L'A. B. C. de l'aviation: Biplans et monoplans
Fig. 66
Plan-schéma du biplan théorique rationnel d'après Tatin.—S P, plans sustentateurs; P S, plans stabilisateurs arrière.
V. Tatin préconise entre le plan stabilisateur et le plan sustentateur une distance à peu près égale à la dimension de l'envergure. Il conseille de le placer à la même hauteur que le plan sustentateur et même un peu plus haut pour faciliter le relèvement de l'avant de l'aéroplane à l'atterrissage.
Enfin, il rappelle que ce plan doit être, comme le plan de soutènement, plus large que profond, et sans courbure antéro-postérieure, «puisqu'il est destiné à être choqué par l'air sur l'une ou l'autre de ses faces»; c'est-à-dire par-dessous ou par-dessus. Suivant son estimation, la surface de ce plan peut être égale au quart de celle du plan de sustentation, et l'on ne doit pas la compter comme portante.
Fig. 67
Biplan théorique rationnel d'après Tatin, élévation de profil.—S P, plans sustentateurs ayant un angle d'attaque déterminé; P S, plans stabilisateurs sans angle d'attaque et relevés.
Fig. 68
Croquis perspective du monoplan théorique rationnel, d'après Tatin.
«L'importance de la disposition à employer pour la queue d'un aéroplane, dit V. Tatin, est telle qu'on peut hardiment affirmer que, de cet organe, dépendent à la fois la sécurité de l'équilibre et la facilité de toutes les manœuvres; on peut l'établir de telle façon qu'on n'ait presque pas à s'en occuper en cours de route; il suffit, pour cela, que sa distance et son inclinaison par rapport au plan sustentateur soient bien celles qui conviennent à l'appareil[21].»
Les croquis-schémas des figures 65 et 68, pages 68 et 71, montrent, d'après les dessins de l'auteur, un monoplan construit suivant ces données.
Un biplan établi sur les mêmes principes aurait l'aspect général des schémas des figures 66 et 67, pages 70 et 71.
Fig. 69
On voit que tous deux diffèrent notablement des monoplans et des biplans de Blériot et de Farman-Voisin, qui sont les plus connus par les résultats qu'ils ont permis.
Mais cette remarque n'infirme pas les données très rationnelles de V. Tatin, puisque son type n'a pas été encore l'objet d'expériences analogues.
L'éminent apôtre de l'aviation ajoute que la queue de stabilisation longitudinale concourt d'une façon très notable à la stabilisation latérale. Cette observation est encore parfaitement rationnelle. Soucieux de cette dernière stabilité, il donne d'ailleurs aux surfaces portantes de son type et même au plan stabilisateur arrière la forme d'un V très ouvert, préconisée par le capitaine Ferber (figure 68, p. 71).
Stabilisation transversale.—Virages.
En air calme, la stabilité transversale des aéroplanes est parfaitement assurée soit pour les monoplans, soit pour les biplans, à cause de la grande envergure des surfaces portantes, même lorsqu'elles sont parfaitement rectilignes comme dans les aéroplanes des types Wright ou Blériot, ou si les surfaces portantes sont légèrement en V très ouvert comme dans les types de biplan Ferber ou Farman et de monoplan Antoinette ou Demoiselle de Santos-Dumont.
Fig. 70
Dans sa précieuse étude sur Le problème de l'aviation, M. Armengaud jeune, a exposé scientifiquement et d'une manière très claire, comment par la disposition en T de leurs divers plans, les aéroplanes sont difficilement renversables, même s'ils sont pris en travers par un vent d'une certaine force.
Pour abréger, en n'entrant pas dans les détails de la démonstration de cet éminent technicien, puisqu'il est facile de se reporter à son étude, on peut se contenter de signaler le fait matériel qu'il met en évidence:
«Dans le cas d'un plan a, b, c, d (fig. 69, p. 72), se mouvant dans le sens de la flèche M, si un vent transversal comme celui qui est indiqué par la flèche V exerce son action sur ce plan, il basculera d'autant plus facilement que le bras de levier c o dont il subira l'effort sera plus long.
Fig. 71
Dans le plan trigone a, b, c, d, e (figure 70, p. 73), au contraire, la force c, dit M. Armengaud, aura à se composer avec celle qui agit en c1 centre de pression développé sur la portion caudale e f, pression d'autant plus considérable que la tranche e f est cinq ou six fois plus longue que la tranche a c...», etc...
«Dans ces circonstances, la force perturbatrice du vent sera sinon tout à fait neutralisée, du moins fort amoindrie et parviendra d'autant plus difficilement à déranger l'équilibre qu'elle sera dérangée par l'influence rectrice engendrée par les deux surfaces du plan aviateur; influence d'autant plus énergique que la vitesse est plus grande.»
La pratique confirme fort bien cette théorie. Néanmoins, si les aviateurs semblent assez rassurés en ce qui concerne la stabilité latérale des aéroplanes en marche rectiligne, ils ont toujours eu, en revanche, grand souci des virages. Dans tous les types d'avions qu'ils ont fait construire ou bâtis eux-mêmes, comme les frères Wright et les frères Voisin, ils ont démontré cette présomption par les dispositifs qu'ils ont imaginés pour faciliter ces virages et réduire l'inclinaison latérale des appareils, qui en est la conséquence normale.
Fig. 72
Fig. 73
On se rend fort bien compte de cette conséquence en examinant l'inégal travail de l'envergure dans l'opération du virage.
Il suffit, en effet, de regarder la fig. 71, p. 74, pour voir qu'en décrivant, de gauche à droite, le quart de cercle a b, l'aéroplane C D refoule par le côté gauche de sa surface portante C, beaucoup plus d'air que par le côté droit D. Le côté C subissant ainsi, dans le même espace de temps, un effet de pression beaucoup plus grand, se relève en proportion de la vitesse et de la petitesse du rayon de la courbe décrite.
Fig. 74
Dans les conditions de la figure 71, pour peu que la vitesse ne soit pas extrêmement réduite, le mouvement de bascule doit fatalement tendre à renverser l'appareil.
Ce renversement est évité dans la pratique par les aviateurs lorsqu'ils opèrent leurs virages sur de très larges espaces, en décrivant des courbes encore bien moins accentuées que celles de la figure 72. Mais on peut juger de la grandeur des courbes qu'il leur faut décrire par cela seul qu'ils se plaignent d'être obligés de virer sans cesse pour évoluer sur le champ d'expériences d'Issy-les-Moulineaux qui mesure 700 mètres de largeur dans sa partie la plus étroite[22].
Frappés de cet inconvénient du virage, bien plus sensible en aviation que pour tous les autres moyens de locomotion, les frères Wright, dès le début de leurs essais, se sont préoccupés d'y remédier, et ils y sont parvenus dans une très large mesure par une déformation mécanique des extrémités postérieures souples, des surfaces portantes de leur biplan.
En gauchissant ces extrémités à volonté lorsqu'ils veulent virer, ils obtiennent les résistances représentées par la figure 73, p. 75.
Comme dans la figure 71, l'aéroplane Wright décrit, de gauche à droite, un arc de cercle indiqué d'ailleurs par la flèche V. Le gauchissement de haut en bas des bords postérieurs du côté droit des plans de soutènement crée une plus grande résistance qui se traduit par une poussée de bas en haut sur ce côté droit D; poussée indiquée par les flèches d d; et cette pression tend à remonter le côté droit de l'aéroplane que le virage abaisse. En même temps, sur le côté gauche C, le gauchissement réalisé en sens contraire de bas en haut, crée une résistance en sens contraire, et la pression de cette résistance, indiquée par les flèches cc, tendant à rabaisser le côté gauche C, combat l'effet de la pression déterminée par le virage, qui tendrait à faire remonter ce côté C.
Ainsi se produit une neutralisation plus ou moins complète du phénomène normal qui, dans le virage, tend à faire basculer tout aéroplane.
Blériot, dans son monoplan, obtient un effet analogue par la manœuvre d'ailerons articulés aux extrémités du plan sustentateur de son appareil (figure 74, p. 76).
On a proposé et l'on étudie même aujourd'hui d'autres moyens d'obvier aux inclinaisons latérales résultant des virages.
Les effets du pendule et ceux du gyroscope notamment séduisent plus d'un chercheur.
Dans la suite de cette esquisse ces diverses solutions seront examinées avec plus de détails.
En résumé, les stabilités longitudinale et latérale sont dès à présent obtenues d'une façon déjà fort encourageante dans la pratique, puisque des évolutions de toute nature ont été accomplies soit sur des aérodromes, soit en pleine campagne ou sur mer par des aéroplanes biplan et monoplan, à des altitudes, avec des vitesses et contre des vents bien accentués.
Fig. 75
Monoplan Blériot.—G, gouvernail de direction latérale; Ps, plan stabilisateur arrière; gp, gouvernails de profondeur ailerons; P S, plan sustentateur; H, hélice.
Directions.
Fig. 76
Biplan Voisin, élévation de profil.—gp, gouvernail de profondeur avant; P S, plans sustentateurs; H, hélice; Ps, plans stabilisateurs arrière; G, gouvernail de direction latérale.
Sans considérer ici longuement la question de la direction des aéroplanes, puisqu'il faudra y revenir avec précision dans l'exposé de la conduite pratique de ces appareils, il faut, néanmoins, pour compléter les données élémentaires précédentes, signaler les organes employés pour modifier les sens de marche des «plus lourds que l'air».
Fig. 77
Biplan type Voisin, plan schématique.—gp, gouvernail de profondeur avant; P S, plans sustentateurs; H, hélice; Ps, plans stabilisateurs arrière; G, gouvernail de direction latérale.
Fig. 78
Biplan type Wright, élévation de profil.—gp, gouvernail de profondeur avant; P S, plans sustentateurs; G, gouvernail de direction latérale.
Un gouvernail analogue à celui des navires et qui agit de la même manière, réalise dans les aéroplanes comme dans les ballons dirigeables, les changements d'orientation de marche des monoplans et des biplans, comme ceux des engins à plus grand nombre de surfaces portantes.
Ce gouvernail «de direction latérale» est une surface plane disposée verticalement à l'arrière de l'aéroplane et mobile sur un axe vertical, comme le gouvernail du bateau (fig. 75, 76, 77, 78 et 79, pp. 78, 79, 80).
Fig. 79
Biplan Wright.—gp, gouvernail de profondeur avant; P S, plans sustentateurs; pg, partie gauchissable des plans sustentateurs; H, hélices; G, gouvernail de direction latérale double.
On pourrait aussi le placer à l'avant, mais il est moins encombrant à l'arrière et sur les dispositifs munis d'une queue stabilisatrice, sa position arrière, loin des plans sustentateurs, lui donne plus d'efficacité parce qu'elle agit alors avec un plus grand bras de levier.
Avec cet organe, on conduit l'appareil à droite ou à gauche, on le fait tourner à volonté, décrire des arcs de cercle ou des circonférences plus ou moins grandes. Mais, l'air, domaine des appareils aviants, n'est pas comme la terre ou comme l'eau, «une surface de locomotion» pour l'aviateur; c'est «un milieu», dans lequel il doit se diriger non seulement suivant l'horizontale, mais encore suivant la verticale. Il n'a pas qu'à tourner à droite ou à gauche: il lui faut aussi monter ou descendre, et l'on a vu précédemment que ses évolutions dans le sens vertical sont commandées par un «gouvernail de profondeur», placé soit en avant, soit en arrière (type Blériot-monoplan) et qui sert parfois de plan stabilisateur (type du biplan américain Wright).
Ce gouvernail de profondeur, complément indépendant du gouvernail de direction horizontale, se compose, lui aussi, d'une surface plane (parfois deux); mais elle est placée horizontalement et se meut autour d'un axe horizontal, ou d'une genouillère qui lui permet de prendre des inclinaisons encore plus variées par rapport à la ligne de l'horizon.
Enfin, l'on a encore vu précédemment que l'angle d'attaque des surfaces portantes d'une part, et la vitesse de la marche d'autre part, sont des éléments de l'aviation qui ont leur effet sur les déplacements du plus lourd que l'air dans le sens de la hauteur.
Si la vitesse, ou la grandeur, de l'angle d'attaque augmente, l'aéroplane s'élève. En cas de diminution pour l'un de ces deux facteurs, le résultat est inverse.
Enfin, la force du vent est aussi une influence dont il faut tenir compte, puisqu'elle peut, en augmentant la pression sur les surfaces portantes, si l'aéroplane marche contre lui, provoquer une ascension de l'appareil.
Une récapitulation générale de toutes ces données peut se résumer ainsi:
1o Avec l'angle d'attaque pour lequel il a été construit et avec sa vitesse normale, l'aéroplane en air calme progresse horizontalement et en ligne droite. Son gouvernail de direction latérale est alors perpendiculaire à la ligne de l'horizon et son gouvernail de profondeur rigoureusement horizontal.
2o Si des ondes de vent modifient accidentellement la stabilité longitudinale de l'appareil, le plan stabilisateur réduit et corrige les oscillations longitudinales produites (tangage). À défaut de queue stabilisatrice agissant automatiquement, le gouvernail de profondeur, actionné par l'aviateur, produit ces réductions et ces corrections.
3o Abstraction faite des oscillations accidentelles susdites[23], une augmentation persistante de la vitesse du vent debout, augmente la résistance rencontrée par l'aéroplane. Elle augmente, par conséquent, la pression X qu'il exerce par sa progression et qui le soutient, d'une pression supplémentaire X1 (celle de la vitesse du vent) qu'il subit et qui, venant en surcroît de la sienne, élève l'aéroplane.
En ce cas, pour ne pas s'élever, il faut qu'il réduise son angle d'attaque en faisant agir le gouvernail de profondeur, ou qu'il réduise sa vitesse.
Après cette modification compensatrice, si le vent diminue ou cesse plus tard, il devra faire une modification inverse pour revenir aux conditions initiales de sa marche.
4o Si l'aviateur veut modifier sa direction horizontale, c'est-à-dire aller à droite ou à gauche, rebrousser chemin ou décrire un cercle, le gouvernail de direction latérale suffit pour ces évolutions.
Son action peut, en outre, corriger celle d'un vent latéral faisant dériver l'avion et l'écartant de son but.
En provoquant un virage trop peu étendu, le gouvernail de direction latérale détermine une inclinaison latérale de l'appareil qui résulte de la différence des pressions exercées par les deux côtés des surfaces portantes. Mais l'aviateur peut atténuer et neutraliser cet effet par le gauchissement des surfaces portantes (système Wright), par la manœuvre d'ailerons mobiles (système adopté par Blériot) ou par l'emploi d'autres influences compensatrices.
5o Pour monter ou descendre, l'aviateur fait agir le gouvernail de profondeur qui impose à l'appareil des déplacements verticaux sans modifier le régime normal de sa marche.
Il peut obtenir aussi les mêmes déplacements verticaux soit par la modification de l'angle d'attaque, soit par la modification de la vitesse.
En résumé, les moyens de diriger ne manquent pas. Ils sont plutôt trop abondants, car ils ne simplifient pas la manœuvre et l'on a déjà cherché, avec plus ou moins de succès, comme on le verra dans la description des principaux types d'aéroplanes, des systèmes de jonction de commande, ayant pour but de réduire les manœuvres du pilote-aviateur au plus petit nombre possible d'actes et de préoccupations.
Force motrice.—Moteurs.
L'oiseau et surtout les insectes qui volent, possèdent une force prodigieuse par rapport à leur poids. L'observation de la Nature enseigne ainsi que le rapport entre la force et le poids est une condition absolue de l'aviation.
Le problème de la sustentation du plus lourd que l'air, même après les belles études théoriques et pratiques du «vol plané», ne put donc être résolu qu'à partir du moment où l'industrie de la locomotion automobile parvint, de progrès en progrès, à fournir des moteurs extrêmement légers quoique puissants.
Le moteur à pétrole, mieux dénommé: moteur à explosion, est infiniment plus léger que le moteur à vapeur parce qu'il ne comporte ni foyer, ni chaudière, ni l'énorme approvisionnement d'eau et de charbon qui encombre nos locomobiles terrestres ou maritimes.
C'est un moteur réduit à l'organe qui produit la poussée du piston: le cylindre, et aux pièces articulées qui transforment le mouvement de va-et-vient de ce piston en un mouvement rotatif.
Un combustible extrêmement léger par rapport à la puissance qu'il développe: l'essence de pétrole, est volatilisé dans une quantité d'air déterminée pour former dans le cylindre un mélange explosif (carburation)[24]. Une étincelle électrique enflamme ce mélange, comme la capsule enflamme la poudre dans un fusil. L'explosion se produit et chasse le piston, comme la déflagration de la poudre chasse la balle ou l'obus dans le cylindre de la carabine ou du canon.
On sait, par les voitures automobiles et par les motocycles, que ces moteurs à explosion ne tiennent presque pas de place, et possèdent une force considérable.
Le mouvement rectiligne de leur piston, transformé en mouvement circulaire par des pièces articulées spéciales (bielles), fait tourner un axe (arbre) qui est celui des roues dans les appareils roulants (automobiles, motocycles) ou de l'hélice dans les bateaux et les aéroplanes ou les dirigeables.
Cet exposé schématique du principe des moteurs à explosion suffit pour faire comprendre que la machine motrice qu'ils constituent est réduite à la plus simple expression possible.
Fig. 80.—Moteur en V et hélice métallique.
Quand l'explosion de l'air carburé (c'est-à-dire du mélange détonant d'air et d'essence de pétrole volatilisée) a chassé le piston jusqu'à l'une des extrémités du cylindre, il faut qu'il revienne en arrière pour refouler et chasser les gaz brûlés par des orifices qui s'ouvrent automatiquement; il faut encore que le piston reparte pour aspirer derrière lui l'air et l'essence volatilisée qui fourniront une nouvelle détonation; il faut enfin qu'il revienne encore une seconde fois en arrière pour comprimer ce mélange détonant. Alors une seconde inflammation, une seconde explosion se produisent, et le piston, chassé une seconde fois avec force, exerce, par l'intermédiaire des pièces articulées, un second effort de rotation sur l'axe ou arbre moteur de l'hélice (si celle-ci est calée, c'est-à-dire fixée directement sur cet arbre; ce qui est le cas le plus général).
Ainsi, la force de propulsion ne s'exerce qu'une fois par quatre mouvements du piston; puisque, sur deux allers et deux retours, le premier retour est employé à l'expulsion des gaz, le second aller à l'aspiration du mélange détonant, et le second retour à la compression de ce mélange avant l'allumage pour l'explosion suivante.
Une partie de l'élan donnée par l'explosion à un volant est utilisée à produire ces trois mouvements, qui préparent l'explosion suivante. Il y a donc ainsi une importante déperdition de la force engendrée par l'explosion, et une suspension relativement très longue entre les productions de forces, puisqu'elle atteint la proportion énorme de 3/4.
L'industrie automobile a depuis longtemps corrigé ces défauts en composant des moteurs de deux, puis de plusieurs cylindres exerçant leurs actions sur le même arbre. (Les groupes de ces cylindres sont opposés, ou disposés en étoile, ou en V, pour l'aviation, fig. 80, p. 85).
Ces adjonctions augmentaient le poids total, mais elles ont permis, en revanche, de réduire, puis de supprimer le volant,—pièce fort lourde,—qui n'a plus été nécessaire lorsque l'arbre, par la multiplication des détonations produites dans un même espace de temps, n'a plus cessé d'être actionné un seul instant[25].
L'augmentation du nombre des cylindres agissant sur un même arbre a permis d'autres simplifications mécaniques allégeantes.
Le choix des matières métalliques a fait réaliser des économies de poids non moins grandes. On a remplacé les métaux lourds, comme la fonte, par de l'aluminium partout où la résistance de ce métal si léger pouvait être suffisante. On a beaucoup diminué l'épaisseur des cylindres, sans compromettre leur solidité indispensable, en les construisant avec des aciers comme ceux, si résistants, qui servent à la fabrication des armes de guerre et des cuirasses de navires.
En ce sens, d'amélioration en amélioration, on est arrivé à faire des moteurs ne pesant que 2 kilogrammes, 1 kilog. 500 et même 1 kilogramme par cheval-force.
L'allègement nécessaire a été de cette façon plutôt dépassé, car il est démontré aujourd'hui par l'expérience que les moteurs dont le cheval-force pèse 2 kilogrammes et même 2 kilogrammes 500, sont bien assez légers pour l'aviation.
Il importe que la solidité, la résistance à l'usage et la régularité ainsi que la longue durée du fonctionnement ne soient pas sacrifiées à la légèreté.
En général, grâce au développement de la locomotion automobile, la construction des moteurs s'est tellement perfectionnée, que presque tous les moteurs sont excellents. Mais ces engins, véritables bijoux de mécanique, ont une délicatesse extrême. L'allumage, le graissage, l'échauffement, qui dilate trop les matières, l'encrassement des soupapes, ainsi que nombre d'autres causes produisent dans le fonctionnement de ces merveilles, des arrêts, ou pannes, encore trop fréquents.
On considère l'aéroplane comme une sorte de cerf-volant soutenu en air calme par la traction de sa corde. L'hélice, dans cette conception, est la corde qui tire. Si elle cesse de tourner, l'aéroplane se trouve dans la situation du cerf-volant tiré. Quand la corde casse: il tombe.
Cette appréciation, trop absolue, n'est pas exacte en matière d'aviation. Bien construit, bien équilibré, l'aéroplane ne tombe pas, en cas d'arrêt du moteur: il descend. Coupant l'allumage, et par conséquent arrêtant le moteur, on descend aujourd'hui couramment en vol plané de n'importe quelle hauteur, fût-ce de plus de 2.000 mètres (Legagneux, Hoxsey, Paulhan, Chavez à Issy-les-Moulineaux, etc.)
Mais si l'arrêt du moteur ne compromet pas la vie du pilote et l'appareil lui-même, lorsque cet arrêt se produit dans des conditions favorables à la descente (plaine unie), il est bien évident, en revanche, que, l'aviation n'ayant point pour but des évolutions aériennes limitées aux champs d'expériences, il faut prévoir le cas où l'arrêt mécanique se produirait lorsque l'avion surplombe une grande étendue où la descente lui serait dangereuse, sinon fatale, telle qu'une grande ville, une mer, une forêt, un large fleuve, une foule, etc.
Les pannes, trop fréquentes, des moteurs ultra-légers légitiment les critiques dont ils sont l'objet à ce point de vue. Néanmoins, il faut reconnaître qu'elles tendent à se raréfier.
Nous sommes déjà bien loin, comme résultats, de l'époque, si récente pourtant, où des parcours de quelques kilomètres, des sustentations de quelques minutes étaient prouesses.
Nos aviateurs ont fait en plein pays des circuits fermés de grande étendue et de longue durée. Blériot a traversé la Manche. Le comte de Lambert, partant de Juvisy, est venu planer sur Paris, et tourner à 200 mètres au-dessus de la Tour Eiffel; puis il est reparti sans escale pour revenir à son point de départ, où il est arrivé sans aucune difficulté. Farman, à Pau, s'est maintenu 7 heures dans l'espace couvrant une distance de 486 kilom.; Tabuteau l'a dépassé par un aviat sans arrêt de 585 kil. 900. Des distances plus grandes ont été depuis franchies avec escales, et les prouesses du Circuit de l'Est à cet égard sont encore dans la mémoire de tous. Ces exploits ne sont pas exceptionnels, puisqu'ils ont été «approchés» nombre de fois par d'autres aviateurs. Il est donc permis d'affirmer qu'avant peu la question des pannes de moteur, sera tout à fait résolue par l'accouplement de deux moteurs se remplaçant automatiquement en cas d'arrêt de l'un d'eux... ou même d'autre manière.
Les moteurs à explosion donnent actuellement une solution du problème de l'aviation par leur combinaison avec l'étude des surfaces portantes, mais il est déjà permis de prévoir que d'autres propulseurs pourront remplacer les moteurs à explosion.
En attendant ces progrès plus que probables, il convient donc de motiver le choix du moteur en tenant compte du type de l'aéroplane et de ses caractéristiques; l'ensemble constituant une sorte d'organisme, dont le fonctionnement exige une harmonie parfaite.
Suivant son poids, l'étendue de ses surfaces portantes et leur disposition, son angle d'attaque, ses modes de stabilisation et de direction, etc..., etc..., l'aéroplane, monoplan ou biplan, implique l'emploi d'une force motrice différente, produite de telle ou telle manière, par tel ou tel dispositif.
V. Tatin, dans ses Éléments d'aviation, a fort bien défini le travail que doit fournir un moteur d'aéroplane en tenant compte du poids total de l'avion, de son moteur, de ses accessoires, de son approvisionnement et de son pilote.
La force du moteur doit être suffisante pour soutenir plus que ce poids par l'action de l'hélice sur l'air calme.
Mais, l'aéroplane doit, en outre, progresser. Il lui faut donc un supplément de force pour cette progression et ce supplément n'est pas quelconque: il résulte de l'angle d'attaque et de la construction même de l'avion, car, si les surfaces portantes et stabilisatrices, les divers organes, le corps de l'appareil, son châssis de lancement et d'atterrissage, etc..., etc..., sont bien équilibrés et bien établis, ils offriront infiniment moins de résistance à l'avancement que s'ils sont mal combinés et mal exécutés.
Transmise à l'hélice, la force motrice subit, comme on le verra plus loin, une déperdition, une sorte de déchet qui résulte du mode de travail de cet organe.
Il engendre une déperdition analogue au recul des armes à fou, dont on tient compte en balistique et qu'il ne faut pas négliger dans l'appréciation du rendement d'une hélice. Cette déperdition, dénommée «recul de l'hélice» pour le motif précité, s'ajoute au déchet propre à l'hélice (déchet qui varie suivant le modèle de l'hélice) et forme un total que le moteur doit ajouter aux résistances qu'il lui faut surmonter.
La force motrice à développer pour provoquer l'essor de l'aéroplane est plus grande que celle de son régime normal de marche. Il est donc indispensable de prévoir cet excès de puissance sans laquelle l'avion ne parviendrait pas à quitter le sol.
Tout virage, en cours d'aviation, engendre encore un supplément de résistance qui doit être dans les moyens du moteur pour que le virage ne se transforme pas en descente. La Nature donne, d'ailleurs, l'exemple de ce fait par le vol des oiseaux qui descendent en décrivant des courbes, ou même des cercles, par économie d'effort, quand la configuration plane et dénudée du point d'atterrissage vers lequel ils tendent le leur permet.
L'aviateur est obligé de prévoir un autre supplément de force motrice pour élever son avion a fin de franchir des obstacles tels que: hauts arbres, monuments, collines... sans parler des reliefs montagneux élevés sur lesquels il est dès à présent appelé à planer, et sans parler des brouillards et des nuages bas placés dans l'atmosphère, qu'il lui pourra être avantageux de surmonter dans des circonstances de voyage ou de perturbations atmosphériques particulières.
Toutes ces exigences réunies, combinées ou totalisées selon leur nature, constituent la somme de force motrice propre à chaque aéroplane. Le calcul permet de l'évaluer approximativement; l'expérience achève de la préciser et l'on prévoit déjà que les petits tâtonnements actuels seront dans peu d'années supprimés par des données mathématiques éprouvées.
Adaptée à l'aéroplane, l'hélice agit comme une vis en pénétrant dans l'air, soit pour tirer l'avion, si elle est en avant, soit pour le pousser, si elle est placée en arrière.
Ces deux modes ayant donné jusqu'ici des résultats fort brillants, on ne peut guère préconiser l'un au détriment de l'autre; il convient d'ajourner les appréciations à leur égard.
Par son bord d'attaque tranchant, la branche de l'hélice pénètre facilement dans l'air, mais son plat, vivement déplacé, exerce sur le fluide une pression ou,—ce qui revient au même,—rencontre une résistance, point d'appui qui détermine sa progression.
Une hélice est essentiellement un organe qui transforme le mouvement de rotation du moteur en un mouvement de progression dans le sens de son axe.
Dans tous les cas, si, comme on l'a signalé précédemment, l'hélice se visse dans l'air littéralement, soit pour tirer, soit pour pousser, et fait avancer ainsi l'arbre auquel elle emprunte son mouvement, ce n'est pas exactement en avançant à chaque tour complet d'une quantité égale à l'amplitude de son pas.
Dans une véritable vis, la distance qui sépare une spire de l'autre constitue le pas et représente la quantité de la progression à chaque tour complet. Ainsi une vis dont les spires sont écartées de 1 millimètre, avance d'un millimètre à chaque tour complet qu'on lui fait exécuter.
L'hélice du navire et surtout celle de l'aéroplane ne se comportent pas exactement de la même manière, parce que les milieux fluides dans lesquels toutes deux pénètrent sont essentiellement mobiles.
L'eau, et surtout l'air, glissent sous la pression de l'hélice; ils cèdent et sont refoulés, tandis que les solides, fer ou bois, dans lesquels pénètre la vis ne glissent pas.
La trop faible résistance de l'air est donc, pour la progression, une cause de déchet proportionnelle à la vitesse de rotation et à l'étendue de la surface des plats de l'hélice.
Plus l'hélice est grande, plus grande est aussi la quantité d'air sur laquelle elle agit dans un même espace de temps; et plus grande est, par conséquent, la résistance qu'elle rencontre; plus grand est le point d'appui qu'elle trouve dans le milieu fluide pour progresser. Mais la vitesse de la rotation de l'hélice décroît forcément à mesure qu'on agrandit ses dimensions, et cette décroissance met vite une limite au diamètre et au pas des grandes hélices.
Inversement, moins une hélice est grande, plus sa vitesse de rotation peut s'accélérer. Or, cette accélération de la vitesse augmente, en les multipliant, les points d'appui que l'hélice peut prendre sur le fluide en progressant et, par l'augmentation de la vitesse, une hélice réduite et de pas réduit augmente sa traction ou sa propulsion. Mais, la résistance de la matière, bois ou métal, met aussi bientôt une limite à la vitesse de rotation des petites hélices, car la force centrifuge les brise.
Dans la dimension des hélices comme dans leur vitesse de rotation il y a donc des maxima qui ne sauraient être dépassés actuellement.
Aucun terme moyen n'a jusqu'à présent démontré sa supériorité. Les grandes hélices à grand pas ont leurs partisans et les hélices petites à pas réduit ont aussi les leurs. Néanmoins il y a une tendance, dictée par l'expérience, en vertu de laquelle les rotations de 1.500 tours, et même plus, à la minute sont de moins en moins goûtées. Mais il y a une considération qui domine les préférences, c'est l'accommodation du propulseur à l'aéroplane. Tel dispositif de monoplan exige l'emploi d'une hélice réduite à rotation rapide, et tel biplan ou triplan l'emploi d'hélices plus grandes, plus lentes, mais de pas plus étendu.
Fig. 81.—Hélice en bois à deux pales.
En bois ou en métal, les hélices de dimensions restreintes, mais à rotation rapide sont plutôt employées sur les monoplans et placées en avant des surfaces portantes où elles tirent l'appareil. Il n'y en a généralement qu'une.
Fig. 82
Schéma en plan et en élévation-profil du fuselage du monoplan Antoinette.—A A, longerines ou longerons; E E, entretoises.
Les hélices plus grandes, dont la rotation ne saurait être aussi prompte que celle engendrée par les moteurs à explosion exigent l'emploi d'un organe spécial: un démultiplicateur, critiqué à divers titres, mais indispensable. On les place plutôt derrière les surfaces portantes des biplans ou autres multiplans, soit dans le bâti qui relie les surfaces portantes au plan stabilisateur et au gouvernail latéral, lorsqu'il n'y en a qu'une, soit de chaque côté de ce bâti quand on en utilise deux. En ce dernier cas, elles se vissent dans l'air l'une de gauche à droite et l'autre de droite à gauche; elles tournent par conséquent en sens contraire.
Fig. 83
Biplan Farman.—Schéma du corps de l'appareil et de la nacelle; N, nacelle formée de longerines et d'entretoises; C, corps ou bâti de l'appareil formé de plus grandes longerines l et d'entretoises e.
Une seule hélice tournant avec rapidité tend à entraîner l'ensemble du système aérien dans son mouvement giratoire, et cette influence est assez forte pour faire incliner parfois l'aéroplane du côté où la rotation se produit. Néanmoins, la grande envergure de presque tous les avions restreint assez l'effet de cette influence pour la rendre négligeable, mais elle s'accentue dans les virages si la rotation de l'hélice est trop rapide (effet gyroscopique).
Avec deux hélices tournant en sens contraire, mais avec une égale vitesse, l'équilibre est plus parfait. En revanche une inégalité de marche, et à plus forte raison l'arrêt d'une des hélices, expose l'aviateur et son appareil à un renversement plus ou moins brusque, ou même subit, de l'appareil qui peut être fatal à tous deux. Cet accident s'est produit sur un biplan de Wright. Il a grièvement blessé Orville Wright et causé la mort du lieutenant américain Selfridge qui l'accompagnait.
On peut, il est vrai, remédier à cette éventualité par une disposition mécanique telle que l'arrêt d'une des deux hélices, ou sa rupture, entraînerait l'arrêt de l'autre, automatiquement.
Quant au nombre des palettes, l'expérience a démontré, comme la théorie, qu'il devient trop grand lorsque les effets de compression de l'air produits par l'une des palettes se fait sentir sur une autre. Or, ces effets dépendent aussi de la forme des palettes, de leur étendue, de leur disposition et de la vitesse de rotation. On peut dire toutefois que dans la majeure partie des cas les meilleurs rendements sont fournis par des hélices à deux branches, et que ce type est le plus fréquemment adopté.
La construction de l'aéroplane.—Son corps.
Ses moyens de départ et d'atterrissage.
Par les diverses considérations précédentes, on a vu que l'aéroplane est un ensemble dont toutes les parties doivent être conçues les unes pour les autres, et non pas indifféremment les unes des autres.
Le corps de l'appareil n'échappe pas à cette condition d'harmonie essentielle.
Il doit d'abord relier aux surfaces portantes,—qu'elles soient de monoplan ou de polyplan,—les surfaces accessoires, que l'on pourrait appeler «dirigeantes», pour les englober à la fois dans une seule désignation générale; à savoir: le plan stabilisateur, le gouvernail de direction latérale et le gouvernail de profondeur; tous organes qui se trouvent à diverses distances des surfaces portantes, à l'avant et à l'arrière de l'aéroplane.
En raison des efforts de leviers exercés par ces parties dirigeantes sur les surfaces portantes, il est bien évident que le corps de l'aéroplane doit être au moins aussi solide que les plans sustentateurs. Mais, il lui faut, en outre, un surcroît de robustesse parce qu'il doit porter le moteur, le pilote, des passagers si la puissance de l'aéroplane le permet; enfin les approvisionnements d'huile, d'essence et les instruments de conduite, ainsi que les accessoires de lancement et d'atterrissage.
Dans la plupart des aéroplanes ce corps est constitué par des longerines ou longerons, en bois ou en acier, reliés entre eux par des entretoises (fig. 82 et 83, pages 94 et 95), qui forment un tout relativement très léger, mais rigide, robuste et indéformable.
Parfois ce corps est distinct d'une sorte de nacelle qui renferme le pilote, le moteur, les organes de commande de l'avion et les approvisionnements (figure 83). Mais toujours, autant que possible, l'ensemble est fusiforme et plus effilé à l'arrière qu'à l'avant.
Fig. 84
Construction de la charpente d'une surface portante d'aéroplane (monoplan).—LL, longerons transversaux; BB, longerons formant bordure; tt, traverses longitudinales; t, l'une de ces traverses en coupe longitudinale.
Actuellement, on ne saurait donner une indication générale plus détaillée des corps d'aéroplanes, parce qu'ils sont trop variés et n'ont pas encore assez démontré leurs supériorités ou leurs défauts.
L'expérience apprendra si telle disposition est plus avantageuse que telle autre. Pour le moment, ce qui est bien évident, c'est qu'il importe de réduire au minimum possible le nombre et l'étendue des surfaces qui, dans ces bâtis, peuvent faire obstacle à l'avancement de l'avion dans l'espace.
Il semble, au premier abord, qu'une carcasse aussi simple, aussi légère, que celle de la plupart des aéroplanes ne constitue pas un obstacle notable à la progression de l'appareil dans l'air. Cependant, si l'on additionne les faibles surfaces des longerons, des entretoises, et des haubans aux fils d'aciers qui s'ajoutent souvent à ces pièces pour les consolider, on constate qu'ils atteignent parfois, réunis, une étendue en surface relativement très importante.
Il ne faut pas oublier que le moindre plan orienté perpendiculairement au sens de la marche,—et les entretoises sont particulièrement dans ce cas,—fait une résistance considérable à l'avancement. À ce point de vue, un simple fil n'est pas négligeable. Sa résistance n'est pas seulement proportionnelle à sa longueur, à son diamètre, à son orientation, mais encore aux vibrations qui lui sont imprimées par l'air et par la rotation du moteur, car ces vibrations augmentent en quelque sorte son diamètre.
Dans la construction du corps de l'aéroplane et de sa nacelle, si ce corps compte une nacelle, les pièces ne doivent pas être calculées sans souci de l'obstacle qu'elles présenteront à la résistance de l'air. Cette préoccupation nécessaire peut amener à remplacer un fil par une pièce rigide de force égale, mieux orientée ou à section pénétrante par rapport au sens de la marche de l'avion.
Quelques constructeurs, soucieux de réduire cette résistance, conçoivent le corps de leurs appareils recouverts d'étoffes bien tendues et vernissées. Dès essais comparatifs seraient nécessaires pour établir la supériorité de cet enveloppement car, si la résistance à l'avancement des pièces, de la charpente du corps est ainsi supprimée, l'étoffe tendue, et même vernissée, constitue à son tour une autre résistance qui peut être inférieure mais aussi égale ou supérieure à celle des pièces de la charpente qu'elle masque.
Le pilote, le moteur et tous les accessoires ont également des surfaces qui sont obstacles et que l'on souhaiterait théoriquement de pouvoir réduire à l'état de «lame de couteau». Latham, dans le corps de son monoplan Antoinette, est à demi enveloppé par le corps de l'appareil. V. Tatin, dans le type d'avion qu'il a préconisé et que nous avons reproduit page 71, figure 68, assied le pilote dans le corps enveloppé de son monoplan, de telle sorte que sa tête seule dépasse le fourreau de la nacelle.
Bien que ce dernier dispositif soit très rationnel, il faut d'ailleurs reconnaître qu'il ne tente pas tous les aviateurs actuels... et cela se conçoit. À l'atterrissage, le pilote préfère pouvoir sauter, s'il y a lieu, hors de son «baquet».
À l'égard des surfaces portantes et des surfaces directrices (gouvernail et plans stabilisateurs), l'enveloppement est au contraire devenu de règle générale.
Sur deux ou trois longerons transversaux (par rapport à la marche) comme ceux qui sont indiqués dans la figure schématique 84, on dispose des traverses longitudinales effilées aux deux bouts, mais plus fortes à l'avant qu'à l'arrière, qui forment le squelette de la surface portante.
Ces pièces, allégées autant que possible par évidements, sont assemblées de manière à ne former aucun relief extérieur et recouvertes des deux côtés d'étoffes, collées, clouées ou cousues, de façon à supprimer autant que possible toutes les saillies.
Par surcroît on vernit les étoffes extérieurement.
Les mêmes soins de construction, d'assemblage, de revêtement, sont appliqués aux surfaces directrices: gouvernail de profondeur, plan stabilisateur et gouvernail de direction latérale; de telle sorte que de la perfection de l'exécution résulte la facilité de pénétration dans l'air de l'ensemble du système.
Quant aux matières employées pour ces constructions, elles sont encore fort variées. Toutefois le bois, notamment le bambou, les tubes et les fils ou les câbles d'acier, souvent combinés, sont adoptés de préférence par presque tous les constructeurs.
Tout aéroplane ayant besoin de posséder une certaine vitesse de marche et de subir par cette vitesse une pression de l'air assez forte pour le soulever, il est évident que son essor, son «envol», exige un lancement préalable.
On peut obtenir ce lancement par un glissement s'accélérant sur un plan incliné (plancher, piste, rails ou câble), ou par une projection brusque comme celle que détermine la chute d'un poids considérable. Ces genres de lancement, qui sont ceux qu'employèrent exclusivement au début les frères Wright, devant être sommairement exposés plus loin, lors de l'analyse de leur appareil, il convient de se dispenser ici de les examiner, pour abréger.
Fig. 84 bis
Presque tous les aéroplanes français opèrent leur lancement en roulant sur le sol.
L'hélice propulsive ou tractive, mise en mouvement, provoque aussitôt la marche de l'avion. Il part: sa vitesse de roulement s'accélère et l'appareil s'allège, en quelque sorte, par la résistance de l'air sur ses plans sustentateurs convenablement orientés, jusqu'au moment où, de lui-même, ou par une manœuvre du gouvernail de profondeur dirigé dans le sens du relèvement, il s'enlève.
Cette manœuvre a le défaut d'exiger une étendue plane, pour le roulement de lancement, qui ne se trouve pas partout.
Suivant les appareils, moins de cinquante mètres, ou quelques centaines de mètres de terrain plat suffisent aux monoplans et polyplans pour leur lancement.
Il est facilité par une orientation contre un vent horizontal et à fortiori contre un vent ascendant comme celui qui remonte une pente (cas des départs de Lilienthal).
Fig. 85
Type de châssis de roulement placé au-dessous et en arrière de l'hélice et du moteur sous le siège du pilote.
En revanche, il devient impossible ou très difficile sur un sol trop accidenté, trop vallonné; sur une route mal orientée par rapport au vent régnant; dans un creux trop étroit pour qu'on en puisse utiliser les pentes, etc.
Mais si l'on ne rencontre pas toujours et partout un sol propice au lancement d'un aéroplane par roulement accéléré, les espaces plats où ces roulements sont praticables ne sont du moins pas rares.
Sur deux roues, trois, quatre, cinq ou même six roues, l'aéroplane repose et ces roues sont aussi réduites, aussi légères que possible, pour ne pas charger l'appareil.
Il faut néanmoins leur laisser un diamètre suffisant (voisin de 0 m. 50) pour franchir des sillons, des ornières ou des bossellements du terrain de quelque importance.
Montées en tension comme les roues de bicyclettes et munies de pneumatiques, ces roues sont par surcroît fixées à des pièces articulées maintenues par des ressorts ou des freins amortisseurs de chocs d'une grande puissance.
S'il faut, en effet, que le roulement de lancement puisse s'effectuer au besoin sur un sol assez raboteux, comme ceux qui existent «en plein champ», il importe encore davantage qu'à l'instant critique de l'atterrissage le «train de roulement» de l'aéroplane ne soit pas brisé ou faussé dans un contact trop brusque avec le terrain.
On place donc, en général, les roues des aéroplanes assez loin du corps de l'avion ou de la nacelle pour que les organes amortisseurs de choc aient une «course» étendue et le système de liaison des roues aux pièces articulées portant les amortisseurs leur permet, en outre, de s'orienter instantanément, d'elles-mêmes, en tous sens, d'une manière analogue à celle des roulettes de meubles.
Les figures 84 bis et 85 montrent deux dispositifs de ce genre. Celui de la figure 85 est empruntée à un aéroplane de Farman. Il est placé directement au-dessous du siège du pilote, en arrière du moteur et de l'hélice. Celui de la figure 84 bis est le dispositif de roulement amortisseur du monoplan Blériot, placé après l'hélice et devant le pilote, notablement au-dessous de l'avant du fuselage, ou corps de l'aéroplane.
On voit que dans ce dernier les pièces articulées forment un triangle rectangle dans lequel le sommet de l'hypoténuse coulisse sur le côté perpendiculaire au sol en agissant sur le système de ressorts amortisseurs dès que les roues touchent et rencontrent résistance. Cette disposition est à la fois très mobile, très souple et très robuste. L'expérience a d'ailleurs démontré ses qualités.
Le lancement par roulement,—à défaut d'enlèvement perpendiculaire comme celui que pourrait produire un hélicoptère,—réalise ainsi le départ de l'aéroplane d'une manière, sinon très satisfaisante, du moins très passable.
Mais, à l'atterrissage, malgré les amortisseurs et l'orientation des roues en tous sens, il laisse plus à désirer. Des patins souples élastiques, qui font frein naturellement et qui peuvent avoir une large portée, tout en permettant au centre de gravité de l'appareil d'être bien plus rapproché du sol, seraient de beaucoup préférables. Ils constituent un mode d'atterrissage «par glissement» infiniment plus rationnel pour un engin qui parvient à terre en rasant le terrain et qui ne peut, comme l'oiseau, battre des ailes pour freiner sa glissade de descente afin de se poser presque perpendiculairement sur des pattes articulées dont les muscles font ressort.
Ces remarques, depuis longtemps faites, engagent les constructeurs à chercher une combinaison de roues et de patins qu'on a déjà tenté de réaliser dans plusieurs types d'avions.
Il faudrait avoir des roues pour partir, les escamoter dès le départ afin de n'en être pas embarrassé et prendre terre avec des patins à la descente. Cet énoncé n'est pas celui d'un problème insoluble. En plusieurs modèles, on a remplacé la roue ou les roues d'arrière de l'aéroplane par un simple patin. C'est un acheminement intéressant à observer.
Ayant bien suivi cet exposé théorique très élémentaire des parties constitutives du «plus lourd que l'air» et des moyens qu'il possède par leur groupement, on se représente aisément ce que doit être sa gouverne.
Elle est si simple, si facile, qu'après sept ou huit leçons sur le terrain un homme jeune, agile, d'esprit vif, mais pondéré, ayant le sens de la logique et du sang-froid, peut commencer à conduire seul un aéroplane français bien stabilisé.
Toutefois, cette affirmation, vraie pour des exercices prudents sur un aéroplane, n'implique pas la capacité d'avier «à travers champs», par monts et vallées comme les pilotes renommés.
Il suffit, pour s'en rendre compte, de se représenter l'usage pratique d'un aéroplane quelconque de manœuvre aisée:
L'air est calme. Le point de départ est un champ de manœuvres comme celui d'Issy-les-Moulineaux.
Après avoir vérifié le bon état de l'appareil, les approvisionnements d'essence, d'huile et d'eau,—si le moteur est à refroidissement par eau,—le jeu parfait de tous les organes du moteur et de l'aéroplane, la présence «à bord» des instruments utiles pour se guider dans l'espace, etc., le pilote monte dans son «baquet» et ordonne la mise en marche.
Le moteur part; l'hélice tourne; sa traction ou sa poussée fait rouler l'avion à une vitesse qui s'accélère de seconde en seconde. Bientôt l'aviateur sent que l'engin commence à bondir sur les inégalités du terrain; il va quitter la terre... mais, y a-t-il encore devant lui un espace plat, suffisant pour son essor?
Sur un vaste aérodrome, l'espace pour le lancement ne fait pas défaut. Il est souvent plus mesuré en pleine campagne. Le bon pilote doit donc savoir quitter le sol et s'élever sans retard par une judicieuse manœuvre du moteur et du gouvernail de profondeur.
En augmentant à propos la vitesse de sa marche, il fait augmenter la pression de la résistance de l'air qui tend à le soulever. En orientant comme il convient l'incidence du gouvernail de profondeur par rapport à sa direction, il détermine par un prompt surcroît de résistance, le soulèvement voulu, et l'essor sera définitif si cette action du gouvernail de profondeur est en bonne concordance avec la vitesse acquise.
Dans le cas contraire, l'avion n'aura quitté le sol une ou deux secondes que pour retomber, trop ralenti, et l'espace parcouru sera terrain maladroitement perdu.
Ainsi, dès le départ, une double préoccupation: celle de la vitesse et celle de la commande du gouvernail de profondeur absorbe le pilote.
Il faut noter que l'air est supposé calme et le moteur fonctionnant régulièrement, sans aucun «raté».
S'il y a un vent modéré, l'aviateur est favorisé car, sur le champ de manœuvres d'où il part, il peut s'orienter de façon à marcher contre ce vent.
Fig. 86
S'élançant «vent debout» il aura un essor plus prompt; l'étendue du champ de manœuvres sera pour lui relativement plus grande.
L'inverse se produirait s'il partait «vent arrière». Il lui faudrait augmenter sa vitesse proportionnellement à celle du vent, et l'espace du champ de manœuvres serait relativement réduit proportionnellement au temps que le vent pourrait mettre à le traverser.
En pleine campagne, le pilote serait plus embarrassé encore si, par exemple, la disposition du terrain ne lui permettait de partir ni «vent debout» ni «vent arrière» mais en ayant le vent «par le travers.» Un tel essor n'est nullement irréalisable, mais exige beaucoup plus de sûreté dans la gouverne de l'avion.
Poursuivant notre hypothèse, supposons l'aéroplane se déplaçant à quelques mètres au-dessus du sol. Sa vitesse est grande puisqu'une progression modérée ne donnerait pas aux surfaces portantes un point d'appui suffisant sur l'air. La vitesse est une condition essentielle de la sustentation. En conséquence, l'étendue du champ de manœuvre va être vite parcourue et le pilote devra promptement atterrir... ou tourner.
Or, même sans vent, le virage, comme on l'a vu dans le sous-chapitre consacré à cette évolution, modifie la position d'équilibre de l'avion par l'inégale pression qu'il engendre sur les extrémités des surfaces portantes.
Si le pilote vire trop court à gauche, l'aéroplane s'incline assez fortement à gauche et, lorsque la progression dans l'air s'accomplit très près du sol, cette inclinaison peut amener un contact de l'extrémité gauche des surfaces portantes avec le terrain. Ce contact est d'autant plus à prévoir que le virage produit un ralentissement qui correspond à son amplitude, et, par suite, une descente plus ou moins accentuée de l'avion. Il est presque superflu d'ajouter qu'à la vitesse de marche indispensable pour la sustentation, le contact d'une extrémité des surfaces portantes avec le terrain causera tout au moins la rupture de cette extrémité.
Le débutant ne risque donc pas un virage avant de savoir s'élever à une petite hauteur (quelques mètres), et sans savoir descendre, atterrir, s'arrêter à volonté.
Avant de virer, il s'élève, gagne une hauteur correspondant à celle que le virage lui fera perdre et commence, avec prudence, par exécuter des courbes d'un très grand rayon, dont la réduction progressive lui permettra, peu à peu, d'oser le virage complet.
S'il y a du vent, la difficulté du virage augmente en raison de la force de celui-ci. Le mouvement tournant se complique d'une dérivation dont il faut tenir compte si l'aéroplane l'exécute près de l'extrémité du champ de manœuvres car elle pourrait lui en faire franchir la limite.
Le plan stabilisateur arrière des appareils français, comme l'a fort bien expliqué M. Armengaud (voir page 73), s'oppose à l'inclinaison des surfaces portantes pendant le virage; il réduit cette inclinaison. Le pilote inexpérimenté s'émeut néanmoins du déplacement de l'équilibre de l'avion pendant ce mouvement. Il lui faut une certaine accoutumance pour se rassurer quand il s'accomplit et le subir en le surveillant pour le modérer s'il y a lieu, sans prétendre le supprimer. Cette inclinaison est en effet une des conséquences inévitables et nécessaires du virage, en aviation comme dans toutes les évolutions où la force centrifuge s'exerce.
Ainsi la nécessité de virer ne diminue pas les préoccupations du pilote à l'égard de la marche et de la vitesse du moteur, ni à l'égard de la manœuvre du gouvernail de profondeur, au contraire. Elle grandit cette double préoccupation par la nécessité d'augmenter l'altitude; elle y ajoute la préoccupation de l'inclinaison et de l'étendue du rayon de la courbe (manœuvre du gouvernail de direction latérale), enfin, en cas de vent, elle y apporte encore le souci de la dérivation de l'avion.
S'il quitte le terrain de manœuvre pour s'élancer au delà, le pilote voit rapidement croître la complication de sa «gouverne».
Les arbres, les maisons, les monuments, les reliefs importants du sol l'obligeraient à d'incessantes manœuvres du gouvernail de profondeur. Pour se les épargner et réduire ses risques, il lui faut s'élever à une hauteur notablement supérieure à celle de ces obstacles. Cette élévation lui est d'ailleurs nécessaire pour «voir de loin», longtemps à l'avance, le terrain sur lequel la rapidité de sa translation le conduit.
Si le pays n'est pas en plaine, comme la Beauce, mais vallonné, le vent y fait des ondulations ascendantes et descendantes correspondantes aux ondulations du terrain, comme l'indique la figure schématique 86. Les vallées créent, en outre, des courants secondaires, des contre-courants et des remous ou des tourbillons dont la force augmente avec celle du vent principal qui leur donne naissance (p. 105).
Notons aussi que plus le vent «fraîchit», plus il est rapide, plus il procède par rafales.
Un vent même léger, n'est presque jamais uniforme. Il a toujours des différences d'intensités à peu près rythmées, quoique irrégulières, et telles qu'il faut le considérer comme un mouvement ondulatoire et non comme un mouvement de direction et d'intensité constante. L'air, en déplacement, forme des vagues analogues à celles de la surface des eaux, et ces vagues, au contraire de celles des grandes étendues liquides, ont leur amplitude maximum en bas, par rapport à nous et à la masse de l'air; tandis que les vagues liquides ont leur amplitude maximum en haut à la surface, par rapport au fond marin.
Ces perturbations et ces ondes impliquent la nécessité pour l'aviateur en voyage, de s'élever jusqu'à une altitude où elles sont moins nombreuses.
À 300 mètres de hauteur, les mouvements atmosphériques sont beaucoup plus réguliers qu'à la surface du sol. En revanche, ils s'accentuent davantage. Il résulte, en effet, des observations météorologiques poursuivies au sommet de la Tour Eiffel depuis bien des années, que le vent y a une vitesse de 7 à 8 mètres par seconde lorsqu'il parcourt à peine 3 à 5 mètres dans le même temps à la surface du sol. Il faut donc encore tenir compte de ces différences de vitesse aux diverses altitudes, car elles modifient dans une énorme proportion la marche de l'avion, puisque sa vitesse s'augmente ou se diminue de celle du vent selon qu'il se dirige «vent debout» ou «vent arrière» et surtout puisqu'il dévie en raison de la vitesse du vent qu'il aborde «par le travers».
On peut préciser ces dernières données générales par l'exemple théorique suivant:
Supposons (figure 87, page 109) un aéroplane dont la vitesse normale en air calme est de 50 kilomètres à l'heure. Il franchira la distance AB égale à 200 kilomètres en 4 heures.
Fig. 87
Mais s'il a contre lui un «vent debout» (figure 88, page 109) d'une vitesse de 8 mètres à la seconde, c'est-à-dire d'environ 28.800 mètres à l'heure, il faudra retrancher cette vitesse de celle de l'avion. Dès lors, il ne fera plus que 21 kilomètres à l'heure environ, au lieu de 50, et, après quatre heures de marche, il se trouvera vers A' sur le trajet AB au lieu d'être en B.
Fig. 88
Si ce même vent de 8 mètres à la seconde est au contraire dans le même sens que la marche de l'aéroplane (vent arrière) (figure 89) sa vitesse de 28.800 mètres à l'heure s'ajoute à celle de 50.000 mètres de l'avion et la distance AB égale à 200 kilomètres, est parcourue en 2 h. 1/4 environ au lieu de 4 heures.
Fig. 89
Dans le cas où l'aéroplane partant de A à l'allure de 50 kilomètres rencontre un vent perpendiculaire à sa direction (fig. 90, page 110), il progresse dans ce vent et se trouve après 4 heures d'aviat en un point B' distant de B d'une quantité égale à celle parcourue pendant ces quatre heures par le vent V (soit environ 86 kilomètres).
Fig. 90
Ainsi le «vent debout» à marche normale du moteur retarde la progression de l'aéroplane. Le «vent arrière» l'accélère, et le «vent par le travers» dévie l'avion de sa route, ou force le pilote à prendre, contre ce vent, une incidence de marche qui corrige la déviation, mais retarde quand même la progression de l'appareil dans la proportion de cette incidence et de la vitesse du vent.
Pour arriver en B au lieu d'être dévié jusqu'en B' (figure 90) il lui faut, par exemple, prendre une direction telle que D, dont l'angle (D A B) est égal à celui de (B A B') que donnerait la déviation sur la direction normale.
Lorsque enfin le pilote veut descendre pour atterrir,—soit parce qu'il arrive au but de son voyage, soit parce qu'une cause quelconque l'abrège (épuisement prochain de l'approvisionnement d'huile ou d'essence, échauffement anormal du moteur, fatigue, refroidissement ou troubles visuels du pilote, modification de l'état de l'atmosphère, etc., etc.)—ou simplement parce qu'il lui plaît de s'arrêter,—il doit se préoccuper du vent autant que de l'emplacement de l'atterrissage.
Il va sans dire qu'il ne peut s'exposer à descendre ni sur des toits de maisons, ni sur des arbres, ni sur une étendue d'eau, ni sur une foule. Un grand terrain plat et désert lui est indispensable.
Ces étendues, même aux abords des villes, ne sont pas rares; mais, si l'aviateur voyage depuis un certain temps, il a fait beaucoup de chemin, et il doit soupçonner que les conditions de l'air dans lequel il se trouve ne sont plus celles qu'il avait au départ.
La direction du vent peut avoir changé. Si la direction du vent ne s'est pas modifiée, l'orientation de l'avion, par rapport à ce vent, peut n'être plus la même. L'aviateur peut enfin s'être élevé en air calme et se trouver au moment où il va descendre, dans un courant de vent plus ou moins vif. Il doit le supposer, mais il l'ignore parce que sa vitesse ne lui permet pas de le sentir.
Dans tous les cas, en effet, l'avion traverse l'air avec rapidité puisque c'est en s'appuyant sur l'air qu'il déplace que sa sustentation se prolonge.
On conçoit que si l'aviateur tente d'atterrir avec un vent de côté, l'orientation automatique en tous sens des roues de l'appareil ne suffira pas pour éviter qu'il ne soit culbuté ou qu'un traînage plus ou moins violent ne risque d'endommager son infrastructure.
S'il atterrit «vent arrière» et si le vent est violent, il risque encore d'être culbuté ou roulé trop brutalement.
Lorsque l'atmosphère est agitée près du sol, il faut atterrir «vent debout».
En conséquence, le pilote doit examiner le terrain au-dessous de lui, parce que la façon dont il fuit peut seule le renseigner sur l'orientation de l'avion par rapport à celle du vent.
Supposons l'aéroplane A (figure 91) en air calme suivant la direction indiquée par la flèche D avec une vitesse de 30 kilomètres à l'heure (p. 112).
Fig. 91
Si le pilote examine le terrain sous lui, il le voit fuir dans le sens indiqué par la flèche F, sens diamétralement opposé à sa direction avec cette vitesse de 30 kilomètres à l'heure, qu'un instrument spécial lui permet de mesurer.
Mais supposons ensuite (2e image de la figure 91) ce même aéroplane avec la même orientation, dans un vent ayant une vitesse de 25 kilomètres à l'heure et dont la direction est indiquée par la grande flèche V.
Ce vent fait dériver l'aéroplane, il modifie sa direction. L'avion, quoique orienté vers D, ne va plus en D mais en D1. Et si le pilote regarde le terrain sous lui, il ne le voit pas fuir dans un sens exactement contraire à sa direction, mais de droite à gauche, dans le sens indiqué par la flèche F et avec une vitesse de plus de 30 kilomètres à l'heure, puisque la vitesse de la dérivation causée par le vent s'ajoute à la vitesse de l'aéroplane.
Si le pilote vire alors de gauche à droite, la rapidité de la fuite du terrain sous lui s'accentue (elle diminuerait en sens contraire). En même temps, cette fuite du terrain prend une direction plus opposée à celle de la nouvelle direction; jusqu'au moment où elle devient, par la continuation du virage, complètement opposée au sens de la marche de l'avion.
C'est le cas de la 3e image de la figure 91; cas dans lequel la direction du vent V et celle D2 de l'aéroplane sont identiques.
La fuite du terrain, sous le pilote, dans la direction de la flèche F2 atteint alors un maximum de rapidité. Elle s'élève à 55 kilomètres à l'heure parce que la vitesse de l'avion (30 kilomètres) s'ajoute à celle du vent (25 kilomètres).
Dans ces conditions on peut dire théoriquement, comme le capitaine Ferber, que l'aviateur n'arrivera pas à arrêter la fuite du terrain sous lui, puisque, même s'il pouvait cesser complètement d'avancer dans le vent, sans descendre, le vent continuerait à faire fuir le terrain sous l'aéroplane avec la vitesse de sa translation, égale à 25 kilomètres à l'heure.
Mais si, sans s'arrêter à cette orientation de la 3e image le pilote continue à virer, il ne tarde pas à voir l'orientation de la fuite du terrain passer de sa droite à sa gauche et la vitesse de cette fuite se ralentir.
Se trouvant, plus tard, par rapport au vent V dans la position de la 4e image, c'est-à-dire sa marche étant orientée vers D1, la déviation que lui fera subir le vent V le portera dans la direction indiquée par la flèche D3, et le terrain fuira sous lui dans le sens de la flèche F3,—de sa gauche à sa droite,—avec une vitesse de moins de 30 kilom. à l'heure, puisque la déviation s'exercera cette fois dans un sens inverse de celui de la 2e image de la figure 91.
Enfin, s'il continue toujours son virage, le pilote sera en parfaite orientation pour atterrir lorsque le sens de la fuite du terrain sous lui sera pour la seconde fois diamétralement opposé au sens de sa marche (5e image de la figure 91), parce qu'il aura dès lors le «vent debout».
Le terrain lui paraîtra fuir lentement car la vitesse du vent (égale à 25 kilomètres par heure.) s'exerçant cette fois contre celle de l'avion (égale à 30 kilomètres), réduira sa progression à la faible quantité de 5 kilom. par heure.
Alors l'aviateur, comme le dit fort bien le capitaine Ferber, n'aura qu'à modérer un peu la marche de son moteur pour arrêter le terrain et s'y poser sans aucune secousse.
On comprend que ces soucis d'atterrissage, additionnés avec ceux de la marche et du départ, finissent par former un total assez inquiétant pour expliquer le désir qu'ont eu quelques constructeurs de simplifier les manœuvres du pilote en les groupant au moyen d'organes de commande, lorsqu'elles pouvaient être groupées.
C'est ainsi que dans la «gouverne» du monoplan Blériot, par exemple,—et dans celle plus délicate encore du biplan Wright, dépourvu de stabilisateur arrière, automatique,—telle commande d'évolution entraîne, par liaison au même organe qui l'exécute, la commande d'un gauchissement des ailes (Wright) ou celle d'une orientation des ailerons (Blériot).
Par la mobilité de ses ailes et de sa queue, par la souplesse de son corps, le poids de sa tête, souvent placée au bout d'un long cou,—ce qui lui permet des déplacements précieux de son centre de gravité[26],—l'oiseau est une machine aviante infiniment plus perfectionnée que nos aéroplanes.
Fig. 92
Pylône de lancement du biplan Wright, vu de la nacelle d'un ballon.
Possédant ses moyens en lui-même l'oiseau les emploie par simples réflexes instantanés, sans les raisonner. N'ayant ni la puissance relative, ni la promptitude de réaction de l'oiseau, l'aviateur doit s'appliquer à simplifier la gouverne de son appareil. Il doit tendre à faire son aviation automatique autant que possible.
On verra par la suite qu'à cet égard l'«École française» est en grande avance sur l'«École américaine», quoique née après elle et formée sans le bénéfice de son exemple, puisque les frères Wright dissimulaient avec le plus grand soin leurs procédés.
V
Les modèles d'Aéroplanes consacrés
En France, jusqu'au 3e trimestre de 1906, on pourrait presque dire qu'aucun «plus lourd que l'air» ne s'était encore élevé et soutenu dans l'atmosphère, sauf les exceptions qui vont être signalées.
Les débuts de l'aviation ont donc à peine cinquante-deux mois d'ancienneté et l'on conçoit qu'il serait injuste autant que téméraire aujourd'hui de prétendre porter un jugement définitif sur les modèles, déjà très nombreux, que l'industrie de l'aviation produit.
Les inventeurs, les constructeurs et les pilotes d'aéroplanes ont eu beau accomplir des progrès et des prouesses stupéfiantes, le bon sens et l'équité obligent à considérer d'une façon globale tous les appareils actuels, toutes les «performances» enregistrées, comme des créations et des actes d'essais sur lesquels on ne pourra se prononcer d'une façon bien motivée avant quelques années.
Tel appareil, n'ayant encore effectué que des petites sustentations presque insignifiantes, deviendra peut-être, avec des modifications de détails qui ne changeront pas son principe, un type tout à fait supérieur; tandis que tel autre, qui permet des exploits enthousiasmants, sera peut-être relégué dans quelques années parmi les spécimens glorieux mais délaissés, de l'histoire des progrès de l'aviation.
Ce dernier sort est déjà celui des appareils d'Ader.
Néanmoins, s'il est impossible à présent d'approuver ou de condamner en pleine connaissance de cause, les types créés, il est permis et nécessaire, en revanche, de noter les dispositifs auxquels on doit, dès à présent, des résultats marquants comme ceux qui nous autorisent à tenir la conquête de l'air pour assurée.
Les aéroplanes monoplans et biplans sont les modèles français ou étrangers auxquels on doit cette conquête. La revue des plus illustres d'entre eux ne sera pas longue. Mais, avant de la commencer, il importe de rendre hommage au mérite incomparable et malheureusement méconnu d'Ader, qui résolut treize années avant les frères Wright, et seize ans avant Santos-Dumont, le séculaire problème de la locomotion aérienne par l'aviation.
L'ingénieur Clément Ader conçut la solution par un type de monoplan dans lequel on retrouve presque toutes les caractéristiques des appareils qui ont permis la célèbre traversée de la Manche par Louis Blériot et les magnifiques envolées de Latham.
En 1890, il expérimentait à Armainvilliers un modèle qu'il avait baptisé l'Éole, peu différent comme forme générale de son dernier appareil: l'Avion no 3.
À cette époque, les moteurs à explosion si légers créés par l'industrie automobile n'existaient point.
Ader dut créer un moteur à vapeur, qui était à lui seul une merveille de perfection et de légèreté.
L'Éole fit 50 mètres dans l'air le 9 octobre à Armainvilliers, et 100 mètres l'année suivante au camp de Satory, mais il se brisa par accident en atterrissant.
L'Avion no 3, essayé à Satory,—dans le plus grand secret, comme l'appareil des frères Wright,—fit le 12 octobre 1897 des envolées de 25 à 100 mètres et fut encore en partie démoli à l'atterrissage deux jours plus tard sur le même terrain d'expériences.
Si sa forme, copiée sur celle des ailes de la chauve-souris, nous paraît archaïque en comparaison de celle des monoplans d'aujourd'hui, on ne peut lui reprocher qu'une exagération un peu naïve des principes adoptés à présent.
Les ailes de l'Avion étant extensibles,—dispositif auquel on reviendra peut-être par d'autres moyens que ceux d'Ader, car on fait des essais dans ce sens[27],—mesuraient 14 à 15 mètres d'envergure, suivant leur extension,—celles des types Antoinette IV et V, décrits plus loin, avaient 12 m. 80. L'envergure du modèle Gastambide-Mangin était de 10 m. 50.
Dans leur plus grande largeur, les surfaces portantes de l'Avion atteignaient 3 m. 60 et leur étendue totale s'élevait à 35 ou 45 mètres carrés, par suite des variations d'extension.
Les surfaces portantes des types actuels comparables sont peu différentes: Gastambide-Mangin, 24 mètres carrés; Antoinette IV, 30 mètres carrés; Antoinette V, 50 mètres carrés (Levavasseur).
L'Avion ne possédait pas de plan stabilisateur proprement dit; et c'est peut-être pour cela qu'il eut, comme l'Éole, des manœuvres difficiles, et fut victime d'accidents bien regrettables. Mais ses ailes étaient gauchissables, et, en cela, Clément Ader devançait les frères Wright. En outre, elles étaient articulées pour réaliser la stabilité transversale. C'était une tentative d'imitation des moyens de l'oiseau à laquelle certains constructeurs tentent de revenir.
Dans l'Avion no 3, la carcasse des surfaces portantes était métallique, ce qui contribuait à l'alourdir. Mais si les aéroplanes actuels utilisent des carcasses plus légères, il n'est pas prouvé que l'on ne reviendra pas à des constructions en métal, légers soit par leur matière, soit par leur gabarit, puisqu'il est reconnu désormais que la puissance des moteurs permet de ne plus sacrifier la résistance à l'allégement[28].
L'Avion no 3 comportait encore une accommodation dictée par la Nature, qui n'existe plus dans les aéroplanes actuels: le centre de gravité était déplaçable.
Par le pendule et par l'influence gyroscopique, ou par la combinaison de ces deux forces, on s'occupe à présent de réduire les oscillations accidentelles du «plus lourd que l'air» d'une façon analogue en principe, quoique différente dans les moyens.
Plus on poursuit l'énumération des caractéristiques de l'Avion no 3, plus on remarque qu'elles sont celles des monoplans ou des biplans d'à présent. Sa force motrice était formée par deux moteurs à vapeur de 20 HP chacun, actionnant deux hélices tractives à 4 branches de 2 m. 80 de diamètre et de pas variable d'environ 0 m. 90 en moyenne. Les moteurs de l'Antoinette et du Gastambide-Mangin sont de 50 HP. Leurs hélices n'ont que 2 m. 20, mais leur pas atteint 1 m. 30 et leur vitesse est supérieure à celle des hélices de l'Avion no 3; de telle sorte que les proportions dans l'utilisation des moyens restent à peu près les mêmes.
Enfin l'Avion no 3 était porté par un châssis monté sur trois roues, dont la 3e arrière s'orientait en tous sens.
Ainsi, l'on n'a pour ainsi dire rien fait qu'Ader n'ait réalisé, au moins en principe, et toute la supériorité,—d'ailleurs évidente et prouvée,—des monoplans d'aujourd'hui réside dans une meilleure application des données initiales d'Ader.
Ceci, bien entendu, ne réduit en rien le mérite incontestable des constructeurs qui viennent de conquérir l'atmosphère, car, on peut affirmer que, loin de tenir compte des expériences d'Ader, ils ont eu plutôt le tort de les ignorer, de les méconnaître, ou de les négliger. Leurs créations ne sont point des imitations; elles leur appartiennent pleinement, et le surprenant mérite de Clément Ader est précisément d'avoir été un précurseur si complet.
Nous ne pouvons ici nous étendre davantage sur les comparaisons de principes dont il s'agit, mais en étudiant les détails du brevet pris pour l'Avion no 3,—brevet qui a été publié par le journal «La France automobile et aérienne» (janvier 1910),—on constatera des analogies ou des similitudes encore bien plus frappantes entre cet ancêtre du «plus lourd que l'air» et les appareils planant aujourd'hui.
Fig. 94
Lancement de l'appareil Langley.
Le Bris, Lilienthal, Pilcher, Chanute, Langley, comme nous l'avons indiqué précédemment (voir les étapes de l'Aviation, chap. III, p. 29), ont été les initiateurs des frères Wright. Nous allons décrire bientôt le dispositif de ces deux jeunes aviateurs-constructeurs américains. Mais, auparavant, pour achever la soudure du passé avec le présent, il convient de mentionner encore les coûteuses tentatives de sir Hiram Maxim, qui fit construire, vers 1895, un énorme aéroplane de 4.000 kilogrammes, actionné par un moteur à vapeur de 300 chevaux. Une immense surface portante de 500 mètres carrés devait soutenir cet aéroplane entraîné par deux grandes hélices.
L'appareil s'éleva, mais, totalement dépourvu de stabilité, il ne put gouverner et se brisa. Sir Maxim perdit un million dans ces essais décourageants, pour n'avoir pas assez étudié d'abord les surfaces portantes et leur gouverne comme l'avaient fait Le Bris et surtout Lilienthal.
Presque en même temps que Sir Maxime, en 1896, M. Langley, secrétaire de la Smithsonian Institution de Washington, construisit un modèle réduit qui s'enleva et parcourut 1.200 mètres au-dessus du fleuve Potomac.
Une subvention du gouvernement américain permit à M. Langley de répéter ces essais dans des dimensions normales, en lançant l'aéroplane avec un pilote: le professeur Manley, du haut d'un échafaudage flottant sur le Potomac (7 octobre 1903) et à Arsenal-Point (Washington) (décembre 1903) (fig. 93 et 94, page 121). Mais ces expériences, en raison de causes accidentelles, n'ayant pas paru assez concluantes, le gouvernement cessa d'encourager M. Langley, qui dut abandonner le perfectionnement de ses dispositifs.
On peut regretter ce défaut de confiance et de constance du «Département de la guerre» américain, car, l'appareil de Langley, avec des améliorations faciles, déjà tout, indiquées par l'expérience, aurait assurément tenu les promesses faites par le premier aéroplane réduit qui s'était si bien comporté quelques années plus tôt.
Pendant que M. Langley se trouvait ainsi arrêté dans ses travaux, les frères Orville et Wilbur Wright, qui s'étaient mieux préparés à la gouverne de «l'aviat plané» en reprenant les expériences de M. Chanute, avec cet émule de Lilienthal, depuis l'année 1900, réussissaient deux mois plus tard, en décembre 1903, la sustentation d'un plus lourd que l'air, en faisant un trajet horizontal de 200 mètres.
Dans son beau livre sur l'Aviation, le capitaine Ferber a conté en termes brefs, mais émouvants, le calvaire des frères Wright, inventeurs méconnus dans le monde entier. Ferber par M. Chanute, puis par les frères Wright, eux-mêmes, était tenu au courant des résultats de leurs travaux sans toutefois connaître les détails de leurs appareils soigneusement cachés. Il poursuivit (de 1902 à 1906) des essais de sustentation analogues aux leurs d'après les données de Lilienthal et de Chanute. Il réussit des glissades (sans moteur) aussi probantes que celles de l'Allemand et des Américains. Bref, il arrivait aux mêmes résultats que les frères Wright avec des moyens un peu différents, mais après eux, parce qu'ils avaient deux ans d'avance sur lui, et parce que l'administration militaire, au lieu de le seconder pleinement, le retardait, l'embarrassait ou même sacrifiait ses travaux avec la plus déplorable inclairvoyance.
N'ayant pu devancer ou seulement rattraper les Wright, Ferber essaya du moins,—dévouement bien rare et bien touchant,—de faire acquérir leur invention par l'État français. Les démarches faites à ce sujet ne furent point couronnées de succès... et n'attirèrent à notre généreux compatriote que les foudres de son administration!
Cette digression «historique» sort un peu du cadre de cet A. B. C., mais elle n'est pas inutile pourtant, parce qu'elle expliquera comment l'école française de l'aviation par biplan diffère de l'école américaine et ne doit rien aux frères Wright, puisqu'elle ne fut pas renseignée sur leur modèle.
Les grandes analogies qu'on remarque entre les appareils de Ferber, des frères Voisin et des frères Wright viennent en effet du fond commun qui fut le point de départ de tous.
Fig. 95
Cerf-volant de Hargrave.
Lilienthal reprend les essais bien rudimentaires, mais admirablement judicieux de Le Bris. Chanute continue Lilienthal en perfectionnant ses expériences par une ingénieuse fusion de ses principes avec ceux du cerf-volant cellulaire de L. Hargrave (fig. 95).
Les Wright en Amérique, et Ferber en France, avec Chanute pour trait d'union, trouvent l'un après l'autre, mais séparément, la solution de l'aviat plané, d'où découlent, avec leurs différences de moyens, l'école américaine et l'école française; voilà le passé de l'aviation actuelle qui tient tout entier en moins de cinq années, puisqu'il part de 1900 pour l'Amérique, et de 1902 pour la France, et que les premiers aviats résolvant le problème furent exécutés à la fin de 1903 à Kitty-Hawk, et à la fin de mai 1905 à Chalais-Meudon (seize mois 1/2 plus tard).
Des travaux d'Ader, ces initiateurs n'ont guère tenu compte,—si même ils les prirent en considération,—parce qu'ils avaient été trop cachés et même contestés (comme les premières sustentations des Wright). En revanche, ils connurent plus ou moins les belles et précieuses observations de Marey sur le vol des insectes et des oiseaux (1873-1890), les savantes études du colonel Renard, les théories si justes et les démonstrations expérimentales de Pénaud (1872), de Tatin (1874) et les publications de Mouillard (1881).
Ferber rapporte lui-même qu'à la fin de janvier 1904, il venait de faire à Lyon une conférence de propagande, lorsque Gabriel Voisin, enthousiasmé, l'aborda en lui déclarant qu'il voulait se consacrer à l'étude des problèmes passionnants de l'aviation.
Adressé au colonel Renard, puis recommandé à M. Archdeacon, il entreprit presque aussitôt avec ce distingué et sympathique apôtre de la locomotion aérienne, des essais de sustentation sans moteur à Berck-sur-Mer.
Guidé par Ferber et secondé par M. Archdeacon, il réussit quelques glissements qu'il tenta de renouveler à Issy-les-Moulineaux en utilisant, faute de pente et de vent ascendant, la traction d'une voiture automobile.
Ces essais continuèrent sur la Seine à Billancourt. Ils coïncidèrent en juillet 1904 avec ceux que faisait Blériot au même endroit. De cette coïncidence naquit la courte association de Voisin et de Blériot.
Voisin, dans ces recherches de 1904 et de 1905, avait apprécié l'importance des plans stabilisateurs préconisés depuis longtemps par Pénaud et Tatin; il les avait essayés. On serait injuste en ne signalant pas que l'une des principales caractéristiques, et l'une des principales supériorités de l'école française sur l'école américaine, dérive de ces travaux qui font nommer avec reconnaissance en même temps que Voisin, Pénaud, Tatin, Ferber, Archdeacon et Blériot.
Cette genèse esquissée, passons,—avec regret,—sur les essais si nombreux, si coûteux, si persévérants, si méritoires, qui furent accomplis avec une rapidité vraiment prodigieuse par tous ces pionniers auxquels il faut ajouter Santos-Dumont, qui les distança le 23 octobre 1906 par le célèbre aviat exécuté et officiellement constaté à Bagatelle, au moyen du 14 bis (décrit dans notre chapitre III, les étapes de l'Aviation, p. 29).
Ces belles recherches théoriques et pratiques aboutissent aux dispositifs de monoplans et de biplans français, dont nous allons décrire les principaux types, après avoir analysé celui du biplan Wright.
École américaine.
Appareil des frères Wright.
Le biplan des frères Orville et Wilbur Wright est naturellement une résultante directe des études,—peut-être plus pratiques que théoriques,—qui donnèrent à ces deux hardis et persévérants aviateurs-constructeurs les qualités de pilotes aériens, si développées chez eux.
Ferber rappelle que dès le début ils osèrent se coucher à plat ventre sur le plan inférieur des surfaces portantes de leur appareil pour planer littéralement comme l'oiseau en manœuvrant seulement les avant-plans qui leur tenaient lieu de stabilisateur longitudinal et de gouvernail de profondeur.
N'usant de sa queue, comme direction, que pour les mouvements d'une assez grande amplitude, l'oiseau se stabilise, et fait la plupart de ses évolutions ou de ses réactions promptes avec sa tête et son cou (Marey).
C'est exactement ce que faisaient, dès les début, les frères Wright avec leur gouvernail de profondeur, et par la position horizontale qu'ils avaient audacieusement adoptée. Cette gouverne, suffisante pour la plupart des manœuvres rapides de l'oiseau, leur suffit, et les détourna sans doute des recherches de la stabilisation longitudinale automatique française si bien réalisée par Voisin et Blériot, d'après Pénaud et Tatin.
Un historique minutieux des trois années d'apprentissage d'aviat des Wright (1900-1903), s'il pouvait être fait, expliquerait probablement de même comment ils ne conçurent pas d'autre lancement de leur biplan que le pylône à contrepoids ou le plan incliné.
Quoi qu'il en soit, leur appareil représenté en schéma par les figures 96, 97 et 98, p. 128, possède les caractéristiques suivantes:
Surfaces portantes.—Deux plans superposés de 12 m. 50 de largeur sur 2 mètres de profondeur (sens de la marche), séparés par une distance de 1 m. 80. Surface totale des deux plans: 50 mètres carrés.
Fig. 96
Fig. 96, 97 et 98
Schéma du biplan Wright.—Gp, Gouvernail de profondeur; PP, Patins; SP, Surfaces portantes; Zg, Partie souple des surfaces portantes; Gd, Gouvernail de direction latérale; HH, Hélices; Pi, Pilote; M, moteur.
Direction.—Un gouvernail de profondeur constitué par deux plans horizontaux superposés de 4 m. 50 de largeur sur 0 m. 75 de profondeur, séparés par une distance de 0 m. 80. Entre ces deux plans, deux ailes verticales, en forme de demi-lune, donnent point d'appui à l'action du gouvernail de direction latérale situé à l'arrière du biplan.
Ce gouvernail de profondeur situé à 3 mètres en avant des surfaces portantes et à environ moitié de la distance qui les sépare est porté par l'extrémité recourbée des patins qui supportent le biplan et facilitent son atterrissage.
Le gouvernail de direction latérale, situé à 2 m. 50 en arrière des surfaces portantes, est formé de deux plans verticaux parallèles de 1 m. 80 de hauteur et de 0 m. 60 de profondeur, écartés l'un de l'autre de 0 m. 50.
Stabilisation.—La stabilisation est réalisée par un gauchissement d'une partie des extrémités arrière des surfaces portantes intéressant une zone importante de ces surfaces (indiquée par un pointillé sur la fig. 96).
Le pilote réalise ce gauchissement en agissant sur un levier qui relève un côté des surfaces portantes, tandis qu'il abaisse l'autre côté (dans la zone gauchissable). Le même mouvement du levier de gauchissement actionne le gouvernail de direction latérale. De telle sorte, qu'inversement, en actionnant le gouvernail pour virer, le pilote gauchit les surfaces portantes dans le sens propre à redresser le biplan que le virage tend à faire incliner à droite ou à gauche.
La manœuvre du gouvernail de profondeur situé en avant peut réduire les mouvements de tangage du biplan. Elle provoque sa montée, sa descente et facilite l'atterrissage en faisant frein de vitesse et relèvement du biplan. Les oiseaux pour atterrir ont une manœuvre de corps et d'ailes analogue, mais infiniment plus souple et plus puissante.
En résumé, ces directions donnent une grande facilité d'évolution au biplan, mais elles sont brutales dans leurs effets et, pour bien les utiliser, un long apprentissage est nécessaire.
Le pilote n'est pas bien maître de ses évolutions tant qu'une longue pratique préalable n'a pas rendu ses manœuvres en quelque sorte instinctives... et, même alors, la moindre défaillance peut avoir pour l'appareil et pour lui, des conséquences fatales.
Dimensions extrêmes.—Envergure 12 m. 50; longueur totale 9 m. 35.
Force motrice.—Moteur à gazoline système Wright, sans carburateur (par pulvérisation directe du carburant dans le cylindre), à 4 cylindres (diamètre, 106 millimètres; course, 102 millimètres) pesant 90 kilogrammes. Allumage par magnéto, refroidissement par circulation d'eau. Force: 25 HP; nombre de tours à la minute: 1.350. Emplacement sur le plan inférieur sustentateur: à droite du pilote.
Cette force motrice actionne deux hélices propulsives, et de même pas du système Wright. Elles tournent en sens contraire. Diamètre: 2 m. 60. Nombre de tours: 450 à la minute (par une démultiplication du nombre de tours du vilebrequin du moteur.) Transmission par chaînes croisées conduites en tubulures. Emplacement: derrière les surfaces portantes.
Fig. 99
Pylône de lancement du biplan Wright.
Poids total en ordre de marche: 450 kilogrammes. Le biplan porte aisément un passager lourd en plus du pilote et les épreuves ont montré qu'il peut se soutenir pendant plus de 2 h. 20, couvrant pendant cette durée une distance de 124 kilomètres 700 (31 décembre 1908, à Auvours, Coupe Michelin 1908, record du monde de durée et de distance pour 1908)[29].
Dispositif de départ et d'atterrissage.—À défaut d'un plan incliné de lancement, l'aéroplane Wright se lance en terrain plat sur un rail par la chute d'un poids de 700 kilogrammes, disposé dans un pylône spécial (fig. 99).
Cette propulsion violente donne au biplan une très prompte envolée sur un fort court trajet. L'appareil semble s'élancer dans l'air d'un bond avec une séduisante aisance, et réellement ce mode de lancement lui épargne les efforts de départ inévitables dans tous les types d'aéroplanes à lancement par train de roulement.
Mais en revanche, le dispositif de pylône et de rail lie l'aéroplane Wright à son port d'attache ou l'oblige à se rendre dans un autre lieu muni du même mode de lancement ou possédant les moyens de l'improviser. Et même en ce cas, le pilote sera désemparé, si, en cours de route, il est obligé d'atterrir parce qu'il ne pourra plus repartir sans créer d'abord, au lieu quelconque où il se sera arrêté, un dispositif du pylône et de rail avec câble, chariot à galets portant le biplan, etc.
Malgré son élégance, ce mode de lancement est donc si restrictif de l'emploi pratique du biplan américain, qu'on ne s'explique pas comment les frères Wright commencent seulement aujourd'hui, c'est-à-dire après quatre années d'usage de leur modèle, à se résigner à l'alourdir d'un châssis de roulement comme ceux que les constructeurs français ont créés dès le début de leurs essais.
L'adjonction de ce train de roulement indispensable alourdira le type Wright de 50 à 60 kilogrammes et entraînera sans doute des modifications assez notables dans les caractéristiques de l'appareil, mais sans changer ses principes.
Les caractéristiques énumérées ci-dessus sont celles du deuxième modèle Wright de 1908, qui permit les célèbres expériences du camp militaire d'Auvours, près le Mans.
Pendant la campagne de 1909, les Wright ont obtenu d'autres grands succès avec un modèle presque semblable, mais légèrement réduit. Il n'a que 11 mètres d'envergure, 42 mètres carrés de surfaces portantes, et les hélices n'ont que 2 m. 50 de diamètre. Toutes les autres caractéristiques sont celles du type de 1908. C'est ce modèle de 1909 auquel les aviateurs-constructeurs américains ont adapté un châssis amortisseur de roulement du système Voisin.
En vertu d'une licence de fabrication accordée par les frères Wright, les «Ateliers des constructions navales» de Dunkerque construisent des biplans qui ont été montés notamment par le comte de Lambert et M. Tissandier, élèves des inventeurs et par M. Baratoux.
On voit que le comte de Lambert avec cet aéroplane a fait pendant la grande semaine de Port-Aviation (octobre 1909) le voyage de Juvisy-Paris et retour à Juvisy, virant autour de la tour Eiffel, à plus de cent mètres au-dessus de son sommet. Cette sensationnelle randonnée fut le gros événement d'aviation de l'année 1909, surtout par la hauteur atteinte. Mais quelques semaines plus tard, Paulhan accomplissait un aviat d'égale hauteur, et coupait l'allumage pour descendre en une superbe planée.
École française.
Biplans et Monoplans.—Appareils Voisin.
Tandis que les frères Wright poursuivaient en Amérique dans le plus grand secret leurs études, d'abord, de 1900 à 1903, ensuite leurs constructions et leurs tentatives de vente de leur invention, de 1903 à 1906, Ferber, puis la pléiade des premiers chercheurs français, tels que Voisin, Archdeacon, Blériot, etc., auxquels il faut ajouter le sympathique Brésilien presque plus Parisien qu'étranger: Santos-Dumont, recherchaient au grand jour la solution du problème de l'aviation et faisaient tant d'émulés par leurs éclatantes démonstrations que les «plus lourds que l'air» furent vite nombreux.
Nous avons déjà signalé comment Ferber, dès 1905, aurait été le légitime triomphateur de cette course au génie de l'aviation, si l'autorité militaire n'avait pas entravé ses travaux.
Santos-Dumont arriva bon premier chez nous par les aviats du 14 bis en 1906. Il est inutile de décrire plus exactement que nous ne l'avons fait déjà cet appareil, puisqu'il l'a lui-même abandonné, et qu'il triomphe encore aujourd'hui avec un monoplan dont nous parlerons plus loin, et qui détient le record du faible volume et de la légèreté.
Progressant parallèlement dans deux voies différentes après une courte association préalable, Voisin et Blériot, si justement couronnés ensemble par l'Académie, ont créé en quelque sorte l'école française des monoplans et des biplans.
Nous allons donner les caractéristiques de leurs modèles, et celles des principaux appareils qui rivalisent avec les leurs en suivant l'ordre chronologique de leurs créations.
Biplans Voisin.—Le premier biplan français qui donna des résultats tout à fait marquants, puisque après avoir réalisé des aviats de 25, 35, 50 et 60 mètres, il effectua en novembre 1907 un parcours de 500 mètres, sortait des ateliers Voisin-Blériot; il était monté par le sculpteur Léon Delagrange (Delagrange no 1). Nous nous abstiendrons de l'analyser car il fut bientôt remplacé par un type construit sur les mêmes principes mais plus perfectionné.
Fig. 100, 101 et 102
Biplan Voisin, type Delagrange, II et III.—G p, Gouvernail de profondeur; S p, Surfaces portantes; CC, Cloisons verticales; Pi, Pilote; M, moteur; H, Hélice; P S, Plan stabilisateur; G d, Gouvernail de direction latérale; R r; Roues et Roulettes.
Mieux connu par les belles épreuves dans lesquelles il se signala, le type d'aéroplane biplan dénommé Henri Farman no 1, du nom de son pilote Henri Farman (fig. 103), avait les caractéristiques suivantes:
Surfaces portantes.—Deux plans cintrés superposés de 10 mètres 20 de largeur sur 2 mètres de profondeur, séparés par une distance de 1 m. 50 et formant avec l'horizon un angle de 6 à 8°.
La surface totale de ces deux plans atteint 40m, 80 carrés; ils sont légèrement concaves, en forme de V très ouvert mais par une courbe élégante; c'est-à-dire sans angle.
Direction.—Un gouvernail de profondeur constitué par deux plans horizontaux situés au niveau de la surface portante inférieure et en avant de celle-ci à l'extrémité d'un court fuselage de 4 mètres qui les sépare et les supporte.
Le gouvernail de direction latérale constitué par un plan vertical, se trouve à l'extrémité arrière du biplan.
Stabilisation.—La stabilisation de ce biplan est faite automatiquement par une cellule caudale de 3 mètres d'envergure et de 2 mètres de profondeur dont les deux plans, supérieurs et inférieurs, incurvés comme ceux des surfaces portantes, sont distants de 1 m. 50 et reliés aux extrémités, à gauche et à droite de l'appareil, par des plans de toile verticaux.
Cette queue stabilisatrice, préconisée par Pénaud et Tatin pour jouer un rôle stabilisateur analogue à celui de la queue de l'oiseau, remplit parfaitement cet office.
Dans tous les biplans et monoplans français, elle équilibre si bien l'aéroplane qu'un débutant, après quelques essais, conduit aisément un avion et se sent, après une courte pratique, en pleine sécurité.
Néanmoins, il faut signaler que dans beaucoup de biplans,—presque dans la plupart,—elle n'est pas considérée comme un organe exclusivement stabilisateur, ainsi que Tatin le recommande, mais comme concourant à la sustentation de l'ensemble de l'aéroplane, puisque ses plans horizontaux sont incurvés comme ceux des surfaces portantes et possèdent le même angle d'attaque.
Dans l'énoncé des caractéristiques, on a coutume d'ajouter les surfaces des plans horizontaux de cette queue à celles des surfaces portantes proprement dites, ce qui démontre bien qu'on les tient pour sustentatrices... Des essais comparatifs,—qui sont encore à faire,—avec des moyens de mesure ad hoc, pourront seuls déterminer avec précision, si la neutralité de la surface ou des surfaces stabilisatrices, en tant que soutènement, doit prévaloir contre l'opinion qui tend à les faire concourir à la sustentation par leur incidence et par leur incurvation.
Assis au milieu du plan inférieur de sustentation, près du bord antérieur, le pilote occupe une position très rationnelle, puisqu'il repose au point où le maximum d'effort de sustentation se produit. Ses organes de gouverne sont devant lui, et, derrière lui, le moteur.
Dimensions extrêmes.—Envergure: 10 m. 20. Longueur totale: 12 mètres.
Force motrice.—Moteur Antoinette de 40/50 HP (8 cylindres); nombre de tours: 1.000 (80 kilogr.) Emplacement: derrière le pilote.
Ce moteur actionne une hélice Voisin métallique à deux branches de 2 m. 10 de diamètre et de 1 m. 10 de pas, en prise directe sur l'arbre du moteur; elle donne donc 1.000 tours à la minute, derrière les surfaces portantes et entre elles.
Poids total en ordre de marche: 520 kilogrammes.
Dispositif de départ et d'atterrissage.—Un châssis de roulement amortisseur formé de tubes d'acier portant sur deux roues de bicyclette, à bandages pneumatiques (diamètre 0 m. 50), sous le plan sustentateur inférieur, et deux roues semblables mais plus petites (0 m. 30 c. de diamètre) placées sous l'avant de la cellule stabilisatrice caudale.
Cet appareil a fait jusqu'à 770 mètres à Issy dans ses premiers essais (26 octobre 1909). Puis 1.030 mètres en circuit fermé (9 novembre 1907.) Enfin 1.500 mètres avec virage en 1 h. 33, le 15 janvier 1908 (à Issy).
Sur un autre type de biplan Voisin, très peu différent de celui de Farman, Léon Delagrange, dès 1908, accomplit des aviats qui enthousiasmèrent le monde de l'aviation et même le grand public.
Les figures 100, 101 et 102 représentent schématiquement ce type d'aéroplane biplan qui eut deux modèles presque identiques: le Delagrange II et le Delagrange III, dont les caractéristiques sont (p. 134):
Surfaces portantes.—Envergure, 10 mètres; profondeur, 2 mètres; distance verticale des plans, 1 m. 50; soit 40 mètres carrés de surfaces portantes proprement dites.
On remarquera que les deux plans sustentateurs sont cellulaires; c'est-à-dire réunis aux extrémités et à environ 2 mètres de celles-ci par des plans verticaux (cccc) formant cellules.
Si l'on ajoute à ces 40 mètres carrés de surfaces portantes proprement dites, les surfaces horizontales de la cellule stabilisatrice arrière, qui a 2 m. 10 d'envergure et 2 mètres de profondeur, on obtient le total de 48 mètres carrés.
Dimensions extrêmes.—Largeur ou envergure, 10 mètres. Profondeur ou étendue totale de l'aéroplane, 12 mètres.
Direction.—Les organes de direction des Delagrange II et III sont les mêmes que ceux du Farman I, mais un seul volant permet de manœuvrer le gouvernail de profondeur, monoplan, formé de deux parties situées de chaque côté de l'extrémité avant du fuselage, et le gouvernail de direction latérale situé dans la cellule stabilisatrice arrière (plan vertical).
Le pilote est assis dans le fuselage, en avant des surfaces portantes.
Stabilisation.—La stabilisation est la même que dans le biplan Farman I.
Force motrice.—Constituée par un moteur Antoinette à 8 cylindres de 40/50 HP qui tourne à 1.050 tours et se trouve placé derrière le pilote, la force motrice actionne une hélice Voisin à 2 pales, de 2 m. 31 de diamètre, et de 1 m. 40 de pas, en prise directe sur l'arbre du moteur (1.050 tours). Cette hélice est propulsive derrière les surfaces portantes.
Le poids total en ordre de marche atteint 530 kilogrammes.
Le dispositif de départ et d'atterrissage est un châssis amortisseur analogue à celui du biplan Farman I.
Avec ces types de biplans, Delagrange a conquis, le 11 avril 1908, la Coupe Archdeacon par un aviat de 3.925 mètres en 6'30" à Issy.
Sur le même champ de manœuvres, il couvrait le 30 mai suivant, 12 kilomètres 750 mètres en 15'25". Un peu plus tard, le 23 juin, à Milan, 14 kilomètres 270 mètres en 18'30".
Le 4 février 1909, le capitaine Ferber pilota ce biplan avec Legagneux.
La plupart des biplans français sont des copies ou des dérivés plus ou moins directs des types de biplans précités construits par les frères Voisin. Ceux-ci créent sans cesse des aéroplanes qui se signalent par les aviats de leurs pilotes et que le public ne connaît point sous d'autres noms que ceux de ces aviateurs plus ou moins célèbres. On dit: le biplan Farman 1 bis; le biplan Delagrange III; le biplan Gobron; l'Octavie no 3 (Paulhan); le Daumont I (Gaudart), etc... Un grand nombre de ces appareils ne diffèrent d'ailleurs les uns des autres que par quelques détails: tel est muni d'un moteur Gnome au lieu d'un moteur Voisin; tel autre emprunte sa force à un moteur Itala (R. Henri Fournier), à un Vivinus (B. Hansen), à un Renault, ou à un E. N. V. (G. Rougier).
Fig. 103
Ancien Biplan Farman en plein vol, à 6 mètres de hauteur.
Les frères Voisin se prêtent à toutes les combinaisons qui leur sont demandées, s'appliquent à réaliser les modifications ou les innovations qu'on veut étudier dans leurs ateliers, et recherchent eux-mêmes constamment de nouveaux dispositifs.
Monoplans Blériot.—Entre l'Avion d'Ader et les premiers aéroplanes de Blériot, il convient de signaler suivant le «Stude Book de l'Aviation»[30], le Vuia no 1 et le Vuia no 1 bis, monoplans conçus et construits par M. Trajan Vuia, docteur en droit de la Faculté de Budapest (Hongrie), qui effectuèrent à Montesson, à Issy et à Bagatelle quelques petits parcours de 4 à 24 mètres en 1906.
Louis Blériot, déçu par de vains essais d'aviation au moyen d'ornithoptères, revint pourtant à l'étude des aéroplanes biplans avec Voisin, puis essaya seul une série de monoplans, tels que le Blériot IV, dont les aviats furent insignifiants et qui se brisa dans un atterrissage, le Blériot V (type de monoplan de Langley), qui parcourut jusqu'à 150 mètres en 10' le 25 juillet 1907, et le Blériot VI qui fit 184 mètres le 17 septembre de la même année, à Issy.
Deux mois plus tard, ces encourageants résultats furent dépassés à Buc, par l'aviat de 600 mètres (16 novembre 1907) d'un monoplan construit par M. Robert Esnault-Pelterie, type d'aéroplane sur lequel nous reviendrons plus loin.
Mais le même jour, à Issy, et le 6 décembre 1907, un nouveau monoplan du persévérant constructeur: le Blériot VII, couvrait 500 mètres en ligne droite, puis avec virage (6 décembre).
Presque en même temps, le 17 novembre, sur le même champ de manœuvres, Santos-Dumont parcourait 200 mètres avec un tout petit monoplan: le Santos-Dumont XIX, premier type de la Demoiselle qui devait accomplir de si beaux aviats en 1909.
L'ordre chronologique des expériences appelle encore la mention d'un monoplan de M. de la Vaulx, construit par Mallet et expérimenté à St-Cyr (50 et 70 mètres de parcours en novembre 1907). Puis celle du monoplan de MM. Gastambide et Mangin (Levavasseur), construit par la Société Antoinette (150 mètres le 13 février 1908 à Bagatelle), qui fut le premier type de la série si triomphante des monoplans Antoinette.
À Buc, le 8 juin 1908, un second modèle de M. Robert Esnault-Pelterie, le R.E.P. II, parcourut 800 mètres. Mais ce «record» ne fut pas longtemps en sa possession: les types de monoplans Blériot VIII et VIII ter couvrirent bientôt 700 mètres (29 juin 1908 à Issy); 900 mètres (10 septembre 1908 à Issy); 4 kilom. 500 (le 9 octobre). Enfin, le voyage Toury-Artenay et retour, avec deux escales, représentant un parcours de 14 kilomètres exécuté en 11 minutes, consacra les mérites du modèle Blériot le 31 octobre de la même année[31].
«À partir du no VIII, dit Ferber, qui se réjouissait autant des succès de ses concurrents que des siens, les monoplans Blériot volent dans la perfection.»
Pour éviter des redites, il convient pourtant de ne pas s'arrêter à ces modèles et de passer d'emblée au Blériot XI qui effectua le 25 juillet 1909 la traversée de la Manche (Calais-Douvres, en 27') et se trouve désormais au Conservatoire des Arts et Métiers.
Les figures 104 et 105 représentent schématiquement ce glorieux monoplan dont les caractéristiques sont:
Corps du monoplan.—Un fuselage de poutres ou langerons entretoisés, recouvert dans sa partie antérieure d'un entoilage, et portant: en avant les surfaces sustentatrices ou ailes, le moteur, le pilote et l'hélice, ainsi que le train de roulement amortisseur; et en arrière les plans stabilisateurs, les organes de gouverne pour les directions dans l'espace, ainsi qu'une roulette de soutènement sur le sol[32].
Fig. 104 et 105
Monoplan Blériot.—H, Hélice; A A, Plans sustentateurs: a a', Ailerons stabilisateurs; F F, Fuselage; Ps, Plan stabilisateur arrière; gp, Gouvernail de profondeur par ailerons mobiles; G, Gouvernail de direction latérale.
Surfaces portantes.—Deux ailes fixes, presque droites, mais auxquelles la résistance de l'air, en marche, donne un très léger relèvement au-dessus de l'horizontale; de telle sorte que ces ailes forment un angle extrêmement obtus, à peine visible. Ces ailes découpées aux extrémités à droite et à gauche du monoplan, suivant une courbe qui réduit leur surface d'avant en arrière, ont en totalité 7 m. 20 d'envergure et 2 mètres ou 2 m. 50 de profondeur au fort, c'est-à-dire dans leur partie la plus profonde, contre le fuselage. Leur surface totale est de 12 à 14 mètres (suivant les modèles peut-être, car les indications données à ce sujet varient).
Incurvées, ces ailes ont un angle d'attaque de 7°. Elles se terminent aux extrémités par des parties articulées ou ailerons (a' a), sur lesquelles nous reviendrons à propos de la gouverne du monoplan.
Stabilisation.—À l'arrière du fuselage et de chaque côté de celui-ci, deux plans fixes d'une surface totale de 2 mètres carrés formant empennage horizontal, incurvés et orientés comme les ailes du monoplan, assurent la stabilisation longitudinale, et en partie la stabilisation transversale (Armengaud, v. p. 73). Par leur orientation (à 7°) et leur incurvation, ils démontrent qu'ils sont considérés par le constructeur comme supplément de surfaces portantes. Si l'on ajoute leur étendue (2 mètres carrés) à celle des ailes ou plans sustentateurs proprement dits (12 mètres carrés environ), on voit que le total des surfaces sustentatrices atteindrait bien la somme de 14 mètres carrés indiquée par beaucoup d'auteurs.
Au-dessus de l'avant du fuselage, au niveau de l'avant des ailes et entre elles, un petit plan de dérive, triangulaire mais arrondi à sa partie avant, et très apparent dans la figure 34, page 49, qui représente le monoplan vu de trois quarts en avant, sert de point d'appui à l'action du gouvernail de direction latérale. (Voir aussi fig.-schéma 53, page 62, profil).
Directions:—Les directions latérales sont commandées par un gouvernail vertical placé à l'extrémité arrière du fuselage, en partie au-dessus des plans stabilisateurs fixes.
Dans les virages, le monoplan s'incline forcément du côté où le virage se fait, mais la commande du gouvernail de direction latérale par le pilote déplace en même temps les ailerons articulés des extrémités des ailes, qui s'orientent alors en travers du sens de la marche en sens contraire, de telle sorte que l'un tend à relever l'aéroplane du côté où il s'abaisse, tandis que l'autre tend à l'abaisser du côté où il se relève. Cette double influence combat et restreint l'inclinaison transversale née du virage; elle contribue à la stabilisation du monoplan.
C'est l'équivalent du gauchissement de la partie arrière des surfaces portantes du biplan Wright, mais par une solution du problème qui semble «mécaniquement» plus «élégante».
La direction en élévation ou profondeur est donnée par des ailerons (a' a') plus petits que ceux des ailes, placés à chaque extrémité des plans stabilisateurs arrière du monoplan. Ils concourent à favoriser l'essor du monoplan lors de son lancement. En cours de marche ils forment, par leur orientation, une résistance qui modifie l'angle d'attaque des ailes et des plans stabilisateurs arrière et produit la montée ou la descente.
La commande de ces divers organes est effectuée par un dispositif extrêmement ingénieux, en forme de dôme, qui réalise par ses mouvements la commande simultanée des organes dont les actions peuvent être concordantes.
Force motrice.—Le Blériot XI a effectué la traversée de la Manche, actionné par un moteur Anzani (3 cylindres) de 22/25 HP (105 millim. d'alésage et 130 millim. de course) donnant 1.350 tours à la minute. Il était tiré par une hélice intégrale Chauvière à deux pales, de 2 m. 08 de diamètre et de 0 m. 85 de pas, calée directement sur l'arbre du moteur et donnant par conséquent le même nombre de tours (1.350). Cette hélice était située à l'extrémité antérieure du fuselage.
Depuis, moteur et hélice ont été changés à plusieurs reprises pour divers essais, mais nous ne décrivons ici que le modèle de la célèbre traversée.
Poids total en ordre de marche: 310 kilogr.
Dispositif de départ et d'atterrissage.—Un train de deux roues avec ressorts amortisseurs, précédemment décrit p. 102, et une 3e roue arrière située sous le fuselage entre les ailes et les plans stabilisateurs.
Rappelons incidemment qu'avant d'accomplir la traversée de la Manche, le Blériot XI avait effectué deux voyages plus intéressants et plus probants que cette traversée: Toury-Château-Gaillard et retour (le 3 mai 1909) et surtout: Mondésir (Étampes), Chevilly (Orléans), avec escale à Arbouville (41 kilom. 200 m. en 44').
Pendant l'année 1909, M. L. Blériot fit en outre de nombreux aviats avec un modèle plus puissant: le Blériot XII, construit pour transporter plusieurs personnes. Mais ce dernier type de monoplan ne diffère du Blériot XI, que par ses proportions et quelques détails qui ne modifient point le principe de l'appareil.
L'envergure des ailes est augmentée (10 mètres au lieu de 7 m. 20). Une quille entoilée surmonte le fuselage. La force motrice est produite par un moteur E. N. V. de 30/35 HP à 8 cylindres et l'hélice, de 2 m. 70 de diamètre, en prise directe, ne fait que 500 tours. La surface portante du Blériot XII atteint 22 mètres carrés, mais son poids s'élève en ordre de marche à 620 kilogrammes.
Le R. E. P. (Robert Esnault-Pelterie) est un monoplan qui diffère assez sensiblement du type créé par Blériot.
Quoique ses divers modèles: R. E. P. I, II et II bis n'aient pas été vulgarisés par des triomphes éclatants, ses aviats progressifs ayant atteint jusqu'à 8 kilomètres (le 22 mai 1909 à Buc), démontrent qu'il faut attendre pour le mieux apprécier, les perfectionnements que son inventeur-constructeur saura certainement lui donner.
Les figures schématiques 106 et 107 montrent que les ailes de ce monoplan sont réellement les seules surfaces portantes, car le vaste plan stabilisateur pentagonal situé à l'arrière n'ayant point l'incidence des ailes, et n'étant point incurvé (fig. 107) mais parfaitement horizontal (théorie de Tatin), ne produit, en marche, aucune résistance, sauf en cas d'inclinaison de l'appareil. En revanche, sa large surface exerce évidemment une forte action stabilisatrice, non seulement dans les inclinaisons accidentelles longitudinales du monoplan (tangage), mais aussi dans ses inclinaisons latérales (roulis), soit lors des virages, soit pour toute autre cause d'inclinaison (théorie d'Armengaud, citée page 73).