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Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome IV

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CHAPITRE II.

PREMIER PROJET D'UNION.

1823-1827.

L'Union des deux Canadas désirée par les Anglais de Montréal.--Ellice est leur agent.--Histoire de la fortune de ce marchand.--Le bill d'union amené secrètement devant le parlement impérial,--Parker donne l'alarme.--Sir James Macintosh et sir Francis Burdett avertis arrêtent le bill dans la chambre des communes.--Nature de ce bill.--Il est ajourné.--Sensation que la nouvelle de son introduction dans le parlement fait dans les deux Canadas.--Pétitions contre: MM. Papineau et Neilson députés à Londres. Habile mémoire qu'ils présentent au gouvernement.--Les ministres abandonnent la mesure.--Paroles d'Ellice à M. Papineau.--Appréciation d'Ellice par sir James Macintosh.--Opinion de sir Francis Burdett sur l'union.--Entrevues de M. Papineau avec lord Bathurst.--Opinion des hommes d'état sur la durée de l'union des Etats-Unis.--Montant de la défalcation de Caldwell.--Affaires religieuses.--Lord Dalhousie passe en Angleterre et revient à Québec.--Refus des subsides.--Discours insultant de ce gouverneur en prorogeant le parlement.

L'Union avait été de tout temps la pensée secrète du parti anglais de Montréal, dont l'hostilité contre les anciens habitans augmentait tous les jours avec le désir de les dominer. L'avarice autant que l'ambition entretenait cette haine qui trouvait de la sympathie en Angleterre à la faveur des préjugés nationaux et des calomnies. Ce parti avait exclusivement l'oreille du peuple anglais; le bureau colonial recevait toutes ses inspirations de lui, et les gouverneurs se jetaient presque toujours dans ses bras pour l'avoir pour ami et s'assurer de ses bonnes grâces à Londres, où les Canadiens étaient regardés comme des espèces d'étrangers. De là le motif de leur antipathie pour ces derniers et de leur chambre d'assemblée.

On a pu voir depuis l'arrivée du comte de Dalhousie que sa marche a été régulière et comme toute tracée d'avance. Son dernier mot est dit dans son premier discours aux chambres; aucune concession n'est accordée, et les résolutions de l'assemblée ne sont recueillies que pour servir de pièces dans le grand procès qu'on se propose de lui intenter devant les communes d'Angleterre avant de la détruire. De là la situation des choses en 1822, refus des subsides et querelles avec le Haut-Canada.

De deux points et pour des motifs différens partaient des accusations contre l'assemblée où l'esprit, les sympathies et l'intérêt de l'ancienne population s'étaient réfugiés. Le parti britannique le plus exclusif avait toujours voulu l'union pour noyer la population française, ci c'est pour ce motif que M. Lyrnburner protesta en son nom à la barre de la chambre des communes contre la division de la province en 91. Lorsque M. Papineau le vit en 1823, en qualité d'ancien ami de son père et d'homme instruit et lettré comme lui, pour l'intéresser aux requêtes des Canadiens, sachant qu'il avait changé d'opinion, il répondit à lui et à M. Neilson qui l'accompagnait: «J'ai plusieurs lettres de mes anciens amis en Canada, qui s'appuyent de ce que j'ai dit en leur nom comme au mien contre la division de ce pays en deux provinces. Cette division fut une erreur. L'amalgamation des deux populations eût été plus rapide sans elle. Mais il y aurait maintenant de l'injustice à la faire disparaître. Elle a fortifié des habitudes et des intérêts distincts, elle a donné naissance à une législation séparée. J'ai répondu que loin de les appuyer, je les opposerais et que j'emploierais mon influence auprès des hommes publics que je connais pour faire échouer leur tentative, parce que le gouvernement se mettrait par là en contradiction avec lui-même et ce rendrait odieux en Amérique.» Si M. Lyrnburner était maintenant contre l'union, d'autres l'avaient remplacé dans son ancienne idée. On sait que la compagnie du Nord-Ouest jouissait d'une influence locale assez grande à Londres. Cette compagnie était dirigée en Canada par MM. Richardson et McGill, deux des chefs les plus exagérés du parti anglais. M. Ellice, dont le père avait fait autrefois un grand commerce dans ce pays, et qui y avait acheté de la famille Lotbinière, la seigneurie de Beauharnois, avait été commis chez eux. Par le chapitre des accidens, Ellice était devenu un homme important à Londres. Du Canada, il était passé aux Iles. Là il avait épousé une des filles du comte Grey, veuve d'un officier de l'armée. Quelques années plus tard, lord Grey se trouvait l'homme le plus puissant du parti whig, et M. Ellice, par contre coup, quoique d'un esprit fort ordinaire, se trouvait par son alliance en possession d'une grande influence. Whig en Angleterre, il devint entremetteur des torys du Canada avec le ministère tory à Londres, pour détruire l'oeuvre de Pitt, et il détermina le ministère à précipiter son projet et à présenter, en 1822, le bill d'union aux communes, qui étaient sur le point de l'adopter pour ainsi dire par surprise, la chose se faisant sans bruit, lorsque par hasard un M. Parker en eut connaissance.

Parker sans être un homme de talent ni d'influence, portait une haine mortelle à Ellice, qu'il accusait de diverses fraudes dans ses transactions commerciales avec lui et avec d'autres marchanda. Il vivait retiré en Angleterre avec une fortune qu'il avait acquise dans le commerce canadien, lorsqu'il apprit que le bill d'union soumis au parlement, était plutôt l'oeuvre d'Ellice que du ministère. Il courut aussitôt dire à Downing Street qu'ils étaient les dupes d'un fripon sans pouvoir se faire écouter. Il fut plus heureux auprès de sir James Macintosh, sir Francis Burdett et de quelques autres membres des communes. Une opposition se forma et arrêta le bill à sa seconde lecture. C'est à cette occasion qu'on entendit proférer ce langage singulier dans un pays libre, par un organe du cabinet, M. Wilmot. «Je vous supplie de passer ce bill immédiatement; si vous attendez à l'an prochain, vous recevrez tant de pétitions pour protester contre la mesure, qu'il sera fort difficile de l'adopter quelqu'utile qu'elle puisse être à ceux qui s'y opposent par ignorance ou par préjugé. D'ailleurs elle est indispensable pour faire disparaître les difficultés qui existent entre l'exécutif et l'assemblée.» Malgré cette supplication pressante, sir James Macintosh et ses amis persistèrent dans leur opposition et firent renvoyer le bill à l'année suivante.

Ce bill tranchait largement sur les libertés coloniales en général et sur celles du Bas-Canada en particulier. Il donnait à celui-ci une représentation beaucoup plus faible qu'au Haut. Il conférait à des conseillers non élus par le peuple le droit de prendre part aux débats de l'assemblée. Il abolissait l'usage de la langue française. Il affectait la liberté religieuse et les droits de l'église catholique. Il restreignait les droits des représentans touchant la disposition des impôts. Ce bill paraissait enfin dicté par l'esprit le plus rétrograde et le plus hostile. Il réduisait le Canadien français presqu'à l'état de l'Irlandais catholique. Le peuple libre qui se met à tyranniser est cent fois plus injuste, plus cruel, que le despote absolu, car sa violence se porte pour ainsi dire par chaque individu du peuple opprimant sur chaque individu du peuple opprimé toujours face à face avec lui.

La nouvelle de l'introduction secrète pour ainsi dire de ce bill dans les communes, fit une immense sensation en Canada. L'on cria à la perfidie, à la trahison; et il ne resta plus de doute sur les motifs de la résistance du bureau colonial dans la question des subsides. On vit dés lors le but qu'il voulait atteindre. Mais il y avait encore quelque bienveillance pour nous en Angleterre.

Les journaux torys qui avaient gardé îe silence jusque là, donnèrent, au mot d'ordre, le cri d'approbation, auquel les journaux libéraux répondirent en donnant l'éveil aux habitans, dont les institutions, les lois et la langue se trouvaient menacées d'une manière si inattendue. Toute la population s'agita d'un bout du pays à l'autre. On tint des assemblées publiques, on organisa des comités dans toutes les localités, pour protester contre la conduite du gouvernement de la métropole, et pour préparer des pétitions au parlement impérial et les faire signer par le peuple. Montréal et Québec donnaient l'exemple. Le jour de l'assemblée de Québec, les partisans de l'union se réunirent à Montréal sous la présidence de M. Richardson. Plusieurs assistans prononcèrent des discoure dans lesquels ils s'abandonnèrent à tous les sentimens de haine qu'ils portaient aux anciens habituans, et que plusieurs avaient dissimulés longtemps, surtout ce même Smart que la chambra avait désigné tant de fois pour être son agent en Angleterre, et qui vint donner le démenti à tous les sentimens qu'il avait professés avec ardeur jusque-là. «Les raisons des Canadiens, dit-il, ne peuvent être fondées que sur des préjugés qu'il faut extirper, ou sur des intérêts locaux qui ne doivent pas entrer dans la considération de la question,» comme si la langue, les lois, les institutions d'un peuple, «observait le Spectateur, pouvaient être mis au rang des préjugés.» Une partie des habitans des townships nouvellement établis sur les limites des districts des Trois-Rivières et de Montréal, sur la frontière américaine, imitèrent leurs compatriotes de Montréal. Mais il n'en fut pas de même dans le Haut-Canada. La majorité des habitans se prononça formellement contre l'union. Partout ils déclarèrent qu'ils étaient satisfaits de leur constitution, qu'ils désiraient la transmettre intacte à leur postérité, et que le bill introduit par les communes anglaises, loin de les accroître restreignait leurs droits et leurs libertés. Ce langage déconcerta les unionnaires, qui commencèrent après quelque temps d'attente à perdre espérance.

Cependant les pétitions des Canadiens se couvraient de signatures. Bientôt elles en portèrent plus de 60,000 provenant de cultivateurs, des seigneurs, des magistrats, des ecclésiastiques, des officiers de milice, des marchands. Au contraire de celles de leurs adversaires, elles s'exprimaient dans un langage digne et modéré, qui faisait voir que l'on ne voulait s'appuyer que sur le nombre et sur la justice. Elles n'avaient besoin d'ailleurs que d'exposer la vérité avec le calme et la gravité que demandaient l'importance de leurs motifs, la sainteté de leur cause pour porter la conviction dans le coeur des juges d'un peuple qu'on voulait proscrire sans l'entendre. Toutes ces adresses furent envoyées à Londres en attendant la réunion de la législature, qui devait parler à son tour au nom de tout le pays. Elles étaient portées par M. Papineau et M. Neilson, deux de des membres les plus distingués et les plus populaires, qui furent chargés aussi de celles du Haut-Canada. Sans attendre le résultat des mesures du ministère, le gouverneur convoqua le parlement pour le commencement de janvier (1823,) et en l'absence de M. Papineau M. Vallières de St.-Réal fut porté à la présidence de l'assemblée, qui s'occupa aussitôt de l'union, contre laquelle elle passa les résolutions les plus énergiques.

M. Ogden, le chef et l'orateur de l'opposition, proposa un amendement en faveur de l'union. «Les Canadiens, disait-il, ne peuvent avoir aucun sentiment hostile contre des sujets d'un même souverain, par conséquent aucune répugnance à adopter la langue, les habitudes et le caractère de cette grande famille, et à former dans l'intérêt commun une seule province des deux. L'union de l'Angleterre avec l'Ecosse avait eu un résultat fort heureux; les intérêts des habitans des deux Canadas devaient être les mêmes. Il fallait détruire les préjugés mal fondés pour assurer la bonne harmonie. Il n'était pas nécessaire d'expliquer ce qui avait causé l'alarme produite par la mesure amenée devant la chambre des communes; elle était connue du gouvernement. C'était la jalousie, c'était le manque de confiance dans l'honneur et la droiture du pouvoir, qu'on entretenait malheureusement avec trop de succès parmi les hommes ignorans et inconsidérés; et il était quelquefois du devoir des législateurs de chercher le bonheur du peuple même malgré lui.» Les imprudens et les ignorans dans le langage de M. Ogden, c'étaient les Canadiens-français qu'il voulait régénérer comme l'avaient été ses pères. Celui qui prenait ainsi le langage de l'insulte, et qui taxait d'ignorance le sentiment de la nationalité si profondément gravé dans le coeur de tous les peuples, était le descendant d'un des deux Hollandais qui contractèrent en 1632 pour bâtir les mure d'une église à New-Amsterdam pour la somme de 1000 piastres. Ils ne pensaient pas, sans doute, qu'un de leurs descendans, chassé de leur pays, parlerait ainsi d'un peuple planté en Amérique par le grand roi Louis XIV, le terrible voisin de leurs ancêtres. L'amendement de M. Ogden, que le président refusa de recevoir parcequ'il était en opposition directe avec les résolutions qui venaient d'être adoptées, ne rallia que trois voix lorsque son auteur appela à la chambre de la décision du fauteuil.

Pendant que partout en Canada l'on se levait et protestait contre cette mesure, les townships de l'Est se plaignaient que leurs intérêts étaient négligés, excités par les affidés du château. Ils demandèrent à être représentés dans l'assemblée, et lord Dalhousie recommandait l'intervention du parlement impérial pour satisfaire leurs voeux. Il approuvait en même temps le conseil d'avoir rejeté le bill passé par la chambre, pour augmenter la représentation générale. 21 On ne savait enfin quel moyen prendre pour diminuer, pour neutraliser le nombre des représentons Canadiens et augmenter celui des Anglais, quoique la proportion de ces derniers fût déjà bien plus élevée que celle des habitans de leur origine, dans la population entière.

Note 21: (retour) Dépêche de lord Dalhousie au ministre, 5 avril, 1825.

On s'attendait que la question des subsides allait revenir sur le tapis et amener la répétition des débats qui troublaient le pays depuis tant d'années; mais contre l'attente de bien du monde, elle reçut une solution temporaire. Le gouvernement sépara dans les estimations qu'il transmit à l'assemblée, la liste civile des autres dépenses. Cette distinction déplut aux deux partis; mais à l'aide de termes généraux susceptibles de différentes interprétations, on ménagea les prétentions hostiles et le bill des subsides passa. Le conseil à qui la main avait été forcé probablement par quelque influence supérieure, déclara qu'il n'y donnait son concours dans le moment qu'à cause des circonstances dans lesquelles se trouvait le pays; mais qu'il ne le ferait pas à l'avenir. Ce corps recevait alors un terrible choc de la grande débâcle du receveur-général, l'un de ses chefs, dont la banqueroute jeta un moment l'épouvante et la confusion dans leur camp. Depuis longtemps la chambre soupçonnait sa défalcation par les grands travaux et le grand commerce de bois qu'il faisait, les nombreux moulins qu'il élevait partout et qui devaient entraîner des dépenses auxquelles ses propres capitaux n'auraient pu suffire. L'un des principaux motifs de l'assemblée en persistant dans sa résolution sur les subsides, était de forcer le gouvernement à mettre au jour la véritable situation des finances. L'opposition qui connaissait son but mettait tout en oeuvre pour la faire échouer. Les chefs de cette opposition, amis intimes du receveur-général, partageant ses festins et son opulence, sans connaître peut-être ses vols, étaient portés par sympathie de caste à le soutenir dans ses prétextes et dans les raisons qu'il voulait bien donner pour refuser de fournir à l'assemblée les renseignemens qu'elle demandait. Mais chaque chose à son terme, et Caldwell fut obligé en 1822, de déclarer qu'il n'avait plus d'argent pour subvenir aux dépenses du reste de l'année. La chambre ne manqua pas une occasion qui venait si à propos pour justifier ses prétentions. Elle déclara que le receveur-général devait avoir au moins £100,000 entre les mains, et qu'elle ne pouvait sanctionner aucun remboursement pour favoriser des opérations inconstitutionnelles. Ce reflua qui en toute autre occasion eut amené une crise, fut reçu presque sans mot dire par l'exécutif, qui voulait éviter un éclat et qui témoigna contre son ordinaire toute sa satisfaction du résultat de la session, résultat dit le gouverneur qui faisait honneur aux membres et qui serait utile au pays. Mais en même temps, il ôtait le titre de Gazette officielle au journal de M. Neilson fils, et le transférait à une nouvelle feuille qu'il faisait mettre sur pied, afin de punir le fils des indiscrétions du père, et d'avoir un organe de son choix et sur la dépendance duquel il put toujours compter, pour communiquer ses vues ou défendre ses mesures devant le public. On voulait imiter l'Angleterre; mais à Londres le ministère qui a ses journaux pour soutenir sa politique, est responsable aux chambres, de sorte que ces journaux ne sont après tout que les organes d'un parti politique qui a la majorité et qui possède le pouvoir pour le moment. En Canada, la responsabilité n'existant pas, et le gouvernement n'étant ostensiblement soutenu par aucune majorité, le journal ministériel loin d'avoir de l'influence devait la perdre du moment qu'il défendait une politique qui ne s'accordait pas avec l'opinion publique, et c'est ce qui arriva.

Cependant MM. Papineau et Neilson étaient reçus à Londres avec tous les égards qu'une métropole peut accorder à une colonie. L'unanimité des Canadiens avait d'abord arrêté le cabinet, et l'avait engagé ensuite à retirer sa mesure. Dès la première entrevue de MM. Neilson et Papineau avec le sous-secrétaire des colonies, M. Wilmot, à Downing Street, ils en eurent l'assurance. Après quelques discussions, ces agens lui dirent qu'ils allaient voir le plus grand nombre possible de membres du parlement pour leur faire connaître l'opposition générale du pays. M. Wilmot feignant de balancer, leur dit enfin: «Restez tranquilles; ne faites part à personne de ce que je vais vous annoncer; le gouvernement ne veut pas de fracas dans le parlement au sujet de l'union; elle ne sera pas amenée dans cette session.» Ils s'empressèrent d'aller communiquer cette réponse à sir James Macintosh, qui les félicita sur la tournure que prenait leur affaire, et qui leur dit qu'ils pouvaient s'en rapporter à la parole du cabinet.

Les agens avaient déjà sollicité l'appui du chef du parti appelé les Saints, composé de méthodistes et autres dissidens; ils n'allèrent pas plus loin, et sur la demande du secrétaire colonial ils présentèrent un mémoire qui renfermait les raisons du Canada contre la mesure et réfutait celles de ses partisans. 22

Note 22: (retour) Ce mémoire rédigé par M. Neilson aidé de M. Papineau, est l'un de nos papiers d'état les plus noblement, savamment et philosophiquement pensés que l'on trouve dans notre histoire.

Nous nous étions flattés, disaient-ils, qu'il ne serait pas nécessaire de faire part au gouvernement de nos observations sur une mesure que les neuf-dixièmes des habitans et toutes les autorités constitutionnelles de la colonie répudient comme remplie des plus graves dangers. Nous prenons la liberté de remarquer, que quoique l'on ait demandé l'approbation du Haut-Canada, il l'a refusée comme le prouvent les requêtes de ses habitans, dont la majorité repousse l'union. La population du Bas-Canada est estimée à cinq cent mille âmes, celle du Haut à cent vingt mille. Le nombre d'hommes de seize à soixante ans dans les deux provinces est d'environ cent mille, dont près de soixante-dix mille ont réclamé contre la mesure. Si un petit nombre d'individus l'ont appuyée par leurs requêtes, on doit faire attention que personne dans l'une ni dans l'autre colonie, avant que l'on y eût appris l'existence du bill actuel, ne l'avait sollicitée, ni n'avait découvert les maux qui la rendent nécessaire selon ses auteurs.

Les agens s'étendirent ensuite sur la fidélité des Canadiens, qui avaient défendu l'autorité métropolitaine lorsque toutes les colonies anglaises de l'Amérique se révoltaient; sur la différence qu'il y avait entre la société en Angleterre et la société en Canada; sur les dangers de faire des changemens contre le gré des habitans. Ils exposaient qu'il était évidemment utile pour des législatures locales et subordonnées que leurs limites ne fussent pas trop étendues; que la distance entre le golfe St.-Laurent et la tête du lac Huron était de plus de 500 lieues; que le climat variait beaucoup dans cette vaste étendue de pays, et que par conséquent les communications étaient très difficiles et très dispendieuses surtout l'hiver, tandis que dans la même étendue de territoire, l'Union américaine comptait sept états distincts pour la facilité du gouvernement et de la législature.

Ce n'est pas seulement à cause des distances et des différences de climats et de saisons, ajoutaient-ils, que la mesure préjudicierait aux intérêts des Canadas. C'est un fait constant que non-seulement les lois qui règlent la propriété et les droits civils dans les deux provinces, mais les coutumes, les habitudes, la religion et même les préjugés différent essentiellement. Les habitans tiennent fortement à toutes ces choses, dont la jouissance leur a été solennellement garantie par la Grande-Bretagne. Le plus sage, le plus désintéressé, le plus savant législateur, pourrait à peine fondre leurs codes en un seul sans danger pour les propriétés acquises sous ces lois différentes. MM. Neilson et Papineau faisaient alors une revue des différens articles du bill d'union; de la composition du conseil législatif et de la chambre d'assemblée, où le Haut-Canada devait avoir une représentation trois fois plus considérable que celle du Bas, eu égard à sa population; de la qualification pécuniaire trop élevée des membres; de la taxation inégale. La clause aussi qui autorisait le gouverneur à nommer des conseillers exécutifs qui auraient droit de siéger et de discuter mais non de voter dans l'assemblée, était à leurs yeux une déviation singulière de la constitution anglaise, et ils ajoutaient que celle qui proscrivait la langue française avait excité de vives réclamations. La langue d'un père, d'une mère, de sa famille, de ses amis, de ses premiers souvenirs, est chère à tout le monde disaient-ils, et cette intervention inutile dans la langue du peuple du Canada était vivement sentie dans un pays où cette langue avait été, sans contredit, une des causes qui avaient le plus contribué à conserver cette colonie à la Grande-Bretagne à l'époque de la révolution américaine.

Les députés protestèrent aussi contre la clause du bill qui tendait à faire nommer les curés catholiques par le gouverneur et L'évêque conjointement contre toute loi, contre tout usage même dans l'église protestante, et finissaient par demander que si l'on se proposait plus tard de reprendre la mesure, il fut ordonné au gouverneur de faire faire un recensement et de faire passer une loi dans le Bas-Canada pour nommer des commissaires chargés de venir en Angleterre soutenir la constitution canadienne. Le gouvernement cherchait toujours, comme on voit, à usurper le pouvoir ecclésiastique en s'emparant de la nomination des curés, et à mettre le clergé catholique dans sa dépendance. Mais la religion plus forte que les choses temporelles et la politique, mettait un obstacle infranchissable à l'ambition et aux préjugés du bureau colonial. Cette tentative indique encore une fois la source où sir James Craig puisait ses inspirations, et qu'en religion comme en politique, les désirs secrets de la métropole étaient toujours la destruction de toutes les anciennes institutions canadiennes.

En présence d'une opposition aussi générale quant à l'opinion, et aussi puissante quant à la logique et à la justice, le ministère dut retirer sa mesure. Mais n'osant plus se fier à lui après tout ce qui s'était passé, malgré ses assurances qu'elle serait laissée là pour la session, il fut convenu entre les deux agens que M. Papineau resterait à Londres jusqu'à la prorogation, de peur de quelque surprise.

C'est vers ce temps-ci, qu'un soir M. Papineau étant à table chez un ami avec M. Ellice et M. Stuart, l'agent des unionnaires, la conversation tomba sur le Canada. Ellice lui dit: «Vous avez l'air bien tranquille; je crois savoir de bonne source que le cabinet vous a donné l'assurance que la mesure ne reviendrait pas sur le tapis; mais elle y reviendra; je déshonorerai les ministres, j'ai leur parole en présence de témoins.» M. Papineau et M. Neilson inquiets allèrent voir aussitôt sir James Macintosh, qui leur répondit de ne pas s'alarmer; «que M. Ellice était un bavard (braggadocio) sans poids ni influence. Il n'osera jamais agir aussi follement qu'il a parlé. Par l'entremise de quelques uns de mes amis, je saurai refroidir son ardeur. Nous ne le voyons que parce qu'il est le gendre du comte Grey.»

Plus tard, M. Papineau rencontra chez M. Ellice sir Francis Burdett. La discussion ayant été ramenée sur le tapis, M. Papineau réussit à faire dire à sir Francis, que si la majorité en Canada était aussi grande et aussi hostile à l'union qu'il l'assurait, c'était compromettre le parti whig que de le faire agir contre ses professions si souvent répétées de respect pour les voeux des majorités, et qu'il fallait l'abandonner. «Non, dit Ellice, c'est une majorité ignorante, fanatisée par les prêtres.» Il attaqua violemment le séminaire de Montréal, les lods et ventes, et avoua qu'il s'occupait avec M. Stuart d'un bill pour changer la tenure seigneuriale, espérant tirer meilleur parti de sa seigneurie de Beauharnais sous un nouveau régime.

M. Papineau eut deux entrevues avec lord Bathurst lui-même. Le ministre des colonies se réjouissait de la probabilité de la dissolution de l'Union américaine. Son opinion était partagée par sir Francis Burdett, sir James Macintosh et M. Hume, mais ceux-ci pour s'en affliger; l'histoire était là; elle prouvait qu'un si vaste territoire n'avait jamais pu subsister en république. Lorsque les whigs remontèrent au pouvoir après la loi de réforme, M. Ellice devint un homme tout puissant pour le malheur du Canada. Il visitait Montréal en 1837 peu de temps avant les troubles, et avoua à M. Papineau qu'il était sollicité de reprendre le projet de l'union. Chaque fois, depuis le commencement du siècle, que le pays demandait une réforme on le menaçait de l'union, et l'on n'accordait rien. On attendait sans doute pour consommer cet acte que la population anglaise du Haut-Canada réunie à celle du Bas, eût la majorité sur les Canadiens-français, afin de les noyer sans paraître faire d'injustice.

La décision de l'Angleterre semblait devoir calmer les esprit en Canada et ramener l'harmonie entre les différentes branches de la législature; mais rien n'était changé au fond, et la cause des dissensions restait toujours la même. Aussi allons-nous voir bientôt les mêmes difficultés recommencer avec plus d'ardeur que jamais. L'insolvabilité du receveur-général était arrivée à propos pour faire condamner tout le système administratif. Le gouverneur qui prévoyait l'effet de cette catastrophe financière, n'avait levé qu'un coin du voile à la fois pour diminuer la sensation que cette nouvelle annoncée tout à coup eût pu produire. Ce qu'il avait fait connaître dans la dernière session annonçait que quelque chose n'était pas bien. Dans la session suivante, il informa la chambre que le déficit de ce fonctionnaire était de £96,000, sterling, somme qui égalait presque deux années du revenu public. Dès ce moment les mesures de la chambre touchant les subsides étaient justifiées, et l'administration restait convaincue de connivence sur les abus de ses créatures. Il y avait tant de négligence dans le département de M. Caldwell, qu'on ignorait s'il avait des cautions. On fit des recherches en Canada sans rien trouver. Le gouverneur écrivit à lord Bathurst pour demander des renseignemens de la trésorerie, qui avait nommé le défalcataire à la charge qu'il remplissait, et de laquelle on sut enfin qu'il avait dû donner un cautionnement de 10,000 louis en Angleterre et un pareil cautionnement en Canada, mais qu'il n'avait point fourni le dernier pour des raisons qu'on ignorait. Le receveur-général comme les officiers de douane étaient alors nommés par la trésorerie. La chambre voulut rendre la métropole responsable de ces détournemens, et députa un agent à Londres pour en réclamer le payement. Dans le même temps un autre agent comptable, M. Perceval, percepteur des douanes à Québec, était accusé d'exactions par le commerce, et la chambre qui demandait sa suspension, recevait pour réponse, que c'était un officier honnête, intègre, diligent, qui se conformait aux lois et à ses instructions, et que tout ce qu'on pouvait faire, c'était de transmettre les plaintes en Angleterre, quoique Perceval fût alors poursuivi devant les tribunaux et condamné à des restitutions. Les estimations transmises aux chambres contenaient la même distinction entre les dépenses dont le payement était assuré par l'appropriation permanente, et celles qui avaient besoin d'un vote pour être liquidées; et c'est à ces dernières qui s'élevaient à £34,000, que le gouvernement demandait à la législature de pourvoir. De quelque manière que l'on se tournât, l'on se trouvait toujours là où l'on était il y a deux ans. L'assemblée passa un bill de subsides avec les anciennes conditions, outre le retranchement d'un quart sur le salaire des fonctionnaires, ce qui le fit rejeter de prime abord par le conseil, auquel lord Dalhousie adressa encore des complimens en prorogeant le parlement. Ce gouverneur cherchait alors à faire revivre les querelles religieuses. Il transmettait au ministre un mémoire sur l'état du Bas-Canada, où il remarquait que depuis la conquête l'évêque catholique avait exercé tout le patronage ecclésiastique dans son clergé; que l'on devait remédier à ce mal qui enlevait à la couronne une partie très importante de son influence, le roi étant le chef de cette église comme de toutes les autres. Dans une dépêche du 19 décembre 1824, il soutenait encore la prétention que la couronne devait jouir de toutes les prérogatives dont jouissait le roi de France en vertu des libertés de l'église gallicane, et demandait l'ordre nécessaire pour mettre fin au différend élevé entre l'évêque et les Sulpiciens. «L'évêque catholique actuel, dit-il, cherche à s'acquérir une influence indépendante, mais il n'est nullement trop tard pour reprendre les rênes, et une classe très notable de son clergé désire fortement que le gouvernement le fasse.» Il finissait par appeler l'attention du ministre au pamphlet de M. Chaboillez, d'où l'on voit que ses sympathies étaient pour les Sulpiciens contre l'évêque.

Le gouverneur passa à Londres après la session pour rendre compte de la situation des choses et recevoir les ordres du ministère. Sir Francis Burton tint les rênes du gouvernement pendant son absence. Les élections eurent lieu dans l'été et augmentèrent les forces du parti populaire; mais l'assemblée ne voulut point entrer en querelle avec Burton. Elle connaissait ses bonnes intentions, elle savait que malgré les fonctionnaires élevés qui l'avaient fortement conseillé de remettre la convocation des chambres au dernier jour du délai légal, et surtout de ne pas confirmer l'élection de M. Papineau si elle le portait encore à sa présidence, il avait fait changer l'opinion du conseil exécutif à cet égard. 23 Dans les estimations qu'il transmit à la chambre, les dépenses publiques n'étaient point divisées en dépenses permanentes et en dépenses locales, de sorte que les subsides purent être votés dans une forme qui obtint le concours du conseil et l'approbation du chef du gouvernement. Tout le monde crut que la grande question des finances était réglée et que l'harmonie allait renaître. Burton se berçait lui-même de cette illusion. Mais il n'avait qu'un rôle temporaire et pour ainsi dire d'entre-acte à jouer; on lui laissait certaines libertés lorsqu'il avait les guides en main, en attendant qu'on les remit dans d'autres en qui on avait plus de confiance pour atteindre le but sur lequel on avait toujours les yeux. Lord Dalhousie était passé en Angleterre pour s'entendre avec les ministres sur ce qu'il y avait à faire après la déconvenue de leur projet d'union. La surprise des communes n'était plus possible; il fallait changer de tactique et s'y prendre de plus loin pour assurer le succès et donner à sa cause une forme plus soutenable devant la législature. Le gouverneur reçut de nouvelles instructions, et de retour à Québec, il rouvrit les chambres dans le mois de janvier 1826. Il leur adressa un discours qui était de nature à continuer l'illusion qu'avait répandue Burton. La chambre y répondit dans le même esprit. Le gouverneur manifesta une vive satisfaction en voyant que ses sentimens s'accordaient si bien avec les siens, et déclara qu'il anticipait le résultat le plus heureux pour le bien public. A sa suggestion, la chambre vota une adresse au roi pour demander la révocation des lois passées par le parlement impérial et qui changeaient la tenure des terres en Canada et introduisaient les lois anglaises. Elle faisait observer que les motifs qui avaient engagé la métropole à donner une législature à ce pays, devaient suffire pour empêcher le parlement impérial de s'immiscer dans sa législation intérieure; qu'il y avait péril pour lui de commettre des erreurs et des injustices graves, et que dans l'exercice de l'autorité suprême il devait mieux respecter son propre ouvrage en laissant les colons user des pouvoirs qu'il leur avait confiés tels qu'ils l'entendraient. Il ne s'était présenté encore aucune circonstance qui mît la dépendance du pouvoir législatif colonial dans une situation plus humiliante. L'on voyait agir l'influence de M. Ellice, sous le voile des argumens du bureau colonial. L'amour propre du colon en était froissé, et cependant il fallait s'y soumettre. Mais dans le moment où l'on croyait qu'il ne restait que la question de tenure à débattre avec la métropole, celle des finances surgit tout à coup plus menaçante que jamais. Aux paroles de paix que Dalhousie avait proférées en arrivant, ceux que l'approbation de Burton n'avait pas complètement convaincus, crurent que les difficultés financières étaient en effet finalement réglées. Mais il n'en était rien, et lord Bathurst niait toujours le droit de disposer d'une manière pleine et entière de tout le revenu, à l'assemblée qui transmit une nouvelle adresse au roi pour déclarer qu'elle persistait dans ses prétentions. En même temps le président de cette assemblée, M. Papineau, écrivait une longue lettre à sir James Macintosh pour lui exposer de nouveau les abus de l'administration: «A la dernière séance du conseil législatif, les conseillers, disait-il, dont 9 officiers publics, ont déclaré que la résolution de la chambre qui rend le receveur-général responsable des payemens faits sans autorisation de la législature, est un attentât contre la loi, et ont proclamé le principe que cet officier est tenu d'agir suivant les instructions qu'il reçoit de l'exécutif et non d'aucune des deux chambres.»

Note 23: (retour) Lettre de sir Francis Burton à lord Bathurst, du 28 mars 1825.

Les subsides furent votés dans la même forme que l'année précédente et furent refusés. Sir Francis Burton, que l'on avait blâmé d'avoir sanctionné un bill qui n'était pas conforme aux instructions transmises à Sherbrooke et à Dalhousie, et qu'on lui croyait entre les mains, avait écrit à lord Bathurst pour lui dire qu'il les ignorait et qu'elles ne s'étaient pas trouvées au secrétariat. Les représentans résolurent qu'ils étaient prêts à voter les subsides comme en 1825, mais que les estimations telles qu'elles leur avaient été fournies, ne leur permettaient point de le faire pour cette année. C'était provoquer un dénouement subit. Le refus des subsides était la censure la plus solennelle que le pays pût porter contre l'administration. Lord Dalhousie qui était l'agent de l'Angleterre dans les vues de laquelle il entrait d'autant plus qu'en général les gouverneurs, étrangers aux colonies, n'ont aucune sympathie pour elles, et sont des instrumens souvent passionnés par leur contact direct avec le colon, lord Dalhousie prorogea les chambres dés le lendemain. Il monta dans la salle du conseil, éperonné et l'épée au côté suivant l'usage militaire, accompagné d'une nombreuse suite couverte d'écarlate et d'or: «Je suis venu, dit-il, mettre fin à cette session, convaincu... qu'il n'y a plus lieu d'en attendre rien d'avantageux pour les intérêts publics. A vous, messieurs du conseil législatif, qui avez été assidus à vos devoirs,... j'offre mes remercîmens de la part de sa Majesté, en témoignage de l'intérêt que vous avez prit au bien-être de votre pays, et du respect que vous avez montré pour le souverain dont vous tenez vos honneurs. Il m'est bien pénible, messieurs de la chambre d'assemblée, de ne pouvoir vous exprimer mes sentimens en termes d'approbation et de remercîment... Des années de discussions sur des formalités et des comptes n'ont pu réussir à éclaircir et à terminer une dispute à laquelle la modération et la raison eussent promptement mis fin. «C'est ainsi que l'agent colonial parle d'un principe qui forme l'une des principales bases de la constitution d'Angleterre, le vote et le contrôle des dépenses publiques par les représentans du peuple. Il adressa ensuite une longue série de reproches à la chambre en forme de questions, avec toute l'audace insultante qu'un agent métropolitain peut avoir dans une colonie. Avez-vous fait ceci? avez-vous fait cela? «Ce sont des questions, dit-il, dont il faut que vous répondiez à vos consciences, comme des hommes liés par des sermens de fidélité à votre paya et à votre roi.» Il n'est pas étonnant qu'aussitôt qu'elles le peuvent, les colonies brisent le joug de métropoles qui leur envoient des agens frappés de pareille folie.



CHAPITRE III.

CRISE DE 1827.

1827-1828.

Nouvelle crise.--Adresse de M. Papineau et d'une partie des membres de la chambre à leurs commettans en réponse au discours prononcé par le gouverneur en ajournant la session.--Assemblées publiques.--Destitutions dans la milice.--La presse.--Elections.--Réunion du parlement.--Le gouverneur désapprouve le choix de M. Papineau comme président de l'assemblée.--Le parlement est prorogé.--Adresses des partisans de lord Dalhousie au roi.--Assemblées publiques dans toutes les parties du pays.--Adresses au roi et aux deux chambres du parlement impérial.--M. Waller, rédacteur du Spectateur arrêté deux fois.--MM. Neilson, Viger et Cuvillier députés à Londres avec les adresses des Canadiens.--M. Gale avec celles du parti opposé.--Affaires du Canada devant le parlement impérial. Discours de MM. Huskisson, Labouchère, sir James Macintosh, Hume, Wilmot, Stanley dans les communes.--Les adresses sont renvoyées à un comité.--Rapport du comité.--M. Huskisson est remplacé dans le ministère des colonies par sir George Murray.--Le rapport du comité n'est ni rejeté ni adopté--Sir George Murray annonce aux députés canadiens qu'on va prendre des mesures pour faire cesser les difficultés.--Sir James Kempt remplace lord Dalhousie en Canada.

La violence des journaux et celle de lord Dalhousie dans son discours de prorogation annonçaient une nouvelle crise. La question des finances est celle qui fournit des armes ordinairement aux partis dans les grandes luttes politiques; c'est celle qui détermina les révolutions d'Angleterre, des Etats-Unis et de France. Elle n'en fut pas la cause seule; mais elle en fut le principal prétexte et c'est elle qui les commença.

Au milieu du débordement des esprits la Gazette de Québec rédigée par l'un des chefs du parti libéral, M. Neilson, conserva un ton de modération et de dignité calme qui désespéra les adversaires de la chambre. Les principaux membres du district de Montréal crurent devoir répondre aux raisonnemens du discours du gouverneur, par une adresse à leurs commettans. Cette adresse qui était écrite avec autant de mesure qu'en permettaient les circonstances, fut signée par MM. Papineau, Heney, Cuvillier, Quesnel et d'autres membres moins marquans, et avait pour but d'expliquer la conduite de la majorité, en faisant retomber la suspension des travaux législatifs sur le gouverneur lui-même et sur son entourage. Elle devait provoquer la réélection de tous les membres de la majorité, car une nouvelle élection était maintenant inévitable, et eut un grand retentissement. Elle détermina presqu'un mouvement populaire. Les habitans des campagnes commencèrent à s'assembler. Les résolutions d'abord fermes mais positives, devinrent bientôt violentes et accusatrices. Les discours subissaient la même influence. Une question nouvelle vint augmenter l'ardeur des esprits et le feu des discordes. L'expiration des lois de milices faisait revivre, suivant le procureur général, les anciennes ordonnances, qui furent remises en vigueur par un ordre du 14 mai.

Ces vieilles réminiscences d'un temps où la liberté était inconnue, n'étaient plus de mise avec les institutions nouvelles. Les journaux de l'opposition donnèrent l'éveil; ils firent craindre qu'elles ne fussent exécutées avec rigueur et ne servissent à influencer les élections qui allaient avoir lieu. On critiqua la mise à la retraite des officiers de milice et leurs remplacemens; il y eut en quelques endroits refus de commander et refus d'obéir. Grand nombre d'officiers furent destitués pour avoir refusé de paraître aux revues, induit les miliciens à désobéir, commis des actes d'indiscipline dignes ds châtiment, manqué de respect à leurs supérieurs, s'être servi d'un langage insultant en renvoyant leur commission, avoir convoqué des assemblées publiques, excité le mécontentement du peuple, enfin pour s'être montré les agens actifs d'un parti hostile au gouvernement. L'un écrivait: «Après avoir considéré la manière peu généreuse que vous employez pour poursuivre les miliciens de ma compagnie, qui ont manqué aux exercices, je crois devoir vous informer que je me suis refusé et que je me refuse à me conformer à vos instructions et à exécuter vos ordres à cet égard.» Un autre répondait: «En ce jour qu'on ne saurait être citoyen et officier de milice, que tant de personnes mille fois plus respectables que moi ont été déplacées, je me croirais souillé si je retenais une commission qui n'a plus rien que de dégradant à mes yeux. Je ne l'acceptai qu'après avoir su que mon devoir serait d'agir conformément à la loi; cette conformité ne pouvant plus être, ma commission cesse d'exister.»

Ces destitutions firent aux yeux du peuple des martyrs politiques, mais n'empêchèrent point la grande majorité des miliciens de se conformer à la loi en se rendant aux exercices. Dalhousie dont la conduite aurait pu être blâmée en Angleterre si la désobéissance eût été générale, s'empressa d'en exprimer toute sa satisfaction, et de déclarer qu'il espérait que malgré les artifices des gens mal intentionnés pour répandre les doutes et les soupçons dans l'esprit du peuple, les officiers et les miliciens continueraient à montrer le zèle, l'obéissance et la subordination qui avaient distingué jusque là la milice canadienne. Il est inutile de dire qu'au milieu de ces dissensions beaucoup d'officiers furent destitués injustement ou pour des motifs que l'esprit de parti avait fort exagérés.

Cependant la chambre avait été dissoute, quoique les élections faites dans des circonstances comme celles où l'on se trouvait, eussent toujours tourné contre le gouvernement et augmenté le parti populaire. La polémique des journaux ne cessait pas d'être d'une virulence extrême. Les discours prononcés dans les assemblées publiques étaient souvent empreints des passions les plus haineuses, et les journaux de l'administration qui auraient dû conserver au moins par politique l'apparence de la modération, employaient le langage le plus insultant pour la population française, faute dont leurs adversaires se prévalaient aussitôt pour prouver l'antipathie de l'administration contre l'ancienne population. Des Canadiens fixés à Plattsburgh, état de Nouvelle-York, établirent une feuille, l'Ami du Peuple, pour soutenir les droits de leurs compatriotes. «Canadiens, disaient-ils, on travaille à vous forger des chaînes; il semble que l'on veuille vous anéantir ou vous gouverner avec un sceptre de fer. Vos libertés sont envahies, vos droits violés, vos privilèges abolis, vos réclamations méprisées, votre existence politique menacée d'une ruine totale.... Voici que le temps est arrivé de déployer vos ressources, de montrer votre énergie, et de convaincre la mère patrie et la horde qui depuis un demi siècle vous tyrannise dans vos propres foyers, que si vous être sujets, vous n'êtes pas esclaves.» Le Spectateur de Montréal en accueillant ces paroles s'écriait: «La patrie trouve partout des défenseurs, et nous ne devons point encore désespérer de son salut.»

La chambre remporta une victoire complète. Les élections accrurent encore sa force de plusieurs membres malgré l'opposition éprouvée en plusieurs endroits. Au quartier ouest de Montréal, à Sorel, à St.-Eustache, il y eut des rixes entre les deux partis et beaucoup de désordres; mais les libéraux l'emportèrent. «Les élections sont presque finies, s'écriait le Spectateur, les amis du roi, de la constitution et du psys ont remporté une victoire signalée. Les employés de l'administration de lord Dalhousie et l'administration elle-même ont éprouvé une désapprobation générale et formelle.» Cette feuille était rédigée par M. Waller, fervent catholique et journaliste de talens distingués, qui s'était acquis par ses idées libérales la haine du gouvernement, dont il était un des plus rudes adversaires. Il était frère d'un baronnet d'Irlande, et pour cela même entouré d'un certain prestige aux yeux de ses compatriotes en Canada, qui avaient voté avec plusieurs Anglais ou Ecossais pour M. Papineau, au quartier ouest de Montréal. Le gouverneur dont la politique était si solennellement condamnée par la voix du peuple dans une élection générale, ne vit plus désormais de justification que dans une persistance plus opiniâtre à voir des rebelles dans tous les chefs de l'opposition. Il prit occasion d'un nouvel ordre général de milices pour porter une accusation contre elle. «Son excellence s'empresse, disait-il, de faire connaître aux milices ses sentimens sur des faits récens qui affectent leur fidélité et leur honneur. Les lois temporaires qui les concernaient étant expirées les anciennes ont repris leur première vigueur; des personnes mal disposées ont cherché à répandre des doutes sur la légalité de ces ordonnances; à ces doutes elles ont ajouté des faussetés et des calomnies grossières sur les intentions du gouvernement, tendant à exciter au mécontentement, et surtout à la désobéissance aux officiers de milice; son excellence a vu échouer leurs efforts avec la plus grande satisfaction, et sauf l'absence de quelques officiers, les revues de juillet et d'août ont été plus nombreuses qu'à l'ordinaire; elle en témoigne sa plus vive reconnaissance aux miliciens qui ont ainsi fait preuve de leur fidélité et su apprécier leur devoir; mais en même temps elle se croit obligée de priver de leur commission tous les officiers qui ont négligé d'assister aux revues, ou qui dans leurs discours aux assemblées publiques, ont manqué de respect au représentant de leur souverain.»

Le résultat des élections et cet ordre général annonçaient la détermination de chaque parti de persister dans la voie qu'il avait prise. Mais rien n'était d'un plus dangereux exemple que ce mélange de discours civiques et de devoirs militaires où tout esprit politique doit disparaître.

Les chambres se réunirent le 20 novembre. Sur l'ordre de l'huissier, l'assemblée se rendit dans la salle du conseil législatif, où le président l'informa que le gouverneur lui ferait part des causes de la convocation après qu'elle se serait choisi un président, et qu'elle eût à le présenter le lendemain à deux heures à son approbation. M. Papineau fut proposé par M. Létourneau et M. Vallières de St. Real par le solliciteur général Ogden. Après quelques débats la chambre se partagea. Trente neuf membres votèrent pour M. Papineau et cinq seulement pour M. Vallières. Cette division annonçait que la parti de l'administration était réduit à rien dans l'assemblée, parce que quelques uns des membres qui avaient appuyé la candidature de M. Vallières, étaient contre le gouvernement.

Le lendemain l'assemblée se rendit au conseil avec son président qui informa le gouverneur assis sur le trône du choix qu'elle avait fait. Le président du conseil répondit aussitôt que son excellence le désapprouvait au nom de sa Majesté, et qu'elle eût à retourner dans la salle de ses séances pour en faire un autre, et le présenter à son approbation le vendredi suivant; qu'ensuite elle lui communiquerait les dépêches qu'elle avait reçues de Londres sur les affaires publiques. Ce Résultat n'était pas inattendu. Le Spectateur de Montréal disait le 7 novembre: «La gazette du château regarde le président de la chambre d'assemblée comme l'organe de la conciliation... est-ce la conciliation avec son excellence? Quelle conciliation peut-on espérer d'une administration qui depuis sept ans viole les lois, viole les droits constitutionnels du pays? Qui a travaillé à faire tourner les ministres anglais contre nous, qui a juré une guerre éternelle à nos droits, qui a déshonoré et diffamé le lieutenant gouverneur Burton, qui a refusé de communiquer des documens nécessaires sur des sujets importans, qui a insulté, calomnié, diffamé la représentation nationale?... Quelle espérance de conciliation reste-t-il avec une pareille administration, qui fait revivre des ordonnances militaires contre les plus simples règles d'interprétation légale, qui voyage pour remercier une demi douzaine de flatteurs ou d'intrigans... Il n'y a guère à douter que le gouvernement anglais ne regarde une pareille administration comme une nuisance, dont les folies et la mauvaise conduite finiront bientôt ai le pays prend de son côté des mesures fermes et décisives.» Le refus du gouverneur fournit de nouveaux motifs et de nouvelles armes à l'opposition, et la grande majorité se montra décidée à maintenir la position qu'elle avait prise. Le fauteuil du président était resté vide. Sur la proposition de M. Cuvillier, il fut résolu: que le choix du président devait être fait librement et indépendamment du gouvernement; que M. Papineau avait été choisi, que la loi n'exigeait pas d'approbation et qu'elle était comme la présentation une simple formalité d'usage. Après cette déclaration, M. Papineau fut reconduit au fauteuil et les membres de la minorité se retirèrent. Sur la motion de M. Vallières, une adresse au gouverneur pour l'informer de ce qu'on avait fait, fut adoptée à l'unanimité, et une députation fut envoyée pour savoir quand il voudrait bien recevoir la chambre. Le gouverneur fît répondre qu'il ne pouvait recevoir ni message ni adresse d'elle avant qu'il eût approuvé son président, et le soir même le parlement fut prorogé.

Le gouvernement dont les organes célébraient l'énergie et disaient que sans la fermeté du comte de Dalhousie cette scène aurait conduit à une révolution, le gouvernement avait voulu dans le même temps sévir contre la presse. Un grand jury de Montréal avait rejeté les accusations qu'on lui avait présentées; on en choisit un autre plus commode qui en accueillit au commencement de novembre contre le Spectateur; mais loin de modérer l'ardeur des journaux cette démonstration sembla l'accroître, le peuple lui-même commença à s'agiter. Il y eut des assemblées publiques dans les villes et dans les campagnes; on y organisa des comités pour rédiger des résolutions et de nouvelles adresses au roi et ou parlement impérial, que l'on ferait ensuite saigner par le peuple.

Le parti qui appuyait la politique de lord Dalhousie, très faible en nombre en Canada, mais puissant à Londres par l'influence de ses amis, et soutenu par le bureau colonial qui avait donné carte blanche pour faire triompher sa politique, tint lui aussi une assemblée à Montréal pour adopter une adresse à l'exemple de ses adversaires, et la transmettre à l'Angleterre, sans cesse importunée maintenant par ses colons indociles et remuans. Il déclarait que la chambre avait retenu injustement les fonds de douane du Haut-Canada, passé des lois temporaires pour tenir l'exécutif dans sa dépendance, refusé de donner des représentans aux cantons anglais et d'établir des bureaux d'hypothèques afin d'entraver l'immigration; il l'accusait aussi d'être conduite par un esprit de domination et de mépris pour les prérogatives de la couronne, et remerciait la providence d'avoir permis que ces prérogatives fussent maintenues pour assurer au pays son caractère anglais, et le gouverneur d'avoir montré une si noble énergie en toute occasion au milieu des funestes divisions qui déchiraient le pays, espérant que les actes de la chambre allaient enfin porter l'Angleterre à prendre la situation en très sérieuse considération et à corriger les défauts et les erreurs que l'expérience du passé et les dernières prétentions des représentans avaient mie au jour. Le gouverneur répondit suivant son rôle dans ces débats lorsqu'on lui remit l'adresse pour la transmettre au roi: «Vous avez très exactement tracé la tendance funeste des mesures que la chambre a adoptées depuis quelques années. Quoique l'effet de ces mesures arrête depuis longtemps les améliorations publiques, je considère cela comme rien en comparaison de l'atteinte beaucoup plus audacieuse qu'elle a osé porter récemment à la prérogative royale. Je ne puis attribuer cet acte à l'ignorance; quelques uns de ceux qui se trouvent à la tête des mesures factieuses de ce corps, sont des hommes éclairés, et pour cette raison il est du devoir de tous ceux qui savent priser le bonheur dont ils jouissent sous la constitution britannique, de se montrer.

«Je regrette beaucoup de ne pouvoir déposer moi-même en personne votre adresse aux pieds de sa Majesté, tant je désire y ajouter tout le poids que ma situation au milieu de vous pourrait lui donner. De tout ce qui sera en mon pouvoir rien ne sera oublié pour recommander les sentimens et les opinions qui y sont exposés, à la considération immédiate et favorable du secrétaire d'état de sa Majesté....»

Cette réponse contenait un appel à tous les partisans du château de s'agiter comme leurs adversaires. Il continua à s'exprimer dans le même sens à l'occasion de chaque adresse qu'on lui présentait. Les townships de l'est imitèrent leurs compatriotes de Montréal et préparèrent aussi des pétitions à l'Angleterre.

Les partisans de la chambre n'étaient pas en reste. Ils continuaient leur agitation partout avec activité. Ils tinrent encore une grande assemblée à Montréal sous la présidence de M. Jules Quesnel, l'un des principaux citoyens de la ville. M. D. B. Viger et M. Cuvillier y furent les principaux orateurs. On y passa des résolutions qui furent incorporées dans une pétition au roi et aux deux chambres du parlement impérial, dans lesquelles le gouverneur fut accusé d'avoir commis des actes arbitraires tendant à rompre les bases du gouvernement et à aliéner l'affection des habitans; tiré par warrant, ou autrement, des mains du receveur-général, des sommes considérables sans être autorisé par la loi; supprimé volontairement ou soustrait à la connaissance du parlement, divers documens et papiers nécessaires à l'expédition des affaires; conservé, en violation de son devoir envers son souverain et envers le Canada, M. John Caldwell dans l'exercice de ses fonctions longtemps après que ce fonctionnaire eut avoué sa défalcation; nommé en violation de son devoir, John Hale, écuyer, pour le remplacer; usé en différens temps, de son autorité, comme commandant en chef, pour influencer et intimider les habitans dans l'exercice de leurs droits civils et politiques; destitué un grand nombre d'officiers de milice sans raison suffisante ainsi que plusieurs officiers civils; maintenu et conservé en place plusieurs fonctionnaires dont la nomination et la conduite étaient préjudiciables au service public; multiplié sans nécessité les cours d'oyer et terminer; nui aux intérêts publics en empêchant la passation d'actes utiles par des prorogations et des dissolutions violentes et subites du parlement; porté des accusations fausses dans ses discours contre les représentans du peuple afin de les déprécier dans l'opinion de leurs constituans; toléré et permis que les gazettes publiées sous son autorité portassent journellement les accusations les plus mensongères et les plus calomnieuses contre la chambre d'assemblée, ainsi que contre tout le peuple de cette province; menacé, par le même moyen, le pays d'exercer la prérogative royale d'une manière violente et despotique en dissolvant le corps représentatif; puni en effet le pays en refusant sa sanction à cinq bills d'appropriation; violé la franchise élective en voulant, directement et indirectement influencer les électeurs; créé dans le pays par ces divers actes d'oppression un sentiment d'alarme et de mécontentement général; déprécié le pouvoir judiciaire et affaibli la confiance du peuple dans l'administration de la justice; enfin d'avoir répandu dans toute la province un sentiment insurmontable de méfiance contre son administration.

Le pouvoir qui voulait intimider les organes de l'opposition et atténuer au loin l'effet de ces grandes démonstrations publiques par quelque coup d'éclat qui répandit le soupçon, choisit pour faire arrêter une seconde fois l'éditeur du Spectateur, M. Waller, le moment où il se rendait à l'assemblée. Mais ces tentatives d'intimidation ne faisaient qu'aigrir davantage les esprits. Le lendemain le Spectateur disait: «Un autre attentat a été commis au préjudice de la liberté de la presse et des droits et immunités des sujets anglais. Lorsque l'on réfléchit à la misérable folie qui a marqué d'une manière indélébile l'administration; lorsque l'on voit l'indiscrétion et la passion qu'elle a montrées; lorsque l'on se rappelle ce que les intérêts de la société ont souffert, ce qu'ont enduré ses sentimens, ses droits, la constitution, la représentation, on ne peut être surpris des tentatives faites maintenant pour étouffer la presse, ou réduire au silence toutes celles qui ne sont pas payées par l'administration ou qui ne sont pas dans sa dépendance.» Les autres villes et tous les districts ruraux se réunissaient ou s'étaient réunis pour le même objet. On adoptait des adresses de toutes parts dans lesquelles on s'exprimait avec la même énergie et la même unanimité qu'à Montréal. A Québec on en adopta une qui semblable au fond à celle de Montréal, était plus modérée dans les termes. 80,000 signatures couvrirent bientôt ces représentations que MM. Neilson, Viger et Cuvillier furent chargés d'aller porter en Angleterre. Les menaces de la presse officielle ne fit qu'exciter le zèle des partisans de la chambre. En vain les accusait-elle de trames séditieuses et de rébellion, ils marchèrent droit à leur but, guidés par cet instinct secret qui été de tout temps comme la sauve-garde et le bouclier des Canadiens. Chacun sentait que le bureau colonial persistant dans son projet, cherchait des motifs pour revenir au bill d'union de 1822, car sans ses sympathies, sans son appui au parti opposé à la chambre, prouvés par la marche rétrograde du gouvernement depuis 1820, les difficultés auraient été arrangées depuis longtemps. Le chef de police de Montréal, M. Gale porta en Angleterre les dépêches de lord Dalhousie et les adresses qu'il avait reçues. Le bruit courait alors qu'il devait demander une nouvelle division des deux Canadas, par laquelle l'îe de Montréal et les townships de l'est auraient été annexés au Haut-Canada. C'était un partisan violent de l'administration. Sa haine contre les Canadiens était notoire, et on savait qu'il avait pris une grande part dans les attentats contre la liberté de la presse, et à la rédaction de la Gazette de Montréal qui demandait l'union des Canadas, demande que le caractère officiel de cette feuille rendait solidaire avec le gouverneur.

Le départ des agens Canadiens ne fit point diminuer les assemblées ni l'agitation. L'on déclarait partout que les prétentions de l'administration répandait l'alarme; que la chambre devait avoir le contrôle sur les subsides; que la conduite de la majorité était digne de toute approbation; que le refus de confirmer la nomination de son président après en avoir appelé au peuple, était un acte d'insulte et de mépris de nature à aliéner son affection; que par la conduite qu'il avait tenue le gouverneur avait perdu la confiance publique, et que ceux qui acceptaient des commissions pour remplacer les officiers de milice destitués méritaient la réprobation et devaient être regardés comme les ennemis des droits du peuple.

Les partisans du pouvoir, quoique peu nombreux, continuaient de leur côté à s'agiter sans relâche sur tous les points où ils pouvaient s'en rallier quelques-uns, et envoyaient des adresses dans lesquelles ils manifestaient leurs sentimens avec une ardeur qui n'en cédait point à celle de leurs adversaires. Dalhousie répondait à l'une, celle du comté de Warwick: «J'ai vu avec une grande satisfaction par votre langage que la conduite des chefs factieux est généralement réprouvée par tout homme loyal et respectable.» A l'autre, celle des Trois-Rivières: «Je me suis vu forcé de défendre contre des empiètemens, les principes les plus évidens de la constitution et les prérogatives les plus indubitables de la couronne. Vous pouvez être assurés que je ne changerai point de conduite, car je suis certain de recevoir finalement l'appui de tous les fidèles sujets du roi, et parmi eux je compte la très grande partie du peuple qui s'est laissé égarer.»

Un pareil langage après ce qu'il savait des projets des ministres et de leur détermination de noyer les Canadiens dans une majorité étrangère, n'était-il pas la violation la plus évidente de la sainteté de la vérité. Il rendait son administration désormais impossible. Ne gardant plus de mesures, il continua à sévir contre les magistrats, contre les officiers de milice et contre la presse. Plusieurs magistrats furent destitués. La Gazette de Québec disait: «Que le pays méprise cette nouvelle insulte; il peut confier sans crainte ses destinées à un roi et à un gouvernement anglais.» Quoique toujours plus modéré que les autres, ce journal était alors en butte aux poursuites du gouvernement. Quatre actes d'accusation pour libelles avaient été portés contre son rédacteur, pour avoir publié les résolutions adoptées dans les assemblées publiques.

Pendant que le Bas-Canada était ainsi livré aux dissensions qu'amène le despotisme d'une minorité maintenue par la force, car elle n'aurait pu rien faire sans l'appui de l'Angleterre, le Haut-Canada était en proie aux mêmes agitations dues à la même cause. Le parti libéral s'était soulevé contre l'oligarchie. Cette coïncidence dans deux contrées dont la masse de la population était d'origine différente, annonçait une cause réelle de souffrance et donnait par là même du poids aux représentations de chacune. Déjà M. Hume y avait fait allusion à l'occasion des subsides pour l'armée. «Les dépenses des colonies renfermaient, suivant lui, la question de savoir de quelle manière ces colonies étaient gouvernées. L'étaient-elles d'une manière sage et sensée? ou le gouvernement ne mettait-il pas plutôt tout en usage pour les irriter et pour les porter dans leur désespoir à tout tenter? Pourquoi, ajoutait-il, avoir à présent 6000 soldats en Canada? Si ce n'était pour tenir de force le peuple sous un gouvernement qu'il haïssait et méprisait? Que dirait la chambre des communes si elle était traitée comme le sont les assemblées législatives dans ce pays? Que dirait-elle si le roi refusait le président qu'elle se serait nommé par une majorité de 55 contre 5. Qu'on regarde les Etats-Unis. Il n'y a pas pour garder leur immense frontière autant de soldats qu'en Canada. Le même système erroné subsiste dans toutes les autres colonies, où le peuple anglais connaît peu le gouvernement arbitraire qu'on impose. Car tous les gouverneurs militaires sont arbitraires par nature. On devrait les remplacer par des gouverneurs civils.»

M. Huskisson proposa une motion tendante à faire nommer un comité pour s'enquérir de l'état des deux Canadas. «La question, dit-il, est de savoir si ces deux provinces ont été administrées de manière à favoriser leur établissement, leur prospérité et leur attachement à l'Angleterre. Sinon ce sera au parlement à faire les modifications nécessaires. Bien des défauts peuvent exister dans le système; mais ils étaient inévitables à l'époque où la constitution a été établie. Le pays, ses ressources, ses intérêts étaient alors peu connus, et il n'y a rien de surprenant qu'il s'y trouve des imperfections, quoique cette constitution ait été imaginée par les plus grands hommes d'état de l'Angleterre. Ils avaient à remplir les engagemens que nous avions pris avec les colons français tout en tâchant autant qu'il était compatible avec ces engagemens, d'introduire les avantages qui découlent des lois, de la jurisprudence et d'une administration anglaise. 24

Note 24: (retour) Le ministre trahit ici l'esprit du bureau colonial dans sa conduite envers les Canadiens français. Il ne peut dissimuler ses sentimens.

«L'acte de 91 vous permet de l'amender et d'en considérer toutes les imperfections pour les corriger; Pitt les avaient prévues.

«La France céda le Canada à l'Angleterre en 63 sans condition, sans stipuler de quelle manière il serait administré, en pleine et entière souveraineté. Sa population n'excédait pas 65,000 âmes. La France y avait introduit son système féodal dans toute sa vigueur, je pourrais dire dans toute sa difformité. Le système français fut suivi non seulement dans les institutions, mais même dans les édifices. Les maisons de campagne des colons avaient tous les défauts et tout le mauvais goût qu'on voit à Versailles, la grandeur et l'étendue exceptées. Tel était l'état du Canada sous le régime français, le système féodal florissant dans toute sa vigueur parmi une poignée d'habitans au milieu d'un désert.

«Ce système avec la coutume de Paris arrêta tout progrès. Le ministre passant ensuite à l'intention du roi après la conquête de porter des colons en Canada en leur promettant une assemblée législative et les lois anglaises, continua: L'on fit tout ce que l'on put pour introduire ces lois et les faire observer jusqu'en 1774. On y envoya des juges pour les administrer; mais on ne donna point de législature par suite de la révolte des autres provinces qui survint alors. Pour se concilier les Canadiens, on abandonna ces projets, on révoqua les promesses d'introduction des lois anglaises excepté pour le code criminel, on confirma les anciennes lois, on y reconnut la religion catholique et on substitua au système de taxation français le système anglais bien moins onéreux.

«L'acte déclaratoire de 78 abandonna aux colonies le droit de se taxer, droit qui fut confirmé par la constitution de 91. Tous les droits devaient être imposés et appropriés par la législature, et le Haut-Canada fut distrait du Bas pour les colons anglais. On fit la faute de diviser les collèges électoraux non suivant l'étendue du territoire, mais suivant l'étendue de la population, ce qui a eu l'effet de mettre la prépondérance de la représentation dans les seigneuries.» L'esprit du ministre perce partout; il aurait voulu qu'on eût donné à quelques habitans des townships la majorité sur la masse de la population.

«Il reste, dit-il, une autre difficulté encore plus formidable, celle du contrôle de la législature coloniale sur le revenu public. Les taxes qui ont remplacé les taxes françaises, furent appropriées par l'acte de 74 au payement de la liste civile et de l'administration de la justice. Elles se montent à £35,000; à £40,000 avec le revenu des amendes et confiscations. Les autres revenus qui ont été imposés par la législature et qui sont à sa disposition, s'élèvent à £100,000 environ. La chambre d'assemblée réclame tout ce revenu, surtout le droit de décider quelles branches du service public et quels établissemens judiciaires seront payés sur les £40,000. La couronne lui nie cette prétention, qui n'est fondée ni sur la loi ni sur l'usage, et la chambre là-dessus refuse tout subside pour forcer le gouvernement à lui abandonner le contrôle sur la totalité des revenus. Telle est la question en débat entre les deux chambres.

«Mais avant de m'asseoir, je demanderai à ajouter un mot ou deux sur un point auquel on a fait allusion dans cette chambre et qu'on a discuté ailleurs. Je veux parler de l'abandon de nos colonies. Ceux qui sont de cette opinion disent que nous devrions nous épargner la peine d'améliorer l'état de ces provinces, en prenant la voie la plus sage, qui serait de les abandonner à elles-mêmes. Mais que ceux qui parlent ainsi considèrent que ce sont nos compatriotes qu'on abandonnerait, qu'ils sont nés comme nous dans l'allégeance du roi, qu'ils remplissent tous les devoirs de ses sujets, qu'ils désirent le demeurer et en remplir toutes les obligations comme habitans de l'empire. Tant qu'il en sera ainsi, je dis qu'ils ont droit à la protection dont leur fidélité et leur bonne conduite les rendent si dignes. Sur un pareil sujet, je ne ferai pas usage d'une autre raison, l'importance de ces provinces pour la marine, pour le commerce et pour la politique de la Grande-Bretagne. Que ceux qui hazardent une pareille suggestion considèrent l'honneur de ce pays et l'impression que ferait sur toutes les nations un pareil abandon accompli sans nécessité et sans être demandé. Devons-nous abandonner une pareille contrée de notre seul et unique mouvement? Ou comme cela a déjà eu lieu une fois touchant une autre partie de l'Amérique qui a appartenu à la France, la Louisiane, en ferons-nous une affaire de louis, chelins et deniers? Vendrons-nous le Canada à une puissance étrangère? Non, l'Angleterre n'est pas tombée si bas. Le Canada nous appartient par les souvenirs d'une haute et honorable valeur tant sur mer que sur terre. C'est un trophée trop glorieux pour s'en défaire par aucun de ces deux moyens. Nous devons tout employer pour conserver le Canada et le défendre jusqu'à la dernière extrémité. Ainsi la question présentée sous ce point de vue ne peut être un seul instant douteuse. Qu'on se rappelle aussi que c'est un pays où il n'y a point de ces malheureuses distinctions qui existent dans quelques-unes de nos autres colonies; il n'y a aucune distinction de castes, de maîtres et d'esclaves. Le peuple forme, pour ainsi dire, une seule famille, que les liens les plus forts attachent à la métropole. L'Angleterre est la mère de plusieurs colonies, dont quelques unes forment déjà un des empires les plus vastes et les plus florissans de l'univers: celles-ci et beaucoup d'autres ont porté dans tous les coins du monde notre langue, nos institutions, nos libertés et nos lois. Ce que nous avons planté a pris racine; les pays que nous favorisons aujourd'hui comme colonies, deviendront tôt ou tard des nations libres, qui à leur tour communiqueront la liberté à d'autres contrées. Mais me dira-t-on, l'Angleterre a fait pour cela des sacrifices immenses; je l'avoue; mais malgré ces sacrifices l'Angleterre est encore par l'étendue de ses possessions la plus puissante et la plus heureuse nation qui existe et qui ait jamais existé. Je dirai de plus que nous serons bien payés de tous les sacrifices qu'il faudra faire encore, par la moisson de gloire que nous ajouterons à celle que nous avons déjà acquise, la gloire d'être la mère-patrie de pays où l'on jouira dans les siècles à venir du bonheur et de la prospérité qui distinguent de nos jours l'empire britannique. Telle sera la gloire qui nous reviendra de l'établissement de la surabondance de notre population non seulement en Amérique, mais dans toutes les parties du monde. Quel noble sujet d'orgueil pour un Anglais de voir que sa patrie a si bien rempli sa tâche, en travaillant à l'avancement du monde. Que le Canada reste à jamais attaché à l'Angleterre, ou qu'il acquiert son indépendance, non pas, je l'espère, par la violence, mais par un arrangement amical, il est toujours du devoir et de l'intérêt de ce pays d'y répandre des sentimens anglais et de lui donner le bienfait des lois et des institutions anglaises.»

Ce discours était rempli d'adresse. Le ministre dissimulait la question des finances, qui était un terrain dangereux devant une chambre de communes pour laquelle la votation des impôts était un droit sacré, et appuyait principalement sur la gloire pour l'Angleterre de faire du Canada un pays vraiment anglais d'affection comme de nationalité. Tout ce qu'avait fait jusque-là le bureau colonial avait tendu vers ce but. Aussi Huskisson donna-t-il une approbation complète à l'administration canadienne, censura-t-il les mesures de l'assemblée et s'éleva-t-il avec force contre l'agitation extraordinaire qui régnait dans le pays. Les gouverneurs n'avaient agi dans tout ce qu'ils avaient fait que par l'ordre formel de Downing-Street, et la nomination du comte Dalhousie au gouvernement des Indes, était une preuve que sa conduite en Canada était loin d'être désavouée du cabinet. Il n'est donc pas étonnant de voir le ministre élever la voix contre les colons, puisque leurs plaintes étaient la censure la plus grave de ses propres fautes et de celles de ses prédécesseurs.

L'un des membres marquans des communes, M. Labouchère, homme d'origine française comme les Canadiens, prit leur défense et exposa avec force les droits de cette race en face de tous les préjugés qui s'élevaient contre elle: «Je considère, dit-il, l'acte de 91 comme la grande charte des libertés canadiennes. Je crois que si l'intention de Pitt et des législateurs de son temps avait été suivie d'une manière plus efficace, le Bas-Canada aurait eu meilleure chance de parvenir à la prospérité qu'on lui destinait et de jouir de cette concorde et de cette tranquillité que son alliance avec la métropole devait lui assurer. Il me parait évident que l'intention de Pitt a été de donner au Bas-Canada une assemblée populaire et un conseil législatif, mais non pas de composer entièrement ce conseil de la plus petite portion de la population, c'est-à-dire de la partie anglaise des habitans. Le secrétaire des colonies ne rendait pas justice aux Canadiens ni à leur chambre d'assemblée en disant que l'expérience de Pitt n'avait pas réussi, puisqu'il était vrai que cette expérience n'avait jamais été tentée ou mise à l'épreuve de bonne foi.... Je suis fâché que le nom du ministre des colonies se trouve attaché au bill d'union de 1822, qui a si puissamment contribué à exciter le mécontentement qui existe généralement aujourd'hui. L'on se rappelle que vers la fin de juin, lorsqu'il n'y avait pas soixante membres présens, il introduisit un bill pour anéantir la constitution que Pitt, le gouvernement et la législature de ce pays avaient donnée aux Canadas; la manière dont cette mesure fut introduite était une marque évidente qu'on voulait prendre les Canadiens par surprise, afin de les empêcher d'exprimer leur opinion sur la conduite du gouvernement.» Sir James Macintosh maintint qu'on ne pourrait conserver longtemps le Canada sans le gouverner avec justice. «Mes maximes en politique coloniale, dit cet homme d'état, sont simples et peu nombreuses. Protection pleine et efficace contre l'influence étrangère; liberté complète aux colonies de conduire elles-mêmes leurs affaires locales; obligation pour elles de payer les dépenses raisonnables de leur propre gouvernement en en recevant en même temps le parfait contrôle et entier affranchissement de toute restriction quelconque sur l'industrie du peuple. Telles sont les seules conditions que je voudrais imposer à l'alliance des colonies avec la métropole, les seules conditions auxquelles je désirerais que toutes fussent gouvernées. On ne peut guère douter que placées dans de telles circonstances les colonies ne fussent sous un gouvernement plus doux, dans un état plus heureux, que si elles se trouvaient sous la protection immédiate, sous le gouvernement direct de ll mère-patrie.

«Pour revenir sur les observations qui ont été faites au sujet du la coutume de Paris, je prie la chambre de considérer que ce code n'a subi aucun changement depuis 1760 jusqu'à 1789; et tout en admettant que ce puisse être un mauvais système quant à l'aliénation des immeubles et aux hypothèques, un système qui entraîne de grands frais dans les poursuites judiciaires, je dois cependant déclarer que les Canadiens ne peuvent être si mal partagés avec des lois formées sous les auspices du parlement de Paris, d'un corps qui a été composé des plus grands génies qui se soient jamais appliqués à l'étude du droit, et qui peut montrer les noms de l'Hôpital et de Montesquieu.» Ici l'orateur donnant cours à son esprit sarcastique prit occasion de faire une espèce de comparaison entre les lois françaises et les lois anglaises. Il releva avec un esprit inimitable toutes les complications, toutes les bizarreries, toutes les singularités que les lois anglaises ont conservées des temps barbares, et en effet le champ était vaste et varié, puisque l'aliénation des propriétés foncières est devenue une science en Angleterre des plus compliquées, et que l'achat d'une simple propriété coûte autant d'écriture qu'un traité important entre deux nations.

Reprenant son sérieux, Macintosh continua: «Dans le vrai, le ministère, n'a mis devant la chambre aucune information suffisante, et il est bien loin d'avoir rendu sa cause parfaite. Mais telle qu'elle est, avec la connaissance que nous avons des faits, et sans entrer dans d'autre détail, je suis d'opinion que la chambre d'assemblée est pleinement justifiable d'avoir agi comme elle a fait. Indubitablement elle a le droit d'approprier l'argent qu'elle accorde. Cela est même dans la nature de son vote. C'est le droit de toute assemblée représentative, et c'est à l'exercice de ce droit que la chambre des communes est redevable de toute son importance. Si la chambre d'assemblée ne possède pas ce droit, c'est une pure illusion que son prétendu contrôle sur la dépense publique. En 1827 elle passa 31 bills la plupart pour effectuer des réformes; quelques uns ayant rapport à l'administration intérieure, d'autres à des changemens utiles dans ses lois, d'autres enfin dans la constitution. La chambre haute les désapprouva tous. Le gouverneur en est-il responsable? Je réponds qu'il l'est. Le conseil n'est autre chose que l'instrument du gouvernement. Ce conseil n'est pas un contrepoids constitutionnel entre le gouverneur et la chambre élective, c'est le conseil du gouverneur. Des 27 membres qui le composent, 17 remplissent des charges qui dépendent du bon plaisir du gouvernement. Ces 17 personnes reçoivent entre elles £15,000 de l'argent public, et cette somme n'est pas peu de chose dans un pays où £1000 passent pour un revenu considérable. Je ne parle pas de l'évêque qui peut être porté vers l'autorité, mais qui est d'un caractère pacifique. Les autres, fatigués à la fin de lutter contre les 17 fonctionnaires, ont cessé d'assister aux délibérations; et deux d'entre eux, qui sont parmi les plus forts propriétaires fonciers de la province, ont signé la pétition. Les choses en étant ainsi, je demande si les Canadiens n'ont pas grand droit de regarder l'existence d'un pareil conseil comme un grief.

«Le ministre des colonies s'est adressé aux sentimens de cette chambre, pour exciter notre sympathie, non en faveur des pétitionnaires, mais en faveur des Anglais du Canada, et dans plusieurs parties de son discours il a fait allusion à eux. Mais je demande qu'on me montre une seule loi passée par l'assemblée du Bas-Canada contre les colons anglais? Une loi qui s'applique à eux séparément? Et le remède qu'on propose, c'est de changer la représentation? et l'objet de ce changement, ce sont les intérêts de ces 80,000 Anglais? Mais quelle influence, quel pouvoir peuvent-ils avoir contre plus de 400,000 Canadiens, qui ont entre leurs mains toutes les terres, toutes les propriétés du pays? Les Anglais, à peu d'exception près, sont renfermés dans les villes, et se composent en grande partie de marchands ou d'agens de marchands. Ce sont tous des gens respectables je n'en doute pas; mais ne serait-ce pas la plus grande injustice que de leur donner l'influence que les Canadiens doivent posséder par leurs propriétés. Lorsque j'entends parler d'enquête pour protéger les colons anglais, je ne puis m'empêcher d'éprouver un sentiment pénible. Je suis fâché qu'on tienne un pareil langage; et je regarderais comme un mauvais symptôme si cette chambre était disposée à traiter une classe d'hommes comme une race privilégiée, comme une caste dominante, placée dans nos colonies pour surveiller le reste des habitans. Aurons-nous en Canada une colonie anglaise séparée du reste de la population? Les Anglais formeront-ils un corps favorisé par excellence? Auront-ils des privilèges exclusifs? Seront-ils unis d'intérêt et de sympathie pour assurer la domination protestante? Et donnerons-nous à ces colonies 600 ans de calamités comme nous avons donné à l'Irlande, parcequ'il se rencontre dans ce pays une population anglaise avec des intérêts et des sympathies anglaises? Au nom de Dieu! n'introduisons pas un pareil fléau dans une autre région. Que notre politique soit de donner à toutes les classes des lois équitables et une égale justice; et qu'on ne fasse pas croire que les Canadiens nous sont moins chers, qu'ils ont moins de droit à notre considération comme sujets du roi, qu'ils sont moins dignes de la protection des lois que les Anglais. La chambre doit faire attention; elle ne doit établir aucune distinction entre ces deux classes d'hommes. S'il est de la nature d'un gouvernement équitable de donner la plus grande portion du pouvoir politique à ceux qui ont la plus grande portion de la propriété et qui forment la majorité, quel droit a la minorité de se plaindre? Ce n'est pas ce qui découle du plan de Pitt: et si la liberté civile et le pouvoir politique ne suivent pas le grand nombre et la propriété, le peuple ne peut plus les tenir que du bon plaisir de ses gouvernans. Je regarde comme un symptôme dangereux la distinction des races et la formation d'un peuple en deux classes distinctes.»

M. Hume parla aussi avec force à l'appui des plaintes des Canadiens, et surtout de ceux du Haut-Canada qui l'avaient chargé de leurs pétitions. Il blâma sévèrement la politique du bureau colonial. Si la seule colonie du Canada, dit-il, portait des plaintes, on pourrait supposer qu'elle est plus disposée que les autres à se quereller avec le gouvernement. Mais à l'exception de la Nouvelle-Ecosse, il n'y en a pas une seule qui ne se plaigne depuis de longues années sans obtenir de satisfaction.

Les discours des amis des Canadiens qui paraissaient fondés sur la raison et sur la justice, firent une grande sensation.

M. Wilmot répliqua à M. Labouchère. Il prétendit que la métropole devait se conserver le droit de taxer les colonies, surtout leur commerce, en leur laissant le produit de la taxe. M. Stanley vint après; il maintint que le conseil législatif devait être changé, que le gouverneur s'en servait comme d'un écran pour se mettre à couvert, qu'il était toujours opposé au peuple et tenait la place d'une aristocratie sans en avoir les qualifications. On ne devait point, suivant lui, accorder de privilèges à l'église, et il était important que les Canadiens n'eussent aucune raison de jeter les yeux au-delà de l'étroite frontière qui les séparait des Etats-Unis et qu'ils n'y vissent rien à envier. M. Warburton et M. Baring s'exprimèrent dans le même sens. Les communes renvoyèrent les affaires du Canada à un comité spécial.

En présence de l'appui que les Canadiens trouvaient dans cette chambre et auquel on ne s'était peut-être pas attendu, leurs ennemis à Londres commencèrent à se remuer de nouveau. Une quarantaine de marchands de cette ville adressèrent une pétition au parlement en faveur de l'union des deux Canadas. Quoiqu'une grande partie des signataires n'eût jamais vu ce pays, elle fut renvoyée au comité comme les autres ainsi que celle que l'on reçût à peu près dans le même temps contre les destitutions des officiers de milice. Le comité interrogea sir Francis Burton, M. Grant, les agens de la chambre d'assemblée, celui du Haut-Canada, M. Ryerson, M. Gale, M. Ellice, M. Wilmot et quelques marchands. Une partie des témoignages eut rapport à la question des subsides. Il envisagea cette question d'un point de vue élevé, et laissa percer aussi que l'horizon qu'on apercevait pourrait s'élargir encore et qu'il fallait tout préparer pour aller plus loin lorsque le temps viendrait d'augmenter de nouveau les libertés canadiennes; du moins c'est ce que l'on doit conclure de quelques passages.

Il rapporta que dans l'état des esprits il n'était pas prêt à recommander l'union des deux Canadas, mais que les dispositions déclaratoires de l'acte des tenures touchant les concessions en franc et commun soccage, devaient être maintenues en introduisant les hypothèques spéciales et les lois d'aliénation du Haut-Canada; que l'on devait donner aussi la faculté de changer la tenure seigneuriale, et d'établir des cours de circuit dans les townships pour les causes concernant les terres soccagères. Il était fermement d'opinion que les Canadiens devaient demeurer dans la paisible jouissance de leur religion, de leurs lois et de leurs privilèges tels que toutes ces choses leur avaient été garanties par le parlement, et que lorsqu'ils désireraient avoir de nouvelles seigneuries on leur en accordât; qu'il pourrait être avantageux d'augmenter la représentation sur la base adoptée pour le Haut-Canada; que le pouvoir de confiscation pourrait être exercé pour remédier aux abus et faire remettre dans le domaine de la couronne les terres restées incultes pour les vendre à d'autres; que l'on pourrait aussi lever une légère taxe sur les terres non défrichées ni occupées; qu'il serait avantageux de mettre à la disposition de l'assemblée tous les revenus de la province, sauf le revenu héréditaire et territorial, et de conserver à la couronne le pouvoir de destituer les juges.

Il regrettait qu'on n'eût pas informé le parlement impérial de l'appropriation des revenus du Canada sans le consentement de ses représentans. Quant à la défalcation de M. Caldwell, il fallait prendre à l'avenir les mesures nécessaires pour se mettre en garde contre les détournemens du receveur-général et des shériffs. Les biens des jésuites devaient être appropriés à l'éducation. Le conseil législatif devait être rendu plus indépendant, de manière à le lier plus intimement d'intérêts avec le peuple. Les juges ne devaient point prendre part aux discussions politiques dans le conseil législatif ni avoir de siège dans le conseil exécutif. Enfin on devait borner les changemens à faire à la constitution de 91 à l'abandon à la législature locale de toutes les affaires intérieures et ne faire intervenir le parlement impérial que lorsque son autorité suprême serait nécessaire.

Quant au partage des droits de douane entre le Haut et le Bas-Canada, il était désirable, suivant lui, de régler cette affaire d'une manière amicale et permanente. Les terres de la couronne et du clergé devaient être vendues à la condition expresse du défrichement, et leur prix approprié au maintien des églises de toutes les sectes protestantes, eu égard à leur nombre si le gouvernement le jugeait convenable. La constitution de l'université du Haut-Canada devait être changée et le serment religieux aboli. La loi du jury devait être perfectionnée. On devait permettre aux deux Canadas d'avoir chacun un agent à Londres comme les autres colonies. S'il y avait des défauts sérieux dans les lois ou dans la constitution de ces deux provinces, les difficultés actuelles provenaient principalement d'une mauvaise administration. Malgré les perfectionnemens et les suggestions qu'il proposait, sans un système constitutionnel impartial et conciliation on ne devait pas attendre de repos. Enfin quant à la conduite de lord Dalhousie lui-même depuis le départ des agens touchant la destitution des officiers de milice et les poursuites pour libelle à l'instance du procureur-général, le comité ne pouvait s'empêcher d'appeler l'attention du gouvernement sur la pétition qui les concernait et de l'engager à faire faire une enquête sévère en donnant les instructions que demandaient la justice et la saine politique.

Ce document dressé avec beaucoup de précaution permettait ou plutôt laissait entrevoir beaucoup plus de concessions qu'il n'en accordait réellement. On y voyait évidemment un désir de satisfaire tout le monde; mais la chose était fort difficile sinon impossible. On voulait conserver la prépondérance au parti anglais quoiqu'il fut dans une immense minorité et satisfaire en même temps les plaintes les plus justes des Canadiens. Le comité se montrait fort libéral en parole; mais toutes faibles qu'étaient ses concessions, elles ne furent pas même sanctionnées par les communes. Le rapport ne fut ni adopté ni rejeté. Le nouveau ministre, sir George Murray, qui venait de remplacer M. Huskisson, promit d'en suivre les recommandations quand la chose serait possible. Ainsi tout en reconnaissant la réalité des griefs du peuple par des paroles qui ne liaient point le ministère, la métropole ne prenait aucun engagement solennel de les redresser, abandonnant ce soin à la discrétion du bureau colonial, dont les sympathies allaient être, sous des paroles plus douces et plus réservées, plus hostiles que jamais.

Dans une entrevue des agens canadiens avec sir George Murray quelques jours après, ce ministre leur dit qu'il regrettait de voir que lord Dalhousie eût perdu la confiance du Canada, colonie si importante pour l'Angleterre; mais qu'il pouvait les assurer que l'on allait prendre des mesures pour faire cesser les difficultés qui troublaient le pays depuis si longtemps. Pour rendre le rétablissement de la paix plus facile, lord Dalhousie fut rappelé et nommé au commandement des Indes en remplacement de lord Combermere. Sa retraite était d'autant plus nécessaire que sa popularité était complètement perdue. Il n'aurait pu la reconquérir sans suivre une politique diamétralement opposée à celle qu'il avait tenue jusque-là, ce qui aurait rendu son administration méprisable. Ses rares partisans lui présentèrent une adresse louangeuse, et il partit chargé de l'imprécation des masses, imprécation due moins à son caractère qu'au vice du système qu'il avait trouvé établi et qu'il avait suivi avec plus de zèle que de sagesse et de justice.

Sir James Kempt, lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-Ecosse, vint le remplacer. C'était un homme plus réservé et plus adroit, qui dès son début voulut marcher sans faire alliance avec aucun parti et qui, comme tous les nouveaux gouverneurs, prit le timon de l'état entouré de l'espérance que donne toute nouvelle administration. Ainsi se termina la nouvelle phase, la nouvelle secousse qui venait d'exposer pour la seconde fois le vaisseau mal conduit de l'état. Tandis que l'agitation et la discorde divisaient encore les chefs, qui débattaient sur les moyens de le gouverner pour l'avantage du plus grand nombre, il suivait toujours sa route sur les flots du temps et s'élevait dans l'échelle des peuples.

Le parlement impérial en laissant en suspend le rapport du comité, abandonna, comme on l'a dit, la réparation des abus au bureau colonial lui-même, c'est-à-dire que rien n'était réglé et que les dissensions allaient bientôt reprendre leur cours. En effet, malgré les censures du comité, il y a lieu de croire que le ministère serait sorti victorieux de la lutte si on eût été aux voix et qu'il aurait eu pour lui une grande majorité. C'est ce résultat presque certain qui empêcha les amis des Canadiens d'insister davantage. Ils préférèrent sagement de s'en tenir aux promesses des ministres quelques vagues qu'elles fussent que de s'exposer à tout perdre Car si la lutte eut été poussée à outrance, le premier discours de M. Huskisson annonçait déjà assez qu'il en aurait fait une question nationale, une question de race, et devant les préjugés anglais les Canadiens français auraient été sacrifiés sans hésitation.



LIVRE SEIZIÈME.

CHAPITRE I.

LES 92 RÉSOLUTIONS.

1829-1834.

Espoir trompeur que le rapport pu comité de la chambre des communes fait naître en Canada.--Instructions de sir James Kempt.--la presse canadienne devient plus modérée.--Ouverture des chambres.--Décision des ministres sur la question des subsides et autres points mineurs.--Les espérances de l'assemblée s'évanouissent.--Résolutions qu'elle adopte.-- Nouvelles adresses à l'Angleterre.--Travaux de la session.--Session de 1830.--Réponse des ministres aux dernières adresses.--Résolutions sur les ordonnances de milice et les subsides.--Conseils législatif et exécutif. --Opinion de sir James Kempt à leur sujet.--Sensation qu'elle produit.-- Assemblée de St.-Charles.--Sir James Kempt, qui a demandé son rappel, est remplacé par lord Aylmer.--Le procureur-général Stuart suspendu.-- Concessions et réformes proposées par lord Goderich.--Appel nominal de la chambre.--Elles sont refusées.--Faute de l'assemblée en cette occasion.--Lord Aylmer très affecté.--Les juges Kerr et Fletcher accusés.--Le Parlement impérial change l'acte constitutionnel pour abandonner tous les revenus du Canada au contrôle de sa législature.--Session de 1831-2. --Nouvelles dépêches de lord Goderich.--Indépendance des juges.-- Terres de la couronne et réserves du clergé.--Bureau des postes.--Fin de la session.--Regret de lord Aylmer de voir les concessions de lord Goderich si mal accueillies.--Emeute du 21 mai à Montréal--Le choléra en Canada: ses terribles ravages.--Assemblée des Canadiens à St.-Charles, des Anglais à Montréal.--Réponse des ministres touchant le juge Kerr et l'indépendance des juges.--Retour des ministres à une politique rétrograde.--Adresse au roi pour le prier de rendre le conseil législatif électif.--Résolutions contre l'annexion de Montréal au Haut-Canada.--Le procureur-général Stuart et le juge Kerr destitués.--Adresse du conseil législatif au roi,--Double vote de son président.--Townships de l'est.-- Session de 1834.--Dépêches de lord Stanley sur divers sujets.--Considération de l'état de la province.--Les 92 résolutions.--Lord Aylmer accusé.--Adresse du conseil législatif.--Prorogation.

Le rapport fait à la chambre des communes sur le Canada ne décidant rien, n'ayant pas même été adopté, l'on devait s'attendre que les divisions allaient continuer plus vives et plus ardentes que jamais. Beaucoup de personnes espéraient que la politique métropolitaine allait changer et qu'il y aurait plus de justice et d'impartialité pour la population française; que les abus et les défectuosités de l'administration seraient corrigés et qu'enfin tous les moyens seraient pris pour rétablir l'harmonie et la concorde entre les trois grands pouvoirs de l'état. Mais c'était une illusion. Les ministres ne voulaient faire aucune réforme, aucune concession réelle. La minorité anglaise conserverait toujours tous les départemens de l'exécutif et, au moyen des deux conseils, un pouvoir législatif égal à la majorité française représentée par l'assemblée, et entre ces deux corps en opposition, ils comptaient exercer eux-mêmes le pouvoir comme ils l'entendaient par l'intermédiaire du gouverneur.

Sir James Kempt reçut des instructions particulières. Il devait dissimuler son rôle et paraître conserver une parfaite impartialité entre les deux partis, sans laisser abattre le conseil, qui servait de barrière contre les prétentions de la branche populaire. Il s'acquitta de cette tâche avec une grande adresse, et se retira lorsqu'il vit le moment arriver où de vaines paroles ne seraient plus suffisantes. En prenant les rênes du pouvoir, il porta les yeux sur la presse, dont les emportemens n'avaient plus de bornes, la presse officielle surtout. Plus réservée dans tous les pays que celle de l'opposition, elle l'était d'autant moins en Canada qu'elle paraissait inspirée et payée par le pouvoir. Sir James Kempt donna ses ordres et son ton devint bientôt plus modéré. Il fit abandonner aussi les procès politiques qu'avait ordonnés son prédécesseur, en en faisant rapport aux ministres, suivant ses instructions. La presse libérale écoutant les conseils des agens revenus de Londres et les chefs de l'assemblée se turent aussi. Le parlement anglais et le ministère, disait le Spectateur, ont montré pour les habitans de ce pays de la bienveillance, de la justice et de la conciliation, et nous devons les imiter. Il n'y eut que la presse anglaise de Montréal qui, moins soumise au contrôle immédiat de l'exécutif, et moins initiée aux secrets du château, voulût persister dans son intempérance de langage, dont l'excès du reste portait son contrepoison avec lui aux yeux des hommes calmes et sensés.

Tout le monde attendait avec impatience l'ouverture des chambres pour voir la décision de la métropole sur les questions qui avaient tant troublé le pays. Les uns croyaient que pleine justice serait rendue, les autres que les concessions seraient purement nominales. La législature s'assembla à la fin de 1828. Le gouverneur approuva le choix de M. Papineau pour la présidence de l'assemblée, et adressa un discours aux chambres dans lequel il chercha à les convaincre du vif désir des ministres de faire cesser les difficultés existantes, et qu'il n'était lui-même que leur interprète dans l'occasion présente. «Le gouvernement de sa Majesté m'a déchargé, dit-il, de la responsabilité attachée à aucune des mesures nécessaires pour l'ajustement des difficultés fiscales qui se sont malheureusement élevées, et je saisirai une occasion prochaine pour vous transmettre par message une communication de la part de sa Majesté, qu'elle m'a spécialement ordonné de vous faire relativement à l'appropriation du revenu provincial. Il sera en même temps de mon devoir de vous exposer les vues du gouvernement de cette province sur lesquelles l'attention des ministres de la couronne a été appelée: vous y découvrirez les preuves du désir le plus sincère qu'a le gouvernement de sa Majesté d'appliquer, autant qu'il sera praticable, un remède efficace à tous les griefs réels.»

Ce discours que l'on dit avoir été envoyé tout fait d'Angleterre, à part de la recommandation de l'oubli des jalousies et des dissensions passées, ne renfermait pas grand'chose. Les deux chambres observèrent la même réserve dans leurs réponses, excepté l'assemblée sur un point. Elle se crut obligée de protester contre l'acte illégal et arbitraire de l'exécutif qui s'était passé l'année précédente de la législature et avait employé les deniers publics sans appropriation. Sept jours après elle reçut le message annonçant la décision de la métropole sur les subsides et sur quelques autres points mineurs. Après quelques observations générales sur la loyauté des Canadiens et le retour de l'harmonie, le gouverneur l'informait que les discussions qui avaient eu lieu au sujet de l'appropriation du revenu, avaient attiré l'attention du roi, qui avait fait étudier la question pour la régler d'une manière définitive en ayant égard aux prérogatives de sa couronne et aux droits de son peuple. Tant que le revenu approprié par le parlement impérial n'aurait pas été mis par le même parlement sous le contrôle de la province, il devait rester à la disposition de la couronne. Ce revenu ajouté à ceux provenant d'appropriations provinciales, et aux £3 à 4000 du revenu casuel et territorial, formait un grand total de £38,000 qui se trouvait à la disposition permanente du gouvernement. Après le payement du salaire du gouverneur et des juges, on était prêt à garder le reste entre ses mains jusqu'à ce que l'assemblée eût fait connaître ses vues sur la manière la plus avantageuse de l'employer. On espérait que cette proposition serait agréée, mais en tout cas l'Angleterre avait déjà un projet pour régler la question financière d'une manière permanente. Quant à l'insuffisance des garanties données par le receveur-général et les shériffs, le gouvernement impérial se tiendrait responsable des deniers qu'ils pourraient verser entre les mains de son commissaire de l'armée. Il approuverait aussi avec plaisir tout plan équitable adopté par les deux Canadas pour le partage des droits de douane perçus à Québec. Enfin il pensait que les terres incultes devaient être taxées et que l'on devait établir des bureaux d'enregistrement.

Voilà à quoi se bornaient les réformes. Après avoir mis de côté ce qu'il fallait pour payer le gouverneur et les juges, la chambre pourrait être entendue sur la manière d'employer le reste de cette portion du revenu mise à la disposition de l'exécutif par les actes impériaux, pourvu qu'elle voulût l'appliquer au service public sans blesser les intérêts ni diminuer l'efficacité du gouvernement. Or pour ne pas diminuer l'efficacité du pouvoir, c'était une appropriation permanente qu'il fallait sous une autre forme, et c'était justement pour rendre le pouvoir moins indépendant d'eux que les représentans faisaient tant d'efforts pour faire tomber ce revenu sous leur suffrage annuel. Puis la métropole avait un projet financier sur le métier, qu'était-il? C'étaient les élus des contribuables qui devaient régler cette question et non le bureau colonial, qui était indépendant d'eux et inspiré par des sentimens qu'ils connaissaient pour leur être plus hostiles que jamais. Toutes ces explications, toutes ces suggestions étaient parfaitement illusoires. Aussi l'assemblée après avoir renvoyé le message à un comité spécial, vit-elle toutes ses espérances s'évanouir successivement comme un beau rêve.

Lorsque le comité présenta son rapport, elle l'adopta presque à l'unanimité. Il fut résolu qu'elle ne devait en aucun cas abandonner son contrôle sur la recette et la dépense de la totalité du revenu public; que l'intervention du parlement impérial où le Canada n'était pas représenté, n'était admissible que pour révoquer les statuts contraires aux droits des Canadiens; que cette intervention dans les affaires intérieures ne pouvait qu'aggraver le mal; que la chambre pour seconder les intentions bienveillantes du roi, prendrait en considération l'estimation des dépenses de l'an prochain, et lorsqu'il aurait été conclu un arrangement final elle rendrait le gouverneur, les juges et les conseillers exécutifs indépendans de son vote annuel. Elle ajouta qu'elle passerait un bill d'indemnité pour les dépenses faites après les avoir examinées; qu'elle n'avait reçu aucune plainte touchant le partage des droits de douane entre les deux Canadas; qu'elle concourrait avec plaisir à toute mesure touchant les townships, et que le règlement des points suivans était essentiel à la paix et au bonheur du pays:

1. Indépendance des juges et leur isolement de la politique.

2. Responsabilité et comptabilité des fonctionnaires.

3. Conseil législatif plus indépendant du revenu et plus lié aux intérêts du pays.

4. Biens des jésuites appliqués à l'éducation.

5. Obstacles à l'établissement des terres levés.

6. Redressement des abus après investigation.

Ces résolutions prirent la forme d'adresses au parlement impérial, que le gouverneur transmit à Londres.

Le conseil rescindait en même temps, à la suggestion de sir James Kempt sans doute, sa résolution de 1821, de ne prendre en considération aucun bill s'il n'était d'une certaine façon.

Malgré la persistance de la chambre dans ses plaintes et les investigations qu'elle continua sur les abus, elle passa une foule de lois, dont 71 furent sanctionnées par le gouverneur et six réservées pour l'être par le roi, parmi lesquelles celle qui portait la représentation à 84 membres. L'assemblée l'avait fixée à 89. Le conseil retrancha un membre à plusieurs comtés auxquels elle en avait donné deux et en ajouta un à d'autres qui n'en avaient qu'un. Elle préféra sanctionner ces amendemens qui réduisaient le chiffre de la représentation que de perdre la mesure. Elle avait donné un membre à chaque 5000 âmes à-peu-près. Le conseil voulait en donner deux à chaque 4000 âmes et plus, et un à chaque comté de moins de 4000 âmes. Ainsi deux comtés de 1000 âmes auraient élu deux membres et un comté de 20,000 n'en aurait élu que le même nombre. Parmi ces lois il y en avait plusieurs d'une grande importance soit par les principes qu'elles entraînaient ou confirmaient, soit par l'impulsion qu'elles devaient imprimer aux progrès du pays. Telles étaient celles qui donnaient une existence légale aux juifs et aux méthodistes, qui accordaient des sommes considérables pour l'amélioration de la navigation du St.-Laurent et des routes, pour l'éducation et l'encouragement des lettres et des sciences. Les appropriations s'élevèrent à plus de £200,000. Mais aucune des grandes questions politiques n'avait été réglée; toutes les causes de discorde subsistaient dans toute leur force, ou n'en étaient que plus dangereuses pour être ajournées. Le gouvernement cherchait tant qu'il pouvait à temporiser, espérant que le temps amènerait le calme dans les esprits.

A l'ouverture de la session suivante il s'empressa d'annoncer aux chambres que le commerce progressait tous les jours, que le revenu avait augmenté, que des écoles s'établissaient partout, que les routes s'amélioraient, que l'ordre se rétablissait dans la comptabilité des deniers publics. Il suggérait, pour venir en aide à ces progrès, de perfectionner la loi des monnaies, celles de l'éducation et de la qualification des juges de paix; d'établir des cours de justice dans les comtés populeux ainsi que des prisons et un pénitentiaire, enfin de taxer les terres incultes et d'établir des bureaux d'hypothèques. Quant à la réponse de l'Angleterre aux pétitions de l'assemblée, les ministres n'avaient pas eu le temps d'amener la question des subsides devant le parlement impérial, mais ils allaient s'en occuper immédiatement, et en attendant la chambre était priée de voter la liste civile de l'an dernier.

La chambre revint dans le cours de la session aux anciennes ordonnances de milice dont lord Dalhousie avait tant abusé, et résolut à la majorité de 31 contre 4, d'envoyer une adresse au roi contre la légalité de cette mesure d'autant plus dangereuse que ces lois avaient été faites dans un temps où un despotisme pur couvrait le pays. La chambre, dit M. Neilson, a décidé unanimement que ces ordonnances ne sont pas en force. «Si cette chambre a exprimé les opinions du pays, observa M. Papineau, les ordonnances sont abrogées; car quand tous les citoyens d'un pays repoussent unanimement une mauvaise loi; il n'y a plus de moyen de la faire exécuter: elle est abrogée.» C'est de la rébellion s'écria M. A. Stuart.

Quant aux subsides, la chambre déclara en passant le bill, que l'appropriation qu'elle faisait n'était que provisoire et dans l'espérance que la question financière allait être bientôt réglée; que les griefs sur lesquels le comité des communes anglaises avait fait rapport, seraient pleinement redressés et que l'on donnerait plein effet à ses recommandations; que le conseil législatif serait réformé, que les juges cesseraient de se mêler de politique et de siéger dans le conseil exécutif, enfin que l'on établirait un tribunal pour juger les fonctionnaires accusés. Le conseil voyant l'acharnement implacable de l'assemblée contre lui, voulait rejeter le bill sans même le regarder; mais l'influence du gouverneur retint quelques membres, et le juge Sewell sut éviter ce qui aurait été un immense embarras. Lorsque le bill fut mis aux voix, elles se trouvèrent également partagées 7 contre 7. Alors le vieux juge toujours trop habile pour manquer de moyens, imagina de voter deux fois; il vota d'abord comme membre et ensuite comme président de la chambre. L'évêque protestant, M. Stewart, qui n'y avait pas paru de la session, y vint ce jour là à la sollicitation du juge pour donner sa voix. La minorité n'eut plus qu'à protester.

Sir James Kempt regrettait que l'assemblée n'eût pas voté la somme nécessaire pour couvrir toutes les dépenses du service public et les arrérages de certains salaires; mais il la remercia en la prorogeant de ses généreuses appropriations pour l'éducation, l'amélioration du St.-Laurent et les routes intérieures. Elle avait accordé une somme considérable pour entourer le port de Montréal de quais magnifiques en pierre de taille, pour encourager la navigation à la vapeur entre Québec et Halifax, pour bâtir une douane à Québec et des phares en différens endroits du fleuve; elle avait donné £20,000 pour une prison à Montréal, £12,000 pour un hôpital de marine à Québec, £38,000 pour l'amélioration des chemins et l'ouverture de nouvelles routes dans les forêts afin de faciliter l'établissement des terres; £8,000 pour éducation. Enfin elle s'était plu à faire voir que si elle voulait exercer plus d'influence sur le gouvernement, c'était pour l'employer à l'avantage de la chose publique, et que ses prétentions étaient inspirées par le besoin qu'avait la société de plus de latitude, de plus de liberté pour répondre à son énergie et à son activité qui se développaient dans une proportion encore plus rapide que le nombre des habitans qui la composaient. Le gouverneur n'ignorait pas qu'il faudrait satisfaire tôt ou lard ce besoin, et que si l'on ne faisait pas de concessions maintenant des difficultés plus graves que toutes celles qu'on avait encore vues ne tarderaient pas à éclater. Ce n'était qu'en usant de la plus grande réserve et de la plus grande prudence qu'il les empêchait de renaître; mais le moindre accident pouvait briser la bonne entente qui paraissait exister entre lui et les représentans du peuple.

Les conseils législatif et exécutif occupaient alors l'Angleterre. Le ministre des colonies écrivit pour demander des informations sur ces deux corps; s'il était à propos d'en changer la constitution, surtout s'il serait désirable d'y introduire plus d'hommes indépendans du gouvernement, c'est-à-dire sans emploi de la couronne, et dans ce cas si le pays pourrait en fournir assez de respectables pour cet honneur. Sir James Kempt répondit que le conseil législatif était composé de 23 membres dont 12 fonctionnaires, 16 protestans et 7 catholiques, et le conseil exécutif de 9 membres dont un seul indépendant du gouvernement et un seul catholique; qu'il n'était pas préparé à y recommander de changement notable; mais que l'on devait introduire graduellement plus d'hommes indépendans du pouvoir dans le conseil législatif, et n'admettre à l'avenir qu'un seul juge dans les deux conseils, le juge en chef; qu'il pensait aussi qu'il serait à propos d'introduire dans le conseil exécutif un ou deux des membres les plus distingués de l'assemblée, afin de donner plus de confiance à la branche populaire dans le gouvernement, chose qui lui paraissait de la plus grande importance pour la paix et la prospérité du pays. Il croyait que l'on pourrait trouver assez de personnes qualifiées pour remplir les vides qui arriveraient de temps à autre dans les deux corps. Quand on voit le gouverneur qui paraissait le plus favorable au pays s'exprimer avec tant de circonspection sur les matériaux les plus nécessaires qu'il contenait pour faire marcher un gouvernement, on n'est pas surpris de ses embarras. Quand un gouvernement a une si haute opinion de lui-même et une si petite des peuples qu'il dirige, la sympathie doit être aussi bien faible.

Aussitôt que la dépêche de sir James Kempt, mise devant le parlement impérial, fut connue en Canada, les habitans les plus respectables des comtés de Richelieu, Verchères, St.-Hyacinthe Rouville et Chambly, s'assemblèrent à St.-Charles sous la présidence de M. Debartzch, et déclarèrent que quoique la conduite de ce gouverneur eût fait disparaître les haines et les divisions qu'avait fait naître la politique arbitraire et extravagante de lord Dalhousie, cette dépêche réveillait les craintes les plus sérieuses, et si les deux conseils n'étaient pas réformés, l'on devait s'attendre aux conséquences les plus funestes pour le maintien de l'ordre, parce qu'il ne restait plus d'espoir de voir rétablir l'harmonie entre les différentes branches de la législature.

Sir James Kempt qui se voyait au moment d'être forcé de se prononcer sur les réformes que l'on appelait à grands cris, avait demandé son rappel pour ne pas se trouver dans les mêmes difficultés que son prédécesseur. Il savait que le pays était trop avancé pour se contenter plus longtemps de vaines théories, de sentimens vagues ou des déclarations générales, et qu'il fallait enfin lui accorder ou lui refuser d'une manière formelle et précise ce qu'il demandait. Quoiqu'il eût rétabli les magistrats destitués par son prédécesseur, qu'il eût fait de grandes réformes parmi les juges de paix; quoiqu'il eût aussi commencé à réorganiser la milice et à rétablir dans leurs grades les officiers qui avaient perdu leurs commissions pour leurs opinions politiques, les résolutions de l'assemblée de St.-Charles lui démontraient que sa popularité finissait avec son administration.

Il fut remplacé par lord Aylmer, qui avec le même programme à suivre allait avoir en face de lui une assemblée plus nombreuse que celle de son prédécesseur, et par conséquent plus difficile encore à contenter. Le parti de la réforme s'était beaucoup accru. Tous les anciens membres libéraux qui avaient voulu se présenter avaient été réélus à de grandes majorités. 60 Canadiens-français et 24 Anglais composaient la nouvelle chambre. Une forte partie de ces derniers avait été élue par les Canadiens, fait qui prouve que les principes l'emportaient sur les préjugés nationaux, qui inspiraient beaucoup plus le gouvernement que le peuple. L'antipathie du bureau colonial était telle qu'il fallait des efforts répétés pour le persuader à admettre quelques Canadiens dans les deux conseils, et la crainte seule des troubles avec les vives recommandations de sir James Kempt purent l'engager à choisir trois Canadiens français sur les cinq membres qui y furent ajoutés vers ce temps-ci.

Lord Aylmer ouvrit les chambres en 1831 et les informa que la mort du roi et le changement de ministère avaient retardé l'arrangement de la question des finances; mais que les nouveaux ministres allaient s'en occuper et qu'il espérait que les instructions qu'il allait recevoir à ce sujet mettraient fin à toute difficulté pour l'avenir. L'assemblée se hâta de passer un bill pour empêcher les juges de siéger dans les deux conseils, afin de mettre à l'essai les nouvelles dispositions de l'exécutif. Le bill fut rejeté aussitôt par le conseil législatif, d'où la plupart des membres de l'assemblée conclurent que les ministres persistaient toujours dans leur ancienne politique. Elle résolut alors de maintenir sa position coûte que coûte. Le procureur-général Stuart fut accusé de fraude dans son élection à William-Henry, de partialité, d'exaction en exigeant des honoraires sur les commissions des notaires sans autorité; d'avoir prêté son ministère à la compagnie de la Baie d'Hudson contre le locataire des postes du roi qu'il devait défendre en sa qualité d'officier de la couronne. La chambre qui avait renvoyé ces accusations à un comité spécial, demanda la destitution de ce fonctionnaire, qui fut dabord suspendu et plus tard destitué après deux ou trois ans d'investigation au bureau colonial, auprès duquel M. Viger avait été envoyé pour soutenir les accusations.

Enfin le gouverneur reçut la réponse des ministres sur la question des subsides. Ils abandonnaient le contrôle de tous les revenus excepté le revenu casuel et territoire, 25 pour une liste civile de £19,000 votée pour la vie du roi. Cette réserve loin d'être exorbitante paraissait assez raisonnable, et allait diminuer d'importance de jour en jour par les progrès du pays et l'augmentation de ses richesses. Cependant la chambre refusa de l'accepter, grande faute due à l'entraînement d'autres questions qui avaient déjà fait perdre la liste civile de vue. Si le gouvernement eût fait quelques années plutôt ce qu'il faisait maintenant, tout se serait arrangé. Mais après tant d'années de discussion, les passions s'étaient échauffées, les partis avaient pris leur terrain, et tous les défauts des deux conseils s'étaient montrés avec tant de persistance et sous tant d'aspects divers que l'on ne voulût plus croire à la possibilité d'une administration juste et impartiale tant qu'ils seraient là pour la conseiller où pour la couvrir. On demanda des garanties et des réformes qui effrayèrent l'Angleterre. On éleva de nouveau le cri de domination française, ce cri funeste qui n'avait de signification que par l'asservissement d'une race sur l'autre. Pour les uns, il voulait dire, nous ne voulons pas être soumis à une majorité canadienne, pour les autres, nous ne voulons pas être le jouet d'une minorité anglaise. Jusqu'ici le gouvernement maître des deux conseils, maître de lui-même, maître de l'armée, maître enfin de toute la puissance de l'Angleterre, avait pu retenir les représentans d'un petit peuple dans des limites assez étroites. Mais qu'arriverait-il dans l'avenir?

Note 25: (retour) C'est-à-dire des biens des jésuites, des postes du roi, des forges St.-Maurice, du quai du roi, des droits de quint, des lods et ventes, des terres et des bois. Le tout ne se montait qu'à environ £7,000 par année et le gouvernement se le réservait parce qu'il ne provenait point des taxes, mais directement des domaines de la couronne.

Le bureau colonial savait que les principes étaient en faveur de ce petit peuple qu'il tenait sous l'eau jusqu'à la bouche sans le noyer encore tout-à-fait, et qu'il serait impossible de les violer longtemps sans révolter la conscience publique et sans se dégrader lui-même à ses propres yeux; c'est pourquoi il nourrissait toujours dans le silence son projet de 1822, afin de mettre fin une bonne fois lorsque le moment serait arrivé, par une grande injustice à mille injustices de tous les jours qui l'avilissaient. Ce but était évident; il se manifestait par le refus de toute réforme importante propre à rétablir l'harmonie dans le pays. Aussi était-ce précisément ce qui devait mettre l'assemblée sur ses gardes. Elle ne devait rien compromettre, profiter des circonstances et surtout du temps qui élève dans la république des Etats-Unis, une rivale à laquelle l'Angleterre sera bientôt obligée de chercher des ennemis pour conserver la domination du commerce et des mers. Avec une politique ferme et habile, les Canadiens pouvaient triompher des antipathies métropolitaines et mettre les intérêts éclairés à la place des préjugés aveugles. Car on ne pouvait croire sérieusement qu'une nation comme l'Angleterre fût jalouse des institutions d'un peuple de quelques centaines de mille âmes relégué à l'extrémité de l'Amérique. Malheureusement dans une petite société les passions personnelles obscurcissent les vues élevées, et les injustices senties trop vives et trop directement font oublier la prudence nécessaire pour attendre des remèdes efficaces et souvent fort tardifs. C'est ce que va nous faire voir la suite des événemens que nous avons à raconter. On oubliait aussi que dans la série d'hommes qui tenaient successivement comme ministres le portefeuille des colonies, il pouvait s'en trouver qui n'entrassent pas bien avant dans le projet de l'union des deux Canadas, et c'est ce qui arriva. Lord Goderich, par exemple, ne montra pas, par ses actes, un grand désir d'en accélérer la réalisation. Mieux éclairé qu'aucun de ses prédécesseurs sur le Bas-Canada par ses entrevues fréquentes avec M. Viger, il parut au contraire vouloir faire plus de concessions qu'aucun de ses prédécesseurs. C'est lui qui venait de faire la dernière proposition sur les subsides, laquelle comportait la concession de presque tout ce que l'on demandait sur cette question capitale.

Néanmoins la chambre ne voulant tenir aucun compte des oppositions que ce ministre avait peut-être à vaincre dans le milieu dans lequel il agissait pour obtenir ces concessions de ses collègues, resta en garde contre lui comme contre tous ses prédécesseurs, et au lieu d'accepter la liste civile qu'il proposait, elle demanda copie des dépêches qu'il avait écrites à ce sujet. Lord Aylmer répondit qu'il regrettait de ne pas avoir la liberté de les communiquer. Il existe une règle générale pour tous les gouverneurs, d'après laquelle ils ne peuvent montrer aucune dépêche des ministres sans permission du bureau colonial. 26 La chambre se montra blessé de ce refus et ordonna un appel nominal pour prendre en considération l'état de la province. C'était annoncer qu'elle allait étendre le champ de ses prétentions. Elle demanda à l'exécutif des renseignemens sur les dépenses du canal de Chambly un état détaillé de la liste civile proposée, un état du revenu des biens des jésuites et des terres et des bois, avec l'emploi que l'on proposait de faire de ces revenus; si le juge de l'amirauté recevait un salaire ou des honoraires. Le gouverneur ne la satisfit que sur une partie de ces points. Il l'informa aussi que les ministres avaient intention d'introduire un bill dans le parlement impérial pour révoquer la loi qui chargeait les lords de la trésorerie de l'appropriation des revenus que l'on se proposait d'abandonner à la chambre.

Note 26: (retour) Lorsque je faisais des recherches pour cet ouvrage, le secrétaire de lord Elgin, le colonel Bruce, me montra cette règle dans un volume imprimé qui contient toutes celles qui doivent servir de guide aux gouverneurs de colonies.

Le comité auquel tous ces documens étaient renvoyés présenta un premier rapport la veille du jour de l'appel nominal. «Comme les principales recommandations du comité de la chambre des communes n'ont pas été suivies, disait-il, par le gouvernement, quoiqu'il y ait plus de deux ans qu'il a été fait, et que les demandes que l'on avance maintenant ne correspondent point avec les recommandations de ce comité au sujet des finances, ni même avec l'annexe du bill introduit dans la dernière session du parlement impérial par le ministre colonial, votre comité est d'opinion qu'il n'est pas à propos de faire d'appropriation permanente pour payer les dépenses du gouvernement.» Le lendemain, il fut proposé par M. Bourdages de refuser les subsides jusqu'à ce que tous les revenus sans exception fussent mis sous le contrôle de la chambre, que les juges fussent exclus du conseil, que les conseils législatif et exécutif fussent entièrement réformés et que les terres de la couronne fussent concédées en franc-aleu roturier et régies par les lois françaises. Mais cette proposition parut prématurée et fut rejetée par 50 voix contre 19.

On procéda alors à l'appel nominal et les débats sur l'état de la province commencèrent. Ils durèrent plusieurs jours et se terminèrent par l'adoption de nouvelles pétitions à l'Angleterre, à laquelle on ne se fatiguait pas d'en appeler. C'est dans le cours de cette discussion que M. Lee proposa vainement, pour rétablir l'harmonie, de rendre le conseil législatif électif. 27 On demanda encore à l'Angleterre les biens des jésuites et des institutions municipales, on réclama contre l'administration des terres, les lois de commerce passées à Londres, l'introduction des lois anglaises, l'intervention des juges dans la politique, l'absence de responsabilité chez les fonctionnaires, l'intervention du parlement impérial dans nos affaires intérieures, le choix partial des conseillers législatifs, et on se plaignait que les abus que le comité de la chambre des communes avait recommandé de faire disparaître existaient toujours.

Note 27: (retour) Cette proposition fut écartée par une majorité de 24 contre 18, division qui annonçait déjà un fort parti en faveur du principe électif.

Lord Alymer, qui était un homme très sensible, parut fort affecté de ce nouvel appel à la métropole. Lorsque la chambre lui présenta en corps la pétition pour le roi, il lui dit qu'il pouvait se faire qu'il avait encore quelque chose à apprendre sur les vues ultérieures des membres; mais qu'il était bien aise de voir que les abus exposés dans la pétition étaient distincts et tangibles; qu'il pouvait déclarer que plusieurs étaient déjà en voie de réforme sinon de redressement complet. Qu'il serait néanmoins beaucoup plus satisfait s'il pouvait se convaincre que la pétition embrassât tous les sujets de plainte; qu'il était très inquiet à cet égard, et qu'il priait bien la chambre de lui ouvrir son coeur, de lui donner toute sa confiance et de ne lui rien cacher; qu'il leur avait tout fait connaître, qu'il n'avait rien dissimulé; qu'il aurait regardé toute manoeuvre, toute supercherie de sa part comme indigne du gouvernement et du caractère franc et loyal du peuple canadien; qu'il demandait la même bonne foi de la part de l'assemblée. La chambre avait-elle tout mis au jour, avait-elle réservé quelque plainte, quelque grief pour amener plus tard. Il l'implorait de lui dévoiler la vérité au nom de leur souverain qui était la sincérité elle-même, afin que l'Angleterre pût voir d'un coup d'oeil toute l'étendue de leurs maux. Après des sentimens exprimés à la fois avec tant de naïveté et avec tant de chaleur, on ne peut s'empêcher de reconnaître la sincérité de ce gouverneur, car il est impossible d'attribuer un pareil langage à la dissimulation et à l'hypocrisie. Mais cette scène montrait la grande divergence du point de départ des vues de lord Aylmer et des représentans du peuple.

Un membre des townships de l'est se rallia vers ce temps-ci à la majorité de la chambre contre l'oligarchie. C'est elle qui avait inspiré l'idée au bureau colonial de faire passer l'acte des tenures pour empêcher les lois françaises d'être étendues à ces townships. M. Peck, avocat, se leva dans la chambre et fît passer une adresse au roi pour le prier de faire révoquer cet acte et de rétablir les anciennes lois, déclarant qu'il était contraire aux sentimens des habitans, et qu'on le leur avait imposé de force contre leurs droits, leurs intérêts et leurs désirs, autre preuve de l'influence funeste qui dirigeait le bureau colonial. En même temps le juge de cette localité, M. Fletcher, était accusé d'oppression, d'abus et de perversion de la loi, et la chambre priait lord Aylmer de prendre les mesures nécessaires pour protéger les habitans contre ces injustices. Le juge Kerr fut accusé à sort tour. Le public étonné devant tant de scandale, perdait de plus en plus confiance dans les autorités; et le temps allait arriver où les réformes partielles ne seraient plus suffisantes. Le gouverneur eut beau faire informer la chambre que deux des juges n'avaient point assisté au conseil législatif de la session, et qu'il avait fait signifier au troisième de se retirer, cette nouvelle fit à peine quelque sensation. On se préoccupait déjà fortement de mesures plus radicales. On ne vota encore que des appropriations temporaires pour les dépenses du gouvernement. Ce qui fit dire à lord Aylmer en prorogeant l'assemblée que la mesure de ses remercîmens aurait été complète si les circonstances lui avaient permis d'informer l'Angleterre que ses propositions touchant les finances avaient été enfin favorablement accueillies.

L'Angleterre ne perdait pas espérance que cette question finirait par s'arranger. Lord Howick, sous secrétaire des colonies, fit passer une loi en 1831, malgré le protêt du duc de Wellington, pour amender l'acte constitutionnel de manière à permettre l'abandon aux chambres canadiennes de tout le revenu moyennant une liste civile annuelle de £19,000. Comme on l'a déjà dit, les réformes qui se font trop attendre font naître le besoin de beaucoup d'autres, et on put voir que cela était vrai en Canada, où l'on voulait déjà en faire exécuter plusieurs à peine ébauchées quelques mois auparavant, avant de voter une liste civile. A mesure qu'on avançait l'on apercevait mieux la véritable cause du mal.

Les chambres rouvertes à la fin de 31, l'assemblée reçut copie d'une longue dépêche de lord Goderich en réponse à ses adresses de la dernière session. Elle la renvoya aux comités de l'éducation, du commerce, de l'administration de la justice, des officiers exécutifs et judiciaires, et des agens comptables en ce qui les concernait. Le gouverneur s'exprimait alors en toute occasion comme si les difficultés eussent été arrangées. La confiance l'empêchait de voir au-dessous de la superficie des choses, et les moindres réformes lui paraissaient fondamentales. Une dépêche plus importante suivit celle-ci. Elle invitait les chambres à passer une loi pour rendre les juges des cours supérieures indépendans de la couronne et inamovibles durant bonne conduite, à condition que leurs salaires seraient votés permanemment, et les informait qu'aucun juge ne serait à l'avenir nommé dans l'un ou l'autre conseil, excepté le juge en chef, et encore serait-il tenu de s'abstenir de prendre part aux questions politiques. Lord Alymer demanda en même temps le vote du reste de la liste civile, en lui transmettant copie de l'acte passé à ce sujet par le parlement impérial. La chambre se contenta de résoudre de se former en comité général après un appel nominal, pour prendre en considération la composition des deux conseils, et après de longues discussions lorsque ce comité s'assembla, la question fut ajournée. Le bill des juges passé par l'assemblée et rendu au conseil le gouverneur pria la chambre de voter le salaire du chef du gouvernement, des secrétaires civil et provincial et des procureur et solliciteur-généraux. Ces salaires avec ceux des juges formaient en y ajoutant quelques pensions et autres petits items, la liste civile de £19,000. Cette demande fut discutée en comité général, qui se leva sans adopter de résolution, ce qui équivalait à un rejet. Jamais la chambre n'avait fait une faute aussi grave, car une partie de sa force consistant dans son influence morale, elle devait accomplir même au-delà de la lettre les engagemens qu'elle avait pris ou qu'elle paraissait avoir voulu prendre. Il est indubitable que le ministère anglais n'avait fait une si grande concession à ses yeux que pour calmer les esprits et s'assurer une liste civile suffisante qui ne serait plus contestée. On devait reconnaître cette libéralité par des marques substantielles, et non la repousser par de nouvelles prétentions qui ne devaient trouver leur solution que dans un avenir plus ou moins éloigné.

Mais déjà une influence malheureuse emportait la chambre au-delà des bornes de la prudence. Les dernières élections avaient changé le caractère de ce corps. Un grand nombre de jeunes gens des professions libérales avaient été élus sous l'inspiration de l'esprit du temps. Ils devaient porter dans la législature l'exagération de leurs idées et exciter encore les chefs qui avaient besoin plutôt d'être retenus après la longue lutte qu'ils venaient de soutenir. M. de Bleury, LaFontaine, Morin, Bodier et autres, nouvellement élus, voulaient déjà qu'on allât beaucoup plus loin qu'on ne l'avait encore osé. Il fallait que le peuple entrât enfin en possession de tous les privilèges et de tous les droits qui sont son partage indubitable dans le Nouveau-Monde; et il n'y avait rien à craindre en insistant pour les avoir, car les Etats-Unis étaient à côté de nous pour nous recueillir dans ses bras si nous étions blessés dans une lutte aussi sainte.

Ils s'opposèrent donc à toute transaction qui paraîtrait comporter un abandon de la moindre parcelle des droits populaires. Ils se rangèrent autour de M. Papineau, l'excitèrent et lui promirent un appui inébranlable. Il ne fallait faire aucune concession. Pleins d'ardeur, mais sans expérience, ne voyant les obstacles qu'à travers un prisme trompeur, ils croyaient pouvoir amener l'Angleterre là où ils voudraient, et que la cause qu'ils défendaient était trop juste pour succomber. Hélas! plusieurs d'entre eux ne prévoyaient pas alors que la providence se servirait d'eux plus tard en les enveloppant dans un nuage d'honneur et d'or, pour faire marcher un gouvernement dont la fin première et fixe serait «d'établir, suivant son auteur, dans cette province une population anglaise, avec les lois et la langue anglaise, et de n'en confier la direction qu'à une législature décidément anglaise,» 28 qui ne laisserait plus exister que comme le phare trompeur du pirate, cet adage inscrit sur la faux du temps: «Nos institutions, notre langue et nos lois.»

Note 28: (retour) Rapport de lord Durham.

Malgré les sentimens chaleureux que lord Aylmer manifestait en toute occasion, il était facile de s'apercevoir que les refus de la chambre commençaient à lui inspirer de la méfiance. La communication qu'il dût lui faire au sujet des réserves du clergé devait encore, faute de bonne entente, exciter les esprits.

Les terres appartenaient à tout le pays sans distinction de secte. Le gouvernement impérial rependant s'était emparé sans droit, sans justice dans un temps encore tout vicié par les préjugés, d'une proportion considérable de ces terres pour le soutien d'une religion dont les adeptes comptaient à peine dans la masse des citoyens. C'était sous une autre forme, faire payer comme en Irlande, la dîme des protestans aux catholiques et à tous les dissidens. Lord Goderich voyant tous les défauts de ce système, fit proposer à l'assemblée de soumettre ses vues à cet égard afin de voir comment l'on pourrait régler cette question de la manière la plus avantageuse. C'était une concession équitable et importante. Elle passa un bill pour révoquer la partie de l'acte constitutionnel qui avait rapport aux réserves du clergé. Elle en passa un autre, appuyée par les membres des townships eux-mêmes, pour révoquer celui qu'Ellice avait obtenu du parlement impérial, lequel autorisait les propriétaires à demander les prix qu'il voulait pour leurs terres et introduisait les lois anglaises. Il va sans dire que ces deux lois tombèrent dans le conseil. Quant aux terres de la couronne, lord Goderich pensait qu'au lieu de les donner pour rien à ceux qui en demandaient comme le proposait la chambre, le meilleur système serait de les vendre à l'encan périodiquement; que néanmoins si elle avait des améliorations à proposer à ce système, elles seraient bien reçues; et quant aux réserves du clergé il concourrait entièrement avec elle; il fallait les abolir. «Un mode vicieux, disait-il, pour lever un fonds destiné à des fins publiques était encore plus fortement condamnable lorsque c'était pour les ministres de la religion, puisqu'il devait tendre directement à rendre odieux aux habitans ceux-là même qui avaient besoin d'une manière particulière de leur bienveillance et de leur affection.»

La chambre ayant terminé son enquête contre les juges accusés, demanda leur suspension au gouverneur, qui refusa sous prétexte que les fonctionnaires n'étaient pas dans le même cas que M. Stuart puisqu'ils allaient être rendus indépendans de l'exécutif; qu'il les suspendrait néanmoins si le conseil législatif se joignait à elle.

La session touchait à sa fin. Un des derniers actes de l'assemblée fut de demander la mise du bureau des postes sous le contrôle de la législature. Lord Aylmer en la prorogeant exprima tout son regret de voir qu'après toutes les espérances que ses votes et ses résolutions avaient fait concevoir, elle eût accueilli la liste civile par un refus. Il l'informa que, malgré les embarras qui pourraient en résulter, il se trouvait dans la nécessité, suivant ses ordres, de réserver le bill de subsides à l'approbation du roi.

Malgré les concessions de lord Goderich, l'excitation dans les chambres et dans le public allait toujours eu augmentant. Le parti anglais qui dominait partout, excepté dans l'assemblée, tremblait à l'aspect des réformes du ministre et était furieux. Le parti canadien croyait tous les jours davantage que ces réformes seraient nulles si nos sentimens ne pénétraient pas plus avant dans le personnel de l'exécutif; que tant qu'il n'exercerait pas une plus grande part du pouvoir, la démarcation insultante existerait toujours entre le conquis et le conquérant, et que le premier ne cesserait pas de paraître comme étranger dans son pays.

C'est au milieu de ces querelles; que l'élection d'un membre eut lieu à Montréal, laquelle dura trois semaines avec tous les incidens d'une lutte acharnée. Les troupes lurent appelées le 21 mai, tirèrent sur le peuple, tuèrent trois hommes et en blessèrent deux, sanglant épisode qui lit une triste sensation. Tout l'odieux en retomba sur l'exécutif. «Jamais, disait-on, les gens de son parti n'attrape de mal; on sait si bien distinguer les victimes.» Le gouverneur fut en vain prié de monter à Montréal par M. Papineau, pour assister à l'enquête avec M. Neilson et M. Panet, il ne crut pas devoir commettre un acte qui l'eût compromis aux yeux du parti opposé à la chambre, et qui aurait eu l'air d'une intervention dans l'administration de la justice. Le choléra qui éclata cette année pour la première fois en Canada, et qui fit des ravages épouvantables, puisqu'il enleva 3300 personnes à Québec seulement dans l'espace de quatre mois, calma à peine les esprits. On recommença à tenir des assemblées publiques en différentes parties du pays. St.-Charles qui paraissait s'être attribué l'initiative dans cette nouvelle manière de discuter les questions politiques, donna encore l'exemple. On voulait imiter l'Irlande et O'Connell; mais une fois lancé, on ne put plus s'arrêter. Dans une assemblée des notables de la rivière Chambly, toujours présidée par M. Debartzch, l'on résolut que tant que le conseil législatif serait nommé par la couronne, il n'en serait que l'instrument contre le peuple; que les observations du gouverneur à la prorogation de la législature au sujet de la liste civile, était une insulte faite à la chambre et une atteinte portée à ses privilèges et à son indépendance; que l'Angleterre était responsable des ravages que faisait le choléra en ayant acheminé sur le pays une émigration immense qui en portait les germes dans son sein. En effet 52,000 émigrans débarquèrent à Québec dans le cours de l'été. On protesta contre la conduite des magistrats dans l'affaire du 21 mai, contre le refus du gouverneur de monter à Montréal; on passa enfin en revue tous les griefs en signalant pour la centième fois l'exclusion des Canadiens des charges publiques.

Le parti anglais pour ne pas rester en arrière se réunit à Montréal à son tour, et adopta des résolutions d'une tendance contraire à celles de St.-Charles, qu'il fit appuyer d'une démonstration par ses amis de Toronto, où le procureur et le solliciteur-général convoquèrent une assemblée pour prier le roi d'annexer l'île de Montréal à leur province. Lord Aylmer tout-à-fait soulevé alors contre la chambre et les Canadiens, visitait les townships de l'est et la vallée de la rivière des Outaouais, et écrivait à lord Goderich que l'on pourrait établir 500,000 émigrans dans les premiers, et 100,000 dans la dernière, moyen plus efficace pour régler la question des deux races qu'aucun autre. Enfin les sentimens secrets de tous les partis se dessinaient de jour en jour avec plus de force au milieu des passions croissantes, et ne permettaient plus guère de dissimulation.

Le bureau colonial depuis qu'il était dirigé par lord Goderich, travaillait tant qu'il pouvait à corriger les abus. Onze nouveaux membres avaient été ajoutés au conseil législatif dont huit Canadiens français, pour tâcher de le populariser un peu. Mais ces réformes n'arrivaient pas assez vite pour satisfaire des hommes aigris par une longue attente. Le gouverneur eut beau adresser un long discours aux chambres en 1832, et repasser avec modération les sujets qui devaient les occuper, s'abstenant de toute remarque sur la question de la liste civile, et donnant de justes louanges à la conduite courageuse et dévouée du clergé et des médecins au milieu des ravages du fléau qui venait de décimer le pays, l'assemblée jalouse de ses privilèges, protesta contre les attaques qu'elle avait cru voir dans les observations qu'il avait faites en prorogeant la dernière session. À peine avait-elle accompli ce qu'elle regardait comme un devoir, qu'elle reçut les vues du ministre sur le bill de subsides de la dernière session. A l'avenir le gouverneur ne pourrait en sanctionner aucun dans lequel on n'aurait pas spécifié avec précision la somme et l'objet pour lequel cette somme était accordée; et comme le dénouement de la question de la liste civile équivalait à un rejet absolu, le roi n'amènerait plus cette question sur le tapis et continuerait à payer les dépenses sur les deniers que la loi avait mis à sa disposition. Quant au bill pour l'indépendance des juges, il n'avait pas été sanctionné parce qu'on n'avait pas fait d'appropriation fixe et permanente pour leur salaire, suivant l'usage de l'Angleterre d'autant plus nécessaire en Canada, disait lord Goderich, que la population y était divisée en deux classes, différant d'origine, de langue, de religion et de coutumes, et que la prépondérance de l'une dans l'assemblée excitait la jalousie de l'autre ailleurs.

Le refus de la proposition des ministres sur la question des subsides allait nous faire rétrograder au point d'où nous étions partis. Il était facile de voir que lord Goderich qui avait fait plus qu'aucun de ses prédécesseurs, comme nous l'avons dit, malgré les préjugés de l'Angleterre, allait être forcé de reconnaître que les Canadiens étaient insatiables et que leurs adversaires avaient raison de vouloir tenir dans l'abaissement des hommes si ambitieux.

Le retour du ministre à une politique rétrograde ou stationnaire, loin d'arrêter l'élan de l'assemblée, l'augmenta. Elle se vit inondée de pétitions de Montréal, des Deux-Montagnes, de l'Islet, de Richelieu, de St.-Hyacinthe, de Rouville, de Chambly et de Verchères, sur les abus de l'administration, les vices de la constitution et le 21 mai. Pendant ce temps là, elle faisait une enquête sur les événemens de cette funeste journée, interrogeait les témoins, recevait un refus du gouverneur de lui dire s'il avait recommandé d'augmenter le nombre des membres du conseil législatif, quelles personnes il avait recommandé d'y nommer et si elles allaient l'être par suite de ses recommandations, et ordonnait un appel nominal pour le 10 janvier, au sujet du conseil législatif.

Il fut résolu après un mois de délibération et une division de 34 contre 26, de présenter une nouvelle adresse au roi pour le prier de rendre le conseil législatif électif, en suggérant quelle devait être la qualification des électeurs et qu'un sixième du conseil fut élu tous les ans. Elle protestait contre l'annexion de l'île de Montréal au Haut-Canada, cette île qui contenait, disait-elle, une population de près, de 60,000 habitans, dont la plus grande partie descendaient de ceux en faveur desquels avaient été signées les capitulations de 1760; elle déclarait que ce serait une spoliation non provoquée et une violation de ces mêmes capitulations, des actes les plus solennels du parlement britannique et de la bonne foi de la nation anglaise.

La nouvelle de la destitution du procureur-général Stuart et du juge Kerr, annoncée quelque temps après, calma à peine quelques instant les esprits. Mais le conseil législatif ne pouvant plus se contenir devant les attaques de l'assemblée, et forcé d'ailleurs d'agir par le parti qu'il était censé représenter dans le pays, vota à son tour une adresse à l'Angleterre en opposition à celle des représentans du peuple, il exposait qu'il avait pris en considération leurs actes aussi dangereux qu'inconstitutionnels, et la situation alarmante du pays, pour prier sa Majesté d'y porter remède; que d'un état de paix et de prospérité l'on marchait rapidement vers l'anarchie et une confusion certaine; que les plus grands efforts étaient faits pour diviser les habitans des deux origines; que les intérêts du commerce et de l'agriculture étaient sacrifiés à l'esprit de cabale: que le gouverneur était faussement accusé de partialité et d'injustice; que les officiers civils et militaires étaient représentés comme une faction corrompue, armée pour l'oppression du peuple, et cela dans le but de dégrader les autorités et de les rendre complètement nulles; que l'on diffamait les juges tout en rebutant au conseil la permission de s'enquérir de leur conduite; et que pour combler la mesure l'on demandait de le rendre lui-même électif.

Le conseil exposait ensuite que l'assemblée cherchait à augmenter son pouvoir à ses dépens et aux dépens de la couronne, en voulant obtenir la disposition des deniers publies sans pourvoir aux dépendes du gouvernement civil et des juges, et en voulant conserver les terres incultes pour les Canadiens fronçais; que c'était en 1831 que l'on avait commencé pour la première fois à mettre en question l'élection du conseil, et qu'il était étonnant que la majorité de la chambre se fut laissée entraîner à détruire la constitution; qu'il ne croyait pas que la majorité des Canadiens fût pour cette mesure, mais qu'il émit facile de tromper un peuple chez lequel l'éducation avait fait si peu de progrès; que le conseil était essentiel à l'existence de la prérogatives royale, à l'alliance du Canada avec l'Angleterre et à la sûreté des 150,000 Anglais qu'il y avait dans le paya; qu'un conseil électif serait la contre-partie de l'assemblée; que ce serait rendre les charges électives, troubler la sécurité des Anglais dans leurs personnes et dans leurs biens, arrêter le progrès, interrompre l'émigration, briser les liens qui attachaient la colonie à la mère patrie, amener une collision avec le Haut-Canada, inonder le pays de sang, car le Haut-Canada ne permettrait point paisiblement l'interposition d'une république française entre lui et l'Océan; et que le conseil n'avait point sanctionné la mission de M. Viger à Londres.

La passion qui avait dicté cette adresse avait fait dépasser le but. L'idée qu'il fallait conserver le même pouvoir à la minorité qu'à la majorité parce que l'une, comme anglaise devait être royaliste, et l'autre comme française, républicaine, était mise à nu trop hardiment pour ne pas frapper le bureau colonial dont on brisait ainsi le voile qu'il avait tant de peine à tenir tendu, et pour ne pas exciter sa mauvaise humeur sur une pareille gaucherie. «Sa Majesté, dit le ministre, a reçu avec satisfaction l'expression de loyauté et d'attachement à la constitution que contient cette adresse... mais elle aurait désiré que le conseil se fût abstenu relativement à l'autre branche de la législature, d'un langage dont le ton est moins modéré que ne le comporte sa dignité, et moins propre à conserver ou à rétablir la bonne entente entre les deux corps. Sa Majesté surtout regrette l'introduction d'aucune expression qui ait l'apparence d'attribuer à une classe de ses sujets d'une origine, des vues qui seraient contraires à la fidélité qu'ils lui doivent. Le roi espère que toutes les classes de ses sujets obéissent à la loi volontairement et avec plaisir. Il étendra toujours sa protection paternelle à toutes les classes; et le conseil législatif peut-être certain qu'il ne manquera pas d'assurer à toutes les droits et les libertés constitutionnelles qu'elles possèdent par leur participation aux institutions britanniques.» En même temps le gouverneur fit informer le conseil que le ministre était d'opinion que son président n'avait point de double vote; mais que ce n'était qu'une opinion et que le parlement impérial seul avait droit de régler la question.

La compagnie qui s'était formée à Londres pour coloniser les townships de l'est préoccupait les Canadiens depuis quelque temps. Ils croyaient qu'elle leur était hostile, et qu'elle allait s'emparer des terres d'avance pour les en exclure par le haut prix qu'elle demanderait et les autres obstacles qu'elle mettrait dans leur chemin. C'était bien là en effet le but d'une partie des membres, mais pas de tous. La chambre passa encore une adresse au roi à ce sujet, pour le prier de n'accorder ni terres, ni charte, ni privilèges à cette association. Le conseil législatif vota aussitôt une contre adresse. N'étant plus retenu par le gouvernement dans les bornes de la circonspection comme auparavant, ce corps faisait maintenant une opposition ouverte à la chambre en servant de rempart à l'exécutif. L'assemblée ayant en votant ies subsides refusé ou diminué certains items et réduit la somme demandée de £54,000 à £47,000, il rejeta aussitôt le bill en motivant son refus dans une série de résolutions. L'assemblée demanda encore que le bureau des postes fut placé sous le contrôle de la législature coloniale, et déclara qu'au lieu de chercher à tirer un revenu de ce département, l'on devait plutôt diminuer les droits de port sur les journaux surtout, et employer le surplus du revenu, s'il y en avait un, à étendre les communications postales.

Les chambres furent prorogées le 4 avril, après une session de près de cinq mois. La discussion des grandes questions qui occupaient la chambre depuis si longtemps, se porta au dehors. La population anglaise s'assembla en différentes parties du pays pour désapprouver la conduite de l'assemblée et pour prier l'Angleterre de maintenir la constitution intacte: c'était ce que l'on devait attendre. Elle devait soutenir le conseil législatif qui représentait ses intérêts, et redouter un changement qui aurait appelé les Canadiens au partage du pouvoir exécutif et de toutes ses faveurs dont ils étaient presque totalement exclus.

Chaque jour prouvait davantage leur situation exceptionnelle. Québec et Montréal venaient d'être incorporés pour l'administration de leurs affaires locales. Le conseil de Québec se trouvant composé en majorité de Canadiens, passa des réglemens en français et les présenta, suivant la loi, aux tribunaux pour les faire confirmer. Les juges refusèrent de les recevoir, parce qu'ils n'étaient pas en Anglais. C'était renier la légalité de la langue française. Cette proscription inattendue donna dans l'état des esprits de nouvelles armes aux partisans d'une réforme radicale. On la regarda comme une violation du traité de 1763. L'assemblée doit décider, disaient les journaux, si l'on peut se jouer ainsi de la foi engagée entre deux nations.

Cependant M. Neilson voyant l'entraînement de la majorité et ne voulant pas suivre M. Papineau jusqu'à l'extrémité, s'était séparé de lui depuis quelque temps. Plusieurs Canadiens, membres marquans de la chambre, en avaient fait autant, comme MM. Quesnel, Cuvillier, Duval, et quelques autres. Ces hommes éclairés dont l'expérience et le jugement avaient un grand poids, reconnaissaient bien la justice des prétentions de la majorité, mais ils craignaient de risquer ce qu'on avait déjà obtenu. Lord Goderich avait fait des concessions et des réformes dont l'on devait lui tenir compte si l'on faisait attention aux préjugés enracinés du peuple anglais contre tout ce qui était français et catholique. Plus tard à mesure que l'on parviendrait à détruire ces préjugés, l'on demanderait la continuation de ces réformes, et la puissance croissante des Etats-Unis dont il fallait que l'Angleterre pesât les conséquences tout anglo-saxons qu'ils étaient, aiderait fortement à la rendre juste à notre égard. M. Bedard, père, M. Neilson et M. Papineau étaient les trois hommes d'état les plus éminens qu'eussent encore eus le Canada. La séparation de MM. Neilson et de M. Papineau, était un vrai malheur pour le pays. L'éloquence, l'enthousiasme de l'un étaient tempérés par le sang froid et les calculs de l'autre, dont l'origine ne permettait point le même emportement contre l'infériorité dans laquelle on voulait tenir les Canadiens français. Tous deux avaient l'âme grande et élevée. Tous deux étaient presque des amis d'enfance, et avaient toujours combattu ensemble pour la même cause. M. Cuvillier, M. Quesnel étaient de leur côté des hommes libéraux, mais modérés, aimant leur pays et jouissant d'un caractère qui faisait honneur à leurs compatriotes.

M. Papineau en se séparant de tant d'hommes sages pour se lancer dans une lutte contre l'Angleterre, prenait une grande responsabilité sur lui. Sans doute que ce qu'il demandait était juste, sans doute que si ses compatriotes eussent été d'origine anglaise au lieu d'être d'origine française, le bureau colonial eût accordé toutes leurs demandes sans objection. Mais l'équité ne triomphe pas toujours; les préjugés nationaux font commettre bien des injustices. C'est au patriote, c'est à l'homme d'état de considérer tous les obstacles, de peser toutes les chances et de régler sa conduite de manière à obtenir le plus grand bien possible pour le moment en attendant le reste de l'avenir, sans livrer ce qu'on a déjà au risque d'une lutte désespérée. Il n'y avait pas de honte pour les Canadiens à prendre ce parti. Un petit peuple d'un demi-million d'habitans pouvait souffrir une injustice d'une puissance comme l'Angleterre sans flétrissure. Le déshonneur est pour le fort qui foule et tyrannise injustement le faible.

Lorsque M. Papineau fut de retour chez lui encore tout excité par ses luttes parlementaires, il commença à déposer sur le papier les griefs de ses compatriotes contre l'Angleterre. Malheureusement la liste en était longue et leur réminiscence ne fit qu'aigrir davantage son âme ardente. Il arriva à la session suivante avec ce travail en ébauche.

Le gouverneur informa les chambres, ouvertes le 7 janvier 1834, que le roi avait nommé un sur-arbitre pour faire le partage des droits de douane entre les deux Canadas, et que le rapport accordait une plus grande part que de coutume au Haut; qu'il serait nécessaire de renouveler la loi d'éducation et les lois de milice qui expiraient, et de reprendre la question des finances sans délai, afin que la métropole vit ce qu'elle aurait à faire.

Plusieurs membres voulaient cesser tout rapport avec l'exécutif et passer de suite à la considération de l'état de la province. M. Bourdages toujours à la tête des hommes les plus avancés, fit une proposition dans ce sens qui fut repoussée. En réponse aux remarques du gouverneur, touchant la porte du bill de subsides de la dernière session, la chambre observa qu'élue par le peuple, elle devait en partager le sort, et que son plus grand désir devait être de travailler pour son bonheur. Elle organisa ses comités ordinaires, mais elle refusa d'en nommer un, suivant l'usage, de bonne correspondance avec le conseil législatif. «C'est une insulte, disait M. Bourdages, de correspondre avec un corps qui a ouvertement déclaré que nous voulions établir une république française.» L'assemblée reprit l'enquête du 21 mai.

Elle reçut presqu'aussitôt plusieurs messages du château. Le 13, elle en reçut un sur le bill de subsides, et un autre sur le siège de M. Mondelet dans son sein, qu'elle avait déclaré vacant deux ans auparavant par suite de sa nomination au conseil exécutif. Le ministre approuvait le gouverneur de n'avoir pas fait procéder à une nouvelle élection dans un cas où la chambre avait outrepassé son pouvoir. Le lendemain on lui en remettait un autre au sujet du conseil législatif en réponse à l'adresse de la dernière session.

«L'objet que l'on a en vue par cette adresse, disait M. Stanley, est de prier sa Majesté de vouloir autoriser une convention nationale du peuple du Bas-Canada à l'effet de mettre de côté les autorités législatives et de prendre en considération lequel de deux modes sera adopté pour détruire entièrement la constitution, l'introduction du principe électif ou l'entière abolition du conseil législatif. Sa Majesté veut bien ne voir dans le mode projeté que le résultat d'une extrême légèreté; elle ne pourra jamais être conseillée de donner son assentiment à ce projet, vu qu'elle doit considérer une semblable mesure comme incompatible avec l'existence même des institutions monarchiques; mais elle sera disposée volontiers à sanctionner toute mesure qui pourrait tendre à maintenir l'indépendance et à élever le caractère du conseil législatif.

«Je ne suis pas prêt à lui conseiller de recommander au parlement une démarche aussi sérieuse que celle de révoquer l'acte de 91.... mais si les événemens venaient malheureusement à forcer le parlement à exercer son autorité suprême, pour appaiser les dissensions intestines dans la colonie, mon devoir serait de soumettre au parlement des modifications à la charte des Canadas, tendant non pas à introduire des institutions incompatibles avec l'existence d'un gouvernement monarchique, mais à maintenir et à cimenter l'union avec la mère-patrie, en adhérant strictement à l'esprit de la constitution britannique, et en maintenant dans leurs véritables attributions, et dans des bornes convenables, les droits et les privilèges mutuels de toutes les classes de sa Majesté.»

Il est inutile de dire quel fut l'effet de cette décision sur l'assemblée. Elle renvoya de suite à des comités spéciaux toutes ces communications du gouverneur, qui refusait alors de lui avancer l'argent nécessaire pour payer ses dépenses contingentes, sous prétexte que la perte du dernier bill de subsides le laissait chargé, d'une trop grande responsabilité. L'assemblée demanda copie des instructions royales touchant le bill de subsides de 32, et rejeta un bill passé par le conseil, pour établir un tribunal destiné à juger les fonctionnaires accusés, tandis que le conseil en rejetait un de son côté passé par l'assemblée pour assurer la dignité et l'indépendance des deux conseils, dans lequel contrairement à tous les principes de la constitution anglaise, les conseillers exécutifs devaient être hors du contrôle des deux chambres. Ce bill auquel on avait fait peu d'attention, avait été introduit par M. A. Stuart et semblait plutôt une ironie qu'une mesure sérieuse.

Cependant Le jour pour la prise en considération de l'état du pays arrivait. C'était pour cette occasion que M. Papineau avait préparé; le tableau des griefs dont nous ayons parlé tout à l'heure. En arrivant à Québec il l'avait communiqué aux membres, de son parti. On s'était réuni à diverses reprises chez les membres du comté de Montmorency, M. Bedard, pour l'examiner et y faire les changemens jugés nécessaires. Après quelques modifications un autre membre, M. Morin avait été chargé de les mettre en forme de résolutions. Il fut décidé que ce serait M. Bedard qui les présenterait. Ce membre avec quelques uns de ses amis avait paru dans la dernière session vouloir se détacher de M. Papineau, qui pour ramener le parti de Québec, à ses vues, consentit à faire quelques modifications dans, les résolutions, et, pour flatter l'amour propre de M. Bedard, à les laisser proposer par lui. Les débats durèrent plusieurs jours.

M. Papineau fit un discours dans lequel encore tout irrité du ton de la dépêche de M. Stanley, il s'abandonna à un enthousiasme républicain qui devait mettre l'Angleterre sur ses gardes, et qui était contraire à la partie des résolutions qui citait le fait, que dans les anciennes colonies anglaises, celles qui jouissaient des institutions les plus libérales avaient été les dernières à se révolter. «Des plaintes existent, dit-il, depuis longtemps; tous conviennent de nos maux; tous sont unanimes pour accuser; la difficulté est quant aux remèdes. Il s'agit d'examiner où nous les prendrons. Il y a des personnes, qui, occupées des systèmes électifs et des autres constitutions européennes, veulent nous entretenir de ces idées. Ce n'est pas à nous à décider des institutions de l'Europe; on ne peut les connaître ni en bien juger, nous devons examiner quel doit être notre sort, le rendre aussi bon et aussi durable que possible. Il est certain qu'avant un temps bien éloigné, toute l'Amérique doit être républicaine. Dans l'intervalle, un changement dans notre constitution, s'il en faut un, doit-il être en vue de cette considération? et est-il criminel de le demander? Les membres de cette chambre en sont redevables à leurs constituans comme d'un devoir sacré, et, quand bien même le soldat devrait les égorger, ils ne doivent pas hésiter à le faire, s'ils y voient le bien de leur pays. Il ne s'agit que de savoir que nous vivons en Amérique, et de savoir comment on y a vécu. L'Angleterre elle même y a fondé de puissantes républiques où fleurissent la liberté, la morale, le commerce et les arts. Les colonies espagnoles et françaises, avec des institutions moins libérales, ont été plus malheureuses, et ont dû lutter beaucoup contre le vice de leurs institutions. Mais le régime anglais, qu'a-t-il été dans les colonies? A-t-il été plus aristocratique que démocratique? Et même eh Angleterre est-il purement aristocratique? C'est donc une grande erreur de M. Stanley, de nous parler du gouvernement monarchique d'Angleterre en 1834. Du temps de la maison des Stuart, ceux qui ont maintenu le pouvoir monarchique, ont perdu la tête sur les échafauds. Depuis ce temps la constitution de l'Angleterre a été appelée mixte, et telle ne devait pas être appelée autrement. Lui, M. Stanley, ministre par un vote de là chambre et malgré le roi, à qui l'on a dit de l'accepter ou de perdre sa couronné, M. Stanley méprisé aujourd'hui par le peuple, vient nous parler du gouvernement monarchique de l'Angleterre, quand des changemens sont permis à ses habitans, si grands par leur commerce, leurs institutions, et les progrès qu'ils ont fait faire à la civilisation, aux arts et à la liberté sur tout le globe; et quand cette nation veut introduire de nouveaux élémens de bonheur, en demandant la réforme de l'aristocratie, et en augmentant la force du principe démocratique dans son gouvernement. Le système vicieux qui a régné dans les colonies, n'a fait que donner plus d'énergie au peuple, pour se rendre républicain: c'est ce qui a été le cas dans les états du nord de l'union. Dans les colonies du milieu, quoique les institutions y fussent plus républicaines et plus libérales, le peuple y a été le dernier à se révolter.»

M. Neilson proposa un amendement tendant à faire déclarer «que comme la dépêche du ministre des colonies du 9 juillet 1831, en réponse aux adresses de la chambre du 16 mars précédent, contenait une promesse solennelle de coopérer avec elle au redressement des principaux abus, c'était le devoir de la chambre de travailler dans l'esprit de cette dépêche, à la paix, au bien-être et au bon gouvernement du pays suivant la constitution; que la dépêche du bureau colonial communiquée le 14 janvier dernier, confirmait les mêmes dispositions; que l'on devait s'occuper de l'amélioration du pays, de l'occupation des terres, des lois de propriété, de l'indépendance des juges, de l'administration de la justice, de la responsabilité des fonctionnaires, des comptes publics et de la réduction de toutes les charges inutiles.»

«Les résolutions de M. Bedard portent atteinte, dit-il, à l'existence du conseil législatif, d'un corps constitué comme nous, par l'acte de 91; elles mettent en accusation le gouverneur en chef qui forme aussi une autre branche de la législature; elles refusent formellement de subvenir aux dépenses de la province, et comportent un procédé injurieux contre la mère-patrie, c'est-à-dire contre son secrétaire colonial. Il n'est pas nécessaire de dire que je ne puis voter pour elles. La constitution en tout pays est la règle de conduite pour toutes les parties et la sauve-garde de la liberté de chacun. Du moment qu'on l'attaque on ébranle les passions. Nous nous trouvons dans des circonstances différentes de celles des pays où il y a eu des changemens. En Angleterre et aux Etats-Unis, qu'on a cités, des changemens ont été opérés par le peuple, non par suite d'un goût pour la réforme, mais parce que les rois eux-mêmes voulaient violer la constitution. La ligne de démarcation est bien distincte: ils combattaient pour des droits qui existaient, et nous, nous voulons renverser ceux qui sont établis. Le résultat doit être différent. L'histoire est un moniteur fidèle; elle nous apprend que les conséquences suivent les principes.»

«Je crains, ajouta M. Quesnel à son tour, qu'en nous adressant à l'Angleterre pour demander un changement dans notre constitution, nous ne l'obtenions point et que notre démarche entraîne avec elle des suites désastreuses pour le pays. En Angleterre on n'a jamais voulu convenir des vices de la constitution, et pense-t-on qu'aujourd'hui on y sera plus facile sur ce sujet? Je ne le crois pas. J'ignore où ces résolutions peuvent nous conduire. Si elles n'excitent point de trop grands troubles, il en résultera au moins une grande réaction. Je souhaite sincèrement que mes prévisions ne s'accomplissent point; je souhaite me tromper. Quoique je diffère d'opinion avec la majorité de cette chambre, si elle réussit à procurer l'avantage réel et permanent du pays par les moyens qu'elle emploie aujourd'hui, je me réjouirai de ses succès avec les hommes éclairés qui auront formé la majorité. Je regretterai alors de n'avoir pas eu comme eux assez d'énergie pour braver le péril et entreprendre une chose que je regardais comme dangereuse, ou du moins comme très incertaine quant à ses résultats. Si au contraire mes craintes se réalisent, si la chambre succombe dans son entreprise, je partagerai avec les autres les maux qui pourront peser sur ma patrie, je dirai, ce sont sans doute les meilleures intentions qui ont guidé la majorité de la chambre, et on ne me verra point m'unir avec ses ennemis pour lui reprocher d'avoir eu des vues perverses. Voilà ce qui fera ma consolation.»

L'amendement de M. Neilson fut rejeté par 56 contre 24. MM. Cuvillier, Quesnel, Duval, et plusieurs autres Canadiens faisaient partie de la minorité; et les résolutions qui ont porté depuis le nom de 92 résolutions, furent finalement adoptées. Les administrations provinciales, disaient-elles en substance, foulaient aux pieds les droits et les sentimens les plus chers des Canadiens, qui s'étaient toujours empressés de recevoir les émigrans des îles britanniques comme des frères, sans distinction d'origine ni de croyance; la chambre ne voulait introduire dans le pays que les droits dont jouissaient les habitans de l'Angleterre; le défaut le plus grave dans la Constitution était la nomination du conseil législatif par la couronne, au lieu d'être électif comme elle l'avait demandé l'année précédente, parce que la constitution et la forme du gouvernement qui convenaient le mieux à cette colonie, ne devaient pas se chercher uniquement dans les analogies que présentaient les institutions de la Grande-Bretagne, dans un état de société tout-à-fait différent du nôtre. Ce n'était pas le plus libre régime colonial dans les anciennes colonies, qui avait hâté leur séparation, puisque la Nouvelle-York dont les institutions étaient les plus monarchiques dans le sens que le comportaient la dépêche de M. Stanley, avait été la première à refuser d'obéir à un acte du parlement impérial, et que le Connecticut et le Rhode-Island avec des institutions purement démocratiques furent les derniers à entrer dans la confédération des Etats-Unis. L'acte des tenures devait être révoqué et le vote de toutes les dépenses publiques laissé à là chambre; là partialité dans la distribution des charges publiques était portée au comble loin de diminuer, puisque sur une population de 600,000 habitans, dont 525,000 d'origine française, 47 fonctionnaires seulement les moins rétribués appartenaient à cette origine, tandis que 157 appartenaient à l'origine britannique ou aux 75,000 habitans qui restaient de la population. La négligence du bureau colonial à répondre aux adresses de la chambre, la détention du collège de Québec par le militaire, les obstacles opposée à l'établissement d'autres colléges le refus de rembourser à la province les £100,000 de la défalcation de M. Caldwell étaient encore signalés avec la foule d'abus déjà exposés tant de fois dans les précédentes adresses. La chambre et le peuple, continuaient-elles, appuyés sur la justice, devaient être assez forts pour n'être exposés à l'insulte d'aucun homme quelqu'il fût ni tenue de le souffrir en silence. Dans leur style, les dépêches de Stanley étaient insultantes et inconsidérées à un degré tel que nul corps constitué par la loi même pour des fins infiniment subordonnées à celles de législation, ne pouvait ni ne devait les tolérer... ces dépêches étaient incompatibles avec les droits et les privilèges de la chambre qui ne devaient être ni mis en question, ni définis par le secrétaire colonial.

Puisqu'un fait qui n'était pas du choix de la majorité du peuple, son origine et sa langue, était devenu un prétexte d'injures, d'exclusion, d'infériorité politique et de séparation de droits et d'intérêts, la chambre en appelait à la justice du gouvernement de sa Majesté et de son parlement et à l'honneur du peuple anglais; la majorité des habitans du pays n'était nullement disposée à répudier aucun des avantages qu'elle tenait de son origine et de sa descendance de la nation française, qui sous le rapport des progrès qu'elle avait fait faire à la civilisation, aux sciences, aux lettres et aux arts, n'avait jamais été en arrière de la nation britannique et était aujourd'hui dans la cause de la liberté et la science du gouvernement sa digne émule. Enfin elles finissaient par mettre lord Aylmer en accusation, en priant les communes d'Angleterre de soutenir les plaintes devant la chambre des lords, et les membres indépendans des deux chambres impériales de les appuyer, entre autres O'Connell et Hume. Elles invitaient en même temps les libéraux canadiens à se former en comités dans toutes les parties du pays, pour correspondre avec ces deux hommes d'état, avec M. Viger, et avec les autres colonies en leur demandant leur appui dans des questions qui les intéressaient toutes également.

M. Morin fut chargé d'aller remettre à M. Viger, toujours, à Londres, les pétitions basées sur ces résolutions et destinées aux deux chambres du parlement impérial.

Le conseil législatif, en présence de l'attitude de l'assemblée, vota des adresses contraires aux siennes, pour prier le roi de maintenir la constitution pure et intacte. Les marchands anglais de Québec et autres, opposés à la politique de l'assemblée, signèrent aussi une pétition à la couronne dans le sens de celle du conseil, dans laquelle ils observaient qu'elle voulait donner aux Canadiens-français une supériorité sur les autres habitans, qu'elle voulait s'emparer des terres publiques et entraver l'émigration, que la qualification en biens immeubles exigés des magistrats était faite pour exclure les Anglais de ce corps, que la loi des jurés avait la même tendance, que l'assemblée avait montré une hostilité constante au commerce, que le conseil législatif était leur sauvegarde contre les mesures arbitraires et inconstitutionnelles des représentans du peuple, et que M. Viger ne devait pas être considéré comme l'agent de la population anglaise.

L'assemblée après avoir voté les appropriations nécessaires pour l'éducation, les institutions charitables, les chemins et les améliorations intérieures, laissant de côté la liste civile, commença à se disperser. Le gouverneur ne la voyant plus en nombre, la prorogea en observant que ses procédés ne lui avaient pas permis de lui communiquer les dépêches du ministre sur les difficultés financières; que puisqu'elle en avait appelé au parlement impérial, chaque parti devait se soumettre à son autorité suprême, mais qu'il devait déclarer que le langage des 92 résolutions était si contraire à l'urbanité et à la modération bien connues des Canadiens, que ceux qui ne connaissaient pas le véritable état des choses ne pourraient s'empêcher de croire qu'elles ne fussent le fruit d'une excitation extraordinaire et générale; que néanmoins quelque fussent les sentimens qui régnaient dans l'enceinte de l'assemblée la tranquillité la plus profonde régnait au dehors.

Cette dernière observation était des plus imprudentes. C'était inviter les membres qui avaient voté pour les 92 résolutions à prouver au gouverneur qu'ils exprimaient les sentimens de la masse du peuple; et c'est ce qu'ils firent en organisant partout une agitation générale qui aboutit à l'insurrection.

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