Histoire de France 1715-1723 (Volume 17/19)
TABLE DES MATIÈRES
PRÉFACE Pages.
- La Régence est une révélation, une révolution, une création I
- La révolution financière montra la France à elle-même II
- Le Christianisme fut oublié pendant une année IV
- Montesquieu prédit la mort prochaine du Catholicisme V
- La République financière VI
- La Régence n'eut aucun credo préparé VII
- Retour à la nature VIII
- Un mot sur ce volume. Son principe IX
CHAPITRE PREMIER
- Trois mois de la Régence.—Hostilité de l'Espagne (septembre-décembre 1715) 15
- Le roi laisse une situation désespérée.—Élan généreux, impuissant 16
- Philippe V et Alberoni 23
- Immoralité d'Alberoni et de la Farnèse.—Ils relèvent l'inquisition et s'offrent aux hérétiques 25
CHAPITRE II
- Grandeur de l'Angleterre.—État incurable de la France. 1716 34
- Mécanisme anglais.—La ligue de la Terre et de l'Argent 39
- George et le Prétendant veulent également la guerre européenne 40
- Le parti espagnol rend tout impossible au Régent 46
- Il fallait à tout prix assurer la paix.—Adresse de Dubois.—Triple alliance, 28 novembre 1716 54
CHAPITRE III
- Dubois.—La Tencin.—Mademoiselle Aïssé. 1717 63
- Esprit humain et indépendant du Régent 65
- Dubois empêche notre émancipation religieuse 67
- Le Régent flottant et déjà usé 68
- Les mœurs de la Régence (avant le Système).—Tencin.—Aïssé 73
CHAPITRE IV
- La fille du Régent.—Watteau.—Révolution de janvier 1718 83
- Fatalité natale et folie de la duchesse de Berry 85
- On veut la convertir, la marier, l'employer contre d'Aguesseau et Noailles 89
- Le Régent publie Daphnis et Chloé, fait Watteau peintre du roi, lui fait peindre les palais de sa fille.—Arts et modes 95
CHAPITRE V
- Alberoni et Charles XII.—Défaite d'Alberoni.—La paix du monde. 1718 102
- Conspiration d'Alberoni et de la Farnèse avec les mercenaires du Nord contre la paix et la civilisation 107
- Dévotion libertine et féroce de la cour de Madrid.—Casuistique.—Auto-da-fé 111
- Union d'Hanovre et Orléans.—Destruction de la flotte espagnole, 11 août 1718 119
CHAPITRE VI
- Triomphe du Régent sur les Bâtards et le Parlement, août 1718 126
- L'Espagne et la duchesse du Maine voulaient créer une Vendée et soulever les Parlements 129
- Grands services de Law (avant le système).—Le Parlement veut le faire pendre 131
- La nouvelle du désastre espagnol enhardit le Régent à frapper le Parlement et le duc du Maine, 26 août 1718 135
- Exigences de M. le Duc, qui fait acheter son appui 136
- Grossesse de la duchesse de Berry.—Elle trône comme reine de France.—Apoplexie du Régent, septembre 1718 143
CHAPITRE VII
- Le Roi banquier.—Conspiration et guerre.—Œdipe, novembre-décembre 1718 146
- La fièvre de spéculation dans toute l'Europe.—Law et ses théories 147
- La conspiration de Cellamare et la guerre d'Espagne obligent le Régent à se mettre à la tête de la nouvelle banque, 4 et 5 décembre 159
- L'Œdipe.—Le Régent pensionne Voltaire 165
CHAPITRE VIII
- Le café.—L'Amérique. 1719 170
- Immense mouvement de causerie; le café détrône le cabaret 171
- Les trois âges du café: arabe, indien, américain 172
- Oubli des questions religieuses.—Les îles.—Les Indes.—Le Canada 174
- Contradictions des missionnaires, accord des voyageurs laïques 176
- La France seule eût pu sauver les races américaines 179
- Le découvreur du Mississipi 182
- Law à la Louisiane; son plan, nullement chimérique 186
CHAPITRE IX
- Tentatives de réformes.—Danger de la fille du Régent, avril 1719 190
- Le Régent rend l'instruction gratuite, prépare l'égalité d'impôt 191
- Les protestants reviennent et entrent dans la Banque 193
- Hontes domestiques et terreur du Régent à l'accouchement de sa fille 199
CHAPITRE X
- Guerre d'Espagne.—Mort de la duchesse de Berry.—Danger de Law, mai-juillet 1719 202
- Folies furieuses d'Alberoni et de la Farnèse—Succès de la France 203
- Désespoir et mort de la duchesse de Berry, 21 juillet 207
- Coalition de la Maltôte et des Anglais pour faire sauter Law, 22 juillet 208
CHAPITRE XI
- La Bourse.—Les Mississipiens, août-septembre 1719 211
- Le balayeur.—Le laquais.—La brocanteuse 214
- Les belles agioteuses.—L'entremetteuse.—Le savoyard.—Le vampire 216
CHAPITRE XII
- La crise de Law, août-septembre-octobre 1719 224
- Law concentra les utopies du temps.—Son plan pour l'extinction de la Maltôte, de la Dette, l'Égalité de l'impôt et la vente des biens du Clergé 226
- Sa terreur des Anglais et sa dépendance de M. le Duc 230
- Razzia des agioteurs aux dépens des créanciers de l'État, 27 août 233
- Law résiste trois jours, 22-28 septembre 234
- La rue Quincampoix 235
- Les enlèvements pour le Mississipi 236
- Law devient un mannequin 238
CHAPITRE XIII
- Law veut s'enfuir.—On le fait contrôleur général, novembre-décembre 1719 241
- Orgueil de madame Law.—Law effrayé de ses amis et de ses ennemis.—Il se sent perdu, malgré les grands résultats qu'il a obtenus 242
- Il achète la protection des Condés, des seigneurs 247
- Ses amis réalisent et le minent en dessous 250
CHAPITRE XIV
- La baisse.—L'abolition de l'or, janvier-mars 1720 252
- Law, converti, n'en est pas moins attaqué par le Clergé, trahi par Dubois qui travaille pour le Clergé et l'Angleterre 253
- La Bourse de Londres et la spéculation de Blount exigeaient la ruine de Law 254
- Condé et Conti vident les caisses, 2 mars 257
- Désespoir de Law.—Il abolit l'or et l'argent 257
- La débâcle.—Un parent du Régent roué en Grève, 26 mars 261
CHAPITRE XV
- Law écrasé.—Victoire de la Bourse de Londres, mai 1720 263
- On continue, malgré Law, les enlèvements pour le Mississipi 265
- Law se rejette vers les fabriques, veut habiller, nourrir le peuple 266
- Perfidie de Dubois et d'Argenson qui le précipitent pour faire à Londres la hausse de Blount, mai 269
CHAPITRE XVI
- La ruine.—La peste.—La bulle, juin-décembre 1720 271
- L'agiotage sur la baisse.—Le camp de Condé à la place Vendôme 271
- La peste à Marseille.—Les étouffés à Paris 273
- Law et le Régent éperdus.—Dubois fait enregistrer la bulle.—Fuite de Law, décembre 278
CHAPITRE XVII
- La Peste, 1720-1721 281
- Héroïsme de Roze, des échevins de Marseille, de Belzunce 286
- Le règne des forçats 289
- L'anéantissement de Toulon 294
- La furie de vivre 294
- Trois générations de malheurs avaient abouti à la peste 295
- Elle marche vers la Loire.—Déserts.—Pays abandonnés 296
CHAPITRE XVIII
- Le Visa, 1721 297
- Triumvirat de Pâris Duverney, Crozat et Samuel Bernard 298
- M. le Duc humilie le Régent et jette à la justice un de ses compagnons d'agiotage 298
- Un million de familles apportent leurs papiers au Visa 301
- Partialité du Visa, qui respecte les vols des seigneurs 302
- Désespoir et galanterie, fêtes, bals 304
- Le dernier portrait du Régent et ses derniers scandales 305
CHAPITRE XIX
- Manon Lescaut.—Mort de Watteau. 1721 308
- L'amour au XVIIIe siècle 309
- Manon est-elle une confession de Prévost?—Elle est de la Régence, non du temps de Fleury 311
- Noblesse et mélancolie.—Mort de Watteau 317
CHAPITRE XX
- Rome et les sacriléges.—Mariages espagnols. 1721 321
- Le marchandage du chapeau de Dubois 322
- Sacriléges et malpropretés à Rome, en France, en Angleterre, en Espagne 324
- Les quatre péchés de Madrid.—Révélation d'Alberoni 328
- Honteux traité de la Farnèse et de Dubois. 330
CHAPITRE XXI
- Louis XV.—Les Méchants.—Cartouche. 1721 333
- Nature ingrate du jeune Roi, son éducation 334
- Les Méchants.—Le petit duc de Richelieu favori, à treize ans, de la duchesse de Bourgogne (1709) 336
- Maladie du jeune Roi.—Son indifférence à l'amour du peuple 339
- Mœurs violentes.—Voleurs.—Cartouche 340
- Jeux cruels.—Férocité de M. le Duc et de Charolais 342
CHAPITRE XXII
- Dubois abandonne toute réforme.—Approche de la majorité. 1722 345
- Lâcheté de Dubois, qui laisse brûler les papiers du Système et du Visa, effacer la trace des vols.—Il connive à la grandeur effrontée de M. le Duc, compose avec le Clergé, la Noblesse, la Maltôte 346
- Sa lutte avec Villeroi et Fleury pour la première communion du Roi 349
- Le petit Roi tue sa biche blanche 350
- Le Régent veut en vain ajourner la majorité 351
CHAPITRE XXIII
- Le Roi ramené à Versailles.—Enlèvement de Villeroi. 1722 353
- Aspect du vieux Versailles.—Le Régent s'y établit avec le petit Roi et veut le gagner 355
- L'Infante à Versailles 356
- Les jeunes Villeroi essayent de s'emparer du Roi en le corrompant 357
- Ils sont surpris, chassés, 2 août 359
- Villeroi rompt avec Dubois, est enlevé, 12 août 361
- Fuite calculée et retour de Fleury 362
CHAPITRE XXIV
- Fin de Dubois et du Régent. 1722-1723 363
- Bassesse et faiblesse du gouvernement.—Terreur du règne imminent de M. le Duc 364
- L'Angleterre consolide Dubois en obtenant qu'il soit premier ministre, avec tous les pouvoirs de Richelieu et Mazarin 366
- Dubois perd l'espoir d'influer en Espagne par la fille du Régent 367
- Cruauté de la Farnèse pour la jeune Française 368
- Dubois, faible et isolé, forcé de sacrifier ses agents les plus sûrs à M. le Duc 370
- Son désespoir et sa mort, 10 août 1723 375
- Le Régent sans ressources.—Sa mort, 2 décembre 378
CHAPITRE XXV
- Montesquieu.—Lettres persanes. 1721.—Voltaire, Henriade. 1723 382
- Barbarie religieuse de l'Europe, auto-da-fé d'Espagne, massacre de Thorn, etc. 384
- Humanisation de la France par la ruine du dogme inhumain 385
- Le cœur tendre et doux de Voltaire.—Son faible poème, alors très-hardi 386
- Douceur et humanité de Montesquieu.—D'autant plus terrible au passé 387
- Il part de l'écart absolu, ne compose pas, comme l'abbé de Saint-Pierre, avec le vieux monde 389
- Solitaire en pleine foule, émancipé par les sciences, les législations comparées, la lecture des voyages 390
- Hauteur de son point de vue 394
- Légèreté et désordre apparents de son livre, très-profondément calculé 395
- Sa prédiction de la mort prochaine du catholicisme 396
Paris.—Imprimerie Moderne (Barthier, dr), rue J.-J.-Rousseau, 61.
Il est certain qu'à ce moment, la Régence fut admirable d'élan, de bonnes intentions, de réformes utiles, dont plusieurs sont restées (exemple, la comptabilité régulière, la suppression d'une foule d'offices, etc.). Les fautes, les vices du Régent, sont bien moins excusables que la situation dont il hérite. V. Noailles, Forbonnais, Bailly, mais surtout M. Doniol, qui a formulé parfaitement que nul remède ne suffisait dans la situation sans issue que laissait Louis XIV.[Retour au texte principal.]
Note 2: Il baisse infiniment à la mort de Louis XIV. Il est décidément déplacé, désorienté dans le monde nouveau, et il devient de plus en plus absurde. Il est d'amitié pour le Régent, de principe pour le roi d'Espagne. Il avoue que si celui-ci entrait en France, il quitterait le Régent.—Il ne veut pas qu'on chasse les Jésuites, et il demande les États généraux que demande le parti jésuite pour faire sauter le Régent. Étrange ami de la Régence qui s'oppose à tout ce qui pourrait la soutenir, par exemple, au rappel des protestants qui auraient rapporté leurs capitaux, leur industrie.—Il est honnête, et cependant il dévie un peu en pratique. C'est, je crois, ce qui le rend de si mauvaise humeur. Il nomme Tellier un scélérat, et il est son ami; d'Effiat, un scélérat et il le sert, la duchesse de Berry un monstre, et il lui laisse madame de Saint-Simon. Il déplore le pillage du Système, résiste, finit par accepter. Comment ne serait-il pas furieux contre le temps, contre lui-même?—Il omet, sciemment, je crois, des faits très-importants, non-seulement l'amour, si public, du Régent pour sa fille, mais l'infamie des petits Villeroi (août 1722), mais les vols de M. le Duc, la pension énorme que Dubois payait à madame de Prie. Il embrouille l'affaire de Leblanc et Bellisle.—Vers la fin, on était si embarrassé de Saint-Simon, de son humeur, de ses spropositi, qu'on le tenait en quarantaine, tout à fait isolé, sans lui rien dire. Il ne sait pas combien il est alors un personnage comique. On s'en amuse. On le consulte sur des choses résolues d'avance (comme l'enlèvement de Villeroi, le ministère de Dubois). Le Régent a la malice et la patience de l'écouter là-dessus pendant des heures quand tout est décidé sans lui.[Retour au texte principal.]
Sur l'Angleterre, sa banque, etc., je suis Bolingbroke, Mahon, Smolett, Pebrer, Macaulay, etc.
Fallait-il se rallier à l'Angleterre ou à l'Espagne? Belle question; elle est ridicule à poser. L'Espagne d'alors fait horreur. Les Italiens qui la gouvernent, Alberoni, la reine, viennent de relever l'Inquisition, que madame des Ursins voulait abaisser. Comment n'a-t-on pas vu cela? Comment a-t-on pris Alberoni pour le restaurateur de l'Espagne, lui qui l'éreinte, la jette dans mille aventures impossibles? Comment prend-on Philippe V pour un Français? Il regrettait, il est vrai, la France, mais il était en même temps plus Espagne que l'Espagne même. Sous lui, 14,000 victimes revêtirent le san-benito et furent suppliciées de diverses manières (sur lesquelles deux mille trois cent quarante-six furent brûlées vives). Voir Llorente, t. IV, p. 28; Coxe, t. III, ch. XXXI, p. 6.—Lemontey (t. I, 432, note) observe que ce chiffre énorme semblera trop faible si l'on consulte (aux Affaires étrangères) les dépêches de notre ambassadeur Maulévrier. Il donne un nombre supérieur relativement, un nombre épouvantable pour sept villes et quatre années seulement.
Le plus horrible, c'est que ce lâche gouvernement qui permet tout cela n'est point du tout fanatique. Dès le lendemain de la mort de Louis XIV (18 septembre 1715), il négocie avec les hérétiques, il sollicite les Anglais contre la France qui s'est ruinée pour sauver l'Espagne. Alberoni, qui vient de relever l'inquisition, se jette dans l'extrême opposé, cherche l'alliance protestante (V. Cox, Smollett, Mahon, etc.). Choquante inconséquence. Rien ne lui coûte pour gagner les devants. Il sacrifie le Prétendant, les dernières recommandations de Louis XIV et toute décence catholique.
En mettant à sa date, aux premiers jours de la Régence, ce coup inattendu qui la frappait, on explique parfaitement, on excuse en partie la fluctuation du Régent. La plupart des historiens font le contraire; ils racontent d'abord ses misères et ses fautes et celles même de 1716. Puis ils reviennent à ces affaires d'Espagne, de septembre 1715, relatent la négociation d'Alberoni, qui, déplacée ainsi et mal datée, ne signifie plus rien du tout.
Si le mauvais coup auquel Alberoni voulait employer Charles XII, l'absurde révolution qui eût mis le Prétendant à Londres, Philippe V à Paris, si cette folie criminelle eût pu se réaliser, elle nous eût retardé pour cent ans. Le Régent avec tout ses vices, toutes ses fautes, son Dubois et le reste, n'a pas empêché la Régence d'étinceler d'esprit et de lumières, d'être une des époques les plus fécondes et les plus inventives. Sous lui, la France et l'Angleterre sont évidemment le progrès. Oui, l'Angleterre, cupide et hypocrite, méthodiste et contrebandière, avec sa plate dynastie allemande et sa corruption de Walpole, l'Angleterre, avec tout cela, c'est le progrès. La France, vers 1720, par Montesquieu, Voltaire, Fontenelle, par l'Académie des sciences, surtout par ses grands voyageurs, dresse au plus haut le phare qui guide désormais la marche de l'esprit humain. L'Angleterre ouvre les mille voies d'activité pratique, commence sérieusement (ce que presque seule elle a fait) l'exploration des mers et la découverte du globe.[Retour au texte principal.]
Note 4: Deux écrivains se sont imposé de nos jours la tâche de réhabiliter Dubois.—À les en croire, tous les contemporains s'y étaient trompés, l'avaient calomnié. Les modernes aussi. Le très-exact et très-fin Lemontey, qui écrit aux Archives des Affaires étrangères, et devant les pièces, a partagé l'erreur commune, M. de Carné (1857), et M. de Seilhac (1862), rendent à ce pauvre Dubois sa robe d'innocence.—Ce qui frappe le plus dans cette découverte, c'est qu'elle semble se faire contre l'avis de Dubois même. Je ne crois pas qu'il en eût su gré à ces Messieurs. Il semble qu'il ait eu une prétention toute contraire. Dans ses correspondances spirituelles et facétieuses, il y a partout la fatuité du vice. Il s'étale, se carre, se prélasse. Il se flatte surtout d'être un drôle habile et retors. Il ne se fâchera pas du tout si on l'appelle un heureux coquin. Les faits, étudiés de très-près, m'obligent d'être de son avis contre ses panégyristes. La gravité magistrale de M. de Carné ne m'impressionne pas, quand je le vois affirmer des choses si étonnantes: Que Louis XIV aurait approuvé l'alliance anglaise» (Revue des Deux Mondes, XV, 844-846), «que sous le Régent et Fleury, la population a presque doublé,» etc. Et comment le sait-il? comment affirmer cette chose énorme, contre d'Argenson et tout le monde?—Pour M. le comte de Seilhac, je n'ai rien à lui dire. Il est du pays de Dubois, de Brives-la-Gaillarde. Il écrit d'après les papiers de Brives et ceux de la famille Dubois. Son premier volume contient des pièces curieuses. Je n'ai trouvé dans le second exactement rien.[Retour au texte principal.]
Ce Fériol avait passé toute sa vie dans les guerres turques en Hongrie, près de Tékély (V. Hammer), et n'était guère moins Turc que le pacha Bonneval. En 1699, il devint notre ambassadeur à Constantinople. Il n'y eut jamais un homme plus fier, plus violent. Jamais il ne voulut paraître sans épée devant le sultan, selon le cérémonial d'usage. Saint-Simon en raconte un trait fort honorable (chap. CCXII, année 1708). Le grand vizir ayant fait des avanies au ministre de Hollande, celui-ci voulut se réfugier chez l'ambassadeur d'Angleterre, qui, malgré l'intime union des deux États, refusa de lui donner asile. Ce fut son ennemi, le Français Fériol, qui lui ouvrit son palais, le reçut et le protégea.—Je reviendrai sur Aïssé et sa fin si touchante. Que de fois j'ai lu et relu ses dernières lettres, pour y pleurer encore et me laver des sottes larmes que me coûtait Manon Lescaut!
À propos de cette Manon, Aïssé la désigne, la lit dès 1727, ce qui ferait croire que Prévost avait détaché et publié des parties des Mémoires d'un homme de qualité, qui ne parurent entiers qu'en 1732. Cette date de 1727 me paraît très-vraisemblable. Quand on sait lire, on lit très-clairement que Manon est de la Régence, et nullement du temps de Fleury.[Retour au texte principal.]
Note 6: La cour de Sceaux, la cour d'Espagne, l'Europe entière croyait à l'inceste du Régent avec ses filles.—Cela est très-peu vraisemblable pour mademoiselle de Valois, absurde pour l'abbesse de Chelles. Quant à l'aînée, duchesse de Berry, il n'y a que trop de vraisemblance. Madame de Caylus dit qu'elle posa pour les dessins de Daphnis et Chloé. Duclos croit que le Régent craignait les indiscrétions de sa fille. Ceux qui écrivent hors de France, comme Du Hautchamp, sont très-affirmatifs et très-explicites là-dessus. Mais ce qui en dit bien plus qu'aucune affirmation particulière, c'est l'ensemble de mille détails, qui, rapprochés, mènent là invinciblement.—Quand Saint-Simon lut au Régent la satire de Lagrange-Chancel, il fut ému, indigné de l'accusation d'empoisonnement, mais non de celle d'inceste.—Pour le fait tiré de Soulavie, je ne l'emprunterais pas à cette source moderne et suspecte, si l'opinion des contemporains sur l'amour du Régent ne le rendait très-vraisemblable. Les autres anecdotes du même auteur, sur les filles du Régent, sur le sacrifice qu'aurait fait mademoiselle de Valois pour tirer Richelieu de prison, semblent imaginés uniquement à la gloire du vieux fat, dont Soulavie avait les lettres et les papiers.—Il est à regretter que Lemontey n'ait point complété son mémoire sur les filles du Régent (Revue rétrospective).—Les lettres de Madame, publiées en 1862, donnent de curieux détails sur l'insolence et l'esprit brouillon de la duchesse de Berry.—C'est en rapprochant Saint-Simon de Du Hautchamp, etc., qu'on peut dater et l'entrée de madame d'Arpajon chez la duchesse, et l'époque de la tentative qui faillit coûter un œil au Régent; enfin, la plaisanterie de d'Aguesseau et sa sortie du ministère (janvier 1718)—sur l'embonpoint de la duchesse. V. Saint-Simon et Duclos, éd. Michaud, p. 503, note d'un contemporain.[Retour au texte principal.]
Note 7: L'histoire très-détaillée et très-instructive de Coxe, tirée des sources espagnoles, fait connaître la parfaite indifférence religieuse d'Alberoni et de la reine, l'indignité des deux intrigants italiens, qui, tout en relevant l'Inquisition, rallumant les bûchers, recherchent l'alliance hérétique. Saint-Simon est curieux sur l'intérieur de cette cour, mais très-suspect. Comblé de caresses et de faveurs, espagnolisé tout à fait par la grandesse qu'on donne à un de ses fils, il peut compter pour un ami personnel de Philippe V et de la reine. Le plus vrai, le plus clair, c'est Lemontey qui nous le donne, d'après les correspondances diplomatiques. La singulière révélation d'Alberoni sur les mœurs de ce roi dévot et les complaisances de la reine, est appuyée et confirmée par ce qu'on sait d'ailleurs des remords fréquents de Philippe V, etc.—Quant à la conspiration de Cellamare, dans Lemontey, c'est un véritable chef-d'œuvre (de même que sa peste de Marseille, son histoire du chapeau de Dubois). On serait bien mal instruit de cette conspiration, si on s'en tenait aux jolis Mémoires de mademoiselle Delaunay (madame de Staal). Elle sait tout, et ne dit presque rien. Les souvenirs de la spirituelle femme de chambre, si charmants dans ses récits de jeunesse, naïfs même dans celui qu'elle fait de sa bienheureuse et galante prison de la Bastille, sont brefs et vagues sur la grosse affaire politique et les secrets de sa maîtresse.[Retour au texte principal.]
Ni lui ni nos économistes modernes, ne mentionnent la première crise de Law (en juillet 1719), lorsque la coalition de Duverney et des agioteurs anglais faillit le faire sauter (p. 165), lorsque Law fut trahi par son agent, etc.—La seconde crise est la fin de septembre 1719, le moment solennel de la grande razzia, la résistance que Law essaya d'y opposer pendant trois jours. Il est fort curieux de voir comment chacun a jugé cette affaire. Les sources principales sont les Arrêts, les récits de Du Hautchamp et Forbonnais. Rien dans Noailles. Un mot dans Dutot, p. 912, éd. Daire. Peu ou rien dans Duverney, qui voudrait bien écraser Law, mais d'autre part, craint de trop éclaircir, pour l'honneur de M. le Duc. Rien dans Barbier. Peu ou rien dans Lemontey. Thiers (Encycl., 81), partout ailleurs si lumineux, n'est ici ni clair ni sévère; il appelle ce filoutage «un défaut de précaution.» Daire, net et fort, très-incomplet, p. 459. Peu dans Louis Blanc, I, 299. Peu dans Henri Martin, 4e édition, XV, 51. Rien dans le Dubois de M. Seilhac. Le meilleur incontestablement est M. Levasseur; seulement, son livre, exclusivement économique, omet, laisse dans l'ombre, les côtés sociaux qui éclaireraient l'économie elle-même. Je dois aux recherches ultérieures et récentes qu'il a faites aux Archives ce fait si important que j'ai donné (p. 188), que la Compagnie, c'est-à-dire Law, eut seule l'honneur de résister trois jours au vol organisé contre les créanciers de l'État.
Mon chapitre des Mississipiens est presque entièrement tiré de Du Hautchamp, dont j'ai classé les détails épars et très-confus. Ses deux histoires du Système et du Visa m'ont toujours soutenu.
Mais le plus souvent je n'aurais pu m'en servir utilement si je n'avais eu mon fil chronologique bien établi par l'excellent journal de Buvat. Comment se fait-il que cet important manuscrit de la Bibliothèque (Supplément, Fr. 4141, 4 vol. in-4o) ait été si peu employé? C'est, je crois, parce qu'on s'est trop arrêté à une note que Duclos a mise en tête de la copie qui est aussi à la Bibliothèque: «Voici un des plus mauvais journaux que j'aie lus. J'avais dessein d'en relever les fautes, mais elles sont si nombreuses ...» etc. Duclos, dont les Mémoires ne font que reproduire Saint-Simon en le gâtant, ne sait pas assez l'histoire de ce temps-là pour juger Buvat. Les fautes de celui-ci n'ont aucune importance. Il est fort indifférent qu'il se trompe sur Mississipi et qu'il croie que c'est une île. L'essentiel pour moi, c'est qu'il me donne jour par jour le vrai mouvement de Paris, celui de la Banque, même parfois ce qui se fait au Palais-Royal et dans les conseils du Régent.
Barbier, quoique plus détaillé et parfois plus amusant, lui est bien inférieur. C'est un bavard qui donne le menu au long, ignore l'important, s'en tient aux on dit de la basoche, aux nouvelles des Pas-Perdus, et qui les date souvent fort mal (du jour où il les apprend). Il ne voit que son petit monde. En 1723, à la mort du Régent, il vous dit: «Le royaume ne fut jamais plus florissant.» Cette ineptie veut dire que les Parlementaires se sont un peu relevés.
Buvat était un employé de la Bibliothèque royale, que le Régent venait de rendre publique. Il voyait de sa fenêtre le jardin de la rue Vivienne où se passèrent les scènes les plus violentes du Système, et il faillit y être tué. Il écoutait avec soin les nouvelles, se proposant de faire de son journal un livre qu'il eût vendu à un libraire (il en voulait 4,000 francs). Il était placé là sous les ordres d'un homme éminent et très-informé, M. Bignon, bibliothécaire du roi et directeur de la librairie. C'était un quasi-ministre, qui avait droit de travailler directement avec le Roi (ou le Régent). M. Bignon était un très-libre penseur, qui avait gardé la haute tradition gouvernementale de Colbert. Chargé en 1698 de réorganiser l'Académie des sciences, il mit dans son règlement qu'on n'y recevrait jamais aucun moine. (Voy. Fontenelle.) Buvat, son employé, dans ce journal, un peu sec, mais judicieux et très-instructif, dut profiter beaucoup des conversations de M. Bignon avec les hommes distingués qui venaient à la Bibliothèque. Il avait des oreilles et s'en servait, notait soigneusement.
Il m'a fourni des faits de première importance. Il me donne l'apoplexie du Régent en septembre 1718, qui coupe la Régence en deux parties bien différentes. Il me donne, en janvier 1720 (à l'avènement de Law au Contrôle général), la proposition au Conseil de forcer le clergé de vendre, etc. Je regrette de ne pouvoir profiter de ses indications sur la destinée ultérieure de Law, et les persécutions dont sa famille fut l'objet.
Quant au moment où Law se crut perdu (5 juin 1720) et voulut sauver le bien de ses enfants, il est rappelé dans une des lettres où madame Law réclame sa fortune, lettre du 5 avril 1727, qui m'a été communiquée par M. Margry. (Archives de la marine.)[Retour au texte principal.]
Note 9: À partir du Visa, pendant plus de deux ans, l'histoire est un désert.—Madame vit encore et écrit, mais rien de suivi, parfois des ouï-dire peu exacts (par exemple, les deux lits roulants du roi d'Espagne, qui n'en eut jamais qu'un).—Barbier est peu sérieux. Il croit que le Régent fait poignarder les nouvellistes. Dans sa curieuse histoire de la religieuse vendue au prince, il établit d'abord qu'il est certain du fait, le tenant d'amis sûrs qui ont su et vu. Puis il s'effraye de son audace, et (sans doute craignant que son manuscrit ne tombe sous l'œil de la police), il se dément; mais il ne biffe pas l'anecdote.—Buvat me soutient mieux. Dans sa sécheresse calculée (qu'il signale et regrette lui-même), il me donne la plupart des grands faits significatifs, par exemple, l'abandon que fit Dubois des essais de réforme de Noailles et de Law, sa lâcheté pour les privilégiés, la défense qu'il fait (juin 1721) de continuer les essais de la taille réelle, etc. Il me fournit tout le détail inconnu de la première communion du Roi, le mépris public que Fleury montre pour Dubois en vendant son présent; fait capital; un homme si prudent n'aurait pas hasardé une telle chose, s'il n'eût été déjà arrangé avec le successeur de Dubois et du Régent, avec M. le Duc.—Duclos n'apprend rien, ne sait rien. Il copie Saint-Simon.—Mais Saint-Simon lui-même, comme je l'ai dit, est soigneusement tenu en quarantaine, isolé; on ne lui dit rien. Il étonne de son ignorance. Il ne sait pas des faits que savait tout Paris.—Lemontey est pour cette fin d'une brièveté désolante. Cependant, ayant sous les yeux les pièces diplomatiques, il m'éclaire dans un point essentiel qu'ignore tout à fait Saint-Simon: c'est que l'Angleterre exigea que Dubois fût premier ministre, autrement dit que la Régence continuât, et qu'on ne tombât pas encore dans les mains folles et furieuses qui auraient compromis la paix du monde, établie si difficilement. Cela illumine toute la finale que Buvat, Barbier et Marais m'aident à filer tellement quellement. Lemontey aurait dû imprimer les curieux papiers qui témoignent du désespoir de Dubois, tout-puissant, mais abandonné. On fuyait vers Fleury et M. le Duc; on craignait Madame de Prie.[Retour au texte principal.]
Au moment décisif où l'on sort de l'enfance, où il put sur le monde jeter un premier regard d'homme, on ne parlait que de l'Asie. À quinze ans, il put lire les Mille et une Nuits (1704), livre persan bien plus qu'arabe. Les publications de Chardin, ses voyages excellents, tournaient l'attention vers la Perse, mais beaucoup plus encore deux romanesques aventures. D'une part, une femme, courageuse et jolie, Marie Petit, maîtresse du négociant Fabre, notre envoyé en Perse, l'avait suivi en habit d'homme, et l'ayant perdu en chemin, elle prit ses papiers, les présents pour le Shah, et, malgré mille obstacles, se constitua bravement ambassadeur de Louis XIV. D'autre part, un aventurier vint d'Orient, se donna pour ambassadeur persan, et, par la connivence de nos ministres, qui voulaient amuser le Roi, il se joua de sa crédulité.
Ce que j'ai dit de l'horreur que Montesquieu dut avoir pour la barbarie des Parlements serait bien plus vraisemblable encore, s'il était vrai qu'en 1718 un sorcier eût été brûlé à Bordeaux. M. Soldan et autres l'ont dit; je l'ai répété d'après eux dans la Sorcière. Cependant, les recherches que MM. les archivistes et MM. Delpit et Jonain ont faites pour moi, n'ont eu aucun résultat.—J'ai cherché aussi inutilement, à la Bibliothèque impériale, les précieux mémoires de Marie Petit (V. l'article de M. Audiffret, Biographie Michaud), et je n'y ai trouvé que les détestables rapports de Michel, domestique de Fabre, et agent des Jésuites, qui persécuta cette femme intrépide, la fit enfermer. C'est un tissu de contradictions qui se réfute lui-même. Ce débat fut très-scandaleux. Il avertit fortement l'opinion, la tourna vers la Perse, à la fin de Louis XIV, à l'époque où probablement le jeune légiste de Bordeaux commença à s'informer, à recueillir les notes, d'où (dix années plus tard) sortirent les Lettres persanes.[Retour au texte principal.]
Note NT-1: Page 85: Dans la présente édition du "Project Gutenberg" la date de 1717 a été substituée à celle de l'édition originale (1617) incompatible avec les évènements décrits.[Retour au texte principal.]
Note NT-2: Dans ce chapitre XVIII qui a trait à l'année 1721, Michelet fait référence à Antoine Crozat, marquis du Chatel (1655-1738), né à Toulouse, financier et constructeur du canal de Crozat qui fait communiquer l'Oise à la Somme (25 km) et à Samuel Bernard, (1651-1739), né à Sancerre, financier qui prêta des sommes considérables à Louis XIV. Le nom de Louis XVI mentionné ici par Michelet (dans l'édition de A. Lacroix, 1877) est donc incompatible avec l'époque où ont vécu Crozat et Samuel Bernard. C'est pourquoi dans la présente édition du "Project Gutenberg" le nom de Louis XVI a été remplacé par celui de Louis XIV.[Retour au texte principal.]