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Histoire de France 1758-1789 (Volume 19/19)

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J'admire les cahiers du Clergé, surprenants d'hypocrisie. Il immole magnanimement ses priviléges pécuniaires. Mais comment les immole-t-il? À quel prix? il faut le savoir: 1º Il mettra sa dette à la charge de l'État (grosse dette, il empruntait toujours pour ne pas toucher à ses revenus); 2º Les revenus des curés seront augmentés;Le clergé répartira lui-même sa part de l'impôt; 4º On conservera la grosse sangsue monastique, les couvents, les Mendiants; 5º Enfin, pour son sacrifice de vouloir donner quelque argent, il faut au clergé donner l'âme,—l'éducation, l'enfant, l'avenir. Car, dit ce bon Clergé, l'âme se perd, la moralité, depuis qu'on n'a plus les Jésuites[22].

Les cahiers, en Bretagne, révélèrent la situation. La Noblesse qui, contre Brienne, avait pris l'avant-garde, et qu'on eût crue la tête de l'armée de la liberté, se montra ce qu'elle était, parut fortement rétrograde. Le Tiers trouvait dans ses cahiers, dans les pouvoirs que lui donnaient les villes, l'injonction de ne rien faire aux États de la province, tant qu'on n'aurait pas accepté le vote par tête, qui seul donnait une valeur sérieuse au doublement du Tiers. Les nobles (900 gentilshommes contre 42 bourgeois) furent outrageusement provoquants. Ils avaient avec eux une masse barbare, grossière, de paysans à eux, valets et domestiques (les chouans de demain) qu'ils lâchaient dans le peuple, criant: «Le pain à quatre sols!» Appel ignoble que le peuple de Rennes eut la fierté de ne comprendre pas.

Alors on essaya de la brutalité. Ces chouans jouaient du couteau. En vain on dissout les États. Les nobles, à eux seuls, tiennent les États dans une église. Ils y sont assiégés par la jeunesse armée, par les forces qu'envoient et Nantes et d'autres villes. Ils se rendent. Mais on n'obtient nulle enquête contre leurs violences. Le déni de justice du Parlement de Rennes est approuvé, favorisé du Roi, qui renvoie tout au suspect arbitrage d'un autre Parlement (Bordeaux). Les avocats de Rennes lui adressent un mémoire. Le Roi le fait poursuivre par son avocat général Séguier; il est brûlé par le Parlement de Paris (6 avril).

La Provence offrit un spectacle analogue et pire: les furieuses résistances des nobles, leurs coupables efforts pour créer des tempêtes dans les grands foyers redoutables, motiver des batailles et des répressions sanglantes, qui pussent ajourner les États généraux. La Cour de même s'y montra partiale pour l'aristocratie. La Révolution y vainquit, mais par un moyen dangereux, de sinistre avenir, en s'incarnant, se faisant homme, un bon tyran, idolâtré du peuple, qui y chercha son dieu sauveur.

Mirabeau semblait peu digne d'être cette idole. Rien de plus tortueux que sa conduite à cette époque. Avec son enfant, sa Nehra, une maison dispendieuse, il choisissait peu les moyens. Il allait fort chez Lamoignon (quoique opposé au coup d'État), recherchait Montmorin, en tira quelque argent pour ne pas publier ses lettres écrites de Berlin au ministre. Montmorin voulait l'absorber, l'aurait fait candidat aux États généraux. Ses lettres de ce temps sont d'un royaliste timide. Les États généraux, tant désirés, l'alarment maintenant, lui semblent précipités. S'il est élu, il sera très-monarchiste. En tuant le despotisme bureaucratique, il faut relever l'autorité royale (Mir., Mém., V, 187-188). Il se fie peu aux masses. Le Tiers n'a ni plan, ni lumières, etc. Avec de telles opinions, si peu de foi au peuple, il regardait vers la Noblesse, vers sa famille, son père, et (faut-il le dire?) vers sa femme et le monde de sa femme! Son père l'eût autorisé à représenter ses fiefs dans la noblesse des États de Provence. Mais les nobles, contre qui il plaidait en 84, allaient-ils l'amnistier? Une lettre qu'il écrit à son oncle, nous apprend qu'il accepterait d'Arimane (du Démon) une place aux États généraux, qu'il se rapprocherait de sa femme même, c'est-à-dire irait à la gloire par la voie d'infamie.

Le hasard le tira de là, lui sauva cette indigne chute.

D'abord Necker, contre Montmorin, s'opposa, refusa de prendre Mirabeau pour candidat du ministère.

Deuxièmement, une femme lui vint,—je ne dis pas un amour,—certaine madame Lejay, femme d'esprit, d'énergie, d'audace, de brutalité colérique, la grossière image du peuple, en qui il sentit cette force, qu'il ne connaissait nullement.

Troisièmement, les insultes, les défis, les risées atroces de la noblesse de Provence, éveillèrent en lui une autre âme, le mirent au-dessus de lui-même, le portèrent à une hauteur qu'il n'eut ni avant ni après.

Gentilhomme jusqu'à la moelle, il avait pourtant de naissance du goût pour s'encanailler dans la société des petits, de ses paysans limousins, provençaux (c'est ce qui indignait son père). D'après eux, il croyait le peuple doux et faible, le Tiers incapable de lutter s'il siégeait en face des nobles dans une même assemblée. Lorsqu'il alla, en novembre, au club qu'Adrien Duport ouvrait chez lui (au Marais, et plus tard aux Jacobins), il n'y vit que la robe, les clabaudeurs du Parlement, et cette élite maussade de la bourgeoisie ne le charma guère.

L'impression fut toute autre devant sa libraire madame Lejay. Béranger, qui l'a connue, m'a donné quelques détails sur cette personne singulière.

C'était une petite femme, jolie, hardie, robuste, vive de la langue et de la main. Sa vigueur au pugilat fut une des choses qui frappèrent, qui charmèrent le plus Mirabeau. Il aimait cette gymnastique. À Berlin, après un travail excessif, il se remettait en se battant, non pas avec sa trop douce Nehra, mais avec son secrétaire, ses valets et tout le monde.

Madame Lejay, qui menait son commerce et sa maison, avait fait la mauvaise affaire d'imprimer la Monarchie prussienne de Mirabeau. Elle vint un matin lui dire que Lejay fermait boutique, que ses échéances arrivaient, que le pauvre homme était perdu. Lui seul pouvait les sauver en leur donnant un manuscrit scandaleux, d'un succès certain. C'étaient ses Lettres de Berlin. Elle était jolie, pressante. Mirabeau allégua qu'il ne les avait point. Il avait pris contre lui-même une précaution singulière. Il avait mis le manuscrit dans les mains d'un jeune homme, sûr, très-honnête, très-dévoué, lui commandant de l'enfermer, et, s'il le lui demandait, de ne pas le lui donner. Comment le tirer de ses mains? Comment livrer ce secret d'honneur déjà payé deux fois? Tout cela n'arrêta guère la violente petite femme. D'emportement, de passion, elle fut irrésistible. Elle aurait battu Mirabeau. Il fit ce qu'elle voulait. Il força le secrétaire où son ami tenait enfermée l'œuvre fatale, la livra. Elle en eut sur l'heure et de quoi payer ses billets, et de quoi faciliter à Mirabeau son voyage d'élection qu'il ne pouvait faire sans argent.

On a dit que Mirabeau ouvrit boutique à Marseille, s'afficha marchand de draps. Le fait est faux. Ce qui est sûr, c'est qu'à ce moment décisif où il allait prendre place dans la noblesse de Provence, il se fit peuple, se déclara contraire à l'opposition qu'elle faisait au doublement du Tiers. Quelque appui qu'il eût au dehors, il était seul dans l'assemblée, au milieu de ses ennemis, nullement soutenu du Tiers (quelques municipaux serviles). Pouvait-il diviser les nobles, se faire un appui parmi eux? On lui fit à ce sujet une très-dangereuse ouverture. Sa femme, qui n'était plus jeune, pouvait, en revenant à lui, lui gagner sa coterie, parents, amis ou amants. Il leur aurait fort convenu de l'avilir, de l'énerver, de l'accabler du patronage de ceux qui le déshonoraient. Il refusa (20 janvier 1789).

L'assemblée était d'avance si bien travaillée contre lui, qu'aux premiers mots qu'il prononça (30 janvier), mots prudents, très-modérés, une tempête de colères, vraies ou simulées, s'éleva. La fureur avec laquelle il fut insulté, dépasse toute haine politique. Évidemment les blessures que firent ses plaidoyers terribles, le coup d'épée qu'il donna alors au petit Galiffet, après quatre ans, saignaient encore. On avait ameuté la masse contre le chien enragé (p. 269). Le plan était de s'en défaire de manière ou d'autre. «Nous l'insulterons, disaient-ils; s'il vient à bout de l'un de nous, il faudra qu'il passe sur le corps à tous.» (262.) Donc on vit ce spectacle indigne de cent quatre-vingts nobles ou prêtres aboyant contre un seul homme. La pétulance du Midi ne connut aucune borne. Les risées furent prodiguées au gentilhomme débonnaire et au mari patient. Il attendait calme et fort, refusant aux provocateurs l'occasion qu'ils cherchaient, contenant dans sa poitrine et accumulant l'orage qui bientôt les écrasa.

Mirabeau put comprendre un pitoyable mystère qui a fait énormément pour hâter la Révolution. C'est la Terreur du duellisme que la Noblesse impunément exerçait sur la nation.

Cent ou deux cent mille fainéants qui ne s'occupaient que d'escrime, constamment humiliaient les gens laborieux, utiles, même les militaires inférieurs qui ne savaient ce petit art. La bravoure ne préservait pas de ces affronts continuels. Des soldats, comme Hoche ou Marceau, étaient rossés comme les autres. Pour les tenir souples et bas, ils avaient imaginé (c'est ce qui a fait plus tard l'horrible affaire de Châteauvieux) de faire courir le soir dans la rue des maîtres d'armes pour défier le soldat. Il était blessé ou tué; s'il refusait, déshonoré.

On parle de la Terreur judiciaire de 93. On ne parle pas assez de la fantasque Terreur qu'exerçait cette Noblesse sous l'ancien régime, et les furieux royalistes de 89 à 92. La garde constitutionnelle, composée de maîtres d'armes, de bretteurs et coupe-jarrets, porta l'irritation au comble. Un membre de la Convention, Grangeneuve, qui était un nain, fut encore, en 92, outragé dans les Tuileries.

Tout cela partait d'en haut. C'était l'amusement de la cour. On en faisait des gorges chaudes chez d'Artois, chez ceux qui s'enfuirent au premier jour même de l'émigration.

Le duel de Mirabeau fut d'un géant, d'un titan. Il arracha de lui-même une montagne, la lança. C'est la foudroyante apostrophe que tous ont retenue par cœur. Aplatis, ils ne répondirent qu'en se dispensant de répondre. Ils prirent un prétexte absurde pour l'exclure de l'assemblée. C'était le 8 février. Le 10, ils eurent de Paris un admirable secours pour perdre et flétrir Mirabeau. On put voir combien le pouvoir, libéral en apparence, était pour l'aristocratie. Le 10, l'avocat du roi demanda au parlement, obtint que les Lettres de Berlin fussent brûlées par la main du bourreau.

Au moment où le géant semble illuminé d'éclairs, la main du bourreau le touche! Qui ne le croirait perdu? Il court à Paris, mais n'ose y entrer de jour. La nuit, il sollicite ses amis. Nul plus sûr apparemment qu'un jeune homme qu'il a poussé. Ce cher ami ferme sa porte, le renie. C'est Talleyrand.

Mirabeau avait plusieurs âmes. Et son âme dantonique s'éveillait dans ces moments. Avec le colonel Servan, l'intrépide girondin, il traduisit, imprima un livre qui aurait fait en haut un coup de Terreur: La Royauté, de Milton. Cette bombe, en éclatant, eût touché le trône même. Servan, dans ses propres livres (Le soldat citoyen), n'avait reculé nullement devant ces moyens d'intimidation. Il y adresse aux militaires de cour les plus directes menaces, les avertit du jugement prochain de la Révolution.

Le Parlement, qui enfonçait dans l'impopularité, avait bien à réfléchir avant de poursuivre, de provoquer personnellement une telle force. Il s'arrêta, il n'osa.

On avait dit en Provence qu'il ne reviendrait jamais. Le syndic de la Noblesse en avait fait une fête. Le jour du banquet, il arrive (7 mars 89).

Mais bien avant qu'il soit à Aix, dès Lambesc, quel est ce grand bruit de cloches dans toute la campagne? Qu'est-ce que c'est sur les routes que cette affluence effrayante?... Étonnant peuple du Midi! Hier, tout semblait dormir. Aujourd'hui tout est en danse. On se l'arrache, cet homme. «Vive le père de la Patrie!» On veut dételer la voiture, s'atteler. Il s'y oppose, il pleure, et laisse échapper un sombre mot prophétique (Mir., Mém., V, 271, 278.)

À Aix, pour fuir l'ovation, la voiture allait au galop. On la suivait à toutes jambes. À travers les fleurs, les couronnes, les feux d'artifice, il arrive, il descend dans les bras du peuple.

À Marseille, le 18 mars, il entre, tout travail cesse. Une masse de cent vingt mille âmes l'enveloppe. Le carrosse est accablé de lauriers, d'oliviers, de palmes. Les frénétiques baisent les roues. Les femmes, dans leur transport, offrent en oblation leurs enfants (279).

Le plus piquant du triomphe, c'est que la petite tête vaine de madame de Mirabeau n'y tient pas. Elle est éperdue de sa gloire. Et cela dura trois ans. Elle acheta, à sa mort, son hôtel, son lit, voulut léguer tout son bien à l'enfant de Mirabeau. Au moment de l'ovation (mars 89), des paysans, apostés très-probablement par elle, allèrent prier Mirabeau de la reprendre, de donner des Mirabeau.

Les nobles étaient si furieux, qu'à Aix, à Marseille et à Toulon, ils firent un coup désespéré. On ne peut le comparer qu'à la folie de Saint-Domingue, quand les colons imaginèrent de lâcher leurs propres nègres, de faire par eux l'incendie, le pillage des plantations. On organisa aux trois villes trois épouvantables émeutes. Cela n'était que trop facile après ce cruel hiver de misère et de famine. Le blé manqua, grande cherté. Le peuple, à Marseille, s'en prit à l'Intendant, au Fermier de la ville, força leurs hôtels, brisa tout, força, pilla les boutiques des boulangers. Le gouverneur, les consuls, épouvantés, donnent au peuple encore plus qu'il ne demande (284), baissant le prix du pain, de la viande, à un bas prix insensé. L'effet naturel eût été, que personne ne voulant apporter du blé à ce prix, on aurait eu la famine. On la faisait dès le jour même, chacun forçant le boulanger à donner du pain pour quinze jours. Le gouverneur s'était sauvé. Marseille était en grand péril. Les Génois, nombre d'étrangers, préparaient d'affreux désordres. Plusieurs auraient eu envie de brûler, piller le port. D'autres, pour grossir leur nombre, parlaient d'ouvrir les prisons, de s'adjoindre les voleurs. Et déjà trois cents bandits échappés couraient la ville.

L'autorité avait péri. Ce fut le gouverneur même de la Provence, réfugié de Marseille à Aix, qui fit appel à Mirabeau, lui dit de «faire ce que son cœur lui conseillerait.» Terrible appel au danger le plus évident, à la ruine presque certaine de sa popularité. On pouvait croire que de toute façon il était fini et tué,—ou tué de sa hardiesse dans une entreprise impossible,—ou, s'il refusait de répondre, tué de honte et de lâcheté.

Il montra un cœur admirable, vola à Marseille, sauva la Provence.

Ce qu'il avait hautement conseillé dans ses écrits, la milice nationale remplaçant toute force armée, il l'organise à Marseille, aidé et par la jeunesse et par les corporations, les portefaix (corporation redoutable). Mais on travaillait en dessous. Le 25, pendant qu'il s'occupe à contenir un mouvement, une nouvelle accablante, décourageante lui vient: Aix et Toulon sont en feu.

À Aix, le consul (marquis de la Fare), celui même qui avait fait exclure Mirabeau des États, fait une indigne tentative pour pousser le peuple à bout, pouvoir frapper, coûte que coûte. Ses provocations, ses injures, ne suffisaient pas, il en vint à dire aux affamés «que le crottin de cheval était assez bon pour eux.» (Mir., Mém., V, 306.) On s'emporte. C'est ce qu'il voulait. Il fait tirer ses soldats. Deux morts et plusieurs blessés. Là, le peuple exaspéré s'élance, rembarre les soldats, les désarme. La Fare se cache. Il est assiégé. Il baisse le prix du pain, il livre les magasins. Enfin de peur, il s'enfuit.

Cette victoire du peuple d'Aix pouvait rendre celui de Marseille plus fier et plus difficile. Ce rude peuple est terrible. Mais le lion se fit agneau. Mirabeau lui expliqua à merveille la situation, l'instruisit et l'apaisa.

Le 26, le soir, aux flambeaux, il fit proclamer la hausse, et le peuple ne murmura pas.

Aix n'était pas apaisé. On menaçait un magasin. Le gouverneur Caraman n'y avait su d'autre remède que de faire venir des troupes, de préparer un carnage. Mirabeau accourt à Aix, et empêche la bataille. Il persuade au gouverneur d'écarter la force armée, de confier la ville à elle-même, aux milices bourgeoises. Des paysans arrivaient pour aggraver le désordre. Mirabeau court au devant, les harangue et les renvoie. Point de sang!... Belle victoire, et vraiment attendrissante. On mouille de larmes ce sauveur, ses habits, ses pas. Tous pleurent, et il pleure aussi (305).

Mais voici le plus merveilleux. Les nobles, cachés tout à l'heure, reparaissent plus fiers que jamais. Ils daigneront être officiers de milices nationales. Mais il faut qu'on expie le trouble, que le peuple soit puni pour avoir été massacré. «Une bonne justice prévôtale.»

«Oui, dit le peuple, pour vous.» Et voilà que les potences, sans Mirabeau, se dresseraient. Il sauva ses ennemis.

Un des plus furieux contre lui avait été certain évêque. On le tenait à Sisteron. Il était en grand péril. Mirabeau court, il harangue; il enlève son évêque et le met en sûreté.

Il fut élu, on peut le dire, non-seulement à Aix, à Marseille, mais en France. Il arriva, porté sur les bras de la France, aux États généraux.

Ce fort et pénétrant esprit, au plus haut de son triomphe, se jugeant sans doute au dedans, sentit certaine tristesse. Était-il digne d'être à ce point exalté, divinisé par ce peuple confiant?

Qu'avait-on adoré en lui? le génie, surtout la force. Son triomphe n'ouvre-t-il pas la voie au culte des forts?

Et si l'orateur est dieu, que sera-ce, chez ce peuple encore si novice et si barbare, que sera-ce du capitaine divinisé par la victoire?

Au moment où il vint à Aix, où le peuple voulait le traîner, il fondit en larmes, disant: «Voilà comme on devient esclave!»[Retour à la Table des Matières]

FIN DU TOME DIX-NEUVIÈME ET DERNIER.

TABLE DES MATIÈRES.

PRÉFACE, I

  • L'Histoire de France est terminée, I
  • Le fil du présent volume est la Conspiration de famille, aujourd'hui prouvée, démontrée, II
  • Les légendes récentes ont été démenties par les lettres mêmes de Marie-Antoinette et de Marie-Thérèse, VII
  • Combien Louis XVI fut Allemand, étranger à la France, X
  • Toujours le roi en France a été l'étranger, XI
  • L'ascendant croissant de la reine, XII
  • Méthode suivie dans ce volume, XIII
  • Adieu à la France d'alors, XV

CHAPITRE PREMIER.

  • Chute de Bernis.—Avénement de Choiseul. 1758, 17
  • Cabale autrichienne des trois Lorraines, 20
  • Elles perdent Bernis et l'Infante, créent Choiseul, 23
  • Choiseul livre la France à l'Autriche, 24

CHAPITRE II.

  • Choiseul.—Son traité autrichien.—Ruine et revers. 1759, 27
  • Ascendant de la Lorraine. Règne des Lorraines, 28
  • Choiseul et sa sœur (Grammont), 29
  • Situation désespérée. Choiseul manque la descente d'Angleterre; banqueroute, 33

CHAPITRE III.

  • L'éclipse de Voltaire. 1759-1761, 40
  • Le parti autrichien fait rentrer Voltaire en France et le loge à Ferney, 44
  • Candide, 45

CHAPITRE IV.

  • Rousseau.—Nouvelle Héloïse. 1764-1761, 49
  • Le Rousseau naturel et le Rousseau artificiel, 50
  • La Savoie, madame de Warens, 52
  • Fluctuations. Il se fait chrétien (1754), 53
  • Les Génevois le lancent contre Voltaire, 54
  • Discordances et reniements. Délire. Madame d'Houdetot (1756), 56
  • Lettres sur les spectacles (1758). Nouvelle langue. Le grand schisme, 57
  • La Julie (janvier 1761), 62

CHAPITRE V.

  • La comédie des Philosophes. Mai 1760.—Mademoiselle de Romans. 1761, 68
  • Rousseau chez madame de Luxembourg, 69
  • Sa belle-fille obtient de Choiseul qu'il supprime l'Encyclopédie et diffame les philosophes, 70
  • Ménagements des dévots pour Rousseau, 71
  • Il les redoute. Caractère bâtard de l'Émile, 78
  • L'amour est à la mode. La Julie du roi, 80

CHAPITRE VI.

  • Pacte de famille.—Règne du Parlement.—Jésuites condamnés. 1761-1762, 82
  • Choiseul s'allie à l'Espagne et la compromet; se fait seul ministre, 83
  • Il amuse les Parlements avec la chasse aux Jésuites, 89

CHAPITRE VII.

  • Les Calas.—Voltaire a affranchi les protestants. 1761-1764, 93
  • Les protestants avaient usé la pitié, 95
  • Calas. Fêtes meurtrières du Clergé dans le Midi, 96
  • Violente pitié de Voltaire; son audace contre les Parlements, 106
  • Ils répondent barbarement par le procès des Sirven, 110
  • Choiseul heureux d'écraser ses amis des Parlements. Triomphe de la tolérance, 112

CHAPITRE VIII.

  • L'Europe.—La Paix. 1763, 114
  • L'ogre russe. Frédéric le détourne de la Prusse sur la Pologne, 117
  • Choiseul ne dispute que pour l'Autriche, 120
  • La France exclue du monde, ruinée en Amérique et en Asie (1763). Destruction des races américaines, 121
  • Choiseul s'assure des Parlements et se fait sept années de règne, 125

CHAPITRE IX.

  • Tyrannie de Choiseul sur le roi.—Morts de la Pompadour, du Dauphin, de la Dauphine. 1763-1766, 126
  • Choiseul brave le roi et le dauphin, caresse l'opinion, 128
  • Agence secrète du roi, le chevalier d'Éon, 132
  • Embarras et humiliation du roi, 139
  • Lutte de la sœur de Choiseul et de la Pompadour qui meurt (1764), 141
  • Mort du Dauphin (1765), et lutte des Choiseul avec la Dauphine qui meurt (1766), 144
  • Vie du roi, peureuse et furtive; l'enfant cachée, 148

CHAPITRE X.

  • Fin des Choiseul. 1767-1770, 150
  • Choiseul fort par Vienne et Madrid; sa fatuité dangereuse, 151
  • Influence de sa sœur; règne de mademoiselle Julie. Corse, Lally, etc., 152
  • Choiseul dupe de Vienne; ne prévit rien. Partage de la Pologne, 155
  • Il provoque la guerre; nous lègue la banqueroute, 158

CHAPITRE XI.

  • La Du Barry.—Mort de Louis XV. 1770-1774, 160
  • Le parti dévot oppose la Du Barry à Choiseul, 163
  • Choiseul nous impose l'Autrichienne, menace le roi, tombe (24 décembre 1770), 166
  • D'Aiguillon, Maupeou, Terray; le coup d'État. Mémoires de Beaumarchais, 168
  • Les deux partis se disputent le roi mourant (mai 1774), 170

CHAPITRE XII.

  • Avénement de Louis XVI. 1774, 172
  • Louis XVI fut tout Allemand (par sa mère), Marie-Antoinette Lorraine (par son père), 172
  • Forcé de l'épouser, il n'y voit qu'un agent de l'Autriche, 173
  • Elle suit les conseils de sa mère, qui la trompe (4 mai 1771), pour le partage de la Pologne, 177
  • Elle s'empare de son jeune mari (juin 1771), 177
  • Bonne nature du dauphin, charme et légèreté de la dauphine, 179
  • Avénement (10 mai 1774). Effort du jeune roi pour écarter l'influence autrichienne; il repousse Choiseul, appelle Maurepas, Vergennes, 180
  • Sa chute morale (juillet 1774). Il chasse Rohan, Broglie, ceux qui l'éclairaient sur l'Autriche, 183
  • Triomphe de la reine, son tempérament violent; madame de Lamballe, 185

CHAPITRE XIII.

  • Ministère de Turgot. 1774-1776, 187
  • Les exagérations des Économistes furent utiles; il fallait ranimer la production découragée, 189
  • Génie indépendant de Turgot, nullement serf des Économistes, 190
  • Comment le roi le prit sans le connaître, 191
  • La Marseillaise du blé, 192
  • Son plan: Culture affranchie. Industrie affranchie. Raison affranchie, 193
  • Intrigue des Choiseul qui font rappeler le Parlement (novembre 1774). 194
  • Ligue universelle contre Turgot, émeute factice, 195
  • Faiblesse du roi; le Sacre, 196
  • Turgot refuse de doter les gens agréables à la reine; il tombe (mai 1776), 201
  • Le roi peu éducable; il trompe Turgot et se trompe, garde tout son cœur au passé, 204

CHAPITRE XIV.

  • Transformation des esprits. 1760-1780.—L'élan pour l'Amérique.—La guerre. 1777-1783, 206
  • Grandeur morale de la France; trois accès de croissance en vingt ans, 207
  • Influence de Rousseau, Raynal.—Enfants sublimes, 208
  • Beaumarchais jure que l'Amérique vaincra (25 septembre 1776), 209
  • Combien elle était peu républicaine. Paine coupe le câble qui l'attache à l'Europe, 211
  • Déclaration d'indépendance (juillet 1776), 213
  • Secours de Beaumarchais (janvier 1777). Départ de La Fayette (avril), 214
  • Necker. La confiance qu'il inspire permet à la France d'emprunter et de se ruiner pour l'Amérique, 216
  • Le roi contraint par l'opinion d'agir pour l'Amérique (février 1778), et par la reine d'agir pour Joseph II, 218
  • Marie-Thérèse implore sa fille, qui devient enceinte le 18 mars 1778, 219
  • Le roi agit peu ou mal pour l'Amérique, se réserve pour l'Autriche, sauve et indemnise Joseph (1779), 223
  • Force de l'opinion. Necker, par le Compte rendu, relève encore le crédit, trouve l'argent nécessaire à la guerre 224
  • Le roi forcé d'envoyer une armée. Victoire et délivrance (28 septembre 1771), 225
  • Chute de Necker (mai 1781). Vaillance inutile de d'Estaing, Suffren, paralysés par l'aristocratie. Paix précipitée (1783), 226

CHAPITRE XV.

  • La reine.—Calonne et Figaro. 1774-1784 229
  • Éclat qui entourait la reine.—La lutte de Glück et Piccini. Succès de Grétry, Monsigny, de Parny, de Fragonard. Le Barbier de Séville, etc. 230
  • Goût pour Lauzun. Ascendant de Coigny. Fidélité de Fersen 231
  • Les Choiseul remplacent la Lamballe par la Polignac (mai 1776) 234
  • Les meneurs de la Polignac. Longue servitude de la reine (1776-1787) 236
  • Ils s'emparent de la Guerre (1781), des Finances (1783). Calonne 238
  • Ils font représenter Figaro (17 avril 1784) 241
  • Le roi met Beaumarchais à Saint-Lazare 243

CHAPITRE XVI.

  • Montgolfier. Lavoisier.—Rohan et la Valois. 1783-1774 244
  • L'impossible supprimé, Première ascension en ballon (21 novembre 1783) 245
  • L'homme devient un créateur. Lavoisier (1775) 246
  • Est-il en lui-même un guérisseur. Mesmer, Cagliostro 247
  • Folies de Joseph II appuyées de la reine 248
  • Rohan se fait agent de Joseph, veut remplacer Calonne 249
  • Sa maîtresse, madame de Valois (Lamotte) 250
  • Légèreté de la reine, goût des farces, des mystifications 254
  • La Valois amuse la reine d'une mystification de Rohan (juillet 1784) 256

CHAPITRE XVII.

  • Le Collier. 1785. 259
  • La reine brouillée avec Calonne pour l'achat de Saint-Cloud 260
  • Elle consulte Cagliostro que Rohan a établi près de lui 262
  • Sa passion pour les diamants; on lui offre le Collier (février 1785) 263
  • Fatuité de Rohan. Il ne peut payer le Collier (juillet) 269
  • Son arrestation (15 août). La Valois refuse de fuir 270

CHAPITRE XVIII.

  • Procès du Collier. 1785-1786. 272
  • Rohan dirigé par Georgel, se sauve aux dépens de la Valois 273
  • Ménagements singuliers du roi pour Rohan 277
  • Ni le roi, ni le Parlement, ni le Clergé ne veulent de procédure publique 278
  • On laisse Rohan faire lui-même l'enquête des joailliers de Londres 280
  • On force les magistrats de trouver bonne la pièce rapportée de Londres 282
  • La Valois contenue, muselée, dirigée, crue agent de la reine 284
  • Triomphe de Rohan. La Valois fouettée, marquée; à la Salpêtrière 288
  • Elle devient une légende, échappe, se justifie, se tue 292

CHAPITRE XIX.

  • Révolution dans la Famille.—Mirabeau. 1776-1786 297
  • Le roi à Cherbourg. Sensibilité 298
  • Son attachement au passé, aux vieux abus 299
  • Sa facilité pour accorder aux familles des lettres de cachet 300
  • Dureté de la Famille. Les sacrifices humains. Couvents et prisons 301
  • Les Mirabeau. La voix de Vincennes (1778-1781) 303
  • Le Mirabeau réel; ridiculement exagéré 306
  • Son procès pour sa femme (1783). Sa sœur. L'enfant mystérieux 312
  • Comme Rousseau, il part du désespoir 314
  • Franklin le relève. On le fait écrire contre Washington, contre Beaumarchais (1784-1785) 315

CHAPITRE XX.

  • Calonne.—Comédie des Notables. 1787 317
  • Charlatanisme de Calonne, ses meneurs 318
  • Il crève la caisse publique 319
  • Le roi était-il innocent des actes qu'il signait tous les jours? 321
  • Sa passion. La reine en 1787. Portraits 323
  • Combien le roi est loin de lui-même, du Louis XVI dauphin et du Louis XVI de 1774 325
  • Les Notables expédient pour amnistier le gaspillage et trouver de l'argent 326
  • Ruses grossières auxquelles le roi se laisse associer. 330
  • La fallacieuse machine des Notables 331
  • Calonne rejette le déficit sur Necker 332
  • Il est repoussé des Notables, renié du roi 333
  • Chute du roi; la reine lui impose un prêtre athée 334

CHAPITRE XXI.

  • La Reine et Brienne.—Fera-t-on la banqueroute? 1787 337
  • Brienne, créature du parti autrichien, est la défaite du parti Polignac 337
  • La reine, déconsidérée, prend publiquement le pouvoir 338
  • L'Anglais Dorset lui fait abandonner la Hollande 340
  • Brienne repoussé des Notables. Le Parlement demande les États généraux 343
  • Exil et retour du Parlement. Tentative d'escamoter 420 millions. Dénoncée par Mirabeau. Elle avorte (19 novembre 1787). Fureur du roi 348
  • On conseille et on glorifie la banqueroute. Doctrine de Saint-Simon, Besenval, Linguet, etc. 354

CHAPITRE XXII.

  • Le coup d'État.—Les résistances de Bretagne, Dauphiné, etc.—Convocation des États généraux. Mai-août 1788 357
  • La reine siége aux conseils, y prend la voix prépondérante 358
  • Tentations de violence. État de l'armée 359
  • Écrasement du Parlement, Cour plénière, etc. Le roi n'aura plus de conseil que ses domestiques (8 mai 1788) 361
  • Les pairs font une Déclaration des droits (3 mai) 364
  • Arrestation de d'Ésprémesnil (5 mai) 365
  • Protestation des Parlements (2-9 mai) 366
  • Résistance de la Bretagne. Lutte de Rennes (10 mai) 367
  • Résistance du Dauphiné. Combat de Grenoble (7 juin) 370
  • La noblesse de Grenoble rétablit les anciens États. Vizille (27 juillet) 380
  • Toute la France suit le Dauphiné 381
  • Vigueur du gouvernement, mais la troupe n'est pas sûre 384
  • Le Grand Conseil demande la tête de Brienne, menace le roi (19 juin) 384
  • Brienne convoque les États généraux (8 août) 385

CHAPITRE XXIII ET DERNIER.

  • Les fusillades de Paris.—Necker.—Cahiers.—Élections.—Mirabeau. Août 1788-avril 1789 388
  • Le roi appelle Necker, veut l'exploiter, garder son ministère 389
  • Chute de Brienne et Lamoignon. Fêtes de Paris. Massacres (septembre 1788) 390
  • Faiblesse de Necker. Ménagements pour la Cour, l'Aristocratie 393
  • On convoque les Notables pour soutenir les privilégiés (décembre) 395
  • Le coup de Sieyès: Le Tiers est le tout 396
  • La Noblesse recule, et s'avoue rétrograde 398
  • Cruel hiver et famine 399
  • Le roi n'osa refuser le Doublement du Tiers (27 décembre 1788) 400
  • Caractère équivoque du Règlement d'élection (24 janvier 1789) 401
  • Violente lutte pour l'élection de Mirabeau 408
  • Mirabeau sauve la Provence, triomphe; prévoit la tyrannie 414

Paris.—Imprimerie Moderne (Barthier, dr.), rue J.-J.-Rousseau, 61.

Note 1: Est-ce à un étranger qu'on doit remettre l'épée, l'armée et le salut? grosse question.—Un livre spécial là-dessus, un livre fort est parti de Zurich, livre amer, mais salubre et sain (chose aujourd'hui si rare), plein de réveil et plein de vie, dont plus d'un dormeur vibrera. (Dufraisse, Histoire du droit de guerre et de paix, de 89 à 1815. Paris, éd. Lechevalier.)[Retour au texte]

Note 2: L'ignorance où l'on était, explique l'indulgence des historiens, de MM. Thiers, Mignet, Droz, Louis Blanc, Lanfrey, Carnot, Ternaux, Quinet.—C'est en juin 1865, que M. Geffroy, le premier en France, fit connaître la publication d'Arneth, apprécia les vraies et les fausses lettres du Roi et de la Reine avec une ingénieuse et intéressante critique.—Voir l'appendice de son livre Gustave III et la cour de France, si riche de faits nouveaux sur l'histoire de ce temps.[Retour au texte]

Note 3: En revanche, j'ai développé certains faits vraiment capitaux, par exemple, la révolution de Grenoble qui fit celle de la France, et pour laquelle M. Gariel m'avait ouvert les sources les plus précieuses.—Je regretterais beaucoup plus mes lacunes si mon ami, M. Henri Martin, dans sa judicieuse histoire, si riche en précieux détails, n'y suppléait souvent avec autant d'exactitude que de talent.—L'histoire de l'art est mieux dans les fines et savantes notices de MM. de Goncourt, que je n'aurais pu faire.—Deux sérieux esprits, si nets et si loyaux, MM. Bersot, Barni, ont donné sur nos philosophes d'excellents jugements qui resteront définitifs. Ils corrigent ce que peut avoir peut-être d'excessif ma critique de Rousseau.[Retour au texte]

Note 4: L'histoire était romanesque, mais moins invraisemblable qu'on n'a dit. Don Carlos n'avait nul rapport avec son père Philippe V, ennemi des nouveautés, serf (à l'excès) de l'habitude. Par sa facilité extrême à adopter les réformes, sa partialité pour les Italiens, par l'adoption empressée de leurs plans les plus utopiques, Carlos, on ne peut le nier, rappelait fort Alberoni. Celui-ci avait été maître un moment de la Farnèse. Il l'avait créée, inventée, tirée de son grenier de Parme, mise au trône de l'Espagne et des Indes. Italienne chez les Espagnols, seule et mal vue, elle n'avait d'appui que cet Italien. Elle fut six mois sans être grosse, ne prenant nulle racine encore contre le fils du premier lit. Son mentor Alberoni put lui rappeler comment Anne d'Autriche, enceinte à tout prix, se moqua de tous et régna. Alberoni était un nain, un gnome aux paroles magiques, diable noir aux yeux de diamant. Il fit miroiter devant elle le monde défait, refait par lui, un Don Carlos roi d'Italie, qui plus tard, devenant roi d'Espagne, serait un autre Charles-Quint. Elle n'était pas libertine, mais furieusement ambitieuse. Il en serait né Don Carlos.—Elle n'aurait conçu du roi qu'à la chute d'Alberoni. Celui-ci croyait la tenir par le secret; il la raillait. Elle fut obligée de le perdre. Elle espérait le tuer, l'enterrer avec ce secret. Elle envoya des assassins, mais par miracle il échappa.—Voilà le roman, bien lié, et qui eût pu réussir entre les mains de gens habiles autant que l'étaient les Jésuites. Serait-ce la cause réelle qui irrita tellement Don Carlos contre eux, le poussa plus qu'à l'expulsion de l'ordre, mais à des traitements sauvages, qu'on aurait crus de vengeance, qui semblaient avoir pour but la mort même des individus? (V. Al. de Saint-Priest, etc.)[Retour au texte]

Note 5: Cela acheva l'Infante. Cette belle, comme Henriette, sa sœur, quoique beaucoup plus brillante, avait toujours été malsaine, ce que semblait révéler par moment un signe commun, une petite gale au front. Henriette mourut de l'avoir fait rentrer. L'Infante peut-être de même. En décembre, elle fut prise d'une de ces maladies putrides qu'on appelait toutes alors petites véroles. L'éruption se fait mal. En huit jours elle est foudroyée. On avait grande impatience qu'elle mourût, fût emportée, de crainte qu'elle n'infectât tout. Le Roi avait son carrosse, ses chevaux qui hennissaient; il voulait fuir à Marly. Et tous. Ce fut une déroute. L'odeur était insupportable. Deux capucins qui faisaient vœu de se dévouer à ces choses, ne purent aller jusqu'au bout. L'idole, la galante, la belle, maintenant l'horreur de tous, fut sans pompe emportée le soir, jetée à Saint-Denis (Barbier, Hausset, etc.).[Retour au texte]

Note 6: Toute critique sur Rousseau sera vaine, si l'on ne fait pas d'abord l'examen de ses précédents,—j'entends les précédents de sa langue (de Refuge, et de Savoie),—les précédents de ses idées. Pourquoi ne dit-on jamais que Mably le précéda dès 1749? Que Morelly fit un Émile, un remarquable Traité d'éducation dès 1743, que sa Basiliade précéda d'un an le Discours sur l'inégalité, qu'elle parut en 1753? Rousseau, dans ce Discours, part de l'idée de Morelly, puis l'abandonne et recule. Il savait à fond tout cela, au moins par Diderot, son brûlant médiateur, qui chauffa le fameux Discours.[Retour au texte]

Note 7: Elle attribue calomnieusement aux philosophes en général un mot léger d'Helvétius. Mais qu'ils n'adoptèrent nullement, et que Voltaire reproche à Helvétius (Corresp., éd. Beuchot, t. LX, p. 357).[Retour au texte]

Note 8: Madame du Hausset ne date pas. Mais Barbier date très-bien et nous dirige parfaitement. Il dit en décembre 1761: «Depuis un an environ, on a fait connaître au Roi une fille de vingt et un ans, qui a de l'esprit, etc.» Cela nous reporte à décembre 1760. Elle accoucha le 12 janvier 1761; donc, fut enceinte en mars 1760, au moment du plus grand éclat de la Julie imprimée (Barbier, VII, 426).[Retour au texte]

Note 9: Dans ce chapitre je suis partout renseigné, soutenu, par le Calas de M. Coquerel fils, un véritable chef-d'œuvre, auquel on ne peut reprocher qu'un excès de modération. Mais que de choses je supprime, et combien je suis privé de ne pas dire ce que je dois à son oncle, l'auteur des Églises du Désert, à notre savant M. Haag, à notre éloquent Peyrat, à M. Read, au trésor de son Bulletin historique du protestantisme![Retour au texte]

Note 10: Frédéric, si fort, si grave, si juste dans ses jugements, si sévère pour ses amis, dit cela, et je le crois. Le pauvre Paul que l'histoire a de même calomnié, était homme de grand cœur. Il eût voulu réparer, pleura devant Kosciusko.[Retour au texte]

Note 11: Dans l'Histoire de la Pologne des deux Mickiewicz, pleine de faits nouveaux, d'idées grandes et profondes, je trouve une fort bonne note qui éclaire l'affaire obscure des dissidents (p. 433). C'étaient uniquement les calvinistes et luthériens (et non les grecs, alors réunis à l'Église romaine). Les dissidents n'étaient nullement en servitude, comme le disaient la Russie et la Prusse. Ils avaient deux cents églises et la parfaite liberté de culte. Ils occupaient des grades dans l'armée. Mais on les excluait des charges. On leur refusait le droit de voter. Dans un pays sans doute où le veto d'un seul arrêtait tout, il semblait dangereux de faire voter des gens qu'appuyait l'étranger (Mickiewicz, 1866).—J'insiste peu sur cette grande affaire. Elle absorberait mon récit. Et je dois avant tout tenir ferme et serré le fil intérieur de la France.—Pour la même raison, j'ai peu parlé de la suppression des Jésuites, m'en rapportant à tant d'écrits qu'on a faits là-dessus, spécialement à celui d'Alexis de Saint-Priest. Pour bien comprendre la scène principale, celle de l'Espagne (1766), il faut se rappeler ce que j'ai dit dans une note du premier chapitre (1758), pour leur complot sur notre Infante et pour faire croire Charles III bâtard adultérin et fils d'Alberoni.[Retour au texte]

Note 12: Elle était vraiment bonne. Brissot en conte un trait charmant. En 1778, quand Paris et la France s'étouffaient à la porte de Voltaire, Brissot, alors fort inconnu, un pauvre auteur mal mis, n'avait pu pénétrer, s'en allait tête basse. «À ce moment, dit-il, une jeune personne éblouissante sort, voit ma triste mine, s'émeut, me dit: «Monsieur, que vouliez-vous?—Voir M. de Voltaire.—Eh bien, dit-elle, je remonte: j'obtiendrai qu'on vous fasse entrer.»[Retour au texte]

Note 13: MM. de Goncourt ont retrouvé ce nom. Tout ceci chez eux est fort curieux, très-neuf, fondé sur des pièces précieuses, des manuscrits, etc.[Retour au texte]

Note 14: Elle eût fort bien pu l'être. Leurs rapports, sans être complets, pouvaient être féconds; cela se voit souvent. Les trop zélés apologistes de la Reine, pour excuser ses fautes, voudraient nous faire accroire que le Roi était froid pour elle ou impuissant. Baudeau nous précise la chose (juin-juillet 74). Il avait seulement ce qu'ont souvent les plus robustes chez qui les attaches sont fortes. Nombre d'enfants (Mirabeau par exemple) ont un petit obstacle analogue, au frein de la langue; on le coupe pour la délier; souvent aussi cela se délie de soi-même. Il n'en fallait faire tant de bruit. Nous n'en parlerions pas si les gens de la Reine (Campan, etc.) n'avaient adroitement trompé le public là-dessus.[Retour au texte]

Note 15: Les dates ici sont tout. On peut les établir non-seulement par George (I, 302), par Soulavie (III, 179), mais surtout par Baudeau, fort désintéressé, fort instruit, et intime ami d'un ministre qui put lui dire tout (Baudeau, Revue rétrosp., III, 272, etc.).[Retour au texte]

Note 16: Madame de Campan (I, 99) dit crûment l'étrange étiquette, choquante et indécente, qui fut pour la Reine un supplice avec sa première duègne (V. Hyde) et qui en vérité ne pouvait être tolérable qu'avec la créature aimée, l'unique à qui on est bien sûr de ne déplaire jamais.—Les grandes dames, pour ces petits mystères, aimaient à s'élever une enfant aimable et discrète, souvent une demi-demoiselle (V. Sylvine, Staal). Couchée près de l'alcôve dans la toilette intime, brodant, lisant le jour derrière un paravent, elle savait exactement tout. À Vienne, tout passait par ces mignonnes favorites (de qui la Prusse achetait les secrets). Elles étaient de grandes puissances. Le vieux Duval, vivant à Vienne, le savait bien. On voit dans ses Mémoires qu'il ne courtise pas l'Empereur, mais deux femmes de chambre, une sage fille de Marie-Thérèse et une jolie Russe, de celles avec qui la Czarine aimait à folâtrer.—Une gravure allemande, faite à Paris sous Marie-Antoinette, exprime ces mœurs naïvement: le Lever, 1774: Freudsberg invenit; Romanet sculpsit.[Retour au texte]

Note 17: V. S. Simon sur Rose, et ce qu'en dit M. Feuillet de Conches, Revue des Deux Mondes, 13 juillet 1866.[Retour au texte]

Note 18: Georgel, et madame Campan, apologistes l'un de Rohan, et l'autre de la reine, ont intérêt à tout brouiller. Je les serre de très-près, avec les six volumes des mémoires d'avocats et témoins, avec Besenval, Augeard, Beugnot, surtout avec le Mémoire justificatif de la Valois (1788), qui, sauf sa calomnie sur les galanteries de la reine, est très-fort, bien lié, suivi, et la pièce vraiment capitale (Bibl. impér. Réserve). Il me serait facile de relever les erreurs innombrables, volontaires ou involontaires, de Georgel et de madame Campan. Il y en a une bien grossière: ils placent la scène du bosquet (qui est de juillet 1784) en 1785, dans l'affaire du collier, au moment du premier payement (Georgel, II, 80; Campan, II, 355).[Retour au texte]

Note 19: La mère est le plus fort. Il est affreux de voir, chez ce dur patriarche, Agar chassant Sarah, les servantes maîtresses mettant la maîtresse à la porte, une mère de onze enfants qui lui a apporté 60,000 livres de rente. Plus tard, il veut qu'elle reçoive une intrigante dans sa chambre, son lit. Il la fait interner, il la fait enfermer. Il la fait enlever pour la mettre (à son âge!) à la cruelle maison de Saint-Michel. Elle y serait restée à jamais ignorée, ne pouvant pas écrire, si sa fille n'eût intrépidement dénoncé la chose au Parlement.—C'est la mère qu'il hait et poursuit dans la fille, le fils aîné. Rien de plus vain que ses accusations contre son fils; ses dettes étaient fort peu de chose et ses désordres moindres que ceux des autres officiers du temps. Quant à Sophie, il ne l'enleva pas; c'est elle plutôt qui l'enleva. Elle avait, à dix-huit ans, épousé un octogénaire, qui souffrait très-bien le jeune homme, l'allait chercher quand il ne venait pas. Sophie n'endura pas cet indigne partage. Elle se serait tuée si elle n'avait fui et rejoint Mirabeau.—Le fils est cent fois moins libertin que le père. Celui-ci, avec son orgueil sauvage et ses formes austères, son dur génie de style qui fait illusion, a un côté bien bas qu'on ne peut oublier. Il gagne à les faire enfermer, mange leur bien avec ses coquines.—Histoire commune alors. Elle explique pourquoi on jetait ses enfants si aisément par la fenêtre, aux couvents, aux prisons, aux colonies, etc. Pour suffire aux dépenses insensées, aux désordres, il faut des sacrifices humains. La Famille représente exactement l'État. Folie des deux côtés, et des deux côtés Déficit.—On fait grand bruit pour l'ancien monde des enfants que Tyr ou Carthage, dans de rares circonstances, dans des dangers extrêmes, jetaient au brasier de Moloch. Et l'on rappelle à peine que, bien plus de mille ans, la famille chrétienne jetait ses enfants au sépulcre. Long supplice, plus cruel peut-être. J'ai dit au XVIIe siècle l'immense extension des sacrifices humains. J'ai cité la famille des Arnaud. Chez le premier, sur quinze enfants, sept filles religieuses, et qui meurent jeunes. Chez le second, sur douze enfants, six filles religieuses, qui la plupart meurent jeunes, etc. C'est bientôt dit, mais qui saura jamais ce que ces simples mots contiennent de désespoir et de dépravation? La Religieuse de Diderot (imprimée tard, à la Révolution) en est un portrait faible encore. Les grands procès (Aix, Loudun, Louviers, la Cadière, etc.) sont des percées dans ces ténèbres. Mais rien n'éclaire l'histoire des mœurs autant que les procès des Mirabeau. Écrivant ceci en Provence, j'ai pu (grâce à mes amis d'Aix, Marseille et Toulon) lire les Mémoires et plaidoyers contradictoires de Mirabeau et de Portalis. Pièces infiniment curieuses qu'on devrait réunir, réimprimer d'ensemble. On peut y voir combien la piété filiale de M. Lucas de Montigny a atténué, adouci, supprimé.[Retour au texte]

Note 20: La folie était infaillible dans les prisons épouvantables qu'on employait depuis le Moyen âge. La plupart furent certainement, dans l'origine, des in pace ecclésiastiques. La tour de Châti-moine, à Caen, avait le sien à une profondeur de trente pieds, dans une cave, sans jour, presque sans air. Autour, de petites cellules où l'on était comme scellé dans le mur. Chacune à sa porte de fer avait un petit trou où passait le pain, les ordures. Dans cet horrible lieu, visité en 85, on trouve une femme toute nue. Une autre de dix-neuf ans y est dans une basse-fosse, les jambes dans l'eau, au milieu des reptiles. À Saint-Michel-en-Grève, cette funèbre abbaye, la fameuse cage de fer était placée dans le vieil in pace des moines, cave voûtée, pratiquée sous leur cimetière. Le prisonnier avait sur lui les morts. Du cimetière à travers la voûte, l'eau filtrait; il recevait la pluie glacée. V. MM. Le Héricher, Joly, Hippeau (Archives d'Harcourt), Beaurepaire (Antiq. norm., XXIV, 479).[Retour au texte]

Note 21: La maison de la reine, plus splendide que celle du roi, coûtait 4 millions 700,000 livres (V. le budget de 1783, État de la France en 89, par Boileau, p. 412). Ajoutez-y les pensions de certains amis personnels: Dillon, 160,000; Fersen, 130,000; Coigny, 1 million par an (ibidem, p. 338, d'après le Recueil des pensions, imprimé en 90 à l'encre rouge). Coigny avait de plus la Petite Écurie, qu'on supprima; il y perdit 100,000 livres de rente. La reine réduisit 1 million sur sa maison. Le roi en fit autant sur ses gardes, ses chasses, etc. Cette réforme pénible traîna fort, n'arriva qu'au 11 août; l'effet fut manqué.—La reine imaginait qu'une si noble société prendrait bien tout cela. Le contraire arriva. Coigny fit une scène épouvantable au roi et lui lava la tête. Tous parlaient, clabaudaient. Besenval assez durement dit à la reine: «Il est affreux de vivre dans un pays où on n'est sûr de rien. Cela ne se voit qu'en Turquie.» (II, 236).[Retour au texte]

Note 22: Cela est fort curieux. La majorité du Clergé qui écrit ceci, ce n'est pas, comme aux assemblées de cet ordre, l'épiscopat, c'est le clergé inférieur, ce sont surtout ces curés dont plusieurs, sous divers rapports, seront révolutionnaires. Mais ils n'en restent pas moins prêtres. On le voit dans certains articles de la visite des prisons dont parlent les autres ordres. M. Chassin remarque très-bien (livre III, ch. II) que le Clergé n'en parle pas. Il se soucie peu d'introduire le magistrat dans les cruelles prisons d'Église, dans ces ténébreux in pace. Le Clergé et la Noblesse s'accordent pour rester juges, pour garder leurs tribunaux ecclésiastiques, leurs tribunaux féodaux, ces justices qu'on peut dire la moelle même de l'iniquité. Ceux où le Clergé jugeait des questions de mariage, le rendait maître de la femme, de l'homme (à son moment faible), de la famille elle-même.[Retour au texte]

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