L'Architecture romane
The Project Gutenberg eBook of L'Architecture romane
Title: L'Architecture romane
Author: Édouard Corroyer
Release date: February 3, 2021 [eBook #64453]
Most recently updated: October 18, 2024
Language: French
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COLLECTION PLACÉE SOUS LE HAUT PATRONAGE
DE
L’ADMINISTRATION DES BEAUX-ARTS
COURONNÉE PAR L’ACADÉMIE FRANÇAISE
(Prix Montyon)
ET
PAR L’ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS
(Prix Bordin)
Droits de traduction et de reproduction réservés.
Cet ouvrage a été déposé au Ministère de l’Intérieur
en février 1888.
BIBLIOTHÈQUE DE L’ENSEIGNEMENT DES BEAUX-ARTS
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE M. JULES COMTE
L’ARCHITECTURE
ROMANE
PAR
É D O U A R D C O R R O Y E R
ARCHITECTE DU GOUVERNEMENT
INSPECTEUR GÉNÉRAL DES ÉDIFICES DIOCÉSAINS
PARIS
MAISON QUANTIN
COMPAGNIE GÉNÉRALE D’IMPRESSION ET D’ÉDITION
7, RUE SAINT-BENOIT
PRÉFACE
En commençant cette étude, je dois d’abord acquitter une dette de reconnaissance et rendre hommage à ceux qui, par leurs patientes recherches, ont tracé la voie que j’essayerai de parcourir.
L’édification du monument que leur science et leur érudition ont établi sur des bases solides n’est pas encore achevée et, suivant l’exemple donné par d’illustres devanciers, je voudrais apporter ma modeste pierre à l’œuvre commune en réunissant les éléments épars afin d’en former un ensemble synthétique qui pût être un enseignement utile.
Dès le commencement de notre siècle, après l’apaisement général qui suivit les terribles convulsions des révolutions et des guerres, l’étude de l’archéologie, que Victor Hugo avait esquissée à grands traits, fut mise en honneur par les travaux des savants dont il faut garder la mémoire.
Parmi les plus anciens et les plus connus, il est juste de citer: de Gerville, un des fondateurs de la Société des antiquaires de Normandie, qui eut l’honneur d’être, en 1825, l’auteur d’une proposition qui avait pour objet de désigner, heureusement et justement, une des périodes les plus intéressantes de l’histoire de l’Architecture;—de Caumont, qui publia, dès 1825, un Essai sur l’architecture religieuse du moyen âge et ensuite un grand nombre d’ouvrages parmi lesquels l’Abécédaire archéologique se distingue par un rare esprit de méthode de classification chronologique;—Mérimée et Vitet, deux des membres les plus éminents du Comité historique des arts et monuments, institué en 1837 par M. de Salvandy, et qui avait pour but de rechercher et de publier tous les documents inédits relatifs à l’histoire des arts chez les Français;—Didron aîné, fondateur des Annales archéologiques, qui, par ses écrits et par ses exemples, a exercé sur son temps une influence si considérable;—Lassus, architecte-archéologue, qui fut un des plus savants parmi les restaurateurs des édifices du moyen âge et qui se fit connaître par les grands travaux qu’il exécuta à la Sainte-Chapelle du Palais, et surtout à Notre-Dame de Paris, en collaboration avec son illustre confrère: Viollet-le-Duc, un de nos principaux initiateurs dans la connaissance des œuvres du moyen âge, qui a résumé sur cette époque de l’art des notions aussi ingénieuses que neuves dans son précieux Dictionnaire raisonné de l’Architecture française, popularisé dans toute l’Europe par ses incomparables dessins;—et enfin Jules Quicherat, un esprit d’élite qui, pendant un demi-siècle, a consacré son intelligence à mettre en vue nos gloires nationales et dont le nom restera associé aux pages les plus émouvantes de notre histoire et aux conquêtes les plus importantes de l’archéologie française.
Viollet-le-Duc et Quicherat ont été les personnifications de l’art et de l’archéologie modernes. Ils resteront, par leur réunion, une des plus hautes expressions de la science contemporaine qui ne se contente plus des à peu près ni des formules toutes faites, parce qu’elle est tout à la fois plus virile et plus active; elle veut voir, toucher et aller à la source même des choses avec une puissance d’investigation qui n’est pas un des signes les moins caractéristiques de notre époque.
Si Viollet-le-Duc fut, comme architecte, un admirable éducateur par la séduction de son inimitable crayon, donnant à tout ce qu’il touchait un charme irrésistible; s’il eut le rare mérite, grâce à la magie de l’expression, de montrer, dans toute leur beauté, les œuvres de nos pères; s’il eut le grand talent de découvrir et de révéler l’architecture du moyen âge, en faisant avec une clarté incomparable l’étude physiologique, pour ainsi dire, des divers systèmes de construction par lesquels ce grand art s’est si glorieusement manifesté dans toute l’Europe occidentale et si particulièrement en France, Quicherat eut, comme archéologue, le suprême honneur de porter la lumière sur les origines de cet art en mettant sa grande science, sa profonde érudition et son admirable bon sens au service de la vérité qui fut toujours le but vers lequel tendaient ses généreux efforts.
Quicherat aimait l’architecture et surtout l’architecture du moyen âge, cet art merveilleux, suivant Victor Hugo, «inconnu des uns et, ce qui est pis encore, méconnu des autres»; cet art qu’on pourrait appeler national, puisque c’est en France qu’il a pris ce magnifique développement dont le rayonnement s’est étendu sur toute l’Europe, mais qui, s’il a pris rang dans l’histoire, n’a pas encore sa place dans l’enseignement de l’État, selon l’expression fort juste d’un grand artiste, professeur au Collège de France: M. Eugène Guillaume. «Fait illogique dans un pays qui assure la conservation de ses monuments historiques par un important service administratif, sorte d’ingratitude chez une nation qui, au moyen âge, a tenu le flambeau des arts.»
Indépendamment de ses nombreux ouvrages, parmi lesquels l’Histoire du costume en France est un des plus connus et des plus estimés, Quicherat professa pendant trente ans, à l’École des chartes, le seul cours public d’archéologie nationale qui se fasse en France. Ce cours n’a pas été imprimé par son auteur; mais ses mémoires, ses manuscrits et ses notes, accompagnés de croquis, ont été recueillis avec un soin pieux, presque filial, par plusieurs de ses élèves et notamment par M. le comte Robert de Lasteyrie, qui les publia sous ce titre: Mélanges d’histoire et d’archéologie.
Les ouvrages de ces savants forment un corps de doctrine archéologique dans lequel j’ai trouvé un puissant appui et dont les éléments m’ont guidé prudemment vers le but que je désire atteindre.
INTRODUCTION
Par respect pour les travaux des savants, il faut conserver la dénomination: Architecture romane, adoptée et consacrée par l’usage depuis plus de soixante ans; mais, pour l’amour de la vérité, il faut dire que la qualification: romane, appliquée à l’architecture, n’est pas contemporaine de la construction des monuments que nous allons étudier.
S’il est vrai que l’origine du grand art de l’architecture remonte à la plus haute antiquité, il est non moins certain que le mot roman, désignant la période historique qui fait l’objet de ce volume, est tout à fait moderne puisqu’il n’existe que depuis 1825.
C’est à cette époque seulement, nous apprend Jules Quicherat, que M. de Caumont l’a fait prévaloir; lui-même le tenait de M. de Gerville qui avait proposé aux antiquaires de Normandie d’appeler ainsi l’architecture postérieure à la domination romaine et antérieure au XIIᵉ siècle.
Cette architecture, que chacun baptisait à son gré de lombarde, de saxonne, de byzantine, parut à M. de Gerville devoir être appelée d’un nom qui ne fût pas celui d’un peuple, attendu qu’elle avait été pratiquée dans toute l’Europe occidentale et sans intervention prouvée des Lombards, ni des Saxons, ni des Grecs. Comme le terme de roman était dès lors appliqué à nos anciens idiomes; comme l’emploi d’éléments romains était, de l’aveu général, aussi sensible dans l’architecture qu’il s’agissait de qualifier, que la présence des radicaux latins dans les langues dites romanes; comme enfin on pouvait dire que l’une était de l’architecture romaine abâtardie, de même que les autres étaient du latin dégénéré, M. de Gerville conclut à ce qu’il y eût une architecture romane au même titre qu’il y avait des langues romanes.
L’idée est juste, mais les conséquences qu’on en tira et les applications qu’on en fit le furent beaucoup moins; car on voulut délimiter étroitement la période pendant laquelle les monuments devaient être appelés du nom de roman, si heureusement trouvé; on fit des classifications absolument arbitraires, qui n’ont existé que dans l’imagination de leurs auteurs excités par des découvertes prises par eux pour des inventions personnelles qu’il leur était permis de qualifier à leur guise. Ces classifications étaient trop précises, trop absolues, car il est bien évident qu’aux premiers siècles de l’ère chrétienne—époque à laquelle il est prudent de faire remonter l’origine de la période architecturale et architectonique, que nous désignerons dorénavant sous son nom de baptême archéologique, c’est-à-dire l’architecture romane—les artistes-constructeurs, les architectes, en un mot, suivirent les traditions des Romains et des Grecs, comme ceux-ci avaient suivi, en les perfectionnant, les traditions que leur avaient laissées leurs illustres ancêtres. Ils construisaient leurs monuments selon l’usage de leur temps, ou bien ils les modifiaient selon les transformations des idées religieuses.
On n’invente rien de toutes pièces, surtout en architecture; on découvre, on ajuste certaines formes selon les idées du moment; on les modifie en se les appropriant, mais une architecture nouvelle ne naît pas immédiatement d’un état social nouveau.
Ce fait est visible dès les premiers temps de l’Église. Les basiliques civiles, admirablement disposées pour contenir un grand nombre d’hommes, devinrent le lieu de réunion des adeptes de la nouvelle religion, sans autres modifications que la suppression des emblèmes du paganisme expirant et leur remplacement par les images du christianisme naissant.
Les églises élevées en grand nombre dès les premiers siècles sont bâties sur le plan des basiliques romaines avec les adjonctions nécessitées par les rites sacramentels et si, plus tard, elles se transforment sous l’influence orientale, on retrouve au même temps en Occident, jusqu’au XIᵉ siècle, les traces indélébiles de la tradition romaine manifestée par les dispositions particulières aux temples profanes modifiés ou construits dans les premiers siècles de l’ère chrétienne, comme si le plan basilical avait été la forme hiératique imposée par la religion du Christ.
Avant d’être romane, en vertu de conventions archéologiques modernes, l’architecture était chrétienne, ainsi que le prouvent ses origines historiques.
Il fallut plusieurs siècles pour fonder un art nouveau; car la religion chrétienne, née sous Tibère, au plus beau temps de la civilisation romaine, produisit une grande réaction morale, mais souleva de violentes résistances et, par suite, de sanglantes persécutions. Les premiers chrétiens durent se cacher et la vie publique resta païenne dans toutes ses manifestations extérieures jusqu’au jour où Constantin, par le célèbre édit rendu à Milan en 313, proclama le christianisme religion d’État.
Dès lors les chrétiens se réunirent au grand jour; mais, dénués de tout et craintifs après tant d’épreuves, ils se contentèrent d’abord des asiles païens en s’établissant dans les tribunaux, bourses ou marchés, dans les basiliques civiles, en un mot, après les avoir ornées suivant les dogmes de la religion nouvelle.
L’art chrétien ne put s’élever que lorsqu’il eut acquis officiellement le droit d’ouvrir ses temples au culte mis en honneur publiquement. Les premiers architectes chrétiens conservèrent longtemps encore les dispositions générales des édifices païens transformés en églises chrétiennes, en imitant les formes auxquelles ils étaient habitués, en employant les matériaux qu’ils avaient sous la main et avec lesquels ils étaient familiarisés par des habitudes traditionnelles.
C’est ainsi qu’ils sauvèrent l’art antique de la ruine et de l’oubli, en gardant ce qui leur était utile, en ajoutant ce qui répondait à des besoins nouveaux et en maintenant les principes de construction consacrés par un usage séculaire.
Ce fut la véritable mission de l’art chrétien primitif. Il ne constituait pas un art proprement dit, car il n’était encore que la transition entre le déclin de l’art antique et l’aurore de l’art nouveau; ses commencements se confondent dans les derniers reflets du génie romain. Tandis que le feu de l’art antique s’éteignait, celui de l’art nouveau s’allumait et grandit jusqu’au Xᵉ siècle à mesure que ses relations constantes avec les nations voisines et l’Europe occidentale s’étendirent en transmettant aux peuples, comme des germes féconds, les grandes traditions monumentales de l’antiquité.
Si l’on veut trouver l’origine de l’architecture romane, il faut chercher bien au delà de la fin de la domination romaine et étudier à Rome les basiliques civiles transformées en temples chrétiens dès les premiers siècles du christianisme.
Il faut faire en Orient, et particulièrement dans la Syrie centrale, une excursion qui est singulièrement facilitée par le très curieux ouvrage de M. le comte Melchior de Vogüé, résumant les savantes et précieuses découvertes qu’il a faites si heureusement pour l’histoire de l’art.
Dès les premières années du IIᵉ siècle après Jésus-Christ, la Syrie devint une province romaine et fut le centre d’un mouvement architectural extraordinaire dont les effets ne firent que s’accroître jusqu’à la fin du VIIᵉ siècle. Des maisons, des palais, des villes entières se bâtirent comme par enchantement et, de même qu’à Rome, on transforma d’abord les sanctuaires païens, on éleva ensuite, et dès les premiers temps de la colonisation romaine, des églises appropriées au culte nouveau.
Ces découvertes ouvrent des vues nouvelles sur l’architecture chrétienne primitive du IVᵉ au VIIᵉ siècle, inconnue jusqu’à présent; elles sont de la plus haute importance parce que cette période de l’art a eu une action considérable sur le développement de l’art en Occident. On est transporté au milieu de la société chrétienne; on surprend sa vie, non pas la vie cachée des Catacombes, ni l’existence humiliée, timide et souffrante qu’on se représente généralement, mais une vie large et opulente, dans de grandes maisons en pierre, parfaitement aménagées et entourées de beaux jardins plantés de vignes; ses magnifiques églises à colonnes flanquées de tours existent encore presque complètement et, sans les tremblements de terre, il ne manquerait rien que les charpentes et les planchers des édifices.
Les églises reproduisent les dispositions et les formes des basiliques de Rome; le style de ces constructions est romain, modifié par les influences locales, tout en gardant le souvenir très marqué des arts antérieurs, et surtout par la nature des matériaux que les architectes avaient à leur disposition et qui ont imprimé à leurs œuvres un caractère particulièrement original. Dans les pays situés à proximité des forêts, les temples sont couverts en charpente; mais dans les contrées où la pierre seule est abondante, la couverture des édifices est formée par des arcs reliant les faces latérales aux travées de la nef et destinés à supporter des dalles de pierre formant à la fois le plafond et la toiture. Dans tous les cas, les moyens employés sont des plus simples et leurs dispositions rationnelles indiquent une science profonde et une habileté consommée, alliées à un sentiment d’art des plus délicats.
On voit même sur plus d’un point des églises du Vᵉ et du VIᵉ siècle entièrement voûtées et surmontées au centre d’une coupole de forme ellipsoïde, imitée des Perses et dont les essais, timides encore, marquent cependant les étapes d’un mode de construction qui devait prendre un peu plus tard, à Constantinople, un si grandiose développement.
Il faut analyser Sainte-Sophie pour constater la solution du problème et l’exemple complet d’un édifice rompant avec toutes les traditions de l’art grec et inaugurant un système dont la voûte est l’élément principal.
La cathédrale de Justinien n’est pas appareillée comme les monuments syriens; elle est formée de massifs de pierre et de maçonneries de blocages, disposés en arcs, en voûtes et en coupoles dont les poussées, réparties sur des points éloignés reliés par des arcs, sont solidement contrebutées et dont la surface intérieure est revêtue de mosaïques et de marbres.
Les architectes grecs: Anthémius de Tralles et Isidore de Milet, bâtirent Sainte-Sophie selon les principes romains, rappelant, par le parti architectural, les larges dispositions des immenses édifices romains du IIIᵉ siècle après Jésus-Christ, notamment les Thermes de Caracalla; les grands arcs sont subdivisés par des arcatures supportant une architrave ou une galerie au-dessus de laquelle s’ouvrent des fenêtres ou un réseau ajouré éclairant le vaisseau central.
L’influence exercée par les écoles orientales sur le développement des arts en Occident n’est plus contestable; les travaux de Vitet, de J. Labarte, de Waddington et de Melchior de Vogüé l’ont admirablement et surabondamment prouvé. Jules Labarte a démontré que Constantinople a été un grand foyer d’art, du Vᵉ au XIᵉ siècle.
Les arts du dessin y étaient en grand honneur; non seulement l’habileté de la main, mais le sentiment de la forme et de la couleur s’y étaient conservés. La tradition antique s’y continuait, bien qu’en se transformant par l’effet de l’esprit nouveau; les artistes produisaient des œuvres considérables pour les besoins d’une société riche, lettrée, raffinée et sous l’impulsion d’une cour dont le goût du faste et les habitudes de magnificence n’ont pas été dépassés.
A la même époque, l’Occident se débattait sous les rudes étreintes des Barbares et songeait à se défendre bien plus qu’à cultiver l’architecture, l’art de la paix par excellence. Aussi la force des choses le rendait tributaire de l’Orient au point de vue de l’art. C’est d’Orient qu’il tirait les étoffes, les bijoux, les ivoires sculptés et tous les objets de luxe dont il sentait le besoin, mais qu’il ne savait pas produire; c’est à l’Orient enfin qu’il demanda des maîtres et chacun des grands efforts de l’art, mentionné par l’histoire entre le VIIIᵉ et le XIᵉ siècle, aussi bien en France qu’en Allemagne et en Italie, a été marqué par une émigration d’artistes orientaux.
Les calamités qui fondirent sur l’Europe avant et après Charlemagne contribuèrent encore à augmenter l’influence que l’Orient exerça sur l’Occident dès les premiers siècles du christianisme.
L’an 1000 est une date célèbre dans l’histoire des terreurs superstitieuses du moyen âge. C’était une croyance universelle au Xᵉ siècle que le monde devait finir l’an 1000 de l’Incarnation. L’Église fortifia, dit-on, cette croyance de tout son pouvoir qui était alors immense. Le Clergé la propagea par calcul, suivant les chroniqueurs du temps, ou par conviction, selon quelques historiens; il y trouva d’ailleurs de grands avantages, car des dons considérables furent faits aux églises, aux monastères, et les pécheurs qui voulaient expier leurs fautes abandonnèrent leurs biens en attendant la fin du monde.
Cet effroyable espoir du Jugement dernier, nous dit Michelet, s’accrut dans les calamités qui précédèrent l’an 1000 ou suivirent de près. Il semblait que l’ordre des saisons fût interverti, que les éléments suivissent des lois nouvelles. Une peste terrible désola l’Aquitaine; la chair des malades semblait frappée par le feu, se détachait de leurs os et tombait en pourriture. Ces misérables couvraient les routes des lieux de pèlerinage, assiégeaient les églises, particulièrement Saint-Martin à Limoges; ils s’étouffaient aux portes et s’y entassaient. Ce fut encore pis quelques années après.
Mais lorsque la date fatale eut passé sans tenir ses sombres promesses, l’humanité se sentit renaître et revivre. Son premier sentiment fut un mouvement d’amour et de reconnaissance pour Dieu qui ne l’avait pas anéantie.
Alors d’innombrables pèlerinages, précurseurs des croisades, commencèrent aux Lieux Saints, au tombeau du Christ, et de magnifiques édifices sont nés en Europe de ce grand mouvement de foi religieuse, retrempée en Orient aux sources mêmes de l’art chrétien.
Après avoir constaté les origines de l’architecture chrétienne à Rome et en Orient, étudié ses développements à Constantinople et ses transformations en Occident, il convient de s’arrêter à la période historique que les savants ont appelée si justement la renaissance de Charlemagne et qui a marqué l’avènement de l’architecture romane se dégageant alors des lisières romaines et byzantines qui avaient soutenu ses premiers pas. C’est le désir de voûter les églises, qui, vers l’an 1000, a obligé les constructeurs à abandonner les anciennes proportions des basiliques latines.
Il est nécessaire d’étudier les monuments de cette époque, parce qu’ils ont été, au moment des hésitations et des tâtonnements des architectes romans, cherchant à bâtir plus solidement leurs églises si souvent détruites par le feu, la manifestation d’un mode de construction dans lequel la voûte avait une fonction caractéristique.
C’est à partir de la fin du Xᵉ siècle que l’architecture romane s’affranchit peu à peu des traditions latines pour créer des proportions nouvelles résultant de l’adoption d’un système nouveau dès les premières années du XIᵉ siècle, sinon dans le détail de ses formes, tout au moins dans l’ensemble de ses dispositions.
Cette période de l’histoire de l’architecture est des plus intéressantes et des plus curieusement instructives, parce qu’elle montre les constructeurs aux prises avec les difficultés qu’ils ne surmonteront qu’après de longs efforts. Il faut suivre leurs essais timides par les modifications qu’ils apportèrent aux dispositions traditionnelles des basiliques romaines, en conservant à la nef centrale sa toiture en bois et en ne couvrant que les bas côtés par des voûtes d’arête; leurs tentatives plus hardies, caractérisées d’abord par des voûtes en berceau, réminiscences des constructions romaines du Iᵉʳ siècle qui existent encore à l’amphithéâtre et au nymphée de Nîmes et qui semblent avoir inspiré les architectes romans; puis par des voûtes en berceau continu, couvrant la nef centrale et dont la poussée est maintenue par les demi-berceaux en quart de cercle des nefs latérales, principe de l’arc-boutant.
Il est surtout nécessaire d’analyser les édifices à coupoles du commencement du XIᵉ siècle, exemple d’un art achevé, importé d’Orient, mais modifié en France, ou plutôt en Aquitaine à cette époque, qui devait avoir une si grande influence sur les progrès de notre architecture, et enfin les combinaisons d’arcs-doubleaux, d’arcs diagonaux ou croisées d’ogives, reportant les charges des voûtes comme les pendentifs des coupoles, mais sous une autre forme, sur des points d’appui solidement contrebutés, aurore d’un système de construction qui devait avoir de si étonnantes applications.
L’étude de ce système nouveau, qui coïncide avec l’Institution des communes et les origines du Tiers État, fera l’objet d’un deuxième volume: l’Architecture gothique, commençant à l’apogée de l’architecture romane, c’est-à-dire vers le milieu du XIIᵉ siècle, pour finir avec le XVᵉ siècle.
Le cadre de l’ouvrage ne permettant pas de donner à l’architecture romane tous les développements que nécessiterait l’étude de toutes ses manifestations, nous avons étudié principalement les édifices religieux ou l’architecture religieuse. C’est l’expression la plus élevée de l’art chez tous les peuples, celle qui donne le plus justement l’idée de leur civilisation, de la puissance créatrice de leur génie et surtout parce que c’est dans les édifices religieux que l’architecture romane a le plus particulièrement marqué les caractères de ses transformations et de ses progrès. Les monuments monastiques, civils et militaires de la période romane ont d’ailleurs suivi les traditions romaines jusqu’au XIᵉ siècle; ils feront l’objet d’études spéciales dans le volume suivant: l’Architecture gothique.
Pour le même motif, il n’était pas possible de faire la monographie des édifices les plus importants ni même de citer tous les monuments intéressants. Nous avons voulu exposer simplement des principes généraux, chercher les origines de l’architecture romane, étudier sa filiation et suivre sa progression constante depuis le Iᵉʳ siècle de notre ère jusqu’au milieu du XIIᵉ siècle. Les plans, les coupes, les croquis et les dessins indiquent sommairement, mais exactement, le caractère des types principaux et ils forment une suite de renseignements nécessaires pour faciliter et appuyer les démonstrations.
Il est donc nécessaire de connaître tout d’abord les basiliques civiles, les basiliques ou églises latines et les églises byzantines qui feront l’objet de la première partie de ce volume, pour arriver ensuite à étudier utilement, dans la deuxième partie, les monuments les plus caractéristiques de l’architecture romane.
L’ARCHITECTURE ROMANE
PREMIÈRE PARTIE
BASILIQUES CIVILES
BASILIQUES OU ÉGLISES LATINES
ÉGLISES BYZANTINES
CHAPITRE PREMIER
Suivant Vitruve, la basilique était une salle dans laquelle les souverains rendaient la justice ou la faisaient rendre en leur nom.
Il dit, en parlant des palais destinés aux personnages importants: il doit s’y trouver des bibliothèques et des basiliques qui aient la magnificence qu’on voit aux édifices publics parce que, dans ces palais, il se tient des assemblées pour les affaires de l’État et pour les jugements et arbitrages par lesquels se terminent les différends des particuliers. Les Gordiens, dans leur magnifique villa bâtie sur la voie Prænestine, avaient trois basiliques de trente-trois mètres de longueur: le sénateur Lateranus, contemporain de Néron, en fit construire une qui, transformée par Constantin, devint la primitive basilique de Saint-Jean de Latran.
A Rome, la basilique était l’édifice renfermant le tribunal où siégeaient des juges. Du temps de Publius Victor, elles étaient au nombre de dix-neuf parce qu’on avait adjoint à chaque forum, ou place publique, une basilique dans laquelle les magistrats tenaient leurs audiences pendant la mauvaise saison.
Plus tard, les basiliques devinrent des marchés, des bourses où le peuple et les commerçants se réunissaient pour traiter leurs affaires de commerce. Vitruve dit encore que l’édifice, joint au forum, doit être situé sur l’exposition la plus chaude afin que les négociants qui les fréquentaient pendant la saison d’hiver ne soient pas incommodés par la rigueur du froid.
Sous le règne des rhéteurs, on s’y rendait pour entendre déclamer des vers et des harangues. C’est dans les basiliques que les jurisconsultes donnaient leurs consultations et que les jeunes orateurs s’exerçaient à la déclamation. Pline le Jeune nous apprend de quelle manière les juges et les assistants étaient placés dans ces édifices. Les juges, dont le nombre s’élevait parfois à 180, se partageaient en quatre compagnies ou tribunaux; autour d’eux se plaçaient les jurisconsultes et les avocats dont le nombre était considérable. Les portiques et les galeries supérieures étaient remplis d’hommes et de femmes qui, s’ils étaient trop éloignés pour entendre les plaidoiries et les jugements, pouvaient au moins jouir du spectacle.
La basilique s’élevait ordinairement sur un plan rectangulaire dont la largeur était égale au tiers de la longueur totale, les façades extérieures étaient très simples, toute la richesse architecturale étant réservée pour la décoration intérieure qui était souvent traitée avec une grande magnificence, ainsi que l’ont prouvé les découvertes faites sur l’emplacement du forum de Trajan pendant les fouilles opérées en 1812 par les soins du gouvernement français. En avant de la façade principale s’étendait, sur toute sa largeur, un portique sous lequel des portes s’ouvraient sur les divisions longitudinales de l’édifice.
Vitruve parle des chalcidiques élevés aux extrémités de la basilique et qui étaient à son sens de vastes portiques; selon quelques auteurs anciens, le mot chalcidique désignait une salle haute et spacieuse, formant, en avant de l’hémicycle, une nef transversale à l’extrémité des avenues ou des nefs longitudinales et donnant au plan intérieur du monument la figure d’un T. Suivant Quatremère de Quincy, on pourrait voir, dans le sens donné aux chalcidiques, le rudiment du transsept qui a pris une place si importante dans les églises du moyen âge.
L’intérieur était généralement divisé en trois parties par deux rangées de colonnes ou d’arcades; celle du milieu plus large et plus haute que les deux autres.
Ces trois avenues parallèles aboutissaient à une enceinte transversale—trans septum—protégée par un mur bas ou par une balustrade; cette place était réservée aux jurisconsultes, aux avocats et aux greffiers. En face de l’avenue centrale et au delà du transsept, un hémicycle s’ouvrait dans le mur du fond; il était couvert
par une voûte en quart de sphère. L’arcade qui en formait l’entrée s’appelait absis; d’où est venu abside, que nous retrouverons plus tard.
C’est dans l’hémicycle, ou abside, qu’étaient placés le siège du juge—tribuna—et ceux de ses assesseurs. A droite et à gauche, s’élevaient souvent deux absides secondaires, ou de petites salles, destinées à contenir les archives ou divers services accessoires.
La coupe transversale d’une basilique profane nous montre l’économie de sa construction.
Le vaisseau central, formé par les murs latéraux, était supporté par des colonnes, ou des arcades, le séparant des galeries basses. Au-dessus de ces galeries étaient ménagées les tribunes réservées, d’un côté aux hommes, et de l’autre aux femmes et aux vierges admises dans ces basiliques sous la condition d’être séparées des hommes.
La nef principale et les galeries latérales superposées étaient couvertes d’une charpente apparente, souvent en bois de cèdre, richement ornée de dorures, suivant les auteurs anciens; cette charpente formait en même temps le plafond et la toiture de l’édifice, et elle était couverte extérieurement de plaques de plomb ou même de bronze.
CHAPITRE II
Parmi les basiliques civiles, dont il est souvent parlé dans les ouvrages des auteurs anciens, il faut citer:
La basilique Porcia, construite par les consuls Porcius et Claudius, l’an 566 de Rome; elle touchait à la curie et souffrit de l’incendie qui détruisit ce dernier monument lorsqu’on brûla le corps de Claudius sur le forum; cette basilique dut être l’une des premières bâties par les Romains, car, selon Tite-Live, ce genre d’édifice n’apparut qu’après la première guerre de Macédoine, c’est-à-dire environ 200 ans avant Jésus-Christ.
La basilique Fulvia, construite par le censeur Fulvius, 180 ans avant Jésus-Christ.
La basilique Simpronia, bâtie par le tribun Simpronius en l’an 583 de Rome; cet édifice présente cette particularité qu’il fut construit sur l’emplacement de la maison de Scipion l’Africain, à l’ouest du forum et dans le quartier des ouvriers et négociants en laine.
La basilique Æmilia, élevée sur le forum par Æmilius Paulus, 33 ans avant Jésus-Christ; elle coûta 1,500 talents, envoyés des Gaules par César; ses dispositions sont en partie connues par le plan antique de Rome conservé au Capitole. Elle avait quatre rangées de colonnes et l’on croit que ses murs étaient ouverts de toutes parts, comme dans le monument de Pæstum.
Et enfin la basilique Ulpia, élevée par Trajan sur le forum auquel il avait donné son nom.
L’architecte Apollodore, de Damas, construisit, vers la fin du Iᵉʳ ou au commencement du IIᵉ siècle de l’ère chrétienne, au milieu du forum de Trajan, la
basilique Ulpienne, à quatre rangées de colonnes et, par conséquent, à cinq nefs; elle dépassait tous les édifices similaires par la grandeur de ses dispositions et la magnificence de sa décoration intérieure.
Vers le même temps ou à peu près,—160 à 169 de l’ère chrétienne,—sous les empereurs Marc-Aurèle et Lucius Verus, le légat de Syrie, célèbre par sa révolte, construisit le prétoire de Mousmieh (Syrie centrale), qui rappelle, par ses formes et sa destination, les basiliques romaines et dont l’origine est établie par de curieuses inscriptions gravées sur les pierres de l’édifice[1].
Ce prétoire, bâti sous la direction d’Egnatius Fuscus, centurion de la 3ᵉ légion gallique, se compose de trois nefs, formées par huit arcs accouplés deux à deux, portés sur quatre groupes de quatre colonnes chacun; le carré central était couvert par une coupole d’arête construite en blocage. Les galeries qui l’entourent étaient fermées par des dalles portant sur l’extrados des arcs accouplés et formant une voûte en berceau.
Les consoles encastrées dans les murs latéraux portent des inscriptions qui démontrent qu’elles ont été destinées à recevoir les portraits des centurions des légions 3ᵉ gallique et 6ᵉ flavienne qui ont tenu garnison
dans la ville de Phæna, sous les empereurs Marc-Aurèle et Commode; cette circonstance fixe la date de la construction des murs, de l’hémicycle du fond avec sa large conque décorant la voûte et des niches latérales.
CHAPITRE III
Bien qu’ils paraissent s’éloigner des basiliques par leur destination, les Thermes antiques et surtout les Thermes d’Antonin Caracalla, bâtis au commencement du IIIᵉ siècle, s’y rattachent intimement, non seulement par les particularités de leur construction, mais encore par le parti architectural.
Les Thermes de Caracalla étaient le dernier mot de l’art romain arrivé à son plus haut développement; et si leurs ruines gigantesques sont encore l’objet d’un légitime étonnement, on peut se figurer l’admiration que durent exciter ces immenses monuments lorsqu’ils étaient complets, imposants par leurs proportions colossales autant que séduisants par la richesse de leur décoration.
Aussi ont-ils frappé l’esprit des architectes contemporains et de ceux qui recueillirent leur succession. Cette influence s’exerça dès les premières années du IVᵉ siècle; nous verrons d’abord les constructeurs chrétiens s’inspirer directement de cette œuvre admirable et donner à l’une de leurs premières basiliques les dispositions
presque identiques de l’une des plus belles salles des Thermes de Caracalla.
Nous verrons ensuite, deux siècles plus tard, les architectes de Sainte-Sophie se souvenir des Thermes et suivre encore les traditions romaines, perfectionnées ou modifiées au contact de la civilisation orientale.
A l’exception des temples ronds, la plupart des temples et des basiliques de Rome, grecs par le plan et la structure, étaient couverts par des charpentes.
Les nefs des basiliques n’étaient pas voûtées, mais fermées par des combles lambrissés. Ce ne fut qu’après l’incendie de Rome, sous Néron, que les Romains abandonnèrent presque partout les couvertures en charpente pour y substituer les voûtes en maçonnerie.
Les Thermes d’Antonin Caracalla furent construits par cet empereur et achevés en 217, la sixième année de son règne, sauf les portiques de l’enceinte qui y furent ajoutés par Héliogabale et Alexandre Sévère.
Les Romains construisirent ces édifices, réunis dans un immense ensemble, de la manière la plus simple et la plus économique en raison de leur état social. Les Romains n’employèrent presque exclusivement que la brique et le blocage. Les parements sont composés de briques triangulaires posées à plat, leur grand côté vers l’extérieur; au milieu des murs et des massifs, un béton, composé de gros cailloux et d’un excellent mortier, garnissait l’espace vide entre les briques. Afin de régler les assises et pour s’assurer des niveaux, des chaînes de grandes briques sont arasées à certaines hauteurs régulières; des arcs de décharge en briques, noyés dans la construction, répartissent les charges sur les points
FIG. 9.—THERMES D’ANTONIN CARACALLA, A ROME.—LE FRIGIDARIUM.
(D’après la restauration de Viollet-le-Duc.)
d’appui principaux. Quant aux voûtes, les arcs de tête sont en grandes briques sur deux rangs ordinairement et les remplissages en béton composé de mortier et de pierre ponce.
Après cette construction si simple, si économique et d’une exécution si rapide, les architectes ont élevé leurs portiques formés de colonnes et d’entablements en marbre. Les murs, les piles et les voûtes sont partout à l’intérieur revêtus de marbre, de stuc ou de mosaïque et cette masse grossière a été revêtue d’un splendide manteau embelli du plus somptueux ornement.
La grande salle circulaire, le Caldarium des Thermes de Caracalla, avait plus d’un point de ressemblance avec la rotonde d’Agrippa dans sa forme ainsi que dans son mode de construction; mais si les détails sont moins purs, elle n’en reste pas moins un sujet d’étude des plus intéressants au point de vue de la construction des temples ronds.
Les Thermes d’Antonin Caracalla, un des plus beaux exemples du génie romain, de la science des architectes du IIIᵉ siècle et l’un de ceux qui marquent le mieux la puissance de ce grand peuple bâtisseur, inspirèrent les architectes de Rome et de la Syrie dès le IVᵉ siècle, plus tard les constructeurs de Sainte-Sophie et plus près de nous ceux de Saint-Marc à Venise.
L’influence est visible, car on retrouve dans les grands édifices élevés à Rome, en Orient et en Italie du IVᵉ au XIᵉ siècle, non seulement les détails des profils et de la décoration, mais encore la tradition monumentale adoptée et suivie par les Romains, surtout en ce qui concerne le parti architectural des grands arcs,
FIG. 10.—THERMES D’ANTONIN CARACALLA, A ROME.—LE TEPIDARIUM.
(D’après la restauration de Viollet-le-Duc.)
subdivisés par des colonnes ou des arcades. Il en est de même pour les moyens de bâtir, consistant dans la construction des points d’appui et des murs en matériaux grossiers, revêtus ensuite de matériaux purement décoratifs.
CHAPITRE IV
Avant de reprendre l’ordre chronologique, qui facilite si bien l’étude des grandes époques de l’histoire de l’architecture, il est utile de retourner en arrière afin d’analyser une des plus belles œuvres des architectes romains: le Panthéon de Rome, qui doit être considéré comme le plus parfait des temples ronds.
Cette analyse éclairera la recherche des imitations qu’en ont faites, dans la suite des siècles, les constructeurs d’Orient et d’Occident. Elle permettra de comprendre les transformations qu’ils ont fait subir à ce type admirable pour arriver, après bien des tâtonnements, à la coupole parfaite, point de départ d’un système de voûtement dont l’application a produit au moyen âge de si grands et de si beaux ouvrages d’art.
Il faut même remonter beaucoup plus haut, au IVᵉ siècle avant Jésus-Christ, pour trouver, chez les Perses, sinon l’origine, tout au moins une des plus anciennes applications de la coupole circulaire élevée sur plan carré.
Dès le temps de la république, les Romains avaient élevé quelques petits monuments sur plan circulaire, couverts par des voûtes hémisphériques en béton. C’est ainsi qu’est construite la cella du temple de Vesta, à Tivoli; mais dès le commencement de l’empire, ce genre de construction prit des développements inconnus jusqu’alors.
Agrippa fit bâtir le premier des thermes magnifiques, à Rome, dans la neuvième région. Fit-il en même temps élever la vaste salle sur plan circulaire, connue sous le nom de Panthéon, qui touchait à ces thermes sans être toutefois en communication directe avec eux[2]? Quoi qu’il en soit, Dion affirme qu’Agrippa acheva le Panthéon l’an 729 de Rome, soit l’an 24 avant l’ère chrétienne; mais cet achèvement concerne le portique élevé après coup devant la porte de la rotonde, ainsi que le constate l’inscription qu’on lit encore sur la frise de ce portique. Qu’Agrippa ait élevé le Panthéon, ou qu’il l’ait seulement décoré: à l’intérieur d’une splendide ordonnance de marbre et à l’extérieur d’un portique en granit gris et en marbre blanc, ce qu’il est facile de voir et ce qui nous importe, c’est de constater combien la construction de cette salle et sa décoration forment deux parties distinctes.
Ainsi enrichie par les soins d’Agrippa, la Rotonde fut dédiée à Jupiter vengeur. Le diamètre de la salle est, à l’intérieur, de 43ᵐ,40 et le mur circulaire, qui porte la voûte, a 5ᵐ,40 d’épaisseur, soit environ le septième du diamètre du cercle intérieur. Du pavé au sommet de la voûte on compte 44ᵐ,40; le diamètre est ainsi égal, à peu de chose près, à la hauteur intérieure de tout l’édifice. Le mur circulaire n’est pas plein; outre la porte d’entrée, il est évidé à l’intérieur par sept grandes niches: quatre rectangulaires et trois semi-circulaires.
Entre ces allégissements sont disposées au rez-de-chaussée huit niches en demi-cercle et, à la hauteur de la naissance de la voûte, seize vides qui s’ouvriraient sur le dehors s’ils n’étaient fermés par un mur de remplissage peu épais.
Il n’est pas de construction mieux raisonnée au point de vue de la durée et de la solidité; elle est entièrement parementée en grandes briques avec remplissage en blocage dans les massifs, suivant la méthode romaine, avec bandeaux en marbre[3].
La voûte prend naissance à 22ᵐ,50 au-dessus du sol intérieur, c’est-à-dire à peu près à la moitié totale de
la hauteur sous-œuvre. Nous ne donnons pas ces dimensions sans raison; elles font voir que les Romains possédaient certaines formules applicables aux vides des édifices, qu’ils établissaient des rapports exacts entre les hauteurs et les largeurs de ces vides et qu’ils soumettaient l’apparence extérieure de leurs monuments aux dispositions prises dans les intérieurs.
La voûte semi-sphérique qui couronne le mur évidé formant la muraille circulaire de l’édifice est bâtie en briques et en blocages; les briques, noyées dans l’épaisseur, tiennent lieu de nervures à la voûte, allégée par cinq rangs de caissons évidés dans la concavité intérieure.
Le mur circulaire, grâce aux vides ménagés dans son épaisseur, n’est qu’un composé d’arcs de décharge reportant toutes ses pesanteurs sur seize massifs principaux.
C’est tout un système de construction qui impose des lois à l’architecture, avant que l’architecte ne songe à la décoration du monument[4].
Il est facile de reconnaître d’abord que la partie purement décorative ne fait pas corps avec la structure, car cette décoration, faite après coup, ne se compose que d’un placage qui ne contribue pas à la solidité de l’édifice; puisqu’il n’existe plus, comme dans les constructions grecques, une alliance intime, absolue, entre la construction et le vêtement décoratif qu’elle reçoit.
En étudiant la construction de cette immense rotonde, on voit avec quel soin l’architecte a évité les masses inutiles et avec quelle science il a combiné les pleins et les vides, ceux-ci contribuant à assurer la rigidité du mur circulaire en reportant les charges sur des points déterminés et en multipliant les surfaces résistantes; à la naissance de la voûte, une série de contreforts, coupant les voûtes en quart de sphère et des berceaux bandés parallèlement au mur circulaire, maintient puissamment la grande coupole hémisphérique (fig. 13).
Le Panthéon compte, très justement, parmi les chefs-d’œuvre de l’architecture romaine. Il fut construit en l’an 26 avant Jésus-Christ, par l’architecte Valerius d’Ostie. Nous avons vu précédemment les dimensions colossales de cette vaste salle et la décoration qui y fut appliquée après sa construction; l’attique, orné de pilastres, qui, à l’origine, surmontait les colonnes a été remplacé par les cariatides de Diogène. Une petite corniche sépare cet attique de la coupole qui s’élève d’un jet jusqu’à l’ouverture circulaire, large de sept mètres, d’où tombe un flot de lumière. Cet éclairage unique, glissant sur les caissons de la coupole et laissant les grandes niches dans une ombre mystérieuse, la régularité grandiose de l’ordonnance et la beauté de la matière donnent au solennel édifice un aspect extraordinairement majestueux.
Le palais de Sarvistan, construit au IVᵉ siècle avant Jésus-Christ[5], s’élève à l’extrémité d’une plaine déserte traversée par la vieille route des caravanes, conduisant de Chiraz à Darab-Guerd et à Bender-Abbas.
Les murs du monument sont construits en moellons bruts posés à bains de mortier; à l’intérieur, ils étaient recouverts d’un enduit en plâtre. Les coupoles et les voûtes en berceau—bâties en briques carrées de 8 centimètres d’épaisseur et de 27 centimètres de côté, très grossièrement fabriquées, mais très solides, grâce à la qualité de la terre qui a pris, par la cuisson, une extrême dureté—sont encore en grande partie debout, ainsi que les murs, malgré la fréquence des tremblements de terre.
La construction tout entière se développe autour d’une salle ornée dont le rôle prépondérant est accusé: au dehors par une haute coupole, et au dedans par les vastes proportions du vaisseau et la largeur des baies percées au milieu des faces. Deux des entrées s’ouvrent sur les galeries extérieures: la première, située dans l’axe général de la construction, est précédée d’un porche composé de trois travées dissemblables; la seconde vient à la suite d’un vestibule communiquant avec le porche et une pièce voûtée.
«La partie la plus intéressante de l’édifice, celle qui mérite par cela même d’être étudiée avec le plus grand soin, est sans contredit la grande salle et l’ensemble des voûtes qui les surmontent.
«Le dôme, construit entièrement en briques, est de forme ovoïde. Il repose sur quatre trompes bandées entre les angles et sur quatre pendentifs qui raccordent la base de la coupole avec les trompes et les faces verticales des murs. Tout cet ensemble est soutenu par quatre grands arceaux elliptiques au milieu et au fond desquels s’ouvrent les portes...
«Le monument de Sarvistan est bien simple d’aspect; cependant il est du plus haut intérêt, car son étude éclaire d’un jour tout nouveau l’histoire de la coupole sur pendentifs dont Sainte-Sophie nous offre un des exemples les plus célèbres[6]....»
CHAPITRE V[7]
Dès les premières années du IVᵉ siècle, après la promulgation du célèbre édit rendu à Milan en 313, et par lequel Constantin proclama le christianisme religion de l’Empire, les architectes chrétiens comprirent le parti qu’ils pouvaient tirer des basiliques civiles admirablement disposées pour recevoir un grand nombre d’hommes et, avant de construire de toutes pièces les temples de la religion nouvelle, ils approprièrent pour l’exercice du culte nouveau les diverses parties des édifices anciens qu’ils avaient à leur disposition.
De par les Constitutions apostoliques l’église devant représenter la barque de saint Pierre, l’avenue centrale de la basilique devint la nef.
Des balustrades ou des murs d’appui la divisaient en deux parties.
Au bas de la nef était le pronaos, emplacement destiné aux catéchumènes et à une certaine classe de pénitents; en un mot, à tous les membres de la communauté chrétienne qui, ne pouvant entendre qu’une partie des offices, étaient tenus de sortir de l’église avant la consécration.
Plus haut, vers le transsept, se trouvait le chœur—chorus,—espace entouré d’une cloison basse dans laquelle étaient disposés des ambons, ou pupitres, pour la lecture, par les diacres, des Saintes Écritures; à cette place se tenaient les chantres, les instrumentistes, les exorcistes et de nombreux acolytes qui composaient avec eux le bas clergé des basiliques.
A l’extrémité de la nef, au centre du chalcidique, ou transsept, donnant au plan basilical la forme d’un T ou d’un tau, figure pour laquelle les chrétiens eurent une prédilection particulière parce que le tau était l’image de la croix, se trouvait l’emplacement de l’autel, le sanctuaire, l’altarium ou sacrarium, la place des diacres et des sous-diacres.
L’autel était placé au milieu, entre l’hémicycle ou abside ménagée dans le mur du fond et l’arc triomphal s’ouvrant dans la nef.
L’hémicycle ou abside, qui avait été jadis le tribunal, devint l’emplacement des prêtres ordonnés; c’est pourquoi on le trouve désigné sous le nom de presbyterium. Un banc circulaire, interrompu au milieu par un siège plus élevé, consistorium, contournait le mur du fond. La place éminente, suggestus, était celle de l’évêque ou du dignitaire qui en tenait lieu.
Les galeries latérales ou bas côtés recevaient l’assistance. Les dénominations de plaga ou de porticus étaient communes à l’une et à l’autre; on les distinguait par l’épithète de dextera et læva, droite ou gauche; ou par le déterminatif virorum, mulierum, parce que les sexes étaient séparés dans l’église et que les hommes devaient occuper la droite et les femmes la gauche; mais la détermination de la droite et de la gauche des églises a été de bonne heure une cause de confusion parce que l’orientation des églises a changé et que les liturgistes du moyen âge s’attachèrent à la lettre des anciens textes sans tenir compte de ce changement.
On n’eut pas d’abord d’idée arrêtée sur l’orientation des basiliques, car les plus anciennes de Rome ont leurs façades tantôt au nord, et tantôt au sud, à l’est ou à l’ouest.
Une des constitutions de la fin du Iᵉʳ siècle, attribuées à saint Clément, veut que le prêtre regarde l’orient pour accomplir la consécration. Cette prescription paraît avoir déterminé la situation de l’église telle qu’on la voit encore à Saint-Pierre du Vatican et à Saint-Jean-de-Latran, c’est-à-dire la façade tournée à l’est. Le prêtre célébrait derrière l’autel, regardant l’assistance, les hommes à sa droite, c’est-à-dire au midi, les femmes à sa gauche, c’est-à-dire au nord; aussi les bas côtés, droit et gauche, furent-ils déterminés par les épithètes australis et septentrionalis.
Au Vᵉ siècle, l’orientation contraire fut préférée. Les basiliques présentent leur façade à l’ouest pour se conformer à la règle qui voulait que le prêtre tournât le dos à l’assistance. Cela fit que la droite de l’église devint celle du prêtre, c’est-à-dire au midi. Mais, chose singulière, la droite et la gauche de l’autel restèrent comme auparavant, la droite au nord, la gauche au midi; car il a toujours été entendu que l’évangile se lisait à droite de l’autel et l’épître à gauche,—c’est-à-dire l’évangile paraissant à gauche pour l’assistant tourné vers l’autel.
De là s’est produite une confusion dans l’esprit de quelques auteurs qui, ne comprenant pas que l’attitude de l’église pût différer de celle de l’autel, ont mis la droite de l’église au nord. La même interversion eut lieu pour le placement des fidèles. La basilique de Saint-Apollinaire-le-Neuf, à Ravenne, édifice du VIᵉ siècle qui a sa façade à l’ouest, en fournit la preuve.
La décoration principale de ce bel édifice consiste en une frise immense où sont représentées en mosaïque les figures des saints et des saintes. Or les saintes, qui devaient être vues par les femmes, occupent le mur septentrional de l’église, tandis que le mur méridional est occupé par les saints. Donc les hommes étaient dans le bas côté nord, c’est-à-dire du côté de l’évangile, et les femmes dans le bas côté sud, c’est-à-dire du côté de l’épître. C’est par l’effet de la fausse interprétation, signalée dans le paragraphe précédent, que cet ordre fut changé dans les siècles suivants.
CHAPITRE VI
Dans les premiers temps de l’Église chrétienne, l’abside changea de destination; elle cessa d’être le presbyterium pour devenir le martyrium, c’est-à-dire le lieu où reposait le corps du saint patron de la basilique, ou la relique à qui s’adressait particulièrement la dévotion du lieu. Il en était ainsi, avant l’an 500, dans l’église primitive de saint Martin à Tours, et cet usage se répandit dans les siècles suivants.
L’abside primitive n’avait pas d’autre jour que celui qu’elle recevait de la nef ou du transsept. Transformée en martyrium, elle fut non seulement percée de fenêtres, mais encore, selon certains auteurs, elles auraient été entièrement ajourées, ou même ouvertes à leur base, afin d’être mises en communication avec une galerie basse qui les entourait, de telle sorte que la disposition si caractéristique du chevet des églises modernes remonterait à cette antiquité, c’est-à-dire au Vᵉ siècle.
Au commencement du VIᵉ siècle, on construisit des basiliques selon le mode du temps, mais que l’on disait établies en trois membres, parce que leurs trois galeries longitudinales—nef et bas côtés—étaient considérées comme des églises ayant chacune son patron particulier. On peut croire que l’ancien temple de Jupiter capitolin de Rome, qui avait contenu dans sa triple cella trois sanctuaires à la fois: au milieu Jupiter, à gauche Junon et à droite Minerve, ait suggéré l’idée de ces temples chrétiens.
Les bas côtés, tout comme la nef, eurent leur autel et leur abside toujours plus petite que celle du milieu. En archéologie, on les appelle absidioles.
Le plan de San-Pietro-in-Vincoli, à Rome, bâtie vers les premières années du Vᵉ siècle (fig. 24), donne l’image de cette disposition caractéristique, qui fut si souvent imitée par les constructeurs du moyen âge.
Les dépendances du sanctuaire étaient formées de constructions basses, appuyées contre les murs du chevet de la basilique et mises en communication avec celle-ci par des portes qui remplissaient le même office que les sacristies modernes. Le nom de ces dépendances a changé selon les temps et les lieux; on a dit: pastophorium, diaconicum, gazophylacium, secretarium, vestiarium, thesaurus. Ces trois derniers termes sont ceux dont l’usage a été le plus répandu; leur place était ordinairement contre le mur de fond, à côté de l’abside ou contre l’abside.
La nef et les bas côtés, formant le corps de basilique, furent les parties qui changèrent le moins; cependant les convenances d’appropriation, par suite des nécessités liturgiques ou bien encore, et le plus souvent, le manque de ressources, ont fait introduire dans ces nefs et dans ces bas côtés des dispositions qui paraissent avoir eu une certaine généralité. Un des changements les plus marqués fut le remplacement des colonnes par des piles, changement plus général à mesure qu’on s’éloigna de l’antiquité, par la raison que les ruines des anciens monuments, exploitées depuis des siècles, ne fournissaient plus de colonnes.
Dans les contrées septentrionales de l’Europe, les colonnes, en pierre ou en marbre, n’avaient point été prodiguées comme en Italie, et il fallait les faire venir à grands frais; lorsque Charlemagne éleva la basilique d’Aix-la-Chapelle, il fut obligé d’envoyer prendre à Ravenne les colonnes et les marbres nécessaires pour décorer sa nouvelle église.
En Italie, les bas côtés des basiliques sont aveugles; mais il n’en était pas de même dans les autres pays, car ils étaient ajourés lorsque la disposition des lieux le permettait. Ordinairement les bas côtés étaient flanqués de bâtiments étroits, divisés en pièces appelées chambres,—cubicula,—qui communiquaient avec l’église par des portes monumentales, ou bien ces chambres étaient l’équivalent de ce qu’on a appelé aussi oratoires ou exèdres, parce que ces réduits contenaient une abside. Les dévots s’y livraient à la dévotion et à la prière; les privilégiés y recevaient la sépulture, ou bien elles servaient de logement à des personnages d’un certain ordre.
Toutes les églises construites dès les premiers siècles de l’ère chrétienne n’étaient pas pourvues de bas côtés, car il est certain qu’on éleva alors un grand nombre de basiliques composées d’une seule nef, comme la plupart des paroisses rurales bâties à l’époque barbare.
C’est l’édifice que les textes du temps de Charlemagne et de ses successeurs désignent sous le nom de capella, chapelle, et ce nom de chapelle a été pendant longtemps celui de toute église de campagne, même paroissiale. Presque tout ce qui nous reste des anciennes constructions religieuses de la Gaule appartient à des chapelles de ce genre.
La façade des basiliques indiquait généralement la coupe de l’édifice, marquant à la base la largeur du vaisseau central et des bas côtés, profilés par deux remparts, entre lesquels montait la nef couronnée par un fronton.
Les portes étaient au nombre de trois et quelquefois de cinq, correspondant aux trois ou aux cinq divisions de la nef; celle du milieu était plus haute que les autres, et à toutes s’appliquait l’épithète de regiæ, royales. Elles étaient fermées par des vantaux de bois richement travaillé, ou de bronze, et munies, à l’intérieur, de portières en étoffes précieuses.
Au-dessus des portes, la façade était percée de fenêtres et, dans le tympan du fronton, s’ouvrait un œil-de-bœuf, dans lequel on pouvait voir l’origine des roses éclairant la nef des cathédrales. Le tympan et le pourtour des fenêtres étaient souvent ornés de mosaïques.
Devant les portes régnait un large portique, fermé aux deux extrémités, qui ne paraît pas avoir eu de nom particulier dans l’église latine. Les Grecs l’appelaient narthex, dont ferula est l’équivalent; mais la dénomination qui fut la plus employée dans l’Europe occidentale est porticus, d’où est venu porche.
C’est sous ce portique que stationnaient ceux qui ne pouvaient assister à tous les offices, en attendant le moment où ils pouvaient entrer dans l’église.
A l’intérieur de l’église, au revers de la façade, se trouvait le pronaos, délimité le plus souvent par une simple balustrade; mais, dans certaines basiliques, il prenait un aspect monumental, parce qu’il était formé par une colonnade traversant le bas de la nef et surmonté d’une tribune, comme à Sainte-Agnès-hors-les-Murs (fig. 57). Cette disposition n’était guère usitée que dans les basiliques étagées, la tribune établissait alors une communication entre les galeries supérieures des deux côtés.
Pendant les premiers siècles du triomphe de la religion chrétienne, dont le baptême est une des cérémonies les plus importantes, il était de règle que ce sacrement fût administré, par immersion, dans un édifice séparé de la basilique.
Saint Sylvestre fit construire, au IVᵉ siècle, près de la basilique de Saint-Jean-de-Latran, qu’il avait reçue de Constantin, un baptistère octogone, magnifiquement orné, et le consacra à saint Jean-Baptiste, qui était le saint auquel étaient dédiés presque tous les édifices du même genre.
On construisit des baptistères sous diverses formes: ronds ou octogones et souvent sur un plan carré, cantonné sur chaque face, ou seulement sur trois, d’une absidiole et affectant la figure d’un trèfle ou d’un quatrefeuille; le carré central couronné d’une voûte d’arête ou d’une petite coupole et les absidioles voûtées en quart de sphère.
Au milieu des baptistères était établi un bassin—labrum ou lavacrum, qu’on emplissait d’eau ou qui était alimenté par une source. On se servit souvent de cuves en marbre, en granit ou en porphyre enlevées aux thermes romains; mais le plus souvent la cuve baptismale, qui devait contenir plusieurs personnes, était formée de dalles de pierre ou de marbre, scellées dans une aire en ciment qui formait le fond.
Les absidioles étaient destinées à recevoir des autels sur lesquels on disait la messe afin de donner la communion aux néophytes après le baptême.
Dès le VIIIᵉ siècle, les usages relatifs à la cérémonie du baptême se modifièrent. Il fut permis de baptiser dans l’intérieur, et dès lors on plaça les piscines ou les cuves baptismales dans le bas côté gauche—du côté de l’évangile—des basiliques chrétiennes.
Depuis la fin du Vᵉ siècle, un grand nombre d’églises présentèrent une disposition qu’on ne trouve pas dans les basiliques d’Italie, mais qui rappelait celle de plusieurs églises de la Syrie centrale, de Constantinople et de la Grèce.
Une coupole ou une tour s’éleva au-dessus du transsept et fut appelée par les écrivains de l’époque mérovingienne: la tour par excellence,—turris.
Le transsept était partagé en trois parties par deux murs de refend percés chacun d’une grande arcade en prolongement des colonnades ou arcades de la nef; l’altarium était transformé par là en un emplacement carré contenu entre l’ouverture de l’abside, l’arc triomphal de la nef et les deux arcs latéraux. Grâce à l’appui des quatre murs, il fut possible de surélever la construction au-dessus des combles de la nef et des bras du transsept. Percée de fenêtres de tous les côtés, elle prit l’apparence d’une lanterne carrée, polygone ou ronde, au sommet de laquelle était la toiture couvrant l’autel.
La tour-lanterne versait sur le sanctuaire une lumière abondante et annonçait de loin cette partie capitale de l’église et, pour lui donner plus d’effet, on la couronna d’un campanile en bois doré—machina, arx—ouvrage élégant qui se composait de plusieurs retraites d’arcades à trois étages ordinairement; d’où l’épithète de tristega appliquée au campanile.
Sans vouloir disserter sur l’origine des cloches, on peut dire que leur emploi dans le culte chrétien n’est pas mentionné avant le VIᵉ siècle et que les cloches usitées à l’époque mérovingienne devaient ressembler, comme dimensions, à celles dont on se sert encore dans les collèges ou dans les marchés. C’est dans la seconde moitié du VIIIᵉ siècle que les cloches acquirent un volume assez considérable pour qu’il devînt nécessaire de construire des édifices pour les suspendre.
Le premier clocher dont il soit fait mention est celui de Saint-Pierre du Vatican.
Cloche s’est dit campana et clocca, d’où les termes de campanarium, turris campanaria, clocarium, pour dire un clocher. On s’est servi aussi, au IXᵉ siècle, des mots: turricula, turris claxendix, le premier par opposition à la turris, coupole dôme ou tour-lanterne de l’église, le second quand il y avait un escalier en vis pour monter au sommet de la tour.
Les premiers clochers furent de forme ronde et toujours d’un petit diamètre, à l’exemple des coupoles byzantines ou grecques, ce qui prouve que les cloches qu’ils contenaient étaient de très petite dimension. Les cloches étaient suspendues au sommet de la tour, dans une partie évidée d’arcades, recouverte par un comble; le reste de la construction était parementé sans autres ouvertures que des meurtrières éclairant l’escalier.
Les clochers étaient très souvent séparés du corps de l’église. En Italie, un grand nombre d’églises, de tous les temps du moyen âge, ont leur clocher séparé d’elles par une distance souvent considérable.
Le plan de Saint-Gall indique deux tours rondes placées symétriquement sur le devant de l’église et communiquant avec le portique; la légende qui accompagne ce plan indique que ces tours, qui n’étaient pas destinées à recevoir des cloches, sont des observatoires ou oratoires dédiés aux anges; l’un à saint Michel et l’autre à saint Gabriel.
A une époque plus ancienne il existait déjà, en avant de certaines basiliques, de ces tours sous l’invocation de saint Michel et qui ne furent certainement pas des clochers. Il en existait une au VIIᵉ siècle à l’entrée du monastère de Saint-Maur qui reproduisait en plan la forme d’une croix.
La force de l’habitude fit appliquer la forme ronde à des clochers construits même au XIIᵉ siècle, comme celui de Saint-Théodore d’Uzès, qui date de cette époque; mais ces exemples sont rares et il paraît certain que, dès le Xᵉ siècle, le plan carré fut préféré (fig. 87 et 88).
Outre les grosses cloches qui annonçaient au loin les offices, on continuait, pour régler les exercices religieux du clergé, d’employer des clochettes. Elles sont appelées dans les textes: signum, schilla, nola—en français: sin, esquielle, eschelette.—Elles prirent place au IXᵉ siècle dans les campaniles qui couronnaient les dômes.
Les dépendances extérieures des basiliques latines eurent, dès l’origine, une importance qui ne fit que s’accroître. Il convient de remarquer que si la basilique civile ou profane était ouverte de toutes parts sur des places les plus fréquentées de la ville, la basilique sacrée au contraire fut éloignée, autant qu’il était possible, de la voie publique et il y eut au moins une cour établie devant la basilique, sur toute la largeur de la façade. Cette cour, environnée de portiques qui se raccordaient avec le narthex, ou porche d’entrée, constituait l’aitre de l’église—atrium—et, comme on y enterra, dès les premiers siècles, les fidèles qui s’étaient recommandés par leurs mérites, elle fut appelée aussi paradisus, d’où est venu parvis.
L’aitre, ou atrium, était environné de portiques qui se raccordaient avec le porche d’entrée. L’ensemble des galeries s’appelait triporticus ou quadriporticus, selon qu’elles étaient au nombre de trois ou de quatre.
Les basiliques somptueuses des temps les plus anciens eurent un premier enclos, triportique ou quadriportique, qui précédait l’atrium. Ainsi se présentait, la façade tournée du côté de la Saône, une basilique édifiée à Lyon vers 460 par l’évêque Patient. C’était le temps où l’on ne ménageait pas les colonnes. Les deux enceintes extérieures de la basilique de Lyon formaient chacune un triportique et tous les supports étaient des colonnes en marbre des Pyrénées. Plus tard on réserva le marbre pour les intérieurs, et les auteurs, depuis le VIIᵉ siècle, ne parlent plus de la magnificence des portiques extérieurs, ce qui tendrait à prouver qu’ils étaient dès lors établis d’une manière beaucoup plus simple.
Sous les portiques latéraux de l’aitre s’ouvraient parfois des cellules qui servaient de logement aux moines habitués de la basilique ou aux plus recommandés parmi les malades qui venaient y chercher leur guérison.
Au milieu de l’aitre se trouvait ordinairement une vasque d’où sortait un jet d’eau, ou bien encore une citerne, ou un puits; cet accessoire a été désigné sous les noms de phiala, cantharus, puteus. C’est là que les fidèles, avant de pénétrer dans la basilique, faisaient les ablutions, dont la prise d’eau bénite à l’entrée des églises est une réminiscence.
De très bonne heure, l’aitre perdit son importance et son aspect monumental; ce ne fut plus qu’une petite cour sans portique, entourée de bâtiments ou seulement de murs. Ce changement tient à deux circonstances: la société tout entière étant devenue chrétienne, la classe des catéchumènes disparut; la discipline s’adoucit à l’égard des pêcheurs et comme les grands coupables furent seuls exclus des sacrements, on cessa de voir ces troupes de pénitents qui assiégeaient auparavant les abords de la basilique en attendant le jour de la réconciliation.
Enfin l’extension que prit l’institution monastique obligea d’augmenter les dépendances de l’église en vue de ceux qui la desservaient.
A partir du VIᵉ siècle la plupart des basiliques chrétiennes furent affectées à des communautés de religieux, souvent si considérables qu’elles comptaient plusieurs centaines de personnes. Plus tard, sous la seconde race, une règle imitée de celle des monastères, la règle des chanoines fut imposée par les conciles nationaux aux clergés des cathédrales et de toutes les grandes basiliques séculières. Les bâtiments nécessaires aux actes de la vie commune de ces pieuses congrégations furent établis sur l’un des bas côtés de l’église et l’on trouva commode de les disposer autour d’une cour carrée. C’est là que fut transporté sous le nom de cloître—claustrum—le quadriportique devenu inutile sur la façade. Il s’est maintenu à cette place pendant toute la durée du moyen âge.
CHAPITRE VII
La Basilique dite de Constantin est l’une des plus anciennes parmi les basiliques judiciaires qui devinrent les premiers sanctuaires du christianisme.
Commencée sous Maxence, elle fut achevée dans les premières années du IVᵉ siècle, sous le règne de Constantin. Elle peut être considérée comme l’un des derniers monuments de l’art antique. Le plan est simple et digne encore d’être comparé aux œuvres du beau temps de l’architecture romaine. Les proportions de la salle sont fort belles et la construction en est très soignée.
La nef de la basilique de Constantin présente cette particularité de ressembler absolument au Tepidarium des Thermes d’Antonin Caracalla (fig. 10). Il est naturel, d’ailleurs, que les architectes du temps de l’empereur Maxence aient subi l’influence des superbes monuments qu’ils avaient sous les yeux et qui devaient être alors dans tout l’éclat de leur splendeur.
Le parti architectural est le même. Le vaisseau principal se compose, comme aux Thermes, de trois grandes travées marquées par de grands arcs longitudinaux et il est couvert par une voûte d’arête plein cintre, construite en briques et en blocage; la poussée de cette belle voûte, dont les retombées étaient soutenues par des colonnes hors œuvre, couronnées d’une corniche avec architrave, était maintenue par des murs transversaux, percés d’arcades faisant communiquer
entre eux les bas côtés; ces murs transversaux étaient eux-mêmes réunis, solidarisés, par des arcs plein cintre en berceau, construits comme la grande voûte et ornés à l’intérieur de caissons décoratifs.
La basilique se terminait au chevet central par un hémicycle, ou abside, voûté en quart de sphère; et un portique, enrichi de colonnes sous lequel s’ouvraient les portes, s’étendait en avant de la façade et sur toute la largeur de l’édifice.
Après les monuments de Constantin vinrent ceux de ses successeurs qui donnèrent encore plus d’extension à la construction des basiliques.
Parmi celles qui furent bâties en grand nombre jusqu’à la fin du Vᵉ siècle, il faut citer la basilique de Saint-Paul-hors-les-Murs, sur la route d’Ostie, construite sur l’emplacement d’une petite église de Constantin.
Commencée en 386 et terminée dans les premières années du Vᵉ siècle, sous le règne d’Honorius, elle était, avec l’église Saint-Pierre, une des plus grandes basiliques de Rome.
FIG. 19.—BASILIQUE DE SAINT-PAUL-HORS-LES-MURS, A ROME.
(Vue perspective de l’altarium.)
(D’après la Messe de Rohault de Fleury.)
Elle possédait un vaste transsept, appartenant à la disposition théodosienne[8].
Le plan de la basilique de Saint-Paul-hors-les-Murs donne le transsept de l’église chrétienne bien marqué. La nef principale et les quatre nefs latérales sont séparées du transsept par un mur, percé d’un arc triomphal et de quatre arcs secondaires. L’autel majeur
avec sa clôture,—l’altarium—sur la confession, séparait le chœur réservé aux prêtres, des fidèles placés dans la nef.
Les bras du transsept étaient occupés par les clercs et les personnes revêtues d’un caractère religieux.
Les proportions de la basilique de Saint-Paul-hors-les-Murs étaient colossales; sa longueur était de 143 mètres, y compris l’abside qui avait 25 mètres de diamètre; la nef et les bas côtés avaient 65 mètres de largeur et les transepts 72. La nef centrale, large de 25 mètres environ, était formée de deux rangées de vingt colonnes corinthiennes reliées par des arcades plein cintre sans archivoltes; au-dessus de ces arcades une grande frise était ornée de peintures à fresques, le
dessous des poutres des fermes était à 30 mètres au-dessus du sol. De somptueuses mosaïques décoraient l’abside, les parois du transsept et de l’arc triomphal.
La basilique de Sainte-Marie-Majeure, à Rome (plan, fig. 22), fut élevée au commencement du Vᵉ siècle par Sixte III sur l’emplacement d’un autre édifice de même genre, bâti par le pape Liberius et consacré en 353. Le pape Eugène III, vers le milieu du XIIᵉ siècle, y ajouta un portique qui fut démoli en 1572 par Grégoire XIII et remplacé, sous Benoît XIV, en 1743, par le portique actuel, à huit colonnes, exécuté d’après les plans de Ferdinand Fuga. De ce portique on pénètre par cinq portes dans les trois nefs de la basilique
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FIG. 22. BASILIQUE DE SAINTE- |
FIG. 23. BASILIQUE DE SAINT- |
qui a près de cent mètres de longueur en y comprenant l’hémicycle et trente-deux mètres de largeur.
La nef est formée par deux rangées de colonnes d’ordre ionique, dont les fûts sont lisses; elles sont couronnées par un entablement horizontal dont la frise est décorée de rinceaux et la corniche enrichie de modillons[9] au-dessus et dans la hauteur des toitures des bas côtés une grande frise ornée, au-dessus de laquelle s’ouvrent les fenêtres à plein cintre éclairant la grande nef.
Le plafond de cette nef est du temps de Célestin III vers la fin du XIIᵉ siècle; il est décoré de sculptures
dorées exécutées à la fin du XVᵉ siècle, sous le pontificat d’Alexandre VI, par Julien de Sangallo.
Santo-Pietro-in-Vinculis, fondé, en 425, par Eudoxie, femme de Valentinien III, est une basilique à trois membres, c’est-à-dire, suivant les auteurs anciens, que les trois galeries longitudinales, la nef principale et les deux bas côtés étaient considérés comme des églises ayant chacune leur patron particulier; au milieu l’autel principal placé au centre de l’abside et les deux autres,
FIG. 25.—BASILIQUE DE SAINT-PIERRE-A-VINCOLI (ROME).
(Coupe transversale et longitudinale.—Fragment.)
moins importants, dans des absidioles ménagées à l’extrémité des bas côtés et s’ouvrant, toutes les trois, sur le transept.
La basilique est précédée d’un portique à colonnes sur lequel s’ouvre la porte qui donne accès à la nef,
formée par deux rangées d’arcades retombant sur des colonnes rappelant le dorique romain.
Parmi les baptistères élevés en grand nombre au Vᵉ siècle, celui de Novare est à citer parce qu’il rappelle les dispositions d’un édifice plus ancien destiné au même usage, élevé à Rome au IVᵉ siècle par saint Sylvestre, près de Saint-Jean-de-Latran.
Suivant l’usage adopté par les premiers chrétiens, le baptistère était séparé de la basilique; celui de Novare se compose d’une enceinte de forme octogonale couverte par une voûte en arc de cloître surmontée d’une lanterne ajourée.
Au milieu était la piscine dans laquelle on baptisait par immersion; le mur était évidé par quatre niches semi-circulaires et par quatre enfoncements rectangulaires; dans celui du fond était placé l’autel, dont l’usage était prescrit par les cérémonies liturgiques du baptême. L’édifice était éclairé par des fenêtres, percées, sur chaque pan de l’octogone, au-dessus de la toiture en appentis couvrant les niches formant la base de l’édifice.
CHAPITRE VIII
L’architecture chrétienne qui avait pris à Rome, dès les premières années du IVᵉ siècle, un essor si puissant, se répandait et se développait au même temps en Orient et particulièrement dans la Syrie centrale. L’influence romaine s’était d’ailleurs manifestée dans ce pays dès le IIᵉ siècle et il fut pendant plusieurs siècles un foyer d’art dont le rayonnement s’étendit jusqu’en Europe[10].
La basilique de Tafkha (Syrie centrale) est un édifice chrétien bâti du IVᵉ au Vᵉ siècle sur le modèle des basiliques antiques.
On saisit ici sur le fait la transition de la basilique civile romaine à l’église chrétienne[11].
Le système de construction est des plus simples: la nef était formée par des rangées d’arcs parallèles, un grand arc pour le vaisseau central et deux plus petits, superposés, pour les bas côtés (fig. 29). Ceux-ci avaient deux étages; le plancher de la galerie haute était en pierre, comme l’édifice tout entier, et il se composait de dalles portées sur des corbeaux engagés dans les murs transversaux.
Ces murs étaient espacés à environ trois mètres l’un
de l’autre et le plafond était fait par de larges dalles posées sur leur sommet, la portée des dalles du plafond étant diminuée par la saillie d’une corniche courant sur toute la largeur de la nef. Sur ces dalles, une aire en béton ou en ciment assurait, par des pentes, l’écoulement des eaux pluviales.
Les coupes transversale et longitudinale (fig. 29 et 30) montrent clairement ces curieuses dispositions en même temps que l’habileté des constructeurs qui, n’ayant que la pierre à leur disposition, ont su en tirer parti de la manière la plus pratique pour la construction proprement dite; ils ont même remplacé le bois, qui, sans doute, était rare dans la région, par la pierre, car la fenêtre, percée dans le mur du fond, à gauche de l’abside, est fermée par une dalle mobile faisant office
de volet; une des fenêtres de la tour a également conservé son volet de pierre.
Cette tour, à trois étages, est accolée au flanc gauche de la façade. Ce genre de construction est fréquent dans la Syrie centrale. Les grandes maisons antiques sont accompagnées de tours, et les monuments funèbres affectent cette forme[12].
Le monument de Moudjeleia (Syrie centrale) présente tous les caractères d’un baptistère du Vᵉ siècle; il n’existe pas, d’ailleurs, dans toute la région, d’église de forme polygonale.
Le centre de l’édifice était sans doute hypèthre; on ne voit, d’ailleurs, aucune trace des dispositions primitives de la couverture sur la partie centrale, tandis que la charpente des bas côtés a laissé des encastrements qui déterminent son ancienne disposition. Une toiture à simple pente recouvrait l’abside et ses annexes.
Ce petit édifice est disposé selon les traditions chrétiennes suivies pour l’établissement des baptistères; l’absidiole ménagée en face de la partie octogonale devait recevoir un autel afin qu’on pût dire la messe et donner la communion aux néophytes.
La basilique de Behio (Syrie centrale), bâtie vers le
commencement du VIᵉ siècle, diffère des édifices élevés dans le même temps par la forme de l’abside, carrée au lieu d’être hémisphérique, et par la galerie ou portique s’étendant sur le flanc de l’édifice.
Le pignon au-dessus de l’arc de l’abside montre très nettement les dispositions de la toiture qui couvrait la basilique, et l’on voit avec quels soins les constructeurs ménageaient dans la maçonnerie la place que devaient occuper les diverses parties de la charpente apparente indiquées dans tous leurs détails par la figure 45.
La petite église de Babouda (Syrie centrale) est un
exemple, admirablement conservé, d’une église rurale
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FIG. 36.—ÉGLISE DE BABOUDA |
FIG. 37.—ÉGLISE |
élevée dans les premiers siècles de l’ère chrétienne—Vᵉ siècle.
Elle se compose d’une seule nef, couverte en charpente apparente et à l’extrémité de laquelle a été établi l’hémicycle, ou plutôt l’abside voûtée en quart de sphère.
La nef est précédée d’un portique à trois arcades sur lequel s’ouvrent les trois portes donnant accès dans la salle; au-dessus du porche, une loge à jour éclairant la nef et une tribune à laquelle on devait accéder par un escalier intérieur.
CHAPITRE IX
Le baptistère de Saint-Georges d’Ezra est un des monuments les plus précieux de la Syrie centrale. Dans la primitive Église, les baptistères étaient rares, car il n’y en avait qu’un par ville épiscopale, l’usage étant de réserver à l’évêque l’administration du sacrement du baptême.
Saint-Georges d’Ezra est parvenu jusqu’à nous sans autre modification que celle d’avoir été transformé en église, toujours consacré au culte catholique pour lequel il a été construit et qui se célèbre encore sous ses voûtes vénérables[13].
Le plan est très simple; il se compose de deux octogones concentriques inscrits dans un carré; l’octogone central est couronné par une coupole. Sur le pan oriental s’ouvre l’abside précédée d’une étroite travée; de chaque côté sont établis des réduits carrés, et dans chacun des angles du carré une niche ou exèdre dont la face forme un des pans coupés de l’octogone; trois portes s’ouvrent sur la façade occidentale et une sur chacune des faces latérales.
La coupole, de dix mètres environ de diamètre, est soutenue par huit piliers de cinq mètres de hauteur; les deux assises hautes de la rotonde octogone sont: la première à 16 côtés, la seconde à 32, de manière à passer graduellement de la forme polygonale au plan circulaire de la base de la coupole, de forme ovoïde, en élévation et rappelant les monuments de l’Asie centrale.
A l’exception de la coupole faite en blocage, toute la maçonnerie est en pierres appareillées, posées sans mortier.
A la base de la coupole s’ouvrent de petites fenêtres semi-circulaires, une dans chaque pan de l’octogone; c’est le plus ancien exemple existant d’un système d’éclairage qui reçut à Sainte-Sophie, de Constantinople, son plein développement[14]. Le bas côté et le sanctuaire sont couverts en dalles posées sur les murs ou sur les arcs, et dont la portée est diminuée par une corniche courante (fig. 40).
Au fond de l’abside règnent trois rangs de gradins en hémicycle destinés aux sièges du clergé; l’autel est placé dans la première travée du sanctuaire qui communique par une porte avec la sacristie réservée; la
seconde sacristie est, au contraire, accessible au public par une porte s’ouvrant sur l’exèdre de l’angle sud-est.
Un rideau tendu entre les pilastres d’entrée du sanctuaire voilait les saints mystères, selon la liturgie orientale.
La porte principale se compose d’une baie rectangulaire surmontée d’un linteau déchargé par un arc; sur le linteau décoré à ses deux extrémités de croix et de pampres se trouve une inscription grecque datée de la neuvième indiction en l’année 410, c’est-à-dire de la fin de 515 ou du commencement de 516, date de l’achèvement de l’édifice.
L’église de Baqouza (Syrie centrale), élevée au commencement du VIᵉ siècle, est un beau monument bien planté sur la pente d’une colline; un large soubassement rachète la déclivité du terrain et donne à l’église une assiette remarquable[15].
Le chevet, avec ses plans fermement accusés et son magnifique appareil, est d’un sentiment tout antique.
Les dessins (fig. 41 et 42) supposent l’édifice reconstitué avec la plus scrupuleuse exactitude d’après les débris existant tout entiers.
La nef est formée par deux rangées de colonnes, de
proportions antiques, portant des arcs plein cintre, non extradossés et sans aucun ornement mouluré; au-dessus des arcs, une rangée de fenêtres, dont les trumeaux sont faits d’une assise et dont la partie cintrée est évidée dans un monolithe, éclaire l’intérieur de la basilique. Une charpente apparente, comprise entre les deux pignons, couvre la nef ainsi que les bas côtés.
Devant les portes latérales sont disposés des porches formés d’une petite voûte en pierre dont les sommiers sont supportés par des colonnes isolées et des corbeaux ou demi-colonnes engagés dans les murs de l’édifice. L’abside, voûtée en quart de sphère appareillée et couverte en pierre, s’ouvre dans le mur du fond à un niveau supérieur au sol de la nef.
La façade occidentale est précédée d’un portique qui n’a pas été indiqué dans la coupe (fig. 41), en raison de l’incertitude que l’état des ruines laisse sur son élévation.
L’église de Qalb-Louzeh (Syrie centrale), dans sa forme basilicale, est un monument d’une remarquable conservation; il ne manque que le mur extérieur du bas côté rond et une partie de la façade occidentale. (Il suffit de prolonger les lignes interrompues pour reconstruire, par la pensée, jusque dans ses plus petits détails le monument tel qu’il existait au VIᵉ siècle de notre ère[16].)
L’église a environ 38 mètres de longueur sur 18 de largeur. Elle comprend un pronaos ou narthex flanqué de tours, puis une nef avec deux bas côtés.
La nef est formée de piliers massifs reliés par des arcs trapus; au-dessus, une rangée de petites fenêtres, alternant avec un ordre de colonnettes, décore l’étage supérieur. Chacun de ces couples de colonnettes formait corbeau portant chaque forme de la charpente apparente comprise entre les deux pignons extrêmes.
Les bas côtés sont couverts en dalles de pierre dont les points sont à recouvrement et dont le bord extérieur mouluré constitue la corniche du bas côté.
Le comble, indiqué dans la figure 45, a disparu; mais la place des colonnettes, la hauteur de l’encastrement qui les surmonte, déterminent la place et les dimensions des entraits, de même que l’inclinaison des pignons, les trous carrés destinés à recevoir les pannes rapprochées, portées sur les arbalétriers, permettent de retrouver tous les détails de ses dispositions.
L’ornementation de la basilique de Qalb-Louzeh est plus riche que dans les autres édifices du même
genre et du même temps; elle affecte des formes qui tendent vers les pratiques byzantines.
Les éléments empruntés à la décoration antique sont mêlés à des croix et à des symboles chrétiens. On sait combien les représentations de la nature vivante sont rares dans la sculpture ecclésiastique des églises orientales. L’église de Qalb-Louzeh possède, à ce point de vue, un détail curieux. Sur le linteau de la première porte latérale se trouvent deux bustes d’hommes, au-dessus desquels sont gravés en caractères grecs: Michel, Gabriel. Ces deux bustes étaient donc la figure des deux archanges qui, placés au-dessus de l’entrée, semblaient veiller à la garde du sanctuaire.
Les portes latérales étaient précédées de porches, les uns en bois couverts d’un toit à double pente et les autres en pierre et formés d’une voûte en berceau.
CHAPITRE X
Le village de Roueiha (Syrie centrale), appartenant à la région de Djebel-Riha, bien que situé sur le versant oriental de la montagne et déjà dans la plaine, renferme un monument qui rappelle ceux de la région situés plus au nord.
L’église diffère essentiellement de celles qui précèdent. Les colonnes, nombreuses et serrées, à l’imitation de la basilique romaine, ont fait place à de larges et rares piliers, reliés par de grands arcs.
A chacun de ces piliers correspond un arc-doubleau
porté par des pilastres cannelés et qui, coupant
transversalement la nef, en modifient absolument la physionomie. Ces doubleaux, surmontés d’un pignon, divisent la nef en trois travées ainsi que le comble en charpente dont les formes apparentes étaient supportées par des consoles placées au-dessus de la rangée des petites fenêtres hautes.
L’église est entourée d’une enceinte rectangulaire formée par un mur en pierre. Une seule porte, placée à côté d’un petit bâtiment qui devait être le logement du gardien de la porte, donne accès dans cet enclos. Il paraît avoir été la propriété particulière d’une famille qui y avait sa sépulture; deux tombeaux fort bien conservés et très intéressants s’y voient encore; l’un d’eux porte l’épitaphe d’un certain Bizzos, fils de Pardos; le même nom se trouve gravé au-dessus de la porte principale de l’église, ce qui permet de penser que ce personnage, qui vivait au VIᵉ siècle de notre ère, est le fondateur du monument.
L’église de Tourmanin (Syrie centrale) tient à la fois de celles de Baqouza et de Qalb-Louzeh; la nef et le chœur appartiennent à la première de ces deux églises, le narthex à la seconde. Sa longueur totale est de 40 mètres et sa largeur de 15. L’intérieur de la nef ressemble à celui de Baqouza et un ordre de colonnettes, comme à Qalb-Louzeh, supportait les poutres de la charpente apparente.
Le monument est assis sur un soubassement qui lui donne une large base; la façade a un grand caractère et en même temps un agencement de lignes d’un effet pittoresque. Comme celle de Qalb-Louzeh, elle se compose d’une large arcade surmontée d’une terrasse et flanquée de deux tours carrées; mais ces tours sont plus dégagées et la terrasse est recouverte d’une loggia d’une disposition ingénieuse et élégante[17].
On ne saurait rien imaginer de plus logique et de plus raisonné que cette composition où chaque élément a sa fonction nettement accusée, où l’équilibre résulte des conditions de stabilité des matériaux posés sans ciment et où la décoration n’est qu’une conséquence de la construction. L’effet produit est très saisissant.
Le chevet a aussi un grand caractère; orné de deux ordres superposés, comme à Baqouza et à Qalb-Louzeh, il est remarquable par l’harmonie et la vigueur de ses lignes; l’abside est à pans coupés dont l’arête est ornée de colonnettes, elle forme un demi-dodécagone régulier. Les bases ont un profil qui accuse le VIᵉ siècle et la sculpture des chapiteaux de l’abside, plate et comme découpée, paraît être du même temps.
De même qu’à Qalb-Louzeh, le narthex qui précède la porte principale est d’un grand effet et la large arcade qui lui donne accès, entre les deux tours, est d’un vigoureux caractère.
Cette disposition est fort originale et il est facile d’y reconnaître, en germe, la disposition des façades du moyen âge occidental.
C’est à l’abside surtout qu’apparaît, de la manière la plus évidente, ce lien de parenté qui unit les églises de la Syrie centrale à celles de l’Occident.
Extérieurement, cette abside est décorée, comme à Qalb-Louzeh, de deux ordres de colonnettes directement superposées; la donnée est encore antique, bien que l’application en soit absolument nouvelle. L’architecte, doué d’un grand sens pratique, a supprimé, les jugeant inutiles, la corniche, la frise et l’architrave qu’un constructeur romain n’eût pas manqué d’intercaler dans sa composition. Néanmoins la colonne est restée antique dans ses proportions et dans le rapport des deux ordres[18]; mais que le temps et la réflexion fassent litière de ces derniers scrupules, que ce chapiteau et cette base intermédiaires, inutiles, disparaissent ou soient remplacés par une bague, que la longue colonnette ainsi obtenue se rapproche de sa voisine, que les corbeaux de la corniche se serrent en se découpant, l’abside romane de France ou des bords du Rhin apparaît et sa filiation s’établit.
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