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Introduction à la vie dévote

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The Project Gutenberg eBook of Introduction à la vie dévote

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Title: Introduction à la vie dévote

Author: Saint de Sales Francis

Release date: November 17, 2016 [eBook #53540]
Most recently updated: October 23, 2024

Language: French

Credits: Produced by Laurent Vogel, Pierre Lacaze and the Online
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*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK INTRODUCTION À LA VIE DÉVOTE ***

INTRODUCTION

A

LA VIE DÉVOTE,

DE

SAINT FRANÇOIS DE SALES,

ÉVÊQUE ET PRINCE DE GENÈVE,

INSTITUTEUR DE L'ORDRE DE LA VISITATION DE SAINTE MARIE.

Édition corrigée A. M. D. G.

A LYON, CHEZ PERISSE FRÈRES, LIBRAIRES, rue Mercière, nº 33.

A PARIS, AU DÉPÔT DE LIBRAIRIE DE PERISSE FRÈRES, place Saint-André-des Arts, nº 11.

1832.


SENTIMENT D'ALEXANDRE VII

Sur cet ouvrage, et les autres écrits de saint François de Sales.

Mon cher neveu, c'est avec regret que j'ai souffert votre absence et notre séparation; mais il nous faut rejoindre par le commerce des lettres; et pour le commencer par un sujet digne de vous et de moi, je ne saurois, ce me semble, mieux faire que de vous continuer le discours que je vous faisois sur le point de votre départ. Je vous conjure donc, encore une fois, de faire vos délices et plus chères études des œuvres de M. de Sales, d'être son lecteur assidu, son fils obéissant, et son imitateur fidèle. C'est à sa Philothée, qui est la meilleure guide qu'on puisse prendre pour se conduire dans le chemin de la vertu, que je dois depuis vingt ans, après Dieu, la correction de mes mœurs; et s'il y a quelque chose en moi exempt de vice, je lui en ai obligation. Je l'ai lue une infinité de fois, et je ne saurois me passer de la relire; elle ne perd jamais pour moi la grâce de la nouveauté, et toutes les fois qu'elle repasse sous mes yeux, il me semble qu'elle me dit toujours quelque chose de plus que ce qu'elle m'avoit dit auparavant. Si vous m'en croyez, ce livre sera le miroir de votre vie, et la règle sur quoi vous prendrez la mesure de toutes vos actions, et de toutes vos pensées. Il ne vous oblige pas à l'austérité et à la solitude d'un ermite; il ne vous persuade pas d'entreprendre un genre de vie extraordinaire; son dessein est de vous mener au bout de la perfection chrétienne, et de vous instruire dans la solide piété, par une voie douce et facile, qui s'accommode admirablement à toutes les différentes conditions des hommes, quelque basses ou relevées qu'elles puissent être. Si la vertu, disoit un ancien, pouvoit nous être représentée avec des couleurs assez vives, et des traits dignes de son mérite, elle attireroit tous les mortels à son amour, avec une ardeur et une passion extrêmes. Il me semble, certes, que le grand François de Sales a réussi parfaitement dans ce dessein; en effet, il nous l'a représentée au vif avec tout l'éclat de sa majesté, et tous les attraits de ses beautés et de ses grâces. Mais ce qui est le plus digne de louange, et le plus agréable en cet excellent écrivain, c'est que se proposant Notre-Seigneur pour son modèle, il a commencé à bien faire avant que de bien dire, et que son premier soin a été d'exécuter lui-même ce qu'il devoit enseigner aux autres. De sorte qu'on peut dire avec raison, que ceux qui étudient ses livres, étudient encore sa vie, et que ses préceptes et ses avis sont d'autant plus faciles à pratiquer, qu'ils sont prévenus et autorisés de son exemple. Cet homme, né dans une famille noble et riche, élevé dans la vertu et les belles-lettres, de la manière dont on a accoutumé d'instruire les enfans de bonne maison, a paru dans la cour des rois, et les palais des princes, dans les maisons des particuliers, dans les compagnies de ses amis, dans les affaires du monde, dans les exercices de dévotion: bref, dans tous les emplois de sa charge épiscopale, avec une conduite et une sainteté merveilleuses; tellement que nous avons bien sujet de nous couvrir de rougeur et de honte, et de condamner notre lâcheté, nous, à qui le prétexte, ou de la coutume du monde, ou de l'occupation des grandes affaires, ou de la condition de notre naissance, sert d'excuse ordinaire pour nous dispenser de vivre dans les règles exactes de la piété chrétienne. Or ce que je dis de la Philothée, je le dis encore du Théotime: je veux dire, de ce livre tout d'or de l'amour divin; bref, de tous les autres ouvrages de ce grand homme, je vous avoue que les lisant souvent, et de nuit, je me suis fait comme une idée en moi-même, et un recueil de ses plus beaux sentimens, et des points principaux de sa doctrine, que je rumine puis après à mon loisir, que je goûte et que je fais passer, pour ainsi dire, dans mon estomac, afin de le transformer en mon sang et en ma substance. Voilà mon sentiment touchant ce saint homme, mon cher neveu, dont je vous fais part, vous exhortant de tout mon cœur à le suivre: car en vérité, si vous le prenez pour le censeur et le guide de votre vie, si vous pratiquez en sa personne ce que Sénèque même nous enseigne, qu'il nous faut choisir l'exemple de quelque homme illustre, qui serve de patron à notre conduite, et en présence de qui nous nous imaginions d'être et d'agir en toutes occasions, ni je n'aurai sujet de me repentir du conseil que je vous donne, ni vous de l'avoir mis en exécution. Je finis, mon cher neveu, en vous disant avec Horace:

Adieu, vivez content, et si vous savez quelque chose de meilleur que ces avis, je vous prie de m'en faire part en toute sincérité; sinon, servez-vous comme moi de ceux-ci, et faites-en votre profit.


ORAISON

DÉDICATOIRE.

O doux Jésus! mon Seigneur, mon Sauveur et mon Dieu, me voici prosterné devant votre Majesté, vouant et consacrant cet écrit à votre gloire. Animez-en les paroles de votre sainte bénédiction, afin que les ames pour lesquelles je l'ai fait, en puissent recevoir les inspirations que je leur désire, et particulièrement celle d'implorer sur moi votre immense miséricorde, afin qu'en montrant aux autres le chemin de la dévotion en ce monde, je ne sois pas réprouvé et confondu éternellement dans l'autre; mais qu'à jamais je chante avec eux pour cantique de triomphe le mot que de tout mon cœur je prononce maintenant en témoignage de fidélité parmi les hasards de cette vie mortelle: Vive Jésus! vive Jésus! Oui, Seigneur Jésus, vivez et régnez en nos cœurs par tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


PRÉFACE.

Mon cher lecteur, je vous prie de lire cette Préface pour votre satisfaction et la mienne.

La bouquetière Glycera savoit si bien diversifier la disposition et le mélange des fleurs, qu'avec les mêmes fleurs elle faisoit une grande variété de bouquets: de sorte que le peintre Pausias demeura court quand il voulut imiter cette diversité d'ouvrages; car il ne put changer sa peinture en autant de manières que Glycera faisoit ses bouquets. Ainsi le Saint-Esprit dispose et arrange avec tant de variété les enseignemens qu'il nous donne sur la dévotion par la plume et la bouche de ses serviteurs, que la doctrine restant toujours la même, les discours néanmoins qui s'en font sont bien différens, selon les diverses formes qu'ils reçoivent. Je ne puis certes ni ne veux écrire en cette Introduction que ce qui a déjà été dit avant moi sur ce sujet. Ce sont les mêmes fleurs que je présente à mon lecteur, mais le bouquet que j'en ai fait sera différent des autres, à cause de la forme que je lui ai donnée.

Ceux qui ont traité de la dévotion ont presque tous regardé l'instruction des personnes retirées du monde: on du moins ils ont enseigné une sorte de dévotion qui conduit à cette entière retraite. Pour moi j'ai l'intention d'instruire ceux qui vivent dans les villes, dans leur ménage, à la cour, et qui par leur condition sont obligés de mener une vie commune quant à l'extérieur, lesquels bien souvent, sous le prétexte d'une prétendue impossibilité, ne veulent pas même penser à l'entreprise de la vie dévote, s'imaginant que, comme aucun animal n'ose goûter de la graine du Palma Christi, nul homme aussi ne doit prétendre à la palme de la piété chrétienne, tandis qu'il vit parmi les embarras des affaires temporelles. Or je leur montre ici le contraire; car, de même que les mères-perles vivent au sein de la mer sans prendre une seule goutte d'eau marine; que vers les îles Chélidoines il y a des fontaines d'eau douce au milieu des eaux salées de l'océan, et que les pyraustes volent à travers les flammes sans se brûler les ailes; de même aussi une ame vigoureuse et constante peut vivre dans le monde sans prendre l'humeur mondaine, trouver les sources d'une douce piété parmi les ondes amères du siècle, et voler entre les flammes des convoitises terrestres sans brûler les ailes des saints désirs de la vie dévote. Il est vrai que cela est malaisé; aussi voudrois-je que plusieurs y employassent leur soin avec plus d'ardeur qu'on ne l'a fait jusqu'à présent; et c'est pourquoi, tout foible que je suis, je vais essayer par cet écrit de soutenir les cœurs généreux qui feront cette digne entreprise.

Toutefois si cette Introduction voit le jour, ce n'a pas été de mon choix et de mon propre mouvement. Il y a quelque temps qu'une ame vraiment pleine d'honneur et de vertu, se sentant pressée par la grâce de Dieu d'entrer dans la vie dévote, me pria de l'assister en ce bon dessein; et moi qui lui étois fort dévoué par toutes sortes de devoirs, et qui avois depuis long-temps remarqué en elle de grandes dispositions à la piété, je me rendis fort soigneux à la bien instruire; et l'ayant conduite par tous les exercices convenables à ses désirs et à sa condition, je lui en laissai des mémoires par écrit, afin qu'elle pût y recourir en cas de besoin. Depuis elle les communiqua à un docte et dévot religieux, qui, croyant que plusieurs personnes en pourroient profiter, m'exhorta fort à les rendre publics; ce qu'il n'eut pas de peine à me persuader, parce que son amitié avoit beaucoup d'empire sur ma volonté, et son jugement un grand ascendant sur le mien.

Or, afin de rendre cet ouvrage plus utile et plus agréable, je l'ai revu, j'y ai mis quelque ordre, et j'y ai ajouté plusieurs instructions qui alloient à mon but: mais tout cela, je l'ai fait presque sans en avoir le loisir. C'est pourquoi l'on ne verra rien ici que de très-imparfait, qu'un amas d'avertissemens que je donne de bonne foi, en tâchant de les expliquer le plus clairement que je puis. Et quant aux ornemens du style, je n'y ai pas seulement voulu penser, comme ayant assez d'autres choses à faire sans cela.

J'adresse mes paroles à Philothée, parce que, voulant rapporter à l'utilité commune des ames ce que j'avois d'abord écrit pour une seule, je dois me servir d'un nom commun à tous ceux qui aspirent à la dévotion; et ce nom, c'est Philothée, qui veut dire celui ou celle qui aime Dieu.

Considérant donc en tout ceci une ame qui, par le désir de la dévotion, aspire à l'amour de Dieu, j'ai partagé cette Introduction en cinq parties. Dans la première, je tâche, par les considérations et les exercices convenables, de changer le simple désir de Philothée en une résolution formelle d'embrasser la dévotion; ce qu'elle fait, après sa confession générale, par une solide protestation qui est suivie de la très-sainte communion, dans laquelle recevant son Sauveur et se donnant à lui, elle entre heureusement dans son saint amour. Après cela, pour la conduire plus avant, je lui montre deux grands moyens de s'unir de plus en plus à la divine Majesté: savoir, l'usage des sacremens, par lesquels ce bon Dieu vient à nous; et la sainte oraison, par laquelle il nous tire à lui: c'est ce qui compose la seconde partie. Dans la troisième, je montre à Philothée comment elle doit s'exercer en plusieurs vertus très-propres à son avancement; ce que je fais par certains avis particuliers qu'elle auroit peine à trouver ailleurs, ou par elle-même. Dans la quatrième, je lui découvre quelques embûches de ses ennemis, et lui montre comme elle doit s'en démêler et passer outre. Enfin, dans la cinquième partie, je la conduis à l'écart pour se rafraîchir un peu, reprendre haleine et réparer ses forces, de manière à pouvoir ensuite plus heureusement gagner pays, et s'avancer en la vie dévote.

Notre siècle est fort bizarre; et je prévois bien que plusieurs diront qu'il n'appartient qu'aux religieux, et aux gens de dévotion, de donner ainsi des règles particulières à la piété; que cela requiert plus de loisir que n'en peut avoir un évêque chargé d'un diocèse aussi pesant que le mien, et que cela détourne trop l'entendement qui doit être occupé de choses importantes.

Mais, mon cher lecteur, je répons, avec le grand saint Denis, qu'il appartient principalement aux évêques de perfectionner les ames; parce qu'étant de l'ordre suprême parmi les hommes, comme les séraphins parmi les anges, leur loisir ne peut être mieux employé qu'à cela. Les anciens évêques et les Pères de l'Eglise étoient pour le moins aussi affectionnés à leurs charges que nous; et cependant ils ne laissoient pas de vaquer à la conduite particulière de plusieurs ames qui recouroient à eux, comme on le voit par leurs épîtres; imitant en cela les apôtres, qui, tout occupés qu'ils étoient de la moisson générale de l'univers, recueilloient néanmoins très-soigneusement et avec une affection spéciale certains épis plus remarquables que les autres. Qui ne sait que Timothée, Tite, Philémon, Onésime, sainte Thècle, Appia, étoient les chers enfans du grand saint Paul, comme saint Marc et sainte Pétronille de saint Pierre? Je dis sainte Pétronille, car elle ne fut pas sa fille selon la chair, mais bien selon l'esprit, ainsi que le prouvent très-savamment Baronius et Galonius; et saint Jean n'écrit-il pas une de ses épîtres canoniques à la dévote dame Electa?

C'est une peine, je le confesse, de conduire les ames en particulier; mais une peine qui soulage, pareille en ce point à celle des moissonneurs et des vendangeurs, qui ne sont jamais plus contens que lorsqu'ils sont fort occupés et chargés. C'est un travail qui délasse et avise le cœur par la consolation qui en revient à ceux qui l'entreprennent, comme fait le cinamome à ceux qui le portent à travers l'Arabie Heureuse. On dit que lorsque la tigresse retrouve un de ses petits que le chasseur lui laisse exprès sur le chemin pour l'amuser tandis qu'il emporte les autres, elle s'en charge aussitôt, tel gros qu'il soit, et, loin d'en être plus pesante, n'en est au contraire que plus prompte à le sauver dans sa tanière, l'amour naturel l'allégeant par ce fardeau. Or, combien plus volontiers un cœur paternel se chargera-t-il d'une ame qu'il aura trouvée dans un vrai désir de la sainte perfection, la portant en son sein comme une mère porte son petit enfant, sans nullement se ressentir de ce faix bien-aimé!

Mais il faut sans doute que ce soit un cœur paternel: et c'est pourquoi les apôtres et les hommes apostoliques appellent leurs disciples non-seulement leurs enfans, mais encore plus tendrement leurs petits enfans.

Au demeurant, mon cher lecteur, il est vrai que j'écris de la vie dévote sans être dévot, mais non pas certes sans désir de le devenir. Et c'est encore ce qui me porte avec plus d'affection à vouloir vous en instruire. Car, comme disoit un savant homme, la bonne façon d'apprendre, c'est d'étudier; une meilleure, c'est d'écouter; mais la très-bonne, c'est d'enseigner; et il arrive souvent, dit saint Augustin en écrivant à la pieuse Florentine, que l'office de donner sert de titre pour recevoir, et que la charge d'enseigner sert de fondement pour apprendre.

Alexandre fit peindre la belle Compaspé, qui lui étoit si chère, par la main du célèbre Apelles. Apelles, forcé de considérer longuement Compaspé, en imprima l'amour en son cœur à mesure qu'il en exprimoit les traits sur le tableau; si bien qu'Alexandre s'en étant aperçu, en eut pitié, et la lui donna généreusement en mariage, se privant pour l'amour de lui de la plus chère amie qu'il eût au monde. En quoi, dit Pline, il montra sa grandeur d'ame, plus qu'il n'eût fait par le gain d'une bataille. Or il me semble, mon lecteur mon ami, qu'étant évêque, Dieu veut que je peigne sur les cœurs non-seulement les vertus communes, mais encore sa très-chère et bien-aimée dévotion; et moi je l'entreprends volontiers, tant pour obéir et faire mon devoir, que pour l'espérance que j'ai qu'en la gravant dans l'esprit des autres, le mien à l'aventure en deviendra saintement amoureux. Or, si jamais Dieu m'en voit vivement épris, il me la donnera en mariage éternel. La belle et chaste Rebecca, abreuvant les chameaux d'Isaac, fut choisie pour être son épouse, et reçut de sa part des pendans d'oreilles et des bracelets d'or. Ainsi je me promets de l'immense bonté de mon Dieu que, conduisant ses chères brebis aux eaux salutaires de la dévotion, il rendra mon ame son épouse, mettant en mes oreilles les paroles dorées de son saint amour, et en mes bras la force de les bien pratiquer; en quoi consiste essentiellement la vraie dévotion, que je supplie sa divine Majesté de vouloir bien m'accorder, à moi et à tous les enfans de son Eglise, à laquelle je veux à jamais soumettre mes écrits, mes actions, mes paroles, mes volontés et mes pensées.

A Annecy, le jour de sainte Magdeleine, 1608.


INTRODUCTION

A

LA VIE DÉVOTE.


PREMIÈRE PARTIE.

CONTENANT LES AVIS ET LES EXERCICES PROPRES A CONDUIRE L'AME, DEPUIS SON PREMIER DÉSIR DE LA VIE DÉVOTE, JUSQU'A UNE FERME RÉSOLUTION DE L'EMBRASSER.


CHAPITRE PREMIER.

Description de la vraie dévotion.

Vous aspirez à la dévotion, très-chère Philotée, parce qu'étant chrétienne, vous savez que c'est une vertu extrêmement agréable à la divine Majesté. Mais, comme il arrive que les petites fautes que l'on commet au commencement d'une affaire s'agrandissent beaucoup à mesure qu'on avance, et deviennent à la fin presque irréparables, il faut, avant toutes choses, que vous sachiez bien ce que c'est que la vertu de dévotion; car il n'y en a qu'une de vraie, et il y en a beaucoup de fausses et de vaines; en sorte que, sans ce discernement, vous pourriez vous tromper, et perdre le temps à suivre quelque dévotion imprudente et superstitieuse.

Le peintre Arélius donnoit à tous ses personnages la figure des personnes qu'il aimoit; et chacun peint la dévotion selon sa passion et son humeur. Celui qui est adonné au jeûne se tiendra pour bien dévot pourvu qu'il jeûne, quoique son cœur soit plein de rancune; et n'osant pas tremper sa langue dans le vin, ni même dans l'eau, par sobriété, il ne se fera pas scrupule de la plonger dans le sang du prochain, par la médisance et la calomnie. Un autre s'estimera dévot parce qu'il dit une grande multitude d'oraisons tous les jours, quoiqu'après cela il se répande en paroles fâcheuses, fières et injurieuses contre ses domestiques et ses voisins. Tel autre tire volontiers l'aumône de sa bourse pour la donner aux pauvres, mais il ne peut tirer la douceur de son cœur pour pardonner à ses ennemis. Celui-ci pardonne aisément, mais de payer ses créanciers, c'est ce qu'il ne fait qu'à vive force de justice. Tous ces gens-là passent pour dévots, et ne le sont en aucune manière. Les officiers de Saül étant allés chez David pour l'arrêter, Michol mit une statue dans son lit, et l'ayant couverte des habits de David, elle leur fit accroire que c'étoit David lui-même qui dormoit malade. Ainsi beaucoup de personnes se couvrent de certaines pratiques extérieures qui appartiennent à la dévotion, et le monde croit que ce sont vraiment des gens dévots et spirituels, et dans le fait ce ne sont que des statues et des fantômes de dévotion.

La vraie et solide dévotion, Philothée, présuppose l'amour de Dieu, ou plutôt elle n'est autre chose qu'un vrai amour de Dieu; je dis un vrai amour, et non pas un amour tel quel; car en tant que l'amour divin embellit notre ame, il s'appelle grâce, comme nous rendant agréables aux yeux de Dieu; en tant qu'il nous donne la force de faire le bien, il s'appelle charité; mais quand il en est venu à ce degré de perfection, de nous porter non-seulement à faire le bien, mais encore à le faire soigneusement, fréquemment et promptement, alors il s'appelle dévotion, et j'explique ceci par une comparaison. Les autruches ne volent jamais, bien qu'elles aient des ailes. Les poules volent, mais pesamment, rarement, et fort bas. Au contraire, les aigles, les colombes, les hirondelles ont le vol vif, élevé et presque continuel. Ainsi les pécheurs ne volent pas en Dieu, mais font toutes leurs courses sur la terre et pour la terre: les gens de bien, qui n'ont pas encore atteint la dévotion, volent en Dieu par leurs bonnes actions, mais rarement, lentement et pesamment: et il n'y a que les personnes dévotes qui s'élèvent en Dieu d'un vol prompt, fréquent et élevé. En un mot, la dévotion n'est autre chose qu'une certaine agilité et vivacité spirituelle, par laquelle la charité fait ses œuvres en nous, ou nous par elle, promptement et affectionnément; et comme il appartient à la charité de nous faire pratiquer universellement tous les commandemens de Dieu, il appartient à la dévotion de nous les faire observer avec toute la diligence et toute la ferveur possibles. Ainsi celui qui n'observe pas tous les commandemens de Dieu, n'est ni juste ni dévot: il n'est pas juste, puisqu'il lui manque la charité; il n'est pas dévot, puisque, outre la charité, il lui manque le zèle et la promptitude aux actions charitables, qui est le propre de la dévotion.

Et parce que la dévotion consiste dans la perfection de la charité, elle nous rend prompts, actifs et diligens, non-seulement à observer tous les commandemens de Dieu, mais encore à faire le plus de bonnes œuvres que nous pouvons, encore qu'elles ne soient pas de précepte, mais simplement de conseil ou d'inspiration. Un homme qui relève nouvellement de maladie marche autant qu'il lui est nécessaire, mais lentement et pesamment: il en est de même d'un pécheur nouvellement guéri de son iniquité; il marche autant que Dieu le lui commande; mais posément et lentement; et ce n'est que lorsqu'il a atteint la dévotion, que, comme un homme sain et robuste, non-seulement il chemine, mais il court et il saute en la voie des commandemens de Dieu, et de plus, il s'élance dans les sentiers des conseils et des inspirations célestes. Enfin la charité et la dévotion ne sont pas plus différentes l'une de l'autre que la flamme ne l'est du feu; puisque la charité, qui est le feu spirituel de l'ame, s'appelle dévotion quand elle est fort enflammée. En sorte que la dévotion n'ajoute rien au feu de la charité, sinon la flamme qui rend la charité prompte, active et diligente non-seulement dans l'observation des commandemens de Dieu, mais aussi dans la pratique des conseils et des inspirations célestes.


CHAPITRE II.

Propriétés et excellence de la dévotion.

Ceux qui vouloient détourner les Israélites d'entrer en la terre promise leur disoient que c'étoit un pays qui dévoroit ses habitans, c'est-à-dire, que l'air y étoit si mauvais qu'on ne pouvoit y vivre long-temps; et qu'en outre les habitans étoient des gens si prodigieux qu'ils mangeoient les autres hommes comme des sauterelles. C'est ainsi, chère Philothée, que le monde diffame tant qu'il peut la sainte dévotion, peignant les personnes dévotes avec un visage fâcheux, triste et chagrin, publiant partout que la dévotion rend l'humeur mélancolique et le caractère insupportable. Mais, comme Josué et Caleb assuroient que, non-seulement la terre promise étoit bonne et belle, mais encore que la possession en seroit douce et agréable, de même le Saint-Esprit nous enseigne par la bouche de tous les saints, et notre Seigneur lui-même nous assure que la vie dévote est une vie heureuse, aimable et douce.

Le monde voit que les dévots jeûnent, prient, souffrent les injures, servent les malades, donnent aux pauvres, veillent, répriment leur colère, font violence à leurs passions, se privent des plaisirs sensuels, et font mille autres choses qui de leur nature sont pénibles et rigoureuses; mais le monde ne voit pas la dévotion intérieure qui rend toutes ces pratiques agréables, douces et faciles. Regardez les abeilles sur le thym: elles y trouvent un suc fort amer; mais en le suçant elles le convertissent en miel: parce que telle est leur propriété. O mondains! il est vrai que les ames dévotes trouvent beaucoup d'amertume dans leurs mortifications; mais en les faisant, elles les convertissent en douceurs et en consolations: les feux, les flammes, les roues, les épées, sembloient des fleurs et des parfums aux Martyrs, parce qu'ils étoient dévots. Que si la dévotion peut donner de la douceur aux plus cruels tourmens, et à la mort même, que ne fera-t-elle pas pour les actions de vertu? le sucre adoucit les fruits qui ne sont pas murs, et corrige dans ceux qui sont murs l'effet souvent nuisible de leur crudité: il en est de même de la dévotion; elle est le vrai sucre spirituel qui fait perdre aux mortifications leur amertume, et aux consolations leur danger: elle ôte le chagrin aux pauvres, et l'empressement aux riches; la désolation à l'oppressé, et l'insolence au favorisé; la tristesse aux solitaires, et la dissolution à l'homme du monde; elle sert de feu en hiver, et de rosée en été; elle rend également utiles l'honneur et le mépris; elle reçoit le plaisir et la peine avec un cœur presque toujours égal, et nous remplit d'une suavité merveilleuse.

Contemplez l'échelle de Jacob, car c'est le vrai portrait de la vie dévote. Les deux montans de cette échelle représentent l'oraison qui demande l'amour de Dieu, et l'usage des sacremens qui le donne; les échelons ne sont autre chose que les divers degrés de charité, par lesquels on va de vertu en vertu, en descendant par l'action au secours et support du prochain, ou montant, par la contemplation, jusqu'à l'union amoureuse de Dieu. Or, voyez, je vous prie, quels sont ceux qui sont sur l'échelle; ce sont des hommes qui ont des cœurs angéliques, ou des anges qui ont des corps humains. Ils ne sont pas jeunes, mais ils le paroissent, parce qu'ils sont pleins de vigueur et d'agilité. Ils ont des ailes pour voler et s'élancer en Dieu par la sainte oraison, mais ils ont aussi des pieds pour marcher avec les hommes et s'entretenir avec eux dans un saint et aimable commerce. La beauté et la joie brillent sur leurs visages, pour indiquer qu'ils reçoivent toutes choses avec une douceur et une paix parfaites. Ils ont la tête nue, aussi-bien que les bras et les pieds, parce que leurs pensées, leurs affections et leurs œuvres n'ont d'autre but que de plaire à Dieu. Le reste de leur corps est couvert, mais d'une belle et légère tunique, qui nous montre que, s'ils usent de ce monde et des choses mondaines, c'est en toute pureté et simplicité de cœur, n'en prenant que légèrement et autant seulement que leur condition l'exige. Telles sont les personnes dévotes. Croyez-moi, chère Philothée, la dévotion est la douceur des douceurs, et la reine des vertus; c'est la perfection de la charité. Si la charité est un lait, la dévotion en est la crème; si elle est une plante, la dévotion en est la fleur; si elle est une pierre précieuse, la dévotion en est l'éclat; si elle est un baume, la dévotion en est l'odeur, et l'odeur pleine de suavité qui conforte les hommes et réjouit les anges.


CHAPITRE III.

Que la dévotion convient à toutes sortes de vocations et de professions.

Dieu, en créant le monde, commanda aux plantes de porter leurs fruits, chacune selon son espèce. Ainsi commande-t-il aux chrétiens, qui sont les plantes vivantes de son Église, de produire des fruits de dévotion, chacun selon sa qualité et son état. La dévotion doit être différemment pratiquée par le gentilhomme, par l'artisan, par le valet, par le prince, par la veuve, par la fille, par la femme mariée; et non-seulement cela, mais il faut encore accommoder la pratique de la dévotion aux forces, aux affaires et aux devoirs de chaque particulier. Je vous le demande, Philothée, seroit-il convenable que l'évêque voulût être solitaire comme les chartreux? et si les gens mariés ne vouloient pas plus amasser que les capucins, et si l'artisan étoit tout le jour à l'église comme le religieux, et le religieux exposé à toutes sortes de rencontres pour le service du prochain, comme l'évêque; cette dévotion ne seroit-elle pas ridicule, déréglée et insupportable? Cette faute cependant arrive très-souvent; et le monde, qui ne distingue pas, ou qui ne veut pas distinguer entre la dévotion et l'indiscrétion de ceux qui se croient dévots, murmure et crie contre la dévotion, qui n'est pour rien dans ces désordres.

Non, Philothée, la dévotion ne gâte rien quand elle est vraie, ou plutôt il n'est rien qu'elle ne perfectionne; et si elle nuit à la vocation légitime de quelqu'un, c'est une preuve qu'elle est fausse. L'abeille, dit Aristote, tire son miel des fleurs, sans les endommager aucunement, les laissant fraîches et entières comme elle les a trouvées. Mais la vraie dévotion fait encore mieux, car non-seulement elle ne gâte en rien les vocations et les affaires, où l'on se trouve, mais au contraire elle les orne et les embellit. Toutes sortes de pierreries, étant jetées dans le miel, en deviennent plus éclatantes, chacune selon sa couleur: de même aussi chacun devient plus agréable dans sa vocation, quand il y joint la dévotion: le soin de la famille en est plus paisible, l'amour des époux plus sincère, le service du prince plus fidèle, et toutes sortes d'occupations plus douces et plus aimables.

C'est une erreur, et même une hérésie, de vouloir bannir la vie dévote de la compagnie des soldats, de la boutique des artisans, de la cour des princes, du ménage des gens mariés. Il est vrai, Philothée, que la dévotion purement contemplative, monastique et religieuse, est impraticable en ces sortes de vacations; mais aussi, outre ces trois dévotions, il y en a plusieurs autres, très-propres à perfectionner ceux qui vivent dans le monde. Abraham, Isaac, Jacob, David, Job, Tobie, Sara, Rébecca et Judith en sont la preuve dans l'Ancien Testament: et quant au Nouveau, saint Joseph, Lydia et saint Crépin furent sûrement très-dévots dans leurs boutiques: sainte Anne, sainte Marthe, sainte Monique, Aquila, Priscille très-dévotes en leur ménage; Cornélius, saint Sébastien, saint Maurice très-dévots parmi les armes; Constantin, Hélène, saint Louis, le bienheureux Amé, saint Edouard très-dévots sur leurs trônes. Il est même arrivé que plusieurs ont perdu la perfection dans la solitude, qui est cependant si favorable à la vie parfaite, et l'ont conservée dans le monde, qui semble y être si contraire. Loth, dit saint Grégoire, qui fut si chaste dans la ville, se souilla dans la solitude. Ainsi, quelque état que nous ayons, nous pouvons et nous devons aspirer à la vie parfaite.


CHAPITRE IV.

De la nécessité d'un directeur pour entrer et pour avancer dans la dévotion.

Le jeune Tobie, se disposant à partir pour Ragez: «Je ne sais nullement le chemin, dit-il à son père. Va donc, répliqua le vieillard, et cherche quelque homme qui te conduise.» Je vous en dis autant, chère Philothée: voulez-vous sincèrement vous acheminer vers la dévotion? cherchez quelque homme de bien qui vous guide et vous conduise. C'est ici l'avertissement des avertissemens: quoi que vous fassiez, dit le dévot Avila, vous ne trouverez jamais si sûrement la volonté de Dieu qu'en prenant le chemin de cette humble obéissance que les saints ont toujours tant recommandée et pratiquée. La bienheureuse Thérèse, voyant que Catherine de Carderec faisoit de grandes austérités, désira d'en faire autant, contre l'avis de son confesseur qui le lui défendoit, et auquel elle fut tentée de désobéir en ce point; mais ayant enfin choisi le parti de l'obéissance, Dieu lui dit: «Ma fille, tu marches par une voie bonne et sûre: tu estimois beaucoup cette pénitence, et moi j'estime davantage ton obéissance.» Depuis lors elle aima tant cette vertu, qu'outre l'obéissance qu'elle devoit à ses supérieurs, elle s'engagea par un vœu particulier à suivre la conduite et les avis de son directeur; ce qui fut pour elle la source de très-grandes consolations, ainsi que l'ont éprouvé plusieurs autres bonnes ames, qui pour mieux s'assujettir à Dieu, ont soumis leur volonté à celle de ses serviteurs. Sainte Catherine de Sienne loue extrêmement cette pratique dans ses dialogues: la dévote princesse sainte Elisabeth se soumit avec une parfaite obéissance à la conduite du savant Conrard: et voici le conseil que le grand saint Louis donna à son fils avant de mourir: «Confessez-vous souvent, et choisissez un confesseur qui ait assez de science et de sagesse pour vous aider de ses lumières dans les choses nécessaires au bien de votre ame.»

Un ami fidèle, dit l'Ecriture-Sainte, est une forte protection: celui qui l'a trouvé a trouvé un trésor. Un ami fidèle est un remède qui donne la vie et l'immortalité: ceux qui craignent Dieu le trouvent. Ces divines paroles, comme vous voyez, regardent principalement l'immortalité, pour laquelle il faut avant tout avoir cet ami fidèle, qui guide nos actions par ses avis et ses conseils, et qui nous garantisse des piéges et des tromperies du démon. Un tel ami nous sera comme un trésor de patience dans nos afflictions et dans nos chutes; il nous sera un baume salutaire dans nos tristesses de cœur et autres maladies spirituelles; il nous gardera du mal, et rendra notre bien meilleur; et quand il nous arrivera quelque infirmité, il empêchera qu'elle ne soit mortelle à force de soins et de bons secours.

Mais qui trouvera cet ami? le Sage répond: ceux qui craignent Dieu; c'est-à-dire les humbles, qui désirent ardemment leur avancement spirituel. Puisqu'il est donc si important, Philothée, d'entreprendre avec un bon guide ce saint voyage de dévotion, priez Dieu très-instamment qu'il vous en envoie un selon son cœur, et ne doutez pas qu'il ne le fasse; car quand il devroit vous donner un ange du Ciel, comme il fit pour le jeune Tobie, il vous le donneroit plutôt que de vous laisser manquer d'un conducteur fidèle.

Or, quand vous l'aurez trouvé, pensez effectivement que c'est un ange pour vous. Ne le considérez pas comme un simple homme, et ne mettez pas votre confiance en lui à cause de son grand savoir, mais bien à cause de Dieu, qui vous secourra et vous parlera par son entremise, mettant dans son cœur et sur ses lèvres tout ce dont vous aurez besoin: en sorte que vous devez l'écouter comme un ange qui descend du Ciel pour vous y mener. Traitez avec lui à cœur ouvert, en toute simplicité, lui manifestant clairement votre bien et votre mal, sans aucune espèce de déguisement ni de détour. Par ce moyen, le bien sera plus sûr, et le mal plus promptement réparé. Votre ame en sera aussi plus forte dans ses peines, et plus modérée dans ses consolations. Ayez en lui une extrême confiance, mêlée d'un saint respect; de telle sorte que le respect ne diminue pas la confiance, et que la confiance n'empêche pas le respect. Confiez-vous en lui avec le respect d'une fille pour son père, et respectez-le avec la confiance d'un fils pour sa mère. En un mot, que cette amitié soit forte et douce, toute sainte, toute sacrée, toute divine, toute spirituelle.

Pour cela choisissez-en un entre mille, dit Avila; et moi, je dis entre dix mille; car il s'en trouve moins qu'on ne pense qui soient capables de ce ministère. Il faut qu'un directeur soit plein de charité, de science et de prudence: que si l'une de ces trois qualités lui manque, il y a du danger. Mais, je vous le répète, demandez-le à Dieu, et quand vous l'aurez obtenu, bénissez-en la divine Majesté. Tenez-vous ferme à votre choix, n'en cherchez point d'autres; allez simplement, humblement, et en toute confiance; je réponds que vous ferez un très-heureux voyage.


CHAPITRE V.

Qu'il faut commencer par purifier l'ame.

Les fleurs, dit l'époux sacré, apparoissent en notre terre; le temps d'émonder et de tailler est venu. Quelles sont les fleurs de nos cœurs, ô Philothée! sinon les bons désirs? Or, sitôt qu'ils paroissent, il faut mettre la main à la serpe pour retrancher de notre conscience toutes les œuvres mortes et superflues. Sous la loi de Moïse, une fille étrangère qui vouloit épouser un Israélite, devoit quitter la robe de sa captivité, se couper les ongles et se raser les cheveux: de même l'ame qui aspire à l'honneur d'être l'épouse du Fils de Dieu doit se dépouiller du vieil homme et se revêtir du nouveau, en quittant le péché; puis elle doit retrancher de sa vie toutes les superfluités qui la détournent de l'amour de Dieu: c'est le commencement de la santé de notre ame que d'être délivrée des humeurs du péché. Dans saint Paul, cela se fit en un instant et d'une manière parfaite; de même aussi dans sainte Catherine de Gênes, sainte Magdeleine, sainte Pélagie, et quelques autres; mais cette sorte de guérison est une cure miraculeuse et extraordinaire dans l'ordre de la grâce, comme la résurrection des morts dans l'ordre de la nature, en sorte que nous ne devons pas y prétendre. La guérison ordinaire, soit des corps, soit des esprits, ne se fait que petit à petit, par degrés, avec peine et patience. Les anges ont des ailes sur l'échelle de Jacob, et cependant ils ne volent pas; mais ils montent et descendent avec ordre, d'échelon en échelon. Ainsi va notre ame du péché à la dévotion; elle s'élève peu à peu, semblable à l'aube du jour qui ne chasse pas tout d'un coup les ténèbres, mais lentement et par degrés. Cette marche est au reste la plus sûre, car, comme dit l'aphorisme, la guérison qui se fait doucement est toujours plus certaine. Que s'il est vrai, chère Philothée, que le mal arrive à cheval et en poste, et s'en retourne à pied et au petit pas, il faut donc bien s'armer de force et de patience dans l'entreprise de la vie dévote. Hélas! quelle pitié de voir des ames engagées depuis peu dans la dévotion, s'inquiéter à cause de leurs fautes, se troubler, se décourager, presque jusqu'à vouloir tout quitter et retourner en arrière! Et d'un autre côté, quelle dangereuse tentation pour une ame de se croire guérie de ses moindres imperfections dès le premier jour de sa conversion, se regardant comme parfaite presqu'avant d'être faite, et se mettant à voler sans ailes! O Philothée, que la rechute est à craindre, quand on veut ainsi se tirer trop tôt des mains du médecin! Ne vous levez pas avant la lumière, dit le Prophète; levez-vous après être demeuré assis; et lui-même, pratiquant ce qu'il enseigne, ayant été lavé et purifié de ses fautes, demande de l'être encore davantage. L'exercice qui consiste à purifier notre ame de plus en plus, ne peut et ne doit se terminer qu'avec notre vie; ne nous troublons donc point dans nos imperfections; car notre perfection consiste à les combattre, et nous ne saurions les combattre sans les voir, ni les vaincre sans les rencontrer; et notre victoire ne consiste pas à ne les pas sentir, mais bien à n'y pas consentir.

Ce n'est pas y consentir que d'en être incommodé. Il faut bien que, pour l'exercice de notre humilité, nous soyons quelquefois blessés dans ce combat spirituel. Mais nous ne sommes jamais vaincus, que quand nous venons à perdre ou la vie, ou le courage; or, les imperfections et les péchés véniels ne sauroient nous ôter la vie spirituelle, puisqu'elle ne se perd que par le péché mortel; il reste donc seulement qu'elles ne nous fassent point perdre le courage. Délivrez-moi, Seigneur, disoit David, du découragement et de la lâcheté; disons de même, et regardons-nous comme très-heureux dans cette guerre, de n'avoir d'autre condition à remplir pour être toujours vainqueurs, que de vouloir toujours combattre.


CHAPITRE VI.

Du premier retranchement, qui est celui des péchés mortels.

Le premier retranchement à faire est celui du péché. Pour cela, il faut avoir recours au sacrement de pénitence. Cherchez le plus digne confesseur que vous pourrez; ayez un de ces petits livres qui ont été faits pour aider les consciences à se bien confesser, comme Grenade, Bruno, Arias, Auger et autres: lisez-les bien, et remarquez de point en point en quoi vous avez offensé Dieu, depuis que vous avez atteint l'âge de la raison jusqu'à présent; que si vous vous défiez de votre mémoire, mettez par écrit ce que vous aurez remarqué.

Ayant ainsi préparé et réuni tout ce qui charge votre conscience, rejetez-le par une contrition aussi vive et aussi parfaite que votre cœur pourra la concevoir, considérant ces quatre choses: que par le péché vous avez perdu la grâce de Dieu, abandonné votre part de paradis, mérité les peines éternelles de l'enfer, et renoncé à l'amour éternel de Dieu.

Vous voyez bien, Philothée, que je parle d'une confession générale de toute la vie; une telle confession, je l'avoue, n'est pas toujours absolument nécessaire, mais elle est cependant extrêmement bonne et utile dans ces commencemens; aussi je vous conseille fort d'y recourir. Souvent les confessions ordinaires de ceux qui vivent d'une vie tiède et commune, sont remplies de grands défauts: on ne se prépare point, ou fort peu: on n'a point la contrition requise: on va se confesser avec la volonté tacite de retourner au péché: on ne veut pas éviter les occasions dangereuses, ni prendre les moyens nécessaires pour réformer sa vie; en tous ces cas, la confession générale est indispensable pour assurer le salut. Mais de plus, la confession générale nous appelle à la connoissance de nous-mêmes, nous provoque à une salutaire confusion pour notre vie passée, nous fait admirer la miséricorde de Dieu, qui nous a attendus si patiemment; elle apaise nos cœurs, délasse nos esprits, excite en nous de bonnes résolutions, donne sujet à notre père spirituel de nous dire les choses convenables à notre position, et enfin nous ouvre le cœur pour confesser nos péchés à l'avenir avec plus de confiance et de sincérité.

Ainsi, puisqu'il s'agit d'un renouvellement général de notre cœur, et d'une conversion universelle de notre ame à Dieu, c'est avec raison, ce me semble, Philothée, que je vous conseille cette confession générale.


CHAPITRE VII.

Du second retranchement, qui est celui des affections au péché.

Tous les Israélites sortirent de la terre d'Egypte; mais tous n'en sortirent pas de cœur et d'affection. Aussi, quand ils furent dans le désert, plusieurs regrettèrent les ognons et les viandes d'Egypte. Ainsi il y a des pécheurs qui sortent effectivement du péché et qui n'en perdent pas pourtant l'affection. Ils se proposent bien de ne plus pécher, mais c'est avec une certaine répugnance à se priver des plaisirs du péché; leur cœur y renonce et s'en éloigne, mais il ne laisse pas néanmoins de se retourner souvent de ce côté-là, comme la femme de Loth se retournoit vers Sodome. Ils s'abstiennent du péché comme les malades s'abstiennent du melon: ils n'en mangent pas, parce que le médecin les menace de mort s'ils en mangent; mais ils se tourmentent de cette privation: ils en parlent, ils hésitent sur ce qu'il faut faire, ils veulent au moins le sentir, et estiment fort heureux ceux qui peuvent en manger. De même ces foibles et lâches pénitens s'abstiennent pour quelque temps du péché, mais c'est à regret: ils voudroient bien pouvoir pécher sans être damnés, ils parlent du péché avec goût, et estiment heureux ceux qui s'y livrent. Un homme résolu de se venger changera de volonté en se confessant; mais bientôt après, on le trouvera au milieu de ses amis, prenant plaisir à parler de sa querelle, disant que, sans la crainte de Dieu, il eût fait ceci et cela; que la loi divine est bien gênante; que le pardon des injures est bien difficile; que plût à Dieu qu'il fût permis de se venger! Ah! qui ne voit que, bien que ce pauvre homme soit hors du péché, il est néanmoins tout embarrassé de l'affection du péché, et qu'étant hors d'Egypte par l'effet, il y est encore par le désir, ne laissant pas d'aimer toujours et de regretter les ognons qu'il y mangeoit? Comme fait aussi cette femme qui, après avoir détesté son inconduite, se plaît encore néanmoins à être flattée et recherchée. Hélas! que de telles gens sont en danger de se perdre!

Philothée, puisque vous voulez entreprendre la vie dévote, il ne faut pas seulement vous contenter de quitter le péché, mais il faut encore délivrer tout-à-fait votre cœur des actions qui dépendent du péché. Car, outre le danger de la rechute, ces misérables affections amolliroient perpétuellement votre esprit, et l'appesantiroient de telle sorte qu'il ne pourroit plus faire de bonnes œuvres avec cette promptitude, cette persévérance et ce zèle, qui sont de l'essence de la vraie dévotion. Les ames qui, après avoir quitté le péché, ont encore ces affections et ces langueurs, ressemblent, à mon avis, aux personnes qui ont les pâles couleurs: elles ne sont pas absolument malades, mais toutes leurs actions sont malades: elles mangent sans goût, dorment sans repos, rient sans joie, et se traînent plutôt qu'elles ne marchent. De même ces ames font le bien avec des lassitudes spirituelles si grandes, que leurs bonnes œuvres, déjà fort petites en nombre et en effet, cessent d'avoir la moindre grâce.


CHAPITRE VIII.

Du moyen de faire ce second retranchement.

Il faut pour cela se former une vive et forte idée de tout le mal que le péché nous apporte, et entrer ainsi dans de profonds sentimens de contrition. Car si la contrition, toute foible qu'elle est, pourvu qu'elle soit vraie, suffit pour nous purifier du péché, surtout quand elle est jointe à la vertu des sacremens: quand elle est grande et véhémente, elle va jusqu'à délivrer le cœur de toutes les affections qui dépendent du péché. Remarquez ceci: une simple antipathie nous donne de l'aversion pour la personne qui nous déplaît, et nous fait fuir sa compagnie; mais si c'est une haine mortelle et violente, non-seulement nous fuyons et détestons celui qui en est l'objet, mais encore nous ne pouvons souffrir ni ses parens ni ses amis, ni la vue de son portrait, ni rien qui lui appartienne. De même quand le pénitent ne hait le péché que d'une contrition foible et légère, quoique véritable, il se résout seulement à ne plus pécher; au lieu que, s'il ressent une contrition forte et profonde, il déteste et le péché, et tout ce qui en dépend, et tout ce qui y conduit. Il faut donc, Philothée, agrandir tant qu'il nous sera possible notre contrition, afin qu'elle s'étende jusqu'aux moindres circonstances du péché. C'est ainsi que Magdeleine convertie perdit tellement le goût de ses péchés, que jamais elle n'y pensa; c'est ainsi que David protestoit, non-seulement qu'il haïssoit le péché, mais encore qu'il haïssoit les voies et les sentiers qui y mènent, et voilà précisément en quoi consiste ce rajeunissement de l'ame, qui est comparé par le même prophète au renouvellement de l'aigle.

Or, pour parvenir à cette vive contrition, il faut que vous vous exerciez soigneusement aux méditations suivantes, très-propres à déraciner de votre cœur, moyennant la grâce de Dieu, le péché, et les principales affections du péché; aussi les ai-je composées exprès pour cela; vous les ferez l'une après l'autre, dans l'ordre que j'ai marqué, n'en prenant qu'une pour chaque jour, et vous y employant le matin, autant que possible, parce que c'est le temps le plus favorable aux fonctions de l'esprit. Après cela, vous en repasserez ce que vous pourrez en vous-même dans le courant de la journée; que si votre esprit n'est pas encore fait à la méditation, voyez ce qui est dit à ce sujet dans la seconde partie de cet ouvrage.


CHAPITRE IX.

Première méditation.—De la création.

PRÉPARATION.

1. Mettez-vous en la présence de Dieu.

2. Suppliez-le qu'il vous inspire.

CONSIDÉRATIONS.

1. Considérez qu'il n'y a que tant d'années que vous n'étiez pas au monde, et que votre être étoit un vrai rien. Où étions-nous, ô mon ame, en ce temps? Le monde avoit déjà bien duré, et de nous, il n'étoit nulle nouvelle.

2. Dieu vous a tirée de ce rien, pour vous faire ce que vous êtes; et cela, sans qu'il eût besoin de vous, mais par un pur effet de sa bonté.

3. Considérez avec respect l'être que Dieu vous a donné; vous êtes le premier et le plus parfait de tous les êtres de ce monde visible, capable de vivre éternellement, et de vous unir parfaitement à la divine Majesté.

Affections et résolutions.

1. Humiliez-vous profondément devant Dieu, lui disant de tout votre cœur avec le Psalmiste: O Seigneur, je suis devant vous comme un vrai néant; d'où vient que vous avez pensé à moi pour me créer? Hélas! mon ame, tu étois perdue dans cet ancien abîme, et tu y serois encore si Dieu ne t'en eût tirée; qu'y ferois-tu maintenant sans cette bonté de ton Dieu?

2. Rendez grâces à Dieu. O mon grand et bon Créateur, combien vous suis-je redevable, puisque vous avez été me prendre dans mon néant pour me rendre par votre miséricorde ce que je suis? Que ferois-je jamais pour bénir dignement votre saint nom et remercier votre immense bonté?

3. Confondez-vous. Mais hélas! mon Créateur, au lieu de m'unir à vous par mon amour et par mes services, je me suis rendue rebelle par les déréglemens de mon cœur, je me suis séparée de vous, pour me joindre au péché, je vous ai fui, j'ai méconnu votre bonté, comme si vous n'étiez pas mon Créateur.

4. Abaissez-vous devant Dieu. O mon ame, souviens-toi que le Seigneur est ton Dieu, c'est lui qui t'a faite, et tu ne t'es pas faite toi-même: ô Dieu! je suis l'ouvrage de vos mains.

Je ne veux donc plus me complaire en moi-même, puisque de moi-même je ne suis rien. De quoi te glorifies-tu, ô cendre et poussière? pourquoi t'élèves-tu, ô néant? Oui, désormais je veux pour m'humilier faire telle et telle chose, supporter tel et tel mépris: je veux changer de vie, et suivre fidèlement mon créateur: je m'honorerai de la condition de créature, à laquelle il m'a appelée; j'immolerai entièrement toutes mes volontés aux siennes; et pour cela j'aurai recours aux moyens qui me seront indiqués, et dont je me ferai bien instruire par mon père spirituel.

CONCLUSION.

1. Remerciez Dieu. O mon ame, bénis le Seigneur, et que tout ce qui est en toi exalte son saint nom; car sa bonté t'a tirée du néant, et sa miséricorde t'a créée.

2. Offrez. O mon Dieu, je vous offre l'être que vous m'avez donné, avec tout mon cœur. Je vous le consacre entièrement.

3. Priez. O Dieu, fortifiez en moi ces affections et ces résolutions. O sainte Vierge, recommandez-les à la miséricorde de votre Fils, avec toutes les personnes pour qui je dois prier, etc. Pater noster, Ave, Maria.

Après l'oraison, faites-vous comme un bouquet spirituel des considérations qui vous ont le plus touchée, afin d'en respirer de temps en temps la bonne odeur dans le courant de la journée.


CHAPITRE X.

Deuxième méditation.—De la fin pour laquelle nous sommes créés.

PRÉPARATION.

1. Mettez-vous devant Dieu.

2. Priez-le qu'il vous inspire.

CONSIDÉRATIONS.

1. Si Dieu vous a mise dans ce monde, ce n'est pas qu'il eût besoin de vous; car vous lui êtes complètement inutile. Mais il a voulu seulement exercer sur vous sa bonté en vous faisant part de sa grâce et de sa gloire. Pour cela, il vous a donné l'entendement pour le connoître, la mémoire pour vous souvenir de lui, la volonté pour l'aimer, l'imagination pour vous représenter ses bienfaits, les yeux pour voir les merveilles de ses ouvrages, la langue pour le louer, et ainsi des autres facultés.

2. Etant créée et mise au monde à cette intention, vous devez éviter et rejeter soigneusement toute action qui y seroit contraire; et pour celles qui ne peuvent pas vous servir, il faut les mépriser comme vaines et superflues.

3. Considérez le malheur du monde, qui ne pense point à cela, et qui vit comme s'il croyoit n'être né que pour bâtir des maisons, planter des arbres, amasser des richesses et s'occuper de frivoles amusemens.

Affections et résolutions.

1. Confondez-vous, en reprochant à votre ame la misère où elle a vécu jusqu'à présent; misère si grande, qu'elle n'a que peu ou point pensé à tout ceci. Hélas! devez-vous dire, à quoi pensois-je, ô mon Dieu, quand je ne pensois pas à vous? De quoi me ressouvenois-je, lorsque je vous oubliois? qu'aimois-je, lorsque je ne vous aimois pas? Hélas! je devois me nourrir de vérité, et je me remplissois de vanité; je servois le monde, et le monde n'est fait que pour me servir.

2. Détestez la vie passée. Je vous renonce, pensées vaines et inutiles; je vous abjure, souvenirs détestables et frivoles; je vous déteste, amitiés fausses et perfides, services perdus, reconnoissance aveugle, misérables complaisances.

3. Convertissez-vous à Dieu. Et vous, ô mon Dieu, mon Sauveur, vous serez dorénavant le seul objet de mes pensées; non, jamais je n'appliquerai mon esprit à ce qui pourroit vous déplaire. Ma mémoire se remplira tous les jours de l'immense et infinie bonté, que vous avez si complaisamment exercée envers moi. Vous serez les délices de mon cœur, le charme et le bonheur de ma vie.

Ah! c'en est fait: tels et tels amusemens auxquels je m'appliquois, tels et tels vains exercices qui occupoient tout mon temps, telles et telles affections qui captivoient mon cœur, tout cela me sera maintenant en horreur; et pour me conserver dans ces dispositions, je ferai usage de tels et tels remèdes.

CONCLUSION.

1. Remerciez Dieu, qui vous a créée pour une fin si excellente. Vous m'avez faite, Seigneur, pour vous, afin que je jouisse éternellement de l'immensité de votre gloire: quand sera-ce que j'en serai digne? quand vous bénirai-je comme je le dois?

2. Offrez. Je vous offre, ô mon cher créateur, toutes ces mêmes affections et résolutions que vous m'avez inspirées; je vous offre aussi toute mon ame et tout mon cœur.

3. Priez. Je vous supplie, ô Dieu, d'avoir pour agréables mes vœux et mes souhaits, et de donner votre bénédiction à mon ame, afin qu'elle puisse les accomplir par le mérite du sang que votre Fils a répandu sur la croix, etc.

Faites le petit bouquet spirituel.


CHAPITRE XI.

Troisième méditation.—Des bienfaits de Dieu.

PRÉPARATION.

1. Mettez-vous en la présence de Dieu.

2. Priez-le qu'il vous inspire.

CONSIDÉRATIONS.

1. Considérez les grâces corporelles que Dieu vous a départies: quel corps il vous a donné, quelle facilité pour l'entretenir, quelle santé, quelles consolations, quels amis, quelle assistance dans vos besoins; et cela, considérez-le en vous comparant à tant d'autres personnes, qui valent mieux que vous, et qui sont néanmoins privées de ces avantages: les unes sont contrefaites, malades, estropiées; les autres abreuvées d'opprobres, de déshonneur et de mépris; d'autres accablées par la pauvreté, tandis que Dieu n'a pas voulu que vous fussiez si misérable.

2. Considérez les dons de l'esprit: combien y a-t-il dans le monde de gens hébétés, furieux, insensés! Et pourquoi n'êtes-vous pas du nombre? n'est-ce pas un effet de la bonté de Dieu? Combien y en a-t-il encore qui ont été grossièrement élevés, et dans une extrême ignorance, tandis que la Providence divine vous a procuré une éducation honorable et soignée!

3. Considérez les grâces spirituelles: ô Philothée, vous êtes enfant de l'Église, Dieu vous a appris à le connoître, dès votre jeunesse. Combien de fois vous a-t-il donné ses sacremens! combien de fois des inspirations, des lumières intérieures, des reproches de conscience pour votre amendement! Combien de fois vous a-t-il pardonné vos fautes! combien de fois vous a-t-il délivrée des occasions de vous perdre, auxquelles vous étiez exposée! et tant d'années que Dieu vous a laissée vivre, n'est-ce pas un moyen que vous avez eu d'avancer le salut de votre ame? Considérez toutes ces grâces en détail, et voyez combien Dieu vous a été bon et secourable.

Affections et résolutions.

1. Admirez la bonté de Dieu. Oh! que mon Dieu est bon pour moi! oh! qu'il est bon! que votre cœur, Seigneur, est riche en miséricorde, et généreux en bonté! ô mon ame, racontons à jamais combien de grâces il nous a faites!

2. Admirez votre ingratitude. Mais que suis-je, Seigneur, pour que vous ayez pensé à moi? oh! que mon indignité est grande! hélas! j'ai foulé aux pieds vos bienfaits, j'ai déshonoré vos grâces, en les tournant au mépris et à l'abus de votre souveraine bonté; j'ai opposé un abîme d'ingratitude à l'abîme de votre miséricorde et de vos faveurs.

3. Excitez-vous à la reconnoissance. Allons donc, ô mon cœur, ne sois plus infidèle et ingrat envers ce grand bienfaiteur. Et comment mon ame ne seroit-elle pas désormais soumise à Dieu, lui qui a fait tant de grâces et de merveilles en moi et pour moi?

4. Courage donc, Philothée, retirez votre corps de telles et telles sensualités; soumettez-le au service de Dieu, qui a tant fait pour lui; appliquez votre ame à le connoître et à l'aimer de plus en plus, recourant pour cela aux moyens convenables. Employez enfin généreusement tous les secours qui sont dans l'Église, pour vous sauver et pour glorifier Dieu. Oui, je pratiquerai l'oraison, je fréquenterai les sacremens, j'écouterai la sainte parole, je suivrai fidèlement et les inspirations et les conseils.

CONCLUSION.

1. Remerciez Dieu de la connoissance qu'il vous a donnée de votre devoir et de ses bienfaits.

2. Offrez-lui votre cœur avec toutes vos résolutions.

3. Priez-le qu'il vous donne la force de les accomplir fidèlement, par le mérite de la mort de son Fils. Implorez l'intercession de la sainte Vierge et des saints. Pater noster, etc.

Faites le petit bouquet spirituel.


CHAPITRE XII.

Quatrième méditation.—Des péchés.

PRÉPARATION.

1. Mettez-vous en la présence de Dieu.

2. Priez-le qu'il vous inspire.

CONSIDÉRATIONS.

1. Pensez combien il y a que vous avez commencé à pécher, et voyez combien depuis lors les péchés se sont multipliés dans votre cœur; comme tous les jours ils se sont élevés davantage contre Dieu, contre le prochain, contre vous-même, par actions, par paroles, par désirs et par pensées.

2. Considérez vos mauvaises inclinations, et comme vous les avez suivies; cela seul suffira pour vous convaincre que vos péchés sont en plus grand nombre que les cheveux de votre tête, ou que les grains de sable de la mer.

3. Considérez en particulier le péché d'ingratitude envers Dieu; péché général qui se répand sur tous les autres, et qui en augmente infiniment l'énormité. Ainsi, comptez tous les bienfaits que Dieu vous a accordés, et que vous avez tournés contre le bienfaiteur lui-même. Que d'inspirations méprisées! que de bons mouvemens rendus inutiles! et plus que tout cela encore, que de sacremens reçus, et reçus peut-être sans préparation! et le fruit, où est-il? Que sont devenus ces précieux joyaux, dont votre cher époux vous avoit ornée? Tout cela a disparu sous vos iniquités, et tandis que Dieu a tant couru après vous pour vous sauver, vous, vous l'avez toujours fui, pour vous perdre: voyez un peu quelle ingratitude!

Affections et résolutions.

1. Confondez-vous à la vue de votre misère. O mon Dieu! comment osé-je paroître devant vos yeux? Hélas! je le vois bien, je suis le rebut du monde; mon cœur est un abîme d'ingratitude et d'iniquité. Est-il possible que j'aie poussé la malice à ce point, de ne laisser aucun de mes sens, aucune des puissances de mon ame, sans les souiller et les profaner, que pas un des jours de ma vie ne se soit écoulé sans produire quelque mauvais fruit? Est-ce ainsi que je devois payer les bienfaits de mon Créateur et le sang de mon Rédempteur?

2. Demandez pardon et jetez-vous aux pieds du Seigneur, comme un enfant prodigue, comme une Magdeleine, comme une épouse ingrate et perfide: O Seigneur! miséricorde sur cette pécheresse. O cœur de Jésus, source vive de compassion et de douceur! ayez pitié de cette misérable.

3. Proposez-vous de mieux vivre. O Seigneur! non jamais plus, moyennant votre sainte grâce, non jamais plus je ne m'abandonnerai au péché. Hélas! je ne l'ai que trop aimé! mais maintenant je le déteste; et c'est vous, Père de miséricorde, que j'aime et que j'embrasse. Je veux vivre et mourir pour vous.

4. Pour effacer les péchés passés, je m'en accuserai courageusement sans en laisser un seul par devers moi.

5. Je ferai tout ce que je pourrai pour en arracher jusqu'aux dernières racines, particulièrement de tels et tels qui me pèsent davantage.

6. Pour cela, j'embrasserai généreusement tous les moyens qui me seront fournis, et je ne croirai jamais avoir assez fait pour réparer de si grandes fautes.

CONCLUSION.

1. Remerciez Dieu qui vous a attendue jusqu'à présent, et qui vous a inspiré ces bonnes dispositions.

2. Faites-lui offrande de votre cœur, pour les mettre à exécution.

3. Priez-le qu'il vous fortifie, etc.


CHAPITRE XIII.

Cinquième méditation.—De la mort.

PRÉPARATION.

1. Mettez-vous en la présence de Dieu.

2. Demandez-lui sa grâce.

3. Supposez-vous dans l'état d'un malade au lit de la mort, sans aucun espoir d'en échapper.

CONSIDÉRATIONS.

1. Considérez l'incertitude du jour de votre mort: O mon ame! vous sortirez un jour de ce corps. Quand sera-ce? Sera-ce en hiver ou en été, à la ville ou à la campagne, le jour ou la nuit? Sera-ce à l'improviste ou y étant préparée? Sera-ce de maladie ou par accident? Aurez-vous le loisir de vous confesser? Serez-vous assistée de votre confesseur? Hélas! de tout cela nous n'en savons absolument rien. Mais une chose est bien sûre, c'est que nous mourrons, et toujours plutôt que nous ne pensons.

2. Considérez qu'alors le monde sera fini en ce qui vous regarde; il n'y en aura plus pour vous: il sera comme renversé sous vos yeux: car alors les plaisirs, les vanités, les joies mondaines, les folles amitiés vous sembleront des fantômes et des nuages. Ah! malheureuse, direz-vous, pour quelles bagatelles et pour quelles chimères ai-je offensé mon Dieu? N'est-ce pas avoir perdu tout pour rien? Au contraire, la dévotion et les bonnes œuvres vous sembleront les choses du monde les plus douces et les plus désirables, et vous direz: Pourquoi donc n'ai-je pas suivi ce beau et gracieux chemin? Alors les péchés qui vous sembloient bien petits, vous paroîtront gros comme des montagnes; et votre dévotion vous semblera presque nulle.

3. Considérez les longs et douloureux adieux que votre ame dira à ce bas monde: elle dira adieu aux richesses, aux vanités, aux plaisirs, aux passe-temps, aux amis et aux voisins, aux parens, aux enfans, au mari, à la femme, en un mot à toute créature; et puis enfin à son corps, qu'elle laissera pâle, défait, décharné, hideux et infect.

4. Considérez l'empressement qu'on aura à enlever ce corps, et à le cacher en terre; et cela fait, le monde ne pensera plus guère à vous, pas plus que vous n'avez pensé aux autres. Dieu lui fasse paix, dira-t-on; et puis c'est tout. O mort! que tu es cruelle! ô mort! que tu es impitoyable!

5. Considérez qu'au sortir du corps l'ame prend à droite ou à gauche. Hélas! où ira la vôtre, quel chemin suivra-t-elle? le même qu'elle aura commencé en ce monde.

Affections et résolutions.

1. Priez Dieu, et jetez-vous entre ses bras. Ah! Seigneur, recevez-moi sous votre protection pour ce jour effroyable. Rendez-moi cette heure heureuse et favorable, et que plutôt toutes les autres de ma vie me soient tristes et affligeantes.

2. Méprisez le monde. Puisque je ne sais pas l'heure où il faudra te quitter, ô monde! je ne veux pas m'attacher à toi. O mes chers amis! ô mes parens! permettez-moi de ne vous plus aimer que d'une amitié sainte, qui puisse durer éternellement; car pourquoi m'unir à vous par des liens qu'il faudroit ensuite rompre et quitter?

Je veux me préparer à cette heure, et prendre toutes les précautions nécessaires pour faire heureusement ce passage. Je veux assurer l'état de ma conscience, et mettre ordre à tel et tel manquement avec tout le zèle dont je suis capable.

CONCLUSION.

Remerciez Dieu de ces résolutions qu'il vous a inspirées, offrez-les à sa majesté, suppliez-le de nouveau qu'il rende votre mort heureuse par les mérites de la mort de son Fils. Implorez la protection de la sainte Vierge et des saints. Pater noster. Ave, Maria.

Faites un bouquet de myrrhe.


CHAPITRE XIV.

Sixième méditation.—Du jugement.

PRÉPARATION.

1. Mettez-vous devant Dieu.

2. Priez-le qu'il vous inspire.

CONSIDÉRATIONS.

1. Enfin, après le temps que Dieu a marqué pour la durée du monde, et après une multitude de signes et de présages horribles qui feront sécher les hommes d'effroi, le feu, venant comme un déluge, brûlera et réduira en cendres toute la surface de la terre, sans que rien de ce que nous voyons soit épargné.

2. Après ce déluge de flammes et de foudres, tous les hommes ressusciteront de la terre (excepté ceux qui sont déjà ressuscités), et à la voix de l'archange, ils comparoîtront en la vallée de Josaphat. Mais hélas! avec quelle différence! car les uns y seront avec un corps glorieux et resplendissant, et les autres avec un corps hideux et horrible.

3. Considérez la majesté avec laquelle le souverain juge comparoîtra, environné de ses anges et de ses saints, ayant devant lui sa croix, plus brillante que le soleil, signe de grâce pour les bons, et de rigueur pour les méchans.

4. Ce souverain juge, par un ordre qui sera de suite exécuté, séparera les bons d'avec les mauvais, mettant les premiers à sa droite et les seconds à sa gauche; séparation éternelle, après laquelle jamais ces deux troupes ne se retrouveront ensemble.

5. La séparation une fois faite, et les livres des consciences étant ouverts, on verra clairement, d'un côté la malice des méchans, et le mépris qu'ils ont fait de Dieu; et de l'autre côté, la pénitence des bons, et les heureux fruits qu'ils ont tirés de la grâce. Alors rien ne sera caché. O Dieu! quelle confusion pour les uns, et quelle consolation pour les autres!

6. Considérez la dernière sentence prononcée sur les méchans: Allez, maudits, au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses compagnons. Pesez cet paroles accablantes. Allez, dit-il; c'est un mot qui marque l'abandonnement perpétuel que Dieu fait de ces malheureux, les bannissant pour jamais de sa face. Il les appelle maudits. O mon ame! quelle malédiction! malédiction générale, qui comprend tous les maux; malédiction irrévocable, qui comprend tous les temps et l'éternité. Il ajoute, au feu éternel. Regarde, ô mon cœur, cette grande éternité! O éternelle éternité des peines, que tu es effroyable!

7. Considérez ensuite la sentence des bons. Venez, dit le juge (ah! c'est la douce parole de salut, par laquelle Dieu nous appelle à lui, et nous reçoit dans le sein de sa bonté), bénis de mon Père (ô chère bénédiction, qui comprend toute bénédiction), possédez le royaume qui vous est préparé dès le commencement du monde. O Dieu! quelle grâce! car ce royaume n'aura jamais de fin.

Affections et résolutions.

1. Tremble, ô mon ame! à la pensée de ce dernier jour. O Dieu! quelle sûreté pourrai-je y trouver, puisque les colonnes du Ciel y trembleront de frayeur!

2. Détestez vos péchés, qui seuls peuvent vous perdre dans cette journée formidable.

Ah! je veux me juger moi-même dès à présent, afin de n'être pas jugée alors. Je veux examiner ma conscience, et me condamner, m'accuser et me corriger, afin que mon juge ne me condamne pas en cette journée terrible. Je me confesserai donc, j'accepterai les avis nécessaires, etc.

CONCLUSION.

Remerciez Dieu, qui vous a donné les moyens de prendre vos précautions contre ce jour, et le temps de faire pénitence.

Offrez-lui votre cœur pour qu'il le dispose à la pénitence. Priez-le qu'il vous fasse la grâce de vous en bien acquitter. Pater noster. Ave, Maria.

Faites un bouquet de dévotion.


CHAPITRE XV.

Septième méditation.—De l'Enfer.

PRÉPARATION.

1. Mettez-vous en la présence de Dieu.

2. Humiliez-vous, et demandez-lui son assistance.

3. Imaginez-vous une ville ténébreuse, toute brûlante de souffre et de bitume, et pleine de citoyens qui ne peuvent en sortir.

CONSIDÉRATIONS.

1. Les damnés sont dans l'abîme infernal comme dans une ville infortunée, où ils souffrent d'inexprimables tourmens et dans tous leurs sens et dans tous leurs membres; car, comme ils ont fait servir tous leurs sens et tous leurs membres au péché, il est juste qu'ils supportent aussi dans tous leurs sens et dans tous leurs membres les peines dues au péché: leurs yeux, pour s'être permis de mauvais regards, souffriront l'horrible vue des démons et de l'enfer; leurs oreilles, pour avoir pris plaisir à de mauvais discours, n'entendront plus jamais que pleurs, lamentations et désespoir, et ainsi du reste.

2. Outre tous ces tourmens, il y en a encore un plus grand, qui est la privation et la perte de la gloire de Dieu, que les damnés ne verront jamais. Certes, si Absalon se trouva plus malheureux de ne pas voir son père David que de toutes les autres peines de son exil, ô Dieu! que sera-ce d'être à jamais privé de voir votre doux et gracieux visage?

3. Considérez surtout l'éternité de ces peines, laquelle seule rend l'enfer insupportable. Hélas! si la piqûre d'un insecte, si la chaleur d'une petite fièvre nous rend une courte nuit si longue et si fatigante, combien sera épouvantable la nuit de l'éternité avec tant de tourmens! de cette éternité naissent le désespoir éternel, le blasphème et la rage sans fin.

Affections et résolutions.

Mettez la frayeur dans votre ame par ces paroles d'Isaïe: O mon ame! pourrois-tu bien vivre éternellement dans ces ardeurs perpétuelles, et habiter au milieu de ce feu dévorant? Veux-tu donc quitter ton Dieu pour jamais?

Reconnoissez que vous avez mérité ce châtiment; et combien de fois encore! Désormais donc je veux suivre une voie toute contraire; car pourquoi me précipiter dans cet abîme?

Ainsi, je ferai tel et tel effort pour éviter le péché, qui seul peut me donner cette mort éternelle.

Remerciez, offrez, priez.


CHAPITRE XVI.

Huitième méditation.—Du paradis.

PRÉPARATION.

1. Mettez-vous en la présence de Dieu.

2. Faites l'invocation.

CONSIDÉRATIONS.

1. Considérez une belle nuit bien sereine, et pensez combien il est agréable de voir le ciel avec cette multitude et cette variété d'étoiles. Or, ajoutez maintenant cette beauté à celle d'un beau jour, en sorte que la clarté du soleil n'empêche point la claire vue des étoiles et de la lune; et puis après dites hardiment que toute cette beauté réunie n'est rien auprès des merveilles du paradis. Oh! que ce lieu est donc aimable et désirable! oh! que cette cité est précieuse!

2. Considérez la noblesse, la beauté et la multitude des habitans de cet heureux pays; ces millions de millions d'anges, de chérubins et de séraphins; cette foule d'apôtres, de martyrs, de confesseurs, de vierges, de saintes femmes: leur troupe est innombrable. Oh! que cette compagnie est heureuse! Le moindre de tous est mille fois plus beau que le monde entier: que sera-ce donc de les voir tous? Mais, mon Dieu, qu'ils sont heureux! toujours ils chantent le doux cantique de l'amour éternel: toujours ils jouissent d'une parfaite allégresse: toujours ils se communiquent les uns aux autres d'ineffables contentemens, et vivent sans nuages dans les liens d'une heureuse et indissoluble amitié.

3. Considérez enfin quel bien ils ont tous de jouir de Dieu, qui les honore incessamment de son regard, et répand ainsi dans leurs cœurs des torrens de délices. Quel bien d'être à jamais uni à son principe! C'est là qu'environnés et pénétrés de Dieu, comme les oiseaux le sont de l'air, ils sont inondés de toutes parts de consolations incroyables; là, chacun à qui mieux mieux chante les louanges du Créateur: soyez à jamais béni, s'écrient-ils, ô vous qui êtes notre Créateur et notre Sauveur, vous qui nous êtes si bon, et qui nous communiquez si libéralement votre gloire. Et pareillement Dieu bénit tous ses saints d'une bénédiction perpétuelle: soyez à jamais bénies, dit-il, mes chères créatures, vous qui m'avez si bien servi, et qui me louerez éternellement avec un si grand zèle et un amour si parfait.

Affections et résolutions.

1. Admirez et louez cette patrie céleste. Oh! que vous êtes belle, ma chère Jérusalem, et que bienheureux sont vos habitans!

2. Reprochez à votre cœur la lâcheté qui l'a jusqu'à présent détourné du chemin de cette glorieuse demeure. Pourquoi me suis-je tant éloigné de mon souverain bien? Ah! misérable que je suis! pour quelques méchans plaisirs d'un instant, j'ai mille et mille fois quitté ces éternelles et infinies délices! où donc avois-je l'esprit de mépriser des biens si désirables, et de désirer des choses si méprisables?

3. Aspirez maintenant avec ardeur après ce séjour si délicieux. Oh! puisqu'il vous a plu, mon bon et souverain Seigneur, de me faire entrer dans vos voies, non, jamais plus je ne retournerai en arrière. Allons, ma chère ame, allons en ce repos infini: cheminons vers cette terre bénie qui nous est promise: que faisons-nous dans cette Egypte?

Je me priverai donc de telles et telles choses qui me détournent ou me retardent en chemin.

Je ferai donc telles et telles choses qui peuvent me conduire à mon but.

Remerciez, offrez, priez.


CHAPITRE XVII.

Neuvième méditation.—Sur le choix du paradis.

PRÉPARATION.

1. Mettez-vous en la présence de Dieu.

2. Humiliez-vous devant lui, en le priant qu'il vous inspire.

CONSIDÉRATIONS.

1. Imaginez-vous que vous êtes en rase campagne, toute seule avec votre bon ange, comme étoit le jeune Tobie en allant à Ragès. Là, votre conducteur vous fait voir en haut le paradis ouvert, avec toutes les joies et toutes les délices qui ont fait le sujet de votre méditation précédente. Puis il vous montre à vos pieds l'enfer ouvert avec tous les tourmens sur lesquels vous avez médité.

Vous pénétrant bien l'esprit de cette imagination, et vous mettant à genoux par la pensée devant votre bon ange.

1. Considérez qu'il est très-vrai que vous êtes placée entre le paradis et l'enfer, et que l'un et l'autre sont ouverts pour vous recevoir, selon le choix que vous en ferez.

2. Considérez que le choix que l'on fait de l'un ou de l'autre dans ce monde durera éternellement dans l'autre.

3. Considérez que, bien que l'un et l'autre vous soit ouvert selon que vous le choisirez, Dieu, qui est prêt à vous donner, ou l'un, par sa justice, ou l'autre, par sa miséricorde, désire cependant d'un désir sans égal que vous donniez la préférence au paradis; et votre bon ange est là qui vous en presse de tout son pouvoir, vous offrant de la part de Dieu mille grâces et mille secours pour vous aider à la montée.

4. Considérez aussi Jésus-Christ au haut du Ciel, vous regardant avec bonté, et vous invitant par ces douces paroles: Viens, ô ma chère ame! viens au repos éternel: viens entre les bras de ton père qui t'a préparé d'immortelles délices dans l'abondance de son amour. Voyez de vos yeux intérieur la sainte Vierge qui vous convie tout maternellement: Courage! vous dit-elle; garde-toi, ô ma fille! de mépriser les désirs de mon Fils, non plus que les soupirs de sa Mère, qui respire avec lui ton salut éternel. Voyez les saints qui vous appellent, et un million de saintes ames qui vous conjurent de venir les rejoindre, afin de n'avoir avec elles qu'une seule voix pour louer Dieu et qu'un seul cœur pour l'aimer à jamais: Venez, vous disent-elles, ô notre sœur et notre amie! prenez courage: le chemin du Ciel n'est pas si difficile que le monde le fait. Entrez-y seulement, et vous verrez que la dévotion qui nous a menées aux délices éternelles, a elle-même des délices incomparablement plus grande que toutes les joies du monde.

ÉLECTION.

1. O enfer! je te déteste maintenant et à toujours. Je déteste tes tourmens et tes peines: je déteste ta malheureuse éternité, et surtout ces éternels blasphèmes et ces malédictions sans fin que tu vomis perpétuellement contre mon Dieu. Mais, au contraire, gloire et félicité éternelle à toi, beau paradis, vers lequel s'élancent mon cœur et mon ame! oui, je choisis à jamais mon séjour dans tes sacrés palais, et dans tes aimables tabernacles. Je bénis, ô mon Dieu! votre miséricorde, j'accepte l'offre qu'il vous plaît de m'en faire. O Jésus! mon Sauveur, j'accepte votre amour éternel. Je reconnois et je confirme l'acquisition que vous avez faite pour moi d'une place et d'une retraite dans cette bienheureuse Jérusalem, où je ne veux faire autre chose que vous aimer et vous bénir à jamais.

2. Acceptez les faveurs que la sainte Vierge et les saints vous présentent; promettez-leur que vous en profiterez pour aller les rejoindre; tendez la main à votre bon ange, afin qu'il vous conduise, et encouragez votre ame à bien persévérer dans ce choix.


CHAPITRE XVIII.

Dixième méditation.—Sur le choix de la vie dévote.

PRÉPARATION.

1. Mettez-vous en la présence de Dieu.

2. Abaissez-vous devant sa face, et implorez son secours.

CONSIDÉRATIONS.

1. Imaginez-vous encore une fois que vous êtes avec votre bon ange au milieu d'une vaste campagne. A votre gauche, vous voyez le démon assis sur un trône élevé, ayant à ses côtés plusieurs esprits infernaux, et tout autour de lui une grande troupe de mondains, qui tous, la tête nue, le saluent et lui font hommage, les uns par un péché, les autres par un autre. Voyez la contenance de tous les infortunés courtisans de ce misérable: voyez les uns furieux de haine, d'envie et de colère; les autres qui s'entretuent; les autres hâves, pensifs et empressés à amasser des richesses; les autres livrés à la vanité et ne recherchant que des plaisirs frivoles; les autres perdus et abrutis par leurs indignes passions. Voyez comme ils sont tous sans repos et sans ordre, voyez comme ils se méprisent les uns les autres, et comme ils se haïssent, en faisant semblant de s'aimer. Voilà donc cette malheureuse république du monde, telle qu'elle est tyrannisée par son roi maudit. Oh! qu'elle vous fera compassion.

2. Voyez maintenant à votre droite Jésus-Christ crucifié, qui avec un amour sans égal, prie pour ces pauvres esclaves, afin qu'ils brisent leurs chaînes, et qui les conjure de venir à lui. Voyez une multitude de dévots qui l'environnent de tous côtés, chacun avec son ange. Contemplez la beauté de ce royaume de dévotion. Qu'il fait beau voir cette troupe de vierges, toutes plus blanches que le lis! cette assemblée de veuves pleines de mortifications et d'humilité: ces époux et ces épouses, vivant doucement ensemble avec un grand respect et une mutuelle charité. Voyez comme ces dévotes ames accordent bien ensemble le soin de la maison extérieure avec le soin de l'intérieure, l'amour du mari avec l'amour de l'époux céleste. Regardez partout où vous voudrez, vous les verrez tous dans une contenance sainte, douce, aimable, écoutant Notre-Seigneur, et aspirant à le planter dans leur cœur. Ils se réjouissent, mais d'une joie gracieuse, charitable et bien réglée: ils s'entr'aiment, mais d'un amour pur et saint. Ceux mêmes qui sont affligés parmi eux ne se tourmentent pas beaucoup, et ne perdent rien de la paix intérieure. En un mot, voyez les yeux du Sauveur porter dans leur ame d'ineffables consolations, et les remplir du désir de le posséder.

3. Vous avez déjà quitté Satan avec sa triste et malheureuse troupe, par les bonnes résolutions que vous avez prises; mais vous n'êtes pas encore arrivée au roi Jésus, ni réunie à cette heureuse et sainte compagnie qui l'environne: vous avez été toujours entre l'un et l'autre.

4. Ah! c'est maintenant qu'il faut se décider! la sainte Vierge et saint Joseph, saint Louis, sainte Monique, et cent mille autres qui ont vécu dans le monde, vous pressent et vous invitent.

5. Le roi crucifié vous appelle par votre nom: Venez, ô ma bien-aimée! venez, Philothée, afin que je vous couronne!

ÉLECTION.

1. O monde! ô troupe abominable! non jamais vous ne me verrez sous vos drapeaux. J'ai quitté pour toujours vos vanités et vos folies. O roi d'orgueil! ô roi de malheur! esprit infernal, je te renonce avec toutes tes pompes, je te déteste avec toutes tes œuvres.

2. Et vous, mon doux Jésus, roi de bonheur et de gloire éternelle, c'est vers vous que je me tourne. Je vous embrasse de toutes les forces de mon ame, je vous adore de tout mon cœur, je vous choisis maintenant et à toujours pour mon roi et pour mon unique prince; je vous offre mon inviolable fidélité, je vous fais un hommage irrévocable; enfin je me soumets éternellement à l'obéissance de vos saintes lois et de vos divins préceptes.

3. O vierge sainte! ma bonne mère, je vous choisis pour mon guide, je me range sous votre bannière, je vous offre un respect et un amour tout spécial.

O mon saint ange! présentez-moi à cette bénie assemblée, ne m'abandonnez pas jusqu'à ce que j'arrive à cette heureuse compagnie, avec laquelle je dis et dirai toujours en témoignage de mon choix: Vive Jésus! vive Jésus!


CHAPITRE XIX.

Comment il faut faire la confession générale.

Voilà donc, chère Philothée, les méditations nécessaires à la fin que nous nous proposons. Quand vous les aurez faites, allez avec courage et humilité faire votre confession générale; mais, je vous en prie, ne vous laissez troubler par aucune vaine frayeur. Le scorpion n'est dangereux que lorsqu'il nous pique: mais étant réduit en huile, il devient un grand remède contre sa propre piqûre: de même le péché n'est honteux que quand nous le faisons; mais étant converti en confession et en pénitence, il est honorable et salutaire. La contrition et la confession sont comme des fleurs belles et suaves, qui effacent la laideur du péché et en dissipent la mauvaise odeur. Simon le Lépreux disoit que Magdeleine étoit une pécheresse; mais Notre-Seigneur disoit que non, et ne parloit plus que des parfums qu'elle avoit répandus, et de la grandeur de sa charité. Si nous sommes bien humbles, Philothée, notre péché nous déplaira infiniment, parce que Dieu en est offensé; mais l'accusation de notre péché nous sera douce et agréable, parce que Dieu en est honoré; c'est au reste pour nous une sorte d'allégement de bien dire au médecin le mal qui nous tourmente. Quand vous serez arrivée devant votre père spirituel, imaginez-vous être à la montagne du Calvaire, sous les pieds de Jésus-Christ crucifié, dont le précieux sang coule de toutes parts pour vous laver de vos iniquités; car, bien que ce ne soit pas le propre sang du Sauveur, c'est néanmoins le mérite de son sang répandu qui arrose abondamment les pénitens dans le confessionnal. Ouvrez donc bien votre cœur pour en faire sortir les péchés par la confession; car à mesure qu'ils en sortiront, le précieux mérite de la passion divine y entrera pour le remplir de bénédictions.

Je vous recommande surtout de bien dire toutes vos fautes, simplement et naïvement. Contentez bien en cela votre conscience une bonne fois dans votre vie. Cela fait, écoutez les avis et la pénitence que vous donnera le serviteur de Dieu, et dites en votre cœur: Parlez, Seigneur, car votre servante écoute. Oui, c'est Dieu, Philothée, que vous écoutez, puisqu'il a dit à ses ministres: Celui qui vous écoute, m'écoute. Prenez ensuite en main la protestation suivante, que vous devez auparavant avoir lue et méditée, et qui terminera tout ce qui regarde la pénitence. Lisez-la attentivement, et en tâchant d'exciter dans votre ame le plus de componction qu'il vous sera possible.


CHAPITRE XX.

Protestation authentique, pour graver dans l'ame la résolution de servir Dieu, et pour conclure les actes de pénitence.

Je soussignée, très-indigne et chétive créature, fais la protestation suivante, en la présence du Dieu éternel et de toute la cour céleste.

Considérant l'immense miséricorde de mon Dieu, d'avoir bien voulu me créer de rien, me conserver, me soutenir, me délivrer de tant de périls, et me combler de tant de bienfaits; considérant surtout cette incompréhensible douceur et clémence avec laquelle ce très-bon Père m'a si long-temps supportée au milieu de mes crimes, si souvent inspirée de revenir à lui, et si patiemment attendue jusqu'à cette N. année de ma vie, sans se laisser rebuter, ni de mes ingratitudes et de mes infidélités sans nombre, ni de mes délais sans fin, ni de l'abus de ses grâces, ni de toutes mes autres offenses;

Considérant encore qu'au jour de mon sacré baptême, je fus si heureusement et si saintement dédiée à Dieu, pour être sa fille, et que, malgré cette consécration qui fut alors faite en mon nom, j'ai mille et mille fois indignement profané mon esprit, en l'employant contre la divine Majesté;

Maintenant revenue à moi-même, et prosternée de cœur et d'esprit devant le trône de la justice divine, je me reconnois et me tiens pour légitimement atteinte et convaincue du crime de lèse-majesté divine, et véritablement coupable de la mort et passion de Jésus-Christ, à raison des péchés que j'ai commis, pour lesquels il est mort et a souffert le supplice de la croix. Ainsi je suis digne d'être à jamais perdue et damnée.

Toutefois, me tournant vers le trône de l'infinie miséricorde de ce même Dieu vivant et éternel, et détestant de tout mon cœur et de toutes mes forces les iniquités de ma vie passée, je demande très-humblement pardon, grâce et merci avec entière absolution de mon crime; j'offre à cet effet la mort et passion de ce même Seigneur et Rédempteur de mon ame, et y jetant l'unique fondement de mon espérance, je renouvelle et ratifie la sainte profession de fidélité qu'on a faite pour moi à Dieu le jour de mon baptême: je renonce au démon, au monde et à la chair; je déteste leurs malheureuses suggestions, leurs pompes et leurs œuvres, pour tout le temps de ma vie présente, et pour toute l'éternité. Je me tourne en même temps vers mon Dieu si bon et si clément, et je m'engage envers lui par une résolution irrévocable à le servir et à l'aimer, maintenant et toujours. A ces fins je lui donne et lui consacre mon esprit, avec toutes ses facultés; mon ame, avec toutes ses puissances; mon cœur, avec toutes ses affections; mon corps, avec tous ses sens; je proteste que je ne veux plus jamais abuser de quoi que ce soit qui m'appartienne contre sa divine volonté et sa souveraine majesté, et je lui fais dès ce moment de tout moi-même un plein et entier sacrifice, pour être à jamais sa très-loyale, très-obéissante et très-fidèle créature, sans que je veuille jamais m'en dédire ni repentir.

Que si par la malice de mon ennemi, ou par suite de l'infirmité humaine, il m'arrivoit de contrevenir en quelque chose à ces bonnes résolutions, je proteste dès maintenant, et me propose moyennant la grâce du Saint-Esprit, de m'en relever sitôt que je m'en apercevrai, et de m'abandonner tout de nouveau entre les mains de la divine miséricorde, sans la moindre hésitation et le moindre retard.

Ceci est mon intention, ma volonté et ma résolution ferme et irrévocable, que je reconnois et confirme sans nulle réserve ni exception, en la présence de Dieu, à la vue de l'Église triomphante, et à la face de l'Église militante ma mère, qui entend et reçoit la présente déclaration, en la personne de son ministre, député par elle à cet effet.

Daignez, ô Dieu éternel, tout-puissant et tout bon, Père, Fils et Saint-Esprit, confirmer en moi cette salutaire résolution; daignez accepter en odeur de suavité ce sacrifice que mon cœur vous offre; et comme il vous a plu m'inspirer la volonté de le faire, donnez-moi aussi la force et la grâce nécessaire pour l'achever et le consommer parfaitement. O mon Dieu! vous êtes le Dieu de mon cœur, le Dieu de mon ame, le Dieu de mon esprit; ainsi je vous reconnois et vous adore maintenant et pour l'éternité. Vive Jésus!


CHAPITRE XXI.

Conclusion de ce qui a été dit du premier degré de pureté de l'ame.

Cette protestation faite, soyez attentive, ouvrez les oreilles de votre cœur pour entendre la sentence d'absolution, que Jésus-Christ votre aimable Sauveur prononcera sur vous dans le Ciel, en présence des anges et des saints, dans le même temps que le prêtre vous absoudra ici-bas sur la terre, en son nom. C'est alors que toute la troupe des bienheureux se réjouira de votre bonheur: c'est alors qu'au milieu des saints cantiques d'une allégresse sans égale, tous donneront à votre cœur guéri et réconcilié le doux baiser de l'amitié et de la paix.

O Dieu! Philothée, qu'il est admirable ce contrat par lequel vous donnant à la divine Majesté, elle se donne à vous et vous rend la vie éternelle! Il ne reste plus maintenant qu'à prendre la plume en main, et à signer de bon cœur l'acte de votre protestation: après quoi allez à l'autel, où Dieu à son tour signera et scellera votre grâce, et la promesse qu'il vous a faite de son paradis, en se mettant lui-même sur votre cœur par la communion, comme un cachet et sceau divin.

C'est ainsi, ce me semble, Philothée, que votre ame sera délivrée du péché, et de toutes les affections du péché. Mais comme ces affections renaissent aisément dans l'ame, à cause de notre infirmité naturelle et de nos passions, qui peuvent bien être enchaînées ici-bas, mais qui ne sont jamais entièrement détruites, je vous donnerai quelques avis, avec lesquels vous vous préserverez désormais du péché mortel et de toutes affections à ce péché, de manière à ce qu'il ne puisse jamais entrer en votre cœur. Or, ces mêmes avis vous serviront encore à une purification plus parfaite; c'est pourquoi, avant de vous les donner, je veux vous dire quelque chose de cette plus absolue pureté, à laquelle je désire vous conduire.


CHAPITRE XXII.

Qu'il faut se délivrer de toute affection aux péchés véniels.

A mesure que le jour croît, nous voyons plus clairement dans le miroir les taches et les souillures de notre visage: de même, à mesure que la lumière intérieure du Saint-Esprit éclaire nos consciences, nous voyons plus distinctement les péchés, les inclinations et les imperfections qui peuvent nous empêcher d'atteindre à la vraie dévotion; et cette même lumière, en nous faisant voir nos défauts, nous anime du saint désir de nous en corriger.

Vous découvrirez donc, ma chère Philothée, qu'outre les péchés mortels et l'affection aux péchés mortels, dont vous avez été délivrée par les pratiques ci-dessus indiquées, vous avez encore dans votre ame beaucoup d'inclination et d'affection aux péchés véniels: je ne dis pas que vous découvrirez des péchés véniels, mais je dis que vous découvrirez de l'inclination et de l'affection à ces sortes de péchés. Or, l'un est bien différent de l'autre: car nous ne pouvons jamais être entièrement purs de péchés véniels, ou du moins nous ne pouvons pas persévérer long-temps dans cet état; au lieu que nous pouvons bien n'avoir aucune affection aux péchés véniels. Ainsi autre chose est de mentir une fois ou deux de gaîté de cœur en matière peu importante, autre chose de se plaire à mentir, et d'être affectionné à cette sorte de péché.

Et je dis maintenant qu'il faut nettoyer son ame de toutes les affections qu'elle peut avoir au péché véniel; c'est-à-dire qu'il ne faut point nourrir volontairement le dessein de persévérer dans tel ou tel péché véniel, car aussi ce seroit une trop grande lâcheté que de garder sciemment dans sa conscience une chose aussi capable de déplaire à Dieu que la volonté de lui déplaire. Le péché véniel, quelque petit qu'il soit, déplaît à Dieu, bien qu'il ne lui déplaise pas jusqu'à nous attirer sa malédiction éternelle. Mais si le péché véniel lui déplaît, il en résulte que l'affection du péché véniel est une résolution de vouloir toujours lui déplaire: et seroit-il possible qu'une ame bien née, non-seulement déplût à son Dieu, mais encore mît son plaisir à lui déplaire toujours?

De telles affections, Philothée, sont directement opposées à la dévotion, comme les affections au péché mortel le sont à la charité. Elles énervent les forces de l'esprit, empêchent les consolations divines, et ouvrent la porte aux tentations; et bien qu'elles ne tuent pas l'ame, elles la rendent extrêmement malade. Les mouches mourantes, dit le Sage, font perdre au baume son odeur et sa vertu. Il veut dire que si les mouches s'arrêtent peu sur le baume, et y goûtent seulement en passant, elles ne gâtent que ce qu'elles prennent, et le reste demeure intègre: au lieu que si elles meurent au beau milieu du baume, elles le gâtent beaucoup et lui ôtent de son prix. De même les péchés véniels arrivant en une ame dévote et ne s'y arrêtant pas long-temps, ne l'endommagent qu'assez peu; mais si ces mêmes péchés demeurent dans l'ame par l'affection qu'elle y met, ils lui feront perdre comme au baume sa suavité, c'est-à-dire la sainte dévotion.

Les araignées ne tuent pas les abeilles; mais elles gâtent et corrompent leur miel, et quand elles s'attachent à la ruche, elles en embarrassent si fort les rayons avec leurs toiles que les abeilles ne peuvent plus y faire leur ménage. Ainsi le péché véniel ne tue pas notre ame, mais il gâte la dévotion; et quand il s'y attache par l'habitude et par l'affection que nous y mettons, il embarrasse tellement les puissances de l'ame, qu'elle ne peut plus agir avec cette ferveur et cette promptitude de charité, qui est le propre de la vraie dévotion. Ce n'est rien, Philothée, de dire un petit mensonge, de se dissiper légèrement en paroles ou en actions, d'avoir un peu de curiosité dans les regards, un peu de vanité dans les habits; de se plaire à tel jeu, à telle frivolité, à telle danse, pourvu que, dès que les araignées spirituelles seront entrées dans notre ame, nous les en chassions aussitôt, comme les abeilles s'efforcent de chasser les araignées corporelles; mais si nous les laissons s'arrêter dans notre cœur, et non-seulement cela, si nous nous plaisons à les y retenir et à les y multiplier, bientôt nous verrons notre miel perdu, et la ruche de notre conscience empestée et détruite. Or, je le dis encore une fois, ce ne sera jamais une ame généreuse qui se plaira ainsi à déplaire à son Dieu, et qui mettra son affection à ce qu'elle sait lui être désagréable.


CHAPITRE XXIII.

Qu'il se faut défaire de l'affection aux choses inutiles et dangereuses.

Les jeux, les bals, les festins, les parures, les comédies, en soi ne sont pas de mauvaises choses, mais bien des choses indifférentes, dont on peut faire un bon ou un mauvais usage. Toutefois il s'y trouve toujours plus ou moins de danger, et le danger devient encore bien plus grand, lorsqu'on s'y affectionne. Ainsi, Philothée, encore qu'il soit permis de jouer, de danser, de se parer, d'entendre d'honnêtes comédies, d'assister à un festin, je dis que de mettre à cela son affection, c'est faire une chose contraire à la dévotion, une chose très-nuisible et périlleuse. Ce n'est pas mal de le faire, mais c'est mal de s'y affectionner. Et vraiment c'est grand dommage de semer en la terre de notre cœur des affections si frivoles: car elles prennent la place du bon grain, et empêchent que notre ame ne porte de bonnes inclinations.

Ainsi les anciens Nazaréens s'abstenoient, non-seulement de tout ce qui peut enivrer, mais encore de raisin et même de verjus. Non pas que le raisin et le verjus enivrent; mais ils craignoient que le verjus ne leur donnât le goût du raisin, et le raisin le goût du vin. Or, je ne dis pas que nous ne puissions jamais user des choses dangereuses, mais je dis que nous ne pouvons jamais y mettre notre affection sans compromettre la dévotion. Les cerfs qui sont trop en venaison se retirent et se cachent dans leurs buissons, sentant bien que leur graisse les charge, et qu'ainsi ils ne pourroient courir, s'ils venoient à être attaqués; de même le cœur de l'homme, chargé d'affections inutiles et dangereuses, ne peut courir après son Dieu avec cette promptitude, cette aisance et cette ardeur qui sont le vrai point de la solide dévotion. Que de petits enfans s'attachent et s'échauffent à la poursuite des papillons, personne ne le trouvera mauvais, parce que ce sont des enfans; mais, n'est-ce pas une chose ridicule, ou plutôt lamentable, de voir des hommes faits se préoccuper et se passionner pour des bagatelles aussi petites que celles que j'ai nommées, lesquelles, outre leur inutilité, ont encore le danger de dérégler et de perdre ceux qui les poursuivent? J'ai donc raison de dire, ma chère Philothée, qu'il se faut défaire de telles affections; car bien que les actes n'en soient pas toujours contraires à la dévotion, néanmoins l'affection qu'on y met lui cause toujours un grand préjudice.


CHAPITRE XXIV.

Qu'il se faut défaire des mauvaises inclinations.

Nous avons encore, Philothée, certaines inclinations naturelles qui, n'ayant point leur source dans nos péchés particuliers, ne sont pas proprement péchés, ni mortels, ni véniels, mais s'appellent seulement imperfections; et leurs actes, défauts ou manquemens. Par exemple, sainte Paule, comme le rapporte saint Jérôme, avoit une grande inclination à la tristesse et aux larmes, à ce point, qu'à la mort de son mari et de ses enfans, elle faillit mourir de chagrin. Cela étoit une imperfection, et non un péché, puisque c'étoit contre son gré et sa volonté. Il y a des caractères qui sont naturellement légers, d'autres qui sont rébarbatifs, d'autres qui ne peuvent se plier à l'opinion d'autrui; ceux-ci sont enclins à la colère, ceux-là à l'amour des créatures; bref, il n'est guère de personnes en qui l'on ne puisse remarquer quelque sorte d'imperfection; or, quoique ces imperfections soient comme propres et naturelles à chacun de nous, il n'est pas cependant impossible, avec du soin et de l'attention, de les affoiblir et de les corriger, et même de s'en délivrer entièrement; et je vous dis, Philothée, que c'est là ce qu'il faut faire. On a bien trouvé le moyen de changer les amandiers amers en amandiers doux, en les perçant simplement au pied, pour en faire sortir le suc; pourquoi donc ne pourrions-nous pas aussi faire sortir nos mauvaises inclinations, pour devenir meilleurs? Il n'y a point de si bon naturel qui ne puisse devenir mauvais par les habitudes vicieuses: et de même aussi il n'y en a point de si méchant qui, premièrement par la grâce de Dieu, secondement par le zèle et l'application, ne puisse être dompté et surmonté. Je m'en vais donc maintenant vous donner les avis, et vous proposer les remèdes au moyen desquels vous purgerez votre ame de l'attache au péché véniel, des affections dangereuses et des imperfections, et par là vous assurerez d'autant plus votre conscience contre tout péché mortel. Dieu vous fasse la grâce de les bien pratiquer!


SECONDE PARTIE

CONTENANT DIVERS AVIS POUR L'ÉLÉVATION DE L'AME A DIEU PAR L'ORAISON ET LES SACREMENS.


CHAPITRE PREMIER.

De la nécessité de l'Oraison.

1. L'oraison mettant notre esprit en face de la lumière divine, et exposant notre volonté à la chaleur de l'amour céleste, il n'y a rien d'aussi propre à purger notre entendement de ses ignorances, et notre volonté de ses affections mauvaises. C'est l'eau de bénédiction, qui, par sa douce fraîcheur, fait reverdir et fleurir les plantes de nos bons désirs, lave nos ames de leurs imperfections, et désaltère nos cœurs brûlés par les passions.

2. Mais surtout je vous conseille l'oraison mentale et d'affection, particulièrement celle qui a pour objet la vie et la passion de Notre-Seigneur. En le regardant souvent par la méditation, toute votre ame se remplira de lui, vous apprendrez à le connoître, et vos actions se formeront sur le modèle des siennes. Il est la lumière du monde: c'est donc en lui, par lui, et pour lui que nous devons être éclairés. Il est l'arbre du désir; c'est donc à son ombre que nous devons nous rafraîchir; il est la vraie fontaine de Jacob, c'est donc dans ses eaux que nous devons nous laver de toutes nos souillures; enfin, les enfans, à force d'entendre leurs mères, et de bégayer avec elles, apprennent à parler leur langage; et nous aussi, demeurant auprès du Sauveur par la méditation, et observant avec soin ses paroles, ses actions et ses sentimens, nous apprendrons, moyennant sa sainte grâce, à parler, à agir et à vouloir comme lui. Il faut s'arrêter là, Philothée; et, croyez-moi, nous ne saurions aller à Dieu le Père que par cette porte; car, de même que la glace d'un miroir ne sauroit arrêter notre vue, si elle n'étoit enduite par derrière de plomb ou d'étain; de même la Divinité n'auroit pu jamais être bien contemplée par nous en ce bas monde, si elle ne se fût jointe à l'humanité sacrée du Sauveur; or, puisqu'il en est ainsi, il est visible que la vie et la mort de Jésus sont l'objet le plus proportionné à notre foiblesse, le plus doux, le plus délicieux, le plus profitable que nous puissions choisir pour nos méditations ordinaires. Ce n'est pas pour rien que le Sauveur s'appelle le pain descendu du Ciel; car, comme le pain doit être mangé avec toutes sortes de viandes, de même aussi le Sauveur doit être médité, considéré et recherché dans toutes nos prières et dans toutes nos actions. Quelques auteurs, pour rendre cet exercice plus facile, ont imaginé de distribuer sa vie et sa mort en divers points de méditations. Ceux que je vous conseille le plus, sont saint Bonaventure, Bellintami, Bruno, Capilia, Grenade et Dupont.

3. Employez-y chaque jour une heure avant le dîner, et, s'il se peut, dès le matin, parce que vous aurez l'esprit moins embarrassé et plus frais après le repos de la nuit. N'y mettez pas aussi plus d'une heure, à moins que votre père spirituel ne vous l'ait dit expressément.

4. Si vous pouvez faire cet exercice tranquillement dans une église, je crois que ce sera le meilleur; parce que ni père, ni mère, ni femme, ni mari, ni personne autre ne pourra raisonnablement vous troubler durant cette heure de dévotion: au lieu que dans votre maison, vous ne pourrez peut-être pas vous la promettre tout entière, ni si libre, à cause de la sujétion où vous êtes.

5. Commencez toujours vos oraisons, soit mentales, soit vocales, par vous mettre en la présence de Dieu; ne vous relâchez jamais de cette règle, et vous verrez en peu de temps combien elle vous sera profitable.

6. Si vous m'en croyez, vous direz le Pater, l'Ave et le Credo en latin; mais vous apprendrez aussi à en bien entendre les paroles dans votre langue, afin qu'en les récitant dans le langage usité par l'Église, vous puissiez néanmoins savourer le sens délicieux et admirable de ces saintes prières. Il les faut dire avec une profonde attention de votre esprit, en excitant votre cœur aux sentimens qu'elles expriment, ne vous hâtant nullement pour en dire beaucoup, mais vous étudiant plutôt à dire de grand cœur ce que vous dites; car un seul Pater dit avec sentiment, vaut mieux que plusieurs récités en courant.

7. Le chapelet est une très-bonne manière de prier, pourvu que vous sachiez le dire comme il faut. Et pour cela, ayez quelqu'un des petits livres qui enseignent la façon de le réciter. Il est bon aussi de dire les litanies de Notre-Seigneur, de Notre-Dame, et des saints, et toutes les autres prières vocales qui sont dans les Manuels et Heures approuvées, sous la condition néanmoins que, si vous avez le don de l'oraison mentale, vous lui gardiez toujours la principale place. Si donc après l'avoir faite, la multitude des occupations, ou quelque autre raison vous empêche de faire votre prière vocale, ne vous en troublez pas, mais dites simplement, avant ou après la méditation, l'Oraison dominicale, la Salutation angélique et le Symbole des apôtres.

8. Si pendant l'oraison vocale vous sentez votre cœur attiré vers l'oraison intérieure et mentale, ne résistez pas à cet attrait, mais laissez tout doucement couler votre esprit de ce côté-là, et ne vous chagrinez point de n'avoir pas achevé les prières vocales que vous vous étiez proposées; car la mentale que vous aurez faite en leur place est plus agréable à Dieu, et plus utile à votre ame. J'excepte l'office ecclésiastique, si vous êtes obligée de le dire; car dans ce cas, le devoir passe avant tout.

9. S'il arrivoit que toute votre matinée se passât sans ce saint exercice de l'oraison mentale, soit à cause du grand nombre d'affaires, soit pour autre chose, ce qu'il faut éviter autant que possible, tâchez de réparer cette perte dans l'après-dînée, à l'heure la plus éloignée du repas que vous pourrez, parce que, si la digestion n'étoit pas encore faite, vous pourriez tomber dans l'assoupissement et nuire à votre santé.

Que si enfin vous ne pouvez la faire de toute la journée, il faut y suppléer par beaucoup d'oraisons jaculatoires, et par la lecture de quelque livre de dévotion, avec une pénitence qui empêche les suites de cette perte; et en outre, prenez une forte résolution de vous remettre en train le jour suivant.


CHAPITRE II.

Courte méthode pour bien méditer. Et d'abord de la présence de Dieu; premier point de la préparation.

Mais vous ne savez peut-être pas, Philothée, comment il faut faire l'oraison mentale: car c'est là malheureusement une chose bien peu connue des gens de notre siècle. Voici donc une simple et courte méthode que je vous présente pour cela, en attendant que par la lecture de plusieurs excellens livres qui ont été composés sur ce sujet, et surtout par votre propre expérience, vous puissiez en être plus amplement instruite.

Je vous parle premièrement de la préparation, qui consiste en deux points, savoir: se mettre en la présence de Dieu, et ensuite invoquer son secours.

Or, pour vous mettre en la présence de Dieu, je vous propose quatre moyens principaux, dont vous pourrez utilement vous servir dans les commencemens.

Le premier consiste à se bien pénétrer de l'immensité de Dieu, c'est-à-dire à se bien remplir de cette pensée, que Dieu est en tout et partout, et qu'il n'y a lieu ni chose au monde où il ne soit d'une très-véritable présence; en sorte que, comme les oiseaux trouvent partout l'air de quelque côté qu'ils se tournent, de même nous trouvons partout Dieu, en quelque lieu que nous allions ou que nous soyons. C'est là une vérité que tout le monde sait, mais à laquelle on ne fait pas assez d'attention. Les aveugles ne voyant pas un prince qui leur est présent, ne laissent pas de se tenir dans le respect, s'ils sont avertis de sa présence; mais la vérité est que parce qu'ils ne le voient pas, ils oublient aisément qu'il est présent, et l'ayant oublié, ils perdent plus aisément encore le respect qui lui est dû. Hélas! Philothée, nous ne voyons pas Dieu qui est présent, et bien que la foi nous avertisse de sa présence, comme nos yeux ne le voient pas, nous nous en oublions bien souvent, et nous nous comportons comme s'il étoit bien loin de nous. Car, encore que nous sachions qu'il est présent partout, si de fait nous n'y pensons pas, c'est comme si nous ne le savions pas. C'est pourquoi, toujours avant l'oraison, il faut exciter notre ame à la pensée forte et attentive de cette présence de Dieu. C'étoit bien là ce qui occupoit David, lorsqu'il s'écrioit: Si je monte au Ciel, ô mon Dieu, vous y êtes; si je descends aux enfers, vous y êtes encore. Nous pouvons aussi faire usage des paroles de Jacob, qui, après avoir vu l'échelle sacrée: Que ce lieu est terrible! disoit-il; vraiment Dieu est ici, et je n'en savois rien. Il veut dire qu'il n'y pensoit pas: car il ne pouvoit ignorer que Dieu fût en tout et partout. Venant donc à faire oraison, il vous faut dire de tout votre cœur et à votre cœur: O mon cœur! mon cœur! Dieu est vraiment ici.

Le second moyen de se mettre en cette sainte présence, c'est de penser que non-seulement Dieu est dans le lieu où vous êtes, mais qu'il est encore très-particulièrement dans votre cœur, et au fond de votre esprit, qu'il anime et vivifie de sa divine présence, étant là comme le cœur de votre cœur, et l'esprit de votre esprit. Car comme l'ame étant répandue par tout le corps, se trouve présente sur tous les points, et réside cependant dans le cœur d'une manière spéciale; de même, Dieu étant très-présent à toutes choses, remplit néanmoins notre esprit d'une présence plus parfaite. C'est pour cela que David appeloit Dieu, le Dieu de son cœur, et que saint Paul, en parlant aussi de Dieu, disoit, qu'en lui nous avons la vie, le mouvement et l'être. Ayant donc bien en vue cette vérité, vous exciterez dans votre cœur un grand respect pour Dieu, qui lui est si intimement présent.

Le troisième moyen, c'est de considérer notre Sauveur en son humanité sainte, regardant du haut du Ciel toutes les personnes du monde; mais plus particulièrement les chrétiens, qui sont ses enfans, et plus particulièrement encore ceux qui sont en prière et dont il observe toutes les actions et tous les manquemens. Or, ceci n'est pas une simple imagination de ma part, mais une vérité positive; car bien que nous ne le voyions pas comme saint Étienne au temps de son martyre, il n'en est pas moins certain que du haut de sa gloire il a constamment les yeux fixés sur nous. Nous pouvons donc dire avec l'épouse du Cantique: C'est lui-même qui est derrière notre muraille, regardant par la fenêtre et à travers le treillis.

La quatrième manière consiste simplement à s'imaginer que le Sauveur est présent à côté de nous dans son humanité sainte, comme nous avons coutume de nous représenter nos amis, et de dire: Je m'imagine voir un tel faire ceci et cela, il me semble que je le vois, ou autre chose semblable. Mais si le très-saint Sacrement de l'autel étoit présent, alors cette présence seroit réelle et non purement imaginaire: car les espèces et apparences du pain sont comme une tapisserie derrière laquelle notre Seigneur se cache, et d'où il nous voit et nous considère très-bien, quoique nous ne le voyions pas en sa propre forme. Vous userez donc de l'un de ces quatre moyens, pour mettre votre ame en la présence de Dieu avant l'oraison; et ne songez pas à les vouloir employer tous ensemble, mais un seulement à la fois, et cela encore brièvement et simplement.


CHAPITRE III.

De l'invocation; second point de la préparation.

L'invocation se fait en cette manière: votre ame se sentant en la présence de Dieu, se pénètre d'un grand respect à la vue d'une si souveraine Majesté, et se reconnoît très-indigne de demeurer devant elle. Puis faisant réflexion que la divine bonté le permet ainsi, elle lui demande la grâce de la bien servir et adorer dans cette méditation. Que si vous le voulez, vous pourrez user de quelques paroles courtes et enflammées, comme sont celles-ci de David: Ne me rejetez pas, ô mon Dieu! de devant votre face, et ne m'ôtez pas votre Saint-Esprit: faites briller votre face sur votre servante, et je considérerai vos merveilles. Donnez-moi l'intelligence, et je scruterai votre loi, et je la garderai de tout mon cœur. Je suis votre servante, répandez sur moi votre esprit. Il vous sera bon aussi d'invoquer votre ange gardien, et les saintes personnes qui auront eu quelque part au mystère que vous méditez. Si, par exemple, vous faites votre oraison sur la mort de Notre-Seigneur, vous pourrez invoquer la sainte Vierge, saint Jean, sainte Magdeleine, le bon larron, afin que les sentimens et les mouvemens intérieurs qu'ils reçurent alors vous soient communiqués: si c'est sur votre mort que vous méditez, vous pourrez invoquer votre bon ange qui y sera présent, afin qu'il vous inspire les résolutions convenables, et de même pour les autres sujets de méditation.


CHAPITRE IV.

De la proposition du mystère; troisième point de la préparation.

Après ces deux points ordinaires de la préparation, il en est un troisième, qui n'est pas commun à toutes sortes de méditations, et qu'on appelle soit composition du lieu, soit représentation intérieure. Ce n'est pas autre chose qu'un certain exercice de l'imagination, par lequel on se fait un tableau du mystère ou du fait que l'on médite, comme s'il se passoit réellement sous nos yeux. Par exemple, si vous voulez méditer sur Notre-Seigneur en croix, vous vous imaginerez que vous êtes au mont Calvaire, et que vous assistez à tout ce qui fut dit et fait le jour de la passion; ou bien encore, ce qui est tout un, vous vous imaginerez qu'au lieu même où vous êtes, se fait le crucifiement de Notre-Seigneur, avec toutes les circonstances décrites par les évangélistes. J'en dis autant, quand vous méditerez sur la mort, ainsi que je l'ai indiqué dans la méditation qui y a trait, comme aussi quand vous méditerez sur l'enfer, ou sur tout autre semblable sujet où il s'agira de choses visibles et sensibles: car pour les autres qui traitent de choses invisibles, comme sont ceux de la grandeur de Dieu, de l'excellence des vertus, de la fin de notre création, il n'est pas question de vouloir employer cette méthode. Il est vrai qu'on peut encore se servir de quelques comparaisons pour rendre les considérations plus faciles, mais cela même a ses difficultés, et je ne veux traiter avec vous que fort simplement, et en sorte que votre esprit ne se fatigue pas trop en inventions. Or, par le moyen de l'imagination, nous enfermons notre esprit dans le mystère que nous voulons méditer, et nous l'empêchons ainsi de courir çà et là, à peu près comme on fait pour un oiseau que l'on enferme dans une cage, ou pour un épervier que l'on attache à ses longes, afin qu'il demeure sur le poing. Quelques-uns vous diront néanmoins qu'il vaut mieux dans la représentation des mystères user de la simple pensée de la foi, et de la simple vue de l'esprit, ou bien encore considérer que les choses se passent dans votre esprit. Mais cela est trop subtil pour le commencement, et jusqu'à ce que Dieu vous élève plus haut, je vous conseille, Philothée, de vous tenir bonnement dans la basse vallée que je vous indique.


CHAPITRE V.

Des considérations; seconde partie de la méditation.

Après l'action de l'imagination, vient l'action de l'entendement, que nous appelons méditation, et qui consiste à faire une ou plusieurs considérations capables d'élever notre cœur en Dieu, et de nous faire prendre goût aux choses saintes et divines. Or, c'est en cela que la méditation est fort différente de l'étude, car la fin de l'étude est de devenir savant, habile à écrire ou à disputer; au lieu que la fin de la méditation est d'acquérir la vertu et le saint amour de Dieu. Après donc que vous aurez renfermé votre esprit dans le sujet de méditation, soit par l'imagination, si le sujet est sensible, soit par la simple proposition, s'il ne l'est pas, ainsi que je l'ai dit plus haut, vous commencerez à faire sur ce sujet quelques considérations, comme vous en trouvez des exemples dans les méditations que je vous ai données. Que si votre esprit trouve assez de goût, de lumière et de fruit dans l'une de ces considérations, il faut vous y arrêter, sans passer outre, faisant en cela comme les abeilles, qui ne quittent point une fleur, tant qu'elles y trouvent du miel à cueillir. Mais si vous ne trouvez pas votre nourriture en l'une de ces considérations, après en avoir quelque temps essayé, vous passerez à une autre; et cela simplement, sans empressement et sans trouble.


CHAPITRE VI.

Des affections et des résolutions; troisième partie de la méditation.

La méditation excite de bons mouvemens dans la volonté ou partie affective de notre ame, comme font l'amour de Dieu et du prochain, le désir du Paradis et de la gloire, le zèle du salut des ames, l'imitation de la vie de Notre-Seigneur, la compassion, l'admiration, la joie, la crainte de la disgrâce de Dieu, du jugement et de l'enfer, la haine du péché, la confiance en la bonté et la miséricorde divine, la confusion et le regret de notre mauvaise vie passée. C'est dans ces affections ou autres semblables que votre esprit doit s'épancher et s'étendre le plus qu'il lui sera possible. Que si vous voulez être aidée pour cela, prenez le premier tome des Méditations de dom André Lapilia, et voyez sa préface; car il y donne la manière de bien dilater les affections. Vous trouverez cela encore, et plus amplement, dans la seconde partie du Traité de l'oraison par le Père Arias.

Il ne faut pas cependant, Philothée, vous tant arrêter à ces affections générales, que vous ne les convertissiez en résolutions particulières et spéciales pour l'amendement de votre vie. Par exemple, la première parole que Notre-Seigneur dit sur la croix, répandra, je suppose, dans votre ame le désir de l'imiter en ce qui concerne le pardon des injures et l'amour des ennemis. Or, je dis que cela est peu de chose, si vous n'y ajoutez encore une résolution particulière, à peu près de cette manière: Eh bien donc! je ne me piquerai plus de telles paroles fâcheuses qu'un tel ou une telle, mon voisin ou ma voisine, mon domestique ou ma servante, disent de moi; ni de tel et tel mépris que je reçois de celui-ci ou de celui-là: au contraire, je dirai et ferai telle ou telle chose, pour adoucir l'esprit de l'un, ou pour gagner le cœur de l'autre. C'est ainsi, Philothée, que vous vous corrigerez de vos fautes en peu de temps; au lieu que par des affections générales, vous ne le feriez que lentement et difficilement.


CHAPITRE VII.

De la conclusion et du bouquet spirituel.

Enfin, il faut terminer la méditation par trois actes, qu'il faut faire avec le plus d'humilité possible. Le premier de ces actes est un acte de remercîment, par lequel nous rendons grâces à Dieu des affections et des résolutions qu'il nous a inspirées, et de la grande miséricorde qu'il a déployée dans le mystère qui a fait le sujet de notre méditation. Le second acte est un acte d'offrande, par lequel nous offrons à Dieu sa bonté même et sa miséricorde, les mérites de la mort et du sang de Jésus-Christ et aussi nos affections et nos résolutions en union des vertus de son divin Fils. Le troisième acte est un acte de supplication, par lequel nous demandons à Dieu, et nous le conjurons de nous communiquer les grâces et les vertus de son Fils, et de bénir nos affections et nos résolutions, en sorte que nous puissions les exécuter fidèlement: ensuite nous prions pour l'Eglise, pour nos pasteurs, nos parens, nos amis et autres personnes, employant pour cela l'intercession de la sainte Vierge, des anges et des saints. Enfin, j'ai marqué qu'il falloit dire le Pater noster et l'Ave, Maria, qui sont les prières communes et nécessaires à tous les fidèles.

A tout cela, j'ai ajouté qu'il falloit cueillir un petit bouquet de dévotion. Ceux qui se sont promenés dans un beau jardin n'en sortent pas volontiers sans prendre quatre ou cinq fleurs, pour les garder et les sentir le long de la journée; de même, notre esprit ayant parcouru quelque mystère par la méditation, nous devons choisir une, deux ou trois pensées, que nous aurons trouvées le plus à notre goût et les plus utiles à notre avancement, pour nous en ressouvenir le reste du jour et jouir spirituellement de leur bonne odeur. Or, cela se fait sur le lieu même de la méditation, en s'y promenant ou en l'y entretenant quelque temps après, dans le silence et dans le recueillement.


CHAPITRE VIII.

Quelques avis très-utiles, au sujet de la méditation.

Il faut surtout, Philothée, qu'au sortir de votre oraison, vous reteniez les résolutions que vous avez prises, afin de les pratiquer soigneusement à l'occasion dans le cours de la journée. Rappelez-vous que le grand fruit de la méditation, est de nous faire produire des actes de vertus; sans cela cet exercice devient inutile et souvent même dangereux. La considération spéculative des vertus, séparée de la pratique, peut nous enfler l'esprit et le cœur au point de nous faire croire que nous sommes tels que nous avons résolu d'être, mais nous ne sommes tels en effet que lorsque nos résolutions sont fortes et efficaces. Toutes les fois qu'elles sont foibles, elles sont vaines, et parce qu'elles sont sans effet, elles sont dangereuses. Il faut donc par tous les moyens possibles s'efforcer de les pratiquer, et à en rechercher les occasions, grandes ou petites. Par exemple, si j'ai résolu de gagner par douceur l'esprit de ceux qui m'offensent, je chercherai ce jour-là à les rencontrer, afin de pouvoir les saluer gracieusement; que si je ne puis les rencontrer, je tâcherai au moins d'en dire tout le bien possible, et je prierai Dieu en leur faveur.

Au sortir de l'oraison, il faut prendre garde de ne point donner de secousse à votre cœur, car vous épancheriez le baume que vous avez reçu dans l'oraison; je veux dire qu'il faut garder, s'il est possible, encore un peu de silence, et remuer tout doucement votre cœur, pour le faire passer de l'oraison aux affaires, conservant, tant que vous pourrez, les sentimens et les affections que vous avez conçus. Un homme qui auroit reçu dans un beau vase de porcelaine quelque liqueur de grand prix pour l'apporter dans sa maison, marcheroit tout doucement, ne regardant ni à droite, ni à gauche, mais tantôt devant soi, de peur de heurter à quelque pierre et de faire un faux pas, tantôt à son vase, pour voir s'il ne penche pas trop; vous devez en faire de même au sortir de la méditation: ne pas vous distraire tout-à-coup, mais regarder simplement devant vous. Que si vous rencontrez quelqu'un que vous soyez obligée d'entretenir ou d'entendre, il n'y a remède, il faut bien en passer par là; mais alors faites-le de telle sorte, que vous regardiez aussi à votre cœur, afin que la liqueur de la sainte oraison ne s'épanche que le moins possible.

Il faut même que vous vous accoutumiez à passer de l'oraison à tous les devoirs que votre vocation et votre état exigent de vous, quoiqu'ils paroissent fort éloignés des affections que vous aurez reçues dans l'oraison. Ainsi, un avocat doit savoir passer de l'oraison à la plaidoirie, un marchand à son commerce, une femme mariée au devoir de son mariage et au tracas de la maison; et tout cela avec tant de douceur et de tranquillité, que l'esprit n'en soit aucunement troublé; car, puisque l'un et l'autre sont également de la volonté de Dieu, il faut passer de l'un à l'autre avec un grand esprit d'humilité et de dévotion.

Sachez encore qu'il vous arrivera quelquefois, qu'aussitôt après la préparation, votre affection se trouvera tout émue en Dieu: alors, Philothée, il lui faut lâcher la bride, sans vouloir suivre la méthode que je vous ai donnée; car, bien que pour l'ordinaire la considération doive précéder les affections et les résolutions, s'il arrive cependant que le Saint-Esprit vous donne les affections avant les considérations, vous ne devez pas rechercher les considérations, puisque celles-ci ne sont faites que pour émouvoir les affections. Ainsi, toujours quand les affections se présenteront à vous, il faut les recevoir, et leur faire place, soit qu'elles précèdent, soit qu'elles suivent les considérations; et quoique j'aie mis les affections après toutes les considérations, je ne l'ai fait que pour mieux distinguer les parties de l'oraison; car du reste, c'est une règle générale qu'il ne faut jamais retenir les affections, mais leur donner un libre cours sitôt qu'elles se présentent. Ce que je dis là pour les affections, je le dis aussi pour l'action de grâces, l'offrande et la prière, qui peuvent se faire parmi les considérations, lorsqu'on s'y sent porté; car il ne faut pas plus les retenir que les autres affections, sauf après à les reprendre et à les répéter pour terminer la méditation. Quant aux résolutions, c'est après les affections qu'il les faut faire et avant la conclusion. Car, ayant besoin pour cela de nous représenter des objets particuliers et familiers, ce seroit ouvrir la voie aux distractions, que de prendre des résolutions dans le temps consacré aux affections.

Pour les affections et les résolutions dont je viens de parler, il est bon de les faire en forme de colloque, adressant la parole tantôt à Notre-Seigneur, tantôt aux anges, ou aux personnes qui ont eu part au mystère médité, aux saints, à soi-même, à son propre cœur, aux pécheurs, et même aux créatures insensibles, comme l'on voit que David fait dans ses psaumes, et d'autres saints dans leurs méditations et leurs prières.


CHAPITRE IX.

Des sécheresses d'esprit qui arrivent dans la méditation.

S'il vous arrive, Philothée, de n'avoir point de goût ni de consolation en méditant, je vous conjure de ne pas vous en troubler, mais de recourir simplement aux remèdes que je vais vous indiquer. Quelquefois ouvrez la porte aux paroles vocales, plaignez-vous amoureusement à Notre-Seigneur, confessez-lui votre indignité, priez-le qu'il vous aide, baisez son image, si vous l'avez; dites-lui ces paroles de Jacob: Je ne vous quitterai jamais, Seigneur, que vous ne m'ayez donné votre bénédiction; ou bien celles-ci de la Cananéenne: Oui, Seigneur, je suis une chienne; mais les chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. Une autre fois, prenez un livre, et lisez-le avec attention, jusqu'à ce que votre esprit soit réveillé et dispos; ou bien excitez votre cœur par quelque acte de dévotion extérieure, vous prosternant en terre, croisant les mains sur la poitrine, embrassant un crucifix: tout cela s'entend, si vous êtes seule et hors de tout regard. Que si après cela vous n'êtes pas consolée, quelque grande que soit votre sécheresse, ne vous troublez pas, mais continuez à vous tenir en une contenance dévote devant Dieu. Combien y a-t-il de courtisans qui vont cent fois l'année au lever du prince, sans espérance de lui parler, mais seulement pour être vus de lui, et pour lui rendre leurs devoirs! Ainsi devons-nous venir, Philothée, à la sainte oraison, purement et simplement pour rendre notre devoir et témoigner notre fidélité. Que s'il plaît à la divine Majesté de s'approcher de nous, et de nous entretenir par ses saintes inspirations et ses consolations intérieures, ce nous sera sans doute un grand honneur et un plaisir très-délicieux; mais s'il ne lui plaît pas de nous faire cette grâce, nous laissant là sans nous parler, comme si elle ne nous voyoit pas, et que nous ne fussions pas en sa présence, nous ne devons pas pour cela en sortir; mais au contraire, il nous faut demeurer là devant cette souveraine bonté, dans un maintien respectueux et paisible, qui lui fera au moins agréer notre patience, et qui nous donnera le mérite de l'assiduité et de la persévérance. Par là nous pouvons espérer qu'une autre fois quand nous reviendrons devant Dieu, il voudra bien nous favoriser de ses divins entretiens, et nous faire goûter les douceurs de la sainte oraison. Que si au reste il ne le faisoit pas, nous devrions encore nous estimer trop honorés et trop heureux d'être auprès de lui, et en sa présence.


CHAPITRE X.

De quelques autres exercices, et premièrement de l'exercice du matin.

Outre cette oraison mentale, et les prières vocales que vous devez faire une fois le jour, il y a cinq autres sortes d'oraison plus courtes, qui sont comme les accessoires et les rejetons de l'autre grande oraison. De ce nombre se trouve d'abord la prière du matin, qui sert de préparation générale à toutes les œuvres de la journée. Or, voici comme vous la ferez.

1. Remerciez Dieu et adorez-le profondément pour la grâce qu'il vous a faite de vous avoir conservée durant la nuit; et si vous avez quelque chose à vous reprocher depuis votre examen du soir, demandez-lui-en pardon.

2. Considérez que le jour présent vous est donné pour vous faire gagner le jour à venir de l'éternité, et ainsi prenez la ferme résolution de bien employer la journée à cette intention.

3. Prévoyez quelles affaires vous aurez à traiter ce jour-là, quelles occasions vous pourrez avoir de servir Dieu, quelles tentations vous pourront survenir de l'offenser, soit par colère, soit par vanité, soit de quelque autre manière, et par une sainte résolution préparez-vous à bien employer tous les moyens que Dieu vous donnera de le servir et d'avancer votre perfection. Comme aussi disposez-vous à éviter soigneusement, ou bien à combattre et à vaincre tout ce qui pourrait s'opposer à votre salut et à la gloire de Dieu. Or, ce n'est pas encore tout que d'avoir pris cette résolution, il faut de plus aviser aux moyens de la bien exécuter. Par exemple, si je prévois que j'aurai à traiter de quelque affaire avec une personne passionnée et prompte à la colère, non-seulement je prendrai la résolution de ne point la fâcher, mais encore je préparerai d'avance des paroles de douceur qui puissent la prévenir et la gagner, ou bien je ferai choix de quelque personne grave dont la présence puisse la contenir. Si je prévois que j'aurai à visiter un malade, je songerai à l'heure qu'il faudra prendre pour cela, aux secours et aux consolations que je devrai lui donner, et ainsi du reste.

4. Cela fait, humiliez-vous devant Dieu, reconnoissant que de vous-même vous ne sauriez rien faire de ce que vous avez résolu, soit pour fuir le mal, soit pour exécuter le bien. Et comme si vous teniez votre cœur entre vos mains, offrez-le avec tous vos bons desseins à la divine Majesté, la suppliant de le prendre sous sa protection, et de le fortifier à son service. Vous pouvez user pour cela de telles ou semblables paroles intérieures: O Seigneur! voilà ce pauvre et misérable cœur, qui, par votre bonté, a conçu plusieurs bonnes affections; mais hélas! il est trop foible et trop chétif pour effectuer le bien qu'il désire, si vous ne lui donnez votre céleste bénédiction. Je vous la demande donc, ô Père des miséricordes! par les mérites de la passion de votre Fils, à la gloire duquel je consacre cette journée et le reste de ma vie. Invoquez ensuite la sainte Vierge, votre bon ange et les saints, afin qu'ils appuient votre demande.

Mais souvenez-vous, Philothée, que tout ceci doit se faire brièvement et vivement, et, s'il se peut, avant qu'on sorte de la chambre, afin que cet exercice influe sur le reste de la journée, et y attire les bénédictions de Dieu. Or, je vous prie de ne jamais y manquer.


CHAPITRE XI.

De l'exercice du soir et de l'examen de conscience: second exercice.

Comme avant votre dîner vous aurez nourri votre ame du pain céleste de la méditation, de même aussi avant votre souper, il vous faudra faire un petit souper ou collation spirituelle de recueillement et de prière. Prenez donc quelques instans un peu avant l'heure du souper, et, prosternée devant Dieu, réunissant toutes vos puissances auprès de Jésus crucifié, que vous vous représenterez par une simple vue intérieure, efforcez-vous de rallumer en votre cœur le feu de la méditation du matin. Pour cela il vous faut une douzaine de vives aspirations et d'élancemens de votre ame que vous adresserez à ce divin Sauveur, soit en repassant les choses que vous avez le plus savourées le matin, soit en vous occupant de quelqu'autre sujet de méditation, selon que vous l'aimerez mieux.

Quant à l'examen de conscience que l'on doit toujours faire avant d'aller se coucher, chacun sait comment il faut s'y prendre.

1. On remercie Dieu de la protection qu'il nous a accordée durant toute la journée.

2. On examine comment on s'est comporté à toutes les heures du jour; et pour faire cela plus aisément, on se rappelle où, avec qui, et dans quelles circonstances on s'est trouvé.

3. Si l'on trouve qu'on a fait quelque bien, on en rend grâces à Dieu: si au contraire on a fait quelque mal en pensées, en paroles ou en œuvres, on en demande pardon à sa divine Majesté, avec résolution de s'en confesser à la première occasion et de s'en corriger au plus tôt.

4. Après cela, on recommande à la divine providence son corps, son ame, ses amis, ses parens et toute l'Eglise: on prie la sainte Vierge, le bon ange et les saints de veiller sur nous et pour nous; et avec la bénédiction de Dieu, on va prendre le repos qu'il a voulu nous rendre nécessaire.

Cet exercice ne doit pas plus être omis que l'exercice du matin; car, si par l'exercice du matin vous ouvrez votre ame au soleil de justice, par celui du soir vous la fermez aux ténèbres de l'enfer.


CHAPITRE XII.

De la retraite spirituelle: troisième exercice.

C'est ici, chère Philothée, que je vous désire une grande ardeur à suivre mon conseil; car il s'agit de l'un des plus grands moyens qui existent pour s'avancer dans la vie spirituelle.

Ce moyen consiste à se remettre le plus souvent possible en la sainte présence de Dieu, par l'une des quatre méthodes que je vous ai indiquées. Regardez ce que Dieu fait, et ce que vous faites, vous verrez ses yeux tournés de votre côté, et perpétuellement fixés sur vous par un amour incomparable: O Dieu! direz-vous alors, pourquoi ne vous regardé-je pas toujours, comme toujours vous me regardez? Pourquoi pensez-vous tant à moi, mon Seigneur! et pourquoi pense-je si peu à vous? O mon ame! où sommes-nous? Notre vraie place est en Dieu, et où nous trouvons-nous?

Comme les oiseaux ont des nids sur les arbres pour s'y retirer quand ils en ont besoin; et comme les cerfs ont leurs buissons et leurs forts pour s'y mettre à l'abri des ardeurs de l'été; de même, Philothée, nos cœurs doivent choisir chaque jour quelque place, soit sur le mont Calvaire, soit dans les plaies de Notre-Seigneur, soit dans quelqu'autre lieu près de lui, pour s'y retirer en toute rencontre et s'y faire comme un fort et un buisson où ils puissent se reposer des affaires extérieures, et se mettre à l'abri des tentations. Bienheureuse sera l'ame qui pourra dire ainsi en vérité à Notre-Seigneur: Vous êtes ma maison de refuge, mon rempart contre mes ennemis, mon toit contre la pluie et mon ombre contre la chaleur.

Souvenez-vous donc, Philotée, de faire tous les jours quelques petites retraites dans la solitude de votre cœur, pendant que vous êtes extérieurement au milieu des conversations et des affaires. Cette solitude mentale ne peut nullement être empêchée par ceux qui vous environnent: car ils ne sont pas autour de votre cœur, mais bien autour de votre corps; et ainsi, quel que soit leur nombre, votre cœur n'en est pas moins seul en présence de Dieu seul. C'est à cela que s'exerçoit le roi David parmi toutes ses occupations, et nous en voyons mille traits dans ses psaumes; comme quand il dit: O Seigneur! je suis toujours avec vous: je vous vois toujours devant moi. J'ai levé les yeux vers vous, ô mon Dieu! qui habitez le Ciel. Mes yeux sont toujours tournés vers Dieu.

Et en effet les conversations ne sont pas ordinairement si sérieuses, qu'on ne puisse de temps en temps en retirer son cœur, pour le remettre en cette divine solitude.

Les père et mère de sainte Catherine de Sienne lui ayant ôté toute facilité de prier et de méditer, soit pour le temps, soit pour le lieu, Notre-Seigneur lui inspira de se faire intérieurement un petit oratoire spirituel, où, se retirant à loisir, elle pût vaquer à la sainte solitude du cœur, même au milieu des affaires sans nombre qui l'occupoient à l'extérieur; et depuis, quand le monde l'attaquoit, elle n'en recevoit aucun trouble, parce que, disoit-elle, elle s'enfermoit dans son cabinet intérieur, et s'y consoloit en la compagnie de son divin Maître. Aussi dès lors elle ne conseilloit rien tant à ses compagnes que de se faire ainsi une petite cellule dans le cœur, et de s'y enfermer avec Jésus.

Retirez-vous donc quelquefois en vous-même, Philothée; et là, séparée du monde, traitez cœur à cœur avec Dieu des intérêts de votre ame, disant comme David: J'ai veillé, et j'ai été semblable au pélican du désert. J'ai été comme le hibou dans les masures, et comme le passereau solitaire sur le toit des maisons. Ces paroles, dans leur sens littéral, nous montrent que ce grand roi prenoit tous les jours quelques heures pour méditer en silence les choses spirituelles. Mais dans leur sens mystique ces mêmes paroles nous découvrent trois excellentes retraites, et comme trois ermitages, où nous pouvons imiter et suivre Notre-Seigneur dans ses différentes solitudes. Sur le mont Calvaire, il fut comme le pélican du désert, qui de son propre sang ravive ses petits poussins; dans l'étable de Bethléem, où il prit naissance, il fut comme le hibou dans une masure pleurant et gémissant sur nos péchés; enfin, au jour de son ascension, il fut comme le passereau solitaire, se retirant et s'envolant au Ciel, qui est comme le toit du monde. Ces trois lieux peuvent très-bien nous servir de retraite, quel que soit d'ailleurs le tracas des affaires. Le bienheureux Elzéar, comte d'Arian en Provence, étant depuis long-temps absent, son épouse, la pieuse et chaste Delphine, lui envoya un courrier exprès pour avoir des nouvelles de sa santé: Je me porte bien, lui répondit ce saint homme; et si vous voulez me voir, cherchez-moi dans la plaie du côté de notre doux Jésus: car c'est là que j'habite et que vous me trouverez: partout ailleurs vous me chercheriez en vain. C'étoit un chevalier chrétien, celui-là!


CHAPITRE XIII.

Des aspirations ou oraisons jaculatoires, et des bonnes pensées; quatrième exercice.

On se retire en Dieu, parce qu'on aspire à lui, et on y aspire pour s'y retirer; ainsi la retraite intérieure et l'aspiration en Dieu s'attirent et s'entretiennent l'une l'autre, et toutes deux proviennent des bonnes pensées.

Aspirez donc bien souvent à Dieu, Philothée, par de courts, mais vifs élancemens de votre cœur: admirez sa beauté; invoquez son secours; jetez-vous en esprit aux pieds de la croix; adorez sa miséricorde; interrogez-le souvent au sujet de votre salut; donnez-lui mille fois le jour votre ame; fixez sur lui vos yeux pour vous pénétrer de sa douceur; tendez-lui la main, comme un petit enfant à son père, afin qu'il vous conduise; mettez-le sur votre poitrine comme un bouquet délicieux; plantez-le dans votre ame comme un étendard sacré; enfin, donnez mille mouvemens à votre cœur, pour l'exciter à l'amour de Dieu et aux doux entretiens de ce céleste époux.

C'est ainsi que se font ces oraisons jaculatoires, que saint Augustin conseilloit si soigneusement à la dévote dame Proba. Soyez sûre, Philothée, que si notre esprit s'accoutume à entrer de la sorte en de familières communications avec son Dieu, il se trouvera bientôt comme tout parfumé de ses perfections; et ce n'est pas là une chose fort difficile: car on peut très-bien entremêler cet exercice aux affaires et aux occupations du siècle, sans que celles-ci en souffrent aucunement. Il ne faut, en effet, soit dans la retraite spirituelle, soit dans les oraisons jaculatoires, que quelques petits et cours élancemens du cœur; et certes, loin qu'un tel exercice entrave et gêne notre action, il n'est propre au contraire qu'à l'avancer et à l'aider beaucoup. Le pélerin qui prend un peu de vin pour se réjouir le cœur et se rafraîchir la bouche, s'arrête, il est vrai, quelque peu, mais il ne perd pas pour cela son temps; car il prend des forces pour continuer sa route, et ne s'arrête que pour mieux aller.

Il existe plusieurs recueils d'aspirations vocales, qui vraiment sont fort utiles; mais, si vous m'en croyez: vous ne vous astreindrez pas à ces sortes de paroles, et vous prononcerez simplement de cœur ou de bouche celles que l'amour divin vous suggérera sur-le-champ, car il vous en fournira tant que vous voudrez. Je reconnois toutefois qu'il y a certains mots qui ont une force toute particulière pour toucher le cœur, et ainsi vous ferez très-bien de vous en servir: tels sont les élancemens sacrés dont les psaumes sont remplis, les diverses invocations du saint nom de Jésus, ou bien les paroles enflammées du Cantique des cantiques. On peut aussi se servir utilement de quelques cantiques spirituels, mais il faut pour cela qu'ils soient chantés avec attention.

Lorsqu'un homme est épris d'un amour humain et naturel, il a presque toujours ses pensées occupées de la personne qu'il aime, son cœur n'a d'affection que pour elle, sa bouche en fait continuellement l'éloge; s'il en est séparé, il ne manque pas de lui écrire les choses les plus tendres; et il ne rencontre pas un arbre sur l'écorce duquel il ne grave son nom. De même aussi, ceux qui aiment Dieu ne peuvent cesser de penser à lui, de respirer pour lui, d'aspirer à lui, de parler de lui, et voudroient, s'il étoit possible, graver sur la poitrine de tous les hommes le saint et sacré nom de Jésus. Il semble même que toutes les créatures les y invitent, et qu'il n'y en ait aucune qui ne leur annonce la louange de leur bien-aimé. Oui, dit saint Augustin après saint Antoine, tout ce qui est au monde leur en parle: le langage de la nature à la vérité est un langage, mais il ne laisse pas d'être très-intelligible pour leur amour; tout les provoque à de bonnes pensées, et ces pensées, à leur tour, leur fournissent mille bons mouvemens et saintes aspirations qui les élèvent à Dieu. En voici quelques exemples.

Saint Grégoire, évêque de Nazianze, se promenant un jour au bord de la mer, ainsi qu'il le raconta lui-même à son peuple, remarqua que les flots, en s'avançant sur la grève, laissoient des coquilles et de petits cornets, des tiges d'herbes, de petites huîtres et autres semblables broutilles, que la mer rejetoit de son sein, et que d'autres vagues venoient ensuite reprendre et abîmer dans les eaux, tandis que les rochers des environs demeuroient fermes et immobiles, quoique les flots vinssent rudement fondre sur eux. Là-dessus il fit cette belle réflexion: que les ames foibles, semblables aux coquilles et aux tiges d'herbes, se laissent emporter, tantôt à l'affliction, tantôt à la consolation par le flux et le reflux de la fortune; mais que les grands courages demeurent fermes et inébranlables par tous les temps et contre tous les orages, et de cette pensée il prit occasion de s'écrier avec David: O Seigneur! sauvez-moi, car les eaux ont pénétré jusqu'à mon ame. O Seigneur! délivrez-moi de cet abîme: je suis emporté au fond des mers, et la tempête m'a submergé. Effectivement alors il étoit affligé par la malheureuse usurpation que Maxime vouloit faire de son siége.

Saint Fulgence, évêque de Ruspa, se trouvant à une assemblée générale de la noblesse romaine, présidée par Théodoric, roi des Goths, et voyant la splendeur de tant d'illustres seigneurs rangés chacun selon sa dignité: O Dieu, dit-il, combien doit être belle la Jérusalem céleste, puisqu'ici-bas Rome la terrestre est déjà si pompeuse! et si en ce monde on accorde tant d'honneurs aux amis de la vanité, quelle gloire ne sera-ce pas dans l'autre pour les amis de la vérité!

On dit que saint Anselme, archevêque de Cantorbéri, et que nos montagnes s'honorent d'avoir vu naître, étoit admirable pour cette pratique des bonnes pensées. Un jour qu'il étoit en voyage, un levreau pressé par des chiens courut se mettre sous son cheval, pour y trouver refuge contre la mort qui le menaçoit; ce que voyant les chiens, ils clabaudoient tout autour, sans toutefois oser approcher, comme s'ils eussent craint de violer l'asile auquel leur proie avoit eu recours. Un spectacle si singulier fit rire beaucoup toute la troupe des chasseurs, mais pour saint Anselme, pleurant au contraire et gémissant: Vous riez, s'écria-t-il, mais le pauvre animal ne rit pas. Eh! n'est-ce pas ainsi que, lorsqu'une ame a été poursuivie et menée par mille détours à toutes sortes de péchés, ses ennemis l'attendent au passage de la mort pour s'en saisir et la dévorer? que si alors cette pauvre ame tout éperdue, cherche quelque part un refuge, et n'en trouve pas, ses ennemis lui insultent et s'en rient, et elle devient leur proie éternelle. Ce qu'ayant dit, il s'éloigna en soupirant.

Constantin-le-Grand ayant écrit une lettre fort honorable à saint Antoine, les religieux qui se trouvoient autour du saint en parurent tout surpris. Sur quoi il leur dit ces paroles: «Comment admirez-vous qu'un roi écrive à un homme? Admirez plutôt que Dieu ait écrit sa loi aux hommes, et qu'il leur ait même parlé par la bouche de son propre Fils.»

Saint François voyant un jour une brebis seule au milieu d'un troupeau de bêtes à cornes: Voyez, dit-il à son compagnon, comme cette pauvre petite brebis est douce parmi ces boucs. C'est ainsi que Notre-Seigneur étoit doux et humble parmi les Pharisiens. Et une autre fois voyant un petit agneau mangé par un pourceau: Eh! petit agneau, dit-il tout en pleurant, que tu représentes bien la mort de mon Sauveur!

François de Borgia, ce grand et saint personnage de notre siècle, étant encore duc de Gandie, ne pouvoit aller à la chasse, sans y faire mille pieuses réflexions. J'admirois, disoit-il lui-même dans la suite, de quelle manière les faucons reviennent sur le poing, se laissent couvrir les yeux, et attacher à la perche, tandis que les hommes se montrent si sourds et si indociles à la voix de Dieu.

Le grand saint Basile dit que la rose entourée de ses épines fait cette belle instruction aux hommes: ce qu'il y a de plus agréable dans ce monde, ô mortels! est mêlé d'amertume et de tristesse; rien n'y est pur: le regret est accolé à la joie, le veuvage au mariage, le travail et la peine au bonheur d'être mère, l'ignominie à la gloire, la dépense aux honneurs, le dégoût aux délices, et la maladie à la santé. «C'est une belle fleur que la rose, dit encore ce saint personnage, mais elle me donne une grande tristesse, en m'avertissant du péché, pour lequel la terre a été condamnée à porter des ronces et des épines.»

Une ame dévote, regardant une fois un beau ruisseau où le ciel avec ses étoiles se peignoit comme dans un miroir: Mon Dieu! dit-elle, ces mêmes étoiles seront pourtant un jour sous mes pieds, quand vous m'aurez reçue dans vos saints tabernacles; et comme les étoiles du ciel sont représentées sur la terre, de même les hommes de la terre sont représentés au ciel en la belle et claire fontaine de la charité divine.

Une autre disoit en considérant le cours d'un fleuve: Mon ame n'aura jamais de repos, jusqu'à ce qu'elle soit abîmée en Dieu, son principe et sa fin, comme ce fleuve va s'abîmer dans l'océan.

Sainte Françoise, regardant un agréable ruisseau au bord duquel elle s'étoit agenouillée pour prier, fut ravie en extase, et répéta plusieurs fois ces paroles: Voilà l'image de la grâce de Dieu: c'est ainsi qu'elle coule tout doucement dans les cœurs.

Une autre disoit en voyant des arbres en fleurs: Hélas! faut-il que je sois la seule qui ne porte pas de fleurs dans le jardin de l'Eglise? Une autre, voyant de petits poussins ramassés sous leur mère, se mit à dire: O Seigneur! conservez-nous ainsi sous l'ombre de vos ailes; et une autre, en voyant le tournesol, fit cette réflexion: Quand sera-ce, ô mon Dieu! que mon ame suivra ainsi les attraits de votre grâce? Puis apercevant ces petites fleurs qu'on appelle pensées, assez belles à voir, mais sans odeur: Eh! que voilà bien mes pensées! se dit-elle; belles à dire, et bonnes à rien.

C'est ainsi, Philothée, que l'on tire de bonnes pensées et de saintes aspirations de ce qui se présente à nous dans l'usage commun de cette vie mortelle. Malheureux sont ceux qui détournent les créatures du Créateur, pour les faire servir au péché; mais bienheureux sont ceux qui rapportent les créatures à la gloire du Créateur, et qui emploient leur vanité à l'honneur de la vérité. Certes, dit saint Grégoire de Nazianze, je regarde comme une bonne habitude de rapporter toutes choses au profit de son ame. Vous pouvez lire à ce propos l'épitaphe que saint Jérôme composa pour sainte Paule, et vous y verrez avec plaisir de combien d'aspirations et de saintes affections cette belle ame faisoit usage en toutes sortes de rencontres.

C'est en cet exercice de la retraite spirituelle et des oraisons jaculatoires, que consiste la grande œuvre de la dévotion. Il est si utile qu'il peut à la rigueur remplacer les autres espèces d'oraisons, tandis que si on le néglige, il n'y a presque pas moyen d'y suppléer. Sans lui, l'on n'entend rien à la vie contemplative, et l'on ne s'acquitte que fort mal des devoirs de la vie active: car alors le repos n'est qu'oisiveté, et le travail qu'empressement. C'est pourquoi je vous conjure de l'embrasser de tout votre cœur, et de ne jamais l'abandonner.


CHAPITRE XIV.

De la très-sainte Messe, et de la manière de l'entendre; cinquième exercice.

1. Je ne vous ai point encore parlé du soleil des exercices spirituels, qui est le très-saint, très-sacré, et très-adorable sacrifice et sacrement de l'autel, centre de la religion chrétienne, cœur de la dévotion, ame de la piété, mystère ineffable, et profond abîme de la charité divine par lequel Dieu, en se donnant réellement à nous, nous communique magnifiquement ses grâces et ses faveurs.

2. La prière faite en union de ce divin sacrifice a une force merveilleuse; car l'ame se trouvant alors comme appuyée sur son bien-aimé, abonde en faveurs célestes, et reçoit tant de consolations et de suavités spirituelles, qu'elle ressemble, pour me servir de l'expression du Cantique, à ces colonnes de fumée qui s'échappent de la myrrhe et de l'encens et des bois aromatiques les plus exquis.

3. Faites donc tous vos efforts pour assister tous les jours à la sainte messe, afin d'offrir avec le prêtre le sacrifice que votre Sauveur offre continuellement à Dieu son Père pour vous et pour toute l'Eglise. Toujours les anges s'y trouvent en grand nombre, dit saint Jean Chrysostôme, pour honorer par leur présence ce saint et redoutable mystère; et nous y trouvant avec eux, nous ne pouvons que recevoir une très-heureuse influence d'une telle société. Les chœurs de l'Eglise triomphante et ceux de l'Eglise militante se tiennent unis à Notre-Seigneur pendant cette divine action, pour nous gagner par lui, avec lui, et en lui, le cœur de Dieu son Père, et attirer sur nous toute sa miséricorde. Quel bonheur donc pour une ame dévote de contribuer par ses propres affections à un bien si précieux et si désirable!

4. Si par quelque force majeure vous ne pouvez assister d'une présence réelle à ce souverain sacrifice, au moins faut-il que vous y portiez votre cœur pour y assister spirituellement. Prenez donc un moment le matin pour aller en esprit à l'église, si vous ne pouvez y aller autrement; unissez votre intention à celle de tous les chrétiens, et faites au lieu où vous êtes les mêmes actes intérieurs que vous feriez si vous étiez réellement présente à la sainte messe dans quelque église.

5. Or, pour bien entendre la sainte messe, soit réellement, soit mentalement, voici une méthode que je vous propose:

1.º Depuis le commencement jusqu'à ce que le prêtre soit monté à l'autel, faites avec lui la préparation, qui consiste à vous mettre en la présence de Dieu, à reconnoître votre indignité et à demander pardon de vos fautes.

2.º Depuis que le prêtre est monté à l'autel, jusqu'à l'Evangile, considérez la venue et la vie de Notre-Seigneur en ce monde par une considération simple et générale.

3.º Depuis l'Evangile jusqu'au Credo, considérez la prédication de Notre-Seigneur; protestez-lui que vous voulez vivre et mourir dans la foi et l'obéissance de sa sainte parole, et dans l'union de la sainte Eglise catholique.

4.º Depuis le Credo jusqu'au Pater, appliquez votre cœur aux mystères de la passion et de la mort de notre Rédempteur, qui vous sera alors réellement et essentiellement représentée; et vous unissant d'intention au prêtre et au reste du peuple, offrez le saint sacrifice à Dieu le Père pour son honneur et pour votre salut.

5.º Depuis le Pater jusqu'à la communion, efforcez-vous de faire naître en votre cœur mille ardens désirs d'être à jamais unie à notre Sauveur par les liens d'un amour éternel.

6.º Depuis la communion jusqu'à la fin, remerciez la divine Majesté de son incarnation, de sa vie, de sa passion, de sa mort, et de l'amour immense qu'il nous témoigne dans le saint sacrifice, le conjurant par tous ses mérites de vous être à jamais propice, à vos parens, à vos amis et à toute l'Eglise. Puis, vous humiliant de tout votre cœur, recevez dévotement la bénédiction divine que Notre-Seigneur vous donne par la main de son ministre.

Que si, pendant la messe, vous voulez faire votre méditation sur les mystères que vous prenez pour chaque jour, il ne sera pas besoin d'en venir à ces actes particuliers, mais il suffira d'avoir, en commençant, l'intention d'adorer et d'offrir le saint sacrifice par l'exercice de votre méditation; puisque dans toute méditation ces actes se trouvent compris soit expressément, soit tacitement et virtuellement.


CHAPITRE XV.

Des autres exercices de dévotion publics et communs.

Outre ce que nous venons de dire, Philothée, il faut encore, les dimanches et les fêtes, assister à l'office des heures et des vêpres, tant que votre commodité vous le permettra: car ces jours-là sont dédiés à Dieu, et il faut bien y faire plus d'actions en son honneur et gloire, qu'on n'en fait les autres jours. Par là vous sentirez mille douceurs de dévotion, comme l'éprouvoit saint Augustin, qui nous assure dans ses Confessions, que lorsqu'il entendoit le divin office au commencement de sa conversion, son cœur se fondoit en suavité, et ses yeux en larmes de piété. De plus, rappelez-vous une fois pour toutes, qu'il y a toujours plus d'avantage et de consolation aux offices publics de l'Eglise, qu'aux pratiques particulières; Dieu ayant voulu, pour ce qui concerne son culte, que la communion des fidèles fût préférée à toute sorte de particularités.

Entrez volontiers dans les confréries du lieu où vous êtes, surtout dans celle où vous pourrez trouver le plus d'édification. Vous ferez en cela une chose fort agréable à Dieu; car, bien que l'Eglise ne commande pas les confréries, elle les recommande néanmoins, et, pour témoigner quel désir elle a qu'on s'y enrôle, elle accorde des indulgences et autres priviléges aux confrères. D'ailleurs, c'est une pratique très-favorable à la charité chrétienne de s'associer ainsi à plusieurs personnes, pour contribuer à leurs bons desseins: et quoiqu'il puisse arriver qu'on fasse d'aussi bonnes œuvres à part soi, qu'on en fait en commun dans les confréries, et peut-être même avec plus de goût, toujours est-il que Dieu est plus glorifié par ces sortes de réunions, où les mérites de chacun se trouvent liés et unis à ceux de ses frères.

J'en dis autant de toutes les prières et dévotions publiques, auxquelles, tant que nous le pouvons, nous devons contribuer par notre bon exemple, pour la gloire de Dieu, pour l'édification du prochain, et pour la fin commune qu'on s'y propose.


CHAPITRE XVI.

Qu'il faut honorer et invoquer les saints.

Puisque c'est par le ministère des anges que nous recevons souvent les bonnes inspirations de Dieu, c'est aussi par eux que nous devons lui adresser nos aspirations, aussi-bien que par les saints et les saintes qui, étant présentement semblables aux anges, dans la gloire de Dieu, comme le dit Notre-Seigneur, lui présentent constamment leurs désirs et leurs prières en notre faveur.

Joignons-nous donc, ô Philothée, à ces esprits célestes, et à ces ames bienheureuses; faisons comme les petits rossignols, qui apprennent à chanter avec les grands: entretenons un pieux commerce avec les saints, et nous saurons bien mieux prier et chanter les louanges divines. A la vue des anges, disoit David, j'entonnerai les louanges de Dieu.

Honorez, révérez et respectez d'un amour spécial la sainte et glorieuse Vierge Marie; elle est mère de notre souverain Père, et par conséquent notre grand'mère. Recourons donc à elle, et, comme ses petits enfans, jetons-nous dans son giron avec une confiance parfaite, à tous momens et en toutes rencontres. Appelons à nous cette douce mère, invoquons son amour maternel, et tâchant d'imiter ses vertus, ayons pour elle un cœur vraiment filial.

Rendez-vous fort familière avec les anges: regardez-les comme réellement présens à toutes vos actions, quoique d'une manière invisible. Aimez surtout et respectez l'ange du diocèse où vous êtes, les anges des personnes avec lesquelles vous vivez, et spécialement le vôtre: priez-les souvent, offrez-leur de fréquentes louanges, et employez leur bon secours dans toutes vos affaires, soit spirituelles, soit temporelles, afin qu'ils coopèrent à vos intentions.

Le célèbre Pierre Lefèvre, premier prêtre, premier prédicateur, premier professeur de théologie de la sainte compagnie de Jésus, et premier compagnon du bienheureux Ignace, qui fut le fondateur de cette société, revenant un jour d'Allemagne, où il avoit beaucoup travaillé pour la gloire de Dieu, et passant par ce diocèse, où il étoit né, racontoit qu'ayant traversé plusieurs pays hérétiques, il s'étoit toujours très-bien trouvé de saluer en arrivant dans une paroisse les anges qui la protégeoient, et qu'il devoit visiblement à cette pratique d'avoir échappé aux embûches des hérétiques, et d'avoir trouvé les ames si douces et si dociles à recevoir la doctrine du salut: ce qu'il disoit d'un air si pénétré, qu'une demoiselle alors fort jeune, l'ayant entendu lui-même raconter ce fait, le répétoit il n'y a que quatre ans, c'est-à-dire plus de soixante ans après, avec un extrême sentiment de piété. Pour moi, je fus bien consolé l'année passée, de consacrer un autel au lieu même où Dieu fit naître ce saint homme, dans le petit village de Villaret, au milieu de nos montagnes les plus inaccessibles.

Choisissez quelques saints dont la vie vous plaise davantage à méditer et à imiter, et en qui vous placiez plus particulièrement votre confiance. Celui dont vous portez le nom vous est déjà tout assigné par votre baptême.


CHAPITRE XVII.

Comment il faut entendre et lire la parole de Dieu.

Aimez à entendre la parole de Dieu, soit que vous l'écoutiez dans les conversations familières de vos amis spirituels, soit que vous l'écoutiez au sermon: recevez-la toujours avec attention et respect: faites-en bien votre profit, et ne permettez pas qu'elle tombe à terre; mais conservez-la dans votre cœur, comme un baume précieux, à l'imitation de la très-sainte Vierge, qui gardoit soigneusement dans le sien toutes les paroles que l'on disoit à la louange de son fils. Souvenez-vous que Notre-Seigneur ne recueille les paroles que nous lui disons dans nos prières, qu'autant que nous recueillons celles qu'il nous dit par la prédication.

Ayez toujours auprès de vous quelque bon livre de piété, comme sont ceux de saint Bonaventure, de Gerson, de Denis le Chartreux, de Louis Blosius, de Grenade, de Stella, d'Arias, de Pinelli, de Dupont, d'Avila, le Combat spirituel, les Confessions de saint Augustin, les Epîtres de saint Jérôme, et autres semblables; lisez-en tous les jours un peu avec une grande dévotion, comme si ces saints auteurs vous les eussent envoyés du Ciel pour vous en montrer le chemin, et vous donner le courage d'y aller. Lisez aussi les histoires et vies des saints, où vous verrez, comme dans un miroir, le portrait de la vie chrétienne. Accommodez leurs actions au profit de votre ame, en ayant égard aux devoirs de votre vocation; car, bien que beaucoup d'actions des saints ne soient pas imitables pour ceux qui vivent dans le monde, toujours est-il qu'elles peuvent toutes être suivies ou de près ou de loin. Ainsi vous pouvez imiter la solitude de saint Paul, premier ermite, dans les retraites spirituelles et réelles dont je vous ai parlé, et auxquelles je reviendrai plus tard. Vous pouvez imiter la pauvreté de saint François, par les pratiques de pauvreté dont je compte vous entretenir, et ainsi des autres. Mais je conviens qu'il y a certaines histoires qui donnent encore plus de lumières pour la conduite de la vie: comme sont, la Vie de la bienheureuse mère Thérèse, vraiment admirable pour cela; les Vies des premiers jésuites; celles de saint Charles Borromée, archevêque de Milan, de saint Louis, de saint Bernard; les Chroniques de saint François, et autres pareilles. D'autres présentent plus de sujets d'admiration que d'imitation, comme sont celles de sainte Marie Égyptienne, de saint Siméon Stylite, de sainte Catherine de Sienne, de sainte Catherine de Gênes, de sainte Angèle, et plusieurs autres, qui ne laissent pas néanmoins de donner un goût général du saint amour de Dieu.


CHAPITRE XVIII.

Comment il faut recevoir les inspirations.

Nous appelons inspirations tous les attraits de la grâce, les bons mouvemens, les reproches et remords de conscience, les lumières intérieures, et généralement toutes les bénédictions dont Dieu prévient notre cœur par un pur effet de sa bonté paternelle, soit afin de nous réveiller de notre assoupissement, soit pour nous engager à la pratique des vertus, exciter en nous son saint amour, et en un mot nous faire rechercher tout ce qui peut nous conduire aux biens éternels. C'est ce que l'époux des Cantiques appelle frapper à la porte de son épouse, lui parler au cœur, la réveiller quand elle dort, l'appeler quand elle est absente, l'inviter à goûter de son miel, à cueillir des fruits et des fleurs en son jardin, à chanter et à faire raisonner sa douce voix à ses oreilles. J'ai besoin d'une comparaison pour me bien faire comprendre.

Pour l'entière conclusion d'un mariage, trois choses doivent intervenir quant à la personne que l'on veut marier: premièrement, on lui propose le parti; secondement, elle agrée la proposition; troisièmement, elle consent. Ainsi, lorsque Dieu veut faire en nous, par nous et pour nous quelques actions de grand prix, premièrement, il nous la propose par son inspiration; secondement, cette proposition nous agrée; troisièmement, nous y consentons. Car, comme pour descendre au péché il y a trois degrés: la tentation, la délectation et le consentement; de même aussi il y en a trois pour monter à la vertu: l'inspiration, qui correspond à la tentation; la complaisance en l'inspiration, qui correspond à la délectation en la tentation; et le consentement à l'inspiration, qui correspond au consentement que l'on donne à la tentation.

Quand l'inspiration dureroit tout le temps de notre vie, nous ne serions pourtant nullement agréables à Dieu, si nous n'y prenions plaisir; et au contraire, Dieu en seroit offensé, comme il le fut par la conduite des Israélites, auprès desquels il fut pendant quarante ans, ainsi qu'il le dit, les pressant de se convertir, sans que jamais ils y voulussent entendre; ce qui lui fit jurer contre eux avec serment que jamais ils n'entreroient dans son repos.

Le plaisir qu'on prend aux inspirations est un grand acheminement à la gloire de Dieu, et c'est déjà commencer à plaire à sa divine Majesté; car, si ce plaisir n'est pas encore un parfait consentement, c'est du moins une certaine disposition à consentir; et, comme c'est un très-bon signe, et une chose fort utile de se plaire à entendre la parole de Dieu, qui est comme une inspiration extérieure, c'est aussi une chose très-bonne et très-agréable à Dieu, de se plaire aux inspirations intérieures. C'est de ce plaisir que parle l'épouse sacrée, quand elle dit: Mon ame s'est fondue de joie, quand mon bien-aimé m'a parlé.

Enfin, pour que l'acte soit parfait, il faut le consentement; car, si ayant reçu l'inspiration, et l'ayant même agréée, nous refusons néanmoins d'y consentir, il est clair que nous méconnoissons étrangement Dieu, et que nous offensons beaucoup sa divine Majesté; car il semble bien qu'il y a plus de mépris à agir de la sorte, que si nous avions tout de suite rejeté ses inspirations. C'est ce qui arriva à l'épouse des Cantiques; la voix de son bien-aimé avoit touché son cœur d'une sainte joie; elle ne voulut pas néanmoins lui ouvrir la porte, et s'en excusa sous de frivoles prétextes; ce que voyant l'époux avec une juste indignation, il passa outre et la quitta. Soyez donc résolue, Philothée, à accepter de bon cœur toutes les inspirations qu'il plaira à Dieu de vous envoyer; et quand elles arriveront, recevez-les comme les ambassadeurs du roi céleste, qui désire contracter alliance avec vous. Ecoutez paisiblement leurs propositions, considérez l'amour de celui qui vous les envoie, accueillez-les affectueusement. Après quoi, consentez, mais d'un consentement plein, empressé et constant; de cette sorte, Dieu, qui ne peut vous avoir aucune obligation, ne laissera pas néanmoins d'agréer votre correspondance à son amour. Mais si l'inspiration porte sur quelque chose d'important ou d'extraordinaire, suspendez votre consentement jusqu'à ce que vous ayez consulté votre directeur, et qu'il ait examiné si elle est vraie ou fausse. Car souvent il arrive que l'ennemi, voyant une ame prompte à consentir aux inspirations, lui en propose de fausses pour la tromper: ce qu'il ne peut jamais faire, tant que cette ame obéit à son directeur avec humilité.

Le consentement une fois donné, il faut mettre tout son soin à en procurer les effets, et réduire l'inspiration en acte, ce qui est la perfection de la vraie vertu. Car d'avoir le consentement dans le cœur, sans jamais en venir à l'effet, ce seroit comme de planter une vigne, sans vouloir qu'elle fructifiât.

Or, pour-tout ceci, il est très-avantageux de pratiquer l'exercice du matin, ainsi que les retraites spirituelles dont j'ai parlé plus haut; car par ce moyen nous nous préparons à faire le bien par une préparation non-seulement générale, mais encore particulière.


CHAPITRE XIX.

De la sainte confession.

Notre Sauveur a laissé à son Eglise le sacrement de pénitence ou de confession, pour nous laver de toutes nos souillures, autant de fois que nous en aurions contracté. Ne permettez donc jamais, Philothée, que votre cœur demeure long-temps infecté du péché, puisque vous avez un remède si sûr et si facile. Une ame qui a consenti au péché doit avoir horreur d'elle-même, et se purifier au plus tôt, par respect pour la divine Majesté, qui la regarde. Hélas! ne seroit-ce pas le comble de la folie de nous laisser mourir de la mort spirituelle tandis que nous avons entre les mains un remède si souverain pour nous guérir?

Confessez-vous humblement et dévotement tous les huit jours, et toujours, s'il se peut, quand vous communierez, encore que vous n'ayez sur la conscience aucun péché mortel, car par la confession vous ne recevrez pas seulement l'absolution des péchés véniels que vous confesserez, mais vous recevrez encore une grande force pour les éviter à l'avenir, une grande lumière pour les bien discerner, et une grâce abondante pour réparer tout le dommage qu'ils vous ont causé. Vous pratiquerez en outre la vertu d'humilité, d'obéissance, de simplicité et de charité, en sorte que par cette seule action vous pratiquerez plus de vertus que par aucune autre.

Ayez toujours une vraie douleur des péchés que vous confesserez, quelque petits qu'ils soient, et soyez bien résolue de vous en corriger à l'avenir. Plusieurs se confessant par coutume des péchés véniels, et en faisant comme l'assaisonnement obligé de toutes leurs confessions, sans penser nullement à s'en corriger, en demeurent chargés toute leur vie, et perdent par ce moyen beaucoup de biens et de profits spirituels. Si donc vous vous confessez d'avoir menti, même sans préjudice pour le prochain, ou bien d'avoir dit quelque parole légère, ou d'avoir trop joué, repentez-vous-en, et faites le ferme propos de vous en amender. Car c'est un abus de se confesser de quelque sorte de péché, soit mortel, soit véniel, sans vouloir s'en délivrer, puisque la confession n'est instituée que pour cela.

Retranchez de votre confession ces accusations superflues que plusieurs font par routine: Je n'ai pas aimé Dieu comme je le devois; je n'ai pas prié avec autant de dévotion que je le devois; je n'ai pas aimé le prochain comme je le devois; je n'ai pas reçu les sacremens avec le respect que je devois, et autres semblables. La raison est, qu'en disant cela, vous ne dites rien de particulier, qui puisse faire connoître au confesseur l'état de votre conscience; d'autant que tous les saints du Paradis, et tous les hommes de la terre pourroient dire les mêmes choses, s'ils se confessoient. Examinez donc quel motif particulier vous avez pour faire ces sortes d'accusations; et lorsque vous l'aurez découvert, accusez-vous de votre faute tout simplement et naïvement. Par exemple, vous vous accusez de n'avoir pas aimé le prochain, comme vous le deviez; c'est peut-être parce qu'ayant vu quelque pauvre fort nécessiteux que vous pouviez facilement secourir et soulager, vous n'en avez eu nul soin. Eh bien, accusez-vous de cette particularité, et dites: ayant vu un pauvre nécessiteux, je ne l'ai pas secouru comme je pouvois, par négligence, ou par dureté de cœur, ou par mépris, selon que vous connoîtrez quel motif a donné lieu à votre faute. De même, ne vous accusez pas de n'avoir pas prié Dieu avec toute la dévotion que vous deviez; mais si vous avez eu des distractions volontaires, ou que vous ayez négligé de prendre le lieu, le temps, et la posture convenables pour faire votre prière avec attention, accusez-vous-en tout simplement, selon que vous trouverez y avoir manqué, sans parler de ces choses générales qui ne font ni froid ni chaud dans la confession.

Ne vous contentez pas de dire vos péchés véniels quant au fait, mais accusez-vous encore du motif qui vous a induite à les commettre. Par exemple, ne vous contentez pas de dire que vous avez menti sans nuire à personne; mais dites si ç'a été ou par vaine gloire, afin de vous louer ou de vous excuser, ou par vaine joie, ou par opiniâtreté: si vous avez péché à l'occasion du jeu, dites si ç'a été par le désir du gain, ou par le plaisir de la conversation, et ainsi des autres. Dites en outre si vous vous êtes long-temps arrêtée dans votre péché; car la longueur du temps accroît pour l'ordinaire beaucoup la faute, y ayant bien de la différence entre une vanité passagère, qui aura traversé notre esprit pendant un quart d'heure, et celle où notre cœur se sera délecté un jour, deux jours, trois jours. Il faut donc dire le fait, le motif et la durée de nos péchés. Ce n'est pas que toujours on soit obligé d'être si exact dans la déclaration des péchés véniels; on n'est pas même tenu absolument de les confesser; mais ceux qui veulent bien purifier leur ame pour mieux atteindre à la sainte dévotion, doivent être très-soigneux à faire connoître exactement au médecin spirituel toutes leurs plaies, jusqu'aux plus petites, afin d'être guéris de toutes.

Ne manquez point de dire ce qui est nécessaire pour bien faire comprendre la qualité de votre offense, comme le sujet que vous avez eu de vous mettre en colère, ou de vous montrer indulgente pour tel vice. Par exemple, un homme qui me déplaît, me dira quelque légère parole pour rire; je la prendrai en mauvaise part, et me mettrai en colère. Que si un autre qui m'eût été agréable en eût dit autant et même davantage, je l'eusse pris en bonne part, et ne me serois aucunement fâché. Je dirai donc en m'accusant, que je me suis échappé en des paroles d'aigreur, ayant pris en mauvaise part quelque chose que l'on me disoit, non point à cause des paroles en elles-mêmes, mais à cause de celui qui me les disoit, et qui m'étoit désagréable; et s'il est encore besoin de particulariser les paroles pour vous bien faire connoître, je pense qu'il faudroit les dire. Car en s'accusant ainsi naïvement, on ne découvre pas seulement les péchés que l'on a faits, mais encore les mauvaises inclinations, les coutumes, les occasions et autres racines du péché; au moyen de quoi le père spirituel juge mieux de l'état du cœur qu'il traite, et des remèdes à y appliquer. Il faut cependant mettre toujours à couvert les personnes qui auraient pris part à votre péché, autant du moins qu'il vous sera possible.

Prenez garde à une quantité de péchés qui vivent et règnent souvent dans la conscience, sans qu'on s'en aperçoive. Ils sont matière de confession, et il faut avoir soin de s'en débarrasser. Pour cela, lisez attentivement les chapitres VI, XXVII, XXVIII, XXIX, XXXV et XXXVI de la troisième partie, et le chapitre VIII de la quatrième.

Ne changez pas aisément de confesseur; mais, après en avoir choisi un, continuez à lui rendre compte de votre conscience aux jours fixés pour cela, lui disant naïvement et franchement les péchés que vous avez commis; et de temps en temps, comme seroit de mois en mois, ou de deux mois en deux mois, faites-lui connoître l'état de vos inclinations, lors même qu'il n'y aurait aucun péché de votre part, comme si vous étiez tourmentée de tristesse ou de chagrin, ou que vous fussiez portée à la joie ou aux désirs d'amasser du bien, et ainsi du reste.


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