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Introduction à la vie dévote

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CHAPITRE VI.

Examen de l'état de notre ame envers le prochain.

Il faut bien aimer un mari, une femme d'un amour doux et tranquille, ferme et continuel, et qui passe avant tout autre, car Dieu l'ordonne ainsi: il faut avoir également un grand amour pour les enfans et pour les proches, et encore pour les amis, chacun selon son rang.

Mais pour parler en général, où en est votre cœur à l'égard du prochain? L'aimez-vous bien cordialement et pour l'amour de Dieu? Pour bien discerner cela, il faut vous représenter certaines gens maussades et ennuyeux; car c'est là surtout que l'on peut exercer l'amour de Dieu envers le prochain, et particulièrement envers ceux qui nous font du mal ou par paroles ou par actions. Examinez bien si votre cœur n'a rien contre eux, et si vous avez grande peine à les aimer.

N'êtes-vous point facile à parler du prochain en mauvaise part, surtout de ceux qui ne vous aiment pas? Ne faites-vous de mal à personne, soit directement, soit indirectement? Pour peu que vous soyez raisonnable, vous vous en apercevrez aisément.


CHAPITRE VII.

Examen sur les affections de notre ame.

J'ai cru devoir m'étendre un peu sur les points de l'examen qui a pour but de faire connoître les progrès que l'on a faits dans la vie spirituelle; car quant à l'examen des péchés, cela est pour la confession de ceux qui ne cherchent pas à avancer.

Néanmoins, il est bon de ne pas trop se travailler sur chacun de ces articles, mais d'y aller tout doucement, considérant quel usage notre cœur a fait de ses affections depuis les résolutions que nous avions prises, et dans quelles fautes notables nous sommes tombés.

Pour abréger cette besogne, il faut réduire l'examen à la recherche de nos passions; et s'il nous fâche d'entrer si fort dans le détail, considérons simplement ce que nous avons été, et comment nous nous sommes comportés:

En notre amour pour Dieu, pour le prochain, pour nous-mêmes;

En notre haine pour le péché qui se trouve en nous, et aussi pour le péché qui se trouve chez autrui; car nous devons désirer l'extermination de l'un et de l'autre;

En nos désirs touchant les richesses, touchant les plaisirs, touchant les honneurs;

En la crainte des occasions de pécher, et des pertes des biens de ce monde; on craint trop l'un, et trop peu l'autre;

En notre espérance, trop occupée peut-être du monde et des créatures, et pas assez de Dieu et des choses éternelles;

En la tristesse; si elle n'est pas excessive, et pour des choses vaines;

En la joie; si elle n'est pas immodérée, et pour des choses indignes.

Quelles affections enfin embarrassent notre cœur, quelles passions le possèdent, et en quoi principalement il s'est détraqué.

C'est ainsi que par les passions de l'ame on reconnoît son véritable état; mais il faut pour cela les tâter l'une après l'autre; car, comme un joueur de luth pince toutes les cordes, et celles qu'il trouve dissonantes, il les accorde, soit en les tirant, soit en les lâchant; de même, après avoir tâté l'amour, la haine, le désir, la crainte, l'espérance, la tristesse et la joie de notre ame, si nous ne les trouvons pas avec l'intention où nous devons être de rendre gloire à Dieu, nous pourrons les accorder moyennant sa sainte grâce et l'avis de notre père spirituel.


CHAPITRE VIII.

Affections qui doivent suivre l'examen.

Après avoir doucement considéré chaque point de l'examen, et avoir vu à quoi vous en êtes, vous viendrez aux affections ainsi qu'il suit:

Remerciez Dieu de ce peu d'amendement que vous aurez trouvé en votre vie depuis votre résolution, et reconnoissez que c'est sa seule miséricorde qui l'a fait en vous et pour vous.

Humiliez-vous bien fort devant Dieu, reconnoissant que si vous n'avez pas beaucoup avancé, c'est de votre faute; parce que vous n'avez pas fidèlement, courageusement et constamment correspondu aux inspirations, aux mouvemens et aux lumières dont il vous a favorisée en l'oraison et ailleurs.

Promettez-lui de le louer à jamais pour les grâces qu'il vous a faites, et qui ont opéré en vous ce petit amendement.

Demandez-lui pardon de l'infidélité et de la déloyauté avec lesquelles vous avez correspondu à ses bontés.

Offrez-lui votre cœur, afin qu'il s'en rende tout-à-fait le maître.

Suppliez-le qu'il vous rende parfaitement fidèle.

Invoquez les saints, la sainte Vierge, votre ange, votre patron, saint Joseph, et ainsi des autres.


CHAPITRE IX.

Des considérations propres à renouveler nos bons propos.

Après avoir fait l'examen, et avoir bien conféré avec un sage directeur sur vos défauts et les remèdes à y appliquer, vous prendrez chaque jour une des considérations suivantes, pour vous en faire un sujet de méditation, y employant le temps de votre oraison, et cela toujours selon la même méthode de préparations et d'affections que je vous ai donnée dans la première partie; vous mettant, avant toutes choses, en la présence de Dieu, et implorant sa grâce pour vous bien établir dans son amour et son saint service.


CHAPITRE X.

Première considération. Sur l'excellence de nos ames.

Considérez la noblesse et l'excellence de votre ame, qui a un entendement avec lequel non-seulement elle connoît tout le monde visible, mais encore elle connoît qu'il y a des anges et un paradis, qu'il y a un Dieu très-souverain, très-bon et ineffable; elle connoît qu'il y a une éternité; et de plus, elle connoît ce qui est nécessaire pour bien vivre en ce monde visible, pour s'associer aux anges dans le paradis, et pour jouir éternellement de Dieu.

Votre ame a en outre une volonté toute noble, qui peut aimer Dieu, et ne peut le haïr en lui-même. Voyez votre cœur comme il est généreux: semblable aux abeilles que rien de ce qui est corrompu ne peut satisfaire, mais qui ne s'arrêtent que sur les fleurs; ainsi ce cœur ne peut être en repos qu'en Dieu seul, et nulle créature ne le peut assouvir. Rappelez hardiment à votre souvenir les plus chers et les plus vifs amusemens qui ont autrefois occupé votre cœur, et jugez s'ils n'étoient pas pleins d'inquiétudes fatigantes, de pensées cuisantes, de soucis importuns, parmi lesquels vous étiez véritablement au supplice.

Hélas! quand notre cœur va courant après les créatures, il s'y porte avec un empressement extrême, pensant y pouvoir apaiser ses désirs; mais sitôt qu'il les a rencontrées, il voit que c'est à refaire, et que rien ne peut le contenter; Dieu ne voulant pas qu'il trouve nulle part où se reposer, afin que, semblable à la colombe sortie de l'arche, il retourne à son premier gîte, c'est-à-dire à son Dieu, dont il étoit sorti. Ah! de quelle excellence n'est donc pas notre cœur! et pourquoi le retiendrions-nous contre son gré au service des créatures?

O mon ame! devez-vous dire, vous pouvez connoître et aimer Dieu; pourquoi donc vous amuser à ce qui est infiniment au-dessous? Vous pouvez prétendre à l'éternité, pourquoi donc vous amuser à des momens si courts? Ce fut un des regrets de l'enfant prodigue, qu'ayant pu vivre délicieusement à la table de son père, il étoit réduit à partager la nourriture des bêtes. O ame! tu es capable de Dieu: malheur à toi, si tu te contentes de moins que de Dieu! Elevez fort votre ame par cette considération; remontrez-lui qu'elle est éternelle et digne de l'éternité; cela lui enflera le courage.


CHAPITRE XI.

Seconde considération. Sur l'excellence des vertus.

Considérez que les vertus et la dévotion peuvent seules rendre notre ame heureuse en ce monde. Voyez combien elles sont belles; comparez ensemble les vertus et les vices qui leur sont contraires; quelle différence de la patience à la vengeance, de la douceur à la colère, de l'humilité à l'arrogance, de la générosité à l'avarice, de la charité à l'envie, de la sobriété à la débauche? N'est-ce pas une chose admirable comme les vertus remplissent l'ame de délices et de suavités non pareilles, après qu'on les a pratiquées, tandis que les vices ne laissent après eux qu'amertume et que dégoût! Or donc, pourquoi n'entreprendrions-nous pas d'acquérir ces douceurs?

Des vices, qui n'en a qu'un peu n'est pas content, et qui en a beaucoup est mécontent: mais des vertus, qui n'en a qu'un peu est déjà satisfait, et ensuite plus il en a, plus son bonheur augmente. O vie dévote! que vous êtes belle, douce, agréable et heureuse! vous adoucissez les tribulations, et donnez de la suavité aux consolations: sans vous le bien est mal, le plaisir est amer, le repos est inquiet: ah! qui vous connoîtroit pourroit bien dire avec la Samaritaine: Domine, da mihi hanc aquam, Seigneur, donnez-moi cette eau. Aspiration fort ordinaire à la mère Thérèse, et à sainte Catherine de Gênes, quoique pour différens sujets.


CHAPITRE XII.

Troisième considération. Sur l'exemple des saints.

Considérez l'exemple des saints de toutes le conditions: qu'est-ce qu'ils n'ont pas fait pour aimer Dieu, et lui demeurer fidèles? Voyez ces martyrs invincibles en leurs résolutions: quels tourmens n'ont-ils pas soufferts pour s'y maintenir? Voyez ces personnes si belles, si florissantes, l'ornement de leur sexe, plus blanches que le lis en pureté, plus vermeilles que la rose en charité, les unes à douze, les autres à treize, quinze, vingt et vingt-cinq ans, souffrant mille sortes de martyres plutôt que de renoncer à leurs résolutions, non-seulement en ce qui étoit de la foi, mais encore en ce qui étoit de la dévotion; les unes mourant plutôt que de quitter la virginité, les autres plutôt que de cesser de servir les pauvres, de consoler les affligés, d'ensevelir les morts. O Dieu! quelle constance a montrée ce sexe fragile en de telles occasions!

Regardez tant de saints confesseurs: avec quelle force ils ont méprisé le monde! comme ils ont tenu ferme à leurs résolutions! Rien n'a pu les ébranler; ils les ont embrassés sans réserve, et les ont maintenues sans exception. Mon Dieu! que ne dit pas saint Augustin de sa sainte mère? Avec quelle persévérance n'a-t-elle pas poursuivi son dessein de servir Dieu durant le mariage, et durant le veuvage? Et saint Jérôme, comment parle-t-il de sa chère fille Paule, parmi tant de traverses et tant de divers accidens qu'elle eut à soutenir? Mais que ne ferons-nous pas nous-mêmes sur de si excellens modèles? Ils étoient ce que nous sommes; ils travailloient pour le même Dieu, pour les mêmes vertus: pourquoi n'en ferions-nous pas autant en notre condition et selon notre vocation, pour soutenir victorieusement la sainte protestation que nous avons faite d'être à Dieu?


CHAPITRE XIII.

Quatrième considération. Sur l'amour que Jésus-Christ nous porte.

Considérez l'amour avec lequel Jésus-Christ notre Seigneur a tant souffert en ce monde, et particulièrement au jardin des Olives et sur le mont Calvaire. Cet amour vous regardoit, et par toutes ces peines et ces fatigues il obtenoit de Dieu le Père de bonnes résolutions et de saintes protestations pour votre cœur, et il obtenoit aussi tout ce qui vous est nécessaire pour maintenir, nourrir, fortifier et consommer ces résolutions. O résolutions! que vous êtes précieuses, puisque vous êtes le fruit de la passion de mon Sauveur! Oh! combien mon ame doit vous chérir, puisque vous êtes si chères à mon Jésus! Hélas! ô Sauveur de mon ame! vous mourûtes pour m'acquérir mes résolutions: faites-moi donc la grâce que je meure plutôt que de les perdre.

Pensez-y-bien, ma Philothée: il est certain que de l'arbre de la croix, le cœur de notre Seigneur Jésus voyoit le vôtre, et qu'il l'aimoit; et que par cet amour il lui obtenoit tous les biens que vous avez eus, et que vous aurez jamais, entre autres vos résolutions. Oui, chère Philothée, nous pouvons tous dire comme Jérémie: O Seigneur, avant que je fusse vous me regardiez, et vous m'appeliez par mon nom; ainsi c'est donc bien lui qui dans son amour et sa miséricorde nous a préparé tous les moyens généraux et particuliers que nous avons de nous sauver, et par conséquent nos chères résolutions. Oui, comme une femme enceinte prépare le berceau, les langes et bandelettes, et même une nourrice pour l'enfant qu'elle espère avoir, encore qu'il ne soit pas au monde; ainsi Notre-Seigneur, vous ayant conçue en sa bonté, et prétendant vous enfanter au salut et vous rendre sa fille, prépara sur l'arbre de la croix tout ce qu'il vous falloit: votre berceau spirituel, vos langes et bandelettes, votre nourrice, et tout ce qui convenoit pour votre bonheur. Ce sont tous les moyens, tous les attraits, toutes les grâces, avec lesquels il conduit votre ame, et l'attire à la perfection.

Ah! mon Dieu, que nous devrions profondément graver ceci en notre mémoire: Est-il possible que j'aie été aimé, et si tendrement aimé de mon Sauveur, qu'il ait bien voulu penser à moi en particulier, et dans toutes ces petites circonstances, par lesquelles il m'a attiré à lui? Combien donc ne devons-nous pas aimer, chérir et employer tout cela à notre profit? Quoi de plus doux que cette pensée: le cœur aimable de mon Dieu pensoit à Philothée, l'aimoit et lui procuroit mille moyens de salut, comme s'il n'eut pas eu d'autre ame à penser dans le monde: ainsi que le soleil éclairant un endroit de la terre, ne l'éclaire pas moins que s'il n'éclairoit que celui-là; de même Notre-Seigneur pensoit et travailloit pour tous ses chers enfans, en sorte qu'il pensoit à chacun d'eux, comme s'il n'eût point pensé aux autres. Il m'a aimé, dit saint Paul, et s'est donné pour moi, comme s'il disoit, pour moi seul, et tout autant que s'il n'eût rien fait pour le reste des hommes. Ceci, Philothée, doit être gravé dans votre ame, pour bien chérir et nourrir votre résolution, qui a été si précieuse au cœur du Sauveur.


CHAPITRE XIV.

Cinquième considération. Sur l'amour éternel de Dieu pour nous.

Considérez l'amour éternel que Dieu vous a porté; car déjà bien avant que Jésus-Christ souffrît pour vous sur la croix en tant qu'homme, sa divine Majesté vous destinoit la vie, et vous aimoit extrêmement. Mais quand commença-t-il à vous aimer? Quand il commença à être Dieu; et quand commença-t-il à être Dieu? Jamais: il l'a toujours été sans commencement et sans fin; et ainsi il vous a toujours aimée; et ainsi c'est de toute éternité que son amour vous a préparé les grâces et les faveurs qu'il vous a faites. Il dit par le Prophète: Je t'ai aimé (il parle à vous comme à tout autre) d'une charité perpétuelle, et je t'ai miséricordieusement attiré à moi. Il a donc pensé, entre autres choses, à vous faire prendre les bonnes résolutions de l'aimer et de le servir.

O Dieu! quelles résolutions que celles que Dieu a pensées, méditées, projetées de toute éternité! Combien ne doivent-elles pas nous être chères et précieuses? que ne faudroit-il pas souffrir plutôt que d'en rien perdre? Non, certes, il n'en faudroit rien perdre, quand le monde entier devrait périr; car tout le monde ensemble ne vaut pas une ame, et une ame ne vaut rien sans nos résolutions.


CHAPITRE XV.

Affections générales sur les considérations précédentes, et conclusion de l'exercice.

O chères résolutions! vous êtes le bel arbre de vie que Dieu a planté de sa main au milieu de mon cœur, et que mon Sauveur veut arroser de son sang pour le faire fructifier: plutôt mille morts que de permettre qu'aucun vent ne le déracine. Non, ni la vanité, ni les délices, ni les richesses, ni les tribulations ne me feront jamais changer de dessein.

Hélas! Seigneur, c'est vous qui l'avez planté ce bel arbre, et qui l'avez éternellement gardé en votre sein paternel pour ensuite le mettre en mon jardin: ah! combien y a-t-il d'ames qui n'ont pas été favorisées de la sorte; et comment donc pourrois-je jamais assez m'humilier sous votre miséricorde?

O belles et saintes résolutions! si je vous conserve, vous me conserverez: si vous vivez en mon ame, mon ame vivra en vous. Vivez donc à jamais, ô résolutions qui êtes éternelles en la miséricorde de Dieu! soyez et vivez éternellement en moi, et que toujours je vous sois fidèle.

Après ces affections, il faut que vous particularisiez les moyens propres à vous maintenir en vos chères résolutions, et que vous protestiez vouloir vous en servir constamment. Ces moyens sont l'habitude de l'oraison, le fréquent usage des sacremens, les bonnes œuvres, l'amendement de vos fautes telles que vous les avez reconnues au second point, la fuite des mauvaises occasions, et la fidélité à suivre les avis que l'on vous donnera.

Cela fait, reprenant encore haleine et ranimant vos forces, protestez mille fois que vous persévérerez en vos résolutions; puis, comme si vous teniez votre cœur, votre ame, et votre volonté dans vos mains, dédiez-les, consacrez-les, sacrifiez-les, et les immolez généreusement à Dieu, protestant que vous ne les reprendrez plus, mais les laisserez en la main de sa divine Majesté, pour suivre en tout et partout ses saintes ordonnances. Priez Dieu qu'il vous renouvelle entièrement, qu'il bénisse et qu'il soutienne par la force de son esprit cette rénovation. Invoquez la sainte Vierge, votre ange, saint Louis et autres saints.

Dans cette disposition d'un cœur ému par la grâce, allez ensuite aux pieds de votre père spirituel; accusez-vous des fautes principales que vous aurez remarqué avoir commises depuis votre confession générale, et recevez l'absolution comme vous fîtes la première fois. Après quoi, prononcez devant lui votre protestation, et signez-la; et enfin allez unir votre cœur ainsi renouvelé à son principe et à son Sauveur, en recevant le très-saint sacrement de l'eucharistie.


CHAPITRE XVI.

Des sentimens qu'il faut conserver après cet exercice.

Le jour où vous aurez fait ce renouvellement, et les jours suivans, vous devez fort souvent redire de cœur et de bouche ces ardentes paroles de saint Paul, de saint Augustin, de sainte Catherine de Gênes et autres: Non, je ne suis plus à moi; soit que je vive, soit que je meure, je suis à mon Sauveur. Je n'ai plus de moi ni de mien: mon moi c'est Jésus, mon mien c'est d'être sienne. O monde! vous êtes toujours vous-même, et moi j'ai toujours été moi-même; mais dorénavant je ne serai plus moi-même. Non, nous ne serons plus nous-mêmes, car nous aurons le cœur changé; et le monde, qui nous a tant trompés, sera trompé en nous; car ne s'apercevant de notre changement que petit à petit, il nous croira toujours des Esaü, et nous nous trouverons être des Jacob.

Il faut que tous ces exercices demeurent bien en notre cœur, et que, laissant nos considérations et nos oraisons, nous passions tout doucement à nos affaires, de peur que la liqueur de nos résolutions ne s'épanche et ne se perde; car il faut qu'elle détrempe et pénètre toutes les parties de notre ame: le tout néanmoins sans effort ni d'esprit ni de corps.


CHAPITRE XVII.

Réponses à deux objections qui peuvent être faites sur cette Introduction.

Le monde vous dira, ma Philothée, que ces exercices et ces avis sont en si grand nombre, que qui voudra les observer, il ne faudra pas qu'il pense à autre chose. Hélas! chère Philothée, quand nous ne ferions autre chose, nous ferions bien assez, puisque nous ferions ce que nous devrions faire en ce monde; mais ne voyez-vous pas la ruse? S'il falloit faire tous ces exercices tous les jours, il est vrai qu'ils nous occuperoient totalement; mais ils ne faut les faire qu'en temps et lieu, et chacun selon l'occurrence. Combien y a-t-il de lois civiles au digeste et au code lesquelles doivent être fidèlement observées! mais cela s'entend selon les occurrences, et non dans le sens qu'il les faut toutes pratiquer tous les jours. Au demeurant, David, tout roi qu'il étoit, et malgré toutes ses affaires, pratiquoit bien plus d'exercices que je ne vous en ai marqué. Saint Louis, roi si admirable et dans la paix et dans la guerre, prince si appliqué et à rendre la justice, et à gouverner son royaume, saint Louis entendoit tout les jours deux messes, disoit vêpres et complies avec son chapelain, faisoit sa méditation, visitoit les hôpitaux tous les vendredis, se confessoit, prenoit la discipline, assistoit très-souvent au sermon, faisoit fort souvent des conférences spirituelles, et avec tout cela, dès qu'une occasion se présentoit de pourvoir au bien de l'Etat, il s'en saisissoit aussitôt, et en tiroit bon parti; et sa cour étoit plus belle et plus florissante qu'on ne l'a voit jamais vue sous ses prédécesseurs. Faites donc hardiment ces exercices, Philothée, ainsi que je vous les ai marqués, et Dieu vous donnera encore et assez de temps et assez de force pour faire tout le reste de vos affaires: oui, quand même il devroit pour cela arrêter le soleil, comme il fit au temps de Josué. Nous faisons toujours assez quand Dieu travaille avec nous.

Le monde dira encore que je suppose presque partout que ma Philothée a le don de l'oraison mentale, et que néanmoins chacun ne l'a pas; en sorte que cette Introduction ne pourra pas servir à tous. Il est vrai, sans doute, j'ai supposé cela; et il est vrai encore que chacun n'a pas le don de l'oraison mentale; mais il est vrai aussi que presque chacun le peut avoir, même les plus grossiers, pourvu qu'ils aient de bons conducteurs, et qu'ils veuillent travailler pour cela autant que la chose le mérite. Et s'il s'en trouve qui n'aient ce don en aucune sorte de degré, ce que je ne pense pas pouvoir arriver que fort rarement, leur directeur suppléera facilement à ce défaut, en leur prescrivant de lire ou d'entendre lire avec une grande attention les mêmes considérations qui sont dans les méditations.


CHAPITRE XVIII.

Trois derniers et principaux avis pour cette Introduction.

Refaites tous les premiers jours du mois, après votre méditation, la protestation qui se trouve en la première partie, et durant ce jour renouvelez-la souvent, disant avec David: Non, jamais je n'oublierai votre loi, ô mon Dieu; car c'est par elle que vous m'avez rendu la vie. Et quand vous sentirez quelque détraquement en votre ame, prenez votre protestation en main, et prosternée en esprit d'humilité, prononcez-la de tout votre cœur: vous y trouverez un grand soulagement.

Faites ouvertement profession de vouloir être dévote; je ne dis pas d'être dévote, mais de le vouloir être; et n'ayez pas honte de faire les actions simples et communes qui doivent vous conduire à l'amour de Dieu: avouez hardiment que vous vous essayez à méditer, que vous aimeriez mieux mourir que de pécher mortellement, que vous voulez fréquenter les sacremens, et suivre les conseils de votre directeur (bien que souvent il ne soit point nécessaire de le nommer pour plusieurs raisons). Cette franchise à confesser qu'on veut servir Dieu, et qu'on s'est consacré à son amour d'une manière particulière, est fort agréable à sa divine Majesté, qui ne veut point qu'on ait honte de lui ni de sa croix; c'est de plus un moyen de couper court à beaucoup de propos du monde, et de nous lier de réputation à la poursuite de notre entreprise. Les philosophes se publioient hautement philosophes, afin qu'on les laissât vivre philosophiquement; et nous, montrons-nous franchement désireux de la dévotion, afin qu'on nous laisse vivre dévotement. Que si quelqu'un vous dit qu'on peut vivre dévotement sans la pratique de ces avis et de ces exercices, ne le niez pas; mais répondez bonnement que votre foiblesse est si grande qu'elle a besoin de plus d'aide et de secours qu'il n'en faut aux autres.

Enfin, très-chère Philothée, je vous conjure par tout ce qu'il y a de sacré au ciel et en la terre, par le baptême que vous avez reçu, par les mamelles qui ont nourri Jésus-Christ, par le cœur charitable dont il vous aima, et par les entrailles de la miséricorde en laquelle vous espérez, continuez et persévérez en cette bienheureuse entreprise de la vie dévote: nos jours s'écoulent, la mort est à la porte; La trompette, dit saint Grégoire de Nazianze, sonne la retraite: que chacun se prépare; car le jugement approche. La mère de saint Symphorien, voyant qu'on le conduisoit au martyre, crioit en le suivant: «Mon fils, mon fils, souviens-toi de la vie éternelle, regarde le Ciel, et contemple celui qui y règne: la mort terminera bientôt les courts momens de cette vie.» Ma Philothée, vous le dirai-je aussi: regardez le Ciel, et ne le quittez pas pour la terre; regardez l'enfer, et ne vous y jetez pas pour des plaisirs d'un instant; regardez Jésus-Christ, et ne le reniez pas pour le monde: et quand la pratique de la vie dévote vous semblera pénible, chantez avec saint François:

A cause des biens que j'attends,
Les travaux me sont passe-temps.

Vive Jésus! auquel, avec le Père et le Saint-Esprit, soit honneur et gloire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles.

Ainsi soit-il.


Manière de réciter devotement le chapelet, et de bien servir la Vierge Marie.

Vous prendrez votre chapelet par la croix, que vous baiserez après vous en être servie pour faire sur vous le signe du chrétien, et vous mettant en la présence de Dieu, vous réciterez le Credo tout entier.

Sur le premier grain, vous invoquerez Dieu, lui demandant d'agréer votre prière, et de vous aider de sa grâce pour la bien dire.

Sur les trois premiers petits grains, vous réclamerez l'intercession de la très-sainte Vierge, la saluant, au premier grain, comme la plus chère fille de Dieu le Père; au second, comme la mère de Dieu le Fils, et au troisième, comme l'épouse bien-aimée de Dieu le Saint-Esprit.

Sur chaque dizaine, vous penserez à un des mystères du rosaire, selon le loisir que vous en aurez, vous rappelant le mystère proposé, surtout lorsque vous prononcerez les très-saints noms de Jésus et de Marie, ayant soin de ne proférer ces noms sacrés qu'avec un grand respect intérieur et extérieur. Que s'il vous vient quelque autre sentiment, comme seroit la douleur de vos péchés, ou le désir de vous amender, vous pouvez vous entretenir dans ce sentiment tout le long du chapelet, et principalement lorsque vous prononcerez les deux très-saints noms de Jésus et de Marie.

Au gros grain, qui est au bout de la dernière dizaine, vous remercierez Dieu de la grâce qu'il vous a faite en la récitation du chapelet; et, passant aux trois petits grains qui suivent, vous saluerez la sacrée Vierge Marie, la suppliant, au premier, d'offrir votre entendement au Père éternel, afin que vous puissiez à jamais considérer ses miséricordes; au second, vous la supplierez d'offrir votre mémoire au Fils, afin d'avoir continuellement à la pensée sa passion et sa mort; au troisième, vous la supplierez d'offrir votre volonté au Saint-Esprit, afin que vous puissiez être à jamais enflammée de son saint amour.

Au gros grain qui termine, vous supplierez la divine Majesté d'agréer tout cela pour sa gloire, et pour le bien de son Eglise, dans le sein de laquelle vous lui demanderez de vouloir bien vous garder, et de ramener tous ceux qui s'en sont éloignés. Vous prierez ensuite pour tous vos amis, et vous finirez comme vous avez commencé, par la profession de foi, disant le Credo, et faisant le signe de la croix.

Vous porterez le chapelet à votre ceinture, ou en quelqu'autre endroit apparent, comme une sainte marque par laquelle vous protestez que vous désirez être serviteur de Dieu notre Sauveur, et de sa très-sainte épouse, vierge et mère, et que vous voulez vivre en vrai enfant de la sainte Eglise catholique, apostolique et romaine. Amen.


Oraison de l'Eglise pour le jour de la fête de saint François de Sales, composée par le pape Alexandre VII.

O Dieu! qui avez voulu que, pour le salut des ames, saint François, votre confesseur et pontife, se soit fait tout à tous, faites-nous la grâce qu'étant pénétrés de la douceur de votre divine charité, nous puissions, sous la direction de ses avis, et par les suffrages de ses mérites, arriver à la jouissance éternelle de votre gloire. Nous vous en supplions par notre Seigneur Jésus-Christ Ainsi soit-il.

FIN.


TABLE DES CHAPITRES.

SENTIMENT D'ALEXANDRE VII
ORAISON
PRÉFACE.

PREMIÈRE PARTIE,
Contenant les avis et les exercices propres à conduire l'ame, depuis son premier désir de la vie dévote, jusqu'à une ferme résolution de l'embrasser.

Chap. I. Description de la vraie dévotion.
II. Propriétés et excellence de la dévotion.
III. Que la dévotion convient à toutes sortes de vocations et de professions.
IV. De la nécessité d'un directeur pour entrer et pour avancer dans la dévotion.
V. Qu'il faut commencer par purifier l'ame.
VI. Du premier retranchement, qui est celui des péchés mortels.
VII. Du second retranchement, qui est celui des affections au péché.
VIII. Du moyen de faire ce second retranchement.
IX. Première méditation.—De la création.
X. Deuxième méditation.—De la fin pour laquelle nous sommes créés.
XI. Troisième méditation.—Des bienfaits de Dieu.
XII. Quatrième méditation.—Des péchés.
XIII. Cinquième méditation.—De la mort.
XIV. Sixième méditation.—Du jugement.
XV. Septième méditation.—De l'enfer.
XVI. Huitième méditation.—Du paradis.
XVII. Neuvième méditation.—Sur le choix du paradis.
XVIII. Dixième méditation.—Sur le choix de la vie dévote.
XIX. Comment il faut faire la confession générale.
XX. Protestation authentique pour graver dans l'ame la résolution de servir Dieu, et pour conclure les actes de pénitence.
XXI. Conclusion de ce qui a été dit du premier degré de pureté de l'ame.
XXII. Qu'il faut se délivrer de toute affection aux péchés véniels.
XXIII. Qu'il se faut défaire de l'affection aux choses inutiles et dangereuses.
XXIV. Qu'il se faut défaire des mauvaises inclinations.

SECONDE PARTIE,
Contenant divers avis pour l'élévation de l'ame à Dieu par l'oraison et les sacremens.

Chap. I. De la nécessité de l'oraison.
II. Courte méthode pour bien méditer; et d'abord de la présence de Dieu; premier point de la préparation.
III. De l'invocation; second point de la préparation.
IV. De la proposition du mystère; troisième point de la préparation.
V. Des considérations; seconde partie de la méditation.
VI. Des affections et des résolutions; troisième partie de la méditation.
VII. De la conclusion et du bouquet spirituel.
VIII. Quelques avis très-utiles au sujet de la méditation.
IX. Des sécheresses d'esprit qui arrivent dans la méditation.
X. De quelques autres exercices, et premièrement de l'exercice du matin.
XI. De l'exercice du soir et de l'examen de conscience; second exercice.
XII. De la retraite spirituelle, troisième exercice.
XIII. Des aspirations ou oraisons jaculatoires, et des bonnes pensées; quatrième exercice.
XIV. De la très-sainte messe, et de la manière de l'entendre; cinquième exercice.
XV. Des autres exercices de dévotion publics et communs.
XVI. Qu'il faut honorer et invoquer les saints.
XVII. Comment il faut entendre et lire la parole de Dieu.
XVIII. Comment il faut recevoir les inspirations.
XIX. De la sainte confession.
XX. De la fréquente communion.
XXI. Comment il faut communier.

TROISIÈME PARTIE,
Contenant plusieurs avis touchant l'exercice des vertus.

Chap. I. Du choix que l'on doit faire quant à l'exercice des vertus.
II. Suite du même sujet.
III. De la patience.
IV. De l'humilité pour l'extérieur.
V. De l'humilité plus intérieure.
VI. Que l'humilité nous fait aimer notre propre abjection.
VII. Comment il faut conserver la bonne renommée en pratiquant l'humilité.
VIII. De la douceur envers le prochain, et du remède contre la colère.
IX. De la douceur envers nous-mêmes.
X. Qu'il faut s'appliquer aux affaires avec soin, sans empressement ni trouble.
XI. De l'obéissance.
XII. De la chasteté.
XIII. Avis pour conserver la chasteté.
XIV. De la pauvreté d'esprit au milieu des richesses.
XV. Comment il faut pratiquer la pauvreté réelle au milieu des richesses.
XVI. Comment il faut pratiquer la richesse d'esprit au milieu de la pauvreté réelle.
XVII. De l'amitié, et premièrement de la mauvaise.
XVIII. Des amitiés sensuelles.
XIX. Des vraies amitiés.
XX. De la différence qu'il y a entre les vraies et les vaines amitiés.
XXI. Avis et remèdes contre les mauvaises amitiés.
XXII. Quelques autres avis sur les amitiés.
XXIII. Des exercices de la mortification extérieure.
XXIV. Des compagnies et de la solitude.
XXV. De la bienséance des habits.
XXVI. Du parler, et premièrement comment il faut parler de Dieu.
XXVII. De l'honnêteté des paroles, et du respect que l'on doit aux personnes.
XXVIII. Des jugemens téméraires.
XXIX. De la médisance.
XXX. Quelques autres avis touchant le parler.
XXXI. Des passe-temps et des jeux; et premièrement de ceux qui sont permis et louables.
XXXII. Des jeux défendus.
XXXIII. Des bals et autres passe-temps permis, mais dangereux.
XXXIV. Quand on peut jouer ou danser.
XXXV. Qu'il faut être fidèle dans les petites choses aussi-bien que dans les grandes.
XXXVI. Qu'il faut avoir l'esprit juste et raisonnable.
XXXVII. Des désirs.
XXXVIII. Avis pour les gens mariés.
XXXIX. De l'honnêteté du lit nuptial.
XL. Avis pour les veuves.
XLI. Deux mots aux vierges.

QUATRIÈME PARTIE,
Contenant les avis nécessaires contre les tentations les plus ordinaires.

Chap. I. Qu'il ne faut point s'amuser aux paroles des enfans du siècle.
II. Qu'il faut avoir bon courage.
III. De la nature des tentations, et de la différence qu'il y a entre sentir la tentation et y consentir.
IV. Deux exemples remarquables sur ce sujet.
V. Encouragement à l'ame qui est dans le feu des tentations.
VI. Comment la tentation et la délectation peuvent être péchés.
VII. Remède aux grandes tentations.
VIII. Qu'il faut résister aux petites tentations.
IX. Comment il faut remédier aux petites tentations.
X. Comment il faut fortifier son cœur contre les tentations.
XI. De l'inquiétude.
XII. De la tristesse.
XIII. Des consolations spirituelles et sensibles, et comment il faut s'en servir.
XIV. Des sécheresses et des stérilités spirituelles.
XV. Confirmation et éclaircissement de ce qui a été dit par un exemple remarquable.

CINQUIÈME PARTIE,
Contenant des exercices et des avis propres à renouveler l'ame, et à la confirmer dans la dévotion.

Chap. I. Qu'il faut chaque année renouveler ses bons
propos par les exercices suivans.
II. Considération sur la grâce que Dieu nous a faite
en nous appelant à son service, conformément
à la protestation indiquée en la première partie.
III. De l'examen de notre ame sur son avancement en la vie dévote.
IV. Examen de l'état de notre ame envers Dieu.
V. Examen de l'état de notre ame envers nous-mêmes.
VI. Examen de l'état de notre ame envers le prochain.
VII. Examen sur les affections de notre ame.
VIII. Affections qui doivent suivre l'examen.
IX. Des considérations propres à renouveler nos bons propos.
X. Première considération sur l'excellence de nos ames.
XI. Seconde considération sur l'excellence des vertus.
XII. Troisième considération sur l'exemple des saints.
XIII. Quatrième considération sur l'amour que Jésus-Christ nous porte.
XIV. Cinquième considération sur l'amour éternel de Dieu pour nous.
XV. Affections générales sur les considérations précédentes, et conclusion de l'exercice.

XVI. Des sentiments qu'il faut conserver après cet exercice.
XVII. Réponses à deux objections qui peuvent être faites sur cette Introduction.

XVIII. Trois derniers et principaux avis pour cette Introduction.
Manière de réciter dévotement le chapelet, et de bien servir la Vierge Marie.
Oraison de l'église pour le jour de la fête de saint François de Sales, composée par le pape Alexandre VII.

FIN DE LA TABLE.

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