Journal de route de Henri Duveyrier
[220]Cf. Relation du voyage de M. de Bonnemain, par A. Cherbonneau, Nouv. Annales des Voyages, juin 1857, et A. Bernard et N. Lacroix, Historique de la pénétration saharienne. Alger, 1900, p. 46-47.
[221]Du Sud.
[222]D’après la détermination de Bourguignat : Physa contorta, Physa Brocchii, Physa truncata, Planorbis Maresianus. (Les Touareg du Nord, Append., p. 27.) On sait, par les explorations de MM. Foureau et Flamand, que les fonds de sebkha à coquilles d’eau douce et saumâtre se rencontrent fréquemment dans l’Erg, où ils apparaissent entre les dunes. Le vent soulève les tests légers des coquilles et les éparpille sur les sables.
[223]Géants auxquels les indigènes attribuent aussi les tombeaux mégalithiques (Touareg du Nord, p. 416).
[224]« Dépression de terrain solide en forme de bassin arrondi au milieu des sables » (H. Duv.).
[225]Le vrai nom de ces puits est Maatig (H. Duv.).
[226]Ou Rebaya ; fraction des Souafa.
[227]Le kaïd de Tougourt.
[228]Seau de cuir.
[229]Le général de Martimprey fut un des principaux partisans du commerce du Sud. Commandant des forces de terre et de mer en Algérie, il écrivait dans une lettre officielle du 22 juillet 1860, reçue par Duveyrier à ce puits de Berresof : « Un décret impérial vient de faire tomber les barrières qui s’opposaient à nos relations commerciales avec le Sud ; aujourd’hui et désormais les produits soudanais et sahariens doivent entrer en Algérie en toute franchise. Veuillez répandre cette bonne nouvelle... » Et il ajoutait ce post-scriptum de sa main : « Avant d’avoir reçu votre lettre qui me fait connaître l’intention où vous êtes de vous faire accompagner par le cheikh Othman, je venais d’adresser à ce chef l’invitation de se rendre auprès de moi. J’ai hâte de conclure tous les arrangements qui pourront le plus tôt possible, la sécurité existant à un degré suffisant, amener la liaison des relations qu’il faut établir entre l’Algérie, le Soudan et les régions intermédiaires... Vous comprenez que je tienne à ce que le cheikh Othman soit ici quand l’Empereur y viendra. » — On sait que le cheikh Othman préféra suivre Duveyrier.
[230]« La cuvette du chien », un des pâturages de l’Erg.
[231]Meha. « Beguer » ou « beguer el-ouahch » est le nom vulgaire. (O. H.)
[232]Cf. Les Touareg du Nord, p. 415-416.
[233]« Les oueds du halma » (Plantago ovata). M. Foureau les a retrouvés en 1893 sur la route de Ghadāmès à Tougourt, et en 1896 plus au sud, vers 30° de latitude, mais là ce ne sont plus que des sillons ou entonnoirs coupés de dunes sans orientation régulière. (Dans le grand Erg, Paris, 1896, p. 43.)
[234]Antilope addax (Les Touareg du Nord, p. 225.
[235]On rapporte le même fait du mouton en hiver. L’Erg est plus riche en plantes vertes qui, mâchées, fournissent une certaine quantité d’eau.
[236]Plantes notées sur le carnet pendant cette journée de marche : drine, neci.
[237]Dune à plusieurs arêtes, pâté de dunes.
[238]Ce renseignement n’a pas été reporté sur la carte de Duveyrier. Il mérite pourtant sérieuse considération, car M. Foureau, faisant en 1893 une route un peu plus occidentale, a noté vers 31° de latitude, l’altitude extraordinaire de 406 mètres, résultat de trois lectures barométriques (renseignement manuscrit de M. Foureau). En admettant une correction à faire du fait des variations atmosphériques, il n’en faut pas moins voir dans ce « dos de l’Erg » un relief réel.
[239]« La cuvette du Sfar » (variété d’Arthratherum).
[240]Ce sont les longs cordons de sable signalés plus haut.
[241]Pluriel de el haoudh.
[242]Le carnet porte ce jour-là : Végétation rare et maigre : ézal, alenda, halma.
[243]C’est le torba des Arabes. La poussière noire doit sa coloration à des éléments tourbeux.
[244]Le carnet de route dit : plus basse de dix mètres.
[245]Endroit planté d’arbres (O. H.).
CHAPITRE II
ARRIVÉE A GHADAMÈS
11 août.
Nous trouvâmes dans cette ghaba un jeune homme de la zaouiya, vêtu de pantalons blancs descendant jusqu’à la cheville, d’une sorte de blouse blanche et d’un turban blanc. Ce jeune homme ne me reconnut pas pour chrétien parce qu’il est rare de rencontrer un Français jambes, pieds et bras nus et en chemise. Il me salua, croyant probablement que j’étais Tunisien, et nous aida à débarrasser les chameaux. Je m’établis sur mon matelas, à l’ombre d’un palmier ; la chaleur, le sirocco violent qui nous avait fouettés dans le chott, nous avaient épuisés et brûlés.
La nouvelle de l’arrivée d’Othman fut bientôt portée à Ghadāmès et une foule de Touareg Ifoghas, à pied ou montés à méhara, vinrent au-devant de lui. Il leur expliqua loin de moi qui j’étais et pourquoi j’étais venu et plusieurs d’entre eux demandèrent s’ils pouvaient venir me saluer. Ils vinrent en effet, et je leur fis des compliments. Tout ceci est bien poli et n’aurait jamais lieu en pays arabe. La foule des Touareg augmenta beaucoup, et, quand nous partîmes, nous avions une nombreuse escorte en très beaux habits de parade. Tout ce monde se comporta bien et ne fit aucune remarque sur ce que je relevais le pays. Nous laissâmes d’abord le zaouiya de Sidi Maābed à droite avec ses palmiers ; c’est non seulement une zaouiya, mais encore un petit village. Plus loin, nous passons à une plus grande distance la zaouiya de Sidi Mohammed es Senoūsi, bâtie depuis trois ans par cet ennemi mortel des Français et des chrétiens. Dans le petit bassin dans lequel se trouve la zaouiya, les puits sont comme à El-Guettar (Tunisie). On creuse un puits près du bord élevé de la dépression ; on y trouve de l’eau coulant légèrement ; on creuse plus loin un autre puits dans la direction du courant, et ainsi de suite ; de sorte que l’eau d’un puits passe dans l’autre. De la zaouiya nous marchons dans la chebka, dans un labyrinthe, et nous arrivons en vue de Ghadāmès, qui est située au haut du plateau. Nous laissons en même temps à gauche le commencement de la ghaba et à droite des ruines gigantesques que je crois romaines.
Nous arrivons à la porte de Ghadāmès, qui est tout entourée par les palmiers, sauf à cet endroit. Nous laissons en face de la porte plusieurs nezla de petites tentes de peau des Touareg. Arrivés en dedans des murs, on me dit que le moudir est dans les jardins ; j’envoie un de mes domestiques, qui arrive avec la réponse qu’il faut que je vienne en personne ou que j’envoie mon firman.
Je me rends en personne dans le jardin où je trouve le moudir, un vieux turc abruti, en chemise et gilet de coton et une calotte idem, assis sur un tapis, par terre. Il a avec lui de petits serviteurs turcs mulâtres, un interprète assez bien et assez beau et un qawwas, qui est venu de Tripoli pour une affaire à part. Ce dernier, habillé à l’européenne, porte, entre autres, des pantalons blancs, des escarpins et des cheveux. Le moudir Hadj Ibrahim me reçoit sans daigner se lever, mais il est obligé de me souhaiter la bienvenue lorsqu’il a lu le firman du Pacha. Je reste là, il fait chercher une maison pour m’y loger et y fait conduire le bagage après m’avoir interrogé sur le contenu des cantines et des gherair[246]. Je dîne avec lui ; il mange à table le premier ; je ne dis rien, mais je n’en pense pas moins. Ce vieux squelette à moustaches ne fait pas un changement de place de cinq pas sans traîner après lui ses immenses pistolets. La conversation roule sur le Iemen où il a vécu longtemps, et Saouakim où il a connu, il y a deux ans et demi, le voyageur Hadj Iskander[247] allant au Soudan.
Le soir, je vais à la maison qui m’est destinée, en attendant mieux, et qui se trouve près de la ghaba. Je suis heureux de me reposer. De la ghaba à Ghadāmès, 1 heure 2 minutes.
12 août.
Ce matin, de bonne heure, je suis encore dans mon lit, lorsque vient me trouver un des petits négroturcs frisés du moudir, armé d’un sac en toile et d’un billet très aimable, mais très inintelligible. Le petit négroturc est plus clair et m’exprime que son noble maître désire une bouteille d’araki. Or, en fait de liqueurs, je possède une bouteille entamée d’absinthe, et une d’eau de noix. Je remets au petit l’eau de noix et on l’emporte avec de grandes précautions.
Je vais ensuite chez le moudir pour lui parler de la maison que je dois habiter et que je veux louer ; il me retient à déjeuner. Je vois la maison qu’on m’a destinée ; elle ne peut pas me convenir ; on m’en montre une seconde, qui est moins mal et que je prends.
Le moudir me retient à dîner et j’accepte, quoique je commence à avoir assez de sa société et de ses repas. Mais, pendant l’après-midi, je vois revenir le négroturc qui, après bien des caresses, me montre une damejeanne qu’il a apportée et que son maître voudrait avoir remplie d’araki, contre remboursement bien entendu. Ceci me paraît trop fort, et je renvoie le bonhomme avec le « non » le plus formel et le plus véridique. Je fais suivre Ahmed, qui va dire au moudir, qu’étant indisposé, je ne viendrai pas dîner chez lui. Le moudir cependant prétexte qu’il s’est mis en frais et qu’il faut que je fasse honneur à son repas.
A l’heure dite, je ne me rends à son habitation que lorsqu’on vient me chercher. Je trouve tout le monde en prières de l’air le plus contrit du monde. On sert plusieurs plats, parmi lesquels une poule pour cinq personnes ; le moudir s’excuse sur ce « qu’il n’a pas pu trouver de viande en ville ». J’avais vu un mouton et plusieurs chèvres dans les rues. Le stupide homme me demande : « Y a-t-il de la viande dans votre pays ? — Oui, nous autres Français, nous en mangeons deux fois par jour. — En France ou bien en Alger ? — En France, à Alger et même à Ghadāmès. » Notez qu’au déjeuner nous n’avions eu que des légumes. Je n’ai lâché mot que de force à dîner, et, sans attendre le café, je suis revenu chez moi. Or le moudir avait dit qu’il se chargeait de mon dîner et de celui de mes gens. On apporte en effet ce dernier, et il se compose de deux assiettes, l’une contenant un peu de légumes qui ne dépassent pas le fond de l’assiette, l’autre contient la même quantité de vermicelle. Enfin quelques onces de pain. Je fais renvoyer le tout chez le donateur. Ahmed et Brahim dans les rues sombres et couvertes de Ghadāmès manquent l’un de renverser une femme, l’autre de se casser la tête.
Je vois deux fois Othman ; bonnes nouvelles de chez les Touareg. Il trouve le moudir ce que j’ai dit. Le moudir a des soldats sous ses ordres. Ce sont des Djebaliya, depuis l’âge le plus jeune jusqu’aux vieillards à barbe blanche. Ils ont pour se vêtir un haouli, de sorte qu’ils laissent leurs poitrines, y compris les tétons, nues, ce qui, je n’ai pas besoin de le dire, serait plus gracieux chez une belle femme que chez ces squelettes affamés.
C’est la nuit que les femmes des Ghadamsya sortent pour aller à la fontaine et à leurs affaires. Celles que j’ai vues sur les toits portaient un haïk bleu tourné comme chez les femmes des Beni-Mezab. J’ai vu dans les rues d’autres femmes sans voiles et portant un diadème de cuivre doré : ce sont ce qu’on appelle ici des ’Atriya, c’est-à-dire de la caste mélangée de sang noir. Ce sont les mulâtresses.
Les maisons de Ghadāmès sont hautes, ayant quelquefois un rez-de-chaussée et deux ou même trois étages[248] ; les murs, bâtis en briques de terre crue, sont blanchis à la chaux. L’architecture ressemble à celle des Beni-Mezab. Les rues sont couvertes et fort obscures en plein jour, à plus forte raison de nuit. La ville et les plantations sont entourées de murailles et l’on reconnaît en certains endroits que ces murailles ont été détruites deux fois avant celles qui existent aujourd’hui.
La ville possède un citronnier ; il y a maintenant des pastèques en quantité, mais elles sont dures ; les melons sont aussi en grand nombre ; ce sont les meilleurs que j’aie trouvés dans le Sahara. Il y a des citrouilles, gauráa, tomates, etc. Les dattes de la petite espèce noire sont mûres, mais on ne les a pas encore cueillies.
La ville est remplie de Touareg. Il paraît qu’ils m’ont tous très bien vu, d’après les discours d’introduction qu’a faits Othman. Ceux qui sont venus hier me voir dans la Ghaba avaient demandé à Othman : « Pouvons-nous venir le saluer ? »
Le moudir fait donner la bastonnade devant moi à un nègre colossal qui avait commis le crime d’aller voir deux fois cette année une négresse dans une maison particulière.
13 août.
Le matin, je change de demeure ; le pauvre cheikh Ali[249], qui bégaye tant qu’on ne peut pas se moquer de lui, est presque toute la journée chez moi ; il va me chercher tout ce qui me manque.
Je fais la sieste et écris quelques lettres. A l’heure du Medjelès, qui a lieu toutes les semaines à pareil jour et une autre fois par semaine, le moudir fait envoyer chercher mon firman. Je trouve bon de donner aussi celui du Bey de Tunis et le décret des douanes, qui sont tous lus, et sont le sujet d’un commentaire de la part du moudir. Dans la soirée, on m’annonce sa venue ; j’ai une explication avec lui, mais il est si bête, si borné, si entiché de son osmanlisme que l’on n’arrive à rien avec lui. Enfin, il dîne avec moi. Il vient ici avec un armement complet. Il me promet que, partout où j’irai, il me fera accompagner par deux de ses fameux soldats.
J’apprends aujourd’hui que les nobles Ghadāmsia (sang blanc) qui épousent une ’Atriya sont mal vus, que les ’Atriya mâles ne trouvent jamais à épouser une femme noble.
14 août.
De bonne heure, le cheikh Ali vient m’apporter un panier de légumes. Il m’apprend que chaque grande famille de nobles a ses ’Atriya nés depuis longtemps des négresses de ses aïeux, et doit les protéger, leur fournir du travail et de la nourriture s’ils sont dans le besoin. Il paraît que les femmes ’Atriya n’ont pas toujours des mœurs très chastes.
On m’apporte des dattes mûres ; elles sont toutes petites et noirâtres, mais je ne les trouve pas mauvaises.
Des Touareg viennent à l’heure du déjeuner frapper à la porte pour me voir, mais je ne fais pas ouvrir. Le cheikh Othman m’approuve. Du reste, ils n’ont pas insisté. Dans l’après-midi, le petit Abyssin m’apporte un panier de légumes de la part du moudir. On sème en ce moment une graminée, céréale, appelée ici El-Gossob[250], et dans le nord dra’ ; on ne la récolte qu’à la fin de l’automne.
Visites de quelques grands de la ville.
15 août.
Je sors accompagné de deux soldats et je vais voir d’abord les Esnām[251], ces restes de constructions que je crois être les ruines de la ville ancienne du temps des Romains. Ce sont des supports de vastes arcades, je le crois du moins ; tout à l’entour, s’étendent des débris de pierres, et des fondations comme on en voit dans toutes les ruines romaines de ce pays. Les pierres ne sont pas taillées ; quelquefois cependant elles sont dégrossies ; elles sont unies par un ciment de plâtre. Au milieu des décombres sont quelques tentes touareg, mais leurs occupants n’étaient pas là et nous n’eûmes à disputer le chemin qu’à deux lévriers qui gardaient les tentes.
Je vais voir la source ; elle forme un bassin profond d’une eau transparente et d’un bleu charmant ; l’eau donne naissance à quelques mousses aquatiques qui paraissent au fond en plusieurs endroits. Des libellules rouge brique planent au-dessus de l’eau. Je ne vois pas de poissons. Le bassin a une forme inégale : il est garni de pierres. L’eau s’écoule d’une manière insensible à l’œil par un canal souterrain près de l’endroit où l’on vient puiser l’eau. Le kaïd el mā, chargé de distribuer l’eau, est loin de là dans une petite niche sur le marché.
Je passe la soirée couché sur un banc de la rue, où j’ai fait porter une couverture et des coussins. Je regarde le mouvement autour de moi. Il y a plusieurs négresses qui paraissent à poste fixe près d’ici ; elles jacassent toute la journée. Quelques nobles Ghadamsia passent devant moi ; les uns me saluent, les autres ne me disent rien. Je rends les saluts à ceux qui me parlent. Les noirs dépassent de beaucoup parmi les passants le nombre des blancs. Presque pas de Touareg.
Un de mes voisins possède une jument du Touat ; c’est le seul cheval qu’il y ait en ce moment à Ghadāmès.
J’obtiens le soir la latitude de Ghadāmès par le passage de Mars au méridien : j’ai 30° 6′ 33″ N.
16 août.
Je vais me promener dans la ville. Il y a près d’ici, je crois dans le quartier d’El Aouina[252], un petit marché où l’on vend des liqueurs ; il est remarquable aussi sous un autre point de vue. D’un côté il est bordé d’arcades, et je remarque un tronçon de colonne qui me paraît être évidemment romain. Du côté opposé coule sous terre une petite rigole auprès de laquelle est un abreuvoir et un lavoir. Plusieurs petites auges carrées, en pierres de différentes grandeurs, sont encore ici en souvenir de l’ancienne Ghadāmès. Mais j’étudierai tout cela systématiquement un peu plus tard.
Je rends une visite au moudir et je le trouve très bien. Cependant, j’apprends plus tard qu’il a eu une violente dispute avec sa femme turque à la suite de laquelle celle-ci a demandé du poison pour le tuer. De là rupture, et la femme répudiée s’en est allée à Dérdj. Le fils du moudir qui est à Sinaoun est parti pour Tripoli aussitôt qu’il a appris cette nouvelle. De sorte que le moudir est d’une humeur de chien pour tout le monde. Je donne de l’opium au moudir, qui est dérangé à état permanent. Il m’envoie le soir une excellente pastèque.
Il est curieux de voir les Ghadāmsia savoir presque tous le haoussa ; rarement ils parlent à leurs esclaves dans une autre langue. Les enfants blancs et les esclaves apprennent d’abord le ghadāmsia[253], et ce n’est que plus tard qu’ils se mettent à l’arabe.
On a toutes les peines du monde à se procurer ici des légumes, des melons et de la viande. Tout est pris d’avance : les acheteurs vont chercher les fruitiers jusque dans leur ghaba, et le peu qui arrive au marché est de suite accaparé. Quant à de la viande, depuis que je suis ici, les Arabes n’ont pas apporté de moutons, il se passe quelquefois quinze jours sans qu’il en vienne. On est réduit aux poules, pigeons et à quelques chevreaux.
Le soir, je fais porter mon lit sur la terrasse et j’y dors en compagnie de mon fusil chargé à balles. J’ai la distraction de voir les ombres de mes voisines, blanches et noires, se promener sur les terrasses d’alentour et d’entendre leur caquet à voix basse.
17 août.
Ihemma, le petit bandit targui qui accompagnait Si ’Othman, m’apporte quelques lignes de tefinagh que m’ont écrites ses sœurs auxquelles j’avais envoyé à chacune un miroir.
Je vais voir le marché qui a lieu toutes les semaines à pareil jour. Il a lieu immédiatement après la prière à la mosquée au dohor. On prend ses places d’avance ; le moudir m’a envoyé deux soldats qui sont postés à côté de moi pour écarter les badauds. Je vois arriver le moudir, avec son page abyssin et ses longs pistolets, puis le qawwas ; ils entrent dans la mosquée par une porte à part donnant sur le marché. La prière ne dure qu’un instant ; je suis ensuite rejoint par le cheikh de la ville (Cheikh Ali) et il se rassemble autour de moi plusieurs Ghadāmsia, entre autres Abd el Aziz, bel homme à barbe grisonnante et à beaux vêtements, qui connaît de vue Tombouctou, Oualata, Tichit, le Soudan et le Touat, ainsi que les pays intermédiaires. C’est un homme intelligent et d’autant plus poli qu’il connaît Tunis et Tripoli. Nous nous tenons sous un corridor, près de la boutique du gomrekdji[254]. Nous voyons passer beaucoup de Touareg, dont plusieurs sont d’une taille colossale. Quelques-uns me saluent ; d’autres me regardent et passent ; deux Sakomāren[255] seulement se permettent de dire : « Fi ! c’est lui qui a amené Cheikh Othman ». Mais cette parole de la bouche d’Imrhad n’a pas beaucoup de poids.
Le marché n’est pas brillant ; on y vend des cotonnades anglaises et maltaises, des étoffes de coton bleu à rayons rouges, du Soudan, dont les unes servent de couverture et les autres de vêtements de dessus aux femmes de Ghadāmès. On vend quelques fusils, des chameaux et un coffre. On me dit que d’ordinaire le marché est plus beau.
Les Sakomaren qui sont ici sont des chameliers qui doivent amener au Touat la grande caravane des Ghadāmsia dont les bagages sont déjà exposés hors de la ville en attendant que les affaires soient arrangées avec Ikhenoukhen.
18 août.
De bon matin, un Targui m’amène un enfant parent de Si ’Othman, qui est affecté d’un œdème très avancé provenant d’un anévrisme du cœur. Cet enfant, âgé de 12 ans, fait mal à voir ; outre sa maladie qui l’a rendu presque impotent, et qui a répandu une couleur jaune uniforme sur ses chairs molles, il a eu encore dernièrement la petite vérole, qui a laissé sur lui des traces profondes. Je déclare après l’examen que, lorsque Si ’Othman viendra, je lui dirai mon avis sur la maladie. Je crains toujours que les gens ignorants ne pensent que j’ai le remède de telle ou telle maladie et que je ne veux pas la guérir.
Quelque temps après, je reçois la visite bienvenue de trois dames targuies, l’une d’elles est jeune, assez grande et d’une blancheur rare ; elle est de plus très bien peignée. Sa coiffure est, sur le devant, identique à nos bandeaux plats d’Europe, mais ces derniers se terminent derrière les oreilles par deux nattes courtes et épaisses. Les ornements de ces Targuiāt sont sobres ; la belle porte trois légers bracelets à chaque bras ; le tout est de bon goût et serait bien vu en Europe. Ainsi ce ne sont plus les ornements grossiers des Arabes.
La conversation roule sur très peu de choses parce que ces dames me font la malice de prétendre ne pas comprendre l’arabe, de sorte que je suis à m’éreinter à chercher de rares expressions dans le cinquième volume du Dr Barth. — Elles partent d’un éclat de rire formidable quand je parviens à leur désigner « ulhi »[256] et « teraouen »[257] comme étant le siège primitif de la maladie du jeune Targui qui est le frère de l’une d’elles. Lorsque nous étions ainsi aux prises, arrive Si’Othman qui, en voyant les Targuiāt, s’écrie : « Bism Illah er Rahman er Rahim », expression que les Touareg emploient lorsqu’ils sont affectés d’une surprise pénible. Nous parlons de nos affaires et, pendant ce temps, les Targuiāt veulent s’en aller ; l’une d’elles retrouve son arabe pour me demander du tabac. Je leur dis que je n’en ai pas, mais que, si elles veulent bien revenir, j’espère être plus riche.
Aujourd’hui, on vend au marché tous les moutons qui sont arrivés hier. Le cheikh Ali me dit qu’on en vend quelquefois 300 en un seul jour. Les occasions sont si rares que l’on fait ses provisions. Le même homme me raconte qu’à la dernière vente il acheta trois moutons, que cinq jours après il en vendit deux, et qu’il eut le troisième pour profit de sa spéculation. J’achète un mouton, hier j’en avais acheté un autre engraissé en ville. Les moutons se vendent, comme du reste tout ce qui passe sur le marché, par l’entremise de « dellāl », crieurs, et tout est cédé à l’enchère. Les principaux marchands, et en général tous ceux qui ont besoin de quelques-uns des articles en vente, se tiennent assis autour du marché ; et les crieurs passent en exposant la marchandise et en indiquant le dernier prix offert.
J’apprends qu’autrefois, les Ouled Hamed d’El-Ouad prélevaient un petit tribut, « ghefara », sur les marchands de Ghadāmès qui passaient par le Souf se rendant à Tunis ; depuis l’occupation française, cela n’a plus lieu.
Autrefois, la route de Ghadāmès à Gabès était très fréquentée, maintenant personne ne fait plus ce voyage de crainte des Ourghemma. Je vois plusieurs Ghadāmsia qui ont fait chacun une demi-douzaine de fois cette route.
Les nouvelles d’Ikhenoukhen sont qu’il est arrivé à Māsīn avec ses chameaux altérés (les puits de cette région sont presque tous à sec cette année). A Māsīn, ils ont trouvé le puisard contenant très peu d’eau (le mot Māsīn ne signifie pas autre chose) ; il faut qu’il séjourne là jusqu’à ce que les chameaux aient bu pour pouvoir franchir les dernières étapes jusqu’à Ghadāmès. Le puits d’Inguelzām[258] est aussi tari.
Toujours des difficultés pour trouver des légumes et des fruits. Santé parfaite.
19 août.
Je reçois dans la matinée la visite de Si ’Othman et d’un vieux Targui qui semble être de ses intimes ; je leur fais voir les livres arabes que je destine à Cheikh el Bakkay de Tombouctou. Parmi ces livres est mon Coran doré sur tranche ; Si ’Othman en est épris. Il commence à chanter la sourate de la vache et j’ai peine à l’arrêter. Voyant que ce livre faisait tant de plaisir à mon ami, je lui en fais présent. Si ’Othman ne peut contenir des démonstrations de joie enfantine. Là-dessus, il s’en va pour prévenir le crieur, qui est en train de lui procurer une « Neskha » manuscrite, qu’il n’en a pas besoin.
A peine Othman était-il sorti qu’au milieu de mon déjeuner arrive ma belle Targuie d’hier, accompagnée cette fois d’une belle jeune femme seulement. Elles me disent qu’Othman leur a défendu de venir et que c’est pour cela qu’elles ont attendu sa sortie. J’apprends aujourd’hui que Télengui, c’est le nom de la belle Targuie, est mariée, mais elle me dit que son mari part demain pour le Touat. Je leur fais cadeau à chacune d’un foulard de coton et d’un miroir, et d’un peu d’argent pour acheter du tabac, car toutes les Targuiāt fument. En échange de mes présents, Télingui me demande du papier pour m’écrire du tefinagh. Télengui me distrait beaucoup ; je l’engage à revenir. Son vêtement se compose d’une blouse bleu de ciel, à manches courtes, n’atteignant pas le coude, et d’une couverture de coton blanc dont elle s’enveloppe tout entière, sauf la figure.
Les moutons des Arabes d’ici ont tous la grosse queue ; au Souf ils n’en ont pas de cette espèce, mais les Nemēmcha et les Hamamma en possèdent.
Dans la soirée, Ikhenoukhen envoie à Othman deux Targuis, pour lui dire de venir apporter de l’eau à une demi-journée de Ghadāmès. Ikhenoukhen, à ce qu’il paraît, veut avoir des nouvelles ; il sait maintenant que je suis venu. Dans la soirée Othman vient me dire adieu ; il part cette nuit. Il ne sera absent qu’un jour, deux au plus.
J’apprends que le district de Dérdj est très malsain, des fièvres très violentes y règnent. C’est une terre de labours avec des sources ; on y cultive du blé et du guessob. Othman me dit qu’il y a des fièvres jusqu’à Ghadāmès, et me demande de la quinine pour deux femmes targuies qui sont fiévreuses.
20 août.
Ce matin, je prie le cheikh Ali de vouloir bien emporter chez lui les objets qu’il a encore ici et qui lui font faire par jour trois ou quatre ascensions chez moi. Cela ne peut pas durer. Le petit bègue, au lieu de s’exécuter, me fait dire, quelque temps après, qu’il a trouvé une autre maison et qu’il m’invite à venir la voir ; je lui fais répondre que je me trouve bien ici et que les convenances m’obligent à ne pas changer de demeure comme de chemise. Cheikh Ali me fait dire là-dessus qu’il viendra me déranger vingt fois par jour ; je sors alors et je trouve mon homme à la porte ; il est chassé comme un chien, avec défense expresse de remettre les pieds ici.
Dans la chaleur du jour, je vais chez le moudir pour signaler la conduite du cheikh, et déclare que je ne sortirai que par la force d’une maison que j’avais acceptée à contre-cœur ; mais le petit bègue est aux cent coups, et il jure, à qui veut l’entendre, qu’il me chassera de sa maison, et qu’il enverra, s’il le faut, cinq ou six esclaves armés pour me faire sortir ; il menace mes domestiques de prêcher le Djehad, ou guerre sainte, et dit que, dans ce cas, toute la ville suivrait son avis. Il bégaye sa colère partout, dans la rue et chez le moudir.
Le moudir vient me trouver et tâche de m’apaiser : en me disant qu’il a vu la nouvelle maison, qu’elle est plus belle que celle que j’habite et que le loyer en est très bon marché. Mais toutes ces conditions ne me font pas changer d’avis, et je lui renouvelle ma déclaration que, si l’on voulait me faire changer de demeure, il fallait employer la force, et que, dans ce cas, je ne sortirais de ma maison que pour me rendre à Tripoli. Le moudir me fait entrevoir qu’il n’est pas tout à fait le maître ici, que les Touareg le sont plus que lui, et que, si le cheikh en venait aux extrémités, la seule chose qu’il pourrait faire serait de déclarer que tout ce qui m’adviendrait serait fait à lui et serait une injure pour le gouvernement turc. Pendant ce temps, il m’emporte le fond d’un petit flacon d’absinthe qui me reste, ma dernière goutte de spiritueux.
Enfin, après le coucher du soleil, le moudir revient accompagné d’El Mokhtar, l’un des membres du Medjelès. Ils me disent que le Medjelès a été assemblé extraordinairement pendant toute l’après-midi, que l’on a vivement blâmé la conduite du cheikh et que l’on a conclu que, s’il n’y avait pas moyen d’arranger les choses autrement, le cheikh serait obligé à me céder sa maison pour le temps de mon séjour. Là-dessus, ils me prient de pardonner la conduite de Cheikh Ali. Ceci est une autre question. Je déclare que, comme homme, je lui pardonne volontiers, mais, comme représentant de mon gouvernement, je ne puis le faire aussi facilement, et que je demande mûre réflexion à ce sujet. Là-dessus ces messieurs se retirent après avoir pris le café.
J’ai reçu la visite d’un marchand de Ghadāmès, l’un de ceux qui prêtèrent de l’argent à Barth, à Kanō, lors de son retour de Tombouctou et au joli taux de 100 % au bout de quatre mois. Je lui fais des compliments sur sa libéralité, d’autant plus que l’argent qu’il prêtait était de l’argent anglais ; mais il me dit qu’il avait calculé le profit que lui aurait rapporté cet argent mis en ivoire dans le même espace de temps et prêté son argent avec le même profit.
Les Targuiāt (les deux mêmes qu’hier) sont venues me voir, mais ne sont restées qu’un instant, elles m’ont apporté quelques lignes de Tefinagh.
J’ai tellement cru aujourd’hui qu’il allait se passer quelque chose, que j’ai fondu des balles de revolver.
[246]Pluriel de gherâra, sac en laine servant à contenir les objets chargés sur les chameaux. (O. H.)
[247]Nom pris par le baron de Krafft. Sur son séjour en Tripolitaine, voir Mittheil. de Petermann, 1861-1862, passim.
[248]Ces dernières doivent être très peu nombreuses ; Mircher ne parle que de maisons à rez-de-chaussée et un étage (Mission de Ghadāmès, p. 100).
[249]C’était le cheikh el bled, ou maire de la ville.
[250]Draa désigne au Sahara, suivant les régions, tantôt le sorgho à grains noirs, tantôt le millet blanc à chandelles. Il s’agit probablement du dernier. (Cf. Catalogue Foureau, p. 15.)
[251]« Les idoles. » On sait qu’après avoir visité Djerma au Fezzân, Duveyrier a rapporté les Esnamen aux Garamantes. (Les Touareg du Nord, p. 251.) Vatonne se borne à les qualifier « d’affreuses ruines sans caractère et sans intérêt ». (Mission de Ghadāmès, p. 268.)
[252]Ce quartier porte aussi un autre nom intéressant pour les origines : Beni-Mâzigh.
[253]C’est-à-dire le dialecte berbère.
[254]Isaqqamaren, vassaux des Kel-Rhela.
[255]« Douanier ». (O. H.)
[256]Oulhi, le cœur.
[257]Touraouen, le poumon.
[258]Inguelzam, Māsīn, points d’eau de la roule orientale de Ghât à Ghadāmes.
CHAPITRE III
IKHENOUKHEN
21 août.
Dans la matinée vient me voir le petit brigand Ihemma ; il me raconte encore qu’il veut assommer un Targui qui s’est servi d’un de ses chameaux sans sa permission. Il m’annonce le premier qu’Ikhenoukhen est arrivé, avec très peu de monde et deux chameaux seulement.
Ikhenoukhen est arrivé d’un côté et Othman est parti de l’autre, de sorte qu’ils se sont croisés ; cependant Othman revient lui-même dans l’après-midi, et me dit que les nouvelles sont bonnes. Ikhenoukhen est très occupé ; il est encombré de visites ; le moudir va le voir et une foule de Ghadāmsia ; on traite l’affaire du vol des chameaux et puis celle du départ de la caravane du Touat. Il paraît qu’il n’est pas bien disposé pour les Hogar, et qu’il défend aux Ghadāmsia de prendre des chameliers Sakomaren qui sont ici (ils sont imrhad des Hogar) ; il veut que les chameliers soient Azgar ou Ifoghas[259] ; les Hogar sont ennemis. Il déclare qu’il brûlerait les charges des chameaux de la caravane si elle partait avec les Sakomaren. La nouvelle arrive de Rhat, que l’Aïr a envoyé deux députés à Rhat pour dire que la route du Soudan était de nouveau ouverte, ce qui cause grande joie aux Ghadāmsia, et fait espérer qu’il y aura cette année un marché à Rhat, ce dont on commençait à désespérer. On apporte en même temps la nouvelle que le Hadj Ahmed, frère de Si ’Othman et chef des Touareg Hogar, va arriver ici sous peu.
Othman vient me prier, de la part du cheikh Ali, de lui pardonner ce qu’il a fait avant-hier.
22 août.
Othman vient me prendre dans la matinée et me mène chez Ikhenoukhen. Le sultan des Azgar est campé au loin, hors des plantations, tant il craint la petite vérole qui règne à Ghadāmès. (quoiqu’elle ait beaucoup diminué). Je trouve Ikhenoukhen entouré de quelques Touareg, de deux Ouled Hamed, et de deux Ghadāmsia. Il me fait asseoir d’un geste imperceptible et, sans se mouvoir, me fait, ainsi qu’à Othman, les questions de politesse targuie : « Mattoullid ? Māni ouinnek ? » — Comment vous portez-vous par cette chaleur ? Grâce à Dieu vous êtes venu ici, et les circonstances m’y ont aussi amené, etc., etc.
Ensuite, Othman fait lire les lettres adressées au cheikh Ikhenoukhen lui-même, et les firmans de Tripoli et de Tunis que j’ai. On est obligé de traduire les passages importants, car Ikhenoukhen comprend à peine l’arabe et ne le parle pas. Après cette cérémonie, Ikhenoukhen, qui a montré tout le temps la plus grande réserve, me souhaite froidement la bienvenue, puis nous prenons congé de lui. Othman trouve que l’accueil qu’il m’a fait est bon, quoique j’aie presque été tenté d’abord de croire le contraire. Il me dit que l’habitude des Touareg est de paraître fuir d’abord une nouvelle connaissance, mais que les autres Touareg qui assistent à notre entrevue ont certainement dit en eux-mêmes : Ikhenoukhen se réjouit déjà du cadeau qu’il obtiendra de ce Français.
J’ai ensuite une très longue conversation avec Othman au sujet de mes projets ; je leur donne une plus grande extension et pense aller de Rhat à Insalah. Il me dit que cela se décidera à l’arrivée de son frère Hadj Ahmed[260].
Je demande à deux des Hamed d’El-Ouad, qui ont été trois fois d’El-Ouad à Rhat, ce qu’ils ont emporté. C’est des douros. Ils en ont rapporté des ânes touareg ; prix à Rhat, 6 1/2, 7 et 8 douros, et à El-Ouad 60, 61, 80 fr. Des chameaux (petites chamelles) achetés 100, 105, 110 francs et vendus à El-Ouad 150, 160 francs. — Zebed (civette), achetée l’once 26 fr. 50 et vendue 33 francs. Outres du Soudan achetées 3 fr. 40 à 4 francs et vendues 6 fr. Peaux de buffles (kelābo), achetées 10 fr. les grandes, vendues 11 fr. 40 et 15 fr.
23 août.
Aujourd’hui, pas d’événements ; je cause avec un Ghadamsi, Mohammed ben Mohammed, qui connaît très bien Rhat. Il m’explique plusieurs des particularités du commerce de Ghadāmès.
L’ivoire, et les principales autres denrées du Soudan qui viennent ici, ne sont jamais vendues sur place, mais sont dirigées sur Tripoli. Elles ne pourraient être obtenues ici que pour un prix très approché de celui de Tripoli, comme par exemple 2 % en moins. L’or est quelquefois vendu en petites quantités sur le marché, par des individus qui ont besoin d’argent immédiatement. Les peaux de panthères et les autres petits articles se trouvent aussi de temps en temps.
Les Ghadāmsia qui vont à Rhat donnent un cadeau de 10 douros[261] à Ikhenoukhen, et ils peuvent alors commercer comme bon leur semble. A Rhat même, les charges d’ivoire ne font que passer ; sauf dans de rares cas, par exemple quand un marchand du Soudan a besoin de quelques objets qui se trouvent sur le marché de Rhat, il envoie un peu d’ivoire qui se vend là et dont le prix sert à acheter ce dont il a besoin. La plupart des marchands Ghadāmsia du Soudan envoient leurs caravanes à des correspondants à Rhat et à Ghadāmès et leurs produits ne sont vendus qu’à Tripoli même. A Rhat, les maisons se louent 6 douros pour le temps qu’on y reste à la foire, soit 15 jours, soit un an.
Les Ghadāmsia ne prennent pas de commission entre eux, ils se rendent de petits services commerciaux sans exiger de rétribution.
Aujourd’hui, il est arrivé une petite caravane de Rhat avec un chargement d’ivoire. Les nouvelles qu’elle apporte sont bonnes, l’Aïr a fait la paix avec Rhat, et l’on espère avoir un marché cette année, ce dont on avait d’abord douté. Les Ghadāmsia confient leurs marchandises aux chameliers touareg, qui les transportent à destination avec le plus grand scrupule.
24 août.
Dans la matinée, je suis encore obligé de me fâcher « tout rouge » contre mes domestiques.
Je reçois la visite de quelques Touareg. Dans la soirée, je vais voir Ikhenoukhen. Il sort de sa tente seul et vient nous rejoindre dans la dépression où il campe, à part de toute oreille indiscrète, et nous nous asseyons. Il me salue, cette fois comme une vieille connaissance, et commence, en bon Targui, par des questions de politesse. « Comment allez-vous ? Comment trouvez-vous le temps ? Supportez-vous bien cette chaleur ? Êtes-vous rétabli de votre voyage dans l’Erg ? C’est là que nous voyions du merveilleux lorsque nous allions sur nos méhara piller les Chaanba et les Souâfa, etc. » Puis, après avoir rendu ces politesses, je commençai à parler ; Si ’Othman traduisait mes paroles en Temāhaght[262].
Je dis à Ikhenoukhen que le sultan d’Alger qui lui avait envoyé Si Ismail[263] était rentré en France, mais que son successeur, qui était mû par les mêmes idées, m’avait envoyé à lui comme gage de son amitié et de son grand désir de lier des relations amicales avec les chefs touareg et en particulier lui Ikhenoukhen. Je lui expliquai nos intentions de commerce avec le Soudan, et notre désir de le voir l’intermédiaire entre nous et les noirs. Je l’assurai que tous les Touareg qui viendraient chez nous seraient reçus avec honneur et empressement ; qu’on les traiterait selon leur rang et qu’on leur ferait de beaux cadeaux ; que, si lui-même Ikhenoukhen voulait se décider à faire le voyage d’Alger, il pouvait compter sur toute la sincérité, tous les égards et toutes les marques d’amitié qu’il pourrait désirer.
Ikhenoukhen me répondit qu’il était devenu vieux et qu’il ne pouvait s’absenter du milieu des siens, qu’il avait déjà tant de peines à les tenir d’accord et à apaiser leurs querelles naissantes, qu’il ne pouvait pas penser à s’éloigner d’eux. Puis, passant à un autre sujet, il causa pendant quelque temps à Othman en temahaght et je les vis rire ensemble. Ils ne voulurent pas me dire de quoi il s’agissait ; mais, plus tard, je le sus par Othman et j’en parlerai à l’occasion.
Se retournant vers moi, il me fit la question insidieuse : « Pourquoi les Anglais sont-ils bien reçus partout et pourquoi les Français, quand ils envoient même leurs domestiques, sont-ils en butte à toutes sortes de difficultés et toujours mal reçus ? » Je lui répondis : « Cette demande m’étonne, car j’aurais cru que vous saviez cette raison mieux que moi-même. Mais je vais vous l’expliquer brièvement. Vous ne connaissez les Anglais que comme marchands et voyageurs riches et prodigues ; vous ne les avez donc rencontrés que vous offrant des profits et des gains considérables ; il est naturel que l’accueil qu’on leur fait soit bon. Mais nous, Dieu nous a mis maîtres d’Alger, nous avons été sans cesse forcés de combattre, toujours malgré nous, et ce que vous savez de nous, la connaissance que vous avez de notre administration et de nos vues, vous l’avez reçue à travers une digue d’ennemis. Sans vous parler du chérif, la digue ennemie nous l’avons au milieu de nous, ce sont les Chaanba, ce sont les Souāfa, les Beni-Mezab et enfin tous ceux qui sont nos voisins. Moi-même, à El-Goléa, j’ai été menacé de la mort par des Chaanba qui avaient été faire leur soumission à Alger. Je crains plus les Chaanba que les Iboguelan[264]. »
Ikhenoukhen approuva énergiquement mon avis par un « hakk » significatif. Il me dit que c’était précisément là la différence, mais que pour lui il n’ouvrait pas son oreille à ces mauvais bruits, et qu’il s’était fait une ligne de conduite, dans toute sa vie, de ne faire que le bien, de ne jamais léser le faible et de redresser les torts ; que, puisque j’étais venu à lui, il me mènerait partout où je voudrais dans l’étendue de son commandement.
Pour persuader encore plus le chef de notre « non-ogrerie », je lui fis la remarque que le sultan de Constantinople, celui du Caire, celui de Tripoli, de Tunis et de Fez étaient nos amis, comme aussi celui des Anglais, qu’ils avaient la plupart des officiers et des industriels français chez eux, et que nous étions sur le meilleur pied ; que si réellement nous étions si mauvais, ces hommes puissants et éclairés ne manqueraient pas de se tenir éloignés de nous. Ikhenoukhen fit alors une allusion aux événements de Syrie qui me désappointa ; il me donna la nouvelle d’une intervention anglaise et française, mais je lui objectai que je n’avais pas de nouvelles aussi neuves. Il mentionna aussi l’entreprise du canal de Suez dont il ne comprenait pas le but. Je le lui expliquai en particulier au point de vue du pèlerinage de la Mekke et lui dis que le chef de l’entreprise était un Français et l’ami intime de mon père.
Passant à mon voyage, je dis à Ikhenoukhen que mon but était de voir le marché de Rhat et de revenir par In-Salah. Rhat, me répondit-il, c’est très facile, mais In-Salah, je ne peux pas mentir, ma puissance ne s’étend pas jusque-là ; les gens du pays même ne sont pas mes amis. Mais, ajouta-t-il : « Voilà le sultan d’In-Salah », et il me montra Si ’Othman. Othman se défendit de toutes ses forces, mais Ikhenoukhen revint au moins trente fois à la charge pour me faire comprendre que c’était lui qui pouvait me mener à In-Salah. Othman tint ferme.
En terminant, Ikhenoukhen me dit qu’il voudrait bien me voir recevoir de Tripoli un firman qui recommanderait qu’on me traitât bien et que le pacha y fît la remarque que ce qui serait fait pour moi serait fait pour lui. Je dis au chef targui : « Bien, je vais demander ce firman, mais je dois te dire, en toute franchise, notre amour-propre est blessé de voir que tu nous aimes pour un autre et non pas pour nous-mêmes ». Ikhenoukhen, prenant quelques pierres et les lançant négligemment de côté, dit : « Les Turcs, voilà le cas que nous en faisons, nous savons que ce sont vos esclaves ; partout où vient un conseil de vous, c’est lui qui gouverne réellement le pays et le gouvernement turc ne peut plus rien d’arbitraire ; nous autres, nous n’avons pas besoin du firman, mais nous serons bien aises de le montrer à d’autres. »
Je terminai en priant Ikhenoukhen de consentir à échanger un traité d’amitié. Il me répondit que cela ne pressait pas et que nous nous retrouverions encore souvent. Puis, je lui fis dire par Othman que je n’avais pas apporté de présents en nature, craignant de ne pas tomber sur ce qui lui plairait, mais que je lui destinais 100 douros et une bague, avec une pierre précieuse, que je lui laissais en souvenir. Il répondit que le profit n’était rien pour lui et qu’il agissait ainsi envers moi parce qu’il le trouvait bon (je compris plus tard que la somme offerte lui paraissait peut-être un peu faible[265] en comparaison des présents anglais), que du reste rien ne pressait et que ce que je remettrais à Othman lui parviendrait. Là-dessus, nous nous saluâmes amicalement et nous revînmes chacun de notre côté.
Dans la nuit, je prends des renseignements sur les exactions du kaïd Ali Bey[266] et de son cousin le khalifa.
25 août.
Hier au soir, en allant voir Ikhenoukhen, j’ai remarqué que le sol de la grande dépression où il est campé est composé, sauf une légère couche superficielle, de cette roche terreuse, blanche et savonneuse déjà notée dans les dunes, et j’y trouvai des planorbes et des limnées, ces dernières un peu plus fortes que celles rencontrées au puits de Zouait.
Visite de Telingui, qui vient avec son brigand de frère et sa vieille sœur. Telingui est toujours aussi belle et aussi gaie ; elle ne reste pas longtemps. Je lui donne une feuille de papier pour qu’elle me la remplisse de mots targuis en Tefînagh.
J’ai été obligé de rosser deux de mes serviteurs à coups de bâton ; ce sont de vrais sauvages et ils ont la tête dure ! J’ai été forcé de les menacer de mort dans le cas où ils s’en iraient. Ils trouvent le voyage dur et s’imaginent qu’ils peuvent me planter là et s’en retourner chez eux. Ahmed a repris la fièvre.
Les melons ont fini ; les pastèques sont à leur fin. J’achète aujourd’hui des citrons verts pour faire de la limonade. J’ai déjà dit qu’il y a un seul citronnier à Ghadāmès.
J’apprends que les pauvres Touareg, principalement les femmes, se retirent à Ghadāmès ; dans chaque maison où ils se présentent et demandent, on leur donne des vivres, de sorte qu’ils peuvent vivre sans rien faire. C’est une coutume très ancienne, et une obligation des Ghadāmsia qui rappelle les conditions de vie des habitants du Djérid.
L’eau d’ici est très lourde, les indigènes l’ont pesée comparativement à celle des endroits voisins. Le moudir, moi et mes domestiques, nous sommes à l’état permanent au nec plus ultra de la diarrhée[267]. Mes domestiques trouvent aussi l’air lourd.
26 août.
Voici la raison pour laquelle, pendant ma conférence avec Ikhenoukhen, ce chef s’est entretenu avec Othman, à part, en targui et en riant. Ikhenoukhen a reçu la nouvelle qu’une lettre était arrivée ici, engageant la personne, à qui elle est adressée, à me tuer, moi et Si ’Othman ou, au moins, à chercher quelqu’un qui exécutât la commission. Or, on a dit à Ikhenoukhen que la lettre vient de Sidi Hamza, ce qui déroute un peu Othman parce qu’il serait étonnant qu’il eût déjà reçu avis de notre départ ensemble. Othman, en homme fin, me fait part d’un soupçon que cela pourrait bien venir de Sidi Ali Bey qui aurait mis le nom de Sidi Hamza en avant pour cacher le sien. Cela me paraît aussi possible parce qu’Ali Bey doit savoir que j’ai donné avis à l’autorité de ses exactions dans le Souf. Mais alors pourquoi vouloir la mort de Si ’Othman ? Je noterai ici un fait qui m’apparaît significatif aujourd’hui : M. Margueritte, alors commandant supérieur de Laghouât, me dit à mon retour d’El Goléa[268], lorsqu’il eut connaissance de tous les détails de cette entreprise : « Écoutez, autant que je connais l’homme (Sidi Hamza), je ne trouverais pas impossible qu’il vous eût envoyé une lettre de recommandation pressante pour les gens d’El Goléa tout en les prévenant directement de vous traiter le plus mal possible afin d’ôter l’envie à tout autre de revenir. » En effet, il est très connu que Sidi Hamza voudrait que nous ne vissions le Sud que par ses yeux[269]. J’ai voulu écrire cette nouvelle, avant que son authenticité fût tout à fait établie, afin que, dans le cas où elle serait vraie et que je dusse succomber, l’on pût trouver dans mes papiers des indications pour tomber sur la vraie trace du crime. Toutefois, je le déclare, cette nouvelle m’a peu ému, et m’amuse plutôt qu’elle ne me chagrine.
On me raconte qu’Ikhenoukhen reste quelquefois deux jours sans manger par fantazia ; il affecte de se faire apporter de bons repas et invite ceux qui sont présents à s’attabler, refusant lui-même de rien prendre. De même, lorsqu’il alla chez les Hoggar, il resta deux jours et une nuit, accroupi à l’arabe, à recevoir des visites et sans demander le temps de se reposer. Toujours par fantazia.
Si ’Abd el Aziz, qui alla à Tombouctou avec le major Laing, me dit qu’ils prirent la route d’Inzize (partis d’Aqàbli) et que, de là, ils coupèrent le Tanezrouft obliquement sur Am Rannān où ils prirent de l’eau.
[259]Ceci indique que les tribus maraboutiques des Ifoghas ne font partie ni des Azdjer ni des Hoggar, mais sont en quelque sorte leurs intermédiaires.
[260]Duveyrier songeait encore à explorer l’Ahaggar. Il l’avait écrit à Barth, qui l’encourageait en ces termes : « Votre lettre me remplit de joie ; elle me prouve que nous pouvons encore espérer vous voir explorer le massif si intéressant des Hoggar et combler cette lacune capitale de notre connaissance de l’Afrique du Nord... Mes vœux les plus sincères vous accompagnent dans cette tentative grosse de difficultés et de périls. » (Lettre du 11 juin 1860, retrouvée dans les papiers de Duveyrier.)
[261]Le mot douro, en Tripolitaine, s’appliquait indifféremment à notre pièce de 5 francs, au douro d’Espagne (appelé aussi bou-medfa), et au thaler Marie-Thérèse (appelé aussi bou-tir). Le cours de ces monnaies variait d’ailleurs beaucoup par rapport à la monnaie de compte légale (le mahboub = 20 piastres turques).
[262]Temahaght ou temahaq (Les Touareg du Nord, p. 317).
[263]Ismaïl Bou-Derba.
[264]Tribu traitée de brigands par les Touareg eux-mêmes.
[265]Duveyrier dut finalement payer quatre fois autant (2.000 fr.).
[266]Ali Bey, kaïd de Tougourt.
[267]L’eau de la source de Ghadāmès renferme 2 gr. 54 de sels par litre, dont 0,38 de sulfate de magnésie et 0,90 de sulfate de chaux. Les indigènes y sont accoutumés, mais tous les étrangers en subissent les effets. (Mission de Ghadāmès, Rapports officiels, Paris, 1863, in-8, p. 260, 326.)
[268]Voir entre autres, sur ce séjour, Excursion à El-Golea’a, Nouv. Annales des voyages, novembre 1859. p. 189-197 et Bulletin Soc. de Géogr. Paris, 1859, XVIII, p. 217.
[269]De très intéressantes lettres du maréchal Randon et du général Durrieu (juin-juillet 1858) ont été publiées depuis par MM. Augustin Bernard et le commandant Lacroix (Historique de la pénétration saharienne. Alger, 1900, in-8, p. 34-37). Elles montrent quelle était alors l’opinion dominante à Alger. Dans une lettre adressée à Duveyrier le 27 mai 1861, le Dr Warnier donne la même note : « On sait ici à quoi s’en tenir. Dans votre mission, me disait-on hier après lecture de votre lettre, vous trouverez comme premier obstacle nos grands chefs indigènes... » (Papiers de Duveyrier.)
CHAPITRE IV
GHADAMÉSIENS ET TOUAREG
27 août.
Voici quelques renseignements sur la soie de tsámia[270].
L’insecte qui la produit vit sur le tamarinier dont le fruit est appelé aussi tsámia en haoussa. Il émigre tous les deux ou trois ans, d’une province du Haoussa à l’autre, pour reparaître au bout de quelque temps dans celle d’où il est sorti. Ce ver n’est pas cultivé. Il vit sauvage et les gens du pays attendent l’époque où il devient chrysalide pour aller faire la récolte dans la campagne. On détache les cocons pêle-mêle avec les chrysalides et on les jette dans de l’eau bouillante pour tuer les insectes. C’est dans cet état que la soie est vendue à Kanō. On la vend à Kanō par petites portions appelées nōnō de quatre ou cinq fois la quantité que j’en possède (7 gr. 65), c’est-à-dire 34 gr. 5 et au prix de 15-20 oud’a[271], lorsqu’elle est bon marché, ou de 50 oud’a lorsqu’elle est chère. Les acheteurs secouent alors la soie et en font tomber les chrysalides, et cette soie est filée à la main comme bourre ; on ne dévide pas les cocons. Cette soie a le défaut, me dit-on, de ne pas prendre les couleurs, cependant je vois ici des tissus du Soudan, coton et tsámia, où cette dernière est teinte en rose. On ne fait pas de vêtements de tsámia pure, mais de petites bandes alternatives coton et tsámia. Les chrysalides, pilées et infusées dans de l’eau, sont un remède contre les douleurs d’oreille ; on verse la décoction dans l’oreille du malade. On n’apporte pas de tsámia brute à Rhat ni à Ghadāmès.
La « nila » ou teinture bleue qui sert à teindre les cotonnades du Soudan est estimée par les Touareg comme ornement et comme hygiénique. Ils l’achètent ici à la livre aux Ghadāmsia et s’en frottent les bras et les mains ; les femmes, les lèvres, les joues et le front. C’est, comme je le dis, un ornement sans lequel un homme n’est pas considéré et une femme n’est pas belle et, de plus, un préservatif contre le froid et un émollient ou lénitif pour la peau.
Aujourd’hui, Othman va à Tābia où Ikhenoukhen s’est rendu de son côté, ils ont une longue discussion avec Eg ech Cheikh[272] qui est campé là. On discute les moyens de faire la paix avec les Hoggār ; naturellement, il n’y aurait qu’un moyen, c’est de rendre de chaque côté les chameaux qui auraient été volés.
28 août.
Après ma leçon de targui, Ihemma me raconte qu’à Tabia il y a une inscription qu’un Ghadāmsi a copiée et apportée en ville que, l’ayant montrée aux Touareg, ils n’ont pas pu la lire parce que nos Tefinaghen ne sont pas tout à fait pareils aux leurs. Ce serait donc une inscription latine ? Ihemma a été chargé par moi de faire des recherches.
Il me raconte qu’il y a aux environs des tombeaux des Djohāla[273] où les Touareg vont dormir lorsqu’ils veulent avoir une inspiration, comme, par exemple, savoir où un voleur s’est enfui, et que le lendemain, à leur réveil, les maîtres des tombeaux leur ont dit ce qu’ils cherchaient.
Aujourd’hui part une petite compagnie de gens du Souf qui emportent des lettres de moi ; je crois aussi que mes lettres au Consul de Tripoli partent aujourd’hui.
29 août.
Les Touareg ont presque tous leur amie. Ils la prônent comme les chevaliers prônaient leur dame, et ils inscrivent sur les rochers ou sur les murs à Ghadāmès des louanges à leur adresse en Tefinaghen. Si je dois les croire, l’amie n’est que pour les yeux et non pas pour le lit, comme chez les Arabes. Ils se vêtissent de leur mieux et vont causer avec elle et là se bornent leurs relations. La nuit les Touareg veillent longtemps ; j’entends toujours un son semblable au violon, et j’apprends que ce sont les Targuiāt qui jouent du rebāb en s’accompagnant de la voix ; lorsqu’une femme chante, les hommes s’accroupissent en cercle autour d’elle et écoutent. Presque tous et toutes savent improviser.
Il y a au Dhâhara (endroit où campent les Touareg) des prostituées qui vivent sous la tente ; je sais cela parce que j’ai aujourd’hui un malade syphilitique et que je le questionne sur la manière dont sa maladie lui est venue.
Je reste à la maison, prends ma leçon de targui. Ihemma me dit que sa sœur Télingui ne pourra plus venir parce que son mari l’a beaucoup grondée de venir me voir.
Mon cordonnier qui me fait une belle paire de souliers brodés en soie, est situé dans le quartier des Beni-Ouazit et nous, nous sommes dans celui des Beni-Oulid ; c’est le marché qui fait la limite entre les deux tribus, et il n’y a jamais eu de mur entre eux, pas de سور, mais un سوڧ, ce qui a pu causer l’erreur de C. Ritter[274]. Or, je désire avoir des bottes molles, et j’envoie à mon cordonnier pour le prier de venir prendre mesure ; il me fait répondre qu’il ne sortira pas pour 100.000 rials de son quartier pour venir dans le mien. J’apprends que les hommes nobles « harār » ne sortent de leur quartier pour aller dans l’autre qu’à de rares exceptions et qu’il y en a qui n’ont jamais vu l’autre quartier. Ils envoient les nègres et les mulâtres en commissions. Autrefois les deux tribus étaient ennemies, mais maintenant, quoiqu’elles aient fait la paix, l’ancienne retenue respective existe très forte. Les Beni Oulid ont deux chará ou rues voûtées ; les Beni Ouazit en ont quatre.
30 août.
Les retards qu’éprouve la caravane du Touāt sont des suites de la razzia des Oulad Ba Hammou sur les Azgar, laquelle razzia fut rattrapée à deux jours du Touāt par Ikhenoukhen et à la suite de laquelle on parla de rendre les chameaux enlevés de part et d’autre. Il y a ici des Sakomaren[275], imrad des Hoggar et des Oulad Ba Hammou ainsi que des gens d’In-Salah, mais en petit nombre. Tous ces gens craignent de se mettre en route avant d’avoir été autorisés par Ikhenoukhen, sans cela ils pourraient bien être attrapés en route et dévalisés. D’un autre côté, la caravane des Ghadāmsia, conduite par les Ifoghas ne veut pas aller au Touāt avant de voir les affaires arrangées ici, de crainte qu’on use de représailles sur eux à In-Salah.
La nouvelle arrive que les Ourghamma sont montés à cheval pour aller en expédition et on ne sait pas où. Ikhenoukhen part à cheval pour aller voir où sont ses chameaux, qu’il trouve au Tabia ; tout le monde se tient sur le qui-vive. On envoie une vigie à Mézezzem.
Ihemma a été au Tabia ce matin et a cherché partout l’inscription en question, mais ne l’a pas trouvée. L’individu qui l’a apportée est fou actuellement (il a plus de 150 ans, disent les Touareg).
31 août.
Aujourd’hui, dans l’après-midi, part une caravane pour le Touāt ; il arrive depuis quelques jours des nouvelles de Tripoli.
Il paraît que chez les Touareg une femme, pour être « comme il faut », doit avoir beaucoup d’amis et n’en préférer aucun. Elle leur donne des témoignages d’amitié comme, par exemple, d’écrire sur leurs voiles rouges en broderie ou sur leurs boucliers et anneaux de bras des inscriptions Tefinagh. Si une femme n’a qu’un ami, on se moque d’elle et on lui dit que c’est son mari et qu’elle est pervertie. Cependant les maris sont jaloux de la préférence et ils tueraient leur femme si celle-ci leur disait : « Un tel est mieux que toi », à plus forte raison s’ils apprenaient qu’elle commet des infidélités. De son côté, la femme ne peut pas supporter de rivale, et elle divorce, car elle a ce droit, quand elle apprend que son mari en courtise une autre. Les Touareg ne prennent jamais une nouvelle femme sans divorcer avec l’ancienne. Quoique la femme donne souvent son avis dans les conseils, dans le ménage le mari est tout à fait le maître et il peut tuer sa femme, si elle le mérite, sans que ses parents lui demandent compte de son action. Mais d’un autre côté les parents de la femme exigent qu’elle soit bien habillée, bien nourrie et pas délaissée.
Un Ghadāmsi estime à 3.000 le nombre des habitants de la ville y compris les femmes ; ce nombre est bien trop faible[276].
L’impôt de Ghadāmès est de 2.500 mitcals d’or, ou bien, au taux moyen de 16 1/2 rials tounsi le mitcal, 30.937 fr. 50. Je prends des renseignements sur la douane ; en moyenne, elle prélève ici ou à Tripoli 13 % de la valeur des objets importés du Soudan. La poudre d’or seule ne paie rien. Les Ghadāmsia dansent dans les rues les jours de fête ; les Touareg ne dansent jamais, ni les hommes, ni les femmes ; les tribus assujetties des Imrad seules ont cette coutume en commun avec les nègres.
1er septembre 1860.
Je vais de bonne heure chez un commerçant nommé Brahim ben Ahmed, qui est revenu du Soudan au mois de Ramadhan dernier. Je m’y rends avec le cheikh Ali. Nous sommes reçus dans une chambre haute entourée de petits réduits à portes en bois peint en rouge et à tapisseries. La chambre est blanchie, le parquet est couvert de nattes et de coussins touareg ; les murs sont presque cachés par des grands plats en métal doré, cloués au mur, et par des multitudes de petites corbeilles rondes sans anses de toutes grandeurs. En somme, cette chambre est très jolie, et j’étais loin de m’imaginer que les Ghadāmsia avaient un intérieur aussi attrayant.
Nous trouvons ici rassemblées les principales marchandises du Soudan ; j’examine chacune d’elles en détail et je prends note de sa nature et du prix qu’elle atteint ici. Par la même occasion j’apprends que le tarif de la douane pour les objets du Soudan n’est que de 9 % ; cependant je dois m’informer de cela auprès de l’amine. Après le travail en question on nous sert du thé, qu’on apporte dans une théière anglaise, et que nous buvons avec des trempades de « biscuit ». Je m’amuse beaucoup du jeune fils mulâtre que mon hôte a ramené du Soudan et qui ne sait pas encore un mot d’arabe. Il y a aussi de nombreux esclaves.
’Aissa, le petit Targui malade d’un œdème, meurt tranquillement. On ne manque pas de remarquer que j’avais prédit qu’il ne vivrait pas longtemps.
Les caravanes qui sont parties aujourd’hui et hier peuvent avoir 300 chameaux ; ce nombre n’est pas normal ; il est causé par l’insécurité de la route, qui régnait depuis trois mois et qu’Othman vient de faire cesser. Les gens d’In-Salāh qui étaient ici avaient attendu trois mois sans pouvoir partir.
2 septembre.
Je m’amuse à recueillir des notes sur les coutumes intimes des Ghadāmsia et des Touareg.
Les Ghadāmsia ne mangent pas devant leurs femmes. Celles-ci font la cuisine, leur apprêtent la viande et la leur servent. Les Ghadāmsia mangent à leur gré et ne laissent que les os à leurs femmes. Ceci est littéral ; il est même considéré comme inconvenant à une femme de manger de la viande. Les Touareg, au contraire, mangent en compagnie de leur épouse ; s’ils mangeaient à part, ce serait la mépriser. Ils lui donnent même la meilleure part. Dans la viande, il y a certaines parties que les femmes Targuiāt considéreraient comme inconvenant de manger, ce sont le cœur, l’intestin gras ; le café aussi et le thé sont dans cette catégorie d’aliments. Les Targuiāt, au contraire, se réservent le foie et les reins qu’aucun Targui ne mangerait.
Quand quelqu’un meurt, on ne pleure pas chez les Touareg, on ne vient pas comme chez les Arabes faire des visites de condoléances et des singeries. Les Touareg disent à ceux qui pleurent dans ces occasions : « Réserve tes larmes pour toi ». Comme aujourd’hui meurt une des proches parentes d’Othman, vieille femme malade de la petite vérole, je puis me convaincre qu’ils supportent très bien les pertes de leurs proches. Les Ghadāmsia, au contraire, font le deuil à l’arabe. Les « Atrîyat » surtout se montrent dans ces occasions. Elles courent à la maison du mort et pleurent en disant « Ya Sidi » ! Manaaraf chey » ! etc., puis viennent rire à la porte du mort. Elles sont de véritables pleureuses et n’accourent que pour recevoir un peu d’argent.
Je reçois la visite de deux Targuiāt, dont l’une est Tekiddout qui doit être ma maîtresse de Tefinagh. Elle emporte le papier et viendra demain me donner ma première leçon. Ces deux dames sont très dégourdies et je suis de plus en plus frappé des rapports qu’il y a entre l’esprit des Targuiāt, leurs relations avec les hommes, leurs idées de convenance et celles qu’ont mes concitoyennes. Tekiddout ramène si habilement son voile (haïk) sur sa figure, que je ne puis voir ses traits, j’ai beau user de tous les moyens possibles, je ne puis l’amener à se découvrir. Elle donne pour prétexte que je suis jeune et beau ! Chez les Touareg, c’est du reste une manière de montrer le respect ou la timidité que de se couvrir la bouche, la figure entière, même de tourner le dos à la personne à qui l’on parle.
Le soir, je reçois la visite d’Othman et d’un Arabe Kounta, de la suite du parent du cheikh el Bakkay qui est ici et qui a épousé la fille de Ikhenoukhen. Je suis frappé des manières polies de cet Arabe qui n’est cependant pas de la première classe. En s’en allant et emportant le petit présent que je lui fais, il me prie de rester assis.
3 septembre.
Aujourd’hui vient un express de Rhat qui donne de bonnes nouvelles. Le Hadj Ahmed est retourné au Hoggar. La paix règne partout. On attend à Rhat de grandes caravanes du Soudan.
D’un autre côté, arrive une ambassade des Ghorīb et des Merazig à Ikhenoukhen. J’apprends à cette occasion que les Ghorīb paient à ce chef chaque année un tribut de haoulis pour prévenir les razzias que les Touāreg faisaient sur eux autrefois. Les Merāzig paient de même un tribut à mon ami Othman. Or, cette fois, les deux tribus ont envoyé leurs députés à Ikhenoukhen, et Othman en est jaloux. Nous allons voir comment se passera cette aventure.
Je reçois la visite de Tekiddout et peu après celle d’Othman qui reproche à cette Targuie de venir ici, mais elle paraît se moquer pas mal de son avis. Après le départ de Tekiddout, Othman reste longtemps avec moi et me raconte plusieurs chansons qu’il a faites ou qu’on a faites à son sujet. J’en écris une avec sa traduction.
Les Touareg, surtout les chefs et les amateurs de femmes, considèrent comme mal de manger d’une bête plumée ; ils ont raison en parlant de l’autruche qui a une mauvaise odeur, mais ils n’ont pas d’excuses pour les autres oiseaux. Les marabouts et Othman, par conséquent, mangent de tout ce que les Arabes mangent.
Les Ghadāmsia prennent presque tous le thé, même les plus pauvres ; le café est peu estimé d’eux.
Les Touareg ne se lavent presque jamais ; je suis fâché de le dire ; et, comme ils ne changent pas de vêtements, la plupart exhalent une odeur écœurante de sueur concentrée. Il y a cependant des exceptions. Ils prétendent que l’eau ne leur va pas et leur donne des maladies. Les Touareg prétendent, avec raison, que les villes ne leur vont pas ; en effet, ici à Ghadāmès, il règne parmi eux des maladies nombreuses dont les principales sont la dysenterie, diarrhée, fièvres et petite vérole. Quant aux fièvres, il paraît que ce pays n’en est pas exempt, ainsi les soldats qui gardent la porte sont en ce moment tous pris de la fièvre, et ils grelottent toute la journée ; les Touareg en souffrent aussi, et Ahmed, mon premier domestique, en a encore des attaques, surtout ces jours derniers. Maintenant, je vais le mettre à un traitement régulier jusqu’à parfaite guérison.
4 septembre.
Aujourd’hui partent encore environ 55 chameaux pour In-Salah. La plupart des charges sont des cotonnades anglaises.
J’ai probablement négligé de noter une coutume des Touareg qui est de ne jamais coucher en ville. Cela est encore considéré A’ïb ou péché, tant pour les hommes que pour les femmes. Jamais ils ne manquent à cette règle. Quand les Touareg arrivent à Ghadāmès, ils vont trouver leur ami Ghadāmsi, c’est-à-dire le marchand qui leur confie ses charges de marchandises, etc. Celui-ci sort une tente de toile ronde pour son ami targui et la lui prête pendant tout le temps de son séjour.
Othman se moque chez moi des Merazig et des Ghorib ; les Arabes, me dit-il, sont si avares du bien de ce monde, que l’ambassade du Nefzaoua, composée de sept hommes, est arrivée sur trois chameaux ! Ils ont apporté un présent de haoulis, mais tous les parents et amis d’Ikhenoukhen viennent lui demander leur part du tribut, de sorte qu’il n’en conservera probablement rien pour lui.
Je vais voir le moudir dans son jardin ; comme il est là, seul avec le cheikh, il est très aimable et m’explique qu’il a des dettes occasionnées par ses longs voyages dans les dernières années, que c’est pour cela qu’il désire rester à Ghadāmès quelques années pour se refaire. — Ce Turc est à crever de rire avec ses airs d’importance. Je ne vais pas le voir qu’il ne me répète plusieurs fois avec une grimace dégoûtée : « Mon cœur est fatigué des affaires de ce monde ».
5 septembre.
Je vais de bon matin voir Ikhenoukhen. J’ai une longue conversation avec lui et son frère ’Omar el Hadj, au sujet de mon départ pour le Djebel. Ils sont d’avis que je m’abstienne d’y aller, tant à cause des nouvelles d’une expédition des Ourghamma, qu’à cause de la longueur de la route. Ils semblent être près de leur départ. Ikhenoukhen, avec qui je parle ensuite des affaires politiques, accepte de faire un traité avec l’Algérie ; il conseille de ne s’adresser qu’à lui et à ses deux frères, les autres chefs des Azgar, les Imarasāten[277], amis des Anglais en particulier, étant en quelque sorte sous ses ordres.
Je vais ensuite voir Hadj Mohammed ou Ahmed, le plus grand commerçant de la ville et l’homme le plus considéré, qui vient d’arriver, il y a peu de jours, de Tripoli ; il me conseille de partir pour le Djebel, m’assurant que j’aurai toujours le temps de trouver Ikhenoukhen ici. Là-dessus, après être entré un instant au Medjélès, je vais faire part à Si ’Othman de ma décision et le prie d’aller trouver Ikhenoukhen pour lui en parler.
J’apprends que Sid el Bakkay, qui a épousé une fille d’Ikhenoukhen (il est parent de Sidi Ahmed el Bakkay de Tombouctou), est en ce moment un peu en querelle avec son beau-père, parce qu’il voudrait que les Azgar fissent la guerre aux Hoggar qui sont les ennemis de sa propre famille ; or, depuis trois ans et plus qu’il est auprès d’Ikhenoukhen, il ne fait que l’exciter à cette rupture. Ikhenoukhen a trop de bon sens pour ne pas voir que ce serait la perte des Touareg que de suivre ce conseil ; de la petite bouderie de la part du marabout.
J’apprends qu’un Rahti, qui est parti pour son pays il y a peu de jours, a déclaré que jamais un Français n’entrerait à Rhat, et, comme il parlait un peu haut dans le marché, Si ’Othman a été obligé de le mettre au silence. Il va porter de mauvaises nouvelles à Rhat, et certainement nous allons trouver tout le monde prévenu à notre arrivée. Ikhenoukhen ne veut partir qu’avec tout son monde.
[270]Ceci est une réponse aux instructions du Dr Warnier. Elles sont contenues dans une volumineuse correspondance, embrassant toute la durée du voyage, pendant lequel Warnier n’a cessé de jouer le rôle de Mentor. Mentor systématique et autoritaire parfois, et qui n’abdiqua pas lors de la rédaction des Touareg du Nord, dont le brouillon renferme plus d’une page entièrement raturée et modifiée de sa main. Duveyrier souffrit de cette tutelle, et certaines de ses lettres (1867-1870) en parlent d’un ton amer. Plus tard, il ne voulut se rappeler que les soins dévoues du médecin, et le zele enthousiaste de l’initiateur scientifique que Warnier avait été. « La mort, écrivait Duveyrier en 1875, efface certains souvenirs et en ravive d’autres. Je n’ai pas besoin de vous dire que ceux-là sont les meilleurs. » (Lettre au commandant Warnier, frère du Docteur.) Il avait raison. Qu’on en juge par cette lettre de Warnier (27 décembre 1859), reçue par Duveyrier à Biskra le 8 janvier 1860, et qu’on voudrait pouvoir citer tout entière :
«... Dans un voyage comme celui que vous entreprenez, un explorateur doit se rattacher à tout ce qu’il y a de forces vives dans son pays. La Société d’acclimatation de Paris est aujourd’hui à la tête d’un mouvement important. Elle a créé à Alger un comité dont le domaine embrasse l’Afrique entière. Ce comité sera heureux d’entrer en relations avec vous, pour tout ce que le pays que vous allez explorer peut donner et recevoir. Vous êtes sur un des points du globe les moins connus, et si pauvre qu’il soit, il peut donner en végétaux, en minéraux, en animaux, des choses nouvelles, utilisées ou non par les indigènes. Parmi les choses sur lesquelles j’appelle surtout votre attention, est celle-ci : Déterminer la limite botanique des végétaux qui appartiennent au bassin méditerranéen, et entre autres l’olivier... Là ou finissent ces espèces, doit commencer une région botanique nouvelle, la région désertique, entre lesquelles peut se trouver une région intermédiaire, la région saharienne, donnant à la fois l’hospitalité à des végétaux méditerranéens et désertiques. Il importe à la science que ces limites soient bien précisées... J’appelle surtout votre attention sur les acacias producteurs de gomme... On en trouve en Tunisie, en Marokie, à peu de distance du littoral. Où commencent-ils au sud de l’Algérie ? Où pourrait-on les introduire ? L’Argan, commun au Maroc, se montre-t-il dans notre Sud ?... Je vous serais infiniment reconnaissant, personnellement, si vous vouliez bien m’envoyer la liste des arbres, arbustes, avec leurs noms indigènes et lieux de station... Il y a de nombreux tamarix, espèces nouvelles pour la plupart. Ces espèces produisent des galles (Takaout) employées comme succédanés des galles du chêne. — Quid ?... Avez-vous étudié avec soin le système d’aménagement des eaux des Beni Mzab ? D’après ce que j’en sais, c’est merveilleux. Sans aucun doute, le général Desvaux vous aura recommandé d’étudier les lignes de fond sous lesquelles on peut espérer trouver des eaux artésiennes ; c’est avec la sonde que la civilisation doit pénétrer dans le Sud... J’appelle aussi votre attention sur l’action du climat relativement à la coloration de la peau... Déterminez la limite méridionale des civilisations qui ont pénétré dans ce continent ; vous les trouverez indiquées par des ruines... Ne négligez pas de recueillir des renseignements précis sur les poids, les mesures et les monnaies... Si des règlements relatifs à l’usage des eaux tombent sous votre main, rapportez-nous-les, soit en original, soit en copie. Recueillez ce qui est tradition orale. La teinture et la tannerie ont atteint un certain degré de développement : sachez nous dire quels sont les procédés de fabrication... On a signalé dans le Sud des gisements de combustible minéral. Tâchez de savoir ce qu’il en est... Notez également toute rencontre d’oiseaux ou d’insectes migrateurs. Les sauterelles qui ravagent périodiquement le Nord de l’Afrique prennent naissance dans le Sud. Quels sont les foyers de production ?... Notez aussi la limite où parviennent d’un côté les produits manufacturés ou les matières premières du Nord, et de l’autre côté ceux venant du Soudan... J’ai remarqué que la race nègre, dans ses migrations vers le Nord, rencontrait des obstacles hygiéniques analogues à ceux de l’Européen venant en Algérie. Enregistrez tout ce que vous apprendrez à ce sujet... Du foyer soudanien ont dû sortir, en plantes et animaux, des espèces originaires de ce foyer. Quelles sont-elles et quelles modifications ont-elles éprouvées ?... Quel est l’arbre appelé en arabe tsámia, qui produit la soie végétale du Soudan, avec laquelle on brode les turbans ?... L’Angleterre n’a fait de si grands sacrifices pour l’exploration de l’Afrique que pour savoir si, en cas de rupture avec les États-Unis, ses manufactures pourraient trouver un foyer d’origine du coton. La France aussi a intérêt à voir accroître le champ de cette culture... Il importe donc de recueillir tous les renseignements... Informez-vous des lieux d’où l’on tire le nitre ou azotate de potasse, de l’importance de la production... Le soufre doit exister dans certaines parties : — attention spéciale. » (Papiers de Duveyrier.)
[271]Ouda, cauri.
[272]Chef de la tribu des Imanghasaten, rivale de celle des Oraghen dans la confédération des Azdjer.
[273]Païens. On trouve la même superstition attribuée par Pomponius Mela aux anciens habitants d’Augile (cf. les remarques de Duv. Les Touareg du Nord, p. 415) et chez les habitants actuels de l’Aïr (Journ. de voyage d’Erwin de Bary, trad. Schirmer, Paris, 1898, p. 187).
[274]Ritter (Géogr. gén. comparée, III, p. 316) avait dit qu’un mur très large sépare diamétralement la ville, et que les deux tribus ne communiquent que par une porte fermée à la première apparence de trouble. Richardson (1845) et la Relation du voyage de M. le capitaine de Bonnemain, publiée par Cherbonneau en 1857 dans les Nouv. Annales des voyages, n’avaient ni infirmé ni confirmé cette information.
[275]Ou mieux Isaqqamaren.
[276]Mircher (1862) dit 6 à 7.000 (ouv. cité, p. 98) ; Rohlfs (1865) dit 5.000 (Quer durch Afrika, Leipzig, 1874, I, p. 81).
[277]Imanghasaten. Sur leur rivalité avec les chefs des Oraghen, voir Les Touareg du Nord, p. 355-6 ; voir aussi Schirmer, Pourquoi Flatters et ses compagnons sont morts. Paris, 1896, p. 15-20.
CHAPITRE V
A GHADAMÈS (suite)
6 septembre.
Autrefois, les Beni Oulid et les Beni Ouazit étaient ennemis ; aujourd’hui encore, ils sont loin d’être amis, et leur inimitié s’est seulement transformée en jalousie. Encore aujourd’hui, les Beni Oulid ont l’ouest, c’est-à-dire voyagent à Tunis et au Souf ; les gens de ces contrées viennent aussi à eux. Ils ont aussi Douirat et Nalout. Les Beni Ouazit, au contraire, vont à Tripoli et dans l’est et les gens de ces contrées viennent descendre dans leur quartier.
On prétend maintenant que les seuls individus atteints de fièvres à Ghadāmès les ont emportées soit de Derdj (les soldats), soit de Ouargla et du Fezzan. Ceci expliquerait ce phénomène qui est singulier vu l’élévation de Ghadāmès et la nature de son terrain[278].
On m’apporte une inscription latine. Elle est gravée sur une plaque de grès assez tendre, rougeâtre ; le fac-similé que j’en ai fait est exact ; elle ne présente, du reste, guère de difficultés pour la lecture des lettres, même de celles des deux mots qui ont été martelés. L’endroit d’où provient cette inscription, et que j’ai été voir aujourd’hui, contient les fondations d’un édifice, sûrement l’un des « castrorum » indiqués dans le texte de l’inscription[279]. Cet endroit peut être déterminé de la manière suivante : En tirant une droite d’El-Esnām à la pointe des jardins que j’ai relevés sur la gauche en venant de Sidi Maabed, les fondations dans lesquelles on a déterré l’inscription sont à peu près au milieu des deux points. Malheureusement, cette inscription est incomplète. Je n’en ai sous les yeux qu’une moitié, c’est-à-dire le milieu, auquel il manque les deux côtés. Les côtés cassés, surtout celui de gauche, ont été polis et travaillés, comme si on s’était servi de cette pierre pour une bâtisse plus récente.
Inscription romaine trouvée a Ghadamès.
Hauteur de la pierre, 0m,52. — Largeur, 0m,26.
Les lettres des deux premières lignes ont 1 centimètre de plus que les autres. Le trait de la gravure est brisé partout où il y a eu martelage.
Je dessine les chapiteaux des colonnes de la place d’El-Aouïna[280]. J’apprends que, dans la mosquée, il y en a beaucoup de semblables, mais, quoique ce soit un sujet curieux d’études que ce monument qui a peut-être eu autrefois une autre destination, je ne crois pas pouvoir demander de les voir[281].
J’ai été faire une longue promenade aux Esnām et de là aux tentes des Touareg du Dhahara. J’ai passé auprès de la cabane de paille proprette de Tekiddout ; elle était là, par terre ; quand elle m’a vu, elle m’a salué en riant et en mettant ses mains sur sa figure. Je vois là des charges de chameaux arrangées par terre et je vois venir des chameaux chargés, qui sortent de la ville. Tout cela est encore pour In-Salāh, et, tous les jours, partent de petits partis de Touareg.
Du Dhahara, ce plateau où sont les Touareg, on a une vue très étendue sur la Hamada vers l’est ; on voit là se dérouler cette surface déserte et nue, avec ses différentes teintes ; des blancs éclatant au rouge pâle, et les nombreuses « goūr » ou témoins qui la surmontent. Ghadāmès pointe à travers les palmiers et l’on n’en aperçoit que les sommets curieux des maisons, blanchies à la chaux ; ces coquettes terrasses blanches ressortent d’une manière très agréable à l’œil de la verdure foncée des palmiers.
Je rentre en ville et vais à la source où je me baigne. L’eau est tiède ; en hiver elle fume. La source qui alimente le bassin est très forte, car, les Ghadāmsia ayant vidé il y a quelque temps l’immense bassin qu’elle remplit, il ne fallut à la source que trois demi-heures pour rétablir le niveau ordinaire. Ces trois demi-heures représentent 70 qila ou mesures du petit entonnoir en līf qui, rempli d’eau et jusqu’à ce qu’il soit vide, représente un qīla. Plus tard, je mesurerai approximativement la capacité du bassin de la source, et obtiendrai ainsi le jaugeage approché de la source. Des négrillons se baignaient en même temps que moi ; ils nagent comme des chiens, refoulant l’eau derrière eux, alternativement d’un bras et de l’autre. Ils nagent du reste comme des poissons. La source ne renferme pas de poissons, ni de coquillages. On y voit quelques plantes aquatiques cryptogames et des libellules rasent la surface de l’eau. Othman vient le soir et me dit que Ikhenoukhen ne s’oppose pas à ce que j’aille à Tripoli.
Quand les Touareg ici perdent quelqu’un, ils changent de suite l’emplacement de leur tente.
Le 7 septembre.
Je vais voir Sid el Bakkay, le parent de Sidi Ahmed de Tombouctou ; je lui fais présent d’un haouli de fabrique et d’une tabatière d’argent, deux des objets que j’ai reçus du gouvernement pour faire des présents. Je trouve un homme civilisé, qui cause de Barth (dont je lui montre le billet)[282] et qui m’invite à aller à Tombouctou, m’assurant que Sidi Ahmed me préserverait du mal, comme il en avait défendu mon ami. Je suis très content de la connaissance de ce marabout ; il est très intelligent et très convenable.
Je reçois dans la gaïla des visites de Tekiddout et de sa sœur Chaddy ; cette dernière finit par m’avouer qu’elle a une maladie dont je lui donne le remède. Tekiddout m’écrit sur une feuille de papier ses pensées qui n’étaient pas tout à fait orthodoxes ; nous restons un bon moment à blaguer, tout à fait en petit comité.
Je vais voir Hadj Ahmed ou Mohammed, et lui dis que je vais partir ; il m’encourage à aller à Tripoli et me dit que la route est sûre.
Le 8 septembre.
Le matin, je vais voir Ikhenoukhen que j’exhorte de plus en plus à se rendre à Alger ; il me fait entrevoir qu’il me donnera, à mon départ, un de ses frères ; lui, ne peut pas quitter son pays à cause de l’état des esprits.
Je reviens chez moi et reste à écrire plusieurs lettres. Dans la gaïla, je reçois la visite d’une négresse très jolie et très richement habillée ; elle est de Ghadāmès. Je n’ai jamais vu une personne aussi pleine de fantazia : elle est près de mettre la maison sens dessus dessous, mais cela m’amuse beaucoup. Comme elle était venue en compagnie d’une voisine de traits moins délicats, elle s’en va avec elle, mais dit à Ahmed qu’elle reviendra et qu’elle veut venir habiter près de nous. La manière dont elle s’est introduite est curieuse. Elle dit à Ahmed dans la rue : « Je veux voir le consul. » — « Que lui veux-tu ? » — C’est lui qui m’a dit de venir.
Vers l’aser[283], Si ’Othman se présente et j’envoie Ahmed avec lui remettre à Ikhenoukhen le présent que je lui destine et dont je lui ai parlé depuis longtemps. Ce présent se compose de 100 douros (500 francs) pour lui et de 50 douros (250 francs) pour son frère Omar el Hadj.
Ahmed revient seul. Il est resté longtemps et me raconte ce qui s’est passé. Ikhenoukhen n’accepte pas cette somme ; elle ne lui suffit pas, prétend-il, à nourrir sa jument un mois. Il est ici, à Ghadāmès, mal vu par tout le monde, mal vu par les Turcs, mal vu par ses frères les Touareg, et tout cela à cause de sa prédilection pour les Français. Il ne mange ici que sur la ville et il a du « nif[284] » avec elle. Pourquoi les Anglais sont-ils préférés ? C’est parce qu’ils jettent les douros à droite et à gauche. Ils lui ont donné à lui et à ses frères 900 douros (4.500 francs) et des effets (expédition de Richardson, etc.). Partout où les Anglais ont passé, ils ont rempli le ventre du monde. Ce n’est qu’en les imitant que nous pourrons nous faire un parti. Lui, doit m’accompagner à Rhat avec tous ses parents et ses amis ; il faut avancer en forces et la somme que je lui donne ne suffit pas de loin à cette expédition. Enfin ses compagnons sont tous venus lui demander leur part de mon présent et il ne lui restera rien. Si nous étions venus pour avancer avec de tels moyens, nous n’avions qu’à nous en retourner en paix ; il nous donnerait une ou deux fois autant que cela. Les Ghadāmsia étaient prêts à faire de grands sacrifices pour empêcher que je réussisse. Cette nouvelle me bouleverse, et Si ’Othman ne vient pas le soir. J’annule mon départ demain pour Tripoli.
Le moudir vient ; je le reçois comme un chien dans un jeu de quilles, tant je suis de mauvaise humeur ; du reste, il vient pour me recommander de lui apporter 20 litres de liqueurs, ce qui est peu délicat de sa part. Je le force à se lever et à s’en aller.
Ikhenoukhen m’a affirmé que la nouvelle de la lettre de Sidi Hamza est vraie. Elle a été apportée au chef des Oulād Messāoud, qui est parti d’ici hier ; il est certain que cet homme a la lettre parce qu’il a juré que c’est vrai. Sidi Hamza recommande de me tuer, moi et Si ’Othman ou bien les Oulād Messāoud ne valent rien. Nous ne savons pas d’où la lettre est arrivée, mais à coup sûr, c’est Ouled el Ghediyyēr qui l’a apportée ou un autre Chaanbi qui nous a précédés ici de quelques jours seulement.
Le 9 septembre.
Othman vient de très bonne heure, je l’envoie à Ikhenoukhen lui demander quelle est la somme qu’il juge nécessaire que je lui donne. Ikhenoukhen se refuse à parler dans ce sens et me fait prier de me rendre auprès de lui dans la soirée. Je passe une journée très monotone ; tout le monde me croit parti.
Le soir, je vais au camp du chef des Azgar. Il vient au-devant de nous avec son frère Omar el Hadj. Je vois qu’Ahmed a exagéré la valeur du discours d’Ikhenoukhen hier ; ce chef est fâché de l’impression que j’en ai reçue. Il me dit que la somme que je lui ai donnée ne compte pour rien chez lui, que de tels cadeaux sont ceux qu’il peut faire, lui. Tous ses compagnons vont lui demander leur part du présent que je lui ai fait et il ne lui en restera plus rien. Je lui répondis que, s’il en était ainsi, je préférais ne rien décider de moi-même, et demander avis au général gouverneur ; qu’une occasion se présentait aujourd’hui tout à propos. Ikhenoukhen approuva cette décision ; il me demanda de faire connaître au général l’état des choses et les services qu’il était disposé à nous rendre, ajoutant que la réponse, quelle qu’elle soit, serait la bienvenue. Quant à moi, il me demanda de ne pas me tracasser, d’aller tranquillement à Tripoli et qu’à mon retour, je le trouverais ici, et que j’atteindrais mon but de toutes façons, même sans présent. Il insista pour me faire bien sentir que la chose qu’il craindrait la plus au monde serait d’entendre dire qu’il eût imposé des conditions de force à son hôte.
Je quittai Ikhenoukhen, réconcilié avec lui, et même impressionné par la noble tournure avec laquelle il envisageait l’affaire.
Je passai la soirée à écrire des lettres qui partiront demain.
10 septembre.
Dans la matinée, je me rendis avec le Ghadāmsi, ami de ma nation, qui m’a donné l’inscription latine, pour examiner une pierre sculptée qui avait été déterrée l’an dernier dans des constructions souterraines tout près d’une maison nommée Taskô[285], un très ancien bordj qui appartenait autrefois au gouvernement, mais que Hadj Mohammed Heika a acheté[286].
Le moudir m’envoie un billet en me priant de lui rapporter de Tripoli 28 bouteilles de liqueurs ; je m’empresserai de ne pas exécuter cette modeste commission.
Il arrive une nombreuse caravane de Tripoli ; je ne note pas tous les arrivages de ce côté, j’aurais trop à faire.
Nous avons une nouvelle curieuse. Les Ourghamma sont réellement allés en expédition. Ils ont attaqué près de Sinaoun la caravane qui avait amené Hadj Ahmed ou Mohammed, et qui retournait vers Tripoli. Ils ont emmené les chameaux, mais les gens de Sinaoun sont partis à mehara et ont rattrapé le rhezi près de son pays ; ils sont tombés sur six cavaliers, pendant que les autres étaient allés faire boire leurs chevaux, et ont enlevé tout le butin et, je crois, les selles des cavaliers.
11 septembre.
Je reprends l’étude de la langue targuie. Tekiddout me trouve trop peu généreux, au moins le prétend-elle, et prétexte toutes sortes d’occupations pour ne pas se charger de m’écrire de nouveaux papiers. Ihemma m’a trouvé une autre femme jeune, jolie, blanche et modeste qui vient avec lui ; elle a, de plus, la qualité de ne pas comprendre un mot d’arabe. Elle me promet de revenir et de m’apporter de l’écriture tefīnagh. Elle l’écrit avec de l’ocre rouge et de l’encre.
Othman vient me demander des médicaments pour la femme d’Ikhenoukhen ; ce chef la répudie, mais elle vit toujours à ses côtés avec ses enfants. Elle me demande un collyre pour les yeux et de la quinine.
Le qadhi, qui est un gros homme bien modeste et assez bon, je crois, m’envoie un bout de papier sur lequel est copié ce passage d’un livre musulman, passage relatif à Ghadāmès[287].
« Ghadāmès est dans le Sahara à sept journées (de marche) du Djebel Nefousa. C’est une jolie ville, ancienne et antérieure à l’islamisme. Les peaux dites ghadamsi tirent leur nom de cette ville. On y trouve des souterrains et des grottes[288] qui servirent de prisons à la reine Kahina qui régna en Ifriqiya. Ces souterrains ont été édifiés par les anciens. Ce sont de merveilleuses constructions et leurs voûtes, établies au-dessous du sol, font l’étonnement du spectateur. En les examinant, on voit qu’elles sont l’œuvre de souverains anciens et de nations aujourd’hui disparues.
« Le pays n’a pas toujours été désertique et il a été autrefois fertile et peuplé. Le comestible qu’il produit en plus grande abondance est la truffe, appelée par les habitants terfâs. Elles deviennent si grosses dans ces régions que les gerboises et les lièvres y creusent leurs gîtes.
« Ghadāmès est le point d’où on se rend à Tadmekka et autres localités du Soudan qui en est située à quarante jours de marche. Les habitants sont des Berbères musulmans ; ils portent le voile à la façon des autres Berbères du Sahara, tels que les Lemtouna et les Messoufa. »
Ici se termine le passage extrait du livre intitulé : Erraudh el-miʿ-ṭâr fi akhbâr el-aqṭâr dont l’auteur est Abd-Ennour el Ḥimyari el Tounsi. Ce passage a été transcrit par Mohalhil el Ghadāmsi dans son ouvrage intitulé : Menâqib Ech-cheikh Sidi Abdallah-ben-Abou-Bakr El-ghadamsi.
Autant que ma mémoire est fidèle, ce passage est le même que celui de l’anonyme du sixième siècle de l’hégire publié à Vienne, par M. Alfred de Kremer. S’il en était ainsi, nous aurions le nom de l’auteur de ce livre, lequel nom est jusqu’à présent inconnu.
12 septembre.
Je vais faire une longue promenade ce matin. Je m’enquiers d’abord de la santé de Sid el Bakkay auquel j’enverrai des médicaments ce soir. De là, je me rends aux tentes des Targuiāt ; j’en trouve une couchée, malade d’un anévrisme (cette affection serait-elle commune chez les Touareg ?) et ayant des hémorragies par le nez. De là, je me rends à la zériba de Tekiddout, j’y trouve le moutard malade, qui va un peu mieux, avec son père Kel es Soūki[289] qui a été à Alger ; mais les dames sont absentes et je n’ai pas ce que je désirais le plus. J’examine leur intérieur ; il y a une natte assez proprement arrangée dans un coin et formant chambre, où l’on doit être à peu près chez soi. Je vois là la rebaza que la célèbre courtisane sait si bien manier. Le corps du violon et l’archet sont couverts d’inscriptions tefinag qui viennent de la main de ses auditeurs. Un certain nombre de vases, en gourdes et en nattes, complète l’ameublement ; la cuisine est dans un coin à l’extérieur et elle est garantie par un mur.
Là commence le cimetière des Beni Ouazit. C’est quelque chose d’effrayant que l’immense espace couvert des tombeaux de cette moitié de la population de la ville. Il y en a de tous les âges, depuis la période païenne jusqu’à nos jours. Les plus récents sont indiqués par deux pierres droites peu élevées, situées à la tête et aux pieds du mort. L’espace qui sépare ces pierres est limité par une petite ligne de gros cailloux de chaque côté du corps, les deux lignes sont très resserrées. Puis viennent des tombeaux plus anciens ; les pierres à la tête et aux pieds deviennent très grandes, elles atteignent, en certains endroits, hauteur d’homme. J’ai cherché en vain sur leur surface des signes ou des dessins : je n’y ai rien trouvé ; ces tombeaux datent, selon la tradition, d’avant l’islamisme. Puis viennent enfin les plus anciennes sépultures, beaucoup plus vastes que les précédentes ; elles affectent des formes ovales, rondes ou carrées (quadrilatères allongés) ; on n’y remarque plus des pierres droites, mais des enceintes très bien déterminées et des fondations solides et soignées. Quelques-uns de ces tombeaux ronds sont indiqués par une bosse de terrain avec des débris de constructions et forment ainsi des tumulus[290]. Les tombeaux portent le cachet d’une haute antiquité et sont très intéressants ; je reviendrai les étudier. Ils m’ont vivement rappelé les petites enceintes que Mac-Carthy et moi avons rencontrées en 1857 sur la route de Taguin à Boghar. Mais ces dernières n’avaient pas l’air aussi soigné que celles de Ghadāmès.
Nous traversons les routes de Tripoli et des endroits entourés de murs en démolition qui indiquent la place d’anciens jardins, aujourd’hui tout à fait détruits et abandonnés. Nous laissons à droite El Bir, construction de pierre assez remarquable, et entrons dans la ghaba. Je remarque un amandier. Nous rentrons en ville après avoir traversé une partie des rues qui m’étaient inconnues et où je rencontre des chapiteaux de colonnes et des colonnes carrées, des pierres plates, etc., toutes de constructions et de travail anciens.
Māla, ma gentille amie targuie, m’apporte de l’écriture tefinagh et me l’explique avec Ihemma. J’envoie à Moussa, frère de Kelāla, un des jeunes champions les plus puissants d’Ikhenoukhen, un cadeau consistant en un haouli de fabrique, rouge, pour femme (acheté d’Othman) et un haïk de fabrique, blanc, pour homme.
13 septembre.
Je retourne aux tombeaux. En passant, je vois Sid el Bakkay, mais le trouvant très occupé, je le laisse avec son entourage, Omar el Hadj, etc., et je continue mon chemin. Je lui laisse des médicaments pour lui et pour son domestique ; entre autres, de l’aloès enveloppé de papier de plomb. J’apprends ensuite qu’il a mangé le médicament et son enveloppe.
Je remarque sur le rebord de la hamada, en haut de l’immense cimetière, des marques très anciennes creusées dans le roc ; ce sont des trous ronds très régulièrement creusés, en nombre inégal, sur les pierres plates ; ces trous forment autant de petits réservoirs ou bols dans lesquels les moutards Touareg s’amusent à pisser, mais qui n’ont pas dû avoir toujours la même destination. Je remarquai ensuite des tracés de contours de sandales ou de souliers, plutôt les premières. Si je me souviens bien, la pointe était dirigée vers la ville, c’est-à-dire vers l’est et, ces contours de sandales rapprochées, telles que celles d’un homme debout, et ces petits réservoirs, pourraient bien indiquer la place où se tenait un homme et celle où il sacrifiait aux mânes des morts du cimetière.
Je remarque en examinant de plus près les tombes que celles qui sont indiquées par une pierre à la tête et une aux pieds du mort, quelque grandes et pointues que soient ces pierres, sont toutes musulmanes ; en les regardant bien, je découvre quelques fragments d’inscriptions arabes indiquant les noms des principaux personnages, nous remarquons ceux de femmes maraboutes, et celui d’un Es Soūqi, ancêtre de Si ’Othman. Les grandes tombes carrées et celles qui sont arrondies surtout doivent seules avoir une antiquité antérieure à l’Islam.
En sortant de cet amas de tombes, nous arrivons, toujours dans la dépression où la ville est bâtie et où se trouvent aussi les cimetières, à un endroit où le sol se compose d’une pâte cristalline légère de plâtre[291]. C’est là un des endroits où on l’exploite, c’est-à-dire où l’on en extrait. Cette roche est identique à celle qui se retrouve partout dans l’Oued Righ, et principalement au puits d’El Hachchāna près de Chegga du Sud.
Nous montons la hamada qui ne domine Ghadāmès que de 3, 4 mètres de ce côté. Le sol est composé de pierres très grosses et d’autres plus petites semées sans ordre et s’appuyant sur le plateau. La couleur du calcaire varie du blanc au brun et au gris de rouille. Je découvre des empreintes de différents bivalves, notamment d’une coquille à côtes (griphus)[292].
D’ici, nous plongeons directement sur El-Esnām, laissant à droite assez loin, le Dhahara avec les tentes des Touareg. Nous rencontrons des tombeaux d’un autre ordre et d’une antiquité moins incertaine ; ils ressemblent en tout à ceux des environs de Djelfa que je visitai en 1857 avec Mac Carthy et le Dr Reboud. Ce sont de petites enceintes en grandes pierres plates, ouvertes par une des petites extrémités et qui devaient être autrefois recouvertes par d’autres pierres plates. Ces tombeaux ne me paraissent pas devoir renfermer un homme étendu, mais bien dans une position repliée, assis, accroupi ou autrement. La plupart de ces sépultures ont été fouillées ; nous-mêmes en creusons une et sortons quelques ossements et un petit morceau de cuivre qui devait faire partie d’une parure indigène. Les tombeaux de ce genre, de différentes grandeurs, sont fréquents ; et on les trouve dans différents degrés de conservation. Ihemma m’assure qu’à Rhat, il y en a et que l’on en rencontre quelquefois en plein Sahara[293].
En approchant d’El-Esnām, les hautes constructions du plateau, Ihemma me raconte que, près des piliers immenses, se trouvent des tombeaux en forme de buttes sur lesquels les femmes des Touareg allaient se coucher lorsque les Touareg étaient en expédition et où elles obtenaient des nouvelles. Elles se paraient de leur mieux et allaient se coucher sur le tombeau ; alors venait « idébni », esprit, sous la forme d’un homme, qui leur racontait ce qui s’était passé dans l’expédition. Si elles n’étaient pas bien parées, il les étranglait. Ces révélations ont lieu en plein jour et on me dit qu’elles sont toujours vérifiées[294]. Les Touareg, du reste, sont très superstitieux ; ils n’osent pas se présenter seuls à la tombe d’un de leurs amis de peur qu’il ne revienne.
Dans la soirée, j’ai un exemple de la liberté des relations qu’il y a entre les Touareg. Ihemma, qui a à peine vingt ans, conseille à Othman qui en a près de soixante, de ne pas sentir du camphre que je lui offrais de crainte qu’il ne perdît ses forces sexuelles en lui disant que Tekiddout prétendait qu’il était l’amant d’une femme qu’il nomma. Othman assura que ce n’était pas vrai et ne fit aucun reproche à Ihemma de son observation.
Les Ifoghas, qui écoutent les conseils d’Othman, et lui obéissent en quelque sorte, sont exaspérés de la conduite des Mérazig[295] qui devaient apporter leur tribut à Othman ; ils parlent d’aller les razzier.
La rebazā, cette espèce de violon ou de violoncelle des dames targuies, forme un point important de la vie de ces gens. Tous les soirs, j’entends jouer de cet instrument ; hier des Imrhad chantaient. Lorsque les Touareg se battent entre eux et qu’un parti est mis en déroute, les vainqueurs crient avec ces cris sauvages qui sont particuliers aux Touareg : « Hé ! Hé ! Il n’y a donc pas de rebazā ? » Alors il est rare que les vaincus ne reviennent pas à la charge avec fureur. La crainte du qu’en-dira-t-on des femmes a une grande influence sur les Touareg.
14 septembre.
Aujourd’hui, je ne fais pas de promenade ; j’ai une longue leçon de tefinagh avec Mala et Ihemma. Mala est toute jeune, sans méchanceté ni préventions et très jolie. Pendant la leçon, je m’amuse avec son petit pied et, après la leçon, quand Ihemma s’en va, j’échange plusieurs baisers avec elle. Nous sommes donc très bons amis. Elle m’a promis de revenir à mon retour et de me jouer ici de la rebazā.
Dans l’après-midi, je travaille à emballer ; j’arrange dans ma chambre les objets que je laisse et je mets dans les cantines le peu de bagages que j’emporte.
Je vais, le soir, avec Othman voir Ikhenoukhen, qui vient avec son frère ; j’apprends que j’ai maigri depuis mon arrivée. C’est le chef des Azgar qui me fait cette remarque. Je décide Ikhenoukhen à écrire au général gouverneur de l’Algérie. Ikhenoukhen me dit adieu et me dit que tout sera facile, faisant allusion probablement à mon voyage à Rhat. Je dis à Si ’Othman ce qu’il faudrait écrire dans la lettre.
15 septembre.
Emballage et départ pour Tripoli.
[278]Rohlfs y mentionne cependant des moustiques (Quer durch Afrika, I, p. 74).
[279]Duveyrier donne ici au mot castrorum un sens trop précis. Cf. au sujet de cette inscription la lettre suivante de Tissot, à qui Duveyrier avait communiqué son estampage : «... Grâce à l’estampage, j’ai pu corriger quelques incertitudes qui se sont glissées dans le fac-similé (ceci pour votre seconde édition). Le P de la 2e ligne est certainement un D. L’antépénultième lettre de la 6e ligne est un P. (J’ai obtenu une image très exacte et directe de l’estampage en la posant sur un lit de farine : les moindres détails sont alors moulés comme certains lézards le sont dans le sable du Sahara). En cherchant à restituer l’inscription tout entière et en calculant le nombre de lettres absentes, j’arrive à la lecture suivante :
A l’Empereur César M. Aurélius Severus Alexander Pieux, Heureux, Auguste, et à Julia Mammaea Auguste, mère d’Auguste et des Camps. Par l’ordre de M. Ulpius Maximus (?) Légat Propréteur d’Auguste, personnage clarissime, le détachement de la Légion Troisième Auguste Pieuse, Vengeresse, commandé par..., Centurion de la dite Légion, a achevé [ce monument].
« Nous connaissons trois légats propréteurs d’Afrique sous Alexandre Sévère : le nom qui m’a paru convenir le mieux, eu égard à la place disponible, est celui que j’ai fait figurer à titre purement hypothétique dans la restitution. » (Lettre du 7 avril 1879). Voir aussi le texte définitivement adopté par MM. R. Cagnat et J. Schmidt (C. I. L., VIII, Suppl. Pars I, 10990).
Quant à la nature de ces ruines, Duveyrier a été plus tard beaucoup moins affirmatif. On lit sur un brouillon de lettre à M. Cagnat : « Dans Les Touareg du Nord, p. 252-3, j’ai eu tort de m’exprimer comme si le camp de Ghadāmès était une réalité vue ; j’ai supposé que Cidamus devait avoir possédé un camp. Voilà tout. » Comme l’a établi M. Cagnat (L’Armée romaine d’Afrique, Paris, 1892, p. 555), on ne peut douter de l’existence de la forteresse romaine. Mais son emplacement reste incertain.
[280]Cf. Les Touareg du Nord, pl. X.
[281]En 1864, Rohlfs, voyageant comme mokaddem de l’ordre de Mouley-Taïeb d’Ouezzan, a pu pénétrer dans les mosquées de Ghadāmès. « Toutes, comme j’ai pu m’en assurer moi-même, reposent intérieurement sur des colonnes romaines, qui toutefois sont disposées pêle-mêle, sans ordre aucun : ici une colonne dorique à côté d’une colonne corinthienne, là une colonne ionique à côté d’une colonne dorique, etc. » (Reise durch Marokko und Reise durch die grosse Wüste, 4e édit., Norden, 1884, in-8o, p. 245-6.)
[282]Recommandation de Barth pour le cheikh el Bakkay de Tombouctou.
[283]Deux à trois heures avant le coucher du soleil.
[284]Avoir du nif avec quelqu’un signifie « être en délicatesse avec lui ». Au propre, fin veut dire nez et, métaphoriquement, amour-propre, susceptibilité. (O. H.)
[285]Taskô est le nom d’une des rues de Ghadāmès. (Voir Les Touareg du Nord, p. 262 ; Mission de Ghadāmès, p. 99.)
[286]Voir le dessin et la mention de ce bas-relief dans Les Touareg du Nord, pl. X, p. 250-251. Le journal donne quelques détails complémentaires : « La hauteur de la pierre est d’un peu moins de 55 centimètres et la largeur de 50 centimètres à peu près. Les accidents ont rendu incertains plusieurs des contours, principalement la figure des deux personnages. »
[287]Ce passage, traduit par M. le professeur Houdas, est en arabe dans le manuscrit de Duveyrier.
[288]Ce mot doit être entendu dans le sens de cavité souterraine artificielle ; il sert à expliquer le synonyme précédent d’un usage moins courant (O. H.).
[289]De la tribu des Kêl es Soûk.
[290]Cf. E. de Bary, Senams et tumuli de la chaîne de montagnes de la Tripolitaine, trad. du Dr Dargaud, Revue d’Ethnographie, II, 1883, p. 426-437 ; — Foureau, Mission chez les Touareg. Paris, 1895, p. 8, 34-35, 102, etc. ; G. Mercier, Les mégalithes du Sahara, Rec. des Notices et Mém. Soc. d’archéol. de Constantine, 1900, p. 247, etc.
[291]Voir l’analyse, Touareg du Nord, p. 47.
[292]Cf. Les Touareg du Nord, p. 47 ; Vatonne, Mission de Ghadāmès, p. 268-269. Ces bivalves n’ont pu être déterminés.
[293]Voir Tissot, I, p. 499-501 ; Erwin de Bary. trad. Schirmer, p. 41-42 ; Rabourdin, Documents relatifs à la mission Flatters, Paris, 1885, p. 256.
[294]Cf. Erwin de Bary, trad. citée, p. 187-188.
[295]Tribu du Nefzaoua, ayant pour centre l’oasis de Negga et fréquentant le marché de Ghadāmès.
ERRATA
| Page | 11 | au lieu de : | dhomran, | lisez : | dhomrân. | ||
| — | 18 | — | سڢش | — | سڢشى (O. H.). | ||
| — | — | ligne 11, | — | soufar, | — | sefâr. | |
| — | 20 | ligne 4, | — | El Benib, | — | El Bouïb (O. H.). | |
| — | 22 | — | نصر صن الله | — | نصر من الله (O. H.). | ||
| — | — | — | اله لا اله | — | لا اله الا الله (O. H.). | ||
| — | 26 | ligne 13, | — | Insalah, | — | In-Salah. | |
| — | 26 | dern. ligne, | — | en Arabes, | — | en arabe. | |
| — | 34 | ligne 18, | — | lebīn, | — | lebbîn. | |
| — | 40 | note [74] | — | Entonnoir, | — | Dépression (O. H.). | |
| — | 42 | ligne 15, | — | Hamamma, | — | Hammama. | |
| — | 43 | note [78] | — | ذصان | — | ذمران (O. H.). | |
| — | 48 | note [84] | — | Zegzeg, | — | Zefzef (O. H.). | |
| — | 57 | av.-dern. l. | — | Oumel | — | Oumm el (O. H.). | |
| — | 58 | ligne 37, | — | Si Ali Sari, | — | Si Ali Saci. | |
| — | 101 | ligne 1, | — | La tribu, | — | Le tribut. | |
| — | 111 | ligne 8, | — | lecrīma, | — | berima (O. H.). | |
| — | 111 | ligne 10, | — | صبل | — | طبل (O. H.). | |
| — | 112 | ligne 33, | — | احن َڢم | — | احناڢم (O. H.). | |
| — | 120 | ligne 13, | — | غكلن | — | غدران (O. H.). | |
| — | 127 | note [189] | — | Duocyries, | — | Duveyrier. | |
| — | 128 | lignes 6 et 19, | — | Merd-jadja, | — | Merdjadja (O. H.). | |
| — | 131 | note [195] | — | ٮادج | — | حلاج (O. H.). | |
| — | 137 | ligne 20, | — | Ia chïfā | — | Ya chïfā (O. H.). | |
| — | 140 | note [214] | — | Toile de bât, | — | (tellis) sac pour mulet ou cheval. | |
| (guerara) sac pour chameaux (O. H.). | |||||||
| — | 144 | ligne 8, | — | Abed el Qader, | — | Abd el Qader (O. H.). | |
| — | 146 | — | ouran, | — | ourân. | ||
| — | 150 | lignes 1 et 9, | — | Roubaaya, | — | Roubayaa. |
ADDENDA
P. 53, 81 : travaux hydrauliques dans le Sud tunisien : Cf. les études du Dr Carton dans Bull. archéol. du Comité des Travaux hist. 1888 et Rev. tunisienne, III, 1896, p. 281 ; Gauckler, Enquête sur les installations hydrauliques romaines en Tunisie, II, Tunis, 1903.
P. 56 : ruines de l’Oued Zitouna : M. le capitaine Privé qui a étudié cette région de 1881 à 1884, a signalé les restes de trois oppida au débouché des gorges du Zitouna. (Cf. pour l’extension progressive de la colonisation romaine vers le Sud, J. Toutain, Note sur une inscription trouvée dans le Djebel Asker au Sud de Gafsa (Bull. Archéol. Comité Trav. hist. 1903, p. 202-205).
P. 57, note [100] : Dans un mémoire très important (Notes et documents sur les voies stratégiques et sur l’occupation militaire du Sud tunisien à l’époque romaine, par MM. les capitaines Donau et Le Bœuf, les lieutenants de Pontbriand, Goulon et Tardy, Bull. archéol. Comité Trav. hist., 1903, p. 272-409), M. J. Toutain a groupé tous les renseignements recueillis depuis sur les routes de la région des chotts (routes de Tacape au Nefzaoua, p. 289-303, 336). Voir aussi Gauckler, Rapport sur l’exploration du Sud tunisien en 1903, ibid., 1904, p. 149-150 : route de Capsa à Turris Tamalleni.
P. 65 : El Hamma : il y a en réalité dans l’oasis deux bourgs : El Ksar et Dabdaba, et deux villages : Zaouïet el Mehadjba et Sombat (ce dernier tout récent). Sur El Hamma et le caractère de ses habitants, voir la notice anonyme parue dans la Revue tunisienne, X, 1903, p. 424-436 : Les Beni-Zid et l’oasis d’El Hamma.
P. 66 : El Hamma : P. Blanchet (Mission archéologique dans le centre et le sud de la Tunisie, Archives des missions scient. et litt., IX, 1899, p. 145-146) a donné des détails sur les sources et les restes de construction romaine.
P. 72-3 : Hareïga et Sagui : Cf. Toutain, art. cités, Bull. archéol. Comité 1903, p. 205-7, 287-8 ; ibid., 1904, p. 129, 142, 146 ; Gauckler, ibid., 1904, p. 146-149 : route de Tacapes à Capsa ; 149-150 : route de Tuzurus à la côte par le Sagui.
P. 74 : milliaire d’Asprenas : voir sur un autre milliaire du même proconsul, capitaine Hilaire, Reconnaissance du segment Tacape-Thasarte de la voie romaine, etc. Bull. archéol. Comité 1899, p. 542-555.
P. 75 : Henchir Somàa : Cf. Tissot, II, p. 657-8, et capitaine Donau, Note sur une voie de Turris Tamalleni à Capsa et sur quelques ruines romaines situées dans le Blad Segui, Bull. Archéol. Comité, 1904, p. 356-359.
P. 80 : inscr. de Gafsa : ces textes n’ont pas été retrouvés dans le manuscrit.
P. 96 : inscr. I : voir pour la suite de cette inscr. (dédicace à Trajan par L. Minicius Natalis, légat de la légion IIIe Auguste), Tissot, II, p. 532 ; C. I. L., VIII, 2478=17969.
P. 103, 107 : Oued el Arab : Cf. Enquête administrative sur les travaux hydrauliques anciens en Algérie, publiée par les soins de M. S. Gsell, Bibl. d’archéologie africaine, fasc. VII, Paris, 1902, in-8, Rapport de M. le Lt Touchard, p. 104-114 et croquis.
P. 194 : ligne 4 : Le manuscrit porte ici la mention suivante : « Cette inscription, que je vais envoyer à Tougourt, est très importante, étant la seule qui ait été trouvée à Ghadāmès jusqu’à ce jour. (Faux !) » Duveyrier fait évidemment allusion à Richardson ou à l’inscription publiée en 1847 par Letronne et reproduite depuis dans le Corpus I. L. (VIII, 2). Letronne la tenait de M. de Bourville, chancelier du consulat de France à Tripoli, qui l’avait reçue lui-même d’un Arabe. Cette copie était si défectueuse, qu’on n’en pouvait lire que les deux premiers mots : Diis Manibus (Revue archéol., 1847, p. 301-302.)
Le Corpus (VIII, 2) cite en outre ce passage de Letronne : « Je tiens de M. de Bourville qu’un M. Richardson, agent, disait-on, de la Société pour l’abolition de l’esclavage, se rendit à Ghadāmès vers la fin de juin 1845. Après y avoir séjourné peu de temps, il en revint et remit au consul général d’Angleterre à Tripoli un marbre portant une inscription latine et une figure d’homme en bas-relief, probablement un monument funéraire, qui est peut-être encore à présent au consulat ; M. Richardson déclara qu’il existe à Ghadāmès plusieurs monuments analogues. »
Voici comment s’exprime Richardson lui-même : « This Kesar En Ensara (les Esnam), together with the bas-relief, and the latin inscription, copied by a Moor from a tomb-stone, beginning with the words Diis Manibus, are more than sufficiant evidence to prove that Ghadāmès was colonized. The same Moorish prince who blew up the ruins, carried away also to Tripolis the tomb-stone, from which a Moor copied the inscription, and which transcript I brought with me from Ghadāmès ». (Travels in the Great Desert of Sahara, I, Londres, 1848, p. 356.) — On lit d’autre part dans un rapport de Richardson au Foreign Office (An Account of the Oasis and City of Ghadames), p. 18 : « I have however in my possession a copy of a Latin inscription, said to have been found in a tomb, but so badly copied as to be almost illegible. The tablet of stone was taken away some thirty years ago by an officer of Yousef Bashaw. Also I have a slab, on which there is a very rudely sculptured relief of a Greek or Roman soldier, holding, apparently, a horse ; but only the forepart or the animal remains, the rest is broken off. I will send you this the first opportunity, and if of any value, it may be presented to the British Museum. » Ces deux textes prouvent que Richardson n’a connu et rapporté de Ghadāmès qu’une seule copie d’inscription latine, copie illisible, à part Diis Manibus, tout comme celle de Letronne, et que Richardson ne s’est pas donné la peine de reproduire dans son ouvrage. On peut se demander s’il ne faut pas rapporter les deux copies susdites à un seul et même modèle, qui serait à chercher à Tripoli. En tout cas, la note de Letronne pourrait disparaître d’une nouvelle édition du Corpus, sans que ce magistral recueil risque de paraître moins complet.
INDEX
DES NOMS GÉOGRAPHIQUES ET DES PRINCIPALES
MATIÈRES
- Abadiâ, 15.
- ’Adouan, 15, 101, 125.
- Affadē, 3.
- ’Aïn ed Daouira, 10.
- ’Aïn el Magroun, 65.
- Aïr, 172, 174.
- ’Amich, 15, 117, 125, 136, 143, 144.
- Areg-el-Miyet, 12.
- ’Atrya, 162, 163, 187.
- Azzaba, 116.
- Baghdad, 7.
- Bagirmi, 3.
- Bambara, 3.
- Belidet el Hadar, 50, 56, 84.
- Belīd Oulad Mehanna, 65.
- Beni Brahim, 22.
- Beni-Djellab, 112, 114, 116, 129, 133, 135.
- Beni Mâzigh, 165.
- Beni Mezab, 23, 116, 131, 141.
- Beni Ouaggin, 23.
- Beni Ouazit, 184, 192, 200.
- Beni Oulid, 184, 192.
- Beni Sisin, 22.
- Beni Zid, 64, 66.
- Berrāri, 28.
- Berresof, 148-150.
- Besseriani, 37, 94-98.
- Biskra, 3, 4.
- Blidet-Amar, 28.
- Bornou, 3.
- Chaâmba, 18, 22, 26.
- Chebika, 88.
- Chegga, 8, 9, 114, 136.
- Chemorra, 29, 135.
- Chott El Djerid, 57, 58, 59, 72.
- Chott El Rharsa, 87.
- Chott Melghigh, 10, 110, 114.
- Commerce de Ghadāmès, 166, 168, 170, 172, 174, 185-189, 192, 194, 199.
- Commerce du Souf, 16, 120-123, 139, 173-174.
- Degach, 51.
- Dendouga, 114.
- Derge, 3.
- Dhahâr, 110.
- Dhahâr el ’Erg, 155.
- Djebel Sebaa Regoûd, 54, 85.
- Djebel Tebaga, 63.
- Djedid, 152.
- Djérid, 15, 16, 46-56, 82-86, 121-122.
- Doura, 3.
- Dunes, 10, 11, 12, 14-18, 20, 27, 34, 35, 39, 40, 47, 93, 118, 127, 136, 145, 148, 151, 152, 154-157.
- El ’Aliya, 5.
- El Barĕd, 115.
- El Esnām, 164.
- El Faïdh (plur. El Feyyād), 102, 106, 107.
- El Goléa, 23.
- El Guettār, 77, 78.
- El Hamma, 52, 82, 83.
- El Hamma (Nefzaoua), 52, 65, 66.
- El Hanoūt, 89.
- El Haouch, 109.
- El Menzel, 68.
- El Oued, 15, 16, 36, 117, 119, 139.
- Ez Goum, 123-125.
- Farfaria, 108.
- Felata, 3.
- Ferkān, 101-102.
- Fièvres, 30, 32, 42, 51, 52, 87, 100, 113, 127, 133, 135, 136, 137, 154, 169, 189, 192.
- Fouānīs, 114.
- Gabès, 67, 70.
- Gafsa, 79, 81.
- Ghadāmès, 16, 119, 121-123, 141, 160-204.
- Ghamra, 12, 116, 128, 143.
- Ghomerācen, 70.
- Ghorib, 119, 138, 188, 189.
- Guebba, 52
- Guemâr (Gomar), 12-15, 125.
- Hadamoua, 3.
- Hammâm Salahīn, 5.
- Hammama, 43, 44, 45, 48, 56, 63, 87, 89, 99, 100.
- Haoussa, 3, 9.
- Harazlia, 16.
- Hareīga, 72.
- Henchir es Somăa, 75.
- Ifoghas, 172, 203.
- Imanghasaten, 190.
- In-Salah, 26, 177, 185, 187, 189, 194.
- Irrigation, 47, 48, 50, 53, 66, 77, 78, 86, 89, 102, 103, 106, 164.
- Jiriga, 15.
- Juifs, 16, 46, 58, 66-68, 80, 112, 130, 134.
- Kanembou, 3.
- Kano, 182.
- Katsena, 3.
- Kebilli, 60, 63.
- Kêl es Soûk, 200, 202.
- Kĕriz, 52, 53.
- Kerrekerre, 3.
- Kesàr bent el’Abrī, 56.
- Kessār, 65, 66.
- Koënna, 3.
- Kouïnin, 15, 35, 36, 136.
- Kouri, 3.
- Lemmāguès, 63.
- Liana, 103.
- Logonē, 3.
- Maggari, 3.
- Mandara, 3.
- Manga, 3.
- Mansoura, 59.
- Margi, 3.
- Matmata, 18.
- Mbāna, 3.
- Mboum, 3.
- Medjehariya, 112, 116, 129, 130.
- Meggarîn, 117, 128.
- Merazig, 119, 188, 189, 203.
- Merhaïer, 9, 110-114.
- Merouān, 110, 113.
- Messelmi, 11.
- Mestāoua, 129.
- Midās, 90.
- Monnaie, 37, 121, 126, 137, 139, 141, 174.
- Nafta, Nefta, 46, 47, 48, 49.
- Naylia, 130.
- Nefzaoua, 52, 57, 58-63, 119.
- Negousa, 24.
- Negrīn, 93, 94, 98-101.
- Nesigha, 110, 111, 113.
- Nezla, 127, 128, 132, 143.
- Ngāla, 3.
- Ngouzzoum, 3.
- Nouaïl, 16.
- Ouaday, 3.
- Ouargla, 21, 22, 23, 130, 140.
- Oudiān el Halma, 154.
- Ouad Beyāch, 81, 87.
- Ouad el Arab, 103, 106, 107.
- Ouad el Khorouf, 9, 10.
- Ouad el Miyta, 102.
- Ouad’ Igharghar, 19.
- Ouad Itel, 110.
- Ouad Jardaniya, 124.
- Ouad Mezāb, 25.
- Ouad Retem, 133.
- Ouad Righ, 9, 18, 32, 43, 60, 110-117.
- Ouad Sīdah, 19.
- Oulad Madjed, 52.
- Oulad Abdelkader, 14.
- Oulad Abd es Sadiq, 14.
- Oulad ’Amar, 18.
- Oulad Ba Hammou, 185.
- Oulad-Bou’Afi, 14.
- Oulad el’Aïsaouï, 100, 101.
- Oulad Hamid, 15, 16, 168, 173.
- Oulad Hassen, 114.
- Oulad Hôwimen, 14.
- Oulad Mansour, 136.
- Oulad Moulet, 8, 113.
- Oulad Mousa, 14.
- Oulad Sidi Abid, 92.
- Oulad Sidi Cheikh, 23.
- Oulad Yagoub, 119, 141.
- Oum el Goreīnat, 57.
- Oumm et Tiour, 8, 114.
- Ourghamma, 138, 150, 168, 185, 198.
- Ourhlana, 115.
- Ourir, 110, 112.
- Ourmās, 35.
- Palus Tritonis, 14, 67.
- Puits, 11-13, 19, 26, 31, 34, 38, 41, 42, 106, 118, 120, 126, 135, 145, 152, 156, 159.
- Puits artésiens, 7-9, 26, 107, 113-115, 127.
- Qoreich, 15.
- Rebāya, Roubaa’ya, 143, 148-150.
- Rhat, 172-174, 188, 191, 203.
- Rouâgha, 9, 111-113.
- Ruines romaines, 5, 50-54, 56, 57, 59, 60, 63, 65, 66, 68, 72-77, 80, 81, 85, 86, 88, 89, 92, 94-97, 165, 192-194, 201.
- Saada, 8.
- Sabrīa, 119.
- Săgui, 73.
- Sakomaren (Isaqqamaren), 166, 172, 185.
- Sedāda, 54.
- Selmia, Selmiya, 9, 113, 114.
- Sidi Khelil, 115, 128.
- Sidi Okba, 105.
- Sif bou Delal, 10.
- Sirocco (Chehili), 127, 152.
- Solaā, 119.
- Souf, 14, 15, 35, 117, 120, 136.
- Tadmekka, 199.
- Tagiānoūs, 52.
- Tahrzout, 15, 124.
- Taïbāt, 118.
- Tāla, 133, 134.
- Tamerna, 116, 128.
- Tebesbest, 132.
- Teda, 3.
- Tedjini, 15.
- Tellimīn, 59, 60.
- Temassīn, 132, 133.
- Tinedla, 115.
- Tolga, 15.
- Tombeaux, 200-203.
- Torba, 157.
- Toroud, 13, 15, 119, 125, 143.
- Tŏrra, 58.
- Tougourt, 29, 30, 60, 112, 116, 117, 127-133.
- Touareg, 18, 119, 150, 152, 156, 166-169, 171-173, 175-180, 183-208.
- Tozeur, 50, 51.
- Traite des nègres, 3, 23, 165.
- Tsamia (soie de), 181-182.
- Zaouïas, 49, 132, 159.
- Zaouiyēt ed Debabkha, 58.
- Zenata, 15, 125.
- Zeribet Ahmed, 103.
- Zeribet el Ouad, 104-106.
- Zonghay, 3.