Histoire de la prostitution chez tous les peuples du monde depuis l'antiquité la plus reculée jusqu'à nos jours, tome 3/6
CHAPITRE IV.
Sommaire.—Débordements concubinaires des rois francs.—Clotaire Ier.—Ingonde et Aregonde.—Incontinence adultère de Caribert, roi de Paris.—Marcoviève et Méroflède.—Caribert répudie sa femme Ingoberge.—Theudechilde.—Les frères de Caribert.—Gontran, roi d’Orléans et de Bourgogne.—Chilpéric, roi de Soissons.—Audowère.—Frédégonde.—Galeswinde.—Dagobert Ier.—Pépin et sa concubine Alpaïs.—Meurtre de saint Lambert par Dodon, frère d’Alpaïs.—Mœurs dissolues de Bertchram, évêque de Bordeaux.—Brunehaut.—Charlemagne.—Ses concubines Maltegarde, Gersuinde, Régina et Adallinde.—Ses filles.—Le cartulaire de l’abbaye de Lorsch.—Légende des amours d’Éginhard et d’Imma, fille de Charlemagne.—Capitulaire de Charlemagne concernant les complices de la Prostitution.—Origine des fonctions du prévôt de l’hôtel du roi et de l’office du roi des ribauds.—Recherches minutieuses des individus suspects et des prostituées ordonnées par Charlemagne.—Châtiment infligé aux femmes de mauvaise vie et à leurs complices.—Les juifs, courtiers de Prostitution.—Le pied de roi.—Dissertation sur la stature de Charlemagne.—Légende de la femme morte et la pierre constellée.—Le capitulaire de l’an 805.—Les hommes nus.—Les mangones et les cociones.—Les maquignons.—Légende de saint Lenogésilus.—Les successeurs de Charlemagne.—Louis-le-Débonnaire.—L’épreuve de la croix.—L’épreuve du congrès.— L’impératrice Judith.—Theutberge, femme de Lothaire, roi de Lorraine, accusée d’inceste.—Le champion ou vicaire de Theutberge sort triomphant de l’épreuve de l’eau chaude.—Theutberge, justifiée, est traduite devant un consistoire présidé par Lothaire.—Elle s’accuse, puis rétracte ses aveux.—Le concile de Metz.—Lothaire est excommunié.—Sacrilége de Lothaire.—Sa mort.
Les rois de la première race furent sans cesse en lutte avec l’Église, à cause de leurs concubines, qu’ils prenaient et répudiaient tour à tour, sans consulter les évêques, et ceux-ci, malgré leurs menaces et leurs anathèmes, ne parvenaient pas à faire respecter aux Francs l’institution religieuse du mariage, car les nouveaux convertis restaient païens dans leurs mœurs et supportaient avec peine le joug évangélique. L’histoire de ces rois est remplie de leurs guerres, de leurs crimes et de leurs excès; mais c’est surtout dans leurs amours qu’ils ont à se plaindre de l’importune police du pouvoir ecclésiastique, qui ne leur accorde ni paix ni trêve, et qui ne tolère pas chez eux l’exemple de la Prostitution. Pourtant, le scandale demeure ordinairement enclos dans le sein du gynécée, et la rumeur publique révèle à peine ce qui s’y passe. Dès qu’un écho de ces désordres avait transpiré aux oreilles du confesseur, celui-ci s’armait de ses foudres excommunicatoires et tenait le pécheur éloigné de la sainte table, jusqu’à ce qu’il eût purifié son lit et rompu avec le démon féminin. On ne comprendra bien les débordements concubinaires des rois francs, qu’en lisant, dans Grégoire de Tours, le récit naïf d’un des mariages du roi Clotaire, fils de Clovis, lequel eut sept femmes ou concubines avouées. «Il avait déjà pour épouse Ingonde, et l’aimait uniquement, lorsqu’elle lui fit cette demande: «Mon seigneur a fait de moi ce qu’il a voulu; il m’a reçue dans son lit; maintenant, pour mettre le comble à ses faveurs, que mon seigneur roi daigne écouter ce que sa servante lui demande. Je vous prie de vouloir bien chercher pour ma sœur, votre esclave, un homme capable et riche qui m’élève au lieu de m’abaisser, et qui me donne les moyens de vous servir avec plus d’attachement encore?» A ces mots, Clotaire, déjà trop enclin à la volupté, s’enflamme d’amour pour Aregonde, se rend à la campagne où elle résidait, et se l’attache par le mariage. Quand elle fut à lui, il retourna vers Ingonde, et lui dit: «J’ai travaillé à te procurer cette suprême faveur que m’a demandée ta douce personne, et en cherchant un homme riche et sage qui méritât d’être uni à ta sœur, je n’ai trouvé rien de mieux que moi-même; sache donc que je l’ai prise pour épouse; je ne crois pas que cela te déplaise?—Ce qui paraît bien aux yeux de mon maître, répondit-elle, qu’il le fasse; seulement, que sa servante vive toujours en grâce avec le roi!» Ce curieux tableau de mœurs nous montre comment allaient les choses dans les gynécées des rois.
Les fils de Clotaire Ier furent comme lui polygames, et plus que lui adonnés à leur incontinence adultère. L’aîné, Caribert, roi de Paris, était marié à Ingoberge, que sa naissance illustre élevait au-dessus de ses rivales: «Elle avait à son service deux jeunes filles nées d’un pauvre artisan; l’une, nommée Marcoviève, portait l’habit religieux; la seconde s’appelait Méroflède, et le roi en était éperdument amoureux.» Ingoberge, jalouse de l’intérêt qu’elles inspiraient au roi, eut la fâcheuse idée de vouloir déprécier ces deux sœurs, en mettant sous les yeux de Caribert la condition servile de leur père, qui cardait de la laine dans le préau du palais; mais Caribert, irrité contre sa femme, qui s’était proposé de le faire rougir, la répudia, et prit successivement Méroflède et Marcoviève; mais il ne s’en contenta pas; bientôt, il leur préféra une autre servante, nommée Theudechilde, dont le père était berger. Celle-ci, quoique concubine de dernier ordre, s’empara du trésor de Caribert, quand ce prince mourut, sans laisser d’héritier, entre les bras de Theudechilde, de Marcoviève et de Méroflède, qui s’étaient partagé ses dernières caresses. Les frères de Caribert avaient aussi au même degré le vice de l’incontinence. Gontran, roi d’Orléans et de Bourgogne, tout dévot qu’il était, changea de femmes autant de fois que Caribert, et eut des concubines de basse extraction, sans que les évêques, qui l’appelaient le bon Gontran (bonus) le troublassent dans ses amours. Chilpéric, roi de Soissons, est celui auquel les chroniqueurs contemporains attribuent le plus grand nombre de femmes, épousées d’après la loi des Francs, par l’anneau, le sou et le denier. Une de ces femmes, nommée Audowère, avait à son service Frédégonde, jeune fille d’origine franque, aussi remarquable par sa beauté que par son astuce. Chilpéric ne l’eut pas plutôt vue, qu’il en fut épris; mais Frédégonde avait trop d’ambition pour être satisfaite du rôle de concubine subalterne. Audowère étant accouchée en l’absence du roi son mari, Frédégonde, de concert avec un évêque qu’elle avait mis dans ses intérêts, abusa de la simplicité de la reine au point de la déterminer à tenir elle-même sur les fonts baptismaux son propre enfant. Or la qualité de marraine était incompatible avec celle d’épouse, selon la doctrine de l’Église. Lorsque Chilpéric revint de la guerre, toutes les filles de son domaine royal allèrent à sa rencontre, portant des fleurs et chantant ses louanges. Frédégonde se présenta la première: «Avec qui mon seigneur couchera-t-il cette nuit? lui dit-elle effrontément (Cum quâ dominus meus rex dormiet hac nocte?); car la reine, ma maîtresse, est aujourd’hui sa commère, étant marraine de sa fille.—Eh bien! répondit Chilpéric d’un ton jovial, si je ne puis coucher avec elle, je coucherai avec toi.» Audowère arrivait à lui, son enfant entre les bras: «Femme, lui dit le roi, tu as commis un crime par simplicité d’esprit, tu es ma commère et ne peux plus être mon épouse.» Il la répudia sur-le-champ et lui fit prendre le voile dans un couvent. Frédégonde n’occupa la place d’Audowère, que pendant quelques mois. Chilpéric demanda en mariage Galeswinde, fille du roi des Goths, et, pour obtenir la main de cette princesse, il répudia ses femmes et congédia ses maîtresses, même Frédégonde, qu’il n’avait pas cessé d’aimer. Mais il ne tarda pas à se rapprocher de cette belle concubine, et à lui sacrifier la reine, qu’il fit étrangler pendant qu’elle dormait. Frédégonde, qu’il épousa ensuite, l’enveloppa dans un réseau de voluptés, qui le réduisit à la merci de sa criminelle compagne.
Telle est l’histoire de presque tous les rois mérovingiens, qui ne reculaient ni devant des meurtres, ni devant des guerres sanglantes, pour servir leurs amours et prendre ou garder une concubine. Ils vivaient dans leurs domaines royaux, loin des yeux de leurs sujets, qui entendaient à peine le bruit des orgies de ces rois fainéants, livrés à la débauche, et retombant sans cesse de l’ivrognerie à la luxure. La vie intérieure du palais n’était qu’un bourbier de Prostitution où s’enfonçait de plus en plus la royauté franque. Dagobert Ier, qui eut pourtant quelques qualités d’un roi, ne fut pas plus continent que ses prédécesseurs, et son ministre saint Éloi ne paraît pas s’être préoccupé des mœurs privées de ce prince, qui bâtissait des églises, fondait des monastères, couvrait d’or les reliques et les tombeaux des saints, mais qui, en même temps, avait une foule de concubines, à l’instar du roi Salomon (luxuriæ supramodum deditus, tres habebat instar Salomonis reginas maxime et plurimas concubinas, dit Frédégaire dans sa chronique). Les évêques ne se lassaient pourtant pas d’anathématiser les désordres des rois et des princes; ils s’exposaient courageusement à la colère de ces libertins, trop souvent incorrigibles; ils ne craignaient pas même la mort ou le martyre, quand il s’agissait de défendre la sainteté du mariage catholique contre les audacieuses entreprises du concubinat païen: Prætextat, évêque de Rouen, fut ainsi massacré par un émissaire de Frédégonde; Didier, évêque de Vienne, fut lapidé par ordre de Brunehaut; saint Lambert fut assassiné par un nommé Dodon, qui ne lui pardonnait pas d’avoir voulu détacher le prince Pépin de sa concubine Alpaïs: «Saint Lambert, racontent les Chroniques de saint Denis (en 708), reprist le prince Pépin, pour ce qu’il maintenoit Alpaïs, une dame qui n’estoit pas son espousée, par dessus Plectrude sa propre femme. Le frère de cette Alpaïs, qui avoit nom Dodon, occist saint Lambert, pour ce tant seulement qu’il eust repris Pépin de son péchié.» Les évêques et les prêtres, que la Prostitution ou plutôt le scandale rencontrait toujours sur son chemin comme des adversaires implacables, n’étaient pas tous à l’abri des reproches qu’ils adressaient à leur prochain et qui retombaient sur eux-mêmes. Grégoire de Tours nous représente, sous les couleurs les plus odieuses (liv. VIII et IX), Bertchram, évêque de Bordeaux, qui corrompait des servantes, des femmes mariées, et qui déshonora même la couche royale. Au moment où saint Colomban, abbé de Luxeuil, se rendait à la cour de Théodoric II, roi de Bourgogne, pour le faire rougir de ses adultères, et pour l’inviter à chasser ses concubines, le pape Grégoire Ier écrivait à la reine Brunehaut, et lui enjoignait de punir les prêtres impudiques et pervers (sacerdotes impudici ac nequiter conversantes). C’était Brunehaut qui avait perverti la jeunesse de son petit fils Théodoric II, en l’entourant de concubines, et en lui donnant l’exemple de la débauche la plus infâme. Les deux reines, Brunehaut et Frédégonde, rivalisèrent l’une et l’autre de vices et de crimes jusque dans un âge où les feux de la concupiscence sont éteints: elles semblaient se défier à qui aurait le plus d’amants, à qui leur tiendrait tête avec plus d’ardeur, à qui sortirait le plus tard de la lice amoureuse. Ce fut Brunehaut qui mourut la première, attachée à la queue d’un cheval fougueux, emportée à travers champs, et mise en pièces après avoir été promenée nue sur un chameau pendant trois jours, en butte aux outrages des soldats de Clotaire II, fils de Frédégonde.
Nous ne suivrons pas tous les rois et les reines de la première et de la deuxième race dans la longue et monotone nomenclature de leurs adultères et de leurs déportements; mais, pour montrer combien l’habitude du concubinage avait relâché le lien conjugal, nous rappellerons que Charlemagne, ce sage et glorieux monarque, qui fut le soutien et l’honneur de l’Église, eut quatre femmes légitimes et cinq ou six concubines, sans compter une multitude de maîtresses passagères. Ses concubines, qu’Éginhard ne nous fait pas connaître toutes, n’étaient pas, comme ses femmes, d’origine noble et princière; Éginhard nomme seulement Maltégarde, Gersuinde, Régina et Adallinde, qui lui donnèrent plusieurs enfants qu’il fit élever avec soin sous ses yeux: «Ses filles étaient fort belles, dit Éginhard, et tendrement chéries de leur père. On est donc fort étonné qu’il n’ait jamais voulu en marier aucune, soit à quelqu’un des siens, soit à des étrangers. Jusqu’à sa mort, il les garda toutes auprès de lui dans son palais, disant qu’il ne pouvait se passer de leur société. Aussi, quoiqu’il fût heureux sous les autres rapports, éprouva-t-il, à l’occasion de ses filles, la malignité de la fortune. Mais il dissimula ses chagrins, comme s’il ne se fût jamais élevé contre elles aucun soupçon injurieux, et que le bruit ne s’en fût pas répandu.» Ce passage singulier, dans lequel l’historien paraît évidemment embarrassé, n’est pas sans doute suffisant pour soutenir que Charlemagne entretenait des relations incestueuses avec ses filles; mais il ouvre carrière aux interprétations les moins favorables à la moralité de ce grand empereur. La tradition voulait cependant qu’une des filles de Charles, nommée Imma, eût épousé Éginhard, qui n’aurait pas manqué de s’en glorifier, s’il fût devenu le gendre de son redoutable maître. C’est dans le cartulaire de l’abbaye de Lorsch, écrit au douzième siècle, que cette légende est racontée comme un fait authentique. Éginhard aimait Imma, qui avait été fiancée au roi des Grecs; Imma l’aimait aussi avec une passion qui ne faisait que s’accroître. Un soir, il va frapper doucement à la porte de la chambre d’Imma; elle ouvre, elle le reçoit, elle oublie l’heure dans de longs entretiens; elle s’abandonne aux baisers de son amant (statim versa vice solus cum solâ secretis usus colloquiis, et datis amplexibus, cupito satisfecit amori). Mais le jour n’est pas loin; Éginhard s’arrache des bras de sa maîtresse et va partir, lorsqu’il s’aperçoit que toutes les issues sont fermées: il a neigé pendant la nuit, et la trace des pieds d’un homme sur la neige serait une preuve accusatrice de son séjour nocturne dans l’appartement d’Imma. La jeune fille, que l’amour rendait audacieuse, imagina un expédient; elle offrit à Éginhard de le porter sur ses épaules jusqu’à l’endroit du palais où il avait son logement. Elle se promettait de revenir chez elle par le même chemin en suivant l’empreinte de ses pas. Charlemagne, qui n’avait pas dormi cette nuit-là, s’était levé avant le jour et regardait dans la cour du palais. Tout à coup il vit sa fille s’avancer en chancelant sous le poids d’un fardeau qu’elle déposa tout émue, pour reprendre en toute hâte la route de son appartement. Ce fardeau, c’était Éginhard; mais la neige ne conservait pas d’autre empreinte que celle des pas d’Imma. Charlemagne, saisi à la fois d’étonnement et de douleur, garda le silence sur ce qu’il avait vu. Imma refusait d’épouser le roi des Grecs, et Éginhard demandait à l’empereur une mission lointaine en récompense de ses anciens services. Charlemagne ne se contint plus et le traduisit devant le tribunal des comtes et des barons; mais il avait résolu de lui pardonner: «Je n’infligerai pas à mon serviteur, dit-il, une peine qui serait bien plus propre à augmenter qu’à pallier le déshonneur de ma fille! Je crois plus digne de nous, et plus convenable à la gloire de notre empire, de leur pardonner en faveur de leur jeunesse et de les unir en légitime mariage, en couvrant ainsi sous un voile d’honnêteté la honte de leur faute.» Éginhard est introduit; il s’approche, en tremblant, sous les regards de l’empereur: «Il est temps de reconnaître vos services passés, lui dit Charlemagne, et de récompenser votre dévouement à ma personne par le don le plus magnifique qui soit à votre convenance. Je vous accorde ma fille, votre porteuse (vestram scilicet portatricem), qui, ceignant sa robe autour des reins, a mis tant de complaisance à vous servir de monture (quæ quandoque alte succincta vestræ subvectioni satis se morigeram exhibuit).»
Cette gracieuse légende, qui s’appuie sur une tradition presque contemporaine du fait qu’elle perpétue, nous paraît avoir certaine analogie avec le capitulaire dans lequel Charlemagne, en bannissant de ses domaines les femmes de mauvaise vie, inflige à l’imprudent ou au libertin qui donnerait asile à une d’elles, la honte de la porter sur son dos jusqu’à la place du marché où elle devait être fustigée. Le récit recueilli dans le cartulaire de Lorsch nous permet de supposer que Charlemagne faisait allusion à la peine encourue par l’homme qui ouvrait sa maison à une prostituée, lorsqu’il ordonnait à Éginhard d’épouser sa porteuse. L’aventure d’Imma et d’Éginhard, selon la tradition, aurait eu lieu au palais d’Aix-la-Chapelle, et c’est justement dans cette résidence qu’a été décrété en 800 le capitulaire qui assigne aux complices de la Prostitution un châtiment dans lequel on trouve une réminiscence de la conduite d’Imma portant Éginhard. Ne pourrait-on pas supposer que Charlemagne n’a fait son capitulaire qu’après avoir été témoin du bizarre spectacle qui l’attendait par une nuit de neige où il vit un jeune homme porté par une jeune femme? Peut-être ne reconnut-il pas les acteurs de cet épisode amoureux; peut-être ne s’expliqua-t-il pas d’abord les desseins des deux personnages mystérieux qui s’acheminaient lentement à travers la neige. La conjecture est permise en vue d’un rapprochement historique qui nous est suggéré par le capitulaire adressé aux officiers chargés de la garde du palais, capitulaire où nous trouvons aussi l’origine des fonctions du prévôt de l’hôtel du roi et celle de l’office du roi des ribauds. Charlemagne ordonne à chaque officier du palais (ministerialis palatinus) de faire un sévère recensement de ses agents et de ses collègues, pour savoir si quelque homme inconnu ou quelque femme dissolue (meretricem) ne se cache pas parmi les commensaux de la maison. Dans le cas où l’on viendrait à découvrir une femme ou un homme de cette espèce, il faudrait l’empêcher de s’enfuir et tenir sous bonne garde cette personne suspecte, jusqu’à ce que l’empereur fût averti. Quant à celui dans la compagnie duquel on trouverait un tel homme ou une telle femme, s’il ne voulait pas faire amende honorable, il serait chassé du palais impérial. L’empereur adresse les mêmes injonctions aux officiers de sa bien-aimée femme et de ses enfants. Ce capitulaire, dans lequel il est question d’un homme inconnu et d’une prostituée qui logent dans le palais et qui n’ont pas le droit d’y être, ce capitulaire doit avoir été provoqué par une circonstance spéciale qui coïncide assez bien avec l’histoire d’Imma et d’Éginhard. Cet homme inconnu, c’est lui; cette prostituée, c’est elle.
La suite du capitulaire a un caractère plus général, quoiqu’il se rapporte aussi à cette minutieuse enquête pour constater l’état des personnes qui habitent le domaine royal et la ville d’Aix-la-Chapelle. Il est enjoint à Radbert, collecteur des deniers royaux (actor) de faire une minutieuse perquisition dans les maisons des serfs de l’empereur, tant à Aix que dans les fermes qui dépendent de cette résidence. Pierre et Gunzo sont chargés de faire une visite semblable dans les escraignes (scruas) et les cabanes des serfs; Ernaldus visitera également les boutiques des marchands, soit chrétiens, soit juifs, en choisissant le temps où ces derniers ne seront pas chez eux. Il est certain que cette recherche minutieuse dans le palais d’Aix et dans ses dépendances avait pour objet de découvrir un ou plusieurs individus suspects. En conséquence, Charlemagne défend à tous ceux qui ont une charge dans le palais de recueillir ou de cacher aucun homme qui aurait commis un vol, un homicide, un adultère ou quelque autre crime, ou qui serait venu pour le commettre. Quiconque oserait enfreindre à cet égard l’ordre de l’empereur devait, s’il était homme libre, porter sur son dos le malfaiteur jusqu’à la place du marché, où ce patient serait mis au pilori. Mais, dans le cas où un serf aurait désobéi aux prescriptions impériales, ce serf, ainsi que le noble, porterait le malfaiteur jusqu’au pilori, et de là il serait amené sur la place du marché pour y être fustigé comme il le mérite. «Pareillement, en ce qui concerne les débauchés et les prostituées (de gadalibus et meretricibus), ajoute le capitulaire, nous voulons qu’elles soient portées, par ceux qui leur auraient donné gîte, jusqu’à la place du marché, où elles doivent être fustigées. Si le coupable refuse de porter la femme de mauvaise vie qu’on aura trouvée chez lui, nous ordonnons qu’il soit battu de verges avec elle et sur le même lieu.» Ce capitulaire, qui établit la police intérieure du palais, constate la répugnance que Charlemagne avait pour les femmes de mœurs dépravées, puisqu’il les éloigne non-seulement de sa résidence et de ses domaines, mais encore du toit de ses plus humbles serfs et même du domicile des juifs, désignés ici comme des courtiers de Prostitution.
Charlemagne, ainsi que nous l’avons déjà dit, n’était pas toujours d’une sévérité exemplaire pour son propre compte, et il avait de grands besoins sensuels à satisfaire. On sait que cet empereur, que les romans et les chansons de geste nous représentent comme un géant à la barbe grifaigne (menaçante), dépassait de la tête la taille de ses preux, et n’avait pas moins de sept pieds de hauteur; sa force était à l’avenant; et nous pouvons juger, d’après le pied de roi, quelle était la longueur de son pied, qui avait fixé une mesure que le système métrique a détrônée depuis peu; mais il nous est impossible, à propos de cette mesure (pedale, mensura pedis), d’aborder une controverse délicate ayant pour but de rechercher la véritable origine du pied de roi. Bornons-nous à dire que, dans le moyen âge, on cherchait des rapports de proportion entre diverses parties du corps, et que le pied, dès la plus haute antiquité, témoignait de la virilité d’un homme, tandis que, chez une femme, il avait une signification plus indiscrète encore: c’est dans ce sens qu’Horace a parlé d’un vilain pied féminin dans sa première satire: Depygis, nasuta, brevi latere ac pede longo est. Nous renverrons les curieux à ce qui a été dit de la stature de Charlemagne et de ses accessoires dans le Φιλοπόνημα de Marquard Freher, réimprimé par Duchesne, dom Bouquet et Pertz. Cette monstrueuse stature justifie ce que la tradition raconte de ses amours. Une légende fort originale, recueillie par Pétrarque à Aix-la-Chapelle, où tout est plein des souvenirs du grand empereur, nous fait voir que ce monarque, qui fut d’ailleurs canonisé, eut sa tentation comme saint Antoine et tomba plus d’une fois dans le péché par la malice du démon. Charles, devenu éperdument amoureux d’une certaine femme que Pétrarque ne désigne pas autrement, oublia tout à coup auprès d’elle les intérêts de ses peuples et la gloire de son règne. Il n’avait plus d’autre souci que de vivre pour sa maîtresse. Elle mourut subitement. Il se livra dès lors à un désespoir que rien ne pouvait calmer et qui le tenait attaché jour et nuit aux dépouilles mortelles qu’il ne voulait pas rendre à la terre. Il ne cessait d’embrasser ce cadavre dont la corruption s’était déjà emparée. L’archevêque de Cologne, vénérable prélat à qui l’empereur accordait d’ordinaire une confiance aveugle, ne réussit pas à le consoler et à lui ôter sa morte adorée: il se mit en prières, et Dieu lui révéla ce qui faisait l’amour obstiné de Charles. On avait mis dans la bouche de cette femme une pierre constellée enchâssée dans un anneau, et ce talisman liait invinciblement l’empereur au corps mort ou vivant qui possédait l’anneau. A peine le talisman fut-il hors de la bouche du cadavre, que Charlemagne sentit son amour s’évanouir, et demanda pourquoi on avait laissé si longtemps sous ses yeux cette pourriture. Mais tout à coup Charles s’éprit d’une tendresse toute différente, il est vrai, pour le prélat porteur du talisman: il ne pouvait plus le quitter et il l’empêchait de bouger d’auprès de lui. L’archevêque, pour se délivrer de la servitude de ce talisman, le jeta dans un lac voisin d’Aix-la-Chapelle. L’anneau, englouti au fond du lac, ne perdit rien de sa puissance et continua d’inspirer à Charlemagne la même passion, qui ne faisait que changer d’objet. Charles était alors amoureux du lac; il ne voulait plus s’en éloigner; il y fixa sa résidence, il y établit le siége de son empire et il ordonna, par testament, que sa sépulture y fût placée, pour que, du fond de son tombeau, il entendît le lac murmurer d’amour aux échos de son nom immortel.
Charlemagne était en trop bonne intelligence avec l’Église, pour avoir rien à craindre de ses admonitions; il évitait, d’ailleurs, avec beaucoup de prudence, les occasions de scandale, et tout ce qui avait rapport à ses concubines et à ses maîtresses restait celé au fond des gynécées de ses palais. Il ne tolérait pas chez ses sujets le relâchement des mœurs, que l’autorité épiscopale lui dénonçait en s’avouant impuissante à les corriger. Ce fut pour fortifier cette autorité qu’il fit, en 805, un capitulaire qui défendait aux personnes de l’un et de l’autre sexe, sous peine de sacrilége, de commettre des adultères, des fornications, des sodomies, des incestes ou d’autres péchés contre le mariage. L’empereur motivait ces défenses sur cette observation que les pays dont la population s’adonnait aux voluptés illicites, aux adultères, aux turpitudes de Sodome et au commerce des prostituées (multæ regiones, quæ jam dicta inlicita et adulteria vel sodomicam luxuriam vel commixtionem meretricum sectatæ), n’avaient ni constance dans la foi, ni courage dans la guerre. En conséquence, quiconque serait convaincu de ces excès perdrait son rang et ses droits pour aller en prison attendre le jour de la pénitence publique. Nous sommes surpris de ne trouver dans les capitulaires de Charlemagne aucune mesure de précaution ou de rigueur contre le lénocinium, qu’on appelait lenonia, et qui avait survécu aux persécutions des codes théodosien et justinien. Il y a pourtant un capitulaire, de date incertaine, qui semble concerner la lénonie, quoique ce honteux métier n’y soit pas clairement signalé à la sévérité des magistrats. Dans ce capitulaire (Baluz., t. I, p. 515), où les prêtres, les diacres et les autres clercs sont sommés de ne recevoir aucune femme étrangère (extraneam) dans leur domicile; où les moines et les clercs sont invités à ne pas entrer dans les hôtelleries pour y manger ou y boire; on remarque l’article suivant: Ut mangones et cociones et nudi homines qui cum ferro vadunt, non sinantur vagari et deceptiones hominibus agere. Nous ne savons pas trop ce que peuvent être ces hommes nus qui portent une épée, et nous ne serions pas éloigné de croire à l’altération du texte, pour le mot nudi, qui n’a pas de sens, et qui pourrait être remplacé par celui de nundi, que nous traduisons avec doute en forains. Cet article signifierait ainsi: «Que les maquignons, les courtiers et les marchands forains, qui marchent avec des armes, ne puissent plus aller çà et là et faire des dupes.» Il serait aisé de démontrer, dans une dissertation philologique, que la basse latinité employait le mot mangones dans le sens de maquignons, de fourbes, de proxénètes, plutôt que dans celui de laquais et de voleurs: mango avait succédé au leno. Quant au cociones, qu’on devrait traduire littéralement par coyons, c’étaient des courtiers de la plus vile espèce. Un écrivain du dixième siècle (Nic. Specialis, De reb. sicul.), cité par Ducange, dit que les larrons ne furent désignés par le terme générique de mangones, que vers cette époque. Ducange dit aussi que les cociones sont synonymes de maquignons, de regrattiers, de revendeurs, qui parcouraient les foires et ne s’occupaient que de honteux trafics.
Les lénons existaient certainement, si bien qu’ils se cachassent sous des noms et des états empruntés: on peut prouver, par exemple, que dans tout le moyen âge les maquignons ne se bornaient pas à vendre et acheter des chevaux, des mulets et des ânes; ils trafiquaient plus lucrativement de Prostitution. Mais il est assez remarquable que les expressions de lenocinium et lenonia, leno et lenarius, lena et lenaria sont très-rarement usitées dans les écrivains catholiques de la France mérovingienne et carlovingienne. De l’absence du mot, nous ne croyons pourtant pas devoir induire l’absence du fait. Ainsi, en appliquant la critique historique à une légende du septième siècle, nous y avons découvert un lénon mis au nombre des saints sous le nom de Lenogésilus. Il nous paraît incontestable que ce nom a été formé de leno et de Gesilus, qui aurait été le nom du personnage, tandis que leno ne serait que sa qualité. Ce Lenogésilus, qui vivait du temps de Clotaire II (619), attira (traduxit) dans sa cellule une vierge nommée Agneflède, et lui fit prendre le voile: ils demeuraient ensemble et militaient vaillamment dans les voies du Seigneur (strenue Domino militant). Le diable fut jaloux du bonheur des deux ouailles, et il souffla aux oreilles du roi qu’un certain Lenogésilus, ayant séduit une vierge par magie, vivait avec elle dans l’impiété et le libertinage (modo legitima conjugia violantes, inter se invicem nefandis studiis commiscentur). Clotaire fit venir les deux prétendus complices, mais il fut tout à fait édifié par un miracle qui manifesta l’innocence de Lenogésilus. Ce saint homme, en arrivant au palais du roi, qui était absent, se plaignit du froid; il envoya demander du feu à des fourniers qui chauffaient le four au pain; mais Agneflède n’avait pas de quoi emporter ce feu: «Prends ton manteau!» lui dit en riant un des boulangers. Agneflède présenta le pan de sa robe, et y reçut des charbons allumés, sans que sa robe fût brûlée ni roussie. Ceux qui avaient été témoins du miracle le rapportèrent au roi, qui combla de présents Lenogésilus et Agneflède, et les renvoya tous deux à leur cellule. C’est ainsi que le lénon Gésilus devint saint Lenogésilus dans la légende conservée par les Bollandistes; quant à sa compagne Agneflède, elle n’eut pas comme lui l’honneur d’être canonisée.
Les successeurs de Charlemagne firent probablement contre la Prostitution plusieurs capitulaires que nous ne possédons pas; car J. Dutillet, qui avait à sa disposition le Trésor des chartes et qui n’a rédigé son Recueil des rois de France que d’après les pièces originales, dit que le premier soin de Louis-le-Débonnaire, après la mort de son auguste père, «fut de nettoyer et réformer ladicte cour de cette ordure, cognoissant qu’elle infecte communément l’empire ou royaume.» Un capitulaire que nous avons encore (Baluz., t. II, col. 1198 et 1563) ajoute une coutume bizarre à la pénalité que comportait le libertinage. Toute femme convaincue d’avoir mené une vie scandaleuse, était condamnée à parcourir les campagnes, quarante jours durant, nue de la tête à la ceinture, avec un écriteau sur le front énonçant les motifs de la condamnation. Tout le monde avait le droit d’accuser une femme, de Prostitution, d’adultère ou de toute autre forfaiture. Le juge recevait l’accusation et y donnait suite; mais le rôle d’accusateur entraînait certains inconvénients qui en dégoûtaient les plus enclins à ce genre de vengeance. L’accusateur avait à prouver ce qu’il avançait, par une preuve judiciaire, par la croix, ou par l’eau bouillante, ou par le fer chaud, ou par le combat. La femme accusée se faisait représenter aux épreuves, par un champion qu’elle payait conditionnellement. Ce champion, si assuré qu’il fût du bon droit de sa cliente, ne subissait pas sans inquiétude les épreuves, desquelles ressortait la justification ou la condamnation d’une des parties. Parmi ces épreuves, celle de la croix était la moins dangereuse et dépendait moins du hasard que de la force corporelle du patient. Celui des deux adversaires qui, adossé au bois d’une croix, s’y tenait le plus longtemps dans l’attitude de Jésus crucifié, gagnait sa cause; l’autre payait une amende et subissait la peine du crime qui faisait le chef de l’accusation. Souvent la femme accusée, ne trouvant pas de champion qui voulût s’exposer aux épreuves en son lieu et place, était obligée de les subir elle-même, et l’on ne tenait compte ni de son sexe ni de sa faiblesse. C’était surtout dans l’épreuve de la croix, qu’une femme, si faible qu’elle fût, avait souvent l’avantage. Ainsi, cette épreuve s’employait de préférence, lorsqu’un mari, accusé d’impuissance par son épouse, devait prouver qu’il lui avait rendu le devoir conjugal. L’épreuve du congrès n’existait pas encore, à l’époque où le concile de Verberie (757) formulait ce canon, dans lequel la séparation de l’époux impuissant est prononcée: Si qua mulier proclamaverit quod vir suus nunquam cum eâ coisset; exeant inde ad crucem, et si verum fuit, separentur. L’impératrice Judith elle-même, se voyant accusée d’adultère avec Bernard, comte de Barcelone, offrit de se justifier par le feu ou par le combat; mais ses ennemis, qui n’étaient autres que les fils de son mari, Louis-le-Débonnaire, reculèrent devant un mode de justification possible et forcèrent leur père et leur belle-mère à se retirer chacun dans un couvent. Souvent, une femme qu’on accusait de débauche aimait mieux, quoique innocente, se soumettre à la pénalité du fait qu’on lui avait imputé, plutôt que de s’exposer aux terribles épreuves du duel judiciaire.
Un des exemples les plus remarquables de ces épreuves en matière de Prostitution eut lieu vers ce temps-là (858), à l’occasion du divorce de Lothaire, roi de Lorraine. Ce prince, second fils de l’empereur Lothaire, avait aimé une jeune fille, nommée Waldrade, élevée dans le gynécée impérial d’Aix-la-Chapelle, avant qu’il eût épousé Theutberge, fille du comte Boson; mais il ne pouvait s’accoutumer à vivre séparé de son ancienne maîtresse: il retourna donc auprès d’elle dans un de ses domaines d’Alsace, et, quand Waldrade lui eut donné un fils, il voulut rompre son mariage légitime. Des témoins se présentèrent, qui accusaient Theutberge d’avoir entretenu des relations incestueuses avec son frère Hucbert, d’être devenue grosse et d’avoir fait périr son fruit. Ces témoins, suscités évidemment par Lothaire et Waldrade, se déclaraient si bien instruits des particularités secrètes de cet inceste, qu’ils attribuaient à Hucbert les plus abominables impuretés, et qu’ils n’expliquaient pas comment Theutberge, qui s’y était abandonnée, en avait pu concevoir un germe criminel. Voici les détails étranges dans lesquels le vénérable Hincmar ne craint pas d’entrer (Opera, t. I, p. 568): Frater suus cum eâ masculino concubitu inter femora, sicut solent masculi in masculos turpitudinem operari, scelus fuerit operatum, et inde ipsa conceperit. Quapropter, ut celaretur flagitium, potum hausit et partum abortivit. Les Annales de Saint-Bertin confirment le même fait, sans laisser entendre qu’un accouplement contre nature avait porté fruit: Fratrem suum Hucbertum sodomitico scelere sibi commixtum. La reine Theutberge choisit un champion, ou vicaire, qui se soumit pour elle au jugement de l’eau chaude. Le vicaire entendit la messe, communia, changea ses habits contre une tunique de diacre, but une gorgée d’eau bénite, et attendit que l’eau fût bouillante dans la chaudière: une pierre y ayant été déposée, il plongea son bras nu dans l’eau chaude et en retira la pierre; son bras fut immédiatement enveloppé d’un sac sur lequel le juge apposa son cachet; au bout de trois jours, on ouvrit le sac, et, comme le bras fut trouvé intact, Theutberge, justifiée, rentra dans le lit royal.
Mais Lothaire, mais Waldrade, voulaient faire proclamer le divorce. On essaya de revenir sur la validité de l’épreuve, et on en réclama une nouvelle plus décisive. Enfin, pour couper court à ces lenteurs, Lothaire, au mois de janvier 860, convoqua soixante hommes dévoués, en un consistoire solennel, qu’il présida lui-même dans son palais d’Aix-la-Chapelle. Theutberge comparut devant cette assemblée, et confessa que son frère Hucbert avait, en effet, abusé d’elle en usant de violence (non tamen sua sponte, sed violenter sibi inlatum, disent les Actes du concile d’Aix, Conc. de Labbe, t. VIII, col. 696). Dans un second consistoire assemblé le mois suivant, Theutberge y comparut encore et renouvela ses aveux: «J’avoue donc, dit-elle, que mon frère le clerc Hucbert m’a corrompue dès ma plus tendre enfance, et a commis sur ma personne des actes impudiques contre nature (profiteor quia germanus meus Hucbertus clericus me adolescentulam corrupit et in meo corpore, contra naturalem usum, fornicationem exercuit et perpetravit).» Theutberge fut condamnée à quitter son mari et à faire pénitence dans un monastère; mais elle rétracta bientôt ses aveux, et elle s’adressa au pape Nicolas Ier pour protester contre la condamnation qui l’avait frappée injustement. Le pape chargea deux évêques d’empêcher le roi Lothaire de «pourrir dans le fumier de la luxure» (in luxuriæ stercore putrefieri, dit la lettre de Nicolas Ier), et de diriger les opérations d’un concile qui se réunissait à Metz pour juger cette affaire en dernier ressort. Le concile confirma la sentence des premiers juges. Alors le pape fulmina un anathème contre le roi Lothaire: «Si toutefois, disait-il, on peut nommer roi celui qui, loin de dompter ses appétits par un régime salutaire, cède aux mouvements illicites d’une lubricité qui l’énerve.» Il cassa la décision du concile de Metz en déclarant que «c’est moins un concile qu’un lieu de Prostitution, puisqu’on y a favorisé l’adultère (tanquam adulteris faventem prostibulum appellari decernimus).» Lothaire n’eut aucun égard à l’anathème du saint-père et garda Waldrade; mais le pape fit appel à tous les souverains et à tous les évêques, pour combattre le roi Lothaire avec les armes temporelles et spirituelles. «Le laïque qui a en même temps une épouse et une concubine est excommunié, écrivaient Nicolas et ses partisans dans des circulaires qui remuaient la chrétienté. On ne peut congédier sa femme légitime pour en prendre une autre ou pour la remplacer par une concubine. Il n’est permis de répudier sa femme sous aucun prétexte, excepté pour cause de fornication.» A ces formules du droit canonique, Lothaire faisait répondre que sa femme s’était prostituée avant le mariage. Adon, archevêque de Vienne, répliquait alors: «Un mari n’est pas recevable à demander le divorce, lorsqu’après avoir épousé une femme déjà déflorée, il a vécu longtemps avec elle sans la moindre réclamation.»
Lothaire persistait dans son concubinage avec Waldrade; mais il se vit menacé par les armes de ses voisins, et cet Hucbert, à qui l’on avait prêté de si vilaines habitudes, était sorti de son abbaye de Saint-Maurice et Saint-Martin pour venir demander raison à son beau-frère des atroces calomnies qu’on avait provoquées contre sa sœur et lui. Hucbert fut tué au moment où la victoire se fixait de son côté, et un envoyé du pape vint sommer Lothaire de se réconcilier avec sa légitime épouse et de chasser sa concubine. Lothaire céda; mais il n’eut pas plutôt repris Theutberge, qu’elle s’enfuit une seconde fois auprès de Charles-le-Chauve pour mettre sa vie en sûreté. Nicolas Ier excommunia solennellement Lothaire, qui tenta un dernier effort de résistance en accusant sa femme d’adultère et en offrant de prouver son accusation par le duel. Ce moyen extrême ne lui réussit pas, et il relégua sa chère Waldrade à l’abbaye de Remiremont. Nicolas l’avait appelé à Rome pour y être relevé de son excommunication; Lothaire apprit en route que Nicolas était mort et qu’Adrien II lui avait succédé. Ce nouveau pape ne fut pas moins inflexible que son prédécesseur: il attendait le roi Lothaire au couvent du mont Cassin, et il lui fit jurer, avant de l’admettre à la sainte table, qu’il n’avait eu avec Waldrade excommuniée ni cohabitation, ni commerce charnel, ni aucune espèce d’entretien. Lothaire, quoiqu’il eût trois enfants de sa concubine, jura, l’impudeur sur le front, tout ce que le pape voulut. Celui-ci, en présentant le pain et le vin au roi parjure, lui dit encore: «Si tu te reconnais innocent du crime d’adultère, si tu as la ferme résolution de ne plus cohabiter avec ta concubine Waldrade, approche avec confiance, et reçois le gage de salut éternel pour servir à la rémission de tes péchés; mais, si tu te proposes de te vautrer encore dans le bourbier de la Prostitution (ut ad mechæ volutabrum redeas, disent les Annales de Metz), garde-toi de prendre part au sacrement, de peur que ce remède de l’âme ne soit ta condamnation.» Lothaire acheva son sacrilége et se hâta de repartir pour aller retrouver Waldrade; mais il ne la revit pas, et fut arrêté en route par une mort subite qui l’empêcha de retomber dans les désordres de sa vie passée (6 août 869). Le concubinage, autorisé par la loi salique et les autres codes des barbares, avait résisté pendant plus de trois siècles à la discipline de l’Église catholique, et l’égalité de la femme vis-à-vis de l’homme, proclamée par l’Évangile, se trouvait enfin établie dans l’institution du mariage chrétien.
CHAPITRE V.
Sommaire.—Lettre de saint Boniface au pape Zacharie, sur l’état moral des couvents dans les temps mérovingiens.—Règle de saint Colomban.—Les évéchesses.—Principale cause des excès de la vie monastique.—Influence des mœurs cléricales sur celles des laïques.—Le clergé séculier.—Les enfants de Goliath.—Testament de Turpio, évêque de Limoges.—Les moines de Moyen-Moutier et de Senones.—L’eunuque Nicétas.—Mission délicate de l’abbé Humbert, abbé de Moyen-Moutier.—L’âme de Gobuin, évêque de Châlons.—Efforts du pape Grégoire VII pour ramener l’Église de France au respect des mœurs.—Sa lettre aux évêques.—Les turpitudes de la vie cléricale sont le thème favori de tous les artistes et des littérateurs de cette époque.—Dépravation générale.—L’an 1000.—Unanimité des écrivains d’alors sur la dépravation profonde de l’état social.—La sodomie fut le vice le plus répandu dans toutes les classes de la population.—L’anachorète allemand.—Le petit-fils de Robert-le-Diable.—Les Normands.—Influence de leurs mœurs sur les peuples qu’ils conquéraient.—Comment Emma, femme de Guillaume, duc d’Aquitaine et comte de Poitiers, se vengea de sa rivale, la vicomtesse de Thouars.—De quelle manière Ebles, héritier du comte de Comborn, tira vengeance de son oncle et tuteur Bernard.—Les Pénitentiels.—Faits concernant les actes du mariage.—Faits relatifs à l’inceste,—à l’infanticide et aux avortements,—aux péchés contre nature,—au crime de bestialité.—Procès criminel intenté à Simon, par Mathilde sa concubine.—Fornicatio inter femora.—Reproches du poëte Abbon à la France, sur ses vices.—Reproches de Pierre, abbé de Celles, à Paris, sur sa corruption.
Il faut descendre jusqu’au règne de Louis VIII pour trouver une ordonnance de roi relative à la Prostitution; mais on ne doit pas conclure de l’absence de règlements spéciaux sur la matière pendant près de trois siècles, que l’état des mœurs rendît inutiles ces règlements, et que la Prostitution publique eût disparu en France sous l’influence moralisatrice de l’église. A défaut de ces monuments d’ancienne jurisprudence, qui ont peut-être existé, mais qui ne se trouvent plus dans les collections de diplômes royaux, nous pouvons constater, par le témoignage des contemporains, que jamais les mœurs ne furent plus corrompues, et n’eurent un plus grand besoin de réforme, de répression et d’amendement. Pendant cette période de guerres, d’invasions et de bouleversement social, les œuvres de législation sont fort rares, et se distinguent par un caractère transitoire qui les empêche de survivre à la circonstance où elles prennent naissance: il n’y a pas de code général qui témoigne de la volonté de faire une fondation stable, comme les Capitulaires de Charlemagne et les Établissements de saint Louis. Les rois se succèdent trop rapidement l’un à l’autre, et se sentent trop mal assis sur leur trône pour songer à organiser, à moraliser, à améliorer, à administrer, dans leurs États; ils n’ont ni le temps, ni le souci de modifier les institutions de leurs prédécesseurs; on peut donc dire, avec toute apparence de certitude, que, depuis Charlemagne jusqu’à saint Louis, la police de la Prostitution resta tout à fait stationnaire, et ne subit aucune métamorphose, tandis que la Prostitution elle-même, encouragée par l’indifférence des magistrats, ne cessa de s’étendre et de s’enraciner dans le peuple. Nous ne chercherons pas à découvrir quelques traces de précautions légales, de mesures coercitives et de prohibitions régulières dans l’intérêt des mœurs publiques, mais nous n’aurons pas de peine à prouver que ces mœurs étaient détestables, à cette époque de barbarie, d’ignorance, d’abrutissement et de désordre universel.
La corruption la plus honteuse avait pénétré dans la plupart des couvents dès les temps mérovingiens. En 742, saint Boniface, évêque de Mayence, écrivait au pape Zacharie (Act. SS. ord. L. Bened., t. II, p. 54): «Les évêchés sont presque toujours donnés à des laïques avides de richesses ou à des clercs débauchés et prévaricateurs, qui en jouissent selon le monde. J’ai trouvé, parmi ceux qui s’intitulent diacres, des hommes habitués dès l’enfance à la débauche, à l’adultère, aux vices les plus infâmes: ils ont la nuit dans leur lit quatre ou cinq concubines, et même davantage (inveni inter illos diaconos quos nominant, qui a pueritia sua semper in stupris, semper in adulteriis et in omnibus semper spurcitiis viam ducentes, sub tali testimonio venerunt ad diaconatum; et modo in diaconatu, concubinas quatuor, vel quinque, vel plures noctu in lecto habentes).» Les réformateurs des ordres religieux ne firent qu’arrêter le mal sans le détruire dans son principe. Saint Colomban, qui promulguait sa règle vers ce temps-là, y avait introduit cette clause sévère: «Celui qui aura conversé familièrement avec une femme, en tête-à-tête et sans témoins, sera mis au pain et à l’eau pendant deux jours ou recevra deux cents coups de fouet.» La règle la plus rigoureuse se relâchait promptement, dans le sein d’une communauté où couvait sans cesse le feu des passions sensuelles. C’était toujours par l’incontinence, que commençait le scandale de la vie monastique. Les conciles et les synodes, avec leurs sages prescriptions, ne pouvaient imposer un frein aux passions des moines, passions d’autant plus irrésistibles qu’elles étaient plus contenues: ils savaient, comme le dit énergiquement saint Jérôme, que la puissance du diable est cachée dans les reins (diaboli virtus in lumbis); ils s’efforçaient d’éloigner la femme, des yeux et de la pensée de l’homme; ils avaient compris que les femmes légitimes des évêques et des prêtres, acceptées par la primitive Église, n’étaient que des occasions de péché: «Peut-on souffrir, s’écriait Véranus, évêque de Lyon, dans une de ces assemblées (en 585), peut-on souffrir que le desservant des autels, l’homme appelé à l’honneur d’approcher du Saint des saints, soit souillé des indignes délices des voluptés charnelles, et qu’un clerc, alléguant les droits du mariage, remplisse à la fois les devoirs de prêtre et le rôle d’époux?» Les évêchesses (episcopæ) disparurent par degrés, et ne furent plus tolérées; le célibat absolu devint la condition indispensable des ecclésiastiques, et l’entrée des monastères d’hommes fut interdite aux femmes, aussi bien que l’entrée des monastères de femmes aux hommes.
Mais ce n’était là qu’une lettre morte: l’autorité de l’Église envers ses ministres ne dépassait pas la loi, qu’elle avait toujours le droit de faire, et qu’elle n’avait jamais la force de mettre à exécution; les couvents, par une conséquence naturelle des passions humaines, étaient la plupart des réceptacles d’impuretés, et il fallait, deux ou trois fois par siècle, y introduire une réforme partielle ou complète. Telle est l’histoire de presque tous les monastères, où le scandale n’éclatait pas aussi souvent que la débauche s’emparait de la communauté. On ne connaissait ordinairement au dehors ce qui se passait dans l’intérieur du cloître, que par des bruits vagues et de sourdes rumeurs. Lorsque l’évêque jugeait à propos de s’enquérir du mal et d’y porter remède, l’enquête lui révélait de graves déportements, sur lesquels la pudeur chrétienne lui faisait étendre son manteau. La principale cause de ces excès de la vie monastique était le voisinage et la fréquentation des maisons de l’un et de l’autre sexe: ici, l’abbé ou le prieur avait la direction des religieuses; là, au contraire, l’abbesse exerçait une sorte de souveraineté sur les religieux. Ces rapports continuels des deux sexes dans l’enceinte des abbayes entraînaient une foule d’abus que la prévoyance épiscopale eût été fort en peine de prévenir, puisqu’ils se renouvelaient incessamment. Les mœurs des gens cloîtrés avaient une influence déplorable sur les laïques, qui ne se piquaient pas d’être plus vertueux que leurs confesseurs. Le clergé séculier ne donnait pas meilleur exemple à ses paroissiens. Martinien, moine de Rabais, au dixième siècle, disait aux prêtres de son temps: «Est-ce votre loi de prendre femme ou d’avoir des relations avec des femmes? de polluer, par différents genres de luxure, votre corps qui a été fait pour recevoir la nourriture des anges?» Ce Martinien, dans son traité inédit qu’il a malicieusement intitulé De laude monachorum, reprochait à ses compagnons de robe «de vivre comme des soudards dissolus, au lieu de s’armer du glaive incorruptible de la chasteté et d’orner leurs mains de bonnes œuvres.» Le père Berthollet, dans sa grande Histoire du Luxembourg, est forcé d’avouer, tout jésuite qu’il était, que les clercs, au onzième siècle, avaient oublié la sainteté de leur profession, et ne se souvenaient plus que la continence avait fait la gloire de l’Église: «Vivant comme les peuples, ils croyaient qu’il n’y avait aucune distinction entre eux, et ils se persuadèrent aisément qu’ils devaient avoir des femmes.» C’étaient là ces clercs dépravés, qu’on appelait les enfants de Goliath (cleri ribaldi, qui vulgo dicuntur de familia Goliæ, dans les Constitutions de Gautier de Sens, en 923). La partie saine du clergé se désolait de voir les progrès de cette gangrène morale que rien ne pouvait arrêter. Le pieux évêque de Limoges, Turpio, mort en 944, consignait avec amertume, dans son testament (Biblioth. Cluniacensis), cet aveu dépouillé d’artifice: «Nous-mêmes qui devrions donner l’exemple, nous sommes l’instrument de la perte d’autrui, et au lieu d’être les pasteurs des peuples, nous nous conduisons comme des loups dévorants!»
Ce n’est point ici le lieu de mettre en évidence les vices grossiers des gens d’Église, qui se croyaient tout permis parce qu’ils avaient entre les mains le droit d’absoudre les pécheurs; nous n’essaierons pas de pénétrer dans les archives des couvents et de relever la longue liste de ceux qui furent réformés, excommuniés, supprimés, à cause des monstrueux débordements de leurs hôtes: il suffit de dire qu’on ne trouverait peut-être pas une abbaye célèbre où les mœurs claustrales n’aient pas éprouvé à diverses reprises, la contagion de l’impudicité. Pour citer quelques exemples entre mille du même genre, les moines de Moyen-Moutier et de Senones en Lorraine menaient une existence si épouvantable, au dixième siècle, qu’ils furent expulsés par ordre de l’empereur d’Allemagne; mais les successeurs qu’on leur donna ne firent que les surpasser dans la science du libertinage. Dans la chronique manuscrite de Jean de Bayon, que possède M. Noël, dans sa bibliothèque à Nancy, on voit que les moines de Moyen-Moutier s’émurent de l’hérésie d’un eunuque grec, nommé Nicétas, qui avait, à Constantinople, conseillé la castration de tous les novices destinés à la vie monacale. Ces moines corrupteurs, qui entretenaient un commerce infâme avec les jeunes gens du pays, qu’ils attiraient la nuit dans leurs cellules, s’imaginèrent que l’hérésie de Nicétas aurait pour résultat de leur ôter la source de leurs plaisirs: ils chargèrent donc leur abbé Humbert d’aller à Constantinople combattre une hérésie qu’ils craignaient de voir s’armer contre eux, et l’abbé remplit sa mission délicate à la satisfaction générale, car il sauva la virilité des moines en écrasant l’hérésiarque dans un dialogue où il le convainquit d’avoir voulu changer les serviteurs de Dieu en prêtres de Cybèle. A son retour, il trouva que son abbaye avait profité de son absence pour faire un pas de plus dans la perdition; il crut frapper les esprits de ces pervers, en les menaçant des peines de l’enfer: «Lorsque je traversais les Alpes, leur raconta-t-il, j’ai rencontré une troupe de démons flamboyants, montés sur des chevaux enflammés. Ils escortaient l’âme de Gobuin, évêque de Châlons, qui venait d’être surpris par la mort au moment même où il commettait le péché de fornication avec une religieuse. J’ai demandé au chef des démons s’il ne serait pas possible de racheter cette pauvre âme par des prières; mais l’esprit malin auquel je parlais répondit par un terrible éclat de rire en me tournant le dos, et tous les diables de l’escorte me montrèrent alors leur derrière avec des gestes indécents.» Les moines à qui s’adressait ce récit imitèrent la vilaine pantomime des démons, et remercièrent toutefois leur abbé d’avoir triomphé de l’hérésie de Nicétas, en lui disant: «C’est à nous de prouver maintenant qu’un bon moine peut se dispenser de faire un bon eunuque, et qu’un bon eunuque ne saurait faire un bon moine.»
Nous ne promènerons pas nos lecteurs, de couvent en couvent, pour les initier aux coupables désordres qui s’y passaient, il suffit de représenter tous les cloîtres comme des antres de Prostitution (scortationis fornices, dit un écrivain monastique du onzième siècle). Grégoire VII, qui s’efforça de ramener l’église de France au respect des mœurs, écrivait à tous les évêques, en 1074: «Chez vous toute justice est foulée aux pieds. On s’est accoutumé à commettre impunément les actions les plus honteuses, les plus cruelles, les plus sales, les plus intolérables: à force de licence, elles sont devenues des habitudes.» On s’explique l’indignation de ce pape législateur, en voyant un Mauger, archevêque de Rouen, commettre des crimes qui exhalaient autour de lui, selon l’expression de Guillaume de Poitiers, une fâcheuse odeur de honte; un Enguerrand, évêque de Laon, tourner en ridicule la tempérance et la pureté, «avec des expressions, dit Guibert de Nogent, dignes du jongleur le plus licencieux;» un Manassès, archevêque de Reims, qui fut, au dire d’un de ses contemporains, «une bête immonde, un monstre dont aucune vertu ne rachetait les vices;» un Hugues, évêque de Langres, qui se souilla d’adultères et de sodomie (sodomitico etiam flagitio pollutum esse, lit-on dans les Actes du synode de Reims, où il fut mis en jugement). Tous ces indignes prélats reçurent un châtiment éclatant, mais leur fatal exemple n’en était pas moins suivi par le plus grand nombre des clercs, qui s’étonnaient de la sévérité des décrétales de Grégoire VII: «C’est un hérétique et un insensé! s’écriaient ceux du diocèse de Mayence (dans la Chronique de Lambert Schaffn). Veut-il obliger les hommes à vivre comme des créatures célestes, et, en contrariant la nature, à lâcher la bride à la crapule et à la fornication? Nous aimons mieux renoncer au sacerdoce, qu’au mariage.» Presque tous étaient mariés ou bien avaient des concubines, des maîtresses, des amies et des servantes. Yves de Chartres, dans ses lettres (Epist. 85), cite un certain prélat qui cohabitait publiquement avec deux femmes, et qui se préparait à en prendre une troisième (qui publice sibi duo scorta copulavit et tertiam pellicem jam sibi præparavit). Malgré les décrets pontificaux, le clergé persista longtemps dans son concubinage, et refusa opiniâtrement de renoncer à ses plaisirs (se pellicibus ad hoc nolunt abstinere nec pudicitiæ inhærere, dit Orderic Vital). Le même historien raconte que l’archevêque de Rouen, ayant excommunié ceux qui vivaient dans l’incontinence, fut poursuivi par eux à coups de pierres. Les bâtards des prêtres et des moines se multipliaient à l’infini, et leurs pères ne rougissaient pas de les doter, de les marier et de les enrichir aux dépens de l’Église. Il n’y avait pas un chapitre dont les chanoines ne fussent «brûlés des ardeurs de la luxure» (Gall. Christ., t. I, append., p. 6); il n’y avait pas un diocèse où l’on comptât dix prêtres sobres, chastes, amis de la paix et de la charité, exempts de tout crime, de toute infamie, de toute souillure (Fulb. Carnot., epist. 17); il n’y avait pas un couvent, où la règle de l’ordre fût scrupuleusement observée, où les pères, revêtus de l’habit monastique, fussent vraiment des moines: «O miseri, disait le moine Martinien, nos monachiali habitu induti, videmur monachi et non sumus!»
La conduite dépravée des prêtres et des moines n’était que trop imitée par les laïques qui la livraient à leurs méprisantes railleries; mais le clergé ne cherchait pas même à conserver les apparences de l’honnêteté, et il faisait lui-même bon marché de ses vices, avec les jongleurs qui s’en moquaient dans leurs chansons satiriques, avec les peintres qui en composaient des tableaux et des miniatures, avec les imagiers ou statuaires qui en ornaient leurs ouvrages, en pierre, en bois, en ivoire. C’était le sujet favori de la littérature et de l’art. L’intempérance de la gent monacale, sa sensualité, son effronterie servaient de thème permanent aux fantaisies des artistes et aux épigrammes des poëtes. On ne voit nulle part que les hommes d’église se soient offensés, irrités, scandalisés des portraits écrits ou figurés de leurs turpitudes. Ils se divertissaient eux-mêmes à leurs propres dépens, en faisant reproduire l’épopée joyeuse de la vie cléricale, dans les peintures de leurs missels, dans les sculptures de leurs églises, dans les images de leurs diptyques, dans les ornements de leur mobilier. La verve caustique des tailleurs d’images s’exerçait sans paix ni trêve sur le déréglement des clercs: de là tant de grossières allégories, tant d’indécentes caricatures, tant de sales drôleries, qui se cachent dans les chapiteaux, les frises et les arabesques de l’architecture religieuse. Ici, ce sont des moines changés en pourceaux; là, des chiens habillés en moines; ailleurs, le phallus antique sort du froc d’un religieux; tantôt ce sont des nonnes en débauche avec des diables; tantôt ce sont des singes qui poursuivent des femmes nues et qui leur mordent les fesses. L’emblème ordinaire du vice d’impureté, c’est un crapaud ou une tête de Chimère couvrant les parties sexuelles de l’homme ou de la femme. Dans tous ces groupes obscènes, la robe et le capuchon du moine caractérisent l’intention maligne de l’auteur, qui s’amuse à immortaliser les vices et la honte de ses patrons. Ceux-ci en riaient les premiers, puisqu’ils avaient laissé subsister ces scandaleux reliefs, qui furent détruits la plupart dans les temps modernes par la pruderie des ecclésiastiques, à qui la singularité du monument demandait en vain grâce. Voilà pourquoi les plus étranges de ces chapiteaux, ceux qu’on avait décorés de tous les genres du crime de bestialité, ne nous sont plus connus que par le témoignage des archéologues et des savants qui en ont recueilli la tradition. Ainsi, nous ne croyons pas qu’on ait gardé même le dessin d’une sculpture assez inconvenante qu’on voyait à Saint-Germain-des-Prés, et qui représentait une religieuse se prostituant en même temps à un moine et à un animal qui ressemblait à un loup. Il y avait aussi à Saint-Georges-de-Bocheville en Normandie un fût de colonne, couronné par une affreuse mêlée d’hommes et de singes luttant d’incontinence et d’audace.
Les laïques, en présence de ces modèles de luxure cléricale, n’avaient pas la prétention de rester purs et vertueux: ils ne se piquaient, au contraire, que d’une sorte d’émulation libidineuse qui les poussait à rivaliser de débauche avec les prêtres et les moines. Les historiens du temps nous les représentent aussi comme des scorpions et des serpents à face humaine (Hist. des comtes de Poitou, par J. Besly, p. 264). On comprend que cette dépravation générale ait fait croire à la fin du monde et au règne de l’Antechrist. Cette croyance superstitieuse, qui s’était attachée à l’an 1000, ne servit pas à rendre la société moins corrompue. Chacun, en dépit des terreurs qu’inspirait l’approche du jugement dernier, s’acharnait à jouir de la vie et à s’étourdir dans les délices de la chair (carnales illecebræ). Le monde devenait pire, et l’on s’attendait généralement à recevoir le baptême d’un nouveau déluge (videbatur sane mundus declinare ad vesperam, dit Guillaume de Tyr, au livre I de son Histoire). Les poëtes étaient d’accord avec les prédicateurs, pour annoncer que l’espèce humaine avait fait d’effrayants progrès dans le crime du mal, et que tous les jours la décadence morale s’aggravait; un troubadour du dixième siècle, cité par Raynouard (Poésies orig. des Troub., t. II, p. 16), disait, dans un poëme en langue romane:
Mal ome foren, aora sunt peior.
Tous les écrivains de ce temps-là sont d’accord sur cette dégradation profonde de l’état social, et tous en attribuent la principale cause au péché de l’incontinence, qui avait pris des proportions gigantesques. Quelques-uns, en donnant leurs biens aux églises et aux monastères, dans l’attente de l’Antechrist, motivaient leurs donations sur la méchanceté croissante des hommes: iniquitas quotidiana malitiæ incrementa sumit, lit-on dans une donation faite à l’église de Saint-Jean-d’Angely. Les donateurs se sentaient si chargés de souillures, qu’ils se ruinaient pour acheter une absolution et qu’ils la recevaient souvent des mains d’un clerc plus souillées que les leurs. «On vit alors, dit Raoul Glaber dans sa Chronique (liv. IV, ch. 9), régner partout, dans les églises comme dans le siècle, le mépris de la justice et des lois. On se laissait emporter aux brusques transports de ses passions..... On peut appliquer justement à notre nation cette parole de l’apôtre: Il y a parmi vous de telles impuretés, qu’on n’entend point dire qu’il s’en commette de semblable parmi les païens.» Orderic Vital, dans son Histoire ecclésiastique (liv. VIII, année 1090), accuse la génération contemporaine de faire ses délices de ce qu’il y avait de plus honteux et de plus infect dans l’opinion des personnages honorables du temps passé. Il est vrai de dire que, la fin du monde et l’Antechrist ayant manqué au rendez-vous de l’an 1000, ceux qui survivaient à cette époque fatale se crurent autorisés à ne plus craindre aucune vengeance céleste, et s’enfoncèrent davantage dans le fumier de leurs immondes voluptés.
On trouve çà et là quelques détails précis relativement à la nature de ces voluptés, qui sont d’ordinaire déguisées sous de vagues généralités, et qui ne diffèrent pas des autres œuvres du démon, dans les lamentations qu’elles inspirent aux rares honnêtes gens de ces siècles pervers: «Maintenant, s’écrie un poëte anonyme dans une complainte en vers léonins sur le malheur des temps (Histor. des Gaules, t. XI, p. 445), maintenant les hommes qui mènent une vie scandaleuse, débauchés, sodomites, et qui nous volent, et qui nous injurient, méprisent les honnêtes gens, dont les mœurs sont bien réglées.» La débauche et la sodomie (mœchi, sodomitæ) sont donc les vices les plus répandus dans toutes les classes de la population, chez les comtes et les barons comme dans l’humble borde du serf, à l’ombre des cloîtres comme sous les courtines de l’abbé ou de l’évêque. Le diacre Pierre prononça, au nom du pape Léon IX, dans le concile de Reims, en 1049, un discours où prêtres et laïques sont vivement réprimandés, à cause de leurs abominables habitudes. Ces habitudes s’étaient invétérées de telle sorte en France, que l’abbé de Clairvaux, Henri, écrivait au pape Alexandre III, en 1177: «L’antique Sodome renait de sa cendre!» (Voy. l’Hist. de Paris, par Dulaure, édit. de 1837, t. II, p. 40). Orderic Vital, en plusieurs endroits de son Histoire, signale la contagion de ce vice odieux, qui devait sa recrudescence à l’établissement des races normandes dans les provinces gallo-franques: «Alors, dit-il au livre VIII, les efféminés dominaient dans tous les pays et se livraient sans frein à leurs sales débauches; les chattemites, dignes des flammes du bûcher, abusaient impudemment des horribles inventions de Sodome (tunc effeminati passim in orbe dominabantur, indisciplinate debacchabantur, sodomiticisque spurcitiis fœdi catamitæ, flammis urendi, turpiter abutebantur).» Le même historien fait prophétiser cette invasion de la sodomie, par un anachorète fameux, que la reine Mathilde, femme de Guillaume d’Angleterre, envoya consulter au fond de l’Allemagne. L’anachorète prédit les maux qui menaçaient la Normandie sous le règne de Robert, fils de Guillaume et petit-fils de Robert le Diable: «Ce prince, dit-il, semblable à une vache lascive, s’abandonnera aux voluptés et à la paresse, s’emparera des biens ecclésiastiques et les distribuera entre ses lénons et ses flatteurs infâmes (spurcisque lenonibus aliisque lecatoribus distribuet)..... Dans le duché de Robert, les chattemites et les efféminés (catamitæ et effeminati) domineront, et sous leur domination la perversité, la misère, ne feront que s’accroître.» Il est donc incontestable que la turpitude sodomitique, qui fut ravivée par les croisades, avait été introduite en France par les Normands, qui la laissèrent comme un indice de leur passage dans tous les lieux où ils séjournèrent, soit pour hiverner, soit pour attendre le retour de leurs hordes dévastatrices.
Abbon, dans son poëme du Siége de Paris par les Normands, impute aux seigneurs français le vice ignominieux que nous voulons attribuer plus exclusivement à leurs ennemis. Ces hommes du Nord, ainsi que la plupart des barbares, n’avaient pas honte de se prêter mutuellement à une abominable Prostitution; ils ne faisaient qu’un usage très-modéré de leurs femmes, qui étaient constamment grosses ou nourrices, et qui n’avaient pas d’autre destination que celle de la maternité; car la tribu, dont la force dépendait du nombre de ses enfants, en demandait une production exubérante, que n’aurait pas favorisée l’habitude des rapports voluptueux entre l’époux et ses épouses. Telles furent certainement l’origine et la raison de ces dégradantes erreurs du sexe masculin. Les Normands n’en étaient pas moins ardents à l’égard des femmes, et ils ne les épargnèrent pas plus que les hommes, dans les villages qu’ils occupaient de vive force à l’improviste. Ils ne respectaient que les vieilles et les vieillards, c’est-à-dire qu’ils les tuaient sans pitié; mais quant aux jeunes, ils en avaient grand soin, ils se les partageaient, et ils les emmenaient avec eux, après les avoir employés à leurs plaisirs, sous les yeux de leurs épouses, qui ne s’en offensaient pas et qui n’eussent point osé s’y opposer. Le moine Richer, racontant une expédition des Normands qui dévastèrent la Bretagne au neuvième siècle, nous les montre enlevant les hommes, les femmes et les enfants: «Ils décapitent les vieillards des deux sexes, dit-il, mettent en servitude les enfants et violent les femmes qui leur paraissent belles (feminas vero, quæ formosæ videbantur, prostituunt).» On peut se rendre compte de la terreur qui s’attacha au nom des Normands, et qui devançait leurs excursions: ils dépeuplèrent des provinces entières; les villes florissantes avant leur apparition, restèrent sans habitants, après qu’ils en furent sortis; les bords des fleuves, qu’ils avaient remontés avec leurs bateaux plats, furent changés en déserts; mais ils avaient semé sur leurs traces l’impur enseignement de leurs mœurs, et les vaincus gardèrent la hideuse marque d’esclavage que leur avaient imprimée les vainqueurs. Les Normands, en se fixant sur le sol de l’Angleterre, ne traitèrent pas la population indigène avec plus d’égards qu’ils n’avaient fait autrefois dans les pays conquis par Rollon: ils ne massacraient plus les vieillards, mais ils abusaient des jeunes gens et outrageaient les filles, dont les plus nobles servaient de jouet à la soldatesque la plus immonde (nobiles puellæ despicabilium ludibrio armigerorum patebant et ab immundis nebulonibus oppressæ dedecus suum deplorabant, dit Orderic Vital). On doit présumer que les mœurs normandes ne s’étaient pas beaucoup améliorées depuis deux siècles, et que ces farouches libertins savaient toujours se passer de leurs femmes, car celles-ci, pendant la longue absence de leurs maris, se sentirent embrasées de concupiscence (sæva libidinis face urebantur, dit le latin, plus énergique encore que le français), et envoyèrent aux absents plus d’un message, en 1068, pour leur annoncer qu’elles aviseraient à prendre d’autres maris, s’ils tardaient à revenir. La crainte de voir des bâtards sortir de leur lit conjugal décida quelques Normands à retourner près de leurs impatientes épouses (lascivis dominabus suis); mais le plus grand nombre demeura en Angleterre, où ils trouvaient de quoi se distraire et se consoler. Si leurs femmes ne se remarièrent pas toutes, elles ne se firent pas faute de donner des bâtards à leurs maris. Un poëte de cette époque (voy. Hist. Norm. script., p. 683) gémissait de voir que «la lampe des vertus était éteinte en Normandie.»
Les autres provinces qui composaient la France féodale n’étaient pas alors dans une situation plus satisfaisante au point de vue des mœurs. Les seigneurs faisaient montre de tous les vices et ne conservaient aucun ressouvenir de pudeur. M. Emile de la Bédollière, dans sa savante Histoire des mœurs et de la vie privée des Français, rapporte deux épisodes remarquables de l’impudicité sauvage, qui caractérisait l’un et l’autre sexe chez les nobles comme chez les serfs. En 990, le bruit courait que Guillaume IV, duc d’Aquitaine et comte de Poitiers, avait eu un commerce adultère avec la femme du vicomte de Thouars, chez lequel il avait reçu l’hospitalité. Emma, femme de Guillaume, guettait une occasion de se venger de sa rivale. Un jour, elle l’aperçoit qui se promenait à cheval, peu accompagnée, aux environs du château de Talmont. Emma accourt avec une grosse troupe d’écuyers et de valets: elle renverse à terre la vicomtesse, l’accable d’injures et la livre à ses gens. Ceux-ci se saisissent de la malheureuse, la violent à tour de rôle pendant une nuit entière, pour obéir aux ordres d’Emma qui les excite et les contemple (comitantes se quatenus libidinose nocte quæ imminebat, tota ea abuterentur, incitat). Le lendemain, ils la mettent dehors, à moitié nue, mourante de lassitude et de faim. Le vicomte de Thouars ne put ni se plaindre ni se venger; il reprit sa femme déshonorée, tandis que Guillaume exilait la sienne dans le château de Chinon. Nous voyons, en 1086, un viol moins affreux dans ses circonstances, mais accompli de même en présence de témoins. Ebles, héritier du comte de Comborn en Aquitaine, étant devenu majeur, réclama son château et ses terres que détenait son oncle et tuteur Bernard. Celui-ci refusait de s’en dessaisir. Ebles rassemble des gens de guerre et vient assiéger le château, que Bernard essaie en vain de défendre. Ebles pénètre dans la place que son oncle venait d’abandonner: il y rencontra sa tante, nommée Garcilla, et aussitôt, sans se désarmer, devant tous ses compagnons qui l’applaudissent, il assouvit sur elle la plus révoltante lubricité (patrui uxorem coram multis fœdavit). (Voy. l’Hist. des mœurs et de la vie privée des Francs, t. II, p. 343, et t. III, p. 83, d’après deux chroniques publiées dans la Bibliotheca nova manuscriptorum, de Labbe.)
On ne s’étonne plus de ces faits monstrueux et on en soupçonne de plus épouvantables, s’il est possible, quand on promène avec dégoût sa pensée à travers les anciens Pénitentiels: c’est là qu’il faut chercher les faits occultes de la Prostitution au moyen âge; c’est là que se produit avec toutes ses audaces le péché de la chair, qui ne se bornait pas à des conjonctions illicites entre les deux sexes et qui se complaisait dans les caprices de la plus exécrable dépravation. Certes, comme le dit M. de la Bédollière, «on aimerait à croire pour l’honneur de l’humanité, que les horreurs signalées par les Pénitentiels sont purement accidentelles» et n’avaient que bien rarement un écho dans le tribunal de la pénitence, mais elles reparaissent à chaque page dans ces Pénitentiels qui les classent à différents degrés de culpabilité et de pénalité. Il est donc certain qu’elles étaient fréquentes et qu’elles répandaient de proche en proche une corruption latente dans toutes les parties du corps social. Nous ne pouvons nous dispenser d’enregistrer ces horreurs de la Prostitution, mais nous ne les dépouillerons pas de leur voile latin et nous n’irons pas même emprunter une traduction, prudemment atténuée, aux Pénitentiels modernes qui ont dû respecter la doctrine pénitentiaire de l’Église. Il faut distinguer dans ce code primitif de la confession les faits qui concernent les actes les plus secrets du mariage, ceux qui touchent à l’inceste, ceux qui sont relatifs à des débauches contre nature et ceux enfin qui renferment le crime de bestialité.
Tout ce que l’Église avait fait pour protéger la pureté du mariage n’était qu’un témoignage évident de tout ce qui se faisait, dans le sanctuaire des époux, contre le but moral de cette institution. Ce n’étaient que péchés véniels, si les mariés n’avaient pas consacré la première nuit des noces à des pratiques de dévotion (eadem nocte pro reverentiâ ipsius benedictionis in virginitate permaneant, dit Reginon, liv. II); si le mari qui avait couché avec sa femme, ne s’était pas lavé, avant d’entrer dans une église (maritus qui cum uxore suâ dormierit, lavet se antequam intret in ecclesiâ. Pénitentiel de Fleury); si la femme était entrée dans l’église, à l’époque de ses règles (mulieres menstruo tempore non mirent ecclesiam); si le lit conjugal, à cette même époque, avait rapproché les deux époux (in tempore menstrui sanguinis qui tunc nupserit; 30 dies pœniteat. Pénitentiel d’Angers); s’ils n’avaient pas gardé une continence absolue les dimanches, les jours de grandes fêtes, trois jours avant la communion et durant les quatre semaines qui précèdent Pâques et Noël. Mais le péché devenait plus grave, la pénitence plus longue, quand les époux avaient donné carrière à des fantaisies obscènes, que n’absolvait pas le privilége de l’union des sexes (si quis cum uxore suâ retro nupserit, 40 dies pœniteat; si in tergo, tres annos, quia sodomiticum scelus est. Pénitentiel d’Angers). Les copulations charnelles dans le mariage ne devaient être qu’une œuvre chaste et sainte, destinée à procréer des enfants et non à satisfaire les sens. Ce sont les expressions de Jonas, évêque d’Orléans, dans son Institut des laïques: Oportet ut legitima carnis copula causa sit prolis non voluptatis, et carnis commixtio procreandorum liberorum sit gratia, non satisfactio vitiorum.
L’inceste se multipliait sous les formes les plus hideuses: le fils ne faisait pas grâce à sa mère; la mère elle-même ne respectait pas l’innocence de son jeune enfant; le frère attaquait sa sœur; le père polluait sa fille! Mais il y avait, pour ces abominations, des pénitences de dix, de quinze ans, pendant lesquels le coupable se façonnait au jeûne et à la continence. (Qui cum matre fornicaverit, 15 annis; si cum filia et sorore, 12—Si adolescens sororem, 5 annos, et si matrem, 7, et quamdiu vixerit, numquam sine pœnitentia, vel continentia.—Si mater cum filio parvulo fornicationem imitatur, si mater cum filio suo fornicaverit, tribus annis pœniteat. Pénitentiels de Fleury et d’Angers.)
Les infanticides, les avortements n’étaient pas moins nombreux que chez les païens qui les toléraient toujours et les approuvaient quelquefois. Tantôt on étouffait l’enfant à sa naissance, tantôt on l’étranglait, tantôt on le faisait périr en l’empoisonnant ou en le saignant. Il y avait des hommes et des femmes qui vendaient des drogues pour faire avorter (herbarii viri, mulieres interfectores infantum). D’autres drogues rendaient les femmes stériles et les hommes impuissants. Pour exalter l’amour ou plutôt l’ardeur sensuelle d’un homme ou d’une femme, on ajoutait d’affreux mélanges à la potion qu’on lui faisait prendre (Interrogasti de illâ feminâ quæ menstruum sanguinem suum miscuit cibo vel potui et dedit vire suo ut comederet? et quæ semen viri sui in potu bibit? Tali sententiâ feriendæ sunt sicut magi. Pénitentiel de Raban Maur.—Illa quæ semen viri sui in cibo miscet, ut inde plus ejus amorem accipiat, annos tres pœniteat. Pénitentiel de Fleury).
Les péchés contre nature avaient d’innombrables variétés aux yeux du confesseur qui leur appliquait aussi des pénitences très-variées. La sodomie simple (si quis fornicaverit sicut sodomitæ, dit le Pénitentiel romain) entraînait quatre ans de pénitence; mais l’âge des pécheurs établissait bien des différences entre eux. L’enfant, l’adolescent, l’homme fait, n’étaient pas punis de même, lorsqu’ils péchaient de la même façon. Les souillures de l’extrême jeunesse ressemblaient souvent à celles de la vieillesse la plus dépravée; mais elles s’effaçaient plus aisément et se corrigeaient avec les années (Pueri sese invicem manibus inquinantes, dies 40 pœniteat. Si vero pueri sese inter femora sordidant, dies centum; majores verò, tribus quadragesimis. Pénitentiel d’Angers). Les erreurs antiphysiques des femmes étaient punies aussi sévèrement que celles des hommes, comme si la chasteté fût plus nécessaire chez le sexe qui a en soi un charme irrésistible pour attirer l’autre sexe. Les femmes, même les religieuses, se livraient entre elles à des orgies, où reparaissait le fascinum romain et où l’art fellatoire n’avait rien oublié des leçons impudiques de l’antiquité (Mulier cum alterâ fornicans, tres annos. Sanctimonialis femina cum sanctimoniali per machinatum polluta, annos septem. Pénitentiel d’Angers.—Mulier qualicumque molimine aut per ipsam aut cum altera fornicans. Pénitentiel de Fleury.—Si quis semen in os miserit, septem annos pœniteat. Ibid.). Quelquefois l’inceste venait se mêler au crime contre nature et en aggraver l’infamie et le châtiment: la sodomie entre frères ne pouvait être rachetée que par quinze ans d’abstinence (qui cum fratre naturali fornicaverit per commixtionem carnis, ab omni carne se abstineat quindecim annis. Pénitentiel de Fleury).
Tous les genres de bestialité, on ose à peine le croire, figurent dans les Pénitentiels et ne donnent lieu qu’à une pénitence temporaire, quoique la loi civile condamnât le criminel à périr avec la bête qu’il avait choisie pour complice. Toutes les bêtes semblaient propres à cette détestable mésalliance (cum jumento, cum quadrupede, cum animalibus, dit le Pénitentiel romain; cum jumento, cum pecude, dit le Pénitentiel d’Angers; cum pecoribus, dit le Recueil de Reginon). Rien ne fut plus commun au moyen âge, que ce crime qu’on punissait de mort, quand il était patent et confirmé par une sentence du tribunal. Les Registres du Parlement sont remplis de ces malheureux qu’on brûlait avec leur chien, avec leur chèvre, avec leur vache, avec leur pourceau, avec leur oie! Mais nous ne voyons, que dans la lettre de Raban Maur à Regimbold, archevêque de Mayence, la discussion canonique de ces énormités qui alors n’étonnaient personne (Tertia quæstio de eo fuit, qui cani feminæ inrationabiliter se miscuit, et quarta de illo, qui cum vaccis sæpius fornicatus est? Qui cum jumento vel pecore coierit, morte moriatur. Mulier quæ succubuerit cuilibet jumento, simul interficiatur cum eo. Capitul. de Baluze, t. II, append., col. 1378). Dans les capitulaires d’Ansegise, les évêques et les prêtres sont invités particulièrement à combattre cette dépravation qu’on regardait comme un reste du paganisme et qui se perpétua plus longtemps dans les campagnes que dans les villes; mais tous les législateurs reconnaissent qu’un pareil crime, qui ravale l’homme au niveau de la bête, mérite la mort. On aurait volontiers pardonné à la bête plutôt qu’à l’homme, mais on la tuait et l’on jetait sa chair à la voirie, de peur qu’elle ne vînt à engendrer, par l’artifice du démon, un monstrueux assemblage de la bête et de l’homme.
Enfin, pour donner une idée plus complète encore de l’obstination des débauchés dans leurs détestables habitudes, nous rappellerons ici un procès criminel qui se rapporte à une débauche contre nature, qu’on appelait fornicatio inter femora. C’est Ducange qui nous fournit ce singulier document tiré d’une charte d’Édouard Ier, roi d’Angleterre. Cette charte est datée probablement des premières années du dixième siècle. Un nommé Simon entretenait une concubine, nommée Mathilde, avec qui jamais il n’avait eu de rapports complets. Un jour, il fut surpris en flagrant délit de commerce illicite par les amis de cette concubine qui voulait se venger de lui en se faisant épouser. Elle déclara devant les juges qu’elle avait longtemps vécu conjugalement avec lui, mais qu’il ne l’avait pas encore épousée (Juratores dicunt quod prædictus Simon semper tenuit dictam Matildam ut uxorem suam, et dicunt quod numquam dictam Matildam desponsavit). Alors, Simon eut à choisir entre trois sortes de châtiment ou de réparation: donner sa foi à Mathilde, ou perdre la vie, ou rendre à Mathilde les devoirs qu’un mari rend à sa femme (vel ipsam Matildam retro osculare). Simon fit son choix aussitôt: il donna sa foi à Mathilde, mais il ne voulut jamais l’épouser autrement qu’il n’avait fait jusqu’alors (inter femora). Ducange a extrait cette curieuse anecdote du Dictionnaire des lois de l’Angleterre (Nomolex anglicana), par Thomas Blount.
A l’époque d’Edouard Ier et de Charles le Simple, son gendre, les mœurs de la France et de l’Angleterre offraient une triste analogie, et quelque poëte de la cour saxonne d’Édouard aurait pu dire de l’Angleterre ce que le poëte Abbon disait alors de la France dans son poëme fameux sur le Siége de Paris: «O France, pourquoi te caches-tu? où sont ces forces antiques qui ont assuré ton triomphe sur de plus puissants ennemis? Tu expies trois vices principaux: l’orgueil, les honteuses délices de Vénus, et la recherche de tes habits. Tu n’écartes pas même de ton lit les femmes mariées, les nonnes consacrées au Seigneur. Bien plus, tu as des femmes à satiété, et tu outrages la nature!» Deux siècles plus tard, Pierre, abbé de Celles, dans ses lettres (liv. IV, ép. 10), adressait à la ville de Paris les mêmes reproches qu’Abbon avait adressés à la France, et il l’accusait de pervertir les mœurs de ses habitants: «O Paris, que tu es séduisant et corrupteur! disait-il. Que de piéges tes propres vices tendent à la jeunesse imprudente! Que de crimes tu fais commettre!» La Prostitution fut, à toutes les époques, la conseillère et la provocatrice des autres vices qui ne marchent pas sans elle et qui s’attachent à ses flancs, comme des louveteaux pendus aux mamelles de leur dévorante mère.
CHAPITRE VI.
Sommaire.—Situation des femmes de mauvaise vie avant le règne de Louis VIII.—Vocabulaire de la Prostitution au onzième siècle.—Le putagium.—Putus et puta.—Les puits communaux.—Le Puits d’Amour.—La Cour d’Amour ou Cour céleste de Soissons.—Putage, putinage et putasserie.—Lenoine.—Maquerellagium, maquerellus et maquerella.—De l’origine du mot maquereau.—Borde, bordel et bordeau.—Les femmes bordellières.—Les femmes séant aux haies.—Les cloistrières.—Garcio et garcia.—Ribaldus et ribalda.—Meschines et meschinage.—Ruffians.—Clapiers.
Si la dépravation des mœurs, à cette époque du moyen âge, avait dépassé tout ce que des époques plus barbares s’étaient permis en fait de débauche et de crime, la Prostitution légale, celle qui s’exerce comme une industrie et qui fait la sauvegarde des honnêtes femmes en offrant aux appétits sensuels une satisfaction toujours prête et facile, cette Prostitution régulière et organisée n’existait pas encore, du moins sous l’œil et la main de la police féodale. Elle n’était point admise en principe ni en droit; elle ne pouvait s’exercer qu’en fraude et en secret, aux risques et périls des femmes que la misère ou le libertinage encourageait à ce vil métier; elle ne rencontrait nulle part appui et protection dans la magistrature des villes érigées en communes, ni auprès des justices seigneuriales. On ne la jugeait point nécessaire ni même utile, et on la regardait comme un outrage public à l’honnêteté de chacun. Cependant, il fallait bien la tolérer et fermer les yeux sur un fait brutal, qui se reproduisait sans cesse et partout, en se cachant, ou plutôt en se déguisant, malgré les plus sévères prohibitions, malgré la pénalité la plus rigoureuse. Nous sommes convaincu que cette Prostitution légale dut conquérir sa place honteuse dans la société, par sa persévérance à braver les lois et les châtiments, par son adresse à prendre tous les masques, par sa force et sa ténacité, par son caractère vivace et envahisseur. On peut comparer la situation des femmes de mauvaise vie, au milieu de cette société qui leur était hostile et qui ne pouvait toutefois s’en passer, qui les persécutait continuellement et qui ne parvenait jamais à les faire disparaître; on peut comparer cette situation anormale à celle des juifs, qui avaient aussi contre eux la législation civile et ecclésiastique, qui se voyaient tous les jours emprisonnés, dépouillés, chassés, et qui pourtant revenaient sans cesse à leurs banques, à leurs usures et à leurs gains énormes. La Prostitution n’eut pas une existence avouée dans l’État et reconnue, sinon autorisée, avant le règne de Louis VIII, ou celui de Philippe-Auguste peut-être, car le roi des ribauds (rex ribaldorum), qui était évidemment le gouverneur suprême des agents de la Prostitution, fut créé par Philippe-Auguste, comme nous le verrons plus tard.
Il est bien difficile de retrouver quelles étaient les habitudes et la physionomie de la Prostitution mercenaire, dans ces temps de corruption générale, qui ne permettaient pourtant pas de pratiquer librement cette méprisable industrie. L’abbé, l’évêque, le baron, le seigneur feudataire, pouvaient avoir dans leur maison une espèce de sérail ou de lupanar, entretenu aux dépens de leurs vassaux; selon l’expression d’un écrivain du onzième siècle, chaque possesseur de fief nourrissait dans son gynécée autant de ribaudes que de chiens dans son chenil; mais le lupanar public, ouvert à tout venant, sous la direction d’un homme ou d’une femme exploitant cet impur commerce, ne subsistait que dans un petit nombre de localités, où l’administration seigneuriale et municipale se relâchait de ses anciennes coutumes et feignait d’être aveugle pour se montrer tolérante. C’était donc à Paris et en quelques grandes villes, que l’établissement des mauvais lieux, dans les faubourgs et dans certains quartiers désignés, ne souffrait pas trop d’obstacles, jusqu’au jour où le scandale rendait à la loi sa vigueur et amenait la suppression plus ou moins radicale de ces centres de débauche. Il y avait aussi des prostituées, qui n’appartenaient pas à l’exploitation d’un fermier lupanaire, et qui se réservaient tous les profits de la vente de leur corps: elles se mêlaient d’ordinaire à la population honnête, et, quoique vivant de leur impur trafic, elles avaient soin de n’en laisser rien transpirer, sous peine de tomber aussitôt dans la disgrâce de leurs voisins et d’être obligées de se faire justice elles-mêmes en disparaissant. On comprend donc que la vie intérieure des mauvais lieux et la vie privée des femmes publiques aient eu bien peu d’échos dans les monuments écrits de ces époques obscures. La Prostitution, du huitième au douzième siècle, n’a pas même de traits qui la caractérisent d’une manière saillante, quoiqu’elle diffère absolument de la Prostitution du Bas-Empire. Il faut se contenter, pour la peindre, de quelques faits isolés, qui n’ont pas de liens entre eux et qui témoignent de la variété des usages locaux. Encore, ces faits, que nous fournissent des chartes de commune et des ordonnances de police urbaine, sont-ils trop rares, pour qu’on puisse en former un vaste tableau d’ensemble. Ainsi, ce n’est pas d’après cette réunion de faits épars et détachés, qu’il est possible de constater les mœurs secrètes de la Prostitution dans la France féodale.
Mais la langue populaire du onzième siècle, la basse latinité, qui allait créer la langue française, sous l’empire des dialectes du Nord et du Midi, cette langue appliquant de nouveaux mots à des choses et à des idées nouvelles, nous présente, dans la formation de ces mots eux-mêmes, une foule de renseignements précieux, parmi lesquels nous trouverons bien des notions relatives à notre sujet. A partir du neuvième siècle, le vocabulaire de la Prostitution a complétement changé; il est singulièrement restreint, mais il se compose de locutions, tout à fait neuves, qui semblent sorties de la bouche du peuple, plutôt que de la plume des écrivains; ces locutions, empreintes de l’esprit gallo-franc, et parfois frappées au coin de l’idiome tudesque, sont faites pour exprimer ce que nous nommerons le matériel de la Prostitution. Il est clair que les mots latins n’avaient plus de sens vis-à-vis de circonstances et de particularités qui n’existaient pas au moment où ils furent créés; le peuple, dans son langage usuel, ne voulut point accepter ces mots qu’on employait toujours dans la langue littéraire, mais qui ne représentaient plus rien dans l’habitude de la vie; le peuple, avec le génie qui lui est propre, fit les expressions qui lui manquaient et leur donna le cachet spécial qu’elles devaient avoir. Ainsi, nous voyons apparaître dans le latin vulgaire la plupart des mots, qui reçurent plus tard une transformation française, et qui se sont depuis conservés dans la langue du peuple, car la Prostitution ne peut aspirer à faire admettre par la langue noble les grossières et impudentes formules de son idiome. Remarquons, une fois pour toutes, que les écrivains sérieux, les poëtes et les historiens continuent à se servir des termes généraux que le latin classique leur offrait pour désigner les actes et les individus de la Prostitution; mais, dans les documents émanés d’une main illettrée ou destinés à la connaissance du populaire, on n’emploie que des termes précis et techniques, qui étaient à la portée de tout le monde et qui n’exigeaient pas, pour être entendus, la moindre notion de l’antiquité classique. Sans doute, cette langue de la Prostitution est sordide et digne des choses qu’elle exprime et des personnes qu’elle qualifie, mais on ne doit pas oublier qu’au moyen âge tous les mots de la langue usuelle avaient droit à une égale estime, et se produisaient, sans aucune réserve, dans les écrits comme dans les discours. On n’avait pas encore noté d’infamie certaines expressions qui se rapportent à des objets infâmes, et on n’attachait pas d’importance à la modestie du langage parlé ou écrit. Voilà pourquoi notre vieux français est si riche en mots ingénieux ou piquants, qui forment le vocabulaire de la Prostitution, et qui ont été, à partir du siècle de Louis XIV, bannis de la langue des gens d’honneur, comme on disait autrefois.
La Prostitution, que les lettrés appelaient toujours meretricium, dont les novateurs avaient fait meretricatio et meretricatus, se nommait, dans le peuple et en langage vulgaire, putagium, et, par extension, puteum et putaria. Ce mot-là nous paraît avoir une origine toute moderne, et nous ne croyons pas, malgré l’autorité du docte Scaliger, dans une de ses notes sur les Catalecta de Virgile, qu’on doive faire remonter putagium au mot latin putus, qui se trouve, dans les auteurs de la haute latinité, avec le sens de petit. Chez les anciens, il est vrai, putus, surtout, était donné comme nom d’affection, comme qualification flatteuse adressée à un jeune enfant. Le maître n’appelait pas autrement son mignon: était-ce une fille au lieu d’un garçon, on disait puta. Les diminutifs putillus et putilla s’étaient formés naturellement, et Plaute, dans son Asinaria (act. III, sc. 3), met mon petit, putillus, sur le même pied que ma colombe, mon chat, mon hirondelle, mon moineau, dans le langage des amoureux. Cependant, on usait plutôt, comme le fait Horace (Sat., l. II, 3), de pusus et de pusa, qui avaient aussi leur pusillus et leur pusilla. Néanmoins, nous ferons venir putagium de puteus, puits, parce que cette étymologie s’entend et se justifie également au propre et au figuré. Si, d’une part, la Prostitution publique peut se comparer à un puits banal où chacun est libre d’aller puiser de l’eau, d’autre part, dans chaque ville, dans chaque quartier, le puits communal ou seigneurial était le rendez-vous de toutes les filles qui cherchaient aventure. Il y avait toujours un puits, aux endroits fréquentés par les prostituées, dans les Cours des miracles où elles logeaient, dans les carrefours qui leur servaient de champ de foire. Elles se souvenaient peut-être que Jésus-Christ avait rencontré la Madeleine auprès d’un puits. Ces puits, dont l’usage appartenait à tous les habitants du lieu, réunissaient tous les soirs autour de leur margelle un nombreux aréopage de femmes qui parlaient entre elles de leurs amours et qui les avançaient en chemin sous prétexte de faire provision d’eau. On savait ce que c’était que d’aller au puits: les amants y arrivaient de tous côtés, pour se rejoindre. Ce puits-là était le témoin de bien des soupirs et de bien des larmes. Piganiol, en parlant du Puits d’Amour qui avait donné son nom à une rue de Paris, située près de la rue de la Truanderie, où la Prostitution avait son siége principal, dit que ce puits fameux devait son nom «à une raison qui lui est commune avec tous les puits qui sont dans des villes ou dans des lieux habités, c’est qu’il servoit de rendez-vous aux valets et aux servantes, qui, sous prétexte d’y venir puiser de l’eau, y venoient faire l’amour.» Ce puits, qui n’a été comblé qu’à la fin du dix-septième siècle, avait vu se dénouer plus d’un drame amoureux, et la tradition racontait de diverses façons l’histoire d’une demoiselle noble, de la famille Hallebic, qui s’y était noyée sous le règne de Philippe-Auguste. On citait aussi plusieurs amants qui s’y étaient jetés par dépit ou par jalousie, sans y trouver la mort. D’autres amants, par reconnaissance, avaient voulu attribuer au Puits d’Amour une part dans leur bonheur: l’un renouvelait les seaux, l’autre la corde; celui-ci y fit poser une balustrade en fer; celui-là y mit une margelle neuve, sur laquelle on lisait en lettres gothiques: Amour m’a refait en 525 tout à fait.
On ferait un curieux relevé de tous les puits qui ont joué un rôle dans l’histoire de la Prostitution, et l’on en trouverait un dans chaque ville, pour démontrer que le putagium, au moyen âge, était presque inséparable des puits banaux qui ont disparu la plupart aujourd’hui. On prouverait sans peine, que des puits de cette espèce ont existé, à Paris, dans les rues ou près des rues où demeuraient les femmes de mauvaise vie. Bornons-nous à rapporter que les ribaudes de Soissons, qui avaient une célébrité proverbiale au douzième siècle (Dictons populaires publiés par Crapelet, page 64), tenaient leurs assises autour d’un puits qui a survécu à la ribauderie soissonnaise. «La Cour d’Amour ou Cour céleste de Soissons (disent MM. P. Lacroix et Henri Martin, dans leur Hist. de Soissons) est située à l’entrée de la rue du Pont: c’est une cour étroite, entourée de bâtiments peu élevés, où l’on monte par des escaliers de pierre extérieurs. Cette cour, dans laquelle on pénètre par une allée obscure, descendait autrefois jusqu’à la rivière: au milieu, est un puits d’une construction singulière, la margelle débordant carrément l’orifice rond et étroit que surmonte une voûte conique.» Nous ne chercherons pas d’autres arguments, pour démontrer que putagium, puteum et putaria impliquaient l’action d’aller le soir au Puits d’Amour. Putaria se disait de préférence, dans les provinces méridionales. On lit dans les statuts de la ville d’Asti (Collat. 12, cap. 7): Si uxor alicujus civis Astensis olim aufugit pro putaria cum aliquo... Puteum était plus usité dans la langue poétique, qui, prenant la cause pour l’effet, faisait de puteum le synonyme de putagium. Quant à ce mot-là, qui doit être le premier en date, il s’était consacré en s’introduisant dans la langue légale. Ainsi, on le trouve souvent employé par les jurisconsultes, et il figure dans plus d’une ordonnance de nos rois de la troisième race: il suffit de mentionner une de ces ordonnances, dans laquelle il est dit que le putagium de la mère n’enlève pas au fils ses droits d’héritier, attendu que le fils né dans l’état de mariage est toujours légitime (quod generaliter dici solet, quod putagium hæreditatem non adimit, intelligitur de putagio matris). Le mot putagium ne s’entendait que de la prostitution d’une femme. La langue française n’eut pas plutôt bégayé quelques mots, qu’elle traduisit putagium en putage, puta en pute et putena en putain. Ces deux derniers mots sont contemporains, puisque la Chronique d’Orderic Vital fait mention, au livre XII, de la fondation d’une ville qui fut nommée Mataputena (id est devincens meretricem), en dérision de la comtesse Hedwige.
Putage revient sans cesse, avec le sens de putagium, dans la vieille langue française, surtout dans les romans et les fabliaux des trouvères. Les citations, choisies par Ducange, donnent la valeur exacte de cette expression, qui n’est pas même restée dans la langue triviale et qui ne saurait pourtant être remplacée par les mots putinage et putasserie, que le vocabulaire du bas peuple a conservés, sans se rendre compte des nuances de leur signification relative. Ces deux vers du roman de Vacces établissent la véritable acception de putage:
Et mis par povreté mainte feme au putage.
Le roman du Renard prête à putage un sens qui se rapproche du putanisme de la langue moderne:
Fistes-vous et grant putage.
Le roman d’Amile et Amy se sert du même mot pour exprimer la même chose:
Enfin, le roman d’Athis, en usant de ce mot, désigne l’état ou la condition d’une femme qui se prostitue:
Benoite ne espousée
Qui puis la trairoit à putage,
A mauvaistié ne à hontage
Qu’on le fesist mourir à honte,
Sans en faire nul autre conte.
Nous ne multiplierons pas les citations pour le mot pute, qui a maintenu son emploi et son sens originaire dans le bas langage. Ce mot avait toujours une acception injurieuse, comme on le voit dans ces vers du roman de Garin le Loherain.
Et clamé pute, oyant toute la gent.
Nous dirons plus tard comment cette injure adressée à toutes les femmes en général, faillit coûter cher au poëte Jean de Meung.
Le lenocinium, ce fidèle et inséparable compagnon du meretricium, eut plus de peine à changer de nom; comme il était ordinairement exercé par des femmes, on le transforma d’abord en lenonia, qui passa dans la langue du douzième siècle en se francisant et en devenant lenoine. Mais le peuple, qui règne en souverain dans les bas-fonds de la langue, inventa bientôt un autre mot, qu’il tira des habitudes mêmes des courtiers de Prostitution. Ce mot était maquerellagium, dont le vieux français a fait maquerellage, qui subsiste encore dans le langage des halles, et qui a pourtant place au dictionnaire de l’Académie. Avant maquerellagium, on avait créé maquerellus et maquerella, maquereau et maquerelle. Les plus doctes abstracteurs d’étymologie s’en sont donné à cœur joie pour découvrir l’origine de ces mots qui n’avaient de latin que leur terminaison. Nicot et Ménage, en recherchant les analogies qui pouvaient se présenter entre le poisson nommé maquereau et l’homme ou la femme qui spécule sur la Prostitution d’autrui, ont supposé que maquereau avait été formé de maculæ, parce que le poisson est bariolé de taches noirâtres et bleues transversales, et parce que chez les anciens le costume théâtral du lénon ou de la lène offrait aussi un bariolage de différentes couleurs. Tripaut, se souvenant que l’aquariolus ou porteur d’eau romain avait à Rome le privilége du lenocinium, a pensé que la simple addition d’une lettre initiale, formée par la prononciation gutturale des Francs, avait produit maquariolus, qui se rapprochait assez bien de maquerellus. D’autres enfin, avec plus de naïveté, ont mis en avant le verbe hébreu machar, qui signifie vendre et qui ne convient pas trop mal au métier de vendeur de chair humaine. Ces derniers étymologistes auraient dû, à l’appui de leur système, faire valoir cette induction que leur fournissaient certains documents du moyen âge, dans lesquels on attribue aux juifs le courtage des chevaux et des femmes.
Nous nous étonnons qu’on se soit préoccupé de l’étymologie du mot appliqué à l’homme, avant d’avoir trouvé celle qui convient au poisson; car il est tout naturel que le poisson ait été d’abord nommé maquerellus et que l’homme, par quelque similitude, se soit vu qualifié du nom de ce poisson. Quelle est la première étymologie qui s’offre à nous, sans efforts d’imagination et de linguistique? La pêche du maquereau était plus abondante autrefois sur les côtes de l’Océan, qu’elle ne l’est aujourd’hui: ce scombre arrivait à la suite des bancs de harengs et partageait leur sort après avoir vécu à leurs dépens. Son nom danois ou normand, qui s’est maintenu dans la langue hollandaise, nous ramène à l’époque où il a été latinisé: mackereel est certainement bien antérieur à maquerellus et à makarellus. Les savants, peu satisfaits de la consonnance barbare de ce mot, l’avaient corrompu pour le rendre moins sauvage à l’oreille: on ne s’explique pas autrement la formation de magarellus, qui apparaît dans plusieurs chartes des rois d’Angleterre. Sur les côtes du Nord, on disait makevus, ou plutôt makerus, s’il nous est permis de soupçonner une erreur dans Ducange. Quant à prêter le nom du poisson à l’espèce d’homme qui en imitait les mœurs, ce fut d’abord un jeu de mots, une épigramme qui entra profondément dans l’esprit de la langue populaire et qui perdit par degrés son sens figuré. On finit par ne plus savoir quel point de ressemblance avait fait confondre l’homme avec le poisson. Il est aisé pourtant de comprendre que le lénon, errant autour des femmes pour en tirer profit et les poussant en quelque sorte dans la nasse du corrupteur, joue un rôle analogue à celui du maquereau qui escorte les harengs et s’engraisse avec eux. Quoi qu’il en soit, cette expression figurée, désignant les proxénètes de l’un et de l’autre sexe, était admise dans tous les genres de style et ne semblait pas même déplacée dans les ordonnances des rois de France. Elle a reçu désormais son stigmate déshonnête, mais elle est invétérée dans la langue énergique de la populace. Ce n’est cependant qu’un nom de poisson qui se montre sur toutes les tables et qui payait jadis quatre deniers par mille à l’évêque ou au comte dans la suzeraineté duquel il arrivait. Si ce poisson n’eût pas reçu son nom des peuples du Nord, nous ne serions pas éloigné de faire bon accueil à une étymologie, plus ingénieuse que plausible, qui forgerait avec le verbe mœchari le substantif mœcharellus, pour qualifier l’instigateur de la débauche (mœchi conciliator).
De même que le lénocinium et le mérétricium, le lupanar n’avait plus droit de cité, que dans la langue des écrivains; la langue vulgaire le repoussait comme une tradition gallo-romaine qui n’avait pas de raison d’être. Rien ne ressemblait moins aux lupanars de Rome que les repaires de la Prostitution dans les villes de France. On caractérisa ces bouges infâmes, en leur donnant sans distinction les noms de borda et bordellum, qui jetèrent borde, bordel et bordeau, dans le nouveau dialecte du douzième siècle. Ce mot latin n’est que le mot saxon bord latinisé; ce mot saxon ne voulait rien dire de plus que le français, qui est tout à fait identique: c’est donc imaginer une étymologie purement gratuite, que de voir dans bordel les mots bord et el, parce que, dit-on, les lieux de débauche étaient alors situés au bord de l’eau! La situation de ces mauvais lieux n’était pas inévitablement voisine d’une rivière; ce qui n’aurait eu aucun but moral ni sanitaire; ce qui ne s’expliquerait, d’ailleurs, d’aucune façon satisfaisante; mais aussi, dans bien des circonstances, la Prostitution s’était logée au bord de l’eau, surtout quand la navigation du fleuve amenait un grand concours de marchands, de passagers et de bateliers qui faisaient les chalands ordinaires des femmes bordellières (bordellariæ). On appelait plus particulièrement borda une cabane isolée, un gîte de nuit, situé de préférence au bord d’un chemin ou d’une rivière, hors de l’enceinte d’une ville, dans un faubourg ou dans la campagne. La borde était distincte de la maison, comme on le voit dans ce vers du roman d’Aubery:
et dans cet autre vers du roman de Garin:
Généralement, cette borde se trouvait annexée à un petit clos ou à un champ: car, dans un contrat de l’an 1292, que cite Ducange dans son Glossaire, il est dit que l’abbé et le couvent sont tenus de concéder sur leurs domaines un arpent de terre à tout habitant de la ville qui voudrait y faire une borde (ad faciendum ibi bordam). La Prostitution, chassée des villes, se réfugia dans ces bordes, qui se trouvaient loin des yeux de la police urbaine, et qui ne laissaient pas percer le scandale. Ces résidences rurales n’étaient habitées qu’en certaines saisons et à certains jours par les tenanciers ou locataires; mais la Prostitution y avait, pour tous les temps, un abri assuré; voilà pourquoi les femmes publiques prirent à bail les bordes où elles résidaient, quand elles ne se contentaient pas d’y venir au crépuscule pour y faire un séjour de quelques heures. Les débauchés, qui allaient là les rejoindre, sortaient de la ville, sous prétexte d’une promenade, et arrivaient à leur honteuse destination par un chemin détourné. La borde se changea de la sorte en bordel, son diminutif, qui devint insensiblement le nom générique de tous les asiles de débauche, qu’ils fussent, ou non, dans la campagne ou dans l’intérieur des villes. On doit attribuer à des variations de patois les différentes formes que prit ce nom, qu’on prononçait bordeel et qui dégénéra en bordiau et bourdeau, bordelet et bordeliau.
Tant que les bordels furent hors des villes, la Prostitution errante compta dans son armée secrète une foule de pauvres recrues, qui n’avaient pas même le moyen de prendre une borde à loyer et qui, à l’instar des lupæ et des suburranæ de Rome, arrêtaient les passants le long des chemins, derrière les haies, dans les vignes et les blés: on les nommait femmes séant aux haies, ès issues des villages, filles de chemin, femmes de champs. (Voy. Carpentier, dans son supplément à Ducange, aux mots Borda et Cheminus.) Celles qui ne sortaient pas de leurs tanières et qui tendaient leurs lacs à la fenêtre, s’appelaient claustrariæ, cloistrières. (Voy. Carpentier, au mot Clausuræ.) Leurs cloîtres, claustra, pourraient bien être les héritiers des lustra de l’antiquité, d’autant plus que ces claustra montium ne furent établis que dans des lieux écartés, au fond des bois et dans les gorges des montagnes.
Les femmes perdues qui étaient à demeure dans les bordes ou bordels furent désignées par l’épithète de bordelières ou bourdelières. Mais ce ne fut pas leur unique dénomination; nous avons vu plus haut qu’on les nommait putes et putains, en signe de mépris. On ne leur épargnait pas les noms injurieux, et on ne les distinguait pas, comme dans l’antiquité, par des qualifications qui révélaient souvent leurs habitudes impudiques, leur genre de vie, leur origine et leur costume. Dès la fin du douzième siècle, on leur appliquait en mauvaise part le nom collectif de garzia ou gartia, en français garce ou garse, qui est resté jusqu’à nos jours dans le vocabulaire des gens de campagne pour désigner toute espèce de fille non mariée. On lit, dans les preuves de l’Histoire de Bresse par Guichenon (p. 203): Si leno vel meretrix, si gartio vel gartia alicui burgensi convitium dixerit; et dans la charte des priviléges de la ville de Seissel en 1285: Si gartia dicat aliquid probo homini et mulieri. Cette expression, qui reparaît à chaque page dans la prose et les vers du treizième au dix-septième siècle, n’est détournée que par exception de son sens primitif, et ne devient une injure que dans certains cas où elle est accompagnée d’une épithète malsonnante; au reste, on voit, d’après l’extrait de Guichenon cité plus haut, que la qualification de garce (gartia), même employée en mauvaise part, différait de celle de prostituée (meretrix), en ce qu’elle s’entendait plutôt d’une fille vagabonde, d’une coureuse, d’une servante. Ét. Guichard, qui voulait prouver que toutes les langues sont descendues de l’hébraïque, avait imaginé de rapprocher du mot garce un verbe hébreu analogue de consonnance et signifiant se prostituer; il ne remarquait pas que les mots garce et garzia sont bien plus anciens que la signification obscène qu’on leur a donnée. Ainsi, dans le procès-verbal de la vie et des miracles de saint Yves, au treizième siècle, garcia se trouve avoir le sens de servante, ancilla. (Voy. les Bollandistes, Sanct. maii, t. IV, 553.) Il est bien plus simple de dire que garce est le féminin de gars, qui, malgré les plus belles étymologies, paraît être un mot gaulois, wars, et avoir signifié tout d’abord un jeune guerrier, un mâle nubile. De gars, on fit, en bas latin, garsio et garzio, qui fut appliqué aux valets, aux voleurs, aux gens de néant, aux goujats d’armée, aux libertins. On ne peut pas mieux montrer comment un mot, originairement honnête et décent, s’est perverti graduellement et a pris dans la langue une attribution honteuse, qu’en rappelant une phrase où Montaigne l’emploie avec l’acception qu’il avait de son temps: «Il s’est trouvé une nation où on prostituoit des garces à la porte des temples, pour assouvir la concupiscence.»
Ce n’était pas la seule expression injurieuse qui fût en usage au moyen âge, pour désigner les prostituées: on les appelait fornicariæ et fornicatrices, prostibulariæ, prostantes, gyneciariæ, lupanariæ, ganeariæ, dans la basse latinité. Ces trois derniers noms étaient synonymes; ils indiquaient les lieux où se tenaient les femmes de mauvaise vie: ganea, lupanar et gynecium. Les prostantes se vendaient (du verbe prostare), les prostibulariæ se prostituaient, les fornicariæ forniquaient, les fornicatrices faisaient forniquer. Ces différents termes ne passèrent pas dans la langue française, mais on y fit entrer ceux qui avaient une tournure moins latine: de là, ribaude, meschine, femme folle, femme de vie. La femme de vie, femina vitæ, nous semble, en dépit de son déguisement latin, avoir pour racine une obscénité gauloise. La femme folle ou folieuse, mulier follis ou fatua, devait son nom à cette fameuse fête des Fous, que nous décrirons ailleurs comme un dernier reflet des mystères de la Prostitution antique. La meschine était, dans le principe, une petite servante, une esclave; la ribaude une suivante d’armée, une fille de soudard, une femme de goujat. Nous dirons, dans un autre chapitre, ce qu’étaient les ribauds de Philippe-Auguste; en établissant la véritable origine de leur roi. Nous ne rapporterons pas les nombreuses étymologies qu’on a doctement accumulées pour rechercher la racine du mot ribaud, qui existe dans toutes les langues de l’Europe. Nous serions assez disposé à voir cette racine dans le mot gaulois baux ou baud, qui signifiait joyeux et qui a laissé dans notre vieille langue, que Borel appelait gauloise, le substantif baude, joie, et le verbe ébaudir, réjouir. Le nom de la famille des Baux ou joyeux, que la tradition languedocienne faisait remonter au sixième siècle, donnerait un âge assez respectable au mot celtique baux ou baud. Ce mot a changé de signification, sans changer de forme, en passant dans la langue anglaise, où baud est synonyme de lénon. Le nom de baldo, en italien, n’a pas été autant altéré, car ce mot, dérivé de baux, se prenait pour hardi ou impudent. Rebaldus a traduit en latin rebaux, composé de la préposition emphatique re et du mot original baux, baud ou bauld. Ribaud et ribaldus se sont latinisés et francisés en même temps. Ces mots-là étaient employés en bonne part avant le règne de Philippe-Auguste, où ils tombèrent dans le mépris, par suite des excès d’une sorte de gens qui avaient voulu être les ribauds par excellence. Précédemment, l’épithète de ribaud impliquait la force physique et la constitution robuste d’un homme gaillard et dispos. Depuis, ce fut la désignation spéciale des vauriens et des débauchés. Toutes les langues adoptèrent à la fois la dégradation du ribaux et de ses composés. Ribaudie, en français, devint synonyme de Prostitution, ainsi que ribaldaglia, que Mathieu Villani emploie dans ce sens (Chron., lib. IV, cap. 91). Ribaud produisit alors ribaude, ribalda, qui n’eut jamais une signification honorable. Selon la coutume de Bergerac, c’était une insulte épouvantable, quand elle s’adressait à une personne de naissance ou de condition noble; mais c’était peu de chose, si cette personne-là usait de cette injure à l’égard d’une femme de bas étage, en n’accompagnant pas l’injure de voies de fait. Ce singulier passage de la Coutume de Bergerac est rapporté par les bénédictins continuateurs de Ducange. Ribaude, qui amena très-naturellement ribaudaille et ribauderie, continue de personnifier avec énergie toute femme dont les mœurs sont déréglées ou dépravées.
Le mot meschine, qui fut très-habituellement appliqué aux femmes folles de leur corps, avait d’ordinaire un caractère plus bienveillant qu’injurieux; meschine ne fut en usage qu’après meschin. Ce mot, essentiellement gaulois ou franc, que notre langue conserve encore dans le mot mesquin, dont le sens ne s’est pas trop éloigné de sa racine, voulait dire d’abord petit esclave, jeune serviteur. Meschinus et mischinus se trouvent, dès le dixième siècle, dans les cartulaires monastiques, comme Ducange en fournit plusieurs preuves: ils signifient jeunes serfs et par extension valets. C’est ce dernier sens que le mot meschin affecte plus particulièrement dans la langue du douzième siècle; mais alors il ne se prend qu’en bonne part et il équivaut à jeune gars, à jouvenceau. Il revient souvent dans le roman de Garin et toujours honorablement; comme dans ce vers:
Le féminin meschine, meschina, n’eut pas d’abord un emploi moins honorable; témoin ce vers du même roman de Garin:
Mais déjà, vers le treizième siècle, les meschines étaient bien déchues de leur bonne renommée, car Guillaume Guiart, dans sa Branche des royaux lignages, les représente sous des couleurs peu flatteuses: voici quatre vers qui font d’elles de véritables femmes perdues, puisque ce sont les compagnes des Cottereaux, en 1183:
Fesoient volez et chemises
Communément à leurs meschines,
En dépit des œuvres divines.
Dès lors, meschine, dans le langage usuel comme dans la poésie, ne désigne plus qu’une servante. Ducange cite un vieux poëte, d’après un Ms. de la bibliothèque de Coislin, pour prouver qu’on opposait volontiers dame et meschine; ce même poëte, dans un autre endroit, définit ainsi le rôle de la meschine:
Qui moult est de gentille orine.
Dans une ordonnance relative à l’abbé de Bonne-Espérance, on assigne à cet abbé une somme de 20 livres «pour son gouvernement, pour un serviteur et une meschine.» Le mot meschine se plie simultanément à deux acceptions bien différentes: ici c’est une simple servante, exerçant les devoirs de son état et, comme le dit Louis XI dans ses Cent nouvelles nouvelles: «Elle estoit meschine, fesant le ménage commun, comme les lits, le pain et autres tels affaires;» là, c’est une femme débauchée, qui se met au service du premier venu et qui se vend en détail. On comprend que le meschinage, qui est d’abord synonyme de service, arrive successivement à spécifier le service le plus malhonnête. Au reste, le meschinage des tavernes et des tripots était réputé infâme dans les Établissements de saint Louis, comme dans la loi romaine; néanmoins, saint Louis veut que «la fille folle qui s’en est allée en meschinage ou en autre lieu ailleurs, pour soy louer» soit admise par droit, aussi bien que ses frères et sœurs, au partage de la succession paternelle. (Liv. I, ch. 138.)
Complétons cette nomenclature franco-latine de la Prostitution au moyen âge, par l’examen d’un terme très-usité, qui passe pour être né en Italie et qui avait été importé en France par les troubadours, dès le onzième siècle. La consonnance du mot ruffian indique au premier coup d’œil une origine méridionale et non barbare. Ménage le fait dériver du nom d’un fameux lénon italien, qui s’appelait Rufo, sans s’apercevoir que ce Rufo est assurément bien postérieur à l’usage du mot qu’on rapporte à lui. D’autres étymologistes, ne se contentant pas du Rufo problématique, ont trouvé dans Térence un Rufus qui faisait le même métier. On a même, par abus d’érudition, rapproché ce mot de fornicator, en le tirant de l’allemand ruef, qui signifie voûte et qui ferait ainsi la traduction de fornix. Mais Ducange est plus près de la vérité, en faisant remarquer que les prostituées romaines, portant des perruques blondes ou rousses, étaient appelées ruffæ, suivant l’observation de François Pithou et de Woverenus sur Pétrone. Nous compléterons la remarque judicieuse de Ducange, en disant que, sans aucun doute, le mot ruffianus a été formé, dans les bas siècles, de rufi et de anus, deux mots réunis en un sans aucune ellipse, ou de rufia et anûs, deux autres mots également accouplés à l’aide d’une ellipse. Quant à chercher une analogie entre ruffian et fien, fœnum ou fimum, fumier, il faut ignorer qu’on ne peut soumettre la syllabe ruf à l’interprétation étymologique inventée par je ne sais quel rêveur, qui voit dans ruffian un valet d’étable, quod eruit fimum.
L’accouplement de rufi et d’anus ou bien de rufia et d’anûs conviendrait beaucoup mieux au vrai sens du mot ruffian, ruffianus, qui n’est pas seulement un lénon, un proxénète, mais plutôt un débauché, un habitué de mauvais lieu, un souteneur de filles. Nous n’avons pas, comme Ménage et surtout Le Duchat, l’effronterie ou la candeur de l’étymologie; nous n’essayerons pas de démontrer pourquoi, rufia signifiant une peau tannée, et anus une vieille; anus signifiant aussi le rectum, et rufus un roux, un bardache; ces mots nous mènent droit à la profession du ruffian, profession qui s’étendait à la ruffiane. Quoi qu’il en soit, les vocables ruffianus et ruffiana ne figurent guère, au moyen âge, que dans les écrivains italiques, qui nous présentent partout, de compagnie, ruffians et prostituées (ruffiani et meretrices). Ducange et Carpentier citent plusieurs passages intéressants de ces écrivains; dans un de ces passages, il est dit positivement que ruffian est synonyme de lénon (quilibet et quælibet leno, qui et quæ vulgariter ruffiani dicuntur). Ruffian ne semble pas s’être introduit en France avant le treizième siècle, et, encore, n’a-t-il été très en vogue qu’à la fin du quinzième siècle, quand l’italianisme déborda de toutes parts dans l’idiome gaulois. Ce mot, qui s’employait avec diverses nuances d’application, n’a jamais envahi la langue oratoire et ne s’est pas relevé de son abjection.
Enfin, mentionnons encore un mot que nous avons oublié à sa place et qui témoigne des habitudes mystérieuses de la Prostitution. Les lieux de débauche, les bordels, se nommaient, au figuré, des clapiers, claperii, parce que les filles de joie s’y cachaient comme des lapins, cuniculi (en vieux français conins), dans leurs terriers. Clapier, selon Ménage, viendrait de lepus, transformé en lapus et lapinus, qu’on a pu prononcer clapinus; de là, lapiarium et clapiarium. Selon Ducange, le piége à prendre les lapins était appelé clapa, et, comme il se plaçait à l’entrée des terriers, ceux-ci usurpèrent son nom, qui représentait sans doute par une onomatopée le bruit ou clappement de la machine, au moment où le lapin était pris. Selon d’autres savants, clapier dérivait du grec κλέπτειν, qui signifie se cacher; du latin lapis, parce que les gîtes de lapins ne sont souvent que des tas de pierres ou des terrains pierreux, etc. L’étymologie nous importe peu; signalons toutefois, avec beaucoup de réserve, la similitude obscène que la gaieté française avait entrevue dans les mots cunnus et cunniculus ou cuniculus, dont Martial n’a pas soupçonné l’indécente équivoque. Il est certain que nos ancêtres goguenards trouvaient une image lubrique dans cette comparaison d’un repaire de prostituées avec un clapier de lapins.
CHAPITRE VII.
Sommaire.—Les mœurs publiques sous les rois antérieurs à Louis IX.—Hideux progrès de la sodomie.—Tableau des mœurs de Paris à la fin du douzième siècle.—Les écoliers.—Le Pré-aux-Clercs.—Les Thermes de Julien.—Le cimetière des Saints-Innocents.—Les libertins et les prostituées de la Croix-Benoiste.—Les premières religieuses de l’abbaye de Saint-Antoine-des-Champs.—La patronne des filles publiques.—Les statuts de la corporation des filles amoureuses.—Le baiser de paix de la prostituée royale.—La chapelle de la rue de la Jussienne.—Efforts de saint Louis pour combattre et diminuer la Prostitution.—La maison des Filles-Dieu.—Comment saint Louis punit un chevalier qui avait été surpris dans une maison de débauche.—Suppression des lieux de débauche et bannissement des femmes de mauvaise vie.
Dans le recueil des ordonnances des rois de France de la troisième race, il ne s’en trouve aucune, avant saint Louis, relative à la Prostitution; mais on ne doit pas croire cependant, d’après cette lacune, que la Prostitution eût presque disparu en France ou bien que l’autorité légale la laissât absolument maîtresse de ses actes, sans l’entourer d’une surveillance préventive et répressive à la fois. Nous croyons, au contraire, que le désordre des mœurs n’avait fait que s’aggraver, à la faveur des guerres féodales qui avaient désolé le pays et entravé la marche de la civilisation; nous croyons aussi que l’ancienne législation à l’égard des prostituées et de leurs scandales n’avait pas cessé d’être en vigueur; mais, au milieu des agitations permanentes qui troublaient la société, on s’était sans doute fort relâché de l’exécution de ces lois de police et l’on s’occupait plutôt d’assurer la défense des villes exposées à des siéges continuels et à toutes les conséquences d’une invasion armée. Une sorte de tolérance indulgente avait donc permis à la Prostitution de gagner du terrain dans les cités, et surtout à Paris, où elle s’était organisée comme les autres corps d’état, avec des statuts qui la régissaient, soit que l’administration municipale approuvât cette espèce de confrérie impure ou fermât les yeux sur son existence organisée. Nous n’aurons pas de peine à prouver que, sous les rois antérieurs à Louis IX, les mœurs publiques étaient plus dépravées qu’au neuvième siècle et que cette corruption avait un caractère plus odieux que jamais; nous trouverons, en outre, plus d’un témoignage contemporain qui atteste combien l’exercice de la Prostitution régulière s’était multiplié et acclimaté, pour ainsi dire, dans les habitudes de la population parisienne.
Cette Prostitution, il faut bien le reconnaître, avait alors une heureuse influence sur les mœurs; car, depuis que les hommes du Nord s’étaient mêlés de gré ou de force aux indigènes francs et gallo-romains, le vice contre nature pénétrait, comme une contagion dévorante, dans toutes les classes de la nation et imprimait sa turpitude aux ordres religieux comme aux familles princières et royales. Guillaume de Nangis, en racontant, dans sa chronique, la mort tragique des deux fils et d’une fille de Henri Ier, roi d’Angleterre, qui furent engloutis dans la mer avec une foule de seigneurs anglais embarqués sur le même navire, présente ce naufrage comme une punition du ciel et ne craint pas de dire que les victimes étaient la plupart sodomites (omnes fere sodomitica labe dicebantur et erant irretiti). Cette horrible dégradation morale, nous l’avons constaté plus haut, se rencontrait partout, chez les moines de préférence; et l’Église, affligée de ces excès qu’elle s’efforçait de cacher dans son sein, ne pouvait s’empêcher de frapper d’anathème ses membres indignes. Nous verrons plus tard que la condamnation des Templiers ne fut, de la part de Boniface VIII et de Philippe le Bel, qu’une terrible mesure de justice contre la sodomie déguisée sous l’habit de l’ordre du Temple. La sodomie était également le lien secret de différentes sectes hérétiques qui cherchèrent à s’établir, en faisant une rapide propagande à l’aide de ces impuretés et qui échouèrent devant l’attitude ferme et rigide du haut clergé, que le pouvoir temporel seconda par des bourreaux et des supplices. Cet abominable vice s’était invétéré de telle sorte dans le peuple, que les tentatives manichéennes, qui se renouvelèrent sous divers noms jusqu’au quatorzième siècle, lui durent leur succès momentané et en même temps leur implacable répression. En présence des hideux progrès d’un pareil fléau, on comprend que la Prostitution naturelle pouvait être considérée comme un remède au mal ou du moins comme une digue opposée à ses débordements. Jacques de Vitry, dans son Histoire occidentale (ch. VII), a enregistré ce fait curieux et significatif, que les filles publiques, qui arrêtaient effrontément dans la rue les ecclésiastiques, les appelaient sodomites, lorsque ceux-ci refusaient de suivre ces dangereuses sirènes: «Ce vice honteux et détestable, ajoute-t-il, est tellement répandu dans cette ville; ce venin, cette peste y sont si incurables, que celui qui entretient une ou plusieurs concubines est regardé comme un homme de mœurs exemplaires.»
Jacques de Vitry, qui nous fournit cette précieuse observation au sujet des mœurs de Paris à la fin du douzième siècle, paraît avoir voulu dépeindre plus particulièrement la Prostitution qui s’était emparée du quartier de l’Université et qui y régnait en souveraine: «Dans la même maison, dit-il, on trouve des écoles en haut, des lieux de débauche en bas; au premier étage, les professeurs donnent leurs leçons; au-dessous, les femmes débauchées exercent leur honteux métier, et tandis que, d’un côté, celles-ci se querellent entre elles ou avec leurs amants, de l’autre côté, retentissent les savantes disputes et les argumentations des écoliers.» Le quartier des colléges et des écoles n’était peuplé, à cette époque, que de maîtres ès arts et d’écoliers; ces derniers, âgés la plupart de vingt à vingt-cinq ans, et appartenant à toutes les nations, formaient une sorte d’armée indisciplinée de 150,000 individus, qui se moquaient des sergents du guet et qui ne permettaient pas à la prévôté de Paris de s’immiscer dans leurs affaires: ils protégeaient donc les femmes de vie, installées dans leur quartier, et ils les couvraient d’un voile d’impunité, tant qu’elles ne dépassaient point les limites de ce lieu de franchise. Le recteur et les suppôts de l’Université, sachant que la jeunesse a besoin de dépenser l’exubérance de son ardeur et de ses forces au profit de ses passions, ne la gênaient nullement dans ses plaisirs et ne lui demandaient pas de vivre en anachorète. On s’explique ainsi le tableau d’intérieur, que Jacques de Vitry a tracé d’après nature et qui nous représente fidèlement l’état de la Prostitution dans le voisinage des Écoles de la rue du Fouarre. Il est probable néanmoins que cette Prostitution à domicile n’était pas la seule qui se fût placée sous la sauvegarde des écoliers: la Prostitution errante, qui répondait aux idées et aux instincts de ce temps-là, devait se donner carrière dans le Pré-aux-Clercs, cette promenade champêtre des enfants prodigues de l’Université, cette vaste plaine, traversée par de jolis ruisseaux bordés de saussaies, ombragée par des massifs d’arbres et coupée par des haies vives. C’était là certainement le rendez-vous des filles de champs et de haies, qui n’avaient rien à redouter, dans ce frais asile, des austères poursuites de la justice abbatiale de Saint-Germain-des-Prés. L’Université faisait respecter ses priviléges, même à l’égard de ses compagnes de débauche.
Le Pré-aux-Clercs n’était pas le seul refuge de la Prostitution errante; elle avait une retraite non moins inviolable et plus commode dans la saison froide et pluvieuse. Le palais des Thermes de Julien, dans lequel les rois de la première race avaient fixé leur séjour, n’était plus habité depuis des siècles, et les ruines de cette vaste habitation gallo-romaine, environnées de vignes et de jardins, offraient alors, suivant l’expression d’un poëte contemporain, «une infinité de réduits sinueux toujours favorables aux actes secrets, mystérieuses cachettes complices du crime, puisqu’elles épargnent la honte à qui le commet.» Jean de Hauteville, qui nous fait connaître l’usage obscène de l’antique palais des Thermes sous les règnes de Louis VII et de Philippe-Auguste, expose ce qu’il avait vu de ses propres yeux, dans son poëme misanthropique intitulé Archithrenius: «C’est là, dit-il avec moins d’indignation que de pitié, c’est là que l’épaisseur des arbres, usurpant les fonctions de la nuit, protége incessamment les amours furtifs et dérobe souvent au regard sévère de la surveillance les derniers symptômes de la pudeur mourante; car celui qui veut faire une mauvaise action cherche les ténèbres, et sa honte, qui se sent plus à l’aise dans les lieux obscurs, aime à s’envelopper des voiles de la nuit.» Philippe-Auguste, en 1218, fit donation de ces ruines romaines à son chambellan Henri, concierge du Palais de la Cité, probablement à la charge de les enclore de murs et d’en chasser la Prostitution. Telle était aussi l’intention de Philippe-Auguste, quand il fit entourer d’une bonne muraille le cimetière des Saints-Innocents, dans lequel la Prostitution nocturne prenait ses ébats, sans respect pour les morts qu’elle en rendait témoins. Guillaume le Breton, en parlant de ce cimetière dans le poëme épique de la Philippide, s’indigne de cette profanation insolente: Et quod pejus erat, meretricabatur in illo (lib. I, vers. 441).
Il en était de même de tous les endroits voisins de la muraille d’enceinte: la Prostitution y venait planter son camp dès la tombée du jour, et les viles créatures qui l’exerçaient à la dérobée, se postaient, pour attendre leur proie, aux abords des routes les plus fréquentées. On lit, dans les Grandes Chroniques de Saint-Denis, cette particularité qui se rapporte au règne de Philippe-Auguste: «Et aussi les folles femmes qui se mettoient aux bordeaux et aux carrefours des voyes et s’abandonnoient, pour petis prix, à tous, sans avoir honte ne vergogne.» C’est le seul passage d’un écrivain du treizième siècle dans lequel il soit question du salaire de la débauche; et, quoique le prix des faveurs d’une prostituée de carrefour ne s’y trouve pas fixé, on ne peut douter qu’il ne fût très-minime, sans doute à cause de l’extrême concurrence. La Prostitution avait encore un autre champ de foire hors de la ville, sur le chemin de Vincennes, dans un lieu semé de buissons et de bocages, au delà de la porte Saint-Antoine. Dubreul rapporte, dans ses Antiquités de Paris, que ce lieu-là était le théâtre ordinaire des attentats à la pudeur, que les écoliers commettaient impunément sur les femmes, les filles et chambrières des bourgeois de Paris. On érigea d’abord une croix de pierre, nommée la Croix Benoiste, au centre de ce bois mal famé; mais la fondation de cette croix ne servit qu’à y attirer un plus grand nombre d’hommes et femmes de dissolution, qui se livraient, sous prétexte de dévotion et de pèlerinage, à la plus criminelle promiscuité. Un prédicateur, fameux par les conversions qu’il avait faites, Foulques de Neuilly, abbé de Saint-Denis, apparut tout à coup au milieu de cette bande de libertins et de prostituées; debout sur le socle de la Croix Benoiste, il les somma de renoncer à leurs damnables habitudes et de faire pénitence en se consacrant à Dieu. Les femmes qui l’écoutaient, et qui appartenaient à la lie du peuple, se sentirent aussitôt émues de repentir, abjurèrent leur infâme métier, se coupèrent les cheveux et devinrent les premières religieuses de l’abbaye de Saint-Antoine-des-Champs, qui recruta sa communauté dans tous les rangs de la Prostitution. Les malheureuses que la Croix Benoiste avait vues s’abandonner pour vil et petit prix, firent des processions autour de cette croix, nu-pieds et en chemise; quelques-unes se marièrent honorablement; d’autres se vouèrent à la vie contemplative; mais, dans l’origine, vers 1190, cet étrange couvent réunissait sous le même toit autant d’hommes que de femmes, et l’on peut supposer que, malgré les éloquentes prédications de Foulques de Neuilly et de son successeur Pierre de Roissy, ce mélange des deux sexes n’était pas fait pour inspirer la vertu à d’anciennes prostituées et à des débauchés convertis. Ce fut l’illustre évêque de Paris Maurice de Sully, qui, en 1196, éloigna les hommes et retint les femmes sous la règle de Cîteaux, en menaçant de les chasser toutes si elles ne s’amendaient pas.
Outre ces misérables vagabondes qui exploitaient les alentours de la ville et qui s’abattaient le soir comme des oiseaux de proie sur les voyageurs attardés, il y avait dès lors dans certains quartiers et dans certaines rues des bordeaux et des clapiers, qui recevaient de nombreux visiteurs avant l’heure du couvre-feu, et qui payaient au fisc un impôt imité du vectigal romain. Les preuves de ces faits manquent à cette époque, mais comme nous les rencontrons plus tard en abondance, nous devons croire qu’elles ont disparu pour les règnes antérieurs à ceux de saint Louis. La tradition, qu’il ne faut jamais dédaigner, surtout si elle concerne des circonstances qui eussent été difficilement mentionnées par écrit à l’heure même où elles avaient lieu, la tradition, recueillie par Sauval, au dix-septième siècle (Recherch. et antiq. de Paris, t. II, p. 638), nous apprend que, bien avant Louis IX, «les femmes scandaleuses avoient des statuts, certains habits, afin de les reconnoître, et même des juges à part.» Cette tradition s’était perpétuée chez les femmes de mauvaise vie, qui prétendaient encore, du temps de Sauval, «que le jour de la Madeleine a été fêté à la poursuite de leurs devancières, du temps qu’elles composoient un corps et avoient leurs rues et leurs coutumes, et même avant que saint Louis les eût obligées à porter certains habits pour les distinguer des honnêtes femmes.» Malheureusement, les détails que Sauval promettait sur ce sujet singulier ne figurent pas dans son ouvrage imprimé, dont ils auront été retranchés, avec le célèbre traité des Bordels de Paris, par la pudeur de ses éditeurs; mais il est impossible de ne pas supposer que Sauval n’ait eu sous les yeux la preuve de l’existence de ces statuts de la Prostitution, sinon ces statuts eux-mêmes, qui devaient avoir force de loi, antérieurement à la rédaction du Livre des Métiers d’Étienne Boileau. Ce prud’homme eut honte d’admettre dans son recueil des priviléges et coutumes des arts et métiers, où il professe tant de haine pour la Prostitution, un chapitre spécial destiné à régler l’exercice d’un scandale public qu’il avait l’intention de faire disparaître, en ne lui donnant pas de place dans la jurisprudence municipale. Ces Statuts du putage, qu’on découvre çà et là, encore apparents, dans l’histoire des mœurs, ont été inévitablement établis et maintenus par force d’usage, mais non, peut-être, approuvés et confirmés par les rois. On est autorisé à penser que si, dans un temps où tous les métiers et marchandises avaient leur code spécial, la Prostitution tolérée n’eût pas eu le sien, les femmes bordelières n’auraient pas formé une corporation à part, comme elles en faisaient une sous la juridiction du roi des ribauds. Le titre de roi, attribué au chef ou maître principal d’une corporation, était toujours inséparable des statuts de cette corporation: la ribaudie avait son roi des ribauds, ainsi que la mercerie, son roi des merciers, et la menestrandie, son roi des ménétriers.
Nous verrons plus loin que rien ne manquait aux filles de Paris, excepté des statuts, pour démontrer qu’elles avaient été très-anciennement instituées en corps de métier. On ne saurait sans doute suppléer à la perte de ces statuts, en ce qui concerne le mode de réception dans la communauté, les degrés d’apprentissage, la taxe du public, les redevances au fisc, les aumônes et les amendes, en un mot toute l’organisation intérieure du métier; mais nous avons des renseignements précis sur les quartiers et les rues assignés à la débauche, sur la marque distinctive des femmes vouées à cette honteuse industrie, sur les heures affectées à leur travail, sur les lois somptuaires à leur usage. Une anecdote, relative à la Prostitution, nous semble très-importante à ce point de vue, d’autant plus qu’elle n’a pas encore été bien comprise par ceux qui l’ont tirée de la Chronique de Geoffroy, prieur de Vigeois (Nova biblioth. manusc. du P. Labbe, t. I, p. 309): «La reine Marguerite, étant à l’église pendant que le baiser de paix se donnait entre les assistants, voyant une femme parée de vêtements magnifiques et la prenant pour une épousée, lui donna le baiser de paix. Cette femme était une ribaude suivant la cour (meretricem regiam). Cette princesse, instruite de la méprise, s’en plaignit au roi, qui défendit aux filles publiques de porter dans Paris (Parisiis) le surcot ou la cape (chlamyde seu cappâ uti), afin qu’elles fussent distinguées ainsi de celles qui étaient légitimement mariées.» Cette curieuse anecdote, qui figure dans une Chronique finissant à l’année 1184, ne saurait en aucune façon se rapporter au règne de saint Louis et concerner la reine Marguerite, femme de ce roi, puisque l’auteur de la Chronique était mort plus de soixante ans avant le mariage de saint Louis avec Marguerite de Provence. Le fait, que le prieur de Vigeois avait ouï raconter au fond de son monastère limousin, porte avec soi une date incontestable, celle de 1172, lorsque la princesse Marguerite, fille de Louis VII et de la reine Constance, eut été fiancée avec Henri au Courtmantel, fils du roi d’Angleterre, et couronnée reine par l’archevêque de Rouen. On peut néanmoins laisser à ce fait la date de 1158 que lui assigne le chroniqueur, en supposant que, dans sa Chronique, écrite après 1172, il a qualifié de reine Marguerite, qui n’était pas encore couronnée et qui n’avait guère que six ans à l’époque où son innocence enfantine aurait reçu la souillure du baiser d’une prostituée.
Il est extraordinaire que le fait en question ne soit raconté que dans la Chronique du prieur de Vigeois, que plusieurs historiens ont confondu avec Geoffroi de Beaulieu, pour dater du règne de Louis IX une particularité qui appartient assurément au règne de Louis VII et qui prouve que ce roi avait fait contre les femmes de mauvaise vie une ordonnance qu’on n’a pas conservée. On peut tirer de ce fait plus d’une induction intéressante pour notre sujet. D’abord, cette prostituée, que le chroniqueur nomme royale, faisait-elle partie des filles de joie suivant la cour, que nous rencontrerons jusque sous le règne de François Ier avec cette même qualification, ou bien était-ce seulement une des sujettes ordinaires du roi des ribauds, une des femmes de sa corporation royale? En outre, il est certain que Louis VII, en soumettant le métier des filles publiques à certaines conditions de costume, reconnaissait implicitement leur existence légale et les autorisait à pratiquer leur coupable commerce dans l’enceinte de Paris (Parisiis). Enfin, le surnom de l’époux de la princesse Marguerite, Henri au Court mantel, n’a-t-il pas quelque analogie indirecte avec l’aventure de sa femme, qui fut cause que les filles d’amour ne portèrent plus de cape ou manteau long? Il est piquant de remarquer, dans tous les cas, que, depuis cette époque, les prostituées de Paris, faisant partie de la corporation des ribaudes, s’habillèrent de court, ainsi que les mérétrices de Rome, vêtues de la toge et non de la stole.
La corporation des filles amoureuses était donc évidemment, du temps de Louis VII, dans un état de prospérité qui se manifestait assez par le luxe de ses livrées ou habits de métier. Sauval, dans un autre passage de sa précieuse compilation (t. II, p. 450), déclare positivement que les statuts de cette corporation déshonnête ont eu cours, pour son gouvernement occulte, jusqu’aux états d’Orléans en 1560. A défaut de ces statuts, nous n’avons pas même découvert les preuves de la confrérie de la Madeleine, que Sauval assure pourtant avoir existé, sans dire à quelle paroisse elle était attachée et quels furent ses priviléges, ses indulgences et ses fêtes. Ce n’est qu’en recourant à une conjecture assez plausible, que nous donnerons pour siége principal à cette impure confrérie une petite église de la Madeleine, qui existait, avec ce vocable, dès le onzième siècle, et qui prit plus tard le nom de Saint-Nicolas. L’emplacement occupé par cette vieille église, que la révolution de 89 a fait disparaître, est rempli maintenant par des maisons particulières. Nous n’oserons toutefois soutenir que ce fut là le lieu de la scène du baiser de paix donné par une princesse à une courtisane. Le curé de cette paroisse avait le titre d’archiprêtre, et malgré le peu d’importance de la paroisse et de l’église, il ne laissait pas que d’être fier de son titre, à cause de la confrérie de Notre-Dame-aux-Bourgeois, qui paraît avoir succédé à celle de la Madeleine, quand saint Louis essaya de supprimer radicalement la Prostitution. C’est à cette circonstance que nous rapporterons le changement de nom de l’église, qui, quoique dédiée toujours à la Madeleine, eut l’air de se purifier, en ne s’appelant plus que Saint-Nicolas. Cependant l’image de la Madeleine figurait encore sur le maître-autel et ses reliques étaient exposées dans une châsse d’argent doré. Presque tous les historiens de Paris, y compris Dubreul, qui ont parlé de cette ancienne église de la Cité, veulent que saint Nicolas en ait été le patron primitif; Dubreul et Sauval placent dans une de ses chapelles, qui s’agrandit aux dépens d’une juiverie confisquée lors de l’expulsion des juifs sous Philippe-Auguste, la confrérie des Poissonniers et des Bateliers, que n’effarouchait pas sans doute le voisinage de la confrérie des ribaudes. Cette église était la seule qui possédât des reliques de la sainte qu’on y vénérait, et il ne faut pas croire, comme le donnerait à entendre un passage obscur de Dubreul, que ces reliques n’y eussent été déposées qu’en 1491, par Louis de Beaumont, évêque de Paris. Cet évêque ne fit que changer le reliquaire. C’étaient non-seulement des cheveux (de capillis) de la Madeleine, mais encore un morceau de la peau de sa tête, détaché de l’endroit que Notre-Seigneur avait effleuré de la main, en disant: «Garde-toi de me toucher!»
Toutes les femmes dissolues s’accordaient à honorer la Madeleine comme leur patronne, sans s’inquiéter de faire un choix entre les différentes saintes que la légende leur offrait sous ce nom. Il paraît qu’elles rendaient aussi un culte à sainte Marie l’Égyptienne, qui fut, avant sa conversion, une célèbre prostituée. Une tradition presque contemporaine nous permet de certifier que la chapelle dédiée à cette sainte, dans la rue qui est devenue celle de la Jussienne, au lieu de l’Égyptienne ou de la Gippecienne, était la paroisse attitrée des femmes publiques, depuis sa fondation au douzième siècle: elles fréquentaient cette chapelle, elles y faisaient dire des messes, elles y brûlaient des cierges, elles y apportaient leurs offrandes, la dîme de leur honteux métier; c’était là qu’elles venaient en pèlerinage, de tous les points de la ville, et rien n’était plus étrange que leurs ex-voto et leurs bouquets artificiels suspendus autour de l’image de leur patronne. En 1660, le curé de Saint-Germain-l’Auxerrois, qui avait cette chapelle dans sa dépendance, en fit enlever une verrière qu’on y voyait depuis plus de trois siècles et qui était un objet de scandale pour les personnes pieuses. Cette verrière représentait la sainte sur un bateau, relevant sa robe et se préparant à payer son passage au batelier, avec cette inscription, qui est sans doute rajeunie de langage: «Comment la sainte offrit son corps au batelier pour son passage.» On devine, d’après cette anecdote, pourquoi les bateliers de la Seine avaient adopté la même patronne que les prostituées. Il est probable que la confrérie des ribaudes fut transférée de l’église de la Madeleine dans la chapelle de Sainte-Marie l’Égyptienne, quand la grande confrérie de la vierge Marie Notre-Dame aux seigneurs, prêtres, bourgeois et bourgeoises de la ville de Paris fut établie en 1168 dans cette église, peut-être à l’occasion de l’outrage qu’une fille de joie avait imprimé sur le front d’une fille de France en lui donnant le baiser de paix ou en le recevant d’elle. Le roi et la reine étaient, de fondation, membres de cette confrérie de Notre-Dame, qu’on est surpris de voir placée sous les auspices de la Madeleine. Quant à la chapelle de Sainte-Marie l’Égyptienne, elle fut érigée hors des murs, aux environs du cimetière des Saints-Innocents, qui était alors un des centres les plus mal famés de la Prostitution errante.
Quand Louis IX monta sur le trône, sa première pensée ne fut pas de proscrire absolument dans son royaume la Prostitution légale qui y était tolérée, sinon permise; mais il essaya de la combattre et de la diminuer avec les armes de la religion et les ressources de la charité. «Jamais, dit Sauval, il n’y a eu tant de femmes de mauvaise vie, qu’au commencement du treizième siècle dans le royaume, et jamais néanmoins on ne les a punies avec plus de rigueur.» Guillaume de Seligny, évêque de Paris, convoqua celles de Paris et les fit rougir de leur ignoble métier; les unes y renoncèrent, pour embrasser une vie honnête et pour se marier; les autres demandèrent à se cloîtrer pour expier leurs péchés. Guillaume alla trouver le jeune roi qui venait de succéder à son père Louis VIII et qui avait l’âme toute pleine des pieux enseignements de sa mère, la vertueuse reine Blanche. Ce prince fut émerveillé des belles conversions que l’évêque avait faites, et, pour n’en pas laisser perdre le fruit, il s’empressa de fonder une maison de refuge destinée aux pécheresses que la grâce avait touchées. Il faillit ouvrir cette maison dans un clos situé rue Saint-Jacques et appartenant à son confesseur et chapelain Robert Sorbon, qu’il voulait mettre à la tête de cette communauté de pénitentes; mais il se ravisa, en pensant que les Écoles de la rue du Fouarre donneraient des voisins menaçants à ces nouvelles converties. Il les mit donc à distance des écoliers, dans la campagne, de l’autre côté de la ville, et il leur concéda un vaste terrain où il fit élever pour elles une église, des cloîtres, des dortoirs et divers bâtiments enfermés dans une enceinte de bons murs. Ce monastère, qui fut plus tard un hôpital, occupait tout l’espace où le quartier du Caire a été construit depuis la révolution. Il y avait des jardins et des vergers dans cette espèce de forteresse qu’on appelait, dit Joinville, la maison des Chartriers. On ne sait pas d’où lui vient le nom de maison des Filles-Dieu, qui lui resta, et l’on doit croire que ce fut une malice du peuple, qui baptisa ainsi ces religieuses que le démon avait soumises à un apprentissage peu édifiant. Quoi qu’il en soit, ce nom des Filles-Dieu, qui n’avait été d’abord qu’une épigramme, fut pris au sérieux, même par celles qui le portaient.
Un poëte satirique de ce temps-là, Rutebeuf, se moque des Filles-Dieu et de leur nom assez mal approprié à leurs antécédents; mais on pourrait induire de ces vers de Rutebeuf, que les pénitentes de Guillaume de Seligny avaient été d’abord nommées Femmes-Dieu: