Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome IV
CHAPITRE II
LES TROUBLES DE 1837.
1835-1837.
Effet des 92 résolutions en Angleterre.--Une partie des townsbips de l'est se rallie à la chambre d'assemblée--Comité nommé dans les communes sur nos affaires.--Débats--Une partie du ministère anglais résigne.--M. Stanley est remplacé aux colonies par M. Rice et plus tard par lord Aberdeen.--Comités de district en Canada.--Nouvelles pétitions.--Lettre de M. Roebuck.--Nouveaux débats dans la chambre des communes.--Dissolution du parlement canadien.--Associations constitutionnelles.--Rapprochement entre les libéraux du Haut et du Bas-Canada.--Le parlement s'assemble à Québec.--Nouvelle adresse à l'Angleterre--Une nouvelle section de la majorité se détache de M. Papineau.--Dépêches de lord, Aberdeen.--Ministère de sir Robert Peel.--Trois commissaires envoyés en Canada.--Lord Gosford remplace lord Aylmer.--Chambre des lords. Ouverture du parlement canadien.--Discours de lord Gosford.--La chambre persiste dans la voie qu'elle a prise, en votant 6 mois de subsides qui sont refusés.--Le parlement est prorogé et convoqué de nouveau.--Les autres colonies qui devaient faire cause commune avec le Bas-Canada l'abandonnent et acceptent les propositions de l'Angleterre.--Rapport des commissaires.--La conduite du ministère approuvée.--Les assemblées continuent en Canada.--Langage des journaux.--Agitation dans les campagnes.--Bandes d'hommes armés.--M. Papineau descend jusqu'à Kamouraska.--Opinion réelle de la masse des habitans.--Nouvelle session du parlement aussi inutile que les autres.--Nouvelle adresse au parlement impérial.--Magistrats et officiers de milice destitués.--Associations secrètes à Québec et à Montréal, où l'on résout de prendre les armes.--Démonstrations en faveur du gouvernement.--Assemblée des six comtés.--Mandement de l'évêque de Montréal.--Le gouvernement fait des armemens.--Troubles à Montréal.--Mandat d'arrestation lancés.--Les troupes, battues à St.-Denis; victorieuses à St.-Charles.--La loi martiale proclamée.--Plusieurs membres invitent inutilement le gouverneur à réunir immédiatement les chambres.--Affaire de St.-Eustache.--L'insurrection supprimée.--Troubles dans le Haut-Canada.--Résignation de lord Gosford.--Débats dans les communes.--Les ministres promettent de soumettre l'insurrection par les armes.
Les 92 résolutions et l'ajournement prématuré des chambres ne laissèrent plus de doute sur la gravité de la situation dans l'esprit de ceux en Angleterre qui s'intéressaient aux affaires de ces importantes provinces. La solution de toutes les questions était laissée à la métropole. Quoiqu'il régnât beaucoup d'incertitude sur ce qu'elle allait faire, il surgissait de temps à autre des faits, des rumeurs qui entretenaient les espérances des libéraux. Les journaux reproduisirent une dépêche de lord Goderich au gouverneur de Terreneuve sur les conseils législatifs, qui paraissait leur donner gain de cause. «On ne peut nier, disait ce ministre, qu'en pratique l'existence de ces corps n'aient été accompagnée de difficultés sérieuses. Ils ont mis trop souvent en collision les différentes branches de la législature; ils ont ôté aux gouverneurs le sentiment de leur responsabilité, et privé les assemblées de leurs membres les plus utiles, tout cela sans compensation. Ils ne prennent dans les colonies ni une position ni une influence analogue à la chambre des lords en Angleterre, parce qu'ils n'ont rien de la richesse, de l'indépendance et de l'antiquité de cette institution qui fait respecter la pairie anglaise. D'après ces circonstances et l'histoire des colonies de l'Amérique, je verrais avec plaisir tout arrangement tendant à fondre les deux chambres en une seule dans laquelle les représentans du peuple rencontreraient les serviteurs de la couronne.» Ces dernières paroles annonçaient à la fois l'abolition du conseil et l'introduction du système responsable. L'île du Prince Edouard comme Terreneuve se plaignait de son exécutif.
Une partie des habitans des townships de l'est s'assemblèrent à Stanstead sous la présidence de M. Moulton, et passèrent des résolutions à l'appui de l'assemblée. Presque tous les comtés, presque toutes les paroisses les imitèrent. Les journaux étaient remplis de ces manifestations qui raffermissaient les chefs et divisaient de plus en plus les partis. Des délégués de comtés s'assemblèrent à Montréal pour organiser un comité central et permanent, qui éclairerait l'opinion et donnerait l'exemple des mesures à prendre suivant les circonstances. Le parti anglais faisait courir alors le bruit que les ministres avaient résolu d'unir les deux Canadas. L'agitation dans le Haut-Canada était presqu'aussi vive que dans le Bas, et le parti libéral y paraissait vouloir coordonner ses mouvemens avec les nôtres.
Mais c'était à londres que devaient se décider nos destinées. M. Roebuck avait fait nommer un comité dans les communes sur nos affaires. MM. Roebuck, Hume, O'Connell avaient pris la parole en faveur des Canadiens. Le ministre des colonies, M. Stanley, avait défendu sa politique appuyé de lord Howick et de M. P. Stewart. M. Roebuck en plaidant la cause du Bas-Canada, avait plaidé celle du Haut, dont M. McKenzie était l'agent à Londres, mais l'agent de la minorité d'après l'opinion de sa législature. M. Stanley, dit que le Haut-Canada ne se plaignait pas de sa constitution, et que c'étaient les factions qui avaient décrié celle du Bas, accordée pour conserver la langue, les usages et les lois de ses habitans. Il déclara que le conseil législatif devait être maintenu, parce qu'en le rendant électif on détruirait entièrement l'influence du gouvernement et on annulerait les droits de la minorité anglaise, pour la défense et la protection de laquelle il avait été établi dans l'origine; qu'il était vrai que sur 204 fonctionnaires 47 seulement étaient Canadiens-français; mais qu'il ne doutait nullement que les deux Canadas ne fussent un jour unis, quoiqu'il ne fût pas préparé à proposer pour le moment une mesure qui lui paraissait la seule propre à y assurer la permanence des principes anglais et à réduire la législature réfractaire qui siégeait à Québec.
O'Connell protesta contre la constitution du conseil législatif, vu qu'elle donnait un double vote au gouvernement, et déclara que l'un des principaux abus venait de ce que l'exécutif mettait toute son influence à soutenir des étrangers contre les habitans du pays.
Lorsque la nouvelle de ces débats arriva à Montréal, le comité central vota des remercîmens aux orateurs qui avaient plaidé la cause canadienne, et des approbations à M. Bidwell, à M. MacKenzie et autres chefs réformateurs du Haut-Canada. De jour en jour le parti libéral de cette province cherchait à se rapprocher de nous, pour s'appuyer de notre influence en attendant qu'il eût la majorité vers laquelle il approchait graduellement et qu'il devait bientôt obtenir.
Le comité de la chambre des communes ne put être retenu dans les limites de l'enquête de celui de 1828, et voulut étendre son investigation au-delà, malgré les efforts de M. Stanley. La correspondance entre le bureau colonial et les gouverneurs du Canada, lui fut soumise. On trouva dans les dépêches de lord Aylmer depuis qu'il s'était soulevé contre la chambre, des épithètes offensantes pour les chefs du parti canadien, que M. Baring voulut faire effacer, parce qu'elles devaient tendre à irriter, et que d'ailleurs ce gouverneur était un homme indiscret et d'un esprit faible. Le comité interrogea sir James Kempt, MM. Viger, Morin, Ellice, J. Stuart, Gillespie et le capt. McKennan. M. Morin avait eu une conférence d'une heure et demie avec M. Stanley et sir James Graham, dans laquelle ils avaient discuté la question des finances et celle d'un conseil législatif électif. Quant à sir James Kempt, il disait que le seul moyen de terminer les dlfférens serait d'assurer le payement des fonctionnaires par un acte du parlement impérial, et que quant au conseil exécutif, il s'était dispensé de ses services lorsqu'il était gouverneur du Canada; M. J. Stuart pensait qu'il fallait réorganiser la chambre d'assemblée pour assurer une majorité anglaise, ou réunir les deux Canadas et donner le pouvoir au conseil exécutif de se renouveler lui-même et de renouveler le conseil législatif.
C'est pendant que la question canadienne était devant ce comité qu'une partie des ministres résigna sur la question des biens de l'Irlande. M. Stanley fut remplacé au ministère des colonies par M. Spring Rice. Cette nouvelle accueillie avec joie en Canada, où M. Stanley avait perdu par sa conduite récente la popularité que ses discours de 1822 lui avait acquise, exerça peu d'influence sur nos destinées. Le rapport que présenta le comité ne concluait à rien et laissait les choses dans l'état où elles étaient. Il était très court et à dessein contraint et fort ambigu, pour ne pas mécontenter trop fort aucun parti. Il laissait la solution de toutes les questions au bureau colonial. Cependant il avait causé beaucoup de discussions dans le comité. M. Stanley avait voulu y faire approuver sa conduite, et il y avait fait mettre des additions dans ce sens auxquelles M. Roebuck s'était opposé et qui avaient été retranchées. Sir James Graham et M. Robinson avaient soutenu le ministre contre MM. Roebuck, Howick et Labouchère. On avait débattu quatre heures, et obtenu une majorité de 2 voix.
Les comités de district siégeaient toujours en Canada. Ils avaient acheminé des pétitions portant plus de 60,000 signatures à Londres; ils correspondaient avec nos agens et passaient résolutions pour tenir le peuple en haleine. On lut dans celui de Montréal une lettre de M. Roebuck dans laquelle il l'informait que tant que M. Stanley avait été à la tête du bureau colonial il n'avait conservé aucune espérance de voir les affaires s'arranger, mais que M. Spring Rice paraissait plus traitable et qu'il attendait un meilleur avenir de lui; qu'il avait abandonné le bill de M. Stanley touchant la liste civile, et qu'on devait lui donner un peu de délai. «Il vaut mieux j'en conviens, disait-il, combattre que de perdre toute chance de se gouverner soi-même; mais nous devons assurément essayer tous les moyens avant de prendre la résolution d'avoir recours aux armes.... La chambre pourrait, comme sous l'administration de sir James Kempt, passer un bill de subsides temporaire sous protêt, se réservant tous ses droits et exposant qu'elle le faisait par esprit de conciliation et pour fournir au nouveau ministre l'occasion de redresser les griefs de son propre mouvement.» Il conseillait aussi de réveiller le peuple, de ne pas reculer d'un pas devant les principes, et déclarait que l'on n'aurait de bon gouvernement que lorsqu'on se gouvernerait soi-même et qu'on se serait défait du conseil législatif.
La suite des événement fera voir si ces conseils étaient bien sages.
Le 4 août il y eut encore quelques débats dans les communes sur nos affaires à l'occasion d'une requête présentée par M. Hume à l'appui des 92 résolutions. M. Rice blâma sévèrement M. Hume d'une lettre publiée dans les journaux, dans laquelle il appelait les Canadiens à résister à la funeste domination du gouvernement anglais. Il dit qu'il ne convenait point à un homme parlant sans danger dans l'enceinte des communes, de lancer des sentimens qui pourraient faire tant de mal à l'Angleterre et au Canada, et que si l'on avait recours à la résistance il espérait que les lois atteindraient tous ceux qui y seraient concernés.
Le parlement canadien fut dissous au commencement d'octobre, et les élections qui eurent lieu affaiblirent encore le parti du gouvernement. Il y eut beaucoup de troubles à Montréal, où l'élection fut discontinuée pour cause de violence, et en d'autres localités. Un Canadien fait tué d'un coup de fusil à Sorel de propos délibéré. Les Anglais, joints à quelques Canadiens avec M. Neilson à leur tête, formaient alors à Québec, à Montréal, aux Trois-Rivières des associations constitutionnelles par opposition aux comités permanens des partisans de la chambre, pour veiller aux intérêts de leur race. Bon nombre d'Anglais cependant partageaient les sentimens de leurs adversaires, et sept à huit furent élus par leur influence. Les townships de l'est, peuplés d'Anglais, se prononçaient de plus en plus pour les réformes. Sur leur invitation, M. Papineau, accompagné de plusieurs membres de l'assemblée, se rendit à Stanstead, où il fut reçu avec toutes sortes d'honneurs par les comités qui s'étaient formés dans ces localités. Plusieurs centaines de personnes le visitèrent le jour de son arrivée, et le Vindicator annonça qu'il ne s'était pas trouvé moins de 500 personnes à la fois pour le voir, parmi lesquelles on avait remarqué plusieurs Américains des états de New Hampshire et de Vermont et entre autres le général Fletcher. Le soir on lui donna un dîner de 200 couverts. M. Papineau, le Dr. O'Callaghan, M. Dewitt, le général Fletcher y furent les principaux orateurs. Ces démonstrations, les discours des membres dans les assemblées qui avaient lieu partout, et la polémique des journaux n'annonçaient aucune intention chez les partis de rien abandonner de leurs prétentions. M. Papineau avait recommandé dans son adresse aux électeurs de cesser de consommer les produits anglais, de se vêtir d'étoffes manufacturées dans le pays et de ne faire usage que de boissons canadiennes, pour encourager l'industrie locale et dessécher la source du revenu public, que les ministres employaient comme ils voulaient. Comme les banques appartenaient aussi à leurs ennemis, ils devaient exiger le payement de leurs billets en espèces afin de transférer ces établissemens de mains ennemies en mains amies, tous principes que le parti contraire avait commencé à mettre en pratique à Montréal; mais qui ne furent admis du moins ouvertement par personne à Québec. Il fut en même temps question d'établir une banque nationale. A Toronto il se forma une association politique qui se mit en rapport avec les comités permanens du Bas-Canada. Tous les jours le parti libéral dans les deux provinces se rapprochait de plus en plus, et cherchait à coordonner ses mouvemens pour donner plus de poids à ses paroles et à ses résolutions. On en avait besoin, car bientôt l'on apprit la résignation du ministère et l'avènement des torys au pouvoir avec sir Robert Peel à la tête des affaires et le comte Aberdeen pour ministre des colonies. Ils eurent à s'occuper des nouvelles adresses du parti anglais et de la nouvelle pétition de l'assemblée et de la minorité du conseil législatif à l'appui des 92 résolutions. Mais les nouveaux ministres ne pouvaient transmettre leurs instructions à lord Aylmer avant l'ouverture des chambres canadiennes en 1835.
La première chose que fit l'assemblée fut de protester contre les remarques faites par le gouverneur en mettant fin à la dernière session, touchant les requêtes qu'elle avaient adressées au parlement, et de faire biffer son discours de son procès-verbal. C'était dénoncer les hostilités. M. Morin proposa ensuite que la chambre se formât en comité général pour reprendre la considération de l'état de la province. M. Gugy en s'y opposant observa qu'il préférait un gouvernement d'hommes nés dans le pays, à tout autre. «Pour moi, répliqua M. Papineau, je ne veux pas cela; j'aime autant celui de mes co-sujets, amis des lois, de la liberté, de la justice, d'hommes qui protègent indistinctement toutes les industries, et veulent accorder à tous les mêmes privilèges; je les aime, je les estime tous sans distinction d'origine; mais je n'aime pas ceux, qui, conquérans orgueilleux, viennent nous contester nos droits, nos moeurs et notre religion. S'ils ne sont pas capables de s'amalgamer avec nous, ils devraient demeurer chez eux. Il n'y a pas de différence entre eux et nous; les mêmes droits et la même protection appartiennent à tous. Assurément je préférerais le gouvernement de gens du pays à celui des hommes dont je viens de parler, et mes compatriotes ont déjà fait preuve de capacité, d'intégrité. Ceux-mêmes qui réclament ces privilèges exclusifs les réprouvent dans leur coeur, et ils en seront eux-mêmes les victimes. En supposant qu'ils fissent du Canada une Acadie, et qu'ils chassassent toute la population française, là division se mettrait bientôt parmi eux. S'ils parvenaient à former des bourgs pourris, bientôt même cette représentation corrompue les opprimerait. Il est dans le coeur de tous les hommes de détester les privilèges exclusifs; mais la haine, la passion, l'esprit de parti les aveuglent.... On nous dit: soyons frères. Soyons le: mais vous voulez avoir le pouvoir, les places et les salaires. C'est cette injustice que nous ne pouvons souffrir. Nous demandons des institutions politiques qui conviennent à notre état de société.»
L'exécutif n'avait rien à communiquer de décisif sur les affaires. L'assemblée siégea deux fois par jour pour terminer la session plus vite. Les débats furent la répétition de ce qu'on avait déjà dit tant de fois. Elle continua l'agence de M. Roebuck, et passa encore une nouvelle adresse qui occasionna une longue discussion et qui devait amener une prorogation immédiate. C'est au sujet de cette adresse que la majorité commença à se diviser une seconde fois. Plusieurs membres voulurent que l'on continuât à faire marcher les affaires, et que l'on s'abstint avec soin de toute mesure qui pût prêter à l'exécutif le plus léger prétexte d'interrompre les travaux législatifs. M. Bedard qui ne suivait qu'à contre coeur depuis deux ans, la majorité, osa dire enfin que l'adresse contenait un refus péremptoire et direct de tout ce que le gouverneur demandait, et qu'il ne pouvait l'appuyer. «Et peut-on oublier, répliqua aussitôt M. Papineau, qu'en Angleterre c'est la même plume qui prépare et le discours du trône et la réponse. Les circonstances exigent que nous nous écartions des formes ordinaires, et que nous exprimions hautement ce que nous sentons. C'est faire injure à l'Angleterre que de dire qu'elle peut passer un bill de coercition et nous envoyer dix à douze régimens. Si c'était le cas, on devrait songer au plutôt à nous délivrer d'un gouvernement qui serait si tyrannique. Mais s'il y avait lieu de craindre une lutte, on pourrait dire que le danger existe déjà, et que nous avons déjà été bien plus loin que ne va cette adresse.»
M. Bedard proposa divers amendemens, secondé par M. Caron, qui furent rejetés par 48 voix contre 26, dont 16 Canadiens. Cette rupture devait s'agrandir de jour en jour.
Elle fut regardée dès le premier instant par les hommes extrêmes comme une défection de la part de la minorité, et le bruit courut que des intrigues secrètes et des faveurs montrées dans le lointain avaient ébranlé les auteurs des amendemens sur lesquels on savait que l'évêché, qui redoutait les troubles, avait une grande influence. Le rédacteur du Canadien, M. Parent, qui était leur ami intime, et qui était bien supérieur à eux par ses lumières et ses talens, vint à leur secours et chercha à les justifier. Il attribua le vote de la minorité aux besoins du district de Québec, au progrès duquel la suspension des travaux législatifs faisait un grand tort dans un moment surtout où la gêne commerciale était si grande. Mais les dépêches de lord Aberdeen, qui lui furent communiquées, et le refus de lord Aylmer d'avancer l'argent nécessaire pour payer les dépenses courantes de l'assemblée avant qu'elle eût approuvé celles qu'il avait faites sans bill de subsides, amenèrent la dispersion des membres et la prorogation des chambres.
Lord Aberdeen refusait d'assurer l'indépendance des deux conseils et des juges, jusqu'à ce que toutes les enquêtes sur les abus fussent parvenues au point où l'on pût avoir la perspective d'un arrangement, et le bill d'éducation parce qu'il paraissait reconnaître l'existence légale des sulpiciens et des jésuites, et pouvait donner des privilèges civils exclusifs aux catholiques au détriment de la minorité protestante. Vigilante comme elle devait l'être avec beaucoup de raison contre le moindre empiétement sur sa liberté religieuse, elle pouvait soupçonner que cette législation rétrograde conférait des avantages indus à la majorité catholique. Elle pouvait croire aussi que la langue, la littérature française et les institutions religieuses avaient été les objets d'une attention spéciale; que les fondations ecclésiastiques existantes avaient été préférées à celles qui pourraient s'élever plus tard, parce que les premières étaient sous le contrôle du clergé catholique, et que les secondes, c'est-à-dire les protestantes, ne fleuriraient et ne se multiplieraient qu'avec l'émigration et l'accroissement des capitaux et des établissemens anglais.
Toutes ces raisons du ministre étaient de purs subterfuges pour tromper. Il ne voulait pas donner les mêmes avantages aux catholiques qu'aux protestans; mais comme une déclaration ouverte et franche d'un pareil principe eût paru trop odieux, il faisait des suppositions idéales pour faire croire que l'usage de la liberté chez les uns aurait amené nécessairement l'esclavage chez les autres. La question religieuse ainsi traitée fit penser à la situation des catholiques en Canada. Les journaux publièrent les instructions de sir George Prévost, 29 dans lesquelles on maintenait les prétentions que nous avons déjà rapportées ailleurs sur la suprématie et la juridiction ecclésiastique de l'Angleterre. Dans les paroisses où la majorité serait protestante, le curé devait l'être et percevoir les dîmes, les catholiques se servant de l'église après les protestans. Les prêtres pourraient contracter mariage, et les ministres protestant devaient remplacer graduellement les missionnaires catholiques chez les Sauvages. C'était l'esprit de ces instructions qui avait inspiré lord Aberdeen dans le rejet de la loi dont nous venons de parler.
Cependant la politique du ministre était de le dissimuler dans le parlement impérial. Il y eut encore des débats dans les communes à l'occasion de la présentation de la pétition des membres du conseil législatif et de l'assemblée du mois de décembre. La veille on avait distribué un pamphlet aux membres des communes, dressé par un ami des Canadiens à Londres, dans lequel on exposait tous les vices du gouvernement et toutes les réformes que demandait le peuple. On passait en revue les abus du système judiciaire et de l'exécutif à la tête duquel on mettait des militaires incapables de gouverner un peuple libre; la mauvaise administration des terres; la multiplicité des emplois dans les mêmes familles, la défalcation de receveur-général Caldwell, protégé du pouvoir et conseiller législatif devenu riche, disait-on, depuis son malheur, nom que les gens de sa classe donnait à son péculat, et qui lui permettait de donner des dîners somptueux; l'absence de contrôle partout malgré l'abus de l'intervention incessante du parlement impérial. L'auteur terminait par appuyer sur la nécessité de rappeler lord Aylmer.
A peu près dans le même temps un article écrit avec beaucoup de verve parut dans Taits Edinburgh Magazine, sur la situation politique du Canada, qu'on attribua à M. Chapman et dont le mémoire ci-dessus était un résumé.
M. Roebuck répéta dans les communes ses remarques ordinaires sur les abus de l'administration. M. Spring Rice dit, qu'avant la retraite du ministère dont il faisait partie, il avait préparé une dépêche qui contenait un ample exposé des vues du gouvernement. Cette retraite avait empêché de l'envoyer. Il n'avait pas confirmé la nomination du juge Gale parce qu'il s'était trop compromis comme partisan politique, et comme le juge Kerr avait été destitué de sa place de juge de l'amirauté pour malversation, il n'avait pas cru convenable de lui laisser celle de juge de la cour du banc du roi. M. Stanley maintint qu'on n'avait pu réussir à prouver une seule plainte, un seul grief articulé dans les 92 résolutions, et que le ministère avait obtenu du comité un verdict d'acquittement triomphant. Sir Robert Peel fit part à la chambre qu'il avait chargé lord Aylmer d'informer le Canada que l'on allait y envoyer un gouverneur étranger à la politique coloniale et en possession des vues et des intentions de la métropole, pour y examiner l'état des choses et faire rapport, après quoi le ministère proposerait les mesures nécessaires. Mais il devait déclarer que l'on n'entendait admettre aucun nouveau principe dans l'organisation du gouvernement, et que, si les griefs n'étaient pas fondés, l'on prendrait les moyens de faire cesser l'agitation. Quant aux menaces de rébellion, il dirait aux rebelles, nous voulons vous rendre justice et vos menaces augmentent nos forces. Quant à l'intervention des Etats-Unis, on était en bonne intelligence avec eux, et quand bien même ils voudraient intervenir, ils ne prendraient pas M. Roebuck pour leur organe dans cette chambre. MM. Stanley, Robinson, Hume, Sheil prirent la parole.
Le discours du ministre malgré son air de modération, et la confirmation de la nomination du juge Gale, que M. Spring Rice avait refusée, indiquaient assez la conduite qu'on allait tenir. On voulait seulement mettre en usage cette bienveillance de manière et cette finesse de conduite usitées dans la diplomatie et inconnue jusque-là dans la politique coloniale, pour tâcher d'apaiser les discordes et de faire pénétrer dans les coeurs des sentimens plus favorables aux réformes qu'on pourrait juger nécessaire d'adopter plus tard.
Dès le mois de février lord Aberdeen avait écrit à lord Aylmer pour lui dire qu'il approuvait sa conduite, mais que dans l'état des esprits il n'y avait pas d'espoir qu'il pût employer avec succès des paroles de paix et de conciliation, et qu'on allait le remplacer par une personne de confiance avec le titre de commissaire royal.
Lord Aylmer lui avait déjà envoyé une longue dépêche pour repousser les accusations portées contre lui dans les 92 résolutions. Il disait que sur 142 personnes qu'il avait nommées à des emplois salariés, 80 étaient d'origine française et 295 sur 580 nommées à des emplois non salariés; que sur 330 commissaires des petites causes, 151 étaient de la même origine, et qu'au reste l'on devait préférer les personnes les plus propres sans distinction d'origine; que toutes les places dans l'église catholique, comme les cures dont les appointemens excédaient £25,000, étaient entre les mains des Canadiens-français, qu'il en était de même des maîtres d'écoles de campagne, dont les salaires et les allocations s'élevaient à £18,000. Mais la partialité avait été si grande avant lui, et l'abus était si enraciné encore que s'il avait donné 80 places aux Canadiens qui formaient les trois quarts de la population, il en avait donné 62 aux Anglais qui formaient l'autre quart, et que les salaires et les émolumens de ces 62 excédaient de beaucoup ceux des 80. D'après la liste civile, l'estimation soumise à la chambre en 1834 et d'autres sources, les fonctionnaires recevaient £71,770, distribués comme suit: Anglais £58,000, Canadiens-français £13,600. Ceux-ci étaient exclus de tous les départemens de l'exécutif, ainsi que du bureau des terres, des douanes et des postes, et dans l'administration de la justice qui coûtait £36,000, £28,000 étaient partagés par les Anglais et £8,000 par les Canadiens. Une pareille exclusion, une pareille injustice peut-elle être tolérée sinon sous l'empire de la force matérielle. C'est insulter les sentimens les plus nobles que de le croire.
Cependant les discussions que le Canada soulevait dans le parlement impérial avaient leur écho au dehors où, les grands journaux, comme le Times, le Chronicle, le Herald, étaient hostiles à l'assemblée et aux Canadiens-français presque totalement inconnus en Angleterre. L'Advertiser, le Globe, prenaient leur défense; mais il était facile de voir que la grande majorité des communes comme de la nation, n'avait aucune sympathie pour eux.
Le bruit courut d'abord que le commissaire royal allait être le vicomte de Canterbury, ci-devant sir Charles Manners Sutton; mais bientôt l'on apprit qu'il refusait d'accepter cette mission difficile sous prétexte de maladie dans sa famille. Sa réputation avait fait concevoir des espérances. L'on parla ensuite de lord Amherst, celui-là même qui avait été ambassadeur en Chine et vice-roi d'Irlande. Lord Aberdeen annonça même sa nomination; à lord Aylmer. Mais le ministère ayant été changé sur ces entrefaites, le choix des nouveaux ministres tomba sur lord Gosford, qui avait acquis quelque réputation en Irlande, sa patrie, par son opposition aux orangistes. L'on vantait sa fermeté et la libéralité de ses principes; mais on lui adjoignait deux personnages à peu près inconnus, sir Charles Gray, tory de la vieille école, et sir James Gipps. Le correspondant de Londres du Vindicator n'attendait rien de cette commission.
L'un des agens du parti anglais, M. Walker, osa chercher à gagner O'Connell à sa cause. «Comment, vous désirez être représentés comme minorité, lui dit le grand orateur; certes ce serait, selon moi, un grand grief si vous l'étiez.» Le 12 juin les affaires du Canada furent l'objet de quelques discussions dans la chambre des lords. Le langage du comte Aberdeen faisait dire au Canadiens. «La base de sa politique coloniale, chose remarquable, est précisément la même que pose le peuple du pays... Si lord Aberdeen et les hommes d'état de l'Angleterre, voulaient être aussi honnêtes et sincères qu'ils sont faiseurs de belles phrases nos difficultés seraient bien vite arrangées.» Un lord déclara qu'il ne pouvait pas concevoir quel intérêt avait l'Angleterre à refuser des concessions larges et libérales. On ne devait pas traiter les assemblées coloniales comme des enfans ni les assujétir entièrement aux ordres de l'Angleterre; on devait les laisser jouir de la plus entière liberté compatible avec le maintien de la souveraineté métropolitaine. Une commission lui semblait non seulement inutile, mais pire qu'inutile; on devait envoyer un commissaire prêt à agir. Le gouvernement pouvait et devait décider sur le champ toutes les questions importantes. Il y avait peu de sujets sur lesquels on avait besoin d'information.
Lord Glenelg répliqua qu'il s'était cru obligé avec ses collègues de changer les instructions de ses prédécesseurs, et d'envoyer plusieurs commissaires pour faire une enquête sur les lieux.
Les nouvelles instructions que lord Aberdeen qualifiait d'inutiles, mettaient la majorité et la minorité du Canada en face, déclaraient d'avance que le conseil législatif ne pouvait être changé, et ordonnaient à la commission d'opposer un refus formel à la proposition de l'assemblée de renvoyer cette question à des conventions du peuple. Quant aux subsides, les revenus de la couronne ne pourraient être abandonnés que moyennant une liste civile suffisante pour le soutien du gouvernement. L'administration des terres de la couronne devait rester entre les mains de l'exécutif. Les juges accusés subiraient leur procès devant le conseil législatif ou devant le roi aidé du comité judiciaire du conseil privé. La commission devait faire rapport sur la tenure des terres, sur les biens du séminaire de St.-Sulpice, sur l'éducation, sur la distribution des droits de douane entre les deux Canadas. Elle pouvait interroger des témoins et les documens écrits; elle allait au Canada pour remplir une mission de conciliation et de paix et devait éviter conséquemment de paraître mettre en force un pouvoir nouveau et odieux. En recevant les plaintes de tous les partis, la politesse, l'urbanité et le respect devaient caractériser sa conduite envers toutes les classes; elle devait entrer en relation avec elles, exprimer ses opinions avec bienveillance, surveiller les indications des assemblées publiques et des relations sociales ordinaires, étudier les écrits politiques et la littérature périodique, transporter ses enquêtes en différens endroits du pays et observer le plus grand secret sur ses conclusions.
La commission arriva à Québec à la fin d'août. Le Conseil-de-Ville lui présenta une adresse de bien-venue. Lord Gosford tint un lever quelques jours après, et s'y montra très gracieux. Mais on était sur ses gardes. Les membres libéraux du conseil et de l'assemblée se réunirent au commencement de septembre aux Trois-Rivières pour s'entendre sur la conduite à suivre devant les commissaires. Ceux du district de Québec ne jugèrent pas à propos d'y aller. La division entre ce district et ceux des Trois-Rivières et de Montréal devenait plus grande de jour en jour. Lord Gosford cherchait par tous les moyens à captiver la bienveillance des Canadiens. Il invita M. Papineau et M. Viger à dîner chez lui; il visita les classes du séminaire, et laissait tout le monde enchanté de sa politesse. Il donna un grand bal le jour de la Ste.-Catherine, anniversaire fêté chez beaucoup de Canadiens, où ses prévenances pour Madame Bedard blessèrent quelques parvenus de l'oligarchie, enfin la place du juge Kerr destitué, parut destinée pour le mari de cette dame, celui-là même qui avait proposé les 92 résolutions. Ces faits, ces bruits portés, grossis de bouche en bouche augmentaient les espérances, lorsque les chambres s'ouvrirent le 27 octobre. Lord Gosford leur adressa un long discours, dans lequel il parla de beaucoup de choses, mais finit par déclarer que sur les grandes questions en débat la commission ferait son rapport à Londres, et que du reste les Canadiens pouvaient être assurés qu'on ne toucherait point à leurs arrangemens sociaux. C'était annoncer un nouvel ajournement. Mais comme il avait appuyé sur beaucoup de réformes de détail et que son discours, préparé avec soin, respirait la modération et la justice, on ôsa espérer encore. «Je dirais, observait-il, aux Canadiens tant d'origine française que d'origine britannique, considérez le bonheur dont vous pourriez jouir, et la situation favorable où, sans vos dissensions, vous pourriez vous placer. Issus des deux premières nations du monde, vous occupez un vaste et beau pays, un sol fertile, un climat salubre, et le plus grand fleuve du globe amène jusqu'à votre ville la plus éloignée les vaisseaux de la mer.»
La réponse au discours du trône provoqua quelques débats, sur un amendement de M. Clapham, qui voulait qu'on reconnût la commission; mais la chambre s'y refusa, ne connaissant point les instructions qu'elle devait suivre. Le parti tory cherchait déjà à l'appuyer comme s'il les eut connues et s'il eût connu sa pensée. La réponse de la chambre ne fut qu'un écho du discours, interprété au point de vue des 92 résolutions. Lord Gosford fidèle au système qu'on lui avait tracé de tâcher de capter la bienveillance des Canadiens par ces égards qui touchent, répondit d'abord à la chambre en français, puis ensuite en anglais. La Gazette de Montréal se trouva offensée de cette courtoisie et de l'audace qu'avait eue un gouverneur anglais de faire usage de la langue du vaincu. C'était une concession coupable, le premier pas de la dégradation de la mère-patrie, qui avait eu la faiblesse de ne pas proscrire la langue française dès l'origine.
Les journaux anglais qui avaient eu le signal, faisaient les plus grandes menaces suivant le système qu'on leur avait indiqué, et que faisaient marcher des fils secrets qu'on tenait à Londres. L'associatien constitutionnelle de Montréal demanda à être entendue par la commission, qui l'informa que l'esprit de la constitution ne serait pas changé et que l'intérêt commercial serait protégé.
Elle voulut organiser des comités de quartier dans la ville dans le cas où l'union et la force seraient nécessaires. Elle organisa un corps de carabiniers de 800 hommes au nom de Dieu sauve le roi. Elle voulut faire sanctionner cette organisation par le gouverneur, qui s'y refusa et qui en ordonna quelque temps après la dissolution. Les orangistes essayèrent aussi à lever la tête avec eux. Dès 1827 air Harcourt Lees avait recommandé leur organisation dans les deux Canadas. Le district de Gore du Haut-Canada fit aussitôt offrir son appui à lord Gosford contre les tentatives séditieuses des constitutionnels. Dans le Bas-Canada on n'en faisait de cas que par leur influence à Londres.
Cependant l'assemblée continuait ses travaux législatifs. Elle accusait encore un autre juge, M. Thompson de Gaspé. Elle protestait une seconde fois contre l'annexion du comté de Gaspé, au Nouveau-Brunswick; elle réclamait surtout contre le payement des officiers publics sans appropriation, et le Dr. O'Callaghan présentait un rapport sur les procédés du parlement impérial à l'égard des 92 résolutions, dans lequel il mettait à nu les contradictions, les erreurs du bureau colonial en faisant l'historique de la question des finances depuis 1828. Dans le temps même on recevait du Haut-Canada une partie des instructions de lord Glenelg à la commission, que sir Francis Bond Head avait communiquées à l'assemblée. Comme M. Mackenzie, disait le Canadien, l'avait prévu, la communication de ces instructions produit un vif regret et un désappointement général. Décidément ces instructions décèlent chez les ministres des dispositions et des vues peu propres à inspirer de la confiance dans la libéralité de leur politique à notre égard. Lord Glenelg fait le réformiste à Londres et le conservateur à Québec.
«Ces instructions renferment aussi, comme le discours du trône, circonstance que nous n'avons pas cru devoir faire ressortir jusqu'à présent, cette mortifiante comparaison de la faction oligarchique avec la masse de la population, en parlant comme ayant toutes deux le même poids, un droit égal à la considération auprès des autorités impériales. C'est là sans doute le résultat de l'éducation et des habitudes aristocratiques du vieux monde; on croyait sans doute que la faction oligarchique est ici ce que le corps aristocratique est en Angleterre. Cette erreur, cette prévention, si elle ne disparaît, et ne luit place à des idées plus conformes à l'état de la société, fera perdre bientôt à la couronne britannique un de ses plus beaux joyaux. Ce n'est qu'avec des idées et des principes d'égalité que l'on peut maintenant gouverner en Amérique. Si les hommes d'état de l'Angleterre ne veulent pas l'apprendre par la voie de remontrances respectueuses, ils l'apprendront avant longtemps d'une façon moins courtoise; car les choses vont vite dans le Nouveau-Monde.»
Tel émit le langage d'un organe de la presse qui songeait alors à abandonner le parti de M. Papineau pour soutenir celui de Québec, et à recommander l'acceptation des propositions de lord Gosford. On peut concevoir quel put être celui du parti extrême. Un appel nominal fut de suite ordonné. Le parti de Québec, qui se séparait de plus en plus de celui de M. Papineau, voulut s'opposer à la réception des instructions de la commission, par son organe M. Bedard, opposition inutile, parce que l'essentiel était connu, c'est-à-dire les dépêches elles-mêmes. Loin de vouloir guerroyer sur des questions de forme, cette nouvelle opposition aurait du lever de suite franchement son drapeau et déclarer clairement ses principes. Si les réformes qu'on demandait n'étaient pas accordées, allait-on se les faire donner de vive force, en levant l'étendard de la révolte, ou allait-on négocier? On aurait alors comparé ses forces à celles de l'Angleterre et pesé les chances de succès. Car quant à la justice de leur cause, les Canadiens-français avaient cent fois plus de droit de renverser leur gouvernement que l'Angleterre elle-même en 1668, et les Etats-Unis en 1775, parce que c'était contre leur nationalité elle-même que le bureau colonial dirigeait ses coups; jugée sous ce rapport, la question se modifiait et devait être envisagée non sous le point de vue du droit, mais sous le point de vue de l'expédience, que les peuples comme les individus ne peuvent négliger lorsqu'ils en appellent à la force physique.
Mais malheureusement le chef du parti de Québec, comme nous désignerons désormais cette nouvelle opposition, était alors en pourparler, pour une charge de juge, avec lord Gosford, qui laissait entrevoir d'autres faveurs à quelques uns de ses amis. Dans des débats aussi graves entre l'Angleterre et l'assemblée, une scission entre le parti extrême et le parti modéré aurait dû se faire en vue du bien public seulement et non sous l'influence de l'or et des places. Le devoir de tout représentant du peuple était de refuser toute faveur jusqu'après l'arrangement des difficultés, afin de conserver son indépendance et de ne pas paraître influencé, par l'intérêt personnel. Le moment était trop solennel pour s'occuper de soi lorsque l'existence politique de tous les Canadiens était en question. Cette grande faute du parti modéré n'échappa pas à ses adversaires, qui en profitèrent pour l'exposer aux yeux du public, qui donna dès lors par ironie le nom de petite famille à M. Bedard et à ses amis, pour désigner des hommes qui servaient leurs intérêts avant ceux du pays. C'était détruire leur influence dès le début de la nouvelle voie dans laquelle ils entraient, et, dans laquelle la majorité des Canadiens eussent suivi des hommes indépendans et énergiques, qui n'auraient pas plus fléchi devant les appâts du pouvoir que devant les menaces de la rébellion. Le vrai patriote tout pauvre qu'il est, tient plus de place dans le coeur du peuple que l'agitateur riche et puissant dont on soupçonne toujours l'ambition.
La majorité de l'assemblée fut entraînée par l'éloquence de M. Papineau. La nomination de M. Bedard comme juge formellement annoncée, loin d'apaiser les esprits, les excita, suivie qu'elle fut presqu'aussitôt après du refus du gouverneur de destituer le juge Gale, dont le ministre qui avait succédé à M. Spring Rice avait confirmé la nomination. Le conseil plus opposé que jamais à la chambre, rejetait presque tous les bills qu'elle lui envoyait, ce qui la confirmait dans l'opinion que le gouvernement voulait la tromper et que le conseil lui servait d'instrument. Sur 106 bills passés par l'assemblée dans la session, 61 furent ainsi étouffés ou mutilés, et c'étaient les principaux. En voyant ce résultat, les hommes versés dans la politique et qui connaissaient la dépendance du conseil, étaient convaincus que le gouvernement jouait un rôle double et qu'il excitait par des moyens secrets et détournés une chambre contre l'autre. La dernière lutte entre l'exécutif et l'assemblée allait se porter sur la question des subsides. Les débats durèrent deux jours. On y répéta ce qui avait déjà été dit tant de fois. Une grande partie des membres prirent la parole. M. Morin proposa d'accorder six mois de subsides. M. Vanfelson proposa en amendement douze mois avec les arrérages. MM. LaFontaine, Papineau, Taschereau, Drolet, Rodier, Berthelot parlèrent contre l'amendement; MM. Power, Caron, DeBleury pour. «Par suite de l'injonction du parlement impérial, dit M. Vanfelson, le secrétaire colonial a commencé à remplir sa mission de réforme et quoiqu'il n'ait pas remédié efficacement à tous les maux, je crois pouvoir démontrer si l'on vent discuter et juger sans passion qu'il a déjà fait beaucoup. Plusieurs griefs ont été réparés; un grand nombre d'autres sont en voie de l'être. Qu'on relise les 92 résolutions et on verra que déjà 9 ou 10 des griefs énoncés ont cessé d'exister, et lord Aylmer que nous avions accusé d'avoir violé les droits et les privilèges de cette chambre a été rappelé.» L'orateur passant ensuite aux dissensions entre la chambre et le conseil, ajouta que l'Angleterre avait envoyé la commission pour constater qui avait tort et qui avait raison, et que quant à la plainte faite contre le choix de militaires pour gouverner le pays, on y avait fait droit, puisque lord Gosford ne l'était pas. Il fallait donner le temps aux commissaires d'achever leur enquête, et imiter O'Connell qui se relâchait de ses prétentions dans certaines circonstances. M. LaFontaine prenant la parole, observa que dans sa revue des griefs, le préopinant avait été obligé d'avouer que les principaux, ceux qui avaient provoqué les 92 résolutions, existaient encore; que lord Gosford n'avait d'autre mérite auprès de l'assemblée que ses promesses, qu'il n'avait encore rien exécuté, et que si l'on voulait adhérer strictement aux principes, on ne devait pas voter de subsides du tout.
M. Papineau se leva enfin et parla pendant plusieurs heures. C'était à lui à soutenir la position prise par le parti populaire dans les 92 résolutions; il en était le véritable auteur, il y avait résumé l'esprit et les doctrines de l'opposition canadienne depuis plusieurs années. Le sort de ses compatriotes y était attaché. Orateur énergique et persévérant, M. Papineau n'avait jamais dévié dans sa longue carrière politique. Il était doué d'un physique imposant et robuste, d'une voix forte et pénétrante, et de cette éloquence peu châtiée mais mâle et animée qui agite les masses. A l'époque où nous sommes arrivé il était au plus haut point de sa puissance. Tout le monde avait les yeux tournés vers lui, et c'était notre personnification chez l'étranger comme disait le Canadien. Tout président de la chambre qu'était M. Papineau, c'est lui qui dirigeait la politique de la majorité.
«Nous sommes, dit-il, à voir s'il y a dans la situation politique du pays des circonstances nouvelles qui puissent justifier la conduite de ceux qui semblent déserter la cause de la patrie, qui se séparent de cette immense majorité de leurs concitoyens qui ont directement approuvé et ratifié sur les hustings la conduite des membres qui ont voté les 92 résolutions. Dans cette grande discussion, il ne faut pas considérer lord Gosford, mais il faut considérer les principes. Nous sommes en lutte contre un système colonial qui, tel qu'il nous est expliqué par lord Glenelg, contient dans son essence les germes de tous les genres de corruption et de désordre; nous sommes appelés à défendre la cause et les droits de toutes les colonies anglaises. Le même génie malfaisant qui jetait malgré elles les anciennes colonies dans les voies d'une juste et glorieuse résistance, préside à nos destinées. Il a inspiré les instructions de la commission, qui changent nos relations avec le gouvernement, qui détruisent le titre qu'il avait à la confiance des représentans du peuple. Elles renferment un refus formel de faire aucune attention aux plaintes du Haut et du Bas-Canada. La commission au lieu de puiser ses renseignemens auprès des autorités constituées du pays, est décidée à prendre pour base de ses déterminations les opinions de la minorité, de cette minorité turbulente et factieuse, disait-il, dans une autre occasion, qui ne cherche qu'à se gorger aux dépens d'une population qui lui a offert un refuge. On veut dominer là ou peu de mois auparavant on ne cherchait qu'un asile, qu'une patrie. Au milieu de nous cette minorité se pavane de sa supériorité et de ses prétentions exclusives. Nous n'avons pas un gouvernement de droits égaux, mais de favoritisme. Les mignons de l'administration accaparent au préjudice de la population entière tous les avantages du pays. L'estime et la confiance de la majorité les font crier contre l'usurpation et la nationalité, comme s'il était juste d'avoir versé son sang pour se voir dégradé, exploité, dépouillé par et pour la minorité. De telles prétentions pourtant se font entendre journellement à un degré dont même l'Irlande n'offre pas d'exemple, dans le temps où ceux qui trahissaient sa cause étaient récompensés par des emplois comme les seuls hommes de capacité et de lumières.
«Pouvait-on imaginer, continua l'orateur, un plan plus défectueux que d'envoyer trois commissaires qui ne s'étaient jamais vus, ayant une foule d'employés avec chacun leurs communications et leurs correspondances secrètes? Peut-on voir dans cette combinaison quelque trait de sagesse? Aussi les résultats ne se sont pas fait attendre. Quelques heures pour ainsi dire après leur arrivée le public fut averti qu'il y avait division parmi eux sur tous les points. Pouvait-on espérer qu'ils ne sèmeraient pas ici la division; qu'il y aurait entre eux unanimité sur nos difficultés politiques, et que la diversité connue de leurs opinions sur la politique de leur pays, ne serait pas le prélude à la même diversité d'opinions sur la politique de notre pays? Aussi les a-t-on vus se jeter dans les sociétés les plus opposées, et la presse anglaise a bientôt retenti d'injures contre celui qu'elle appelait radical, de louanges pour celui qu'elle appelait tory. On nous a promis que de ce mélange naîtraient l'ordre et la justice. On aime à s'endormir sur le bord d'un précipice, à attendre le bonheur que promet un songe fugitif et trompeur; au lieu des jouissances et des réalités enchantées, nous allons rouler dans un gouffre... Il ne fallait accorder que six mois de subsides pour nous mettre dans la même position que la Jamaïque. Ses représentans se sont dit: Nous voici dans des circonstances extraordinaires, nous voterons six mois de subsides pour salarier les troupes, mais après ce temps, nous sommes déterminés à nous ensevelir sous des ruines plutôt que de céder nos libertés. Ces inspirations héroïques ont obtenu du gouvernement anglais qui a su les apprécier, les droits que réclamaient les colons de la Jamaïque, de semblables inspirations nous assureront les mêmes avantages.»
L'amendement de M. Vanfelson fut rejeté par 40, contre 27. Huit Anglais, dont quelques uns des townships de l'est, votèrent avec la majorité et huit avec la minorité, preuve assez forte de la justice des prétentions de l'assemblée. Le conseil rejeta la liste civile de six mois, ce qui amena presqu'aussitôt la prorogation des chambres, n'y ayant plus de membres suffisans pour continuer les affaires, et fit observer par lord Gosford qu'il ne voulait pas se hasarder à prédire toutes les conséquences qui résulteraient de cette conduite.
Ce dénouement donna un nouvel élan à l'agitation. L'on recommença à s'assembler pour approuver la majorité de la chambre et se rallier aux associations de réforme de Québec et de Montréal. Une adresse de sept cents électeurs de Québec fut présentée à M. Papineau vers la fin de la session pour approuver sa conduite, adresse qui amena la résignation d'un des représentans de cette ville, M. Caron, parce qu'elle comportait une censure contre sa conduite opposée à celle de M. Papineau depuis les 92 résolutions. Quelques-uns attribuèrent cette démarche au mécontentement que lui causait la faveur qu'on faisait alors à M. Bedard en le nommant juge. Dans les colonies peu d'hommes sont au-dessus de pareilles faiblesses, mais pour M. Caron, ces bruits devaient être mal fondés, car sa conduite n'avait pas cessé un moment d'être uniforme et constante.
Depuis quelque temps le parti libéral dans les deux Canadas avait des communications encore plus fréquentes qu'auparavant, et les chefs travaillaient activement à co-ordonner leurs mouvements. La majorité des membres de l'assemblée du Haut-Canada ae rallia même un instant au parti de M. MacKenzie ainsi que le conseil exécutif de sir Francis Bond Head. A Londres l'activité de M. Roebuck ne se lassait point. Discours dans les communes, articles dans les journaux et dans les revues, 30 pamphlets, il ne perdait pas une occasion de plaider notre cause.
Cependant les ministres voyant l'effet qu'avait eu la communication des instructions tronquées de la commission, chargea lord Gosford tout en lui recommandant d'agir de concert avec sir Francis Bond Head, de réunir les chambres de nouveau pour leur en communiquer la totalité, ce qu'il fit sans changer les opinions de l'assemblée, qui déclara qu'elle voyait avec regret et une vive douleur que les vices de nos institutions politiques étaient demeurés les mêmes, qu'on maintenait le conseil législatif, qu'on ne faisait aucune réforme administrative et que les autorités exécutives et judiciaires étaient combinées en faction contre les libertés publiques.
Après cette réponse peu satisfaisante on s'ajourna.
C'est alors que M. Morin vint se fixer à Québec vers la fin de 1836 sous prétexte d'y pratiquer comme avocat. Aussitôt les partisans de M. Papineau crurent voir quelque tactique dans cette démarche de son disciple le plus dévoué; ils se réunirent autour de lui, ils s'organisèrent et se mirent en rapport avec les libéraux de Montréal et d'autres parties du pays, pour contrecarrer les résolutions de l'association constitutionnelle, qui parlant au nom du parti anglais, priait le roi de maintenir le conseil législatif en l'organisant de manière à tenir en échec l'influence de l'assemblée, de diviser les comtés de façon à diminuer les représentans français, de rappeler lord Gosford, et de réunir les deux Canadas. Elle s'adressait en même temps au Haut-Canada pour l'engager à favoriser ses projets, et aux Canadiens-français eux-mêmes pour leur dire qu'ils étaient trompés et opprimés par leurs meneurs.
A cette époque leur perspective était la plus triste qu'on puisse imaginer. Eux qui s'étaient bercés un instant de l'espoir d'avoir de nombreux alliés, venaient de les perdre presque tous à la fois. Sir Francis Bond Head était sorti triomphant de la lutte à Toronto. Il avait dissous la dernière chambre et était parvenu à force d'adresse et d'intrigues à faire élire une majorité de torys dans la nouvelle. Sûr maintenant d'elle, il avait convoqué aussitôt la législature, et l'assemblée avait biffé des procès-verbaux de la dernière session, les résolutions de celle du Bas-Canada que M. Papineau avait envoyées à son président. En même temps Head lui avait communiqué les dépêches du bureau colonial qui approuvaient sa conduite. La politique de Downing Street était de briser la dangereuse alliance qui avait paru s'établir entre le Haut et le Bas-Canada, menacer le Bas où le danger était le plus grand, et mettre la totalité de la population en lutte une partie contre l'autre. Cette politique avait donc réussi. Dans le Haut-Canada tout marchait à merveille; et il en était de même dans les autres provinces. Le Nouveau-Brunswick avait accepté les propositions de l'Angleterre, et la Nouvelle-Ecosse, qui avait d'abord été plus ferme, avait révoqué les résolutions qu'elle avait passées contre l'administration, de sorte que la commission qui achevait ses travaux, se voyait autorisée par toutes ces défections à adopter des conclusions plus hostiles contre la seule chambre qui restait inébranlable.
Le rapport de cette commission fut mis devant le parlement impérial dés le commencement de la session. Il formait un volume imprimé de plus de 400 pages folio et renfermait à peine une suggestion nouvelle. Les commissaires recommandaient séparément ou collectivement d'employer les deniers publics sans le concours des représentans; d'user de mesures coercitives pour forcer l'assemblée à se soumettre, justifiaient le conseil législatif d'avoir rejeté les six mois de subsides, et suggéraient de faire représenter la minorité en changeant la loi d'élection de manière à donner plus d'avantage à l'électeur anglais qu'à l'électeur canadien. Il fallait persister dans la demande d'une liste civile de £19,000 pour la vie du roi ou pour un terme de sept ans au moins, refuser un conseil législatif électif et le système responsable, maintenir la compagnie des terres et s'opposer à l'union des deux Canadas. Lord Gosford n'approuvait pas toutes ces suggestions, et il était d'opinion qu'il fallait libéraliser les deux conseils en y faisant entrer une forte proportion d'hommes partageant les opinions de la majorité de l'assemblée.
Lord John Russell proposa une série de résolutions dans les communes, conformes aux suggestions les plus hostiles, et qui suscitèrent des débats qui durèrent trois jours, le 6, le 8 et le 9 mars 1837. Lord John Russell lui-même, M. Stanley, M. Robinson, sir George Grey, M. Gladstone et lord Howick furent les principaux orateurs en faveur du ministère, ainsi que M. Labouchère qui se trouva cette fois contre les Canadiens. MM. Leader, O'Connell, Roebuck, sir William Molesworth, le colonel Thompson et M. Hume contre. Il y eut plusieurs divisions; mais la minorité fut très faible chaque fois. La proposition de M. Leader de rendre le conseil législatif électif, ne rallia que 56 voix contre 318, et encore cette minorité tomba-t-elle à 10 lors de l'adoption finale des résolutions.
Le ministre ne manqua pas de tirer parti de la défection des autres colonies. Aucune de ces colonies, dit-il, n'avance des prétentions semblables à celles du Bas-Canada, et tout présage un arrangement satisfaisant avec elles. Rendre le conseil législatif électif, serait créer une seconde chambre d'assemblée et un conseil exécutif responsable, ce qui était absolument incompatible avec les rapports qui devaient exister entre la métropole et la colonie, vain jugement d'un homme d'état qui devait être démenti si peu de temps après.
Il était évident que les ministres pourraient entreprendre maintenant tout ce qu'ils voudraient contre le Bas-Canada, et qu'ils seraient appuyés. Ils en avaient fait une question de race, et avaient feint de se donner pour les protecteur de cette minorité anglaise qui avait été le fléau de l'Irlande, disait O'Connell. Ils ne faisaient d'ailleurs que rester fidèles à un principe de gouvernement bien connu surtout dans les colonies, contenir la majorité par la minorité. Le résultat des débats fut le même dans la chambre des lords, lorsque lord Brougham y présenta la pétition de l'assemblée.
Cependant le bureau colonial qui savait qu'il violait un principe sacré de la constitution en ordonnant le payement des fonctionnaires sans vote de la législature, n'était pas sans inquiétude, car lord Glenelg avait écrit à lord Gosford dès le mois de mars qu'il espérait qu'il n'y avait aucun danger de commotion ou de résistance, mais que par précaution on allait probablement lui envoyer deux régimens. Ensuite craignant que cette démonstration ne fit du mal, il permit à lord Gosford de tirer du Nouveau-Brunswick les troupes dont il pourrait avoir besoin. 31
La sensation produite par le résultat des débats dans les deux chambres impériales, ne fut pas celle de la surprise en Canada. Les journaux qui soutenaient l'assemblée recommandèrent la fermeté et la persévérance; soutinrent que l'oppression et la tyrannie que voulait imposer l'Angleterre ne pouvaient être durables en Amérique, que le gouvernement des Etats-Unis serait bientôt forcé d'intervenir, qu'en un mot l'avenir était au peuple; qu'il fallait rester uni, qu'il fallait agiter, qu'il fallait cesser tout rapport commercial avec la métropole, qu'il fallait manufacturer soi-même les marchandises nécessaires à notre consommation, et ne rien acheter qui payât droit à la douane, afin d'épuiser le trésor, et d'obliger le gouvernement à suivre la volonté des représentans. On tint des assemblées publiques, surtout dans le district de Montréal, pour répandre les nouvelles idées économiques partout dans les villes et dans les campagnes. La Minerve et le Vindicator s'insurgèrent. «Pense-t-on, disait la première, qu'il nous faille succomber sous le poids de cette force, courber honteusement la tête sous le joug? Non, notre position comme peuple n'est que plus avancée, puisque les mesures de la métropole doivent contribuer à faire poursuivre avec plus d'activité que jamais cette lutte dont l'issue sera le succès des principes américains... Des protestations nouvelles, énergiques et telles qu'on ne puisse les méprendre, nous paraissent nécessaires et urgentes. La force d'inertie pour refuser toute coopération à un gouvernement qui ne veut pas respecter les principes constitutionnels et les droits inhérens d'un peuple, mais qui au contraire les rejette et les foule aux pieds; les nombreux moyens qui sont à la disposition de nos compatriotes pour tarir la source des revenus qu'on approprie sans le contrôle de la représentation du pays, ne peuvent nous être ôtés même par une loi du parlement impérial, et sont quelques unes des armes puissantes que les Canadiens ont en leurs mains et dont ils sauront se servir pour assurer leurs droits, ceux de leurs descendans et des autres colons dans quelque partie du globe qu'ils habitent.»
«Un parlement étranger, s'écriait à son tour le Vindicator, dans lequel le peuple de cette province n'est pas, ne peut-être représenté, est décidé à disposer de nos deniers sans le consentement et contre la volonté de ceux qui en ont l'appropriation de droit; il a résolu de faire de cette province une autre Irlande.»
«Qu'allons-nous faire, disait à Québec le Canadien, qui soutenait la minorité de la chambre avec le Populaire, nouveau journal établi à Montréal et rédigé par un français arrivé à point dans le pays pour soutenir le gouvernement. Allons-nous avec les débris du naufrage, essayer de nous remettre en mer et poursuivre notre route; ou bien allons-nous renoncer à notre destination en appelant la providence à notre aide, allons-nous rassembler un reste de vigueur pour tenter les hasards d'une nouvelle destinée?... Nous ne conseillons pas de prendre ce dernier parti.» Il sera encore temps d'en venir aux extrêmes lorsque nous aurons épuisé tous nos moyens de salut. Un peuple faible peut se résigner à un sort malheureux sans déshonneur; il y a une soumission honorable comme il y a une domination déshonorante.» Quant aux journaux de l'oligarchie, la persistance de l'assemblée dans le programme des 92 résolutions leur fournissait un prétexte d'exprimer sans réserve toute leur pensée; l'asservissement complet des Canadiens pouvait seul les satisfaire, et les deux Canadas devaient être réunis si cela était nécessaire pour noyer une bonne fois ce peuple français et catholique dans une majorité anglaise et protestante.
Les partisans de M. Papineau ne se découragèrent pas devant l'attitude hostile du parlement impérial et de l'Angleterre. Les assemblées publiques continuaient dans les campagnes. Celle du comté de Richelieu recommanda la réunion d'une convention générale. Les Irlandais de Québec s'assemblèrent le 15 mai, pour se déclarer en faveur de la cause canadienne et approuver ce qu'avait dit O'Connell de ses compatriotes qui s'étaient ligués avec le parti anglais; c'est-à-dire qu'ils voulaient renouveler en Canada les malheurs de l'Irlande. Mais ces démonstrations ne pouvaient produire rien par elles-mêmes sur la volonté de l'Angleterre, et il y avait à craindre qu'une fois l'élan donné à l'agitation, on ne put l'arrêter lorsqu'il serait à propos de le faire. Les esprits s'échauffaient de plus en plus; si le Populaire paraissait à Montréal pour les calmer, le Libéral naissait à Québec pour les exciter aux mesures extrêmes. Il s'opérait un changement singulier chez plusieurs individus. Des torys devenaient tout à coup des hommes du parti le plus avancé comme si l'attente des troubles eut excité leur ambition, et s'ils n'avaient vu de chances de la satisfaire que dans le parti qui menaçait le pays d'une révolution, tandis que de chauds partisans de la chambre ne voyant pas d'issue se rapprochaient des hommes modérés.
L'agitation qui commençait à devenir sérieuse dans beaucoup de comtés, finit par inquiéter le gouvernement, qui publia une proclamation dans le mois de juin, qu'on fit lire à la tête des milices, afin de mettre le peuple en garde contre les écrits et les discours propres à le séduire. Sans se laisser intimider par cet avertissement, M. Papineau entraîné par ses partisans descendit jusqu'à Kamouraska, accompagné de MM. Girouard, LaFontaine, Morin, et faisant des discours à l'Islet et à St.-Thomas où le Dr. Taché, partisan zélé, avait monté quelques têtes. A Missiskoui, à l'Assomption, à Lachenaie, à Deschambault, à l'Acadie, on protestait contre les mesures de la métropole, et le Daily Express de New-York publiait une correspondance canadienne où l'on parlait d'un appel aux armes et faisait l'histoire de la révolution américaine. Un peu plus tard, on pendait le gouverneur en effigie, et des bandes d'hommes armés rôdaient dans le comté du lac des Deux-Montagnes et obligeaient la justice d'intervenir. Partout enfin on s'agitait pour appuyer ou les 92 résolutions ou le gouvernement, dont les amis s'assemblaient à leur tour pour lui promettre leur appui et s'opposer au parti du mouvement. Leurs assemblées à Québec et à Montréal furent très nombreuses, beaucoup de gens s'y étant ralliés parce qu'ils étaient convaincus qu'il était hors de question de lutter contre l'Angleterre, les colonies divisées comme elles l'étaient. Dans les Etats-Unis les journaux étaient bien partagés, et l'on pouvait être certain que le gouvernement de Washington n'interviendrait que quand la cause républicaine serait à peu près gagnée, c'est-à-dire pour enlever le prix de la victoire.
C'est sur ces entrefaites qu'arriva la nouvelle que lord John Russell avait déclaré le 23 juin dans les communes, que comme il espérait que le Bas-Canada pèserait sérieusement les résolutions qu'elles avaient passées, il suspendrait le projet de loi auquel ces résolutions devaient servir de base, espérant qu'il verrait que ses demandes étaient incompatibles avec son état colonial; mais qu'il ne serait fait aucun changement organique à la constitution. C'était annoncer une nouvelle session à Québec. Lord Gosford répugnait, malgré son rapport avec les autres commissaires, aux mesures extrêmes; et quoiqu'il n'attendît aucun bien d'une dissolution, il espérait que les changemens qu'il suggérait de faire dans les deux conseils et que les ministres allaient finir par adopter, pourraient avoir un bon résultat. Il ne voulait pas croire non plus à des troubles sérieux, et il ne fit usage de l'ordre qu'il avait de faire venir des troupes du Nouveau-Brunswick que dans les derniers momens. Il pensait qu'il y avait beaucoup d'exagération dans les rapports des assemblées tenues par les partisans de M. Papineau; que les affaires pourraient marcher si les deux conseils étaient libéralisés, et que rien n'était plus erroné que de supposer que la masse des Canadiens-français fût déloyale; qu'il avait toutes les raisons de penser le contraire.
Malgré les troubles qui arrivèrent cette appréciation était parfaitement juste. Le premier voeu des Canadiens était de conserver leurs usages et leur nationalité; ils ne pouvaient désirer l'annexion aux Etats-Unis parce que ç'aurait été sacrifier ces deux choses qui lui sont si chères; et c'est la conviction que l'Angleterre travaillait à les leur faire perdre qui entraîna la plupart de ceux qui prirent part ensuite à l'insurrection. Lord Gosford sentait si bien cela qu'il recommanda d'ajouter sept Canadiens au conseil législatif et neuf au conseil exécutif.
Les chambres furent convoquées pour le 18 août. Lorsqu'elles s'assemblèrent, il leur dit qu'il voulait fournir une nouvelle occasion aux représentans du peuple de reconsidérer la marche qu'ils suivaient depuis quatre ans touchant les subsides, et de faire eux-mêmes les appropriations que la métropole ferait sans doute sans eux s'ils s'obtinaient dans leurs premières résolutions. Cette nouvelle tentative ne put ébranler la majorité des membres, qui vota une adresse dans laquelle elle protestait contre les recommandations contenues dans le rapport des commissaires.
Cette adresse fut présentée au gouverneur le 26 août, et le parlement prorogé aussitôt après par une proclamation dont M. Papineau trouva une copie sur son siège à son retour dans la salle des séances. Ce résultat avait achevé de convaincre lord Gosford que le parti de ce chef voulait la république, et qu'il se servait de l'animosité créée chez les Canadiens par les attaques violentes et injustifiables de la minorité pour maintenir son influence. 32
La brusque clôture des travaux législatifs n'était pas de nature à calmer les esprits. Dans le district de Montréal surtout le peuple était en plusieurs endroits entraîné par les agitateurs. Les assemblées, les discours se succédaient sans cesse dans les villes et dans les campagnes. Le gouvernement se mit à sévir contre ceux qui prenaient part à ces procédés, et destitua en grand nombre, les magistrats et les officiers de milice. M. Papineau qui avait répondu avec hauteur au secrétaire du gouverneur qui lui demandait s'il avait pris part à l'assemblée de St.-Laurent, était du nombre. Mais cela ne faisait guère que fournir des armes aux partisans du mouvement. Les jeunes gens surtout étaient emportés. Les associations politiques étendaient leurs ramifications parmi les ouvriers pour les exciter à appuyer la majorité de la chambre. On faisait les plus grands efforts pour soulever partout le peuple, mais on excitait plutôt la curiosité du grand nombre que les passions. Loin des villes, loin de la population anglaise et du gouvernement, il vit tranquille comme s'il était au milieu de la France, et ne sent que très rarement les blessures du joug étranger. La peinture qu'on lui faisait des injustices et de l'oppression du vainqueur n'excitait que bien lentement les passions de son âme et ne laissait aucune impression durable. D'ailleurs il n'avait pas une confiance entière dans tous les hommes qui s'adressaient à lui. Il en avait vu tant accuser le gouvernement d'abus et de tyrannie et accepter les premières faveurs qu'il leur offrait, qu'il était toujours prêt à soupçonner leurs motifs et leur bonne foi, et à se mettre en garde contre leur désertion.
Cependant sur quelques points il commençait à oublier sa prudence. Le comté des Deux-Montagnes était déjà fort agité depuis quelque temps. A St.-Denis et en plusieurs autres endroits on fêta les officiers de milice et les magistrats destitués; on forma des associations secrètes, et l'on commença à parler de résistance ouverte. Déjà une association de jeunes gens s'était formée à Montréal sous le nom de Fils de la liberté; elle publia un manifeste menaçant pendant que l'association constitutionnelle anglaise en publiait un dans un sens contraire. Ces associations avaient leurs agens dans les campagnes.
A Québec quelques jeunes gens, avocats, notaires et autres, après avoir vainement essayé de former une organisation semblable à celle des Fils de la liberté, reçurent un envoyé secret du district de Montréal, qui les informa qu'on allait prendre les armes, et qui les détermina à en faire autant. Un d'eux, M. Cazeau, homme facile à exciter et qui acheva de se ruiner dans ces troubles, comptant sur les ouvriers de St.-Roch, prépara quelques balles qu'on eut beaucoup de peine à cacher à la police, lorsque plus tard elle fit une descente chez lui. Ce club secret avait pris M. Morin pour chef. Mais ses idées ne faisaient pas grand progrès. M. Morin s'en plaignait à ses amis de comité central des Deux-Montagnes. Il leur écrivait le 25 octobre, pour les remercier de la manière dont ils appréciaient ses efforts pour le soutien des libertés populaires et de la cause canadienne: «Ces efforts ainsi que les vôtres, auraient déjà été couronnés de succès sans l'influence que les meneurs, l'intrigue, l'ignorance et la corruption ont exercée sur ceux qui avaient une prédisposition ou qui étaient les plus exposés... Avec de la constance et du courage nous détruirons un mal éphémère, nous démasquerons l'avilissement et la corruption de nos ennemis et de quelques ci-devant prétendus amis.»
M. Morin, malgré ce langage, était un homme doux, poli, d'un goût simple et studieux, ayant plutôt la suavité de manière d'un ecclésiastique, que l'ardeur emportée d'un conspirateur. On ne pouvait le charger d'un rôle qui fût plus contraire à son caractère. Ce qui faisait dire au Canadien; «Ce fut pour lui un jour bien malheureux que celui où il se posa chef de parti dans ce district. Tant qu'il n'eut qu'à agir sous la direction immédiate de volontés supérieures, plus habituées que lui au commandement, il vit s'accroître sa réputation d'homme habile; mais depuis il n'a fait que jouer de malheur, et prouver que s'il a les talents de l'exécution, il n'a pas encore acquis ceux de la direction.»
A St.-Denis, à St.-Charles, à St.-Eustache, à Berthier, à l'Acadie, on fit les mêmes préparatifs, malgré l'apathie de la masse de la population, qui n'était nullement disposée à prendre les armes pour renverser le gouvernement de vive force. Les têtes exaltées de Montréal résolurent de s'adresser au congrès des Etats-Unis pour demander le commerce libre. Petit à petit l'on augmentait ainsi de hardiesse jusqu'à ce que l'on commençât à inquiéter les hommes paisibles, qui mirent devoir faire des démonstrations en sens contraire. Le colonel de Hertel, qui commandait un bataillon de milice de 1500 hommes dans le comté des Deux-Montagnes même, ce centre d'agitation, écrivait au gouvernement que ses soldats étaient pleins de loyauté et prêts à obéir à ses ordres au premier appel qui serait fait. Mais le grand nombre ne voyant pas de danger réel, désirait laisser le gouvernement se retirer comme il pourrait de ces difficultés. Car c'eut lui qui en était la cause en voulant maintenir un ordre de chose plein d'injustices et de distinctions nationales. Mais lorsqu'ils virent le danger devenir réel et la résistance ouverte à St.-Denis et à St-Charles, ils sortirent de leur neutralité pour appuyer le gouvernement, et les Canadiens à Québec, à Montréal, à Berthier, à la Rivière-Ouelle, à Kamouraska, à Lotbinière, à Portneuf, à Champlain, aux Trois-Rivières et dans presque tous les comtés du pays lui présentèrent des adresses et se rallièrent à lui.
Jusque-là, la plupart des gens de la campagne surtout pensaient que l'agitation à Montréal finirait par s'apaiser. Mais loin de là, elle commençait à dégénérer en scènes de troubles inconnues jusqu'ici dans le pays. On donna des charivaris à quelques hommes impopulaires; on fit des menaces en differens endroits, qui fournirent un prétexte de donner des armes aux hommes fiables afin d'assurer le maintien de l'ordre, sans que ces précautions empêchassent les membres de la chambre de tenir à St.-Charles, le 23 octobre, une grande assemblée des habitans des comtés de Richelieu, St.-Hyacinthe, Rouville, Chambly et Verchères, auxquels se joignit le comté de l'Acadie et qui prirent le nom de confédération des six comtés. Il y avait une centaine miliciens sous les armes commandés par des officiers destitués. On y voyait une foule de drapeaux avec diverses inscriptions. «Vive Papineau et le système électif». «Honneur à ceux qui ont renvoyé leurs commissions ou ont été destitués». «Honte à leurs successeurs». «Nos amis du Haut-Canada». «Honneur aux braves de 1813; le pays attend encore leur secours». «Indépendance.» Le conseil législatif était représenté par une tête de mort et des os en croix.
Le Dr. Nelson, de St.-Denis, fut appelé au fauteuil. Il y assistait une douzaine de membres de la chambre. MM. Papineau, Nelson, L. M. Viger, Lacoste, Côté, T. S. Brown et Girod prirent la parole. On y fit une espèce de déclaration des droits de l'homme. M. Papineau qui commençait à s'apercevoir qu'om allait plus loin qu'il était prudent de le faire, prononça un discours qui mécontenta les esprits les plus ardens. M. Chasseur qui y assistait, s'en revint à Québec tout désappointé de la timidité du chef canadien. Il recommanda du s'abstenir de prendre les armes. La seule résistance constitutionnelle et le meilleur moyen de combattre l'Angleterre, c'était de ne rien acheter d'elle, 33 opinion qui déplut au Dr. Nelson, qui s'avança et déclara que le temps d'agir était venu. Les résolutions qu'on passa servirent de base à un appel au peuple, qu'on répandit avec profusion et qui engagea l'évêque de Montréal, M. Lartigue, à lui adresser un mandement pour le mettre en garde contre ces conseils, dans lequel il recommandait, suivant la doctrine catholique, l'obéissance au pouvoir établi. «Depuis longtemps mes très chers frères, nous n'attendons parler que d'agitation, de révolte même, dans un pays toujours renommé jusqu'à présent par sa loyauté, son esprit de paix et son amour pour la religion de ses pères. On voit partout les frères s'élever contre leurs frères, les amis contre leurs amis, les citoyens contre leurs concitoyens; et la discorde, d'un bout à l'autre de ce diocèse, semble avoir brisé les liens de la charité qui unissaient entre eux les membres d'un même corps, les enfants d'une même église, du catholicisme qui est une religion d'unité.
Note 33: (retour) Le Dr. O'Callaghan m'écrivait d'Albany, le 17 juillet 1852, «If you are to blame the movement, blame then those who plotted and contrived it and who are to be held in history reaponsible for it. We, my friend, were the victims, not the couspirators, and were I on my death bed I could declare before heaven that I have no more idea of a movement or resistance when I left Montréal and went to the Richelieu river with M. Papineau, than I have now of being bishop of Québec, And I also know that M. Papineau and I secreted ourselves for some time in a farmers home in the parish of St.-Marc, lest our presence might alarm that country and be made a pretext for rashness... I saw as clearly as I now see the country was not prepared.»
«Encore une fois, nous ne vous donnerons pas notre sentiment, comme citoyen, sur cette question purement politique qui a droit ou tort entre les diverses branches du pouvoir souverain; (ce sont de ces choses que Dieu a laissées aux disputes des hommes:) mais la question morale, savoir quels sont les devoirs d'un catholique à l'égard de la puissance civile établie et constituée dans chaque état, cette question religieuse, dis-je, est de notre ressort et de notre compétence...
«Ne vous laissez donc pas séduire si quelqu'un voulait vous engager à la rébellion contre le gouvernement établi, sous prétexte que vous faites partie du peuple souverain: la trop fameuse convention nationale de France, quoique forcée d'admettre la souveraineté du peuple puisqu'elle lui devait non existence, eut bien soin de condamner elle même les insurrections populaires, en insérant dans la déclaration des droits en tête de la constitution de 1795, que la souveraineté réside, non dans une partie, ni même dans la majorité du peuple, mais dans l'universalité des citoyens... Or qui oserait dire que, dans ce pays, la totalité des citoyens veut la destruction de son gouvernement...»
Ce mandement eut un grand retentissement. Dans le même Temps, le Canadien renouvelait ses instantes représentations sur l'absolu nécessité de se prononcer hautement contre le parti du mouvement et de la résistance, au nom de notre honneur national et de nos libertés menacées; et le clergé catholique de Montréal se mettait en rapport avec celui de Québec pour solliciter l'appui de l'exécutif dans une requête aux autorités impériales, qui aurait pour but d'obtenir le plutôt possible en faveur du peuple canadien tout ce qu'il pouvait attendre de réforme, afin d'apaiser les troubles et l'agitation. L'exécutif prenait aussi des mesures pour faire cesser cette agitation et faire respecter la loi partout. Pour donner main forte aux troupes, il arma une partie de la population anglaise de Montréal. Il organisa des corps de cavalerie, d'artillerie et d'infanterie. Il fit la même chose, à Québec en excluant soigneusement, comme à Montréal, les Canadiens quelque fussent leurs principes et malgré les offres de service d'un grand nombre de leurs notables. Il arma presque toute la population irlandaise, dont une grande partie faisait cause commune peu de temps auparavant avec les libéraux les plus exaltés, mobilité qui peut expliquer une partie des maux de l'Irlande. Six cents volontaires furent armés en quelques jours. Il manda enfin des troupes du Nouveau-Brunswick.
Cependant l'excitation était trop grande dans plusieurs localités pour s'apaiser tout à coup, et se terminer sans effusion de sang si les deux partis venaient en présence. Déjà il y avait eu des troubles sérieux à Montréal. Le 7 novembre, les Fils de la liberté et les constitutionnels, ou les membres du Dorie Club comme se nommèrent les Anglais, en vinrent aux mains avec des succès divers. La maison de M. Papineau et celle du Dr. Robertson, entre autres, furent attaquées et les presses du Vindicator saccagées. Les troupes furent appelées sous les armes et paradèrent dans les rues avec de l'artillerie.
Un grand nombre de mandats d'arrestation furent lancés contre les chefs canadiens dans les différentes localités, dont vingt-six pour haute trahison. M. Papineau, le Dr. O'Callaghan, le Dr. Nelson étaient dans cette dernière catégorie. A Québec comme à Montréal les arrestations se firent sans difficultés. M. Morin fut du nombre; mais dans les campagnes de Montréal on résolut d'opposer de la résistance, et les officiers de la justice furent mis en fuite. Alors on les fit accompagner par des corps de troupes qui furent repoussés en plusieurs endroits, mais qui triomphèrent à la fin. Entre Chambly et Longueuil, un détachement de cavalerie fut jeté en déroute et quelques prisonniers qu'il emmenait furent élargis. Un corps de troupes commandé par le colonel Gore et composé de cinq compagnies, de soldats, d'une pièce de canon et d'un détachement de cavalerie, parti de Sorel se dirigeant sur St.-Charles, fut arrêté à St.-Denis le 22 novembre, par le Dr. Nelson, qui s'était retranché dans une grande maison de pierre. Au bruit du tocsin 800 hommes se trouvèrent réunis sous les ordres de ce chef intrépide, mais presque tous sans armes et sans munitions. On n'avait qu'environ 120 fusils bons et mauvais. On s'était muni de lances, de fourches ou de bâtons. Une partie resta pour combattre et les autres s'éloignèrent. Le succès était si incertain, que le Dr. Nelson engagea M. Papineau qui se trouvait là avec le Dr. O'Callaghan dans le moment, à se retirer pour ne pas compromettre sa vie, et par là même la cause dont il était le chef. «Ce n'est pas ici, lui dit-il, que vous serez le plus utile; nous aurons besoin de vous plus tard.» Ainsi M. Papineau qui était opposé à la prise des armes à l'assemblée des six comtés, était déjà entraîné par le torrent, et sans faire de résistance se laissait promener au milieu des insurgés pour les encourager par sa présence, sans qu'on lui permît cependant d'exposer comme les autres, sa vie au feu, malgré les reproches sévères, observa-t-il lui-même au Dr. Nelson, qu'on pourrait lui faire plus tard s'il s'éloignait dans un pareil moment. 34
Les troupes en arrivant s'emparèrent des maisons voisines et se préparèrent au combat. Après avoir pris leur position, elles ouvrirent un feu d'artillerie et de mousqueterie qu'elles continuèrent pendant quelque temps. Voyant son peu d'effet, le colonel Gore ordonna au capitaine Markham de donner l'assaut à une distillerie défendue par une quinzaine de Canadiens, qui l'incommodaient beaucoup tout en protégeant les insurgés; mais après des efforts inutiles, l'attaque dut être abandonnée. Le capitaine Markham y fut grièvement blessé.
Vers 2 heures, les insurgés reçurent un secours qui porta le nombre des fusils à 200 environ. Alors ils résolurent sur quelques points de prendre l'offensive, et ils réussirent à déloger et à mettre en fuite un corps de troupes qui s'était embusqué derrière une grange. Enfin après six heures de combat, les troupes furent partout obligées d'abandonner la victoire aux rebelles, qui les poursuivirent quelque temps, s'emparèrent de leur canon, de quelques blessés et d'une partie de leurs voitures et de leurs munitions.
M. Ovide Perrault, membre de la chambre, fut mortellement blessé par un boulet de canon, dans le moment même qu'un autre renversait cinq hommes et jetait quelque confusion dans les rangs des Canadiens.
En même temps que ce combat avait lieu, un autre corps de troupes fort de 330 hommes, 2 pièces de canon et quelques cavaliers, commandé par le colonel Wetherall, venant de Chambly, et qui devait opérer sa jonction avec celui du colonel Gore, pour attaquer réunis les insurgés à St.-Charles, où on les disait en force et retranchés, s'avançait lentement parce que les ponts sur les rivières avaient été coupés. Quoiqu'il n'eût pas trouvé le colonel Gore au lieu indiqué, il continua sa route recevant quelques coups de fusils sur plusieurs points en arrivant à St.-Charles; il atteignit les retranchemens des insurgés, le 25 novembre. Ces retranchemens formés d'arbres renversés, recouverts en terre appuyés sur la maison de M. Debartzch, qu'on avait crénelée et percée de meurtrières, formaient un parallélogramme entre la rivière et le pied d'une petite colline qui le dominait par derrière. Il était défendu par plusieurs centaines d'hommes, la plupart toujours sans armes, commandés par M. T. S. Brown, qui prit la fuite avant l'attaque. Les insurgés avaient pour toute artillerie deux pièces de canon dont ils tirèrent un coup ou deux. Le colonel Wetherall prit possession de la colline, plaça son artillerie dans les positions les plus favorables, et enveloppa le camp de ses troupes, de manière à ne laisser aucune issue aux insurgés pour échapper que la rivière. Après avoir fait ses dispositions, il donna l'ordre de l'attaque. Les rebelles répondirent avec vigueur au feu des troupes; et en jetant quelques hommes parmi des arbres qui étaient à droite, ils obligèrent le colonel Wetherall de faire appuyer les grenadiers qui étaient sur ce point par une autre compagnie. Le feu de mousqueterie durait environ depuis une heure lorsque l'artillerie ayant renversé les fragiles retranchemens qui couvraient les rebelles, et semé la confusion dans leurs rangs, ce commandant fit charger son infanterie à la bayonnette. Elle s'empara dit camp d'emblée, et massacra un grand nombre d'insurgés qui osaient se défendre encore. On ne fit qu'une trentaine de prisonniers. Le nombre des tués dépassa 100, celui des blessés fut considérable.
Après cette victoire tout fut brûlé dans le camp excepté la maison de M. Debartzch, et les insurgés qui avaient pu se sauver s'étant dispersés, Wetherall retourna à Montréal par Chambly et St.-Jean, dispersant encore à la Pointe-Olivier un rassemblement qui voulut intercepter son retour.
A la suite de ces deux combats, le district de Montréal fut mis sous la loi martiale, tandis que le peuple commençant enfin à se remuer partout, s'assemblait dans les comtés, dans les villes et dans les paroisses, pour protester contre l'insurrection et assurer le gouvernement de sa fidélité. M. LaFontaine et M. Leslie s'apercevant maintenant comme bien d'autres qu'on s'était trop obstiné, descendirent à Québec pour prier lord Gosford de convoquer les chambres, afin de prendre les mesures nécessaires dans les circonstances; mais il était trop tard de toute façon puisque l'assemblée aurait paru comme vaincue et le gouvernement comme vainqueur. C'était aux chefs à prévoir ce résultat, et à ne pas se mettre dans le cas de subir toutes les conséquences d'une défaite sans avoir réellement combattu; car les petits chocs qui venaient d'avoir lieu n'étaient que le fruit d'une agitation locale prolongée au-delà des bornes raisonnables, mais insuffisante pour amener un soulèvement en masse et une véritable révolution. Lord Gosford refusa.
Cependant l'insurrection était vaincue sur la rive droite du St,-Laurent. Un dernier parti venant des Etats-Unis avait été pris ou dispersé à Four Corners, sur l'extrême frontière près du lac Champlain. Il ne restait plus qu'un point à soumettre sur la rive gauche, St.-Eustache. Depuis quelques jours il y avait beaucoup d'agitation dans le comté des Deux-Montagnes. On y avait fait des tentatives inutiles de soulèvement. Le Dr. Chénier et Armury Girod, Suisse depuis quelques années en Canada, en étaient les principaux chefs. Ils s'emparèrent des fusils et d'une pièce de canon qu'il y avait au village des Sauvages puis marchèrent avec leurs hommes sur St.-Eustache, où ils prirent le couvent de force et s'y retranchèrent. Le curé, M. Faquin, M. Scott, membre de la chambre, M. Emery Feré, voulurent vainement les persuader d'abandonner leur entreprise; leurs discours n'eurent d'influence que sur leurs suivans, auxquels M. Desèves, vicaire de St.-Eustache, lut une proclamation qu'avait publiée sir John Colborne. Vaincus par leur conseil, ils abandonnèrent tous le camp et s'en retournèrent chez eux, ne laissant qu'un jeune homme au couvent. D'autres, cependant, venant du Grand-Brûlé et d'ailleurs les remplacèrent, et pendant plusieurs jours il y eut de quatre à quinze cents hommes vivant à discrétion dans le village, mais presque tous sans armes. C'est sur ces entrefaites qu'arriva la nouvelle de l'affaire de St.-Charles et de la dispersion des rebelles dans le sud. Croyant cette occasion favorable, M. Paquin invita le Dr. Chénier au presbytère et le pressa de nouveau de renoncer à ses dangereux projets. Tous ceux qui étaient présens, ecclésiastiques et séculiers, se joignirent à lui pour lui faire les mêmes instances en lui mettant sous les yeux toute l'inutilité de son entreprise et toutes les conséquences funestes qui devaient en résulter; mais ce fut en vain. Chénier prétendit que les nouvelles de St.-Charles étaient fausses; qu'il venait d'apprendre par un courrier que les patriotes étaient vainqueurs dans le sud, et il ajouta que pour lui sa résolution était inébranlable, qu'il était déterminé à mourir les armes à la main. Malgré son opiniâtreté cependant on s'aperçut qu'il ne pouvait surmonter une profonde émotion, et que de temps en temps de grosses larmes s'échappaient de ses yeux et coulaient sur son visage malgré ses efforts pour les retenir. N'ayant pu le dissuader de son dessein, le bon curé se vit obligé de s'éloigner et d'abandonner sa maison et l'église aux rebelles. Beaucoup de familles étaient déjà parties ou partaient à tout instant pour Montréal ou pour les paroisses voisines. Le bruit s'était répandu plusieurs fois que les troupes paraissaient, et ceux qui étaient bien informés savaient que les insurgés n'étaient pas assez nombreux pour résister aux forces qu'ils allaient avoir sur les bras.
En effet sir John Colborne arrivait avec deux mille hommes huit pièces de canon et une pièce à rockets. A l'aspect de cette colonne d'autant plus imposante qu'elle couvrait avec ses bagages plus de deux milles de chemin, le plus grand nombre de ceux qui composaient l'attroupement alors réuni et qui pouvait s'élever à 5 ou 600 hommes, voyant qu'ils s'étaient trompés, s'esquivèrent et laissèrent Chénier avec environ 200 à 250 hommes seulement, qui se placèrent dans l'église, dans le couvent dans le presbytère et dans les maisons voisines. Plusieurs n'avaient pas d'armes, ce dont ils se plaignirent à leur chef, qui leur répondit froidement: «Soyez tranquilles, il y en aura de tué et vous prendrez leurs fusils.»
Les troupes cernèrent complètement le village en arrivant, et leur artillerie ouvrit son feu. Les insurgés y répondirent bravement tant qu'ils eurent des munitions, et obligèrent même une batterie à reculer. Après une canonnade de deux heures, les volontaires du capitaine Leclerc, le 32e régiment et les royaux s'approchèrent et ouvrirent un feu terrible, qui durait depuis quelque temps lorsque l'ordre vint de donner l'assaut. L'incendie se déclarait dans le même temps dans les édifices occupés par les rebelles. La fusillade et les flammes les obligèrent de tout abandonner, excepté l'église qui fut bientôt cornée à son tour par les troupes et par l'incendie qui approchait. Chénier voulut en vain s'y défendre encore, les flammes marchant comme un torrent, l'obligèrent d'en sortir. Il réunit alors quelques-uns de ses gens, sauta avec eux par les fenêtres et chercha à se faire jour au milieu des assaillans; mais atteint par une balle dans le cimetière, il tomba et expira presqu'immédiatement. Ce ne fut plus alors qu'une scène de carnage. On ne fit de quartier à personne, et le reste du village fut abandonné au pillage et aux flammes.
Lorsqu'on les enterra, on trouva sur plusieurs des tués des balles de pierre dont ils se servaient pour tirer en guise de balles de plomb. Girod qui avait pris la fuite avant le combat, se voyant sur le point d'être pris quelques jours après par des hommes envoyés après lui, se tua d'un coup de pistolet. 35
Le combat de St.-Eustache fut le dernier livré à l'insurrection.
Les troupes marchèrent alors sur St.-Benoît, qui ne fit aucune résistance, mais qui subit le sort de St.-Eustache et de St.-Denis, où on avait renvoyé une nouvelle expédition de 1100 hommes, qui malgré la soumission des habitans n'en détruisit pas moins le village pour venger la défaite du 22. L'insurrection était maintenant abattue. Les chefs étaient eu fuite ou prisonniers. M. Papineau qui s'était montré aux insurgés avant les affaires de St.-Charles et de St.-Eustache comme avant celle de St.-Denis, parvenait aux Etats-Unis avec plusieurs autres personnes compromises. Les journaux de leur parti étaient saisis ou muets, et le peuple partout soumis à l'autorité, qui continuait à recevoir de toutes parts des adresses propres à la rassurer. Le clergé fit entendre de nouveau sa voix sur les ruines qu'avait faites la tempête qui venait de passer. Les évêques de Québec et de Montréal publièrent de nouveaux mandemens, annonçant des prières en actions de grâces pour remercier Dieu du rétablissement de la paix. «Quelle misère, quelle désolation s'est répandue dans plusieurs de vos campagnes, disait l'évêque de Montréal, depuis que le fléau de la guerre civile a ravagé cet heureux et beau pays, où régnaient l'abondance et la joie avec l'ordre et la sûreté, avant que des brigands et des rebelles eussent à force de sophismes et de mensonges, égaré une partie de la population de notre diocèse! Que vous reste-t-il de leurs belles promesses...? Est-ce le voeu de la majorité du pays, qui néanmoins selon leurs principes doit régler tout dans un état? Est-ce cette volonté générale qui a dirigé les opérations militaires des insurgés? Vous trouviez-vous libres, lorsqu'on vous menaçant de toutes sortes de vexations, de l'incendie et de la perte de tous vos biens, de la mort même, si vous ne vous soumettiez à leur effrayant despotisme, ils forçaient plus de la moitié du petit nombre qui a pris les armes contre notre auguste souveraine à marcher contre ses armées victorieuses?»
«De notre côté, ajoutait l'évêque de Québec, pendant les désastres dont quelques parties de cette province ont été le théâtre, nous avons à l'exemple de Moïse, conjuré le Seigneur de ne point perdre son peuple et son héritage; et aujourd'hui nous avons, ainsi que vous, le bonheur de voir que ce Dieu de bonté a écouté favorablement nos humbles prières.»
Mais si le calme se rétablissait dans le Bas-Canada, le Haut était menacé à son tour de la révolte. M. W. L. MacKenzie avait levé l'étendard de l'insurrection à Navy-Island à deux milles au-dessus de la chute de Niagara, où il s'était réfugié avec un corps de mécontens et d'Américains. Dans le district de Londres quelques rebelles erraient çà et là; ils ne purent tenir cependant longtemps la campagne; un parti fut mis en déroute dans ce district même; un autre fut défait à Amherstburgh, et M. MacKenzie lui-même fut obligé plus tard d'évacuer son île après avoir subi un bombardement de plusieurs jours; de sorte que bientôt la paix se trouva rétablie dans le Haut comme dans le Bas-Canada. Il rôda bien encore il est vrai une partie de l'hiver des bandes d'Américains et de rebelles sur les frontières des deux provinces sous les ordres de MacKenzie, du Dr. Robert Nelson et autres; mais dans l'intérieur elles restèrent tranquilles, et chaque fois que ces bandes voulurent les envahir, elles furent repoussées jusqu'à ce que le gouvernement des Etats-Unis intervint et fît cesser ces déprédations en réunissant des forces suffisantes sous les ordres des généraux Scott et Brady, pour faire observer les lois de la neutralité partout.
Ailleurs, dans le Nouveau-Brunswick, dans la Nouvelle-Ecosse, tout était tranquille. A la première nouvelle des troubles du Canada, le peuple s'était assemblé et avait rassuré le pouvoir. L'un des chefs du parti libéral de la Nouvelle-Ecosse, M. Howe, écrivait: «Quoique je n'éprouve aucune sympathie pour la faction officielle du Bas-Canada, et que je haïsse et méprise aussi fortement que vous, les hommes et les mesures qui dans toutes les provinces de l'Amérique Septentrionale, ont excité de l'opposition et des plaintes,... je partage jusqu'à un certain point depuis quelque temps les soupçons qui règnent, je vous l'assure, très généralement dans les colonies d'en bas, que votre parti est déterminé à précipiter à tout hasard une lutte avec la mère-patrie... Le langage des derniers numéros du Vindicator ne laisse plus lieu à douter sur ce point.
«Prenant donc pour établi qu'une rupture soudaine et violente du lien qui nous unit à la Grande-Bretagne est désirée par le parti Papineau en Canada, ou par une grande portion de ce parti, je puis dire avec assurance qu'au moins les sentimens des sept-huitièmes de la population des provinces d'en bas sont opposés à un pareil mouvement...»
Qu'allait-il maintenant résulter de ces événemens dus à un système de gouvernement qui n'était plus en harmonie avec les idées et les progrès du pays? Car si la grande majorité du peuple était restée étrangère à cette tentative de révolution, le gouvernement dans les deux Canadas n'en avait pas moins besoin de réformes. Il ne suffisait pas d'avoir abattu la révolte, il fallait prendre des mesures pour en prévenir le retour. Malheureusement ce sont ceux qui avait le plus de droit de se plaindre qui allaient être punis, et dès ce moment l'on peut dire que l'union des deux Canadas fut fait.
Déjà avant les troubles, la reine en ouvrant le parlement le 20 novembre, avait appelé l'attention des chambres sur nos affaires. M. Hume et M. Leader avaient interpellé les ministres pour leur demander quelle marche ils allaient suivre maintenant que leurs mesures avaient poussé un peuple moral, tranquille et religieux sur le bord même d'une révolution, et que le Haut-Canada faisait cause commune avec le Bas? Lord John Russell avait défendu sa conduite tout en refusant de dire ce qu'il allait faire. Il annonça qu'on avait accepté la résignation de lord Gosford, qui demandait son rappel depuis quelque temps, et que sir John Colborne, allait le remplacer temporairement. Lorsque la nouvelle des troubles arriva, quelques marchands en relation avec les nôtres, se présentèrent au bureau colonial avec M. Gould à leur tête et reçurent de lord Glenelg l'assurance que les sujets fidèles seraient protégés, et les rebelles soumis par la force des armes. Déjà les Anglais à Québec, et surtout à Montréal, s'agitaient pour demander l'union des deux Canadas. C'était l'attente de cette mesure que les ministres voyaient toujours comme inévitable dans un avenir plus ou moins éloigné, qui les avait empêchés de faire des concessions réelles au Bas-Canada. Ils ne voulaient pas laisser trop grandir cette nationalité française qui offusquait leurs préjugés, et aux bruits qui transpiraient de temps à autre, on pouvait croire que dès que le parti anglais ne pourrait plus tenir tête au parti canadien, tout appuyé qu'il était de la métropole, et que la population du Haut-Canada serait assez considérable, on réunirait les deux provinces pour mettre fin une bonne fois à la querelle de race.
Lord Gosford partit de Québec à la fin de février 1838, pour l'Europe, par la voie des Etats-Unis. Le gouverneur du Haut-Canada, sir Francis Bond Head, qui avait demandé aussi son rappel, le suivit peu de temps après. Plusieurs journaux d'Angleterre blâmaient la conduite de leur ministère au sujet de nos affaires; mais il n'y avait aucun doute que la grande majorité de la nation et des chambres le soutiendrait dans tout ce qu'il voudrait entreprendre au préjudice des Canadiens-français, pour lesquels il y avait peu d'intérêt ou de sympathie. Les sentimens du Nouveau-Brunswick leur étaient aussi très hostiles comme les débats qui eurent lieu dans leur chambre le prouvèrent. Cette province était prête à soutenir la métropole, pour renverser tous leurs arrangemens sociaux. C'est une nouvelle conquête des Canadiens qu'il faut faire, s'écriait un de ces membres influens, M. Wilmot, inspiré par la gazette de Montréal. Dans le Haut-Canada, où la question de l'union avait été amenée devant les chambres, la branche représentative n'en voulait qu'à la condition que la prépondérance fût assurée aux Anglais, et que les lois et la langue française fussent abolies dans la législature et les tribunaux.
Tels étaient partout les sentimens à notre égard. Tel fut aussi le résultat du mouvement de 37, dont celui de l'année suivante bien moins sérieux, ne fut que le contre coup. Ce mouvement fut prématuré et inattendu. Le peuple dans aucune partie du pays n'y était préparé. Il n'y avait que les hommes les plus engagés dans la politique, les journalistes, les partisans souvent courant alternativement d'un camp à l'autre, qui ne voyaient qu'une révolution capable de porter remède aux abus qui existaient ou de satisfaire leurs vues personnelles. Ils s'excitèrent réciproquement les uns les autres: ils se montèrent l'imagination; ils ne virent plus les choses sous leur véritable jour. Tout prit à leurs yeux une grandeur ou une petitesse exagérée. Leurs sentiment changèrent. Bientôt ceux que l'intérêt personnel seulement animait, se crurent patriotes à force de se proclamer tels, et de se mêler avec ceux qui l'étaient réellement. Mais le temps devait faire connaître les uns et les autres, car il n'y a que les hommes sincères qui subissent la conséquence de leur entraînement avec l'indépendance qui seuls donne de la noblesse à une cause.
CHAPITRE III.
UNION DES DEUX CANADAS.
1838-1840.
Effet des troubles de 1837 en Angleterre, en France et dans les Etats-Unis.--Mesures du parlement impérial.--Débat, dans les deux chambres.-- Suspension de la constitution.--Lord Durham nommé gouverneur.--Son arrivée à Québec; train royal qn'il mène.--Sa proclamation au peuple.-- Il organise son conseil.--Les accusés politiques sont amnistiés ou éloignés temporairement.--M. Wakefield député secrètement vers M. Papineau, et quelques autres chefs.--Attitude des partis--Lord Durham dans le Haut-Canada.--Il y rallie la majorité à son plan d'union.--Réunion des gouverneurs des provinces du golfe à Québec--L'ordonnance d'amnistie qui exile quelques accusés à la Bermude, est désavouée en Angleterre--Lord Durham résigne son gouvernement.--Adresses qu'il reçoit et réponses. Il s'embarque pour l'Europe.--Sir John Colborne lui succède.--Une nouvelle insurrection s'organise dans la Rivière Chambly et est abandonnée. --Colborne y marche avec 7 à 8000 hommes.--Il incendie le pays.-- Arrestations nombreuses.--Procès des accusés.--89 sont condamnés à mort et 13 exécutés.--47 sont exilés.--Rapport de lord Durham.--Le bill d'union introduit dans le parlement impérial.--Il est ajourné à l'année suivante.--M. Poulett Thomson gouverneur.--Il arrive à Québec--Il monte dans le Haut-Canada et y convoque les chambres. Il leur fait agréer les conditions du bill d'union, qui est enfin passé malgré les pétitions du Bas-Canada, et l'opposition du duc de Wellington et de lord Gosford.--L'union proclamée en Canada.--Remarques générales.--Population et autres renseignemens statistiques du Bas-Canada, au temps de l'union.--Conclusion.
MAINTENANT Qu'allait-il advenir de cette résistance inattendue et aussitôt vaincue qu'offerte? Ce que le gouvernement désirait depuis si longtemps, une occasion de réunir les deux Canadas. Quoiqu'il eût échoué en 1822, l'adresse de sa politique avait enfin amené les choses au point où il voulait pour assurer un succès complet. La précipitation de M. Papineau avança sans doute le terme; mais le bureau colonial y tendait sans cesse, et pour un oeil clairvoyant, cette tendance devait amener ses fruits, c'est-à-dire un choc plus au moins tardif; car il est dans la nature des choses d'offrir de la résistance avant de cesser d'exister ou de changer de nature. C'est une loi morale comme une loi physique. Le mensonge ne remplace pas la vérité sans combat, et la lutte constitue en morale ce que l'on appelle la conscience. Malgré leur beau langage, les ministres n'étaient pas encore assez simples pour croire que l'on prendrait au pied de la lettre ce qu'ils disaient, et ils savaient bien que les Canadiens s'opposeraient au mal réel qu'on voulait leur faire sous des prétextes spécieux et le prestige des maximes libérales les plus avancées.
Les troubles qui venaient d'avoir lieu dans un pays dont les annales avaient été jusque là pures de toute révolte, firent sensation non seulement en Angleterre, mais aux Etats-Unis et en France. En Angleterre aux premières nouvelles, on prit des mesures pour envoyer des renforts de troupes. Aux Etats-Unis, le gouvernement avait de la peine à retenir les citoyens qui se portaient par centaines sous les drapeaux de MacKenzie, et qui continuèrent tout l'hiver à inquiéter le Haut-Canada. En France où le Canada était si profondément oublié, on se demandait ce que c'était, et on se rappela en effet qu'on y avait eu des frères autrefois. On tourna les yeux vers nous, et un journal républicain parlait déjà de la formation d'une légion auxiliaire, pour venir à notre aide. La gazette de France plus grave, observait: «Là encore, nous retrouvons l'Irlande opprimée, soumise au joug arbitraire de la conquête, opprimée dans ses croyances, nominalement unie, mais séparée par une choquante inégalité politique... On a cru que la conquête pouvait faire des nationalités au gré d'une diplomatie sans entrailles, que la terre pouvait se diviser comme une pièce d'étoffe et les peuples se partager comme des troupeaux; parce que l'invasion et les combats ont livré un territoire et une population au vainqueur, celui-ci s'est cru en droit de se les approprier, de leur imposer ses lois, sa religion, ses usages, son langage; de refaire par la contrainte toute l'éducation, toute l'existence d'un peuple, et de le forcer jusque dans ce qu'il y a de plus sacré parmi les hommes, le sanctuaire inviolable de la conscience... De quoi s'agit-il en effet à Québec et à Montréal? Du vote de l'impôt, du droit commun, de la représentation de ces principes de nationalité que les émigrans français au nord de l'Amérique ont transportés avec eux, de même qu'Enée, selon la fable, emporta avec lui ses dieux, les moeurs d'Illion et ses pénates...
«Et comme pour donner au monde une marque visible de la nature de ce mouvement et de son accord avec le principe de vérité, les deux hommes que l'on voit à la tête sont un Français, Papineau, et un Irlandais, O'Callaghan, tous deux catholiques, tous deux réclamant la liberté religieuse, la liberté politique, les institutions et les lois sous lesquelles les sociétés auxquelles ils appartiennent se sont formées et développées.»
Si la révolte eût été sérieuse, le gouvernement des Etats-Unis eût été entraîné, et plus tard peut-être celui de France, ce qui aurait été plus que suffisant pour assurer l'indépendance des deux Canadas. Mais comme les troubles qui venaient d'éclater, était plutôt le fruit d'une lutte politique prolongée, qu'une détermination formelle de rompre avec l'Angleterre, les chefs du mouvement ne s'étaient laissés entraîner qu'à la fin, et encore dans l'adresse des six comtés, si on faisait des menaces on parlait aussi de redressement de griefs. Cela est si vrai, que nuls préparatifs n'avaient été faits pour une insurrection. On n'avait ramassé ni armes, ni munitions, ni argent, ni rien de ce qui est nécessaire à la guerre. A St.-Denis, comme à St.-Charles, les trois quarts des hommes n'avaient pas de fusils, et l'attaque vint des troupes chargées d'appuyer des officiers civils et non pas d'eux. Néanmoins comme cela était d'un dangereux exemple, il fallait sévir sur le champ, car en pareil cas une colonie qui se révolte devient comme une nation étrangère qui déclare la guerre. La métropole entière s'arme contre elle. Dès le jour de l'ouverture des chambres impériales 16, janvier, lord John Russell annonça les mesures qu'il entendait prendre au sujet du Canada, et fit passer une adresse pour assurer la reine que le parlement était prêt à l'appuyer dans la suppression des troubles qui venaient d'y éclater, et le lendemain il présenta un bill pour en suspendre la constitution.
Ce bill suscita des débats qui se renouvelèrent dans les deux chambres pendant plusieurs jours; mais une partie de l'opposition n'avait saisi l'occasion que pour faire la guerre au ministère, et non pour défendre les intérêts des Canadiens-français. C'étaient des récriminations entre les torys et les whigs, entre sir Robert Peel et lord John Russell, lord Howick, etc. M. Roebuck fut entendu devant les deux chambres, comme agent du Canada, et fit un discouru de quatre heures, devant celle des communes. Mais son influence y était alors en baisse; et d'ailleurs sa conduite n'était pas toujours prudente. Ainsi il avait assisté à une assemblée tenue à Londres, sous la présidence de M. Hume, où après avoir déclaré que la possession du Canada n'était d'aucun avantage pour l'Angleterre, attendu qu'elle donnait un prétexte pour maintenir le monopole commercial, on invitait le peuple à s'assembler dans tout le royaume, pour pétitionner le parlement et engager les ministres à renoncer à leurs mesures contre cette colonie. Agiter une pareille question pour un pareil motif à l'époque d'un mouvement insurrectionnel, c'était paraître l'encourager et augmenter les soupçons contre les Canadiens. Néanmoins lord Brougham, lord Cienelg, le due de Wellington dans la chambre des lords; lord John Russell, M. Warburton, M. Hume, M. Leader, M. Stanley, dans celle des communes, blâmèrent la conduits des ministres et leur attribuèrent les événemens qui étaient arrivés. Lord Brougham surtout fit un long et magnifique discours, dans lequel il recommanda la clémence envers les insurgés, et justifia le droit de révolte; «Lorsqu'on blâme les Canadiens avec tant de véhémence, dit-il, qui leur a appris à se révolter, je le demande? Où, dans que; pays, de quel peuple ont-il pris la leçon? Vous vous récriez contre leur révolte, quoique vous ayez pris leur argent contre leur consentement, et anéanti les droits que vous vous faisiez un mérite de leur avoir accordés. Vous énumérez leurs autres avantages; ils ne payent pas de taxes; ils reçoivent des secours considérables de ce pays; ils jouissent de précieux avantages commerciaux que nous payons cher, et vous dites: toute la dispute vient de ce que nous avons pris vingt mille louis sans le consentement de leurs représentans! Vingt mille louis sans leur consentement! Certes, ce fut pour vingt shellings qu'Hempden résista, et acquis par sa résistance, un nom immortel, pour lequel les Plantagenets et les Guelphes auraient donné tout le sang qui coulaient dans leurs veines! Si résister à l'oppression, si s'élever contre un pouvoir usurpé et défendre ses libertés attaquées, est un crime, qui sont les plus grands criminels? Qui sont-ils, si ce n'est nous-même peuple anglais? C'est nous qui avons donné l'exemple à nos frères américains. Prenons garde dr les blâmer trop durement pour l'avoir suivi!
«D'ailleurs vous punissez toute une province, parce qu'elle renferme quelques paroisses mécontentes; vous châtiez même ceux qui vous ont aidés à étouffer la révolte.»
La minorité contre le bill des ministres dans les communes ne fut que de 7 ou 8, la moitié des membres étant absens. Cette opposition cependant fit restreindre les pouvoirs temporaires qu'on voulait donner au gouverneur et au conseil spécial auxquels on allait abandonner l'administration du Canada pendant la suspension de la constitution et la nouvelle enquête qu'on allait faire sur les lieux. Lord Durham qu'on avait choisi pour cette double mission, en homme adroit, pour disposer favorablement les Canadiens en sa faveur, fit un discours dans la chambre des lords dans lequel après avoir annoncé qu'il ferait respecter la suprématie de l'Angleterre jusque dans la chaumière la plus reculée, il ajoutait qu'il ne reconnaîtrait aucun parti, français, anglais ou canadien; qu'il les regarderait tous du même oeil, et qu'il désirait assurer à tous une égale justice et une égale protection.
Dans ces débats les ministres cachèrent leur but secret avec le plus grand soin, et montrèrent jusqu'à la fin une adresse inconcevable, qui en imposa à beaucoup de gens. Lord John Russell déclara que la couronne userait de sa prérogative pour autoriser lord Durham à faire élire dix personnes dans le Bas-Canada, vu qu'il était presqu'impossible de réunir l'ancienne chambre, et un pareil nombre dans le Haut, s'il le jugeait à propos, pour lui servir de conseil sur les affaires de la colonie, afin que la nouvelle constitution qu'on pourrait adopter ne parût pas provenir uniquement de l'autorité des ministres et du gouverneur, mais de personnes versées dans les affaires de la colonie et qui y eussent des intérêts. Lord Howick fit un long discours surtout en réponse à sir Robert Peel, dans lequel il affecta fort d'insister sur la nécessité de rendre justice aux Canadiens. Ainsi il disait: «Si je pensais que la grande masse de ce peuple fût entièrement sans amour pour ce pays, je dirais que la seule question que nous aurions à considérer, serait de voir comment une séparation finale pourrait s'effectuer sans sacrifier les intérêts des Anglais. Mais je ne pense pas que la masse des Canadiens soit hostile à l'Angleterre, par ce que leur alliance avec elle leur est plus nécessaire à eux qu'à nous; que si c'est pour leurs lois et leurs usages particuliers qu'ils combattent, entourés qu'ils sont par une population de race différente, si la protection de l'Angleterre leur était retirée, ils auraient à subir un changement beaucoup plus violent, beaucoup plus subit, beaucoup plus général que celui qui aura lieu probablement.»
Il croyait que le nombre de ceux qui voulaient l'indépendance était peu considérable; que l'on avait été conduit pas à pas là où l'on en était, chacun espérant amener ses adversaires à ce qu'il voulait. Il ne désespérait point de satisfaire les deux partis; mais le système responsable était inconciliable avec les rapports qui devaient subsister entre une colonie et une métropole. Lord Howick répéta la même opinion et, comme tous les autres, évita avec soin de parler de l'union des deux Canadas.
Dans tous les débats qui eurent lieu, on observa la même réserve; on ne voulut rien dire de ce que l'on avait intention de faire; on se renfermait dans des termes généraux. Sir W. Molesworth désapprouvait la suspension de la constitution; mais approuvait le choix de lord Durham. «Si la violation partielle de la constitution, ajoutait M. Grote, a déterminé les Canadiens à s'armer pour la défense de leurs droits, si lord Gosford a provoqué une révolte en adoptant quelques résolutions, quelle ne devrait pas être la conséquence d'une mesure qui suspendra la constitution et confisquera les libertés populaires?» M. Warburton se déclarait pour l'émancipation; «L'Angleterre a aidé, disait-il, à préparer la liberté en Grèce, en Pologne, dans l'Amérique du sud, en Hanovre, pourquoi vouloir exclure de ce bienfait le peuplé canadien?»
Ces idées avancées ne faisaient pas sortir les ministres de leur silence. M. Ellice, qui n'était pas toujours dans leur secret, quoique leur ami, et qui n'avait pas, comme on sait, leur finesse, approuvait le choix de lord Durham, tout en recommandant de gouverner le Canada comme l'Irlande.
Les lords Brougham, Ellenborough et Mansfield protestèrent contre la suspension de la constitution, parce qu'elle était devenue inutile depuis la suppression de la révolte. Lord Ellenborough leur reprocha de vouloir unir les deux Canadas, et que c'était pour cela qu'ils insistaient sur cette suspension. Lord Glenelg, dévoilé par cette apostrophe subite, désavoua hautement une pareille intention, et déclara que le gouvernement voulait seulement modifier la constitution existante, parce que l'union ne pouvait se faire que du consentement des deux provinces. On croyait pouvoir en imposer d'autant plus facilement par ce langage que les ministres affectaient dans les débats de parler des Canadiens comme d'hommes ignorans et simples, faciles à tromper, malgré les troubles récens, qui prouvaient, cependant, qu'ils savaient du moins apprécier leurs droits.
Après beaucoup de petits désagrémens que l'opposition leur fit subir dans les deux chambres, et qui étaient dûs peut-être au langage mystérieux dans lequel ils s'enveloppaient en ne cessant point d'invoquer les noms de la liberté, de la justice, de la conciliation, et de s'appesantir sur les vices de la constitution canadienne, le parlement leur accorda enfin tous les pouvoirs essentiels qu'ils demandaient, et lord Durham fit ses préparatifs pour passer en Canada.
Lord Durham tout radical qu'il était en politique, aimait beaucoup le luxe et la pompe. Il avait représenté la cour de Londres avec splendeur pendant son ambassade à St.-Pétersbourg, en 1833. Il voulut éclipser en Canada par un faste royal tous les gouverneurs qui l'avaient précédé. Le vaisseau de guerre qui devait l'amener, fut meublé avec magnificence. Il s'y embarqua avec une suite nombreuse de confidens, de secrétaires, d'aides de camp. Une musique fut mise à bord pour dissiper les ennuis de la traversée. Déjà un grand nombre de personnes attachées à sa mission s'était mis en route. On embarqua deux régimens des gardes et quelques hussards pour Québec. Enfin tout annonçait une magnificence inconnue dans l'Amérique du nord. On s'empara du parlement pour loger le somptueux vice-roi; ce qui était d'un mauvais augure aux yeux des hommes superstitieux pour les libertés canadiennes; c'était comme un vainqueur qui marchait sur les dépouilles de son ennemi abattu. Aussitôt que la constitution avait été suspendue par le parlement impérial, l'ordre avait été envoyé à sir John Colborne de former un conseil spécial pour expédier les affaires les plus pressantes. Ce conseil composé de 22 membres, dont 11 Canadiens, s'assembla dans le mois d'avril. La tranquillité était déjà tellement rétablie que l'on renvoyait partout dans leurs foyers les volontaires armés pendant les troubles.
Quand lord Durham arriva à Québec le 27 mai, tout était dans une paix profonde. Il débarqua le 29, au bruit de l'artillerie et au milieu d'une double haie de soldats, pour se rendre au château St.-Louis, où il fit son installation et prêta les sermens ordinaires. Il voulut signaler son avènement au pouvoir par un acte de grâce en faveur des détenus politiques; mais lorsqu'il demanda les officiers de la couronne, aucun ne se trouva présent pour lui répondre. Contre l'usage les conseillers exécutifs ne furent point assermentés. Il adressa une proclamation au peuple en se servant du langage d'un homme qui se méprend complètement sur la manière avec laquelle on doit s'exprimer en Amérique, et qui veut en imposer par une affectation recherchée au peuple dont le sort est entre ses mains. «Ceux qui veulent sincèrement et consciencieusement la réforme et le perfectionnement d'institutions défectueuses, recevront de moi, disait-il, sans distinction de parti, de race ou de politique, l'appui et l'encouragement que leur patriotisme est en droit d'avoir; mais les perturbateurs du repos public, les violateurs des lois, les ennemis de la couronne et de l'empire britannique trouveront en moi un adversaire inflexible.» Et plus loin en parlant du rétablissement de la constitution, il observait: «C'est de vous peuple de l'Amérique britannique, c'est de votre conduite et de l'étendue de votre coopération avec moi qu'il dépendra principalement que cet événement soit retardé ou immédiat. J'appelle donc, de votre part, les communications les plus franches, les moins réservées. Je vous prie de me considérer comme un ami et comme un arbitre, toujours prêt à écouter vos voeux, vos plaintes et vos griefs, et bien décidé d'agir avec la plus stricte impartialité...»
Or ce langage, comme on le verra, ne pouvait faire qu'en imposer au loin, car dans le pays même, il ne devait avoir aucune signification puisque tous les pouvoirs politiques étaient éteints, excepté ceux que lord Durham réunissait en sa personne. Cela était si vrai, qu'il renvoya immédiatement le conseil spécial de sir John Colborne, qui avait déjà passé trop d'ordonnances plus ou moins entachées de l'esprit du jour; qu'il fit informer les membres du conseil exécutif, cette cause première de tous les troubles, qu'il n'aurait pas besoin de leurs services pour le présent; et qu'il se nomma, pour la forme, un conseil exécutif et un conseil spécial composés de son secrétaire, M. Buller, de l'amiral Paget qui arrivait dans le port, du général Clitherow, du major général MacDonell, du colonel Charles Grey, et de diverses autres personnes de sa suite, de cinq des juges, de M. Daly, secrétaire provincial et de M. Eouth, commissaire général, qu'il prit dans le pays, parce qu'il y fallait quelqu'un qui en connût quelque chose.
Il organisa ensuite diverses commissions, pour s'enquérir de l'administration des terres incultes, de l'émigration, des institutions municipales, de l'éducation. La seigneurie de Montréal, les bureaux d'hypothèques occupèrent aussi son attention. La seigneurie de Montréal lui fournit une occasion de neutraliser le clergé en lui prouvant qu'il ne lui en voulait pas à lui-même. Cette seigneurie appartenait au séminaire de St.-Sulpice, et le parti anglais cherchait depuis longtemps à la faire confisquer au profit de la couronne comme on avait déjà confisqué les biens des jésuites et des récollets. Lord Durham qui savait de quelle importance il était pour ses desseins de ne pas exciter les craintes de l'autel, saisit cette occasion pour lui prouver ses bonnes dispositions en accordant un titre inébranlable aux sulpiciens.
Cet acte était très sage et très politique. Il savait que depuis M. Plessis surtout, le clergé avait séparé la cause de la religion de celle de la politique, et que s'il rassurait l'autel, il pourrait faire ensuite tout ce qu'il voudrait sans que le clergé cessât de prêcher l'obéissance au pouvoir de la couronne quel qu'il fut. Lord Durham était trop éclairé pour négliger une pareille influence.
Une chose qui devait devenir extrêmement embarrassante pour son administration, extrêmement irritante pour le public, c'était le procès de ceux qui se trouvaient impliqués dans nos troubles récens. Les procès politiques sont toujours vus d'un mauvais oeil par le peuple, et les gouvernemens n'en sortent presque jamais sans y laisser une partie de leur popularité et quelque fois de leur force. Lord Durham pensant qu'il ne pourrait obtenir de jurés qui voulussent condamner les accusés, à moins de les choisir parmi leurs adversaires politiques, résolut d'adopter une grande mesure pour terminer cette question malheureuse d'un seul coup et sans discussion; cette mesure fut une amnistie générale, qu'il proclama le jour même fixé pour le couronnement de la reine Victoria. Il n'excepta que vingt-quatre prévenus, auxquels on laissa cependant la perspective de rentrer dans leurs foyers aussitôt que cela paraîtrait compatible avec la paix et la tranquillité publique, et les assassins d'un Canadien et d'un officier qui portait des dépêches dans le pays insurgé, qui avaient été tués au commencement des troubles. Ceux sur les vingt-quatre qui se trouvaient en prison, devaient être envoyés aux îles de la Bermude, et ceux qui se trouvaient à l'étranger devaient y rester jusqu'à ce qu'on pût permettre aux uns et aux autres de revenir dans le pays. Il ne pouvait adopter de moyen plus sage, ni plus humain pour sortir d'un grand embarras; mais malheureusement en en exilant quelques uns aux îles de la Bermude sans procès, il violait les lois, et aussitôt que cet acte fut connu en Angleterre, il excita un grand bruit parmi ceux qui tiennent non sans raison aux formalités de la justice, ainsi que parmi les ennemis de ses prétentions dans son pays.
En Canada cette amnistie fut bien reçue, et comme lord Durham se tenait toujours dans l'ombre vis-à-vis des Canadiens sur les mesures qu'il entendait recommander à leur égard, ils aimaient à en tirer un bon augure et à se bercer d'espérances qu'entretenaient avec art les émissaires du nouveau vice-roi. Ainsi le Canadien du 8 juin contenait un article d'un employé du gouverneur, M. Derbyshire, contre l'union des deux Canadas en réponse aux journaux anglais de Montréal. Dans toutes les occasions on parlait des abus crians des administrations précédentes, de l'ignorance et de la vénalité des fonctionnaires, de la modération des représentans du peuple d'avoir enduré si longtemps un pareil état de choses. Mais tout cela n'était que pour attirer la confiance, comme la proclamation dont nous avons parlé plus haut, dans laquelle lord Durham invitait tout le monde à venir épancher dans son sein ses griefs et ses douleurs.
M. Wakefield fut député secrètement vers quelques-uns des meneurs canadiens. Il vit M. LaFontaine plusieurs fois à Montréal; il chercha à le persuader des bonnes intentions du gouverneur, qui nonobstant les ordres contraires de lord Glenelg, scandalisé par un procès déshonorant intenté à ce serviteur zélé, avait persisté à le retenir à son service; il était parti, disait-il, pour aller voir M. Papineau aux Etats-Unis, non comme envoyé de l'administration, mais comme ami de sir William Molesworth et de M. Leader aux noms desquels il le priait de lui donner une lettre pour le chef canadien, espérant voir résulter beaucoup de bien de cette entrevue. Il dit encore à M. Cartier, en passant à Burlington, que lord Durham, M. Buller et M. Turton étaient tous amis de ses compatriotes. Cet émissaire ne put voir cependant M. Papineau. A son retour il se trouva à des entrevues entre M. Buller et M. LaFontaine où l'on parla de l'ordonnance touchant les exilés et de la constitution. Plus tard, après le désaveu de l'ordonnance par les ministres, d'autres affidés cherchèrent à engager plusieurs Canadiens à convoquer des assemblées publiques en sa faveur sans succès. 36
Tout cela se faisait autant que possible à l'insu du parti anglais, avec lequel on tenait un autre langage.
On trouve peu de faits plus honteux dans l'histoire, que la conduite de tous ces intrigans cherchant à tromper un peuple pour qu'il aille se précipiter de lui-même dans l'abîme. Après avoir cherché à surprendre la bonne foi des Canadiens sans succès, retournés en Angleterre, ils les calomnient pour appuyer le rapport que lord Durham faisait sur sa mission. Après avoir passé des heures et des jours entiers dans leur société, en se donnant pour leurs amis, ils déclarent publiquement 37 dans les journaux de Londres, qu'ils avaient été trompés et aveuglés; que les malheureux Canadiens ne méritent aucune sympathie, et qu'ils prennent cette voie pour les désabuser sur les sentimens de l'Angleterre à leur égard. Ceux qui les ont reçus avec bienveillance comme M. LaFontaine et quelques autres, sont dépréciés et peints comme des hommes d'une intelligence bornée, sans éducation, sans lumières, aveuglés par d'étroits préjugés. On rougit en exposant de pareilles bassesses.
Dans le même temps, des rapports intimes s'établissaient entre les Anglais de Montréal, qui marchaient à la tête de tous ceux du pays, et lord Durham. Il y avait bien quelque méfiance chez quelques uns d'eux; mais les hommes les plus influens paraissaient saisis de la vraie pensée du chef du gouvernement, et l'appuyaient de tout leur pouvoir. Ils le reçurent avec les plus grands honneurs lorsqu'il passa par leur ville pour se rendre dans le Haut-Canada dans le mois de juillet. Dans cette tournée, lord Durham rallia la majorité du Haut-Canada à son plan d'union après les explications qu'il donna aux chefs; il fut reçu partout de manière à le satisfaire.
Mais il devait se hâter de jouir de ces honneurs, car bientôt des désagrémens plus sensibles pour lui que pour un autre, devaient appesantir dans ses mains le sceptre de sa vice royauté. Un mécontentement inexpliquable était resté dans le parlement contre sa mission. Le secret dont on l'entourait au sujet des Canadiens, semblait causer de l'inquiétude et comme de la honte. Tout était décidé d'avance dans le secret de la pensée, et cependant on feignait d'agir comme si on ignorait complètement ce qu'on allait faire. La chambre des lords surtout était blessée de ce système de déception qui entraînait après lui des actes illégaux de clémence et des actes légaux de tyrannie, comme l'étaient l'amnistie et la constitution des deux conseils composés de serviteurs stipendiés et dépendans de la couronne. Lorsque l'ordonnance du conseil spécial qui graciait les accusés politiques ou les exilait à la Bermude, fut connue en Angleterre, elle fut aussitôt déclarée illégale et contraire à l'esprit de la législation anglaise. Lord Lyndhurst dit que jamais mesure plus despotique n'avait déshonoré les fastes d'un pays civilisé. Les ministres essayèrent de défendre leur gouverneur, et déclarèrent que ce langage était imprudent au plus haut degré; que c'était trahir les intérêts du pays et les sacrifier aux intérêts de parti et à l'envie d'attaquer un individu. Lord Brougham, lord Ellenborough déclarèrent que le conseil formé par lord Durham n'était pas ce que la législature impériale avait eu en vue en autorisant la constitution d'un conseil spécial. On blâma encore l'emploi de M. Turton, qui avait subi une condamnation en Angleterre pour crime d'adultère. Lord Brougham introduisit un bill pour légaliser autant que possible i'ordonnance du conseil spécial, qui entraîna des débats dans lesquels le duc de Wellington se prononça contre la mesure de lord Durham. Les ministres se trouvaient dans le plus grand embarras. Lord Melbourne ne put s'empêcher d'avouer sa vive anxiété, vu les grands intérêts qui étaient en jeu et les conséquences qui pourraient résulter de ce qui allait être interprété d'une manière favorable pour les rebelles. Néanmoins l'ordonnance était illégale et il devait conseiller à sa Majesté de la désavouer.
La nouvelle de ce désaveu solennel arriva en Canada dans le moment même que lord Durham était entouré des gouverneurs et des députés de toutes les provinces anglaises de l'est, venus à Québec pour discuter avec lui les questions qui pouvaient concerner leurs peuples. Elle le blessa au coeur et l'humilia. Il résolut sur le champ de donner sa démission, et dés ce moment il prit moins de soin à cacher ce qu'il se proposait de recommander au sujet des Canadiens. Il parla avec plus d'abondance, et déclara aux députés qui l'entouraient, qu'il était sur le point de promulguer des lois propres à assurer protection à tous ces grands intérêts britanniques qu'on avait trop négligés jusque là. A Québec, à Toronto, les Anglais s'assemblèrent et passèrent des adresses pour exprimer leur regret des discussions prématurées du parlement impérial et du départ de lord Durham, et leur pleine confiance dans ses talens et dans les mesures qu'il allait proposer pour régler toutes les difficultés. Ceux de Montréal allant plus loin, le prièrent de recommander l'union des deux Canadas. Un M. Thom, l'un des plus violens ennemis des Canadiens, que lord Durham avait d'abord voulu nommer à deux différens emplois dans le pays, et qu'il avait été forcé par l'opinion publique de placer dans les contrées sauvages du Nord-Ouest, voulait une confédération de toutes les provinces, parce qu'il y avait trop de républicains dans le Haut-Canada. Mais sa suggestion fut repoussée. Le discours qu'il prononça réveilla les craintes du Canadien. Ce journal qui avait jusque là soutenu l'administration, fut surpris de voir l'orateur favorisé de lord Durham déclarer que ses mesures montraient qu'il était déterminé à faire du Bas-Canada une province vraiment britannique.
Déjà les amis du parti anglais s'étaient assemblés à Londres et avaient fait parvenir aux ministres l'expression de leur pleine confiance dans la politique du chef du gouvernement canadien. L'association coloniale leur avait fait part de son côté ainsi qu'au duc de Wellington et à sir Robert Peel, de son vif regret de ce qui s'était passé dans le parlement; et les negocians en rapport avec les deux Canadas avaient renouvelé leur demande de l'union. En même temps à Montréal et à Québec, on brûlait les lords Brougham, Glenelg et Melbourne en effigie, et les Canadiens de cette dernière ville s'assemblaient et passaient des résolutions pour repousser ces outrages et remercier lord Brougham et M. Leader de la part qu'ils prenaient à la défense de leurs droits dans le parlement impérial. Partout cependant le parti anglais à Londres, à Québec, à Montréal, faisait voir, par la spontanéité de ses mouvemens et la concordance de ses vues, qu'il était sûr maintenant de celles de lord Durham et que les Canadiens allaient enfin leur être sacrifiés. Pendant que le gouverneur du Haut-Canada était encore à Québec, où il était venu comme les gouverneurs de l'est, pour s'entendre sur les affaires de sa province, lord Durham annonça sa retraite au peuple dans une longue proclamation, où tout en blâmant le mystère qui avait enveloppé jusqu'ici la marche des affaires les plus importantes aux habitans des colonies, il commettait lui-même la même faute en cachant soigneusement ce qu'il allait recommander à la métropole à leur égard et en se tenant dans des termes généraux sans définition précise. Néanmoins il en dit encore plus qu'il n'avait fait jusque là, et annonça qu'il cherchait à donner au Bas-Canada un caractère tout-à-fait anglais, à lui donner au gouvernement libre et responsable, à noyer les misérables jalousies d'une petite société et les odieuses animosités d'origines dans les sentimens plus élevés d'une nationalité plus noble et plus vaste. Cela était peu rassurant pour les Canadiens pour lesquels les mots de liberté, de sentimens élevés, de nationalité plus noble et plus vaste voulaient dire anéantissement de leur langue, de leurs lois et de leur race ou ne voulait rien dire du tout, car les troubles avaient été précisément causés par le refus absolu de toutes ces choses par la métropole.
Lord Durham se plaignait ensuite que sa conduite avait été exposée à une critique incessante dans le parlement impérial, dans un esprit qui annonçait une ignorance complète de l'état du pays. Le même jour il répétait ce qu'il disait dans sa proclamation dans la réponse qu'il faisait aux Anglais de Québec: «Je ne retourne pas en Angleterre par aucun sentiment de dégoût pour le traitement que j'ai personnellement éprouvé dans la chambre des lords. Si j'avais pu être influencé par de pareils motifs, je me serais rembarqué dans le vaisseau même qui m'avait amené ici; car le système de persécution parlementaire auquel je fais allusion, commença du moment que je laissai les rives d'Angleterre.
«Je m'en retourne pour les raisons suivantes et ces raisons seulement. Les procédés de la chambre des lords, auxquels le ministère a acquiescé, ont privé le gouvernement de cette province de toute considération, de toute force morale. Ils l'ont réduit à un état de nullité executive, et l'ont assujetti à une branche de la législature impériale... En réalité et en effet, le gouvernement du Canada est administré maintenant par deux ou trois pairs de leurs sièges en parlement...
«Dans ce nouvel état de choses, dans Cette anomalie, il ne serait ni de votre avantage, ni du mien que je restasse ici. En parlement, je puis défendre vos droits et vos voeux, et exposer ce qu'il y a d'impolitique et de cruel dans des procédés qui, en même temps qu'ils ne sont que trop attribuables à l'animosité personnelle et à l'esprit de parti, sont accompagnés d'un danger imminent pour le bien être de ces importantes colonies et la permanence de leur alliance avec l'empiré.»
Il s'embarqua pour l'Europe avec sa famille le 1 novembre, en laissant les rênes du gouvernement entre les mains de sir John Colborne, et en disant aux imprimeurs anglais: «Je déplore que votre exemple patriotique n'ait pas été suivi par d'autres, (les imprimeurs canadiens)... Engagés dans la tâche coupable de fomenter d'anciens abus et d'anciens préjugés, et d'enflammer des inimitiés nationales, ils paraissent oublier la ruine et le malheur certains auxquels ils exposent une population crédule et malheureusement trop disposée à prêter l'oreille à leurs conseils insidieux. S'ils réussissent à produire ce déplorable résultat, c'est sur eux qu'on reposera là terrible responsabilité et ils mériteront les plus durs châtimens.»
Pendant que ce langage mettait en défiance de plue en plus les mécontens, les réfugiés aux Etats-Unis et les Américains qui sympathisaient avec eux, et qui répandus sur la frontière du Haut et du Bas-Canada, passèrent l'été en allées et venues, en profitèrent pour organiser une invasion et un nouveau soulèvement dans les deux provinces à la fois. Ils tinrent des assemblées à Washington, à Philadelphie et ailleurs, où parut le Dr. Robert Netton, le frère de celui qui commandait les insurgés à St.-Denis, pour exciter les sympathies des Américains et obtenir des secours. Ils se réunirent à New-York, à Albany et dans quelques villes des frontières et réussirent à entraîner en multipliant les mensonges quelques Canadiens du district de Montréal. Dès avant le départ de lord Durham, l'exécutif était informé que dans la ville seule de Montréal plus de 3000 hommes s'étaient liés par des sermens secrets à prendre les armes; 38 c'était une grande exagération, mais ce rapport n'était pas complètement inexact, car au commencement de novembre, des soulèvemens partiels eurent lieu sur plusieurs points de la rivière Richelieu, à Beauharnais, à Terrebonne, à Châteauguay, à Rouville, à Varennes, à Contrecoeur, et dans quelques autres paroisses, tandis qu'un corps d'Américains et de réfugiés pénétrait en Canada sous les ordres du Dr. Nelson et prenait possession du village de Napierville. Sir John Colborne qui s'y attendait, assembla aussitôt le conseil spécial, proclama la loi martiale, arma les volontaires, fit arrêter toutes les personnes suspectes, puis marcha avec 7 à 8 mille hommes, soldats, miliciens et Sauvages venant de différens points, sur le pays insurgé où tout était déjà rentré dans l'ordre quand il y arriva.
Les hommes qui devaient prendre part au soulèvement n'ayant point de fusil ni de munitions, s'étaient armés de piques et de bâtons. Plusieurs n'étaient dirigés, un sac seulement sur le dos, vers les points où on leur avait dit qu'ils trouveraient tout ce qui leur fallait; mais n'y trouvant rien, ils étaient presque tous rentrés dans leurs loyers ou retournés aux Etats-Unis d'où ils venaient, de sorte qu'au bout de quelques jours tout était rentré dans l'ordre avec à peine la perte de quelques hommes.
Sir John Colborne n'eut qu'à promener la torche de l'incendie. Sans plux d'égard pour l'innocent que pour le coupable, il brûla tout et ne laissa que des ruines et des cendres sur son passage.
Dans le Haut-Canada les Américains et les réfugiés de cette province qui s'étaient joints à eux, débarquèrent à Prescott, et prirent possession d'un moulin où ils furent obligés de se rendre au bout de quelque temps aux forces considérables qui les cernèrent. D'autres inquiétèrent la frontière tout l'hiver, attaquèrent Windsor, le Détroit et quelques autres points, mais n'exécutèrent rien de sérieux.
L'oligarchie qui avait été furieuse l'année précédente de ce qu'on ne s'était pas servi de l'échafaud pour punir les rebelles, ne voulait pas être trompée cette année. Elle voulait du sang. Elle voulait aussi faire un grand effet en Angleterre. Elle s'était fait armer avec la police dans les villes; elle avait l'ait saisir toutes les armes qu'il y avait chez les armuriers. Elle fit suspendre trois juges canadiens dont deux à Québec, parce qu'ils ne voulaient pas violer la loi de l'habeas-corpus. Elle fit retrancher un grand nombre de Canadiens de la magistrature. «Pour avoir la paix, s'écriait le Herald, il faut que nous fassions une solitude; il faut balayer les Canadiens de la face de la terre... Dimanche au soir tout le pays en arrière de Laprairie présentait l'affreux spectacle d'une vaste nappe de flammes livides, et l'on rapporte que pas une seule maison rebelle n'a été laissée débout. Dieu sait ce que vont devenir les Canadiens qui n'ont pas péri, leurs femmes et leurs familles pendant l'hiver qui approche, puis qu'ils n'ont devant les yeux que les horreurs de la faim et du froid. Il est triste, ajoutait ce journal hypocrite qui était dans la joie du sang, il est triste de réfléchir sur les terribles conséquences de la rébellion, de la ruine irréparable d'un si grand nombre d'êtres humains qu'ils soient, innocens ou coupables. Néanmoins il faut que la suprématie des lois soit maintenue et inviolable, que l'intégrité de l'empire soit respectée et que la paix et la prospérité soient assurées aux Anglais même aux dépens de la nation canadienne entière.» Jamais Marat ne s'est servi d'un langage plus atroce.
Sir John Colborne revenu de sa courte campagne, organisa sans délai des conseils de guerre, et fit commencer devant les officiera de l'armée le procès des prisonniers qu'il ramenait et des accusés qui remplissaient les prisons. Lui qui détestait les Canadiens, il ne serait pas arrêté cette fois par lord Gosford. Tous les Canadiens notables de Montréal et des campagnes, coupables ou non, avaient été arrêtés, un grand nombre sous accusation de haute trahison. A Québec, aux Trois Rivières où tout était parfaitement tranquille, les arrestations ne cessaient point non plus. Pendant ce temps là les cours martiales se hâtaient d'achever leur tâche, en procédant avec toute la rapidité possible. Elles condamnèrent quatre-vingt-neuf accusés à mort et quarante-sept à la déportation dans les îles de l'Océanie, et confisquèrent tous leurs biens. Le Herald était radieux. «Nous avons vu, disait-il, le 19 novembre, la nouvelle potence faite par M. Bronsdon, et nous croyons qu'elle va être élevée aujourd'hui au devant de la nouvelle prison, de sorte que les rebelles pourront jouir d'une perspective qui ne manquera pas sans doute d'avoir l'effet de produire un sommeil profond et des songes agréables. Six ou sept pourront s'y trouver à l'aise; mais on peut y en mettre davantage dans un cas pressé.»
Treize condamnés périrent sur l'échafaud aux applaudissemens de leurs ennemis accourus pour prendre part à un spectacle qui passait à leurs yeux pour un triomphe. Tous subirent leur sort avec fermeté. On ne peut lire sans être ému les dernières lettres de l'un d'eux, M. Chevalier de Lorimier, à son épouse, à ses parens, à ses amis, dans lesquelles il proteste de la sincérité de ses convictions; et il signa avant de marcher au supplice une déclaration de ses principes, qui témoigne de sa bonne foi et qui prouve le danger qu'il y a de répandre des doctrines qui peuvent entraîner des conséquences aussi désastreuses.
Lorsque l'échafaud eut satisfait dans le Bas-Canada comme dans le Haut, où se passait une partie des scènes du Bas, la vengeance du vainqueur, on tourna les yeux vers l'Angleterre pour voir comment elle allait prendre les derniers événemens, et recevoir lord Durham et ses suggestions pour la pacification du pays. Déjà le duc de Wellington avait jugé du dernier soulèvement et blâmé, par ce jugement là même, la cruauté du pouvoir, dans les débats sur l'adresse en réponse au discours que la reine avait prononcé en ouvrant le parlement au commencement de 1839. «L'insurrection du Canada n'a été, dit-il, qu'une insurrection frivole et limitée à un coin du pays; mais elle a été accompagnée d'invasions et d'agressions contre les personnes et contre les propriétés des sujets de sa Majesté sur toutes les parties de la frontière des Etats-Unis par des habitans des Etats-Unis.» Déjà M. Roebuck avait publié plusieurs lettres dans les journaux de Londres pour blâmer la conduite de lord Durham, qui, en sa qualité de chef du parti radical, n'allait pas manquer cependant d'amis dans la presse pour prendre sa défense. Il s'était entouré depuis longtemps de partisans et de créatures qui vantaient en toute occasion son patriotisme et ses talens. Ils se mirent tous à louer son énergie dans sa mission et le rapport qu'il venait de présenter au gouvernement. Tous leurs coups se dirigèrent naturellement contre les Canadiens.
Ce rapport excessivement long, mais écrit avec beaucoup d'art et de soin, était un plaidoyer spécieux en faveur de l'anglification, tout en donnant gain de cause aux principes que la chambre d'assemblée avait de tout temps défendus. Le séjour qu'il avait fait parmi les Canadiens avait complètement changé ses idées, disait lord Durham, sur l'influence relative des causes auxquelles on devait attribuer les maux existans. Il s'attendait à trouver une lutte entre un gouvernement et un peuple, et il avait trouvé deux nations se faisant la guerre au sein d'un seul état; non une guerre de principes, mais une guerre de race; l'une éclairée, active, entreprenante; l'autre ignorante, inerte, et soumise aveuglément à des chefs que conduisaient d'étroits préjugés; celle-ci composée de torys déguisés qui cherchaient à cacher leur hostilité à l'émigration anglaise sous l'apparence d'une guerre de principes contre le gouvernement; l'autre de vrais démocrates, d'hommes vraiment indépendans; les deux enfin toujours en présence, mais séparés en deux camps qui ne se mêlaient jamais. «Tel est, ajoutait-il, l'état lamentable et hasardeux des choses produit par le conflit de race qui divise depuis si longtemps le Bas-Canada, et qui a pris le caractère formidable et irréconciliable que je viens de dépeindre.»
Après s'être étendu longuement sur cette division, sur ses causes et sur ses effets, il passe au remède pour y mettre fin. «Il y a deux modes, dit-il, de traiter un pays conquis. Le premier est de respecter les droits et la nationalité des possesseurs du territoire, de reconnaître les lois existantes et de conserver les institutions établies, de ne donner aucun encouragement à l'émigration du peuple conquérant, et sans entreprendre de changemens dans les élémens de la société, d'incorporer simplement la province sous l'autorité générale du gouvernement central. Le second est de traiter le pays conquis comme s'il était ouvert aux vainqueurs, d'encourager leur émigration, de regarder les anciens habitans comme entièrement subordonnés et de s'efforcer aussi promptement que possible d'assimiler leur caractère et leurs institutions à ceux de la grande masse de l'empire.» Dans un vieux pays ou doit suivre le premier; dans un nouveau, le second.
Malheureusement la révolution américaine avait empêché l'Angleterre de suivre celui-ci en Canada, ou la nationalité des habitants avait été conservée comme moyen d'une séparation perpétuelle, et complète avec leurs voisins. 39 Aujourd'hui que les choses sont changées et qu'on n'a plus besoin d'eux, l'on peut revenir au premier. Tel est le raisonnement non pas écrit, mais impliqué du représentant de l'Angleterre à notre égard dans le rapport qu'il fait à l'Angleterre.
Quant à la véritable cause dr dissensions entre le gouvernement et la chambre d'assemblée, il justifie complètement celle-ci, en attribuant le refus d'une liste civile à sa détermination de ne pas renoncer au seul moyen de soumettre les fonctionnaires du gouvernement à quelque, responsabilité. «C'était une vaine illusion, dit-il, de s'imaginer que de simplets restrictions dans la constitution ou un système exclusif de gouvernement, induiraient un corps fort de la conscience qu'il avait avec lui l'opinion de la majorité à regarder certaines parties du revenu public comme hors de son contrôle, et à se restreindre à la simple fonction de faire des lois en restant spectateur passif ou indifférent pendant qu'on exécuterait ou qu'on éluderait ces lois et que des hommes dans les intentions ou la capacité desquels il n'avait pas la plus légère confiance conduiraient les affaires du pays. L'assemblée pouvait passer ou rejeter des lois, accorder ou refuser les subsides, mais elle n'avait aucune influence sur la nomination d'un seul serviteur de la couronne. Le conseil exécutif, les officiers judiciaires, tous les chefs de département étaient nommés sans aucun égard pour les voeux du peuple ou de ses représentant, et il ne manquait pas même d'exemples que la simple hostilité à la chambre d'assemblée fit élever les personnes les plus incompétentes aux postes d'honneur et de confiance.» C'était ainsi que les gouverneurs venaient en lutte avec les représentans, que ses conseillers regardaient comme leurs ennemis. Du reste l'entière réparation des pouvoirs législatif et exécutif est l'erreur naturelle des gouvernemens qui veulent s'affranchir du contrôle des institutions représentatives. «Depuis le commencement donc, continuait-il, jusqu'à la fin des querelles qui signalent toute l'histoire parlementaire du Bas-Canada, je regarde la conduite de l'assemblée comme une guerre constante avec l'exécutif pour obtenir les pouvoirs inhérens à un corps représentatif d'après la nature même du gouvernement représentatif.»
Lord Durham ne pouvait justifier en termes plus forts la conduite de la chambre d'assemblée, et cependant après l'avoir justifiée il s'appuya de cette même conduite pour recommander l'union des deux Canadas, parce que le seul pouvoir qui puisse arrêter d'abord la désaffection actuelle et effacer plus tard les Canadiens-français, c'est celui d'une majorité loyale et anglaise.
Il serait bien pour l'union de toutes les provinces de l'Amérique du Nord; mais cette union nécessiterait une centralisation qui répugne à l'esprit des populations du Nouveau-Monde. D'ailleurs il faudrait pour satisfaire ces populations, conserver les assemblées provinciales avec des pouvoirs municipaux seulement, ou encore mieux des assemblées de districts ou d'arrondissemens plus petits. Il recommanderait bien sans hésiter l'union législative de toutes ces provinces s'il s'élevait des difficultés dans les provinces inférieures, ou si le temps permettait de les consulter avant de régler la question des deux Canadas; mais si elles se remuent plus tard on pourra les noyer dans une union qui les mettra en minorité. En attendant il recommande l'union des deux Canadas seuls, en donnant à chacun le même nombre de membres, des municipalités électives pour les affaires locales, un conseil législatif mieux composé, un bon système d'administration pour les terres, l'abandon de tous les revenus de la couronne moins celui des terres à la législature pour une liste civile suffisante, la responsabilité de tous les officiers du gouvernement à la législature excepté le gouverneur et son secrétaire, l'indépendance des juges, et enfin des ministres responsables placés à la tête des différens départemens de l'exécutif et tenus de commander la majorité dans les chambres.
Tel est le plan auquel lord Durham s'est arrêté, et qu'il soumet à la métropole comme le plus propre entre tous ceux qu'on lui a suggérés pour rétablir l'ordre, l'harmonie et la paix. Il y en a qui voulait frapper les Canadiens en masse d'ostracisme, et les priver comme Français du droit de vote et d'éligibilité. D'autres proposaient une union législative des deux Canadas ou de toutes les provinces avec une seule législature, en diminuant le nombre des membres canadiens à un chiffre nominal. D'autres encore proposaient une union fédérale. Lord Durham dit qu'à son arrivée à Québec il penchait fortement en faveur de ce dernier plan, et que ce fut avec ce projet en vue qu'il discuta une mesure qui embrassait toutes les colonies avec les députations des provinces inférieures, avec les corps publics et avec les hommes marquans du Canada, qu'il avait mandés à Québec; que tout en conciliant les Français du Bas-Canada en leur laissant le gouvernement de leur propre province et leur propre législation intérieure, il aurait assuré la protection des intérêts britanniques au moyen du gouvernement général, et la transition graduelle de toutes les provinces en une seule société homogène; mais qu'après quelque séjour dans le pays et la consultation du parti anglais il avait été obligé de changer d'opinion et de croire que l'époque de l'anglification graduelle était passée.
Ses recommandations furent adoptées par les ministres. L'association coloniale de Londres n'était pas satisfaite cependant du sacrifice des Canadiens. Elle voulait les priver de tout droit politique en leur ôtant jusqu'à celui de voter aux élections, et s'opposait au système responsable. Mais lord Durham et les ministres repoussèrent ces prétentions, et lord Melbourne présenta au parlement le 4 mai 1839, un message de la reine pour recommander l'union. Cette mesure fut retardée par la résignation du ministère à l'occasion d'une loi qui concernait la Jamaïque, au sujet de laquelle il s'était trouvé dans une majorité si faible qu'il n'osa plus compter sur l'appui des chambres.
Néanmoins les difficultés s'arrangèrent; lord John Russell resta au pouvoir, et après quelque discussion dans le mois de juin, il introduisit enfin son bill pour unir les deux Canadas; après sa deuxième lecture et l'adhésion de sir Robert Peel et de M. Hume, ce bill fut ajourné à la session suivante, afin d'avoir le temps d'aplanir dans l'intervalle certaines difficultés qui se présentaient. L'existence du conseil spécial fut prolongée, et M. Poulett Thomson, membre des communes et réformateur radical, fut envoyé comme gouverneur à Québec pour les faire disparaître. Il arriva dans cette ville dans le mois d'octobre, et partit presqu'immédiatement pour Montréal et le Haut-Canada. Il entra à Toronto à la fin de novembre, et ouvrit les chambres le 3 du mois suivant. Sa mission principale était de leur faire adopter les bases du rapport de lord Durham, qui ne s'accordaient pas avec les résolutions de l'assemblée de cette province, qui portaient que le siège du gouvernement serait dans le Haut-Canada, que les trois comtés inférieurs du district de Québec seraient annexés au Nouveau-Brunswick, que les représentans du Bas-Canada seraient moins nombreux que ceux du Haut, qu'après 1845, les comtés en seigneuries ne fussent plus représentés au parlement, que la langue française fut abolie, et que la dette du Haut-Canada, qui dépassait un million, fut payée par les deux provinces réunies, le Bas-Canada n'ayant pas de dette, et de se procurer des informations sur lesquelles les ministres pussent soumettre au parlement une mesure plus parfaite que le bill présenté aux communes. Il devait les convaincre que les ministres étaient eux-mêmes persuadés de l'opportunité de leur projet, et dissoudre l'assemblée si elle ne recevait pas ses ouvertures dans un esprit convenable; faire rapport des collèges électoraux, et nommer, s'il le jugeait à propos, un certain nombre de personnes influentes pour préparer les conditions de l'union. 40
Dans une dépêche Subséquente, lord John Russell argumentant contre le principe du système responsable dans les colonies, citait quelques faite survenus dans le Bas-Canada, où s'était élevée d'abord la demande d'un pareil système, et représentait M. Papineau et la majorité de la chambre comme des rebelles. Les chambres furent saisies de la question dès le commencement de la session. Les débats se prolongèrent, mais le gouvernement l'emporta à la fin, et la mesure fut approuvée dans la forme à peu prés que l'Angleterre désirait. Il est inutile de dire que le conseil spécial du Bas-Canada, nommé par la couronne, l'approuva dans tout son esprit. Trois membres seulement votèrent contre, MM. Neilson, Cuthbert et Quesnel. 41 Quant aux Canadiens qu'on ne consulta pas, ils protestèrent dans le district de Québec et des Trois-Rivières avec tout le clergé catholique. 40,000 signatures couvrirent les pétitions de ces deux districts au parlement impérial, contre lesquelles le gouverneur mit lord John Russell en garde, en lui mandant que le nombre des signatures n'était pas si considérable qu'on s'y attendait; que l'assemblée des Anglais qui avait eu lieu à Québec en faveur de l'union exprimait les sentimens de la très grande majorité de la population fidèle à l'Angleterre; que le clergé se méprenait sur cette mesure, et qu'il désirait au fond la continuation du conseil spécial quoiqu'il demandât le rétablissement de la constitution de 91.
Note 41: (retour) Le gouverneur fit prier M. Neilson de venir le voir pour le consulter sur les affaires du pays, surtout sur l'union. Sur ce dernier point, M. Neilson lui dit que cette mesure mécontenterait un grand nombre de citoyens et en satisferait peu, puis qu'elle avait pour objet d'opprimer les Canadiens. Le gouverneur le voyant continuer sur ce ton, lui dit: «Vous être donc contre l'union. Oui, répondit M. Neilson. Alors nous ne pourrons pas nous accorder, répliqua l'agent proconsulaire.» Je tiens ceci de M. Neilson lui-même.
L'approbation donnée par les chambres du Haut-Canada et le conseil spécial du Bas, rassura pleinement le ministère, qui poussa sa mesure avec toute la vitesse possible. Les communes l'adoptèrent presque sans débat, M. Hume votant pour et M. O'Connell contre. La langue anglaise fut reconnue comme seule langue parlementaire. La mesure éprouva plus d'opposition dans la chambre des lords, où lord Gosford, le duc de Wellington, et plusieurs outres membres votèrent contre et protestèrent, lord Ellenborough parce que le bill était fondé sur une double erreur, celle d'une défiance indue contre la population française et celle d'une confiance indue dans toute la population d'origine britannique; parce que les changemens apportés à la représentation du Bas-Canada étaient injustes dans leur caractère, ayant pour objet d'augmenter indirectement encore plus la disproportion entre la représentation de la population anglaise et celle de la population française...; parce que si l'on voulait priver les Canadiens-français d'un gouvernement représentatif, il valait mieux le faire d'une manière ouverte et franche, que de chercher à établir un système permanent de gouvernement sur une base que le monde entier s'accorderait à qualifier de fraude électorale. Ce n'était pas dans l'Amérique du Nord qu'on pouvait en imposer aux hommes par un faux semblant de gouvernement représentatif, ou leur faire accroire qu'ils n'étaient qu'en minorité de votes lorsqu'ils étaient de fait défranchisés; parceque l'union entre les deux provinces était imposée à l'une par défiance contre sa loyauté, sans son consentement et à des conditions qu'elle devait juger injustes, et acceptée par l'autre en considération d'avantagea fiscaux et de l'ascendance législative.
Lord Melbourne insista sur la nécessité d'apaiser l'esprit de mécontentement qui avait éclaté dans les deux Canadas; il fit observer que c'étaient de pareils mécontentemens qui avaient amené autrefois l'indépendance des Etats-Unis, événement qui ne serait pas arrivé s'ils avaient été mieux liés à la métropole. Les divisions intestines avaient été la principale cause qui avait fait perdre à l'Angleterre en 1450, le beau territoire qu'elle possédait en France et qu'elle tenait de ses princes normands, et dans le dernier siècle ses anciennes colonies. Le duc de Wellington lui répondit qu'il ne fallait pas tant se presser; qu'il fallait attendre de meilleures informations; qu'il fallait attendre que le peuple eut repris ses sens, dans une province après une insurrection, dans l'autre après une rébellion, et que dans les Etats-Unis il y eût moins de disposition à encourager l'une et l'autre. Il fallait réfléchir avant de former une législature de trois ou quatre différentes nations et de gens d'une douzaine de religions. Il se plaignit de la manière avec laquelle on avait obtenu le consentement du Haut-Canada. On s'était assuré du concours du parti tory en publiant la dépêche de lord John Russell au sujet des emplois, et de l'appui du parti républicain en supprimant une autre de ses dépêches qui aurait déplu aux partisans du gouvernement responsable. Lord Brougham émit convaincu que lorsque le Canada se séparerait de l'Angleterre, ce qui devait arriver tôt ou tard, ce serait par suite de la manière avec laquelle la mesure de l'union était emportée, et cette séparation se ferait dans des circonstances d'autant plus regrettables que les deux partis se quitteraient ennemis.
Lord Gosford ne leva ensuite; son langage devait avoir d'autant plus de poids qu'il avait résidé dans le pays, qu'il en avait ou l'administration entre les mains et qu'il en connaissait les partis, les sentimens et les tendances. «Je regarde, dit-il, l'union comme une expérience très dangereuse, et comme une mesure injuste et arbitraire en elle-même. Si, comme je le crois, ceux qui l'appuyent le font parce qu'ils sont convaincus que la population française est en état de résistance organisée au régime britannique, jamais ils ne furent dans une plus grande erreur. Pour ma part, je ne crois pas que dans aucune de nos colonies, sa Majesté ait un peuple qui, par inclination autant que par intérêt, ait plus de désir de rester sur un pied d'amitié et d'alliance avec l'Angleterre. Je n'ignore pas les fausses représentations que l'on a répandues avec trop d'activité dans ce pays, mais je ne crains pas de déclarer, malgré tout ce que l'on peut prétendre au contraire, que ce que je dis ici est fondé sur la vérité et peut-être pleinement prouvé. On a beaucoup parlé de ce qu'on appelle la révolte récente; ce sont là des mots qui sonnent bien haut, et qui sont fort utiles aux intérêts de ceux qui leur donnent cours. Mais si je nuis disposé à réprouver toute espèce de soulèvement et de troubles, je dois également reconnaître qu'il n'est que juste de regarder de plus prés au véritable état des choses avant de stigmatiser les événemens qui ont eu lieu en termes qui doivent produire des préjugés très forts et très funestes contre ceux contre qui on les dirige. La partie du Bas-Canada agitée par les troubles, n'embrassa jamais qu'une petite section du district de Montréal sur la rivière Richelieu. Maintenant quel était son état politique avant les troubles? Elle était déchirée par les divisions les plus violentes et les plus haineuses, fruit d'élections contestées avec acharnement; l'esprit de parti, comme c'est le cas en semblables circonstances, était monté au plus haut degré d'exaspération, et contribua beaucoup à ce qui est arrivé. A l'appui de mon assertion, je puis citer un fait très concluant. Le seul endroit au nord du St.-Laurent où il y ait eu des troubles, est le comté des Deux-Montagnes. Eh bien! ce comté se trouvait justement sous le rapport de la violence des luttes électorales dans le même cas que les environs de la rivière Richelieu. Il y a, et il y a eu une certaine partie de la population anglaise, principalement à Montréal et dans les environs, à laquelle tous les hommes libéraux et indépendans ne peuvent qu'être hostiles, et dont les actes et la conduite ont été caractérisée par un esprit de domination au préjudice de toute la population d'origine française; elle a toujours aspiré à posséder la domination et le patronage du pays. C'est à elle qu'il faut principalement attribuer les troubles et les animosités qui viennent d'avoir lieu. A l'appui de ce que j'avance, je n'ai qu'à rappeler à vos seigneuries une de ses premières démarches peu de temps après mon arrivée en Canada. A une assemblée qu'elle avait convoquée, il fut résolu de lever un corps militaire sous le nom de British Rifle Legion, ou quelque nom semblable, et une de ses règles était que les membres de ce corps éliraient leurs officiers. Je pris la première occasion de faire, d'une manière amicale, des remontrances contre un pareil procédé; mais ce fut en vain. Je fus obligé de les abattre par une proclamation, après m'être assuré, en consultant les hommes de loi de la couronne, que leur conduite était illégale et inconstitutionnelle. Une section intéressée et violente du parti mercantile voulait en persévérant dans ses fausses représentations, faire appuyer ses desseins par ses amis en Angleterre; et ce sont ces fausses représentations, ainsi répandues, qui ont amené les maux qui sont malheureusement arrivés. Tant qu'on encouragera ce parti ou qu'on l'appuiera en aucune façon, la méfiance et le mécontentement régneront. Je suis heureux cependant de pouvoir dire que ces remarques ne s'appliquent qu'à une petite portion de la population britannique, fixée principalement aux environs de Montréal, et à quelques partisans à Québec. Bien des Anglais ont souvent, et dans les termes les plus énergiques, réprouvé la violence de ceux dont je parle. Il est aussi un fait curieux, c'est que lorsque les troubles éclatèrent aucune des populaces, car je puis presque les appeler ainsi, qui y ont pris part, n'était commandée par des Canadiens-français. A St.-Denis, c'était un Anglais, M. Wilfred Nelson; à St.-Charles, un M. Brown, moitié Anglais, moitié citoyen américain; à St.-Benoit, un Suisse, qui agissaient comme chefs. Les troubles, comme je l'ai déjà dit, éclatèrent dans une partie seulement du district de Montréal. Dans le reste de ce district, dans les quatre autres districts du Bas-Canada, Gaspé, St.-François, Québec et les Trois-Rivières, tout demeura tranquille, et les autorités civiles y conservèrent toute leur force. Les troubles furent complètement supprimés dans l'espace de trois semaines; il me fut envoyé des adresses de toutes parts pour réprouver la conduite et la violence de quelques hommes égarés, poussés par des gens mal intentionnés et désespérés, et pour me déclarer leur détermination d'appuyer le gouvernement. La paix et la tranquillité étaient rétablies dans toute la province du Bas-Canada avant mon départ. Mais cela ne faisait pas le compte du parti qui voulait écraser la population française.
«Convaincu de l'exactitude de ce que je dis, je ne puis m'empêcher de regarder l'union des deux provinces que comme un acte des plus injustes et des plus tyranniques, proposé pour priver la province inférieure de sa constitution, sous prétexte d'actes de quelques hommes mal intentionnés, et la livrer, en noyant la population française, à ceux qui, sans cause, lui ont montré tant de haine; car ce bill doit la noyer. Vous donnez à 3 ou 400,000 habitans la même représentation qu'au Bas-Canada, qui a une population d'au moins 700,000; et ensuite vous imposez la dette de la province supérieure, qui est, dit-on, d'un million, à une province qui n'a presque aucune dette. Peut-il y avoir rien de plus arbitraire et de plus déraisonnable? En vérité, la légalité d'un tel procédé peut être mise en question; car, j'apprends qu'aucune partie de la dette contractée par la province supérieure n'a été sanctionnée par le gouvernement de ce pays, je dois déclarer de nouveau que ma conviction est que tout cela vient d'une intrigue mercantile. 42 Je dis que la population française désire vivre sous la protection et dans l'alliance anglaise, et que la très grande majorité des habitans des deux Canadas est opposée à l'union... Je ne puis donc consentir à une mesure fondée, comme je le crois consciencieusement, sur de fausses informations et sur l'injustice. Tant que je vivrai, j'espère que je ne donnerai jamais ma sanction à une injure semblable à celle qui est sous la considération de vos seigneuries. J'ai dit ce que je crois fermement être la vérité, et ce qui pourrait être appuyé du témoignage de tout esprit calme dans les Canadas.»
Nous donnons une grande partie du discours de ce gouverneur pour faire mieux apprécier la politique du bureau colonial.
L'aristocratie anglaise ne vota pour la mesure qu'à contrecoeur, parce que le parti mercantile, qui a eu une grande influence dans tous les temps sur la politique des colonies, le demandait. Le Haut-Canada devait un million à la maison Baring et se trouvait à la veille d'être incapable de faire face à ses engagemens. Cette maison puissante fit tous ses efforts pour engager le parlement à consentir à l'union afin d'assurer sa créance. Beaucoup de marchands, de capitalistes et peut-être de membres du parlement y étaient intéressés. Devant tous ces motifs personnels ajoutés aux préjugés nationaux, la cause des Canadiens-français devait succomber. Dans l'acte d'union il est expressément stipulé qu'après les frais de perception payés, la première charte sur le revenu du Canada sera l'intérêt de la dette publique due au moment de l'union. Le salaire du clergé et la liste civile ne viennent qu'après.
L'acte d'union adopté par les deux chambres mit fin, en recevant la sanction royale, à l'acte de 91, passé pour soustraire à la domination des Canadiens-français, la petite population anglaise, du Haut-Canada, et révoquée plus tard pour mettre ces mêmes Canadiens sous la domination de la population anglaise, devenue ou devenant plus nombreuse.
A l'époque où se consommait ce grand acte d'injustice à notre préjudice, la population, le commerce, l'agriculture, l'industrie avaient fait d'immenses progrès dans le pays. La population que nous avons estimée à 125,000 âmes à peu prés lors de l'introduction de la constitution de 91, s'était redoublée cinq fois depuis. Les dissensions politiques n'avaient pas empêché chacun de remplir sa tâche avec son activité ordinaire. En Amérique le mouvement des choses entraîne toutes les théories avec lui, tous les systèmes des métropoles. Tout n'y assied sur des bases immenses qui n'ont pour ainsi dire de limites que les limites du continent lui-même. En Europe le propriétaire est au sommet de la pyramide sociale; en Amérique il est où il doit être pour le bonheur et la paix de ceux qui la composent, à la base. En 1844, où s'est fait le recensement le plus rapproché de l'union, la population du Bas-Canada était de 691,000 âmes, dont 524,000 Canadiens-français, 156,000 Anglais et étrangers, et 673,000 catholiques. Il y avait 76,000 propriétaires et 113,000 maisons, d'où l'on peut conclure que chaque famille a sa maison et que presque toutes les familles sont propriétaires.
Les productions agricoles s'élevèrent à 925,000 minots de blé, à 1,195,000 minots d'orge, à 333,000 minots de seigle, à 7,239,000 minots d'avoine, à 1,219,000 minots de pois, à 141,000 minots de blé-d'inde, à 375,000 minots de blé sarrasin, à 9,918,000, de pommes de terre. Les érablières produisirent 2,272,000 livres de sucre. On comptait 7,898 ruches d'abeilles, 470,000 têtes de bétail, 147,000 chevaux, 198,000 cochons et 603,000 moutons dont la toison donnait 1,211,000 livres de laine. Les animaux devaient être en proportion de l'agriculture, mais cette proportion est plus petite dans les pays froids que dans les pays chauds. L'hiver sera toujours un grand obstacle à l'élévation des bestiaux dans le Bas-Canada, parce qu'il faut les nourrir à l'étable près de six mois de l'année.
Il sortit des métiers domestiques 747,000 verges de drap du pays, 858,000 verges de toile de fil et de coton, 655,000 verges de flanelle et de droguet.
L'industrie faisait rouler 422 moulins à farine, 153 à gruau, 911 à scie, 14 à l'huile de lin, 153 à fouler, 169 à carder, 469 à battre, 8 à papier et 24 à cloux, etc. 69 fonderies mêlaient leurs noires vapeurs au bruit de ces grands élémens de progrès et de richesses. Il y avait encore 36 distilleries, 30 brasseries, 540 manufactures de potasse et 86 autres de différens genres, que faisaient marcher le vent, l'eau, la vapeur ou la force animale.
Maintenant au dessus de ces puissances physiques et matérielles il y avait 64 collèges ou écoles supérieures et 1569 écoles élémentaires, qui répandaient les lumières sur 57,000 enfans au bruit des forêts qu'on abattait et des chantiers qu'on ouvrait partout pour agrandir le champ des nouvelles Sidons modernes, dans ce continent sorti à peine du sein des ondes et des mains de Christophe Colomb et de Jacques Cartier. La rigueur du climat de Québec ne peut rien pour dompter l'énergie productive des enfans du St.-Laurent. C'est au milieu des frimats qui emprisonnent les ondes qu'ils construisent ces nombreux vaisseaux qui doivent sillonner les mers du globe, et qu'ils préparent ces bois qui doivent servir à abriter les peuples de l'Europe et des tropiques. 2090 ouvriers construisirent à Québec seul dans l'hiver de 1840, 33 navires jaugeant ensemble 18,000 tonneaux; et 1175 navires jaugeant 384,000 tonneaux venant d'Europe et d'ailleurs, étaient arrivés dans le cours de l'été précédent dans le port de cette ville commerçante.
Enfin en 1840, la totalité du revenu du Bas-Canada monta à £184,000, et la dépense à £143,000. Aujourd'hui à l'aide de quelques modifications dans nos lois fiscales, le revenu des deux Canadas unis a presque triplé; il excède £800,000.
Nous allons terminer ici notre récit. L'union des deux Canadas doit former une des grandes époques de nos annales coloniales. Nous l'avons peut-être amené trop près des temps présens; mais nous y avons été forcé par l'enchaînement des événemens, qui seraient restés sans signification bien précise sans la conclusion qui nous les explique en expliquant la pensée de la métropole. Si en retraçant ces événemens, nous avons pu blesser les susceptibilités des hommes, des races, du pouvoir ou des partis qui ont exercé de l'influence sur notre patrie, nous dirons comme M. Thiers, nous l'avons fait sans haine, plaignant l'erreur, révérant la vertu, admirant la grandeur, tâchant de saisir les profonds desseins de la providence dans le sort qu'elle nous réserve, et les respectant dès que nous croyons les avoir saisis.