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Histoire des enseignes de Paris

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Amour m’a refait
En 525 tout à fait.

C’était quelque amoureux, sans doute, qui avait fait réparer le vieux puits, en souvenir de la triste aventure qui rendit ce puits célèbre, sous le règne de Philippe-Auguste, quand Agnès Hellebic s’y précipita par désespoir d’amour. Depuis lors, les amants se donnaient rendez-vous au Puits d’Amour. «Avec le temps, dit Sauval, son nom a passé à une maison proche de là, et comme ce nom a paru galant à un marchand qui la loue, il a fait repeindre l’enseigne et l’a rehaussée de couleurs fort vives, et même, afin de mieux représenter la fable, il y a figuré un puits, tout entouré de belles filles et de jeunes garçons, avec un petit Amour qui décoche des flèches sur eux, et ces paroles au bas: Au Puits d’Amour. Or, comme d’autres marchands ont trouvé cette enseigne fort à leur gré, et d’autant plus qu’ils s’imaginent que les enseignes plaisantes, ou qui se font remarquer, attirent les chalands, les uns l’ont tout à fait copiée, les autres se sont contentés de l’imiter[64]

V

ENSEIGNES SCULPTÉES, FORGÉES, ÉMAILLÉES; ENSEIGNES EN PIERRE, EN BOIS, EN PLOMB, EN FER, EN TERRE CUITE, EN ÉMAUX OU FAIENCE.

LE plus grand nombre des enseignes étaient des tableaux, peints plus ou moins naïvement, et cela, dès les premiers temps de l’usage des enseignes de marchand. On peut dire avec certitude que toute enseigne pendante était peinte sur bois, à l’exception de quelques enseignes ouvrées en fer, dont le poids pouvait être supporté par la potence à laquelle on suspendait l’enseigne. Quant à ces peintures, elles devaient être généralement exécutées d’une manière convenable, car la corporation des peintres, comme toutes les corporations de métier, exerçait une rigoureuse surveillance sur les ouvrages que ses membres seuls, ayant droit et privilège de maîtrise, se chargeaient d’exécuter eux-mêmes ou de faire exécuter, sous leur responsabilité, par leurs compagnons et leurs apprentis; voilà pourquoi un maître peintre, si habile et si célèbre qu’il fût, ne refusait jamais des travaux de peinture décorative, qu’on pouvait croire indignes de lui. Le même artiste qui peignait des fresques pour les églises et les hôtels avec un réel talent ne dédaignait pas de peindre des enseignes pour les marchands. Nous n’avons pas cependant de document écrit que nous puissions citer à l’appui de cette assertion plausible et presque incontestable, car il ne nous est resté aucune de ces enseignes du XVᵉ et du XVIᵉ siècle, que nous attribuons au pinceau des artistes de la confrérie de Saint-Luc plutôt qu’à la brosse maladroite de quelques ignorants barbouilleurs. Dans le Compte de l’ordinaire de la Prévôté de Paris, année 1463, nous trouvons le nom de Jean de Boulogne, dit de Paris, qui avait fait «un écu de France, peint à l’huile, de fin or et azur, mis et assis sur l’entrée de la porte de l’hôtel du Roi, près des Tournelles.» Or, cet écu de France n’était autre qu’une enseigne, et le peintre Jean de Boulogne, dit de Paris, paraît être le fameux Jean de Paris, alors bien jeune, qui était originaire de Lyon, mais qui se serait intitulé Jean de Boulogne, parce qu’il avait étudié son art dans l’atelier d’un bon peintre bolonais[65].

Nous ne parlerons donc ici que des enseignes exécutées par des sculpteurs, des ferronniers, des plombiers, des tailleurs en bois, des potiers en terre et des émailleurs. Quelques ouvrages de ces artistes ou artisans sont venus jusqu’à nous et peuvent du moins servir de témoignage pour attester l’existence d’une foule d’enseignes de la même espèce. Nous avons déjà dit que la plupart des enseignes de maison devaient être sculptées et, par conséquent, adhérentes au mur. On ne saurait supposer, en effet, qu’un bas-relief en pierre ou même en terre cuite ait pu se suspendre à une potence, si forte qu’on l’eût faite en vue de soutenir un pareil poids. Les spécimens de ces enseignes sculptées qui subsistent encore dans Paris, après tant d’années et surtout après tant de démolitions successives, ne nous donnent qu’une idée très insuffisante de ce que pouvaient être les belles enseignes de cette espèce, dues à des sculpteurs de premier ordre; car les imagiers du XVᵉ siècle, qui travaillaient la pierre avec tant d’adresse et qui façonnaient une multitude de petites figures d’anges et de saints pour les églises gothiques, étaient certainement les mêmes qui exécutaient les enseignes sculptées des maisons et des boutiques.

La rue de la Harpe devait son nom à une de ces enseignes sculptées, et cette enseigne s’y voyait encore vers la fin du siècle dernier, au dire de Jaillot[66], sur la façade «de la seconde maison, à droite, au-dessus de la rue Maçon». A. Berty, dans son étude sur les Enseignes de Paris avant le dix-septième siècle, n’a pas admis l’opinion de Jaillot. «Cette maison de la Harpe, située près de la rue Maçon (et qui a disparu il y a une centaine d’années), dit-il, n’est pas la même que le domus ad Citharam, qui a donné son nom à la rue et qu’on trouve mentionné au XIIIᵉ siècle.» Mais A. Berty ne nous dit point à quel endroit de la rue était l’enseigne de la Cithare, à cause de laquelle la rue avait été nommée vicus Citharæ dans un contrat de 1247, et en 1272 rue du Harpeur ou vicus Regnialdi citharistæ, dans le Cartulaire de la Sorbonne. Alfred de Bougy[67] semble avoir voulu plaisamment mettre dos à dos les deux savants archéologues parisiens, en cherchant ailleurs la maison qui portait l’enseigne primitive de la rue: «Serait-ce par hasard, dit-il, la maison placée à l’angle des rues de la Harpe et Saint-Hyacinthe-Saint-Michel, où l’enseigne du marchand de vin figure (en bois peint) le saint roi David jouant de la cithare?» Alfred de Bougy savait bien que la vieille rue Saint-Hyacinthe avait été ouverte en dehors de l’enceinte de Philippe-Auguste et que le roi David ne pouvait en aucun cas être confondu avec Regnault le Harpeur ou le Cithariste.

L’enseigne en pierre sculptée qui avait donné son nom à la rue de la Calandre, dans la Cité, représentait probablement un grillon sous une forme monstrueuse, car dès l’année 1280 la rue avait pris le nom de Kalendra ou Calandre; on appelait ainsi autrefois le grillon, qui était l’hôte habituel du four banal et qui faisait un bruit perçant et continuel, après la cuisson du pain. On l’appelle aujourd’hui cafard à Paris, où il infeste les fournils des boulangers. Ménage voulait que cette enseigne eût représenté d’abord une alouette, que l’on nommait aussi Calandre. «La rue de la Calandre de Paris, dit-il, a pris son nom d’une calandre qui y pendoit pour enseigne[68].» Sauval se serait-il donc trompé en supposant que le nom de la rue venait de la machine de bois, nommée calandre, qui sert à polir et à calandrer les draps et les étoffes? «Vers le milieu de cette rue, dit-il, pend une enseigne, à demi rompue, où cette grande machine est peinte..., et pour moi, je m’étonne que l’abbé Ménage ait dit qu’elle devoit son nom à une enseigne d’alouette[69].» En effet, la rue de la Calandre était voisine de la Vieille Draperie. L’enseigne sculptée de la Calandre avait disparu alors, mais on en a vu longtemps encore, jusque vers 1860, une de la même époque, celle des Trois Poissons, sculptée dans un médaillon, sur la façade d’une maison de la rue de la Saunerie, nº 14, près du quai de la Mégisserie[70].

La rue de la Licorne, qui ne prit ce nom qu’au XVᵉ siècle, quand on y montra une prétendue licorne vivante, s’appelait auparavant, dès le XIVᵉ siècle, rue des Obloiers, parce que c’était dans cette rue que se fabriquaient les oblées ou oublies, qui ne sont autres que ces minces cornets de plaisir qu’on vend, le soir, dans les rues. Les marchandes de plaisir ont succédé aux oublayeurs et oublieux du moyen âge. Ces derniers avaient laissé sur un mur, dans la rue de la Licorne, un souvenir de leur industrie pâtissière: c’était l’enseigne sculptée de la Gerbe de blé, car l’oublie était faite avec de la fleur de farine. Quant à l’enseigne de la Licorne, qui perpétuait le nom de la rue, la tradition ne dit pas si elle était peinte ou sculptée.

L’enseigne sculptée de la rue du Cherche-Midi n’est pas certainement celle qui avait donné son nom à la rue où elle se trouve. Sauval ne parle pas de cette enseigne sculptée, mais d’une autre qui était peinte, que l’enseigne actuelle a sans doute remplacée. Cette dernière, qui fait corps avec la maison du nº 19, forme un médaillon suspendu au milieu d’un encadrement d’architecture: il représente un astronome en costume antique traçant un cadran solaire sur une tablette que lui présente un petit génie. On lit au-dessous: Au Cherche-Midi. Cette sculpture, bien composée et bien exécutée, paraît être du XVIIIᵉ siècle.

L’enseigne sculptée de la Fontaine de Jouvence, que nous avons déjà mentionnée[71], dans la rue du Four-Saint-Germain, est du XVIᵉ siècle; elle figurait au-dessus de la porte de la maison de la Fontaine, construite avant l’année 1547. Cette sculpture, malheureusement mutilée, et qu’on peut voir au musée Carnavalet, est d’un très bon style. La statue, posée au milieu de la fontaine, est une Vénus, qui a été brisée presque complètement, sans doute à cause de sa nudité. La femme qui puise de l’eau dans la fontaine est décapitée; mais l’homme qui s’éloigne à gauche, emportant un sac sur son épaule, est intact. Serait-ce un vieillard que la fontaine de Jouvence vient de rajeunir? A. Berty s’est trompé étrangement en croyant que cette sculpture était du commencement du XVIIIᵉ siècle[72].

Il faut nous borner à citer quelques autres enseignes sculptées qui subsistent encore, ou du moins qui étaient à leur place il y a quelques années: Au Centaure, rue Saint-Denis, au coin de la rue des Lombards, à côté du Mortier d’argent, presque en face du Chat noir, très bonne sculpture du XVIIᵉ siècle, qu’on a eu la barbarie de mettre en couleur;—Aux Bons Enfants, chez un marchand de vin de la rue Saint-Martin: ce sont des enfants qui donnent des fruits et du pain à un pauvre vieillard; sculpture lourde et sans art: l’artiste a mis un chien basset aux pieds du vieillard, quoiqu’il ait eu la prétention de faire un bas-relief dans le

style grec académique;—une enseigne sculptée, Aux Bons Enfants, chez un marchand de vin, rue de la Huchette;—Au Bon Conseil, qu’on voyait chez un marchand de vin de la rue Mauconseil et qui a disparu récemment: deux enfants, nus et couronnés de lierre, étaient à table; une espèce de Bacchus, assis sur un tonneau, leur versait à boire; de l’autre côté, une femme, également nue, suppliait ce gros homme de ménager la raison des deux enfants;—Au Soleil d’or, encore un marchand de vin, rue Saint-Sauveur, nº 84, tout près de la rue Montmartre: sous les rayons de ce soleil, d’un jaune vif, trois enfants font la vendange et dégustent le vin nouveau; de chaque côté du

soleil sont des raquettes, ce qui indique clairement l’existence d’un jeu de paume dépendant jadis du débit de vin.

On voyait aussi sur le quai de la Mégisserie deux enseignes sculptées, le Vieux Pêcheur et le Galant Jardinier; mais les architectes, qui ont démoli les maisons anciennes et rebâti les nouvelles, n’étaient pas payés pour s’intéresser à ces vieilles enseignes, coloriées comme des images de plâtre, qu’on a remplacées l’une par un tableau, l’autre par une statuette en bois coloriée. Rue de la Lingerie, nº 15, une enseigne en bois sculpté peint en bronze et argent représente le Bon Samaritain.

Il y avait autrefois des enseignes à figures en plâtre et en terre cuite, mais elles n’étaient pas faites pour résister longtemps aux accidents de la vie parisienne. Les enfants s’amusaient à les abattre à coups de pierres. Les enseignes sculptées en bois et peintes au naturel faisaient meilleure résistance, mais la pluie et le soleil en venaient à bout tôt ou tard, si l’on n’avait pas soin de les repeindre souvent pour les préserver de la destruction. Il fallait peindre aussi les enseignes en fer, qui ne craignaient que la rouille.

C’étaient quelquefois de bons ouvrages de ferronnerie, élégants et légers, travaillés, presque sculptés au marteau. Les marchands de vin appréciaient beaucoup ce genre d’enseigne, qui ne se détériorait pas, à condition qu’on en renouvelât la peinture tous les dix ans. Un marchand de vin de la rue Saint-Honoré, nº 33, près de la rue de la Ferronnerie, a encore une très jolie enseigne en fer forgé: A l’Enfant Jésus. Ce divin enfant est représenté debout sur la lettre H dans son monogramme, entre deux ceps de vigne. L’enseigne Au franc Pinos, qui représente une grappe de raisin suspendue au centre d’un enroulement de vigne, en

fer forgé, existe encore également chez un marchand de vin dont la boutique fait le coin de la rue des Deux-Ponts et du quai Bourbon. Le pinot, ou plutôt pineau, est une espèce de raisin noir qui fait le meilleur vin de Bourgogne et dont Rabelais vante les qualités. Un autre marchand de vin, nº 6, quai de l’École, aujourd’hui quai du Louvre, avait fait exécuter en fer son enseigne: Au Petit Suisse. Celui-ci monte la garde au milieu d’une treille; le tout est très haut en couleurs, comme si c’était un tableau de foire. Cette jolie enseigne, Au Petit Suisse, est répétée, avec une tout autre composition locale et sous un autre costume,

pour annoncer la boutique d’un marchand de fromages de

Gruyère, rue Montorgueil. L’enseigne des Trois Rats était aussi en fer, les rats trottinant au milieu d’un ornement en forme de cœur ou de vase. L’enseigne A la grâce de Dieu, rue Montmartre, est la plus ancienne de toutes les enseignes en fer, car elle doit remonter à l’époque de la régence du duc d’Orléans. C’est un petit personnage, en costume du temps, avec la perruque et nu-tête, dans une barque, qui est censée en péril de mer, au milieu d’une sorte de cartouche en fer battu, affectant la forme d’un écran.

Les enseignes sculptées n’étaient souvent que des bustes ou des statues. On sait, par exemple, que le buste de Molière, qu’Alexandre Lenoir avait fait placer en 1799 sur la façade d’une maison de la rue de la Tonnellerie, qu’on regardait alors comme la maison natale de cet homme célèbre, a été depuis peint en noir par un barbare qui en a fait une enseigne: A la Tête noire. Cette singulière manie de barbouiller de noir ou d’autre couleur foncée les sculptures en pierre blanche s’est signalée encore tout récemment, au boulevard des Capucines, en déshonorant la belle maison neuve où est établi un grand magasin d’étoffes, A la Ville de Lyon: les deux nymphes, couchées nonchalamment sur la console de la porte cochère, œuvre exquise du statuaire Jalley, ont été noircies du plus brillant noir pour cacher leur voluptueuse nudité.

Retournons à nos enseignes d’autrefois et allons chercher dans la grande rue du faubourg Saint-Antoine, nº 187, une autre Tête noire, qui est celle d’un vrai nègre, sculptée en médaillon colorié; une autre encore au nº 44, mais peinte sur bois et qui sert de fétiche à la boutique d’un marchand de meubles. Près de là, dans le même faubourg, nº 26, se trouve le Gryphon, très jolie enseigne sculptée, et tout à côté, le Vaisseau marchand. En revenant vers le centre, dans la rue Saint-Antoine, nous trouvons, au nº 134, une statue de la Truie qui file, en livrant ses mamelles à ses petits pourceaux: cette statue en pierre, qui est sculptée très naïvement, très spirituellement, faisait la joie de nos pères, et il y en avait à Paris trois ou quatre autres, notamment celle de la rue des Poirées, reproduisant la même fileuse avec des variantes de détail. On a conservé aussi, rue de la Tonnellerie, une enseigne, A l’ancienne Renommée, qui est une assez bonne statue, debout sur la boule du monde. Quant au Nègre du boulevard Saint-Martin et au Chinois de

la rue La Fayette, l’un et l’autre ayant des cadrans d’horloge dans le ventre, ils ont été si bien peinturlurés et dorés, qu’on

ne sait pas s’ils sont en pierre ou en zinc, et que nous les regardons comme des joujoux de Nuremberg taillés en plein bois avec un simple couteau par quelque bûcheron artiste de la forêt Noire.

Il y avait jadis en France beaucoup de ces tailleurs de bois, qui faisaient mieux que des enseignes, et qui ne laissaient pas nos églises de village manquer de statues de saints et de saintes, qu’un coloriage intelligent ne déparait pas trop, quand on les avait placées dans leurs niches. C’étaient ces mêmes artistes d’instinct et de sentiment qui élabouraient ces merveilleux triptyques, ces superbes retables qui font encore notre admiration par le nombre, la variété et le caractère des figures qui y sont rassemblées. Quand les travaux d’église vinrent à leur manquer, ils se consacrèrent, malgré eux, à des œuvres profanes. Ils exécutèrent les dernières enseignes sculptées en bois, dans lesquelles ils faisaient quelquefois des images de saints ou des sujets de sainteté, et ils entreprirent aussi de grands ouvrages de boiseries, ornementées, d’après des dessins d’architectes-décorateurs. On verra encore, sur le quai Bourbon, presque au coin de la rue des Deux-Ponts, un curieux modèle de ce travail de sculpteur ornemaniste, dans une devanture de boutique du XVIIIᵉ siècle, très pure de dessin et très élégante, malgré sa simplicité[73].

Quelques bons tailleurs en bois ont trouvé à s’employer, dans ces derniers temps, pour la fabrication de plusieurs enseignes sculptées. On voyait une de ces enseignes, celle d’un charcutier, rue Neuve-des-Petits-Champs, nº 2: A l’Homme de la Roche de Lyon. Nous dirons quel était cet homme, dans le chapitre des anecdotes relatives aux enseignes[74]. M. Poignant a décrit ainsi cette statue[75]: «C’est une statue en bois, de grandeur naturelle, représentant un homme vêtu en chevalier; de la main gauche étendue, il tient une bourse; la droite s’appuie sur une lance. Elle

paraît dater de la Restauration.» M. Poignant cite une autre sculpture d’enseigne, qui date de 1840; ce sont les figurines qui décorent des deux côtés la devanture de la boutique d’un opticien, rue de l’Échelle; l’une représente un officier de marine qui relève le point de latitude avec un sextant; l’autre, un matelot qui regarde avec un télescope. «La justesse du mouvement, dit M. Poignant, la fermeté de l’exécution, font de ces statuettes deux fantaisies artistiques qui ne manquent pas de valeur.» L’enseigne du magasin de nouveautés: Aux Statues de Saint-Jacques, rue Étienne-Marcel, entre les rues aux Ours et Saint-Denis, n’a demandé que de menus frais d’installation; car les statues qui la composent proviennent de l’ancien hôpital de Saint-Jacques-de-Compostelle, fondé en 1298, lequel s’élevait à l’endroit même où l’on vend maintenant aux dames des objets de toilette et de mode. Ces deux statues en habits de pèlerin ne datent pas sans doute de l’origine de l’hôpital, que la Révolution avait fait disparaître; elles sont du XVIᵉ ou du XVIIᵉ siècle. On les trouva presque intactes en creusant les fondations de ce magasin, et le propriétaire, après les avoir fait restaurer en 1854, les plaça comme une enseigne sur l’entablement de la maison qu’il faisait bâtir. On dit que ces vénérables statues lui ont porté bonheur.

Sous le règne de François Iᵉʳ, les artistes italiens que le roi avait amenés en France, et qui travaillaient pour lui à l’hôtel de Nesle et au château de Madrid, eurent l’ingénieuse idée d’encastrer, dans l’architecture des édifices qu’on faisait construire alors à Paris et en province, des émaux et des plaques de faïence représentant des sujets, des emblèmes et des ornements. On employait aussi ces faïences émaillées au carrelage des galeries et des salles dans les châteaux et les hôtels. Il est à peu près certain que ce genre de décoration fut appliqué aux enseignes des marchands, puisqu’on avait fait entrer des inscriptions non seulement sur les grandes pièces de faïence encadrées dans la pierre monumentale, mais encore dans les carreaux qui servaient au pavement intérieur des maisons. Il ne s’est conservé aucune de ces enseignes en faïencerie, mais on peut voir au musée de Cluny quelques-unes des plaques émaillées qui décoraient le château de Madrid, au bois de Boulogne.

Il y avait, cependant, au nº 24 de la rue du Dragon (faubourg Saint-Germain), entre les deux fenêtres du premier étage d’un hôtel garni, une véritable enseigne en émail du XVIᵉ siècle, avec cette légende dans la bordure jaune qui entourait le médaillon: Au fort Samson. Ce médaillon, d’un très beau style, représentait non pas Samson, mais Hercule terrassant le lion de Némée. On l’attribuait à Palissy, et le propriétaire de la maison y avait fait mettre cette inscription: Ancienne demeure de Bernard Palissy en 1575. Le médaillon attira la curiosité des amateurs, et le propriétaire refusait toujours de le vendre, jusqu’à ce que l’offre d’un prix considérable l’eût enfin décidé à le laisser enlever de la place que ce précieux souvenir du grand verrier céramiste avait gardée depuis trois siècles. On l’a remplacé par un médaillon colorié de même dimension représentant une tête d’homme.

Il est certain que l’atelier où Palissy fabriquait ses émaux et rustiques figulines n’était pas éloigné de sa demeure, et cet atelier devint sans doute, sous le règne de Henri IV, la verrerie de Saint-Germain-des-Prés. Le médecin Jean Heroard a écrit dans son Journal, à la date du 4 juin 1666, cette note où il met en scène le Dauphin qui fut Louis XIII: «Il se joue à une petite fontaine faite dans un verre, qui lui venoit d’être donnée par les verriers de la verrerie de Saint-Germain-des-Prés; s’amuse à une vaisselle de poterie, où il y avoit des serpents et des lézards représentés; y faisoit mettre de l’eau, pour les représenter vivants[76]

Sous le premier Empire, Napoléon avait fait venir d’Italie un groupe d’ouvriers mosaïstes, qui avaient entrepris de fabriquer des enseignes en mosaïque; mais ces essais, coûtant fort cher, furent peu appréciés et ne trouvèrent pas de clientèle. Plus tard, on remplaça la mosaïque en petits cubes de verre émaillé, par des mosaïques en plus gros cubes de pierres de couleur, et l’on en fit des tableaux qu’on incrusta dans le dallage des trottoirs et des passages devant les boutiques. Ce furent les enseignes sur le sol, au lieu des enseignes sur les murs. Ces essais ont été repris récemment sous les galeries du Palais-Royal. Ce n’était pas, du reste, une invention moderne, puisque des mosaïques du même genre sont encore intactes, depuis dix-neuf siècles, dans les maisons antiques d’Herculanum et de Pompéi.

VI

ENSEIGNES D’ENCOIGNURE, OU POTEAUX CORNIERS

IL y avait, dans le vieux Paris, beaucoup de maisons d’encoignure, construites entre deux rues et s’avançant à angle droit sur une petite place ou un carrefour. L’encoignure de ces maisons, généralement bâties en bois, était formée par une grosse pièce de charpente, simplement équarrie ou sculptée avec plus ou moins de soin, laquelle s’élevait toujours jusqu’au premier étage et quelquefois montait jusqu’à la toiture. Cette pièce de bois s’appelait cornier ou poteau cornier. On comprend que ce poteau, faisant face à une place sur laquelle débouchaient plusieurs rues, était l’endroit le plus favorable pour l’exhibition d’une enseigne, que cette enseigne fût celle d’une maison ou bien celle d’une boutique. Cette enseigne était de différente espèce, selon la fantaisie du propriétaire ou du marchand. Tantôt on y posait une image ou statue de saint, sur un piédestal pendentif ou dans une niche; tantôt on n’y mettait qu’un buste en pierre, ou en bois, ou en plâtre, doré ou colorié de couleurs éclatantes; tantôt on y appendait, à l’extrémité d’une potence en fer, une enseigne ordinaire représentant les armes parlantes d’un commerce ou caractérisant le nom de la maison du coin. On sait combien ces maisons d’encoignure furent recherchées par certaines industries qui s’adressaient directement au bas peuple et aux passants. On peut assurer que l’enseigne en rébus: Au bon Coing, fut une de celles qui répondaient le mieux à la position avantageuse d’un cabaret ou d’une rôtisserie, occupant une maison d’encoignure. C’est ce genre d’enseigne qui est indiqué dans un des articles de l’édit de 1693, relatif aux enseignes de Paris: les bustes, aux maisons en encoignure, indiquant la profession, ne payaient qu’un seul droit de 4 livres. Quant aux maisons d’encoignure où il y avait des images de saint dans des niches, si ces images, devant lesquelles on allumait, la nuit, une lampe ou une lanterne, n’existent plus, leurs niches sont restées vides, en grand nombre, dans les vieux quartiers.

Mais nous ne voyons pas que les ordonnances de police aient distingué nominativement les poteaux corniers, qui étaient de véritables enseignes de maison, enjolivées de sculptures et présentant quelquefois des sujets pieux ou allégoriques qui se déroulaient sur toute la hauteur du poteau ou du pilier. Ils étaient cependant fort nombreux, et, dans notre jeunesse, nous nous rappelons en avoir vu couverts de figures en ronde bosse peintes ou dorées; malheureusement il n’en subsiste plus, à notre connaissance, qu’un seul dans la rue Saint-Denis, dont nous allons parler tout à l’heure. Il y en avait un, plus curieux que tous les autres, et le plus remarquable par son exécution, comme par le sujet qu’il représentait: c’était celui de la maison des Singes; mais la destruction de ce rare et précieux monument remonte à la fin de l’année 1801.

La Décade philosophique, dans sa livraison du 10 nivôse an X (31 décembre 1801), publiait la note suivante, dont nous ne citons qu’une partie:

«On travaille, à Paris, dans la rue Saint-Honoré, à la démolition d’une ancienne maison, dont on fait remonter la date au XIIᵉ siècle. Elle est construite en bois, à la manière du temps, et a servi plus d’une fois de modèle à nos peintres, lorsqu’ils avaient à traiter des sujets puisés dans l’histoire de France des temps reculés. Le citoyen Vincent l’a représentée dans son beau tableau du président Molé.

»Cette maison a été quelquefois décrite, mais on n’a point fait assez d’attention à un poteau cornier, tout couvert de sculptures, qui forme l’angle de l’édifice. Cependant le sujet qui y est représenté est très curieux. Le lecteur nous saura gré sans doute d’entrer dans quelques détails sur ce poteau que l’on peut regarder comme un monument.

»La masse du poteau a la forme d’un grand arbre, duquel s’élèvent des branches garnies de fruits. On voit plusieurs singes qui cherchent à l’envi à grimper autour, pour atteindre les fruits. Mais un vieux singe, tranquille et tapi au bas de l’arbre, présente d’une main un des fruits que les jeunes ont fait tomber par les secousses qu’ils ont données à l’arbre.

»En parcourant les Fables de La Motte, on en trouve une sur le gouvernement électif, dont la vue du poteau semble lui avoir suggéré l’idée; nous n’en citerons que les derniers vers:

On dit que le vieux singe, affaibli par son âge,
Au pied de l’arbre se campa;
Qu’il prédit, en animal sage,
Que le fruit ébranlé tomberait du branchage,
Et dans sa chute il l’attrapa.
Le peuple à son bon sens décerna la puissance:
L’on n’est roi que par la prudence.

»On voit que c’est absolument la même allégorie que celle représentée sur le poteau cornier. L’architecture de nos pères était sans doute de bien mauvais goût, si nous la comparons à l’architecture actuelle, mais convenons pourtant qu’elle parlait à l’imagination.

»Nous apprenons, à l’instant même, que le gouvernement a donné l’ordre de déposer le poteau cornier au musée des Monuments français.»

Plaignons les vandales révolutionnaires qui ne savaient pas ce qu’ils faisaient. Ils détruisaient là non seulement un monument unique des anciennes enseignes de Paris, mais encore la maison où Molière était né, le 15 janvier 1622.

On connaissait mal en 1801 la maison natale de Molière, qu’on était allé chercher rue de la Tonnellerie, parce que Jean Poquelin, le père de notre grand comique, habitait une maison, qu’il avait achetée seulement en 1633, sous les Piliers des Halles, devant le Pilori, maison qui portait alors pour enseigne l’Image de Saint Christophe. C’est à Beffara que l’on doit la découverte de la véritable maison dans laquelle naquit Molière. «Cette maison, dit Eudore Soulié[77], était connue sous le nom de maison des Cinges, à cause d’une très ancienne sculpture qui la décorait, et elle se trouvait à l’angle des rues Saint-Honoré et des Vieilles-Étuves.» L’extrait d’un manuscrit de la Bibliothèque nationale contenant les noms des propriétaires et locataires des maisons de la rue Saint-Honoré, est venu prouver que Jean Poquelin, malgré l’acquisition de la maison à l’enseigne de Saint-Christophe sous les Piliers des Halles, n’avait pas quitté la maison des Singes, qu’il occupait antérieurement à la naissance de J.-B. Molière, en 1622. C’était là certainement que se trouvait sa boutique de tapissier. Voici l’extrait relatif à cette maison natale de notre illustre parisien: «Année 1637. Maison où pend pour enseigne le Pavillon des Singes, appartenant à M. Moreau et occupée par le sieur Jean Pocquelin, maistre tapissier, et un autre locataire; consistant en un corps d’hôtel, boutique et cour, faisant le coin de la rue des Étuvées (Vieilles-Étuves): taxée huit livres.[78]» On ne nous dit pas si la taxe avait pour objet l’enseigne pendante du Pavillon des Singes, que Jean Poquelin y fit sans doute ajouter, parce que le poteau cornier de la maison ne lui paraissait pas suffire pour annoncer sa boutique de tapissier. On peut croire que cette maison si curieuse, qui datait du XIIᵉ ou du XIIIᵉ siècle, était représentée, avec son poteau cornier, dans l’enseigne peinte du Pavillon des Singes.

Le poteau cornier de la maison natale de Molière fut donc transporté dans les magasins du musée des Monuments français, mais on ne trouva pas sans doute le moyen de l’utiliser dans l’organisation définitive du musée. On avait bien eu l’idée de reconstruire cette maison, comme un intéressant spécimen de l’architecture en pans de bois du moyen âge; mais les entrepreneurs ou les charpentiers qui travaillaient pour le musée employèrent ce vieux bois sculpté, dans leurs constructions, comme bois de charpente. «Il se perdit là où on avait voulu qu’il se conservât, avons-nous déjà dit dans un de nos ouvrages[79]. Lorsqu’au mois de janvier 1828, Beffara voulut le voir et le faire dessiner, on lui répondit qu’il avait été détruit et employé dans les bâtiments[80].» On trouvera, à la page 27 du tome III du Musée des Monuments français, par Alexandre Lenoir, une gravure au trait de ce poteau cornier, dessinée par Bureau et gravée par Guyot. Une autre gravure, à l’eau-forte, par Chauvel, a été publiée dans le Moliériste (juillet 1879), avec un intéressant article de M. Romain Boulenger.

Nous avions remarqué autrefois, avons-nous dit il n’y a qu’un instant, dans des maisons d’encoignure, un certain nombre de poteaux corniers qui représentaient des sujets allégoriques ou religieux, entre autres la généalogie de la famille du roi David, commençant à son père Isaïe et finissant à son dernier descendant Jésus-Christ. On appelait ces poteaux des arbres de Jessé, mais ils ont tous été détruits, croyons-nous, avec les diverses maisons dont ils formaient l’enseigne, à l’exception d’un seul, cité par Viollet-le-Duc dans son Dictionnaire raisonné de l’Architecture française, situé au coin d’une maison qui faisait l’angle de la rue Saint-Denis et de celle des Prêcheurs: «Ces poteaux corniers sont souvent façonnés avec soin, ornés de sculptures, de profils, de statuettes, choisis dans les brins les plus beaux et les plus sains. On voit encore des poteaux corniers, bien travaillés, dans certaines maisons de Rouen, de Chartres, de Beauvais, de Sens, de Reims, d’Angers, d’Orléans. On en voit encore un, représentant l’Arbre de Jessé, à l’angle d’une maison de la rue Saint-Denis, à Paris, datant du commencement du XVIᵉ siècle[81].» Cet arbre de Jessé, de grande dimension, monte jusqu’au faîte de la maison.

VII

ENSEIGNES DES CORPORATIONS, DES CONFRÉRIES ET DES MÉTIERS

LES corporations de métier remontaient à la plus haute antiquité, puisque les artisans et les marchands de l’ancienne France étaient groupés par associations distinctes, ayant leurs statuts et leur organisation spéciale, avec des insignes et des costumes particuliers. Le même état de choses a dû exister, dès les premiers temps de l’ancien Paris, lorsque Lutèce, après la conquête des Gaules par Jules César, devint une ville gallo-romaine; mais les renseignements historiques font défaut à ce sujet, jusqu’au XIIᵉ ou XIIIᵉ siècle, là où apparaissent de rares et incertains documents sur l’histoire des enseignes. Si, comme nous le supposons, les enseignes, au XIIᵉ siècle, n’étaient que les insignes des métiers, ces insignes ou enseignes devaient être distribués, comme des armes parlantes ou des indications figurées, entre les différentes rues consacrées aux métiers et qui en portaient les noms. Mais déjà, à cette époque reculée, telle rue, qui conservait un nom de métier et, par conséquent, de corporation, avait laissé s’échapper et se transporter ailleurs la plupart des artisans ou des marchands, qui, ne pouvant plus trouver assez de place pour leur commerce ou leur industrie dans la rue où avait été originairement concentré ce commerce ou cette industrie, s’étaient répandus, de proche en proche, dans les rues voisines et dans tous les quartiers de la ville. Ainsi, nous ne doutons pas que primitivement la rue affectée à un métier et qui lui devait une dénomination usuelle n’ait eu, à chacune de ses extrémités, une enseigne unique caractérisant le métier, lequel y avait pris naissance, et qui l’avait, pour ainsi dire, baptisée.

Mais ces rues, dans lesquelles chaque métier avait été centralisé dès l’origine[82], n’étaient déjà plus, à la fin du XIIIᵉ siècle, réservées exclusivement aux métiers dont elles gardaient le nom. Nous en trouvons la preuve incontestable dans la Taille de 1292: la rue de la Saunerie n’avait plus qu’un saunier, sur onze sauniers qui demeuraient alors à Paris; la rue de la Charronnerie, trois charrons sur dix-huit; la rue de la Ferronnerie, deux ferrons sur onze; la rue de la Savonnerie, trois savonniers sur huit; la rue des Plâtriers, un plâtrier sur trente-six; la rue de la Poulaillerie, onze poulaillers sur trente-six; la rue de la Pelleterie, quatre pelletiers sur deux cent quatorze; la rue de la Sellerie, vingt-cinq selliers sur cinquante et un; la rue de la Petite-Bouclerie, quinze boucliers, ou fabricants de boucles, sur cinquante et un; la rue de la Barillerie, un barillier sur soixante et dix; la rue de la Buffeterie, pas un seul buffetier ou marchand de vin sur cinquante-six; la rue des Écrivains, un écrivain sur vingt-quatre, etc. Ce tableau comparatif prouve d’une manière incontestable que les métiers avaient abandonné leur centre natif et s’étaient dispersés dans Paris, ce qui semblerait indiquer la nécessité des enseignes individuelles pour les gens de métier qui s’éloignaient du quartier général de leur commerce. Cependant, à cette époque, les enseignes des maisons et des boutiques étaient à peine employées. Le savant M. Franklin n’en parle même pas, en décrivant les rues de Paris au XIIIᵉ siècle: «Les marchands, dit-il, se retrouvaient, au seuil de leurs sombres boutiques, guettant les passants et s’efforçant, par mille moyens, d’attirer leur attention; aussi les règlements de police leur interdisaient-ils d’appeler l’acheteur avant qu’il eût quitté la boutique voisine. Les marchandises étaient étalées devant la fenêtre, sur une tablette faisant saillie au dehors; un auvent de bois, accroché en l’air, protégeait les chalands contre la pluie.» Guillot de Paris, en effet, ne fait aucune allusion aux enseignes, dans son Dit des Rues de Paris, composé et rimé en 1300[83].

Il est bien certain, toutefois, que les corporations, les communautés et les confréries de métier existaient alors, avec leurs bannières, qui n’étaient, à vrai dire, que des enseignes portatives, puisque chacune représentait les armoiries ou le patron, le saint protecteur de la corporation, de la communauté ou de la confrérie. La corporation comprenait l’ensemble de tous les artisans d’un même métier, maîtres, compagnons et apprentis; la communauté n’était qu’un groupement charitable et religieux d’une partie de ces artisans, en vue d’un travail localisé ou d’une œuvre collective; la confrérie était l’association fraternelle de tous les membres de la corporation, vis-à-vis de l’Église et de la société civile. L’enseigne, qui n’était encore que l’insigne public des trois fractions d’un même corps de marchands, avait passé, de la bannière que l’on portait, dans toutes les cérémonies publiques, en tête de la corporation ou de la confrérie, aux écussons des flambeaux, qui ne servaient que pour les enterrements des associés; le même insigne reparaissait sur les médailles à l’effigie du saint patron, sur les jetons de présence aux assemblées de la confrérie et sur les enseignes de pèlerinage, qui s’attachaient au chapeau ou à la coiffure de chaque confrère. Ce fut là l’enseigne patronale, que les maîtres de la corporation faisaient placer en sculpture ou accrocher en peinture à la porte de leurs maisons. Ce furent là, en dehors des nombreux insignes de saints indiquant l’invocation d’un patronage particulier, les maisons qu’on distinguait sous le nom de maisons de l’enseigne de tel saint ou de telle sainte. On ne les trouve ainsi indiquées qu’à partir du XIVᵉ siècle, où elles ne cessèrent plus de se multiplier jusqu’en 1600.

Voici maintenant quelles étaient les principales corporations et confréries qui avaient des maisons à enseigne[84]: Saint Yves: les avocats et les procureurs.—Saint Antoine: les vanniers, les bouchers, les charcutiers et les faïenciers.—Saint Michel: les boulangers et les pâtissiers.—Saint Éloi: les orfèvres, les bourreliers, les carrossiers, les ferblantiers, les forgerons et les maréchaux ferrants.—Saint Laurent: les cabaretiers et les cuisiniers.—Sainte Barbe: les artilleurs et les salpêtriers.—Saint Simon et Saint Jude: les corroyeurs et les tanneurs.—Saint Joseph: les charpentiers.—Sainte Catherine: les charrons.—Saint Cosme et Saint Damien: les chirurgiens.—Saint Crépin et Saint Crépinien: les cordonniers et les bottiers.—Saint Jacques: les chapeliers.—Saint Blaise: les drapiers.—Saint Gilles: les éperonniers.—Saint Maurice: les fripiers et les teinturiers.—Saint Clair: les lanterniers et les verriers.—Saint Louis: les maquignons et les barbiers.—Saint Nicolas: les mariniers, les épiciers.—Sainte Anne: les menuisiers, les tourneurs et les peigniers.—Saint Martin: les meuniers.—Sainte Cécile: les musiciens.—Saint Roch: les paveurs.—Saint Pierre: les serruriers.—Sainte Marie-Madeleine: les tonneliers.—Saint Vincent: les vinaigriers.

Quelques métiers avaient mis leurs confréries sous les auspices de certaines grandes fêtes de l’Église. Par exemple: les tailleurs célébraient leur fête patronale à la Trinité et à la Nativité de la Vierge; les chandeliers et les épiciers, à la Purification; les couvreurs, à l’Ascension; les rôtisseurs, à l’Assomption, etc.

On s’explique ainsi combien il y avait de maisons à l’image de Notre-Dame. Nous n’en ferons pas le relevé, dans la Topographie générale du vieux Paris, par Adolphe Berty, mais nous croyons intéressant de rechercher, dans les trois premiers volumes de ce grand ouvrage, la plupart des maisons qui eurent des images de saint et de sainte pour enseignes, avec les dates que l’auteur avait soigneusement recueillies dans les Archives de la ville de Paris[85]. On remarquera que, sauf quelques exceptions, ces maisons à image sont du XVᵉ et du XVIᵉ siècle. Nous commençons par dépouiller les deux articles de Berty sur Trois Ilots de la Cité[86].

CITÉ. RUE DE LA JUIVERIE. Saint Pierre, 1455.—Saint Michel, 1600.—Sainte Catherine, 1503.—Saint Julien, 1575.—Saint Nicolas, 1519.—Saint Jacques, 1415.—Saint Pierre, 1430.—Saint Christophe, 1528.—Sainte Marguerite, 1502.

RUE AUX FÈVES. Saint Antoine, 1574.—Saint Jean-Baptiste, XVᵉ siècle.

RUE DE LA CALANDRE. Images Saint Marcel et Sainte Geneviève, 1507.—Saint Christophe, 1385.—Saint Nicolas, 1450.

RUE DE LA LICORNE. Image Notre-Dame, 1525.

RUE DE LA LANTERNE. Image Sainte Barbe, 1534.—Saint Yves, 1513.

QUARTIER DU LOUVRE. RUE CHAMPFLORY. Image du Saint-Esprit, 1489.—Saint Nicolas, 1489.—Notre-Dame, 1575.—Saint Eustache, 1530.—Saint Julien, 1624.

RUE DU CHANTRE. Image Sainte Anne, 1687.—Saint Claude, 1687.—Sainte Barbe, 1515.—Sainte Geneviève, 1603.

RUE DU COQ. Image Saint Martin, 1440.—Saint François, 1687.—Notre-Dame, 1687.—Saint Jacques, 1687.

RUE FROMENTEAU. Image Saint Hugues, 1582.—Notre-Dame, 1427.—Saint-Béal, 1550.—Notre-Dame, 1567.—Saint Louis, 1491.—Saint Simon et Saint Jude, 1550.—Saint Jacques, 1700.—Saint Nicolas, 1477.—Saint Jacques, 1406.

RUE SAINT-HONORÉ. Image Saint Jean-Baptiste, 1489.—Saint Claude, 1637.—Saint Martin, 1378.—Saint Jacques, 1508.—Saint Jean, 1408.—Notre-Dame, 1489.—Sainte Barbe, 1530.—Saint Michel, 1439.

RUE SAINT-JEAN-SAINT-DENIS. Image Saint Jean, 1700.—Sainte Geneviève, 1623.—Saint Louis, 1603.—Saint Claude, 1603.—Saint François, 1700.

RUE SAINT-THOMAS-DU-LOUVRE. Image Saint Jacques, 1450.—Sainte Anne, 1575.

QUARTIER DU BOURG SAINT-GERMAIN. RUE DES BOUCHERIES. Image Saint Jacques, 1467.—Saint Michel, 1420.—Sainte Catherine, 1429.—Saint Jacques, 1319.—Saint Jean, 1509.—Saint Pierre, 1411.—Sainte Marguerite, 1595.—Saint François, 1522.—Saint Martin, 1523.—Saint Antoine, 1523.—Sainte Geneviève, 1435.—Saint Nicolas, 1475.

RUE DE BUSSY. Image Saint Claude, 1535.

RUE DES CANETTES. Image Notre-Dame, 1446.

Ces images de Notre-Dame, de saints et de saintes étaient, pour la plupart, les enseignes des maisons appartenant à des membres de corporation et de confrérie, ou louées et habitées par eux. Les confréries furent supprimées et abolies, à plusieurs reprises, pendant le XVIᵉ siècle, mais on les rétablit sur de nouvelles bases, et elles continuèrent à subsister en conservant toujours les mêmes patrons, qui n’avaient pas quitté leurs enseignes. Les corporations furent changées en jurandes, sous le règne de Louis XVI, pour donner satisfaction aux économistes du XVIIIᵉ siècle; mais ces réformateurs impitoyables dédaignèrent de faire la guerre aux saints et aux saintes, qui avaient été, durant plus de quatre siècles, les gardiens respectés des métiers et de la marchandise. Les enseignes qui rappelaient ces saints patrons ne disparurent que pendant la Révolution, ce qui ne les empêcha pas de reparaître plus tard dans toute leur gloire sur les enseignes. Mais c’en était fait des corporations, des communautés et des confréries, qui n’avaient pas laissé d’autres traces que ces enseignes commémoratives, que les artisans et les marchands eux-mêmes ne comprenaient plus.

Les confréries marchandes, dont l’histoire est encore à faire, car le rarissime Calendrier des Confréries de Paris, par J.-B. Le Masson, ne nous en offre qu’une nomenclature très abondante, ces confréries avaient chacune des administrateurs, des officiers, des revenus, des rentes et des propriétés. Elles avaient aussi, outre leurs bannières à l’image du saint patron ou portant leurs armoiries, des enseignes grotesques ou plaisantes, pour les maisons où elles tenaient leur siège et leur bureau. La fameuse Truie qui file était une de ces enseignes de confréries. «Celle de la Truie qui file, qu’on voit à une maison du marché aux Poirées, rebâtie depuis peu, dit Sauval[87], est plus remarquable et plus fameuse par les folies que les garçons de boutique des environs y font à la mi-carême, comme étant sans doute un reste du paganisme.»

Mais Sauval ne nous dit pas quelles étaient ces folies[88]. L’enseigne des Sonneurs des Trépassés était aussi une enseigne de confrérie, enseigne peu décente à une époque où l’on sonnait dans les rues la mort des bourgeois de Paris. Cette enseigne en rébus représentait une pluie de sous neufs et brillants, tombant sur des poulets tués[89]. La maison où pendait cette enseigne (Sauval ne nous dit pas où elle était placée) servait sans doute aux joyeux repas de la confrérie. C’est aussi dans les Comptes de la Prévôté de Paris, publiés à la suite de l’ouvrage de Sauval, que nous trouvons quelques indications sur les confréries et sur leurs maisons. La confrérie de la Madeleine, fondée en l’église Saint-Eustache, touchait, en 1421, dix sols parisis de rente sur une maison de la rue Montorgueil, qui avait appartenu à maître Jean de la Croix.

La confrérie aux Bourgeois, qu’on appelait la Grande Confrérie, était la plus riche des confréries de Paris. Voici la mention de deux maisons qui lui appartenaient en 1448 et en 1450: «Maison scise rue de la Cossonnerie, à l’enseigne Saint Michel, qui fut à la grande Confrairie aux Bourgeois de la ville de Paris, donnée à rente par Mᵉ Girard Gehe, curé de Saint-Cosme, abbé de ladite grande Confrairie; Mᵉ Pierre de Breban, conseiller du roi en sa Chambre des Généraux, doyen de ladite confrairie; sire Michel Culdoë, bourgeois de Paris, prévost d’icelle grande Confrairie, pour quatre livres parisis de rente.» Cette note nous apprend que la confrérie avait à sa tête un abbé, un doyen et un prévôt. Ce furent ces officiers qui vendirent, en 1450, une des maisons de leur confrérie: «Maison scise rue Saint-Denys, à l’enseigne du Cocq blanc, scise entre les rues Perrin-Gasselin et de la Tabletterie, vendue par les abbé, doyen et prévost de la confrairie aux Bourgeois de la ville de Paris, pour quatre livres parisis de rente.» Citons encore une autre confrérie qui avait une maison à enseigne antérieurement à l’année 1463: «Maison scise en la Vieille-Tixeranderie, faisant le coin d’une petite ruelle par laquelle on va de ladite rue de la Vieille-Tixeranderie au Martroy Saint-Jean, tenant d’une part à un Hostel, où jadis souloit pendre l’enseigne de la Heuse (la botte), qui appartient à la confrairie de la Conception Nostre-Dame aux marchands et vendeurs de vin à Paris, fondée en l’église Saint-Gervais, et qui à présent appartient à Jean Raguier[90].» Un dernier souvenir peu édifiant des anciennes confréries parisiennes; c’est encore Sauval qui nous le fournira: «Croiroit-on bien qu’au Saint-Esprit (à l’hôpital du Saint-Esprit, qui attenait alors à l’Hôtel de ville), il y a une confrérie de Notre-Dame de Liesse, fort riche et composée de gens à leur aise, mais de condition médiocre, qui n’y admettent personne qu’à condition de leur faire un grand festin et qui dissipent en banquets fort fréquens les richesses que leurs devanciers n’avoient amassées que pour mieux honorer Dieu et faire des aumônes? Aussi y a-t-il presse à être leur traiteur, et n’en prennent-ils point qui n’ait le goût friand, et à cause de cela est perpétuel et bien payé. Les compagnons d’entre eux n’appellent point autrement leur confrérie, que la Confrérie des Goulus[91]

Les enseignes professionnelles des métiers devaient être fort nombreuses dès le XIVᵉ siècle; mais, comme elles dépendaient presque exclusivement des boutiques, elles n’ont pas été indiquées dans les documents relatifs aux immeubles; car ces sortes d’enseignes suivaient toutes les vicissitudes d’un commerce qui les amenait et les emportait avec lui. Ainsi, nous ne trouvons qu’un petit nombre d’enseignes de métier, dans les curieuses recherches de Berty sur les quartiers de la Cité, du Louvre et du bourg Saint-Germain. Par exemple, rue de la Juiverie, la Heuse, ou la Botte, XVᵉ siècle, et la Chausse de Flandre, 1450; rue du Four-Basset, le Gland d’or, 1600, et le Heaume, 1429; devant Saint-Nicolas-des-Champs, le Pesteil ou le Pilon, 1395; rue Saint-Honoré, l’Éperon d’or, 1603; rue Champfleuri, les Deux Coignées, 1451; le Heaume, 1378; le Rabot, 1572; la Pelle, 1410, etc.

Les marchands, ou vendeurs proprement dits, qui ne fabriquaient pas leur marchandise, tels que les drapiers, les épiciers, les pelletiers, les lingers, etc., préféraient des enseignes de fantaisie, qui convenaient également à toute espèce de commerce et qui ne caractérisaient pas spécialement leur profession. De là les Bras d’or, les Barbes d’or, les Soleils d’or, les Étoiles d’or, les Escharpes d’or, etc., qui prouvaient surtout que l’or sous toutes ses formes avait les préférences du commerce.

Les enseignes de boutique et d’ouvroir étaient de dimension généralement modeste, avant le XVIIᵉ siècle, quand elles devaient prendre place au-dessus de la porte d’entrée de la boutique et, par conséquent, sous l’auvent. Le système des armes parlantes convenait le mieux à la plupart des métiers et des industries, car c’était là l’indication la plus naturelle et la plus simple de chaque genre de fabrique et de vente: il suffisait de la représentation figurée d’un pot ou d’un plat d’étain pour annoncer l’ouvroir d’un ferblantier; rien n’indiquait mieux la boutique d’un chapelier qu’un chapeau; la boutique d’un bonnetier, qu’un bonnet; la boutique d’un serrurier, qu’une clé. Mais, au XVIIᵉ siècle, tous ces attributs de métier prirent des proportions exagérées et bientôt monstrueuses: «Ces enseignes, dit Mercier[92], avoient pour la plupart un volume colossal et en relief; elles donnoient l’image d’un peuple gigantesque, aux yeux du peuple le plus rabougri de l’Europe. On voyoit une garde d’épée de six pieds de haut, une botte grosse comme un muids, un éperon large comme une roue de carrosse, un gant qui auroit logé un enfant de trois ans dans chaque doigt; des têtes monstrueuses; des bras armés d’un fleuret, qui occupoient toute la longueur de la rue[93].» La plupart de ces objets, que l’orgueil du marchand grossissait à l’envi, pendaient à de longues potences en fer et oscillaient dans l’air, au gré du vent, en jetant, la nuit, de larges ombres qui rendaient nulle la faible clarté des lanternes. Ce fut l’ordonnance de police du mois de novembre 1669 qui obligea tous les gens de boutique à réduire leurs enseignes à la même dimension, «13 pieds et demi, depuis le pavé de la rue jusqu’à la partie inférieure du tableau, qui n’auroit que 18 pieds de largeur sur 2 pieds de haut.» Les potences, auxquelles les tableaux d’enseigne devaient être accrochés, furent aussi réduites à des dimensions uniformes. Le modèle de ces potences nous a même été conservé, dans le Traité de la Police de Delamarre (liv. XI, tit. IX), avec l’adresse du fabricant privilégié, qui fournissait les ferrements, moyennant le prix de 17 livres; c’était le sieur Nicolas de Lobel, serrurier du roi, rue Coquillière, proche Saint-Eustache, vis-à-vis la rue des Vieux-Augustins.

Tant que La Reynie fut lieutenant général de police, on respecta ses ordonnances, et les enseignes restèrent soumises au règlement qui avait diminué considérablement leurs dimensions: «Les enseignes n’obstruent plus les rues, écrivait le docteur anglais Lister dans son Voyage à Paris en 1698, et font, grâce à leur petitesse ou à leur élévation, aussi peu de figure que s’il n’y en avait point.» Mais un siècle après l’ordonnance de 1669, il n’était plus question de la police des enseignes, qui avaient repris des proportions énormes, aussi gênantes que dangereuses pour le public, eu égard au peu de largeur des rues et à la hauteur excessive des maisons. Il fallut l’ordonnance de police de M. de Sartine, du 27 décembre 1761, pour forcer les marchands à supprimer les potences «et tous les massifs et reliefs servant d’enseignes, pour les convertir en tableaux appliqués sur les murs, en suivant les dimensions obligées.» Cette ordonnance, mise à exécution dans le plus court délai et maintenue avec rigueur, eut pour objet de faire rentrer dans le néant la ridicule et hideuse fantasmagorie des enseignes de métier[94].

VIII

ENSEIGNES DES HOTELLERIES ET DES AUBERGES

ON peut affirmer, sans essayer de le prouver par des documents certains, que, dès les premiers temps du moyen âge, les hôtelleries et les auberges de Paris avaient des enseignes, comme dans tout le monde romain; car il est impossible de supposer l’existence d’un asile de jour et de nuit pour les voyageurs, sans un signe distinctif, sans une enseigne annonçant à l’extérieur la maison hospitalière qui attend des hôtes étrangers et qui leur offre à toute heure le gîte et la nourriture. Cette enseigne n’était peut-être qu’une branche d’arbre, ou bien une couronne de feuillage, ou bien un bouchon de paille, ou bien tout autre objet indicateur, mais ce devait être un signe spécial et généralement admis, qui permettait à tout individu arrivant dans une ville ou dans un pays sans y connaître personne et sans en savoir la langue, de trouver là, moyennant pécune, à se loger et à vivre. On peut dire avec certitude que la plus ancienne enseigne a été celle d’une hôtellerie. Cependant nous ne citerons pas d’enseigne d’hôtellerie, à Paris, antérieurement à 1302. Ce fut en cette année 1302 que l’adroite faussaire flamande Jeanne de Divion, complice de Robert d’Artois, qui disputait à sa tante Mahaut la succession du comté d’Artois, vint descendre à l’hôtellerie de l’Aigle, dans la rue Saint-Antoine, pour y préparer en secret de faux actes destinés à servir les machinations de son patron[95]. Cette hôtellerie, dépendant des propriétés de l’abbaye de Saint-Maur-des-Fossés et située près de la porte Baudoyer, avait pour enseigne l’Aigle, qui rappelait peut-être qu’un camp romain, Castrum Bagaudarum, occupait jadis la place de Saint-Maur-des-Fossés.

Il faut aller à la fin du XIVᵉ siècle pour trouver à Paris les noms des enseignes de deux autres hôtelleries; elles avaient laissé d’excellents souvenirs au poète Eustache Deschamps, qui les regrettait, en les comparant aux auberges d’Allemagne, où l’on faisait maigre chère. Voici quelques vers de sa ballade sur les ennuis du séjour d’Allemagne:

Princes, par la vierge Marie,
On est, en la Cossonnerie,
Aux Canètes ou aux Trois Rois,
Mieux servy en l’hostellerie,
Car ces gens que je vous escrie
Là n’y parleront que thiois (allemand).

La Cossonnerie ou Coqçonnerie était la poulaillerie des Halles, le marché au gibier et à la volaille. Il a laissé son nom à la rue où il se tenait[96]. Monstrelet, dans ses Chroniques, cite quatre bonnes hôtelleries parisiennes, sous le règne de Charles VI: l’hôtel à l’enseigne de l’Épée, rue Saint-Denis; l’hôtel de l’Ours, à la porte Baudet ou Baudoyer; le logis de l’Arbre-Sec, rue de l’Arbre-Sec, et l’hôtel de la Fleur de lys, près le Pont-Neuf[97]. Il y avait, dans le même temps, une hôtellerie non moins renommée, à l’enseigne du Château de fétu (château de paille?), situé dans une partie de la rue Saint-Honoré, appelée alors rue du Château-Fétu, et qui s’étendait depuis la rue Tirechappe jusqu’à la Croix du Tiroir[98]. On lit dans la Chronique de Froissart[99]: «Si descendirent les chevaliers d’Angleterre, messire Thomas de Percy et les autres, en la rue qu’on dit la Croix-du-Tirouer, à l’enseigne de Château de fétu.» Cette hôtellerie devait être assez importante, pour que des seigneurs de si haut parage vinssent y loger avec tout leur train; aussi, lorsque les Anglais se furent emparés de la ville de Paris, au nom du roi d’Angleterre Henri V, avant la mort de Charles VI, le Château de fétu fut compris dans les confiscations domaniales de l’occupation anglaise.

On peut se faire une idée de l’état confortable de certaines hôtelleries, dès ces époques reculées, lorsqu’on voit les ambassadeurs des souverains étrangers loger dans ces hôtelleries, avec une nombreuse suite d’officiers, de valets et de chevaux. Sous le règne de Louis XII, en 1500, les ambassadeurs de l’empereur Maximilien, en arrivant à Paris, furent conduits, par le prévôt des marchands et les échevins, dans la rue de la Huchette, à la maison de l’Ange, «qui étoit fort belle pour ces temps-là, dit Sauval, et là, ils étoient défrayés de tout aux dépens de la ville». En 1552, sous le règne de Henri II, un ambassadeur du roi d’Alger étant venu trouver le roi de France à Châlons, avec des chevaux et des juments arabes, le roi écrivit au prévôt des marchands pour lui ordonner de recevoir très honorablement cet ambassadeur et de «lui montrer tout ce qu’il avoit envie de voir à Paris... Quelques jours après, dit Sauval, cet ambassadeur descendit à la rue de la Huchette, à l’hôtellerie de l’Ange[100].» Le prévôt des marchands et les échevins allèrent en grande pompe lui faire la révérence et lui donnèrent, pour le garder, une escorte d’arbalétriers de la Ville, qui veillaient jour et nuit à la porte de son logis, pour empêcher le peuple d’entrer dans l’hôtellerie.

S’il y avait alors un certain nombre de belles et opulentes hôtelleries, où descendaient les voyageurs de distinction qui se rendaient à Paris, de tous les points du monde, pour visiter cette grande capitale, qui passait pour la ville la plus curieuse et la plus intéressante de l’Europe, Paris renfermait une multitude d’auberges de bas étage, espèces de coupe-gorge et repaires de malfaiteurs, où la police allait ramasser le gibier de potence, qui peuplait les prisons du Châtelet avant de faire l’ornement des gibets de la place de Grève. Les Registres criminels du Châtelet, à la fin du XIVᵉ siècle, citent une foule d’enseignes de ces tavernes, où l’on tuait, où l’on volait sans cesse les marchands qui avaient le malheur de s’y être arrêtés pour passer la nuit[101]. Parmi celles de ces enseignes mal famées qui reviennent le plus fréquemment sous la plume du greffier Alleaume Cachemare, on remarque l’Écrevisse, place Baudoyer; l’Écu de Saint-Georges, rue de la Harpe, et surtout l’Écu de France, rue de la Truanderie. L’auberge du Plat d’étain, située au bas de la rue Saint-Jacques, était aussi un des mauvais lieux où les archers du prévôt de Paris faisaient les plus fructueuses captures pour la justice criminelle du Châtelet. L’hôtellerie du Pestel (le pilon), dans la rue de la Mortellerie, théâtre ordinaire des repues franches de la bande du poète Villon, rassemblait ces joyeux compagnons qui revenaient de la maraude, tout chargés de victuailles qu’ils avaient dérobées chez les marchands[102]. Villon n’a pas omis de célébrer, dans son Grand Testament, ce repaire de voleurs:

Où pend l’enseigne du Pestel
A bon logis en bon hostel.

Il y eut de tout temps des hôtelleries de cette espèce, que nous appelons maintenant des garnis et qui conservent encore, sous ce nom-là, les traditions de la race des gens de pince et de croc, comme ils se qualifiaient eux-mêmes à l’époque de Villon. Ces garnis de bas étage n’étaient souvent que des maisons de débauche, tel que celui représenté dans la ballade où Villon décrit ses honteuses amours avec la grosse Margot. Cette ballade, affreusement pittoresque, eut assez de célébrité parmi les souteneurs de filles et les piliers de mauvais lieux, pour qu’une hôtellerie de la rue Cloche-Perce se soit donné l’enseigne de la Grosse Margot, qui subsistait encore à la fin du XVIIᵉ siècle[103]. Du reste, il y avait dès lors, comme à présent, des hôtelleries, des auberges, des garnis, pour toute sorte de clientèle, suivant le proverbe du temps: Telle hôtellerie, telles gens. Il y avait même des hôtelleries spéciales pour les voleurs de profession, vagabonds et gens sans aveu: la maison de l’Enseigne verte, dans la rue Saint-Denis, était une de ces hôtelleries signalées aux recherches des limiers du lieutenant général de la police[104].

Aucune de ces anciennes hôtelleries où les voyageurs, les marchands étrangers venaient loger à pied ou à cheval, n’existe plus sans doute à Paris, du moins avec son caractère et son aspect d’autrefois; mais nous en trouvons la description plus ou moins complète dans quelques vieux livres, comme le Roman comique de Scarron, et dans quelques relations de voyageurs, comme le Journal de deux Hollandais à Paris en 1657-58. On en a un tableau exact et fort curieux dans une enseigne de marchand de vin qu’on voyait naguère au quai du Marché-Neuf et qui représentait une vieille auberge, située près de l’ancienne boucherie du Marché Neuf, construite ad hoc au XVIᵉ siècle, et démolie en 1804 pour faire place à la Morgue, que les dernières transformations du quai de la Cité ont fait aussi disparaître.

Une petite pièce rimée du XVᵉ siècle, intitulée le Pèlerin passant, nous fait connaître quelles étaient les principales hôtelleries du temps de Louis XI ou de Charles VIII. Cette pièce est un monologue, que débitait, dit-on, sur le théâtre, un seul acteur, et qui servait d’intermède entre une farce et une moralité. L’auteur, ou peut-être l’acteur lui-même, se nommait Pierre Taherie[105]. Le Pèlerin passant, c’est-à-dire le voyageur, en arrivant à Paris, descend à l’Écu de France, qui était une hôtellerie assez convenable; mais il ne nous dit pas où elle se trouvait située, et il ne donne pas davantage l’adresse des autres auberges, qu’il va chercher ensuite dans différents quartiers. Notre voyageur, jugeant qu’il dépense trop à l’Écu de France, s’en va demander gîte à l’Écu de Bretagne, dont l’hôtesse, dame de bien, de noble race et bien famée, ne reçoit que des gens de son pays. Le Pèlerin se présente successivement à l’Ancre et à l’Écu d’Alençon, sans pouvoir tomber d’accord sur le prix de son hébergement. Il s’arrête enfin au Chapeau rouge et se félicite d’avoir rencontré la meilleure hôtellerie de la ville, du moins à en croire les apparences:

Un grand logis, une grand’court,
C’estoit un paradis terrestre.

Mais le difficile était d’y avoir une chambre; on y voyait une foule de gens

Qui attendoyent estre logés,
Muchés (cachés) en un coin à requoi,
Tant du pays que des estrangé.

Notre Pèlerin n’a pas la même patience; il va frapper à la porte de l’Écu d’Orléans, mais la porte était close et la maison déserte. L’hôte avait quitté son métier pour entrer au service du roi. Force est donc de chercher gîte ailleurs et au plus proche; c’est à l’Écu de Bourbon que le Pèlerin espère le trouver: c’était

Une maison de grand abord,
Où aultre fois il a fait bon,
Mais l’hoste de céans est mort!

Notre voyageur, qui a l’estomac vide, se hâte de se transporter à l’Écu de Châteaudun. Pas de chance; l’hôtellerie est pleine, et tout ce qu’il peut obtenir, c’est la repue (le dîner ou le souper). Enfin il est admis à l’Écu de Calabre pour y passer la nuit. Il y fut assez mal, puisqu’il en partit le lendemain dans l’espoir de trouver mieux; il ne fut pas plus heureux, dit-il:

Quand j’eus couru longue saison,
Je m’en vais au Chef Saint-Denys,
Dont le maistre de la maison
En aultres estoit un fenys (phénix).

Mais il n’y resta pas longtemps, car cet aubergiste phénomène vint à mourir, et la bourse du Pèlerin passant étant presque épuisée, il résolut de retourner chez lui et s’embarqua sur un bateau qui descendait la Seine pour faire escale à Saint-Ouen; là, il logea dans une auberge riveraine, au Port Saint-Ouen, où sans doute on lui fit crédit; le lendemain, il voulut se faire héberger dans une autre auberge, au Port Saint-Jore:

Mais le maistre estoit à Rouen,
Ainsi qu’on me mist en mémore.
De là allay plus loin encore,
En un logis d’antiquité,
Qui se nomme la Trinité.

Était-ce encore une auberge de village ou une maison hospitalière, dans laquelle le pauvre pèlerin trouva un asile sans bourse délier?

Il ressort du monologue de Pierre Taherie que les hôtelleries, au XVᵉ siècle, avaient ordinairement pour enseigne l’écu d’armoiries d’un pays ou d’un haut et puissant seigneur. Nous avons donné ailleurs la raison de ce vieil usage, qui persiste encore dans quelques villes de France: «La raison en est, disions-nous[106], dans l’appel que les hôteliers pouvaient faire ainsi à tous les nouveaux arrivés d’un même pays, joyeux de venir prendre gîte sous le patronage du nom de la province, et de se donner pour point de ralliement l’enseigne portant les armes de leur seigneur.» Cet usage paraît avoir changé dans le cours du XVIᵉ siècle, car le maréchal de Vieilleville dit, dans ses Mémoires, que les enseignes des hôtelleries sont «au nom des saints et saintes»[107].

Ces images de saints et de saintes furent remplacées par des croix, lorsque le protestantisme eut mis à l’index les saints et les saintes. On comprend que les hôtelleries, ouvertes à tout le monde, sans distinction de croyance religieuse, devaient éviter d’éloigner le voyageur, à la seule inspection de leurs enseignes. Les images de saints furent remplacées par des croix, qui n’inquiétaient alors la religion de personne. Il y eut aussitôt des croix de tous les métaux et de toutes les couleurs: Croix d’or, d’argent, de fer, de cuivre; Croix blanche, rouge, noire, etc. La couleur verte étant vue de mauvais œil, à cause du Bonnet vert, qui avait fait considérer le vert comme la couleur emblématique des faussaires et des filous, nous doutons fort que les honnêtes gens allassent loger volontiers à l’hôtel du Val de Gallye ou de la Croix verte; mais Richelet, dans la préface de son Dictionnaire françois, nous apprend que la meilleure hôtellerie du XVIIᵉ siècle était celle de la Croix d’or.

Les voyageurs qui voulaient voir Paris et y faire un séjour plus ou moins prolongé étaient assez nombreux pour assurer un bon revenu aux hôtelleries où ils venaient descendre; aussi ces hôtelleries avaient-elles pour enseignes les noms des grandes villes étrangères. Deux gentilshommes de Hollande, qui firent un voyage à Paris en 1657[108], allaient prendre leurs repas dans une auberge de cette espèce: «On y traitoit assez mal, disent-ils, et c’estoit une de celles où il ne va que des estrangers: aussi a-t-elle pour enseigne la Ville de Hambourg. Il y avoit sept ou huit Allemands assez bien faicts, et nous nous estonnasmes qu’ils souffrissent qu’on leur fist si pauvre chère. La pluspart de ces messieurs s’attroupent aux païs estrangers et s’adressent et se logent chez ceux de leur nation. Par le premier, ils ne profitent guère et ne connoissent que peu ou point la nation qu’ils visitent, et par le second, ils sont trompez et maltraitez de ceux de leur nation dont ils se servent, qui abusent du peu de connoissance qu’ils ont du païs où ils sont.»

Ces Hollandais, à leur arrivée, étaient descendus à l’auberge où s’était déjà logé un de leurs compatriotes, au faubourg Saint-Germain, rue des Boucheries, à l’enseigne du Prince d’Orange. Ils ne voulurent pas suivre un de leurs compagnons de voyage, qui s’en allait loger «chez Monglas, en la rue de Seine, à la Ville de Brissac.» Tallemant des Réaux, dans ses Historiettes, a parlé de cette auberge: «L’hôte et l’hôtesse sont huguenots, dit-il, et sont assez exacts; c’est une honnête auberge, et tout est plein de gens de la Religion (réformée) à l’entour.»

Ce fut vers ce temps-là que les hôtelleries de Paris prirent le nom d’hôtels, comme pour faire concurrence avec les habitations des grands seigneurs. «Il y a à Paris, écrivait le docteur Lister en 1698, un grand nombre d’hôtels, c’est-à-dire d’auberges publiques, où on loue des appartements. Ce nom s’applique aux maisons des seigneurs et des gentilshommes, dont le nom est le plus souvent écrit en lettres d’or sur un marbre noir placé au-dessus de la porte[109].» Beaucoup de ces hôtelleries remontaient à une époque très ancienne, et elles avaient conservé leur enseigne primitive, sur laquelle on lisait encore, suivant les prescriptions de l’ordonnance de 1579: Hostellerie, ou Taverne, par la permission du Roy. La plupart cependant s’étaient soustraites, en prenant le titre d’hôte., aux règlements tyranniques de cette ordonnance, qui enjoignait aux hôteliers de faire inscrire sur leur porte, en gros caractères, les prix que les voyageurs auraient à payer; par exemple: Dînée du voyageur à pied, 6 sols. Couchée du voyageur à pied, 8 sols. Sur beaucoup d’enseignes, on lisait: Icy on fait nopces et festins, et cette inscription s’est maintenue, avec son orthographe, presque jusqu’à nos jours. On lisait aussi cette autre inscription, qui ne sert plus que dans quelques villes de province lointaines: Icy on loge à pied et à cheval. Les hôteliers avaient ainsi à se débattre au milieu d’une foule de lois et de règlements plus ou moins tyranniques.

Le Livre commode de Nicolas de Blegny[110] nous donne les noms et les adresses des principaux hôtels de Paris à la fin du XVIIᵉ siècle, en indiquant bien des enseignes; mais il ne nous dit pas que les hôtels qui portaient des noms de pays avaient pour enseignes les armes de ces pays. Les noms de province et de seigneurie commandaient toujours des écussons armoriés pour enseignes; quant aux noms de ville, on a lieu de croire qu’ils autorisaient les hôteliers à faire peindre au naturel, comme on disait alors, sur les enseignes de leurs hôtelleries, une vue de ces villes françaises ou étrangères. Venons maintenant à la nomenclature des hôtels de second ordre, en différents quartiers. Le sieur de Blegny n’en cite que deux de premier ordre: l’hôtel de la Reine Marguerite, rue de Seine, et l’hôtel de Bouillon, quai des Théatins (actuellement quai Malaquais), dans lesquels on trouvait des appartements magnifiquement garnis pour les grands seigneurs, anciens hôtels princiers, l’un et l’autre, et qui, sans doute, n’avaient pas besoin d’autre enseigne que leur grande notoriété alors qu’ils étaient habités, le premier, par la Reine Margot, le second, par le duc de Bouillon. Les bons hôtels, recommandés par le Livre commode, étaient les suivants: le Grand Duc de Bourgogne, rue des Petits-Augustins; l’hôtel d’Écosse, rue des Saints-Pères; l’hôtel de Taranne, l’hôtel de la Savoie et l’hôtel d’Alby, rue de Charonne; l’hôtel de Lille, l’hôtel de Bavière, l’hôtel de France, et la Ville de Montpellier, rue de Seine; l’hôtel de Venise et l’hôtel de Marseille, rue Saint-Benoît; l’hôtel de Vitry, l’hôtel de Bourbon, l’hôtel de France et l’hôtel de Navarre, rue des Grands-Augustins; la Ville de Rome, rue des Marmousets; l’hôtel de Perpignan, rue du Haut-Moulin; l’hôtel de Tours, rue du Jardinet; l’hôtel de Beauvais, rue Dauphine; l’hôtel d’Orléans, rue Mazarine; l’hôtel du Saint-Esprit, rue Guénégaud; l’hôtel de Saint-Aignan, rue Saint-André; l’hôtel de Hollande, l’hôtel de Béziers, l’hôtel de Brandebourg, l’hôtel de Saint-Paul, et le grand hôtel de Luynes, rue du Colombier.

Le sieur de Blegny cite ensuite des hôtels d’un ordre inférieur, où l’on mangeait à table d’auberge, c’est-à-dire à table d’hôte, pour 40 sols, 30 sols, 20 sols et 15 sols: 1º l’hôtel de Mantoue, rue du Mouton; l’hôtel de l’Ile-de-France, rue Guénégaud, etc.; 2º l’hôtel de Château-Vieux, rue Saint-André; le petit hôtel de Luynes, rue Gît-le-Cœur; à la Galère, rue Zacharie; aux Bœufs, et aux Trois Chandeliers, rue de la Huchette, etc.; 3º l’hôtel d’Anjou, rue Dauphine; le Petit Saint-Jean, rue Gît-le-Cœur; au Coq hardi, rue Saint-André; à la Galère, chez le sieur Vilain, rue des Lavandières; à la Croix de Fer, rue Saint-Denis; au Pressoir d’Or, et à l’hôtel de Bruxelles, rue Saint-Martin; à la Croix d’Or, rue du Poirier; à la Toison d’Or, rue Beaubourg, etc.; 4º à la Ville de Bordeaux, et à l’hôtel de Mouy, rue Dauphine; l’hôtel Couronné, rue de Savoie; au Petit Trianon, rue Ticquetonne; à la Ville de Stockholm, rue de Buci; à la Belle Image, rue du Petit-Bourbon; au Dauphin, rue Maubuée, etc.

Les auberges où l’on mangeait à 10 sols sont même désignées dans le Livre commode: au Heaume, rue du Foin; au Paon, rue Bourg-l’Abbé; au Gaillard Bois, rue de l’Échelle; au Gros Chapelet, rue des Cordiers; à l’hôtel Notre-Dame, rue du Colombier. Le sieur de Blegny n’oublie pas deux ou trois auberges où il y avait trois tables différentes, à 15, à 20 et 30 sols: à la Couronne d’Or, rue Saint-Antoine; au Petit Bourbon, quai des Ormes; à l’hôtel de Picardie, rue Saint-Honoré.

Les restaurants et les restaurateurs n’existaient pas encore, mais on avait, en différents quartiers de la ville et des faubourgs, des traiteurs et marchands de vin, «qui font nopces, ou qui tiennent de grands cabarets, et où il se fait de grands écots.» Dans ces maisons-là, on ne couchait pas, on ne logeait pas, en général; on ne faisait qu’y boire et manger. Le Livre commode nomme les propriétaires de ces établissements: Clossier, à la Gerbe d’or, rue Gervais-Laurent; Blanne, à la Galère, rue de la Savaterie; Bedoré, au Petit Panier, rue Tirechappe; Robert, au Cloître-Saint-Merry; Aubrin, à la Croix blanche, rue de Bercy; Martin, aux Torches, cimetière Saint-Jean; Guérin, à la Folie, rue de la Poterie; Payen, au Petit Panier, rue des Noyers; Cheret, à la Cornemuse, rue des Prouvaires.

Nicolas de Blegny ne s’arrête pas là; il cite, avec leurs enseignes, d’autres endroits où «on peut aussi boire et manger proprement et agréablement»: au Louis, près le Jeu de paume de Metz; à la Porte-Saint-Germain, rue des Cordeliers; à la Reine de Suède, rue de Seine; aux Carneaux, rue des Déchargeurs; à la Petite Bastille, rue de Béthizy; au Petit Père noir, rue de la Bûcherie; aux Trois Chapelets, rue Saint-André-des-Arts; à la Galère, rue Saint-Thomas-du-Louvre; au Soleil des Perdreaux, rue des Petits-Champs; au Panier fleuri, rue du Crucifix-Saint-Jacques-de-la-Boucherie; à la Boule blanche, près la porte Saint-Denis, et au Jardinier, faubourg Saint-Antoine. Mais les bons endroits que le sieur de Blegny recommande aux fins gourmets et aux grands buveurs n’étaient, en réalité, que des cabarets, quoique les auberges et les maisons garnies dans lesquelles il y avait des tables d’hôte fussent cent fois plus nombreuses qu’elles ne le sont dans le Livre commode; car, d’après les Annales de la Cour et de la Ville, pour les années 1697-1698, t. II, p. 185, «il y avoit eu dans Paris un si grand abord d’étrangers, que l’on en comptoit quinze à seize mille dans le faubourg Saint-Germain seulement. Le nombre s’accrut encore bientôt de plus de la moitié, en sorte que, au commencement de l’année suivante, on trouve qu’il y en avoit trente-six mille dans ce seul faubourg.»

Nous n’avons pas l’intention de reconstituer l’état des hôtelleries, à propos de leurs enseignes, sous le règne de Louis XIV; nous nous bornerons à rappeler que si le nombre de ces hôtels et maisons garnies ne fit que s’accroître avec le nombre des voyageurs qui venaient voir les monuments et les curiosités de la capitale de la France, J.-C. Nemeitz, conseiller du prince de Waldeck, qui visita cette capitale en 1715, bien que la traduction française de son Séjour à Paris n’ait été publiée qu’en 1727[111], nous apprend qu’il y logea lui-même dans une grande hôtellerie où se trouvaient, en même temps que lui, des étrangers appartenant à dix nations différentes. Mais il ne songe pas à signaler les principales hôtelleries; il constate seulement que les plus agréables et les plus fréquentées étaient celles du faubourg Saint-Germain, et il nomme l’hôtel Impérial, rue du Tour, qui n’est autre que la rue de Tournon; l’hôtel de Hambourg, tout contre; l’hôtel d’Espagne, rue de Seine; l’hôtel de Nîmes, dans la même rue; l’hôtel d’Anjou, rue Dauphine; la Ville de Hambourg, au bas, rue des Boucheries; l’hôtel d’Orléans, rue Mazarine; l’hôtel de Modène, rue Jacob; et d’autres hôtels, situés dans la rue de Tournon, qui était la plus recherchée des voyageurs, à cause du voisinage du Luxembourg: le grand hôtel d’Entragues, l’hôtel de Trévise et le petit hôtel de Bourgogne. C’était dans les hôtels de la rue de Tournon que les ambassadeurs et les seigneurs étrangers louaient de préférence des appartements pendant leur séjour à Paris; l’hôtel officiel des ambassadeurs extraordinaires ayant été établi dans cette rue, à l’ancien hôtel du maréchal d’Ancre.

IX

ENSEIGNES DES CABARETS ET DES MARCHANDS DE VIN

LES cabarets eurent longtemps, au moyen âge, la même enseigne que dans l’antiquité. Cette enseigne n’était autre qu’un rameau de verdure, une branche de sapin, une couronne de lierre, ou tout autre bouquet de feuillage, qu’on appela bouchon, dès la première formation de la langue française. Le bouchon de paille et la branche de laurier n’indiquaient que les mauvais lieux. Au surplus, cabaret et mauvais lieu souvent ne faisaient qu’un[112]. Comme le peuple, dans certains patois, prononçait bouchou, au lieu de bouchon, bien des cabaretiers remplaçaient le rameau ou la branche d’arbre par un chou[113]. Le cabaret lui-même prit le nom de bouchon, qui est encore usité, mais dans le sens le moins favorable; on l’appelait aussi buffet, qu’on transforma en buvette. La rue des Lombards était, au XIIIᵉ siècle, la rue de la Buffeterie. On n’ouvrait pas un cabaret sans devoir un droit de buffetage (buffetagium) au seigneur féodal de la terre où ce cabaret pouvait être établi, et ce droit, qui se payait tous les ans, comprenait le droit de lever bouchon, car il n’y avait pas de cabaret sans enseigne. Le Cartulaire de Saint-Magloire, à Paris, nous apprend que les moines du couvent prélevaient le buffetage sur les cabarets de leur domaine territorial[114].

Vers la fin du XIVᵉ siècle, l’enseigne ordinaire des cabarets avait changé, parce que la plupart de ces cabarets étaient des caves, où l’on vendait du vin au pot et au tonneau. Un cercel ou cerceau pendait à l’entrée de la taverne, à la place du bouchon. Nous voyons, en 1362, un propriétaire autorisé à suspendre à la porte de sa maison «un cercel à taverne, ou autre enseigne[115]». Monteil cite, au XVᵉ siècle, plusieurs cabarets où pendait un cerceau: on y vendait du vin de sauge et de romarin. Il y avait dès lors plus d’un cabaret fameux, entre autres la maison du Chat (1340), rue aux Fèves, dans la Cité; plus tard, ce cabaret avait modifié son enseigne et portait le nom de maison du Chat blanc (1429-1497); c’est sous ce nom qu’il subsista au même endroit jusqu’à nos jours. Lorsqu’il disparut, vers 1860, avec le reste de l’impasse où il s’était maintenu pendant cinq siècles, il n’avait plus pour habitués que des vagabonds et des voleurs, qui y venaient passer la nuit. Le cabaret de la Pomme de Pin n’était pas moins célèbre, du temps de Rabelais, qui le nomme avec d’autres où les écoliers de Paris tenaient leurs assises; il fait dire par son écolier Limousin (liv. II, chap. VI de Pantagruel): «Nous cauponisons (mangeons), ès tavernes méritoires de la Pomme de Pin, du Castel, de la Magdaleine et de la Mulle, belles spatules vervecines (épaules de mouton), parforaminées de petrocil (assaisonnées de persil).»

Noël du Fail, dans les Baliverneries ou Contes nouveaux d’Eutrapel, en 1548[116], cite deux ou trois cabarets qui avaient la vogue, notamment celui du Croissant, rue Saint-Honoré,

[Image non disponible.]
MAISON DE LA:POMME DE PIN: MCC

et celui de l’Étoile, sans donner l’adresse de ce dernier. Pierre de l’Arrivey, dans sa comédie de la Vefve, signalait encore, au commencement du XVIIᵉ siècle, le renom des cabarets de la Pomme de Pin et des Trois Poissons: «Si je vais au Palais, tous ces clercs sont à l’entour de moy; l’un me mène aux Trois Poissons, l’autre, à la Pomme de Pin[117].» Agrippa d’Aubigné, dans les Aventures du baron de Fæneste, nous fait savoir que la vieille renommée de la Pomme de Pin n’était pas déchue et qu’elle balançait encore celle du Petit More, qui avait la clientèle des poètes. Théophile fait l’éloge de ce cabaret, dans sa Description du voyage de Saint-Cloud:

Tu sçauras donc qu’un soir, après qu’au Petit More
(Qu’à cause du bon vin tout biberon honore),
Nous eusmes fricassé, tout comblez de soulas,
Des perdrix et lapreaux.....

Il vante aussi, dans une satire, deux autres cabarets, qui n’eurent pas moins de vogue sous le règne de Louis XIII:

..... Lors, par cinq ou six fois,
Il me prie à souper, ou que, si je voulois,
Nous irions, chez Cormier, au Cerf; au Petit More,
Ou chez Torticoly.....[118].

Vers cette même époque, un livre facétieux, dont l’auteur n’est pas connu[119], passe en revue les principaux cabarets de Paris.

Un homme, que sa femme venait de battre pour l’avoir vu sortir d’un cabaret borgne, vient «en Parnasse» supplier Apollon «qu’il luy pleust luy donner une ample et entière congnoissance de toutes les maisons d’honneur, que Bacchus possède dans Paris.» Apollon ne refuse pas de lui indiquer les cabarets les plus estimés: d’abord la Pomme de Pin, sur le pont Notre-Dame, «qui commence néanmoins à descheoir du crédit qu’elle avoit le temps passé.» Mais, ajoute Apollon, «si vous avez nouvelle que la presse soit à la Pomme de Pin, prenez la peine de vous transporter au Petit Diable.» Apollon conseille à son homme, dans le cas où il passerait devant le Palais, d’aller hardiment déjeuner à la Grosse Tête. Après avoir entendu la messe à Saint-Eustache, celui qui aurait fait vœu de dîner en ce quartier-là ne doit pas chercher d’autres rendez-vous qu’au renommé logis du célèbre Cormier. Celui qui sort du théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, encore tout échauffé par l’éloquence admirable de M. Bellerose, ne saurait mieux faire que d’aller rafraîchir aux Trois Maillets. Ceux qui se trouveront au faubourg Saint-Germain, après avoir joué à la paume ou à la boule, seront tout portés, pour prendre leur collation, à Saint-Martin, à l’Aigle royal, à la Pomme de Pin. Mais Apollon les arrête ici, en leur criant: «N’allez plus à Clamar, si vous ne voulez pas qu’on vous traite en crocheteurs; son maistre l’a fait rayer du nombre des cabarets illustres.» Apollon recommande à ceux qui viennent de solliciter leurs procès au Châtelet d’entrer ensuite au Grand Cornet, sans se faire tirer l’oreille, ou bien à la Table du valeureux Roland, maison insigne et fameuse; quant à ceux qui auraient peur d’être écorniflés par quelque recors ou sergent, ils doivent aller, un peu plus loin, à la Galère ou à l’Échiquier, «pour divertir la mélancolie qui n’abandonne jamais les pauvres plaideurs.»

Êtes-vous obligé de suivre la Cour et sortez-vous du Louvre à l’heure du dîner, vous trouvez devant vous le premier cabaret de France, celui de la Boesselière; mais il ne faut pas y entrer sans avoir au moins une pistole dans sa bourse. Avez-vous une bourse moins garnie, on vous conseille de pousser jusqu’aux Halles et de passer une heure aux Trois Entonnoirs pour y goûter d’un charmant vin de Beauce. Si vous allez jouer au mail, vous ferez bien de prendre des forces en buvant une bouteille de vin à l’Écu ou à la Bastille.

Celui qui va se promener avec sa maîtresse aux marais du Temple, peut avoir une belle chambre au cabaret de l’Écharpe. Celui qui passe par la rue des Bons-Enfants ne doit pas se dispenser de visiter l’hôtel du Petit Saint-Antoine, un des bons cabarets de la ville de Paris. Quiconque se sentira l’estomac indisposé pour avoir trop bu la veille, n’aura qu’à boire encore pour se remettre le cœur, et s’il se trouvait par hasard aux environs du cimetière Saint-Jean, il fera bien de s’arrêter au logis des Torches pour y prendre une potion cordiale, capable de ressusciter un mort. Enfin voici le plus friand cabaret, qu’Apollon nous gardait pour la bonne bouche, c’est celui des Trois Cuillers, ou Cuillères, dans la rue aux Ours.

Tous ces cabarets avaient des enseignes peintes ou sculptées, quelquefois dorées ou argentées. Les ordonnances de la Ville et de la Cour des Aides prescrivaient aux cabaretiers, taverniers, logeurs et autres, qui vendaient le vin en détail, de mettre des enseignes aux endroits où se faisait la vente. A défaut d’enseigne, le vendeur de vin plaçait sur sa porte un bouchon, ou un moulinet emblématique, annonçant que le vin fait tourner la tête. Les gentilshommes, les plus grands seigneurs, allaient au cabaret pour faire bombance et boire à tire-larigot. Pierre de l’Estoile, dans son Journal de Henri IV (année 1607), affirme que la dépense était de six écus par personne, au Petit More et à la Hure, rue de la Huchette. Le poète Théophile, qui s’entendait en cabaret aussi bien qu’en poésie, nous a laissé cette peinture d’un ivrogne qu’il rencontrait souvent au Petit More:

Quant au chapeau qu’il porte, il est tel, à le voir,
Qu’on diroit vrayement que c’est un entonnoir;
Le cordon qui l’entoure est fait à la marane,
Historié jadis comme le dos d’un asne;
Son oreille est semblable à celle d’un cochon,
Où pend le Petit More, en guise de bouchon[120].

Ce Petit More reparaît sans cesse dans les chansons bachiques, sous le règne de Louis XIII:

Sus, allons chez la Coiffier,
Ou bien au Petit More.
Je vous veux tous défier
De m’enivrer encore[121]!

C’était le rendez-vous des plus vaillants buveurs. La Comédie des Chansons[122], qui fut peut-être représentée à l’Hôtel de Bourgogne avant 1640, en a fait un tableau assez peu décent:

Un jour, Paulmier, à haute voix,
Enivré dans le Petit More,
Tandis qu’on le tenoit à trois,
Desgobillant, disoit encore:
«Je veux mourir, au cabaret,
»Entre le blanc et le clairet!»

Pierre de l’Estoile place le cabaret du Petit More dans la rue de la Huchette; mais il y eut sans doute plus d’un cabaret portant la même enseigne, car nous en voyons encore un, dans la rue de Seine, à l’entrée de la petite rue des Marais, aujourd’hui Visconti, et nous ne doutons pas que son enseigne ne soit du XVIIᵉ siècle.

La même comédie nous a conservé aussi un couplet de chanson bachique, sur le cabaret de Cormier, à l’enseigne du Cerf:

Mon gros Jean Gourmand,
Que j’ay l’âme ravie
D’envie
De voir
Ton visage charmant;
Chacun rit,
En revoyant la trogne
D’un ivrogne,
Que le Cormier fleurit.

Le dernier couplet nous donne à penser que Cormier, vers 1639, avait changé l’enseigne de son cabaret, en y arborant un cormier ou sorbier, comme un plaisant synonyme de son nom. Guillaume Colletet, qui fut un des habitués de cet illustre cabaret, conseillait ainsi, à un poète buveur d’eau, de changer de boisson, en allant chez Cormier:

Va trinquer, à longs traits, de ce nectar nouveau,
Que le Cormier recelle en ses caves secrètes,
Si tu veux effacer ces antiques Prophètes,
Dont le nom brille encor dans la nuit du tombeau[123].

Ce sont les poètes qui ont fait, au XVIIᵉ siècle, la renommée des cabarets qu’ils fréquentaient de compagnie. Chapelle a célébré, en vers spirituels, la réunion de ses amis, à la Croix de Fer, où Molière parlait plus qu’il ne buvait. Saint-Amant allait, de préférence, avec une autre coterie poétique, chez Sercy, rue de Seine, à la Petite Galère. C’est dans ce cabaret qu’il est mort, le 29 décembre 1661, après une maladie de deux jours, à laquelle la bonne chère et le bon vin n’étaient pas étrangers. Les jeunes gens de la Cour, qui ne dédaignaient pas de suivre les poètes au cabaret, donnèrent l’idée d’une entrée de ballet, dansé devant le roi, à l’occasion de la naissance du Dauphin, en 1638: cette entrée représentait les enseignes des cabarets de Paris, et Dassoucy en avait fait les vers[124].

Nous avons écrit ailleurs l’histoire des cabarets de Paris[125], et, dans cette histoire, nous n’avons eu garde d’oublier les enseignes, la seule chose dont nous ayons à nous occuper ici. On ne saurait s’étonner de la notoriété que ces enseignes eurent du temps de Louis XIV. Chaque classe de la société, chaque corps d’état avait son cabaret privilégié. Les clients ordinaires de la Tête noire, située près du Palais, étaient les clercs de la basoche et les chantres de la Sainte-Chapelle. Les avocats, les juges eux-mêmes ne dédaignaient pas de se rafraîchir, à la Tête noire, avant et après les audiences, car il n’y avait pas de buvette dans la grand’salle du Palais. La veuve Bervin, dans le voisinage du cimetière Saint-Jean, tenait un cabaret, à l’enseigne du Mouton blanc, où Racine et Boileau ne croyaient pas se compromettre en y dînant avec l’avocat Brilhac. C’est dans ce cabaret que Racine eut la première pensée de sa comédie des Plaideurs. Chapelle fit infidélité au bouchon de la Croix de Fer, quand il entraîna ses amis à la Croix de Lorraine, qui avait meilleure table et meilleur vin; Molière et Boileau ne refusèrent pas de l’y suivre, avec le comte de Lignon et l’abbé de Broussin. Nous craignons bien que la Croix de Fer n’ait jamais réussi à reconquérir ses anciens hôtes, que lui avait enlevé la Croix de Lorraine. Au surplus, Chapelle fut toujours inconstant à l’égard des cabarets, parce qu’il les aimait tous et qu’il était connu de tous. Il trônait surtout, quand il ne songeait qu’à s’enivrer en tête-à-tête avec une bouteille, à la taverne de l’Ange, ou bien à celle de la Pomme de Pin, rue de la Licorne, dans la Cité. Ce dernier cabaret, qui avait peut-être vu Rabelais humant la purée septembrale, garda sa vieille renommée jusqu’à la fin du XVIIᵉ siècle, où l’ancien maître de la Pomme de Pin, nommé Desbordes-Grouyn, enrichi dans son commerce et plus encore dans les gabelles, avait cédé sa maison à l’excellent cuisinier Cresnay.

Chaque cabaret rassemblait en quelque sorte sous son enseigne un fidèle bataillon de buveurs et de goinfres. Les amoureux dînaient et soupaient à l’Écharpe, qui donna son nom à une petite rue du quartier du Marais; les friands de l’ordre des Coteaux, c’est-à-dire les vrais connaisseurs en toutes sortes de vins, tenaient leurs assises chez Lamy, aux Trois Cuillères, rue aux Ours; les gros mangeurs faisaient bombance chez Martin, aux Torches, près du cimetière Saint-Jean; d’autres à la Galère, rue Saint-Thomas-du-Louvre; d’autres enfin, chez l’hôte du Chêne vert, à la porte de l’Enclos-du-Temple. Les comédiens et les gens de théâtre, qui ne frayaient pas volontiers avec le commun du public, avaient leurs cabarets attitrés, où ils se trouvaient à leur aise entre eux; c’étaient: pour ceux du Palais-Royal, avant la mort de Molière, le cabaret des Bons Enfants, dans la rue du même nom, et son voisin le cabaret l’Alliance, où le comédien Champmeslé allait toujours, lors même que son théâtre fut transporté rue Guénégaud. Les cabarets s’étaient multipliés autour de l’Hôtel de Bourgogne, jusque vers les places de Montorgueil; il y avait là un cabaret fameux, au Croissant, comme dit l’auteur anonyme de l’Ode à la louange de tous les cabarets. Quand la troupe de l’Hôtel de Bourgogne, réunie à celle du Palais-Royal, vint s’établir, en 1680, dans la rue Guénégaud, ces cabarets, surtout ceux des Deux Faisans et des Trois Maillets, ne chômèrent pas et prospérèrent davantage, les comédiens italiens ayant remplacé les comédiens français. Le théâtre du Palais-Royal, occupé alors par l’Académie royale de musique, que Lully y avait transportée du faubourg Saint-Germain, fournissait de nouveaux habitués, à l’Épée de Bois, de la rue de Venise, taverne adoptée par les musiciens et les danseurs. Quiconque allait d’habitude au cabaret voulait s’y rencontrer avec ses pairs et compagnons; ainsi les maîtres ès arts et autres membres du corps universitaire avaient leurs agapes pédantesques au cabaret de la Corne, transféré de la rue des Sept-Voies à la place Maubert; aux Trois Entonnoirs, près des Carneaux, et surtout à l’Écu d’Argent. Les moines, les prêtres même ne craignaient pas d’entrer au cabaret, et surtout au Riche laboureur, dans l’enclos de la Foire Saint-Germain, et à la Table Roland, dans la Vallée de Misère, près du Châtelet.

Mais il faut nous arrêter à la fin du XVIIᵉ siècle, pour ne pas refaire notre Histoire des Hôtelleries et Cabarets, à laquelle nous renvoyons le lecteur, et nous terminerons ce chapitre, déjà trop long, par une simple nomenclature empruntée au Livre commode des Adresses de Paris en 1691 et 1692, en ne citant que les cabarets dont le sieur de Blegny a mentionné les enseignes. Nous avons déjà parlé de plusieurs de ces cabarets, renommés pour les vins fins et pour la bonne viande; mais leur rappel, dans le Livre commode, prouvera qu’ils n’avaient rien perdu, à la fin du XVIIᵉ siècle, de leur réputation bachique et culinaire; nommons donc Lamy, aux Trois Cuillères, rue aux Ours; Loisel, aux Bons Enfants, près le Palais-Royal; Fitte, au Grand Louis, rue Bailleul; Berthelot, à la Conférence, rue Gervais-Laurent; Dumonchel, au Soleil d’Or, rue Saint-André; Dutest, à la Corne, rue Galande; de Sercy, à la Petite Galère, rue de Seine, etc. Mais déjà les cabarets du bon ton ne s’intitulaient plus que traiteurs, tout en conservant leurs enseignes plus que séculaires; il n’y eut bientôt des cabarets que pour le peuple, et ceux où les gens du monde s’aventuraient encore quelquefois pour faire la débauche étaient aux Porcherons, à la Courtille, au Port-à-l’Anglais, à la Salpêtrière, etc. Ce fut alors que les cafés prirent naissance à Paris, et ils se distinguèrent des cabarets en se refusant toute espèce d’enseigne.

X

ENSEIGNES DES BARBIERS, DES ÉTUVISTES, DES CHIRURGIENS, DES APOTHICAIRES ET DES MÉDECINS.

IL n’y a pas d’enseignes de métiers qui aient donné lieu à plus de débats, à plus de conflits, à plus de procès que les enseignes des barbiers, car les barbiers ont été en querelle permanente avec les chirurgiens, les étuvistes et même les médecins. Leur corporation était sans doute très ancienne, mais leurs statuts primitifs étant tombés en désuétude au XIVᵉ siècle, le roi Charles V leur en donna de nouveaux en 1362, lesquels furent confirmés seulement en 1371 par lettres patentes adressées au prévôt de Paris[126]. Voici l’analyse des articles V et VI de ces statuts de la communauté des barbiers de la ville de Paris. «Ils ne pourront exercer leur métier, si ce n’est pour saigner et pour purger, les cinq fêtes de Notre-Dame, les jours de saint Cosme et saint Damien, de l’Épiphanie et des quatre fêtes solennelles. Ils ne doivent pas pendre leurs bassins les jours de fête qui suivent les fêtes de Noël, de Pâques et de la Pentecôte, sous peine de cinq sous d’amende, savoir: deux sous pour le roi, deux sous pour le maître et un sou pour le garde ou lieutenant du métier.» Ces bassins, que les barbiers ne devaient pas pendre à leurs boutiques, en certains jours de fête, sous peine d’amende, étaient les armes parlantes de leur métier, et, par conséquent, leur enseigne. Cette enseigne-là était donc mobile et alternative ou journalière, puisqu’on devait la décrocher à certains jours. Mais les barbiers avaient une autre enseigne fixe et stable, qui n’était jamais mieux à sa place que les jours de fête religieuse, puisque c’était l’image de saint Louis, leur patron.

Le Livre des Métiers, d’Étienne Boileau, prévôt de Paris sous le règne de saint Louis, donne les statuts des estuveurs ou baigneurs, et ne mentionne pas ceux des barbiers, qui n’avaient pas le droit d’exercer leur métier dans les étuves; mais, dès cette époque, les barbiers, du moins quelques-uns, s’occupaient de chirurgie et de tout ce qui constituait la médecine manuelle, que les mires ou médecins proprement dits dédaignaient de pratiquer eux-mêmes, notamment la saignée et le pansement des clous, bosses, apostumes et autres plaies. Charles V compléta en ce sens les statuts des barbiers par son ordonnance du 3 octobre 1372, où il déclarait que les pauvres n’avaient pas les moyens de recourir aux chirurgiens, qui sont gens de grand état et de grand salaire. Par une ordonnance de 1383, Charles VI augmenta et confirma les privilèges des barbiers au point de vue chirurgical. Des lettres patentes de Charles VII, datées de juin 1444, achevèrent de transmettre aux barbiers une partie des attributions de la chirurgie, et leur permirent en quelque sorte de faire ouvertement concurrence aux chirurgiens. Les barbiers avaient ajouté déjà aux armes parlantes de leur métier celles de la chirurgie, c’est-à-dire les trois palettes peintes en rouge, qu’ils suspendaient à leurs bassins professionnels. La palette était une petite écuelle de métal destinée à recevoir le sang dans les saignées et pouvant contenir environ quatre onces de ce sang, qu’on mesurait, pour ainsi dire, en le tirant de la veine. On comprend les discussions et les contestations, auxquelles ces trois palettes et ces bassins fournissaient des prétextes continuels, qui amenèrent quantité de procès entre la communauté des barbiers et le collège des maîtres chirurgiens.

Nous n’avons à nous occuper que des enseignes de l’un et de l’autre corps de métier, lesquelles furent en cause dans ces procès débattus au Parlement, et qui avaient souvent donné lieu à des jugements de simple police pour contravention; car, par un arrêt du 26 juillet 1603, le Parlement avait autorisé les barbiers à s’intituler: maîtres barbiers-chirurgiens, et à faire figurer dans leurs enseignes les bassins ou plats à barbe et les trois palettes de la saignée; mais, parmi les barbiers, beaucoup n’avaient pas subi l’examen d’anatomie et de chirurgie pratique, qu’ils étaient tenus de passer devant les maîtres-jurés de la communauté pour avoir le droit de saigner et de panser les pauvres malades; ceux-là ne devaient donc pas, sous peine d’amende, arborer les trois palettes emblématiques au-dessous de leurs bassins. Quant aux maîtres barbiers-chirurgiens, ils se permirent de changer quelque chose à leur qualification, et ils s’intitulaient, de leur autorité privée, sur leurs enseignes, chirurgiens-barbiers, ce qui fut matière à nouveaux procès, après lesquels les barbiers durent se contenter du titre de barbiers-chirurgiens. En revanche, les chirurgiens eurent, à leur tour, des procès à soutenir contre les barbiers, qui les accusaient de contrefaire leur enseigne professionnelle et de prendre indûment quelquefois le titre de barbier; les chirurgiens, qui saignaient comme les barbiers, prétendaient aussi faire la barbe comme eux: ces chirurgiens-là n’étaient que des barbiers-chirurgiens; ils avaient des enseignes, de même que les barbiers, et des enseignes presque semblables. Le cas était épineux, la question difficile à résoudre, car les chirurgiens produisaient des lettres patentes du roi Jean, en date du 5 avril 1353, qui les autorisaient à raser et saigner, avant que les barbiers eussent obtenu du roi Charles V leurs statuts, qui n’avaient d’analogie que sur ces deux points. Les chirurgiens pouvaient donc pendre des bassins à leur porte, comme enseigne de leur profession, et, en outre, des boîtes d’onguents qui ressemblaient assez aux palettes des barbiers. On plaida, on replaida, et le Parlement, reconnaissant que le droit des chirurgiens à prendre des bassins pour enseigne était antérieur à celui des barbiers, déclara que ces derniers n’en auraient pas moins, par leurs statuts, l’entière possession de leurs bassins et de leurs palettes d’enseigne. Mais, pour établir une juste distinction entre les chirurgiens et les barbiers, il fut décidé, par un nouvel arrêt, que les chirurgiens auraient des bassins de cuivre avec trois boîtes, et les barbiers, des bassins d’étain ou de plomb avec trois palettes[127].

Les chirurgiens renoncèrent eux-mêmes à toute espèce d’enseigne, lorsqu’ils eurent exclu de leur corps les chirurgiens-barbiers et les chirurgiens-apothicaires; les barbiers reprirent alors possession de leurs bassins et de leurs palettes de cuivre. Monteil, dans son Histoire des Français de divers états[128], avait fait dire à un maître chirurgien, dès le XVᵉ siècle: «Le public devrait bien distinguer leurs enseignes des nôtres, en bas desquelles ne pendent pas des plats à barbe, mais des boîtes; le public devrait bien aussi ne pas ignorer que nous sommes maîtres chirurgiens jurés.»

Les barbiers n’étaient plus que chirurgiens lorsque la mode voulait qu’on portât la barbe longue; mais ils redevenaient barbiers dès que l’on en revenait à couper la barbe. De là sans doute les alternatives de misère et de fortune de la barberie. On peut voir, d’après la Taille de 1492, que les barbiers de Paris étaient au nombre de 151, et comme chacun d’eux avait à payer pour sa part 8 à 12 sous, ce qui était comparativement une imposition assez élevée, on peut en conclure qu’ils faisaient assez bien leurs affaires à cette époque[129]. Tous, il est vrai, n’étaient pas aussi habiles, malgré les promesses de leurs enseignes. Ainsi, vers 1500, Pierre Gringore les traitait assez mal, dans son poème des Faintises du monde qui règne, où il dit avec dédain:

Tel pend à son huys le bassin,
Qui ne sauroit raire (raser) une chièvre.

C’est que sous le règne de Charles VIII les Français avaient rapporté des guerres d’Italie l’habitude de laisser croître leur barbe. Cette habitude persista toujours, avec les guerres d’Italie, sous Louis XII et sous François Iᵉʳ, qui avait inauguré la mode des grandes barbes. Il y eut alors plus de chirurgiens que de barbiers, quoiqu’une bien singulière mode fût aussi venue d’Italie en ce temps-là. Hommes ou femmes se rasaient ou se faisaient raser impitoyablement tout le poil du corps, comme nous l’apprend ce rondeau, qui constate l’étrange service qu’on réclamait des barbiers:

Povres barbiers, bien estes morfonduz
De veoir ainsi gentilshommes tonduz,
Et porter barbe; or, avisez comment
Vous gaignerez, car tout premièrement
Tondre et saigner, ce sont cas défenduz.
De testonner on n’en parlera plus:
Gardez ciseaux et razouers esmouluz,
Car désormais vous fault vivre autrement,
Povres barbiers.
J’en ay pitié, car plus comtes ni ducz
Ne peignerez, mais, comme gens perduz,
Vous en irez besongner chaudement
En quelque estuve, et là gaillardement
Tondre maujoinct ou raser priapus,
Povres barbiers[130].

Ce rondeau prouve que, malgré les prescriptions des anciens statuts, les barbiers du temps de François Iᵉʳ pouvaient exercer leur métier dans les étuves, de telle sorte qu’ils s’intitulaient alors barbiers-étuvistes. Mais les barbiers devaient avoir plus tard leur revanche, et Mercier disait, en 1782, dans son Tableau de Paris: «Douze cents perruquiers, maîtrise érigée en charge, et qui tiennent leurs privilèges de saint Louis, emploient à peu près six mille garçons. Deux mille chamberlans font en chambre le même métier, au risque d’aller à Bicêtre; six mille laquais n’ont guère que cet emploi. Il faut comprendre dans ce dénombrement les coiffeuses. Tous ces êtres-là tirent leur subsistance des papillotes et des bichonnages.» Il y avait donc, à Paris, en 1782, 1200 perruquiers, c’est-à-dire barbiers, car dès lors l’usage des perruques tendait à disparaître; or, ces barbiers exerçaient leur métier dans douze cents boutiques, peintes en bleu d’azur, couleur de la livrée du roi saint Louis, et ces douze cents boutiques portaient chacune l’enseigne pendante des deux bassins de cuivre, accompagnés de trois palettes.

Le perruquier, né malin, comme le vaudeville, agrémentait souvent son enseigne de devises et de vers, plus ou moins mal orthographiés, dans le goût de cette inscription, copiée sur la boutique d’un perruquier du village de Sarcelle:

La Nature a doné à l’homme la barbe et les cheveux,
Ici on les coupe toutes deus.

Les barbiers auraient mieux fait de s’en tenir à l’inscription qu’on leur avait permis de placer sur leurs boutiques, lorsqu’ils furent érigés en corps de métier, en 1674: Céans on fait le poil proprement, et on tient bains et étuves. Ils s’intitulaient, dans leurs lettres de maîtrise: Barbiers, baigneurs, étuvistes et perruquiers; ils ne se mêlaient plus de chirurgie, mais ils avaient le droit de vendre, en gros et en détail, des cheveux et toutes sortes de perruques, de poudre, de savonnettes, de pommades, de pâtes de senteurs et d’essences[131].

[Image non disponible.]
AU TEMPS PERDU

Les barbiers, de tous temps, furent plaisants et facétieux; ils le montraient bien, même jusque sur les enseignes, dont l’invention leur appartenait. De cette catégorie fut l’enseigne qu’on voyait naguère dans la cour du Dragon et qui représentait une femme essayant de débarbouiller un nègre, avec cette inscription philosophique: Au temps perdu.

Les chirurgiens, après d’interminables procès soutenus contre les barbiers, furent en querelle pendant de longues années avec les médecins, et sans doute avec les épiciers, puisqu’ils vendaient, en vertu de leurs statuts, des drogues et des onguents, comme les apothicaires, qui avaient été incorporés dans la communauté des épiciers, mais qui ne se laissèrent pas absorber par cette corporation, ainsi que le prouve le long procès qu’ils intentèrent à Guy Patin et qui ne tourna pas à leur profit. Ils s’étaient alors séparés, bon gré mal gré, des épiciers, et quoiqu’ils eussent le même patron que leurs anciens confrères qui s’étaient mis sous la protection de saint Nicolas, ils avaient adopté pour enseigne le serpent d’Esculape. Ils y joignaient sans doute des inscriptions latines, pour relever leur profession. Les chirurgiens avaient recours quelquefois à ce procédé, lorsqu’ils ne craignaient pas d’imiter les marchands, en se donnant le luxe d’une belle enseigne peinte. Tel était ce chirurgien demeurant à Paris, près de Saint-Martial, lequel avait fait peindre un tableau de la Charité de saint Louis, pour s’en faire une enseigne, et qui obtint de l’amitié de Santeuil[132] ce distique, qu’il fit graver en lettres d’or, au-dessous de son tableau, destiné à braver la haineuse jalousie des médecins:

Ne medicus adhibere manus dubitaveris ægro,
Admonet hæc pieta regias, teque docet.

Au reste, les médecins eux-mêmes ne dédaignaient pas de sacrifier parfois à la vanité de l’enseigne. Le médecin Mouriceau, qui fit, en 1681, le Traité des femmes grosses, donnait ainsi son adresse, à défaut de l’adresse de son libraire: Paris, chez l’Auteur, au milieu de la rue des Petits-Champs, à l’enseigne du Bon Médecin. Au XVIIIᵉ siècle, médecins et chirurgiens se seraient crus déshonorés s’ils avaient mis des enseignes sur la façade des maisons qu’ils habitaient, mais ils avaient des adresses imprimées et gravées, qu’ils distribuaient dans leur quartier. Nous ne citerons que la suivante, finement gravée par Chalmandrier, d’après un dessin de Marillier, qui l’avait enjolivée de bouquets de roses et surmontée d’un groupe d’amours sérieusement occupés à se soigner les dents: Le sieur Delafondrée, chirurgien dentiste, seul élève associé de M. Fauchard, rue et près les Grands Cordeliers.

La plupart des dentistes, n’étant pas chirurgiens, caractérisaient du moins leur profession par des armes parlantes, qui n’étaient autres que des dents énormes, ou, plus modestement, par des râteliers de belles dents blanches à faire envie aux pauvres édentés; ce qui se voyait encore de nos jours, au Palais-Royal, dans les tableaux dentaires de Désirabode.

Nous avons trouvé aussi plusieurs adresses gravées, avec des attributs et des emblèmes agréables qui recommandaient des boutiques d’apothicaires, avant que ces indispensables auxiliaires de la médecine se fussent métamorphosés en pharmaciens. Nous nous arrêterons de préférence à une enseigne sculptée, et très élégamment sculptée, qu’on voit encore rue Saint-Denis et qui porte cette légende: Au Mortier d’Argent. Son voisin le Centaure, dont nous avons donné le dessin page 85, et le Bon Samaritain, de la rue de la Lingerie, sont des enseignes de marchands droguistes.

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