Histoire de France 1598-1628 (Volume 13/19)
NOTES
NOTE I.—LE SENS DU VOLUME
Les trente années que contient ce volume me sont venues obscures, profondément énigmatiques. Y ai-je introduit la clarté?
Nulle œuvre de critique ne m'a coûté davantage. Je ne trouvais plus là la netteté et la franchise de mes hommes du XVIe siècle (que je regretterai toujours). Les figures dominantes qui ouvrent le XVIIe le roi-homme et le grand ministre, sont des caractères infiniment mixtes, qui demandent constamment à être examinés de près, discutés et interprétés. Les situations aussi sont compliquées et troubles. Ni les hommes, ni les choses, ne se prêtent aux solutions absolues et systématiques que l'on a données jusqu'ici.
Il faut, dans cette époque, plus que dans aucune autre, distinguer, spécifier, marcher la sonde à la main. L'histoire, de la place publique, du grand jour des révolutions, tombe aux cabinets des princes ou des ministres-rois. Elle doit aller doucement et tâter dans l'obscurité.
Mais cela fait, et cet objet obscur une fois bien saisi et serré, il faut le mettre en pleine lumière et sans tergiversation.
Trois questions dominantes, à la fin de cette enquête, se sont posées d'elles-mêmes, et les réponses sont sorties des faits, sans que je m'en mêlasse, par la force de la vérité.
I. Henri IV resta-t-il flottant jusqu'à la mort? S'arrêta-t-il au système de balance et d'équilibre, qui fut réellement l'idée de Richelieu, et que les Mémoires de Sully, écrits sous Richelieu, nous donnent comme l'idée d'Henri IV?
À quoi, je réponds: Non. À partir de 1606, sous une apparente fluctuation, Henri IV est fixé, les faits disent assez dans quel sens. Au départ de 1610, ses trois armées en marche ont trois généraux protestants.
II. La seconde question, le mystère de sa mort, par ceci même est résolue. À partir de 1606, dans ses quatre dernières années, ses ennemis, de leur côté, ne flottèrent plus; ils virent très-bien en lui, sous son masque indécis, leur ruine certaine si on le laissait vivre, et ils ne perdirent pas un jour pour conspirer sa mort. Le Louvre y travailla, autant que l'Escurial.
III. La politique d'Henri IV fut-elle reprise en France et continuée?
Nullement. La cour du Louvre, principale ennemie d'Henri IV, déjà toute espagnole de son vivant, fut de plus en plus cliente de l'Espagne après sa mort. Richelieu, qui heureusement nous arrêta sur cette pente, trouvant la situation gâtée et la France rivée, dans cette fatalité d'intolérance qui la menait à la catastrophe de la fin du siècle, ne lutta contre l'Espagne qu'en l'imitant, en écrasant les dissidents, au lieu de les employer contre elle.
Enfin, pour résumer, Henri IV et Richelieu allaient tous deux à l'unité nationale (suprême condition de salut), mais par des moyens différents, le premier par l'emploi, le second par la destruction des forces vives.
Je sais la différence qu'on établit, il les écrasa politiquement, les ménagea religieusement. Belle distinction, bonne pour les esprits qui ignorent que la vie est une, et qui en séparent idéalement les manifestations. De quelque façon que ce fut, les protestants périrent moralement; l'émigration commença, et ceux qui n'émigraient pas furent tranquilles, il est vrai, ne contrarièrent point Richelieu, Mazarin, personne. Pourquoi? ils étaient morts.
Est-ce à dire qu'il fallait laisser en France une république protestante? Non, on pouvait l'éteindre, mais par d'autres moyens. Si Richelieu eût été libre, quoiqu'il haït les protestants, il les eût ménagés, calmés et rassurés. Il les aurait tournés vers la mer, la guerre maritime, la guerre d'Espagne-Autriche. Enrégimentés sur le Rhin, dispersés sur les mers à la poursuite des galions, revenant chargés de dépouilles, ou fondant une France l'épée à la main dans l'Amérique espagnole, ils ne se seraient guère souvenus de leurs assemblées inutiles, ni des mesures qu'ils appelaient places de sûreté.
Richelieu ne put rien faire de tout cela. Après un moment d'audace contre le pape, ses ennemis le ramenèrent par sa chaîne, l'obligèrent de ruiner la Rochelle, les marins qu'il eût employés contre eux, les finances qu'il commençait à rétablir. Ils le tinrent là près de deux ans, pendant qu'ils faisaient tout ce qu'ils voulaient en Allemagne.
Il se garde bien d'avouer que ces fautes lui furent imposées. Il les dit siennes, et veut avoir toujours régné, fait tout et mené tout. Les historiens docilement l'ont pris au mot, et accepté la glorification testamentaire qu'il fait de sa politique. Il convient à ces grands acteurs de faire ainsi leur portrait héroïque, de se couronner de lauriers, de ramener, s'ils peuvent, toutes leurs courbes à une droite idéale. Mais c'est à l'histoire de retrouver leur marche sinueuse, leurs tours et leurs détours sous la pression des événements, sans tenir grand compte des systèmes arrangés après coup par lesquels ils voudraient dominer encore l'opinion et duper la postérité.
NOTE II.—MES CONTRADICTIONS
En voici encore une que je livre à la critique. J'ai dit du bien et du mal d'Henri IV dans le volume précédent et dans celui-ci. Je maintiens l'un et l'autre; le mal, le bien, sont vrais et mérités. Ce caractère est tel, mêlé, varié, inconsistant et double, double de nature et de volonté. Il a cela même de curieux que c'est quand il se fixe au bien qu'il se masque le plus, et sa meilleure époque est toute enveloppée de mensonge.
Beaucoup de gens y étaient pris, ses amis surtout (bien moins ses ennemis, qui ne furent pas dupes et le tuèrent). En 1600, lorsqu'il veut agir sérieusement en faveur des huguenots, il les mystifie et les humilie dans la dispute de Mornay et Du Perron, flatte le clergé catholique. De même, lorsqu'il vient de leur accorder le temple de Charenton (1606) et d'arrêter avec Sully sa guerre pour secourir les protestants d'Allemagne, il caresse les Jésuites plus que jamais, et fait au ministre Charnier une réception sèche et dure, qui dut charmer Cotton et tous les catholiques. La brochure de M. Read (sur Chamier) peint au vif Henri IV. Elle fait comprendre comment les protestants durent méconnaître, tant qu'il vécut, un ami qui craignait tant de paraître tel. Dans le fond, il était pour eux (surtout dans les dernières années). C'est le témoignage que lui rend un grand historien, non suspect: «Les Réformés avoient vu mourir avec lui deux choses: l'une l'affection qu'il étoit certain qu'il avoit pour eux; l'autre étoit la bonne foy dont il se piquoit plus que nul autre prince, et qui le rendoit si exact observateur de sa parole, qu'on trouvoit plus de faveur dans l'effet qu'il n'en avoit fait espérer par la promesse.» (Élie Benoît. Histoire de l'Édit de Nantes. II, p. 4.)
La critique peut continuer d'imputer à mon injustice, à ma légèreté, les inconsistances et les variations de la nature humaine.
J'ai dit et j'ai dû dire que Louis XII fut en France bon et honnête, perfide en Italie; qu'Henri III, infâme à vingt ans, mais épuisé à trente, était alors probablement moins libertin qu'on ne l'a dit. Quelle contradiction y a-t-il en cela?
NOTE III.—LES SOURCES DE L'HISTOIRE D'HENRI IV
Le livre de M. Poirson a paru en janvier 1857; le mien arrive en mai. J'ai admiré plus que personne ce livre rare, si consciencieusement élaboré, en contraste parfait avec tant d'œuvres de légère improvisation. J'en ai peu profité. Pourquoi? Parce que le grave historien, en racontant si bien le roi, a presque partout caché l'homme, cet homme «ondoyant et fuyant,» comme aurait dit Montaigne. L'ostéologie d'Henri IV, et ses muscles aussi sont au complet; j'y voudrais encore son sang, les battements de son cœur, sa vie nerveuse et ses saillies. Il fut homme autant que personne, et les faiblesses humaines ont influé sur lui, comme sur tous. Une ligne sur Gabrielle, c'est peu, trop peu, en vérité.
Péché d'omission. Mais de commission, je crois qu'il n'y en a guère. C'est un livre bâti en quinze ans à chaux et à ciment qui restera et ne bougera point.
«Le titre est bien modeste. Il ne promet que l'Histoire d'un règne, mais il donne en réalité un immense tableau de l'époque. Sciences, lettres, arts, inventions, tout le développement de la civilisation y est étudié, creusé, fouillé à fond, autant que la politique, l'administration, les finances, la diplomatie. C'est l'encyclopédie du temps (environ un quart de siècle). L'auteur est gallican, partisan de la tolérance et de la liberté religieuse. Je ne partage ni son admiration sans limites pour Henri IV, ni ses sévérités pour les protestants. Mais je n'en fais pas moins un cas infini de son livre. Tout le monde sera frappé de l'excellente critique et de la vigueur d'esprit avec laquelle il a jugé l'Espagne et le parti espagnol, la Ligue. Il a montré parfaitement tout ce que celle-ci avait d'artificiel.—La construction fantasque de M. Capefique est rasée, et il n'en reste pas une pierre.»
À ces lignes, que je publiais en janvier même, une étude attentive me ferait ajouter beaucoup. Chacun de ces chapitres (sur les bâtiments, par exemple, sur les canaux, etc.) est un travail soigné, plus complet et plus instructif que les grands ouvrages spéciaux qu'on a écrits sur les mêmes matières.
La France d'alors y est sous tous les aspects. Ce qui y manque un peu, c'est Henri IV, l'Henri IV que nous connaissons. Quoi! Henri IV a été ce grave politique, ce roi accompli, presque un saint? Quoi! Il faudrait biffer toute la tradition? Il faudrait effacer, entre autres témoignages, le plus beau livre du temps, les Mémoires de d'Aubigné? M. Poirson n'y voit qu'une satire. Et sans doute le vieillard chagrin, dans son triste exil de Genève, sous la bise du Rhône, a été aigre. Il aura, je le crois, exagéré, défiguré, sans s'en apercevoir, quelques détails; mais sciemment menti? jamais. Ce livre reste, comme un jugement héroïque du noble XVIe siècle sur son successeur le XVIIe, diplomatiquement aplati.
M. Poirson, honnête, austère et décidé à être juste, n'a nullement négligé les sources protestantes, telles que du Plessis-Mornay et la Force. Je voudrais seulement que, dans les éditions subséquentes, il mit en meilleur jour les griefs des protestants, griefs si graves et qui excusent entièrement l'esprit inquiet et l'incessante agitation qu'on leur a tant reprochée. S'ils se montrèrent si difficiles au moment de l'Édit de Nantes, on le comprend fort bien quand on voit qu'ils venaient d'avoir encore un massacre en Bretagne. Manquèrent-ils au siége d'Amiens, comme on l'a dit? Point du tout. D'Aubigné (Histoire, p. 453) assure qu'on y vit 1,500 gentilshommes huguenots. Il faut lire leurs griefs dans les procès-verbaux de leurs assemblées, soigneusement extraits par Élie Benoît. Histoire de l'Édit de Nantes (6 vol. in-4o). Ce grand et important ouvrage est de la fin du siècle, mais il est tiré entièrement des pièces originales.
Encore un point de dissidence. Je ne vois nullement que Villeroy et Jeannin aient suivi constamment une politique anti-espagnole.
À cela près, nos études communes sur les mêmes sources nous conduisent aux mêmes jugements. Sur les lettres d'Henri IV, sur Angoulême, de Thou, Nevers, Cheverny, Lestoile, etc., j'adopte et signerais ses judicieuses notices.
Je le remercie surtout pour ce qu'il dit de Sully. Il a senti à merveille que les Économies royales ne sont pas seulement un des bons livres du temps, mais l'ouvrage capital et, d'un seul mot, le, livre. C'est un vrai fleuve de vie historique, qui donne tout, et le matériel, et le moral, la politique et les finances, les caractères et les passions, les choses et les hommes, enfin l'âme. Persistance admirable du XVIe siècle, qui, si tard, dans une époque ingrate, dure, vit, palpite encore, en ce livre naïf et fort, jeune de verve et vieux de sagesse, admirable de plénitude.
Par d'Aubigné et par Sully, je sors du grand XVIe siècle, que j'étudiai et enseignai tant d'années. Le profond changement qui se fait au passage est marqué bien naïvement par d'Aubigné. Rude cascade! Sous Henri IV, il rêve les martyrs et Coligny, médit du roi hâbleur. Mais Henri IV frappé, il l'est lui-même, il tombe de la chute à la chute!... Cela ne s'arrêtera pas. Les temps mêmes de Richelieu, tant glorieux qu'on les veuille faire politiquement, seront encore une chute morale.
C'est le 12 décembre dernier (1856) que j'écrivais ceci, par un temps doux et maladif, en présence des notes nombreuses que mon père m'avait copiées de d'Aubigné, avant sa mort (1840). Ces notes, d'une écriture forte et pesante de vieillard, consciencieusement exacte, monumentale et pourtant très-vivante, plus digne des pensées qu'aucune impression ne sera jamais, m'ont fait entrer bien loin dans le cœur le XVIe siècle. À grand'peine, je leur dis adieu.
Chaque lettre de cette écriture, accentuée de l'amour et de la religion de mon livre futur (qu'il ne devait pas lire), me frappait d'un double regret de laisser cette histoire, et de laisser ces manuscrits.
Je ne vois plus là-bas, à cette table près de la fenêtre, ce vénérable auxiliaire si ardemment zélé pour l'œuvre qui m'échappe aujourd'hui. Nous passâmes ensemble trente années de travail entre l'étude solitaire et les pensées de la patrie, parmi les bruits publics de la tribune et de la presse, toutes ces voix de la France qui parlaient et se répondaient. Ce temps n'est plus, et après l'avoir quitté, quitté cette personne qui était moi, je dois quitter ce qui en reste, ces papiers, les mettre sous la clef,—avec un fragment de mon cœur.
NOTE IV.—SUR LE MARIAGE ET LA MORT D'HENRI IV
Tous louent Sully et peu le suivent. Moi, j'ai osé le suivre dans ses assertions les plus graves, dans celles où il s'est montré un courageux historien, un homme et un Français. En présence des montagnes de mensonges que bâtissaient tant d'autres à la gloire de Marie de Médicis, Sully a peint fidèlement le déplorable intérieur du roi, l'insolence de Concini, les offres fréquentes d'Henri IV de renoncer à ses maîtresses si on renvoyait cet homme, l'attente où il était de sa mort et sa conviction que la mort lui viendrait de là.
«Est-ce clair?» On peut dire ce mot à chaque ligne.
Ou le mot de Harlay, levant les mains au ciel: «Des preuves? des preuves?... Il n'y a que trop de preuves.»
Sur la lutte du mariage français et du mariage étranger (V. p. 49), j'ai suivi uniquement Sully, les lettres du roi et celles du cardinal d'Ossat. Sur les cavaliers servants (p. 54, 56), je suis Sully encore, avec le mss. du fonds Béthune qu'a copié M. Capefigue. Tout cela extrêmement cohérent, de cette vraisemblance frappante et saisissante qui fait qu'on crie: «C'est vrai!»
L'étonnante fluctuation où le roi se trouvait alors, entre ses deux mariages et ses deux religions, l'envoi du capucin Travail (le P. Hilaire) à Rome pour défaire le mariage florentin au moment où il se faisait, tout cela est fort clair, même à travers la mauvaise volonté, l'obscurité calculée de d'Ossat.
La Conspiration des poudres et autres petites affaires de ce genre durent faire douter Henri IV de l'avantage qu'il y avait à tant caresser ses ennemis. Le nonce romain de Bruxelles se trouva compromis dans cette affaire anglaise, comme il l'avait été dans le complot de 1599 pour assassiner Henri IV. Lui-même, allant en Poitou, vit s'évanouir tout ce que le clergé lui faisait croire de l'opposition. Le roi et la Rochelle s'embrassèrent en 1605 (p. 85). Et le roi (août 1606, p. 88) accorda aux huguenots le temple de Charenton. La belle histoire que M. Read nous a donnée de ce temple indique toute l'importance d'un tel fait, qui, à lui seul, était une révolution. Il disait assez haut ce que le roi voulait faire en Europe.
C'est à cette année 1606 que la dame d'Escoman, dans sa déposition, rapporte le pacte conclu pour tuer le roi entre sa furieuse maîtresse et d'Épernon, seigneur d'Angoulême et patron de Ravaillac, qu'il employait à Paris à solliciter ses procès.
Quoi de plus vraisemblable? C'est cette année que l'on sut définitivement que le mariage italien ne retiendrait pas Henri IV, comme on l'avait cru d'abord. Le tuer ou le marier, tel avait été le dilemme en 1600. Le mariage étant inutile, on résolut de le tuer.
Il faut être sourd, aveugle et se crever les yeux pour ne pas voir, entendre cela.
Le recueil de mensonges qu'on appelle Mercure français part du procès de Ravaillac, qu'on voulait mutiler et fausser, et de la déposition de la d'Escoman, qu'on voulait étouffer en la défigurant.
La réfutation que ce Mercure fait de la d'Escoman est bien plaisante. On ne doit pas la croire, car elle est bossue et boîteuse. On ne doit pas la croire, car elle est pauvre, et elle a un enfant à l'Hôtel-Dieu. Elle a été condamnée pour adultère, le crime universel alors. Elle a pris pour Ravaillac un autre homme. Qui l'affirme? On ne le dit pas; apparemment ce sont les gens que la reine envoya pour voir la d'Escoman et la déconcerter chez la reine Marguerite. Le Mercure est pourtant forcé d'avouer que Marguerite était frappée de la déposition de cette femme, qui ne se démentait pas, ne variait pas, «répétait de mot en mot.»
Peu m'importe que la d'Escoman ait été boîteuse, pauvre, etc. Elle n'en est pas moins un témoin grave quand elle se concilie si bien avec Sully. Elle s'accorde également avec le factotum de Dujardin-Lagarde, qui fut pensionné par le roi pour l'avis véridique donné à Henri IV (Archives curieuses, XV, 150).
Le peuple crut la d'Escoman et Lagarde. Il crut que d'Épernon, Guise, Concini (Henriette, et la reine même), avaient trempé dans le complot, ou du moins en avaient connaissance. On put savoir dans tout Paris la profonde douleur qu'exprima le président Harlay devant les amis de Lestoile quand il vit que la première personne du royaume, l'autorité elle-même, était tellement compromise. La confiance qu'exprime Lestoile dans la déposition de la d'Escoman, c'était le sentiment populaire. J'en juge par un mot foudroyant du capucin Travail, le P. Hilaire, l'un des meurtriers de Concini, qui crut qu'en réalité rien ne changerait si l'on ne tuait aussi la reine mère, et qui en fit la proposition à Bressieux, écuyer de Marie de Médicis. Celui-ci refusant: «N'importe, dit Travail, je ferai en sorte que le roi ira à Vincennes, et, pendant ce temps-là, je la ferai déchirer par le peuple.» Le peuple la croyait donc complice de la mort d'Henri IV. (Revue rétrospective, II, 505.)
Cela fait comprendre les craintes de d'Épernon et sa tentative pour terroriser les États et le Parlement en 1614, quand le témoin Lagarde se présenta aux États (p. 152, 154),—et les craintes de la reine mère, sa fuite de Blois en novembre 1618 (p. 239), quand elle apprit que de Luynes avait fait arrêter la Du Tillet, maîtresse de d'Épernon, compromise dans l'affaire de Ravaillac (V. les Mémoires de Richelieu). Elle crut certainement que de Luynes, instruit de ses menées secrètes, allait lui faire faire son procès.
FIN DU TOME TREIZIÈME
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE PREMIER Pages.
- Ligue de la cour contre Gabrielle. 1598, 1
 - Faiblesse d'Henri IV dans son intérieur, 3
 - Le dilemme du temps: Le tuer ou le marier, 6
 - Gabrielle craint le mariage florentin, 8
 - Sully, créé par elle, travaille contre elle, 10
 
CHAPITRE II
- Mort de Gabrielle. 1599, 16
 - Le diable et les possédés, 17
 - Maladie du roi; assassin, 19
 - Le roi décidé pour Gabrielle, 21
 - Les protestants désirent le mariage français, 23
 - La mort violente, 32
 
CHAPITRE III
- Henriette d'Entragues et Marie de Médicis. 1599-1600, 42
 - La galerie de Rubens, 43
 - Politique papale et florentine de la France, 44
 - Double négociation de mariage, 49
 
CHAPITRE IV
- Guerre de Savoie.—Mariage. 1601, 55
 - Conquête de la Savoie, 57
 - Marie déplaît au roi, il prépare son divorce à Rome, 64
 
CHAPITRE V
- Conspiration de Biron. 1601-1602, 66
 - Les amants de la reine, 67
 - Biron traite avec l'ennemi, 71
 - Son procès, 15 juin-31 juillet, 79
 
CHAPITRE VI
- Le rétablissement des Jésuites. 1603-1604, 86
 - Réaction. Transformation du clergé et de la noblesse, 87
 - François de Sales, Cotton, 92
 
CHAPITRE VII
- Le roi se rapproche des protestants. 1604-1606, 96
 - Concini, favori de la reine, 97
 - Conspiration d'Entragues, 99
 - Conspiration des poudres, 102
 - Le roi donne aux protestants le temple de Charenton, 106
 
CHAPITRE VIII
- Grandeur d'Henri IV, 109
 - Difficultés qu'il rencontrait, 110
 - Réformes de Sully, 112
 - Ce que le roi fit malgré Sully, 114
 - Le Paris d'Henri IV, 116
 
CHAPITRE IX
- La conspiration du roi et la conspiration de la cour. 1606-1608, 121
 - L'Europe se précipitait dans les bras de la France, 122
 - La cour conspire la mort du roi, 125
 - Insolence et haine de Concini, 127
 
CHAPITRE X
- Le dernier amour d'Henri IV. 1609, 130
 - L'Astrée de d'Urfé, 131
 - Mademoiselle de Montmorency, 133
 - Masque d'Henri IV, 134
 - Mariage du prince de Condé, 135
 
CHAPITRE XI
- Progrès de la conspiration.—Fuite de Condé. 1609, 139
 
CHAPITRE XII
- Mort d'Henri IV. 1610, 148
 - Ravaillac, 148
 - Avis de la d'Escoman, négligé de la reine, 153
 - Abattement d'Henri IV, 155
 - Il est tué, 14 mai 1610, 161
 
CHAPITRE XIII
- Louis XIII.—Régence.—Ravaillac et la d'Escoman. 1610-1614, 163
 - Changement complet. Terreur du peuple, 164
 - Violence de d'Épernon, 167
 - On précipite le procès de Ravaillac, 169
 - La curée, 174
 - On étouffe la voix de la d'Escoman, 176
 - Mépris et révolte des grands, 178
 
CHAPITRE XIV
- États généraux. 1614, 180
 - Les magistrats représentent le Tiers État, 183
 - D'Épernon terrorise le parlement et les États, 189
 - Noble sacrifice du Tiers, 191
 - Le roi se déclare contre le Tiers, 194
 - Comment on cache les vols de la cour, 196
 - Le roi accable encore le Tiers, 198
 - Réforme que le Tiers demande dans l'Église, 200
 - Le Tiers bâtonné et renvoyé, 201
 
CHAPITRE XV
- Prison de Condé.—Mort de Concini. 1615-1617, 203
 - Fortune de Luynes. Il est poussé à tuer Concini, mais ménage la reine mère et lui accorde l'emprisonnement de la d'Escoman, 207
 
CHAPITRE XVI
- Des mœurs.—Stérilité physique, morale et littéraire, 216
 - Abaissement des esprits. Casuistique, couvents, sorcellerie, 217
 
CHAPITRE XVII
- Du sabbat au moyen âge et du sabbat au xviie siècle—L'alcool et le tabac, 225
 
CHAPITRE XVIII
- Géographie de la sorcellerie par nations et provinces.—Les sorcières basques, 238
 - Le livre de M. de Lancre, 1610, 244
 
CHAPITRE XIX
- Les couvents.—La sorcellerie dans les couvents.—Le Prince des magiciens, 254
 - Procès de Gauffridi. 1610-1611, 256
 
CHAPITRE XX
- Luynes et le P. Arnoux.—Persécution des protestants. 1618-1620, 281
 - Statistique des couvents, 281
 - On prépare la révolution territoriale du siècle, 289
 - Catastrophe du Béarn, 295
 - La France trahit les protestants d'Allemagne, 297
 
CHAPITRE XXI
- Richelieu et Bérulle. 1621-1624, 298
 - Richelieu jusqu'à quarante ans fut dans le parti espagnol, 301
 - Politique nationale de la Vieuville, 309
 - Il élève Richelieu qui le chasse, 310
 - Partialité du pape pour les Espagnols qu'il couvre en Valteline, 314
 - Richelieu en chasse le pape. Déc. 1624, 316
 
CHAPITRE XXII
- L'Europe en décomposition.—Richelieu forcé de rétrograder. 1625-1626, 318
 - La révolution territoriale en Allemagne, 319
 - Révolutions de Hollande et d'Angleterre, 321
 - Richelieu essaye de rétablir les finances, 323
 - Mariage d'Angleterre, 324
 - Fermeté de Richelieu contre le légat, 330
 - Il s'appuie sur les notables, 332
 - On le force de traiter avec l'Espagne, 335
 
CHAPITRE XXIII
- Ligue des reines contre Richelieu.—Complot de Chalais. 1626, 338
 - On pousse l'Angleterre à rompre avec nous, 345
 - Embarras financiers de Richelieu, irrémédiables, 349
 
CHAPITRE XXIV
- Siége de la Rochelle. 1627-1628, 353
 - L'Espagne nous trahit et appelle l'invasion anglaise 354
 - La Rochelle refuse de recevoir l'Anglais 356
 - Buckingham échoue dans l'île de Ré, juillet-novembre 1627 357
 - Richelieu bloque la Rochelle, sa digue 362
 - La Rochelle refuse encore de se livrer aux Anglais 364
 - Elle ouvre ses portes à Richelieu, novembre 1628 369
 - Ruine du pays; émigrations protestantes 370
 - Richelieu, ayant étouffé la révolution religieuse, ne fera la guerre à la maison d'Autriche qu'à force d'argent, 373
 - Callot et Rembrandt, la France et la Hollande 374
 
NOTES
PARIS.—IMPRIMERIE MODERNE, Barthier, directeur, rue J.-J. Rousseau, 61.
Notes
1: M. Poirson a très-bien distingué qu'il y a là deux choses: 1o le système positif des alliances d'Henri IV avec les ennemis de la maison d'Autriche, système qui se faisait de lui-même sous l'impression de terreur que cette maison inspirait; toute l'Europe se serrait du côté de son défenseur. 2o Un plan tout utopique de Sully pour la fédération européenne. M. Poirson est trop indulgent pour ce plan ridicule. Cela a été écrit par les secrétaires de Sully (ils le disent eux-mêmes), en 1627, pendant le siége de La Rochelle, et déjà sous la royauté du cardinal Richelieu, l'année précédente, avait été proposé, comme type de l'ordre financier, l'année 1608, c'est-à-dire l'apogée de l'administration de Sully. Celui-ci put en concevoir le vague espoir d'être rappelé aux affaires par le cardinal. De là peut-être ces idées (si étranges chez un protestant) de faire une république italienne vassale du pape. Ce qu'il propose aussi pour les élections de Hongrie et Bohême est ridicule et quasi-fou. On regrette de trouver cette tache dans ce beau livre des Économies.
2: Dans un gouvernement idolâtrique, fondé sur la divinité de l'individu, ce point est grave. Je n'y insiste pas. On rirait, et rien n'est plus triste.—L'historien, le politique, le physiologiste et le cuisinier étudieront avec profit ce monument immense, 6 vol. in-folio d'une fine écriture: Ludovico-trophie, par Hérouard, médecin du roi, seigneur de Vaugrineuse (mss. Colbert, 2601-2606). J'en cite une seule journée, qui donne l'impression qu'eut l'enfant royal de la mort de son père:
«M. le Dauphin, l'ayant sceu, en pleura, et dit: Ha! si je y eusse esté avec mon espée, je l'eusse tué. Chacun se vint offrir à lui de la chambre de la royne.—Raisins de Corinthe et à l'eau de rose, asperges et salade, potage, hachis de chapon ... deux cornets d'oublies, quatre prunes de Brignolle, figues sèches, du pain bu de la ptisane, dragée de fenouil, puis mené, etc. Et chez lui à neuf heures: pissé jaune-paille, puis desvestu, mis au lit. Pouls solide, égal, pausé. Chaleur douce. Prié Dieu. Dit vouloir coucher avec M. de Souvré: «Pour ce qu'il me vient des songes.» La royne l'envoie quérir pour le faire coucher dans sa chambre...
«Le XV, esveillé à six heures et demie ... À sept heures un quart, levé, bon visage, guay, pissé jaune, peigné. Vestu d'un habillement bleu. À huit heures et demie, déjeuné, ne sceut mangé, beu de la ptisane. Il avoit du ressentiment, et si l'innocence de son asge lui donnoit par intervalles quelque gaieté. Mené à la messe. À neuf heures et demie, disné; raisins de Corinthe, asperges, salade, potage, chapon bouilli; pris un peu d'un gasteau feuilleté, bu du vin blanc ... Intrepidus.»
À ces notes curieuses sur le caractère de l'enfant royal, on peut joindre les lettres du nonce, qui font très-bien connaître la mère. Elles racontent, entre autres choses, les violentes scènes qui eurent lieu (en 1622), entre elle et le prélat Ruccellaï, un Italien qu'elle avait favorisé beaucoup, et qui avait été supplanté dans sa faveur par le jeune Richelieu. Pour obtenir de Louis XIII qu'il chasse Ruccellaï, elle soutient qu'il a fait semblant d'être amoureux d'elle; que, sous prétexte d'admirer ses dentelles, il s'est émancipé, etc. C'est la scène de Tartufe et d'Elmire, mais plus comique, la reine étant d'âge très-mur, très-lourde d'embonpoint. Tout cela est écrit en chiffres, comme le plus terrible mystère. (V. nos Archives, extraits du Vatican, Nonciatures, carton L, 389.)
3: Je reviendrai sur la casuistique et les couvents; et, quant à la sorcellerie, je donnerai mes sources et ma critique, quand le Diable expire à Loudun sous l'horreur et le ridicule.—Sur le tabac, V. la brochure de M. Larrieu et la lettre, si instructive que M. Ferdinand Denis a jointe à l'opuscule de M. Demersey (1854). Oviédo, Thévet, Cartier, Lérit, sont les premiers qui en fassent mention. Le Portugais Goes avait rapporté le tabac à Lisbonne; il le donna à notre ambassadeur Nicot, qui l'apporta en France comme une herbe propre à déterger et calmer les blessures. Elle fut présentée à Catherine de Médicis, qui accepta d'en être la marraine, et voulut bien qu'on l'appelât Catherinaire, ou Médicée. On a vu sa vogue déjà fatale en 1610. Le fisc s'en empara bientôt. Richelieu dit en 1625 (Lettres, II, 165) qu'on en apporte deux millions de livres, qu'on en déclare moins de la moitié, et que l'État peut en tirer par an quatre cent mille livres. Il a rapporté jusqu'à nous un milliard et demi. Mais qui calculerait ce qu'il nous a fait perdre par la vaine rêverie, l'inaction et l'énervation! C'est un secours pour le travailleur en plein air dans les lieux humides, pour le marin peut-être; mais pour tous les autres un fléau, une source de nombreuses maladies du cerveau, de la moelle et de la poitrine, d'une entre autres, la plus triste, de cracher toujours et partout.
4: Ce beau livre d'Ollivier, le Théâtre d'agriculture et ménage des champs, est beaucoup plus économique que patriarcal et philanthropique. Les journaliers n'y sont pas trop favorisés. Le seul conseil de mettre les deux tiers du domaine en forêts et prairies, s'il eût été suivi, eût considérablement réduit le travail des cultivateurs salariés.—Voir sur la condition des paysans le grand travail de M. Bonnemère, qui donne tous les textes, l'ingénieux ouvrage de M. Doniol, en les rapprochant de l'excellente histoire de l'administration de M. Chéruel, etc., etc. Ils font toucher au doigt comment la richesse, et la subsistance même, vont diminuant dans tout ce siècle. Quelle terrible distance des Œconomies de Sully au livre de Vauban, si triste, à ceux de Boisguillebert, si cruellement désespérés.
5: Cela est dur et peut paraître exagéré. Mais, en réalité, ils sont fréquemment contredits par ses lettres, par les écrits contemporains, par les faits même. C'est en réalité un très-long factum marqué souvent d'une grande hauteur de vues et de raison, mais calculé, pénible, artificieux, qui veut harmoniser pour la postérité une vie fort peu d'accord avec elle-même. On dit qu'au siége de la Rochelle, dans ce long blocus d'hiver où il se consumait, il commença à vouloir qu'on écrivît ses actes, c'est-à-dire qu'on les expliquât. C'est là sans doute l'origine des Mémoires, qu'il a inspirés, presque dictés, revus avec soin. Le premier point, c'était de faire croire qu'à son premier ministère, sous Concini, il était déjà anti-espagnol. Chose absolument impossible; les pièces de Simamar, citées par Capefigue, montrent que Concini et sa femme étaient intimes avec l'Espagne, ils venaient de faire le double mariage espagnol; la dépêche de Richelieu à Schomberg n'est qu'un leurre pour amuser les Allemands. Le second point, c'était d'éreinter la Vieuville, celui qui rappela Richelieu au ministère et que Richelieu fit chasser; c'était de lui ôter l'honneur d'avoir eu l'initiative d'une politique française. Le troisième point, c'est celui où il se donne l'honneur d'avoir voulu le siége de la Rochelle. Sans doute comme prêtre, comme controversiste, il haïssait les protestants; cela est sûr. Et il est sûr encore que ses instincts de gentilhomme et d'homme d'épée lui auraient fait désirer d'imiter les fameuses croisades de Ximenès, la conquête de Grenade, les exploits de Lépante. Tel fut le fond de sa nature. Mais son très-lumineux esprit (et dirai-je, son âme française) le firent vouloir, contre sa nature, l'alliance avec l'Angleterre, la Hollande, le Danemark et les protestants d'Allemagne, ce qui impliquait des ménagements pour les protestants de France. Les papiers de Bérulle, extraits par Tabaraud, montrent très-bien (et les offres continuelles de Richelieu aux protestants montrent encore mieux) qu'il leur fit, malgré lui, cette guerre demandée par Bérulle et tous nos Français espagnols, guerre qui détruisait ses projets, irritait l'Angleterre, la Hollande, ses alliés naturels. Tabaraud est précieux ici. Panégyriste de Bérulle, il prouve innocemment, mais prouve, que Bérulle eut l'honneur principal de cette énorme sottise, d'avoir travaillé, préparé la destruction de la Rochelle, l'amortissement des protestants qui eussent si bien servi contre l'Espagne. Le duc de Rohan put tirer quelque argent des Espagnols, et même en 1628, quand on le traqua avec ses armées, il fit un misérable et coupable traité avec l'Espagne. Mais, dans cette grande faute, il était seul ou presque seul, nullement suivi de son parti. Je parlerai plus tard de tout cela. Je dois l'ajourner, n'ayant pas encore le troisième volume des Lettres de Richelieu que publie M. Avenel. Excellent et rare éditeur. Son introduction est écrite dans une sage mesure que les biographes ne gardent presque jamais pour leur héros. Il dit très-bien que Richelieu, si actif au dehors, ne put faire réellement que peu de choses à l'intérieur, qu'il n'avait point d'entrailles, qu'il n'aimait point le peuple. Les notes, non moins judicieuses, par lesquelles M. Avenel éclaire et interprète les pièces, contiennent, outre les renseignements, de précieuses marques de critique. En 1626, par exemple, il observe sur la forme même des lettres de Richelieu, qu'alors il n'était pas maître encore, mais le premier entre les ministres, ce qui confirme ce que les papiers de Bérulle nous apprennent de l'importance qu'avait celui-ci et de la sourde lutte qu'il soutenait contre Richelieu à la cour, au conseil (par Marillac et autres).