Histoire de la prostitution chez tous les peuples du monde depuis l'antiquité la plus reculée jusqu'à nos jours, tome 5/6
Pour son plaisir, comme vraye macquerelle.
La foule entoure la maison et murmure contre Macée la dévote. Alors, Faifeu accourt au logis de sa mère, et lui dit, en jouant l’indignation:
Qu’il ne soit vray, ma teste soit haschée,
Si maintenant chez elle n’est cachée
Quelque putain, qu’elle garde à quelqu’ moine!
Je vous supply, si vous n’avez essoine,
Allez-y voir!
La mère y va; la vieille elle-même la conduit, mais elle croit à une illusion diabolique et ne fait que se signer, au milieu des huées et des injures qui la poursuivent, lorsqu’elle voit, en ouvrant sa porte, une fille de joie atournée, c’est-à-dire revêtue de ses atours et des insignes de la Prostitution.
CHAPITRE XXIV.
Sommaire.—De la philologie érotique.—Le jargon ou l’argot de la Prostitution.—Origines de ce jargon.—Un vieux conte sur hic et hoc.—Le Commentaire de Leduchat sur Rabelais.—Les Erotica verba de l’abbé de l’Aulnaye.—Le Dictionnaire comique de Leroux.—Richesse de la langue érotique, au seizième siècle.—Noms anciens des filles publiques.—Synonymes formés du grec, du latin, de l’italien, etc.—Synonymes empruntés à des noms d’animaux.—Synonymes relatifs à la vie errante des prostituées.—Ceux relatifs à leur métier.—Ceux qui les classent par catégories.—Périphrases et jeu de mots licencieux.—Noms de saintes, déguisés et corrompus.—Additions à la nomenclature de l’abbé De l’Aulnaye.—Les Femmes au court talon.—Proverbes moraux tirés de la Prostitution.—Diminutif de Catherine.—Anciens noms des mauvais lieux: étymologies.—Anciens noms des parasites de la Prostitution: étymologies.—Anciens noms des entremetteuses: étymologies.—Portrait d’une vieille proxénète, par François Rabelais.—La Sibylle de Panzoust et la Macette de Regnier.
Si la philologie érotique pouvait entrer dans une histoire générale de la Prostitution, nous pourrions lui consacrer plusieurs chapitres très-neufs et très-intéressants; car il n’existe par encore un ouvrage spécial, dans lequel on ait étudié à fond les origines de la langue ou plutôt du jargon des mauvais lieux. Cette langue, qu’on peut appeler technique, est à peine indiquée dans quelques anciens dictionnaires français, tandis que la plupart des glossaires grecs et latins lui accordent une large place, et la mêlent, pour ainsi dire, sans aucun scrupule, à la langue oratoire et littéraire. Rien ne serait donc plus facile que d’extraire, des glossaires consacrés aux langues anciennes et classiques, tout ce qui a rapport à la Prostitution antique, et le savant P. Pierhugues ne s’est pas mis en grands frais d’érudition, pour compiler son Glossarium eroticum linguæ latinæ, dont les articles les plus curieux sont sortis du portefeuille d’un excellent philologue, M. le baron de Schonen, que ses beaux travaux sur les érotiques grecs eussent élevé au premier rang dans l’érudition moderne. Tout est encore à faire pour la connaissance de la vieille langue érotique française; les matériaux sont innombrables, et cependant, ils n’ont jamais été recueillis et mis en œuvre. Si, comme l’a dit Boileau,
le français est plus modeste, ou, du moins, plus timide et plus sournois. Cette langue érotique, si riche et souvent si ingénieuse, il faut le reconnaître, ne prend ses ébats que dans des facéties gaillardes, des romans libertins, des poésies graveleuses, des contes joyeux et des chansons ordurières. Elle est, d’ailleurs, désavouée par la langue proprement dite, et bannie absolument des vocabulaires, où elle ne se glisse parfois que sous un déguisement convenable; mais elle n’en existe pas moins avec son génie original, et elle se perpétue de bouche en bouche, par tradition, en conservant ses archaïsmes, ses métaphores, ses images, ses proverbes, même ses onomatopées. On peut comparer cette langue obscène à l’argot des voleurs et du bas peuple. Elle a sa raison d’être, et, quoiqu’elle n’ait pas d’échos dans la langue des honnêtes gens, quoiqu’elle soit mise hors la loi de la grammaire, quoiqu’elle ne s’enseigne pas avec les humanités, elle est éternellement vivace et elle ne vieillit pas, parce qu’elle roule toujours sur le même fonds et qu’elle n’a plus à s’étendre sur de nouveaux objets.
On prouverait aisément, dans une étude philologique sur le jargon de la Prostitution, que ce jargon est contemporain de la langue vulgaire, et qu’il s’est formé d’un mélange confus de tous les idiomes et de tous les dialectes, comme s’il eût la prétention de représenter une langue universelle. Il y a, en effet, dans ce jargon étrange, né du caprice et de l’à-propos, du hasard et de l’occasion, une foule de mots, qui n’ont pas pris la peine de quitter leur caractère national, et qui se sont faits français, en restant grecs, latins, italiens, allemands ou espagnols. Il semble que la Prostitution, qui fut toujours, par nature, vagabonde et voyageuse, avait établi entre tous ses suppôts et sujets des deux sexes un langage de convention, qu’on parlait et qu’on entendait également dans les différentes provinces de la France, à une époque où deux villes voisines étaient souvent étrangères l’une à l’autre à cause de leurs patois.
Un vieux conteur français a parodié librement le conte rapporté par Hérodote, qui attribue au roi d’Égypte Psamméticus une bizarre invention pour découvrir quelle était la langue primitive, mère de toutes les autres. Selon notre conteur, il s’agissait de savoir quel avait été le premier mot de la langue française, et les académies s’étaient déclarées incompétentes, devant cette question épineuse. Le maître ès arts, qui se préoccupait de la solution d’une telle difficulté, imagina, un jour qu’il était de loisir, de consulter, sur le point en litige, une folle femme, attendu, pensait-il, que les fous ont la science infuse et cachée. «Avez-vous point eu affaire à des muets? lui demanda-t-il doctoralement.—Comme aux autres, répondit-elle.—Çà, ma mie, n’avez-vous pas tiré d’eux un seul mot chrétien?—Oui, bien, reprit-elle: ils savent dire hic et hoc.—Ce sont mots latins, ce me semble?—Nenni, point, mon seigneur: c’est ceci et cela.» Ce conte facétieux mériterait d’être invoqué à l’appui de la vénérable antiquité du jargon érotique.
L’ouvrage qui traite de ce mystérieux jargon avec le plus de détails étymologiques, c’est assurément le commentaire de Jacob Leduchat sur le Gargantua et le Pantagruel. L’honnête Leduchat, quoique protestant, était un philologue, qui ne se faisait pas scrupule d’appeler les choses par leur nom, et qui en affaire d’érudition ne trouvait rien de trop cru ni de trop nu. Nous renverrons donc nos lecteurs à ce célèbre commentaire, qu’un autre philologue, Éloy Johanneau, a complété depuis dans le même goût, en renchérissant sur les obscénités quintessenciées de Rabelais. Il y a un troisième commentateur de Rabelais, qui s’est attaché plus particulièrement à étudier la langue érotique dans son auteur favori; c’est le très-savant et très-pantagruélique abbé de l’Aulnaye, qui, à l’âge de quatre-vingts ans environ, a publié une bonne édition de Rabelais (Paris, Desoer, 1820, 3 vol. in-12; avec des augmentations considérables, Paris, Louis Janet, 1823, 3 vol. in-8). Sous le titre d’Erotica verba, il a inséré, dans le troisième volume de son édition, un petit glossaire, que Rabelais n’a pas fourni seul et qui manque de développements dans l’explication des termes. L’audacieux abbé a reculé sans doute devant les dangers de la matière, quoiqu’il ait placé son essai pornologique sous la sauvegarde de ce distique de Tabourot, qui avait pris pour devise: A tous accords, et qui se mettait si volontiers au diapason de la vieille gaieté française:
Ce glossaire a le défaut d’enregistrer simplement, par ordre alphabétique, des locutions, la plupart anciennes, sans ajouter à chacune d’elles les commentaires étymologiques et historiques qu’elles peuvent motiver. Le Dictionnaire comique de Leroux, qui a été réimprimé trois ou quatre fois dans le siècle dernier, offre sans doute une nomenclature beaucoup moins complète que celle des Erotica verba de Stanislas de l’Aulnaye, mais il fait suivre chaque mot, de quelque citation qui en fixe le sens et la propriété. Ce Dictionnaire comique, par malheur, manque d’érudition et de critique, et le compilateur, qui était loin de connaître les meilleures sources du vieux langage, ne se fait pas scrupule de rendre son sujet encore plus scabreux, par des définitions qui surpassent souvent l’indécence des mots eux-mêmes.
Nous n’aborderons donc pas, même avec réserve, les difficultés d’un pareil sujet, et nous nous bornerons à remarquer que la langue érotique française, qui se dessine déjà très-carrément dès le treizième siècle, procède d’habitude par le pléonasme et la redondance, traduit les mots à son usage dans les langues étrangères, ou se les approprie tels qu’ils sont avec leur consonnance indigène, recherche les images du style figuré, triomphe dans les équivoques, et obvie sans cesse à la monotonie du discours, au moyen des plus singulières combinaisons philologiques. On dirait que tous les mots, toutes les phrases faites de la langue générale, peuvent être, au besoin, appliqués à cette langue particulière, qui s’enrichit de la sorte aux dépens de la technologie tout entière. La langue érotique, comme le fait observer l’abbé de l’Aulnaye, est, sans contredit, une des plus riches de toutes les langues techniques. Ainsi, au seizième siècle, par exemple, on n’avait pas moins de trois cents mots ou périphrases pour exprimer l’acte vénérien (voy. ce mot dans les Erotica verba). Quant aux parties génitales de l’homme et de la femme, elles étaient représentées par quatre cents noms différents, qui se distinguent par leur variété pittoresque et leurs singulières attributions.
Mais il est un chapitre du langage érotique, qui appartient essentiellement à l’histoire de la Prostitution; ce sont les dénominations populaires, sous lesquelles les femmes de mauvaise vie étaient désignées, à certaines époques et dans certaines circonstances; ce sont les sobriquets ignobles ou infâmes, qu’on donnait à leurs honteux assesseurs; ce sont les synonymes plus ou moins voilés, qu’on avait inventés pour caractériser les maisons de débauche sous leurs divers aspects. Nous avons déjà (chapitre VI, t. III, p. 367) expliqué étymologiquement les noms usuels des filles publiques, de leurs entremetteurs, de leurs amants et de leurs demeures, au treizième siècle. Mais cette nomenclature spéciale ne resta pas stationnaire, et elle ne fit que s’accroître depuis, en recevant le tribut de l’imaginative impure des poëtes et des conteurs. Voilà comment, au seizième siècle, la langue française s’était toute surchargée de ces excroissances érotiques, qui ressemblaient à des verrues produites par le mal de Naples.
Il suffira de citer ici la longue énumération dont l’abbé de l’Aulnaye a fait suivre, dans son glossaire, le mot filles publiques. Nous reprendrons ensuite quelques-uns des noms bizarres, qu’il a glanés dans les livres, pour les interpréter et pour en chercher le vrai sens: «Accrocheuses, alicaires, ambubayes, bagasses, balances de boucher qui pèsent toutes sortes de viandes, barathres, bassara, bezoches, blanchisseuses de tuyaux de pipe, bonsoirs, bourbeteuses, braydonnes, caignardières, cailles, cambrouses, cantonnières, champisses, cloistrières, cocquatris, coignées, courieuses, courtisanes, demoiselles du marais, drouines, drues, ensoignantes, esquoceresses, femmes de court talon, femmes folles de leur corps, folles d’amour, filles de joie, filles de jubilation, fillettes de pis, folles femmes, folieuses, galloises, jannetons, gast, gaultières, gaupes, gondines, godinettes, gouges, gouines, gourgandines, grues, harrebanes, hollières, hores, hourieuses, hourrières, lesbines, lescheresses, lévriers d’amour, linottes coeffées, loudières, louves, lyces, mandrounos, manefles, maranes, maraudes, martingales, maximas, mochés, musequines, pannanesses, pautonnières, femmes de péché, pèlerines de Vénus, pellices, personnières, posoères, postiqueuses, présentières, prêtresses de Vénus, rafaitières, femmes de mal recepte, redresseuses, revéleuses, ribauldes, ricaldes, rigobetes, roussecaignes, sacs de nuit, saffrettes, sourdites, scaldrines, tendrières de bouche et de reins, tireuses de vinaigre, toupies, touses, trottières, viagères, femmes de vie, villotières, voyagères, wauves, usagères, etc.»
Parmi ces noms, qui n’avaient pas tous passé de la langue écrite dans la langue parlée, et réciproquement, on en remarque plusieurs empruntés à l’antiquité grecque et latine, et, par conséquent, purement littéraires: alicaires, alicariæ; ambubayes, ambubaiæ; bassara, βασσαρα; lesbines, pour lesbiennes; maximas, maximæ; mochés, mœchæ; pellices, pellices; barathres, barathra. Un petit nombre de noms sont imités de l’italien, de l’espagnol, du bas-breton, du provençal et du languedocien: bagasses, bagasse; scaldrines, sgualdrine; ricaldes, ricalde; gast, mandrounos et manefles. Il y a des noms, qui, par mépris ou par plaisanterie, rappellent les analogies morales ou physiques que les prostituées pouvaient avoir avec divers animaux: cailles, coquatris (crocodiles), levriers d’amour, linottes coeffées, louves, lyces (chiennes de chasse), rousse-caignes (chiennes rousses, en languedocien), wauves (loups-garous).
Certains noms font allusion à la vie errante et vagabonde de ces malheureuses: bourbeteuses, qui barbotent dans la boue; champisses, qui vivent dans les champs; cantonnières, qui sont cantonnées au coin des rues; gaultières, qui fréquentent les buissons (de gault, bois taillis); hollières, qu’on voit souvent changer de lieu (de holler, courir); postiqueuses, qui courent la poste; maraudes, qui vont çà et là; toupies, qui tournent à droite et à gauche; trottières, qui trottent jour et nuit; viagères, qui sont toujours sur les chemins; voyagères, qui voyagent.
Plusieurs noms se rapportent à des particularités indécentes du métier des filles publiques: bezoches (pioches); drues; hourrières (piocheuses, qui travaillent à la vigne avec la hourre); coignées; escoqueresses (écosseuses); martingales (qui doublent les enjeux); hores (qui se payent à l’heure); pautonnières (batelières ou passeuses); posoères (qui posent); presentières (qui présentent); rafaitières (qui rajustent); redresseuses; reveleuses ou plutôt releveuses; touses (qui tondent); etc. La joyeuse vie, que mènent ordinairement les prostituées avec leurs amants, se trouve indiquée dans une foule de noms qui équivalent à filles de joie: galloises (de galle, gaieté); goudines ou gaudines (de gaudere, se réjouir); gouines (de goyr, jouir); rigobetes (de rigober, faire la vie), etc. Les différentes espèces de femmes publiques, sont spécifiées par des noms différents: accrocheuses, celles qui raccrochent les passants; bonsoirs, celles qui les attirent, en leur disant bonsoir; braydonnes, celles qui leur tendent des gluaux ou brays; cloistrières, celles qui ne sortent pas du clapier; caignardières, celles qui hantent la compagnie des gueux; courieuses et courtisanes, celles qui demeurent dans les Cours d’amour; demoiselles du marais, celles qui ont toujours les pieds dans la boue; drouines, celles qui portent avec elles tout leur outillage, comme les drouineurs ou chaudronniers ambulants; ensoignantes, celles qui soignent leurs clients; grues, celles qui attendent au coin des rues; lescheresses, celles qui ont l’abominable industrie des fellatrices romaines; loudières, celles qui n’ont pour tout bien qu’un misérable grabat; maranes, celles qui, par la couleur de leur teint bistrée et par leurs cheveux crépus, accusent leur origine bohémienne ou moresque; musequines, celles qui se fardent et qui se parent; pannanesses, celles qui ne sont vêtues que de panne ou de bure; sourdites, celles qui sont tombées dans le vice par suite d’une séduction; saffrettes, celles qui portent ceinture dorée et broderies d’or ou d’argent, qu’on appelait saffre; villotières, celles qui connaissent les tas de foin, qu’on appelait villotes.
Les périphrases, qui procèdent la plupart de quelque locution proverbiale, disent bien ce qu’elles veulent dire et n’ont pas besoin de commentaire, lors même qu’elles renferment un jeu de mots licencieux, comme femmes de vie et fillettes de pis. Certains noms sont tirés de la langue du droit coutumier, comme personnières, qui participent à l’action, complices; usagères, terres vagues appartenant à la commune, etc. D’autres noms étaient devenus génériques, à cause de la qualité ordinaire des femmes qui les prenaient ou qui les recevaient, bien que ces noms-là fussent des noms de saintes, déguisés et corrompus, comme Janneton diminutif de Jeanne, et Margot diminutif de Marguerite. Enfin plusieurs noms, comme cambrouses, harrebanes, etc., qui n’ont pas encore été expliqués, demanderaient une longue enquête étymologique que nous n’entreprendrons pas ici.
L’abbé de l’Aulnaye, dans sa nomenclature des synonymes employés au seizième siècle pour qualifier les prostituées, a fait de nombreuses omissions, entre lesquelles nous signalerons seulement les suivantes: gaures, dont le sens est assez obscur; gorres, truies; friquenelles, de frisque, galant; images, c’est-à-dire peintes et fardées; poupines et poupinettes, semblables à des poupées; bringues, par onomatopée, frétillantes; bagues, au figuré; sucrées, paillasses et paillardes, qui couchent sur la paille; brimballeuses, qui sonnent la cloche; seraines ou sirènes; chouettes, oiseaux de nuit; capres ou chèvres, à cause de leur lubricité; ancelles ou servantes; guallefretières, c’est-à-dire radoubeuses de vaisseaux; peaultres, d’où l’on a fait peaulx, filles à matelots; gallières, qui aiment la joie ou galle; consœurs ou sœurs d’alliance; bas-culz, etc. Le Dictionnaire comique de Leroux, que nous n’avons pas mis à contribution, ajouterait peut-être une vingtaine de noms bas et grossiers, que les auteurs du seizième siècle ont ramassés dans la fange de la Prostitution, et que Beroalde de Verville a enchâssés comme des diamants dans les ornements du Moyen de parvenir. Quant aux périphrases inventées pour exprimer le même objet sous toutes ses faces, elles sont innombrables et frappées, en général, au bon coin de l’esprit français. Nous n’essayerons pas d’en joindre une seule à celles que l’abbé de l’Aulnaye a pris soin de recueillir, comme pour donner une idée de toutes les autres qui pourraient être glanées après lui.
Une de ces périphrases, femmes au court talon, ne serait pas compréhensible par le simple rapprochement d’un proverbe qui a été formulé ainsi en deux rimes:
C’est d’avoir le talon court.
Un passage du cinquième livre de Rabelais nous fait connaître ce que c’était que d’avoir le talon court. En parlant du rajeunissement que la reine de la Quinte opérait sur les vieilles femmes, Rabelais observe qu’après avoir été rajeunies, «elles avoyent les talons trop plus courts que devant, ce qui estoit cause, que, à toutes rencontres d’hommes, elles estoyent moult subjectes et faciles à tomber à la renverse.»
Malgré cette multitude de surnoms de toute sorte qui s’appliquaient aux femmes de mauvaise vie, leur nom, par excellence, était toujours putain, qui ne fut banni entièrement du langage et du style honnêtes, qu’à la fin du règne de Louis XIV, car on le trouve encore dans les comédies de Molière. Aux quinzième et seizième siècles, il osait se montrer partout, dans les plaidoyers des avocats, dans les sermons des prédicateurs, dans les livres de morale, de jurisprudence et d’histoire, dans les ouvrages de poésie et de littérature. On le rencontre même dans des livres écrits par des femmes. L’abbé de l’Aulnaye a cité quatre proverbes, dans lesquels la sagesse des nations s’adresse à la putain, et lui dit son fait avec une candide grossièreté:
Plus se lave, plus noire est-elle.
Petite pratique est en ville.
Ny grasse geline chapon.
Deux autres proverbes relatifs aux femmes folles prouvent que le bon sens populaire attachait souvent un dicton moral à des mots qui rappelaient une pensée malhonnête, afin de mettre, pour ainsi dire, le remède à côté du mal.
Femme molle à la fesse.
Si, dans cette abondante nomenclature, le nom de catin ne figure pas, c’est qu’il n’a été introduit dans la langue érotique qu’à une époque très-rapprochée de nous. On avait dit longtemps catin comme diminutif de Catherine, nom très-usité parmi les filles du peuple; ce nom était devenu synonyme de poupée, parce que les enfants appelaient ainsi leurs poupées; de là, le nom passa tout naturellement aux filles débauchées, qui ne se marient pas et restent filles toute leur vie, ce qu’on appelle proverbialement coiffer sainte Catherine. De catin on a fait cataut, et le changement de terminaison n’a pas réhabilité ce diminutif.
Le lieu infâme où la Prostitution à son siége, le bordel, qui s’est glissé jusque dans les satires de Boileau et les contes de Voltaire, ne paraît pas avoir inspiré la verve des faiseurs de synonymes. L’abbé de l’Aulnaye n’en rapporte que cinq ou six, qui n’avaient pas même cours dans la langue usuelle et qui étaient réservés pour la langue écrite. Il cite l’eschevinage, qui paraît renfermer un sale jeu de mots; la curatrie, qui éveille l’idée d’une cure ou prébende; le clapoire, qui dérive de clapier; le putefy, qui annonce le fief des putes; le peaultre, qui s’entend d’une mauvaise barque de passeur; le paillère, qui nous apprend que ces endroits-là n’avaient pas d’autres lits que des tas de paille et de foin, etc. Mais le mot bordel fut toujours conservé, de préférence, quoique la situation et le régime du lieu eussent complétement changé, par suite des ordonnances de la Prostitution légale. Les bordes, qui avaient été les premiers repaires de la débauche publique, n’existaient plus nulle part, excepté dans quelques villes de province, à l’époque où les femmes de vie dissolue avaient le droit de tenir bordel dans certaines rues diffamées où elles payaient patente et vivaient de leur métier sous la tutelle de la police municipale.
Les amants, les compagnons, les souteneurs de ces femmes perdues, tous ces honteux parasites de la Prostitution étaient toujours flétris du nom générique de maquereaux, mais ils avaient pris eux-mêmes d’autres surnoms qui sonnaient mieux à leurs propres oreilles. Ils s’appelaient et on les appelait quelquefois: goulliards et gouliafres, parce qu’ils dévoraient le produit du commerce impudique de leurs tristes compagnes; chalands, parce qu’ils étaient les habitués de la maison; paillards, parce qu’ils brisaient la paille du lit; holliers, houliers, houlleurs, parce qu’ils couraient le pays avec leurs coureuses; lescheors et lescheurs, parce qu’ils s’engraissaient aux dépens de la lèchefrite du logis; maquignons et courratiers, ou courtiers, parce qu’ils aidaient au trafic déshonnête de leurs mignonnes; francs-gontiers, gastouers, étalons, casse-museaux, calinaires ou calins, lesbins et lapins, etc. Les hommes méprisables, qui se consacraient ainsi au plus hideux concubinage et qui en tiraient leurs seuls revenus, étaient les dépositaires, sinon les inventeurs, de l’argot de la Prostitution, et, dans les tavernes où ils passaient la journée à boire, à jouer, à blasphémer et à dormir, ils ne manquaient pas de révéler la dépravation de leurs mœurs par celle de leur langage.
Quant aux femmes déshonorées qui se mêlaient des trafics secrets de la Prostitution, elles étaient signalées au mépris et à la haine des honnêtes gens par le nom générique de maquerelles. Ce nom qualificatif répondait à toutes les conditions de leur abominable négoce, et il était admis indifféremment dans le style le plus relevé comme dans le plus bas langage. Les poëtes de cour du seizième siècle ne craignent pas de l’employer, à l’exemple des jurisconsultes et des légistes. Il semble que ce nom, qui n’a pas été exclu de la bonne langue avant le dix-septième siècle, suffisait autrefois à tous les besoins de la chose. Les personnes qui répugnaient à s’en servir, disaient courtière ou courratière; les mots entremetteuse et appareilleuses ne sont venus que plus tard, et ils sentent déjà le style académique. On avait recours aussi à des périphrases qui témoignent de l’intention de ménager la susceptibilité de ces dames: ambassadrices d’amour, conciliatrices des volontés, marchandes de chair fraîche, sentinelles d’amour, etc. Celles qui exerçaient ce lucratif et odieux métier, et qui avaient une si grande place dans les mœurs de nos ancêtres, ne trouvaient partout que malédictions et outrages; le libertin même, qui les employait au service de ses plaisirs, ne se faisait point illusion sur leur infamie: ce n’étaient pas des femmes, heureusement, qui traitaient «les affaires de maquerelage,» c’étaient des vieilles.
Le portrait d’une vieille de cette espèce a été composé en vers par un poëte du seizième siècle; c’est un morceau très-remarquable, qui fut attribué à François Rabelais, dans la première édition complète de ses œuvres (Lyon, Jean Martin, 1558), et qui avait paru dès 1551 dans un recueil de poésies de François Habert. Cet Habert était un ami de Rabelais, et l’on peut supposer qu’il avait voulu sauver de l’oubli les Épîtres à deux vieilles de différentes mœurs, que Rabelais, alors curé de Meudon, ne pouvait ni ne voulait publier sous son nom. Voici ce qui se rapporte à notre sujet dans le blason poétique de la mauvaise vieille, que nous retrouverons trait pour trait chez la Sibylle de Panzoust, qui figure parmi les personnages allégoriques du Pantagruel:
Vieille sans grace, aux vertus rigoureuse,
Vieille en qui gist trahison et querelle,
Vieille truande, inique maquerelle,
Vieille qui rendz les pucelles d’honneur,
Femmes aussy, en crime et déshonneur:
Vieille qui n’eus oncq charité aulcune,
Vieille tousjours pleine d’ire et rancune,
Vieille de qui l’infâme et layde peau
En puanteur passe un sale drapeau:
Vieille laquelle on ne veid oncq bien dire
D’homme vivant, mais tousjours en médire:
Vieille qui n’as oncq beu vin meslé d’eau,
Vieille qui fays de ton lict un bordeau;
Vieille qui as la tetasse propice
Pour en enfer d’un diable estre nourrice:
Vieille qui as l’art magique exercé
Plus qu’oncq ne feist et Médée et Circé...
Vieille meschante, exécrable et infecte,
Qui de ta voix les éléments infecte:
Ne crains-tu point, vieille, que de tes faictz
Qui devant Dieu sont sales et infaictz,
Tu soys un jour amèrement punie?
Penses-tu bien demourer impunie,
Vieille mauldicte, ayant tant de pucelles
Mises au train de folles estincelles,
Ayant vendu contre droict et raison
Femmes d’honneur et de bonne maison!
Les couleurs énergiques de ce blason d’une vieille, que l’auteur ne nomme pas, ont certainement servi depuis à Mathurin Regnier, dans le portrait de sa Macette, qui est le prototype des regrattières de la Prostitution du temps de Henri IV.
CHAPITRE XXV.
Sommaire.—La Prostitution légale comparée, par un moraliste, aux «parties secrètes du corps social.»—Derniers vestiges et transformations de la Prostitution religieuse.—Le manichéisme, la vauderie et la sorcellerie.—Métamorphose diabolique de la Prostitution hospitalière.—Les incubes et les succubes remplacent les dieux lares et les demi-dieux agrestes.—Les Dusiens ou Druses des Gaulois.—Saint Augustin affirme et saint Jean Chrysostome nie.—Rêveries des rabbins juifs, adoptées par les docteurs de l’Église.—Adam et ses diablesses.—Multiplication surnaturelle des premiers hommes.—Variétés du cauchemar.—Opinion de Guibert de Nogent.—Sentiment du père Costadau.—Étymologie d’incube et de succube.—Le préfet Mummolus.—Les succubes de l’évêque Éparchius.—L’incube de la mère de Guibert de Nogent.—Le bâton et l’exorcisme de saint Bernard.—Décision du pape Innocent VIII.—La vie ascétique prédisposait aux attentats des éphialtes.—Doctrine des casuistes sur les songes impurs.—Armelle Nicolas.—Angèle de Foligno.—Correspondance de sœur Gertrude avec Satan.—Le démon et les vierges.—Jeanne Herviller, de Verberie.—Les incubes chauds et les incubes froids.—Aveux de leurs victimes.—Puanteur du diable.—Enfants nés du démon.—Distinction entre l’incubisme et la sorcellerie.—Agrippa et Wier.—Les incubes et les succubes discutés en pleine Académie, au dix-septième siècle.—Leurs faits et gestes expliqués par la science et la raison.
La Prostitution légale semblait avoir acquis tout son développement régulier et nécessaire: elle possédait son code, ses usages, ses coutumes, ses priviléges, ses suppôts et même sa langue. Elle vivait presque en bon accord, s’il est permis de parler ainsi, avec l’autorité ecclésiastique et civile; elle régnait, pour ainsi dire, dans certaines rues, à certaines heures, moyennant certaines conditions de police urbaine; elle faisait partie intégrante de l’organisation du corps social, et elle en formait, suivant l’expression bizarre d’un vieil auteur, «les parties secrètes, que la pudeur conseille de cacher, mais qu’on ne retrancheroit pas sans tuer les bonnes mœurs, qui sont comme le chef et le cœur d’une nation décente.» Cependant, à côté de cette Prostitution légale, avouée ou tolérée par le pouvoir politique, on retrouvait encore les traces, bien effacées, bien dégénérées, sans doute, de la Prostitution hospitalière et de la Prostitution religieuse, ces deux antiques compagnes du paganisme chez les peuples primitifs.
La Prostitution religieuse proprement dite persistait obscurément dans le culte traditionnel de quelques saints, auxquels la superstition populaire conservait les attributions obscènes de Pan, de Priape et des dieux lares; mais ce n’étaient que de rares exceptions attachées à des pèlerinages mystérieux, à des chapelles étranges qui restaient païennes sous des noms chrétiens. Ces impudiques réminiscences de l’idolâtrie étaient comme enfouies au fond des campagnes, et aucun scandale n’en rejaillissait sur le glorieux manteau de l’Église catholique et romaine. La Prostitution religieuse avait pris ailleurs des allures plus effrontées, à l’aide des hérésies monstrueuses qui ne cessaient de se reproduire dans le sein même de la religion de Jésus-Christ, en ranimant sans cesse les germes épars du manichéisme. Le manichéisme avait engendré l’hérésie des Vaudois, et la vauderie, quoique extirpée par le fer et par le feu, poussait çà et là des rejetons rabougris, qui ne portaient que des fruits impurs et qui tombaient bientôt dans les flammes du bûcher. Il ne sera pas sans intérêt de rechercher, dans les cendres éteintes de ces hérésies manichéennes et vaudoises, le principe vivace de la Prostitution religieuse.
Cette Prostitution s’était aussi perpétuée et enracinée dans une autre espèce d’hérésie, qui, sortie de la même source, avait pris un caractère tout différent de celui du manichéisme, et semblait s’être développée vers un but tout opposé. La sorcellerie, en instituant le culte des démons, n’avait pas manqué de s’emparer de la Prostitution, comme d’un puissant moyen d’action matérielle sur ses exécrables adeptes. Une dépravation inouïe avait imaginé cette Prostitution infernale, qui servait de lien invisible entre les sorciers de tous les âges et de tous les pays, et qui était l’âme de leurs infâmes assemblées.
Quant à la Prostitution hospitalière, cette sœur naïve et crédule de la Prostitution sacrée, elle se montrait encore de loin en loin dans le sanctuaire de la vie domestique: l’imagination déréglée et surexcitée en faisait, d’ordinaire, tous les frais. C’était encore un reflet des croyances et des mystères du paganisme. Le commerce charnel des esprits avec les hommes et les femmes passait alors pour un fait incontestable; et ce commerce maudit, que l’Église a compté longtemps parmi les plus graves symptômes de la possession diabolique, ouvrait la porte à des libertinages secrets. L’impudique superstition des incubes et des succubes avait son origine dans les habitudes de la Prostitution hospitalière, et les chrétiens des deux sexes se persuadaient avoir des rapports lubriques avec les démons et les anges qui participaient également de l’un et l’autre sexe, de même que les païens cohabitaient avec leurs dieux lares, ou bien quelquefois entraient en communication directe avec les faunes, les satyres, les nymphes, les naïades et les demi-dieux agrestes.
Nous avons donc à examiner ce qu’était la Prostitution, au moyen âge, sous trois faces distinctes: dans l’hérésie, dans la sorcellerie, dans la superstition des incubes et succubes.
Ces démons, que les Gaulois nommaient dusiens ou druses (drusii), exerçaient déjà leurs violences et leurs séductions nocturnes à l’époque où saint Augustin reconnaissait leur existence et leurs attentats (voy. p. 249 du t. III de cette Histoire), en déclarant que c’eût été de l’impudence que de nier un fait si bien établi: Ut hoc negare impudentiæ videatur. Plusieurs Pères de l’Église cependant, entre autres saint Jean Chrysostome (Homélie 22 sur la Genèse), s’étaient inscrits en faux contre les actes de luxure qu’on prêtait aux démons incubes et succubes. Mais la religion hébraïque donnait à ces démons une origine contemporaine des premiers hommes, et l’Église chrétienne adopta l’opinion des rabbins dans l’interprétation du fameux chapitre de la Genèse où l’on voit les fils de Dieu prendre pour femmes les filles des hommes et procréer une race de géants. Les docteurs et les conciles, néanmoins, n’allèrent pas aussi loin que les interprètes juifs qui racontaient la légende des démons, comme si la chose s’était passée sous leurs yeux; aussi, selon ces vénérables personnages, «pendant cent trente ans qu’Adam s’abstint du commerce de sa femme, il vint des diablesses vers lui, qui en devinrent grosses, et qui accouchèrent de diables, d’esprits, de spectres nocturnes et de fantômes.» (Le Monde enchanté, par Balthazar Bekker; Amsterdam, 1694, 4 vol. in-12. Voy. t. I, p. 162.) Ces rabbins et les démonologues, une fois engagés dans cette généalogie des démons de la nuit, ne s’arrêtèrent pas en si beau chemin: ils découvrirent que, si notre père Adam avait eu affaire à un succube, Ève s’était mise en relation charnelle avec un incube, qui aurait ainsi travaillé perfidement à la multiplication du genre humain!
Quoi qu’il en soit de ces légendes du monde antédiluvien, l’existence des incubes et des succubes n’était contestée par personne, et on leur attribuait tous les fâcheux effets du cauchemar; car ces hôtes incommodes, qui visitaient les garçons et les filles pendant leur sommeil, n’en voulaient pas toujours à leur chasteté: ils venaient souvent s’asseoir auprès d’eux, en leur soufflant à l’oreille mille rêves insensés; ou bien ils pesaient sur la poitrine du dormeur, qui se sentait étouffer, et qui s’éveillait enfin, plein d’épouvante, tremblant, et glacé de sueurs froides, au milieu des ténèbres. Mais, plus ordinairement, ce démon, tantôt mâle et tantôt femelle, quelquefois pourvu alternativement ou simultanément des deux sexes, s’acharnait sur la victime qu’il avait choisie et qu’un sommeil de plomb lui livrait sans défense. Fille ou garçon, le complice involontaire des plaisirs de l’esprit malin y perdait sa virginité et son innocence, sans connaître jamais l’être invisible dont il ne sentait que les hideuses caresses. A son réveil, toutefois, il ne pouvait douter de l’impure oppression qu’il avait subie, lorsqu’il en constatait avec horreur les irrécusables témoignages qui souillaient sa couche.
Telle était l’opinion générale non-seulement du peuple, mais encore des hommes les plus éclairés et les plus éminents. «Partout, dit le pieux Guibert, de Nogent, dans les mémoires de sa vie (De vita sua, lib. I, c. 13), on cite mille exemples de démons qui se font aimer des femmes et s’introduisent dans leur lit. Si la décence nous le permettait, nous raconterions beaucoup de ces amours de démons, dont quelques-uns sont vraiment atroces dans le choix des tourments qu’ils font souffrir à ces pauvres créatures, tandis que d’autres se contentent d’assouvir leur lubricité.» Ces démons, en effet, étaient bien différents d’humeur et de caprice: les uns aimaient comme de véritables amants, auxquels ils s’appliquaient à ressembler de tout point; les autres, moins novices peut-être ou plus pervers du moins, se portaient à d’incroyables excès de libertinage; la plupart ne se distinguaient pas du commun des hommes dans les résultats de la passion; mais quelques-uns justifiaient de leur nature supérieure, par des prodiges d’incontinence et de luxure.
La conduite des victimes envers ces oppresseurs ou éphialtes (ἐφιάλτης) nocturnes était également bien différente: celles-ci s’accoutumaient bientôt à l’approche du démon familier et vivaient en bon accord avec lui; celles-là éprouvaient dans ce commerce damnable autant d’aversion pour elles-mêmes que pour leur tyran; presque toutes, au reste, gardaient le silence sur ce qui se passait en ces unions sacriléges, que l’Église frappait d’anathème en détournant les yeux. «Il ne resteroit plus qu’à montrer, disait le révérend père Costadau en plein dix-septième siècle, comment les démons peuvent avoir ce commerce charnel avec des hommes et avec des femmes; mais la matière est trop obscène pour l’exprimer en notre langage.» (Traité histor. et crit. des principaux signes qui servent à manifester les pensées ou le commerce des esprits; Lyon, Bruyset, 1720, t. V, p. 137.) Voilà pourquoi on était plus à l’aise en parlant latin sur le fait des incubes et des succubes.
Les écrits des théologiens, des philosophes, des médecins et des démonologues du moyen âge, sont remplis d’observations circonstanciées au sujet des incubes et des succubes, qui trouvaient bien peu d’incrédules, avant que la science eût expliqué naturellement tous leurs méfaits. Le christianisme avait accepté, pour le compte du diable et de ses suppôts, les actes détestables de violence et de séduction, que le paganisme, depuis la plus haute antiquité, attribuait à ses dieux subalternes et aux démons de la nuit. C’étaient, de la part des uns et des autres, les mêmes œuvres de Prostitution fantastiques; mais les esprits invisibles qui s’en rendaient coupables n’étaient pas détestés par les païens, comme ils le furent par les chrétiens, à qui l’Église recommandait de se défendre sans cesse contre les piéges de l’enfer. Cependant, si l’opinion commune ne mettait pas en doute les horribles attentats que ces méchants esprits exerçaient contre l’espèce humaine pendant son sommeil, la philosophie avait nié hautement ces attentats, dès qu’elle s’était livrée à l’examen du fait et dès qu’elle eut constaté les phénomènes du cauchemar.
On appelait incube, incubus, le démon qui prenait la figure d’un homme pour avoir commerce avec une femme endormie ou éveillée. Ce nom dérive du verbe latin incubare, qui signifie être couché sur quelqu’un. Les Grecs nommaient l’incube ἐφιάλτης, démon sauteur ou insulteur (insultor), qui se rue sur quelqu’un. Dans un vieux glossaire manuscrit, cité par Ducange, le mot incuba ou surgeseur est accompagné de cette définition: «Incubi vel incubones, une manière de diables qui solent gesir aux femes.» Ducange emprunte encore, aux Gloses (Glossæ) manuscrites pour l’intelligence des ouvrages médicaux d’Alexandre de Tralles, un passage qui prouve que les savants confondaient autrefois, sous la dénomination d’incube, le démon du cauchemar et la souffrance qu’il causait au dormeur: «Incubus, est passio in quâ dormientes suffocari et à dæmonibus opprimi videntur.» L’étymologie de succube, en latin succubus, ne diffère de celle d’incube, que par la différence du rôle que jouait le démon changé en femme. Nous croyons qu’on a dû dire succubare pour cubare sub, être couché sous quelqu’un. Toutefois Ducange n’a point admis ce mot-là et son dérivé dans son Glossaire, où les écrivains de la basse latinité auraient pu amplement combler cette lacune.
Les succubes, il est vrai, sont plus rares que les incubes, dans les relations du moyen âge; mais ces derniers, en dépit des exorcismes et de la pénalité ecclésiastique, ne laissaient pas reposer les femmes et les filles de nos aïeux. Après avoir fait des miracles dans la légende des saints, ils viennent étaler leurs infamies en pleine histoire. Grégoire de Tours nous raconte la mort du préfet Mummolus (liv. VI), qui envoyait des démons obscènes aux dames gauloises qu’il voulait damner. Le même chroniqueur nous fait entendre que Satan lui-même ne dédaignait pas, dans l’occasion, de se donner ce passe-temps. Un saint évêque d’Auvergne, nommé Éparchius, s’éveille, une nuit, avec l’idée d’aller prier dans son église; il se lève, pour s’y rendre; il trouve la basilique, éclairée d’une lumière infernale et toute remplie de démons qui commettent des abominations en face de l’autel; il voit, assis dans sa chaire épiscopale, Satan, en habits de femme, présidant à ces mystères d’iniquité: «Infâme courtisane! lui crie-t-il, tu ne te contentes pas d’infecter tout de tes profanations; tu viens souiller le siége consacré à Dieu, en y posant ton corps dégoûtant. Retire-toi de la maison de Dieu!—Puisque tu me donnes le nom de courtisane, reprend le prince des démons, je te tendrai beaucoup d’embûches, en t’enflammant d’amour pour les femmes.» Satan s’évanouit en fumée, mais il tint parole, et fit éprouver à Éparchius toutes les tortures de la concupiscence charnelle. (Grég. de Tours, liv. II, ch. 21.)
Un historien aussi grave que Grégoire de Tours, Guibert de Nogent, racontait avec la même bonne foi, cinq siècles plus tard, les insultes que sa mère avait eues à subir de la part des incubes, que la beauté de cette sainte femme attirait sans cesse autour d’elle. Une nuit, pendant une douloureuse insomnie où elle baignait sa couche de ses larmes, «le démon, selon sa coutume d’assaillir les cœurs déchirés par la tristesse, vint tout à coup s’offrir à ses yeux, que ne fermait pas le sommeil, et l’oppressa presque jusqu’à la mort, d’un poids étouffant.» La pauvre femme ne pouvait plus ni remuer, ni se plaindre, ni respirer; mais elle implorait intérieurement le secours divin, qui ne lui manqua pas. Son bon ange se tenait justement au chevet de son lit; il s’écria d’une voix douce et suppliante: «Sainte Marie, aide-nous!» et il s’élança sur le démon incube, pour le forcer de quitter la place. Celui-ci se dressa sur ses pieds, et voulut résister à cette attaque inattendue; mais l’ange le renversa sur le plancher avec un tel fracas, que sa chute ébranla toute la maison. Les servantes se réveillèrent en sursaut et coururent au lit de leur maîtresse, qui, pâle, tremblante, à demi morte de peur, leur apprit le danger qu’elle avait affronté, et dont elle portait les marques. (Guibert, De vita sua, lib. I, cap. 13.)
Les bons anges n’étaient pas toujours là pour venir en aide à la faiblesse des femmes, et le diable avait alors l’avantage. Mais l’Église pouvait encore lui ravir sa proie, témoin l’exorcisme mémorable dont il est question dans la vie de saint Bernard, écrite peu de temps après sa mort. Une femme de Nantes avait commerce avec un démon qui la visitait toutes les nuits, lorsqu’elle était couchée avec son mari: celui-ci ne se réveillait jamais. Au bout de six ans de cette affreuse cohabitation, la pécheresse, qui ne s’en était jamais vantée, avoua tout à son confesseur et ensuite à son mari, qui eut horreur d’elle et la quitta. Le démon incube resta seul possesseur de sa victime. Cette malheureuse sut, de la bouche même de son abominable amant, que l’illustre saint Bernard devait venir à Nantes; elle attendit avec impatience l’arrivée du saint, et alla se jeter à ses pieds, en lui demandant de la délivrer de l’obsession diabolique. Saint Bernard lui ordonna de faire le signe de la croix, en se couchant, et de placer auprès d’elle, dans son lit, un bâton qu’il lui donna: «Si le démon vient, lui dit-il, ne le craignez plus; il aura beau faire, je le défie de vous approcher.» En effet, l’incube se présenta, comme à l’ordinaire, pour usurper les droits du mari; mais il trouva le bâton de saint Bernard, qui gardait le lit de cette femme. Il ne fit que se démener autour de ce lit, en la menaçant: une barrière insurmontable s’élevait entre eux. Le dimanche suivant, saint Bernard se rendit à la cathédrale avec les évêques de Nantes et de Chartres; une foule immense était accourue, pour recevoir sa bénédiction; il fit distribuer des cierges allumés à tous les assistants, et il leur raconta la déplorable histoire de la femme vouée aux plaisirs du diable; ensuite il exorcisa le mauvais esprit, et lui défendit, par l’autorité de Jésus-Christ, de tourmenter jamais cette femme ni aucune autre. Après l’exorcisme, il ordonna que tous les cierges fussent éteints à la fois, et la puissance du démon incube s’éteignit en même temps.
Si saint Bernard ne doutait pas de la réalité du commerce exécrable des succubes avec les femmes, on ne saurait se scandaliser de ce que saint Thomas d’Aquin se soit longuement occupé de ces audacieux démons, dans sa Summa theologiæ (quæstio LI, art. 3). L’autorité de ces deux grands saints était bien suffisante pour excuser les malheureuses qui croyaient servir, malgré elles, à cette étrange prostitution, et qui ne possédaient plus, en guise de talisman préservatif, le bâton de saint Bernard. Rien n’était plus fréquent que des révélations de ce genre, dans le tribunal de la confession, et le confesseur tirait de ses pénitentes la conviction du fait qu’il combattait, trop souvent inutilement, par des prières et des exorcismes. Le pape Innocent VIII ne se montrait donc pas plus superstitieux que ses contemporains, lorsqu’il reconnaissait en ces termes, dans une lettre apostolique, l’existence des incubes et des succubes: «Non sine ingenti molestiâ ad nostrum pervenit auditum complures utriusque sexus personas, propriæ salutis immemores et a fide catholica deviantes, dæmonibus incubis et succubis abuti.» Ce n’était pas seulement la confession religieuse qui avait dévoilé les mystères de l’incubisme et du succubisme; c’étaient surtout les aveux forcés ou volontaires, que l’inquisition arrachait aux accusés, dans les innombrables procès de sorcellerie, qui hérissèrent de potences et de bûchers tous les pays de l’Europe.
L’imagination avait toujours été seule coupable de toutes les œuvres nocturnes qu’on imputait au démon; mais, suivant la croyance des anciens, on était persuadé que les ténèbres appartenaient aux esprits infernaux, et que le sommeil des hommes se trouvait ainsi exposé à la malice de ces artisans du péché. On les accusa donc d’employer les songes à la tentation des pécheurs endormis. «Principalement, dit le savant Antonio de Torquemada, le diable tasche de faire cheoir le dormeur au péché de luxure, le faisant songer en plaisirs charnels, jusque-là qu’il l’empestre de pollutions, de manière que, nous plaisans en icelles, depuis que nous sommes resveillez, elles sont cause de nous faire pescher mortellement.» (Voy. l’Hexameron, traduit de l’espagnol par Gabriel Chappuys (Rouen, Romain de Beauvais, 1610, in-16.) Bayle, dans sa Réponse aux Questions d’un provincial, rapporte, à ce sujet, la doctrine des casuistes touchant les songes qu’on a mis longtemps sur le compte des incubes et des succubes: «Les plus relâchez conviennent qu’on est obligé de prier Dieu de nous délivrer des songes impurs; que si l’on a fait des choses pendant la veille que l’on sache propres à exciter les impuretez en dormant; que si l’on n’a point regret le lendemain de s’être plu à ces songes, et que si l’on se sert d’artifice pour les faire revenir, on pèche.» (Œuvres de Bayle, t. III, p. 563.)
On peut dire, en quelque sorte, que les incubes et les succubes sont nés dans les couvents d’hommes et de femmes, car la vie ascétique prédispose merveilleusement l’esprit et le corps à cette Prostitution involontaire qui se réalise en songe, et que le mysticisme regarde comme l’œuvre des démons nocturnes. «Les religieuses dévotes, dit Bayle, attribuent à la malice de Satan les mauvaises pensées qui leur viennent; et si elles remarquent une sorte d’opiniâtreté dans leurs sensations, elles s’imaginent qu’il les persécute de plus près, qu’il les obsède, et enfin qu’il s’empare de leur corps.» La biographie de plusieurs de ces saintes martyres de leurs propres sens nous fait connaître les épreuves qu’elles avaient à traverser, pour garder leur pureté et pour échapper aux violences ou aux séductions des mauvais anges. Une religieuse de Sainte-Ursule, de la communauté de Vannes, nommée Armelle Nicolas; «pauvre fille idiote, paysanne de naissance et servante de condition,» ainsi que la qualifie son historien, nous offre un des derniers exemples de l’empire que le diable pouvait exercer à la fois sur le moral et le physique de ces recluses ignorantes, crédules et passionnées. Cette Armelle, qui vécut à la fin du dix-septième siècle, avait commencé par s’exalter dans les ardeurs de l’amour divin, avant de se trouver aux prises avec les incubes: «Il lui sembloit, dit l’auteur anonyme de l’École du pur amour de Dieu, ouverte aux sçavants et aux ignorants (p. 34 de la nouvelle édit. Cologne, 1704, in-12), être toujours dans la compagnie des démons, qui la provoquoient incessamment à se donner et livrer à eux. Pendant cinq ou six mois que dura le fort du combat, il lui étoit comme impossible de dormir la nuit, à cause des spectres épouvantables dont les diables la travailloient, prenant diverses figures horribles de monstres.» C’était placer le remède à côté du mal; et la pauvre religieuse ne se sentait que plus forte pour résister à ces hideux tentateurs, qui, au lieu de prendre des masques plus agréables afin de réussir par la persuasion auprès d’elle, s’indignaient de ses refus et la maltraitaient cruellement.
Une autre mystique, Angèle de Foligno, dont Martin del Rio a décrit les tentations diaboliques, dans ses Disquisitiones magicæ (lib. II, sect. 24), avait aussi affaire à des démons grossiers qui la battaient sans pitié après lui avoir inspiré de mauvais désirs qu’ils ne parvenaient pas à utiliser au profit de leur damnable sensualité. Il n’y avait dans tout son corps aucune partie qui ne fût lésée par le fait des incubes, en sorte qu’elle ne pouvait ni bouger, ni se lever de son lit. «Non est in me membrum, disait-elle, quod non sit percussum, tortum et pœnatum a dæmonibus, et semper sum infirma, et semper stupefacta, et plena doloribus in omnibus membris meis.» Les incubes n’en venaient pourtant pas à leurs fins, quoiqu’ils ne cessassent ni jour ni nuit de la mettre à mal. Or, suivant les démonologues les mieux renseignés, un démon, qui se destinait au rôle d’incube, prenait la forme d’un petit homme noir et velu, mais conservait cependant quelque chose de la nature des géants, comme un glorieux attribut de son origine paternelle. On trouve, dans les interrogatoires d’un grand nombre de procès de sorcellerie, la preuve de ces énormités, qui n’existaient sans doute que dans l’imagination dépravée des patientes.
Ce commerce disparate avec un incube se régularisait quelquefois, et la malheureuse, qui le subissait contre son gré ou qui même s’y accoutumait par un accommodement de libertinage, restait ainsi au pouvoir du démon pendant des années entières. Elle finissait alors par supporter patiemment cette étrange servitude et par y prendre goût. On cite plus d’une possédée, qui avait de l’amour pour le diable et qui correspondait avec lui. Jean Wier raconte que, de son temps, une jeune religieuse, nommée Gertrude, âgée de quatorze ans, couchait toutes les nuits avec Satan en personne, et Satan s’était fait aimer d’elle à ce point qu’elle lui écrivait dans les termes les plus tendres et les plus passionnés. Dans une descente de justice qui fut faite à l’abbaye de Nazareth, près de Cologne, où cette religieuse avait introduit son galant infernal, on découvrit, le 25 mars 1565, dans sa cellule, une lettre d’amour, adressée à Satan, et cette lettre était remplie des affreux détails de leurs débauches nocturnes.
On n’était pas d’accord, au reste, sur la nature des goûts licencieux que l’on prêtait aux incubes, et la controverse démonologique se donnait amplement carrière à cet égard. Le célèbre de Lancre assure que les démons ne se compromettent pas avec les vierges; Bodin dit positivement le contraire; Martin del Rio assure que les démons ont horreur de la sodomie et de la bestialité; Priérias les regarde comme les premiers inventeurs de ces infâmes pratiques. Cette divergence d’opinions, sur le degré de perversité qu’on attribuait à l’esprit malin, prouve seulement plus ou moins de dépravation chez les casuistes qui s’occupaient de ces questions délicates. Nous devons les effleurer à regret dans ce chapitre, consacré, pour ainsi dire, à la Prostitution diabolique. Nous ne chercherons pas cependant à définir l’espèce d’impossibilité qui s’opposait au commerce du démon avec une vierge. De Lancre, dans son Tableau de l’inconstance des mauvais anges et démons (page 218), rapporte qu’une vieille fille lui avait dit «que le diable n’a guères accoustumé d’avoir accointance avec les vierges, parce qu’il ne pourroit commettre adultère avec elles: aussi, il attend qu’elles soient mariées.» C’était là, de la part du diable, un raffinement de malice; car il ne jugeait pas que ce fût un assez grand péché que de corrompre une vierge, il se réservait pour l’adultère. Cependant, dans d’autres endroits de son livre (pages 134, 224 et 225), de Lancre nous laisse entendre que le diable avait compassion de la faiblesse des pucelles plutôt que de leur innocence. «Si je ne craignais de salir votre imagination, dit l’abbé Bordelon dans la curieuse Histoire des Imaginations de M. Oufle, je vous rapporterais ici ce que les démonographes racontent des douleurs que souffrent les femmes, quand elles ont habitude avec les diables, et pourquoi elles souffrent ces douleurs.»
Il paraît démontré cependant, par les aveux d’une foule de sorcières et de possédées qui prétendaient avoir eu «copulation charnelle» avec le diable, dès l’âge de dix et douze ans, que le tentateur n’attendait pas toujours que ses victimes fussent en état de mariage, pour les approcher. Les démonographes, sans entrer dans des détails spéciaux à l’égard de la défloration des vierges par le fait des incubes, signalent beaucoup de ces infortunées qui ont connu le diable avant l’âge de puberté. Il faut remarquer, toutefois, que c’étaient, la plupart, des filles de sorcières, et qu’elles avaient été vouées au démon et à ses œuvres, en naissant. Jeanne Herviller, de Verberie, près de Compiègne, qui fut condamnée, comme l’avait été sa mère, à être brûlée vive, par arrêt du parlement de Paris, confessa que sa mère l’avait présentée au diable, «en forme d’un grand homme noir et vestu de noir, botté, esperonné, avec une espée au costé et un cheval noir à la porte.» Jeanne Herviller avait alors douze ans, et, depuis le jour de cette présentation, le diable «coucha charnellement avecques elle, en la mesme sorte et manière que font les hommes avecques les femmes, hormis que la semence estoit froide. Cela, dit-elle, continua tous les huit ou quinze jours, mesmes icelle estant couchée près de son mary, sans qu’il s’en apperceut.» C’est Bodin qui a consigné le fait dans sa Démonomanie.
Deux ou trois faits du même genre, recueillis aussi par Bodin, indiqueraient que certains incubes, plus experts ou plus dépravés que les autres, étaient jaloux des priviléges ordinaires du nouveau marié. En 1545, l’abbesse d’un monastère d’Espagne, Madeleine de la Croix, alla se jeter aux pieds du pape Paul III et lui demanda l’absolution, en avouant que, dès l’âge de douze ans, elle avait sacrifié son honneur à un malin esprit «en forme d’un More noir,» et qu’elle avait continué pendant trente ans ce commerce exécrable. «J’ay opinion, ajoute Bodin, qu’elle estoit dédiée à Satan par ses parens, dès le ventre de sa mère, car elle confessa que dès l’âge de six ans Satan luy apparut, qui est l’âge de connaissance aux filles, et la sollicita à douze, qui est l’âge de puberté aux filles.» Une autre demoiselle espagnole, qui avait été déflorée par le démon à l’âge de dix-huit ans, ne voulut pas se repentir de ce qu’elle avait fait, et fut brûlée en auto-da-fé.
On reconnaissait implicitement deux espèces d’incubes, les froids et les chauds. Antoine de Torquemada explique d’une façon singulière, d’après Psellus et Mérula, l’invasion de certains diables froids dans le corps de l’homme. «Combien que les diables soient ennemis des hommes, dit-il dans son Hexameron, ils n’entrent pas tant en leur corps avec une volonté de leur faire mal, que pour le désir d’une chaleur vivifiante; car ces diables sont de ceux qui habitent en lieux très-profonds et froids, où le froid est tant pur, qu’il est exempt d’humidité, et pour cette cause, ils désirent les lieux chauds et humides.» Quoi qu’il en soit, lorsqu’un diable avait pénétré dans un corps humain ou qu’il se tenait seulement aux alentours, il révélait sa présence par l’incroyable chaleur qu’il causait à toutes les parties qui pouvaient être en contact avec lui. Ainsi, sainte Angèle de Foligno, qui avait à se garantir sans cesse des sollicitations du diable, ressentait, à son approche, un tel feu dans les organes de la génération, qu’elle était forcée d’y appliquer un fer brûlant, pour éteindre l’incendie qui s’y développait sous l’influence de la lubricité infernale. Voici comment elle racontait la chose: Nam in locis verecundis est tantum ignis, quod consuevi apponere ignem materialem ad exstinguendum ignem concupiscentiæ. (Voy. Disquis. magicæ de Martin del Rio, lib. II, sect. 24.)
Malgré l’embrasement interne ou externe que les incubes chauds apportaient avec eux dans la cohabitation nocturne, leur principe algide se faisait toujours sentir d’une manière ou d’autre dans l’acte même de leur honteuse obsession. Bodin, après avoir mentionné le sentiment de froid et d’horreur qu’éprouvaient, au milieu de leurs hideux transports, les possédés du démon, constate que «telles copulations ne sont pas illusions ni maladies,» et affirme qu’elles ne diffèrent pas des rapports sexuels ordinaires, «hormis que la semence est froide.» Il donne un extrait des interrogatoires que subirent, en présence de maître Adrien de Fer, lieutenant général de Laon, les sorcières de Longni, qui furent condamnées au feu pour avoir eu commerce avec les incubes. Marguerite Brémont, femme de Noël de Lavaret, avoua qu’elle avait été conduite, un soir, par sa propre mère, dans un pré où se tenait une assemblée de sorcières: «Se trouvèrent en ce lieu six diables qui estoient en forme humaine, mais fort hideux à voir, etc. Après la danse finie, les diables se couchèrent avecques elles et eurent leur compagnie; et l’un d’eux, qui l’avoit menée danser, la print et la baisa par deux fois et habita avecques elle l’espace de plus de demie heure, mais délaissa aller sa semence bien froide. Jeanne Guillemin se rapporte au dire de celle-cy, et dit qu’ils furent bien demie heure ensemble, et qu’il lâcha de la semence bien fort froide.» (Voy. la Démonomanie des sorciers, liv. II, ch. 7.)
Jean Bodin remarque une circonstance tout à fait analogue dans le procès de la sorcière de Bièvre, qui fut instruit et jugé en 1556, dans la justice du seigneur de la Boue, bailli de Vermandois. Cette sorcière «confessa que Satan (qu’elle appelait son compagnon) avoit sa compagnie ordinairement, et qu’elle sentoit sa semence froide.»
Les historiens de la sorcellerie et les jurisconsultes ne se bornaient pas à enregistrer cette étrange particularité, ils en recherchaient la cause, et ils imaginaient l’avoir devinée, en s’appuyant de l’autorité de saint Thomas d’Aquin. «Les uns, dit le naïf et féroce Bodin, tiennent que les démons hyphialtes ou succubes reçoivent la semence des hommes et s’en servent avec les femmes en démons éphialtes ou incubes, comme dit Thomas d’Aquin, chose qui semble incroyable.» Bodin, qui ne s’étonne de rien dans les plus sinistres arcanes de la démonomanie, trouve l’explication de ce phénomène diabolique dans un verset de la Bible, devant lequel les commentateurs sont restés muets et confondus: «Et peut-estre que le passage de la Loi de Dieu qui dit: Maudit soit celuy qui donnera de sa semence à Moloch, se peut entendre de ceux-cy.» (Voy. p. 87 du t. Ier de cette Histoire.)
Ce n’était pas là, d’ailleurs, le seul caractère distinctif de la possession des démons: l’odeur infecte que le diable exhalait de tous ses membres (de là l’origine d’une locution proverbiale encore usitée: puer comme le diable) se communiquait presque immédiatement aux hommes et aux femmes qu’il visitait. Ceux-ci devenaient puants à leur tour, et on les reconnaissait surtout à l’infection de leur haleine. Bodin dit, d’après Cardan, «que les espritz malings sont puants, et le lieu puant, où ils fréquentent, et croy que de là vient que les anciens ont appelé les sorcières fœtentes et les Gascons fetilleres, pour la puanteur d’icelles, qui vient, comme je croy, de la copulation des diables.» Tous les démonographes conviennent de cette horrible puanteur, qui signalait d’ordinaire le passage du diable, et qui sortait de la bouche des possédés: «On peut juger, dit-il, que les femmes, qui de leur naturel ont l’haleine douce beaucoup plus que les hommes, par l’accointance de Satan en deviennent hideuses, mornes, laides et puantes outre leur naturel.»
Ce n’est pas tout: le commerce abominable des incubes produisait quelquefois des fruits monstrueux, et le démon se complaisait à introduire ainsi sa progéniture dans la race humaine. On expliquait de la sorte toutes les aberrations de la nature dans les œuvres de la génération. Les monstres avaient alors leur raison d’être. «Spranger écrit que les Alemans (qui ont plus d’expérience des sorciers, pour en avoir eu de toute ancienneté et en plus grand nombre qu’ès autres pays) tiennent que, de telle copulation, il en vient quelquefois des enfants qu’ils appellent Wechsel-Kind ou enfans changez, qui sont beaucoup plus pesans que les autres, et sont tousjours maigres, et tariroient trois nourrices, sans engraisser.» (Voy. la Démonomanie des sorciers, liv. II, ch. 7.) Martin Luther, dans ses Colloques, reconnaît la vérité du fait, avec d’autant plus de désintéressement, qu’on l’accusait lui-même d’être un de ces enfants du diable, que le bas peuple de l’Ile-de-France appelait champis, c’est-à-dire trouvés ou faits dans les champs.
Au treizième siècle, un évêque de Troyes, nommé Guichard, fut accusé d’être le fils d’un incube, qualifié de Petun, qui, disait-on, mettait tous ses diablotins au service de son bien-aimé fils. (Voy. Nouveaux Mémoires de l’Acad. des inscriptions et belles-lettres, t. VI, p. 603.) Les incubes avaient donc le talent de procréer des enfants, assez bien bâtis pour n’être pas trop déplacés dans le monde; mais, en général, leurs rejetons étaient d’effroyables contrefaçons de l’humanité. Ainsi, Bodin parle d’un monstre de cette espèce, qui était né en 1565, au bourg de Schemir, près de Breslau, et qui avait pour père et mère une sorcière et Satan: c’était «un monstre hideux, sans teste et sans pieds, la bouche en l’épaule senestre (gauche), de couleur comme un foye, qui rendit une clameur terrible, quand on le lavoit.» Du reste, Bodin met en présence diverses opinions à l’égard des résultats de la Prostitution diabolique: «Les autres sorcières, dit-il, font diables en guise d’enfans, qui ont copulation avec les nourrices sorcières, et souvent on ne sait ce qu’ils deviennent. Mais quant à telle copulation avec les démons, sainct Hiérosme, sainct Augustin, sainct Chrysostome et Grégoire Nazianzène soutiennent, contre Lactance et Josèphe, qu’il ne provient rien; et s’il en vient quelque chose, ce seroit plustost un diable incarné qu’un homme.»
Le vulgaire ne doutait pas, cependant, que le diable n’eût la faculté de se reproduire sous les traits de l’homme, et ceux qui avaient été engendrés par lui passaient pour succubes. On peut en conclure que la plupart des opérations de l’incubisme étaient stériles. «L’homme sorcier qui a copulation avec le diable comme avec une femme, dit Bodin, n’est pas incube ou éphialte, mais hyphialte ou succube.» Là-dessus, il raconte plusieurs histoires de succubes, sous la garantie de Spranger, de Cardan et de Pic de la Mirandole. Spranger rapporte qu’un sorcier allemand «en usoit ainsi devant sa femme et ses compagnons, qui le voyoient en ceste action, sans voir la figure de la femme.» Pic de la Mirandole avait connu un prêtre sorcier, nommé Benoît Berne, qui, âgé de quatre-vingts ans, avouait avoir eu copulation «plus de quarante ans avec un déguisé en femme, qui l’accompagnoit, sans que personne l’aperceut, et l’appeloit Hermione.» Cardan cite un autre prêtre, âgé de soixante-dix ans, qui avait cohabité, pendant plus de cinquante ans, avec un démon «en guise de femme.»
Il est à remarquer que les incubes s’adressaient ordinairement aux plus jeunes et aux plus belles femmes, qu’ils obsédaient la nuit, ainsi que les succubes s’attaquaient, de préférence, à de jeunes et beaux garçons. Quant aux sorciers et aux sorcières qui allaient chercher au sabbat les détestables plaisirs que le diable ne leur refusait jamais dans ce monstrueux mélange de tous les sexes et de tous les âges, ils étaient presque toujours laids, vieux et repoussants. On peut donc considérer l’incubisme comme une sorte d’initiation à la sorcellerie, qui foulait aux pieds toute pudeur et qui poussait le libertinage jusqu’aux dernières limites du possible. Bien souvent, l’incube ne rencontrait aucune complaisance chez le sujet qu’il convoitait et qu’il venait solliciter: ce n’était, en quelque sorte, que le prélude du péché. Le sorcier, au contraire, déjà perverti et adonné à la possession du diable, s’était laissé entraîner à sa perte et vivait dans la pratique des œuvres de ténèbres. Il est donc permis de faire une distinction très-significative entre l’incubisme et la sorcellerie, en disant que l’une était la Prostitution des vieilles femmes; et l’autre, la Prostitution des jeunes.
Malgré tant de faits, tant d’aveux, tant de déclarations, tant d’exemples mémorables, certains démonographes ont nié l’existence des incubes et des succubes. Le savant astrologue Agrippa et le célèbre médecin Wier mettent sur le compte de l’imagination les principaux maléfices de ces démons nocturnes. «Les femmes sont mélancoliques, dit ce dernier, qui pensent faire ce qu’elles ne font pas.» Les médecins les plus éclairés du dix-septième siècle étaient déjà de cet avis, et cependant au dix-septième, lorsqu’on brûlait encore des sorcières qui confessaient encore avoir eu compagnie charnelle avec le diable, on discutait, dans les écoles et dans les académies, la théorie des incubes et des succubes.
La dernière fois que cette thèse bizarre fut débattue en France, au double point de vue religieux et scientifique, ce fut dans les conférences du célèbre Bureau d’Adresse, que le médecin Théophraste Renaudot avait établi à Paris, pour faire pièce, en même temps, à la Faculté de médecine et à l’Académie française. Ces conférences, qui se tenaient une ou deux fois par semaine en la grande salle du Bureau d’Adresse, situé rue de la Calandre dans la Cité, réunissaient un nombreux auditoire, fort attentif à écouter les orateurs qui prenaient part à la discussion. On traitait là les questions les plus épineuses, et Théophraste Renaudot, avec un sérieux imperturbable, dirigeait lui-même le débat, qui sortait fréquemment des bornes de ce qu’on nommait alors l’honnêteté, et de ce que nous appelons la décence; mais acteurs et auditeurs n’y entendaient pas malice, chacun étant avide de connaître et de savoir. Dans la cent vingt-huitième conférence, qui s’ouvrit le lundi 9 février 1637, un curieux de la nature, comme s’intitulaient alors les amateurs de physique et de sciences naturelles, déposa cette question sur le bureau: «Des incubes et succubes, et si les démons peuvent engendrer.» Le sujet n’était pas neuf, mais il était piquant et singulier. Quatre orateurs s’inscrivirent aussitôt pour parler à tour de rôle. Le premier, qui prit la parole, devait être un médecin, peu favorable au système des démons incubes et succubes, qu’il considère comme les effets d’une maladie appelée éphialtès par les Grecs, et pezard par le vulgaire, et qu’il définit comme «un empeschement de la respiration, de la voix et du mouvement, avec oppression du corps, qui nous représente, en dormant, quelque poids sur l’estomach.» Selon lui, la cause de cette maladie «est une vapeur grossière bouchant principalement le derrière du cerveau, et empeschant l’issue des esprits animaux destinez au mouvement des parties.» Il constate, d’ailleurs, que le vulgaire attribue ces désordres à l’Esprit malin, plutôt que de s’en prendre à la «malignité d’une vapeur ou de quelque humeur pituiteuse et grossière, laquelle fait oppression dans ce ventricule, dont la froideur et la foiblesse, produite par le défaut d’esprits et de chaleur, qui tiennent toutes les parties en arrest, sont les plus manifestes causes.» Il conclut, en conséquence, que cet état maladif, dans lequel le diable n’est pour rien, ne saurait déterminer la génération, «laquelle estant un effet de la faculté naturelle, et celle-ci, de l’âme végétante, elle ne peut convenir au démon qui est un pur esprit.»
Cette théorie de la génération dut produire une vive curiosité dans l’assemblée, qui ne soupçonnait pas les facultés de l’âme végétante; mais le second orateur, qui était un savant nourri de la lecture des classiques grecs et latins, prit la défense des démons, et voulut prouver la réalité de leurs «accouplements avec les hommes, lesquels on ne peut nier, sans démentir une infinité de personnes de tous aages, sexes et conditions, à qui ils sont arrivez.» Là-dessus, il cite plusieurs personnages illustres de l’antiquité et du moyen âge, qui ont été engendrés par les faux dieux ou les démons; il cite comme de véritables incubes les faunes, les satyres, et le principal d’entre eux, Pan, chef des incubes, appelé Haza par les Hébreux, comme le chef des succubes, Lilith; il cite les Néfésoliens, que les Turcs regardent comme issus des démons, «soit que ceux-ci empruntent une femme étrangère qu’ils peuvent transporter presque en un instant, et, par ce moyen, conserver ses esprits et empescher leur escoulement et transpiration; soit par leur propre vertu, puisque tout ce qui se peut faire naturellement, comme est la semence, se peut faire aussi par les démons. Voire quand bien ils ne pourroient faire de la semence propre, il ne s’ensuit pas de là qu’ils ne puissent produire une créature parfaite.»
Il y avait là des dames qui ne perdaient pas un mot de cette dissertation scientifique. Le troisième orateur reconnut, comme fait incontestable, le commerce des incubes et des succubes avec les hommes; mais il était disposé à croire que ces malins esprits ne pouvaient engendrer, et il en donnait ainsi la raison: «Pour le succube, il est certain qu’il ne peut engendrer dans soy, faute de lieu convenable pour recevoir la semence et la réduire de puissance en art, et manque de sang pour nourrir le fœtus durant neuf mois.» Il ne tranchait pas aussi résolûment la question, à l’égard de l’incube; il rappelait les trois conditions principales que requiert la génération, savoir: «la diversité du sexe, l’accouplement du mâle et de la femelle, et l’écoulement de quelque matière qui contienne en soy la vertu formatrice des parties dont elle est issue.» Il convient que le diable peut, au besoin, rencontrer les deux premières conditions, «mais jamais la dernière, qui est une semence propre et convenable, douée d’esprits et d’une chaleur vitale, sans laquelle elle est inféconde et stérile; car il n’a point de son chef cette semence, puisque c’est ce qui reste de la dernière coction, laquelle ne se fait qu’en un corps actuellement vivant, tel que n’est pas celuy qu’il a; et cette semence, qu’il a pu mendier d’ailleurs, lorsqu’elle a été épandue hors du vaisseau de nature, ne peut estre fœcondée, faute de ces esprits, lesquels ne se peuvent conserver que par une irradiation qui se fait des parties nobles dans les vaisseaux spermatiques.»
Le quatrième orateur, homme sage et prudent, vint à propos calmer l’anxiété de l’auditoire, en déclarant «qu’il n’y a rien de surnaturel dans l’incube, qui n’est rien qu’un symptosme de la faculté animale, accompagné de trois circonstances, sçavoir, la respiration empeschée, le mouvement lezé et une imagination voluptueuse.» Il réhabilita le cauchemar, qu’il expliqua dans ses causes et dans ses effets; il termina la discussion par un conseil adressé aux assistants, qu’il invitait à ne pas se coucher sur le dos et à se garder des périls de l’imagination voluptueuse «produite par l’abondance ou la qualité de la semence: laquelle envoyant son espèce dans la phantaisie, elle se forme un objet agréable et remue la puissance motrice, et celle-ci, la faculté expulstrice des vaisseaux spermatiques.» Tout le monde se retira très-satisfait de ces doctes investigations dans ce Monde enchanté, où le fameux Bekker n’avait pas encore porté la lumière du doute et de la raison. (Voy. le Recueil général des questions traictées ès conférences du Bureau d’Adresse, Paris, Soubron, 1656, 5 vol. in-8o.)
Depuis Théophraste Renaudot et jusqu’à notre époque, la théologie et la science se sont encore occupées des incubes et des succubes, qui étaient trop bien enracinés dans la crédulité populaire pour qu’on réussît à les détrôner complétement. Les méfaits de ces démons subalternes sont encore aujourd’hui très-accrédités parmi les habitants des campagnes. Voltaire s’en est moqué avec son inflexible bon sens; mais peu s’en fallut qu’on ne l’accusât d’avoir manqué de respect au diable, en lui disputant ses plus antiques prérogatives. Avant Voltaire, un médecin ordinaire du roi, M. de Saint-André, toucha du doigt les véritables causes de cette superstition, dans ses Lettres au sujet de la magie, des maléfices et des sorciers (Paris, J.-B. de Maudouyt, 1725, in-12), lorsqu’il essaya de la détruire: «L’incube, le plus souvent, est une chimère, dit-il, qui n’a pour fondement que le rêve, l’imagination blessée, et très-souvent l’imagination des femmes... L’artifice n’a pas moins de part à l’histoire des incubes. Une femme, une fille, une dévote de nom, etc., débauchée, qui affecte de paraître vertueuse pour cacher son crime, fait passer son amant pour un esprit incube qui l’obsède... Il en est des esprits succubes comme des incubes: ils n’ont ordinairement d’autre fondement que le rêve et l’imagination blessée, et quelquefois l’artifice des hommes. Un homme, qui a entendu parler de succubes, s’imagine, en dormant, voir les femmes les plus belles et avoir leur compagnie...»
M. de Saint-André résume ainsi, avec beaucoup de jugement, les circonstances dans lesquelles a dû se produire la superstition des incubes et des succubes, et on ne peut que le louer d’avoir fait preuve de tant de sagesse, à une époque où les casuistes et les docteurs de Sorbonne n’hésitaient pas à reconnaître le pouvoir générateur du démon. Ainsi, le père Costadau, qui, à la vérité, n’était qu’un jésuite, très-savant d’ailleurs et fort bon homme au demeurant, écrivait ceci, à cette même époque, dans son célèbre Traité des signes: «La chose est trop singulière pour la croire à la légère... Nous ne la croirions pas nous-même, si nous n’étions convaincu, d’une part, du pouvoir du démon et de sa malice, et si, d’une autre part, nous ne trouvions une infinité d’écrivains, et même du premier rang, des papes, des théologiens et des philosophes, qui ont soutenu et prouvé qu’il peut y avoir de ces sortes de démons incubes et succubes; qu’il y en a, en effet, et des gens assez malheureux, que d’avoir avec eux ce commerce honteux et de tous le plus exécrable.» (T. V, page 182.)
L’Église et le parlement avaient donc fait des lois contre ces malheureux, convaincus d’avoir été mêlés, même malgré eux, à la Prostitution infernale, et c’était le feu du bûcher qui pouvait seul effacer cette horrible souillure, lorsque la pénitence ne se chargeait pas de ramener le pécheur dans la voie du pardon. Les victimes de l’incubisme et du succubisme avaient des motifs d’indulgence à invoquer, si elles se présentaient comme ayant été séduites et forcées; mais la jurisprudence ecclésiastique et civile se montrait impitoyable envers une autre espèce de Prostitution diabolique, celle des sorciers et des sorcières, qui se donnaient de bonne volonté à Satan en personne, et qui se prêtaient alors à tous les genres d’abominations dans leurs assemblées nocturnes. Voilà donc quels étaient, en France comme dans toute l’Europe, au seizième et même au dix-septième siècle, les honteux vestiges de la Prostitution hospitalière et de la Prostitution sacrée.
CHAPITRE XXVI.
Sommaire.—De la Prostitution dans la sorcellerie.—Origines du sabbat.—Courses nocturnes de Diane et d’Hérodiade.—Capitulaire contre les stryges.—Lois ecclésiastiques.—La plus ancienne description du sabbat.—Les œuvres du démon, d’après les interrogatoires des procès de sorcellerie.—Arrivée des sorcières au sabbat.—Adoration du bouc.—Affreux sacrifices au diable.—Le péché sur-contre-nature.—La ronde du sabbat.—Divers témoignages à l’appui.—Physiologie obscène de Satan.—Sabbat de la Vauderie d’Arras.—Sabbat de Gaufridi.—Impureté des sorciers et sorcières.—Castration magique.—Les vieilles sorcières.—Marques diaboliques.—Les sorciers de Sodome.—Supplice des sodomites dans l’enfer.—Incestes du sabbat.—Accusation de bestialité.—Les serpents de la caverne de Norcia.—Le chien des religieuses de Cologne et de Toulouse.—Conséquences de la démonomanie.—La vérité sur les actes de Prostitution de la sorcellerie.—Justification de la jurisprudence du moyen âge.
La Prostitution, dans la sorcellerie, n’était pas, comme l’incubisme et le succubisme, une conséquence accidentelle de l’obsession diabolique; c’était plutôt le résultat ordinaire de la possession: c’était l’état normal des hommes et des femmes voués volontairement au démon; c’était, en quelque sorte, le sceau du pacte abominable qui les liait avec la puissance infernale, avec celui qu’on nommait l’Auteur du péché. Il est donc certain que la sorcellerie avait deux caractères principaux, dont l’un pouvait être l’effet, et l’autre, la cause: ici, elle donnait satisfaction aux plus infâmes caprices de la perversité humaine; là, elle employait l’intervention des mauvais esprits à des œuvres surnaturelles et maudites. Aussi le principe de la sorcellerie, à toutes les époques, consistait-il dans un accord mutuel entre l’homme et le diable: le premier se soumettant, corps et âme, à la domination du second, et celui-ci, en échange de cette servitude volontaire, partageant, en quelque sorte, avec son esclave le pouvoir occulte que l’Être suprême avait laissé à Satan en le précipitant des cieux dans l’abîme. Il y avait donc, dans le mystère de la sorcellerie, une honteuse Prostitution de l’homme, qui se vendait et s’abandonnait au diable.
On comprend ce qu’avait pu être dans l’origine la sorcellerie, qui servait évidemment de prétexte à d’étranges désordres de honteuse promiscuité. Aussi les anciens avaient-ils un profond mépris pour les sorciers, dont les assemblées secrètes n’étaient sans doute que des conciliabules de débauche exécrable. Les législateurs et les philosophes de l’antiquité furent tous d’accord pour flétrir et punir les magiciens et leurs hideuses compagnes. Cependant, on ne peut savoir que par conjecture ce qui se passait dans leurs réunions nocturnes; car on n’en trouve chez les poëtes grecs et romains, que des peintures très-adoucies. Il y a seulement, dans Pétrone et dans Apulée, deux ou trois passages qui laissent soupçonner ce qu’ils ne disent pas; les récits qu’on faisait de ces spinthries magiques et de ces danses voluptueuses trouvaient alors des incrédules qui n’y entendaient pas malice. Horace dit positivement, en plusieurs endroits de ses odes et de ses épîtres, que les vieilles sorcières commettaient d’énormes indécences, à la clarté de la lune, et que, la nuit, dans les champs et dans les bois, les jeunes garçons allaient se mêler aux chœurs des nymphes et des satyres (nympharumque leves cum satyris chori, I, 1). Ce n’était pas toutefois le sabbat du moyen âge avec ses monstrueuses horreurs, qui semblent être sorties de l’invention du démon et qui étaient bien faites pour accréditer sa puissance.
Le véritable sabbat avait déjà lieu pourtant chez les peuples du Nord, que la sorcellerie poussait à tous les égarements de l’imagination la plus dépravée. Ces peuples étaient encore trop voisins de l’état primitif de simple nature, pour ne pas se sentir portés aux excès par leurs passions brutales; la superstition, qui sollicitait leur grossière sensualité, les trouvait très-dociles à ses entraînements. Les empereurs romains, pour maintenir leur autorité sur les pays conquis, essayèrent d’y détruire la magie avec ses adeptes et ses pratiques indomptables. La Gaule surtout était infestée de sorciers; et Tibère ne parvint à en purger cette province romaine, qu’en déclarant une guerre implacable aux druides et à leur religion. Il n’est peut-être pas indifférent de remarquer ici que les démons incubes, dont parle saint Augustin et qu’il nomme Dusii (quos Galli Dusios nuncupant) ont été confondus avec les druides, par d’anciens auteurs; et Bodin, en citant ce même passage reproduit dans les Étymologies d’Isidore de Séville, ajoute cette observation: «Tous ont failly au mot Dusios, car il faut lire Drusios, comme qui diroit diables forestiers, que les Latins, en mesme sens, ont appelle Sylvanos. Il est vraysemblable, ce que dit saint Augustin, que nos pères anciennement appelèrent ces démons et diables-là Drusios, pour la différence des druides, qui demeuroient aussi ès bois.» L’analogie du nom viendrait plutôt de la similitude que de la différence des drusiens et des druides. Le christianisme ne fit qu’ajouter aux rigueurs de la persécution contre les complices de la démonomanie. Ce fut sous le règne de l’empereur Valens (364–378) qu’on commença probablement à brûler les sorciers; mais la sorcellerie et le druidisme avaient des racines si profondes dans les mœurs des Gaulois, qu’on ne parvint pas à les en extirper par le fer et par le feu, après plusieurs siècles de sanglants efforts. Il est clair que druidisme et sorcellerie comprenaient dès lors, dans leurs habitudes ou du moins dans leurs cérémonies, une foule de scandaleux détails de Prostitution hospitalière et religieuse.
Cependant il n’est pas question, dans les auteurs chrétiens, des assemblées nocturnes de la sorcellerie, avant le sixième ou le septième siècle. Tous les codes des peuples barbares, la loi Ripuaire, la loi Salique, la loi des Burgundes et celle des Allemands, renferment seulement une pénalité terrible contre les sorciers et les sorcières, ou stryges, sans les accuser néanmoins de prostitution diabolique. Le plus ancien monument qui fasse mention du sabbat, ou d’une aggrégation ténébreuse de femmes rassemblées dans un but mystérieux et par des incantations magiques, c’est un capitulaire, dont la date n’a pas été fixée d’une manière authentique, et qui n’est peut-être pas antérieur à Charlemagne. (Voy. le recueil de Baluze, Capitularia regum, fragment., c. 13.) Ce capitulaire ne fournit pas même des renseignements très-explicites sur les courses aériennes que les sorcières croyaient faire, en compagnie de Diane et d’Hérodiade, montées sur des bêtes fantastiques qui les menaient probablement à un rendez-vous général. Voici le curieux passage, qui paraît appartenir aux canons d’un concile, et qui a été souvent tronqué et corrompu: «Illud etiam non est omittendum quod quædam sceleratæ mulieres, retrò post Satanam conversæ, dæmonum illusionibus et phantasmatibus seductæ, credunt et profitentur se nocturnis horis, cum Diana, dea paganorum, vel cum Herodiade et innumerâ multitudine mulierum, equitare super quasdam bestias, et multarum terrarum spacia intempestæ noctis silentio pertransire, ejusque jussionibus velut dominæ obedire, et certis noctibus ad ejus servitium evocari.» On reconnaît bien là le départ des sorcières pour le sabbat, mais on n’assiste pas à leur arrivée et on ne sait pas ce qu’elles venaient y faire. Il est permis de supposer que ces vilaines bêtes qu’elles chevauchaient dans l’air n’étaient autres que les démons, que nous verrons plus tard servir de monture aux sorcières.
On ne peut douter que ce ne fût là le sabbat, c’est-à-dire une assemblée illicite, dans laquelle on rendait un culte au démon, et ce culte devait être dès lors accompagné des indécences, des énormités et des infamies qui furent les pratiques ordinaires de la sorcellerie; mais, si la chose existait, le mot n’existait pas encore, car nous pensons que le nom de sabbat n’est pas antérieur au douzième siècle. Ce qui n’a pas empêché les savants de dériver ce mot du nom de Bacchus, parce que les Bacchanales avaient quelque rapport avec les orgies nocturnes, célébrées en l’honneur du démon par des danses, des festins et des débauches: il est évident que cette docte étymologie, malgré l’assonance des mots sabbat et Bacchus, tombe devant une impossibilité de date. On doit donc s’en tenir à l’étymologie la plus naturelle: «Le peuple, qui a donné le nom de sabbat aux assemblées de sorciers, dit dom Calmet dans son Traité sur les apparitions des esprits, a voulu apparemment comparer par dérision ces assemblées à celles des Juifs et à ce qu’ils pratiquent dans leurs synagogues le jour du sabbat.» Tous les démonographes, qui auraient eu honte de passer pour des ignares, se sont attachés à retrouver dans les antiques fêtes de Bacchus l’origine du sabbat des démons. Ainsi, selon Leloyer, dans son livre Des Spectres (liv. IV, ch. 3), les initiés chantaient Saboé aux Bacchanales, et les sorcières, au sabbat, criaient à tue-tête: Har sabat! sabat! Mais il est plus probable que les chrétiens, qui n’avaient pas moins d’horreur pour les Juifs que pour les sorciers, ont affecté de les confondre les uns et les autres dans la même réprobation en leur attribuant le même culte, les mêmes mœurs, les mêmes profanations.
La plus ancienne description du sabbat diabolique se trouve dans une lettre du pape Grégoire IX, adressée collectivement à l’archevêque de Mayence, à l’évêque d’Hildesheim et au docteur Conrad, en 1234, pour leur dénoncer les initiations des hérétiques stadingiens: «Quand ils reçoivent un novice, dit Grégoire IX, et quand ce novice entre pour la première fois dans leurs assemblées, il voit un crapaud d’une grandeur énorme, de la grandeur d’une oie ou plus. Les uns le baisent à la bouche; les autres, par derrière. Puis, ce novice rencontre un homme pâle, ayant les yeux très-noirs, et si maigre, qu’il n’a que la peau et les os: il le baise, et le sent froid comme une glace. Après ce baiser, il oublie facilement la foi catholique. Ensuite, ils font ensemble un festin, après lequel un chat noir descend derrière une statue qui se dresse ordinairement dans le lieu de l’assemblée. Le novice baise le premier ce chat par derrière; puis, celui qui préside à l’assemblée et les autres qui en sont dignes. Les imparfaits reçoivent seulement le baiser du maître, ils promettent obéissance; après quoi ils ôtent les lumières, et commettent entre eux toutes sortes d’impuretés.» (Voy. l’Hist. ecclés. de Fleury, t. XVII, p. 53.) Voilà bien le sabbat que le seizième siècle nous a décrit souvent et avec de si minutieux détails; mais cette assemblée d’hérétiques stadingiens, quoique semblable à celles des sorciers, nous montre la Prostitution dans l’hérésie, plutôt encore que dans la sorcellerie.
Le sabbat proprement dit, qu’il remonte ou non à la plus haute antiquité, n’a été bien connu qu’au quinzième siècle, lorsque l’Inquisition s’en est occupée sérieusement dans une multitude de procès où les pauvres sorciers énuméraient avec une sorte d’orgueil les merveilles monstrueuses dont ils avaient été les témoins, les acteurs et les complices. C’est d’après les interrogatoires subis par ces fous pervers, que noue pouvons avec certitude dévoiler les principales œuvres de Prostitution qui avaient pour théâtre le sabbat des sorciers. La plupart des historiens qui ont recueilli ces archives lamentables de la superstition humaine, étaient doués d’une foi robuste, inébranlable, et mettaient volontiers sur le compte du diable tous les crimes que lui imputaient ses crédules sujets. Après avoir rassemblé un petit nombre de ces témoignages attristants, nous demeurerons convaincus que, si l’imagination avait une invincible influence sur les sensations des démonomanes, la fraude et la ruse abusaient souvent de leur faiblesse morale au profit de la lubricité des uns et au préjudice de la pudeur des autres.
Les sorcières qui voulaient aller au sabbat commençaient à s’y préparer par des invocations, se mettaient toutes nues, se graissaient le corps avec certain onguent, et, à l’heure dite, au signal convenu, un ramon ou balai entre les jambes, elles s’élevaient dans les airs à une hauteur considérable, après s’être échappées de leur domicile par la cheminée. Ordinairement, elles rencontraient, à l’orifice du tuyau de la cheminée, de petits diables qui n’avaient pas d’autre métier que de les transporter à travers l’espace. Tantôt elles étaient assises à califourchon sur les épaules de ces diablotins, tantôt elles étaient suspendues à leur queue ou accrochées à leurs cornes. Elles arrivaient, nues, au sabbat, toutes reluisantes de cette graisse magique, qui les rendait invisibles et impalpables, excepté pour les démons et les sorciers. La recette au moyen de laquelle on composait l’onguent destiné aux familiers du sabbat, se trouve encore formulée dans les livres de magie; mais elle a perdu sans doute toute sa vertu, car on ne l’emploie plus guère. Autrefois, elle n’était pas inutile pour décupler les forces que chacun avait à dépenser dans ces orgies infernales.
Sorciers et sorcières, une fois oints de leur graisse magique, arrivaient donc nus au sabbat et en revenaient nus. Cette nudité complète témoigne assez que le sabbat était un rendez-vous de Prostitution abominable. Bodin raconte plusieurs histoires, dont il faut lui laisser la responsabilité, pour nous apprendre comment femmes et hommes s’en allaient à ces assemblées nocturnes. Un pauvre homme, qui demeurait près de Loches en Touraine, s’aperçut que sa femme s’absentait la nuit, sous prétexte de faire la lessive chez une voisine; il la soupçonna de se débaucher, et il la menaça de la tuer si elle ne lui déclarait pas la vérité. La femme avoua qu’elle se rendait au sabbat, et elle offrit d’y mener son mari avec elle. «Ils se graissèrent tous deux,» et le diable les transporta, dans l’espace, de Loches aux landes de Bordeaux. Le mari et la femme se virent là en si belle compagnie de sorciers et de démons, que l’homme eut peur, se signa et invoqua le nom de Dieu. Aussitôt tout disparut, même la femme de cet apprenti sorcier, qui «se trouva tout nud, errant par les champs, jusqu’au matin.»
Voici une autre anecdote à peu près semblable: Une damoiselle était couchée à Lyon avec son amant; celui-ci ne dormait pas. La fille se lève sans bruit, allume une chandelle, prend une boîte d’onguent, et s’en frotte tout le corps; après quoi, elle est «transportée.» Le galant se lève ensuite, se sert de la même graisse comme il a vu sa ribaude s’en servir, et prononce les paroles magiques qu’il a retenues. Il arrive au sabbat sur les pas de cette fille; mais sa frayeur est si grande, à la vue des diables et de leurs hideuses postures, qu’il recommande son âme à Dieu. «Toute la compagnie disparut, dit Bodin, et luy se trouva seul, tout nud, qui s’en retourna à Lyon, où il accusa la sorcière, qui confessa et fut condamnée à estre brûlée.»
Cependant l’emploi d’un onguent sur le corps nu de celui qui voulait être transporté au sabbat, n’était pas toujours indispensable, surtout pour les sorcières de profession, lesquelles n’avaient qu’à mettre entre leurs jambes un balai ou un bâton pour voler comme une flèche à travers les airs jusqu’au lieu de la réunion diabolique. Bodin assure que ce bâton ou balai suffisait aux sorcières de France, qui le chevauchaient très-habilement, «sans graisse et sans onction,» tandis que les sorcières d’Italie se graissaient de pied en cap avant de monter sur un bouc qui les menait au sabbat. Cette différence des moyens de transport aérien usités par les sorcières, explique la différence de leur costume dans les anciennes gravures qui représentent les mystères du sabbat: les unes sont nues, ce sont celles qui ont été ointes; les autres sont vêtues, ce sont celles qui, comme le dit De Lancre, «vont au sabbat sans estre oinctes ni graissées de chose quelconque, et ne sont tenues de passer par les tuyaux des cheminées.» On remarque la même distinction parmi les sorciers, dont les plus jeunes n’ont aucun vêtement, tandis que les vieux portent de longues robes à capuchon.
Les démonologues ne sont pas d’accord sur ce qui se passait au sabbat: d’où l’on peut conclure qu’il s’y passait beaucoup de choses la plupart ridicules, quelques-unes infâmes. Après avoir lu et comparé toutes les descriptions qui nous restent du sabbat, on reconnaît que cette horrible promiscuité des sexes et des âges ne devait avoir qu’un seul objet, la débauche, et que cette débauche se traduisait de quatre manières: par l’adoration du bouc, par des festins sacriléges, par des danses obscènes, par le commerce impudique avec les démons. Ces quatre principales fonctions du sabbat, à toutes les époques et en tous les pays, sont dûment établies et constatées dans les interrogatoires et les enquêtes des procès de sorcellerie.
On ne saurait trop dire en quoi consistait l’adoration du bouc, et l’on est autorisé à croire que les pratiques, toujours détestables, de cette adoration, variaient suivant les lieux et les temps; elle se composait ordinairement d’une sorte d’hommage, suivi d’investiture diabolique et accompagné de redevance, le tout imité des usages de la féodalité. Le nouveau feudataire du diable l’acceptait pour seigneur et maître, lui prêtait le serment de vasselage, lui offrait une redevance ou un sacrifice, et recevait en échange les stigmates ou les marques de l’enfer. C’était là le fond de la cérémonie, qui se pratiquait de bien des façons, avec une prodigieuse recherche de libertinages effroyables...
Le diable, qui présidait partout au sabbat ou qui s’y faisait représenter par un de ses lieutenants, affectait ordinairement de prendre la figure d’un bouc gigantesque blanc ou noir, cet animal impur qui fut toujours le symbole de la lubricité. Ce bouc avait pourtant plus d’une particularité caractéristique. Selon les uns, il portait deux cornes au front et deux à l’occiput, ou seulement trois cornes sur la tête, avec une espèce de lumière dans la corne du milieu; selon les autres, il avait au-dessus de la queue «un visage d’homme noir.» (Voy. le Traité de l’inconstance des démons, par De Lancre, p. 73 et 128.) Le diable prenait aussi la forme de quelques autres animaux non moins lubriques que le bouc. «J’ay veu quelque procédure, estant à la Tournelle, raconte le bonhomme De Lancre, qui peignoit le diable au sabbat comme un grand levrier noir, parfois comme un grand bœuf d’airain couché à terre, comme un bœuf naturel qui se repose.» Quelquefois, Satan ou Belzebut venait recevoir l’adoration de ses sujets ou sujettes, sous la forme d’un oiseau noir, de la grandeur d’une oie.
Mais, dans bien des circonstances, le diable s’attribuait la forme humaine, en y ajoutant certains attributs de sa puissance infernale: tantôt il était rouge et tantôt noir; tantôt il avait un visage au bas des reins, tantôt il se contentait d’un double visage devant et derrière la tête, comme le dieu païen Janus. En certains cas il adoptait une configuration très-étrange, dont un passage du traité de Prierias, que nous citons plus loin, sans oser le traduire, nous donnera la raison. «D’autres disent, rapporte De Lancre, qu’au sabbat le diable est comme un grand tronc d’arbre, obscur, sans bras et sans pieds, assis dans une chaire, ayant quelque forme de visage d’homme grand et affreux.» Enfin, après avoir recueilli religieusement toutes les opinions relatives à la personne du diable, De Lancre trace lui-même ce portrait d’après le vif. «Le diable, au sabbat, est assis dans une chaire noire, avec une couronne de cornes noires, deux cornes au cou, une autre au front avec laquelle il esclaire l’assemblée, des cheveux hérissez, le visage pasle et trouble, les yeux ronds, grands, fort ouverts, enflammez et hideux, une barbe de chèvre, la forme du col et tout le reste du corps mal taillez, le corps en forme d’homme et de bouc, les mains et les pieds comme une créature humaine, sauf que les doigts sont tous esgaux et aiguz, s’appointans par les boutz, armez d’ongles, et ses mains courbées en forme d’oye, la queue longue comme celle d’un asne, avec laquelle il couvre ses parties honteuses. Il a la voix effroyable et sans ton, tient une grande gravité et superbe, avec une contenance d’une personne mélancholique et ennuyée.»
Tel était le terrible maître à qui les sorcières et sorciers prêtaient serment de foi et hommage dans les assemblées du sabbat. «Il se trouve nombre infiny de telles gens qui adorent le bouc et le baisent aux parties de derrière.» Ce fut le fameux sorcier Trois-Échelles qui le déclara en ces propres termes au roi Charles IX. (Voy. la Démonomanie, liv. II, chap. IV.) De Lancre parle, en plusieurs endroits, de ce baiser déshonnête, qui s’adressait souvent aux parties honteuses du diable: «Le cul du grand maître, dit-il (p. 76), avoit un visage derrière, et c’est le visage de derrière qu’on baisoit, et non le cul.» Mais, selon les aveux d’une fille nommée Jeanne Hortilapits, demeurant à Sare, laquelle n’avait pas quatorze ans lorsqu’elle fut livrée à la Prostitution du sabbat, «les grands baisent le diable au derrière, et luy, au contraire, baise le derrière aux petits enfants.» Le diable urinait ensuite dans un trou, et les vieilles sorcières venaient tremper des plumes de coq dans le liquide infect et brûlant, dont elles aspergeaient l’assistance. C’était là, on le voit, une exécrable parodie des cérémonies de la messe. «Parfois, au sabbat, raconte encore De Lancre, on adore le diable, le dos tourné contre luy; parfois, les pieds contre-mont, ayant allumé quelque chandelle de poix fort noire à la corne du milieu, et on lui baise le derrière ou le devant.» Dans le procès de plusieurs sorcières qui furent jugées et condamnées au feu, à Verdun, en 1445, ces malheureuses avouèrent qu’elles étaient «servantes de tous les ennemys d’enfer,» et qu’elles avoient fait très-énormes péchez. Elles avaient toutes un nom de diablerie: «l’une faisoit hommage à son maistre de baisier son dos; l’autre, de baisier son par-derrière; une autre, de baisier en la bouche.» (Voy. l’Histoire des sciences dans le pays Messin, par Émile Bégin.)
Outre le baiser, il y avait l’offrande; et les écrivains ex professo ne disent pas exactement en quoi elle consistait. Était-ce simplement une petite pièce de monnaie, en potin, offrant une image fantastique, comme on en a trouvé dans des fouilles en Alsace? Était-ce un emblème mystérieux, comme un œuf de serpent, une branche de buis ou de verveine, une dent de loup, ou tel autre objet accrédité dans les œuvres de magie noire? Nous ne sommes pas loin de regarder cette offrande comme une initiation impudique, par laquelle le néophyte se donnait corporellement à Satan, et s’inféodait à lui par un acte charnel. Aussi prétendait-on que le diable «délivre un pou d’argent à ceux qui lui ont baisé le derrière.» (Voy. les Chroniques de Monstrelet, édit. de Paris, 1572, in-fol., t. III, fol. 84).
Puis, venaient les stigmates diaboliques. Le chef du sabbat, Satan ou Belzebut, marquait ses adorateurs comme on marque les moutons d’un troupeau. Cette marque était faite avec l’extrémité ardente du sceptre que le roi des ténèbres portait à la main, ou bien avec une de ses cornes. Les sorciers se trouvaient ainsi marqués entre les lèvres ou sur la paupière, sur l’épaule droite ou aux fesses; les femmes, sur la cuisse ou sous l’aisselle, ou à l’œil gauche, ou aux parties secrètes. Cette marque indélébile représentait soit un lièvre, soit une patte de crapaud, soit un chat, soit un chien. C’était à ces différents signes qu’on reconnaissait les prostitués du démon.
L’adoration terminée, avec une foule de pratiques aussi bizarres que révoltantes, on célébrait la fête, par des banquets, des chants et des danses, pour se préparer aux œuvres de la Prostitution. Au dire de quelques sorcières plus candides que les autres, ces repas, servis sur une nappe dorée, offraient à l’appétit des convives «toutes sortes de bons vivres avec pain, sel et vin.» Mais, selon la plupart des témoins oculaires, ce n’était que crapauds, chair de pendus, charognes déterrées dans les cimetières, corps d’enfants non baptisés, bêtes mortes, le tout sans sel et sans vin. On n’en bénissait pas moins la table; on faisait à l’entour une procession, avec chandelles allumées, et l’on chantait des chansons impudiques en l’honneur du démon, qui était le roi du festin. Il est donc probable que ces orgies mensales avaient pour objet d’échauffer les sens de rassemblée, et de la préparer aux actes monstrueux de Prostitution qui accompagnaient ou complétaient la ronde du sabbat.
Cette ronde s’exécutait de bien des manières, et chacun de ceux qui y avaient figuré la décrivait avec des particularités nouvelles. On ne peut douter néanmoins que le but principal de la danse, si toutefois c’était une danse, ne fût une odieuse surexcitation à la débauche: car cette danse donnait lieu aux postures les plus indécentes, aux pantomimes les plus infâmes; la plupart des danseurs et danseuses étaient tout à fait nus; quelques-uns, en chemise, avec un gros chat attaché au derrière; presque tous, ayant des crapauds cornus sur l’épaule. On criait en dansant: Har, har, diable, diable, saute ici, saute là, joue ici, joue là; et tous les spectateurs, les vieux nécromans, les sorcières centenaires, les démons vénérables, répétaient en chœur: Sabbat, sabbat! Il y avait des coryphées des deux sexes, qui faisaient de prodigieuses culbutes et des tours de force incroyables, pour animer la lubricité des assistants, et pour donner satisfaction à la malice impure de Satan.
La ronde continuait ainsi jusqu’aux premières lueurs du matin, jusqu’au chant du coq; et tant qu’elle durait, au bruit des voix et des instruments infernaux chaque couple se livrait tour à tour, avec une ardeur frénétique, à la plus épouvantable Prostitution. C’est alors que se commettait le quinzième crime capital, dont les sorciers pouvaient se rendre coupables vis-à-vis de la loi divine et humaine: la copulation charnelle avec le diable. (Voy. la Démonomanie, liv. IV, chap. 5.) Les jurisconsultes de la démonomanie ont cherché à caractériser la nature de ce crime, d’après les témoignages des patients qui l’avaient commis. Voici ce que Nicolas Remy (Remigius) avait cru pouvoir constater, au sujet des caresses immondes que les habitués du sabbat déclaraient avoir reçues des démons: «Hic igitur, sive vir incubet, sive succubet fæmina, liberum in utroque naturæ debet esse officium, nihilque omnino intercedere quod id vel minimum moretur atque impediat, si pudor, metus, horror, sensusque aliquis acrior ingruit; illicet ad irritum redeunt omnia e lumbis, effæaque prorsus sit natura.» (Demonolatriæ libri tres, Lugd., 1595, p. in-fol., p. 55.) Il résulte de là que les sorciers n’étaient pas moins exposés que les sorcières à la souillure diabolique. Cependant, plus d’un théologien, plus d’un criminaliste a voulu prendre la défense des démons, et prouver qu’ils avaient en horreur le péché contre nature; mais on ne paraît pas avoir réussi à réhabiliter à cet égard l’Esprit du mal; car Sylvestre Prierias, qui écrivait son fameux traité De strigimagarum dæmonumque mirandis, sous les yeux de l’Inquisition romaine, a soutenu doctoralement que la sodomie était une des prérogatives du diable: «Universaliter strigimagæ, quæ in ejusmodi spurcitiis versantur, aliquid turpissimum (quod tamen scribam) astruunt, videlicet dæmonem incubum uti membre genitali bifurcato, ut simul in utroque vase abutatur.» (Édit. de Rome, 1575, p. 150.) Bayle, pour exprimer ces énormités qui s’étaient produites dans l’imagination effrénée des démonomanes, avait forgé un mot que les théologiens et les criminalistes ne paraissent pas avoir adopté: il appelle péché sur-contre-nature l’emploi alternatif ou simultané que le diable hermaphrodite faisait ordinairement de l’un et de l’autre sexe, au sabbat.
L’inquisiteur lorrain Nicolas Remy s’était attaché curieusement à reconnaître les caractères de la copulation charnelle avec les démons; il avait interrogé avec soin les malheureuses victimes de l’impureté diabolique, et il finit par conclure que rien n’était plus douloureux que de subir les caresses de l’Esprit immonde: At hoc qui nobis istos concubitus, succubitusque dæmonum memorant, uno ore loquentur omnes, nihil iis frigidius, ingratiusque quicquam fingi aut dici posse. Tous étaient d’accord sur l’impression d’horreur glaciale, qu’ils avaient ressentie dans les bras du démon: frigido, injucundo, atque effœto coitu. Un grand nombre de sorcières en restaient infirmes ou malades pour le reste de leurs jours. Nicolas Remy, qui n’imposait aucun frein de décence à ses questions, avait obtenu d’incroyables aveux, de la part des ribaudes du diable; ces pauvres folles, que le sabbat vouait de bonne heure à une mystérieuse Prostitution, ne rougissaient plus de dévoiler tous les détails de l’affreux commerce qu’elles avaient eu avec les démons. On peut faire, en quelque sorte, la physiologie érotique de Satan, d’après les déclarations formelles que Nicolas Remy tenait de la bouche même des sorcières émérites de son temps, notamment d’Alice, de Claudine, de Nicole et de Didace, qui avaient fréquenté les assemblées nocturnes dans les montagnes des Vosges.
Le latin seul nous autorise à citer ce singulier passage, dans lequel le démonologue passe en revue avec une naïveté licencieuse les reproches amers que la plupart des sorcières adressaient à leurs incubes: «Alexia Drigæa recensuit dæmoni suo penem, cum surrigebat tantum semper extitisse, quanti essent subices focarii, quos tum forte præsentes digito demonstrabat; scroto, ac coleis nullis inde pendentibus. Claudia Fellæa expertam esse se sæpius instar fusi in tantam vastitatem turgentis, ut sine magno dolore contineri à quantumvis rapace muliere non posset. Cui astipulatur et illud Nicolææ Moreliæ, conquerentis sibi, quoties à tam misero concubitu discedebat, decumbendum perinde fuisse, ac si diutina aliqua, ac vehementi exagitatione fuisset debilitata. Retulit et Didatia Miremontana, se, licet virum multos jam annos passa esset, tamen tam vasto, turgidoque dæmonis sui inguine extensam semper fuisse, ut substrata lintea largo cruore perfunderet. Et communis fere est omnium querela, perinvitas se à dæmone suo comprimi, non prodesse tamen quod obluctantur.» On croirait que Nicolas Remy se proposait de démontrer que les sorcières, dans les actes de la Prostitution diabolique, étaient moins criminelles que malheureuses; car elles ne cédaient jamais qu’à la contrainte et à l’obsession; elles ne cherchaient pas même dans le péché les délices qui en font l’attrait; elles servaient passivement, malgré elles et en gémissant, aux exécrables plaisirs du démon, sans pouvoir se soustraire à cette servitude avilissante et maudite. On n’en brûlait pas moins sans pitié toutes les sorcières convaincues d’avoir chevauché avec le diable.
Il était donc avéré que le sabbat, sous prétexte de sorcellerie et de magie, ouvrait un sombre et vague champ à la Prostitution la plus coupable; ainsi, ce n’étaient pas seulement les démons qui en faisaient les frais et qui en avaient l’odieux profit: on doit supposer même que bien souvent le diable n’y figurait qu’en peinture; mais il en était toujours l’âme et la pensée. Le sabbat, en général, dégagé de son appareil infernal et fantastique, se réduisait à un congrès de débauche, dans lequel l’inceste, la sodomie et la bestialité se donnaient pleine carrière. De Lancre, sans vouloir atténuer les torts qu’il attribue à l’inconstance des démons, est bien obligé lui-même d’avouer que le diable avait moins de part qu’on ne disait aux abominations du sabbat. «La femme, dit-il (p. 137), se joue en présence de son mary, sans soupçon ni jalousie; voire il en est souvent le proxénète; le père dépucelle sa fille, sans vergogne; la mère arrache le pucelage de son fils, sans crainte; le frère, de sa sœur, etc.» On comprend que tout sorcier était, aux yeux de la loi, réputé incestueux, par cela seul qu’il avait assisté au sabbat, n’eût-il ni père ni mère, ni frère ni sœur. Le neuvième crime commun aux sorciers, selon les canons de l’Église, fut toujours l’inceste, «qui est le crime, dit Bodin, duquel les sorciers sont blasphemez et convaincus de toute ancienneté, car Satan leur fait entendre qu’il n’y eust oncques parfait sorcier et enchanteur, qui ne fust engendré du père et de la fille, ou de la mère et du fils.»
Nous trouvons une description circonstanciée des œuvres du sabbat, dans l’arrêt prononcé par le tribunal d’Arras, en 1460, contre cinq femmes et plusieurs hommes accusés de vauderie ou de sorcellerie. Parmi les condamnés, on remarquait un peintre, un poëte et un abbé, âgé de soixante-dix ans, qui avait été vraisemblablement le principal acteur de ces débauches inouïes, auxquelles se mêlait un reste d’hérésie vaudoise. «Quand ils voulloient aller à la vauderie (c’est-à-dire au sabbat), d’ung oignement que le diable leur avoit baillé, ils oindoient une vergue de bois bien petite, et leurs palmes (doigts), et leurs mains, puis mectoient celle verguette entre leurs jambes, et tantost ils s’envoloient où ils voulloient estre, par-dessus bonnes villes, bois et eaues, et les portoit le diable au lieu où ils debvoient faire leur assemblée. Et, en ce lieu, trouvoient, l’ung l’autre, les tables mises, chargiées de viandes; et illecq trouvoient ung diable en forme de boucq, de quien (chien), de singe et aucunefois d’homme, et là faisoient oblations et hommaiges audict diable et l’adoroient, et luy donnoient les plusieurs leurs âmes, et à peine tout ou du moings quelque chose de leurs corps. Puis, baisoient le diable en forme de boucq, au derrière, c’est au cul, avec candeilles ardentes en leurs mains... Et après qu’ils avoient touts bien bu et mangié, ils prenoient habitation charnelle touts ensemble, et mesme le diable se mectoit en forme d’homme et de femme, et prenoient habitation, les hommes avec le diable en forme de femme, et le diable en forme d’homme avec les femmes. Et même illecq commectoient le pechié de Sodome, de bougrerie et tant d’aultres crimes, si très-fort puants et énormes, tant contre Dieu que contre nature, que ledict inquisiteur dict qu’il ne les oseroit nommer, pour doubte que les oreilles innocentes ne fussent adverties de si villains crimes, si énormes et si cruels.» (Mémoires de Jacques Duclerq, liv. IV, ch. 4.)
Bodin, qui croyait fermement à la copulation charnelle avec les diables, et qui en parle dans plusieurs endroits de sa Démonomanie, ne semble pas s’être préoccupé des désordres antiphysiques auxquels le démon se livrait à l’égard des sorciers et surtout des sorcières. Il partageait sans doute l’opinion des démonologues, qui n’ont pas voulu que le péché contre nature fît moins d’horreur aux diables qu’aux hommes. On peut néanmoins, sans faire injure aux fils de Satan, présumer qu’ils n’étaient pas plus réservés, sur ce point, au sabbat, que dans l’enfer. Un moine anglais d’Evesham, qui descendit en enfer, l’an 1196, sous la conduite de saint Nicolas, raconte ainsi ce qu’il y vit de plus extraordinaire: «Il y a un supplice abominable, honteux et horrible plus que les autres, auquel sont condamnés ceux qui, dans leur vie mortelle, se sont rendus coupables de ce crime qu’un chrétien ne peut nommer, dont les païens même et les gentils avaient horreur. Ces misérables étaient assaillis par des monstres énormes, qui paraissaient de feu, dont les formes hideuses et épouvantables dépassent tout ce que l’imagination peut concevoir. Malgré leur résistance et leurs vains efforts, ils étaient contraints de souffrir leurs abominables attouchements. Au milieu de ces accouplements affreux, la douleur arrachait à ces infortunés palpitants des rugissements. Bientôt ils tombaient privés de sentiment et comme morts; mais il leur fallait revenir à la vie et renaître de nouveau pour le supplice. O douleur! la foule de ces infames était aussi nombreuse que leur supplice... Dans cet horrible lieu, je ne reconnus ni ne cherchai à reconnaître personne, tant l’énormité du crime, l’obscénité du supplice et la puanteur qui s’exhalait m’inspiraient un insurmontable dégoût.» (Grande Chronique de Mathieu Paris, trad. par A. Huillard-Breholles, t. II, p. 265.)
Les sorciers ne se faisaient donc pas scrupule d’imiter les mœurs du diable, qui leur donnait ainsi l’exemple des vices les plus détestables, non-seulement dans les enfers, mais encore sur la terre. Le sabbat fut, de tout temps et dans tous les pays, une école de sacrilége et de Prostitution. C’est là que s’assemblent tous les sorciers et sorcières, dit Antoine de Torquemada dans son Hexameron, «et plusieurs diables avec eux, en forme de gentilshommes et belles femmes, et se meslent ensemble à rebours, accomplissant leurs desordonnez et sales appetits.» Les choses ne se passaient pas autrement, en dehors même du sabbat, lorsque Satan avait affaire aux hommes. Du temps de Guibert de Nogent, qui raconte cette tentation diabolique, un moine, dans une grave maladie, avait reçu les soins d’un médecin juif, fort expert en maléfices; il eut la fatale idée de voir le diable; celui-ci, mandé par le juif, se présenta au chevet du lit du moine et lui promit la santé, la richesse et la science, en échange d’un sacrifice. «Eh! quel sacrifice? demanda le moine.—Le sacrifice de ce qu’il y a de plus délicieux dans l’homme.—Quoi donc?» Et le démon eut l’audace de s’expliquer. «O crime! ô honte! dit Guibert de Nogent (De vita sua, lib. I, cap. 26), et celui de qui l’on exigeait une telle chose, était prêtre!... Et le misérable fit ce qu’on lui demandait. Ce fut donc par cette horrible libation, qu’il en vint à renier la foi chrétienne.» Les sorciers, de même que leur infernal patron, avaient d’étranges fantaisies; ils enlevaient souvent les parties sexuelles des tristes victimes de leur méchanceté, et ils les consacraient aux abominations du sabbat. «Ils n’ont pas, dit Bodin, la puissance d’oster un seul membre à l’homme, horsmis les parties viriles, ce qu’ils font en Allemagne, faisans cacher et retirer au ventre les parties honteuses. Et, à ce propos, Spranger recite qu’un homme, à Spire, se pensant privé de ses parties viriles, se fist visiter par les medecins et chirurgiens, qui n’y trouvèrent rien ny blessure quelconque; et depuis, ayant appaisé la sorcière qui l’avoit offensé, il fut restitué.» Cet attentat de la sorcellerie contre la virilité se renouvelait très-fréquemment sous le nom de nœud de l’aiguillette; et quand le sorcier ne pratiquait pas sur le patient la castration magique, il lui ôtait et s’appropriait, pour ainsi dire, l’âme et la puissance de son sexe. Les démonologues ont interprété le fait, en disant que le diable acceptait en sacrifice les attributs et les trophées de la luxure, tandis que les sorciers s’en réservaient l’usage pour leur propre compte, afin de subvenir aux monstrueuses débauches du sabbat.
Parmi ces débauches, il faut comprendre le crime de la bestialité, qui paraît avoir été fort ordinaire dans les assemblées nocturnes des sorciers. Ce crime exécrable, si fréquent chez les anciens peuples, ne se montrait, chez les modernes, que de loin en loin dans les tribunaux, où il rencontrait invariablement l’application de la peine capitale: le coupable était brûlé vif avec son complice, quel que fût le rang que ce dernier occupât dans l’échelle des êtres animés. Mais le même crime se trouvait inhérent à celui de la sorcellerie, et la jurisprudence du moyen âge voulait que tout individu de l’un ou de l’autre sexe, qui avait figuré au sabbat, fût, par cela seul, suspect de bestialité. Bodin ne s’exprime, à cet égard, qu’avec une réserve qui témoigne de l’horreur que lui inspirait un pareil sujet. «Et quand la Loy de Dieu, dit-il, en citant le chapitre 22 de l’Exode, défend de laisser vivre la sorcière, il est dit, tôt après, que Celuy qui paillardera avec la beste brute, qu’il sera mis à mort. Or, la suitte des propos de la Loy de Dieu touche couvertement les vilenies et meschancetez incroyables; comme quand il est dit: Tu ne présenteras point à Dieu le loyer de la paillarde ny le prix du chien! Cela touche la paillardise des meschantes avec les chiens.» Bodin avait parlé ailleurs de cette infamie, qu’il hésitait à considérer comme un acte personnel du démon. «Quelquefois, disait-il, l’appétit bestial de quelques femmes fait croire que c’est un démon, comme il advint en l’an 1566, au diocèse de Coloigne. Il se trouva, en un monastère, un chien qu’on disoit estre un démon, qui levoit les robbes des religieuses, pour en abuser. Ce n’estoit point un démon, comme je croy, mais un chien naturel. Il se trouva, à Toulouse, une femme qui en abusoit en ceste sorte, et le chien devant tout le monde la vouloit forcer. Elle confessa la vérité et fust brûlée.»
Cependant Bodin n’avait qu’à se rappeler la description du sabbat, où Satan affectait la forme de chien, ou de taureau, ou d’âne, ou de bouc, pour recevoir les sacrifices de ses adorateurs: aussi, se reproche-t-il presque aussitôt d’avoir innocenté Satan aux dépens de l’espèce humaine: «Il se peut faire, dit-il en se ravisant, que Satan soit envoyé de Dieu, comme il est certain que toute punition vient de luy, par ses moyens ordinaires ou sans moyen, pour venger une telle vilanie: comme il advint, au monastère du Mont-de-Hesse en Allemaigne, que les religieuses furent démoniaques; et voioit-on, sur leurs licts, des chiens qui attendoient impudiquement celles qui estoient suspectes d’en avoir abusé et commis le peché qu’ils appellent le peché muet.» (Démonomanie des sorciers, liv. III, ch. 6.) Bayle, dans ses Réponses aux questions d’un provincial, semble avoir voulu expliquer et motiver tous les déportements qu’on attribuait aux sorcières, en prouvant que la plupart de ces sorcières étaient de vieilles débauchées qui ne trouvaient plus à satisfaire leur imagination et leurs sens dépravés, que dans un commerce surnaturel et diabolique. «Tel étoit, avant le déluge, le goût des démons, dit-il au chapitre 57, ils n’en vouloient qu’aux belles; ils sont devenus moins délicats avec le temps, et les voilà enfin dans une autre extrémité: ils n’en veulent qu’à la laideur de la vieillesse. Ce n’est plus qu’avec des vieilles qu’ils se marient, s’il est permis de se servir de ce mot dans le commerce charnel qu’ils ont avec les sorcières, et qui commence régulièrement après le premier hommage qu’elles rendent au président du sabbat, et se continue ensuite toutes les fois qu’elles retournent à cette assemblée, non aliter hæc sacra constant, sans compter les extraordinaires. (Voy. Bodin aux chap. 4 et 7 du 2e livre de sa Démonomanie, et Antonio de Torquemada.) On n’oublia pas de dire que, vu la figure qu’ils prennent et l’hommage qu’ils exigent, les plus laides bouches seroient encore trop belles, similes habent labia lactucas, ajoute-t-on proverbialement. (Voy. Torquemada, Jardin de flores curiosas. Anvers, 1575, in-12, p. 294.)»
Tous les écrivains qui ont apporté un esprit de critique et de philosophie dans l’examen des arcanes de la sorcellerie, se sont rendus compte de l’espèce de fureur utérine, que le diable surexcitait plutôt chez les vieilles que chez les jeunes femmes. Le savant et grave professeur Thomas Erastus avoue, il est vrai, qu’on rencontrait des sorcières de tout âge; mais il démontre doctoralement que la plupart étaient âgées, parce que la vieillesse, dans certaines natures féminines, exalte les passions physiques, au lieu de les éteindre. «Avant d’être sorcières, dit-il, ces femmes-là étaient libidineuses, et elles le deviennent de plus en plus dans leurs rapports avec les démons.» Il les compare à de vieilles chèvres qui vont sans cesse au-devant des caresses du bouc. Hinc proverbio apud nostros factus est locus, vetulas capras libentius lingere sales juvenculis. Il ajoute qu’on ne doit pas s’étonner que des femmes qui ont perdu toute crainte de Dieu et toute pudeur sexuelle, se livrent à des excès que l’âge n’épargne pas même à d’autres femmes, qu’il faut plaindre plutôt que blâmer: Quis dubitet illas immodestius, majoreque ardore, ad impuritatem sine rationis fræno aut infamiæ metu, brutorum instar ferri? (Voy. le traité de Th. Erastus, De lamiis, p. 30 et 113.)
Les démons, ces maîtres d’impureté, comme les appelle un mystique, n’étaient que trop portés à donner carrière à leurs sales et bizarres imaginations: on ne pouvait rester dans leur compagnie, sans y contracter les plus déplorables habitudes. La sorcellerie était une académie de perdition, où l’homme et le diable semblaient lutter d’incontinence et de lubricité. L’initiation consistait toujours en quelque horrible péché, dans lequel Satan avait sa part. Ainsi, pour ne citer qu’un seul fait entre mille, la sibylle de Norcia, si célèbre au moyen âge comme reine d’une école de magie où l’on allait se faire initier à ses risques et périls, accueillait d’une singulière façon les curieux qu’elle recevait dans sa caverne. «La sibylle et tous ceux qui habitoient son roïaume, dit Bayle (Réponses aux questions d’un provincial, ch. 58), prenoient chaque nuit la figure de serpent, et il faloit que tous ceux qui vouloient entrer dans la caverne, eussent affaire à quelcun de ces serpents. C’étoit leur debut et leur initiation; c’est ainsi que l’on païoit le droit d’entrée (voy. Leandro Alberti, Descritt. di tutta Italia, fol. 278): La notte, tanto i mascoli quanto le femine, doventano spaventose serpi, insieme con la sibilla, e che tutti quelli che desiderano entrarci, gli besogna primieramente pigliare lascivi piaceri con le dette stomacose serpi.» Il y avait une continuelle affluence de pèlerins qui venaient tenter l’aventure. La sibylle donnait audience à tout le monde, et parfois elle prenait la place de ses serpents, pour faire fête à ses hôtes. Pendant ce temps-là, les belles fées qui formaient sa cour se changeaient aussi en serpents, en lézards, en scorpions et en crocodiles, pour se mêler dans un effroyable sabbat, où on les voyait, dit le bonhomme Blaise de Vigenère dans ses notes sur les Tableaux de platte peinture de Philostrate, «demenans un très laid et hideux service.» Malheur au simple mortel qui n’obéissait pas aux ordres de la sibylle ou qui les exécutait mal! Il devenait la proie de l’insatiable lubricité des reptiles, jusqu’à ce qu’il fût délivré par l’heureuse arrivée d’un ermite ou d’un moine.
Il résulte de tous ces faits et d’une foule d’autres analogues, que la sorcellerie, qui faisait moins de dupes que de victimes, a toujours eu pour objet la Prostitution. A part un petit nombre de magiciens crédules et de sorcières convaincues, tout ce qui avait été initié servait ou faisait servir les autres à un abominable commerce de débauche. Le sabbat ouvrait le champ à ces turpitudes. Tantôt le sabbat rassemblait une hideuse compagnie de libertins des deux sexes; tantôt il réunissait, au profit de certains fourbes libidineux, une troupe de femmes crédules et fascinées. Ici c’était un moyen de luxure, là c’en était seulement l’occasion. On peut conclure, d’après les aveux des accusés dans divers procès de sorcellerie, que tout le bénéfice du sabbat revenait souvent à un seul individu, qui débauchait des filles en bas âge et qui expérimentait sur ces initiées les odieuses inventions de sa perversité. Dans un grand nombre de circonstances, le rôle du diable appartenait à quelque scélérat, qui en abusait pour satisfaire ses horribles caprices, et qui prélevait un tribut obscène sur les misérables qu’il attirait sous sa domination. Dans un des derniers procès de sorcellerie, en 1632, le curé Cordet, qui fut jugé et condamné à Épinal, était accusé d’avoir introduit au sabbat la ribaude Cathelinotte et de l’avoir présentée à maître Persin, homme grand et noir, froid comme glace, etiam in coitu, habillé de rouge, assis sur une chaise couverte de poils noirs et pinçant au front ses néophytes pour leur faire renier Dieu et la Vierge. (Archives d’Épinal, cit. par É. Bégin.)
Dans un procès du même genre, qui avait eu, peu d’années auparavant, une immense publicité, on sut qu’un curé de la paroisse des Accouls, à Marseille, nommé Louis Gaufridi, s’était donné au diable, à condition qu’il pût inspirer de l’amour aux femmes et aux filles en soufflant sur elles. En effet, il souffla sur la jeune Magdeleine, fille d’un gentilhomme provençal, nommé Madole de la Palud, lorsqu’elle n’avait pas encore neuf ans. Il souffla depuis sur d’autres femmes qui n’eurent rien à lui refuser. Magdeleine de la Palud continuait à être, malgré elle, la maîtresse de Gaufridi, qui l’avait fait entrer dans l’ordre religieux de Sainte-Ursule. Enfin, ce séducteur de l’innocence, poursuivi par l’Inquisition, avoua ses crimes et déclara qu’il avait eu plusieurs privautés avec Magdeleine, tant en l’église que dans la maison d’icelle, tant de jour que de nuit; qu’il l’avait connue charnellement et qu’il lui avait imprimé sur le corps divers caractères diaboliques; qu’il était allé avec elle au sabbat et qu’il y avait fait, en sa présence, une infinité d’actions scandaleuses, impies et abominables, à l’honneur de Lucifer. Louis Gaufridi fut brûlé vif, à Aix, sur la place des Jacobins, après avoir fait amende honorable tête et pieds nus, la hart au cou, une torche ardente à la main.
On citerait une multitude de procès de sorcellerie, dans lesquels on voit la dépravation morale se couvrir, comme d’un manteau, de la possession du diable, et attribuer tous ses méfaits à la tyrannie de l’enfer; mais on reconnaît sans peine que ceux-là même qui prétendaient avoir cédé à une puissance occulte et à un irrésistible prestige, ne croyaient pas toujours à l’intervention des démons. C’étaient ordinairement des libertins honteux, forcés, par état, à vivre dans la continence, ou du moins à cacher sous des dehors respectables l’effervescence de leurs passions sensuelles; c’étaient des prêtres, c’étaient des moines, qui s’abandonnaient en secret aux tentations du démon de la chair. Le sabbat était le rendez-vous de tout ce qu’il y avait de plus pervers: voilà pourquoi il se tenait dans des lieux écartés, au milieu des bois, dans les montagnes, parmi les rochers, et toujours l’endroit, affecté à ces assemblées nocturnes de débauche, avait eu, de temps immémorial, la même destination. Il nous paraît donc démontré que les sorciers, du moins la plupart, n’usaient de la magie que pour des œuvres de Prostitution, et que, si les sorcières étaient souvent de bonne foi, mais aveuglées et fascinées par leur propre imagination, les diables qui avaient avec elles un commerce régulier, appartenaient tous à la pire espèce des hommes débauchés.
On s’explique par là comment la justice ecclésiastique et séculière sévissait avec tant de rigueur contre les sorciers et les sorcières: elle avait compris dans la sorcellerie tous les actes les plus exécrables de la dépravation humaine, et quand elle condamnait un sorcier, elle lui appliquait la pénalité de l’inceste, de la sodomie et de la bestialité, comme s’il était coupable de tous ces crimes. La sorcellerie, qui n’était autre que la débauche, nous croyons l’avoir prouvé, se répandit de si furieuse manière en Europe au seizième siècle, que le fameux Troiséchelles, qui fut condamné au feu en 1571, et qui obtint sa grâce à condition qu’il dénoncerait tous ses complices, dit au roi qu’on pouvait évaluer à 300,000 le nombre des sorciers en France. «Il s’en trouva si grand nombre, riches et pauvres, dit Bodin, que les uns firent eschapper les autres, en sorte que ceste vermine a tousjours multiplié avec un tesmoignage perpétuel de l’impiété des accusez, et de la souffrance des juges qui avoyent la commission et la charge d’en faire le procès.» L’impunité eût fait de la France entière une vaste arène de sorcellerie ou de Prostitution. Il n’y avait que 100,000 sorcières dans le royaume sous le règne de François Ier, suivant le calcul du père Crespet, dans son traité De la Haine de Satan. Troiséchelles, qui s’entendait sans doute en ce genre de statistique, révéla que ce nombre avait triplé, en moins d’un demi-siècle. Filesac, docteur de Sorbonne, autre faiseur de statistique démoniaque, écrivait, en 1609, que les sorciers étaient plus nombreux que les prostituées. Il cite, à l’appui de son dire, deux vers de Plaute, qui signifient qu’il y a plus de femmes de joie et de proxénètes, que de mouches en été: