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L'A. B. C. de l'aviation: Biplans et monoplans

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The Project Gutenberg eBook of L'A. B. C. de l'aviation: Biplans et monoplans

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Title: L'A. B. C. de l'aviation: Biplans et monoplans

Author: Louis Gastine

Release date: December 14, 2010 [eBook #34633]

Language: French

Credits: Produced by Laurent Vogel, Christine P. Travers and the
Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net
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*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK L'A. B. C. DE L'AVIATION: BIPLANS ET MONOPLANS ***

Page de garde

L'A. B. C.
DE
L'AVIATION

Biplans et Monoplans

PAR
LOUIS GASTINE

2e mille

Albin MICHEL
Éditeur

22. Rue Huyghens
PARIS

À Gabriel et Charles VOISIN
bien cordialement.

L. GASTINE.

L'A. B. C.
de l'Aviation

DU MÊME AUTEUR

  • Lys Amors d'Helain-Pisan avec Iseult de Savoisy (roman du quatorzième siècle en vieux français), illustré par Ed. Zier. Quantin, édit., Paris.
  • La Chronique d'Helain-Pisan et d'Iseult de Savoisy (traduction du précédent en français moderne), mêmes illustrations d'Ed. Zier. Dentu, édit., Paris.
  • La Chronique des amours d'Iseult (illustrations d'Ed. Zier). Per-Lamm, édit., Paris.
  • Idylle romantique (dans un vieux cadre). Choppin, édit., Givet.
  • Le Mal du Cœur (roman parisien). Savine, édit., Paris.
  • Apôtre (étude philosophique), Genonceaux, édit., Paris.
  • Patria (étude philosophique et sociale). Savine, édit., Paris.
  • Les Millions de Suzette (roman populaire illustré). Boulanger, édit., Paris.
  • Seul sur l'Océan.—La Dérive (roman d'éducation pour la jeunesse), en collaboration avec Mme Noémie Balleyguier, illustrations d'Ed. Zier. Charavay-Mantoux, édit., Paris.
  • La Fille des Angads (roman algérien d'éducation pour la jeunesse), illustré par A. Collombar. Gautier-Blériot, édit., Paris.
  • Le Mensonge du sang (roman populaire), en collaboration avec M. Roger-Milès. Sabatier, édit., Paris.
  • L'Âme errante (conte philosophique). Boulanger, édit., Paris.
  • Nature morte (conte philosophique). Boulanger, édit., Paris.
  • Filles d'Orient (contes et nouvelles d'Orient), illustré par Ed. Zier et René Lelong. Flammarion, édit., Paris.
  • Une trop riche héritière (roman pour les jeunes filles). Prat., édit., Paris.
  • L'Asie en feu (roman d'aventures militaires), en collaboration avec M. Féli-Brugière. Delagrave, édit., Paris.
  • Défends ta peau contre ton médecin (étude professionnelle et sociale), en collaboration avec M. Ch. Soller. J. Roques, édit., Paris.
  • Lucrèce Borgia et la licence italienne (roman d'étude historique), illustré par Ed. Zier. Richardin Per-Lamm, édit., Barcelone.
  • La Belle Tallien, Notre-Dame de Septembre (étude historique), avec illustrations documentaires. Albin Michel, édit., Paris.
  • Reine du Directoire (La belle Tallien) (étude historique), avec illustrations documentaires. Albin Michel, édit., Paris.
  • Le Pavillon d'or (roman d'aventures maritimes pour la jeunesse). May-Mantoux, édit., Paris.
  • Dans l'azur (roman d'aviation), avec une préface de Gabriel Voisin Édition du «Monde Illustre», Paris.
  • Énigme dans l'espace (roman philosophique). Édition de «La France Automobile et Aérienne», Paris.
  • Les Petits Cahiers révolutionnaires de Jacques Brunoy (1789-1800) M. Gautier (Librairie Blériot), édit., Paris.
  • Les Jouisseurs de la Révolution (étude historique avec illustrations documentaires). Édition des Bibliophiles, Paris.
  • Manuel pratique de photographie. Édition de la Chambre syndicale des fabricants et négociants de la photographie, Paris.
  • Les procédés photo-mécaniques et leurs emplois. Ch. Mendel, édit., Paris.
  • La chronophotographie, en collaboration avec M. E.-J. Marey, de l'Institut. Collection des aide-mémoire de M. Léauté, de l'Institut. Masson et Cie, édit., Paris.

L'A. B. C. de l'Aviation

PAR
Louis GASTINE

Ancien collaborateur de M. E.-J. MAREY de l'Institut

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PARIS
ALBIN MICHEL, ÉDITEUR
22 RUE HUYGHENS, 22

Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour tous pays.
Copyright by Louis Gastine, 1911

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2, Rue de la Bourse, Paris

Le Numéro: 50 Cent


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L'A. B. C. de l'Aviation

I

Les premiers conquérants de l'air
Le Ballon sphérique.—Le Dirigeable

Conquête de l'air.—Locomotion aérienne.

Par ses moyens physiques naturels, l'être humain est attaché à la terre.

Il ne peut pas franchir de grandes étendues d'eau à la nage,—les nombreuses tentatives de traversée de la Manche par les meilleurs nageurs l'ont assez démontré,—et ses plongées sont insignifiantes.

Mais, il est arrivé à parcourir artificiellement les vastes espaces océaniques. Aujourd'hui ses moyens de locomotion sur l'eau sont si nombreux, si perfectionnés que son domaine s'est en quelque sorte étalé sur la mer. Il commence même à pénétrer dans l'élément liquide par le sous-marin et par le secours d'appareils à immersion comme le scaphandre et les cloches à plongeur.

Plus récente, est sa pénétration dans l'espace aérien. Elle ne date réellement que de 1783.

Après un début qui fut extrêmement sensationnel[1], l'art de s'élever dans l'air resta longtemps stationnaire.

Après la guerre de 1870, la renaissance de l'aérostation, d'abord lente, finit par prendre un essor assez prompt,—notamment par la fondation de l'Aéro-Club de France,—jusqu'au moment où l'adaptation aux aérostats des moteurs légers, créés par l'industrie de la locomotion automobile, fit accomplir un bond considérable à la «locomotion aérienne» en permettant la réalisation de «ballons dirigeables», réellement dignes de cette qualification.

Mais, plus récemment encore, la naissance presque subite et le développement des «appareils d'aviation» plus lourds que l'air ont donné une autre solution provisoire du problème séculaire de la locomotion aérienne.

Par ce dernier moyen surtout, la conquête du domaine aérien par l'homme a été si rapide que le public, témoin accidentel mal informé des étapes de cette conquête, est porté à les confondre.

On ne lui a pas encore indiqué comment il doit comprendre les termes, mal définis, dont il entend faire usage à propos des engins et des personnes s'élevant au-dessus du sol pour se déplacer dans l'atmosphère.

Ainsi, pour presque tout le monde, l'homme, l'animal ou la machine parcourant un trajet quelconque dans l'air, sans prendre point d'appui sur la terre, fait de la navigation aérienne.

Pourtant, il est tout à fait impropre d'appliquer aux translations exécutées dans l'air un terme essentiellement maritime, qui exprime exclusivement un parcours fait à la surface des eaux (mouvements des navires) ou près de la surface de l'eau (mouvements des sous-marins), tandis que la locomotion aérienne s'effectue dans un milieu (l'air) qui n'a pas de surface déterminée.

L'homme ne peut s'élever pratiquement dans l'atmosphère au delà de 6.000 mètres,—en ballon,—parce que l'air devient, au delà de cette limite, trop raréfié pour la respiration. Il manque notamment d'oxygène et sa température devient trop basse[2].

Mais à cette altitude on est encore bien loin du terme de la couche atmosphérique du globe. Il résulte, en effet, de constatations scientifiques aisément renouvelables, que cette couche peut avoir 50.000 à 70.000 mètres d'épaisseur et que ses dernières traces les plus éparpillées dans l'éther (les moins denses) pourraient s'étendre jusqu'à 800.000 mètres au-dessus du sol[3].

Par rapport à l'épaisseur de la couche d'air enveloppant notre planète,—si tant est que cette couche ait une limite appréciable,—l'homme gravitant dans les plus hautes régions de l'atmosphère où il peut accéder ne se déplace donc pas à la partie supérieure, à la surface de cette couche, comme le navire vogue à la surface de l'eau, mais il en parcourt, au contraire, le fond et le terme naviguer à propos de l'air, doit être proscrit.

Cet exemple, bien caractéristique, montre qu'il faut, avant tout, préciser le sens des termes employés pour désigner les nouveaux moyens de déplacement de l'homme dans l'atmosphère. Or, cette précision découle de l'examen des moyens artificiels mis en usage pour s'élever au-dessus du sol, et c'est pour cela qu'il importe de considérer d'abord ces moyens.

Le plus ancien en date au point de vue des résultats positifs,—car cet A. B. C. visant exclusivement la pratique, doit négliger systématiquement les origines fabuleuses ou légendaires comme celle d'Icare et les tentatives avortées des précurseurs, comme celles de Léonard de Vinci, quelque respectables qu'elles soient,—le plus ancien en date est le ballon.

Le Ballon

Ses moyens.—Son prix.

Le ballon, qu'il soit simple ou dirigeable, est le type du plus léger que l'air.

Nous ne percevons pas, par nos sens, la pesanteur de l'air. Néanmoins il a un poids très notable.

À la température de 0° et au niveau de la mer, un mètre cube d'air pèse près de 1.300 grammes (1.292 à 1.293 gr.)

À mesure que sa température s'élève, il se dilate; les molécules gazeuses qui le constituent s'écartent les unes des autres, elles occupent plus d'étendue. Il en faut moins, par conséquent, pour remplir le même espace. Ainsi, un mètre cube contient une masse d'air moins dense, moins serrée à 50° qu'à 0°, et cette masse, de volume égal est, par conséquent, moins lourde.

Chauffé à 200°, l'air atmosphérique, par sa dilatation, occupe un volume presque double de celui qu'il possède à 0°.

Il en faut donc presque moitié moins pour emplir le même espace, et, pour le même volume, il est, par conséquent; plus léger de moitié.

Cette légèreté lui permet de s'élever dans l'atmosphère plus lourde qui l'environne. La vapeur d'eau, les fumées s'élèvent dans l'air d'une manière analogue.

Cette faculté de s'élever dans l'atmosphère est une force, facile à mesurer, qu'on nomme en aérostatique: force ascensionnelle.

Un mètre cube d'air à 200° possède une force ascensionnelle de près de 500 grammes (493 gr.) et peut soulever, par conséquent, ce poids.

Les gaz plus légers que l'air, tels que l'hydrogène ou le gaz d'éclairage, ont la même propriété par rapport à l'atmosphère. Elle est proportionnelle à leur poids.

Un mètre cube de gaz d'éclairage ne pèse que 500 gr. environ. Le mètre cube d'hydrogène pur, bien moins lourd encore, ne pèse que 89 gr. L'un et l'autre peuvent donc élever presque la différence qui existe entre leur poids et celui de l'air atmosphérique au niveau de la mer à 0°, ce que l'on exprime en disant que le gaz d'éclairage possède une force ascensionnelle de 790 gr. environ et que cette force s'élève, pour l'hydrogène pur, presque à 1.200 gr.

La force ascensionnelle de ces gaz légers a remplacé, presque dès le début de l'aérostation, celle de l'air chaud qui se refroidissait trop vite.

Fig. 1

Dans le ballon sphérique non dirigeable, la force ascensionnelle et la pesanteur, rigoureusement perpendiculaires, sont toujours dans le prolongement l'une de l'autre.

En résumé, le ballon s'élève dans l'air avec une force ascensionnelle qui est proportionnelle à sa légèreté relative, et cette force est telle que si la capacité d'un ballon est suffisante, il soulève, en outre de son enveloppe et de ses agrès, une nacelle contenant des personnes, du lest[4] et un certain nombre d'instruments dont l'usage est nécessaire pour la bonne surveillance des déplacements aériens et des états de l'atmosphère ou du ballon.

Lâché après gonflement par du gaz léger, le ballon ne possède pas d'autre force que cette force ascensionnelle, qui le fait monter ET QUI DIMINUE À MESURE QU'IL MONTE.

Il ne peut se diriger par lui-même. Il est totalement livré aux influences atmosphériques et principalement aux déplacements de l'air dans n'importe quel sens, sauf dans le sens de sa montée.

S'il rencontre un courant de vent allant du Nord au Sud, il est entraîné du Nord au Sud par ce courant, avec la même vitesse; mais il s'élève en même temps dans ce courant, par sa force ascensionnelle et, si elle lui permet de le dépasser, il y échappe après l'avoir franchi.

Des aéronautes entraînés ainsi dans une direction déterminée par un vent peu élevé dans la couche atmosphérique: un vent rasant la terre, l'ont dépassé et se sont vu entraînés au-dessus de ce courant inférieur, par un autre courant supérieur dans une autre direction toute différente. Et l'on conçoit que les mêmes causes peuvent produire les mêmes effets à la descente qu'à la montée d'un ballon.

Dans tous les cas, le ballon qui monte perd de sa force ascensionnelle à mesure qu'il s'élève, parce qu'il pénètre dans des couches d'air de plus en plus raréfiées, moins serrées, et par conséquent plus légères.

Et cette raréfaction de l'air est très accentuée, même pour des altitudes peu considérables. Ainsi, l'air qui pèse 1.293 grammes à 0° au niveau de l'Océan, ne pèse plus que 646 grammes—moitié moins—à 5 kil. 500 m. de hauteur.

Un ballon quittant le niveau de la mer à 0° avec une force ascensionnelle de 500 kilogrammes, n'aurait donc plus que 250 kil. de force ascensionnelle à 5.500 m. au-dessus du sol.

Théoriquement, ce ballon devrait monter jusqu'au moment où l'air, de moins en moins lourd, arriverait à être aussi léger que le gaz dont son enveloppe est gonflée. Mais comme il faut tenir compte du poids de l'enveloppe, des agrès, de la nacelle, du lest et des personnes, sans compter les instruments, le ballon de l'aéronaute s'arrête, en pratique courante, bien avant d'arriver à ce niveau d'équilibre du gaz léger et de l'atmosphère raréfiée.

On arrête, en outre, volontairement sa montée avant qu'il n'arrive dans les hautes régions où, comme il a été dit précédemment, l'air respirable fait défaut et le froid devient excessif[5].

En tout état de causes, lorsqu'il est arrivé à la limite de sa force ascensionnelle, ou à la limite que l'aéronaute lui a imposée[6], le ballon commence invariablement à redescendre pour plusieurs motifs. Le principal c'est qu'il perd son gaz par les parois de l'enveloppe, les soupapes, les joints, etc..., car ces organes sont loin d'être absolument imperméables.

En jetant du lest, l'aéronaute peut retarder sa descente et même faire remonter le ballon. Mais il épuise alors ce lest; il le perd comme le ballon perd son gaz et la descente, inévitable, par déperdition constante de force ascensionnelle met un terme forcé à la durée du voyage aérien.

Soit qu'il s'élève par sa force ascensionnelle initiale ou en jetant du lest, soit qu'il descende en perdant son gaz naturellement ou par la volonté de l'aéronaute, le ballon ne cesse donc pas d'osciller dans le sens de la hauteur et, pendant ces oscillations, les courants d'air qu'il traverse l'emportent à peu près à leur gré.

En revanche, il est déplacé sans aucune secousse, même par un vent vif; il monte haut et les sensations extrêmement agréables, variées, imprévues des ascensions aérostatiques, lorsqu'elles ont lieu dans des conditions favorables, expliquent fort bien comment un petit nombre de personnes fortunées se sont adonnées et se livrent encore à ce sport émouvant.

Un ballon doit avoir une capacité de mille mètres cubes environ pour enlever deux ou trois personnes, et ce nombre de passagers est nécessaire pour allier la sécurité à l'agrément.

Sa valeur est à peu près de 3.000 francs. Il devient hors d'usage en quatre années, par suite des modifications chimiques et physiques normales du tissu de l'enveloppe[7].

Enfin, chaque ascension entraîne une dépense de gaz de 150 francs environ si la capacité du ballon est de 1.000 mètres cubes. De telle sorte que peu d'amateurs peuvent s'offrir le luxe d'un plaisir si coûteux[8].

En revanche, le ballon rachète ces désavantages par son utilité au point de vue de l'étude et de l'exploration scientifique de l'atmosphère.

Il reste jusqu'à présent le roi des hautes altitudes accessibles à l'homme.

On peut ajouter que les ballons-sonde, qui ne portent pas d'aéronautes, mais qu'on lance munis d'instruments enregistreurs spéciaux, réalisent de précieuses explorations des parties élevées de l'atmosphère et que ces explorations seront encore longtemps nécessaires pour l'étude du domaine de l'air[9].

Le Dirigeable

Ses caractéristiques.—Ses moyens.
Son prix de revient.

L'enlèvement d'un ballon dans l'air, avec des passagers dans une nacelle, suggère naturellement le désir de diriger l'aérostat. Cette idée vint, en effet, aux premiers aéronautes dès 1783.

Mais, comme on l'a vu par les considérations précédentes, le ballon est essentiellement indirigeable. Pour concevoir un plus léger que l'air ayant le pouvoir de se conduire lui-même dans l'atmosphère, il fallait commencer par résoudre une série de problèmes. Un précurseur: le lieutenant Meusnier, signalait dès 1784, la majeure partie de ces problèmes et en donnait les solutions remarquables qui sont, sauf des perfectionnements dans les détails, celles que la pratique et la théorie ont fait réaliser dans les dirigeables d'aujourd'hui.

On comprend d'emblée que la forme sphérique du ballon est défavorable s'il doit déplacer l'air pour avancer dans un sens déterminé, parce qu'il aborde la résistance de ce fluide, quelque faible qu'elle soit, avec une surface dont le développement est trop grand.

On conçoit le ballon dirigeable rationnellement allongé dans le sens de sa marche normale. Les formes de cylindre, de fuseau, de navette et nombre d'autres furent imaginées. En résumé, la Nature donne, par analogie, les meilleurs modèles dans les proportions générales des poissons migrateurs et dans ceux des grandes espèces comme la baleine, le marsouin, le squale.

Les travaux du professeur Marey, ont démontré les avantages des formes de ces poissons.

En étudiant, au moyen de la chronophotographie et avec des dispositifs particuliers, les mouvements des courants liquides et gazeux rencontrant des obstacles de formes diverses, et aussi les mouvements que déterminent dans des gaz et des liquides des corps de différentes formes traversant ces fluides, Marey a démontré que les résistances des milieux (gaz ou liquides) sont réduites au minimum si le corps immergé est allongé et se termine en pointe plus effilée à l'arrière qu'à l'avant.

La figure 2 montre cette forme, très analogue à celle des poissons précités. Les constructeurs l'ont adoptée, à quelques variantes près, pour la plupart des ballons dirigeables.

Fig. 2

En revanche, la direction des «plus légers que l'air» exigeait l'emploi d'une force à la fois puissante et légère qui fit défaut pendant plus d'un siècle et empêcha les essais des chercheurs d'aboutir à des résultats satisfaisants.

Les tentatives avortées apprirent pourtant combien il fallait tenir compte d'autres éléments primordiaux (d'ailleurs prévus par Meusnier, dont les travaux enfouis dans les archives du ministère de la guerre restaient ignorés).

Ni la vapeur, ni l'électricité, ne purent fournir le moteur souhaité. Sa création fut l'œuvre de l'industrie automobile et l'on peut dire que la conquête définitive de l'air est une conséquence directe des perfectionnements accomplis dans la construction des moteurs à explosion de cette industrie[10].

Dotée du moteur qu'il lui fallait, l'aérostation multiplia promptement ses essais de direction et l'expérience confirma,—parfois cruellement,—des indications que la théorie donnait. On apprit par des accidents, dont quelques-uns furent mortels, que la direction d'un plus léger que l'air a des exigences compliquées qui différencient profondément le dirigeable du ballon sphérique.

Il est indispensable, par exemple, que le dirigeable ne se déforme pas, que sa nacelle conserve toujours la même position par rapport à l'enveloppe qui la supporte et qu'il ait dans le sens de sa longueur et de sa marche, une stabilité dite: STABILITÉ DE ROUTE ou STABILITÉ DE DIRECTION.

Si le dirigeable se déforme, il cesse d'être gouvernable et les plus graves accidents peuvent être, en outre, la conséquence de cette déformation.

C'est pour l'éviter, que le comte de Zeppelin a construit son dirigeable avec une carcasse d'aluminium rigide. Mais il convient d'ajouter que son type d'aéronat est particulièrement fragile à cause de sa longueur excessive.

Si les dirigeables français n'ont pas la rigidité métallique du Zeppelin, leurs proportions sont, en revanche, beaucoup moins dangereuses.

On conserve leur forme aux aéronats non métalliques en les maintenant toujours également gonflés à l'aide d'un ou de plusieurs ballonnets à air contenus dans l'enveloppe.

Si le dirigeable dont, au départ, l'enveloppe était parfaitement tendue par le gaz léger, vient à perdre trop de ce gaz pour garder sa forme, on le voit aux indications d'un instrument qui marque la pression du gaz dans le ballon (manomètre). Il suffit alors d'introduire dans les ballonnets, avec une pompe à air, actionnée par le moteur, ou à bras, une quantité d'air suffisante pour rétablir la pression convenable à l'intérieur de l'enveloppe.

Si cette pression, par suite de la dilatation du gaz léger, devient ensuite trop forte, il suffit de laisser les ballonnets se dégonfler de l'air qu'on y a introduit jusqu'au rétablissement de la pression que le gaz léger doit avoir pour tendre normalement l'enveloppe.

Ces opérations «compensatrices» étaient faites d'abord par les conducteurs des dirigeables; aujourd'hui elles s'accomplissent automatiquement et les pilotes n'ont qu'à les surveiller, pour les produire au moyen d'organes spéciaux dans le cas où, par accident, les compensations automatiques organisées cesseraient de fonctionner.

L'équilibre du dirigeable,—seconde condition primordiale de sa direction,—est réalisé par la façon dont sa nacelle est reliée à l'enveloppe.

Dans le ballon sphérique, les balancements de la nacelle au-dessous du ballon auraient peu d'inconvénients, parce qu'ils resteraient sans influence marquée sur l'enveloppe et ses agrès. Ils ne se produisent d'ailleurs point, puisque le ballon sphérique non dirigeable, ainsi que les explications précédentes l'ont établi, reste absolument inerte dans l'atmosphère, sauf les déplacements verticaux incessants qu'il subit, soit par l'effort de sa «force ascensionnelle», soit par l'action de la pesanteur.

Dans les deux cas, les directions de ces forces passent rigoureusement par les centres de la nacelle et du ballon, quelle que soit la prédominance de l'une d'elles, et l'équilibre de l'aérostat se trouve ainsi parfaitement assuré (Voir fig. 1, p. 5).

Il n'en est pas de même pour le dirigeable. Sa forme, indispensable pour sa direction, l'expose à un décentrage des forces précitées (pesanteur et force ascensionnelle) qui peut avoir les plus graves inconvénients et même entraîner la perte de l'aéronat.

Fig. 3

Fig. 4

Dans la construction du dirigeable, tout est calculé pour que les éléments qui font sa pesanteur: enveloppe, agrès, nacelle, moteur, hélice, passagers, lest, etc., exercent cette force de pesanteur dans le prolongement de la force ascensionnelle du gaz léger, lorsque l'aéronat est parfaitement horizontal, parce que cette position est celle de sa marche rationnelle.

La figure schématique no 3 montre cet équilibre horizontal du dirigeable français, dans lequel la force ascensionnelle et celle de la pesanteur s'exercent dans le prolongement l'une de l'autre, non pas au milieu de la longueur, mais un peu plus vers l'avant de l'enveloppe. On exprime cet antagonisme rectiligne en disant qu'il y a parfaite coïncidence entre le centre de gravité (pesanteur) et le centre de poussée (force ascensionnelle) du ballon (p. 13).

Fig. 5

Mais si, pour une cause quelconque, le dirigeable vient à prendre une position oblique comme celle qu'indique la figure 4, l'action de la pesanteur, qui s'exerce toujours perpendiculairement, déplace la nacelle par rapport à l'enveloppe et déplace les efforts de traction dus à la pesanteur aussi bien que les efforts de pression du gaz léger contenu dans le ballon. La figure 4 montre, notamment, que la ligne du centre de poussée de la force ascensionnelle s'est déplacée. La position primitive est représentée par des lignes en pointillé, tandis que les lignes pleines représentent la position nouvelle. De plus,—et ceci est beaucoup plus grave,—un nouvel équilibre de l'aéronat s'étant établi dans la position oblique par suite du déplacement de la nacelle par rapport à l'enveloppe, il ne tend plus à se redresser; la continuation de sa marche ne peut qu'accentuer son obliquité dangereuse (p. 13).

Fig. 6

Il est donc indispensable de rendre la position de la nacelle aussi invariable que possible, par rapport à celle de l'enveloppe, et l'on y parvient en remplaçant sa suspension au moyen de câbles parallèles par une suspension dans laquelle les câbles, s'entre-croisant, forment des triangles comme le montre la figure 5, p. 14.

Dans ce cas, en effet, la disposition des câbles de soutènement empêchant la nacelle de se déplacer par rapport à l'enveloppe, comme le montre la figure 6, celle-ci se trouve soumise à deux forces contraires: la force ascensionnelle et la pesanteur, qui tendent toutes les deux à la fois à redresser l'aéronat, parce qu'elles ne sont plus dans le prolongement l'une de l'autre, dès que le dirigeable cesse d'être parfaitement horizontal.

Ainsi le mode de soutènement par câbles entre-croisés en triangles réalise la stabilisation automatique du dirigeable dans la position horizontale.

Enfin, pour que le dirigeable garde, dans le sens de sa marche, sans le secours incessant du gouvernail, une direction rectiligne, on munit son arrière d'une sorte d'empennage analogue à celui des flèches et jouant le même rôle mais constitué par des surfaces plates opposées à angle droit, ou par des ballonnets en forme de cylindres ou de cônes, comme ceux que montrent les figures 7 à 10.

Fig. 7, 8, 9 et 10

Les premiers éléments constitutifs du dirigeable sont donc: 1o sa forme; elle doit se rapprocher de celle des poissons qui peuvent effectuer de longs parcours;—2o sa rigidité; l'emploi des ballonnets internes compensateurs, ou la construction métallique, donnent cette rigidité;—3o la stabilité de la nacelle par rapport à l'enveloppe; la suspension par câbles à entre-croisements triangulaires la réalise; elle est naturellement assurée par la rigidité du métal dans la construction métallique du Zeppelin (fig. 11, 12 et 13);—4o la rectitude de marche; on l'obtient par les divers empennages de l'arrière du dirigeable.

Fig. 11.—Coupe longitudinale montrant le cloisonnement du Zeppelin.

Fig. 12.—Arrière du Zeppelin vu en dessous.

Fig. 13.—Coupe transversale du Zeppelin à l'arrière.

Le Zeppelin a 130 mètres de longueur et 10 mètres 70 cent. de diamètre; il cube 12.000 mètres. Deux moteurs de 170 chevaux lui servent à actionner 4 hélices de 1 mètre 30 cent. de diamètre, qui font 800 tours à la minute. Un hangar flottant installé sur le lac de Constance est son abri. Ce type de dirigeable a pu réaliser un parcours de 1.100 kilomètres en trente-huit heures (29 kilomètres à l'heure). Mais les nombreux accidents dont il a été victime, paraissent démontrer qu'il est peu pratique. Son prix est d'ailleurs excessif: il atteint plusieurs millions de marks.

Mais ces caractéristiques principales ne suffisent pas: le dirigeable doit encore satisfaire à d'autres conditions.

Un gouvernail de direction latérale, placé à l'arrière et analogue à celui des navires, peut le faire tourner à droite ou à gauche.

Fig. 14

A. Corps du dirigeable rempli de gaz.—B. Ballonnet compensateur interne ou b. b. b, série de ballonnets compensateurs internes.—E. Empennage.—G. Gouvernail de direction latérale.—H. Hélice.—M. Mécanicien.—m. manche ou conduit de gonflement du ballonnet compensateur.—P. Pilote.—P. S. Gouvernail de profondeur.—R. S. et r. b. lignes des joints d'attache des câbles de soutènement de la nacelle.—S. O. Soupape de sortie du gaz.

Comme le ballon sphérique, le dirigeable emporte une certaine quantité de lest pour retarder sa descente ou pour remonter en s'allégeant. Il peut aussi retarder sa montée ou provoquer sa descente, en se vidant de son gaz léger par une soupape d'échappement, placée à l'arrière, aussi loin que possible du moteur. Mais ces deux moyens, pour monter et pour descendre, l'épuiseraient trop rapidement (quoique l'emploi des approvisionnements d'essence et d'huile soit un délestage normal constant dont l'importance n'est pas négligeable). Afin d'économiser au maximum son gaz et son lest, on ajoute au dirigeable des plans stabilisateurs, disposés à l'arrière ou à l'avant, qui jouent le rôle d'un gouvernail de profondeur et, prenant point d'appui sur l'air, grâce à la marche de l'aéronat, provoquent sa montée ou sa descente pour des différences d'altitude progressives, modérées. La figure 14, qui représente schématiquement un dirigeable rationnel, montre ces divers organes.

Fig. 15

Le Dirigeable Ville de Paris et hangar de ce dirigeable dans le fond.

Constitué de cette manière, le dirigeable mérite sa dénomination parce qu'il est réellement maniable dans l'atmosphère. Néanmoins, il faut encore tenir compte de deux éléments d'importance capitale dans son emploi: la puissance relative de sa force motrice et l'étendue de son rayon d'action.

Sauf le cas d'un vent soufflant en tempête et par rafales, le pilote d'un ballon sphérique non dirigeable n'a pas à se soucier beaucoup du courant d'air qui l'emporte puisqu'il ne peut rien contre lui. Si ce courant l'entraîne dans une région où il ne veut pas aller: océan, contrée montagneuse trop élevée ou pays étranger, sa seule ressource est d'atterrir le mieux possible... ou de chercher, en s'élevant dans les régions supérieures de l'atmosphère, s'il peut les atteindre, un autre courant d'air,—qu'il risque fort d'ailleurs de ne pas rencontrer.

Au contraire, le pilote du dirigeable, par cela même que son ballon est dirigeable, est forcé de tenir compte des moindres mouvements de l'atmosphère et il importe au plus haut point que le moteur de son aéronat ait une puissance capable de lutter contre celle d'un vent ordinaire avec plein succès.

Un moteur qui ne donnerait au dirigeable qu'une vitesse inférieure à celles des brises régnant généralement dans sa région serait inutilisable pendant la plus grande partie de l'année. L'obligation de ne manœuvrer que par des temps calmes équivaudrait à la négation de son emploi.

Théoriquement, le dirigeable fut réalisé par les frères Tissandier, par Dupuy de Lôme et même par Henri Giffard dès 1852, puisqu'ils purent faire mouvoir leurs ballons dans l'air avec les moteurs dont ils étaient munis. Mais, parce qu'ils ne dépassaient point des vitesses oscillant entre 2 m. 25 à 4 m. à la seconde, vitesses qui sont inférieures à celles des vents dominants en France, leurs aéronats restaient inutilisables pratiquement.

Le dirigeable La France, des capitaines Renard et Krebs, qui exécuta, en 1885, les deux premiers voyages aériens formant un circuit fermé, c'est-à-dire qui, partant de Meudon, put aller à Paris et revenir à Meudon, à son point de départ, avait une vitesse de 6 m. 50 à la seconde (environ 23 kil. à l'heure).

Les observations météorologiques poursuivies pendant nombre d'années à Chalais-Meudon par l'autorité militaire ont permis d'établir que, sur ce point du territoire, il y a pendant près de 180 jours par an, des vents dont la vitesse est au moins égale à 26 ou 27 kil. à l'heure (7 m. à 7 m. 50 par seconde).

La vitesse du dirigeable La France était donc inférieure à celle de la moyenne de vents dominants et cet aéronat n'a réussi les «circuits fermés» Meudon-Paris-Meudon, les 22 et 23 septembre 1885, qu'à la faveur de vents d'une vitesse inférieure à celle de ceux qui sont les plus fréquents.

Les dirigeables: Ville-de-Paris, Bayard-Clément, République, dont la vitesse atteint 12 m. 50 au minimum par seconde (45 kilomètres à l'heure) peuvent, au contraire, fonctionner environ 297 jours par an, suivant le tableau des observations météorologiques militaires précitées.

Or, ces résultats, qui sont dus à la puissance des moteurs à explosion employés sur ces dirigeables, n'auraient pas été obtenus sur des aéronats de faibles dimensions.

On peut construire un dirigeable petit. Le Santos-Dumont no 1 ne cubait que 180 m. Le no 6 avec lequel il gagna le prix Deutsch, le 19 octobre 1901, jaugeait 622 mètres cubes; il n'avait que 33 m. de longueur et 6 m. de diamètre.

Pour l'amateur, on a même créé un type de dirigeable réduit: c'est le Zodiac, dont les caractéristiques sont: une enveloppe contenant 700 mètres cubes de gaz; un moteur de 16 chevaux, une hélice de 2 m. 30 de diamètre, donnant 600 tours à la minute. Ce type d'aéronat réduit est, en outre, démontable. Emballé, il peut être transporté sur un camion ou expédié par chemin de fer. Enfin, il ne coûte que 25.000 francs.

Mais gonflé de gaz d'éclairage, il n'enlève qu'une seule personne. Il faut lui ajouter 100 mètres cubes d'hydrogène pur (gaz fort cher et que l'on ne se procure pas partout), pour qu'il puisse en enlever deux. Il ne voyage guère que trois ou quatre heures. Il n'enlève que 75 kilogrammes de lest. Sa vitesse ne dépasse pas 28 kilomètres à l'heure.

En comparant ces caractéristiques du Zodiac avec celles du Bayard-Clément, par exemple, on comprend comment ce dernier peut donner des résultats pratiques, qu'un petit dirigeable ne saurait fournir.

Le Bayard-Clément a 56 m. de longueur, 10 m. 58 de diamètre et cube 3.500 m. Son moteur, qui pèse 352 kilogrammes, a une force de 105 chevaux. Il actionne une hélice de 5 m. de diamètre qui fait 350 tours à la minute, avec une consommation de 38 à 40 litres d'essence et de 5 litres d'huile à l'heure.

Grâce à ces éléments cet aéronat peut atteindre une vitesse de 50 kilomètres à l'heure.

Avec six passagers, 300 litres d'essence, 20 litres d'huile, 65 litres d'eau (pour le refroidissement du moteur), et 250 kilogr. de lest, il a fait en 5 heures, le 1er novembre 1908, un parcours de 250 kilomètres sans escales, «circuit fermé», de Sartrouville à Compiègne et Pierrefonds par l'Isle-Adam, Creil, Pont-Ste-Maxence, Séry, Dammartin, Le Bourget, Pantin et rentrer à Sartrouville en passant sur Paris.

Mais un dirigeable de cette puissance coûte environ 300.000 francs.

La catastrophe du dirigeable Patrie a démontré qu'il est indispensable de remiser de si grands aéronats dans des hangars spéciaux, qui sont de construction coûteuse. La figure 15 (p. 19) montre un hangar de ce genre.

Enfin, la nécessité de ramener le grand dirigeable à son hangar réduit considérablement son rayon d'action (50%).

Dans de telles conditions, sauf exception, un État semble seul pouvoir se permettre, pour sa défense militaire, le luxe d'un ou de plusieurs grands dirigeables d'une série de hangars pour les remiser.

On conçoit néanmoins que, plus tard, l'industrie des transports en commun utilisera peut-être de grands dirigeables perfectionnés et modifiés en vue de ce genre d'exploitation.

Mais, pour le moment présent, l'aviation semble mieux répondre au désir légitime que fit naître chez toute personne la récente conquête de l'air, et c'est ce mode de locomotion dans l'atmosphère qui sera presque exclusivement le sujet de cet A. B. C.

Fig. 16

II

L'Air

Lorsqu'on parle aujourd'hui de la conquête de l'air, il faudrait ajouter qu'il s'agit de l'air respirable pour l'homme, ou que cette restriction soit sous-entendue, car l'être humain ne peut graviter pratiquement au delà de la couche atmosphérique, relativement bien basse, où sa respiration est assurée par une certaine proportion de divers éléments gazeux.

Au delà de 6.000 mètres, en effet, «quelques précautions que l'on prenne, la diminution de pression, la moindre quantité d'oxygène entrant dans les poumons à chaque inspiration force à les précipiter. On étouffe, des maux de tête et des maux de cœur surviennent», etc. (Bouquet de la Grye).

L'oxygène de l'air pénétrant dans les poumons y est absorbé par le sang. Ce véhicule l'entraîne dans l'organisme où, par une sorte de combustion lente, il brûle une partie du carbone des matières qui doivent être éliminées. Son rôle est donc capital dans l'existence humaine.

L'oxygène n'est d'ailleurs pas moins indispensable au moteur de l'aéroplane qu'à l'aviateur; sa rareté dans les hautes régions de l'atmosphère nous en interdit donc doublement l'accès.

Lorsque Berson et Suering atteignirent l'altitude de 10.500 m. en 1901, ils entretenaient artificiellement leur respiration à l'aide d'une réserve d'oxygène qu'ils avaient emportée, et le ballon sphérique où ils étaient n'avait pas de moteur à faire fonctionner pour les soutenir. Si, plus tard, des aéroplanes arrivent à dépasser l'altitude de 6.000 m. pour monter aussi haut que Berson et Suering, cela ne pourra être qu'à l'aide de dispositifs spéciaux, ou d'une carburation spéciale dans les moteurs, permettant d'y introduire les quantités d'oxygène nécessaires, puisqu'elles ne se trouveraient pas dans l'air ambiant.

On a déjà vu précédemment que le froid, qui augmente à mesure qu'on s'élève dans l'air, trace d'autre part aussi une limite aux ascensions humaines dans l'atmosphère. On peut prévoir que la congélation serait une gêne et peut-être un obstacle absolu dans le fonctionnement des moteurs à explosion, aussi bien pour la carburation que pour le graissage, à partir de certaines altitudes.

Si l'on suppose, en effet, un aéroplane quittant le sol à une température de + 15° et subissant un abaissement de température de 1° par 180 m. d'ascension, puisque cette proportion est celle que l'on tient pour constante, on voit qu'après avoir dépassé une hauteur de 10.500 m. comme Berson et Suering, il devra subir un froid de -44° (à 10.620 mètres exactement).

Le ballon-sonde Aérophile no 1, lancé le 21 mars 1893 de l'usine de Vaugirard à Paris, enregistra -51° à 15.000 m. d'altitude. En Allemagne, à Tempelhof, un autre ballon-sonde lancé atteignit 18.450 m. et enregistra -68°.

La décompression qui altère l'organisme humain aux altitudes supérieures à 8.000 m. aurait peut-être aussi des effets sur la marche des moteurs à de plus grandes hauteurs.

En résumé, pour l'homme et pour l'aéroplane le domaine de l'air est extrêmement réduit en hauteur, par rapport à l'épaisseur indéterminée de l'atmosphère, et il ne faut point imaginer que l'homme y montera un jour «aussi haut qu'il voudra monter».

Mais cette considération n'a rien d'affligeant, car ce n'est pas en hauteur que l'espace atmosphérique est une enthousiasmante conquête: c'est en étendue. À partir d'une très faible altitude, l'intérêt d'un voyage aérien décroît rapidement par suite de la faible portée visuelle, si l'on continue à s'élever.

Et, d'autre part, si la rapidité d'une traversée dans l'atmosphère doit devenir une supériorité de ce mode de locomotion grâce aux vitesses de 200 ou de 300 kilomètres à l'heure que l'on prédit déjà aux aéroplanes[11], il n'y aura jamais avantage à réduire la promptitude d'une translation par des ascensions élevées. Ce serait «s'attarder en route».

Pour l'aviation, l'étude des hautes régions de l'atmosphère est néanmoins indispensable parce qu'elles provoquent la plupart des perturbations qui agitent les couches inférieures.

Les vents, notamment, ces grands obstacles de la gravitation dans l'air pour les appareils aviants (et à fortiori pour les ballons dirigeables), viennent surtout de très haut.

À mesure qu'on s'élève dans l'atmosphère, on constate d'ailleurs que les courants qui la parcourent sont plus forts, plus étendus, plus rapides et ce régime constant incite encore, une fois de plus, l'aviateur à ne point viser le zénith.

Les nuages et l'électricité qui les accompagnent si souvent sont, en outre, des embarras ou des dangers que l'aviateur devra éviter.

Planant au-dessus des nuages, le pilote de l'aéroplane n'aurait plus de point de repère pour sa route; il serait obligé de se diriger à la boussole. Tout, dans la Nature, l'engage à se contenter du domaine des oiseaux.

Il convient d'insister un peu sur ces caractéristiques de l'atmosphère parce qu'elles gouvernent l'aviation.

C'est parce que l'air n'est pas comme on le croyait jadis: «un élément impondérable, mais homogène dans toute l'étendue d'espaces sub-terrestres définis», qu'il constitue un milieu où les aéroplanes d'aujourd'hui peuvent prendre un point d'appui pour se déplacer.

Utilisée par l'homme depuis des siècles, la force du vent est connue de tout le monde. La résistance de l'air l'est infiniment moins, quoique nombre de détails, très vulgarisés de nos jours, l'aient mise en évidence, notamment: la forme des locomotives modernes à grande vitesse, les courses de bicyclettes et d'automobiles, etc.

Nos sens, en effet, ne perçoivent guère la résistance de l'air, parce que nos mouvements naturels ne sont pas assez rapides pour nous la faire sentir.

Lorsque nous nous déplaçons artificiellement à une grande vitesse, au contraire, nous commençons à sentir cette résistance, comme nous sentons naturellement la force du vent. Or, cette force du vent n'existe qu'en raison de la densité de l'air; il faut s'habituer à le concevoir pour comprendre le mécanisme de l'aviation.

Un vent de tempête arrache des toitures, renverse des arbres et des personnes; on se sent comme près d'être emporté, c'est-à-dire soulevé, par les fortes bourrasques d'un ouragan. Réciproquement, aborder l'air avec une rapidité d'ouragan produit les mêmes effets, à cause de la résistance de l'air; il faut se pénétrer de la connaissance de ce fait.

Si nous ne sommes pas positivement enlevés par un vent de tempête, c'est parce que notre volume est trop faible par rapport à notre poids; parce que nous avons trop peu de surface par rapport à notre pesanteur. Mais, présentons-nous au vent en tenant une surface deux ou trois fois seulement plus grande que la nôtre: planche, toile tendue sur un châssis, feuille de tôle ou tout autre objet de large surface, nous serons aussitôt renversés avec violence;—nous serions enlevés positivement si l'orientation et l'équilibre de cette surface étaient convenables. Ce fait résume et révèle le principe de l'aviation.

Un cerf-volant d'une surface suffisante enlève un homme. Ce moyen, préconisé pour des reconnaissances militaires, a été expérimenté avec succès. Les récents travaux du capitaine Taconnet et du capitaine Madiot l'ont rendu tout à fait pratique.

Par quelques évaluations fort simples, il est aisé de préciser un peu les idées à ce sujet:

La théorie et la pratique démontrent que la résistance de l'air est, à peu près, proportionnelle au carré de la vitesse.

Ce qui revient à dire, par exemple, que si un vent ayant une vitesse de 1 m. par seconde exerce une pression égale à celle d'un poids de 125 grammes sur une surface de 1 m. carré perpendiculaire à sa direction, cette pression sera quadruplée pour la même surface, si la vitesse du vent devient double.

La pression étant équivalente au poids de 125 grammes avec la vitesse de 1 m. par seconde, si le vent a une vitesse de 2 m. par seconde, la pression sera de 125 × 2 × 2 = 500 grammes.

Si le vent fait 20 m. par seconde, sa pression sur la même surface de 1 m2 sera de 125 × 20 × 20 = 78 kilogrammes et 125 grammes, pesanteur déjà supérieure à celle de bien des personnes.

L'aéroplane obtient les mêmes résultats par les mêmes moyens, mais en sens inverse: contre l'air, immobile, par exemple, il précipite une surface déterminée avec une vitesse également déterminée et si les déterminations sont bonnes, c'est-à-dire si la surface et la vitesse sont suffisantes, la pression en dépassant le poids de l'engin le soulève; l'essor de l'aéroplane est obtenu.

Il est encore plus facilement obtenu si l'air, au lieu d'être immobile, va contre l'aéroplane, en rasant le sol, dans le sens opposé à sa direction, parce qu'alors sa vitesse s'ajoute en quelque sorte à celle de l'appareil.

Dans le cas contraire, l'aéroplane doit pouvoir ajouter à la vitesse nécessaire pour son enlèvement, celle du vent dans le sens duquel il se dirige,—ou faire tête au vent pour s'élever car dès qu'il a quitté le sol, ce supplément de vitesse, égal à la vitesse du vent, ne lui est plus nécessaire pour se soutenir, la vitesse calculée pour sa marche en air immobile pourrait lui suffire, puisqu'il se trouve par rapport à l'air, dès qu'il est détaché du sol, dans une situation comme celle de l'aéronat.

L'aviation comporte encore d'autres considérations sur l'air, mais il convient de les ajourner pour simplifier ce début et parce qu'elles seront plus claires lorsqu'elles interviendront à propos des phénomènes expérimentaux qu'elles expliquent.

III

Les Étapes de l'Aviation

Divers types d'aéroplanes fonctionnent aujourd'hui d'une manière plus ou moins satisfaisante. Or, il semble qu'il devrait être aisé d'apprécier exactement leurs mérites et de déduire de ces différents types le modèle rationnel du «plus lourd que l'air» en expliquant avec simplicité sa théorie et sa pratique.

Cela n'est pourtant guère possible pour une série de causes: les phénomènes de l'aviation sont trop étrangers, notamment, à la majorité des personnes et, d'autre part, les techniciens eux-mêmes ne sont pas encore assez renseignés sur une importante partie des composantes du problème pour en formuler des explications définitives, encore qu'il soit pratiquement résolu.

Pour faciliter la compréhension sommaire mais nette des principes de l'aviation, il est donc nécessaire de passer rapidement en revue d'abord les tentatives de sustentation dans l'air au moyen de plans ou surfaces planes, plus ou moins semblables à des ailes étendues et sans mouvement. Ces essais furent l'œuvre d'une courte série d'expérimentateurs hardis, qui préparèrent mieux que tous autres dans cette voie simple et pratique la conquête de l'espace atmosphérique au moyen du «plus lourd que l'air».


Un Français: Le Bris, ancien marin, ayant beaucoup observé le vol de l'albatros pendant ses voyages, était convaincu de la possibilité de planer comme cet oiseau, grand voilier, par des moyens analogues aux siens: c'est-à-dire avec des ailes étendues, sans mouvements notables.

Les oiseaux ont, en effet, un mode de sustentation dans l'air qu'on désigne par sa caractéristique générale: le vol plané. Ce vol paraît s'effectuer sans aucun mouvement de l'animal et, particulièrement, sans battements d'ailes.

Si l'on ignore le mécanisme du vol des oiseaux et si l'on ne sait pas comment ils utilisent les propriétés de l'air, notamment ses courants, les oiseaux qui planent paraissent immobiles. En réalité, au contraire, ils ne cessent guère de bouger, de déplacer quelque partie de leur corps: mais ces mouvements, fort peu marqués, échappent à notre vue et, réellement, l'oiseau planeur peut planer pendant plusieurs heures consécutives sans donner un seul coup d'aile pour se soutenir.

Mais, en revanche, il ne cesse de décrire dans l'espace aérien des cercles ou des ondulations variées.

Quoique traité de fou par beaucoup de ses contemporains,—par la plupart,—Le Bris suivait donc un raisonnement logique et sain en croyant qu'avec des surfaces planes portantes, analogues aux ailes de l'albatros, mais surtout proportionnées à son poids et à son volume personnel, il arriverait à planer.

Les détails,—essentiels d'ailleurs,—du vol plané échappaient à Le Bris, fort heureusement, car ils l'eussent peut-être découragé.

Confiant dans ses observations, le marin expérimenta et réussit, en effet, des sustentations courtes dans l'atmosphère qui commençaient à ressembler au vol plané. Muni d'ailes assez grandes pour le soutenir, il s'élevait avec l'aide d'un cerf-volant, aux environs de Brest, en 1867, puis abandonnait le cerf-volant et retombait en planant avec ses ailes.

Quelques accidents, et surtout le défaut de ressources suffisantes, l'empêchèrent de poursuivre ses essais.

Fig. 17

Vingt-quatre ans plus tard,—après vingt années de calculs et d'expériences minutieuses, disait le capitaine Ferber[12],—un Allemand tenace et non moins audacieux que Le Bris, s'élançait à son tour d'une colline sablonneuse avec des plans légers qu'il pouvait porter (fig. 17 et 18).

En courant sur la pente de cette colline, il gagnait une vitesse déterminée qui lui permettait, lorsqu'elle devenait suffisante, d'être soulevé et de parcourir dans l'air une distance courte au début mais bientôt plus étendue.

Fig. 18

Entre 1891 et 1896, cet Allemand: Otto Lilienthal, fit ainsi plus de 2.000 essais. Ses parcours en plané passèrent, peu à peu, de 15 à 100 mètres et même davantage, grâce aux perfectionnements qu'il apportait à ses plans sustentateurs et à sa façon de les manœuvrer.

En 1899, le capitaine Ferber reprit ces expériences et fut d'abord déçu, car il ne tenait pas compte d'un élément principal, qu'il ignorait alors, c'est que Lilienthal opérait ses parcours planés CONTRE DES VENTS ASCENDANTS.

Jamais, dit Ferber, la vitesse de 1 à 2 mètres par seconde obtenue par Lilienthal lorsqu'il s'élançait en courant n'aurait pu l'enlever, mais celle du vent ascendant contre lequel il partait s'ajoutant à la sienne, le total de ces deux forces finissait par être suffisant à un moment donné pour élever l'expérimentateur.

Cette explication mérite d'être étendue et précisée par quelques figures schématiques, car elle est comme le secret du vol plané des oiseaux, et Ferber l'a fort bien accentuée graphiquement de la manière suivante:

Supposons, pour simplifier, les ailes sustentatrices de Lilienthal représentées par un plan unique, légèrement arqué: P s, vu de côté, par sa tranche (fig. 19).

Fig. 19

La figure 19 suffit pour expliquer qu'un vent horizontal, comme celui qui est indiqué par la série de flèches, tend à rabattre ce plan sur le sol au lieu de le soulever.

Fig. 20

Dans la figure 20, le même plan schématique occupe, par rapport au même vent, une position dans laquelle le vent pourra le soulever, mais en le repoussant en arrière dès que l'expérimentateur, ayant perdu sur le sol tout point d'appui, ne pourra plus faire progresser le plan contre le vent. Alors, s'il a été soulevé, il retombera aussitôt.

Dans la figure 21, au contraire, on voit que si l'expérimentateur peut, sur la descente, acquérir contre le vent une vitesse assez grande pour que la force de cette vitesse, ajoutée à celle du vent, agissant en sens contraire ET EN REMONTANT, arrive à le soulever, il pourra ensuite glisser sur ce vent ASCENDANT, par la seule force de sa pesanteur, et cela contre la direction ASCENDANTE de ce courant d'air.

S'il redresse légèrement l'inclinaison du plan, ou si la force du vent ascendant augmente, la vitesse de sa glissade sera ralentie mais son soulèvement sera augmenté. Un simple déplacement du centre de gravité du plan réalisera le ralentissement ou la précipitation de la glissade et, par conséquent, une certaine remontée ou une certaine accentuation de la descente de cette glissade.

Fig. 21

Lilienthal gouvernait ainsi, c'est-à-dire par déplacement du centre de gravité, en déplaçant ses jambes sous ses ailes sustentatrices.

L'oiseau, dans le vol plané, sans donner un seul coup d'aile, glisse de même, descend et remonte (en reculant ou en tournant), par de simples déplacements de sa tête, de sa queue ou de ses ailes, qui ne sont pas appréciables par nos yeux.

Lilienthal était devenu si bien maître des évolutions de ses glissades qu'il s'enhardit trop. Osant s'élancer par des vents de tempête et ne craignant plus d'atteindre des hauteurs relativement exagérées, il finit par être culbuté et mourut de cette chute.

L'exemple de Lilienthal fut suivi par un Anglais nommé Pilcher qui réalisa, lui aussi, des vols planés fort démonstratifs.

Ses plans sustentateurs, en forme d'ailes, plus volumineux et surtout plus lourds que ceux de Lilienthal n'étaient pas portatifs: ils roulaient sur les roulettes d'un cadre que montrent les figures 22 et 23 (p. 34).

En se faisant traîner par des chevaux lancés au galop, Pilcher s'enlevait comme un cerf-volant au bout d'une corde et lâchait cette corde lorsqu'il était arrivé assez haut. On le voyait alors descendre en planant et décrire une trajectoire analogue à celle du corbeau qui descend sur un champ.

Fig. 22

Fig. 23

On voit sur la figure 23 que le dispositif de Pilcher comportait une queue stabilisatrice analogue à celle du dispositif de Lilienthal. Dans une ascension imprudente de l'expérimentateur, une bourrasque rompit cette pièce équilibrante; l'appareil tomba au lieu de planer et Pilcher se tua (30 septembre 1899).

Trois ans auparavant l'ingénieur français Chanute, à Chicago, également séduit par les essais de Lilienthal, les répéta et les fit répéter par deux de ses élèves: MM. Herring et Avery.

Fig. 24

Pour essayer de donner plus de stabilité aux plans sustentateurs, il les multiplia. Après un grand nombre d'expériences sur des dispositifs de cinq paires d'ailes, puis de quatre et de trois, Chanute s'arrêta enfin à un biplan stabilisé par une queue que montre la figure 24.

Des glissades planées de 109 mètres furent obtenues avec ce dispositif, dont les biplans actuels sont peu différents.

C'est avec un aéroplane semblable à celui de notre compatriote Chanute qu'Orville et Wilbur Wright firent en 1900 leurs premiers essais dans les dunes de Kitty-Hawk (Caroline du Nord), mais en remplaçant la queue, qu'ils jugeaient embarrassante, par un gouvernail de profondeur placé à l'avant.

Fig. 25

Au lieu de se suspendre aux plans par-dessous le dispositif, ils s'étendaient à plat ventre au milieu du plan inférieur, exhaussé légèrement sur deux patins, et se faisaient traîner par des aides sur la pente d'une colline contre le vent (fig. 25).

«Dès que la brise est assez fraîche pour faire 8 à 10 mètres à la seconde, l'aéroplane n'a plus besoin d'être lancé en vitesse pour s'élever, il part presque seul.

«Au bas de la dune, le gouvernail de profondeur (placé à l'avant) relève l'aéroplane, qui remonte un peu, détruit ainsi sa vitesse horizontale et se pose sur le sol en glissant sur ses patins[13]». Les oiseaux ne font pas autrement.

Dès 1902 les frères Wright font des planés de 100 mètres. En 1902, ils ajoutent à leur dispositif un gouvernail vertical qui leur permet de décrire en planant des quarts de cercle.

«En 1903, enfin, dit Ferber, ils réussissent des balancements sur place, c'est-à-dire du véritable vol à voile. Ils attendent un vent violent de 10 à 12 mètres par seconde qui les enlève sans effort. Dès qu'ils sentent que l'ascension diminue, ils se mettent en marche vers l'avant pour acquérir de la vitesse. À la première rafale, ils se laissent enlever en reculant pour recommencer encore une glissade en avant dès que la rafale est passée, et ainsi de suite. Ils sont arrivés ainsi à rester soixante-douze secondes en l'air, sans avancer de plus de 30 mètres en tout.»

Cette manœuvre est bien exactement celle de l'oiseau planeur et, en particulier, celle des mouettes et des goélands. C'est du véritable vol plané.


Dès lors, confiants dans la capacité de soutènement de leur biplan et dans la sécurité de sa manœuvre, les frères Wright n'avaient plus qu'à tenter de remplacer les forces qui les faisaient planer, c'est-à-dire un vent ascendant et la pesanteur, par la puissance d'un moteur léger actionnant une ou plusieurs hélices tractives ou propulsives. C'est ce qu'ils firent dès la fin de 1903, mais surtout à partir de 1904 près de Dayton.

Au commencement d'octobre 1905, ils annonçaient à Ferber, s'efforçant alors en France de résoudre en même temps qu'eux le problème de l'aviation, qu'ils avaient parcouru le 4 du même mois, 33.456 mètres en 33 minutes 17 secondes et le lendemain 5 octobre 39 kilomètres en 38 minutes et 3 secondes.

Le mois suivant, ils annonçaient à notre compatriote qu'ils consentaient à vendre leur invention au prix de un million de francs, après avoir démontré la capacité de leurs biplans par un trajet démonstratif préalable de 50 kilomètres.

Pendant qu'Orville et Wilbur Wright résolvaient ainsi de 1900 à 1905 le problème du «plus lourd que l'air», le capitaine Ferber, poursuivant de son côté des tentatives presque semblables, dont il puisait l'inspiration dans les expériences de Lilienthal, arrivait presque au même résultat.

À Beuil (Alpes-Maritimes), en 1902, il réalisait des glissades aériennes excellentes. En 1903, sur la plage du Conquet (Finistère), il s'élevait parfaitement comme les frères Wright (3 septembre).

Il tenta aussitôt l'adaptation d'un moteur de 6 chevaux à son biplan et l'essaya sur un aérodrome spécial qu'il n'y a pas lieu de décrire ici.

À la suite de ces expériences, le colonel Renard appela Ferber auprès de lui à Chalais-Meudon (1904).

Pour obvier au défaut de vents ascendants de cette localité, le capitaine Ferber imagina d'établir le lancement de son aéroplane par un plan incliné fort ingénieux.

À la fin de 1904, il était maître, comme les Wright, de la direction et du planement de son biplan. Le 27 mai suivant(1905) il accomplit avec son moteur de 6 chevaux le premier parcours stable fait en Europe.

Mais sa force motrice, insuffisante, ne lui permettait pas de se soutenir assez longtemps dans l'air.

Quatre ans plus tard, le 25 juillet 1908, avec un moteur de la Société Antoinette sur le même biplan, il traverse complètement le polygone d'Issy-les-Moulineaux «avec une stabilité parfaite» démontrant ainsi que dès 1905, il aurait pu réaliser en France les mêmes parcours que les Wright en Amérique, s'il n'avait pas été desservi par les circonstances et les personnes.


L'initiation de Santos-Dumont à l'aviation date de 1905.

Après avoir d'abord songé à résoudre le problème de l'aviation par l'hélicoptère, il se rallie au type du biplan qu'il essaye pour la première fois à Bagatelle, le 23 juillet 1906, avec l'aide d'un ballon.

Loin de faciliter les essais, l'aérostat les entrave. Santos l'abandonne. Il essaye successivement un câble, puis un plan incliné. Enfin, il se contente d'un dispositif roulant sur le sol et le 23 octobre, à 4 h. 45 du soir, il s'enlève mollement pour un parcours aérien, sans cesse ascendant, de 60 à 70 m.

En même temps que Ferber et Santos-Dumont, divers expérimentateurs poursuivent des essais très variés de 1903 ou 1904 à 1907, car on parle beaucoup des résultats obtenus par les frères Wright, mais en les discutant et même en les contestant.

Ayant été faites en cachette, les études des deux jeunes Américains n'inspirent aucune confiance même en Amérique. On en ignore tous les détails en France et ceux de nos compatriotes qui tentent de leur disputer la gloire de la conquête de l'air, sont obligés de créer de toutes pièces leurs dispositifs, puisqu'aucune indication précise sur celui des frères Wright ne peut les guider.

Par suite de ce secret systématique, on peut dire que le problème de l'aviation fut résolu à peu près à la fois en France et en Amérique, car si les jeunes Américains eurent dans leur réussite une légère avance sur nos chercheurs, ceux-ci ne purent rien leur emprunter. On verra d'ailleurs plus loin par la description technique des dispositifs que la solution américaine est assez différente de la solution française pour démontrer que les études théoriques et pratiques des précurseurs tels que Le Bris, Lilienthal, Pilcher et Chanute furent le seul fond commun initial de l'école américaine et de l'école française d'aviation.

IV

Esquisse théorique de l'Aviation mécanique

Surfaces portantes.

Sachant que l'air a un poids, une densité, et constitue un milieu d'une certaine résistance; ayant d'autre part compris comment un plan ou plusieurs plans peuvent soutenir des poids en utilisant la résistance de l'air et la force du vent, il devient aisé de comprendre le mécanisme de sustentation du cerf-volant. Mais, pour le préciser, il faut entrer dans quelques détails techniques d'ailleurs fort simples.

Fig. 26

Dans l'air, le cerf-volant enlevé,—représenté dans la figure 26 comme s'il était vu de côté par sa tranche AB,—subit l'action de diverses forces qui s'opposent les unes aux autres.

Le vent qui le frappe exerce sur lui une pression, cette pression est invariablement perpendiculaire à sa surface quelle que soit l'orientation du cerf-volant par rapport au vent.

Il faut donc, dans le cas de la figure 26, représenter cette pression par la ligne droite CR perpendiculaire au cerf-volant AB. Or, on voit que cette pression CR dont la direction est perpendiculaire à AB tend à remonter le cerf-volant en raison de son inclinaison par rapport à la direction du vent.

Mais cette pression CR s'exerce en se décomposant en deux forces. L'une: CS combat l'action de la pesanteur CP, qui tend à ramener le cerf-volant vers le sol; l'autre CT est en antagonisme avec la résistance de la corde qui retient le cerf-volant.

S'il y a égalité de puissance entre ces diverses forces, le cerf-volant plane, à peu près immobile. Il ne bougerait pas du tout dans le cas de cet équilibre, si l'action du vent restait constante. Ses légers mouvements sont dus aux ondulations dont aucun vent n'est exempt.

Si le vent augmente, la pression devient plus forte: la force CS sustentatrice, l'emporte sur l'action de la pesanteur CP et le cerf-volant remonte.

Si le vent faiblit, au contraire, c'est l'action de la pesanteur qui triomphe et le cerf-volant descend[14].

Dans les deux cas, on suppose que la force CT reste invariablement équilibrée par la résistance de la corde du cerf-volant, car si elle venait à casser, l'équilibre instable du système serait aussitôt rompu.

Faute de vent, le cerf-volant ne peut ni s'enlever, ni demeurer en l'air. Mais l'enfant parvient pourtant à faire élever son jouet en courant. Il renverse les rôles: au lieu d'opposer obliquement la surface de l'engin à la pression de l'air précipité contre lui, il précipite le cerf-volant contre la résistance de l'air et crée, par la vitesse de sa course, la pression nécessaire pour vaincre, la force de la pesanteur et déterminer l'ascension. C'est exactement ce que fait l'aéroplane dont l'hélice, actionnée par le moteur, remplace la rapide traction de la corde par l'enfant.

Néanmoins, quoique le principe de la solution du problème de l'aviation ait été donné ainsi depuis plus de deux mille ans par le cerf-volant[15], il fallait, pour appliquer ce principe à une machine capable de porter un homme, divers éléments de réalisation pratique qui n'ont été acquis qu'en ces dernières années. Le moteur à explosion, à la fois léger et puissant, était un de ces éléments. L'étude théorique et surtout l'étude pratique des surfaces portantes ou plans sustentateurs en était un autre, non moins capital. On comprend, en effet, quand on entre dans un examen plus approfondi du problème, que les moteurs légers empruntés à l'industrie de la locomotion automobile par les constructeurs d'aéroplanes, n'auraient pas suffi pour enlever des plans sustentateurs quelconques.

Fig. 27

Les cinq anciennes lois formulées jadis par l'illustre physicien anglais Newton sur la résistance de l'air, ne sont pas rigoureusement applicables à l'aviation et jusqu'à nos jours elles ont gravement induit en erreur, sur certains points[16].

Ainsi, par exemple, la cinquième de ces lois affirme que la résistance de l'air est proportionnelle à l'étendue de la surface qui lui est opposée. Or, ceci n'est pas rigoureusement vrai dans toutes les conditions.

Fig. 28

La résistance est bien proportionnelle à la surface, comme le disait Newton, si l'on considère, par exemple, un plan carré poussé ou tiré, l'air étant immobile, dans une direction perpendiculaire à sa surface. La figure 27, page 42, montre ce cas où la résistance de l'air est bien proportionnelle à l'étendue de la surface du plan.

Fig. 29

Mais cette loi n'est plus exacte s'il s'agit d'une surface affectant la forme d'un carré long comme ABCD (parallélogramme rectangle),—dont ici deux côtés: AB et CD sont six fois plus longs que les deux autres: AC et BD afin de rendre l'exemple plus saisissant (fig. 27).

Fig. 30

Si cette surface, représentée dans la figure 29, vue par sa tranche AB, se meut obliquement dans l'air suivant une direction comme celle qui est indiquée par la flèche, c'est-à-dire si elle aborde l'air par son petit côté AC (fig. 30), la résistance qu'elle rencontre est beaucoup moins grande que si elle progresse en abordant l'air par le grand côté CD (figure 30, p. 44).

Dans les deux cas, la surface est pourtant la même; la direction et l'inclinaison sont supposées identiques. Or, la pratique démontrant que cette augmentation de résistance est invariable pour les surfaces portantes des aéroplanes, il faut reconnaître ce fait.

On l'explique par le glissement des molécules de l'air sous la surface considérée. Pressé par la surface en mouvement, l'air tend à s'échapper sur les deux grands côtés AB et CD, lorsque la surface aborde le fluide par le petit côté AC (figure 30), tandis que les mêmes filets d'air, sous la même surface, lorsqu'elle aborde le fluide par son grand côté CD (figure 31), ne peuvent s'échapper que sur une petite région des extrémités CA et DB. Dans ce second cas, il y aurait donc moins de déperdition de la résistance de l'air que dans le premier.

Fig. 31

Mais, si cette supposition,—difficile à vérifier,—n'explique pas complètement le phénomène invariablement observé, une autre considération s'impose encore plus fortement:

Fig. 32

Supposons que la surface ABCD (figure 31), qui mesure 1 mètre sur 6 mètres, a parcouru en une seconde de temps une distance de six mètres, en allant de ABCD en A'B'C'D'. On voit par la figure même, qu'en abordant l'air par son petit côté BD cette surface s'est appuyée, pendant la durée d'une seconde, sur une étendue d'air de 12 mètres carrés.

Si, pendant la même durée de temps, elle aborde l'air par son grand côté AB avec la même vitesse et parcourt la même distance de six mètres, on voit, par la figure même, qu'elle s'appuie sur une étendue d'air de 36 mètres carrés pour aller du côté: AB en A'B' (fig. 33).

En principe, dans ce deuxième cas, elle a donc dû vaincre une résistance triple.

Fig. 33

Ainsi, la sustentation dans l'air au moyen de surfaces planes agissant sur la résistance du fluide ne dépend pas seulement de l'étendue et de la vitesse de déplacement de ces surfaces (ou de la vitesse du vent, ce qui revient au même), mais encore de la forme des surfaces et de la façon dont elles abordent l'air par rapport à cette forme.

La Nature, par l'oiseau, donne d'ailleurs un exemple frappant de l'importance de cette disposition puisque tous les planeurs, sans exception, étendent des ailes dont l'envergure est invariablement en travers du sens de la marche.

Par rapport à son étendue, la profondeur de l'aile des oiseaux bons planeurs varie dans des proportions qui dépassent même de beaucoup pour l'envergure totale le 1/6e du plan ABCD pris comme exemple précédemment. La profondeur de l'aile n'a que le 10e de l'envergure chez les oiseaux de mer et se réduit au 20e pour l'albatros.

Il reste sous-entendu qu'il n'y a pas lieu, dans la construction de l'aéroplane, de copier servilement la Nature, puisque les surfaces portantes de nos «plus lourds que l'air» ne peuvent être mues comme le sont les ailes des oiseaux et puisque le fuseau rigide de ces appareils qui porte le moteur, l'aviateur, l'hélice et les divers autres organes, n'a pas la souplesse et les moyens d'équilibrage du corps des oiseaux.

Fig. 34

Pourtant, le rapport entre l'envergure totale et la profondeur des surfaces portantes n'est pas le seul élément de sustentation pour lequel il y a lieu de s'inspirer de l'oiseau. À défaut de théorie, la pratique enseigne encore que les plans sustentateurs «portent mieux» s'ils sont légèrement incurvés; c'est-à-dire s'ils ont dans le sens de la profondeur du plan une courbure dont la concavité est opposée au sens de la marche.

Fig. 39

Cette incurvation est très visible dans le schéma du biplan Farman que représente la figure 34 où l'on voit le stabilisateur d'avant Gp; les plans sustentateurs S P et les plans d'empennage ou plans stabilisateurs de la cellule arrière Ps, affectant cette disposition courbe.

Elle est également très apparente dans la photographie du monoplan Blériot (fig. 35) et dans celle du biplan Delagrange (fig. 36) reproduites pp. 49 et 51.

En poursuivant l'observation des analogies qui existent entre nos «plus lourds que l'air» et les oiseaux, on constate que ceux-ci sont tous des monoplans. Leurs ailes, qui cessent d'être des organes de propulsion pour devenir uniquement des surfaces sustentatrices dans le vol plané, se tendent alors, restent rigides et forment comme un bloc avec le corps de l'oiseau. Mais ce bloc n'est pas rigoureusement rectiligne comme la surface portante du monoplan de Blériot par exemple (fig. 37, page 48), ou comme les deux plans sustentateurs de l'appareil des frères Wright (fig. 38, page 55). Il affecte la forme d'un V extrêmement ouvert ou d'un accent circonflexe retourné (fig. 39, p. 46).

Fig. 41

Cette disposition très préconisée par le capitaine Ferber et adoptée par lui dans la construction de ses derniers aéroplanes (fig. 40, page 53) se retrouve dans le monoplan d'Hubert Latham, dans le biplan de Voisin-Farman et particulièrement dans la Demoiselle de Santos-Dumont. Elle assure l'horizontalité latérale du système et quand l'angle du V est fort peu marqué, comme dans le biplan du capitaine Ferber, il ne donne pas à un vent latéral une prise dangereuse.

Fig. 42

Néanmoins, il faut bien reconnaître que si dans un air calme cette disposition est supérieure à toute autre pour assurer la stabilité latérale, les oiseaux savent et peuvent, lorsqu'il y a lieu, la remplacer par une disposition exactement contraire. Ils prennent, au besoin, pour planer au travers d'un coup de vent qui pourrait les basculer, la forme du V très ouvert mais retourné, ou celle de l'accent circonflexe dans sa position normale (fig. 41).

Enfin, leurs surfaces portantes étant bi-latérales et articulées au corps de l'oiseau peuvent prendre, en outre, des positions dissymétriques réagissant avec puissance contre des influences accidentelles, par des moyens d'équilibrage que nous n'avons pas encore observés, mais que nous avons entrevus, et qu'il est rationnel de concevoir.

Cependant si nos appareils sont bien loin d'avoir pour l'aviation les ressources et la souplesse de l'appareil locomoteur de l'oiseau, ils permettent néanmoins des parcours fort beaux avec une stabilité qui semble suffisante dans la plupart des cas et avec des rapidités déjà superbes.

Fig. 37.—Monoplan Blériot.

L'étude pratique des surfaces portantes employées pour l'aviation mécanique humaine nous montre d'autres analogies forcées entre certaines parties de nos appareils et les organes des oiseaux.

Ainsi, l'aile de l'oiseau, étendue et vue de profil n'a pas seulement l'incurvation que les constructeurs d'aéroplanes, sauf de rares exceptions, donnent à leurs plans de sustentation; elle est en outre renforcée sur le bord avant ou bord d'attaque (du fluide) comme le sont les bords d'attaque des plans porteurs d'aéroplanes.

En coupe perpendiculaire à l'envergure la section a, pour l'oiseau en général, une forme comme celle de la figure 42 (page 47).

Fig. 43

Cette disposition correspond à la rigidité et à la résistance que doit avoir la partie avant de l'aile, celle qui fend l'air et qui porte l'oiseau. Tandis que vers l'arrière, l'aile va s'amincissant de plus on plus et se compose de plumes légères et souples, extensibles, écartables, non seulement entre elles, mais encore par les brins flexibles qui les constituent.

On remarquera que cette forme de l'épaisseur de l'aile est en même temps la meilleure pour la progression d'un solide dans un fluide et qu'elle reproduit celle des poissons les plus rapides.

Fig. 44

On donne précisément cette forme aux nervures des plans porteurs des aéroplanes et la toile qui les recouvre épouse naturellement cette forme (fig. 43, page 50).

La première loi de Newton affirmant que «la résistance (de l'air) est normale à la surface (d'un plan qu'on lui oppose)» se trouve ainsi corrigée, en ce qui concerne l'aviation, par la Nature et par la pratique des constructeurs de nos aéroplanes.

Si la résistance est normale à la surface, au plan, comme l'énonçait Newton, et se trouve au centre de cette surface, c'est seulement lorsque la direction est perpendiculaire à ce plan. Or, les surfaces portantes, ou sustentatrices, qu'elles soient plans d'aéroplanes ou ailes d'oiseaux, ne se déplacent pas orthogonalement dans le vol plané, mais suivent une inclinaison qui forme un angle très aigu avec l'horizontale.

Fig. 45

Dans ces conditions, le centre de pression se déplace et se rapproche d'autant plus du «bord avant» de la surface qui se meut, que l'inclinaison de celle-ci est plus accentuée vers l'horizontale.

En 1870, Joessel a donné la formule mathématique avec laquelle on détermine la position du centre de pression sur un plan déplacé dans un fluide avec une obliquité connue; mais, sans faire aucun calcul, par un simple tracé linéaire, cette position peut être déterminée de la façon suivante:

Supposons en AB le plan considéré, d'abord perpendiculaire à sa direction, indiquée par la flèche. Le centre de pression est alors au milieu de ce plan, en C (fig. 44, page 50).

Fig. 40.—Biplan du Capitaine Ferber (No IX).

Pour savoir où sera le centre de pression sur ce plan s'il occupe une des positions AB1, AB2, AB3, etc., ou toute autre position intermédiaire, on trace sur AB un demi-cercle tangent à l'extrémité A et d'un diamètre égal à 3/10e de AB. On reporte ensuite sur chacune des positions considérées B1, B2, B3, B4, etc., une distance égale à 2/10e de AB à partir de la courbe du demi-cercle tangent à A. Cette distance donne les points cp1, cp2, cp3, cp4, etc., qui sont les centres de pression du plan pour chacune des positions AB1, AB2, AB3, AB4, etc. (p. 50).

On aurait de même le centre de pression pour toute autre position intermédiaire du plan AB depuis la perpendiculaire jusqu'au plus petit angle que ce plan pourrait faire avec l'horizontale.

Fig. 46

On voit ainsi que le centre de pression se déplace à mesure que l'obliquité augmente et qu'il passe du centre du plan,—lorsque la direction est orthogonale,—à une position près du bord avant, ou bord d'attaque, qui n'est plus qu'aux 2/10e de la profondeur du plan,—lorsque celui-ci est presque horizontal.

L'angle d'attaque, dans le vol plané de l'oiseau, doit varier sans cesse, mais être, en somme, pendant la plus grande partie du temps, réduit au minimum et très voisin de 0.

Pour l'aéroplane, qui porte une lourde charge, il oscille aux environs de 6o; ce qui le reporte généralement aux 2/10e 1/2 de la profondeur du plan près du bord d'attaque (fig. 45, page 52). Dans cette dernière évaluation le plan sustentateur est supposé rectiligne.

Fig. 38.—Biplan Wright en plein vol.

S'il est incurvé, il peut y avoir une différence dans cette proportion du déplacement, car on ne sait pas encore s'il faut considérer le centre de pression, en ce cas, comme étant normal à la corde ou normal à la tangente de la courbe d'incurvation. Mais dans tous les cas la différence ne peut être grande.

Plans de stabilisation longitudinale.
Gouvernails de profondeur.

Cette correction de la première loi de Newton sur la résistance de l'air conduit à en faire une autre sur la 4e conçue en ces termes: «La résistance (de l'air) est proportionnelle au carré du sinus de l'angle d'incidence (de la surface).

Fig. 47

«Cette loi, dit Victor Tatin, est complètement erronée et n'est exacte en aucun cas.» «... Hutton, Thibault et quelques autres expérimentateurs en avaient depuis longtemps fait la remarque...», etc.[17].

Duchemin corrigea scientifiquement l'appréciation de Newton (1842) et plus tard Langley, vers 1892, corrobora les travaux de Duchemin à ce sujet.

Sans entrer dans le détail trop technique des calculs de ces physiciens, on peut se contenter de retenir, au point de vue de l'aviation, que la décroissance de pression est bien loin de correspondre à l'estimation de Newton.

Avec un angle de 14° seulement,—assez voisin par conséquent de l'angle d'attaque moyen de nos aéroplanes,—la résistance est encore de la moitié de la résistance du plan normal à la direction (c'est-à-dire formant avec celle-ci un angle de 90°) (fig. 46, page 54).

À mesure que l'angle d'attaque de la surface portante devient plus petit, la pression s'amoindrit naturellement, et cette réduction met bientôt une limite forcée au désir que pourrait avoir l'aviateur de rapetisser toujours cet angle pour diminuer «la résistance à l'avancement» de l'aéroplane. Il arrive un moment, dans ces conditions, où la surface portante reçoit le minimum de pression qui lui est indispensable pour bien équilibrer l'action de la pesanteur: c'est l'inclinaison que lui donne son maximum de pénétration et qu'il ne lui faut point dépasser, sous peine de cesser de se soutenir et de commencer à descendre.

Fig. 47 bis

Dans la pratique, on voit que les aéroplanes bien construits gardent aisément cette inclinaison particulière des surfaces portantes,—qui varie d'ailleurs avec chaque appareil et qui dépend aussi de l'habileté de l'aviateur.

Mais si ce maintien du bon angle d'attaque permet à l'appareil son maximum de vitesse propre et de «maniabilité», il faut remarquer en revanche qu'il est extrêmement instable et que cette instabilité, dans un milieu aussi tourmenté que l'air, constitue un véritable danger.

Fig. 48

Pour le mieux concevoir, il faut se représenter comment on explique la cause du déplacement du centre de pression précédemment exposé.

Lorsqu'un plan se meut orthogonalement au milieu de l'air, c'est-à-dire dans une direction perpendiculaire à lui-même (fig. 47, page 56), le fluide qu'il déplace s'écoule latéralement sur ses côtés d'une façon parfaitement égale,—et c'est ainsi que le centre de pression peut coïncider avec le centre du plan.

Fig. 49

Si le plan est incliné (fig. 47 bis, page 57) la majeure partie du fluide,—et celle-ci augmente en raison de l'inclinaison,—glisse sans trop de difficulté sous le plan; l'autre, moins grande, est obligée de remonter par-dessus le plan, avec d'autant plus de peine qu'il est plus incliné et de ce côté la pression augmente, tout en se rapprochant du bord d'attaque en proportion de l'inclinaison; c'est-à-dire en proportion de la réduction de l'angle d'attaque.

Fig. 50

Fig. 51

Mais, si, de cette façon, le centre de pression a quitté le centre du plan cp (fig. 48, page 58), pour se rapprocher du bord d'attaque, et se fixer par exemple en c'p' à cause de l'inclinaison du plan, le centre de gravité ne s'est pas déplacé, lui; il reste au centre du plan et celui-ci se trouve dès lors sollicité par deux forces agissant en sens contraire, qui tendent à le faire basculer et le ramener en position orthogonale par rapport à sa direction.

La marche du plan sustentateur en position oblique manque donc essentiellement de stabilité longitudinale. C'est pour cela que la Nature a doté les oiseaux d'une queue et qu'il faut imiter ce dispositif dans la construction de l'aéroplane.

On ajoute à son plan, ou ses plans porteurs, un plan stabilisateur généralement placé à l'arrière de l'appareil qui joue le rôle de la queue de l'oiseau en empêchant la surface portante de basculer, par un équilibrage automatique des forces qui la sollicitent.

Fig. 52

Schéma d'aéroplane biplan, en plan et en élévation de profil.

Grâce à ce dispositif, représenté en schéma par les figures 49 et 50, on voit que si l'angle d'attaque est petit (environ 6°, fig. 49), le plan stabilisateur placé loin en arrière du plan de sustentation, auquel il est relié par un châssis rigide, rencontre dans l'air un minimum de résistance par suite de cette grande inclinaison vers l'horizontale (pp. 58 et 59).

Fig. 54

Fig. 55

Fig. 56

Tandis que si l'angle d'attaque du plan de sustentation augmente (fig. 50, p. 59), le plan stabilisateur, abaissé par sa liaison rigide avec le plan de sustentation, rencontre alors dans l'air une résistance dont la pression le remonte. Il combat victorieusement l'effet des forces CG (centre de gravité; pesanteur) et c'p' (centre de pression, force soulevante) qui tendent à faire basculer le plan de sustentation, parce qu'il agit très en arrière de ce plan avec un effort de levier irrésistible.

Fig. 53

Schéma d'aéroplane, monoplan Blériot, plan et élévation de profil.

On conçoit que le même principe assure la même correction en sens contraire (fig. 51, p. 59).

Les figures 52, page 60, et 53, page 62, montrent comment ces dispositions sont réalisées dans les aéroplanes biplan et monoplan français.

Fig. 57

Ainsi, les plans stabilisateurs donnent aux aéroplanes la stabilité longitudinale qui leur est nécessaire, comme sa queue la donne à l'oiseau.

Fig. 58

SCHÉMA DU BIPLAN WRIGHT.SP, surfaces portantes; PS, plans stabilisateurs avant, gouvernail de profondeur; G, gouvernail de direction latérale.

Sir Georges Gayley dès 1809 (Nicholson Journal), avait entrevu ce phénomène, que Pénaud expliqua dès 1872 et que J. Pline, en 1855, avait aussi démontré par l'expérience avec ses petits planeurs en papier découpé. Le capitaine Ferber et V. Tatin ont fait ressortir l'un et l'autre l'importance considérable du plan stabilisateur dans l'aéroplane.

Fig. 59

Schéma du biplan Wright, élévation de profil.—G, gouvernail de direction latérale; H, hélices; SP, surfaces portantes; PS, plans stabilisateurs avant, gouvernail de profondeur.

Fig. 60

Schéma du biplan Santos-Dumont no 14 bis, élévation de profil.—PS, plan-cellule de stabilisation avant; L, corps en fuselage; SP, plans stabilisateurs cellulaires; H, hélice à l'arrière.

«Quand on prend, dit le premier, un aéroplane sans moteur, bien centré, et qu'on le lance d'un point élevé sans vitesse, il fait une abatée presque verticale jusqu'à ce qu'il ait atteint sa vitesse de régime. À ce moment il se relève, conserve une vitesse uniforme et se meut enligne droite (figure 54, p. 61). S'il est moins bien centré, il se relève davantage, perd de sa vitesse et, pour la retrouver, fait une nouvelle abatée. Il en résulte des escaliers et un léger tangage (figure 55, p. 61). Enfin, s'il est mal centré, il se relève verticalement et perd toute sa vitesse. L'aéroplane recule alors et, suivant que sa queue est prise par-dessus ou par-dessous, il boucle la boucle ou pique du nez pour recommencer plus bas une manœuvre semblable (fig. 56, page 61).

Fig. 61

Croquis du biplan Santos-Dumont no 14 bis, perspective.—S P, plans sustentateurs cellulaires; P S, plan-cellule de stabilisation avant.

«Ces trajectoires sont des types que l'on retrouve partout, et au bout de quelque temps d'observation on s'aperçoit que l'on peut reproduire à volonté l'une quelconque d'entre elles, soit par le déplacement du centre de gravité, soit par l'orientation de la queue.»

Fig. 62

Schéma en élévation, vue de face, du même biplan montrant la disposition en V très ouvert des plans sustentateurs.

«... Quand l'aéroplane est muni d'un moteur, les mêmes trajectoires se produisent, il peut simplement s'en produire un type nouveau. Quand il y a excès de force, on observe une trajectoire ascendante ayant sa concavité tournée vers le ciel (figure 57, p. 63).

Fig. 63

Plan-schéma du biplan Santos-Dumont no 14 bis.—P S, plan-cellule de stabilisation avant; S P, plans sustentateurs.

«Arrivé en un point B, où l'action de la pesanteur domine de plus en plus celle de l'hélice, la vitesse horizontale diminue avec rapidité et l'aéroplane se retrouvant dans le cas des figures précédentes commencera une abatée pour retrouver sa vitesse perdue.

«La queue fixe intervient dans tout ceci comme organe de la plus haute importance, en déterminant la stabilité de l'angle d'attaque. Elle est d'autant plus active naturellement qu'elle est plus longue[18]

V. Tatin signale que certains expérimentateurs ont tenté de mettre le plan stabilisateur à l'avant. C'est le cas du biplan des frères Wright (fig. 59) et cette disposition est encore plus apparente dans le premier aéroplane, le 14 bis essayé en juillet 1906 à Bagatelle, par Santos-Dumont (fig. 60, p. 64).

En ce cas, le stabilisateur avant est un véritable gouvernail de profondeur. Mais s'il joue un rôle stabilisant analogue à celui de la queue de l'oiseau, c'est d'une manière inverse et non automatique: il faut le manœuvrer, l'avoir en main comme le guidon d'une bicyclette et ses effets, s'ils ont l'avantage d'être extrêmement prompts, présentent en revanche l'inconvénient d'une brutalité dangereuse. Des aviateurs extrêmement habiles, comme le sont les frères Wright, peuvent préférer ce mode de stabilisation à cause de sa vigueur même, et aussi parce qu'il est sans cesse sous les yeux du pilote. On ne peut nier que les élèves des Wright, notamment M. Tissandier, et surtout le comte de Lambert, ont fait merveille avec ce dispositif. Mais il est évidemment moins rationnel que la stabilisation arrière presque uniquement indiquée par la Nature.

Fig. 64

Schéma du biplan Voisin-Farman.Gp, gouvernail de profondeur avant; F, avant du fuselage; S P, plans sustentateurs; Pi, pilote; M, moteur; H, hélice; P S, plans stabilisateurs arrière; Gd, gouvernail de direction latérale.

La queue stabilisatrice se combine d'ailleurs avec un gouvernail de profondeur, placé soit à l'avant comme dans le type de biplan Farman-Voisin (fig. 64, page 67), soit à l'arrière comme dans le monoplan de Blériot (fig. 53, page 62), où il est constitué par les volets mobiles qui se trouvent de chaque côté du plan stabilisateur arrière, en a' a'.

Fig. 65

Plan et élévation schématiques du monoplan théorique rationnel de Tatin.S P, plan sustentateur; H, hélice; P S, plan stabilisateur; G L, gouvernail de direction latérale.

Dans sa remarquable étude sur l'aviation[19], V. Tatin précise les conditions dans lesquelles la stabilisation longitudinale des aéroplanes s'exerce avantageusement.

Il fait observer que si les oiseaux qui volent le mieux n'ont pas une queue très longue et très ample, c'est parce que la rapidité de leur vol en serait ralentie mais qu'ils suppléent à la réduction de stabilité longitudinale automatique qui en résulte par la promptitude et la vigueur des mouvements et des inclinaisons qu'ils donnent à leur queue en des réflexes si subits qu'ils sont assurément instinctifs et non raisonnés.

L'aviateur n'est pas doué de ces réflexes et ne pourrait, en outre, commander un mouvement mécanique aussi vite que l'oiseau exécute instinctivement un rétablissement d'équilibre par un déplacement de sa queue (il combine par surcroît ces mouvements postérieurs avec des mouvements de la tête, du cou, des ailes et du corps).

Pour ces divers motifs, il est nécessaire que l'aéroplane soit muni d'une longue queue stabilisatrice, ou plutôt d'un plan stabilisateur pour que ses plus légers déplacements produisent de grands effets.

Plus la queue se trouve éloignée du plan sustentateur, plus les oscillations verticales, auxquelles l'aéroplane est exposé, sont forcées de rester amples. Elles sont alors par conséquent ralenties; ce qui en facilite la correction à l'aviateur-pilote, soit par la manœuvre du gouvernail de profondeur, soit par toute autre commande jugée convenable des organes de l'appareil.

Il importe, dit Tatin (et la pratique semble justifier son affirmation), que le plan stabilisateur n'ait aucune inclinaison par rapport à la direction de la marche (ce qui n'est pas le cas du plan sustentateur[20], dont le bord antérieur est relevé pour attaquer l'air sous l'incidence prévue).

De cette façon il reste neutre et la résistance de sa pénétration dans l'air est réduite au minimum. Elle augmente, au contraire, dès que l'angle d'attaque du plan sustentateur s'agrandit ou se réduit et ramène automatiquement cet angle à sa grandeur normale.

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