L'A. B. C. de l'aviation: Biplans et monoplans
Fig. 106 et 107
Monoplan R. E. P.—H, Hélice; R' R', Roulettes aux extrémités des surfaces portantes; Pi, Pilote; F, Fuselage; Ps, Plan stabilisateur arrière; R et r, Roue et roulette du train de lancement; Q, Quille verticale supérieure; G d, Gouvernail de direction latérale.
La quille (Q), qui domine le fuselage en arrière des ailes et la disposition et la forme du gouvernail de direction latérale situé en dessous du plan stabilisateur dans le prolongement du fuselage, constituent, en direction rectiligne, un empennage vertical qui augmente la stabilité du monoplan. Mais, en outre, les ailes sont gauchissables par la traction de haubans.
Les caractéristiques suivantes sont celles du dernier type de ce monoplan, le R. E. P. II bis:
Corps de l'appareil.—Un fuselage en tube d'acier complètement recouvert, à l'avant duquel se trouve le pilote au milieu des ailes.
Surfaces portantes.—Deux ailes fixes, mais gauchissables d'une envergure totale de 8 m. 60. Profondeur des ailes: 2 m. 25 au fort. Totalité des surfaces portantes: 15 m. 75.
Stabilisation.—La stabilisation du R. E. P. II bis est réalisée par un plan pentagonal horizontal situé en arrière de l'appareil; par le plan vertical formant quille au-dessus du fuselage derrière les ailes; par le gouvernail de direction latérale, en marche rectiligne, et par le gauchissement des surfaces portantes.
Direction.—Le pilote placé dans le fuselage, entre les ailes, commande au moyen de deux leviers le gouvernail de direction latérale, le plan pentagonal ou gouvernail de profondeur, qui est en même temps le plan stabilisateur et le gauchissement des ailes.
Force motrice.—Un moteur R. E. P. de 7 cylindres ayant une force de 30/35 HP (68 kilogr.) placé en avant du monoplan, donne 1.400 tours à la minute.
Il actionne une hélice métallique R. E. P. à 4 branches, en prise directe sur l'arbre du moteur (1.400 tours) qui mesure 2 mètres de diamètre.
Dispositif de départ et d'atterrissage.—Le départ et l'atterrissage se font sur deux roues; une grande et une plus petite, munies d'une suspension spéciale (frein oléo-pneumatique) et disposées sous le fuselage en tandem.
Cette disposition entraînant forcément, au repos, l'aéroplane à tomber, à droite ou à gauche, sur l'une de ses ailes étendues, les extrémités de celles-ci sont munies de roues légères. De telle sorte qu'au départ l'aéroplane roule d'abord incliné à droite ou à gauche portant sur trois roues: les deux en tandem et celle de l'une des ailes, jusqu'au moment où la vitesse acquise commence à donner une pression d'air suffisante pour relever l'inclinaison. Une légère augmentation de la rapidité suffit alors pour enlever l'aéroplane qui ne roule plus que sur les deux roues disposées en tandem. La même manœuvre s'effectue en sens inverse à l'atterrissage.
Poids total du monoplan en ordre de marche: 420 kilogrammes.
Le capitaine Ferber approuvait beaucoup le système d'atterrissage et de départ du R. E. P. et signalait à propos de ce monoplan particulier, un détail à rappeler:
«En 1908, dans un essai qui a fait quelque bruit, M. Esnault-Pelterie s'est heurté à cette difficulté insoupçonnée du public, qu'un aéroplane jouissant d'un certain excès de force ne peut pas descendre. M. Esnault-Pelterie, les mains occupées par les gouvernails, ne pouvait pas atteindre l'avance à l'allumage, et plus il mettait le gouvernail pour descendre, plus il diminuait son angle d'attaque, plus sa vitesse augmentait.
«La force portante due à (la résistance de) l'air augmentant alors comme le carré de cette vitesse, devient excessive. L'air semble devenir de plus en plus impénétrable (en descente) et l'aéroplane bondit de plus en plus haut par à-coups successifs correspondant aux mouvements du gouvernail (de profondeur).
«Ce jour-là, le 8 juin, les témoins s'accordent pour indiquer un trajet de 1.200 mètres et une hauteur finale de 30 mètres. Le tout se termina par une chute grave pour l'aéroplane, mais qui ne laissa à l'aviateur que de fortes contusions[33].»
Sur les plans de MM. Gastambide et Mangin, ses administrateurs, la Société Antoinette construisit dès la fin de 1907 un monoplan qui fit un premier aviat de 40 mètres à Bagatelle, le 8 février 1908.
Monté soit par M. R. Gastambide, soit par le pilote Boyer, ce premier modèle couvrit jusqu'à 150 mètres (le 19 février 1908, à Bagatelle) et se soutint en l'air pendant 96 secondes (21 août 1908, à Issy). Mais il fut remplacé dès le dernier trimestre de la même année par un autre modèle, l'Antoinette IV, qui accomplit sous la direction de Welferinger des trajets beaucoup plus démonstratifs; notamment un parcours de 5 kilomètres le 19 février 1909, à Mourmelon.
Peu après, en mars, Hubert Latham succédait à Welferinger dans la conduite de ce monoplan et, promptement, réalisait des prouesses tout à fait sensationnelles.
Dès le mois de mai, il enlevait une série de passagers qui furent successivement MM. Demanest, Prunard, Labouchère, E. Bunau-Varilla, J. Gobron (Mourmelon).
Le 22 mai, il aviait pendant 37'37" à 40 mètres de hauteur. Le 6 juin, à Mourmelon, il se risquait pendant 14' à planer hors de l'aérodrome.
Le 12 juin (1909), six jours plus tard, il couvrait 40 kilomètres en 39' et descendait en vol plané.
Le 15 du même mois, pendant 12', il se maintenait à 60 mètres de hauteur.
On n'a pas oublié que Latham faillit accomplir comme Blériot la traversée de la Manche avec le modèle Antoinette VII et qu'il arriva bien près du but: à 1 mille de Douvres. Son échec en cette circonstance fut presque une victoire. Enfin, le 26 août 1909, à Bétheny, il conquit le record du monde pour la distance par 154 kilom. 620 m. en 2 h. 17'21" et trois jours plus tard le record de la hauteur par un aviat de 155 mètres d'altitude. Depuis, il a battu lui-même ces records d'une manière magistrale. C'est, avec raison, l'un des plus réputés parmi les pilotes français.
Fig. 108 et 109
Monoplan Antoinette.—a a, ailerons stabilisateurs: g g, galets d'atterrissage.
On distingue cinq principaux types de monoplans Antoinette: le IV, le V, le VI, le VII et le VIII. C'est le IV et surtout le VII qui ont servi aux plus sensationnelles victoires de ce genre de monoplan, mais ils ne diffèrent pas très sensiblement des autres modèles, et les caractéristiques du VII s'appliquent à peu près à tous (fig. 108, 109 et 110).
Corps de l'appareil.—Un fuselage métallique, dans lequel l'aluminium domine et qu'un entoilage recouvre entièrement. Ce fuselage, taillé à l'avant en proue de yole, porte à son extrémité antérieure l'hélice, puis le moteur, le mât de haubanage des ailes, enfin le pilote assis à l'arrière des ailes, dans un «coke-pitt» matelassé. La section transversale de ce fuselage est triangulaire. Très effilé, il rappelle beaucoup le long corps de la libellule, mais il n'est pas à segments articulés comme celui de l'insecte de ce nom.
Fig. 110
Monoplan Antoinette, vu de face, pour montrer le haubanage, la disposition des plans sustentateurs en V, le train de roulement et les galets d'atterrissage.
Surfaces portantes.—Deux ailes donnant une envergure totale de 12 m. 80 et dont la forme est celle d'un trapèze isocèle dont le plus grand côté inégal, contre le fuselage, mesure 3 mètres de profondeur, tandis que le plus petit, à l'extrémité des côtés égaux, mesure 2 mètres de profondeur (sens de la marche).
Ces ailes légèrement relevées en V très ouvert ont une superficie totale de 36 mètres carrés.
Elles sont ou gauchissables, ou munies à l'arrière de leurs extrémités d'ailerons mobiles (indiqués en pointillé sur la fig. 108) pour concourir à la stabilité transversale du monoplan (a a).
L'angle d'attaque de ces ailes est de 4°.
Stabilisation.—Un important empennage horizontal et vertical à partir du milieu du fuselage jusqu'au delà de son extrémité assure la stabilité du monoplan. Cet empennage se termine, dans les plans verticaux, au-dessus et au-dessous du fuselage, par deux gouvernails de direction triangulaires, et dans le plan horizontal de ce même empennage.
Force motrice.—Un moteur «Antoinette» à 8 cylindres de 50 HP donnant 1.100 tours, actionne une hélice «Antoinette» à 2 pales métalliques en prise directe sur l'arbre du moteur et tournant par conséquent à 1.100 tours comme celui-ci. Le diamètre de cette hélice est de 2 m. 20 et son pas de 1 m. 30.
Dispositif de départ et d'atterrissage.—Un train de roulement amortisseur de chocs, composé de deux roues sous l'avant du fuselage et d'un patin à galet en avant.
Sous les ailes, deux béquilles amortisseuses de chocs, terminées par galets de roulement et un patin en crosse à l'arrière, sous le gouvernail inférieur de direction latérale, achèvent d'assurer la stabilité de roulement du monoplan, soit avant son envol, soit à sa reposée sur le sol.
Poids total en ordre de marche: 460 kilogrammes.
Longueur totale du monoplan: 11 m. 50 ou 12 mètres.
L'Antoinette VIII en ordre de marche pèse 520 kilogrammes, mais il a 50 mètres carrés de surfaces portantes. Pour toutes les autres données, il est pareil au type précédent.
Après la belle série des monoplans Antoinette, l'ordre chronologique appelle le Koechlin-de Pischoff no 1, et le Raoul Vendôme no 2 (fig. 111 et 112, page 153), dont nous parlerons plus loin, afin de passer plus vite au Baby de M. Santos-Dumont, qui contraste par ses dimensions avec les modèles d'Antoinette, et surtout avec le VIII, type de ce nom, puisqu'il est le plus grand des monoplans consacrés par d'éclatants succès.
Fig. 111 et 112
Monoplan Raoul Vendôme no 2.—a a sont des volets mobiles jouant le rôle d'ailerons stabilisateurs avant.
Fig. 113
Monoplan Baby de Santos-Dumont.—Schéma du plan.
Fig. 114
Le Monoplan Baby vu de face pour montrer la disposition en V des plans sustentateurs et son haubanage inférieur.
Le Baby ou Santos-Dumont no 20 est, en effet, le plus petit des aéroplanes. Né de la Demoiselle ou Santos-Dumont 19 bis, il n'a que 10 mètres carrés de surfaces portantes, et ne pèse que 118 kil. en ordre de marche. Il est vrai que son inventeur-constructeur et pilote, le célèbre Parisien du Brésil, M. Santos, détient en quelque sorte lui-même le record du faible poids matériel humain.
Le Baby (fig. 113, 114 et 115, pages 154 et 155) a les caractéristiques suivantes:
Corps de l'appareil.—Un fuselage triangulaire extrêmement effilé, en bambou, portant à l'avant, au-dessous des ailes, un peu en arrière du train de roulement amortisseur, le pilote assis presque au ras du sol et, en avant, au-dessus de lui et un peu au-dessus du bord d'attaque des ailes, le moteur et l'hélice. Celle-ci tourne dans une étroite échancrure des surfaces portantes.
Fig. 115
Monoplan Baby de Santos-Dumont vu de profil.
Un système de câbles tendus du dessous des ailes au fuselage, concourt à la solidité et la rigidité de l'ensemble.
Surfaces portantes.—Deux ailes en V très ouvert d'une envergure totale de 5 m. 50, et d'une profondeur de 2 mètres. Surface totale, 11 mètres carrés. Ces ailes sont gauchissables par mouvements du torse de l'aviateur.
Stabilisation.—Les directions et la stabilité sont données par une queue cruciforme située à l'extrémité arrière du fuselage qui forme empennage et, par la mobilité de ses plans horizontaux et verticaux, constitue à la fois gouvernail de profondeur et gouvernail de direction latérale.
Le gauchissement des ailes produit par les mouvements du torse du pilote, complète cette stabilisation.
Force motrice.—La force motrice est fournie par un moteur Darracq, à deux cylindres opposés, qui pèse 50 kilogr. et donne 20 HP.
Ce moteur, qui fait 1.800 tours à la minute, actionne, en prise directe, une hélice intégrale de Chauvière de 1 m. 80 de diamètre (1.800 tours).
Dispositif de départ et d'atterrissage.—Un train de roulement constitué par deux roues de bicyclette montées sur amortisseurs de chocs, à l'avant du monoplan, et une béquille terminée en crosse renversée qui supporte à l'arrière l'extrémité du fuselage et les plans de direction et de stabilisation (queue cruciforme).
Poids en ordre de marche: 118 kilogrammes.
Longueur totale de l'aéroplane: 6 mètres.
Avec cet appareil si réduit,—mais peut-être un peu trop particulièrement à la mesure de son pilote-inventeur,—M. Santos-Dumont a débuté par un aviat de 200 mètres le 6 mars 1909 à Issy. Le mois suivant (8 avril), il parcourait 2 kilom. 500 m. à travers la campagne de St-Cyr.
Le 13 septembre, il se rendait de St-Cyr à Buc en 5' et revenait le lendemain en 7' à St-Cyr.
Pour démontrer que son appareil peut être conduit par un pilote moyen, M. Santos-Dumont s'est enlevé avec une surcharge de 20 kilogrammes. Enfin, le 15 septembre, il a conquis le record du monde de la brièveté du lancement par roulement en 70 mètres et s'est élevé le 18 du même mois à 70 mètres de hauteur.
Ces diverses épreuves sont extrêmement intéressantes parce qu'elles démontrent que l'étendue des surfaces portantes indispensables pour supporter le poids d'un aviateur et des parties les plus pesantes d'un aéroplane (moteur, fuselage, etc.) peut être très réduite. On remarque néanmoins, que le Baby ne modifie guère les proportions de poids et de surfaces portantes des autres aéroplanes, car si 11 mètres carrés de surfaces lui suffisent pour enlever 118 kilogr. ou même 138 kilogr., les monoplans ou les biplans qui ont 30, 40 ou 50 mètres carrés de surfaces portantes enlèvent 420, 460, 520 kilogrammes et même, en outre, un ou deux passagers qui augmentent ces poids de 75 ou 150 kilogr. au moins.
VI
Le génie de l'Aviation.—Appareils divers
Triplans.—Essais français.
Aviation étrangère.
Ornithoptères et hélicoptères.
Les triplans.—Lancé dans l'espace, le génie humain devait promptement imaginer d'autres types d'aéroplanes que le biplan et le monoplan.
Le multiplan fut bientôt imaginé, construit, essayé... Avant de l'examiner, il convient de passer rapidement en revue les triplans qui ne sont d'ailleurs pas nombreux.
Parmi les plus notables, l'un des premiers en date est celui d'Ambroise Goupy, qui fut construit sur ses données par les frères Voisin.
Cet aéroplane se composait de trois plans égaux superposés, pareils à ceux des biplans Voisin mais un peu moins profonds (1 m. 60 au lieu de 2 mètres) et plus rapprochés (0 m. 95 au lieu de 1 m. 50).
Un fuselage entièrement entoilé reliait les surfaces portantes à une cellule stabilisatrice ordinaire; enfin, des cloisons verticales, situées entre les trois plans sustentateurs, contribuaient à la stabilité de marche comme dans le type du biplan Delagrange.
Cet aéroplane fit à Issy en 1908 une série d'essais, parcourant 150 mètres au-dessus du sol, puis fut modifié, réduit, et finalement abandonné par Ambroise Goupy.
La même année, mais un peu plus tard, les frères Voisin construisirent encore pour M. le baron de Caters un biplan fort peu différent de celui d'Ambroise Goupy, qui couvrit une distance de 800 mètres à Issy, le 25 octobre 1908 et 200 mètres, le 30 novembre à Brecht, en Belgique.
À la même époque (novembre 1908) Henri Farman, pour augmenter la sustentation du biplan no 1 bis qui lui avait été construit par les frères Voisin, y fit ajouter un plan supérieur de 6 m. 50 d'envergure et de 1 m. 50 de profondeur, disposé en avant des surfaces portantes initiales.
Ce biplan augmenté ainsi d'une troisième surface portante accomplit, du 16 au 20 novembre 1908, des aviats de 5 à 10 kilom. à Bouy, dont deux pendant la nuit et quelques autres, moins importants, par grand vent.
Le mois suivant (décembre 1908), modifié et réduit, cet aéroplane devint complètement triplan de 7 mètres d'envergure. Il effectua une nouvelle série d'aviats en décembre 1908 et janvier 1909 (le 16 janvier 1909, 10 kilom. à Bouy), puis fut expérimenté et vendu à Vienne en Autriche.
À ces trois appareils, aujourd'hui délaissés, il faut ajouter le triplan militaire du capitaine Durand, secrètement construit à Chalais-Meudon, jusqu'au milieu de 1909.
Les curieuses dispositions de cet aéroplane ont pour but de le stabiliser automatiquement, et de lui permettre d'atterrir de lui-même sans intervention du pilote, en cas de panne du moteur.
Le poids du triplan, sans l'aviateur, atteint 440 kilogr. Les surfaces portantes fort distantes les unes des autres, et la grande hauteur totale de l'ensemble dans lequel pilote et moteur sont placés bas, doivent donner en principe une stabilité plus grande à l'aéroplane; mais on n'a pas publié les caractéristiques de ce modèle militaire, et jusqu'à présent on ignore les résultats des essais qu'il a dû faire[34].
À l'étranger, divers types de triplans ont été étudiés et réalisés; nous les citerons en parlant plus loin des tentatives étrangères. Mais, en résumé,—sauf pour ce qui concerne le triplan militaire Durand, sur lequel il est impossible d'avoir une opinion faute d'informations suffisantes,—les triplans essayés ne paraissent pas avoir donné satisfaction à leurs créateurs, puisqu'ils les ont abandonnés après des expériences de courte durée.
Les essais français.
En considérant que l'aviation est comme née d'hier, on est stupéfait de la quantité et de la variété des tentatives faites en France, depuis les premiers aviats de Ferber et de Santos-Dumont. Nous ne citerons ici que les plus intéressants ou les plus curieux des essais faits, et cette sélection sévère suffira pour faire entrevoir la somme prodigieuse d'activité et d'ingéniosité dépensée depuis quatre années à peine sur les questions d'aviation dans notre pays.
Examinons d'abord la série des monoplans. Après les types consacrés que nous avons analysés sommairement dans le chapitre précédent, il faut mentionner quatre modèles qui dominent plus de trente autres essais en raison de leur importance ou des principes qu'ils représentent.
Par sa forme et surtout par son plan stabilisateur arrière en «queue d'aronde» le Raoul Vendôme, construit par les fils de Régy frères, se distingue des autres monoplans (fig. 111 et 112, page 153). Très incurvée d'avant en arrière et très développée, cette queue est en même temps gouvernail de profondeur.
Il n'y a pas de gouvernail de direction latérale arrière, mais des ailerons (a a) repliés sur l'avant de l'extrémité des ailes sont commandés par des pédales et déterminent les virages.
Fig. 116
Monoplan Auffin-Ordt.
Mobiles sur un axe horizontal et indépendantes, les ailes changent d'incidence, ensemble ou séparément, symétriquement ou inversement par la commande de leviers, ce qui réalise un gauchissement universel, facilitant les virages, la stabilité transversale et provoquant aussi la montée ou la descente, lorsque les changements d'incidence sont symétriques.
Envergure, 9 mètres. Surfaces portantes, 24 mètres carrés. Longueur totale du monoplan, 12 mètres. Moteur Anzani, 8 cylindres 50 HP (108 kilogr.). Hélice à deux pales, en prise directe. Diamètre: 2 m. 45, pas: 2 mètres. Train de roulement à trois roues.
Cet appareil a exécuté en janvier 1909, à Bagatelle, plusieurs aviats rapides (40 kilom.) contre un vent fort (10 mètres à la seconde).
Construit dans les ateliers Voisin, le monoplan Auffin-Ordt (fig. 116, page 161) emprunte au biplan classique sa cellule stabilisatrice arrière. En outre, ses ailes se divisent en deux parties, les unes, les plus grandes, restent fixes, tandis que les autres, contiguës au fuselage et articulées sur lui, oscillent à volonté pour assurer automatiquement (?) l'équilibre transversal.
Les essais feront connaître la valeur de ce dispositif, mais il marque, en tous cas, une fois de plus, le souci d'imitation de la Nature, qui existe chez tant de créateurs de monoplans.
Incidemment il convient de signaler le monoplan Péan à cause de la disposition en V très accentué de ses ailes et de son emploi de deux hélices tournant en sens contraire. L'expérience apprendra ce qu'il faut penser de ce modèle (fig. 117. p. 163).
Fig. 117
Monoplan Péan.
Fig. 118
Monoplan Puiseux (plan).
Fig. 119
Monoplan Puiseux.—Profil montrant la disposition du monoplan très élevé sur son chariot de roulement.
Avec l'aéroplane monoplan de M. de Puiseux (fig. 118, 119 et 120, pages 164, 165 et 166), les dispositions classiques sont profondément modifiées. Au lieu d'être bas placé sur le sol, le corps de l'appareil se perche fort au-dessus d'un véritable chariot de roulement portant le pilote, le moteur, les approvisionnements et les organes de direction. Une queue stabilisatrice et directrice (profondeur et direction latérale), des ailes repliables sur les côtés du chariot, et une série d'autres commodités semblent vouloir répondre aux «desiderata» des amateurs d'aviation. Mais la voiture automobile aéroplane de M. de Puiseux n'a pas encore marché. Ses tentatives d'essor réservent peut-être des surprises agréables ou pénibles; mieux vaut ne pas insister aujourd'hui.
Fig. 120
Monoplan Puiseux vu de face.
Le type d'aéroplane biplan donne encore plus de variétés dans les tentatives. Un certain nombre de celles-ci ne sont d'ailleurs que modifications peu profondes des modèles consacrés des frères Voisin.
René Gasnier a construit lui-même un biplan où toutes les directions se trouvent réunies à l'avant. La surface portante inférieure possède à ses extrémités des ailerons qui concourent à la stabilité transversale.
À Rochefort-sur-Loire, ce biplan accomplit des aviats dont le plus considérable fut de 500 mètres.
Armand Zipfel, ami d'enfance des frères Voisin, construisit dans les «ateliers d'aviation du Sud-Est» un biplan cellulaire presque pareil à celui de Delagrange, avec lequel il réussit à Lyon des parcours allant jusqu'à 1.500 mètres (1908).
L'année suivante, à Tempelhof, il s'éleva avec ce biplan jusqu'à 25 mètres de hauteur (8 février) et couvrit le lendemain une distance de 2 kilomètres 500 mètres.
Maurice Farman, stimulé par les succès de son frère Henri, entreprit avec M. Neubauer, son associé, la création d'un biplan construit dans les ateliers aéronautiques de M. Mallet pour joindre aux qualités des appareils des frères Wright, celles des appareils des frères Voisin. Cet appareil fit d'intéressants essais à Buc, et voyagea même pendant un quart d'heure à travers champs.
Ambroise Goupy ayant renoncé au type du triplan étudia avec le lieutenant italien Calderara un biplan, construit dans les ateliers de Blériot, dont le plan supérieur était plus avancé que le plan inférieur. Cet appareil fit à Buc, en mars 1909, quelques trajets de 100 à 200 mètres.
Odier-Vendôme.—En collaboration avec l'ingénieur Odier, Raoul Vendôme, dont nous avons signalé le curieux monoplan, fit construire dans les ateliers des fils de Régy frères, à Javel (Paris), un intéressant biplan. Séparées par deux plans droits, les deux paires d'ailes ont une concavité transversale prononcée (tournée vers le sol) qui rappelle la forme des ailes de l'oiseau planant. La distance qui sépare les deux plans est plus grande que dans les modèles Voisin. À l'arrière, une queue stabilisatrice est formée de deux plans superposés, incurvés comme les ailes, sans cloisons verticales, mais précédés de deux «focs» verticaux. Ces plans triangulaires fixes donnent point d'appui à l'action du gouvernail de direction latérale placé entre les plans horizontaux incurvés de la queue stabilisatrice.
L'ensemble de l'aéroplane est porté sur quatre patins, mais ceux d'avant sous les surfaces portantes sont munis de roulettes pour faciliter le départ.
Le moteur du type Turcat-Méry donne 18 HP. Il actionne une hélice à 4 pales de 2 m. 80 de diamètre placée derrière les ailes.
On voit par ces diverses caractéristiques que l'Odier-Vendôme atteste un souci de recherches fort méritoires.
Fig. 121
Autoplane d'Aimé et Salmson.—S P, Surfaces portantes; S E, Surfaces élévatoires (?); Hl, Hp, Hélices élévatoires et propulsives.
Les surfaces portantes n'ont que 8 mètres d'envergure (surface totale, 35 mètres carrés) et malgré la force relativement faible du moteur (18 HP) cet intéressant biplan s'est enlevé avec trois passagers. À Issy, en juillet 1909, il a parcouru jusqu'à 2.500 mètres.
Louis Bréguet, dans ses ateliers de Douai, a créé, sans abandonner les études d'hélicoptère qu'il poursuit, un biplan à gauchissement différentiel qui a pour but de fournir une stabilité transversale automatique, tout en faisant effectuer les virages et les mouvements en profondeur.
Fig. 122
Autoplane Aimé et Salmson.
Expérimenté à Douai, puis à Bétheny (août 1909), ce biplan a parcouru des distances allant jusqu'au demi-kilomètre. Le 29 août, après un aviat de 300 mètres, il fit un écart qui le précipita sur le sol et le démolit complètement; mais on conçoit que cette destruction accidentelle n'infirme nullement la réussite des essais antérieurs.
Aimé et Salmson ont imaginé un autoplane qui fut exposé au Salon de l'aéronautique et représenté dans ses dispositions essentielles, monté sur patins.
Cet étrange biplan n'a pas encore été expérimenté. Il faut donc se borner à exposer son principe: un plan supérieur, constitué par deux ailes droites, surface portante proprement dite pour planer comme dans tous les aéroplanes. Mais le second plan inférieur, fortement cintré, tourne sa concavité vers le sol et constitue plutôt une surface élévatrice. En effet, il a pour but d'enlever l'appareil, soit sur place, soit par une oblique ascendante rapide, sous la poussée d'air de deux hélices latérales (h.l.); tandis que deux autres hélices (HP), placées à l'arrière, sont propulsives, en direction horizontale, et doivent agir aussi sur deux plans horizontaux, mais incurvables à volonté, ensemble ou séparément, qui déterminent par leurs incurvations les directions du biplan dans l'espace.
Si ce curieux appareil ne donne pas aux essais les résultats que ses créateurs en attendent et qui semblent promis par un modèle réduit ayant déjà fonctionné, il servira du moins à éliminer des erreurs de principe, et cela n'est pas négligeable (fig. 121 et 122, pp. 168 et 169).
Bonnet-Labranche.—Avec le biplan Bonnet-Labranche, on rentre dans la normale des recherches originales, rationnelles, car s'il diffère beaucoup du biplan classique, il ne repose du moins sur aucun principe douteux.
Dans ce modèle, au-dessus d'un plan inférieur sustentateur de dimensions ordinaires s'étend, en se rétrécissant, d'avant en arrière, un vaste plan supérieur qui rejoint la cellule stabilisatrice caudale. L'ensemble des surfaces portantes atteint 80 mètres carrés. Ce plan supérieur a 10 mètres d'envergure et 7 mètres de profondeur, mais à l'arrière, il est réduit à 4 mètres de largeur.
Un moteur de 70 HP constitue la force importante destinée à faire agir ces larges étendues sur l'air au moyen de deux hélices, l'une propulsive, placée derrière le plan sustentateur inférieur, l'autre tractive, plus petite, située à l'avant, au bout de la nacelle. Cette dernière, orientable, doit concourir à la conduite du biplan jusqu'au point de suppléer à l'action de l'équilibreur ou gouvernail de profondeur de l'avant.
Les extrémités antérieures de la surface portante supérieure sont munies d'ailerons mobiles dont l'inventeur précise le rôle en les appelant régulateurs de roulis.
À Palaiseau, puis à Juvisy, les premiers essais du Bonnet-Labranche ont été encourageants. Son constructeur, M. Espinosa, qui dirige les ateliers de la «Société de construction d'appareils aériens», est un ancien collaborateur qu'Ader appréciait beaucoup et dont l'expérience sera précieuse pour la «mise au point» du nouveau biplan dont il s'agit.
Robart.—Au cours de 1908, M. Henri Robart,—qui avait abordé l'aviation en 1904 à Berck, avec Gabriel Voisin,—construisit un curieux biplan.
Dans cet aéroplane, à l'inverse du type de M. Bonnet-Labranche, c'est le plan inférieur de sustentation dont l'envergure et l'étendue sont beaucoup plus importantes que celles du plan supérieur.
Cintré comme le plan inférieur du modèle Aimé-Salmson, mais moins fortement, ce plan tourne au contraire sa concavité vers le ciel.
L'appareil se termine par un plan stabilisateur horizontal en forme de queue d'aronde. Il est actionné par un moteur Anzani de 40/50 HP qui fait tourner en sens contraire deux hélices tractives placées en avant du plan inférieur. Longueur totale de l'appareil, 12 mètres. Envergure du plan supérieur, 5 mètres. Profondeur, 1 m. 40; surface, 7 mètres. Envergure du plan inférieur, 12 m. 75; profondeur, 3 mètres. Ensemble des surfaces portantes y compris la queue stabilisatrice, 50 mètres carrés.
Au cours de ses premiers essais, à Asnières, le Robart a fait un bond de 10 mètres.
Pendant que ces principaux essais, et un très grand nombre d'autres moins marquants, s'effectuaient en France par des Français, les problèmes de l'aviation étaient abordés à l'étranger par des émules des frères Wright ou de nos compatriotes qu'il serait injuste de ne pas citer en indiquant ce que furent, ou ce que sont leurs créations les plus originales, ou les plus réussies.
Les plus anciens essais sont ceux du Danois Ellehammer, qui débuta par un monoplan, puis fit un second appareil biplan.
Dans celui-ci, les surfaces portantes inférieures étaient triangulaires et rigides, tandis que les surfaces supérieures souples se gonflaient en cours de route comme des voiles. Plusieurs aviats furent effectués par ce deuxième modèle, notamment un, plus important que les autres, le 12 septembre, dans l'île de Sindholm (Danemark); mais ces expériences n'ont pas été officiellement enregistrées, et les caractéristiques de l'appareil n'ont pas été publiées.
Par un triplan à ailes triangulaires superposées, Ellehammer poursuivit ses essais et fit un parcours de 175 mètres le 14 janvier 1908, à Sindholm (Danemark).Mais il ne tarda pas à ramener ce troisième modèle à la forme du biplan par simple suppression du plan inférieur.
Le docteur hongrois Trajan Vuia, que nous avons déjà signalé parmi les précurseurs de l'aviation moderne, parce qu'il fit ses essais en France dès 1906, établit successivement trois modèles de monoplans dont le dernier (Vuia no 2) parcourut 20 mètres le 5 juillet 1907, à Bagatelle.
L'Allemagne n'a encore fait connaître que le triplan de l'ingénieur Grade, de Magdebourg. Mais on nous révélait récemment la préparation d'une importante flotte militaire d'aéroplanes, et cette entreprise sous-entend des essais préalables plus étendus que ceux de Grade.
Fig. 123
Biplan Herring Curtiss en plein vol.
Dans l'état actuel de nos connaissances sur l'aviation, il est à supposer que cette flotte militaire sera plutôt composée de biplans et de monoplans que de triplans. Néanmoins l'aéroplane de Grade, qui n'avait d'ailleurs rien de très particulier, a parcouru le 18 février 1908, à Magdebourg, une distance de 400 mètres qui démontre bien sa réelle capacité aviatrice[35].
L'Amérique, sans parler des Wright, est la nation qui se place en tête des pays étrangers par le nombre et les bons résultats de ses tentatives.
On connaît malheureusement fort mal ce qui se fait dans la patrie des Wright par défaut d'informations d'abord, puis, peut-être aussi parce que l'Amérique n'est pas encore en état de lutter assez avantageusement contre nos constructeurs.
Néanmoins les essais d'une importante Société placée sous la direction de Graham Bell: «l'Aérial expériments Association» ont été signalés par H. Dumas dans son «Stud book de l'aviation». Ils débutèrent en 1908 par un biplan nommé l'aile rouge (Red wing), dont les surfaces légèrement cintrées s'opposaient l'une à l'autre par leur concavité. Cet appareil, muni d'une queue stabilisatrice, ne portait pas sur un train de roues, mais sur patins, parce qu'il s'enlevait sur la glace. Ses caractéristiques, sauf les détails pré-signalés, étaient celles de nos biplans classiques.
L'aile blanche (White wing), deuxième type de l'«Aérial expériments Association», possédait un train de roues pour le départ et l'atterrissage. Quatre ailerons manœuvrés par des mouvements de torse du pilote et placés aux extrémités des surfaces portantes contribuaient à la stabilité transversale. Ce second modèle, expérimenté en mai 1908, à Hammondsport, vira et fit divers parcours de 310 mètres, mais il fut brisé dans un atterrissage.
Sur le Gune Bug, troisième appareil de la même société, semblable au White wing, mais de moindre surface totale, M. Glenn H. Curtiss gagna la Coupe du Scientific Américan (12.900 fr.) le 14 juillet 1908, par un trajet de 1.600 mètres accompli en 1' 42", et le 30 août suivant, il parcourait 3 kilomètres 200 mètres en 3'.
Détruit accidentellement comme ses aînés, le Gune Bug fut remplacé en 1909 par le Silver Dart qui fit dès le mois de mars, sur le lac Baddeck, des circuits de 13, 25, puis 32 kilomètres.
Le Herring Curtiss, cinquième modèle de «Aérial expériments Association», fut un nouveau progrès. En juin, juillet et août 1909, à Morris Park et à Mineola surtout, il accomplit des aviats superbes (45 kilomètres d'étendue, 50 mètres de hauteur), qui décidèrent l'«Aérial expériments Association» à envoyer Glenn Curtiss en France pour y rivaliser avec les Wright et les biplans ou monoplans français.
Quelque audacieuse qu'elle fut, cette prétention n'était pas outrée puisque le 28 août, à Bétheny, Glenn Curtiss conquit sur Blériot la Coupe Gordon-Bennett par 20 kilomètres en 15' 50", et le lendemain le prix de la vitesse par 30 kilomètres en 24' 39".
À Brescia, le mois suivant, il obtint le grand prix du circuit par 50 kilomètres en 49' 24", et le record du monde de lancement par une envolée en 80 m. (le 9 septembre 1909); mais ce dernier triomphe devait lui être superbement ravi six jours plus tard par notre Santos-Dumont, quittant la terre en 70 mètres de course avec son Baby, le 15 du même mois.
Les divers appareils de l'«Aérial expérimenta Association» n'avaient guère qu'une particularité bien spéciale: la courbure des plans opposés l'un à l'autre par leurs concavités. Or, dans les derniers modèles avec lesquels Glenn Curtiss a moissonné les prix en Amérique, en France et en Italie, ces courbures sont supprimées. Les Herring Curtiss ne se distinguent plus des autres biplans que par la manœuvre de leurs ailerons stabilisateurs transversaux commandés par des mouvements du torse du pilote. Mais cette disposition n'est pas une création personnelle des constructeurs. On la retrouve dans plus d'un autre type d'appareils, et notamment dans le Baby de Santos-Dumont qui détermine ainsi le gauchissement des ailes de son petit monoplan pour sa stabilisation transversale.
Si l'«Aérial expériments Association» est ainsi revenue finalement au type classique du biplan français créé par Voisin, M. Wilbur R. Kimball a récemment créé en revanche un type de biplan: le New-York Ier qui s'écarte franchement des données consacrées par ses proportions, sa gouverne et son mode de déplacement.
Fig. 124
Biplan Wilbur R. Kimball (plan)—a i, Ailes latérales de stabilisation; Z F, Zone flexible.
Les figures 124 et 125, pages 176 et 177, donnent la curieuse physionomie de ce biplan que nous allons préciser pour l'énumération de ses principales caractéristiques.
Les surfaces portantes sont constituées par deux plans horizontaux parallèles, à légère incurvation, de 11 m. 80 d'envergure, et de 1 m. 97 de profondeur, distants l'un de l'autre de 1 m. 30 seulement. Surface totale, 23 mètres carrés 24. À l'arrière, sur une zone de 45 centimètres de profondeur, ces surfaces supportées par des lattes flexibles peuvent fléchir dans une mesure déterminée.
Fig. 125
Biplan Wilbur R. Kimball (Vu de l'avant).
Stabilisation.—Comme le type de biplan Wright, le New-York Ier est dépourvu de queue stabilisatrice. Il n'a pas même un gouvernail arrière pour la direction latérale. Celle-ci doit être donnée par des séries de 4 lames verticales disposées chacune aux extrémités avant des surfaces portantes (celles du côté gauche du biplan sont bien visibles à droite de la fig. 125). Selon qu'elles se présentent par la tranche ou par le plat, ces lames font, ou non, une résistance capable, théoriquement, d'entraîner le virage de l'appareil.
À chaque extrémité des surfaces portantes se trouvent, en outre, deux plans horizontaux: ai, parallèles de 1 m. 24 × 1 m. 24, articulés au bout de ces surfaces de façon à créer par leur inclinaison en sens contraire des résistances redressant le biplan dans les virages. C'est l'équivalent du gauchissement des plans du Wright et des ailerons du monoplan Blériot par un autre genre d'organe dont la pratique démontrera la supériorité ou l'infériorité.
Situé à 2 m. 98 en avant des surfaces portantes, le gouvernail de profondeur est formé de deux plans horizontaux superposés, distants l'un de l'autre de 0 m. 93, qui ont 3 m. 72 d'envergure sur 0 m. 77 de profondeur.
Force motrice.—Un moteur spécial à deux temps, de 41 HP (4 cylindres, 1.400 tours) actionne, par l'intermédiaire d'un câble spécial, un fil d'acier d'une exceptionnelle souplesse et d'une exceptionnelle solidité, huit hélices spéciales à quatre pales de 1 m. 18 de diamètre et de 1 m. 24 de pas, tournant à mille tours. Ces huit hélices sont disposées côte à côte d'un bout à l'autre de l'envergure du biplan.
Un train de roulement amortisseur central facilite le départ et l'atterrissage de cet aéroplane, mais, en raison de sa grande envergure, il est encore muni à ses extrémités de roues plus petites qui cessent de porter dès que l'appareil acquiert une certaine vitesse et va pouvoir s'enlever.
On démonte cet appareil en cinq parties pour faciliter son transport.
Fig. 126
Biplan Gomez da Sylva.
Ces dispositions, quoique nouvelles, et bien différentes de celles des types de biplans américains et français, sont fort rationnelles, séduisantes même... Néanmoins il convient d'attendre les nouvelles des essais pour les mieux apprécier, car la valeur du système dépendra certainement aussi de l'harmonie de ses composantes.
Devancée par la France et l'Amérique dans la conquête de l'air, l'Angleterre s'efforce de rattraper le temps perdu. Secondé par le département de la guerre, le colonel Cody créa, en 1908, un biplan militaire nommé Tonilea qui parcourut 500 mètres à son premier aviat, mais fit une chute et se brisa (15 octobre 1908).
Un second modèle, peu différent de nos biplans, fut aussitôt mis en chantier aux frais de l'État, et put accomplir en 1909 (janvier, février et mars), des parcours de 260 à 400 mètres à Farnborough et à Aldershot, mais les fâcheux atterrissages de ce deuxième biplan entraînèrent le colonel Cody à en créer un troisième qui décourageait déjà le gouvernement anglais, lorsque le persévérant aviateur et constructeur, au moment où les crédits et les champs d'expériences d'Aldershot allaient lui être supprimés, accomplit plusieurs aviats avec passagers sur des étendues de 4 à 13 kilomètres, s'éleva jusqu'à 35 mètres de hauteur, et fit enfin, en pleine campagne, une randonnée de 70 kilomètres qui triompha des mauvaises dispositions dont il allait être victime.
Fig. 127
Multiplan Koechlin-Pischoff.
Le biplan Cody se rapproche beaucoup du type américain des Wright. Il n'a pas de queue stabilisatrice. Sa gouverne est produite, pour la direction latérale, par un grand plan vertical arrière de 3 mètres de hauteur sur 1 mètre de profondeur et, pour la montée ou la descente (stabilisation longitudinale), par deux larges plans horizontaux, mobiles ensemble ou séparément, qui s'étendent côte à côte en avant des surfaces portantes. Deux petits plans, également horizontaux et mobiles, situés entre les plans sustentateurs, mais débordant de chaque côté de ces plans, ajoutent leurs effets à ceux des larges plans d'avant au point de vue de la stabilisation transversale, car si ceux-ci agissant simultanément dans le même sens peuvent combattre le tangage et provoquer la montée ou la descente, en agissant simultanément en sens contraire ou isolément, ils peuvent combattre le roulis ou réduire l'inclinaison de l'appareil dans un virage.
En outre de cette disposition, l'aéroplane Cody se distingue des autres biplans par ses grandes dimensions. Il a 15 mètres d'envergure et 2 m. 30 de profondeur. Ses plans sont distants de 2 m. 75. Sa surface totale atteint 70 m. carrés et son poids en ordre de marche, 1.050 kilogrammes.
Il est mû par un moteur E. N. V. de 50 HP (8 cylindres), actionnant comme dans le Wright, deux hélices, mais de 2 m. 50 de diamètre et de 2 m. 50 de pas. Il n'est pas surprenant qu'avec un tel engin les atterrissages soient brusques.
En même temps que le colonel Cody, un autre Anglais, M. A. V. Roe, poursuit des essais d'aviation qu'il applique à la forme d'aéroplane triplan, et semble obtenir des résultats satisfaisants, contrairement à l'ensemble des expériences un peu décourageantes qui font délaisser généralement ce type d'avion.
Enfin, dans la série étrangère, le Portugal est représenté par les tentatives de M. Gomez da Sylva, et la Roumanie par les études du lieutenant Goliesco dont un appareil réduit fit de très intéressants essais à la fin de 1909 à Levallois-Perret.
L'appareil de M. Gomez da Sylva est un biplan de dimensions réduites que la figure 126, page 179, explique fort bien. Sa valeur se révélera au cours de ses essais en préparation à Issy-les-Moulineaux.
Quant au type d'aéroplane du lieutenant Goliesco, il repose sur des principes d'aéro-dynamisme nouveaux, dans le détail desquels on ne saurait entrer ici, cet A. B. C. de l'aviation faisant systématiquement abstraction des calculs mathématiques ardus, parce qu'il doit être compris de n'importe quel lecteur.
Les aéroplanes multiplans.
À la longue série des précédents appareils,—dont nous avons éliminé pourtant une foule de modèles plus ou moins originaux, parce qu'ils n'étaient pas aussi caractéristiques que les types signalés ou décrits,—il faut ajouter les principaux ou les plus curieux multiplans de l'aviation moderne.
Fig. 128
Multiplan Hayo.
Farman conçut peu après ses brillants débuts dans la conquête de l'air, un aéroplane très allongé muni de cinq paires d'ailes. Dans son étude sur le Problème de l'aviation, M. Armengaud jeune, qui reproduit ce dispositif de Farman d'après l'Aérophile, en approuve les principes. Mais les études pratiques de ce multiplan n'ayant pas été poursuivies, il faut se contenter de le signaler.
Ses mérites furent pourtant en quelque sorte vérifiés par les essais du multiplan de MM. Koechlin et de Pischoff établi sur des données très analogues.
Cet aéroplane (figure 127, page 181), comporte, en effet, trois paires d'ailes disposées en escalier, mais d'une grandeur décroissante, le long d'un fuselage quadrangulaire complètement enveloppé. À l'arrière, la figure montre une quille verticale terminée par le gouvernail de direction latérale, et, à l'avant, sous le fuselage, le gouvernail de profondeur et de stabilisation longitudinale, composé de deux plans, en arrière de l'hélice tractive.
Fig. 129
Multiplan Hayo (plan).
À Villacomblay, le 29 octobre 1908, cet appareil a démontré ses capacités sustentatrices par un aviat de 500 mètres.
Fig. 130
Multiplan Hayo (vu de face).
Le «défaut d'essais connus» empêche d'apprécier le multiplan du capitaine Hayo, représenté schématiquement par les figures 128, 129 et 130, assez claires par elles-mêmes pour dispenser d'une analyse. Il suffit d'ajouter que les quinze surfaces portantes de ce multiplan divisées en cinq groupes de trois plans superposés, deux à l'avant, deux vers le milieu et deux à l'arrière, donnent une surface totale de 60 mètres carrés. L'appareil, qui doit porter normalement un passager et le pilote, est mû par un moteur Dutheil et Chalmers de 60 HP, actionnant une hélice Chauvière de 3 m. 20 (600 tours).
Fig. 131
Multiplan du Marquis d'Equevilly.
On voit par la figure 130, représentant l'appareil de face, que la multiplicité des plans a permis au capitaine Hayo de donner à ceux-ci une faible envergure (4 mètres) qui rend l'ensemble plus logeable (largeur 4 mètres, hauteur 6 mètres, longueur 11 mètres).
Tout autre est la disposition des plans de sustentation imaginée par M. le marquis d'Equevilly dans l'appareil ellipsoïdal que représente la figure 131, page 185. Ici, les surfaces portantes les plus étendues ont 5 mètres d'envergure, et l'ensemble donne une surface portante totale de 25 mètres carrés. Cet aéroplane est à l'essai comme les précédents. Espérons qu'il justifiera les prévisions de son inventeur.
Une disposition plus curieuse encore est celle du multiplan Carron, dont le modèle fut présenté à l'Académie des sciences par M. Painlevé au commencement de 1909 (fig. 132, page 187). Là, les surfaces portantes sont des lames étroites superposées comme celles d'une persienne, sur trois rangs, dans un cadre rigide de 2 mètres de large, sur 4 mètres de hauteur. Avec ces dimensions, elles donnent une surface totale de sustentation égale à 16 mètres carrés.
Au lieu d'une ou deux hélices, deux roues à aubes tournant en sens contraire, entraînent le chariot rouleur de l'appareil sur lequel le cadre à lames de persienne est rabattu.
Fig. 132
Multiplan Carron.
Quand la vitesse de roulement est suffisante, le cadre est relevé par la résistance normale de l'air agissant sur les lames de persienne, et le châssis prend une position qui se rapproche de plus en plus de la verticale, sans toutefois jamais l'atteindre. Il enlève alors l'ensemble du système avec une force d'au moins 12 kilogr. par mètre carré de surface (soit 192 kilogr. pour les 16 mètres carrés de surface totale des lames du châssis) et avec une vitesse de progression de 460 kilomètres à l'heure... Telles sont du moins les prévisions de M. Carron, dont l'appareil n'a pas encore été construit aux dimensions d'«usage pratique» indiquées ci-dessus.
En 1892, M. Horatio Phillips, ingénieur anglais, construisit un multiplan analogue, mais ses essais ne furent point satisfaisants.
Dans la courte série des multiplans, on peut enfin classer l'aéroplane Givaudan, construit par M. Vermorel à Villefranche (fig. 133, page 189), qui se compose de deux cellules cylindriques doubles; c'est-à-dire, formées de deux cylindres concentriques séparés par huit plans rayonnant du centre aux circonférences, mais seulement entre les deux cylindres concentriques de chaque cellule.
Les deux cellules placées aux extrémités d'un fuselage entretoisé qui porte le pilote, le moteur, les organes de commande et l'hélice tractive à l'avant de l'appareil, sont toutes deux surfaces portantes, mais, tandis que celle d'arrière, fixée sur le fuselage, joue en même temps le rôle de stabilisatrice, celle d'avant, orientable dans une large mesure à la volonté du pilote, forme, à la fois, gouvernail de direction latérale et gouvernail de profondeur.
On attend les essais de cet aéroplane si particulier pour connaître sa capacité de sustentation et sa stabilité.
Fig. 133
Aéroplane cylindrique Givaudan-Vermorel.
Bien qu'ayant donné des résultats d'enlèvement et de sustentation probants, les hélicoptères, notamment celui de M. Cornu, et les gyroplanes, particulièrement étudiés par MM. Bréguet et Richet, sont des appareils encore trop peu entrés dans le domaine des réalisations pratiques pour être le sujet d'une description dans cet A. B. C. sommaire. L'appareil mixte, à la fois aéroplane et hélicoptère des frères Dufaux, est aussi dans ce cas.
Pour le même motif, il n'y a pas lieu d'analyser ici l'ornithoptère de M. de la Hault, le très distingué aviateur belge, qui réalise par un dispositif mécanique spécial le mouvement en forme de huit (8) ou «lemnicaste» des ailes des insectes.
Ces derniers types de «plus lourd que l'air» écartés, si l'on se borne à considérer l'ensemble des monoplans, biplans, triplans et multiplans énumérés dans ce chapitre, on remarque que l'ingéniosité des inventeurs et des constructeurs a déjà embrassé presque toute la série des dispositifs qui semblent actuellement rationnels.
La plupart des appareils cités se sont élevés, ont parcouru des espaces notables, et l'on peut prévoir que la majeure partie de ceux qui n'ont pas encore été expérimentés en grandeur normale d'exécution, accompliront des aviats quelconques.
Mais il ne suffit plus qu'un modèle nouveau quitte le sol et accomplisse un trajet aérien de 5, de 50 ou de 500 mètres; il importe que ce modèle effectue des évolutions au moins équivalentes à celles des meilleurs types d'aéroplanes consacrés pour prétendre les remplacer. L'aviation se débattant encore dans un empirisme laborieux, les démonstrations par le fait s'imposent et priment les théories les plus séduisantes en principe.
VII
Le bilan de l'Aviation
Épreuves.—Créateurs.
Constructeurs.—Pilotes.
Pour faciliter l'examen du bilan de l'aviation, nous avons réuni sous forme de tableau le relevé de tous les progrès accomplis, mais en élaguant, pour abréger ce tableau, les redites ou répétitions, ainsi que les bons résultats obtenus par les appareils et les aviateurs de second plan jusqu'à la fin de 1909.
Le 10 octobre 1908, par exemple, Wilbur Wright au camp d'Auvours fait, avec un passager, M. Painlevé, membre de l'Institut, un aviat de 1 h. 9' 45" qui est record du monde à cette date pour la durée de sustentation dans l'air d'un aéroplane quelconque, portant en plus de son pilote un passager.
Nous notons soigneusement cet exploit, parce qu'il marque un progrès sur les précédentes prouesses de même nature, et en particulier sur l'aviat similaire exécuté par le même pilote et le même appareil le 6 du même mois, parce que cet aviat précédent, également record du monde, à la date du 6, n'avait été que de 1 h. 4' 26" (passager M. Fordyce).
Mais nous ne mentionnons pas dans notre tableau les nombreux autres aviats avec passagers accomplis après le 10 octobre, par Wilbur Wright, parce qu'ils ont tous été d'une durée inférieure à 1 h. 9' 45".
Dans le même but de simplification et pour abréger, nous ne portons sur ce tableau aucun des aviats des appareils de la Herring-Curtiss Co parce qu'ils ont été, soit comme durée, soit comme distance, soit comme hauteur, accomplis avant ceux de ces appareils par d'autres aéroplanes, et ne constituent pas des progrès. Mais nous signalons au contraire scrupuleusement l'aviat de Glenn-Curtiss, lorsqu'à Bétheny, le 28 août 1909, il gagne la Coupe Gordon-Bennett par un aviat d'une vitesse sans précédent, qui constitue l'une des étapes des progrès obtenus dans les augmentations de vitesse des aéroplanes.
Nous signalons de même, dans ce tableau, son record du monde pour le lancement établi par 80 mètres à Brescia, le 9 septembre 1909.
Nous ne mentionnons pas les voyages du Baby, de Santos-Dumont, parce que d'autres voyages analogues, plus saillants, ont été accomplis auparavant par d'autres aéroplanes, mais nous notons le lancement en 70 mètres par lequel Santos, sur ce minuscule monoplan, reprend à Glenn-Curtiss, le 15 septembre 1909, le record du monde de lancement que l'Américain avait conquis à Brescia six jours auparavant.
Grâce à ces suppressions de redites, le tableau du bilan de l'aviation met en évidence, sans prendre un trop grand développement, tous les progrès obtenus par les aviateurs, constructeurs et pilotes d'aéroplanes. Il suffit de l'examiner, de l'analyser pour apprécier exactement ces prodigieux progrès (jusqu'à la fin de 1909).
Néanmoins, comme certains lecteurs pourraient n'avoir pas le temps ou la patience de faire acte d'analyse, nous la traçons à grands traits à la suite du tableau.
L'examen de ce tableau montre que le premier appareil plus lourd que l'air ayant fait avec un moteur et un pilote un trajet dans l'air, après s'être élevé par sa propre force, est l'Éole d'Ader, aviant le 9 octobre 1890, en France, à Armainvilliers.
L'année suivante, au camp de Satory, un autre appareil, de l'ingénieur Ader, amélioré et dénommé l'Avion, s'élève encore, et fait dans l'air un parcours de 100 mètres.
Si l'on écarte comme insuffisants les essais de Sir Hiram Maxim (1894-1895) et ceux de M. Langley (1896-1903), bien que ce dernier soit arrivé fort près de la solution du problème, on voit que les études de vol plané de Lilienthal, l'éminent continuateur de Le Bris, perfectionnées par Chanute et ses élèves, empruntant le dispositif de Hargrave, ont été les éléments des travaux des frères Wright et de ceux du capitaine Ferber, inspirateur et même créateur de l'école française d'aviation avec Voisin et Blériot, secondés par Archdeacon.
Quant aux progrès accomplis, ils sont positivement merveilleux.
À la fin de 1903, le biplan Wright quitte le sol et se soutient 12", puis 59" dans l'air; il parcourt 260 mètres.
L'année suivante, à Springfield (États-Unis), il fait 300 mètres, 400 mètres, puis 4.500 mètres (si l'on néglige les aviats de distances intermédiaires, car les grandes étapes, caractéristiques, sont seules mentionnées ici pour abréger).
En 1905, les frères Wright sont déjà maîtres de leur appareil. Leurs principaux aviats en septembre et octobre ont été de 6, 17, 19, 24, 33 et enfin 39 kilomètres 956 mètres à Springfield.—Ils sont restés dans l'air 18, 19, 25, 33 et 38 minutes, parcourant l'espace à une vitesse de 16 mètres environ par seconde; soit 57 à 58 kilomètres à l'heure.
De son côté, en France, sans détails sur les expériences des frères Wright, soigneusement cachées, le capitaine Ferber, s'inspirant uniquement, comme eux, des études de Lilienthal et de Chanute, fait des études analogues aux leurs. Il est convaincu de la possibilité d'avier. Il communique sa foi en 1904 au jeune Gabriel Voisin. Archdeacon prêche, comme Ferber, en faveur du «plus lourd que l'air». Il ramène à l'aviation Blériot, que des essais infructueux d'appareils ornithoptères avaient découragé en 1900. Il seconde Voisin et, quand les premières expériences publiques des frères Wright, à la fin de 1905, commencent à ébranler l'incrédulité mondiale, il y a déjà en France un trio d'intrépides chercheurs qui touchent presque au but: Ferber, Voisin et Blériot.
En 1906, pendant que les frères Wright cherchent en vain à vendre un million leurs brevets, Santos-Dumont se lance, avec son intrépidité habituelle, sur un biplan cellulaire à peine étudié, et quitte à son tour le sol.
En trois mois (abstraction faite des laborieux essais préliminaires et des expériences intercalaires), ses parcours aériens passent de 7 à 220 mètres; son appareil (le Santos-Dumont 14 bis) arrive à se soutenir dans l'air 21 secondes, parcourant plus de 10 mètres à la seconde.
Mais quatre mois plus tard, les travaux des frères Voisin, et cinq mois plus tard ceux de Blériot, commencent à donner leurs premiers résultats (mars-avril 1907). Le biplan Voisin (dénommé Delagrange no 1) parcourt 10, puis 25, puis 60 mètres dans l'air. Le monoplan Blériot no 4 (le Canard) s'élève et fait 6 mètres au-dessus du sol... repart une autre fois pour un plus long parcours, mais tombe et se brise!... La destruction accidentelle des premiers appareils est de règle presque invariable.
Qu'importe! Blériot ne se décourage pas plus que les frères Voisin. Il a fait quatre appareils, il en fera un cinquième, un sixième, et de juillet à septembre 1907, ses parcours aériens, sans cesse croissants, seront de 10, 20, 30, 40, 78, 120, 150 et 184 mètres (17 septembre 1907, monoplan no 6, à Issy-les-Moulineaux).
Voisin le suit de près. En octobre et novembre, ses biplans (dénommés Delagrange ou Farman) font d'incessants essais qui portent leurs parcours progressifs à 280, 500, 600, 771 et 1.030 mètres (biplan Voisin dénommé Farman no 1, premier aviat en circuit fermé, le 9 novembre à Issy-les-Moulineaux).
Mais un autre monoplan est né, le remarquable avion de M. Robert Esnault-Pelterie (R.E.P. no 1) qui, presque d'emblée, à Buc (16 novembre), a couvert 600 mètres. C'est en quelque sorte son premier mot: le dernier n'est pas dit.
La campagne de 1908, véritable bataille du génie de l'aviation, s'ouvre par les prouesses des artistes Farman et Delagrange, rivalisant d'adresse et d'habileté sur des biplans Voisin ou du type Voisin.
En neuf mois, l'école française, représentée par les biplans des deux frères Voisin, amenés par Ferber à la conquête de l'air, rattrape avec l'aide de deux intrépides aviateurs Farman et Delagrange, toute la colossale avance des frères Wright.
Leurs grands bonds sont de 1.500, 2.004 métros (Farman), 2.500, 3.925 mètres, 12 kilom. 750 m. (Delagrange, le 30 mai, à Issy-les-Moulineaux).
Farman prend un passager (M. Archdeacon) et l'enlève pendant un parcours de 1.241 mètres, à Gand (Belgique), le jour même où Delagrange fait près de 13 kilomètres à Issy. Ensuite, cessant de raser le sol, il monte à 12 m. de hauteur, plus du tiers de l'altitude atteinte par les frères Wright l'année précédente (30 mètres).
Le mois suivant (juin), Delagrange renchérit sur ses précédents exploits à Milan, par un aviat de 14 kil. 270 m. d'une durée de 18 minutes.
Moins de 15 jours plus tard, Farman, à Issy, dépasse son rival et s'adjuge le record du monde de durée par 20' 20" d'aviat à Issy.
Deux mois plus tard, le 6 septembre, Delagrange, sur le même terrain d'essais, le dépassera par une sustentation de 29' 53" en couvrant 24 kilom. 727 m. et le 17 du même mois, par une durée de 30' 27".
Mais le même jour au camp d'Auvours, Wilbur Wright vient d'avier 32' 47" durant: et la veille, il s'est soutenu 39' 18" dans l'air.
Pendant que son frère Orville, à Fort-Myers (E.-U.), devant le «Signal corps», commençait à démontrer au gouvernement des États-Unis les capacités de leur biplan, Wilbur Wright s'était, en effet, rendu en France pour y faire au camp militaire d'Auvours des expériences non moins démonstratives.
Pendant ces quatre derniers mois de 1908, les biplans américains pilotés par Orville et Wilbur Wright vont écraser provisoirement l'école française parleurs prouesses progressives.
C'est en vain que Farman, sur son biplan 1 bis (type du biplan Voisin) tiendra l'air 43' et rouvrira 43 kilomètres à la même allure que les Wright en 1905 (57 à 58 kilomètres à l'heure), Orville, à Fort-Myers, avie 1 h. 2', puis 1 h. 15' 20" du 9 au 12 septembre. À cette date, il reste dans l'air 9' 6" avec un passager (record du monde), le Comm. Squiero. Mais six jours plus tard, le 18 septembre 1908, aviant avec le lieutenant Selfridge, la rupture d'une des deux hélices de son biplan le précipite sur le sol; il se blesse grièvement; son passager est tué net.
Lilienthal et Pilcher étaient morts en 1896 et 1897 des chutes de leurs aéroplanes sans moteur. Selfridge fut, après eux, la première victime de l'aviation mécanique.
Cependant, le terrible accident d'Orville ne réduit en rien la hardiesse de Wilbur Wright, qui bat, huit jours plus tard, au camp d'Auvours, le record de durée de son frère par 1 h. 31' 25" d'aviat continu (record du monde à cette date: 21 septembre 1908).
Enlevant successivement MM. Frantz-Reichel, Fordyce et M. Painlevé de l'Institut, pendant des durées de 55', de 1 h. 4 et de 1 h. 9, il bat ses propres records comme à plaisir.
Le 18 décembre il dépasse les 42 kilomètres de parcours de Farman par 99 kilomètres. Farman monte en vain le 31 octobre à 25 mètres au-dessus du sol de Bouy; le 13 novembre, au camp d'Auvours, Wilbur monte à 60 mètres, le 16 décembre, il atteint 90 mètres et le 18 du même mois 115 mètres d'altitude! Le même jour, il a tenu l'air 1 h. 54'! Enfin, le 31 décembre, il clôture triomphalement la campagne de 1908 par un splendide aviat de 2 h. 20' 23" en accomplissant un parcours de 124 kilom. 700! (Records du monde de durée et de distance).
L'école française de Ferber-Voisin-Blériot serait complètement battue cette année-là sans les qualités de souplesse et de praticabilité qui la caractérisent, car Farman la sauve glorieusement de cette complète défaite par le premier voyage accompli de ville à ville: de Châlons à Reims (le 30 octobre). Et le lendemain (31 octobre), Blériot accentue cette belle revanche par le premier voyage de ville à ville aller et retour avec escales: Toury-Artenay, en dépassant les vitesses de Wright (14 kilomètres en 11', soit 21 mètres à la seconde; 75 kilomètres à l'heure).
Wilbur détient presque tous les records, mais il est cloué à son camp d'Auvours, tandis que le type du biplan de Voisin et celui du monoplan de Blériot sont les libres oiseaux de l'air, et les personnes les plus étrangères à l'aviation entrevoient, pressentant que l'école française, plus pratique et plus sûre que l'école américaine,—plus élégante aussi par ses monoplans,—sera bientôt capable de rivaliser avec son aînée du Nouveau Monde.
Dès les premiers beaux jours de 1909, en effet (le 31 mai), Blériot renouvelle ses libres aviats par le retentissant voyage de Toury à Château-Gaillard et retour sur son monoplan no XI.
Le 13 juillet, il gagne le prix du voyage de l'Aéro-Club de France, en ajoutant à ses précédentes randonnées celle de Mondésir (Étampes) à Chevilly (Orléans), avec escale à Arbouville (41 kilom. 200 m. en 44').
Cinq jours après, Paulhan, sur un biplan Voisin: l'Octavie no 3, reprend le record de la hauteur aux Wright, par un aviat de 150 mètres d'altitude (record du monde à cette date).
Le lendemain Latham, autre intrépide aviateur de l'école française, sur un monoplan qui va glorieusement rivaliser avec celui de Blériot, l'Antoinette no 4, créé et construit par la «Société Antoinette», tente la traversée de la Manche.
Puis Paulhan va de Douai à Arras (biplan Voisin). Six jours après, Blériot reprend la tentative de Latham et franchit le détroit de Calais à Douvres en 27'!
Deux jours après, Hubert Latham échoue dans cette même traversée, tombant à un mille de Douvres, victime d'une panne de son moteur; mais cet échec est presque aussi méritoire qu'un succès, car l'aviateur arrivait littéralement au port.
Le 7 du mois suivant (août), Henri Farman sur son biplan Farman, né du biplan Voisin, reprend aux Wright le record du monde de durée par 2 h. 27' 15" d'aviat... et le 25 du même mois, Paulhan, à Bétheny, sur son biplan Voisin: l'Octavie no 3, reprend aux Américains et à Farman les records du monde de durée et de distance, par 133 kilom. 676 m. en 2 h. 43'.
Sont-ce les biplans français, est-ce les Voisins frères, qui battent seuls, sous quelque nom que ce soit, l'école américaine? Non pas! Latham entre aussi en lice à Bétheny et conquiert le record du monde de distance sur Paulhan par 154 kilom. 620 m. d'un seul aviat (26 août), sur l'Antoinette no 4.
Farman (type de biplan Voisin) s'élance dès le lendemain et se fait à son tour attribuer les records du monde de durée et de distance par 180 kilom. en 3 h. 41' 56" d'aviat continu!
Il faut qu'un nouvel Américain: Glenn Curtiss, intervienne pour s'emparer de la Coupe Gordon-Bennett en dépassant de vitesse tous les autres aviateurs, mais son appareil, d'abord intermédiaire entre les Wright et le Voisin, s'est finalement plus rapproché du type français que du type américain, et cette victoire américaine est presque une victoire française, par cela même, quant à l'appareil tout au moins.
Dépouillé du record de la distance par Farman, Latham se console de cette reprise en dépouillant à son tour Paulhan du record du monde de la hauteur par un aviat de 155 mètres d'altitude qui termine les victoires de la grande semaine de Reims.
À Brescia, le 9 septembre, Glenn Curtiss conquiert encore un record du monde, celui du lancement en 80 mètres. Mais six jours plus tard, notre Santos-Dumont le lui reprend par un lancement en 70 mètres à St-Cyr, sur son monoplan Baby, le plus petit aéroplane du monde.
À Berlin, le 18 septembre, Orville Wright enlève à Latham le record du monde de la hauteur par une ascension de 172 mètres. Mais deux jours après, sur biplan Voisin, Rougier lui reprend brillamment ce record par un aviat de 198 mètres d'altitude.
La grande semaine de Port-Aviation (Juvisy) est toute au profit de l'école française. Il faut l'exploit du comte de Lambert: Juvisy-Paris et retour à Juvisy, sur biplan du type Wright, avec passage au-dessus de la tour Eiffel (400 mètres d'altitude) pour «sauver l'honneur» de l'école américaine, car le 3 novembre Henri Farman sur son biplan (type de biplan français Voisin) s'adjuge encore les records du monde de distance et de durée par 234 kilom. 212 m., parcourus d'un seul aviat, et 4 h. 17' 53" de sustentation sans arrêt!
Mais, en outre, dans la première quinzaine de décembre à Mourmelon, sur son monoplan Antoinette, Latham atteint 475 mètres d'altitude (officiellement contrôlé) par un vent de 15 mètres à la seconde! Tous les records étrangers, sauf un, celui de la vitesse par Glenn Curtiss, sont battus!
Quel est en résumé le bilan des six années d'aviation américaine, et de ces trois années d'aviation française, à quelques mois près[36] (à la fin de 1909)?
Les aéroplanes, biplans ou monoplans, qui se contentaient d'abord de raser le sol des champs de manœuvres ou aérodromes à 1, 2, 3, ou 5 mètres de hauteur se sont élevés jusqu'à près de 500 mètres d'altitude.
Ils ont quitté leurs lieux d'évolutions démonstratives pour s'élancer à travers les campagnes, aller de ville à ville et revenir à leurs points de départ, avec ou sans escales, planant sur les villages, sur les grandes villes avec une superbe quiétude.
Les quelques mètres, si timides, de leurs premiers parcours sont oubliés. On a compté par centaines de mètres, puis par kilomètres franchis. Les records de distance sont aujourd'hui de centaines de kilomètres.
Les aéroplanes ont avié quelques secondes, puis quelques minutes. Des quarts d'heure, ils ont passé aux demi-heures, puis aux heures. On avie désormais toute une matinée ou tout un après-midi durant. La fatigue du pilote, le froid ou l'épuisement de la provision d'essence et d'huile obligent seuls les biplans ou monoplans à reprendre contact avec la terre.
On roulait pendant des kilomètres sans réussir à s'enlever complètement en 1906, tandis que, à la fin de 1909, c'est en moins de cent mètres, en 80 mètres, ou 70 mètres qu'un aéroplane quitte la terre.
Quant aux vitesses, elles ont passé de 8, de 10, de 12, à 15, 16, 18, et 21 mètres à la seconde. On fait en aviant, de 65 à 80 kilomètres à l'heure.
Sont-ce là prouesses exceptionnelles? Le classement des aviateurs fait par l'Aéro-Club de France, en novembre 1909, pour l'attribution du prix de la tenue de l'air, répond à cette question d'une manière éclatante et démontre que le problème de l'aviation est positivement résolu.
Il a coûté la vie à Lilienthal, à Pilcher, au lieutenant Selfridge, à Lefebvre, au commandant Ferber, perte plus désolante que toutes les autres, enfin, plus récemment, à une série d'autres..., et l'on ne compte plus les contusionnés ou les blessés, on ne compte plus surtout les appareils brisés dans les aviats. Mais, est-ce à dire que l'aviateur pilotant un aéroplane risque à chaque instant son existence? Les milliers de kilomètres parcourus dans l'air au cours de milliers d'aviats, démontrent surabondamment qu'il n'en est rien.
On est trop porté encore à croire que le pilote d'un aéroplane est à la merci d'une panne de moteur ou d'un trouble quelconque de l'atmosphère. Il est impossible, assurément, d'avier par de très mauvais temps, comme il est dangereux pour un navire d'être dans l'ouragan. Les oiseaux eux-mêmes se mettent à l'abri quand le vent souffle en tempête. Mais par des vents modérés, ou même assez frais, les aéroplanes évoluent fort bien, et le «coupage de l'allumage» à de hautes altitudes (plus de 1.000 mètres) pour descendre en «vol plané» est aujourd'hui une manœuvre accomplie à plaisir par tous les aviateurs exercés.
Ceux-ci ne sont pas encore très nombreux, mais après les principaux,—en tête desquels il faut placer les frères Orville et Wilbur Wright, Farman, Santos-Dumont, Blériot, Paulhan, Latham, le comte de Lambert, Glenn Curtiss, Tissandier, Delagrange, Sommer, Rougier, Cody, Gobron, Château, Gaudart,—qui ont piloté par un vent de 20 mètres à la seconde,—et Bunau-Varilla,—il y a plus d'une cinquantaine de pilotes déjà connus par leurs essais; sans compter ceux qui existent à l'étranger, et que nous ignorons.
Avant peu, le nombre décès aviateurs sera-t-il doublé, quadruplé, ou décuplé?... on ne saurait le prévoir. Le bilan des débuts de la locomotion aérienne par le plus lourd que l'air est trop déroutant en raison de la rapidité des résultats obtenus, pour permettre des conjectures rationnelles à cet égard.
Ce que l'on constate, aisément, en revanche, par les épreuves de la France et de l'étranger, c'est qu'un fort petit nombre d'aviateurs, toujours les mêmes, accomplit tous les exploits d'aviation.
Est-ce parce que ces pilotes ont sur leurs émules une supériorité considérable? Oui, dans une certaine mesure, notamment pour des intrépides comme Santos-Dumont, Henri Farman, les Wright, Latham, Paulhan, Blériot, le comte de Lambert, etc., mais aussi parce que les appareils qu'ils montent sont particulièrement favorables à leurs prouesses.
Il y a entre l'appareil et le pilote une étroite relation de cause à effet, qui s'exerce avec réciprocité. «Tel appareil, tel pilote» est un axiome d'aviation. Et, inversement, nous exposerons plus loin comment, dans une large mesure, la part du pilote doit être faite pour expliquer les succès des appareils.
Pour conclure sur ce bilan, contentons-nous à présent, après avoir noté la grande prépondérance d'un très petit nombre de pilotes, de constater,—non sans surprises peut-être,—que le nombre des types d'appareils victorieux est encore bien plus restreint. Il se réduit, en effet, à quatre, qui ne sont même réellement que TROIS, si l'on met tout à fait à part, comme il y a lieu, le merveilleux Baby de Santos-Dumont.
Ici le bilan de l'aviation que nous avons dressé sans omettre la moindre épreuve marquante s'impose avec la rigueur inéluctable du fait matériel: les seuls appareils qui ont exécuté les grandes prouesses de la glorieuse conquête de l'air, sont ceux de quatre créateurs constructeurs: les frères Wright, les frères Voisin, Blériot et la Société Antoinette.
Les appareils Farman, Delagrange, Rougier, Paulhan, Sommer, etc., sont tous, en effet, du type Voisin, comme les appareils du comte de Lambert et de Tissandier sont du type Wright. Les biplans de la Herring-Curtiss et Co, nous l'avons dit, sont mixtes: mi-partie Voisin et Wright, mais toutefois plus Voisin que Wright.
Seuls, Blériot et la Société Antoinette ont des monoplans bien distincts, quoique fort cousins.
À l'étranger, sauf de rares exceptions, les appareils qui peuvent avier réellement dérivent encore directement du type Voisin ou du type Wright. Il ne s'ensuit pas que les autres types actuellement en essais ne donneront point de résultats équivalents ou même supérieurs, mais quant à présent, tous les éclatants succès de l'aviation sont dus à quatre types d'aéroplanes: les biplans des Wright et de Voisin; les monoplans de Blériot et de la Société Antoinette.
Il convient, en outre, de noter à la gloire de ces quatre créateurs-constructeurs, qu'ils ont accompli avec une rapidité vraiment stupéfiante des travaux presque sans équivalents dans l'histoire universelle des inventions et de la construction.
En moins de trois ans, de 1907 à 1909, la «Société Antoinette» n'a pas construit moins de huit modèles de monoplans ayant tous avié.
Blériot est à son treizième type de monoplan.
Le Baby est le Santos-Dumont no 20.
Les Wright ont créé eux-mêmes une belle série de biplans de leur type.
L'Herring-Curtiss et Co est dans le même cas.
Quant aux frères Voisin, ils ont établi plus de vingt-cinq types d'aéroplanes depuis trois ans, sans compter les innombrables essais ignorés auxquels ils doivent aussi la maîtrise qui les met si justement à la tête de l'aviation française.
Ceci explique cela. On s'étonne un peu moins de l'importance des succès obtenus quand on sait quelle somme colossale d'efforts acharnés les a préparés.
VIII
L'appréciation des épreuves et des aéroplanes.
L'orientation de l'Aviation
Connaissant les inventeurs ou créateurs et constructeurs ainsi que leurs appareils, connaissant les pilotes et leurs exploits, il semble que l'on devrait aisément apprécier les divers modèles d'aéroplanes, en motivant les jugements portés... Mais cela est impossible, parce que les éléments de comparaison sont encore trop insuffisants.
Si l'on examine, par exemple, le tableau du bilan de l'aviation du chapitre précédent on constate, à première vue, que même pour l'année 1909, il contient des lacunes considérables.
Aucune des caractéristiques des aviats n'est complète, et pourtant ces caractéristiques sont réduites à des données bien rudimentaires.
Sur les vingt-cinq épreuves principales inscrites pour 1909, deux seulement font mention de l'état de l'air. On voit que le 26 août (1909) Hubert Latham, sur monoplan Antoinette, a conquis le record du monde de la distance parcourue à cette date par un aviat de 154 kilomètres et 620 mètres accomplis en 2 h. 17' 21" par un vent de 8 mètres à la seconde... mais c'est tout! On ignore comment ce vent était orienté par rapport à la marche du monoplan. La hauteur de l'aviat n'est pas indiquée. Ses vitesses sont inconnues. Il faut faire un calcul pour déduire de la distance et de la durée une vitesse moyenne qui est une indication trop sommaire!
Le record du monde de la hauteur fut établi par le même pilote, sur le même monoplan (ou sur un monoplan Antoinette du même type), le 1er décembre, par une altitude de 473 mètres, malgré un vent de 12 à 15 mètres à la seconde, mais sur quelle distance d'aviat? pendant quelle durée? à quelle vitesse de marche?... On ne sait!
Le tableau du bilan n'a pas de colonne pour mentionner les dépenses d'essence et d'huile, le poids du pilote et celui des passagers dans les aviats où des passagers ont été pilotés, parce que ces indications ne sont jamais données. D'autres éléments d'appréciation seraient non moins nécessaires: ils font absolument défaut. Comment, dès lors, pourrait-on tenter des comparaisons précises et motivées entre des épreuves similaires? Il faut se borner à enregistrer les résultats tels qu'ils sont communiqués et se contenter de constater des faits d'ordre général du genre de ceux-ci.
Les monoplans Blériot (les derniers types notamment) semblaient être des aéroplanes plus rapides que les biplans. Blériot fit maintes fois 19, 20 et même 21 mètres à la seconde, tandis que les biplans de l'école américaine ou française ne dépassaient guère 14 à 17 m. à la seconde.
Néanmoins Glenn Curtiss, sur un biplan d'abord analogue à celui des frères Wright, puis plus rapproché du type de biplan des frères Voisin, conquit à Bétheny (Reims) la Coupe Gordon-Bennett par une vitesse contrôlée de 21 mètres à la seconde, égale à celle du monoplan Blériot et plusieurs fois renouvelée.
Malgré ses deux surfaces portantes, le biplan n'est donc pas moins rapide que le monoplan; du moins les épreuves tendent à le faire penser. Mais il est impossible de tenir cette indication pour définitive, parce que les conditions des expériences ne sont pas assez connues dans leurs détails pour permettre de les comparer. On ignore dans ce cas presque toutes les données essentielles dont il faudrait tenir compte, mais il est bien certain que ni les poids, ni les surfaces, ni les angles d'attaque, ni les hélices, ni les moteurs, ni l'état de l'air, n'étaient semblables pour les aviats de Glenn Curtiss et ceux de Louis Blériot.
Il aurait fallu se contenter de dire en 1909: «Le monoplan peut faire 76 kilomètres à l'heure; mais le biplan atteint aussi cette vitesse.» Aujourd'hui les aéroplanes rapides font plus de 100 kilomètres à l'heure et en marche moyenne 80 à 90 kilomètres!
Les records de distance et de durée étaient, en 1909, détenus par Henri Farman qui fit un aviat de 234 kilomètres et de près de 4 h. 1/2 sur son biplan (du type Voisin). Mais Latham sur son monoplan Antoinette avait aussi tenu l'air 3 h. 3/4 et couvert 180 kilomètres. Ce magnifique résultat ne permettait pas de supposer qu'un monoplan serait incapable de reprendre à Farman le record du monde qu'il avait conquis avec un biplan.
La même indécision s'appliquait en 1909 à l'altitude. Latham atteignit d'abord des hauteurs qu'aucun biplan n'avait osé risquer jusqu'au jour où Orville Wright, à Berlin (le 18 septembre 1909), s'éleva de 172 mètres. Mais Rougier, à Brescia, monta le sur lendemain à 198 mètres; le comte de Lambert parvint le 18 octobre à près de 400 mètres. Latham lui ravit, le record du monde de hauteur par 473 mètres sur son monoplan Antoinette. On a vu depuis, en 1910, que l'altitude de 2.600 mètres fut atteinte! Nous sommes à présent à plus de 3.000 m.
En résumé les capacités des monoplans et des biplans paraissent équivalentes, quant à présent, en ce qui concerne les distances, les durées, les altitudes et les vitesses.
Il faut remarquer cependant qu'une part du résultat est inhérente à l'habileté du pilote, même lorsqu'il s'agit des appareils les moins difficiles à conduire. Marcher, courir, descendre ou monter un escalier sont des exercices pour lesquels nous avons dû faire un apprentissage. Il est normal à plus forte raison, pour l'aviateur, d'accoutumer ses sens et ses organes aux stabilités aériennes, aux mouvements de l'atmosphère, et même aux visions surplombantes qui déroutent et dont une ascension en ballon libre donne l'impression.
Un aéroplane quel qu'il soit est, enfin, un instrument auquel on s'adapta; qu'on a plus ou moins «en main». On ne saurait qualifier avec justesse les épreuves et les appareils sans tenir compte de tous ces éléments. Or, nombre d'entre eux sont inconnus.
Veut-on comparer entre eux, soit les monoplans, soit les biplans? Veut-on comparer entre eux ces deux types d'appareils (monoplans et biplans)? Nouvelle impossibilité! Ces comparaisons ne peuvent se faire avec précision parce que les caractéristiques des appareils sont incomplètement déterminées.
Considérons par exemple les surfaces portantes. On connaît l'envergure, la profondeur des plans, la surface totale, mais tantôt ce total comprend les plans stabilisateurs longitudinaux, tantôt il ne les comprend pas. L'angle d'attaque normal n'est presque jamais noté. On ignore si les surfaces sont totalement rigides ou partiellement flexibles, par exemple à l'arrière, et, en ce cas, comment cette flexibilité est établie, son importance, son fonctionnement. On ignore quelle est la courbe, l'incurvation des plans sustentateurs; quelle est leur épaisseur et si, par le mode de construction, ils ont une flexibilité transversale (lorsqu'il s'agit par exemple de monoplans).
Si le monoplan a ses ailes disposées en V très ouvert, l'angle de cette ouverture n'est pas mentionné. Si les ailes sont incurvées transversalement, on ne sait suivant quelle courbe, de quelle quantité, etc...
Pour les biplans à queue stabilisatrice, on ignore souvent la distance exacte qui sépare cette queue des plans sustentateurs.
Les parties mécaniques: moteur et hélices, sont généralement mieux décrites; néanmoins, le pas de l'hélice n'est pas toujours inscrit; on ne connaît pas son recul, sa forme, sa courbure, sa construction, sauf lorsqu'il s'agit de certains modèles comme les hélices intégrales de Chauvière.
Passons sur les autres lacunes trop nombreuses, qu'il serait aisé mais fastidieux d'énumérer. On se les explique en tenant compte des conditions dans lesquelles on construit encore actuellement les «plus lourds que l'air».
Faute d'études scientifiques préalables, qui seraient extrêmement longues et dispendieuses, l'empirisme gouverne la construction.
Constructeurs et pilotes tâtonnent sans cesse,—et ceci n'est pas pour diminuer leurs mérites, au contraire, puisque leurs tâtonnements précités ont déjà donné de superbes résultats. Mais on comprend les lacunes des caractéristiques données, ou leurs inexactitudes, lorsqu'on sait que d'une saison à l'autre, quelquefois même du jour au lendemain, les dispositions d'un aéroplane sont changées.
Pour les appareils comme pour les épreuves, il faut donc observer la plus grande réserve dans les appréciations.
Ce qui est acquis, en revanche, par la pratique des années 1909, 1908 et 1907, c'est que la gouverne des biplans à cellule arrière stabilisatrice est beaucoup plus facile aux débutants que celle des monoplans et surtout que celle des biplans du type Wright, dépourvus de queue stabilisatrice.
Le pilote doit, en outre, surveiller la bonne marche du moteur et des hélices. Il lui faut observer sans cesse le pays qu'il domine car les «plus lourds que l'air» ne sont pas faits pour tourner éternellement sur des aérodromes... Nous estimons que ce sont là trop de préoccupations simultanées, et nos efforts tendent à des stabilisations automatiques.
Les plans équilibreurs arrière préconisés bien avant l'aviation actuelle par Pénaud, puis par Tatin, donnent une grande partie de cette stabilisation automatique. N'ayant pas de raisons de brevet ni des raisons d'amour-propre d'auteur pour les dédaigner, les constructeurs américains de la Herring-Curtiss et Co n'ont pas hésité à les adopter.
Toutefois, dès la création de leur second modèle (le White wing), ils ajoutaient aux plans sustentateurs des ailerons de stabilisation transversale commandés par des mouvements de torse du pilote[37].
Santos-Dumont commande de même, c'est-à-dire par des mouvements de torse, un gauchissement des ailes de sa Demoiselle ou Baby (Santos-Dumont no 20) qui stabilise latéralement ce petit monoplan.
Tout en s'appliquant à réaliser des stabilisations automatiques, on cherche à obtenir aussi des manœuvres d'organes stabilisateurs PAR SIMPLES RÉFLEXES INSTINCTIFS, et non par raisonnement, par calcul; ce qui est une manière d'automatisme fort intéressante.
Si par les mouvements de son siège ou du dossier de celui-ci, par des flexions du buste ou du torse instinctives le pilote provoque précisément, avec l'extrême rapidité du réflexe nerveux, la manœuvre exacte qu'il faut faire pour rétablir la stabilité compromise ou menacée de son aéroplane, il se rapproche très heureusement des excellentes conditions de l'oiseau.
L'accoutumance développant en lui la sensibilité et la promptitude de ces réflexes nerveux, irraisonnés, il n'est peut-être pas impossible qu'il arrive à les produire naturellement avec une assez grande vitesse et une assez grande souplesse pour posséder, sans autre incidence dangereuse, une conscience de sécurité analogue à celle de l'oiseau.
Nos moyens ne nous permettent point de copier la Nature. Nous ne pouvons pas créer une hirondelle, un pigeon, une mouette: c'est évident. Mais nous pouvons avoir souci de reproduire en totalité ou en partie, dans la mesure de nos capacités, ce que la Nature nous montre. L'expérience nous en fait même un devoir en nous apprenant que nos meilleurs résultats en aviation sont dus à cette initiation.
Le vol plané, point de départ et base de l'aviation actuelle, n'est qu'une imitation rationnelle de la Nature.
Qu'elles soient obtenues par cellule arrière, par gauchissement des surfaces portantes, par ailerons auxiliaires ou par tous ces moyens réunis, nos stabilisations ne sont encore que des emprunts faits aux organismes aériens.
En revanche, il est certain que ces imitations sont encore trop grossières et trop inharmoniques. Nous copions fort mal, et les défauts de nos copies viennent principalement de l'insuffisance de nos observations.
Que de fois n'ai-je pas remarqué, par exemple, avec mon cher et regretté maître, M. le professeur Marey, à la station physiologique du Parc des Princes, lorsque nous y étudions les mouvements des êtres animés au moyen de la chronophotographie, les erreurs qui nous étaient suggérées par «la persistance rétinienne».
Nos organes sont impropres à l'analyse des mouvements si rapides des ailes des plus grands oiseaux. La perspective et les incidences d'éclairage nous trompent sur les positions, les attitudes et les formes des volateurs que nous examinons. Il est indispensable de recourir à des moyens d'analyse comme ceux que la chronophotographie donne seule pour étudier la sustentation et la progression aérienne animale; or, sans cette étude méthodique et scientifique à créer de toutes pièces au point de vue de l'aviation humaine, on ne pourra que continuer à perfectionner par des tâtonnements d'une durée et d'un prix démesurés. On perdra des dizaines d'années, on gaspillera des millions; sans parler des existences risquées et sacrifiées.
Ces études préalables, tout à fait primordiales, seront-elles entreprises à l'Institut Aérotechnique si généreusement doté par M. Henry Deutsch (de la Meurthe)? Il est permis de se le demander puisque cette question capitale n'a jamais été formulée.
Qui, d'ailleurs, songerait à les proposer ou à les entreprendre? N'est-il pas plus simple et plus facile de dire que l'homme doit chercher dans son domaine mécanique, et non dans celui de la Nature, les solutions des problèmes de l'aviation?
À l'appui de cette opinion si tranchante n'a-t-on pas osé invoquer la roue comme argument, en disant que «aucun organisme animal ne se déplace sur roues»?
Avec de tels raisonnements, qui tiennent du «coq à l'âne» ou du jeu de mots, on ne manifeste pourtant qu'ignorance ou mauvaise foi, car les mouvements circulaires, les mouvements giratoires, les roulements, en un mot, sont au contraire fréquents dans les organismes animés, et se rencontrent précisément chez les plus inférieurs ou les plus éloignés de nos sens. Seulement, pour les constater, il faut parfois les examiner au microscope. L'homme préhistorique n'a pas connu la roue; cela est à peu près démontré. Néanmoins, elle était inventée; c'est-à-dire adoptée par l'humanité civilisée, bien avant le temps où Galilée se voyait contraint de renier la rotation de la terre, qu'il avait proclamée!
Par bonheur notre éclectisme moderne permet d'exposer sans danger des opinions personnelles, et nous ne risquerons pas d'être lapidé, même par les constructeurs et pilotes de l'aviation actuelle, en disant ici que leurs admirables résultats ne sont encore qu'un premier pas bien chancelant dans la vraie conquête de l'air.
On a déjà fait observer avec raison que nos aéroplanes actuels sont loin de planer comme plane l'oiseau. Mais il ne suffit pas de constater l'énorme supériorité du planement réel de l'animal, et de dire que nous nous contentons de l'esquisser. Il faudrait déterminer exactement comment l'oiseau plane et progresse en planant... Cette détermination ne sera possible que par une étude chronophotographique méthodique du planement, à l'aide de dispositifs nouveaux. Ces dispositifs sont à créer, car ils n'existent point. Marey n'eut ni le temps, ni les crédits nécessaires pour les étudier et les réaliser.
Sûr de ne pas être brûlé vif pour avoir osé formuler en cet A. B. C. une opinion plus avancée encore, mais qui repose sur nos observations précitées, faites jadis à la station physiologique du Parc des Princes, nous ajouterons: si les moyens d'action des oiseaux doivent être étudiés chronophotographiquement d'une façon nouvelle et spéciale, parce qu'ils fourniront des données indispensables aux progrès rapides de l'aviation, il est assez probable que la solution pratique du problème, si glorieusement entamée aujourd'hui, ne sera pas fournie par l'oiseau, mais par l'insecte, dont les moyens mécaniques et l'anatomie sont infiniment plus en rapport avec nos capacités de réalisations actuelles que ceux des oiseaux.
Nous ne pouvons pas faire un aigle ou un albatros, mais nous pourrions presque faire en totalité certains insectes, si nous prenions d'abord la peine de les bien étudier en eux-mêmes, et par rapport à nos outils modernes.
Après ces études, les laboratoires d'aérophysique et d'aérochimie, les ateliers d'essais et de constructions prévus pour l'Institut Aérotechnique seraient assurément des compléments précieux, indispensables. Mais après seulement. Pour gagner du temps, il faudrait commencer par l'A. B. C.
IX
Le développement de l'Aviation
Comment l'aviation se développe-t-elle? Par l'exemple d'abord. Voir évoluer un aéroplane est un fait qui s'impose.
Au début de l'aviation actuelle, quelques propagandistes dévoués et inlassables, parmi lesquels il convient de citer surtout le regretté capitaine Ferber et M. E. Archdeacon, firent de véritables campagnes de conférences et publièrent de nombreux articles en faveur de la locomotion dans l'atmosphère par les plus lourds que l'air.
Gabriel Voisin et Louis Blériot, qui avait abandonné ses essais d'hélicoptères, furent ainsi gagnés ou ramenés à l'aviation. Or, ce sont en quelque sorte les deux grands chefs de l'école d'aviation française moderne.
Les démonstrations d'aviation faites par ces deux Français, par Santos-Dumont, puis par Wilbur Wright, et bientôt par nombre de nos compatriotes, spontanément devenus émules de Ferber, de Voisin, de Blériot, créèrent alors l'enseignement pratique rudimentaire des constructeurs et des pilotes.
Rien ne semble plus facile, à priori, que de construire un monoplan ou un biplan. Les matériaux: toile et bois, coûtent peu. Le façonnage et l'assemblage de ces matériaux paraissent aisés. On n'entrevoit qu'une dépense notable, celle du moteur et de l'hélice, mais elle n'est point inabordable et, le moteur acheté, il suffit de l'adapter à l'aéroplane... pour essayer de rouler, puis de s'élever.
Cependant, de ces propositions à l'aviat réalisé, il y a loin!
À moins de reproduire sans y presque rien changer,—comme cela s'est fait,—un modèle dont on connaît parfaitement toutes les caractéristiques, on ne s'improvise pas constructeur d'aéroplanes. On fait comme les prédécesseurs: on tâtonne longuement. On essaye maintes courbures, maintes incurvations; on change les angles d'attaque, l'écartement, les dimensions, les formes des plans sustentateurs et stabilisateurs, les charpentes du corps de l'appareil et celles du chariot. On s'efforce particulièrement d'harmoniser les diverses parties de l'appareil et de les accommoder au moteur, ou à l'hélice, ou de changer ces derniers pour les accommoder à l'aéroplane; et c'est seulement lorsque cette harmonie se réalise que l'appareil enfin «mis au point» prend essor.
Même en déployant une extrême activité, et en ne ménageant pas ses dépenses, il se trouve alors qu'on a passé de longs mois en essais empiriques, et refait un certain nombre de fois, en grande partie, ou du tout au tout, le premier appareil conçu. N'oublions pas que les sept premiers modèles de monoplans Blériot ne permirent point les aviats que le Blériot no 8 réalisa, et que la Demoiselle ou Baby de Santos-Dumont est la vingtième création de cet expert aviateur.
Il existe évidemment aujourd'hui des données générales théoriques permettant d'éviter les grosses erreurs du début. Mais ces données ne sont pas des lois applicables à tous les cas. La théorie scientifique de l'aéroplane n'ayant pas encore été dégagée des nombreuses conditions trop peu connues de la locomotion dans l'atmosphère, la part de l'empirisme reste prépondérante dans la construction.
Elle diminuerait sensiblement si les constructeurs ne cachaient pas une foule de petits détails, de «tours de main» qui jouent un rôle important dans la perfection relative de leurs modèles. Mais ils gardent aussi secrets que possible ces dispositions qui leur furent dictées par l'expérience, et l'on ne saurait les en incriminer en songeant qu'elles ont coûté des efforts, des dépenses, des persévérances très méritoires, dont le premier venu pourrait illégitimement profiter, car la plupart d'entre elles ne sont pas brevetables pratiquement.
Dans l'état actuel des législations et de la nôtre en particulier la propriété industrielle fait presque totalement défaut. La loi protège si peu les inventeurs et les fabricants, que les plus avisés renoncent à s'appuyer sur elle, et se contentent de lutter contre la concurrence et le plagiat, par la production, la qualité, les débouchés et la publicité, quand ce dernier moyen, coûteux, leur est accessible.
Les pilotes imitent, pour les mêmes motifs, la réserve des constructeurs. Ils forment des élèves, mais ils ne professent pas publiquement leurs méthodes; ils ne publient point de manuels de l'art d'avier.
Le constructeur ne peut refuser à l'acheteur de son aéroplane les notions d'aviation indispensables pour l'employer. Il fait mettre le client en état de quitter le sol par ses pilotes mécaniciens, mais entre cette capacité élémentaire d'avier et la virtuosité d'un Latham ou d'un Paulhan, il y a des abîmes... non «des altitudes» vertigineuses.
On arrive très vite à conduire des appareils naturellement stables, comme les biplans Voisin, par exemple, ou ceux qui sont dérivés de leurs modèles, mais il faut beaucoup de pratique et une éducation spéciale, favorisée par des dispositions initiales excellentes, pour conquérir des records qui deviennent chaque jour plus difficiles.
L'audace raisonnée, la ténacité, l'endurance, la promptitude, la souplesse, l'énergie et nombre d'autres qualités sont nécessaires au pilote d'aujourd'hui.
Ces exigences éliminent beaucoup de candidats. Cependant, la quantité et l'importance des prix sont si tentantes, qu'il en reste plus qu'on ne peut en instruire.
On sait que quelques pilotes émérites ont gagné en quelques mois des petites fortunes, et qu'ils reçoivent des engagements de «tournées» comparables à ceux des ténors d'opéra. Cela suffit à présent pour susciter des «vocations ardentes» qui se multiplieront tant que dureront ces «mannes» monétaires précieuses.
Paulhan, pour une tournée de sept mois en Amérique, a reçu, dit-on, proposition de six cent mille francs, et, dit-il, de un million!... Quel que soit le vrai des deux chiffres, il reste assurément attractif.
Sans s'arrêter à ces bruits discutés, si l'on dénombre seulement les prix des épreuves dans lesquelles ont triomphé les aviateurs les plus connus depuis 1906 jusqu'à septembre 1909, on constate qu'Henri Farman a décroché en 23 mois (d'octobre 1907 à fin août 1909) 134.000 fr. de prix. En 18 mois (de juin 1908 à août 1909), Blériot a récolté 106.200 fr. de récompenses.
En moins de deux mois (du 17 juillet au 9 septembre 1909), Glenn Curtiss a glané 77.900 fr. de prix.
Hubert Latham touche 49.666 fr. du 6 juin au 29 août 1909.
Du 10 juillet au 25 août de la même année, Louis Paulhan se voit attribué 39.250 fr.[38].
De telles primes—et elles ont été bien dépassées en 1910—font de l'art de piloter une brillante carrière!
Soit pour conduire des aéroplanes, soit pour en construire, des esprits entreprenants vont donc à l'aviation, et sont en nombre toujours croissant.
Et cette multiplication de convoitises grandit l'impatience de savoir des candidats concurrents.
Des capitaux sont demandés. On les accorderait volontiers si la variété des propositions ne faisait naître l'inquiétude et ne provoquait des enquêtes qui révèlent les tâtonnements, les efforts perdus... et les capitalistes, à leur tour, réclament des précisions.
L'ensemble de l'état de la question suggère la sollicitation d'un enseignement de l'aviation. Créons une «École» pour ceux qui veulent avier, et pour ceux qui veulent fabriquer des avions.
Un établissement: collège, institut ou faculté, peu importe. Soit. On entrevoit vite cette École «pratique» en même temps que «technique». On l'imagine pourvue d'ateliers et de laboratoires d'essais et de recherches, de pistes et d'aérodromes d'apprentissages, d'amphithéâtres de cours et de démonstrations... Et qui professera dans cette École? Des techniciens, naturellement. Des spécialistes dans le travail du bois et des métaux, dans la fabrication des tissus. Des mécaniciens et des ingénieurs pour les moteurs et les hélices. Des mathématiciens, des physiciens et des chimistes.
Lors, des espérances s'éveillent parmi les diplômés sans emploi des grandes écoles, et les divers «gradués» capables de prétendre avec plus ou moins de raisons et d'influences aux fonctions professorales de cet enseignement.
Les ponts et chaussées, les mines seront-ils mis à contribution? Le corps du génie militaire semble tout indiqué. La marine et l'artillerie n'ont-elles pas aussi capacité?...
L'expérience, en tous cas, démontrera que les futurs professeurs, quels qu'ils soient, auront d'abord à faire eux-mêmes l'apprentissage de ce qu'il sera bon d'enseigner, puisque la science de l'aviation n'est encore qu'à l'état embryonnaire.
En attendant, les fondations naissent avec rapidité. L'Aéro-Club de France décide la création d'un «laboratoire d'essais».
L'Allemagne décide la fondation d'une école technique d'aviation et d'aérostation à Friedrichshafen.
L'Angleterre fonde une école de navigation aérienne, la «British Aérial League», dotée de trois millions.
L'Allemagne forme une «Société de la flotte aérienne allemande» placée sous la direction du général Nieber, qui instruira en trois années les élèves aérostatiers et aviateurs.
L'Autriche vote l'édification d'une école semblable à Fischamend, et la Hongrie se promet de l'imiter à bref délai.
À notre tour, nous fondons une «École supérieure d'aéronautique» placée sous la direction du commandant Roche.
Enfin, les donations Henry Deutsch (de la Meurthe) donnent naissance à l'Institut Aéronautique de St-Cyr-École.
Toutes ces initiatives sont louables, assurément, et donneront d'excellents résultats lorsque les enseignements qu'elles prétendent créer auront été déterminés d'une façon rationnelle et judicieusement orientés.
Cette belle émulation d'enseignement appelle, en effet, quelques observations un peu critiques s'appliquant à tous les pays, et particulièrement au nôtre. Tant que l'aviation parut être une application humaine à peu près chimérique, personne ne voulut se compromettre en la favorisant.
Mon regretté maître et ami, M. le professeur Marey, avait entrevu dès le début de ses premières études sur le vol des oiseaux et des insectes par la chronophotographie, que nous tenions par ces observations chronophotographiques la clef de l'aviation humaine. Avec l'enthousiasme de la jeunesse, je le sollicitais ardemment de consacrer la majeure partie de son temps et de ses crédits à cette étude scientifique méthodique. Mais, avec sagesse, il s'y refusait, affirmant que l'heure de ces études n'était pas venue, qu'il n'obtiendrait aucun appui ni de l'État, ni de la ville, ni des particuliers pour les entreprendre et les poursuivre et que loin de nous valoir quelque estime, ces travaux ne pourraient que nous discréditer.
Hélas! combien il avait raison! Nos observations, nos recherches, notre plan d'études, nos projets de dispositifs spéciaux, tout ce qui concernait cette passionnante enquête sur l'aviation fut enfoui «provisoirement» dans les archives de la station physiologique du Parc des Princes,—où il serait facile de les retrouver,—du moins j'aime à le croire. Marey estimait avec sagesse qu'il ne fallait pas alors parler de telles investigations.
Je crus, un moment, à la fondation de l'Aéro-Club de France, que l'heure de cette belle enquête allait sonner, et je fus spontanément l'un des fondateurs de ce groupement... Vain espoir! Le «plus léger que l'air» avait seul chance d'intéresser.
Aujourd'hui, les réalisations de Ferber, des Wright, des Voisin, de Blériot, etc., ont triomphé du préjugé contre le «plus lourd que l'air» et l'on voit les gouvernements fonder avec précipitation, sous la poussée de l'opinion publique, des écoles, des instituts, des ligues d'enseignement qui feraient un peu sourire le doux Marey, s'il vivait encore, parce qu'elles sont débordées par des réussites préalables privées qui appartiennent déjà au domaine industriel.
N'est-il pas au moins curieux de voir, en effet, les États se hâter de fonder des «établissements» où l'on étudiera la technique de l'aviation, lorsque les usines fabriquent et vendent couramment des aéroplanes qui se soutiennent dans l'air pendant des demi-journées, qui font plus de 500 kilomètres d'une seule traite, et dont les aviats s'élèvent à près de 3.000 métrés d'altitude!
Cette avance de la pratique sur la théorie rend évidemment difficile le retour aux principes, qui reste pourtant quand même indispensable.
Les écoles techniques officielles seront donc forcées de suivre les constructeurs et de s'efforcer de les rattraper, puis, de les devancer dans les voies qu'ils suivent, fussent-elles sans bonnes issues définitives. C'est la conséquence et jusqu'à un certain point, la punition du retard de l'enseignement technique.
Néanmoins, tout en suivant, forcément, les voies actuelles de l'aviation, les écoles techniques des États pourraient chercher des voies plus rationnelles, en revenant aux études initiales de la Nature qui donneront seules des indications sûres. L'avenir nous apprendra si ceux qui les dirigent auront cette clairvoyance.
En attendant, par l'empirisme, l'industrie continue ses investigations, et l'un de ses bons moyens d'action consiste dans les sensationnelles épreuves d'aviation qui stimulent à la fois si vivement le public, les constructeurs, les pilotes, les mécènes, les capitalistes et les États eux-mêmes.
Avides du spectacle émotionnant des aviats, les foules se portent, sans ménager la dépense, vers les lieux où des expériences sont annoncées. Frappées des gains locaux engendrés par ces afflux, les villes, les municipalités, les régions ambitionnent de créer des aérodromes, des meetings, des expositions ou des concours d'aviation. Des prix importants sont offerts pour décider les aviateurs et les industriels à prendre part aux compétitions.
On organise des programmes d'épreuves que l'on varie, que l'on augmente pour grandir l'attraction, et les rivalités des pilotes, des fabricants, des inventeurs complètent l'émulation provoquée par ces réunions.
Beaucoup de champs de courses pourraient être utilisés comme aérodromes avec de légères modifications,—car il ne suffit pas de mettre à la disposition des aviateurs des étendues permettant leurs «départs» et leurs évolutions,—il faut, en outre, que le terrain soit assez aplani pour ne point causer des accidents comme celui qui, près de Wimereux, sur le champ de courses de Boulogne, entraîna la mort du capitaine Ferber.
Quelques terrains de manœuvres militaires furent d'abord accordés avec force restrictions, et comme à regret, par l'administration de la Guerre. Puis on les retira, ou l'on en restreignit l'usage. L'autorité militaire est assez jalouse de ses prérogatives. Mais la pression de l'opinion, la nécessité de favoriser des essais ayant de grosses conséquences pour l'organisation future des défenses nationales dominèrent les résistances et de plus en plus ces champs de manœuvres s'ouvrent aux aviateurs.
À Issy-les-Moulineaux, à Châlons, au camp d'Auvours, pour ne parler que de chez nous, on avie, et l'on construit en bordure des espaces libres des hangars que l'administration tolère... ou favorise.
On avie encore à Bétheny, à Montluçon, à Port-Aviation (Juvisy-sur-Orge), à La Brayelle (près Douai). Mais cela ne suffît pas: il faut encore des aérodromes à la Croix d'Hins (près Bordeaux), à Pau, à Buc; on en veut créer dans le Morbihan (à Pen-en-Toul), sur la côte d'Azur (Nice, la Napoule), à Watteville (près Rouen), etc. Pour avoir plus d'espace encore, on convoite la plaine de la Crau, celle des Landes, etc.
Fig. 134
Tribune et Mâts de signaux.
Les épreuves de 1908 et surtout celles de 1909 ont appris qu'il n'est pas pratique d'avier dans un espace trop restreint comme celui du champ de manœuvres d'Issy-les-Moulineaux, où le pilote doit sans cesse songer à virer pour ne pas sortir des limites du terrain. On ne fait plus sur ce champ que des essais préliminaires d'appareils et des débuts d'apprentissage de pilotes; c'est en outre le point de départ et d'arrivée des appareils et des pilotes pour Paris.
En 1906 et 1907, lorsque les aviats ne dépassaient pas quelques mètres ou quelques centaines de mètres en étendue, des pelouses comme celle de Bagatelle (Paris) suffisaient. Mais les rapides progrès des parcours en étendue ont entraîné la nécessité de champs plus vastes et d'une organisation compliquée sur ces champs.
On a jalonné les terrains et marqué les virages avec des pylônes afin d'établir avec précision les appréciations des distances franchies. On a imaginé des jalonnements de ballons captifs pour fixer le calcul des hauteurs atteintes comme contrôle des instruments. On a cantonné le public dans des tribunes, des terrasses, des espaces clos pour éviter les accidents. On a créé à côté du poste élevé des contrôleurs d'épreuves une organisation sémaphorique de signaux pour renseigner les curieux sur les moindres incidents des aviats.
Cette organisation de signaux, entre autres détails, démontre que l'on a su improviser dès l'an dernier la meilleure utilisation possible des grands aérodromes consacrés aux concours d'aviation des aéroplanes.
Mais déjà voici que ces larges emplacements ne suffisent plus. Faire deux cent cinquante ou trois cents kilomètres en tournant pendant trois, quatre ou cinq heures dans une même étendue, devient chose aussi fastidieuse pour le public que pour l'aviateur.
Les pilotes éprouvent un impérieux besoin de s'élancer à travers champs. Il semble que l'ère des compétitions sur pistes, à peine commencée, s'achève et qu'il va devenir indispensable bientôt d'instituer les épreuves «de ville à ville».
On procède actuellement à l'étude d'une carte des régions environnant Paris, sur laquelle on se propose de marquer tous les points où des atterrissages seraient possibles pour des aéroplanes.
En principe, les champs favorables à des atterrissages sont fort abondants, mais l'usage des traversées d'espaces se généralisant, les prétentions des possesseurs des terrains réduiront vivement le nombre des points de descente.
Il faudra établir des «routes aériennes» correspondant à des relais éventuels et limiter par une jurisprudence constante les réclamations des propriétaires qui tenteraient d'abuser d'un atterrissage accidentel pour rançonner l'aviateur.
Les déplacements aériens entraîneront d'ailleurs, en outre des points de libre atterrissage, l'édification d'abris où le remisage temporaire des appareils pourra s'effectuer en location et où ils trouveront les approvisionnements qui leur seront nécessaires, en même temps que des petites installations permettant des réparations sommaires.
Au point où elle est arrivée aujourd'hui, l'aviation suggérerait une foule d'autres prévisions presque certaines; mais le calcul facile de ces probabilités sortirait du cadre de notre A. B. C.
L'Aviation en 1910.
Les Grandes Conquêtes de l'air.
L'ingéniosité des inventeurs et des constructeurs a fait encore créer, en 1910, bien des modèles nouveaux. Pour les apprécier, il faut attendre les résultats qu'ils donneront, mais il convient du moins de les citer en suivant simplement l'ordre chronologique dans lequel ils se sont fait connaître, parce que ce n'est ni un classement de valeur, ni un classement d'antériorité.
Le Monoplan J. Moisant,—surnommé le Corbeau, parce qu'il est peint au vernis noir,—est construit en tubes d'acier et pièces d'aluminium. Fuselage recouvert en plaques d'aluminium. Moteur Gnome de 50 HP (fig. 135, p. 225).
Le Biplan des frères Dufaux, dans lequel la stabilité latérale doit être donnée par deux petits ailerons placés entre les deux plans porteurs à droite et à gauche. Moteur Anzani de 25 HP (fig. 136, p. 227).
Le Monoplan Bertrand (fig. 137 et 138, pp. 229 et 231), type fort original, essentiellement constitué par un corps central cylindrique, sorte de cellule tubulaire de 2 mètres de diamètre sur 5 mètres de longueur, dans laquelle se place le pilote, en y pénétrant par une trappe placée sur le côté. Longueur totale, 11 mètres. Envergure, 13 m. 30. Moteur Unic de 31 HP actionnant deux hélices: une à l'avant du corps cylindrique et l'autre à l'arrière tournant dans le même sens. Poids à vide: 460 kilogs.
Le Biplan Suisse Martignier n'est pas sans analogie avec le monoplan Bertrand, car il comporte aussi une cellule cylindrique; mais celle-ci se trouve en arrière des plans sustentateurs.