspiration de Pescaire 234
CHAPITRE XIII
- Le traité de Madrid et sa violation. 1525-1526 243
- Le roi abdique 244
- L'Europe se rapproche de la France 245
- L'Espagne s'intéresse au captif 246
- Comédie du traité de Madrid 249
- Le portrait du Titien 252
- Le retour, la nouvelle maîtresse 253
- Chambord 255
CHAPITRE XIV
- Le sac de Rome. 1527 258
- Tortures de l'Italie 259
- L'armée de Bourbon et de Frondsberg 262
- Bourbon à Rome, sa mort, 6 mai 266
- L'Europe peu émue du sac de Rome 267
- Erreur de Machiavel et de Michel-Ange 269
- La peste de Florence, par Machiavel 270
- Le tombeau des Médicis 272
CHAPITRE XV
- Soliman sauve l'Europe. 1526, 1529, 1532 275
- Discipline et modération des Turcs 276
- Venise seule comprenait l'Orient 277
- Les vizirs civilisateurs 280
- Notre envoyé Rincon 281
- Le génie d'Ibrahim 283
- Sa victoire de Mohacz (1526) 286
- 1528, Échecs de François Ier en Italie 289
- Il traite à Cambrai (1529) et trahit ses alliés 291
- Soliman échoue devant Vienne 296
- Isolement de François Ier 299
- Troisième invasion de Soliman (1532) 300
- Roxelane.—Mort d'Ibrahim (1536) 303
- La Réforme française. 1521-1526 308
- Les Vaudois des Alpes 309
- Réforme en France, aux Pays-Bas, en Angleterre 315
- Charles-Quint a l'initiative des persécutions 318
- Les premiers martyrs français (1525) 319
- Le roi sauve Berquin 320
- Appel de Zwingli à François Ier 321
CHAPITRE XVII
- Réforme en France et en Angleterre. 1526-1535 323
- Marguerite désespère de convertir son frère 324
- Passion d'Henri VIII et son divorce 327
- Mutilation d'une image à Paris (1528) 332
- Béda et les Capets, Ignace de Loyola 333
- Supplice de Berquin (1529) 337
- Lutte de la Sorbonne contre le roi 338
- Il crée le Collége de France (1529) 340
CHAPITRE XVIII
- On tourne le roi contre la Réforme. 1530-1535 343
- La Réforme crée partout des écoles 344
- Le roi pouvait choisir encore en 1532 346
- Affront qu'on lui fait à Milan (1533) 348
- Les fanatiques menacent Marguerite 349
- Placards protestants à Blois 351
- Supplices pendant tout l'hiver (1535) 352
- La Sorbonne obtient la suppression de l'imprimerie 354
- Immense extension du protestantisme 356
- François Ier et Charles-Quint en 1535.—Fontainebleau.—Le Gargantua 358
- Maladie du roi et de Charles-Quint 358
- Le roi à Fontainebleau.—Les artistes 361
- Rabelais comme créateur de notre langue 367
- Il ne doit rien à ses prédécesseurs 368
- Sa vie 371
- Son principe d'éducation 372
- Le Gargantua est-il protestant? 376
CHAPITRE XX
- Rome et les Jésuites.—Invasion de Provence.—François Ier cède à la réaction. 1535-1538 378
- Les Exercitia de Loyola ont paru vers 1523-1525 378
- Réforme et réaction catholique 380
- Loyola ordonne l'obéissance jusqu'au péché mortel inclusivement 384
- Le pape pousse le roi à envahir l'Angleterre (1534) 387
- Le roi appelle Barberousse en Italie 388
- Charles-Quint, vainqueur à Tunis, outrage le roi 389
- Invasion de Provence 394
- Puissance du parti du Dauphin; Montmorency, Diane de Poitiers 397
- Embarras de l'empereur; trêve de Nice. 1538 402
CHAPITRE XXI
- Dernière guerre, ruine et mort de François Ier. 1539-1547 406
- Maladie terrible de François Ier 406
- Voyage de l'empereur en France (1540) 409
- Montmorency dupe, disgracié: gouvernement des cardinaux 412
- Assassinat de Rincon, guerre (1541-3) 414
- Bataille de Cérisoles (1544) 420
- Charles-Quint impose le traité de Crépy 422
- Mort du jeune fils du roi et d'Enghien 423
- Massacre des Vaudois (1545) 426
- Fureur du roi méprisé de son fils; sa mort (1547) 427
- Sinistres prémices du nouveau règne 428
- L'Europe sera sauvée par Genève 429
PARIS.—IMPRIMERIE MODERNE (Barthier dr), rue J.-J.-Rousseau, 61.
Notes
1: Dans ce chapitre et les suivants, la Presse, la Banque, la Réforme de Luther, nous avons dû poser les questions dominantes du siècle avant de les voir se débattre en France. Cette méthode était la seule logique.
La question dominante et souveraine se présente dès le premier chapitre: La révolution se fera-t-elle par la Renaissance et la création d'un nouvel esprit, ou par la réforme et le renouvellement de l'esprit chrétien?
Le signe du nouvel esprit est la réconciliation du genre humain, l'adoption même des proscrits, des maudits, des Turcs, des Juifs, des tribus sauvages, etc., dans lesquels l'humanité européenne reconnaîtrait des frères. Cette reconnaissance, préparée pour l'Orient dans la trop courte époque des quinze premières années de Soliman, est ajournée par l'effroi de l'Europe, par l'horreur qu'inspirent Barberousse, les ravages des Barbaresques.
De nos jours, l'œuvre de rapprochement s'est avancée par le commerce et la colonisation, par la science et par la critique. L'humanité s'éveille avec bonheur dans l'idée consolante de son identité. Nous vivons, nous fraternisons, nous combattons avec les Turcs. Mais ce n'est pas seulement cet Orient occidental du monde musulman qui nous apparaît comme frère. L'immensité du monde chinois se révèle comme une autre Europe au bout de l'Asie. La religion bouddhique, avec ses deux cents millions de croyants, y répond au christianisme, et comme nombre, et comme morale, et comme hiérarchie, comme monachisme, etc. Ce surprenant Sosie de la religion occidentale que nous venons de découvrir est-il ou n'est-il pas vraiment frère du christianisme? Celui-ci le reconnaîtra-t-il ou le repoussera-t-il? Oui ou non, selon le caractère que le christianisme revendique pour lui-même comme essentiel et constitutif. Si le christianisme met son essence dans la promesse du monde à venir, dans l'espoir du salut, dans l'intérêt, il n'est pas le frère du bouddhisme, il peut le repousser. S'il veut se définir la religion de la charité, il reconnaîtra le bouddhisme comme son frère, comme un autre lui-même; il ne déclinera cette fraternité et cette ressemblance qu'en déclarant que la charité n'est point essentielle au christianisme.
Le clergé se garde bien de toucher cette question. Il laisse une philosophie complaisante insister sur les différences des deux religions, c'est-à-dire sauver et défendre le christianisme comme unique et miraculeux. Pour nous, les ressemblances nous semblent bien autrement frappantes. C'est au cœur de juger. Qu'il dise si le charme moral de la légende évangélique ne se retrouve pas tout entier dans la légende bouddhique, avec sa placide sainteté, même ses tendances féminines à la quiétude monastique. Il faut être bien déterminé à ne rien voir pour nier une ressemblance de famille qui n'est pas seulement dans les grands traits généraux de la face et dans l'expression, mais dans les menus détails, dans les petits signes fortuits, jusque dans les plis et les rides. Non-seulement les deux frères se sont ressemblé en naissant, mais dans le progrès de la vie; ils ont changé et vieilli de la même manière.
À ces dictées du cœur et du bon sens répondent entièrement les résultats de l'érudition. Que de fois je les recueillis (dans cette heureuse amitié de trente ans) de la bouche aimable et chère, autant que grave, d'Eugène Burnouf!... Oui, chère et regrettable à jamais! Je passe tous les jours, le cœur plein d'amers regrets, devant cette maison, où tous nous prîmes le lotus de la bonne foi, devant ce savant cabinet, si bien éclairé, soleillé, où, dans les jours d'hiver, nous réchauffions notre pâle science occidentale à son soleil indien. L'émanation régulière des langues, exactement la même en Asie, en Europe, la génération correspondante des religions et non moins symétrique, c'était son texte favori et mon ravissement.
Voilà ce que j'ai emporté de cette maison: sa lumière (qui est ma chaleur), sa parole limpide, où je voyais si bien naître d'Orient, d'Occident, le miracle unique des deux Évangiles. Touchante identité! deux mondes séparés si longtemps dans leur mutuelle ignorance et se retrouvant tout à coup pour sentir qu'ils sont un, comme deux poumons dans la poitrine ou deux lobes d'un même cœur.
Moi sacré de la Renaissance! Là, je l'ai bien senti! l'unité de l'âme humaine, la paix des religions, la réconciliation de l'homme avec l'homme et leur embrassement fraternel.
Un mot encore sur ce premier chapitre. Comment personne ne s'est-il avisé d'une chose si facile et si belle, de réunir tant d'histoires ravissantes, qui sont dans Burnouf et ailleurs, en un même Évangile bouddhique? Comment n'a-t-on pas publié dans un format populaire la merveille du Zend-Avesta? Comment les juifs n'ont-ils pas traduit leur magnifique histoire d'Iozt? Comment ne traduisent-ils pas de français en allemand la Kabbale de M. Frank, un chef-d'œuvre de critique; et d'espagnol en français les Juifs d'Espagne de M. José Amador de los Rios?
Le point capital peut-être de l'histoire des Juifs, c'est l'effort qu'ils ont fait à certaines époques pour sortir de l'usure, et l'inepte fureur avec laquelle les chrétiens les y repoussaient. (Voir particulièrement les édits de 1774, 1775, 1777.)
2: La source principale où j'ai puisé constamment est la belle édition de M. Münch (Berlin, 1821), en cinq volumes, riches de renseignements, d'éclaircissements historiques et biographiques, qui éclairent singulièrement cette époque. M. Zeller a donné une courte, mais excellente biographie d'Hutten (Rennes, 1849). On croit trop généralement qu'Hutten ne fut que le pamphlétaire des disputes éphémères du temps. On voit en le relisant qu'il vit toujours, qu'il est plein d'à-propos comme athlète permanent de la Révolution. Tel cri, sorti d'un cœur si chaleureux, vibrera à jamais: celui-ci, par exemple, dans sa lettre à l'électeur de Saxe: «Qui veut mourir avec Hutten pour la liberté de l'Allemagne?» La parfaite douceur de ce grand homme paraît à plus d'un trait. Il voit pour résultat de la Révolution «l'union de tous les peuples, la paix, la fraternité universelles; plus de haine, même pour les Turcs.» Hutteni Opera, III, 603.
3: Ces quarante pages, entièrement neuves, sont sorties des documents publiés par M. Le Glay, Négociations entre la France et l'Autriche, tome II. On y suit parfaitement le fil de l'intrigue financière. M. Mignet, dans l'excellent morceau qu'il a publié sur l'élection de Charles-Quint, met dans une fort belle lumière le côté politique, en laissant sur le second plan l'action de la banque et de l'argent, que j'ai mise en première ligne.
4: La difficulté que les ambassadeurs avaient à le joindre est frappante dans les Négociations (édit. Leglay), et le gaspillage infini d'une telle vie est sensible dans les Comptes de la bouche que possèdent les archives. Ils donnent plus d'un curieux détail: «Tant pour le sucre de bouche à l'apoticaire du roy.» etc.
5: Une perte non moins regrettable que celle des hommes est celle de la civilisation et des arts de ces peuples, bien plus avancés qu'on n'a dit. Les Mexicains étaient arrivés à connaître, à peu de chose près, la grandeur de l'année. M. de Humboldt (Nouvelle Espagne, I, 370) explique, avec une grande modération qui frappe d'autant plus, cette horrible destruction, cette chute à la barbarie. Le peuple, sous les missionnaires, retomba partout à l'ignorance, dans une espèce d'enfance et d'imbécillité que n'ont nullement les Américains restés indépendants et, comme on dit, sauvages, hors de l'abrutissement des missions.
6: L'unité de cette histoire, la nécessité d'en suivre le fil central entre la France, l'Italie et l'Allemagne, m'impose un cruel sacrifice: c'est de ne rien dire ici du héros de l'Europe, qui finit, s'éclipse du moins au XVIe siècle. Je parle du peuple hongrois. Mourrai-je donc en ajournant toujours ce que lui doit l'histoire?... Notre Degérando est mort! irréparable perte!... Le savant Téléki vient de mourir. La grande histoire de Fesler attend encore un traducteur. Et cependant d'infâmes et menteuses compilations paraissent, fleurissent de toutes parts.—Les Hongrois ne daignent répondre. S'ils parlent, c'est pour le monde (Atlas anglais).—Je vois avec bonheur un Français plein de cœur et de talent, M. Chassin, entrer avec éclat dans ces études (Huniade). Puisse-t-il payer la dette de nos cœurs à ce peuple entre tous héroïque, qui, de ses actes, de ses souffrances, de sa grande voix forte, nous relève et nous fait plus grands! On lui accorde volontiers la vaillance; mais cette vaillance n'est que la manifestation d'un haut état moral. Dans tout ce qu'ils font ou qu'ils disent, j'entends toujours: Sursum corda.
Tout ce qui nous est revenu de leurs paroles en 1848 est purement et simplement sublime. Un paysan vient s'engager: «Jusqu'à quand?—Jusqu'à la victoire.»—Un enfant se présente aussi pour être soldat: «Mais tu es trop petit...—Je grandirai devant l'ennemi.» Ce qui étonne le plus de ce peuple, c'est son silence. Il laisse les journaux ignorants dire, répéter que la révolution hongroise fut aristocratique.—Chose pourtant vraie en un sens. La nation entière est une aristocratie de vaillance et de dignité. Il y a là cinq millions de chevaliers. Et pas un paysan ne s'estime moins que le premier palatin du royaume. On le voit dans les chants innombrables, guerriers ou satiriques, que 1848 a inspirés, surtout dans l'œuvre de leur premier poète, Petœfi, le boucher de Pest.
7: Le plus simple des hommes qui lirait seulement les chroniques d'avant le XVIe siècle, puis celles du XVIe, serait parfaitement éclairé sur la question. Il verrait les premières toutes muettes et sombres de silence, les autres, au contraire, resplendissantes de lumière et de chants. Le chant devient alors universel et populaire. Tous les événements tristes ou gais, les combats, les supplices mêmes, se passent au milieu des cantiques. «Là, tel fut mis à mort pour avoir chanté des psaumes sur un rocher.» Ailleurs: «Il chanta dans les flammes, et la foule étouffait sa voix par des hymnes à la Vierge, Ave, maris Stella, etc.» Voilà les passages que vous trouvez continuellement dans les chroniques et catholiques et protestantes. On en ferait un énorme volume.
Nul doute que le Moyen âge n'ait eu aussi des mélodies. À côté des beaux chants de la messe qui nous viennent d'Orient, l'antique chanson gauloise trouva toujours des accents vifs, agrestes, chœurs de moissons ou de vendanges, plus rhythmiques que ceux des offices.
L'Église, de bonne heure, dans sa haines des formes mondaines, négligea, dédaigna la mesure, en même temps qu'elle favorisait la sculpture raide et longue qui fait de l'homme une momie, supprime les articulations et ce qu'on peut appeler les rhythmes du corps. La nature a mis le rhythme partout. L'Église le supprima partout, en haine de la nature.
Mais, aux moments émus, la nature revient invincible; le rhythme reparaît, du moins au battement du cœur trop oppressé, ou par l'intervalle des soupirs. Dans la tremblotante complainte du pauvre Godeschalc, persécuté déjà au IXe siècle dans ce doux chant coupé de larmes, n'y a-t-il pas un rhythme de douleur? Et il y en a un certainement de fureur et d'effroi dans le chant des persécuteurs, l'hymne dominicain compilé de vingt autres, le véhément Dies iræ. (Coussemaker, 94, 115.)
Le silence profond des chroniques, qui ne parlent jamais d'aucun chant, nous autorise à croire que ces hymnes d'église, qui resserraient plutôt les cœurs, furent peu dans la bouche du peuple. Ils sont très-méridionaux, nullement dans le caractère de la France, opposés, nous pouvons le dire, à l'aimable génie de nos aïeux.
Tout cela, au reste, est purement mélodique. Le Moyen âge connut-il le contre-point et l'harmonie? Le contre-point double n'apparaît certainement qu'au XVIe siècle. (V. Kiesewetter et Fétis). On connut de bonne heure les règles élémentaires de l'harmonie; mais on en fit le plus baroque usage. Du plain-chant grégorien, où la division des sons est imparfaite, et qui n'admet ni rhythme ni sons complexes, on passa de bonne heure à des combinaisons scientifiques fort compliquées, dont la difficulté absorbait toute l'attention. Ni goût, ni sentiment, ni inspiration musicale.
Les patients rechercheurs de ces curiosités, fort tentés de les admirer, avouent pourtant eux-mêmes, quand ils sont de bonne foi, que la plupart furent dignes de figurer aux Fêtes de l'âne. Les chants d'Hucbald, au Xe siècle, réputés très-suaves alors, effrayent tellement M. Kiesewetter, qu'il décide «que jamais il n'y eut oreille assez barbare pour les supporter un instant.» Mais MM. Fétis et Coussemaker disent et prouvent qu'on les supportait (Coussemaker, p. 18). Un manuscrit de 1267, qui du reste témoigne des progrès déjà faits, arrache cependant cet aveu à son admirateur: «Dans l'ensemble, il déchire l'oreille.» (Fétis, Revue de M. d'Anjou, octob. 1847, p. 322.)
On devient plus savant, mais aussi plus absurde, n'attachant de mérite qu'à la complication, à la difficulté. Les maîtres de chapelle des princes du XVe siècle mettent les paroles du Credo, du Sanctus, sur le thème d'une chanson grivoise, et brodent là-dessus mille ornements bizarres. Le charivari est au comble, charivari moral et musical. On ne disait plus la messe du Sanctus, mais la messe de Vénus la belle, de l'Ami Baudichon ou la messe d'Adieu mes amours. Ajoutez des idées grotesques et puériles d'exécution matérielle: s'il s'agissait de nuit, de mort, les notes étaient noires: si de fleurs, de prairies, les notes étaient vertes; rouges, si l'on parlait de sang, et autres pauvretés.
Toutes ces misères duraient encore au XVIe siècle. Le charivari augmentait. J'entends dire que le Marignan du très-fameux Josquin des Prés, qu'on a essayé d'exécuter récemment, est un affreux tapage.
Enfin vinrent le protestantisme et les psaumes de Goudimel; enfin le concile de Trente, éclairé par ces psaumes, demanda la réforme de la musique catholique. Rome en chargea l'élève de Goudimel, l'aimable Palestrina, grand homme qui, néanmoins, fut impuissant pour faire école. Ce qui est mort est mort. Voir Baini, Memorie di Palestrina, 1828, et l'excellent article de M. Delécluse (ancienne Revue de Paris), qui résume et juge très-bien cet important ouvrage.
8: Lolhardus, lullhardus, lollert, lullert, Mosheim. De Beghardis et beguinabus. Append., p. 583.—En vieil allemand, lullen, lollen, lallen, chanter à voix basse; en allemand moderne, lallen, balbutier; en anglais, to lull, bercer; en suédois, lulla, endormir.
9: Oui, les années heureuses où j'ai vécu lisant l'œuvre de Luther (l'exemplaire allemand de la Mazarine, unique à Paris), ces années, m'ont laissé une force, une séve, que Dieu me conservera, je l'espère, jusqu'à la mort. Malheureusement mes Mémoires de Luther, qui donnaient l'homme au vif, ont deux défauts: d'abord une préoccupation trop grande du point de vue théologique (très-secondaire, car le peuple n'y sentit que l'éveil moral). L'autre défaut, c'était ma timidité, mon hésitation. Nourri hors du catholicisme, n'en ayant point souffert, sans rapport avec lui que ma curiosité archéologique, je retenais mon souffle de peur de faire rien envoler de la poussière de ces vieux temps.
10: Que penser de l'ignorance de nos faiseurs de systèmes qui vous disent gravement encore: «Le catholicisme réunit, le protestantisme divise. Le protestant, c'est l'individu, etc.» Eh! pauvres gens, étudiez donc un peu, observez, voyagez. Regardez-moi, le soir, la famille protestante unie dans la lecture commune. Observez cette femme, comme elle écoute le touchant commentaire, la pieuse réflexion du mari! comme tous deux sentent et comprennent d'un même cœur! Leur profonde unité imprime au cœur de l'enfant une autre Bible encore. Il n'oubliera jamais le regard attendri dont sa mère surprit l'esprit saint dans les yeux émus de son père. Voilà la tradition forte. Il y a un peu loin de cela à la tradition scolastique donnée par l'homme officiel à un enfant distrait qui ne comprend guère et ne retiendra pas. L'autre, élevé dans la famille vraie, à ce puissant foyer, qu'il aille en Amérique, qu'il s'enfonce aux forêts, loin de toute demeure humaine, qu'il vive pionnier solitaire, il ne sera point seul. Il a avec lui la tradition. Quelle? Est-ce ce volume qu'il emporte partout, l'Encyclopédie juive, mêlée de tant de choses? Ce volume, qu'il le lise ou non, il a été sur la table sacrée. La simple couverture, maniée, usée par ces chères mains, que de choses elle dit! Dans les nuits les plus sombres, la lueur y revient de la lampe de famille, la divine lumière de ce tendre regard que son père et sa mère échangèrent devant lui dans un moment de sainteté.
11: Léon X, dans sa bulle Exsurge (error 33), et la Sorbonne, dans sa Déterminatio, condamnent spécialement cette hérésie de Luther: «Brûler les hérétiques, c'est contre le Saint-Esprit.» Il persévéra toute sa vie dans cette magnifique hérésie. On peut le prouver par cent passages. Même dans sa colère contre les paysans révoltés, qui ne veulent plus l'écouter, il ne se dément pas; il condamne leurs actes, non leurs croyances. Sa plus grande sévérité est de conseiller le bannissement pour les blasphémateurs qui enseignent leurs blasphèmes. Castillon, dans l'écrit où il blâme la mort de Servet, s'appuie principalement de l'autorité de Luther. On peut dire que c'est à ce grand homme que remonte la tradition de la tolérance.
12: Je ne suis pas de ceux qui aiment à attribuer les grands effets aux petites causes. Personne ne sent plus que moi la vigoureuse spontanéité des commencements de l'Église d'Angleterre, que M. Merle d'Aubigné a mis dans une si belle lumière d'après les contemporains. Il faudrait cependant ignorer l'énorme influence de la Couronne sous les Tudor pour ne pas sentir que l'exemple d'Henri VIII dut décupler la force du mouvement commencé. Peu le suivirent dans sa doctrine, tous dans sa séparation de Rome. Ce dernier point fut l'essentiel. Je n'hésite pas, plus loin, à l'appeler un roi protestant. La série des portraits d'Henri VIII est infiniment curieuse à étudier. Tout le monde connaît celui d'Holbein. Nos Archives en possèdent un très-soigné et très-bon en tête du traité de 1546. Il est placé assez bizarrement entre deux cariatides demi-nues, jolies et indécentes. Le sceau, d'or massif, et d'un fort relief, est d'un travail allemand (armoire de fer). Trésor des Chartes, J. 661 pièce 23.
13: Mis à mort en 1527, à l'époque où l'on rechercha les traitants. Le Bourgeois de Paris (publié par M. Lalanne en 1854) croit qu'il n'était pas innocent. Entre autres récits de sa mort, j'en ai lu un remarquable dans une petite Histoire inédite de François Ier (de 1615 à 1530), généralement assez judicieuse. Ms. de la Bibliothèque de Turin, petit in-folio d'environ 200 pages.
14: Publiée par M. Génin, en tête de la seconde partie des lettres. Le savant éditeur, qui avait d'abord préféré une autre interprétation, la modifie sur l'exposé des faits. Il nous écrit que la nôtre lui semble bien plus admissible. Nous aurions hésité à l'adopter si nous n'avions pour nous l'avis définitif du pénétrant critique.—La profondeur et l'innocence du sentiment de Marguerite sont singulièrement marquées dans les vers pathétiques qu'elle adresse, pendant la captivité de son frère, à un enfant, sa nièce, fille du roi, qui venait de mourir à huit ans. (Voir Captivité de François Ier.)
15: Les documents officiels (Le Glay, Weiss, Lanz, etc.) donnèrent peu ou rien, sauf la minute informe du traité de Bourbon avec l'empereur (dans les papiers de Granvelle). Heureusement toutes les dates et le beau récit de la page 147 nous sont fournis par Turner, d'après les Mss. anglais.—Un fait très-grave et inconnu se trouve dans une pièce inédite de nos Archives. C'est qu'au moment où Bourbon quitta si brusquement le roi et fut suivi des nobles, le Grand Conseil frappa un coup sur la noblesse en condamnant à mort Charles de Caesmes, seigneur de Lucé, et ses adhérents, pour rapt et inceste commis en la personne de Gabrielle d'Harcourt. Archives, J. 903, arrêt du 17 mars 1523.
16: C'est probablement à cette époque que se rapporte le bruit qu'on avait répandu et auquel il fait allusion plus tard: «Pour autant que j'ay entendu qu'il y en a de si méchants qui ont osé semer cette parole que je voulois faire les gentilshommes taillables.» Archives de Turin, Discours de François Ier, septembre 1529. Cette collection immense contient vingt-huit volumes in-folio de pièces pour le seul règne de François Ier (copies du XVIIe siècle.)
17: Ce dernier mot est inexact; il n'y a que trois pages (in-4o) de lettres du roi à Diane et dix pages de Diane au roi, d'après des originaux entièrement autographes (217). Il est évident que ces lettres sont bien adressées à François Ier et avant 1531, avant la mort du mari de Diane. Ce sont celles d'une femme inquiète, surveillée, mal reçue des parents du mari au retour des voyages qu'elle faisait à la cour. Elle dit expressément: «Mon mari (223).» Il y a un mot qui fait comprendre que François Ier enrichissait Brézé pour lui faire avaler la chose: «Si vous plaît faire entendre à mon beau-père et belle-mère que vous n'avez fait ce bien à leur fils que pour cette raison (222).» Ceci rend tout à fait vraisemblable l'authenticité des vers trouvés par M. Esmangart sur un rouleau de plomb à Gentilly:
En ce doux lien, le roi François premier
Trouve toujours jouissance nouvelle.
Qu'il est heureux!... Car ce lieu lui recèle
Fleur de beauté, Diane de Poitiers.
Dans le recueil où nous trouvons les lettres de Diane (Poésies et Correspondance intime de François Ier, éd. A. Champollion), je trouve une lettre bien tragique sous le nom, supposé peut-être, de madame de Bonnivet (serait-ce madame de Châteaubriant?): «Sire, vous estes délibéré à me laisser mourir? Ne savez-vous que les deux en prison use de poison, et mes enfants et moy ne mangeons autre chose. C'est pour l'amour de vous que l'on me fait tant de mal, et vous l'endurez!... De Crèvecœur, 7 janvier.»
18: Les Archives du Vatican ne sont pas sans intérêt pour cette époque. C'est à ce moment où le pape voulait tromper les deux partis qu'il envoie au jeune empereur ce conteur libertin de Balthazar Castiglione, 20 novembre 1524. Après Pavie, éperdu de peur, il demande passage au général impérial pour ses agents (qui vont armer l'Angleterre contre l'empereur). Extraits des actes et lettres du Vatican, Archives, carton L, 379.
19: J'omets ici beaucoup de circonstances accessoires, entre autres la fuite d'Alençon avec l'arrière-garde. Il eut le malheur d'arriver le premier de tous les fuyards de Lyon; il fut accablé de reproches par sa femme et sa belle-mère, mourut de chagrin ou de fatigue.—La balle d'or est dans D. Juan Antonio de Vera. Vie de Charles-Quint.
20: Voir la belle et exacte description de Henri Martin et le plan (étage par étage), conservé à la Bibliothèque, d'après l'état ancien du château.
21: Charles-Quint ignorait-il entièrement ce que faisait Bourbon? Il semble que Castiglione, envoyé par le pape pour amuser l'empereur, est maintenant employé par l'empereur à amuser le pape. Castiglione écrit de la cour impériale à Clément VII qu'il recevra bientôt la visite du confident de l'empereur, Paul Arétin. Le 31 mars 1527, le connétable écrit au pape que, malgré la trêve, son armée s'obstine à avancer, et qu'il est forcé de marcher aussi pour éviter un plus grand mal. La lettre est en italien, mais signée en français: «Votre très-humble et très-obéissant serviteur. Charles. (Du camp impérial.)» Extrait des actes et lettres du Vatican, Archives, carton L., 384.
22: Ce point de vue si juste est très-finement indiqué dans la belle introduction de M. Charrière (Négoc. de la France avec le Levant, t. Ier). Comment la presse n'a-t-elle pas fait ressortir davantage l'importance de ce grand travail, si neuf et si intéressant?
23: Ce fait choquant est constaté, non-seulement par les réclamations de François Ier, mais par les aveux de Charles-Quint, aveux plusieurs fois répétés (dans les papiers Granvelle).
24: Un mot de M. Muston, dans sa première édition, avait vivement excité mon intérêt. Je fis appel à son obligeance, et j'eus le bonheur d'en recevoir cette réponse. C'est la dernière relique de cet innocent paganisme, le dernier souffle et la suprême haleine de ces pauvres petits êtres qui vivaient encore dans les fleurs.
| Ay vist una Fantina Que stendava, la mount, Sa cotta néblousina Al' broué de Bariound. |
J'ai vu une Fantine Qui étendait là-haut Sa robe nébuleuse Aux crêtes de Bariound. |
| Una serp la séguia De coulour darc en cel, Et su di roc venia En cima dar Castel. |
Un serpent la suivait, De la couleur de l'arc-en-ciel. Et sur les rocs elle venait Vers la cime du Castel. |
| Couma 'na fiour d'arbroua, Couma nèva dal col, Passava su la broua, Senz'affermiss'ar sol. |
Comme une fleur de clématite, Comme neige du col, Elle passait sur la côte, Sans appuyer au sol. |
| Avioû perdu ma fea, La Fantina me di: Ven coum mi sû la scéa; Et la troubérou li. |
J'avais perdu ma brebis; La Fantine me dit: Viens avec moi sur la colline; Et je la trouvai là. |
FRAGMENT.
—Cosa fasé-ve çi, bella spousinotta?
—Il ay pers lou camin, et scarsa mia cotta,
Li broussè m'an perdû, saignou souta dî pè.
Et me sentou may pî d'endar fin d'ay casè.
—Paoura bergira! ven; ven pura, brisa mia!...
TRADUCTION.
—Que faites-vous ici, belle petite épousée?
—J'ai perdu le chemin et déchiré ma robe.
Les broussailles m'ont égarée; je saigne sous les pieds
Et je ne me sentirai jamais d'aller jusqu'au hameau.
—Pauvre bergère! viens; viens seulement, ma petite...
«Voilà tout ce que je possède en fait de documents originaux relatifs aux Fantines. Voici maintenant ce qu'on m'en a dit dans mon enfance, et encore ne sont-ce que des vieillards à qui j'en ai entendu parler. Les vieux montagnards pouvaient bien en parler à un enfant, mais s'en fussent tus devant une personne raisonnable.
«Les Fantines ne se voyaient que de loin, mais ne se laissaient jamais approcher.
«Lorsqu'au temps des moissons une mère déposait le berceau de son enfant dans les blés, elle était rassurée par la pensée qu'une Fantine venait en prendre soin pendant son absence, le consoler, le bercer s'il pleurait, lui chanter confusément pour l'endormir, écarter de son front les mouches piquantes, etc.
«Si dans les rochers arides s'épanouissait une magnifique fleur, c'est qu'une Fantine l'avait arrosée, cultivée, etc.
«Lors d'une inondation, un berceau entraîné sur les flots vint aborder sans accident au rivage: c'était une Fantine qui l'avait dirigé.»
Telle est la lettre du bon et savant historien des Vaudois, leur première gloire en ce temps. C'est une belle singularité de ce petit peuple d'occuper par l'histoire une place si haute en Europe. Rien de plus grand dans notre littérature que la trilogie vaudoise du naïf Gilles, de l'éloquent Léger et du vaillant Arnaud. (La Glorieuse rentrée des Vaudois, par M. Arnaud, colonel et pasteur des vallées.) De nos jours, cette inspiration s'est retrouvée dans Muston. La première édition de son histoire contient une délicieuse description du pays (réimprimée récemment). La seconde, complète et refondue entièrement, est précieuse par les renseignements qu'il a recueillis dans toutes les archives de l'Europe. Ce noble et savant homme, qui rajeunit en vieillissant, nous donne en ce moment, sur cette histoire si dramatique, un poème plein de beaux vers: l'Israël des Alpes.
25: La vie de Rabelais est impossible pour qui voudrait tout éclaircir; mais, quant à l'aspect principal, la bonté, la grandeur de ce beau génie, il a été mis en complète lumière. Un jeune paysan de Normandie, dans un village, sans autre secours que la sagacité pénétrante d'un esprit fin et tendre, très-réfléchi sous sa forme naïve, a suivi et senti le mystère de la Renaissance dans Rabelais, Molière et Voltaire. Ce mystère peut se dire d'un mot (celui de Vasari sur Giotto): «Il a mis la bonté dans l'Art.» Bonté et tolérance, ardente humanité, ce fut l'âme commune de ces grands hommes. La foule inintelligente n'avait vu en eux que l'esprit critique; ils ont attendu jusqu'à nous leur révélation. Rabelais, Molière, Voltaire, par Eugène Noël. Trois petits volumes in-18.
26: La même année, il institue une confrérie du Sacré corps de Jésus. Serait-ce le premier nom des jésuites, qui plus tard si habilement exploitèrent le Sacré cœur? Extrait des Actes du Vatican, Archives, carton L, 379. L'histoire des jésuites a été fort éclaircie par l'ouvrage de M. Alexis de Saint-Priest sur leur suppression, d'après les documents conservés au ministère des Affaires étrangères. Nulle part ils n'ont été plus finement appréciés que dans le beau livre, tout récemment publié, de M. Lanfrey: L'Église et la Philosophie au XVIIIe siècle, 1855.
27: Les persécutions recommencent à l'instant même. Un inquisiteur converti au protestantisme est brûlé à Toulouse. Voir la procédure aux Archives, carton J, 809.
28: Peut-être a-t-on dit trop de mal et d'elle et de lui. Leur crime à tous les deux fut surtout d'avoir défendu les protestants, ou plutôt l'humanité. La sœur de la duchesse, madame de Cany, était elle-même protestante. Lettres de Calvin, édition Bonnet, t. I, p. 281.—Je ne vois jamais au Louvre la belle et rêveuse statue du pauvre Chabot, un chef d'œuvre de la Renaissance, sans penser aux belles paroles qu'il prononça devant le roi. François Ier, parlant un jour des plaintes que faisaient les protestants sur la mort des leurs, brûlés en France et en Angleterre, l'amiral fit cette réflexion: «Nous faisons des confesseurs, et le roi d'Angleterre fait des martyrs.» Il fallait quelque courage pour dire alors si hautement qu'en envoyant les protestants à la mort on faisait des confesseurs de la vérité. (Extraits des actes et dépêches du Vatican, Archives, carton L, 384.)
29: Il semblerait même que la première impulsion vint de lui et qu'il offrit d'aider. Voir une curieuse pièce manuscrite, le procès-verbal original de l'exécution, que l'exécuteur Paulin de la Garde conservait précieusement à son château d'Adhémar, et qui est maintenant aux Archives d'Aix.
30: Quatorze cents familles françaises s'établirent à Genève, en huit années seulement, sous le règne de Henri II: c'est le chiffre donné par M. Gaberel (Histoire de l'Église de Genève, t. I, page 346). Le registre des réceptions de la bourgeoisie, que j'ai compulsé aux Archives de Genève, donne un chiffre inférieur; mais il est visiblement incomplet et mutilé. Voir sur le temps antérieur la Chronique de Bonnivard, le Journal du syndic Balard et la belle Chronique de Froment (1855), éditée avec un soin infini, admirable, par M. Revillod. Beaucoup de pièces inédites et de renseignements curieux ont été publiés dans l'excellent Bulletin de la Société de l'histoire du protestantisme, spécialement par M. Read, et dans la France protestante de M. Haag.
J'ai réservé Genève pour le règne de Henri II, ainsi que plusieurs détails essentiels sur l'histoire intérieure de l'administration de François Ier, et de la politique de Charles-Quint, sur le changement progressif qui fit du Flamand un Espagnol, etc.
31: Nous avons vu parfaitement, à l'époque des affaires d'Isly et autres, les moyens simples et grossiers par lesquels on fait des héros à force de réclames. Ces moyens sont fort employés au XVIe siècle. Telle fut certainement une chanson, assez mesurée pour le roi (donc faite avant sa mort), dans laquelle on le montre appelant la France au secours par sa fenêtre de Madrid. Le premier qui accourt, pour délivrer le roi, c'est Guise. Bulletin de la Société d'histoire de France, t. I des Documents, p. 267.