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Histoire de la musique

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FIG. 89.

CHERUBINI (MARIE-LOUIS-CHARLES-ZÉNOBIE-SALVADOR).

(Florence, 1760 † Paris, 1842.)

En homme d'esprit, Grétry voulut épargner à la postérité le soin de le juger. Dans des mémoires, intitulés Essais sur la musique, qu'il eût pu nommer «Essais sur ma musique», il détailla par le menu chacune de ses œuvres, expliquant ses intentions, mettant à nu les petites ingéniosités de son esprit, dévoilant les petits secrets de sa composition, élevant ainsi, de ses propres mains, un petit monument à son génie. Le livre est fin, rempli d'aperçus justes et encore nouveaux aujourd'hui, d'une lecture fort agréable; en somme, l'admiration personnelle est naïve, mais sans impertinence, et l'éloge ne va pas jusqu'à l'hyperbole.

Monsigny, Philidor et Grétry résument la première période de notre opéra-comique, mais une nouvelle évolution est imminente. Avec Piccini, Sacchini, Salieri, Cimarosa, l'opéra seria italien s'est relevé de son abaissement, et de belles œuvres de ce genre ont été entendues en France; l'Allemagne nous est connue par Haydn et Mozart; enfin on a médité les grandes pages de Glück; l'école française de l'opéra-comique ne peut manquer de subir ces salutaires influences.

Cherubini (né à Florence le 8 septembre 1760, mort à Paris le 15 mars 1842) vint en France, lorsqu'il avait déjà fait jouer quelques opéras en Italie; il écrivit Démophon. Mais le premier opéra dans lequel il se fit vraiment connaître fut Lodoïska (1791). Cette partition était d'un style plus élevé et plus puissant que toutes celles que l'on avait entendues à l'Opéra-Comique; les morceaux en étaient plus développés, la langue plus sonore et plus riche. Après des opéras-comiques charmants, mais de moindre valeur, comme l'Hôtellerie portugaise, dont le trio est un chef-d'œuvre, Cherubini donna les Deux Journées (15 janvier 1800). Dans la musique des Deux Journées, écrite sur un sujet touchant de Bouilly, on retrouve à la fois l'esprit, la grâce, la grandeur, la haute et belle expression.

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FIG. 90.

AUTOGRAPHE MUSICAL ET SIGNATURE DE CHERUBINI.

(Bibliothèque nationale.)

Avec Lesueur et Méhul, Cherubini a créé l'art de l'instrumentation dans l'opéra-comique; les ouvertures de Lodoïska, des Deux Journées, de Médée, de l'Hôtellerie portugaise, sont de maîtresses pages d'orchestre (fig. 90).

A l'église, plus encore qu'au théâtre, Cherubini tient une grande et glorieuse place dans l'école française. Riche d'une science profonde, doué d'une grande élévation de pensée, ce maître sut conserver à la musique pieuse sa sévérité, tout en lui donnant en même temps la vie, je dirais presque la passion.

Il est un autre compositeur de la même période, qui non seulement a écrit, dans le style d'opéra-comique et d'opéra, de belles et importantes partitions, mais qui a voulu aussi renouveler l'art religieux en France.

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FIG. 91.—LESUEUR (JEAN-FRANÇOIS).

(Drucat-Plesseil, 1760 † Paris, 1837.)

(Autographe musical, Bibliothèque nationale.)

Je veux parler de Lesueur (Jean-François, 1763 † 1837) que nous avons déjà admiré à l'Opéra. Comme compositeur de demi-genre, ce maître a montré une imagination puissante, un esprit curieux et chercheur, et il a laissé à l'Opéra-Comique trois œuvres, dont l'une, la Caverne (1793), fut son premier ouvrage dramatique. Paul et Virginie, Télémaque (1796) nous montrent Lesueur à la fois poétique et doué d'un véritable sentiment scénique, avec une naïve recherche d'érudition musicale (fig. 91).

Lesueur, avec son imagination puissante, sa poésie élevée et idéale, fut un de ceux qui eurent le plus d'influence sur l'école moderne. Pour le prouver, il suffit de nommer ses élèves, Berlioz, Gounod, A. Thomas, les maîtres illustres de l'art contemporain; mais j'ai hâte d'arriver au plus grand musicien français de cette période, à l'un des plus célèbres de notre école, à Méhul.

Méhul (Givet, 22 juin 1763 † Paris, 18 octobre 1817), après avoir étudié fort jeune les premiers principes de la musique, vint à Paris, où il prit quelques conseils de Glück; pour parler plus exactement, il écouta en homme de génie les œuvres du maître. Ses débuts furent difficiles, car son premier opéra-comique ne fut joué que le 4 septembre 1790; c'était un chef-d'œuvre, intitulé Euphrosine et Conradin.

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FIG. 92.—MÉHUL (ÉTIENNE-NICOLAS).

(Givet, 1763 † Paris, 1817.)

Méhul fit jouer, en 1794, Mélidor et Phrosine, qui contient des pages de maître, puis Ariodant, remarquable par sa brillante couleur (1799). Il aborda le genre bouffe avec une Folie et surtout l'Irato (1802). Méhul, agacé d'entendre toujours vanter les Italiens, eut l'idée de donner son Irato sous le nom d'un maître d'outre-monts, et ne se découvrit qu'après la représentation. Les amateurs, gens du monde et gens d'esprit, s'étaient naturellement laissé prendre au piège; mais, en somme, l'Irato, quoique un peu bariolé d'italianisme, est une partition bien française, et par son esprit et par son tour mélodique.

Ce fut le 17 février 1807 que l'on entendit pour la première fois Joseph, le plus beau chef-d'œuvre d'opéra-comique de cette période. Méhul avait parié qu'on pouvait faire un opéra sans qu'il y fût question d'amour. Aidé par un collaborateur intelligent, Alexandre Duval, il y parvint; il sut vaincre cette difficulté et trouver, à force de grandeur et de noblesse, la variété dans un sujet monotone. Chaque page de Joseph est une œuvre achevée.

Cet opéra est plein de scènes touchantes et dramatiques; chaque caractère est fermement tracé; voici Joseph, magnanime et tendre, l'adorable et naïf Benjamin, le patriarche Jacob; comme contraste, Siméon dévoré de remords. Ces personnages se meuvent dans des tableaux d'une incroyable intensité de couleur, comme le chœur des Hébreux ou celui des jeunes filles, qui rappelle la grâce sereine des chœurs d'Athalie. Un mot définira cette noble partition de Joseph: c'est un pur et splendide chef-d'œuvre.

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FIG. 93.—AUTOGRAPHE MUSICAL DE MÉHUL.

(Réd. 1/3.—Bibliothèque nationale.)

Méhul a rarement exprimé dans sa musique les grands élans de l'amour, mais il a rendu avec une incroyable force la jalousie et la piété filiale. Historiquement, il procède surtout de Glück, car il était entré dans la carrière avant que l'influence de Mozart se fît sentir; lorsqu'il la subit, elle lui fut peu favorable. Il aimait à peindre en musique. Ariodant, Uthal, la chasse du Jeune Henri renferment des pages qui sont de véritables tableaux; il n'ignorait pas l'esprit et l'a prouvé; mais il le mettait, et avec raison, au-dessous des poétiques et grandioses inspirations de l'art. Souvent gracieux et charmant, il a laissé, dans le genre sentimental, quelques pages célèbres, comme sa romance de «Femme sensible», dans Ariodant. On a comparé Méhul, non sans justesse, au peintre David; mais, sans chercher des parallèles plus ingénieux que concluants, résumons-nous sur l'auteur de Joseph et du Chant du départ, en disant qu'il représente au théâtre les plus belles qualités du génie français: la noblesse, la justesse dans l'expression, la puissance et la profondeur dans le sentiment dramatique (fig. 93).

Cherubini, le maître au dessin si pur; Lesueur, à l'imagination vive, aux lignes, je dirais presque sculpturales; Méhul, si sincère et si dramatique, tels sont les trois plus grands musiciens de la période d'opéra-comique qui s'étend de 1750 à 1825, et cependant ils ne sont pas les plus populaires. La raison de cette injustice du public d'alors et de la postérité peut s'expliquer assez facilement: les élans guerriers, la jalousie, la tendresse d'un fils ou d'un père, tels furent les sentiments que ces grands artistes aimaient à peindre, et il faut bien le dire, le public, le public français surtout, est plus prompt à subir la fascination des mille souplesses de l'esprit, à se laisser entraîner par la peinture de la passion amoureuse, même lorsqu'elle n'est qu'apparente, qu'à ressentir les émotions profondes et intimes de l'amour paternel ou filial.

A côté de ces trois grands maîtres, les galants soupireurs de romances, les gentils diseurs de couplets ne manquaient pas. Toute une aimable pléiade de musiciens continuait les traditions de Monsigny et de Grétry; c'était le temps de la romance sentimentale et tendre. Le nom de chacun de ces petits maîtres rappelle, pour ainsi dire, quelque touchante mélodie, restée longtemps populaire, et non encore oubliée. Voici Martini (J.-Paul Schwartzendorf, 1741 † 1816) qui, dans une heure d'inspiration, trouva la plus charmante romance qui ait jamais été écrite:

Plaisir d'amour ne dure qu'un moment...

Citons encore Mengozzi (1758 † 1800), Bruni (1759 † 1823). Dans Blaise et Babet (1783), Dezedes, ou Dezaides (1740 † 1792), donne une note d'une aimable et douce sentimentalité. Puis, ce sont Champein et Rigel; ces petits vaudevillistes à couplets reviennent à la comédie à ariettes de Duni et de Dauvergne. Jadin (1768 † 1853) fait applaudir plus d'un coquet vaudeville musical; Solié (1755 † 1812) donne le Diable à quatre (1809). Gaveaux est le plus fécond de ces petits chanteurs; on pourrait l'appeler le Mozart du couplet.

Le chef-d'œuvre de ce gentil musicien (car il est des chefs-d'œuvre à tous les degrés) est l'amusante bouffonnerie de Monsieur Deschalumeaux; l'émule de Gaveaux est Devienne (1759 † 1803), avec les Visitandines (1792).

Terminons cette liste rapide par Della Maria (1764 † 1800), compositeur médiocre, qui eut un succès immense avec le Prisonnier ou la Ressemblance, dont la romance «Il faut des époux assortis» est encore populaire, et finissons par Dalayrac (1753 † 1809)[16].

[16] Ce fut à un opéra de Dalayrac, Renaud d'Ast (1787), que l'on emprunta le chant républicain: «Veillons au salut de l'empire», sur l'air: «Vous qui, d'amoureuse aventure...»

Il s'en fallut de peu que Dalayrac ne comptât parmi les véritables maîtres de notre école. Sa musique était sensible et délicate; on peut en juger par Nina ou la Folle par amour (1786) et par Gulistan (1805), qui contient la jolie et poétique romance du «Point du jour». Il possédait le sentiment dramatique, comme dans Sargines (1788), Raoul de Créquy et surtout Camille ou le Souterrain (1791); de plus, il avait de l'esprit, comme on peut le voir dans Adolphe et Clara (1799), Maison à vendre (1800), Picaros et Diego (1803), Une heure de mariage (1804), petits actes de musique charmante, écrite sur d'amusants vaudevilles. Un peu moins de négligence dans la forme, de laisser-aller et de mollesse dans l'idée, et Dalayrac méritait d'être placé à côté de nos maîtres les plus respectés; mais voici trois musiciens qui terminent cette première période de l'opéra-comique, et qui, dans le genre tempéré, spirituel et tendre tout à la fois, ont aussi contribué à la gloire de notre belle école. L'un a nom Henri Montan-Berton, l'autre Nicolo Isouard, le dernier enfin, célèbre à côté des plus grands, parce qu'il eut le génie enchanteur de la grâce et du charme aimable, Adrien Boïeldieu.

Henri Montan-Berton (1767 † 1844) était fils d'un des directeurs de l'Opéra. Sa première œuvre, les Rigueurs du cloître (1790), laissa deviner que les qualités du jeune musicien seraient le sentiment dramatique, la simplicité et la franchise des idées. Trois opéras de ce maître, différents de sujets et de caractères, sont restés longtemps au répertoire de l'Opéra-Comique: Montano et Stéphanie (1799), le Délire (1799), Aline, reine de Golconde (1803). Il serait bien difficile de donner la préférence à l'une de ces trois œuvres, car la variété est, en effet, un des côtés du talent de Berton. Dans Montano, la grâce, le sentiment mélodique, la tendresse et la simplicité dominent. Le Délire appartient tout entier au genre que nous pourrions appeler mélodramatique; mais, en revanche, Aline, reine de Golconde, se distingue par la couleur, l'éclat, l'art des oppositions d'effets. Berton a écrit d'autres partitions comme Ponce de Léon (1794), les Maris garçons (1806) dans le genre bouffe, et Françoise de Foix (1809) dans le style héroïque; mais Montano et Stéphanie, le Délire et Aline resteront les titres de gloire de ce musicien plus vigoureux que grand, mais dramatique, et qui fut, de tous les compositeurs de cette période, celui qui s'inspira avec le plus de bonheur de Mozart et de l'ancienne manière italienne; aussi devint-il, chose singulière, l'adversaire le plus acharné de Rossini.

Ce n'est pas par la science, ce n'est pas non plus par la profondeur du sentiment dramatique que Nicolo mérite notre attention, mais bien par l'expression touchante, la vérité et l'émotion. Malgré une certaine adresse dans le maniement des voix, une habile entente de la scène, Nicolo Isouard (1777 † 1818) est, en somme, un musicien de second ordre. Sa fécondité sent la négligence, son inspiration est souvent banale; mais, si petit que soit ce musicien, à côté des grands maîtres de l'école française, à côté de Méhul et de Cherubini, à côté de Boïeldieu, dont il balança la fortune, quelques-uns de ses opéras ne doivent pas être oubliés. Il a trouvé trois mélodies qui peuvent prendre place à côté des plus belles de notre art; l'une, de Joconde (1814): «Dans un délire extrême», dont le refrain

Mais on revient toujours
A ses premiers amours,

est resté proverbe, a une grandeur d'allure et une puissance d'expression remarquable; l'autre, de Jeannot et Colin (1814): «Oh! pour moi quelle peine extrême», est pleine de chaleur, de vie et de tendresse. Non loin de ces deux petits chefs-d'œuvre, il faut placer la romance de Cendrillon (1810) pour sa simplicité touchante. Un maître illustre, Rossini, a refait le sujet de Cendrillon; il n'a pas retrouvé la ligne pure et délicate de ce Greuze musical.

Le grand Weber a placé Nicolo à côté de Boïeldieu, mais la postérité sera plus équitable, et il faudra que la musique française soit perdue à tout jamais, pour que l'on oublie un jour le nom et l'œuvre de Fr.-Adrien Boïeldieu (16 décembre 1775 † 8 octobre 1834). Citons tout de suite les œuvres de ce musicien, dont le titre et le souvenir doivent rester dans la mémoire de chacun. L'histoire artistique de Boïeldieu présente cet exemple rare d'un progrès continu et constant dans le talent d'un maître. Boïeldieu écrit d'abord de douces et aimables romances; puis, abordant le théâtre, en 1798, avec Zoraïme et Zulnare, il écrit les petites partitions tout aimables du Calife de Bagdad et de Ma tante Aurore (1800); de retour à Paris, après un long voyage en Russie, Boïeldieu fait exécuter des œuvres plus fortes: Jean de Paris (1812), le Petit Chaperon rouge (1818), les Voitures versées (1820), la célèbre Dame blanche (1825), et les Deux nuits (1829). Entre temps cependant, il revient à sa première manière avec le Nouveau seigneur du village (1813), la Fête du village voisin (1816); mais son style est devenu plus serré, plus viril et plus original; sa mélodie, plus large et plus élégante à la fois.

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FIG. 94.—BOIELDIEU (FRANÇOIS-ADRIEN).

(Rouen, 1775 † Paris, 1834.)

Sans atteindre à la grandeur puissante de Méhul, à la pureté de Cherubini, à la majesté de Lesueur, Boïeldieu a sa manière à lui bien reconnaissable entre toutes et qui le place à côté des maîtres. La musique de scène ne va pas chez lui jusqu'au grand effet dramatique; mais elle est d'une justesse merveilleuse dans ses modestes proportions, pleine de tact, de goût et de finesse, avec une émotion discrète et contenue, qui n'émeut pas profondément, mais qui trouve doucement le chemin du cœur; plus que tous ses contemporains, Boïeldieu mérite l'épithète de charmant.

C'est par la Dame blanche (1825) que nous finissons ce chapitre; ce chef-d'œuvre populaire du génie musical français n'a pas besoin d'être détaillé; chacun peut l'entendre encore aujourd'hui; mais cette partition fut la dernière œuvre de notre ancienne école, avant l'invasion des Italiens et de Rossini, invasion qui nous fit contracter bien des défauts, sans gagner de grandes qualités. Boïeldieu, tout en admirant le maître italien, ne se laissa pas entraîner trop loin par lui; il resta Français, dans toute la force du terme. Voilà pourquoi la Dame blanche est non seulement un excellent opéra-comique, mais une partition qui marque une date dans l'histoire de la musique française.

Brenet (Michel), Grétry, sa vie et ses œuvres, in-8o, 1884.

Chouquet. Histoire de la musique dramatique en France, in-8o, 1873.

Desnoiresterres. La musique française au XVIIIe siècle, Glück et Piccini (1774-1800), in-8o, 1872.

Grétry. Mémoires ou essais sur la musique, 3 vol. in-8o, 1796.

Pougin (Arthur). Les vrais créateurs de l'opéra français, in-18, 1881.—Figures d'opéra-comique, in-18, 1875.—Rameau, essai sur sa vie et ses œuvres, in-16, 1876.—Boïeldieu, sa vie, ses œuvres, in-12, 1875.

Lavoix. Histoire de l'instrumentation.

Villars (F. de). La Serva padrona, son apparition en 1752, son influence, son analyse, querelle des bouffons, in-8o, 1863.

Pour le répertoire de l'Opéra, citons la belle collection des Chefs-d'œuvre classiques de l'Opéra, publiée par l'éditeur de musique Michaelis. Cette collection contient les œuvres réduites, pour piano et chant, des maîtres les plus célèbres de l'Opéra aux XVIIe et XVIIIe siècles, depuis Cambert jusqu'à Lesueur.

Coquard (Arth.). La musique en France depuis Rameau, in-12, 1891.


LIVRE IV
LES MODERNES


CHAPITRE PREMIER
LE SIÈCLE DE BEETHOVEN

Beethoven: son génie, ses œuvres, ses symphonies. La symphonie avec chœurs et Fidelio.—Weber: Freyschütz, Obéron, Euryanthe, les ouvertures.—Mendelssohn.Schubert: le Lied et les mélodies populaires.—Musiciens de second ordre: Spohr, Wogel, Marschner, Nicolaï.—Chopin.Robert Schumann.

Au moment de parler des grands maîtres allemands qui ont noms Beethoven, Weber, Mendelssohn, Schubert, Schumann, nous avons à regarder non plus en arrière, mais, au contraire, bien loin dans l'avenir. Des hommes tels que Hændel, Bach, Rameau, Haydn, Glück, Mozart, Grétry, Méhul, Cimarosa, ont fait faire à la musique des pas de géant; la langue musicale est formée; elle a la pureté, le nombre, la richesse, la souplesse et la légèreté; elle est arrivée à toute la perfection qu'elle peut atteindre, à cette perfection qui annonce déjà une transformation; elle entre dans un monde nouveau:

Magnus ab integro sæclorum nascitur ordo.

Il semble que l'on pourrait mettre notre siècle musical sous l'invocation du nom de Beethoven; à lui nous pouvons faire remonter toutes les hardiesses et toutes les audaces, mais non sans avoir rapidement indiqué les origines musicales de son génie.

Beethoven procède plutôt d'Haydn et de Mozart que de Bach, de Hændel et de Glück. Beethoven n'a pas abusé des formes scolastiques de l'art; mais, si dans l'œuvre du maître on reconnaît au passage le génie de Mozart, on sent que c'est l'influence d'Haydn qui est la plus forte, du moins dans les premières compositions, jusqu'au moment où Beethoven n'a plus pour modèle que Beethoven.

On a épuisé pour ce grand maître toutes les formules de la critique, de l'hyperbole, de l'esthétique transcendante; nous ne répéterons pas ici ces dissertations, mais elles peuvent se résumer en ce peu de mots: Beethoven a été le plus grand des musiciens.

Il naquit en 1770 à Bonn; il mourut à Vienne, le 26 mars 1827. Toute sa vie, toute son âme, toute sa haute et puissante intelligence furent consacrées à la musique; Beethoven vécut seul et malheureux; il traduisit, dans la langue des sons, ses solitudes et ses douleurs; son caractère était ombrageux et difficile, puis une effroyable infirmité vint le frapper, dans la force même de son talent. Un jour, il conduisait une œuvre, il s'aperçut qu'il n'entendait pas; il tomba inanimé sur son siège: Beethoven était sourd! (fig. 95).

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FIG. 95.—BEETHOVEN (LUDWIG VAN).

(Bonn, 1770 † Vienne 1827.)

Malgré son infirmité, ce fut vers la fin de sa vie qu'il écrivit ses pages les plus belles et les plus profondes. Que l'on nous permette, pour éviter les dissertations inutiles, de dresser une liste, non de toutes ses œuvres, dont le catalogue remplit un fort volume, mais des morceaux que tout musicien doit connaître; chacun de ces titres marque un pas et un progrès dans l'histoire de la musique:

Op.   1. Premiers trios au prince Lichnowsky, écrits en 1795.
Op.   2. Premières sonates à Haydn, publiées en 1796.
Op.   8. Sérénade en , pour violon, alto et violoncelle, publiée en 1797.
Op. 13. Sonate pathétique en ut mineur, publiée en 1799.
Op. 20. Septuor pour violon, alto, cor, clarinette, basson, violoncelle et contrebasse, composé en 1800.
Op. 21. Première symphonie en ut majeur, exécutée en 1800. (Forte influence de Mozart et surtout d'Haydn).
Op. 27. Sonate quasi fantasia en ut dièze mineur, publiée en 1802 (avec son adagio d'une si poétique et si profonde désespérance et intitulée, on ne sait pourquoi ni par qui, le Clair de lune).
Op. 30. Sonates pour piano et violon à l'empereur Alexandre, composées vers 1801-1802.
Op. 36. Deuxième symphonie en (avec son finale d'une chaleur toute dramatique).
Op. 37. Concerto en ut mineur, composé en 1800.
Op. 47. Sonate pour piano et violon dédiée à Kreutzer, composée en 1802.
Op. 55. Troisième symphonie en mi bémol (héroïque).—Cette symphonie avait été dédiée à Bonaparte; Beethoven arracha la dédicace, après la campagne de 1804 (magnifique marche funèbre, exécutée en 1805).
Op. 60. Quatrième symphonie en si bémol, écrite vers 1806 (avec son suave cantabile).
Op. 62. Ouverture de Coriolan, composée en 1807.
Op. 67. Cinquième symphonie en ut mineur, la plus belle des compositions uniquement instrumentales.
Op. 68. Sixième symphonie en fa (Pastorale), publiée en 1809.
Op. 72a. Léonore, opéra en deux actes, composé en 1803, joué à Vienne en 1805, repris en trois actes sous le titre de:
Op. 72b. Fidelio, joué en 1814.
Op. 80. Fantaisie en ut mineur, avec orchestre et chœur, composée en 1808, publiée en 1811.
Op. 84. Musique pour le drame de Gœthe, Egmont (ouverture magistrale, composée en 1810).
Op. 85. Christus am Œlberge. Le Christ au mont des Oliviers, composé en 1800, exécuté en 1811.
Op. 92. Septième symphonie en la. (Cette symphonie est une pastorale; mais, par un singulier ralentissement du mouvement, l'allegretto, joué andante, est devenu la plus sublime marche funèbre qui existe. On réagit, de nos jours, contre cette transformation.)
Op. 93. Huitième symphonie en fa, avec son adorable allegretto scherzando (1813).
Op. 96. Sonate pour piano et violon, dédiée à l'archiduc Rodolphe, composée en 1812.
Op. 123. Messe en , commencée en 1818, finie en 1823.
Op. 125. Neuvième symphonie en ré mineur, avec chœurs, commencée en 1817, terminée en 1824.
Op. 127.   Les derniers quatuors, écrits dans la période des dernières années de la vie de Beethoven, de 1824 à 1826[17].
130.
131.
132.
135.

[17] Il faut encore ajouter à cette liste les divers trios pour piano, violon et violoncelle et ceux pour violon, alto et violoncelle. Du reste, nous nous sommes contenté de nommer ici les œuvres de Beethoven qui nous ont semblé les plus célèbres et les plus importantes; mais cette liste est tout arbitraire et rien n'empêche le lecteur d'ajouter telle ou telle autre belle page à celles que nous mentionnons ici.

Aucune œuvre n'est mieux connue que celle de Beethoven; il a laissé des lettres et un grand nombre de petits cahiers qu'il portait toujours avec lui et sur lesquels il écrivait ses pensées musicales et autres, ainsi que ses esquisses de compositions.

Il semble que toute sa musique n'ait tendu que vers un seul but: la symphonie; souvent, ses sonates, ses trios, ses quatuors, ses concertos de piano eux-mêmes sont de magnifiques esquisses pour des tableaux plus magnifiques encore.

De tous ces chefs-d'œuvre, ce sont, en effet, les neuf symphonies qui sont les compositions maîtresses. Avec Beethoven, la symphonie de Mozart et d'Haydn arrive à la perfection de sa forme; comme les livres d'Hérodote, chacune des neuf symphonies de Beethoven pourrait prendre le nom d'une muse. Voyons-les toutes d'un rapide coup d'œil, et nous comprendrons quelle est la puissance de la musique instrumentale, puisque dans ces neuf livres sont exprimées, avec une prodigieuse élévation, les plus poétiques sensations de l'âme humaine.

On a distingué chez Beethoven trois styles, ou trois manières: la première commence avec sa première œuvre jusqu'à l'œuvre 26 (sonate en la bémol); la seconde commence à cette sonate jusqu'à l'œuvre 56, et la troisième débute à la 25e sonate. Ce n'est pas ici le lieu d'examiner ni de discuter cette classification assez arbitraire; mais si elle est applicable, à la rigueur, au style et à la facture du maître, elle ne cadre pas avec le caractère poétique de chacune des symphonies. La facture change graduellement pour former ce que l'on appelle des manières, mais l'imagination, toujours capricieuse, passe de la plus délicieuse peinture aux plus déchirants cris de douleur. La première symphonie est un hommage rendu aux maîtres du passé; mais, dès la symphonie en , nous entrons en plein Beethoven: éclatante et fière, elle est comme le cri de victoire du génie; en revanche, quelle majesté et quelle douleur dans l'héroïque! Puis Beethoven abandonne ce ton épique pour reprendre un chant moins élevé, et la symphonie en si bémol semble presque appartenir au genre de demi-caractère, si on la compare à l'héroïque, qui la précède, et à celle en ut mineur, qui la suit. Entre toutes, la symphonie en ut mineur est la plus belle, avec la neuvième. Est-elle, comme on l'a dit, l'expression d'une douleur personnelle? Je ne sais, mais jamais la pensée humaine n'a trouvé en musique un plus sublime langage pour exprimer la lutte poignante de l'homme contre l'anéantissement et le désespoir. Tout à coup, par un singulier retour du génie de Beethoven, nous passons à des sentiments infiniment plus doux. C'est la nature avec son charme, ce sont les sensations qu'elle nous fait éprouver qui inspirent le maître. Les deux bucoliques de la Symphonie pastorale et de la symphonie en la rappellent à l'auditeur Virgile plutôt qu'Homère; enfin, au moment même où le maître jetait les premières esquisses de la formidable symphonie avec chœurs, il achevait de broder, d'une main légère, cette merveille de grâce et d'élégance qui a nom la symphonie en fa.

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FIG. 96.—AUTOGRAPHE MUSICAL DE BEETHOVEN (Bibliothèque nationale).

Avec ces huit symphonies, Beethoven comprit qu'il avait parcouru, dans la musique purement instrumentale, le cercle des émotions qu'elle pouvait exprimer; les instruments ne lui suffisant plus, il y joignit les voix, et de cette alliance naquit la neuvième symphonie, monument colossal autour duquel errent encore les musiciens inquiets. Ici, l'intention de marier le drame à la symphonie est manifeste; avec la neuvième, nous sommes en plein drame, non pas celui qui nous fait assister aux aventures de personnages plus ou moins imaginaires, mais celui qui consiste dans la peinture et l'expression de la passion humaine.

Avec de pareilles tendances, il n'était pas étonnant que Beethoven voulût aborder le théâtre. Fidelio fut représenté, en 1803, sous le titre de Léonore; remanié et réduit en deux actes, il fut repris sous le titre qui lui est resté.

Jamais il n'eut grand succès. Dans cet opéra le sujet est sombre et mélodramatique, les pensées musicales, sévères, passionnées, puissantes, s'adressent non aux sens, mais à l'âme du spectateur.

Beethoven, qui avait une prodigieuse facilité, a écrit trois ouvertures différentes pour Fidelio et Léonore. La plus célèbre est celle qui porte le nom de Fidelio; mais ce n'est qu'après avoir parlé de Weber que nous jetterons un rapide coup d'œil d'ensemble sur les ouvertures (fig. 96).

Après Beethoven, Weber semble être le musicien qui a le plus influé sur les tendances modernes de notre art; mais ces deux maîtres ne peuvent être comparés l'un à l'autre; leurs génies sont divers, leurs procédés absolument différents. L'un, plus élevé, plus puissant, se rattache par mille liens à l'art, dit classique, à l'art d'Haydn, de Mozart; l'autre, plus fougueux, plus emporté, paraît indépendant de toute école et de toute tradition; il faut chercher longtemps pour trouver la généalogie historique de son œuvre. En effet, le génie de Weber, si humain, si poétique et si rêveur, a ses racines dans le chant populaire d'Allemagne; sa musique est le lied traditionnel allemand, élevé jusqu'à la hauteur de l'opéra.

Weber (Carl Maria von) naquit à Eutin (Holstein) en 1786; il mourut à Londres en 1826. Ses études musicales furent peu soignées à leur début, et, vers l'âge de quinze ans, il abandonna quelque temps la musique pour se livrer à la gravure. C'est ce qui explique pourquoi Weber se rattache si peu aux classiques qui l'ont précédé: il dut à cette indépendance la fougue, quelquefois incorrecte, mais puissante et originale, de son génie. En 1814, lorsque l'Europe se rua sur la France, Weber s'associa au poète Körner, et c'étaient ses chansons patriotiques et militaires, comme la «chanson à boire du hussard», que l'ennemi chantait pendant l'invasion. Déjà il s'était fait connaître comme musicien populaire, comme chef d'orchestre, comme auteur de petits opéras-comiques, lorsqu'en 1819 il fit exécuter, à Dresde, le Freyschütz; de ce jour, Weber fut célèbre en Allemagne. En 1820, il faisait entendre Preciosa; en 1823, Euryanthe; puis, allant à Londres, il donnait Obéron en 1826. Obéron fut accueilli froidement, le grand musicien était déjà malade et bien affaibli; cet insuccès ne fit qu'aggraver son mal; Obéron avait été joué le 12 avril 1826, le maître mourait au mois de juin de la même année (fig. 97).

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FIG. 97.

WEBER (CHARLES-MARIE-FRÉDÉRIC-AUGUSTE VON).

(Eutin, 1786 † Londres, 1826.)

Chacun de ces quatre opéras est empreint d'une couleur particulière que l'on peut définir facilement, sans entrer dans de grands détails. Le Freyschütz, œuvre d'une inspiration essentiellement allemande, où on retrouve à chaque page le souffle mélodique populaire de cette nation, est le récit simple, touchant, coloré, d'une légende nationale. Preciosa appartient au genre pittoresque. Euryanthe est un chant chevaleresque à la tournure fière et martiale; enfin Obéron est la traduction musicale de la poétique dramatique de Shakespeare (fig. 98).

Outre ses opéras, Weber a écrit un grand nombre de compositions pour voix et instruments, chœurs, concertos, sonates, parmi lesquels il faut compter au premier rang l'éclatant Concertstück (1821); mais ce sont ses ouvertures qui l'ont placé au premier rang des compositeurs de musique instrumentale.

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FIG. 98.—AUTOGRAPHE MUSICAL DE WEBER.

L'ouverture est une composition généralement instrumentale (quelques-unes contiennent un ou deux chœurs) qui précède un opéra. Il y a deux sortes d'ouvertures: celles qui n'ont d'autre but que de fixer l'attention de l'auditeur, avant de commencer la pièce, et celles qui représentent, comme dans un résumé rapide, les différentes péripéties du drame. On peut distinguer, parmi ces dernières, les ouvertures dramatiques, qui peignent les diverses phases de l'action, et les ouvertures, pour ainsi dire passionnelles, qui expriment les diverses passions des personnages et disposent l'auditeur à les ressentir, à mesure que se déroule le drame. Il faut compter encore les ouvertures pittoresques qui posent, si nous pouvons nous exprimer ainsi, le décor de la pièce. Souvent la page initiale d'un opéra procède des trois genres, subjectif, dramatique et pittoresque.

Weber créa, on peut le dire, les ouvertures en même temps pittoresques et dramatiques; d'une allure emportée, comme le génie du maître, d'une prodigieuse intensité de coloris, elles sont à la fois le décor et la synthèse du drame. Weber prend les phrases maîtresses de son opéra, les relie entre elles, les développe, les fait se mouvoir comme des personnages, en ayant bien soin de les placer dans leur milieu pittoresque, je dirais presque réaliste, si le mot pouvait facilement s'appliquer à un musicien et surtout à Weber. Fougueuse et éclatante, claire et limpide, l'ouverture du Freyschütz est et restera la plus populaire du maître. Les ouvertures d'Obéron et d'Euryanthe, composées aussi sur des thèmes de la partition, sont d'une couleur plus rêveuse et plus poétique. Dans l'une, on entend sonner le cor d'Obéron, on voit voltiger les joyeux essaims des fées; l'autre, d'une poésie mâle, éveille les plus chevaleresques souvenirs; Preciosa a pour ouverture un délicieux tableau musical, plein d'une capricieuse et exquise fantaisie. Weber, lui aussi, a écrit des ouvertures en dehors de ses opéras; une des plus belles est le Jübel ouverture, composée à l'occasion du trentième anniversaire du règne de Frédéric-Auguste Ier, de Saxe.

Nous reprenons maintenant la suite de notre exposé.

«Mendelssohn a peu réussi dans la symphonie»; malgré cette assertion assez risquée de l'historien Fétis, c'est immédiatement après Beethoven et Weber qu'il faut placer Félix Mendelssohn-Bartholdy (1809 † 1847). Ce musicien voulut, en effet, continuer la symphonie de Beethoven, et s'il n'égala pas le grand des grands, du moins sut-il se mettre au premier rang. Par la forme de la composition, il procède des classiques; par le coloris de l'orchestre, par la tournure rêveuse de la pensée, il fait songer à Weber; de plus, son culte pour les vieux maîtres scolastiques, culte inspiré par son premier professeur Zelter, donne à certaines de ses œuvres une allure antique et sévère des plus remarquables.

La caractéristique du talent de Mendelssohn est la fantaisie et la poésie, une horreur instinctive de tout ce qui est commun et vulgaire; son défaut, un certain manque de proportions dans la composition. Sa phrase mélodique, rythmée d'une façon tout originale, est reconnaissable entre toutes; il a trouvé, développé et inventé des rythmes nouveaux, d'une adorable souplesse et d'une passion presque maladive (fig. 99).

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FIG. 99.—MENDELSSOHN-BARTHOLDY (FÉLIX).

(Hambourg, 1809 † Leipzig, 1847.)

Mort à trente-neuf ans, jouissant d'une fortune considérable, distrait par mille occupations mondaines, par de nombreux voyages et par ses travaux de chef d'orchestre, Mendelssohn n'a pas laissé un bagage aussi considérable que les maîtres allemands de la même époque. Cependant son répertoire est encore suffisamment riche et varié. On y compte des symphonies, comme les deux en la mineur et majeur, la symphonie Écossaise, la symphonie Italienne, la Réformation, symphonie; de la musique de drame et de féerie, d'un caractère romantique, comme le Songe d'une nuit d'été; des tableaux fantastiques comme la Nuit de Walpürgis; de magnifiques ouvertures, comme celles de la Grotte de Fingal, de la Mer calme, de la Belle Mélusine, de Ruy Blas; des compositions, qui tiennent du drame sans en être, comme Antigone et Athalie; des concertos, parmi lesquels celui de violon, si original et si coloré. Dans la musique religieuse, Mendelssohn a donné libre cours à son culte pour Bach et Hændel; citons, dans le style ancien, les Psaumes, l'oratorio de Paulus (1835) et celui d'Élie (1847); sa musique de chambre se compose de quatuors et de quintettes; enfin, dans le genre élégiaque et léger, il a laissé des mélodies, des chœurs, des morceaux de toute espèce, et surtout ces petits poèmes pour piano, intitulés Lieder ou Romances sans paroles. Dans ce genre dont il fut le créateur, Mendelssohn n'a trouvé qu'un rival: Schumann; mais dans les mélodies, les lieder, pour piano et chant, il avait déjà son maître; j'ai nommé Franz Schubert (1797 † 1828) (fig. 100).

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FIG. 100.—SCHUBERT (FRANÇOIS-PIERRE).

(Vienne, 1797 † 1828.)

A en juger par le bagage musical que Schubert a laissé à la postérité, ce musicien serait peu digne de figurer au rang des grands maîtres que nous venons de nommer. En effet, que sont en apparence des mélodies, à côté des œuvres de Beethoven, des opéras de Weber, des symphonies et du répertoire de Mendelssohn? Mais, outre que Schubert, mort à trente et un ans, a été d'une incroyable fécondité, ayant écrit des symphonies, des pièces de piano et des opéras, ses mélodies composent à elles seules une œuvre de telle importance que le maître qui les a écrites peut compter parmi ceux qui ont place prépondérante dans l'art moderne. Qui les connaît bien les retrouve plus d'une fois dans la poétique musicale de Weber et de Mendelssohn.

Le Lied, ce court poème, est tout particulier au génie allemand, dont il traduit la poétique rêverie, sous une forme narrative, sentimentale et quelquefois mystique. Franz Schubert en a été comme l'interprète musical le plus complet et le plus idéal à la fois; musicien instruit, d'une imagination féconde, il possède une richesse de mélodie, une originalité et une variété de rythmes qui rendent son œuvre encore inimitable et pour toujours inoubliable. Quelques mesures lui suffisent pour fixer en musique une poétique figure de Gœthe, comme Marguerite au rouet ou Mignon. Veut-il décrire? une légère formule d'accompagnement nous peindra d'un trait les bonds capricieux de la truite; suivez avec lui un récit dramatique, et voici la ballade du Roi des aulnes qui se déroule sombre et terrible devant nous, avec ses mélodies variées, son accompagnement obstiné qui, à lui seul, est un tableau. Plus loin, voilà le rêve mystique avec la Jeune fille et la Mort, la Jeune religieuse, chef-d'œuvre d'une admirable puissance romantique, avec le Calme plat, avec la Plainte de la jeune fille, avec l'Ave Maria, hymne pieux, pur et enthousiaste; plus loin, il exprime l'amour avec Je pense à toi! d'une chaleur puissante et communicative, avec la Sérénade, élégante et coquette.

Bien que les plus grands maîtres aient écrit de nombreux lieder, depuis le commencement de ce siècle, Schubert n'a été surpassé par aucun, ni par Mendelssohn, ni par Weber, ni même par Beethoven; cependant nous devons nommer à côté de lui Robert Franz, que le poète des mélodies a fait oublier, mais qui, lui aussi, trouva des accents d'un charme pénétrant et d'une poésie rêveuse.

Avant de parler des maîtres qui, précédant immédiatement l'école contemporaine, ont eu sur elle une certaine influence, nommons quelques musiciens de second ordre; ils ont tenu grande place dans leur temps en Allemagne. Spohr (Ludwig) (1784 † 1859), dont les deux opéras de Faust, et surtout Jessonda, contiennent des pages remarquables; Marschner (Heinrich) (1795 † 1861), dont l'opéra romantique le Vampire est encore cité; l'abbé Vogel, organiste, qui fut le maître de Meyerbeer et de Mendelssohn; dans le genre léger, nous trouvons Otto Nicolaï (1809 † 1849), un Allemand très italianisé, qui est l'auteur d'un joli opéra-comique, les Joyeuses commères de Windsor.

Avec Weber, Schubert, Mendelssohn, nous sommes entrés dans la série des musiciens romantiques; mais en voici un autre, Frédéric Chopin, sentimental jusqu'à la souffrance, qui réclame, pour la musique de piano, une place dans l'art moderne.

Français par son père, Polonais par sa mère, Allemand par son éducation musicale, et assez Italien par goût, Chopin (Zelazowa-Wola, 1809 † Paris, 1849), subit ces diverses influences. Il prit à l'un la netteté et la justesse des proportions, à l'autre la sensibilité et la rêverie poétique; à ses maîtres allemands il emprunta la richesse et la plénitude de son style; enfin les Italiens lui donnèrent la souplesse et l'élégance de la ligne mélodique. En lui-même il trouva cette sensibilité maladive, caractère de son harmonie comme de son chant, qu'il sut allier aux caprices rythmiques les plus originaux. Si sa musique nous laisse une forte et profonde impression, quel effet devait-elle produire, lorsque le maître exécutait lui-même ses œuvres, en incomparable artiste, avec les mille nuances que l'on ne peut décrire, les mille délicatesses que l'on ne peut deviner!

Empreintes d'une élégance un peu précieuse, mais charmante, d'un sentiment délicat et tendre, les œuvres de Chopin sont variées de style et d'inspiration. Ici ce sont les Nocturnes, rêveries douces et tristes; là, les Études, Préludes, Impromptus, Ballades, où le maître semble avoir groupé avec amour ses innovations de rythme et d'harmonie; enfin, dans les mazurkas, valses et polonaises, le souvenir des rythmes slaves vient se mêler à la fantaisie capricieuse. Avec la marche funèbre, qui fait partie de la magnifique sonate en si bémol mineur, Chopin s'est élevé jusqu'à la plus haute poésie. Généralement ses compositions sont désignées par des numéros, et non par des titres; en effet, le maître n'a pas besoin d'instruire d'avance l'auditeur: il sait bien le guider lui-même.

Venu après Schubert, Weber et Mendelssohn, Chopin est moins génial que ces grands maîtres; mais il est de leur famille; il est avec eux, plus qu'eux peut-être, le chantre délicat de la mélancolie et de la douleur.

Il annonce, en quelque sorte, un maître moderne par excellence, Robert Schumann (1810 † 1856). Celui-ci, dont chaque accent mélodique est une expression, chaque accord une pensée, est le traducteur musical de Byron, de Gœthe et du mystique Jean-Paul Richter. Son art a mille délicatesses qui révèlent, à qui sait écouter, un artiste d'une nature exquise; aussi bien a-t-il été en musique le chantre des enfants et des jeunes filles. Schumann est mort de bonne heure, et cependant son œuvre est considérable et varié.

Les compositions de Schumann sont des tableaux dans lesquels il introduit les passions presque sous forme de personnages, se mettant lui-même quelquefois en scène. Les Feuilles d'album, le Carnaval (scènes mignonnes), les Scènes d'enfants, les Scènes de bal, les Études symphoniques, sont tout à la fois profondes, neuves et pittoresques.

La même puissance d'imagination se retrouve dans les œuvres d'orchestre, comme le magnifique concerto en la bémol, les six ouvertures de Manfred, de Geneviève, la Fest Ouverture, Julius Cæsar, Hermann et Dorothée, et les quatre symphonies. Malheureusement l'instrumentation de ces pages, un peu grise et terne, n'est pas toujours à la hauteur de la pensée.

C'est dans ses grandes compositions, comme le Paradis et la Péri, la Vie d'une Rose, Manfred, les Scènes de Faust, le Requiem de Mignon, et dans ses lieder et mélodies que Schumann a donné libre essor à la puissance de son génie; le mysticisme du second Faust de Gœthe ne l'a pas effrayé. Lorsque le temps aura jeté sur les œuvres de Schumann ce voile qui adoucit les couleurs trop vives, on verra de quelle valeur était ce musicien, que certains font gloire de mépriser, et qui est un des maîtres de l'école moderne. Peut-être notre éloge semble-t-il aujourd'hui exagéré; mais, si le plus doux de nos rêves se réalise, si, dans quelques années, on lit encore ce livre, puissions-nous paraître alors être resté au-dessous de la vérité[18]!

[18] Le lecteur est peut-être étonné de ne pas rencontrer Meyerbeer avec l'école allemande de cette époque; nous avons groupé dans un seul chapitre les maîtres qui semblent avoir écrit dans le même esprit et sous la même inspiration; Meyerbeer, par certains côtés, tient à l'école de Weber; mais, par son éclectisme, il appartient aux écoles d'Italie et de France; c'est en France qu'il a remporté ses plus grands succès; c'est là que nous le retrouverons.

Audley. Franz Schubert, sa vie et ses œuvres, in-12, 1871.

Barbedette. Chopin, in-8o, 1869.

Barbedette. Schubert, sa vie, ses œuvres, son temps, in-8o, 1866.

Berlioz. Voyage musical en Allemagne, in-8o, 1850.

Berlioz. A travers chants, in-8o, 1862.

Jahns (Fried. Well.). Carl Maria von Weber in seinen Werken, chronologish-thematisches Verzeichniss seiner sämmtlichen Compositionen, in-8o, 1871.

Karasasky (Moritz). Friederich Chopin, sein Leben, 2 vol. in-8o.

Liszt. Chopin, in-8o, 1879.

Mendelssohn. Lettres, traduites par Rolland, in-12, 1864.

Notteböhm (G.). Thematisches verzeichniss der im Druck erschienenen werke von Ludwig van Beethoven, in-8o, 1868.

Reissmann. Franz Schubert, in-8o, 1873.

Reissmann. Robert Schumann, sein Leben und seine Werke, 1865.

Schumann. Gesammelte Schriften über Musik und Musiker, 1854.

Thematisches verzeichniss im Druck erschienener compositionen, von Felix Mendelssohn Bartholdy. Leipzig, in-4o.

Wasielewski (J. van). Robert Schumann, eine Biographie, in-8o, 1858.

Weber (Max Maria von). Carl Maria von Weber, 2 vol. in-8o, 1864.

Wilder (Victor). Beethoven, sa vie, son œuvre, in-12, 1883.

Niecks (Frederick). Fred. Chopin as man and musician. 2e édition; Londres, 1890; 2 vol. in-8o.


CHAPITRE II
L'ÉCOLE ITALIENNE DE ROSSINI A VERDI
(1813-1850)

Les prédécesseurs de Rossini.—Rossini et ses imitateurs.—Bellini, Donizetti, Verdi.—Les chanteurs.

Notre admiration et, faut-il le dire franchement, notre préférence pour l'école poétique de Beethoven, de Weber, de Mendelssohn, de Schubert et de Schumann ne doit pas nous faire oublier les maîtres italiens du commencement de ce siècle, à la tête desquels Rossini brille d'un éblouissant éclat.

On aime en général à montrer les hommes de génie sortant tout armés, comme Minerve, du front de Jupiter. Il n'en a jamais été ainsi: toujours un homme de génie a eu ses précurseurs; inconsciemment il a profité de leurs travaux et de leurs découvertes. Le public ingrat oublie ces premiers pionniers de l'art, pour ne se souvenir que du maître qui l'éblouit; mais l'historien ne doit pas se faire complice de ces indifférences et de ces injustices. Entre Mozart, Cimarosa et Rossini, on trouve plusieurs musiciens de second ordre, mais d'un réel talent, qui ont eu grand succès à leur époque et dont les noms doivent prendre place ici.

Quelques-uns, comme Francesco Basily (1766 † 1850), Bonifazio Asioli (1779 † 1832), professeur habile et écrivain élégant; comme Giuseppe Farinelli (1769 † 1836), l'imitateur le plus heureux de Cimarosa, continuèrent les traditions de l'illustre école de Naples. Un des compositeurs les plus célèbres de cette période de transition fut Valentino Fioravanti (1770 † 1837). Cimarosa disait de lui: «Je ne le crains pas pour l'inspiration musicale; mais pour la sveltesse, l'élégance et la légèreté, il est toujours sûr de sa victoire.» On ne peut faire un plus bel éloge du spirituel auteur des Cantatrice villane (1803), des Virtuosi ambulanti (1807). Au même rang que Fioravanti, nous devons compter Ferdinand Paër (1771 † 1839), le plus brillant élève italien de l'école de Mozart, qui fut le compositeur préféré du premier empire. Paër savait surtout trouver la note touchante et émue, comme on peut le voir dans la Camilla (1801) et dans l'Agnese (1810). Le Maître de chapelle (1821) nous le montre homme de goût et musicien mélodique, dans le style tempéré.

Carlo Coccia (1782 † 1875), Pietro Generali (1783 † 1832), Pietro Raimondi (1786 † 1853), Nicolas Vaccaj (1790 † 1848), que nous connaissons encore par la scène finale de son chef-d'œuvre, Giulietta e Romeo (1825), furent en même temps des prédécesseurs et des imitateurs de Rossini. Prédécesseur malgré lui fut aussi ce Michel Carafa, prince de Colobrano (1787 † 1872), qui renia ses dieux, Cimarosa et Mozart, et se perdit volontairement dans les rayons du soleil éblouissant de Rossini. Carafa avait écrit en Italie de nombreux opéras, comme la Gelosia corretta (1820), Gabriella di Vergy (1816), I due Figaro (1820), qui avaient eu le plus grand succès. Il vint en France, où il composa le Solitaire, aimable opéra-comique (1822), le Valet de chambre, enfin Masaniello (1827), son chef-d'œuvre, que la Muette d'Auber a fait oublier, mais qui contient des pages de premier ordre.

Avant de parler de Rossini, nommons encore deux musiciens, François Morlacchi (1784 † 1841) et Simon Mayer ou Mayr (1763 † 1845). Avec I Saraceni in Italia (1728), avec Il Barbiere di Siviglia, qui fut représenté à Dresde, l'année même où celui de Rossini était joué à Rome, l'œuvre la plus importante de Morlacchi est la Messe de Requiem écrite pour les funérailles du roi Frédéric-Auguste II de Saxe (1827). Simon Mayer, par la puissance de son orchestre, par la beauté et l'expression des idées mélodiques, est le plus remarquable prédécesseur de Rossini; ses opéras de Saffo (1794) et de Lodoïska (1800) méritent encore d'être lus.

Tous ces compositeurs de talent, mais non de génie, doivent s'effacer devant Rossini (1792 † 1868), le plus applaudi, sinon le plus grand des musiciens des premières années de ce siècle. Rossini fut, dans toute la force du terme, ce que l'on appelle enfant de la balle. Son père jouait du cor dans les troupes ambulantes de théâtre, et sa mère était chanteuse. Il eut, pour ainsi dire, en naissant, l'instinct de la scène, c'est-à-dire qu'il sut, presque sans l'apprendre, l'art de faire marcher et vivre des personnages entre les deux portants d'un décor. Il y parut bien, dès ses débuts, lorsqu'après avoir fait des études assez hâtives au lycée musical de Bologne, sous le savant père Mattei, il donna sa première partition d'opéra en 1810, la Cambiale di matrimonio, et surtout l'Inganno felice en 1812; mais la première œuvre digne de lui fut Tancrède, en 1813. Là il montra qu'il serait un maître; il acheva la révolution que ses prédécesseurs avaient commencée depuis Cimarosa; il voulut faire de l'opéra un drame musical, au lieu d'un concert pour virtuoses (fig. 101).

Bientôt il revint au genre bouffe avec l'Italienne à Alger (1813). Il avait moins de tendresse et de charme que Cimarosa, mais plus d'éclat. A partir d'Aureliano in Palmira (1813), il prit le parti de ne plus laisser le chanteur improviser à son gré sur sa musique, innovation que Cimarosa avait tentée sans réussir, et qui porta un terrible coup au virtuosisme pur. Enfin, le 5 février 1816, on entendait au théâtre Argentina à Rome Il Barbiere di Siviglia. Quelques accidents ridicules rendirent tumultueuse la première représentation; mais, dès la seconde, le succès était assuré et devait être formidable. Il Barbiere est l'œuvre dominante du génie de Rossini, dans le style comique; un incomparable éclat, un esprit pétillant de verve et de saillies, un merveilleux sentiment de la scène, une recherche de l'effet à tout prix, une certaine sécheresse dans les idées, dissimulée sous les ornements les plus touffus, un caquetage persistant d'orchestre, brillant, il est vrai, mais souvent inutile, tels sont les qualités et les défauts de cette œuvre charmante. Après Il Barbiere venaient la Cenerentola, en 1817, et, dans la même année, la Gazza ladra, plutôt de demi-genre que bouffe.

A partir de 1816, le jeune maître sembla se tourner vers l'opéra seria avec Otello (1816), avec Mosé (1818), avec la Semiramide (1823), opéra brillant, éclatant, orné entre tous, je dirais presque flamboyant.

Le génie de Rossini, progressant chaque jour, était dans toute sa force, lorsque le maître fut appelé à Paris. En arrivant sur le théâtre qui avait vu Glück, Spontini, etc., Rossini devait, non point changer sa manière, mais entrer plus avant dans le genre élevé et expressif qu'il avait inauguré avec Otello, Mosé, Semiramide. Sa première œuvre en France fut Il Viaggio à Reims, opéra de circonstance, pour le couronnement de Charles X; puis, ne voulant pas aborder de front l'Opéra par une partition nouvelle, il refit quelques-uns de ses anciens opéras: Maometto II devint ainsi le Siège de Corinthe en 1826, Mosé in Egitto, Moïse, en 1827. En même temps il reprenait la musique du Viaggio à Reims et en faisait une sorte d'opéra ou d'opéra-comique, sur un vaudeville de Scribe, le Comte Ory (1828). Ce fut l'année suivante que parut le chef-d'œuvre de Rossini, l'opéra qui permet de le placer à côté des plus grands maîtres, Guillaume Tell (3 août 1829). Il faut connaître Bach, Hændel, Glück, Mozart, Alceste, Don Juan, les symphonies de Beethoven; mais il faut aussi connaître les deux premiers actes de Guillaume Tell, si l'on veut comprendre jusqu'à quel point de puissance et d'expression peut arriver le noble art de la musique.

A la fois pittoresque et dramatique, l'ouverture de Guillaume Tell est la seule de Rossini qui réponde véritablement au sujet de l'opéra. Les autres ouvertures du maître ont été longtemps célèbres; ce sont en effet des pages de musique éclatante et sonore; mais à mesure que l'on se familiarise avec les ouvertures de Mozart, de Beethoven, de Weber et des maîtres modernes, les ouvertures rossiniennes, à peu près toutes tracées sur le même plan, avec le crescendo qui les termine, avec leurs longues répétitions de phrases, avec leur orchestration papillotante et vide, paraissent aujourd'hui plus brillantes que réellement belles, plus ornées que véritablement riches. Citons parmi les principales, outre celle du Barbier, qui fut écrite d'abord pour un opéra seria, Élisabeth, celles d'Othello, de la Gazza ladra, de l'Italienne à Alger, pétillante et vive, de Semiramide, tout hérissée de traits, de trilles et de broderies, et celle de la Cenerentola, gracieuse et spirituelle.

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FIG. 101.—ROSSINI (GIOACCHINO).

(Pesaro, 1792 † Paris, 1868.)

On a beaucoup parlé de l'influence de Rossini; elle a été immense en effet, et l'auteur du Barbier et de Guillaume Tell a laissé dans la première moitié de ce siècle une trace lumineuse et éblouissante. Mais, faut-il le dire, cette influence a été plus néfaste qu'utile. Rossini a eu des imitateurs et des copistes, il n'a pas eu d'école, et c'est justement l'imitation du maître de Pesaro qui a nui aux œuvres de ses contemporains, surtout en France. Ce qui chez lui était éclat et brio est devenu faux clinquant chez ses successeurs; la recherche de l'effet à tout prix a fait tomber bien des musiciens dans l'exagération du son et du chant. Ne pouvant lui prendre son génie, plus d'un lui a pris ses défauts.

Après Guillaume Tell (1829), Rossini cessa d'écrire, du moins pour le théâtre; car il faut encore compter au premier rang de ses œuvres son Stabat Mater, composition plus dramatique que religieuse, mais qui renferme de belles pages, et sa Messe (1869).

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FIG. 102.—BELLINI (VINCENZO).

(Catane, 1801 † Puteaux, 1835.)

(Autographe musical et signature.)

Par une sorte de réaction singulière, le cygne de Pesaro put compter parmi ses successeurs un musicien faible, il est vrai, mais qui eut en partage, et à un haut degré, ce qui manquait au «puissant monarque de la musique», comme disait Boïeldieu: la sensibilité. Vincenzo Bellini naquit en 1801 à Catane et mourut à Puteaux en 1835. Son œuvre est peu nombreux, sa musique est pauvre et plus pauvrement encore accompagnée par l'orchestre, comme par l'harmonie; mais il faut garder le souvenir de ce musicien touchant, qui eut le culte de la vérité et de l'expression. Il débuta en 1826 par Bianca et Fernando; mais Il Pirata le rendit célèbre, en 1827. Cette célébrité n'eut plus de bornes après la Straniera (1829). La Sonnambula (1831), Norma (1831), montrèrent tout ce qu'il y avait de tendresse, de larmes, d'émotion vraie et d'intelligence artistique dans ce doux poète. Sa dernière œuvre, I Puritani, fut exécutée à Paris (janvier 1835), l'année même de sa mort. On a comparé Bellini à Pergolèse, comme lui mort jeune, un siècle juste avant lui, comme lui âme tendre et émue; mais on ne peut nommer l'auteur de la Sonnambula et de la Norma sans penser aussi à un autre musicien, non moins poète, non moins tendre, non moins exquis, mais plus instruit, Frédéric Chopin, mort comme lui avant quarante ans (fig. 102).

Moins délicat, moins expressif, moins poète, en un mot, que Bellini, Gaetano Donizetti (1798 † 1848) était plus habile que lui dans le sens spécial du mot. Doué d'une prodigieuse richesse mélodique, ayant acquis une grande adresse et une grande sûreté de main dans la science du style vocal et instrumental, Donizetti sembla prodiguer comme à plaisir tous les trésors de son exubérante imagination. Musique sérieuse et légère, il aborda tout, tantôt avec bonheur, tantôt avec une désolante faiblesse. On a de lui plus de trente partitions; il n'en est pas une qui ne contienne au moins une page de valeur; il n'en est pas une, même parmi les meilleures, qui soit complète. Sa réputation commença en 1819, avec Pietro il Grande; mais Anna Bolena (1830) fut la première œuvre digne de lui. Bientôt parurent l'Elisire d'amore (1832), opéra bouffe tout de grâce et d'élégance; puis la Parisina, qui eut plus de succès que de mérite (1833). Lucrezia Borgia (1833) fit enthousiasme; mais le maître ne connut plus de rivaux après Lucia di Lammermoor (1835). Lucia compte, avec raison, parmi les meilleurs opéras de Donizetti, et le sextuor est un chef-d'œuvre de style vocal dramatique, à la manière italienne. Il écrivit encore en Italie Poliuto, qui fut joué à Paris, sous le titre: les Martyrs, et dont le sextuor égale presque celui de Lucie.

Donizetti vint en France en 1840, et, comme tous les maîtres italiens, il sentit grandir son talent en arrivant dans notre pays. En effet, ce fut à l'Opéra-Comique, à l'Opéra et au Théâtre-Italien qu'il donna les œuvres qui sont ses plus belles et ses plus gracieuses, après l'Elisire d'amore et Lucie. La Fille du régiment, à l'Opéra-Comique, et la Favorite, à l'Opéra, datent de 1840. En 1843, il faisait jouer sur notre première scène lyrique Don Sébastien de Portugal, et au Théâtre-Italien, sa dernière œuvre, Don Pasquale, partition fine, spirituelle et charmante de tous points.

Autour de Rossini, de Bellini et de Donizetti évoluaient de nombreux musiciens, imitateurs plus ou moins heureux de ces maîtres; nous n'en citerons que trois dont les noms peuvent être retenus: Antonio Coppola (1793 † 1877), Giovanni Pacini (1796 † 1867) et Saverio Mercadante (1795 † 1870). Ce dernier surtout, qui écrivit plus de cent opéras, dont le premier fut joué en 1819 et le dernier en 1866, était un musicien doué d'une certaine puissance.

Un maître qui est encore notre contemporain devait glorieusement représenter l'école italienne. Je veux parler de Giuseppe Verdi (Busseto, 1813). Il n'a pas la puissance de Rossini, la sensibilité de Bellini, la fécondité prodigieuse de Donizetti, dont il procède cependant; mais il possède une grande variété d'idées, un profond sentiment dramatique, une véhémence et une ardeur qui donnent à tout ce qu'il écrit cette force immense en art, la vie. En pensant à Verdi, on entend les fureurs du Trovatore (1854) et les désespoirs de Rigoletto (1851). Cependant le maître a d'autres ressources dans son talent. L'élégie touchante de la Traviata (1853), le chant noble du Ballo in Maschera (1859), nous disent que Verdi a le don de la variété; la scène le guide, la passion le mène. Il n'est pas de préférence d'école qui puisse aveugler le vrai musicien sur le mérite de ces œuvres. Les opéras que nous avons cités appartiennent à ce que l'on pourrait appeler sa première manière, qui finit au Ballo in Maschera. Nous retrouverons Verdi parmi les maîtres contemporains avec les Vêpres siciliennes, Don Carlos, Aïda, la Messe de Requiem; il est resté le même, ardent et dramatique avant tout; mais son style a pris quelque chose de plus serré, je dirais presque de plus musical.

Les interprètes de Rossini, de Bellini et de Donizetti furent les derniers élèves des maîtres du bel canto, ou de l'art de chanter du XVIIIe siècle. C'est le nom de la Malibran (1808 † 1834) qui semble dominer toute cette période (fig. 103). Si l'on consulte les souvenirs des amateurs, la Malibran, fille de Garcia, fut avant tout une incomparable enchanteresse. Mais si Musset lui sacrifia cruellement la Pasta dans une ode célèbre, les musiciens ont cassé l'injuste arrêt du poète, car ils nous ont tous dit, en effet, que la Pasta était surtout dramatique. A la suite de ces deux grandes artistes, il faut citer la Sontag, chanteuse habile, qui sut également interpréter le Barbier de Séville et Eurianthe; Mme Mainvielle-Fodor; la Persiani, la vocalise faite femme; la Grisi, si belle dans Norma, et qui créa les Puritains; la Pisaroni et l'Alboni, ces deux superbes voix de contralto, conduites avec un art si parfait; Jenny Lind, et la Frezzolini, si passionnée et si émouvante.

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FIG. 103.—MALIBRAN (MARIE-FÉLICITÉ, DE BÉRIOT).

(Paris, 1808 † Manchester, 1836.—Autographe musical.—Bibliothèque nationale.)

Parmi les hommes, Rubini et Lablache, que les dilettantes regrettent toujours, l'un ténor à la voix remarquablement étendue, qui fut le chanteur de Bellini et de Donizetti; l'autre basse puissante aussi et montant jusque dans le registre du baryton, acteur intelligent, chanteur consommé. Après avoir nommé Tamburini, baryton, Ronconi (Dominique), et son fils Georges, le baryton qui inaugura la période italienne moderne en interprétant l'œuvre de Verdi, nous arrêterons là cette liste des chanteurs italiens et étrangers, qui brillèrent pendant la première moitié de ce siècle.

Ces noms éveillent bien des souvenirs chez les dilettantes, et, en y pensant, ceux-ci pleurent sur la décadence de l'art. Qu'ils se consolent: l'école des chanteurs virtuoses a disparu peut-être, mais le chant ne peut disparaître: la musique se transforme, et avec elle l'art de chanter. Le bel canto a perdu de son éclat, mais, au bénéfice de la musique riche, expressive et harmonieuse; celle-ci veut de grands chanteurs et de sublimes artistes, elle se soucie peu des virtuoses.

Basevi. Verdi, in-8o, 1854.

Chilesotti (Oscar). I nostri maestri del Passato, 1 vol., 1883.

Cicognetti. Gaetano Donizetti.

Edwards (H. Sutherland). The life of Rossini, in-8o, 1869.

Florimo. Bellini, in-8o, 1883.

Lavoix et Lemaire. Histoire du chant.

Pougin. Bellini et son œuvre, 1868.

Pougin. Verdi, 1882.


CHAPITRE III
LA MUSIQUE FRANÇAISE
PENDANT LA PREMIÈRE MOITIÉ DU XIXe SIÈCLE

Tendances nouvelles: l'opéra-comique et l'opéra, Hérold, Halévy, Auber, Adam et leur école; Meyerbeer.—Les symphonistes français: Berlioz et le romantisme musical; Félicien David et l'orientalisme.—Musique et instruments des Orientaux.—Onslow, Reber.

Nous avons quitté l'école française, avec Boïeldieu, dans un des chapitres précédents, au moment où, s'éloignant des modèles de Grétry, de Cherubini, de Méhul, elle se préparait à entrer dans une voie nouvelle. La période qui précède l'époque contemporaine est des plus curieuses: d'un côté, les musiciens s'inspirent beaucoup de Rossini et de l'Italie, un peu des grands maîtres de l'Allemagne, mais, au fond, restent fidèles aux habitudes de la scène française; de l'autre, des artistes indépendants, en guerre ouverte avec les anciennes traditions, restent Français par le génie, mais empruntent à l'Allemagne ses aspirations poétiques. Si profonde que fût la scission entre les deux écoles, on comptait de grands musiciens dans les deux camps, et il devait, de toute nécessité, arriver un moment où les deux partis se confondraient en un seul: c'est à cette fusion que nous assistons aujourd'hui.

Depuis la fin du XVIIIe siècle, le mouvement romantique s'était accentué chaque jour davantage dans la poésie, dans le drame, dans la peinture. La musique, cet art d'impression par excellence, cet art complexe, et, par conséquent, accessible par tant de côtés à toutes les transformations, entra délibérément dans la voie nouvelle; chaque musicien, chaque école en prit ce qui lui convenait; mais tous subirent l'influence de l'esprit moderne.

Dans la musique même on avait vu bien des changements, depuis 1820. Habeneck, le chef d'orchestre du Conservatoire, avait fait exécuter les symphonies de Beethoven en 1824; un arrangeur sans scrupule, mais intelligent, Castil-Blaze (1784 † 1857), faisait jouer en 1824 le Freyschütz, sous le titre de Robin des bois. Un autre musicien, Crémont, avait arrangé Preciosa en 1825. Une troupe allemande avait joué Fidelio en 1829, Obéron et Euryanthe vers 1831; le chanteur Ad. Nourrit avait rendu populaires les mélodies de Schubert. Rossini et les Italiens régnaient toujours en apparence, mais leur puissance était singulièrement sapée par la base: encore quelques années, et elle était condamnée à disparaître.

Chose curieuse, c'est l'inspiration de Weber qui semble avoir combattu celle de Rossini dans l'œuvre du plus grand de nos musiciens d'opéra-comique pendant cette période, Ferdinand Hérold (1791 † 1833). Cependant il ne faudrait pas pousser trop loin le parallèle entre Hérold et Weber. Il peut seulement s'appliquer à une certaine similitude de sensations, que quelques passages des deux maîtres nous font éprouver. Malgré l'influence de Rossini et de Weber, l'œuvre d'Hérold, même italianisée, procède surtout du génie français; elle est scénique autant que dramatique, pleine de justesse dans l'expression, de tact dans les proportions; on y sent passer l'âme d'un poète: aussi bien a-t-on pu, avec justesse, appeler Hérold l'André Chénier de la musique (fig. 104).

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FIG. 104.

HÉROLD (LOUIS-JOSEPH-FERDINAND).

(Paris, 1791 † 1833.)

(Autographe musical et signature.)

Dès sa première œuvre, les Rosières (1817), il donnait la mesure de son talent fin et distingué, ainsi que dans la Clochette (1817). Les Troqueurs (1819), spirituel opéra-comique, refait sur le poème de Vadé, que Dauvergne avait déjà musiqué, le Muletier, partition aux vives couleurs (1823), continuèrent sa réputation, qui fut définitivement établie avec Marie (1826), musique touchante et simple. Mais l'auteur de Marie devait grandir encore et prendre sa place au premier rang de notre école, avec les deux derniers opéras-comiques qu'il écrivit, Zampa (1831) et le Pré aux clercs (1832). En composant Zampa, Hérold avait voulu faire un Don Juan français. Il sut trouver dans cette œuvre des élans d'un souffle lyrique admirable, comme le beau trio et le fougueux finale du premier acte, des soupirs exquis, comme l'adorable duo: «Pourquoi trembler?»

D'une inspiration moins élevée, le Pré aux clercs est plus complet; la pièce, fort intéressante par elle-même, porte le musicien. Le caractère des personnages et la couleur scénique se soutiennent du premier au troisième acte, avec une étonnante logique; mille détails d'orchestre et de mélodie charment et surprennent à la fois. C'est Isabelle, amante douce et tendre; c'est Mergy, amoureux ardent et fier; plus loin, c'est Comminges, le terrible fanfaron; puis, dans un coin du tableau, Cantarelli, astucieux et craintif, Nicette et Giraud, l'une coquette, l'autre important et comique. Toutes ces figures, tracées par le musicien, sont encore vivantes aujourd'hui, et lorsqu'à la fin de la pièce l'action touche à son dénouement, lorsqu'il y a mort d'homme, la musique atteint les plus poignantes émotions du drame.

Un pas de plus et nous tournons au mélodrame violent avec Halévy (Jacques-François-Fromenthal) (1799 † 1862). Malgré l'élégante finesse de l'Éclair (1835), qui rappelle les plus charmantes qualités d'Hérold, on peut reprocher à Halévy d'avoir un peu poussé au noir, si je puis m'exprimer ainsi, l'ancien opéra-comique français; cependant nous devons nous incliner devant ce maître qui eut le don du lyrisme et qui sut tenir une grande place aussi bien à l'Opéra-Comique qu'à l'Opéra (fig. 105).

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FIG. 105.

HALÉVY (JACQUES-FRANÇOIS-FROMENTHAL-ÉLIE).

(Paris, 1799 † Nice, 1862.)

Il avait débuté en 1827 par l'Artisan, le Dilettante d'Avignon (1829) et autres partitions agréables, lorsqu'en 1835 il donna coup sur coup à l'Opéra-Comique l'Éclair, à l'Opéra la Juive. Il était arrivé en un jour au plus haut sommet de son talent; il pouvait s'égaler encore lui-même, se surpasser jamais. La grâce, l'esprit, l'émotion touchante, telles sont les qualités de l'Éclair; la puissance, la haute déclamation, une admirable fermeté dans le dessin du principal personnage, le juif fanatique Éléazar, tels sont les mérites de la Juive, dont le second acte peut être placé à côté des plus belles œuvres lyriques (fig. 106).

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FIG. 106.

AUTOGRAPHE MUSICAL ET SIGNATURE D'HALÉVY.

(Bibliothèque nationale.)

A partir de ce jour, Halévy régna, mais avec des fortunes diverses et non sans partage à l'Opéra-Comique et à l'Opéra. A l'Opéra-Comique, comptons parmi ses principaux ouvrages les Mousquetaires de la reine (1846), qui rappellent la grâce de l'Éclair, le Val d'Andorre (1848), pièce d'un profond sentiment dramatique, la Fée aux roses (1849), dont les interprètes firent le succès; Jaguarita l'Indienne (1855), partition colorée, dans laquelle le maître suivit avec bonheur les traces des modernes orientalistes. A l'Opéra, Guido et Ginevra (1838), dont le terrifiant troisième acte peut compter, avec le second de la Juive, parmi les plus belles pages d'Halévy; la Reine de Chypre (1841), avec son duo classique; Charles VI (1843), où retentit, à côté du délicieux duo des cartes, un vigoureux et puissant cri de guerre.

S'il est permis d'accuser Halévy de lourdeur, ce n'est certainement pas ce reproche que mérite Daniel-François-Esprit Auber (1782 † 1871); mais pourquoi songer à des reproches envers un musicien qui a su rendre la musique supportable et même agréable à ceux qui ne l'aimaient point? Sa musique courait alerte et légère sur le poème qu'elle traduisait, qu'elle complétait souvent, comme l'élégant dessin d'un maître court autour du texte d'un livre.

Aimable conteur musical, Auber ne chercha pas à émouvoir ou à persuader son auditeur, mais à le distraire. Sa musique n'est ni bien expressive ni bien forte; mais elle est juste, écrite avec élégance, relevée à propos par un trait heureux d'orchestre ou d'harmonie, superficielle et brillante à la fois. Grâce à des procédés simples, mais d'un effet sûr, le style d'Auber était de tous celui qui pouvait le plus facilement être imité. C'était du Rossini à la portée de tout le monde; de là son immense succès. Mais si une réaction se fait aujourd'hui contre lui, si la critique est aussi injuste que l'éloge avait été exagéré, nous ne devons pas laisser oublier le maître gai et spirituel qui a donné les modèles de ce qu'on appellerait en rhétorique le style tempéré (fig. 107).

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FIG. 107.—AUBER (DANIEL-FRANÇOIS-ESPRIT).

(Caen, 1782 † Paris 1871.—Autographe et signature.)

D'abord disciple de Boïeldieu et des maîtres français, Auber écrivit la Bergère châtelaine (1820), Emma (1821), la Neige (1823), le Concert à la cour (1824), le Maçon (1825), car ses premières œuvres, le Séjour militaire et le Billet de logement, sont indignes de lui; bientôt il fut ébloui par les rayons du soleil rossinien, et il devint en France le plus heureux imitateur du maître de Pesaro. Pendant que celui-ci chantait sur un ton sublime la patrie et l'amour filial, Auber, toujours spirituel, mettait le patriotisme en ballet avec la Muette de Portici (1829). La Muette, musique élégante, facile, aimable, ne peut manquer de plaire à qui ne cherche pas le drame dans le théâtre.

Mais c'était surtout à l'Opéra-Comique que le maître dépensait son inépuisable fécondité dans la Fiancée (1829), avec son finale touchant; Fra Diavolo (1830), tableau brillant brossé d'une main habile; l'Ambassadrice, le Domino noir, joli vaudeville rehaussé de couplets charmants; les Diamants de la couronne (1841), la Part du diable (1843). Avec Haydée (1847), il réussit à se donner les allures d'un musicien presque dramatique. En 1867, le maître écrivait encore, et ses admirateurs s'obstinaient à applaudir avec enthousiasme le Premier jour de bonheur. Telles furent les œuvres principales d'Auber, répertoire énorme d'un musicien que personne ne songerait à critiquer, si les dilettantes n'avaient eu l'idée singulière de le poser en chef de l'école française, à une époque où l'on comptait Hérold, Halévy, Berlioz, Félicien David, où le souvenir des anciens maîtres de l'Opéra-Comique n'était pas disparu, au moment où commençaient à briller les maîtres contemporains que nous admirons aujourd'hui.

Moins distingué, moins fin qu'Auber, mais facile, aimable et doué d'une certaine sensibilité touchante, avec une inépuisable bonne humeur, une gaieté et une franchise de bon aloi, quoiqu'un peu vulgaires, Adolphe Adam (1803 † 1856) représente dans l'art français le vaudeville musical. Aucun musicien ne fut plus fécond; partout, depuis l'Opéra jusqu'aux plus petits théâtres, il chanta gaiement et insoucieusement. Il fut quelquefois gracieux et poétique, avec des ballets comme la Fille du Danube (1836), Giselle (avec Burgmuller, 1841), le Corsaire (1856). Il chercha la finesse et l'esprit dans le genre et l'opéra-comique; telles sont, en effet, les qualités du Chalet (1834), un acte qui est son chef-d'œuvre, du Toréador (1849), de Giralda (1850), de Si j'étais roi (1852). Il s'inspira de la muse populaire, dans le Postillon de Longjumeau (1836), dans le Brasseur de Preston (1838), dans le Bijou perdu (1852).

Toute la troupe des musiciens aimables et faciles devait marcher à la suite d'Auber et d'Adam: voici Clapisson (1808 † 1866), le premier de tous après les maîtres, avec la Fanchonnette (1856); voici Monpou, un romantique auquel il n'a manqué que de connaître son art; voici Amédée de Beauplan (1790 † 1853), puis Théodore Labarre (1805 † 1870); plus près de nous, c'est Albert Grisar (1808 † 1869), qu'une romance, la Folle, rendit célèbre, mais qui sut, par la gaieté fine de sa musique, se faire une petite place à part, avec Bonsoir, monsieur Pantalon et Gilles ravisseur (1848). Parmi les imitateurs d'Halévy, nous devons compter encore Niedermeyer (1802 † 1861), auteur de Stradella (1837) et de Marie Stuart (1844), qui fut aussi un compositeur religieux distingué; M. Limnander de Nieuwenhave, né en 1814, un Belge, bon écrivain musical, qui écrivit pour l'Opéra-Comique les Monténégrins (1849) et Maillart (Aimé) (1817 † 1871), l'auteur ému et scénique des Dragons de Villars (1856).

A part ces trois derniers musiciens, qui ont une réelle valeur, tous ceux que nous venons de nommer ainsi rapidement étaient plutôt des compositeurs de romances, plus ou moins adroitement intercalées dans des opéras, que des auteurs dramatiques; mais, en France, la romance traduit trop bien le génie national pour ne pas avoir sa place dans notre théâtre.

Pour compléter ce tableau de la musique française, il nous faudrait descendre jusqu'à l'opérette, qui règne déjà à l'Opéra-Comique avec Adam, jusqu'au Vaudeville et aux flonflons de Doche; mais un art plus noble nous appelle, avec Giacomo Meyerbeer (Berlin, 1791 † Paris, 1864), un Allemand qui se fit Français et compagnon d'études de Weber, un musicien doué d'une merveilleuse puissance scénique, et qui tenta, quelquefois avec bonheur, d'unir toutes les écoles, de concilier tous les genres.

Meyerbeer ne trouva pas sa voie dès ses premiers pas dans la carrière. Exclusivement Allemand d'abord, il débuta par des pages comme la Fille de Jephté, auxquelles manquait la clarté, première condition d'une œuvre lyrique. Bientôt après, Meyerbeer alla en Italie et subit l'influence rossinienne; il simplifia son instrumentation, donna plus de souplesse à ses contours mélodiques, apprit à écrire pour les voix. Semiramide riconosciuta (1819), Emma di Resburgo (1819), Margherita d'Anjou (1820), l'Esule di Granata (1822) et Il Crociato (1824) furent les œuvres principales de cette période (fig. 108).

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FIG. 108.—MEYERBEER (GIACOMO).

(Berlin, 1791 † Paris, 1864.)

Il vint à Paris vers 1826, et c'est alors que son esprit changea complètement de direction. Il écrivit, sous l'inspiration française, Robert le Diable (1831). Malgré de grands défauts qui apparaissent aujourd'hui plus qu'autrefois, malgré un italianisme exagéré, Robert le Diable, avec son troisième et son cinquième acte, apportait en musique une note nouvelle.

Le musicien qui avait écrit cette partition était, à n'en pas douter, un grand maître. Il y parut aussi en 1836, lorsque Meyerbeer donna les Huguenots. Cette musique narrative, pour ainsi dire, débordante de passion, de chaleur, de vie, où la couleur d'orchestre et d'harmonie relevait encore la valeur de la pensée mélodique, ce drame poignant, se mouvant dans un tableau brossé d'une main ferme, marquait le point culminant de l'ancien art mélodramatique de l'Opéra.

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FIG. 109.

AUTOGRAPHE MUSICAL ET SIGNATURE DE MEYERBEER.

(Bibliothèque nationale.—Réd. 1/3.)

Meyerbeer devait s'élever plus haut encore. Au lieu de la passion amoureuse, il voulut peindre l'amour d'une mère et le fanatisme d'un prophète. Moins chaud et moins passionné que les Huguenots, le Prophète (1849) est d'une inspiration plus élevée et plus épique.

Après ses deux chefs-d'œuvre des Huguenots et du Prophète, citons l'Africaine, la dernière partition de Meyerbeer exécutée à l'Opéra, un an après la mort de l'auteur, en 1865. Dans cet opéra, le maître était revenu à ses premières amours italiennes. Composée malheureusement sur un poème médiocre, l'Africaine n'a pas les grands mouvements passionnés et dramatiques des Huguenots et du Prophète; mais jamais l'imagination mélodique de Meyerbeer n'a été plus riche, jamais son style plus brillant.

Entre temps, Meyerbeer se reposait en écrivant des opéras-comiques. Nous ferons bon marché de l'Étoile du Nord (1854), malgré le premier et le troisième acte; mais il n'en est pas de même du Pardon de Ploërmel (1859), partition plus pittoresque que dramatique, si l'on veut, mais d'une poésie charmante et d'une adorable et élégante fantaisie.

Meyerbeer a été bien discuté et le sera beaucoup encore. C'est le sort des éclectiques: il a paru trop profond, trop savant, comme on dit niaisement, aux dilettantes de son temps. On le trouve aujourd'hui trop facile; nous n'avons pas à nous prononcer dans ce procès: tout ce que nous pouvons dire, c'est que Meyerbeer, qui a pris tous les styles, essayé toutes les formes, est un merveilleux musicien de transition entre les anciennes écoles et les nouvelles; affecter le mépris pour des œuvres telles que les Huguenots et le Prophète serait déchirer de gaieté de cœur deux des plus belles pages de l'histoire de la musique.

Pendant que le théâtre se développait ainsi en France, à l'Opéra comme à l'Opéra-Comique, nous prenions rang, à côté de l'Allemagne, dans le genre de la symphonie. Deux hommes de talents bien différents, Hector Berlioz (1803 † 1869) et Félicien David (1810 † 1876), ouvraient à l'art français des voies presque inexplorées. Ils créaient dans notre pays la symphonie, mais à la manière française; moins mouvementée que le drame, moins sévère que l'oratorio, l'ode symphonie et la symphonie dramatique de David et de Berlioz jetaient dans notre art national une note non encore entendue jusqu'à eux.

Ne soyons point trop sévères pour ceux qui ont méconnu Berlioz; nous ne sommes pas devenus plus sages aujourd'hui, et il en sera de même ainsi chaque fois qu'un novateur apportera une idée nouvelle ou trouvera une forme inconnue. Le public est ainsi fait. La musique est un art complexe dont les nouveautés effrayent d'abord notre oreille. Pour faire accepter quelque chose d'original ou d'inattendu, une certaine dose de banalité est nécessaire; elle fait pardonner au musicien toutes ses hardiesses, et Berlioz n'aimait guère ces sortes de concessions (fig. 110).

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FIG. 110.—BERLIOZ (HECTOR).

(Côte-Saint-André, 1803 † Paris, 1869.)

Novateur passionné, Berlioz se jeta, dès ses premiers pas, dans le romantisme musical et littéraire: Glück, Weber, Beethoven, Shakespeare, Byron, Hugo, furent ses dieux et ses adorations, comme il disait lui-même. Étant encore à l'école, il écrivait la symphonie fantastique, inspiration presque byronienne; puis venait Harold en Italie (1835). Le génie du maître s'affermissait, se rassérénait, pour ainsi dire; Berlioz restait toujours romantique, bouillant, mais il perdait ce que cette ardeur avait de trop exagéré. Alors commença pour lui la plus brillante période de sa vie musicale. Il écrivit le monumental Requiem pour les funérailles du général Damrémont (1839), la vibrante et amoureuse symphonie dramatique de Roméo et Juliette (1839); enfin cette œuvre admirable qui tient presque du théâtre, et qui est la plus fidèle traduction musicale du Faust de Gœthe écrite par un Français, la Damnation de Faust (1846). L'âme de l'artiste s'épurait encore: ce n'était plus à Shakespeare, à Gœthe que Berlioz s'adressait, c'était aux simples et touchants tableaux de l'Évangile, c'était au plus pur, au plus tendre, au plus serein des poètes, à Virgile. Ce puissant, ce sombre, se faisait petit et idyllique pour chanter Jésus dormant dans la crèche, avec l'Enfance du Christ (1854); ce musicien chercheur, curieux, exagéré même si l'on veut, atteignait les sérénités et les grandeurs du poète de Mantoue avec les Troyens (fig. 111).

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FIG. 111.—AUTOGRAPHE MUSICAL ET SIGNATURE DE BERLIOZ.

(Réd. 1/3.)

On a dit et répété que Berlioz ne comprenait rien au théâtre et n'y pouvait rien comprendre. En effet, il aimait peu nos conventions dramatiques, il était même rarement équitable pour nos musiciens, confondant facilement l'opéra-comique avec le vaudeville; mais franchement, à cet homme qui rêvait Shakespeare et Gœthe et qui ressuscitait Virgile, les habiletés dramatiques de M. Scribe devaient paraître un peu mesquines. Lorsqu'au théâtre on aura rendu à Berlioz la place qui lui est due, on pourra savoir en France (car les étrangers le savent depuis longtemps) quelle fantaisie pittoresque déborde dans Benvenuto Cellini (1838), combien tendre et gracieuse est la légère partition de Béatrice et Bénédict (1862), quel trésor de poésie, de véritable mélodie, de réel sentiment dramatique renferme cette double œuvre, encore endormie pour notre public, et qui a nom la Prise de Troie, qui n'a jamais été jouée, et les Troyens à Carthage (1863). Les dilettantes d'autrefois ont bien ri, les auditeurs de l'avenir pleureront et admireront; ils seront les naïfs peut-être, mais leur sort vaudra mieux que celui des gens d'esprit.

Ardent, batailleur, injuste souvent, Berlioz s'était attiré bien des ennemis; mais, même à l'époque où il était le plus discuté, son influence fut immense. Partout aujourd'hui on retrouve les traces de ce maître puissant, original, à l'instrumentation riche, étonnamment colorée, dans laquelle tout est neuf, inattendu, hardi, sinon heureux. Berlioz, avec un peu d'orgueil, il faut l'avouer, prétendait continuer Beethoven: il n'avait pas tout à fait tort; car, si son œuvre n'existait pas, il manquerait un anneau à la chaîne qui relie les grands maîtres classiques, comme Beethoven et Weber, aux modernes, comme Richard Wagner.

Félicien David fut plus heureux que Berlioz, moins ambitieux, il est vrai, et moins novateur. Son talent procède de Haydn, dans la Création et dans les Saisons, plus peut-être que de tout autre maître. En dehors de sa mélodie un peu pauvre, mais poétique et charmante, c'est l'instrumentation de Félicien David qui accapare souvent à elle seule toute l'attention de l'auditeur. Elle est riche, limpide et variée. Le développement symphonique, toujours écrit sur un rythme symétrique et bien marqué, sur une mélodie dont les contours sont facilement saisissables, n'exige, pour être compris, ni longue attention ni aptitudes spéciales. C'est dans le genre pittoresque que Félicien David a excellé: c'est un peintre en musique. Après un long voyage en Orient, il rapporta tout vivants, pour ainsi dire, les tableaux qui avaient frappé sa vive imagination. Il créa un genre tout spécial, l'orientalisme musical.

Ce fut le Désert (1844) qui commença son succès. La suite ne démentit pas ce brillant début, même dans ses œuvres aujourd'hui oubliées, comme l'Éden, Moïse au Sinaï. La dernière œuvre symphonique de David, Christophe Colomb, avec la scène de l'Océan, le nouveau monde et l'épisode de la mère indienne, est à la hauteur des meilleures pages du Désert (fig. 112).

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FIG. 112.—DAVID (FÉLICIEN).

(Cadenet, 1810 † Saint-Germain, 1876.)

(Autographe musical et signature.)

Félicien David aborda le théâtre avec bonheur, non qu'il eût le sentiment dramatique très développé; mais la limpidité de sa pensée et de son style rendait sa musique accessible aux oreilles les plus rebelles. Il débuta au théâtre par la Perle du Brésil (1851); bientôt Herculanum (1859), à l'Opéra, prouva que le musicien pittoresque était aussi un artiste aux tendances élevées et expressives; malheureusement, l'imitation fréquente des Italiens et surtout de Donizetti ont rapidement fait vieillir cette œuvre, que la scène des chrétiens et surtout la Bacchanale devraient sauver de l'oubli. Le chef-d'œuvre de Félicien David, avec le Désert, fut Lalla Roukh (1862), opéra-comique en deux actes. Cette partition, empreinte d'une poésie pénétrante et d'une couleur orientale langoureuse est une des œuvres les plus remarquables de notre opéra-comique moderne.

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FIG. 113.—INSTRUMENTS CHINOIS.

1. Cheng. | 2. Che. | 3. Kin.

Nous avons laissé de côté, dans le cours de cette histoire, la musique extra-européenne des Arabes, des Hindous et des Chinois: non qu'il soit inutile de la connaître, mais les développements qu'elle exige nous entraîneraient hors des bornes de cet abrégé. Contentons-nous de quelques notes et ne disons de cette musique que ce qui est absolument indispensable, au moment où, sous l'influence de Félicien David, l'orientalisme devient un genre dans l'art, au moment où les compositeurs cherchent des couleurs nouvelles dans les rythmes et dans les intervalles étrangers à notre langue musicale qui caractérisent la musique des peuples orientaux.

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FIG. 114.—KINAN, HARPE CHINOISE.

(Conservatoire de Bruxelles.)

La musique orientale paraît avoir peu changé, dans la suite des temps; telle elle était autrefois, telle on la retrouve aujourd'hui. Si on la regarde de près, on s'aperçoit que les Orientaux ne parlent pas en musique la même langue que nous; leur gamme, pour appeler par un nom connu leur échelle musicale, se compose d'intervalles qui ne sont pas employés dans la nôtre.

Il semble qu'aucun de ces peuples n'ait connu l'harmonie, telle que nous la comprenons; s'ils chantent ensemble plusieurs notes, il n'y a dans cette polyphonie embryonnaire aucune trace d'un art bien et dûment constitué comme le nôtre.

De ces peuples, les uns ont une notation musicale, comme les Arméniens, les Chinois, les Hindous et les Persans; les autres n'en ont pas, comme les Arabes; mais cette notation, quand elle existe, consiste en lettres, ou tronçons de lettres, se rapprochant un peu de l'écriture musicale des Grecs ou des neumes du moyen âge. C'est, du reste, le plus souvent, par la tradition et la mémoire que les mélodies orientales se conservent et se propagent.

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FIG. 115.—INSTRUMENTS HINDOUS.

1. Tayuc ou Mayuri. | 2. Chikara. | 3. Mridanga.

(Conservatoire de Bruxelles.)

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FIG. 116.—INSTRUMENT HINDOU, RANA-CRINGA.

(Conservatoire de Bruxelles.)

Lorsque nos missionnaires pénétrèrent en Chine, ils trouvèrent une musique constituée par des lois immuables. Le père Amyot a laissé un mémoire curieux sur la musique des Chinois et sur leurs musiciens. Leurs instruments, comme tous les instruments du monde, peuvent toujours se diviser en instruments à cordes, à vent et à percussion, et ces derniers sont chez eux très multiples et très variés; ils aiment aussi les instruments à cordes nombreuses, dont le principal est le takigato ou le ché, qui rappelle le psaltérion du moyen âge et le tympanon des tziganes. Leurs instruments à archets sont nombreux, mais généralement primitifs; en revanche, les Chinois sont riches en instruments du genre luth ou guitare. Parmi les instruments à vent, le cheng, aux nombreux tuyaux, est certainement le plus intéressant. Nous donnons, du reste, quelques dessins des principaux agents sonores chinois (fig. 113 et 114).

La notation chinoise n'est pas primitive; au contraire, elle est assez compliquée et se compose de lettres qui marquent à la fois l'intonation et le rythme.

Le système des Hindous diffère notablement de celui des Chinois. Leurs instruments sont différents et le nombre des instruments à cordes pincées est plus grand que celui des engins de percussion, contrairement aux habitudes chinoises. Leurs guitares et leurs luths se rapprochent beaucoup des nôtres et sont désignés sous le nom générique de vinas, bien souvent employé par les poètes modernes. Les formes élégantes et capricieuses des instruments hindous méritent l'attention des artistes. Nous en publions quelques spécimens curieux (fig. 115 et 116)[19].

[19] Pour la musique hindoue et les instruments chinois et japonais, nous ne pouvons mieux faire que de recommander l'excellent Annuaire du conservatoire de Bruxelles, de M. Mahillon, 1878, et la Musique au Japon, de M. Kraus. Florence 1878, in-8o.

Le tambour (taraboukeh) et le luth ou guitare (eoud et tanbour) sont les principaux instruments arabes. A l'époque de l'expédition des Français en Égypte, Villoteau a écrit sur la musique arabe ancienne et moderne deux remarquables mémoires.

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FIG. 117.—CONCERT ARABE, XIIIe SIÈCLE.

(Mss. des Séances de Harriri.—Bibliothèque nationale.)

Les Arabes n'ont pas de notation; c'est par la mémoire et la tradition que leurs mélodies sont conservées et propagées; cependant cette musique nous est plus familière que celle des Hindous et des Chinois. Pendant les croisades, nos rapports avec l'Orient ne furent pas sans influence sur la musique occidentale; puis les Arabes, s'étant rapprochés de nous par l'Espagne, laissèrent des traces profondes dans le chant religieux et dans le chant profane. C'est aux Arabes que les mélodies espagnoles doivent ces morbidesses d'intonation et de rythmes qui les rendent si caractéristiques (fig. 117, 118 et 119).

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FIG. 118.—INSTRUMENTS ARABES.

1. Darabouked. | 2. Eoud. | 3. Tanbour ou guitare Bourzouk.

Après un court voyage autour du monde, nous voici donc revenus en Europe; mais là aussi nous retrouvons des populations dont les rythmes étranges, les mélodies de tonalité singulière décèlent l'origine orientale. Parmi celles-ci, il faut compter au premier rang les Hongrois et les Tziganes, dont les rapsodies et les czcsardas, tantôt langoureuses et tendres, tantôt comme affolées de rythmes, se distinguent facilement des chants de notre musique.

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FIG. 119.

HARPE DES NÈGRES DE L'AFRIQUE.

C'est à ces chants primitifs, nouveaux par les rythmes, nouveaux par les formes de la mélodie, que les musiciens modernes ont demandé, depuis une trentaine d'années, des couleurs encore inconnues pour enrichir leurs palettes. Jusqu'à Félicien David, l'Espagne seule avait été mise à contribution.

Depuis quelques années, ces rythmes piquants, ces mélodies originales, qui apparaissent dans notre musique, comme seraient des mots étrangers à notre langue, sont devenus fort à la mode; on a usé et presque abusé de l'Orient, de l'Espagne et des tchèques, des Hongrois, bohèmes et tziganes.

Après cette courte excursion dans l'ethnographie musicale, revenons à nos musiciens français, et citons, pour finir cette période, deux artistes de talent différent, mais à la plume délicate et fine, au style châtié et élégant, Onslow (1784 † 1852) et Reber (1807 † 1880). Onslow fut, au théâtre, un compositeur froid et de peu d'imagination; mais ses œuvres instrumentales de concert et de chambre sont intéressantes. Musicien instruit et châtié, esprit fin et distingué, Reber ne se lança pas dans la symphonie dramatique et pittoresque; il prit, au contraire, pour modèles les maîtres du passé; au concert, Haydn et Mozart; au théâtre, Grétry et nos vieux musiciens français. Ses opéras-comiques: la Nuit de Noël, le Père Gaillard, ses symphonies, sa musique de chambre, sont des œuvres de second ordre, mais finement et élégamment écrites, qui resteront longtemps encore chères aux musiciens amoureux de l'art du bien écrire, sensibles à toutes les délicatesses du style le plus pur.

Adam (Ad.). Souvenirs d'un musicien, in-8o, 1857.—Derniers souvenirs d'un musicien, in-8o, 1859.

Azevedo. Félicien David, grand in-8o, 1865.

Berlioz. Mémoires, grand in-8o, 1870.—Correspondance inédite, avec Notice, par M. D. Bernard, 2e édit., 1879.—Lettres intimes, in-8o, 1882.

Caussin de Perceval. Notices anecdotiques sur les principaux musiciens arabes des trois premiers siècles de l'islamisme (Journal asiatique, 1873).

Chouquet. Histoire de la musique dramatique en France, in-8o, 1873.—Catalogue des instruments du musée du Conservatoire, in-8o, 1875.

Fétis. Histoire de la musique, t. Ier.

Fouque (Octave). Les révolutionnaires de la musique, in-8o, 1883.

Halévy (L.). F. Halévy, sa vie et ses œuvres, in-8o, 1862.

Halévy. Souvenirs et portraits, in-8o, 1860.—Derniers souvenirs et portraits, in-8o, 1863.

Hippeau. Berlioz.—1 vol. in-4o, 1873.

Kraus. La musique au Japon, in-8o, 1878.

Lavoix. Histoire de l'instrumentation.

Mahillon. Catalogue des instruments du Conservatoire de Bruxelles. (Annuaire du Conservatoire royal de Bruxelles, 1re et 2e années, 1877-1878).

Pougin. Albert Grisar, in-12, 1870.—Adolphe Adam, in-8o, 1877.

Villoteau. Mémoire sur la musique des Arabes.—(Description de l'Égypte, t. 8 et 14).


CONCLUSION
LA MUSIQUE CONTEMPORAINE

La symphonie et le drame: la mélodie, l'harmonie, les instruments et l'instrumentation.—Les maîtres contemporains: Allemagne (R. Wagner); Italie, France, Espagne, Belgique, Angleterre.—L'opérette et la romance, le public, les concerts populaires, l'orphéon.—Le dernier mot.

Nous avons bien des fois, dans le cours de ce résumé, parlé d'art moderne, de nouvelle école, de période de transition; mais, en somme, nous n'avons pas dit ce qu'était cette évolution musicale, qui se fait sentir dans toutes les parties de la musique. Chaque chapitre de ce livre, depuis l'antiquité jusqu'à nos jours, a montré les diverses péripéties par lesquelles avait passé notre art avant d'arriver au point où il en est aujourd'hui; il serait temps de décrire, pour ainsi dire, cette évolution à laquelle nous avons tant de fois fait allusion.

Pour parler la langue des philosophes, la musique, de subjective qu'elle était, tend chaque jour à devenir objective, c'est-à-dire qu'elle ne cherche plus, comme autrefois, à produire une sensation vague, un simple plaisir de l'oreille, mais bien à préciser cette sensation, à donner l'impression d'un spectacle défini, à exprimer une passion ou un sentiment.

C'est surtout dans la symphonie que cette évolution est facile à suivre, car, au théâtre, la musique, aidée des paroles, a toujours rendu ou voulu rendre un sentiment quelconque. Il en est tout autrement de la symphonie. Elle n'est d'abord, au commencement du XVIIIe siècle, qu'un assemblage de sons plus ou moins habilement combinés; puis, avec Haydn, elle agrandit son cadre, sans autre ambition cependant que d'être une page de musique pure et parfaite. Déjà Mozart est plus précis, puis vient Beethoven; il joint à quelques-unes de ses symphonies un programme, ou tout au moins un titre, qui en explique d'abord le sujet; cela ne suffit plus au maître, il ajoute des paroles et compose la symphonie avec chœurs. Un grand pas est franchi. Les successeurs d'Haydn, de Mozart, de Beethoven, de Berlioz, de Mendelssohn, de Schumann, vont marier définitivement le théâtre à la symphonie. Cette invasion du drame dans la symphonie est-elle un bien ou un mal? Nous n'avons pas à porter de jugement, c'est un fait et voilà tout.

Mais une conséquence naturelle de ce même fait est l'invasion de la symphonie dans le drame. Le théâtre attire à lui toutes les forces, il double sa puissance par l'adjonction des instruments traités symphoniquement. Ceux-ci, grâce à la variété de leurs teintes sonores, grâce aux diverses expressions de leurs timbres, prennent part à l'action, comme des personnages, au lieu de rester, ainsi qu'autrefois, simples accompagnateurs de la voix humaine. Ce n'est pas l'inspiration d'un compositeur de génie ni le hasard de la mode qui a causé cette fusion de la symphonie dans le drame et du drame dans la symphonie, c'est la force même des choses; cette évolution est la conséquence nécessaire de tous les faits que nous avons exposés, depuis les commencements de l'histoire de le musique.

Chaque partie de notre art a subi pareille transformation. La mélodie tend à chercher des intonations nouvelles, à rajeunir ses rythmes; on altère l'ancienne symétrie classique et on la remplace par une symétrie asymétrique, pour ainsi dire.

On a beaucoup parlé et on parlera encore beaucoup du Leit motiv, fort employé dans la musique moderne, surtout par les maîtres de l'école allemande. Le Leit motiv (motif conducteur), appelé aussi mélodie mère, consiste dans une phrase mélodique qui représente, pour ainsi dire, un personnage du drame. Modulée, transformée de mille manières, dans son rythme, dans son instrumentation, dans son harmonie, cette mélodie change d'expression, de sens, de couleur, suivant les péripéties de l'action, suivant les diverses passions et les différents sentiments du héros dont elle est, en quelque sorte, la personnification musicale, et cependant elle reste la même, toujours reconnaissable pour qui sait écouter. Le Leit motiv n'est pas d'invention nouvelle, on en retrouve des traces évidentes dans Méhul, dans Beethoven, dans Meyerbeer et surtout dans Berlioz.

Comme elle s'était transformée vers le milieu du moyen âge, l'harmonie se transforme aujourd'hui. Naguère le musicien qui écrivait des sons simultanés, c'est-à-dire qui faisait de l'harmonie, avait pour but de faire éprouver le plus souvent possible à l'auditoire la sensation du repos; tantôt ce repos était fugitif, on l'appelait demi-cadence: tantôt il était complet, on l'appelait cadence; la dissonance avait pour principale utilité de rendre le repos de la consonance plus doux, après l'avoir fait désirer. Aujourd'hui l'harmonie, plus nerveuse (quelques-uns disent plus énervante), retarde, au contraire, le plus possible le repos consonant; elle laisse notre oreille dans une sorte d'inquiétude haletante qui a quelque chose de doux et d'émouvant. Une note retardée, quittant comme à regret l'accord qui précède, est pour nous une irritation qui a son charme; empruntée au contraire à une harmonie non encore entendue, elle la fait pressentir, et cette attente est une émotion. Depuis les plus grands opéras jusqu'à la simple romance, partout on retrouve ces tendances que nous avons déjà signalées au siècle dernier et qui s'accentuent chaque jour davantage. C'est à elles que l'on peut attribuer aussi les modulations fréquentes, c'est-à-dire les changements de tons qui font aujourd'hui partie de la langue musicale courante, dont ils n'étaient autrefois que l'exception. En résumé, de consonante qu'elle était, l'harmonie tend surtout à devenir dissonante.

Ajoutez à cela qu'il était autrefois possible de séparer la mélodie de son accompagnement. Aujourd'hui les musiciens ne conçoivent plus guère l'une sans l'autre; ils unissent la mélodie et l'harmonie d'un lien tellement indissoluble que, le plus souvent, l'idée n'est complète que lorsque les deux parties sont, pour ainsi parler, soudées l'une à l'autre. Dans ces conditions, pour être entendue et comprise, la musique demande une plus grande éducation d'oreille, une plus grande attention; mais le goût du public se forme aussi chaque jour, malgré ses propres résistances et comme à son insu, ce qui explique facilement comment quelques musiciens, qui paraissaient presque barbares il y a un quart de siècle à peine, sont devenus aujourd'hui classiques.

Tel est, dessiné d'un trait rapide, le caractère de la musique moderne; mais il est temps de parler un peu des instruments, que nous avons abandonnés à la fin du XVIe siècle. Les progrès de leur construction matérielle n'ont pas été sans influence sur les variations de leur emploi, au théâtre comme au concert.

Pendant que nous suivions les péripéties de l'histoire, l'orchestre se formait, chaque instrument se perfectionnait; non seulement il devenait plus étendu, plus maniable, d'une sonorité plus riche et plus souple, mais aussi, ce qui est plus important, il contribuait à enrichir et à augmenter cette masse imposante de l'orchestre que l'on ne peut mieux comparer qu'à un instrument aux registres multiples et aux timbres variés; le mélange, la fusion, l'opposition habile de ces timbres constituent l'art tout moderne de l'instrumentation, dont nous avons parlé plus haut.

On distingue deux sortes d'orchestres: l'orchestre de théâtre et de symphonie, et l'orchestre militaire. L'orchestre de la symphonie ressemble fort à celui du théâtre; c'est par la manière dont les instruments sont groupés et traités qu'ils diffèrent. En revanche, on distingue dans l'orchestre militaire l'harmonie et la fanfare. Dans l'harmonie on emploie, outre les cuivres, les clarinettes, les flûtes, les hautbois, les bassons, en un mot, tous les instruments de bois, plus les saxophones. La fanfare n'admet que les trompettes, les cors, les cornets, les trombones, les bugles, les saxhorns, les tubas, etc.

On appelle partition la façon dont le compositeur dispose ses instruments sur son manuscrit. Il est bien entendu qu'il ne fait pas constamment emploi de tous les agents sonores qu'il désigne, mais les combinaisons peuvent être variées à l'infini. Une page toute moderne de partition (fig. 120), empruntée à une des œuvres de nos jeunes maîtres et reproduite d'après son manuscrit, en dira plus long au lecteur que tous nos commentaires. Quelquefois toutes les forces de l'orchestre, distribuées en divers groupes, sont employées ensemble, comme dans la marche du Prophète de Meyerbeer, le finale du second acte de l'Étoile du Nord, et surtout le Tuba mirum du Requiem de Berlioz.

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FIG. 120.—LA PARTITION MODERNE.

Mais voyez-les dans l'orchestre, ces instruments, rangés suivant leurs familles, leurs timbres et leur genre. Que le chef lève son bâton et la matière va vivre. Ces cordes vont pleurer, ces bois gémir et soupirer, ces cuivres mugir et menacer. Depuis le moyen âge, le nombre des groupes sonores s'est à peine augmenté et les divisions générales sont restées à peu près identiques; mais presque tous les instruments ont subi de profondes transformations.

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FIG. 121.

CONTREBASSE.—VIOLONCELLE.—VIOLON.

Jetons un coup d'œil sur l'orchestre moderne de symphonie et de drame, sur cette armée qui, depuis la fin du dernier siècle, est entrée victorieusement dans l'art musical.

Voici, occupant la plus grande place, le centre stratégique pour ainsi dire de l'orchestre, la masse des instruments à cordes, c'est-à-dire le quatuor, composé des violons, altos, violoncelles et contrebasses. Nous disons quatuor, suivant l'expression consacrée; mais, en réalité, les violons étant généralement divisés en deux parties, l'ensemble forme un quintette; c'est cette masse dite des cordes qui soutient tout l'édifice instrumental, et dont la voix pleine, chaude et vibrante, vivifie littéralement l'orchestre (fig. 121).

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FIG. 122.—HARPE DE MARIE-ANTOINETTE.

(Système Nadermann.—Musée du Conservatoire.)

Tel il était aux XVIe et XVIIe siècles, tel le violon est resté encore aujourd'hui, si bien que les amateurs préfèrent et de beaucoup les Stradivarius aux instruments modernes. En revanche, le violoncelle, inventé vers le commencement du XVIIIe siècle par le père Tardieu de Tarascon, a remplacé les anciennes violes, et à partir de 1706 la contrebasse à la mâle sonorité a pris la place des basses de violes dont la voix était trop faible pour les besoins de la musique moderne qui se formait déjà.

Mais à côté de cette masse imposante des instruments à archet, la harpe, aux sonorités poétiques et aériennes, vient donner, pour ainsi dire, des ailes à l'instrumentation. Longtemps maintenue dans d'étroites limites, la harpe a pris, au siècle dernier, un prodigieux essor. Grâce aux ingénieuses inventions de Cousineau, de Nadermann et surtout de cet ouvrier de génie qui a nom Sébastien Érard, cet instrument peut aujourd'hui atteindre tous les tons, rendre toutes les notes. En effet, le système dit à double mouvement, inventé en 1801 par Érard, a fait de la harpe un des plus beaux instruments de l'orchestre (fig. 122.)

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FIG. 123.—CLAVECIN DE RUCKERS.

(Musée du conservatoire.)

En revanche, nous avons abandonné les autres instruments à cordes pincées et de petite taille, tels que les luths, les mandolines et les guitares. Depuis la seconde moitié du XVIIIe siècle, ils ne servent plus qu'à l'accompagnement de la voix pour les amateurs. Cependant on trouve la mandoline dans la fameuse sérénade de Don Juan de Mozart, la guitare dans le Barbier de Séville de Rossini, etc. Dernièrement M. Delibes a employé la mandoline dans la musique écrite pour le drame de Victor Hugo, le Roi s'amuse, et R. Wagner une sorte de luth dans les Maîtres chanteurs de Nuremberg.

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