Histoire de France - Moyen Âge; (Vol. 3 / 10)
Le vieux roi était gouverné par une jeune femme mariée, Alice Perrers, femme de chambre de la reine, belle, hardie, impudente[617]. La pauvre reine, qui voyait tout, avait fait en mourant cette prière au roi: «qu'il voulût bien se faire enterrer près d'elle à Westminster», espérant l'avoir à elle, au moins dans la mort.
Les joyaux de la reine furent donnés à Alice. La créature se faisait donner, prenait ou volait. Elle vendait des places, des jugements même. Elle allait de sa personne au Banc du Roi solliciter des causes. Les juges d'Église, les docteurs en droit canon, étaient exposés dans leurs jugements à voir la belle Alice venir hardiment leur parler à l'oreille. Le Parlement somma le roi d'éloigner cette femme et d'autres mauvais conseillers.
Le prince de Galles mourut, laissant un fils tout jeune. Le duc de Lancastre, entre ce neveu enfant et son vieux père, se trouvait effectivement roi. Les conseillers revinrent. Le vote d'une grosse taxe fut extorqué au parlement. Le duc, qui avait besoin de bien d'autres ressources pour sa future conquête d'Espagne, se préparait à mettre la main sur les biens du clergé. Déjà il avait lancé contre les prêtres le fameux prédicateur Wicleff; il le soutenait, avec tous les grands seigneurs, contre l'évêque de Londres. Les gens de Londres, sur un mot insolent de Lancastre contre leur évêque, se soulevèrent, et faillirent mettre le duc en pièces.
Pendant tout ce bruit, le vieil Édouard III se mourait à Eltham, abandonné à la merci de son Alice. Elle le trompait jusqu'au bout, restant près de son lit, le flattant d'un prochain rétablissement, l'empêchant de songer à son salut. Dès qu'il perdit la parole, elle lui arracha ses anneaux des doigts, et le laissa là.
Le fils et le père étaient morts à un an de distance. Ces deux noms, auxquels se rattachent de tels événements, sont peut-être encore les plus chers souvenirs de l'Angleterre. Quoique le prince ait dû en grande partie à Jean Chandos ses victoires de Poitiers et de Najara, quoique son orgueil ait soulevé les Gascons et armé la Castille contre l'Angleterre, peu d'hommes méritèrent mieux la reconnaissance de leur pays. Nous-mêmes, à qui il a fait tant de mal, nous ne pouvons voir sans respect, à Cantorbéry, la cotte d'armes du grand ennemi de la France. Ce mauvais haillon de peau piquée des vers éclate entre tous les riches écussons dont l'église est parée. Il a survécu cinq cents ans au noble cœur qu'il couvrait.
Dès que le roi de France apprit la mort d'Édouard, il dit que c'était là un glorieux règne et qu'un tel prince méritait mémoire entre les preux. Il assembla nombre de prélats et de seigneurs, et fit faire un service à la Sainte-Chapelle. En Angleterre, les funérailles furent troublées. Quatre jours après la mort d'Édouard, la flotte de Castille, chargée des troupes de France, courut toute la côte en brûlant des villes: Wight, Rye, Yarmouth, Darmouth, Plymouth et Winchelsea. Jamais du vivant d'Édouard et du prince de Galles l'Angleterre n'avait éprouvé un pareil désastre.
De toutes parts le roi de France faisait une guerre de négociations. Depuis cinq ans il empêchait le mariage d'un fils d'Édouard avec l'héritière de Flandre, par défaut de dispense papale; il obtint sans difficulté cette dispense pour son frère, le duc de Bourgogne, parent de la jeune comtesse au même degré. Le père ne voulait pas de ce mariage, non plus que les villes de Flandre. Mais la grand'mère, comtesse d'Artois et de Franche-Comté, fit dire à son fils, le comte de Flandre, qu'elle le déshéritait s'il ne donnait sa fille au prince français. Le mariage se fit pour le désespoir du roi d'Angleterre, qui voyait cette immense succession prête à échoir à la maison de France. La France, mutilée à l'Ouest, se formait sa vaste ceinture de l'Est et du Nord.
Cet échec et ceux que les Anglais éprouvèrent encore près de Bordeaux allaient les décider à faire ce qu'ils auraient dû faire tout d'abord, à s'unir avec le roi de Navarre. Ils lui auraient donné Bayonne et le pays voisin, il eût été leur lieutenant en Aquitaine. Le Navarrais, plus fin qu'habile, envoyait son fils à Paris pour mieux tromper le roi, tandis qu'il traitait avec les Anglais. Il lui advint comme à Louis XI à Péronne. Sa finesse le mena au piège. Le roi lui garda son fils, lui reprit Montpellier, et saisit son comté d'Évreux. On prit son lieutenant Dutertre, son conseiller Du Rue qui, disait-on, était venu empoisonner le roi. On accusait Charles-le-Mauvais d'avoir empoisonné déjà la reine de France, la reine de Navarre et d'autres encore. Tout cela n'était pas invraisemblable: ce petit prince, exaspéré par ses longs malheurs, pouvait essayer de reprendre par le crime et la ruse ce que la force lui avait ôté. Il avait sujet de haïr les siens autant que l'ennemi. Sa femme le trompait pour le brave capitaine gascon des Anglais, le captal de Buch[618]. Du Rue avoua seulement que Charles-le-Mauvais comptait empoisonner le roi par le moyen d'un jeune médecin de Chypre, qui pouvait s'introduire aisément près de Charles V et lui plaire, «parce qu'il parloit beau latin, et étoit fort argumentatif». Dutertre et Du Rue furent exécutés. Charles V tira de ce procès l'avantage d'avilir, de déshonorer le roi de Navarre, de lui faire une réputation d'empoisonneur, de tuer ainsi ses prétentions au trône de France.
Charles-le-Mauvais perdit tout dans le Nord, excepté Cherbourg. Au Midi les Castillans le menaçaient. Il eût perdu la Navarre même, si les Anglais n'étaient venus à son secours. Les Gascons y aidèrent les Anglais. Ceux-ci essayèrent ensuite de prendre Saint-Malo, et n'y réussirent pas plus que les Français à prendre Cherbourg. Tout ce grand mouvement de guerre n'aboutit encore à rien. Le roi de France ne put être forcé ni à combattre ni à rendre; il resta les mains garnies[619].
L'habileté de Charles V et l'affaiblissement des autres États avaient relevé la France au moins dans l'opinion. Toute la chrétienté regardait de nouveau vers elle. Le pape, la Castille, l'Écosse, regardaient le roi comme un protecteur. Frère du futur comte de Flandre, allié des Visconti, il voyait les rois d'Aragon, de Hongrie, ambitionner son alliance. Il recevait les ambassades lointaines du roi de Chypre, du soudan de Bagdad, qui s'adressait à lui, comme au premier prince des Francs[620]. L'empereur même lui rendit une sorte d'hommage en le visitant à Paris. Après avoir aliéné les droits de l'Empire en Allemagne et en Italie, il venait donner au dauphin le titre du royaume d'Arles.
La subite restauration du royaume de France était un miracle que chacun voulait voir. De toutes parts on venait admirer ce prince qui avait tant enduré, qui avait vaincu à force de ne pas combattre[621], cette patience de Job, cette sagesse de Salomon. Le quatorzième siècle se désabusait de la chevalerie, des folies héroïques, pour révérer en Charles V le héros de la patience et de la ruse.
Ce prince naturellement économe, ce roi d'un peuple ruiné, étonnait les étrangers par la multitude de ses constructions. Il élevait autour de Paris des maisons dites de plaisance, Melun, Beauté, Saint-Germain; mais toute maison alors était un fort. Il donnait à la ville un nouveau pont (Pont-Neuf), des murs, des portes, une bonne bastille. Il ne se fiait guère qu'aux murailles[622].
Près de sa Bastille il avait construit, étendu, aménagé, avec le luxe d'un roi et les recherches d'un malade, le vaste hôtel Saint-Paul[623]. La magnificence de cette demeure, la splendide hospitalité qu'y trouvaient les princes et les seigneurs étrangers, faisaient illusion sur l'état du royaume. Le sire de La Rivière, l'aimable et subtil conseiller de Charles V, le gentilhomme accompli de ce temps, en faisant les honneurs. Il leur montrait la noble demeure de son maître, ces galeries, ces bibliothèques, ces buffets chargés d'or, et ils l'appelaient le riche roi[624].
«L'eure de son descouchier au matin estoit comme de six à sept heures. Donnoit audience mesmes aux mendres, de hardiement deviser à luy. Après, luy pigné, vestu et ordonné,... on lui apportoit son breviaire; environ huit heures du jour, aloit à sa messe; à l'issue de sa chapelle, toutes manières de gens povoient bailier leurs requêtes. Après ce, aux jours députez à ce, aloit au conseil, après lequel... environ dix heures asseoit à table... À l'exemple de David, instruments bas oyoit volontiers à la fin de ses mangiers.
«Luy levé de table, à la colacion, vers lui povoyent aler toutes manières d'estrangiers. Là luy estoient apportées nouvelles de toutes manières de pays ou des aventures de ses guerres... pendant l'espace de deux heures; après aloit reposer une heure. Après son dormir, estoit un espace avec ses plus privés en esbatement, visitant joyauls ou autres richeces. Puis aloit à vespres. Après... entroit en été en ses jardins, où marchands venoient apporter velours, draps d'or, etc. En hyver s'occupoit souvent à oyr lire de diverses belles ystoires de la sainte Escripture, ou des faits des romans ou moralitez de philosophes et d'autres sciences, jusques à heure de soupper, auquel s'asseoit d'assez bonne heure, après lequel une pièce s'esbatoit, puis se retrayoit. Pour obvyer à vaines et vagues parolles et pensées, avoit (au dîner de la reine) un prud'homme en estant au bout de la table, qui, sans cesser, disoit gestes de mœurs virtueux d'aucuns bons treppassez[625].»
Les philosophes avec lesquels le roi aimait à s'entretenir étaient ses astrologues[626]. Son astrologue en titre, un Italien, Thomas de Pisan, avait été appelé tout exprès de Bologne; le roi lui donnait cent livres par mois. Ces gens, quels que fussent leurs moyens de prévoir, ne se trompaient pas trop. Ils étaient pleins de finesse et de sagacité. Charles V donna un astrologue à Duguesclin en lui remettant l'épée de connétable.
Le peu que nous savons de Charles V, de ses jugements, de ses paroles, indique, comme tout son règne, une douce et froide sagesse, peut-être aussi quelque indifférence au bien et au mal[627]. «Considérant, dit son historien femelle, la fragilité humaine, il ne permit jamais aux maris d'emmurer leurs femmes pour méfait de corps, quoiqu'il en fust maintes fois supplié[628].»—Il surprit trois fois son barbier en flagrant délit de vol et la main dans la poche, sans se fâcher, ni le punir[629].
Charles V est peut-être le premier roi, chez cette nation jusque-là si légère, qui ait su préparer de loin un succès, le premier qui ait compris l'influence, lointaine et lente, mais dès lors réelle, des livres sur les affaires. Le prieur Honoré Bonnor écrivit par son ordre, sous le titre bizarre de l'Arbre des batailles, le premier essai sur le droit de la paix et de la guerre. Son avocat général, Raoul de Presles, lui mettait la Bible en langue vulgaire, tant d'années avant Luther et Calvin. Son ancien précepteur, Nicolas Oresme, traduisait l'autre Bible du temps, Aristote. Oresme, Raoul de Presles, Philippe de Maizières travaillaient, peut-être à frais communs, à ces grands livres du Songe du verger, du Songe du vieux pèlerin, sorte de romans encyclopédiques où toutes les questions du temps étaient traitées, et qui préparaient l'abaissement de la puissance spirituelle et la confiscation des biens d'Église. C'est ainsi qu'au seizième siècle Pithou, Passerat et quelques autres travaillèrent ensemble à la Ménippée.
Les dépenses croissaient, le peuple était ruiné; l'Église seule pouvait payer. C'était là toute la pensée du quatorzième siècle. En Angleterre, le duc de Lancastre essaya, pour brusquer la chose, de Wicleff et des Lollards, et faillit bouleverser un royaume. En France, Charles V la préparait avec une habile lenteur. Elle pressait pourtant. L'apparente restauration de la France ne pouvait tromper le roi. Il ne vivait que d'expédients. Il avait été obligé de payer les juges avec les amendes mêmes qu'ils prononçaient, de vendre l'impunité aux usuriers, de se mettre entre les mains des juifs. Conformément aux privilèges monstrueux que Jean leur avait vendus pour payer sa rançon, ils étaient quittes d'impôts, exempts de toute juridiction, sauf celle d'un prince du sang, nommé gardien de leurs privilèges. Nuls lettres royaux n'avaient force contre eux. Ils promettaient de n'exiger par semaine que quatre deniers par livre d'intérêt. Mais en même temps ils devaient être crus contre leurs débiteurs de tout ce qu'ils jureraient[630].
Le prince, leur protecteur, devait les aider dans le recouvrement de leurs créances, c'est-à-dire que le roi se faisait recors pour les juifs, afin de partager. L'argent extorqué par de tels moyens coûtait au peuple bien plus qu'il ne rendait au roi.
Il fallait bien passer entre les mains du juif, ne pouvant dépouiller le prêtre. Le juif, le prêtre, avaient seuls de l'argent. Il n'y avait encore ni production de la richesse par l'industrie, ni circulation par le commerce. La richesse, c'était le trésor; trésor caché du juif, sourdement nourri par l'usure; trésor du prêtre, trop visible dans les églises, dans les biens d'Église.
La tentation était forte pour Charles V, mais la difficulté était grande aussi. Les prêtres avaient été ses plus zélés auxiliaires contre l'Anglais. Ils lui avaient en grande partie livré l'Aquitaine, comme ils la donnèrent jadis à Clovis.
Il y avait deux sujets de querelle entre la puissance spirituelle et la temporelle, l'argent et la juridiction. La question de juridiction elle-même rentrait en grande partie dans celle d'argent, car la justice se payait[631].
Les premières plaintes contre le clergé partent des seigneurs et non des rois (1205)[632]. Les seigneurs, comme fondateurs et patrons des églises, étaient bien plus directement intéressés dans la question. Sous saint Louis, ils forment une confédération contre le clergé, décident de combien chacun doit contribuer pour soutenir cette espèce de guerre, se nomment des représentants pour prêter main forte à ceux d'entre eux qui seraient frappés de sentences ecclésiastiques[633]. Dans la fameuse Pragmatique de saint Louis (1270), acte jusqu'ici peu compris, le roi demande que les élections ecclésiastiques soient libres, c'est-à-dire laissées à l'influence royale et féodale[634].
Philippe-le-Bel eut les seigneurs pour lui dans sa lutte contre le pape. Ils formèrent une nouvelle confédération féodale qui effraya les évêques et livra au roi l'Église de France. L'accord de cette Église lui livra la papauté elle-même. Cependant, au commencement et à la fin de son règne, Philippe-le-Bel frappa deux coups d'une impartialité hardie: la maltôte qui atteignit les nobles et les prêtres aussi bien que les bourgeois, la suppression du Temple, de la chevalerie ecclésiastique.
La royauté, triomphante sous Philippe-de-Valois, se fit donner par le pape tout ce qu'elle voulait sur les revenus de l'Église de France. Elle eut même la prétention de lever les décimes de la croisade sur toute la chrétienté. En dédommagement des décimes, régales, etc., les églises cherchaient à augmenter les profits de leurs justices, à empiéter sur les juridictions laïques, seigneuriales ou royales. Le roi parut vouloir y porter remède. Le 22 décembre 1329 eut lieu par-devant lui, au château de Vincennes, une solennelle plaidoirie entre l'avocat Pierre Cugnières et Pierre du Roger, archevêque de Sens. Le premier soutenait les droits du roi et des seigneurs[635]. Le second défendait ceux du clergé. Celui-ci parla sur le texte: Deum timete; regem honorificate; et il ramena ce précepte aux quatre suivants: «Servir Dieu dévotement; lui donner largement; honorer sa gent duement; lui rendre le sien entièrement.»
Je serais porté à croire que toute cette dispute ne fut qu'une satisfaction donnée par le roi aux seigneurs. Il la termina en disant que, bien loin de diminuer les privilèges de l'Église, il les augmenterait plutôt. Seulement, il établit par une ordonnance son droit de régale sur les bénéfices vacants (1334). Des deux avocats, celui du clergé devint pape; celui du roi et des seigneurs fut, dit un grave historien, universellement sifflé: son nom resta le synonyme d'un mauvais ergoteur. Et ce ne fut pas tout. Il y avait à Notre-Dame une figure grotesque de damné, comme on voit ailleurs Dagobert tiraillé par les diables; cette figure, laide et camuse, fut appelée: M. Pierre du Coignet. Toute la gent cléricale, sous-diacres, sacristains, bedeaux, enfants de chœur, plantaient leurs bougies sur le nez du pauvre diable, ou, pour éteindre leurs cierges, lui en frappaient la face. Il endura quatre cents ans cette vengeance de sacristie.
Les églises étaient entre l'enclume et le marteau, entre le roi et le pape. Quand un évêché vacant avait payé au roi pendant un an ou plus les régales de la vacance, le nouvel élu payait au pape l'annate, ou première année du revenu[636].
Une autre chose dont se plaignaient le plus les seigneurs patrons de l'église, et les chanoines ou moines qui concouraient aux élections, c'est ce qu'on appelait les réserves. Le pape arrêtait d'un mot l'élection; il déclarait qu'il s'était réservé de nommer à tel évêché, à telle abbaye. Ces réserves, qui donnaient souvent un pasteur italien ou français à une église d'Angleterre, d'Allemagne, d'Espagne, étaient fort odieuses. Cependant, elles avaient souvent l'avantage de soustraire les grands sièges aux stupides influences féodales, qui n'y auraient guère porté que des sujets indignes, des cadets, des cousins des seigneurs. Les papes prenaient quelquefois au fond d'un couvent ou dans la poussière des universités un docte et habile clerc pour le faire évêque, archevêque, primat des Gaules ou de l'Empire.
Les papes d'Avignon n'eurent pas pour la plupart cette haute politique. Pauvres serviteurs du roi de France, ils laissaient la papauté devenir ce qu'elle pouvait. Ils ne voyaient dans les réserves qu'un moyen de vendre des places, de faire de la simonie en grand. Jean XXII déclara effrontément qu'en haine de la simonie il se réservait tous les bénéfices vacants dans la chrétienté la première année de son pontificat[637]. Ce fils d'un savetier de Cahors laissa en mourant un trésor de vingt-cinq millions de ducats. Les hommes du temps crurent qu'il avait trouvé la pierre philosophale.
Benoît XII était si effrayé de l'état où il voyait l'Église, des intrigues et de la corruption dont il était assiégé, qu'il aimait mieux laisser les bénéfices vacants; il se réservait les nominations et ne nommait personne. Lui mort, le torrent reprit son cours. À l'élection du prodigue et mondain Clément VI, on assure que plus de cent mille clercs vinrent à Avignon acheter des bénéfices[638].
Il faut lire les douloureuses lamentations de Pétrarque sur l'état de l'Église, ses invectives contre la Babylone d'Occident. C'est tout à la fois Juvénal et Jérémie. Avignon est pour lui un autre labyrinthe, mais sans Ariane, sans fil libérateur; il y trouve la cruauté de Minos et l'infamie du Minotaure[639]. Il peint avec dégoût les vieilles amours des princes de l'Église, ces mignons à tête blanche... Mille histoires scandaleuses couraient. Le conte absurde de la papesse Jeanne devint vraisemblable[640].
L'érudite indignation de Pétrarque pouvait inspirer quelque défiance. Un jugement plus imposant pour le peuple était celui de sainte Brigitte et des deux saintes Catherine. La première fait dire par Jésus même ces paroles au pape d'Avignon: «Meurtrier des âmes, pire que Pilate et Judas! Judas n'a vendu que moi. Toi, tu vends encore les âmes de mes élus[641].»
Les papes qui suivirent Clément VI furent moins souillés, mais plus ambitieux. Ils rendirent l'Église conquérante, désolèrent l'Italie. Clément avait acheté Avignon à la reine Jeanne en l'absolvant du meurtre de son mari. Ses successeurs, avec l'aide des compagnies, reprirent tout le patrimoine de saint Pierre. Cette association du pape avec les brigands anglais et bretons porta au comble l'exaspération des Italiens. La guerre devint atroce, pleine d'outrages et de barbarie. Les Visconti donnèrent le choix aux légats qui leur apportaient l'excommunication, de se laisser noyer ou de manger la bulle. À Milan, on jetait les prêtres dans des fours allumés; à Florence, on voulait les enterrer vifs. Les papes sentirent que l'Italie leur échapperait s'ils ne quittaient Avignon.
Ils tenaient moins sans doute à cette ville, depuis qu'ils y avaient été rançonnés par les compagnies. L'abaissement de la France les laissait libres de choisir leur séjour. Urbain V, le meilleur de ces papes, essaya de se fixer à Rome. Il y alla et n'y put rester. Grégoire s'y établit et y mourut.
À sa mort, les Français avaient dans le conclave une majorité rassurante. Cependant ce conclave se tenait à Rome; les cardinaux entendaient un peuple furieux crier autour d'eux: «Romano lo volemo o almanco italiano.» De seize cardinaux qui entrèrent au conclave, il n'y avait que quatre Italiens et un Espagnol, onze étaient Français. Les Français étaient divisés. Deux des derniers papes, qui étaient Limousins, avaient fait plusieurs cardinaux de leur province. Ces Limousins, voyant que les autres Français les excluaient de la papauté, s'unirent aux Italiens, et nommèrent un Italien, qu'ils croyaient du reste dévoué à la France, le Calabrois Bartolomeo Prignani.
Il advint, comme à l'élection de Clément V, tout le contraire de ce qu'on avait attendu, mais cette fois au préjudice de la France. Urbain VI, homme de soixante ans, jusque-là considéré comme fort modéré, sembla avoir perdu l'esprit dès qu'il fut pape. Il voulait, disait-il, réformer l'Église; mais il commençait par les cardinaux, prétendant, entre autres choses, les réduire à n'avoir qu'un plat sur leur table. Ils se sauvèrent, déclarèrent que l'élection avait été contrainte et firent un autre pape. Ils choisirent un grand seigneur, Robert de Genève, fils du comte de Genève, qui avait montré dans les guerres de l'Église beaucoup d'audace et de férocité. Ils l'appelèrent Clément VII, sans doute en mémoire de Clément VI, un des papes les plus prodigues et les plus mondains qui aient déshonoré l'Église. De concert avec la reine Jeanne de Naples, contre laquelle Urbain s'était déclaré, Clément et ses cardinaux prirent à leur solde une compagnie de Bretons qui rôdait en Italie. Mais ces Bretons furent défaits par Barbiano, un brave condottiere qui avait formé la première compagnie italienne contre les compagnies étrangères. Clément se sauva en France, à Avignon. Voilà deux papes, l'un à Avignon, l'autre à Rome, se bravant et s'excommuniant l'un l'autre.
On ne pouvait attendre que la France et les États qui en suivaient alors l'impulsion (Écosse, Navarre et Castille) se laisseraient facilement déposséder de la papauté. Charles V reconnut Clément. Il pensa sans doute que, quand même toute l'Europe eût été pour Urbain, il valait mieux pour lui avoir un pape français, une sorte de patriarche dont il disposât. Cette politique égoïste lui fut amèrement reprochée. On considéra tous les malheurs qui suivirent, la folie de Charles VI, les victoires des Anglais, comme une punition du ciel[642].
On assure que les cardinaux français avaient eu d'abord l'idée de faire pape Charles V lui-même. Il aurait refusé, comme infirme d'un bras, et ne pouvant célébrer la messe[643].
Ce ne fut pas sans peine que le roi amena l'Université à se décider en faveur de Clément. Les facultés de droit et de médecine étaient sans difficulté pour le pape du roi. Mais celle des arts, composée de quatre nations, ne s'accordait pas avec elle-même. Les nations française et normande étaient pour Clément VII; la picarde et l'anglaise demandaient la neutralité. L'Université, ne pouvant arriver à un vote unanime, suppliait qu'on lui donnât du temps. Le roi prit tout sur lui. Il écrivit de Beauté-sur-Marne qu'il avait des informations suffisantes: «Le pape Clément VII est vray pasteur de l'Église universelle... Se vous mettez ce en refus ou délay, vous nous ferez déplaisir[644].»
Charles V agit en cette occasion avec une vivacité qui ne lui était pas ordinaire. Il semble qu'il ait été honteux et aigri de n'avoir pas prévu.
Il aurait bien voulu gagner à son pape la Flandre, et par elle l'Angleterre. Il fit dire au comte de Flandre qu'Urbain parlait fort mal des Anglais, qu'il avait dit que d'après leur conduite à l'égard du Saint-Siège il les tenait pour hérétiques. La Flandre et l'Angleterre n'en reconnurent pas moins le pape de Rome en haine de celui d'Avignon. Urbain avait déjà l'Italie. L'Allemagne, la Hongrie, l'Aragon, embrassèrent son parti. Les deux saintes populaires, sainte Catherine de Sienne et sainte Catherine de Suède, le reconnurent, ainsi que l'infant Pierre d'Aragon, qu'on tenait aussi pour un saint homme. On demanda, chose inouïe, une consultation au plus fameux jurisconsulte du temps sur l'élection du pape; Baldus décida que l'élection d'Urbain était bonne et valable, disant, avec assez d'apparence, que, si l'élection avait pu être contrainte, les cardinaux n'en étaient pas moins revenus d'eux-mêmes après le tumulte et qu'ils avaient intronisé Urbain en pleine liberté.
Un événement impossible à prévoir avait mis presque toute la chrétienté en opposition avec la France. La fortune s'était jouée de la sagesse. La reine Jeanne de Naples, cousine et alliée du roi, fut peu après déposée par Urbain, renversée par son fils adoptif Charles de Duras, étranglée en punition d'un crime qui datait de trente-cinq ans.
Toute l'Europe remuait. Le mouvement était partout; mais les causes infiniment diverses. Les Lollards d'Angleterre semblaient mettre en péril l'Église, la royauté, la propriété même. À Florence, les Ciompi faisaient leur révolution démocratique[645]. La France elle-même semblait échapper à Charles V. Trois provinces, les plus excentriques, mais les plus vitales peut-être, se révoltèrent.
Le Languedoc éclata d'abord. Charles V, préoccupé du Nord, et regardant toujours vers l'Angleterre, avait fait d'un de ses frères une sorte de roi du Languedoc. Il avait confié cette province au duc d'Anjou. Par le duc d'Anjou il semblait près d'atteindre l'Aragon et Naples, tandis que par son autre frère, le duc de Bourgogne, il allait occuper la Flandre. Mais la France, misérablement ruinée, n'était guère capable de conquêtes lointaines. La fiscalité, si dure alors dans tout le royaume, devint en Languedoc une atroce tyrannie. Ces riches municipes du Midi, qui ne prospéraient que par le commerce et la liberté, furent taillés sans merci comme l'eût été un fief du Nord. Le prince féodal ne voulait rien comprendre à leurs privilèges. Il lui fallait au plus vite de l'argent pour envahir l'Espagne et l'Italie, pour recommencer les fameuses victoires de Charles d'Anjou.
Nîmes se souleva (1378); mais, se voyant seule, elle se soumit. Le duc d'Anjou aggrava encore les impôts. Il mit, au mois de mars 1379, un monstrueux droit de cinq francs et dix gros sur chaque feu. Au mois d'octobre, nouvelle taxe de douze francs d'or par an, d'un franc par mois. Pour celle-ci, la levée en était impossible. La province était tellement ruinée, qu'en trente ans la population se trouvait réduite de cent mille familles à trente mille. Les consuls de Montpellier refusèrent de percevoir le dernier impôt. Le peuple massacra les gens du duc d'Anjou. Clermont-Lodève en fit autant. Mais les autres villes ne bougèrent. Les gens de Montpellier effrayés reçurent le prince à genoux, et attendirent ce qu'il déciderait de leur sort. La sentence fut effroyable. Deux cents citoyens devaient être brûlés vifs, deux cents pendus, deux cents décapités, dix-huit cents notés d'infamie et privés de tous leurs biens. Tous les autres étaient frappés d'amendes ruineuses[646].
On obtint avec peine du duc d'Anjou qu'il adoucît la sentence. Charles V sentit la nécessité de lui ôter le Languedoc. Il envoya des commissaires pour y réformer les abus. Au reste, dans les instructions qu'il leur donne, il n'y a pas trace d'un sentiment d'homme ou de roi. Il n'est préoccupé que des intérêts du fisc et du domaine: «Comme nous avons audit pays plusieurs terres labourables, vignes, forêts, moulins et autres héritages qui nous étaient ordinairement de grand revenu et profit; lesquelles terres sont demeurées désertes, parce que le peuple est si diminué par les mortalités, les guerres et autrement, qu'il n'est nul qui les puisse ou veuille labourer, ni tenir aux charges et redevances anciennes, nous voulons que nos conseillers puissent donner nos héritages à nouvelle charge, croître et diminuer l'ancienne.» Ils doivent aussi révoquer tous les dons, et s'informer de la conduite de tous les sénéchaux, capitaines, viguiers, etc.
La politique étroite, qui ne paraît que trop dans ces instructions, fit faire au roi une grande faute, la plus grande de son règne. Il arma contre lui la Bretagne. Ses meilleurs hommes de guerre étaient Bretons; il les avait comblés de biens; il croyait tenir en eux tout le pays. Ces mercenaires pourtant n'étaient pas la Bretagne. Eux-mêmes n'étaient plus aussi contents du roi. Il avait ordonné aux gens de guerre de payer désormais tout ce qu'ils prendraient. Il avait créé une maréchaussée pour réprimer leurs brigandages, des prévôts qui couraient le pays, jugeaient et pendaient.
Il n'aimait pas Clisson. Quoiqu'il l'ait désigné pour être connétable à la mort de Duguesclin, il eût préféré le sire de Coucy.
Un cousin de Duguesclin, le Breton Sévestre Budes, qui avait acquis beaucoup de réputation dans les guerres d'Italie, fut arrêté sur un soupçon par le pape français Clément VII, et livré par lui au bailli de Mâcon, qui le fit mourir, au grand chagrin de Duguesclin. Les parents du Breton étant venus se plaindre et affirmant son innocence, le roi dit froidement: «S'il est mort innocent, la chose est moins fâcheuse pour vous autres; c'est tant mieux pour son âme et pour votre honneur.»
Les Bretons étaient Français contre l'Angleterre, mais Bretons avant tout. Leur duc voulait les livrer aux Anglais, ils l'avaient chassé. Le roi voulant les réunir à la couronne, ils chassèrent le roi.
Le 5 avril 1378, Montfort s'était engagé à ouvrir aux Anglais le château de Brest. Le 20 juin, le roi l'ajourna à comparaître en parlement, puis le fit condamner par défaut. La procédure fut étrange. On assigna le duc à Rennes et à Nantes, tandis qu'il était en Flandre. On ne lui donna pas de sauf-conduit. Plusieurs pairs ne voulurent point siéger au jugement. Le roi parla lui-même contre son vassal, et conclut à la confiscation. Si le duché était enlevé à Montfort, il aurait dû revenir à la maison de Blois, conformément au traité de Guérande, que le roi avait garanti.
Dire à la vieille Bretagne que désormais elle ne serait plus qu'une province de France, une dépendance du domaine, c'était une chose hardie, et aussi une ingratitude, après ce que les Bretons avaient fait pour chasser l'Anglais. Le froid et égoïste prince ne connaissait pas évidemment le peuple auquel il avait affaire, et il ne pouvait le connaître; il y a des ignorances sans remède, celles du cœur.
Les Bretons, nobles et paysans, étaient déjà mal disposés. Le connétable Duguesclin, dans ses guerres de Bretagne, n'avait pas ménagé ses compatriotes. Il les avait frappés d'un fouage de vingt sous par feu; il avait défendu les affranchissements et rétabli la servitude de mainmorte, abolie par le duc. Le premier acte du gouvernement royal fut l'établissement de la gabelle. La Bretagne arma.
Les bourgeois armèrent comme les nobles. Ceux de Rennes s'associèrent expressément aux barons, et jurèrent de vivre et mourir pour la défense commune. Le duc, revenant d'Angleterre, fut accueilli avec transport par ceux même qui l'avaient chassé. On ne se souvint plus s'il était Blois ou Montfort; c'était le duc de Bretagne. Lorsqu'il débarqua près de Saint-Malo, tous les barons, tout le peuple l'attendaient sur le rivage; plusieurs entrèrent dans l'eau et s'y mirent à genoux. Jeanne de Blois, elle-même, vint le féliciter à Dinan, la veuve de Charles de Blois, de celui qu'il avait tué.
Les meilleurs capitaines que le roi pouvait employer contre la Bretagne étaient des Bretons. Clisson parut devant Nantes; mais il ne put s'empêcher de dire aux gens de la ville qu'ils feraient sagement de ne laisser entrer chez eux personne qui fût plus fort qu'eux. Duguesclin et Clisson se rendirent à l'armée que le duc d'Anjou rassemblait. Mais, à la première approche d'une troupe bretonne, cette armée se dissipa[647]. Le duc d'Anjou fut réduit à demander une trêve.
Le roi voyait ses Bretons passer l'un après l'autre à l'ennemi. Ceux qui ne voulurent le quitter qu'avec son autorisation l'obtinrent sans difficulté; mais à la frontière on les arrêtait pour les mettre à mort comme traîtres. Duguesclin lui-même, en butte aux soupçons du roi, lui renvoya l'épée de connétable, disant qu'il s'en allait en Espagne, qu'il était aussi connétable de Castille. Les ducs d'Anjou et de Bourgogne furent envoyés pour l'apaiser. Charles V sentait bien qu'il ne pouvait rien faire sans lui. Mais le vieux capitaine était trop avisé pour aller se casser la tête contre cette furieuse Bretagne. Il valait mieux pour lui rester brouillé avec le roi, et gagner du temps. Selon toute apparence, il ne consentit pas à reprendre l'épée de connétable. Ce fut comme ami du duc de Bourbon, et pour lui faire plaisir, qu'il alla assiéger dans le château de Randon, près du Puy-en-Vélay, une compagnie qui désolait le pays. Il y tomba malade et y mourut[648]. On assure que le capitaine de la place, qui avait promis de se rendre dans quinze jours s'il n'était secouru, tint parole et vint mettre les clefs sur le lit du mort. Cela n'est pas invraisemblable. Duguesclin avait été l'honneur des compagnies, le père des soldats; il faisait leur fortune, il se ruinait pour payer leurs rançons.
Les États de Bretagne négociaient avec le roi de France, le duc avec celui d'Angleterre. Charles V n'ayant voulu entendre à aucun arrangement, les Bretons laissèrent venir l'Anglais. Un frère de Richard II, le comte de Buckingham, fut chargé de conduire une armée en Bretagne, mais en traversant le royaume par la Picardie, la Champagne, la Beauce, le Blaisois et le Maine. Charles V les laissa passer. Le duc de Bourgogne lui demanda en vain la permission de combattre.
Duguesclin était mort le 13 juillet (1380). Le roi mourut le 16 septembre. Ce jour même, il abolit tout impôt non consenti par les États. C'était revenir au point d'où son règne avait commencé.
Il recommanda aussi en mourant de gagner à tout prix les Bretons[649]. Il avait déjà ordonné que Duguesclin fût enterré à Saint-Denis, à côté de son tombeau. Son fidèle conseiller, le sire de La Rivière, le fut à ses pieds.
Ce prince était mort jeune (quarante-quatre ans), et n'avait rien fini. Une minorité commençait. Le schisme, la guerre de Bretagne, la révolte de Languedoc à peine assoupie, la révolution de Flandre[650] dans toute sa force, c'étaient bien des embarras pour un jeune roi de douze ans. Quoique Charles V eût déclaré par une ordonnance, dès 1374, que désormais les rois seraient majeurs à quatorze ans, son fils devait rester longtemps mineur, et même toute sa vie.
Charles V laissait deux choses, des places bien fortifiées et de l'argent. Après en avoir tant donné aux Anglais, aux compagnies, il avait trouvé moyen d'amasser dix-sept millions. Il avait caché ce trésor à Vincennes, dans l'épaisseur d'un mur; mais son fils n'en profita pas.
Le roi se croyait sûr des bourgeois. Il avait confirmé et augmenté les privilèges de toutes les villes qui quittaient le parti anglais. Il avait défendu que les hôtels de ses frères servissent d'asile aux criminels, et soumis ces hôtels à la juridiction du prévôt. Conformément aux remontrances du parlement de Paris, il l'autorisa à rendre ses arrêts sans délai, nonobstant tous lettres royaux à ce contraires[651]. Il permit aux bourgeois de Paris d'acquérir des fiefs au même titre que les nobles, et de porter les mêmes ornements que les chevaliers. Le roi créait ainsi au centre du royaume une noblesse roturière qui devait avilir l'autre en l'imitant. Toutes les terres de l'Île-de-France allaient peu à peu se trouver entre des mains bourgeoises, c'est-à-dire dans la dépendance plus immédiate du roi.
Ces avantages lointains ne balançaient pas les maux présents. Le peuple n'en pouvait plus. Les taxes étaient d'autant plus fortes que le roi, dès le commencement de son règne, s'était sagement interdit toute altération des monnaies. Je ne sais si cette dernière forme d'impôt n'était pas regrettée; à une époque où il y avait peu de commerce, et où les rentes féodales se payaient généralement en nature, l'altération des monnaies frappait peu de personnes, et seulement les gens qui pouvaient perdre: par exemple, les usuriers, juifs, Cahorsins, Lombards, ceux qui faisaient la banque et les affaires de Rome ou d'Avignon. Les taxes, au contraire, ne touchaient pas ceux-ci, elles tombaient d'aplomb sur le pauvre.
Les biens d'Église pouvaient seuls venir au secours du peuple et du roi. Mais il fallait du temps avant qu'on osât y porter les mains.
Ce qui prouve combien le clergé avait encore de puissance, c'est la facilité avec laquelle il avait chassé les Anglais des villes du Midi. Le roi de France, que les prêtres venaient de seconder si bien, devait y regarder à deux fois avant de se brouiller avec eux.
Le schisme mettait le pape d'Avignon entièrement à la discrétion du roi, et lui donnait, il est vrai, la libre disposition des bénéfices dans toute l'Église gallicane. Mais cet événement plaçait la France dans une situation périlleuse; elle se trouvait en quelque sorte isolée au milieu de l'Europe, et comme hors du droit chrétien.
C'était beaucoup sans doute pour la royauté d'avoir, en deux siècles, concentré en ses mains les deux forces du moyen âge, l'Église et la féodalité. Les dignités ecclésiastiques étaient désormais assurées aux serviteurs du roi, les fiefs réunis à la couronne, ou devenus l'apanage des princes du sang. Les grandes maisons féodales, ces vivants symboles des provincialités, s'étaient peu à peu éteintes. Les diversités du moyen âge se fondaient dans l'unité; mais l'unité était faible encore.
Si Charles V ne put faire beaucoup lui-même, il laissa du moins à la France le type du roi moderne, qu'elle ne connaissait pas. Il enseigna aux étourdis de Créci et de Poitiers ce que c'était que réflexion, patience, persévérance. L'éducation devait être longue; il y fallut bien des leçons. Mais au moins le but était marqué. La France devait s'y acheminer, lentement, il est vrai, par Louis XI et par Henri IV, par Richelieu et par Colbert.
Dans les misères du quatorzième siècle, elle commença à se mieux connaître elle-même. Elle sut d'abord qu'elle n'était pas et ne voulait pas être Anglaise. En même temps, elle perdait quelque chose du caractère religieux et chevaleresque qui l'avait confondue avec le reste de la chrétienté pendant tout le moyen âge, et elle se voyait, pour la première fois, comme nation et comme prose. Elle atteignait du premier coup, dans Froissart, la perfection de la prose narrative[652]. Le progrès de la langue est immense de Joinville à Froissart, presque nul de Froissart à Comines.
Froissart, c'est vraiment la France d'alors, au fond toute prosaïque, mais chevaleresque de forme et gracieuse d'allure. Le galant chapelain qui desservit madame Philippa de beaux récits et de lais d'amour nous conte son histoire aussi nonchalamment qu'il chantait sa messe. D'amis ou d'ennemis, d'Anglais ou de Français, de bien ou de mal, le conteur ne s'en soucie guère. Ceux qui l'accusent de partialité ne le connaissent pas vraiment. S'il paraît quelquefois aimer mieux l'Anglais, c'est que l'Anglais réussit. Peu lui importe, pourvu que de château en château, d'abbaye en abbaye, il conte et écoute de belles histoires, comme nous le voyons dans son voyage aux Pyrénées, cheminant, le joyeux prêtre, avec ses quatre lévriers en laisse qu'il mène au comte de Foix.
Un livre bien moins connu, et sur lequel je m'arrêterais d'autant plus volontiers, c'est un traité composé pour l'usage du peuple des campagnes par ordre du roi: Le vrai régime et gouvernement des bergers et bergères, composé par le rustique Jehan de Brie, le bon berger (1379[653]). Dans ce petit livre, écrit avec grâce et beaucoup de douceur, on essaye de relever la vie des champs, d'y intéresser le paysan, découragé du travail après tant de calamités. Cela est fort touchant. C'est évidemment le roi qui se fait berger, et qui, sous cet habit, vient trouver le peuple, gisant entre le bœuf et l'âne, le sermonne doucement, l'encourage et essaye de l'instruire.
À propos de l'éducation des troupeaux, et parmi les recettes du berger et du vétérinaire, Jehan trouve moyen de dire quelques mots des grandes questions qui s'agitaient alors. Les noms de pasteur et d'ouailles prêtent à mille allusions. On sent partout, au milieu de cette affectation de naïveté rustique, la malice des gens de robe, leur timide causticité à l'égard des prêtres. Ce livre est très proche parent de l'Avocat Patelin et de la Satyre Ménippée.
Revenons. Il y avait dans l'ordre apparent qu'on admirait sous Charles V, et dans le système général du quatorzième siècle, quelque chose de faible et de faux. La nouvelle religion, sur laquelle tout reposait, la royauté, se fondait elle-même sur une équivoque. De suzeraineté féodale elle s'était faite, sous l'influence des légistes, monarchie romaine, impériale. Les établissements de France et d'Orléans étaient devenus les établissements de la France. Le roi avait énervé la féodalité, lui avait ôté les armes des mains; puis, la guerre venant, il avait voulu les lui rendre. Elle subsistait encore cette féodalité, pleine d'orgueil et de faiblesse. C'était comme une armure gigantesque qui, toute vide qu'elle est, menace et brandit la lance. Elle tomba dès qu'on la toucha, à Créci et à Poitiers.
Il fallut bien alors employer les mercenaires, les soldats de louage, c'est-à-dire faire la guerre avec de l'argent. Mais cet argent, où le prendre? On n'osait encore dépouiller l'Église, et l'industrie n'était pas née. Charles V, avec toute sa sagesse politique, ne pouvait rien faire à cela. Au dernier moment, tout lui manqua à la fois. Les Anglais, qui traversèrent la France en 1380, ne rencontrèrent pas plus de résistance qu'en 1370; le roi, qui n'avait plus les Bretons, se trouvait plus faible encore.
La sagesse ayant échoué, on essaya de la folie. La France se lança sous le jeune Charles VI dans une extravagante imitation de la chevalerie ancienne, dont on avait oublié le vrai caractère et même les formes[654]. Cette fausse chevalerie prit pour son héros un personnage fort peu chevaleresque, le fameux chef des compagnies qui en avait délivré la France, l'habile Duguesclin. L'épopée que l'on fit de ses faits et gestes[655] indique assez que personne n'avait compris le vrai génie du connétable de Charles V.
Ce qu'on imita le mieux de la chevalerie, ce fut la richesse des armes et des armoiries, le luxe des tournois. Charles V avait laissé un peuple ruiné. On demanda à cette misère plus que la richesse n'eût jamais pu payer. Une fois dans l'impossible, que coûte-t-il de demander?
Même situation dans toute l'Europe. Même vertige. Le hasard veut que la plupart des royaumes soient livrés à des mineurs. La royauté, cette divinité récente, elle bégaye, ou radote. Le siècle de Charles-le-Sage, le premier siècle de la politique, n'est pas arrivé aux trois quarts, qu'il délire et devient fou. Une génération d'insensés occupe tous les trônes. Au glorieux Édouard III succède l'étourdi Richard II, au prudent empereur Charles IV l'ivrogne Wenceslas, au sage Charles V Charles VI, un fou furieux. Urbain VI, D. Pèdre de Castille, Jean Visconti, donnèrent tous des signes de dérangement d'esprit.
La petite sagesse négative qui pensait avoir neutralisé le grand mouvement du monde, se trouvait déjà à bout. Elle s'imaginait avoir tout fini, et tout commençait. Les fils, que les habiles avaient cru tenir, s'embrouillaient de plus en plus. La contradiction du monde augmentait. On eût dit que la raison divine et humaine avait abdiqué. «Dieu, comme dit Luther, s'ennuyait du jeu, et jetait les cartes sous la table.»
C'est un moment tragique que celui où l'on se sent devenir fou, le moment où la raison, éclairée de sa dernière lueur, se voit périr et s'éteindre. «Oh! ne permets pas que je sois fou, bonté du ciel, s'écrie le roi Lear, conserve-moi dans l'équilibre. Oh! non, pas fou, de grâce! je ne voudrais pas être fou!...»
FIN DU TROISIÈME VOLUME.
APPENDICE
L'ère nationale de la France est le quatorzième siècle. Les États généraux, le Parlement, toutes nos grandes institutions, commencent ou se régularisent. La bourgeoisie apparaît dans la révolution de Marcel, le paysan dans la Jacquerie, la France elle-même dans la guerre des Anglais.
Cette locution: Un bon Français, date du quatorzième siècle.
Jusqu'ici la France était moins France que chrétienté. Dominée, ainsi que tous les autres États, par la féodalité et par l'Église, elle restait obscure et comme perdue dans ces grandes ombres... Le jour venant peu à peu, elle commence à s'entrevoir elle-même.
Sortie à peine de cette nuit poétique du moyen âge, elle est déjà ce que vous la voyez: peuple, prose, esprit critique, anti-symbolique.
Aux prêtres, aux chevaliers, succèdent les légistes; après la foi, la loi.
Le petit-fils de saint Louis met la main sur le pape et détruit le Temple. La chevalerie, cette autre religion, meurt à Courtrai, à Créci, à Poitiers.
À l'épopée succède la chronique. Une littérature se forme, déjà moderne et prosaïque, mais vraiment française: point de symboles, peu d'images; ce n'est que grâce et mouvement.
Notre vieux droit avait quelques symboles, quelques formules poétiques. Cette poésie ne comparaît pas impunément au tribunal des légistes. Le parlement, ce grand prosateur, la traduit, l'interprète et la tue.
Au reste, le droit français avait été de tout temps moins asservi au symbolisme que celui d'aucun autre peuple. Cette vérité, pour être négative dans la forme, n'en est pas moins féconde. Nous n'avons point regret au long chemin par lequel nous y sommes arrivés. Pour apprécier le génie austère et la maturité précoce de notre droit, il nous a fallu mettre en face le droit poétique des nations diverses, opposer la France et le monde.
Cette fois donc, la symbolique du droit[656].—Nous en chercherons le mouvement, la dialectique, lorsque notre drame national sera mieux noué.
1—page 7—Alphonse X s'enfermait avec ses juifs pour altérer d'un mélange romain le droit gothique...
Je ne prétends pas déprécier ici le code des Siete Partidas; j'espère que mon ami M. Rossew Saint-Hilaire nous le fera bientôt connaître dans le second volume de son Histoire d'Espagne, que nous attendons impatiemment. Je n'ai prétendu exprimer sur les lois d'Alphonse que le jugement plus patriotique qu'éclairé de l'Espagne d'alors. Il est juste de reconnaître d'ailleurs que ce prince, tout clerc et savant qu'il était, aima la langue espagnole. «Il fut le premier des rois d'Espagne qui ordonna que les contrats et tous les autres actes publics se fissent désormais en espagnol. Il fit faire une traduction des Livres sacrés en castillan... Il ouvrit la porte à une ignorance profonde des lettres humaines et des autres sciences, que les ecclésiastiques aussi bien que les séculiers ne cultivèrent plus, par l'oubli de la langue latine.» (Mariana, III, p. 188 de la traduction. Note de 1837.)
2—page 8—Lisez le portrait des rois d'Aragon dans Muntaner...
«Si les sujets de nos rois savaient combien les autres rois sont durs et cruels envers leurs peuples, ils baiseraient la terre foulée par leurs seigneurs. Si l'on me demande: «Muntaner, quelles faveurs font les rois d'Aragon à leurs sujets, plus que les autres rois?» je répondrai, premièrement, qu'ils font observer aux nobles, prélats, chevaliers, citoyens, bourgeois et gens des campagnes, la justice et la bonne foi, mieux qu'aucun autre seigneur de la terre; chacun peut devenir riche sans qu'il ait à craindre qu'il lui soit rien demandé au delà de la raison et de la justice, ce qui n'est pas ainsi chez les autres seigneurs; aussi les Catalans et les Aragonais ont des sentiments plus élevés, parce qu'ils ne sont point contraints dans leurs actions, et nul ne peut être bon homme de guerre, s'il n'a des sentiments élevés. Leurs sujets ont de plus cet avantage, que chacun d'eux peut parler à son seigneur autant qu'il le désire, étant bien sûr d'être toujours écouté avec bienveillance, et d'en recevoir des réponses satisfaisantes. D'un autre côté, si un homme riche, un chevalier, un citoyen honnête, veut marier sa fille, et les prie d'honorer la cérémonie de leur présence, ces seigneurs se rendront, soit à l'église, soit ailleurs; ils se rendraient de même au convoi ou à l'anniversaire de tout homme, comme s'il était de leurs parents, ce que ne font pas assurément les autres seigneurs, quels qu'ils soient. De plus, dans les grandes fêtes, ils invitent nombre de braves gens, et ne font pas difficulté de prendre leur repas en public; et tous les invités y mangent, ce qui n'arrive nulle part ailleurs. Ensuite, si des hommes riches, des chevaliers, prélats, citoyens, bourgeois, laboureurs ou autres, leur offrent en présent des fruits, du vin ou autres objets, ils ne feront pas difficulté d'en manger; et dans les châteaux, villes, hameaux et métairies, ils acceptent les invitations qui leur sont faites, mangent ce qu'on leur présente, et couchent dans les chambres qu'on leur a destinées; ils vont aussi à cheval dans les villes, lieux et cités, et se montrent à leurs peuples; et si de pauvres gens, hommes ou femmes, les invoquent, ils s'arrêtent, ils les écoutent, et les aident dans leurs besoins. Que vous dirai-je enfin? ils sont si bons et si affectueux envers leurs sujets qu'on ne saurait le raconter, tant il y aurait à faire; aussi leurs sujets sont pleins d'amour pour eux, et ne craignent point de mourir pour élever leur honneur et leur puissance, et rien ne peut les arrêter quand il faut supporter le froid et le chaud, et courir tous les dangers.» (Ramon Muntaner, I, ch. xx, p. 60, trad. de M. Buchon.)
3—page 12—«Nous avions reçu l'Anti-Christ...»
«Regni Siculi Antichristum.» (Bart. a Neocastro, ap. Muratori, XIII, 1026.) Bartolomeo et Ramon Muntaner ne font nulle mention de Procida. L'un veut donner toute la gloire aux Siciliens, l'autre au roi d'Aragon, D. Pédro.
4—page 13—La lamentation par laquelle Falcando commence son histoire...
Hugo Falcandus, ap. Muratori, VII, 252. La latinité de ce grand historien du douzième siècle est singulièrement pure, si on la compare à celle de Bartolomeo, qui écrit pourtant cent ans plus tard.
5—page 16—Les maisons françaises étaient marquées d'avance...
«Ceulx de Palerne et de Meschines, et des autres bonnes villes, signèrent les huys de Françoys de nuyt; et quant ce vint au point du jour qu'ils purent voir entour eux, si occirent tous ceulx qu'ils peurent trouver, et ne furent épargnés ne vieulx ne jeunes que tous ne fussent occis.» (Chroniques de Saint-Denis, anno 1282.)
6—page 17—Charles d'Anjou répondit aux envoyés de Messine, etc.
Villani ajoute avec une prudence toute machiavélique: «Onde fue, et sera sempre grande asempio a quelli, che sono et che saranno, di prendere i patti, che si possono havere de' nimici, potendo havere la terra assediata.» Vill., l. VII, c. XLV, p. 281-282.—Le légat engageait Charles à accepter les conditions des habitants: «Però che, poi che fossino indurati, ognidi peggiorerebbono i patti; ma raviendo egli la terra, con volontà decittadini medesimi ogni dì li potrebbe alargare; il quale era sano et buono consiglio.» (Id., l. VII, c. lxv, p. 281.)
7—page 17—Ce ne fut qu'au bout de plusieurs mois, etc.
Rien de plus romanesque et toutefois de plus vraisemblable que le tableau du chroniqueur sicilien, lorsque le froid Aragonais se hasarda à descendre sur cette terre ardente, où tout était passion et péril. Il allait entrer sur le territoire de Messine, et déjà il était parvenu à une église de Notre-Dame, ancien temple situé sur un promontoire d'où l'on voit la mer et la fumée lointaine des îles de Lipari. Il ne put s'empêcher d'admirer cette vue, et alla camper dans la vallée voisine. C'était le soir, et déjà tout le monde reposait. Un vieux mendiant s'approche et demande humblement à parler au roi de choses qui touchent l'honneur du royaume: «Excellent prince, dit-il, ne dédaignez pas d'écouter cet homme couvert de la cape des chevriers de l'Etna. J'aimais votre beau-frère, le roi Manfred, d'éternelle mémoire. Proscrit et dépouillé pour lui, j'ai visité les royaumes chrétiens et barbares. Mais je voulais revoir la Sicile, je me suis hasardé à y revenir; j'y ai vécu avec les bergers, changeant de retraite dans les gorges et les bois. Vous ne connaissez pas les Siciliens sur lesquels vous allez régner, vous ignorez leur duplicité. Comment vous fier, par exemple, au léontin Alayne, et à sa femme Machalda, qui le gouverne? Ne savez-vous pas qu'il a été proscrit par Manfred? ramené, enrichi par Charles d'Anjou? Sa femme saura bien encore le tourner contre vous-même.—Qui es-tu, mon ami, toi qui veux nous mettre en défiance de nos nouveaux sujets?—Je suis Vitalis de Vitali. Je suis de Messine...»—À l'instant même arrive Machalda, vêtue en amazone; elle venait hardiment prendre possession du jeune roi: «Seigneur, dit-elle, avec la vivacité sicilienne, j'arrive la dernière. Tous les logis sont pris, je viens vous demander l'hospitalité d'une nuit.» Le roi lui céda le logis où il devait reposer. Mais ce n'était pas son affaire, elle ne partait pas. Vainement dit-il à son majordome: «Il est temps de prendre du repos.» Elle reste immobile. Alors le roi prend son parti: «Eh bien, dit-il, causons jusqu'au jour. Madame, que craignez-vous le plus?—La mort de mon mari.—Qu'aimez-vous le plus?—Ce que j'aime n'est point à moi.»—Le roi, prenant alors un ton plus grave, raconte les phénomènes étranges qui ont, dit-il, accompagné sa naissance: il est venu au monde pendant un tremblement de terre; désigné ainsi par la Providence, il n'a pris les armes que pour accomplir le saint devoir de venger Manfred. Machalda, ainsi éconduite, devint l'ennemie implacable du roi. «Plût au ciel, dit naïvement l'historien patriote, qu'elle eût séduit le roi! Elle n'eût pas troublé le royaume.» (Barthol. a Neoc., apud Muratori, III, 1060-63.)
8—page 21—Le roi d'Aragon accepta le combat singulier proposé par Charles d'Anjou...
«Cio fece per grande sagacita di guerra et per suo gran senno, conciosiacosa ch'egli era molto povero di moneta et da no potere respondere al soccorso et riparo de' Ciciliani... Onde timea che... non si arrendessono... per che non li sentiva constanti ne fermi... el cosi et savio suo provedimento venne bene adoperato.» (Villani, c. LXXXV, p. 296.)
9—page 29—Philippe-le-Bel défend d'emprisonner qui que ce soit sur la seule demande des inquisiteurs...
«Dictum fuit (in parliamento) quod prælati aut eorum officiales non possunt pœnas pecuniarias Judæis infligere nec exigere per ecclesiasticam censuram, sed solum modo pœnam a canone statutam, scilicet communionem fidelium sibi subtrahere.» (Libertés de l'Église gallicane, II, 148).—On serait tenté de voir ici une ironie amère de l'excommunication.
10—page 38—Édouard Ier écrivit humblement à ses sujets de Guyenne, etc.
«Nous avions un traité avec le roi de France, d'après lequel nous avons fait de vous et de notre duché certaines obéissances à ce roi, que nous avons cru être pour le bien de la paix et l'avantage de la chrétienté. Mais, par là, nous nous sommes rendus coupables envers vous, puisque nous l'avons fait sans votre consentement; d'autant plus que vous étiez bien préparés à garder et à défendre votre terre. Toutefois, nous vous demandons de vouloir bien nous tenir pour excusés; car nous avons été circonvenus et séduits dans cette conjoncture. Nous en souffrons plus que personne, comme pourront vous l'assurer Hugues de Vères, Raymond de Ferrers, qui conduisaient en notre nom ce traité à la cour de France. Mais, avec l'aide de Dieu, nous ne ferons plus rien d'important désormais relativement à ce duché sans votre conseil et votre assentiment. (Ap. Rymer, t. II, p. 644.—Sismondi, VIII, 480.)
11—page 39—L'indulgence de la Coutume de Flandre pour la femme et pour le bâtard...
«In Flandria jam inde ab initio observatum constat, neminem ibi nothum esse ex matre.» (Meyer, folio 75.) Le privilège fut étendu aux hommes de Bruges par Louis de Nevers: «Il les affranchit de bastardise, sy avant que le bastard soit bourgeois ou fils de bourgeois, sans fraude (1331).» (Oudegherst, Chron. de Flandres.—Origines du droit, l. Ier, ch. III.) Les bâtards héritaient des biens de leurs mères. «Car on n'est pas l'enfant illégitime de sa mère.» (Miroir de Saxe.)—Diverses lois anciennes donnent même aux enfants naturels des droits sur les biens de leur père. (Grimm, 476.)—J'ai parlé ailleurs du droit des bâtards en France. Selon Olivier de la Marche, «il n'y avait en Europe que les Allemands chez qui les bâtards fussent généralement méprisés.» Guillaume-le-Conquérant s'intitule dans une lettre: «Moi, Guillaume, surnommé le Bâtard.»
12—page 50—Boniface VIII, vieil avocat, etc.
«Hic longo tempore experientiam habuit curiæ, quia primo advocatus ibidem, inde factus postea notarius papæ, postea cardinalis, et inde in cardinalatu expeditor ad casus Collegii declarandos, seu ad exteros respondendos.» (Muratori, XI, 1103.)
13—page 51—L'homme est double; il y a en lui le Pape et l'Empereur...
«Cum omnis natura ad ultimum quemdam finem ordinetur, consequitur ut hominis duplex finis existat: ut sicut inter omnia entia solus incorruptibilitatem et corruptibilitatem participat, sic... Propter quod opus fuit homini duplici directivo, secundum duplicem finem: scilicet summo pontifice, qui secundum revelata humanum genus produceret ad vitam æternam; et imperatore, qui secundum philosophica documenta genus humanum ad temporalem felicitatem dirigeret. (Dante, De Monarchia, p. 78, édit. Zatta.)
14—page 51—De Monarchia, «De l'unité du monde social»...
Dante (De Monarchia, t. IV, p. 2 a). L'éditeur a mis au frontispice l'aigle de l'Empire avec cette épigraphe:
E sotto l'ombra delle sacre penne,
Governo l'mondo li di mano in mano.
Paradis, c. VI, v. 7.
15—page 52—Ce monarque, possédant tout, ne peut rien désirer, etc.
«Notandum quod justitiæ maxime contrariatur cupiditas... Ubi non est quod possit optari, impossibile est ibi cupiditatem esse... Sed monarchia non habet quod possit optare. Sua namque juridictio terminatur Oceano solum.» (P. 17).—Il prouve ensuite que la charité, la liberté universelle, sont à la condition de cette monarchie.—«O genus humanum, quantis procellis et jacturis quantisque naufragiis agitari te necesse est, dum bellua multorum capitum factum, in diversa conaris, intellectu ægrotas utroque similiter et affectu... cum per tubam Sancti Spiritus tibi effletur: Ecce quam bonum et quam jucundum habitare fratres in unum!» (Dante, De Monarchia, p. 27.)
16—page 54—Saisset appartenait à la famille des anciens vicomtes de Toulouse...
«Quod antiquitus erat Comes et Vicecomes Tholosæ, et quia ipse erat de genere Vicecomitis, qui dictus Vicecomes dominabatur in certa parte civitatis Tholosæ.» (Dupuy, Différ., 640.)
Il était l'ami de toute la noblesse municipale...
«Quia omnes meliores homines de Tholosa sunt de parentela nostra, et facient quidquid nos voluerimus.» (Ibid., p. 643.)
Il rêvait la fondation d'un royaume du Languedoc...
«Audivit dictum episcopum Appam. comiti Fuxi dicentem: Faciatis pacem mecum, et vos habebitis civitatem Appam, et eritis rex, quia antiquitus solebat ibi esse regnum adeo nobile sicut regnum Franciæ, et postea ego faciam quod vos eritis comes Tholosæ, quia in civitate Tholosæ et in terra habeo multos amicos, valde nobiles et valde potentes...» (Ibid., 645.) Voy. encore le premier témoin, p. 633, et le quatorzième témoin, p. 640.
... au profit du comte de Comminges...
«Ipse episcopus semper dilexerat comitem Convenarum et totum genus suum, et specialiter quia erat ex parte una de recta linea comitis Tholosani, et quod gentes totius terræ diligebant dictum comitem ex causa prædicta.» (Ibid., dix-septième témoin, p. 642.)
17—page 59—La petite bulle fut brûlée, etc.
Dupuy, Preuves du diff., p. 59.—«Fuerunt litteræ ejus (papæ) in regno Franciæ coram pluribus concrematæ, et sine honore remissi nuntii.» (Chron. Rothomagense, ann. 1302; et Appendix Annalium H. Steronis Altahensis.)—Le ms. cité par Dupuy, Preuves du diff., 59, et que lui seul a vu, n'est donc pas, comme le dit M. de Sismondi, la seule autorité pour ce fait. (Voy. Sism., IX, 88.)
18—page 61—Lettre des nobles aux cardinaux...
La lettre ajoutait au nom des nobles: «Et se ainsi estoit que nous, ou aucuns de nous le voulsissions souffrir, ne les souferroit mie lidicts nostre sire li roys, ne li commun peuples dudit royaume: et à grand'douleur, et à grand meschief, nous vous faisons à sçavoir par la teneur de ces lettres, que ce ne sont choses qui plaisent à Dieu, ne ne doivent plaire à nul homme de bonne voulenté, ne oncques mes telles choses ne descendirent en cuer d'homme, ne ores ne furent, ne attendües advenir, fors avecques Antechrist... Pourquoi nous vous prions et requerons tant affectueusement comme nous pouvons... que li malices qui est esmeus, soit arrière mis et anientis, et que de ces excès qu'il a accoustumé à faire, il soit chastiez en telle manière, que li estat de la Chrestienté soit et demeure en son bon point et en son bon estat, et de ces choses nous faites à sçavoir par le porteur de ces lettres vostre volenté et vostre entention: car pour ce nous l'envoyons espéciaument à vous, et bien voulons que vous soyez certain que ne pour vie, ne pour mort, nous ne départirons, ne ne veons à départir de ce procez, et feust ores, ainsi que li Roys nostre Sire le voulust bien... Et pource que trop longue chose, et chargeans seroit, se chacun de nous metteroit seel en ces présentes lettres, faites de nostre commun assentement, nos Loys fils le roi de France, cuens de Évreux; Robert cuens d'Artois; Robert Dux de Bourgoigne; Jean Dux de Bretaine; Ferry Dux de Lorraine; Jean cuens de Hainaut et de Hollande; Henry cuens de Luxembourg; Guis cuens de S. Pol; Jean cuens de Dreux; Hugues cuens de la Marche; Robert cuens de Bouloigne; Loys cuens de Nivers et de Retel; Jean cuens d'Eu; Bernard cuens de Comminges; Jean cuens d'Aubmarle; Jean cuens de Fores; Valeran cuens de Périgors; Jean cuens de Joigny; Jean cuens d'Auxerre; Aymars de Poitiers, cuens de Valentinois; Estennes cuens de Sancerre; Renault cuens de Montbeliart; Enjorrant sire de Coucy; Godefroi de Breban; Raoul de Clermont connestable de France; Jean sire de Chastiauvilain; Jourdain sire de Lille; Jean de Chalon sire Darlay; Guillaume de Chaveigny sire de Chastiau-Raoul; Richars sire de Beaujeu, et Amaurry vicuens de Narbonne, avons mis à la requeste, et en nom de nous, et pour tous les autres, nos seaus en ces présentes lettres. Donné à Paris, le 10e jour d'avril, l'an de grâce 1302.»
19—page 62—Lettre des membres du clergé...
«...Prout quidam nostrum qui ducatus, comitatus, baronias, feoda et alia membra dicti regni tenemus... adessemus eidem debitis consiliis et auxiliis opportunis... Cognoscentes quod excrescunt angustiæ cum jam abhorreant laïci et prorsus effugiant consortia clericorum.» (Dupuy, Preuves, p. 70.)—La lettre est datée de mars, c'est-à-dire probablement antidatée: «Datum Parisiis die Martis prædicta: le susdit jour de mars.» Et ils n'ont indiqué auparavant aucun jour. Mais ils ne voulaient point dater de l'assemblée du roi, ne s'étant pas rendus à celle du pape.
Cette lettre contient également le grand grief de la noblesse...
«Et prælati dum non habent quid pro meritis tribuant, imo retribuant, nobilibus, quorum progenitores ecclesias fundaverunt, et aliis litteratis personis, non inveniunt servitores.» (Dup., Preuves, p. 69.)
20—page 64—Le lion couronné de Gand, qui dort aux genoux de la Vierge...
«Hodie quoque pro symbolo urbis Virgo sepimento ligneo clausa, cujus in sinu Leo cum Flandriæ labaro cubat...» (Sanderus, Gandav. Rer., l. I, p. 51.)
21—page 64—«Roland, Roland», etc.
C'était l'inscription de la cloche:
Roelandt, Roelandt, als ick kleppe, dan ist brandt,
Als ick luve, dan ist storm in Vlaenderlandt.
(Sanderus, l. II, p. 115.)
«Primus ausus est Gallorum obsistere tyrannidi Petrus cognomento Rex, homo plebeius, unoculus, ætate sexagenarius, opificio textor pannorum, brevi vir statura nec facie admodum liberali, animo tamen magno et feroci, consilio bonus, manu promptus, flandrica quidem lingua cumprimis facundus, gallicæ ignarus.» (Meyer, p. 91.)
Les gens du peuple se mettent à battre leurs chaudrons...
«Cumque ad campanam civitatis non auderent accedere, pelves suas pulsantes... omnem multitudimen concitarunt.» (Ibid., p. 90.)
23—page 65—Les Gantais furent retenus par leurs gros fabricants.
«Primores civitatis, quique dignitate aliqua aut opibus valebant, Liliatorum sequebantur partes, formidantes Regis potentiam, suisque timentes facultatibus.» (Ibid., p. 91.)
24—page 66—Ils voulurent communier ensemble, etc.
«À la bataille de Courtrai, les Flamands firent venir un prêtre sur le champ de bataille avec le corps de Christ, de sorte qu'ils pouvaient tous le voir. En guise de communion, chacun d'eux prit de la terre à ses pieds et se la mit dans la bouche.» (G. Villani, t. VIII, c. LV, p. 335.)—Voy. d'autres exemples de cette communion par la terre dans mes Origines du droit, livre III, ch. IV.
25—page 66—On répétait que Châtillon, etc.
«Vasa vinaria portasse restibus plena, ut plebeios strangularet.» (Meyer.)
La reine avait, disait-on, recommandé aux Français que, etc.
«Ut apros quidem, hoc est viros, hastis, sed sues verutis confoderent, infesta admodum mulieribus, quas sues vocabat, ob fastum illum femineum visum a se Brugis.» (Ibid., p. 93.)—La reine avait dit en voyant les Flamandes: «Ego rata sum me esse reginam; at hic sexcentas conspicio.» (Ibid., p. 89.)
26—page 76—Les Flamands tuaient à leur aise, etc.
«Incredibile narratu est quanto robore, quantaque ferocia, colluctantem secum in fossis hostem nostri exceperint, malleis ferreis plumbeisque mactaverint.» (Meyer, 94.)—«Guillelmus cognomento ab Saltinga...... tantis viribus dimicavit, ut equites 40 prostravisse, hostesque alios 1400 se jugulasse gloriatus sit.» (Ibid., 95.)
27—page 68—Après la défaite de Philippe à Courtrai, la cour pontificale changea de langage...
Quinze jours avant la bataille de Courtrai, le pape tint dans l'assemblée des cardinaux un discours dont la conciliation semblait le but. Il y dit, entre autres choses, que sous Philippe-Auguste le roi de France avait dix-huit mille livres de revenus, et que maintenant, grâce à la munificence de l'Église, il en avait plus de quarante mille. Pierre Flotte, dit-il encore, est aveugle de corps et d'esprit, Dieu l'a ainsi puni en son corps; cet homme de fiel, cet homme du diable, cet Achitophel, a pour appui les comtes d'Artois et de Saint-Pol; il a falsifié ou supposé une lettre du pape; il lui fait dire au roi qu'il ait à reconnaître qu'il tient son royaume de lui. Le pape ajoute: «Voilà quarante ans que nous sommes docteur en droit, et que nous savons que les deux puissances sont ordonnées de Dieu. Qui peut donc croire qu'une telle folie nous soit tombée dans l'esprit?... Mais on ne peut nier que le roi ou tout autre fidèle ne nous soit soumis sous le rapport du péché... Ce que le roi a fait illicitement, nous voulons désormais qu'il le fasse licitement. Nous ne lui refuserons aucune grâce. Qu'il nous envoie des gens de bien, comme le duc de Bourgogne et le comte de Bretagne; qu'ils disent en quoi nous avons manqué, nous nous amenderons. Tant que j'ai été cardinal, j'ai été Français; depuis, nous avons beaucoup aimé le roi. Sans nous, il ne tiendrait pas d'un pied dans son siège royal; les Anglais et les Allemands s'élèveraient contre lui. Nous connaissons tous les secrets du royaume; nous savons comme les Allemands, les Bourguignons et ceux du Languedoc aiment les Français. Amantes neminem amat vos nemo, comme dit Bernard. Nos prédécesseurs ont déposé trois rois de France; après tout ce que celui-ci a fait, nous le déposerions comme un pauvre gars (sicut unum garcionem), avec douleur toutefois, avec grande tristesse, s'il fallait en venir à cette nécessité.» (Dupuy, Preuves, p. 77-8.)—Malgré l'insolence de la finale, ce discours était une concession du pape, un pas en arrière.
28—page 69, note 1—Consultation de Pierre Dubois contre le pape...
Voici en substance ce pamphlet du quatorzième siècle.—Après avoir établi l'impossibilité d'une suprématie universelle et réfuté les prétendus exemples des Indiens, des Assyriens, des Grecs et des Romains, il cite la loi de Moïse qui défend la convoitise et le vol. «Or le pape convoite et ravit la suprême liberté du roi, qui est et a toujours été de n'être soumis à personne, et de commander par tout son royaume sans crainte de contrôle humain. De plus, on ne peut nier que depuis la distinction des domaines, l'usurpation des choses possédées, de celles surtout qui sont prescrites par une possession immémoriale, ne soit péché mortel. Or le roi de France possède la suprême juridiction et la franchise de son temporel, depuis plus de mille ans. Item, le même roi, depuis le temps de Charlemagne dont il descend, comme on le voit dans le canon Antecessores possède, et a prescrit la collation des prébendes et les fruits de la garde des églises, non sans titre et par occupation, mais par donation du pape Adrien, qui, du consentement du concile général, a conféré à Charlemagne ces droits et bien d'autres presque incomparablement plus grands, savoir que lui et ses successeurs pourraient choisir et nommer qui ils voudraient papes, cardinaux, patriarches, prélats, etc. D'ailleurs, le pape ne peut réclamer la suprématie du royaume de France que comme souverain Pontife: mais si c'était réellement un droit de la papauté, il eût appartenu à saint Pierre et à ses successeurs qui ne l'ont point réclamé. Le roi de France a pour lui une prescription de douze cent soixante-dix ans. Or, la possession centenaire même sans titre suffit, d'après une nouvelle constitution dudit pape, pour prescrire contre lui et contre l'Église romaine, et même contre l'Empire, selon les lois impériales. Donc, si le pape ou l'empereur avaient eu quelque servitude sur le royaume, ce qui n'est pas vrai, leur droit serait éteint... En outre, si le pape statuait que la prescription ne court pas contre lui, elle ne courra donc pas non plus contre les autres, et surtout contre les princes, qui ne reconnaissent pas de supérieurs. Donc, l'empereur de Constantinople qui lui a donné tout son patrimoine (la donation étant excessive, comme faite par un simple administrateur des biens de l'Empire), peut, comme donateur (ou l'empereur d'Allemagne, comme subrogé en sa place), révoquer cette donation... Et ainsi la papauté serait réduite à sa pauvreté primitive des temps antérieurs à Constantin, puisque cette donation, nulle en droit dès le principe, pourrait être révoquée sans la prescription longissimi temporis.» (Dupuy, p. 15-7.)
29—page 70—«Dans la chaire du bienheureux Pierre, siège ce maître des mensonges...»
«Sedet in cathedra beati Petri mendaciorum magister, faciens se, cum sit omnifario maleficus, Bonifacium nominari.» (Ibid.) «Nec ad ejus excusationem... quod ab aliquibus dicitur post mortem dicti Cœlestini... cardinales in eum denuo consensisse: cum ejus esse conjux non potuerit quam, primo viro vivente, fide digno conjugii, constat per adulterium polluisse.» (Ibid., 57.) «Ut sicut angelus Domini prophetæ Balaam... occurrit gladio evaginato in via, sic dicto pestifero vos evaginato gladio occurrere velitis, ne possit malum perficere populo quod intendit.» (Ibid.)
30—page 71—Réquisitoire de Plasian contre Boniface...
«Moi Guillaume de Plasian, chevalier, je dis, j'avance et j'affirme que Boniface qui occupe maintenant le siège apostolique sera trouvé parfait hérétique, en hérésies, faits énormes et dogmes pervers ci-dessous mentionnés: 1o il ne croit pas à l'immortalité de l'âme; 2o il ne croit pas à la vie éternelle, car il dit qu'il aimerait mieux être chien, âne ou quelque autre brute que Français, ce qu'il ne dirait pas s'il croyait qu'un Français a une âme éternelle.—Il ne croit point à la présence réelle, car il orne plus magnifiquement son trône que l'autel.—Il a dit que pour abaisser le roi et les Français, il bouleverserait tout le monde.—Il a approuvé le livre d'Arnaud de Villeneuve, condamné par l'évêque et l'Université de Paris.—Il s'est fait élever des statues d'argent dans les églises.—Il a un démon familier: car il a dit que si tous les hommes étaient d'un côté et lui seul de l'autre, il ne pourrait se tromper ni en fait ni en droit: cela suppose un art diabolique.—Il a prêché publiquement que le pontife romain ne pouvait commettre de simonie: ce qui est hérétique à dire.—En parfait hérétique qui veut avoir la vraie foi à lui seul, il a appelé Patérins les Français, nation notoirement très chrétienne.—Il est sodomite.—Il a fait tuer plusieurs clercs devant lui, disant à ses gardes s'ils ne les tuaient pas du premier coup: Frappe, frappe; Dali, Dali.—Il a forcé des prêtres à violer le secret de la confession...—Il n'observe ni vigiles ni carême.—Il déprécie le collège des cardinaux, les ordres des moines noirs et blancs, des frères prêcheurs et mineurs, répétant souvent que le monde se perdait par eux, que c'étaient de faux hypocrites, et que rien de bon n'arriverait à qui se confesserait à eux.—Voulant détruire la foi, il a conçu une vieille aversion contre le roi de France, en haine de la foi, parce qu'en la France est et fut toujours la splendeur de la foi, le grand appui et l'exemple de la chrétienté.—Il a tout soulevé contre la maison de France, l'Angleterre, l'Allemagne, confirmant au roi d'Allemagne le titre d'empereur, et publiant qu'il le faisait pour détruire la superbe des Français, qui disaient n'être soumis à personne temporellement: ajoutant qu'ils en avaient menti par la gorge (per gulam), et déclarant que si un ange descendait du ciel et disait qu'ils ne sont soumis ni à lui ni à l'empereur, il serait anathème.—Il a laissé perdre la terre sainte... détournant l'argent destiné à la défendre.—Il est publiquement reconnu simoniaque, bien plus, la source et la base de la simonie, vendant au plus offrant les bénéfices, imposant à l'Église et aux prélats le servage et la taille pour enrichir les siens du patrimoine du Crucifié, en faire marquis, comtes, barons.—Il rompt les mariages.—Il rompt les vœux des religieuses.—Il a dit que dans un peu il ferait de tous les Français des martyrs ou des apostats, etc.» (Dupuy, Diff., Preuves, p. 102-7; cf. 326-346, 350-362.)
31—page 72—L'Université de Paris, les dominicains de la même ville, les mineurs de Touraine, se déclarèrent pour le roi...
En 1295, Boniface les avait affranchis de toute juridiction ecclésiastique, sans craindre le mécontentement du clergé de France. (Bulæus, III, p. 511.) Il n'avait point cessé d'ajouter à leurs privilèges. (Ibid., p. 516, 545.)—Quant à l'Université, Philippe-le-Bel l'avait gagnée par mille prévenances. (Bulæus, III, p. 542, 544.) Aussi elle le soutint dans toutes ses mesures fiscales contre le clergé. Dès le commencement de la lutte, elle se trouvait associée à sa cause par le pape lui-même: «Universitates quæ in his culpabiles fuerint, ecclesiastico supponimus interdicto.» (Bulle Clericis laïcos.) Aussi l'Université se déclare hautement pour le roi: «Appellationi Régis adhæremus supponentes nos... et Universitatem nostram protectioni divinæ et prædicti concilii generalis ac futuri veri et legitimi summi pontificis.» (Dupuy, Preuves, p. 117-118).
32—page 74—Nogaret s'était fait donner des pouvoirs illimités du roi...
«Philippus, Dei gratia... Guillelmo de Nogareto... plenam et liberam tenore præsentium committimus potestatem, ratum habituri et gratum, quidquid factum fuerit in præmissis et ea tangentibus, seu dependentibus ex eisdem...» (Dupuy, Preuves, 175.)
33—page 75—... à Anagni, au milieu d'un peuple qui venait de traîner dans la boue les lis et le drapeau de France...
«Ut proditionem fecerint eidem domino Guillelmo et sequacibus suis, ac trascinare fecissent per Anagniam vexillum ac insignia dicti domini Regis, favore et adjutorio illius Bonifacii.» (Dupuy, Preuves, p. 175.)
34—page 75—Supino s'engagea pour la vie ou la mort de Boniface...
«Guillelmus prædictus asseruit dictum dominum Raynaldum (de Supino), esse benevolum, sollicitum et fidelem... tam in vita ipsius Bonifacii quam in morte... et ipsum dominum receptasse tam in vita quam in morte Bonifacii prædicti. (Dup., Preuves, p. 175.)
35—page 76—On menace, on outrage le vieillard, etc.
«Ruptis ostiis et fenestris palatii papæ, et pluribus locis igne supposito, per vim ad papam exercitus est ingressus; quem tunc permulti verbis contumeliosis sunt agressi: minæ etiam ei a pluribus sunt illatæ. Sed papa nulli respondit. Enimvero cum ad rationem positus esset, an vellet renunciare papatui, constanter respondit non, imo citius vellet perdere caput suum, dicens in suo vulgari: «Ecco il collo, ecco il capo.» (Walsingham, apud Dupuy, Preuves.)—«Da che per tradimento come Jesu Christo voglio essere preso, convienmi morire, almeno voglio morire come papa.» Et di presente si fece parare dell' amanto di san Piero, et con la corona di Constantino in capo, et con la chiavi et croce in mano, et posesi a sidere suso la sedia papale.» (Villani, VIII, 63.)—«Et eust été feru deux fois d'un des chevaliers de la Colonne, n'eust été un chevalier de France qui le contesta...» (Chron. de Saint-Denis. Dup., Preuves, p. 191.) Nicolas Gilles (1492) y ajoute: «Par deux fois cuida le pape estre tué par un chevalier de ceulx de la Coulonne, si ne fust qu'on le détourna: toutefois il le frappa de la main armée d'un gantelet sur le visage jusques à grande effusion de sang.» (Ap. Dupuy, Preuves, p. 199.)
36—page 77—On l'apporta sur la place, etc.
«Tunc populus fecit papam deportari in magnam plateam, ubi papa lacrymando populo prædicavit, inter omnia gratia agens Deo et populo Anagniæ de vita sua. Tandem in fine sermonis dixit: Boni homines et mulieres, constat vobis qualiter inimici mei venerunt et abstulerunt omnia bona mea, et non tantum mea, sed et omnia bona Ecclesiæ, et me ita pauperem sicut Job fuerat dimiserunt. Propter quod dico vobis veraciter, quod nihil habeo ad comedendum vel bibendum, et jejunus remansi usque ad præsens. Et si sit aliqua bona mulier quæ me velit de sua juvare eleemosyna, in pane vel vino: et si vinum non habuerit, de aqua permodica, dabo ei benedictionem Dei et meam... Tunc omnes hæc ex ore papæ clamabant: «Vivas, Pater sancte.» Et nunc cerneres mulieres currere certatim ad palatium, ad offerendum sibi panem, vinum vel aquam... Et cum non invenirentur vasa ad capiendum allata, fundebant vinum et aquam in arca cameræ papæ, in magna quantitate. Et tunc potuit quisque ingredi et cum papa loqui, sicut cum alio paupere.» (Walsingh. apud Dupuy, Preuves, 196.)
37—page 81—Philippe envoya au pape un mémoire contre Boniface, etc.
«La forme de cet acte est bizarre; à chaque titre d'accusation il y a un éloge pour la cour de Rome. Ainsi: «Les saints Pères avaient coutume de ne point thésauriser; ils distribuaient aux pauvres les biens des églises. Boniface, tout au contraire, etc.» C'est la forme invariable de chaque article. On pouvait douter si c'était bien sérieusement que le roi attribuait ainsi à un seul pape tous les abus de la papauté.» (Dupuy, Preuves, p. 209-210.)
Cet acte, rédigé en langue vulgaire, était plutôt un appel du roi au peuple, etc.
«À vous, très noble prince, nostre Sire, par la grace de Dieu Roy de France, supplie et requière le pueuble de vostre royaume, pour ce que il appartient que ce soit faict, que vous gardiez la souveraine franchise de vostre royaume, qui est telle que vous ne recognissiez de vostre temporel souverain en terre fors que Dieu, et que vous faciez déclarer que le pape Boniface erra manifestement et fit péché mortel, notoirement en vous mandant par lettres bullées que il estoit vostre souverain de vostre temporel... Item... que l'on doit tenir ledit Pape pour herège... L'on peut prouver par vive force sans ce que nul n'y pusse par raison répondre que le pape n'eut oncques seigneurie de vostre temporel... Quand Dieu le Père eut créé le ciel et les quatre éléments, eut formé Adam et Ève, il dit à eux et à leur succession: Quod calcaverit pes tuus, tuum erit... C'est-à-dire qu'il vouloit que chascun homme fut le seigneur de cen qu'il occuperoit de terre. Ainsi départirent les fils d'Adam la terre et en furent seigneurs trois mil ans et plus, avant le temps Melchisedech qui fut le premier Prêtre qui fut Roy, si comme dit l'histoire: mais il ne fut pas Roy de tout le monde: et obéissant la gent à li comme a Roy du temporel et non pas a Prestre si fut autant Roy que Prestre. Emprès sa mort fut grands temps, 600 ans ou plus, avant que nul autre fust Prestre. Et Dieu le Père qui donna la Loy à Moïse, l'establit Prince de son peuple d'Israël et li commanda que il fist Aaron son frère souverain Prestre et son fils après li. Et Moïse bailla et commist quand il deust mourir, du commandement de Dieu, la seigneurie du temporel non pas au souverain Prestre son frère mais à Josué sans débat que Aaron et son fils après li y missent: mais gardoient le tabernacle... et se aidoient au temporel défendre... Celuy Dieu qui toutes les choses présentes et avenir sçavoit, commanda à Josué leur Prince qu'il partist la terre entre ces onze lignies; et que la lignie des Prestres eussent en lieu de leur partie les diesmes et les premisses de tout, et en resquissent sans terre, si que eux peussent plus profitablement Dieu servir et prier pour ce pueuble. Et puis quand ce peuple d'Israël demanda Roy à nostre Seigneur, ou fit demander par le prophète Samuel, il ne leur eslit pas ce souverain Prestre, mais Saül qui surmontait de grandeur tout le pueuble de tout le col et de la teste... (Allusion à Philippe-le-Bel?) Si que il not nul Roy en Hierusalem sus le pueuble de Dieu qui fust Prestre, mais avoient Roy et souverain Prestres en diverses personnes et avoit l'un assez a faire de gouverner le temporel et le autre l'espirituel du petit pueuble et si obéissoient tous les Prestres, du temporel as Rois. Emprès Notre-Seigneur Jésus-Christ fut souverain Prestre, et ne trouve l'en point écrit qu'il eust oncques nulle possession de temporel... Après ce, sainct Père (Pierre)... Ce fust grande abomination à ouïr que c'est Boniface, pour ce que Dieu dit à sainct Père: «Ce que tu lieras en terre sera lié au ciel», cette parole d'espiritualité entendit mallement comme bougre, quant au temporel. Il estoit greigneur besoin qu'il sceust arabic, caldei, grieux, ebrieux et tous autres langages desqueulx il est moult de chrétiens qui ne croient pas, comme l'église de Rome... Vous nobles Roy... herège defendeour de la foy, destruieur de bougres povès et devès et estes tenus requerre et procurer que ledit Boniface soit tenus et jugez pour herège et punis en la manière que l'on le pourra et devra et doit faire emprès sa mort.» (Dupuy, Différ., p. 214-218.)
38—page 82—La guerre de Flandre avait mis à bout Philippe...
Cette terrible année 1303 est caractérisée par le silence des registres du parlement. On y lit en 1304: «Anno præcedente propter guerram Flandriæ non fuit parliamentum.» (Olim, III, folio CVII. Archives du royaume, section judiciaire.)
39—page 84—L'affaire du pape, etc.
Baillet établit un rapprochement entre les démêlés de Philippe-le-Bel et ceux de Louis XIV avec le Saint-Siège: «L'un et l'autre différend s'est passé sous trois papes, dont le premier ayant vu naître le différend est mort au fort de la querelle (Boniface VIII, Innocent XI). Le second (Benoît XI, successeur de Boniface, et Alexandre VIII, successeur d'Innocent), ayant été prévenu de soumissions par la France, s'est raccommodé en usant néanmoins de dissimulation pour sauver les prétentions de la cour de Rome. Le troisième (Clément V, et Innocent XII), a terminé toute l'affaire. De la part de la France, il n'y a eu dans chaque démêlé qu'un roi (Philippe-le-Bel, Louis XIV). Un évêque de Pamiers semble avoir donné occasion à la querelle dans l'un comme dans l'autre différend. Le droit de régale est entré dans tous les deux. Il y a eu dans l'un et dans l'autre appel au futur concile... L'attachement des membres de l'Église gallicane pour leur roi y a été presque égal. Le clergé, les universités, les moines et les mendiants se sont jetés partout dans les intérêts du roi et ont adhéré à l'appel. Il y a eu excommunication d'ambassadeurs, et menaces pour leurs maîtres. Les juifs chassés du royaume par Philippe-le-Bel, et les Templiers détruits, semblent fournir aussi quelque rapport avec l'extirpation des huguenots et la destruction des religieuses de l'Enfance.» (Baillet, Hist. des démêlés, etc.)
40—page 84, note 1—C'est la comète de Halley, etc.
On présume qu'elle parut la première fois à la naissance de Mithridate, 130 ans avant l'ère chrétienne. Justin (lib. XXXII) dit que pendant 80 jours elle éclipsait presque le soleil. Elle reparut en 339 et en 550, époque de la prise de Rome par Totila. En 1305, elle avait un éclat extraordinaire. En 1456, elle traînait une queue qui embrassait les deux tiers de l'intervalle compris entre l'horizon et le zénith; en 1682, la queue avait encore 30 degrés; en 1750, elle semblait ne devoir attirer l'attention que des astronomes. Ces faits sembleraient établir que les comètes vont s'affaiblissant. Celle de Halley a reparu en octobre 1835. (Annuaire du Bureau des longitudes pour 1835. Voy. aussi une notice sur cette comète par M. de Pontécoulant.)
41—page 87—Jupiter avoue qu'il meurt de faim sans Plutus...
Αφ' οὐ γἀρ ὁ Πλοῡτος
οὗτος ἢρξατο
βλέπειν,
Απολωλ'
ὑπδ
λιμοῠ... Aristoph., Plut., v. 1174. Voyez
aussi les vers 129, 133, 1152 et 1168-9.
42—page 88, note 2—Raymond Lulle, etc.
Il est dit dans l'Ultimatum Testamentum mis sous son nom, qu'en une fois il convertit en or cinquante milliers pesant de mercure, de plomb et d'étain.—Le pape Jean XXII, à qui Pagi attribue un traité sur l'Art transmutatoire, y disait qu'il avait transmuté à Avignon deux cents lingots pesant chacun un quintal, c'est-à-dire vingt mille livres d'or. Était-ce une manière de rendre compte des énormes richesses entassées dans ses caves? Au reste, ils étaient forcés de convenir entre eux que cet or qu'ils obtenaient par quintaux n'avaient de l'or que la couleur.
43—page 90—... de soufflets en soufflets, les voilà au trône du monde...
Je lisais le.. octobre 1834, dans un journal anglais: «Aujourd'hui, peu d'affaires à la Bourse; c'est jour férié pour les juifs.»—Mais ils n'ont pas seulement la supériorité de richesses.—On serait tenté de leur en accorder une autre lorsqu'on voit que la plupart des hommes qui font aujourd'hui le plus d'honneur à l'Allemagne sont des juifs (1837).—J'ai parlé dans les notes de la Renaissance de tant de juifs illustres, nos contemporains (1860).
44—page 91—«Une livre de votre chair!...»
Sir Thomas Mungo acquit à Calcutta, il y a trente ans, un ms. où se trouve l'histoire originale de la livre de chair, etc. Seulement, au lieu d'un chrétien, c'est un musulman que le juif veut dépecer. (Voy. Asiatic Journal.)—Orig. du droit, l. IV, c. XIII: L'atrocité de la loi des Douze Tables, déjà repoussée par les Romains eux-mêmes, ne pouvait, à plus forte raison, prévaloir chez les nations chrétiennes. Voy. cependant le droit norvégien. (Grimm, 617.)—Dans les traditions populaires, le juif stipule une livre de chair à couper sur le corps de son débiteur, mais le juge le prévient que s'il coupe plus ou moins, il sera lui-même mis à mort.—Voy. le Pecorone (écrit vers 1378), les Gesta Romanorum dans la forme allemande.—Voy. aussi mon Histoire romaine.
45—page 94—Entrevue de Philippe et de Bertrand de Gott...
G. Villani, l. VIII, c. LXXX, p. 417.—L'opinion du temps est bien représentée dans les vers burlesques cités par Walsingham:
Ecclesiæ navis titubat, regni quia clavis
Errat, Rex, Papa, facti sunt una cappa.
Hoc faciunt do, des, Pilatus hic, alter Herodes.
Walsingh., p. 456, ann. 1306.
46—page 99—Le malheureux pape donne, pour ne pas recevoir les commissaires du roi, la plus ridicule excuse...
Baluze, Acta vet. ad Pap. Av., p. 75-6... «Quædam præparatoria sumere, et postmodum purgationem accipere, quæ secundum prædictorum physicorum judicium, auctore Domino, valde utilis nobis erit.»
47—page 103—Le reniement s'exprimait par un acte, cracher sur la croix...
Voy. plus loin les motifs qui nous ont décidé à regarder ce point comme hors de doute.—Le quatorzième siècle ne voyait probablement qu'une singularité suspecte dans la fidélité des Templiers aux anciennes traditions symboliques de l'Église, par exemple dans leur prédilection pour le nombre trois. On interrogeait trois fois le récipiendaire avant de l'introduire dans le chapitre. Il demandait par trois fois le pain et l'eau, et la société de l'ordre. Il faisait trois vœux. Les chevaliers observaient trois grands jeûnes. Ils communiaient trois fois l'an. L'aumône se faisait dans toutes les maisons de l'ordre trois fois la semaine. Chacun des chevaliers devait avoir trois chevaux. On leur disait la messe trois fois la semaine. Ils mangeaient de la viande trois jours de la semaine seulement. Dans les jours d'abstinence, on pouvait leur servir trois mets différents. Ils adoraient la croix solennellement à trois époques de l'année. Ils juraient de ne pas fuir en présence de trois ennemis. On flagellait par trois fois en plein chapitre ceux qui avaient mérité cette correction, etc., etc., etc. Même remarque pour les accusations dont ils furent l'objet. On leur reprocha de renier trois fois, de cracher trois fois sur la croix. «Ter abnegabant, et horribili crudelitate ter in faciem spumebant ejus.» (Circul. de Philippe-le-Bel, du 14 septembre 1307.) «Et li fait renier par trois fois le prophète et par trois fois crachier sur la croix.» Instruct. de l'inquisiteur Guilaume de Paris.—(Rayn., p. 4.)
48—page 104—Ce nom de Temple rappelait le temple de Salomon...
Dans quelques monuments anglais, l'ordre du Temple est appelé Militia Templi Salomonis (ms. Biblioth. Cottonianæ et Bodleianæ.) Ils sont aussi nommés Fratres militia Salomonis, dans une charte de 1197. Ducange.—(Rayn., p. 2.)
49—page 104—Le Temple subsiste dans les enseignements d'une foule de sociétés secrètes...
Il est possible que les Templiers qui échappèrent se soient fondus dans des sociétés secrètes. En Écosse, ils disparaissent tous, excepté deux. Or on a remarqué que les plus secrets mystères de la franc-maçonnerie sont réputés émanés d'Écosse, et que les hauts grades y sont nommés Écossais. Voy. Grouvelle et les écrivains qu'il a suivis, Munter, Moldenhawer, Nicolaï, etc.
50—page 104—Les Templiers furent-ils affiliés aux gnostiques?...
Voy. Hammer, Mémoire sur deux coffrets gnostiques, p. 7. Voy. aussi le mémoire du même dans les Mines d'Orient, et la réponse de M. Raynouard. (Michaud, Hist. des croisades, éd. 1828, t. V, p. 572.)
51—page 107—Tout ce qu'il y avait eu de saint en l'ordre devint péché et souillure...
La règle austère que l'ordre reçut à son origine semble à sa chute un acte d'accusation terrible: «Domus hospitis non careat lumine, ne tenebrosus hostis... Vestiti autem camisiis dormiant, et cum femoralibus dormiant. Dormientibus itaque fratribus usque mane nunquam deerit lucerna...» (Actes du concile de Troyes, 1128. Ap. Dup. Templ., 92-102.)
52—page 107—... Son mépris pour la femme...
Voy. cependant Processus contra Templarios, ms. de la Biblioth. royale. Ce qu'on y lit dans les articles de l'interrogatoire sur leurs relations avec les femmes (Item les maîtres fesoient frères et suers du Temple... Proc. ms., folio 10-11) doit s'entendre des affiliés de l'ordre; il y en avait des deux sexes (Voyez Dup., Templ., 99, 162), mais il ne me souvient pas d'avoir lu aucun aveu sur ce point, même dans les dépositions les plus contraires à l'ordre. Ils avouent plutôt une autre infamie bien plus honteuse (1837).—Depuis j'ai publié les deux premiers volumes des pièces du procès des Templiers, avec une introduction, 1841-1851. J'y renvoie le lecteur (1860).
53—page 107—Ils se passaient aussi de prêtres, se confessant entre eux...
«La manere de tenir chapitre et d'assoudre. Après chapitre dira le mestre ou cely que tendra le chapitre: Beaux seigneurs frères, le pardon de nostre chapitre est tiels, que cil qui ostast les almones de la meson à toute male resoun, ou tenist aucune chose en noun de propre, ne prendreit u tens ou pardon de nostre chapitre. Mes toutes les choses qe vous lessez à dire pour hounte de la char, ou poour de la justice de la mesoun, qe lein ne la prenge requer Dieu pour la requeste de la sue douce Mere le vous pardoint.» (Conciles d'Angleterre, édit. 1737, tome II, p. 383.)
54—page 108, note 1—Les dépositions les plus sales, etc.
«Post redditas gratias capellanus ordinis Templi increpavit fratres, dicens: «Diabolus comburet vos» vel similia verba... Et vidit braccias unius fratrum Templi et ipsum tenentem faciem versus occidentem et posteriora versus altare...» (359.) «Ostendebatur imago Crucifixi et dicebatur ei, quod sicut antea honoraverat ipsum sic modo vituperaret, et conspueret in eum: quod et fecit. Item dictum fuit ei quod, depositis bracciis, verteret dorsum ad crucifixum: quod lacrymando fecit...» (Ibid., 569, col. 1.)
55—page 109—Ils possédaient, etc.
«Habent Templarii in christianitate novem millia maneriorum...» (Math. Paris, p. 417.) Plus tard la Chronique de Flandre leur attribue 10,500 manoirs. Dans la sénéchaussée de Beaucaire, l'ordre avait acheté en quarante ans pour 10,000 livres de rentes.—Le seul prieuré de Saint-Gilles avait 54 commanderies. (Grouvelle, p. 196.)
56—page 110—Ils avaient refusé d'aider à la rançon de saint Louis...
Joinville, p. 81, ap. Dup., Pr., p. 163-164.—Lorsqu'on effectuait le paiement de la rançon, il manquait 30,000 livres. Joinville pria les Templiers de les prêter au roi. Ils refusèrent et dirent: «Vous savez que nous recevons les commandes en tel manière que par nos serements nous ne les poons délivrer, mès que à ceulz qui les nous baillent.» Cependant ils dirent qu'on pouvait leur prendre cet argent par force, que l'Ordre avait dans la ville d'Acre de quoi se dédommager. Joinville se rendit alors sur leur «mestre galie», et, descendu dans la cale, demanda les clefs d'un coffre qu'il voyait devant lui. On les lui refusa. Il prit une cognée, la leva et menaça de faire la clef le roy. Alors le maréchal du Temple le prit à témoin qu'il lui faisait violence, et lui donna la clef. (Joinville, p. 81, éd. 1761.)
57—page 112—Philippe-le-Bel leur devait de l'argent...
«Is magistrum ordinis exosum habuit, propter importunam pecuniæ exactionem, quam, in nuptiis filiæ suæ Isabellæ, ei mutua dederat.» (Thomas de la Moor, in Vita Eduardi, apud Baluze, Pap. Aven., notæ, p. 189).—Le Temple avait, à diverses époques, servi de dépôt aux trésors du roi. Philippe-Auguste (1190) ordonne que tous ses revenus, pendant son voyage d'outre-mer, soient portés au Temple et enfermés dans des coffres, dont ses agents auront une clef et les Templiers une autre. Philippe-le-Hardi ordonne qu'on y dépose les épargnes publiques.—Le trésorier des Templiers s'intitulait trésorier du Temple et du roi, et même trésorier du roi au Temple. (Sauval, II, 37.)
58—page 112—La tentation était forte pour le roi...
Voy. dans Dupuy un pamphlet que Philippe-le-Bel se fit probablement adresser: «Opinio cujusdam prudentis regi Philippo, ut regnum Hieros, et Cypri acquireret pro altero filiorum suorum, ac de invasione regni Ægypti et de dispositione bonorum ordinis Templariorum.»—Voy. aussi Walsingham.—L'idée d'appliquer leurs biens au service de la terre sainte aurait été de Raymond Lulle. (Baluz. Pap. Aven.)
59.—page 114—Les Templiers étaient plus exclusivement fondés pour la guerre...
«Si unio fieret, multum oporteret quod Templarii lararentur, vel Hospitalarii restringerentur in pluribus. Et ex hoc possent animarum pericula provenire... Religio Hospitalariorum super hospitalitate fundata est. Templarii vero super militia proprie sunt fundati.» (Dupuy, Preuves, p. 180.)
60—page 115—Que dans le chapitre général de l'Ordre, il y avait une chose si secrète, etc.
Un autre disait: «Esto quod esses pater meus et posses fieri summus magister totius ordinis, nollem quod intrares, quia habemus tres articulos inter nos in ordine nostro quos nunquam aliquis sciet nisi Deus et diabolus et nos, fratres illius ordinis» (51 test., p. 361).—Voy. les histoires qui couraient sur des gens qui auraient été tués pour avoir vu les cérémonies secrètes du Temple. (Concil. Brit., II, 361.)
61—page 116, note 3—En Écosse on leur reprochait, etc.
«Item dixerunt quod pauperes ad hospitalitatem libenter non recipiebant, sed, timoris causa, divites et potentes solos; et quod multum erant cupidi aliena bona per fas et nefas pro suo ordine adquirere.» (Concil. Brit., 40e témoin d'Écosse, p. 382.)
62—page 116—Philippe venait d'augmenter leurs privilèges...
Il est curieux de voir par quelle prodigalité d'éloges et de faveurs il les attirait dans son royaume dès 1304: «Philippus, Dei gratia Francorum Rex, opera misericordiæ, magnifica plenitudo quæ in sancta domo militiæ Templi, divinitus instituta, longe lateque per orbem terrarum exercentur... merito nos inducunt ut dictæ domui Templi et fratribus ejusdem in regno nostro ubilibet constitutis, quos sincere diligimus et prosequi favore cupimus speciali, regiam liberalitatis dextram extendimus.» (Rayn., p. 44.)
63—page 116—On s'assura de l'assentiment de l'Université...
Le roi s'étudia toujours à lui faire partager l'examen et aussi la responsabilité de cette affaire. Nogaret lut l'acte d'accusation devant la première assemblée de l'Université, tenue dès le lendemain de l'arrestation. Une autre assemblée de tous les maîtres et de tous les écoliers de chaque faculté fut tenue au Temple: on y interrogea le grand maître et quelques autres. Ils le furent encore dans une seconde assemblée.
64—page 117—Suivait l'indication sommaire des accusations...
Voy. les nombreux articles de l'acte d'accusation (Dup.). Il est curieux de le comparer à une autre pièce du même genre, à la bulle du pape Grégoire IX aux électeurs d'Hildesheim, Lubeck, etc., contre les Stadhinghiens (Rayn., ann. 1234, XIII, p. 446-7). C'est avec plus d'ensemble l'accusation contre les Templiers. Cette conformité prouverait-elle, comme le veut M. de Hammer, l'affiliation des Templiers à ces sectaires?
65—page 117—Ce qui frappait le plus les imaginations, c'étaient les bruits étranges qui couraient sur une idole, etc.
Selon les plus nombreux témoignages, c'était une tête effrayante à la longue barbe blanche, aux yeux étincelants (Rayn., p. 261) qu'on les accusait d'adorer. Dans les instructions que Guillaume de Paris envoyait aux provinces il ordonnait de les interroger sur «une ydole qui est en forme d'une teste d'homme à une grant barbe». Et l'acte d'accusation que publia la cour de Rome portait, art. 16: «Que dans toutes les provinces ils avaient des idoles, c'est-à-dire des têtes dont quelques-unes avaient trois faces et d'autres une seule, et qu'il s'en trouvait qui avaient un crâne d'homme.» Art. 47 et suivants: «Que dans les assemblées et surtout dans les grands chapitres, ils adoraient l'idole comme un Dieu, comme leur Sauveur, disant que cette tête pouvait les sauver, qu'elle accordait à l'Ordre toutes les richesses et qu'elle faisait fleurir les arbres et germer les plantes de la terre.» (Rayn., p. 287.) Les nombreuses dépositions des Templiers en France, en Italie, plusieurs témoignages indirects en Angleterre répondirent à ce chef d'accusation et ajoutèrent quelques circonstances. On adorait cette tête comme celle d'un Sauveur, «quoddam caput cum barba, quod adorant et vocant Salvatorem suum» (Rayn., 288). Deodat Jaffet, reçu à Pedenat, dépose que celui qui le recevait lui montra une tête ou idole qui lui parut avoir trois faces, en lui disant: Tu dois l'adorer comme ton Sauveur et le Sauveur de l'ordre du Temple, et que lui témoin adora l'idole disant: «Béni soit celui qui sauvera mon âme» (p. 247 et 293). Cettus Ragonis, reçu à Rome dans une chambre du palais de Latran, dépose qu'on lui dit en lui montrant l'idole: Recommande-toi à elle et prie-la qu'elle te donne la santé (p. 295). Selon le premier témoin de Florence, les frères lui disaient les paroles chrétiennes: «Deus, adjuva me.» Et il ajoutait que cette adoration était un rit observé dans tout l'Ordre (p. 294). Et en effet, en Angleterre, un frère mineur dépose avoir appris d'un Templier anglais qu'il y existait quatre principales idoles, une dans la sacristie du Temple de Londres, une à Bristelham, la troisième apud Brueriam et la quatrième au delà de l'Humber (p. 297). Le second témoin de Florence ajoute une circonstance nouvelle; il déclare que dans un chapitre un frère dit aux autres: «Adorez cette tête... Istud caput vester Deus est, et vester Mahumet» (p. 295). Gauserand de Montpesant dit qu'elle était faite in figuram Baffometi, et Raymond Rubei, déposant qu'on lui avait montré une tête de bois où était peinte figura Baphometi, ajoute: «Et illam adoravit obsculando sibi pedes, dicens yalla, verbum Sarace norum.»
M. Raynouard (p. 301) regarde le mot Baphomet, dans ces deux dépositions, comme une altération du mot Mahomet donné par le premier témoin: il y voit une tendance des inquisiteurs à confirmer ces accusations de bonne intelligence avec les Sarrasins, si répandues contre les Templiers. Alors il faudrait admettre que toutes ces dépositions sont complètement fausses et arrachées par les tortures, car rien de plus absurde sans doute que de faire les Templiers plus mahométans que les mahométans, qui n'adorent point Mahomet. Mais ces témoignages sont trop nombreux, trop unanimes et trop divers à la fois (Rayn., p. 222, 337 et 286-302). D'ailleurs ils sont loin d'être accablants pour l'Ordre. Tout ce que les Templiers disent de plus grave, c'est qu'ils ont eu peur, c'est qu'ils ont cru y voir une tête de diable, de mauffe (p. 290), c'est qu'ils ont vu le diable lui-même dans ces cérémonies, sous la figure d'un chat ou d'une femme (p. 293-294). Sans vouloir faire des Templiers en tout point une secte de gnostiques, j'aimerais mieux voir ici, avec M. de Hammer, une influence de ces doctrines orientales. Baphomet, en grec (selon une étymologie, il est vrai, assez douteuse), c'est le dieu qui baptise selon l'esprit, celui dont il est écrit: «Ipse vos baptizavit in Spiritu Sancto et igni» (Math., 3, 11), etc. C'était pour les gnostiques le Paraclet descendu sur les apôtres en forme de langues de feu. Le baptême gnostique était en effet un baptême de feu. Peut-être faut-il voir une allusion à quelque cérémonie de ce genre dans ces bruits qui couraient dans le peuple contre les Templiers «qu'un enfant nouveau engendré d'un Templier et d'une pucelle estoit cuit et rosty au feu, et toute la graisse ostée et de celle estoit sacrée et ointe leur idole» (Chron. de Saint-Denis, p. 58). Cette prétendue idole ne serait-elle pas une représentation du Paraclet dont la fête (la Pentecôte) était la plus grande solennité du Temple? Ces têtes, dont une devait se trouver dans chaque chapitre, ne furent point retrouvées, il est vrai, sauf une seule, mais elle portait l'inscription LIII. La publicité et l'importance qu'on donnait à ce chef d'accusation décidèrent sans doute les Templiers à en faire au plus tôt disparaître la preuve. Quant à la tête saisie au chapitre de Paris, ils la firent passer pour un reliquaire, la tête de l'une des onze mille vierges. (Rayn., p. 299.)—Elle avait une grande barbe d'argent.
66—page 120—La réponse du roi au pape, etc.
Dupuy ne donne point cette lettre en entier; probablement elle ne fut point envoyée, mais plutôt répandue dans le peuple. Nous en avons une, au contraire, du pape (1er décembre 1307), selon laquelle le roi aurait écrit à Clément V que des gens de la cour pontificale avaient fait croire aux gens du roi que le pape le chargeait de poursuivre; le roi se serait empressé de décharger sa conscience d'un tel fardeau et de remettre toute l'affaire au pape, qui l'en remercie beaucoup. Cette lettre de Clément me paraît, comme l'autre, moins adressée au roi qu'au public; il est probable qu'elle répond à une lettre qui ne fut jamais écrite.
67—page 120—On obtint sur-le-champ cent quarante aveux par les tortures...
Archives du royaume, I, 413. Ces dépositions existent dans un gros rouleau de parchemin, elles ont été fort négligemment extraites par Dupuy, p. 207-212.
68—page 121—Le pape envoya deux cardinaux demander au grand maître si tout cela était vrai...
«Confessus est abnegationem prædictam, nobis supplicans quatenus quemdam fratrem servientem et familiarem suum, quem secum habebat, volentem confiteri, audiremus.» (Lettre des cardinaux. Dupuy, 241).
69—page 123—Les biens des prisonniers devaient être réunis à ceux que le pape désignerait...
Il avait même écrit déjà au roi d'Angleterre pour lui assurer que Philippe les remettait aux agents pontificaux, et pour l'engager à imiter ce bon exemple. (Dupuy, p. 204. Lettre du 4 octobre 1307.)
Toutefois l'ordonnance de mainlevée par laquelle Philippe faisait remettre les biens des Templiers aux délégués du pape n'est que du 15 janvier 1309. Encore, à ces délégués du pape, il avait adjoint quelques siens agents qui veillaient à ses intérêts en France, et qui, à l'ombre de la commission pontificale, empiétaient sur le domaine voisin. C'est ce que nous apprenons par une réclamation du sénéchal de Gascogne, qui se plaint, au nom d'Édouard II, de ces envahissements du roi de France. (Dupuy, p. 312.)
Clément était fort inquiet de ce que ces biens allaient devenir...
Ailleurs il loue magnifiquement le désintéressement de son cher fils, qui n'agit point par avarice et ne veut rien garder sur ces biens: «Deinde vero, tu, cui eadem fuerant facinora nuntiata, non typo avaritiæ, cum de bonis Templariorum nihil tibi appropriare... immo ea nobis administranda, gubernanda, conservanda et custodienda liberaliter et devote dimisisti...» (12 août 1308. Dupuy, p. 240.)
70—page 124—La commission, composée principalement d'évêques...
Dupuy, p. 240-242. La commission se composait de l'archevêque de Narbonne, des évêques de Bayeux, de Mende, de Limoges, des trois archidiacres de Rouen, de Trente et de Maguelone, et du prévôt de l'église d'Aix. Les méridionaux, plus dévoués au pape, étaient, comme on voit, en majorité.
71—page 126—Le pape répond, etc.
Passant ensuite à une autre affaire, le pape déclare avoir supprimé comme inutile un article de la convention avec les Flamands, qu'il avait, par préoccupation ou négligence, signée à Poitiers, savoir, que si les Flamands encouraient la sentence pontificale en violant cette convention, ils ne pourraient être absous qu'à la requête du roi. Ladite clause pourrait faire taxer le pape de simplicité. Tout excommunié qui satisfait peut se faire absoudre, même sans le consentement de la partie adverse. Le pape ne peut abdiquer le pouvoir d'absoudre.
72—page 126—Les évêques n'obéissaient point à la commission pontificale, etc.
Processus contra Templarios, ms. Les commissaires écrivirent une nouvelle lettre où ils disaient qu'apparemment les prélats avaient cru que la commission devait procéder contre l'Ordre en général, et non contre les membres; qu'il n'en était pas ainsi: que le pape lui avait remis le jugement des Templiers.