L'Architecture romane

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FIG. 51.—ÉGLISE DE TOURMANIN (SYRIE CENTRALE). (Vue perspective de la façade.)

est ici particulièrement intéressant parce qu’il est un exemple, fort rare au VIᵉ siècle, de coupoles en pierre, appareillées normalement.

A cette époque on construisit, dans la Syrie centrale

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FIG. 52.—LE TEMPLE A JÉRUSALEM. (Porte double.)

aussi bien que dans la Palestine, des édifices à coupoles et nous donnons un spécimen curieux de ce genre de construction par le baptistère de Saint-Georges d’Ezra (fig. 39); mais ces monuments furent élevés à l’imitation des Perses, non seulement dans la forme générale, mais aussi dans les détails de la construction. Ce mode consistait à bâtir, en rudes maçonneries de briques ou de blocage liées ou recouvertes par d’excellents mortiers et par des procédés rudimentaires, des arcs et des coupoles, non sur des cintres en bois ou en briques habilement coupés ou bâtis suivant les épures d’un appareil savamment tracé, mais sur des formes en terre ou en sable grossièrement établies par des moyens empiriques.

Les coupoles de la porte double du temple de Jérusalem marquent un progrès très sensible et qu’il est utile de remarquer. Elles furent élevées à peu près au même temps que Sainte-Sophie suivant la méthode syrienne, laissant à la pierre apparente son aspect naturel dans son appareil de construction, sans adjonction de matériaux décoratifs.

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FIG. 53.—LE TEMPLE DE JÉRUSALEM (Porte double.—Plan.)

«A Jérusalem, la terrasse du Haram (la mosquée d’Omar) domine, au sud, un terrain désert; les anciennes portes (du Temple) se voient donc mieux de ce côté. Il y en a trois, que l’on nomme, d’après le nombre de leurs baies, la Porte simple, la Porte triple et la Porte double.

«Elles donnent bien une idée de ce qu’étaient, au temps de Jésus-Christ, ces portes du temple où Jésus et ses disciples se sont si souvent assis à l’ombre, pendant les heures chaudes du jour.

«La porte se compose de deux baies qui s’ouvrent dans un grand vestibule dont les voûtes s’appuient sur une grosse colonne centrale. De ce vestibule partent deux rampes parallèles, séparées par un rang de piliers, qui conduisent à la plate-forme supérieure[19]

La porte double a été reconstruite vers le VIᵉ siècle. On a ravalé les murs anciens; quatre arcs-doubleaux ont été bandés sur la colonne centrale et on couvrit les quatre compartiments au moyen de quatre coupoles appareillées retombant sur quatre pendentifs sphériques.

CHAPITRE XI

ÉGLISE LATINE DE SAINT-FRONT, A PÉRIGUEUX.—BASILIQUE DE SAINTE-AGNÈS-HORS-LES-MURS ET BASILIQUE DE SAINT-CLÉMENT, A ROME.—MOSQUÉE DE CORDOUE.

La vénérable basilique de Saint-Front, à Périgueux, a remplacé une église latine à trois nefs, élevée vers le VIᵉ siècle; on reconnaît cette disposition à l’intérieur de la basilique sur la muraille occidentale. On a retrouvé vers l’ouest la façade de l’église latine, le porche qui la précédait, ainsi que deux cryptes, ou confessions placées à droite et à gauche du chevet et qui flanquent aujourd’hui le bras occidental de la croix grecque (fig. 55).

«La première église de Saint-Front offrait trois nefs; sa façade, dont la partie centrale, couronnée par un

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FIG. 54.—ÉGLISE LATINE ET CLOCHER DE SAINT-FRONT. (Façade nord montrant 2 travées de la nef latine.)

pignon, s’élève au-dessus des ailes, en serait seule une preuve» (de Verneilh).

La façade, qui existe encore, cachée par des constructions modernes, est décorée d’un appareil réticulé, donnant, par ses dispositions, l’aspect grossièrement imité d’une mosaïque romaine, réminiscences antiques dont on trouve encore des traces dans les parements extérieurs de quelques églises d’Auvergne.

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FIG. 55.—ÉGLISE LATINE DE SAINT-FRONT, A PÉRIGUEUX. (Plan.)

La nef principale de l’église latine était couverte par une charpente lambrissée; il n’existe, du reste, aucune trace de la voûte de la nef sur le parement intérieur de la façade dont nous venons de parler.

Les bas côtés étaient voûtés; chaque travée était couverte d’un berceau perpendiculaire à la nef, disposition curieuse à cette époque autant que rare, mais qu’on retrouve plus tard (notamment à Saint-Savin).

Suivant certains auteurs, le clocher serait contemporain de la grande basilique et, selon d’autres, sa construction serait antérieure au XIᵉ siècle; mais ce qui paraît certain, c’est qu’il aurait été élevé par l’évêque Frotaire sur deux travées de l’église latine et au-dessus de la sépulture de Saint-Front.

Le porche antérieur, dont on voit les traces en avant de la façade occidentale, est peut-être un des plus anciens; une large arcade plein cintre en formait l’entrée. Il reste encore quelques fragments de sa décoration primitive qui attestent leur origine romaine.

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FIG. 56.—BASILIQUE DE SAINTE-AGNÈS-HORS-LES-MURS, A ROME. (Plan.)

Le dessin de la figure 54 est tiré du projet de restauration de l’église latine et montre deux des cinq travées de la nef. Ce dessin fait partie des belles et savantes études faites sur Saint-Front par feu Bruyerre, architecte de grand talent, mort en février, 1887, avant d’avoir achevé la restauration du clocher, qu’il a préparée par des recherches archéologiques des plus intéressantes pour l’histoire de ce superbe monument.

 

La basilique de Sainte-Agnès-hors-les-Murs, bâtie dans les premières années du VIIᵉ siècle, présente un caractère particulier par les détails de sa construction et par la disposition des bas côtés, qui sont pourvus de galeries superposées ouvrant sur la nef principale par deux étages d’arcades; la galerie haute formant tribune règne au-dessus du porche de la façade

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FIG. 57.—BASILIQUE DE SAINTE-AGNÈS-HORS-LES-MURS.

(Vue perspective intérieure.)

et met en communication les deux côtés de la nef.

La basilique se compose d’un porche sur toute la largeur de l’édifice et sur lequel s’ouvrent les portes du vaisseau central et des bas côtés. La nef est formée par deux rangées de colonnes reliées par des arcades

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FIG. 58.—BASILIQUE DE SAINT-CLÉMENT, A ROME. (Plan.)

à deux étages et surmontées de fenêtres à plein cintre, la nef et les bas côtés étaient couverts par une charpente lambrissée; on remarque au-dessus des chapiteaux un rudiment d’entablement qui n’est pas d’un heureux effet. Une partie des colonnes de cette basilique proviendrait, selon quelques auteurs, des temples antiques, dépouillés notamment par Constantin, qui aurait fait transporter à Byzance une grande quantité de statues, de colonnes et de marbres précieux enlevés aux édifices de Rome et des autres villes de l’empire.

 

Élevée dans la première moitié du IXᵉ siècle, la basilique chrétienne de Saint-Clément, à Rome, a conservé presque tout entières les formes traditionnelles des basiliques civiles des premiers siècles du christianisme.

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FIG. 59.—BASILIQUE DE SAINT-CLÉMENT, A ROME. (Coupe longitudinale.)

Elle fut érigée, suivant les auteurs anciens, sur l’emplacement de la maison de saint Clément, l’un des successeurs immédiats de saint Pierre. Elle existait déjà au commencement du Vᵉ siècle puisque, en 417, le pontife Zozyme y condamna l’hérétique Célestius, disciple de Pélage.

Le plan de la basilique est un parallélogramme divisé en trois nefs par deux lignes de colonnes d’ordre ionique, dont les fûts sont lisses, et reliées entre elles par des arcades ornées d’archivoltes; au-dessus s’ouvrent les fenêtres éclairant l’édifice dont

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FIG. 60.—BASILIQUE DE SAINT-CLÉMENT, A ROME.

(Vue perspective intérieure.)

la nef était couverte par une charpente apparente.

Au fond, à l’est, s’ouvre l’hémicycle ou abside couronnée d’une voûte en quart de sphère: un banc contourne l’abside et au milieu, derrière l’autel, s’élève le siège de l’évêque ou de l’officiant. En avant se trouve l’autel érigé sur une crypte—martyrium—contenant les reliques de saint Clément, patron de l’église, et de saint Ignace, évêque d’Antioche.

A l’extrémité des bas côtés deux absidioles avaient été ménagées—avant la construction des chapelles—et formaient avec l’autel majeur une basilique à trois membres (chapitre V, première partie).

En avant de la basilique s’étend, sur toute sa largeur, un portique sur lequel s’ouvre la porte; ce portique est précédé d’un atrium entouré de portiques au milieu duquel se trouvait un puits ou une fontaine.

 

La mosquée de Cordoue, commencée vers la fin du VIIIᵉ siècle, a plus d’un point de comparaison avec les monuments élevés à Rome et en Syrie à peu près vers le même temps.

Pour bien se rendre compte du plan et des dispositions de la mosquée de Cordoue, il faut se rappeler que, lorsque l’Espagne, après la conquête arabe, commençait à jouir d’un gouvernement régulier et protecteur, on vit accourir dans cette ville, de Syrie et d’Égypte, les partisans nombreux et puissants de cette ancienne famille des Ommiades qui vinrent s’y établir. «Les rapports multipliés de l’Orient avec l’Occident donnent l’explication assez naturelle d’un goût d’architecture qui dut vraisemblablement s’introduire alors à Cordoue et dont les parties de la grande mosquée d’Abdérame présentent un exemple extrêmement remarquable[20]

Ce monument, empruntant aux ruines romaines leurs marbres, leurs colonnes et quelques ornements,

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FIG. 61.—MOSQUÉE DE CORDOUE (ESPAGNE). (Plan.)

dut suivre les dispositions généralement adoptées déjà et qui devinrent le type de l’architecture des temples de l’Islam.

Le plan de la mosquée de Cordoue semble avoir été inspiré par les monuments chrétiens des premiers temps du moyen âge. On peut y retrouver le plan d’une basilique latine avec son atrium, son sanctuaire ou abside et sa nef principale à laquelle les constructeurs arabes auraient ajouté, à droite et à gauche, cette grande quantité de collatéraux parallèles, ou bas côtés, ce qui constitue la principale modification qu’ils ont apportée à ce genre d’édifice pour l’approprier à leurs besoins.

La mosquée primitive comprenait onze grandes nefs allant du nord au sud; ces nefs aboutissaient sur la cour qui précédait le temple et en était une partie nécessaire. Trente-trois nefs plus petites, courant de l’est à l’ouest, coupaient les onze plus grandes à angle droit, formant ainsi un vaste quinconce de colonnes.

Son plan actuel a la forme d’un rectangle d’environ 162 mètres de longueur, du nord au sud, sur 123 mètres de l’est à l’ouest: au nord, une grande cour, entourée de portiques sur trois côtés adossés à de hautes murailles, précède les entrées de la mosquée. Celle-ci est divisée en 19 nefs parallèles, ayant environ 100 mètres de longueur, venant aboutir sur la cour de la mosquée et communiquant avec elle par de grandes portes dont quelques-unes existent encore.

La nef principale du nord au sud qui a 7 mètres de largeur, et les 18 autres nefs ou bas côtés, sont subdivisées par 35 galeries beaucoup plus étroites de l’est à l’ouest, coupant les nefs à angle droit. Cet immense quinconce couvre une surface bâtie de près de vingt mille mètres carrés.

La construction est fort simple et en même temps très soignée; les galeries, larges en moyenne de 6 mètres, sauf la principale qui a 7 mètres, sont hautes de 9 mètres. Elles sont formées par des alignements de colonnes de 3 mètres de haut, reliées au-dessus des chapiteaux généralement d’ordre composite

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FIG. 62.—MOSQUÉE DE CORDOUE (ESPAGNE).

(Coupes longitudinale et transversale des nefs.)

et corinthien ou imités par les Arabes, par des arcs en fer à cheval, composés de claveaux alternés en pierre blanche et en briques rouges. Ces premiers arcs sont surhaussés par d’autres arcs bandés sur les piliers surmontant le sommier placé sur chaque colonne. Les constructeurs évitèrent ainsi les traverses en bois qui constituent très souvent la solidité des arcades arabes.

Ces deux étages d’arcs produisent par leur répétition, jointe à l’alternance de couleurs claires des claveaux, un très grand effet, malgré la simplicité des moyens employés par les architectes. Les charpentes sont apparentes et rappellent encore, par leurs formes, les dispositions de la toiture des basiliques latines.

La décoration est également fort simple, elle tire son effet principal des matériaux mêmes de la construction et particulièrement de la richesse extraordinaire des colonnes; celles-ci sont d’une variété étonnante, aussi bien par la matière même que par le travail qui les a ornées. La plupart de ces fûts sont antiques, enlevés à l’Espagne, à la Gaule et à l’Afrique romaine.

A gauche de la septième nef—en comptant par le bas ou la droite du plan,—se trouve une petite chapelle désignée par les auteurs sous le nom de villa viciosa; elle est couverte par un dôme étincelant de mosaïques. Derrière cette chapelle et au fond de la nef majeure, s’élève le Kiblah, à huit pans, couronné d’une coupole creusée dans un seul bloc de marbre.

Ces deux sanctuaires sont du Xᵉ siècle; mais leurs détails et leur ornementation sont les preuves certaines des influences romaines et orientales qui ont donné à l’ensemble de ce vaste édifice son principal caractère.

CHAPITRE XII

L’ART BYZANTIN.

Si la fondation d’un nouvel empire à Byzance, par Constantin, en 330 de l’ère chrétienne, est un des grands événements de l’histoire du monde, elle marque en même temps, dans l’histoire de l’architecture, la naissance d’un art nouveau ou, plus exactement, le départ d’une évolution de l’art antique, modifié par les influences orientales.

L’art byzantin n’est pas sorti spontanément du fait de la translation du siège de l’empire, de Rome a Byzance, car les traditions romaines se sont longtemps continuées et elles sont visibles encore au VIᵉ siècle, dans les plans des édifices construits par Justinien aussi bien que dans les détails de la construction de ces monuments. D’ailleurs, Constantin s’était préoccupé d’imiter Rome et les édifices qu’il éleva en grand nombre dans sa nouvelle capitale sont romains.

Depuis la chute de l’empire latin, Byzance avait vaillamment résisté aux Barbares; aussi le Vᵉ siècle qui vit toutes ces luttes ne fut-il pas favorable au développement des arts dans le nouvel empire d’Orient.

«La période qui s’étend de Constantin à Justinien fut, pour l’art byzantin, un âge de formation[21]

Mais, dès le commencement du VIᵉ siècle, l’art byzantin se dégage des traditions latines; il marque l’essor d’un développement original qui s’est manifesté par une architecture hardie, laquelle témoigne de la grande science et de l’habileté des architectes byzantins.

Le caractère dominant de l’architecture byzantine réside dans l’emploi de la coupole comme partie architectonique, avec toutes les conséquences résultant de ce mode de construction.

La coupole n’était pas une forme nouvelle. Les Romains la connaissaient de longue date puisqu’ils avaient sous les yeux, à Rome, le temple rond du Panthéon et le Caldarium des Thermes d’Antonin Caracalla, modèles achevés d’architecture, aussi admirables par les savantes combinaisons de leur structure que par la magnificence de leur décoration. Les anciens Romains ou les nouveaux Byzantins connaissaient également, par leurs relations suivies avec les peuples de l’Orient et de la Perse, alors dans tout l’éclat de leur prospérité et de leur civilisation, la coupole asiatique sur pendentif; mais on ne l’avait appliquée jusque-là qu’à des édifices de petites dimensions comme des chapelles ou des baptistères.

Cependant des essais avaient été faits sur de plus grandes dimensions et la coupole de Saint-Georges à Ezra, dans la Syrie centrale, est un des exemples les plus intéressants de ce genre de construction. La coupole d’Ezra, bâtie dans les premières années du VIᵉ siècle, a environ dix mètres de diamètre; il faut noter que le plan de Saint-Georges d’Ezra étant octogone, il était plus facile de passer de l’octogone à la coupole circulaire que d’élever celle-ci sur un plan carré, racheté par des pendentifs. Toutefois, l’exemple n’en est pas moins des plus instructifs.

Mais, lorsque la coupole devint le principe même de la construction, les difficultés s’accrurent en raison de la dimension agrandie des édifices. L’une de ces difficultés fut de concilier la nouvelle architecture avec les formes rectangulaires nécessitées par les services du culte chrétien. On commença par supprimer les colonnades de la basilique latine ou des anciens édifices à coupoles de l’antiquité païenne et chrétienne; on les remplaça par de puissants piliers au-dessus desquels on banda de grands arcs dont les vastes ouvertures sont les quatre côtés d’une croix dont la coupole est le centre. Dans ces grands arcs formant l’ossature de l’édifice, comme dans les thermes romains, les colonnes ne sont plus que des subdivisions; elles ne servent plus qu’à soutenir les arcades des tribunes ou à séparer les galeries secondaires.

La coupole repose ainsi directement sur le sommet des quatre arcs élevés sur plan carré, reliés par des pendentifs sphériques appareillés normalement à la courbe, rachetant le carré—c’est-à-dire passant du plan carré de la naissance des arcs au plan circulaire couronnant leurs clefs—et reportant les charges de la coupole hémisphérique sur les quatre piliers.

Afin de contrebuter ces grands arcs sur lesquels agissent d’énergiques poussées verticales, on appuya contre eux des voûtes en quart de sphère ou en berceau, et la coupole centrale se trouva ainsi soutenue et maintenue de tous côtés. Elle devient le centre autour duquel sont disposés les demi-coupoles et les berceaux nécessaires pour assurer la stabilité de l’ouvrage; en même temps cette disposition donne à l’édifice de grands espaces qui sont utilisés pour la célébration des offices prescrits par la liturgie chrétienne.

Au point de vue technique, ce nouveau mode de bâtir fit une grande impression sur l’esprit des architectes; il excita leur émulation, il provoqua leurs études sur cette nouvelle forme dont ils pouvaient tirer un si grand parti et surtout sur les règles architectoniques qu’il fallait suivre dans ses applications.

«Dès lors, les basiliques de type latin devinrent l’exception en Orient. La coupole fut comme le thème autour duquel on exécuta des variations nombreuses[22]

Sous Justinien on éleva à Constantinople, mais sur des plans différents, un grand nombre d’églises à coupoles présentant de grandes variétés dans leurs dispositions, notamment un édifice célèbre à cette époque: l’église des Saints-Apôtres, décrite par Procope[23].

L’historien grec, si utile à consulter pour ceux qui cherchent la vérité des faits plutôt que l’expression plus ou moins exacte d’une opinion personnelle, nous donne des détails d’un haut intérêt qui prouvent l’origine orientale de deux célèbres monuments élevés en Occident, reproduisant au XIᵉ siècle les dispositions d’un édifice bâti à Constantinople au temps de Justinien[24].

CHAPITRE XIII

ÉGLISE DES SS. SERGE ET BACCHUS, A CONSTANTINOPLE.—ÉGLISE DE SAINT-VITAL, A RAVENNE.

L’église des SS. Serge et Bacchus fut élevée à Constantinople dans les premières années du VIᵉ siècle, sous le règne de Justinien.

Elle est, parmi les rotondes byzantines bâties en Orient, une des plus remarquables.

«La coupole octogonale est flanquée de quatre niches dont les axes sont à 45 degrés sur ceux de l’édifice. Les renflements ainsi produits font la transition entre l’octogone central et le carré de l’enceinte extérieure; des niches placées aux coins de celle-ci achèvent de compléter cette disposition[25]

La coupole, d’un type fort original, présente, au-dessus des huit pendentifs, seize arêtes saillantes, séparant les uns des autres des fuseaux concaves et formant des pénétrations dans lesquelles de petites fenêtres alternées éclairent et décorent la base de la coupole.

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FIG. 63.—ÉGLISE DES SS. SERGE ET BACCHUS, A CONSTANTINOPLE.

(Coupe longitudinale, de l’abside au narthex.)

Malgré la forme carrée de son mur d’enceinte, l’église des SS. Serge et Bacchus peut être considérée comme une rotonde parce que toutes ses parties sont groupées symétriquement autour d’une coupole à base octogonale.

Le problème d’appliquer cette rotonde aux besoins d’une église chrétienne a été habilement résolu; les niches n’existant que sur les côtés diagonaux de l’octogone intérieur, l’espace central se rapproche du carré et prend une plus grande surface, augmentée par les galeries entourant l’octogone central. C’est un compromis entre le rectangle des églises latines et la rotonde.

L’élévation des travées rappelle encore

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FIG. 64.—ÉGLISE DES SS. SERGE ET BACCHUS, A CONSTANTINOPLE. (Plan.)

les dispositions romaines; les colonnes de l’ordre inférieur, formant comme le soubassement de l’ordonnance générale, sont relevées par un entablement; les arcades de l’étage supérieur forment les pans de l’octogone à l’angle desquels s’élève un pendentif, et elles sont subdivisées chacune par trois arcatures reposant sur des colonnes sans architrave.

L’église de Saint-Vital, à Ravenne, fut fondée en l’année 526 de notre ère, par saint Ecclesius, après un voyage qu’il fit à Constantinople avec le pape Jean Iᵉʳ. Elle paraît avoir été élevée suivant le plan de l’église octogone construite à Antioche par Constantin. Les travaux commencés furent continués d’après les ordres de Justinien, dont les armées venaient de reconquérir une partie de l’Italie, et sous la direction d’un personnage du nom de Julien—Julianus—qui exerçait les fonctions de trésorier—argentarius.

L’édifice achevé, orné de superbes mosaïques, aurait été consacré vers 547 par Maximianus, archevêque de Ravenne—546 à 556—en présence de l’empereur d’Orient Justinien et de l’impératrice Théodora.

La disposition générale de l’église, les détails de sa décoration intérieure donnent à cet édifice un caractère particulièrement intéressant, car nous trouvons pour la première fois un monument franchement byzantin, construit en Occident au commencement du VIᵉ siècle et portant les signes certains qui ont marqué les œuvres des architectes de cette époque.

Les analogies frappantes qui existent entre le plan de Saint-Vital et celui de l’église des SS. Serge et Bacchus, appelée par ses contemporains la petite Sainte-Sophie—et qui a précédé la grande,—ont fait supposer avec raison que le célèbre monument de Ravenne a été construit par des architectes de Constantinople.

Le plan de l’église de Saint-Vital est un octogone ayant 34 mètres de diamètre intérieur, cantonné à l’extérieur de plusieurs tours rondes et terminé à l’est par une grande abside.

L’église est orientée suivant la règle prescrite par le clergé dès le Vᵉ siècle. (Orientation des basiliques chrétiennes, Iᵉʳ partie, chap. V.)

La nef intérieure, de 15 mètres de diamètre, reproduit dans son plan la même forme que le périmètre extérieur; mais chaque pan est agrandi par un exèdre,

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FIG. 65.—ÉGLISE DE SAINT-VITAL, A RAVENNE. (Plan.)

formé par deux colonnes disposées symétriquement sur un arc de cercle communiquant par les entre-colonnements avec la galerie intermédiaire.

Les bas côtés, enveloppant la nef intérieure, sont à deux étages recouverts par des voûtes d’arête; ils établissent la circulation depuis la tribune à l’ouest jusqu’à la travée de l’octogone contenant le sanctuaire à l’est, sur lequel s’ouvrent deux tribunes dans la galerie haute. Le chœur et le sanctuaire sont accessibles, dans la galerie basse et latéralement, par des entre-colonnements qui établissent une communication facile avec

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FIG. 66.—ÉGLISE DE SAINT-VITAL, A RAVENNE. (Coupe longitudinale du narthex (ouest) à l’abside (est).)

les sacristies placées dans les tours vers l’abside.

Ces tribunes étaient, suivant l’usage, réservées aux femmes.

Le porche moderne, qui précède l’édifice, a changé les dispositions anciennes. Le narthex à deux étages, ou porche primitif, n’occupait sur la surface ouest qu’un des côtés de l’octogone; deux tours s’élevaient à chaque extrémité de cet avant-corps; elles contenaient

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FIG. 67.—ÉGLISE DE SAINT-VITAL, A RAVENNE.

(Détails d’une arcade de la galerie haute.)

des escaliers s’ouvrant dans le vestibule du temple et desservant les galeries hautes, éclairées par des fenêtres percées dans le mur extérieur.

L’extérieur de Saint-Vital n’offre plus grand intérêt parce qu’il a été dénaturé par de nombreuses réparations et par l’adjonction du porche moderne placé maladroitement en biais.

A l’intérieur, le principe des églises à coupole est développé avec une puissance de moyens, aussi originaux par la composition et les détails de l’architecture que par la somptuosité de sa décoration appliquée.

Chacune des faces de l’octogone central, soutenu par huit piliers robustes qui portent sur leurs reins la grande coupole, est percée d’une grande arcade. Ces arcades forment sur sept de leurs pans des niches qui viennent se fermer en quart de sphère derrière les grands arcs et qui sont ajourées par deux étages d’arcatures éclairant les galeries hautes et basses. Le huitième pan de l’octogone à l’est s’ouvre dans toute la hauteur de l’arcade afin de laisser voir l’abside et l’autel.

Au-dessus de ces grandes arcades s’élève la coupole hémisphérique, dont la base circulaire se lie à l’octogone par une série de petits pendentifs.—Cette disposition rappelle les moyens employés en 515 par les constructeurs du baptistère de Saint-Georges d’Ezra, dans la Syrie centrale (fig. 39). A la base de la coupole, huit grandes baies géminées, à la manière byzantine, éclairent la partie haute de la nef centrale.

Les détails de la construction attestent la continuité de l’influence romaine; la coupole est construite en poteries noyées dans un mortier très solide, à l’exemple du temple de Minerva medica et du cirque de Maxence. A Saint-Vital, la base de la coupole est bâtie en poteries ayant la forme des amphores antiques, emboîtées les unes dans les autres et posées verticalement; la calotte est faite de même, mais avec des amphores plus petites reliées par du mortier; ces poteries forment une spirale continue, d’une grande légèreté et d’une solidité à toute épreuve.

Les détails de l’architecture et de la sculpture sont également romains, mais interprétés avec une grande rudesse, appréciable surtout dans la sculpture des chapiteaux de forme orientale supportant les arcatures des grandes niches. Cette sculpture est grossière, et le rudiment d’entablement romain qui surmonte ces chapiteaux alourdit inutilement la retombée des arcatures.

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FIG. 68.—ÉGLISE DE SAINT-VITAL, A RAVENNE.

(Vue perspective d’un des exèdres de la galerie basse.)

Mais ce qui distingue surtout l’église de Saint-Vital parmi les édifices byzantins, c’est la somptueuse décoration en mosaïque dont elle fut revêtue du temps de Justinien.

«C’est à Ravenne qu’il faut chercher les plus belles mosaïques byzantines. Rien en ce genre n’égale la décoration de l’abside de Saint-Vital. D’un côté, Justinien entouré de dignitaires et de gardes; de l’autre, Théodora, suivie des femmes de sa cour, offrent des présents à l’église. L’impératrice franchit l’atrium, où se trouve la fontaine sacrée, tandis qu’un serviteur soulève devant elle les voiles suspendus à la porte du temple; son costume est splendide: une large broderie, qui représente l’adoration des mages, orne le bas de sa robe; des joyaux couvrent sa poitrine; de la chevelure pendent sur les épaules des torsades de perles, et un haut diadème couronne la tête ceinte du nimbe[26]

CHAPITRE XIV

ÉGLISE DE SAINTE-SOPHIE, A CONSTANTINOPLE.

Le premier temple de la Sagesse-Divine de Sainte-Sophie fut élevé à Constantinople, en 325, par Constantin. Constantius son fils l’agrandit en 338. Sous le règne d’Arcadius, en 404, un incendie consuma l’édifice, qui fut reconstruit par Théodose en 415 et détruit en 532 par un nouvel incendie.

Justinien, dans la cinquième année de son règne, commença la reconstruction de Sainte-Sophie en donnant au nouvel édifice des proportions beaucoup plus vastes et une magnificence infiniment plus grande. L’église fut réédifiée, sept années après, sur les plans

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FIG. 69.—ÉGLISE DE SAINTE-SOPHIE, A CONSTANTINOPLE.

(Coupe longitudinale, de l’abside à l’atrium.)

d’Anthémius de Tralles, mort en 534 avant d’avoir achevé son œuvre, et d’Isidore de Milet, son collaborateur ou sûrement son successeur, tous deux originaires des provinces d’Asie, où l’architecture s’était développée avec le plus d’originalité du IVᵉ au Vᵉ siècle.

Au mois de décembre 538, on célébra l’achèvement de l’édifice. La moitié orientale de la grande coupole, ébranlée par plusieurs tremblements de terre—l’un en 553 qui dura quarante jours et l’autre en 557, qui détruisit une partie de la ville—s’écroula le 7 mai 558.

Justinien fit reconstruire la coupole et il chargea de ce travail le neveu d’Isidore qui augmenta l’élévation de la coupole afin de diminuer les poussées et donna en même temps plus de solidité aux grands arcs.

L’église fut enfin terminée, somptueusement décorée et inaugurée de nouveau le jour de Noël de l’année 568.

Les historiens signalent encore un écroulement partiel de la voûte en 987, accident qui fut promptement réparé.

Sainte-Sophie de Constantinople doit être considérée comme le type par excellence de l’art byzantin; elle présente le double avantage de marquer l’avènement d’un style nouveau et d’atteindre du même coup à des proportions telles qu’elles n’ont jamais été surpassées ni en Orient ni en Occident.

«Justinien voulut que la nouvelle église dépassât en splendeur tout ce qu’on racontait des anciens édifices les plus célèbres et, en particulier, du temple de Salomon[27]....

«Vue de l’extérieur, Sainte-Sophie ne produit qu’une impression médiocre et la coupole même, si hardie qu’en soit la construction, paraît déprimée. C’est à l’intérieur de l’église qu’il faut pénétrer pour en bien comprendre l’originalité et les splendeurs.»

Le plan de Sainte-Sophie semble procéder de celui de Saint-Serge agrandi, en rappelant surtout les vastes proportions des grandes salles voûtées des Thermes romains; ces deux influences sont visibles, car on voit l’intention bien marquée de combiner la forme allongée de la basilique—comme celle de Constantin (fig. 16 et 17) avec le système concentrique des édifices à coupole—comme celle des SS. Serge et Bacchus (fig. 63 et 64). Les

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FIG. 70.

ÉGLISE DE SAINTE-SOPHIE A CONSTANTINOPLE.

(Plan.)

grands hémicycles transforment le carré central en un ovale et leurs niches secondaires font de cet ovale un rectangle. La nef est accompagnée de galeries étroites de bas côtés qui n’ont pas le caractère de leur fonction. Coupés par les gros piliers en compartiments inégaux et voûtés inégalement, ils ne sont plus que des services sacrifiés. Au-dessus s’étendent les galeries, ou gynécées, réservées aux femmes.

Cet immense ensemble, construit tout en pierres et en marbre, à l’exception des voûtes qui sont faites en matériaux plus légers—en tuiles blanches de Rhodes,—est très pittoresque, mais un peu confus, en raison des dimensions et des formes très variées; il s’étend sur une surface à peu près carrée, mesurant, pour l’église seule, 76 mètres de longueur sur 68 de largeur.

En avant du temple s’étend l’atrium, et du côté de l’église se trouve un double narthex qui communique avec elle par neuf portes.

L’édifice est couvert par des voûtes; une vaste coupole—32 mètres de diamètre—portée sur des pendentifs sphériques reportant la charge sur les piliers, s’élève au centre.

La nef principale, de forme carrée, est allongée par deux hémicycles cantonnés par quatre grandes niches, et dont les voûtes en quart de sphère contrebutent la base de la coupole à l’est et à l’ouest; les deux autres côtés, au nord et au sud, sont maintenus par de puissants contreforts dans l’épaisseur desquels de larges ouvertures forment galerie que des colonnes achèvent de séparer de la grande nef. Les portes et l’abside occupent le fond des hémicycles.

Ce grand vaisseau est éclairé latéralement par un réseau de jours perçant les murs des grands arcs au nord et au midi et, dans la partie supérieure, par quarante fenêtres ménagées à la base de la coupole.

La construction de Sainte-Sophie est une merveille, car nulle part on n’a appliqué avec plus de hardiesse et

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FIG. 71.—ÉGLISE DE SAINTE-SOPHIE, A CONSTANTINOPLE. (Vue perspective intérieure.)

de franchise les principes de construction d’une architecture rationnelle.

Sainte-Sophie est le chef-d’œuvre de l’art byzantin; elle est restée un modèle pour tout l’Orient. On s’est efforcé de l’imiter, tout en le simplifiant, non seulement en Orient, mais encore dans toute l’Europe occidentale, en Italie, en Allemagne et surtout en France où l’art antique et l’art byzantin semèrent les germes d’une architecture qui devait avoir un si grand éclat quelques siècles plus tard.

CHAPITRE XV

ÉGLISE DE THÉOTOCOS, A CONSTANTINOPLE.—ÉGLISE DE SANTA-FOSCA, A TORCELLO (ITALIE).—ÉGLISE DE SAINT-NICODÈME, A ATHÈNES.—ÉGLISE DU MONASTÈRE DE DAPHNI, PRÈS D’ATHÈNES.

L’église de la Mère-de-DieuAgia Theotocos—édifice byzantin bâti à Constantinople dans les dernières années du IXᵉ siècle, rappelle des dispositions presque identiques à celles du prétoire de Mousmieh, bâti par les Romains, dans la Syrie centrale, vers le IIᵉ siècle de notre ère (fig. 6 et 7). Suivant l’usage adopté par les chrétiens grecs, le plan figure une croix grecque composée d’une nef carrée, formant la croisée des quatre bras au-dessus desquels s’élève la coupole principale. La nef centrale est cantonnée de quatre bras: celui de l’est, prolongé pour continuer le chœur et se terminant par une abside majeure accompagnée latéralement de deux galeries terminées chacune par une absidiole; celui de l’ouest, augmenté ou, plus exactement, précédé d’un narthex plus ou moins important, communiquant avec les galeries latérales. La croisée de celle-ci, près du chœur et du narthex, est souvent couronnée par une petite coupole.

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FIG. 72.—ÉGLISE DE THÉOTOCOS, A CONSTANTINOPLE. (Plan.)

Cette disposition—s’accusant par une coupole centrale flanquée de quatre coupoles plus petites aux angles du carré, au-dessus duquel elle s’élève—est très fréquente dans l’architecture byzantine. On sent encore l’influence de Sainte-Sophie que les architectes byzantins ont imitée, tout en simplifiant la construction dans son ensemble et dans ses détails pour des raisons majeures, parmi lesquelles il est permis de supposer que la question des dépenses devait avoir une importance réelle.

On remarque également des modifications apportées par les constructeurs, ayant pour objet d’augmenter la solidité des arcs formant le carré et de diminuer sinon l’importance de la coupole, tout au moins, et peut-être surtout, d’en assurer parfaitement la stabilité.

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FIG. 73.—ÉGLISE DE THÉOTOCOS A CONSTANTINOPLE.

(Coupe longitudinale, de l’abside au narthex.)

On voit aussi que la coupole s’élève davantage audessus des grands arcs et les fenêtres disposées à la base de cette coupole—qui semble annoncer déjà les tours-lanternes romanes—prennent une plus grande importance en décorant et en éclairant même la partie centrale de l’édifice.

La coupole de l’église de Théotocos présente ces caractères particulièrement intéressants. Elle repose sur des pendentifs très accusés, rachetant le carré, au-dessus desquels une couronne de fenêtres sur plan circulaire est fermée par une calotte hémisphérique.

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FIG. 74.—ÉGLISE DE SANTA-FOSCA, A TORCELLO.

(Plan.)

L’appareil de la construction est déjà plus soigné; à l’extérieur, les murs sont bâtis en briques ou, le plus souvent, en assises alternées de briques et de pierres de taille. Ils sont même souvent divisés en grandes bandes horizontales diversement colorées qu’on généralisa en encadrant les fenêtres ou en enveloppant les archivoltes. A l’intérieur, les mosaïques à fond d’or sont remplacées par des marbres ou des mosaïques fort simples ou très souvent par des fresques appliquées sur des enduits préparés avec soin.

 

L’église ou la rotonde de Santa-Fosca, dans l’île de Torcello, près de Venise, présente également une grande analogie, comme plan et comme parti architectonique, avec les dispositions syriennes du prétoire de Mousmieh (fig. 6 et 7).

Elle ressemble surtout à l’église de Théotocos, bâtie à peu près en même temps à Constantinople, vers la fin du IXᵉ siècle (fig. 72 et 73).

L’église de Santa-Fosca se compose d’un carré central de dix mètres de côté environ, surmonté d’une coupole circulaire, entourée sur ses côtés de larges arcs-doubleaux—un

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FIG. 75.—ÉGLISE DE SANTA-FOSCA, A TORCELLO.

(Coupe transversale.)

grand et deux plus petits—retombant sur des colonnes isolées et des pilastres engagés. Ces arcs-doubleaux sur plan carré soutiennent fortement la base circulaire de la coupole.

Les angles rentrants extérieurs du carré sont renforcés par des niches en quart de cercle, qui maintiennent solidement les poussées des trompes intérieures. La coupe (fig. 76) faite sur la diagonale du carré central indique cette ingénieuse disposition.

Dans le quatrième côté se trouve l’abside, précédée d’un chœur ayant la largeur du grand arc et accompagnée de deux galeries latérales de même largeur que les petits arcs et terminées par des absidioles.

Au XIᵉ siècle, l’église a été agrandie par la construction

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FIG. 76.

ÉGLISE DE SANTA-FOSCA,
A TORCELLO. (Coupe diagonale.)

 

FIG. 77.

ÉGLISE DE SAINT-NICODÈME,
A ATHÈNES. (Plan.)

d’une galerie ouverte enveloppant les trois côtés de l’édifice.

La coupole est remarquable par les détails de sa construction; elle ne repose pas sur des pendentifs franchement accusés comme à l’église de Théotocos à Constantinople. Pour racheter le carré, les architectes de Torcello ont construit, dans les angles du carré central, des trompes superposées, transformant le carré en octogone, de sorte que les pendentifs—entre les pans de l’octogone—ont peu d’importance et se trouvent

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FIG. 78.—ÉGLISE DE SAINT-NICODÈME, A ATHÈNES.

(Coupe longitudinale, du narthex à l’abside.)

noyés dans le blocage formant la calotte de la coupole hémisphérique. Celle-ci n’est pas accusée extérieurement; elle est couverte par une charpente comme à Saint-Vital, à Ravenne (fig. 66).

A Athènes, l’une des plus grandes églises est celle de Saint-Nicodème, bâtie vers le Xᵉ siècle suivant les

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FIG. 79.—ÉGLISE DU MONASTÈRE DE DAPHNI, PRÈS D’ATHÈNES[28]. (Plan.)

principes de l’art byzantin modifié par les constructeurs grecs.

L’édifice est couronné dans la nef centrale carrée par une seule coupole circulaire dont la base, décorée de fenêtres, rappelle celle de Théotocos à Constantinople; mais le parti pris pour racheter le carré est différent. L’architecte, n’ayant pas osé construire sa coupole sur quatre pendentifs ou cherchant un effet nouveau, l’a établie sur quatre grandes niches ou, plus exactement, sur quatre trompes, faisant passer le plan du carré à l’octogone et de l’octogone au plan circulaire par huit tympans gauches, élevés sur l’extrados des huit arcs (coupe longitudinale, fig. 80).

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FIG. 80.—ÉGLISE DU MONASTÈRE DE DAPHNI, PRÈS D’ATHÈNES. (Coupe longitudinale.)

L’abside et deux absidioles s’ouvrent sur le côté oriental du côté central. Celui-ci est entouré de bas côtés voûtés supportant une galerie, également voûtée, destinée aux femmes.

L’édifice présente cette particularité qu’il est couvert par une terrasse au-dessus de laquelle s’élève la coupole percée à sa base d’une couronne de fenêtres s’ouvrant au-dessus de la toiture.

A l’intérieur, des mosaïques décorent les murs et la coupole, des plus curieuses pour l’étude de l’iconographie chrétienne grecque.

L’église du monastère de Daphni, élevée vers le IXᵉ siècle, à 10 kilomètres d’Athènes, est, parmi les édifices religieux bâtis par les Grecs, celui qui rappelle le

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FIG. 81.—ÉGLISE DU MONASTÈRE DE DAPHNI, PRÈS D’ATHÈNES.

(Détail des trompes et pendentifs de la coupole.)

plus les traditions byzantines, si complètement caractérisées à Sainte-Sophie de Constantinople.

Comme l’église de Saint-Nicodème, elle consiste en une nef centrale carrée, surmontée d’une coupole qui repose sur des trompes dont la figure 81 donne les curieuses dispositions. Sur le côté oriental de la nef s’ouvrent l’abside principale et deux absidioles couvertes par des voûtes d’arête; le fond de ces absides et absidioles, à pans à l’extérieur, est semi-circulaire à l’intérieur et couvert par des voûtes en quart de sphère.

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FIG. 82.—ÉGLISE DU MONASTÈRE DE DAPHNI, PRÈS D’ATHÈNES. (Façade latérale.)

A l’extérieur, les murs sont construits en pierre, dont les assises et les joints sont marqués par des rangées de briques; à l’intérieur, les voûtes sont en briques et elles étaient décorées de brillantes mosaïques.

CHAPITRE XVI

CHAPELLE DU PALAIS DE CHARLEMAGNE, A AIX (ALLEMAGNE).—ÉGLISE DE GERMINY-DES-PRÉS (FRANCE).—ÉGLISE DE LA MARTORANA, A PALERME (SICILE).

La chapelle palatine d’Aix fut élevée par Charlemagne à la fin du VIIIᵉ siècle: un moine de Fontanelles (saint Wandrille) en dirigea les travaux et le pape Léon III en fit la consécration le jour des Rois de l’année 804.

«Aucun des édifices chrétiens, élevés depuis l’achèvement de Sainte-Sophie de Constantinople jusqu’au IXᵉ siècle, ne fut l’objet, de la part de son fondateur, d’autant de sollicitude que Notre-Dame d’Aix-la-Chapelle. Imitant ce qu’avait fait Justinien pour Sainte-Sophie, Charlemagne fit venir de Trèves, de Rome, de Ravenne, les matériaux précieux destinés à son palais et à la chapelle attenante. Dans l’église, les portes et les balustrades encore existantes sont en bronze; la coupole était revêtue de mosaïques[29]

La rotonde carolingienne d’Aix procède évidemment de la rotonde byzantine de Ravenne. Comme celle-ci, Notre-Dame d’Aix-la-Chapelle se compose d’une salle centrale octogone de 14ᵐ,50 de diamètre, voûtée en coupole et entourée de bas côtes de 6ᵐ,30 de largeur, ou galeries à deux étages largement ouvertes sur le vaisseau central (fig. 84).

Le porche, à deux étages, est identique à celui de Ravenne; deux tours placées de chaque côté contiennent les escaliers conduisant à une tribune qui communique avec les galeries hautes contournant la nef.

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FIG. 83.

CHAPELLE DU PALAIS DE CHARLEMAGNE
A AIX-LA-CHAPELLE. (Plan.)

La différence existant entre les deux rotondes tient à la forme des voûtes et aux dispositions de celles qui les enveloppent. A Ravenne, la coupole sphérique se raccorde par une série de pendentifs avec les parois octogones du tambour. Dans la chapelle d’Aix, la rotonde est octogone comme son appui. Mais la diversité des formes et du système de construction apparaît surtout dans les galeries du pourtour, qui sont dans la chapelle palatine mieux liées aux supports de la coupole et, par elles-mêmes, beaucoup mieux disposées qu’elles ne le sont à Saint-Vital.

Dans la chapelle palatine d’Aix, les supports de la coupole sont relativement frêles et la masse des maçonneries est reportée jusqu’à l’enceinte; celle-ci forme un polygone de seize côtés, se combinant avec l’octogone par une série de voûtes alternativement carrées ou triangulaires. Des arcs-doubleaux, retombant sur des dosserets engagés dans les piliers ou le mur d’enceinte, forment

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FIG. 84.—CHAPELLE DU PALAIS DE CHARLEMAGNE,
A AIX-LA-CHAPELLE
(ALLEMAGNE). (Coupe longitudinale.)

seize arcs-boutants et répartissent sur celui-ci la poussée de la coupole (fig. 85).

Les galeries basses sont voûtées d’arêtes, sur lesquelles est établi le sol des galeries hautes; celles-ci sont couvertes par des voûtes légères en berceau rampant, sur lesquelles est posée directement la toiture composée de dalles, de pierre ou de terre cuite, ou peut-être même de feuilles de plomb ou de bronze.

Si les monuments à date certaine méritent de fixer l’attention des archéologues, ceux qui ont été élevés par Charlemagne ou de son temps, et dont les origines sont connues, doivent être particulièrement étudiés en raison de l’influence considérable qu’ils ont eue, certainement et directement, sur l’architecture romane.

Nous avons vu la chapelle palatine d’Aix, en Allemagne, le plus important des édifices construits par Charlemagne; nous devons citer une église bâtie en France, à la même époque que l’église d’Aix-la-Chapelle, c’est-à-dire dans les premières années du IXᵉ siècle: l’église de Germiny-des-Prés. Elle est des plus curieuses, parce qu’elle a tous les caractères des églises byzantines bâties, avant le IXᵉ siècle, à Constantinople, ou au commencement de ce siècle à Athènes; elle présente en même temps une grande analogie avec un édifice antique: le prétoire de Mousmieh (fig. 6 et 7), dans la Syrie centrale, construit par les Romains au IIᵉ siècle de notre ère.

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FIG. 85.—CHAPELLE DU PALAIS DE CHARLEMAGNE, A AIX-LA-CHAPELLE (ALLEMAGNE). (Coupe transversale.)

Suivant les écrits du moine Létolde, qui vivait au Xᵉ siècle, Théodulphe, évêque d’Orléans, après avoir été abbé de l’abbaye de Saint-Benoit-sur-Loire, fit construire, en 806, l’église Germigny-des-Prés ou Germiny-des-Prés. (Plutôt Germiny, car d’après d’anciens auteurs cette église est dite des saints Ginevra et Germinus.)

Elle se compose, comme les édifices que nous connaissons

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FIG. 86.—ÉGLISE DE GERMINY-DES-PRÉS (FRANCE). (Plan.)

déjà dans la Syrie centrale et en Orient, d’une nef centrale sur plan carré, couronnée par une voûte annulaire très légère, maintenue par les murs s’élevant au-dessus pour assurer sa stabilité et recevoir la toiture en charpente.

Autour de la nef quatre bas côtés égaux forment un carré cantonné par trois—et peut-être quatre—absides, la principale à l’est et les deux ou trois secondaires aux trois autres points cardinaux. Les bas côtés, montant au-dessus des absides, sont couverts par des voûtes

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FIG. 87.—ÉGLISE DE GERMINY-DES-PRÉS (FRANCE). (Coupe transversale.)

(fig. 87) au-dessus desquelles s’élève encore la nef centrale, percée sur chacune de ses faces d’une petite fenêtre éclairant la partie supérieure qui conserve sa forme carrée.

Les trois—ou quatre—absides sont voûtées en quart de sphère; l’abside principale, à l’est, est ornée d’arcatures et la voûte de l’hémicycle est décorée de mosaïques à fond d’or. La partie haute de la nef centrale est couverte de stuc et tout l’édifice est bâti avec soin en pierres de petit appareil.

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FIG. 88.—ÉGLISE DE LA MARTORANA A PALERME (SICILE). (Plan.)

La disposition de la nef centrale s’élevant en s’étageant au-dessus des bas côtés égaux et des absides est intéressante à retenir, pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’elle est une réminiscence évidente des coupoles latines, byzantines ou grecques, comme celles du prétoire de Mousmieh et de Saint-Georges d’Ezra dans la Syrie centrale (fig. 6, 7, 39, 40); du baptistère de Novare (fig. 26, 27); de Saint-Vital de Ravenne (fig. 67, 68, 69); des églises des saints Serge et Bacchus, de Sainte-Sophie et de Théotocos à Constantinople (fig. 64, 65, 70, 71, 72, 73, 74); de l’église de Santa-Fosca à Torcello (fig. 75, 76 et 77); de Saint-Nicodème et de Daphni à Athènes (fig. 78 à 83); et de l’église d’Aix-la-Chapelle en Allemagne (fig. 84 à 86). Puis, parce

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FIG. 89.—ÉGLISE DE LA MARTORANA, A PALERME (SICILE). (Coupe longitudinale.)

qu’elle est une innovation et que le mode de construction rationnelle est beaucoup plus simple et moins coûteux que celui des coupoles.

Et enfin, parce qu’elle est une des premières applications en France de la tour-lanterne[30] s’élevant au-dessus de l’autel principal sur la croisée formée par la nef, les

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FIG. 90.—ÉGLISE DE LA MARTORANA A PALERME (SICILE). (Vue perspective intérieure.)

deux bras du transsept et le chœur, suivant un système de construction dont nous avons établi la filiation et qui, à partir du Xᵉ siècle, devait prendre, en se perfectionnant, un développement extraordinaire.

 

L’église de Sainte-Marie de l’Amiral à Palerme, fondée par l’amiral Roger, fils de Tancrède de Hauteville, fut cédée par Alphonse d’Aragon à un couvent de femmes, au XVᵉ siècle, et prit à cette époque le nom de la Martorana.

Bien qu’il ait été construit par les Normands dans les premières années du XIIᵉ siècle, cet édifice présente tous les caractères des églises byzantines bâties par des architectes grecs, au IXᵉ siècle, à Torcello, à Constantinople et à Athènes.

Il rappelle particulièrement les dispositions de l’église de Théotocos à Constantinople (fig. 72, 73). La principale différence existant entre cette église et celle de la Martorana réside dans la forme des arcs, brisés dans celle-ci, tandis qu’ils sont plein cintre en Italie, à Constantinople et en Grèce.

La décoration de la Martorana empruntant aux Byzantins, aux Arabes et aux Normands des détails caractéristiques, semble résumer l’histoire de la Sicile au moyen âge.

CHAPITRE XVII

INFLUENCE DE L’ART BYZANTIN SUR L’ARCHITECTURE EN ORIENT ET EN OCCIDENT.—L’ARCHITECTURE DU VIIᵉ AU XIᵉ SIÈCLE.

L’art byzantin, qui s’était si grandement manifesté par les superbes ouvrages de Justinien, exerça, dès son origine, une influence considérable qui s’étendit plus tard sur tout l’Occident, mais qui fut générale en Orient surtout pendant la prospérité de l’empire grec, expirant avec le VIIᵉ siècle, épuisé par ses victoires autant que par les attaques des Perses.

On peut suivre la tradition byzantine dès les premiers temps de l’empire arabe. Depuis le commencement de l’hégire, en 622, jusqu’au moment où ils purent donner à leur art un caractère particulier, les musulmans, les adversaires les plus acharnés du christianisme et de l’empire grec ont fait à l’art de leurs ennemis, à l’art byzantin, des emprunts qu’il est facile de constater.

Quand les Arabes étendirent par leurs conquêtes la domination musulmane depuis l’Asie-Mineure jusqu’aux Pyrénées, l’art n’existait chez eux que sous les formes les plus rudimentaires.

De même que les chrétiens établirent leurs premiers autels dans les basiliques civiles de Rome, les musulmans conservèrent, dans les pays conquis, les monuments religieux: ils les modifièrent, puis ils construisirent des édifices nouveaux, disposés selon leurs prescriptions religieuses; mais leur architecture a conservé les traits particuliers de son caractère originel, à l’influence duquel ils ne pouvaient se soustraire.

«En Syrie, les Arabes ne se préoccupent pas tout d’abord de construire des mosquées; ils enlèvent au Christ ses églises et les consacrent à Allah. Parfois, pendant quelques années, les deux cultes vivent côte à côte dans un même édifice[31].» Il en fut de même en Espagne, et les historiens de l’art arabe y distinguent dans ce pays une première période byzantine qui s’étend jusque vers la fin du Xᵉ siècle. Entre les califes de Cordoue et les empereurs de Constantinople les relations étaient continues; les savants, les artistes grecs accoururent en Espagne. Aussi les anciens édifices de Cordoue portent-ils la marque de cette influence étrangère si nettement accusée dans la célèbre mosquée de Cordoue élevée par Abdérame vers la fin du VIIᵉ siècle.

Au moyen âge, sous les rois de la première race et, par conséquent, bien avant Charlemagne et les pèlerinages de l’an 1000[32], des relations existaient entre l’Occident et l’Orient où Byzance exerçait une attraction si puissante que les princes de France, de Germanie et d’Italie y envoyaient sans cesse des ambassades.

Un grand nombre de pèlerins de tous les pays occidentaux visitaient les Lieux Saints et, allant ou revenant par Constantinople, propageaient en Europe, par le récit des splendeurs de la civilisation byzantine et la description de ses admirables monuments, l’enthousiaste désir d’égaler les peuples d’Orient; des moines grecs, qui étaient venus s’établir dans le sud de l’Italie, à Rome, en France et en Allemagne, contribuèrent puissamment à entretenir ces idées et à les développer.

A l’époque mérovingienne, des colonies syriennes existaient déjà dans le centre de la France et il n’est pas douteux qu’elles apportèrent avec elles les traditions monumentales de la Syrie centrale, qui germèrent si bien et que l’on trouve si nettement marquées dans l’ancienne province d’Aquitaine.

Le commerce maritime entre l’Occident et l’Orient contribua également à étendre les relations qui s’étaient établies entre ces pays, non seulement par l’échange de leurs marchandises, mais encore par l’acquisition des étoffes, des bijoux, des ivoires sculptés, en un mot, des objets d’art, créés en Orient avec une si habile facilité, dont l’Occident commençait à sentir le besoin, mais qu’il ne savait pas encore produire.

L’influence byzantine s’est exercée certainement en Italie; elle est moins sensible dans le nord de ce pays en raison de sa division en un grand nombre d’États ou de villes, aussi différents les uns des autres par leurs conditions respectives au point de vue politique qu’à celui des arts.

Sous le pontificat de Grégoire le Grand, pape malgré lui, en 590, on éleva beaucoup moins d’édifices qu’avant ou après cette époque. Saint Grégoire, sans négliger la puissance temporelle du Saint-Siège, se servit de son pouvoir pour fortifier la papauté, propager le christianisme, améliorer la discipline et l’organisation de l’Église. Affermi par lui-même, il propagea le christianisme, l’orthodoxie et convertit les païens en Sicile, en Sardaigne, à Terracine, aux portes de Rome, et même dans la Grande-Bretagne qui était encore livrée tout entière à l’idolâtrie.

Les instructions que saint Grégoire le Grand donnait à ses représentants leur recommandaient de conserver les monuments existants, quels qu’ils fussent. Il écrivait, en 596, au moine Augustin—plus tard archevêque de Cantorbéry—qu’il avait envoyé dans la Grande-Bretagne à la tête de quarante missionnaires romains: «Il faut se garder de détruire les temples des païens, il ne faut détruire que leurs idoles, puis faire de l’eau bénite, en arroser l’édifice, y construire des autels et y placer des reliques. Si ces temples sont bien bâtis, c’est une chose bonne et utile qu’ils passent du culte des démons au culte du vrai Dieu; car, tant que la nation verra subsister ses anciens lieux de dévotion, elle sera plus disposée à s’y rendre, par un penchant d’habitude, pour adorer le vrai Dieu[33]

«Dans le sud de l’Italie, le rôle de Byzance est évident. Pendant plusieurs siècles, toute une partie de cette contrée se rattacha à l’empire de Constantinople par la religion, par l’administration, par la langue même: l’antique Grande-Grèce méritait toujours ce nom. Même la querelle des Iconoclastes qui détacha de l’Orient le reste de l’Italie, dans le sud fortifia l’hellénisme; les partisans des images s’y réfugièrent en grand nombre et les empereurs grecs ne les inquiétèrent pas.

«En Sicile, où la domination musulmane, succédant à celle des empereurs d’Orient, a précédé de plus de deux siècles l’établissement des Normands, l’art byzantin et l’art arabe se mêlent en même temps qu’y pénètrent des influences occidentales[34].» Les formes de l’église grecque s’y combinent avec celles de la basilique latine et parfois apparaît la coupole sur pendentifs, comme à Sainte-Marie de l’Amiral à Palerme—plus tard nommée la Martorana par Alphonse d’Aragon (fig. 88 à 90).

«A l’autre extrémité de l’Italie, Venise est une ville grecque. Sa prospérité s’est accrue à mesure que déclinait celle de Ravenne[35].» Venise sut maintenir son indépendance entre les Lombards et les Francs, et la suzeraineté nominale des empereurs grecs qu’elle affecta de reconnaître fut la condition même de sa fortune. Aussi les monuments vénitiens, entre autres, Santa-Fosca à Torcello et Saint-Marc à Venise, rappellent-ils ceux de Constantinople.

Les églises bâties en Grèce, du IXᵉ au Xᵉ siècle, portent, dans leurs dispositions générales, aussi bien que dans les détails de leur construction, les marques de l’architecture byzantine.

Les églises de Saint-Nicodème et celle du monastère de Daphni, élevées à Athènes, ou près de cette ville, au Xᵉ siècle, ressemblent par leur plan et leur architecture à l’église de la Mère de Dieu—Agia Théotocos,—bâtie vers le IXᵉ siècle à Constantinople et à celle des SS. Serge et Bacchus qui remonte au VIᵉ siècle.

En Russie, l’action de l’art byzantin a commencé avec le christianisme grec. Jusqu’au Xᵉ siècle les Russes ne connaissaient guère que les constructions en bois. Ce furent des architectes byzantins qui élevèrent les premières églises en pierre et des peintres byzantins qui les décorèrent. Mais l’art russe prit rapidement un caractère particulier et les éléments grecs se mêlèrent à d’autres, d’origine orientale, occidentale et asiatique; la coupole ne repose plus sur des pendentifs sphériques, mais sur une série d’arcs ou de trompes superposés passant du carré au cercle; sa forme extérieure devient bulbeuse et l’architecture, tout en montrant encore des réminiscences perses ou indiennes, prend bientôt le caractère original qu’elle a heureusement conservé.

L’influence byzantine s’est manifestée en Allemagne dès le VIIIᵉ siècle et il est permis de croire que Charlemagne y contribua puissamment. «Les Carolingiens étaient en relations continues avec les empereurs de Constantinople[36]». On sait que des objets d’art parvenaient de Byzance en Occident; un évêque de Cambrai, Halitcharius, envoyé comme ambassadeur à Constantinople, en rapportait des ivoires sculptés; les tissus orientaux étaient fort recherchés, laïques et clercs aimaient à s’en parer, et des fragments s’en rencontrent encore dans les tombes et les châsses du temps.

On sait également que la chapelle du palais de Charlemagne, à Aix, commencée à la fin du VIIIᵉ siècle et terminée dans les premières années du IXᵉ, a été inspirée de l’église de Saint-Vita à Ravenne, construite au commencement du VIᵉ siècle, à l’imitation du Temple d’or, bâti à Antioche par Constantin, et qui passe avec raison pour être un exemple parfait de l’art byzantin. (Voir à ce sujet les figures 66 et 67 concernant Saint-Vital de Ravenne, qu’il est intéressant de comparer avec les figures 83, 84 et 85, relatives à l’église d’Aix-la-Chapelle.)

Un grand nombre d’églises s’élevèrent dans la vallée du Rhin; on y peut suivre, sinon par la reproduction exacte des plans et des formes, du moins par le mode de construction, la tradition byzantine des architectes d’Aix-la-Chapelle.

«En 972, le fils d’Otton Iᵉʳ, le futur Otton II, épousait une princesse grecque, Théophano[37].» Avec elle des artistes byzantins arrivèrent, dit-on, en Germanie et initièrent les Allemands à la connaissance de leur art et de leur mode de construire.

En France, l’art byzantin a laissé moins longtemps qu’en Italie ses traces originelles; mais son influence est visible dans les deux pays et les grandes églises de Venise et de Périgueux, à peu près contemporaines, attestent toutes les deux leur filiation orientale. Seulement la même idée s’est traduite différemment dans les deux pays; en Italie, Saint-Marc est la copie d’une œuvre byzantine[38] construite selon les méthodes romaines; il est resté une importation, une œuvre unique ou à peu près, qui n’a eu que fort peu de rayonnement autour d’elle.

Tandis qu’en France, Saint-Front reproduit bien les dispositions de son modèle oriental[39], sa construction est toute différente et manifeste une plus grande science dans l’art de bâtir.

Les architectes aquitains, qui possédaient de longue date les traditions syriennes, s’assimilèrent les procédés de l’art byzantin, comme ils s’étaient déjà familiarisés avec ceux de l’antiquité romaine. Ces divers éléments, perfectionnés par eux et appropriés à leur mode de construction dans lequel la pierre se montre dans toute la simple beauté de ses combinaisons savamment appareillées, formèrent bientôt un art de bâtir, nouveau en Europe après l’an 1000.

Cet art nouveau, ayant un caractère personnel, original, exerça à son tour une influence très considérable sur l’architecture romane et il fut certainement une des causes principales du développement extraordinaire qu’elle prit dès la première moitié du XIᵉ siècle.

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L’ARCHITECTVRE ROMANE

IIᵉ PARTIE

HISTOIRE ET CARACTÈRES DE L’ARCHITECTURE ROMANE

Baptistères ou Chapelles rurales et funéraires

Églises de forme basilicale

Églises rondes ou polygones

Églises voutées

CHAPITRE PREMIER

DÉFINITION ET CARACTÈRES DU ROMAN.

L’architecture romane procède de l’art romain et de l’art byzantin, certainement et directement. Suivant Quicherat, «l’architecture romane est celle qui a cessé d’être romaine, quoiqu’elle tienne beaucoup du romain, et qui n’est pas encore gothique, quoiqu’elle ait déjà quelque chose de gothique[40]». Selon Viollet-le-Duc: «Dans l’architecture romane occidentale, à côté des traditions latines persistantes, on trouve presque toujours une influence byzantine évidente par l’introduction de la coupole» et, autre part, il dit encore: «Jusqu’au XIᵉ siècle les établissements religieux, grands centres d’art, ne faisaient que suivre les traditions romaines[41].» Donc il était nécessaire de connaître d’abord l’art romain, ou tout au moins l’époque qui doit être marquée comme au point de départ; puis l’art byzantin qui fut une si brillante transformation.

En résumé, pour définir l’architecture romane, il était indispensable d’étudier l’art romain et l’art byzantin qui l’ont engendrée; on peut suivre alors sa filiation qui s’établit jusqu’à l’évidence même; c’était ce qu’il fallait démontrer et ce qui donne une grande importance à la première partie de ce volume.

Il ne faut pas oublier, d’ailleurs, que c’est seulement en 1825 qu’un baptême archéologique donna à l’une des périodes de l’histoire de l’art le nom sous lequel elle est désignée depuis cette époque: l’architecture romane[42].

Cette période n’en existait pas moins avant ce nouvel état civil, pour ainsi dire; elle est même considérée avec raison comme l’une des évolutions les plus importantes de l’art, mais dont les commencements se confondent avec les manifestations d’évolutions antérieures.

Il était donc indispensable de bien connaître l’art romain et l’art byzantin puisqu’ils sont les antécédents certains de l’art roman, ou plutôt de l’architecture romane.

 

Les constructeurs romans ont imité les Romains et les Byzantins, comme ceux-ci avaient suivi plus ou moins fidèlement les traditions monumentales que leurs prédécesseurs leur avaient transmises.

Il n’y a pas de démarcation aussi nettement tranchée, ni de classification aussi étroitement radicale que celles qui ont été inventées par certains archéologues, s’efforçant de prouver que le caractère des constructions romanes est déterminé définitivement par l’appareil et l’ornementation.

Ils mesurent minutieusement les monuments en s’arrêtant surtout aux détails d’où ils tirent des conclusions erronées en décrivant la taille des pierres ou en analysant les mortiers qui les relient. Ils dissèquent, pour ainsi dire, les moulures des corniches et des corbeaux, les sculptures des bandeaux, des frises et des chapiteaux; mais tous ces détails si péniblement étudiés et si laborieusement réunis ne donnent pas la physionomie exacte de l’ensemble.

En effet, les constructions romanes, qu’elles aient été faites avec toute la perfection possible ou qu’elles aient été grossièrement traitées, portent toutes la marque visible de l’appareil romain, preuve certaine de la puissance des traditions, si fortes qu’elles entraînaient les constructeurs romans à imiter les pratiques romaines, même dans ce qu’elles avaient de plus naïvement pittoresque, car on exécute encore au XIᵉ siècle des revêtements réticulés ou en arêtes de poisson, ainsi que des chaînes en poteries ou en galets dans les maçonneries faites à la romaine.

L’ornementation romane est également imitée de l’antique; les moulures et les sculptures accusent ou décorent les membres d’architecture aux mêmes points où les Romains avaient coutume d’appliquer ces ornements ou, plus exactement, ces accents caractéristiques.

La différence n’existe souvent que dans l’exécution des ouvrages, grossièrement ou maladroitement imités dans les pays du nord ou traités, dans les régions du midi de l’Europe, avec une si grande perfection qu’ils arrivent à ressembler complètement aux édifices bâtis par les Romains.

Il faut remarquer que l’appareil est souvent peu apparent parce qu’il est recouvert d’un enduit ou d’un badigeon épais et que la décoration sculpturale fait complètement défaut, soit par suite de la simplicité de l’édifice, soit parce que des peintures murales ont remplacé, dès l’origine, les ornements plastiques. Dans tous les cas, ces détails n’ont qu’une valeur relative, car ils ont été employés aussi bien par les architectes romains que par les constructeurs romans qui les ont imités.

«Tout cela ne constitue pas l’architecture romane qui n’est qu’une manière d’être particulière de la construction et dont le caractère ne peut tenir qu’aux dispositions fondamentales des édifices et aux lois d’après lesquelles les pleins et les vides s’y montrent combinés[43]

Le principal caractère de l’architecture romane, c’est la voûte.

Les Romains connaissaient la voûte, et trois des formes qu’ils avaient employées furent appliquées par les romans: la voûte en berceau, la voûte d’arête et la coupole.

Les basiliques romaines étaient lambrissées, couvertes par une charpente apparente formant tout à la fois le plafond et la toiture de l’édifice.

Les premières basiliques chrétiennes, bâties à la romaine, furent une imitation de cette disposition; mais le contraste entre les deux architectures et le point de départ de toutes les différences qui les séparent se manifestent par l’application de la voûte.

«Les églises romanes sont voûtées, couvertes sous leur toiture par des constructions de formes diverses où les pierres sont tenues enchaînées dans le vide[44]

La voûte exerçant un effort énergique et continu sur les murs latéraux ou pieds-droits, qu’elle tend à renverser, il fallait élever des murs assez épais pour neutraliser les poussées, diminuer la largeur et la hauteur pour résister aux efforts de la progression des forces et, par conséquent, alourdir l’architecture, raréfier les jours et obscurcir le vaisseau. Au contraire, la basilique romaine, dont la charpente, couvrant la grande nef et les bas côtés, n’avait aucune action de déversement sur les pieds-droits, était largement ouverte et éclairée. Les murs latéraux, formés de colonnades et d’arcades, n’ayant à supporter verticalement que la partie supérieure elle-même très ajourée, pouvaient être construits avec plus de légèreté et d’élégance.

Il fallut choisir entre ces deux nécessités: conserver la forme basilicale complète ou la modifier, sinon dans son plan, tout au moins dans ses détails de construction par l’adoption du voûtement systématique de l’édifice.

Si les Romains avaient reculé devant une solution aussi radicale, les architectes romans eurent moins de scrupules, en raison de l’urgence pour eux de préserver l’autel chrétien et les saintes reliques des désastres sans cesse occasionnés par l’incendie des toitures.

«Pour le besoin de la voûte, ils sacrifièrent toutes les proportions classiques, épaississant les murailles, resserrant les écartements, réduisant les baies; en un mot, faisant envahir de toutes les façons le vide par le plein[45]

Mais dans cette voie où le goût dont ils manquaient ne pouvait modérer les constructeurs romans, il y eut cependant un moment où le sens commun les avertit de s’arrêter: ce fut lorsque l’envahissement du vide par le plein devint tel que la sonorité de l’édifice était détruite, que la lumière n’y pénétrait plus et que la circulation y était presque impossible. Ils remédièrent à ces inconvénients par des dispositions nouvelles s’appliquant à la construction des voûtes et aux percements des massifs ou pieds-droits.

L’art byzantin exerça également une grande influence sur la construction des édifices religieux, qui se fit sentir dans presque toute l’Europe (Iᵉʳ partie, chapitre XVII); du temps de Charlemagne, la chapelle palatine d’Aix en Allemagne et Germiny-des-Prés, en France, en sont les preuves certaines, mais ses effets ne se manifestèrent généralement qu’à partir du XIᵉ siècle par le voûtement des églises et particulièrement à Saint-Front de Périgueux et à Saint-Marc de Venise.

Jusqu’à cette époque, même pendant la belle période carolingienne, les églises, à l’exception de quelques chapelles ou baptistères voûtés ou des églises dont nous venons de parler, presque toutes les églises sur les bords du Rhin, en Aquitaine, en Bourgogne, en France, étaient en pierre et couvertes en bois.

L’histoire nous en fournit la preuve. «C’est l’universel feu de joie que les Normands firent des temples élevés à si grands frais par les empereurs francs; c’est en même temps la ruine totale qui fut la suite de ces incendies. Si les Normands avaient eu affaire à des édifices voûtés, ils auraient eu beau mettre le feu dedans et dessus, la construction n’aurait éprouvé que des dégâts partiels et, à moins de s’arrêter à démolir, ce qu’ils ne faisaient guère, ils n’auraient pas vu tomber les massifs, tandis qu’au contraire, s’attaquant à des vaisseaux plafonnés, il leur suffisait de mettre le feu à la menuiserie de l’intérieur pour que la flamme gagnât la toiture. Celle-ci s’effondrait, les colonnes ne tardaient pas à éclater et à entraîner les murs dans leur ruine[46]

La leçon donnée par les Normands ne porta pas ses fruits immédiatement, car on voit encore un grand nombre d’édifices rebâtis, après l’invasion normande, sur le plan basilical. Les chroniques du temps, remplies de récits relatifs aux incendies causés par la foudre, ayant pour conséquence la destruction des églises, prouvent que ces édifices étaient encore couverts en bois.

L’historien Raoul Glaber, moine bénédictin qui vivait à Cluny dans la première moitié du XIᵉ siècle, nous dit: comme la troisième année de l’an 1000 était sur le point de commencer, on se mit par toute la terre, particulièrement en Italie et dans les Gaules, à renouveler les vaisseaux des églises, quoique la plupart fussent assez somptueusement établis pour se passer d’une telle opération. Mais chaque nation chrétienne rivalisait à qui aurait le temple le plus remarquable. On eût dit que le monde se secouait pour dépouiller sa vieillesse et revêtir une robe blanche d’églises. Enfin presque tous les édifices religieux, cathédrales, moûtiers des saints, chapelles de villages, furent convertis par les fidèles en quelque chose de mieux.

«De ce fait si remarquable qu’il a pu frapper un écrivain indifférent, autant qu’on peut l’être, au mouvement des arts, on a saisi depuis longtemps la partie morale. On y a vu une démonstration du sentiment d’espérance qui s’était produit après l’an 1000 dans la chrétienté rassurée sur la durée du monde; on a interprété cette ardeur à refaire partout des édifices religieux comme la preuve de l’empressement que mettaient les hommes à renouveler en quelque sorte l’alliance avec le Créateur, la crainte d’un cataclysme universel s’étant dissipée. C’est quelque chose que de savoir qu’à un certain moment un pareil élan s’est produit; mais le texte de Raoul Glaber dit plus que cela. En effet, quand il explique que des monuments déjà dignes d’approbation étaient jetés par terre pour faire place à d’autres monuments plus louables, il donne à entendre que la génération de l’an 1000 posséda le moyen de faire mieux ou, pour le moins, autrement que les générations précédentes. Il constate donc un progrès de l’art[47]

Ce progrès consiste évidemment dans le voûtement des églises, et ce système fut adopté avec enthousiasme par des peuples amoureux de la nouveauté et qui voyaient là une image de la durée à laquelle ils s’apercevaient que le monde était voué derechef.

L’avènement de l’architecture romane est donc constaté par le passage de Raoul Glaber, c’est-à-dire au commencement du XIᵉ siècle.

Cependant le nouveau système de construction ne fut pas appliqué partout dès l’an 1000, car en 1008, d’après le récit de Raoul Glaber, un légat fut envoyé de Rome pour consacrer l’église de Beaulieu, près de Loches, qui venait d’être bâtie par la libéralité de Foulque Nerra, comte d’Anjou; le jour même de la cérémonie, un ouragan s’engouffra dans l’église et dispersa les lambris du comble qui, avec la couverture entière, furent précipités sur le sol par-dessus le pignon occidental. Ce qui prouve bien que l’église de Beaulieu était couverte en bois à la manière des anciennes basiliques.

D’ailleurs, le nouveau système ne s’est pas appliqué immédiatement dans toute son amplitude; ses effets commencèrent par des essais timides que l’on peut constater en divers pays, notamment en Bretagne et en Normandie, dans les édifices bâtis dans la première moitié du XIᵉ siècle. Les églises de Loctudy, de Fouesnant, de Saint-Melaine, de Lochmaria; les églises abbatiales de Caen (avant les voûtes du XIIᵉ siècle), de Cerisy-la-Forêt, du Mont Saint-Michel, dont les plans rappellent les dispositions basilicales, n’ont de voûtes d’arête que dans les bas côtés; leurs grandes nefs étaient couvertes en bois. La très somptueuse église de Jumièges, qui fut commencée en 1040 et dont les ruines sont une des merveilles de la Normandie, n’a jamais porté, dans sa partie romane, que des lambris sur sa grande nef.

Il faut aussi tenir compte du climat. Dans le même temps ou, dans les pays septentrionaux, on en était encore aux essais timides du nouveau système, les contrées méridionales étaient plus avancées et couvraient déjà complètement leurs édifices par des voûtes. On voit s’élever à Périgueux, dans la première moitié du XIᵉ siècle, une vaste église à cinq coupoles, construite à l’imitation de l’église des Saints-Apôtres de Constantinople, exemple complet d’un art admirable dans lequel on voit les influences byzantines et syriennes réunies comme à souhait, pour imprimer une impulsion nouvelle à l’architecture en apportant à l’art roman un vivifiant concours dont les effets ont été si manifestement féconds dans les siècles suivants.

Afin de faciliter l’étude de l’architecture romane, nous croyons utile d’établir l’ordre suivant pour les édifices présentant un grand intérêt au double point de vue de la construction et de l’archéologie: baptistères ou chapelles rurales et funéraires; églises de forme basilicale; églises rondes ou polygones; églises voûtées, en nous attachant seulement aux grandes divisions et aux caractères principaux de l’architecture. D’ailleurs, les détails concernant les profils, les appareils, la sculpture ont été si bien étudiés par de Caumont, si parfaitement décrits par Quicherat et si admirablement dessinés par Viollet-le-Duc qu’il n’est pas possible de faire plus ni mieux. Les Essais sur l’architecture religieuse du moyen âge, les Fragments d’un cours d’archéologie et le Dictionnaire raisonné de l’architecture française sont, du reste, dans toutes les mains; nos lecteurs y pourront trouver, avec les plus utiles enseignements, tous les détails particuliers que nous croyons inutile de reprendre après les travaux des auteurs que nous venons de citer.

CHAPITRE II

BAPTISTÈRES OU CHAPELLES RURALES ET FUNÉRAIRES.—BAPTISTÈRE DE BIELLA (ITALIE).—CHAPELLES RURALES DE SAINTE-CROIX, A MUNSTER (GRISONS), DE LA TRINITÉ (ILE SAINT-HONORAT DE LÉRINS) ET DE QUERQUEVILLE (PRÈS DE CHERBOURG).—BAPTISTÈRE OU CHAPELLE FUNÉRAIRE DE SAINTE-CROIX DE MONTMAJOUR (FRANCE).

Il existe encore en divers pays de petits édifices anciens fort intéressants: baptistères ou chapelles.

Ces dernières sont sans doute des exemples des petites églises rurales bâties en grand nombre dans les premiers siècles de notre ère et que les textes du temps de Charlemagne désignent sous le nom de Capella[48]; ou bien des oratoires élevés ordinairement dans le charnier des villes ou des grands établissements religieux.

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FIG. 92.—BAPTISTÈRE DE BIELLA (ITALIE). (Plan.)

Si l’on s’en rapportait seulement à la forme de ces petits édifices, on pourrait dire que ce sont des baptistères. On sait que, dans les premiers temps du christianisme, les baptistères étaient séparés des églises[49]; ils avaient diverses formes: ils étaient carrés, octogones ou ils présentaient en plan un trèfle ou un quatre-feuilles; la cuve baptismale était au centre et les absidioles recevaient

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FIG. 93.—BAPTISTÈRE DE BIELLA (ITALIE). (Coupe transversale.)

des autels sur lesquels on disait la messe, afin de donner la communion aux néophytes après le baptême.

Le baptistère de Novare est octogone (fig. 26 et 27), bâti vers le Vᵉ siècle à l’exemple de celui que saint Sylvestre fit élever au siècle précédent près de Saint-Jean-de-Latran. Celui de Biella (fig. 92 et 93), qui date du IXᵉ siècle, donne en plan un quatre-feuilles et il rappelle en élévation les dispositions de Novare.

Suivant certains auteurs, le petit édifice de Sainte-Croix de Montmajour, près d’Arles, qui date des premières années du XIᵉ siècle, serait une chapelle funéraire, sans doute parce qu’elle est entourée de tombes creusées dans le rocher; cependant il faut remarquer que Sainte-Croix présente, aussi bien en plan qu’en élévation, des formes presque identiques à celles du baptistère de Biella, qui est bien désigné par des auteurs anciens comme un édifice ayant eu cette destination dès son origine.

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FIG. 94. CHAPELLE SAINTE-CROIX, A MUNSTER, DANS LES GRISONS (SUISSE).

«L’édifice de Biella consiste dans un étage limité par quatre absides ou grandes niches ouvertes sur les côtés d’un carré central et dans une espèce de tour qui surmonte ce carré et repose sur des arcs-doubleaux construits en tête de niches... La tour attire l’attention par la singularité de ses formes[50].» Des pendentifs furent établis à sa base pour racheter le carré; mais, construits avec timidité ou inexpérience, ils n’ont fait qu’arrondir les angles pour obtenir par une déformation graduelle à peu près la forme hémisphérique de la coupole, surmontée d’un petit campanile de beaucoup postérieur à la construction primitive.

La chapelle de Sainte-Croix à Munster (Grisons) est citée par des auteurs anciens comme un édifice funéraire élevé à l’exemple des chapelles des catacombes: cellæ memoriæ qui servaient aux cérémonies funèbres et commémoratives; cependant ce petit monument, qui date du VIIᵉ siècle, dit-on, et qui présente en plan la réduction d’une grande église, pourrait être un des exemples des petites églises rurales, capella, bâties avant Charlemagne. Elle est formée d’une nef terminée par une abside et accompagnée de deux absidioles donnant à la chapelle la figure d’une croix latine.

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FIG. 95. CHAPELLE DE LA TRINITÉ (ILE SAINT-HONORAT DE LÉRINS) (Plan.)

Il en pourrait être de même pour la chapelle de la Trinité, dans l’île Saint-Honorat de Lérins et celle de Saint-Germain à Querqueville, près de Cherbourg.

La chapelle dédiée à la Sainte-Trinité s’élève à l’extrémité orientale de l’île Saint-Honorat de Lérins, sur les côtes de la Méditerranée.

«Au premier aspect, ce singulier édicule laisse une très grande incertitude sur l’époque de sa construction; mais, après un examen plus attentif, on reconnaît qu’elle doit être de beaucoup antérieure au XIᵉ siècle. Composée d’appareils réguliers posés négligemment, dépourvue de profils, sans la moindre décoration, cette chapelle a paru à tous les archéologues et à tous les architectes qui l’ont visitée jusqu’à présent, pouvoir être

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FIG. 96.—CHAPELLE DE LA TRINITÉ (ILE SAINT-HONORAT DE LÉRINS.) (Coupe longitudinale.)

citée comme l’une des premières qui furent élevées dans la Gaule chrétienne... Ce petit sanctuaire se compose d’une nef recouverte d’une voûte plein cintre, terminée par une abside...; une petite coupole à base circulaire et de forme conique surmonte l’espace compris entre la nef, l’abside et les absidioles[51]...»

Suivant Viollet-le-Duc il n’existerait pas en Occident une coupole plus ancienne que celle de la chapelle de la Trinité, qui paraît remonter au VIIᵉ siècle ou au VIIIᵉ siècle. «Et cet exemple, qui probablement n’était pas le seul, indiquerait que les architectes de ce temps étaient préoccupés de l’idée d’élever des coupoles sur pendentifs; car, à coup sûr, il était vingt procédés plus simples pour voûter la travée principale de cette chapelle, sans qu’il y eût nécessité de recourir à ce moyen. Il y avait là évidemment l’idée d’imiter ces constructions byzantines qui alors passaient pour les chefs-d’œuvre de l’art de l’architecture[52]

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FIG. 97. CHAPELLE DE SAINT-GERMAIN A QUERQUEVILLE (PRÈS DE CHERBOURG). (Plan.)

La chapelle de Saint-Germain à Querqueville, près de Cherbourg, qui aurait été construite vers la fin du XIᵉ siècle, pourrait bien avoir été également une église rurale; sa forme actuelle rappelle celles de Sainte-Croix de Munster et même de la Trinité; cependant la nef est moderne et les amorces existant encore à sa jonction avec la construction ancienne sembleraient indiquer que le quatrième côté était semi-circulaire comme les trois autres et que la chapelle présentait originellement la forme d’un quatre-feuilles.

Le nom du pays, qui par son orthographe rappelle une origine septentrionale, s’écrivait autrefois Kerkeville ou Kerkenville et semblerait indiquer que ce petit édifice était une église rurale.

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FIG. 98.—CHAPELLE DE SAINT-GERMAIN, A QUERQUEVILLE (PRÈS DE CHERBOURG). (Coupe transversale.)

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FIG. 99. CHAPELLE SAINTE-CROIX DE MONTMAJOUR (PRÈS D’ARLES). (Coupe longitudinale.)

Le plan de la chapelle Sainte-Croix de Montmajour est absolument semblable à celui du baptistère de Biella (fig. 92). La seule différence entre ces deux édifices réside dans le narthex ou porche qui précède l’une des absides de la chapelle, laquelle donne en plan un quatre-feuilles.—Au milieu, au-dessus du carré formé par l’intersection des quatre absides semi-circulaires et voûtées en quart de sphère, s’élève une coupole carrée en forme d’arc brisé que surmonte un campanile ouvert sur ses quatre côtés et surmonté lui-même d’une petite coupole carrée (coupe transversale, fig. 99).

Suivant des auteurs modernes, Sainte-Croix devrait être considérée comme une chapelle funéraire; ils s’appuient sur ce fait que les seules fenêtres éclairant la chapelle s’ouvrent sur l’enclos servant de champ de repos. «La nuit, une lampe brûlait au centre du monument et, conformément à l’usage admis dans les premiers siècles du moyen âge, ces trois fenêtres projetaient la lueur de la lampe dans le charnier[53]

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FIG. 100. CHAPELLE SAINTE-CROIX DE MONTMAJOUR (PRÈS D’ARLES). (Plan.)

Nous ferons remarquer à ce sujet que les tombes creusées dans le rocher, en admettant qu’elles soient du temps de la chapelle, existent en avant de l’édifice en bien plus grand nombre que partout ailleurs et que par conséquent la lampe intérieure ne pouvait éclairer le cimetière. Puis, nous insisterons sur l’identité du plan et de la coupe, que l’on peut constater entre le baptistère de Biella et la chapelle funéraire, présumée, de Sainte-Croix de Montmajour,

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FIG. 101.—CHAPELLE SAINTE-CROIX DE MONTMAJOUR (PRÈS D’ARLES). (Vue perspective extérieure.)

ce qui permettrait de dire, sinon d’affirmer, que ce dernier monument était, primitivement, un baptistère qui aurait été affecté plus tard à un autre usage.

Cette chapelle, ou ce baptistère, ressemble par son plan aux églises byzantines; la construction, très savante et très soignée ainsi que les profils, rappelle les monuments antiques si nombreux dans la région.

Il faut noter que cet ouvrage, ainsi que l’église du monastère de Montmajour, ont été bâtis dans les premières années du XIᵉ siècle et qu’à cette époque on peut déjà constater la construction de voûtes en forme d’arcs brisés (vulgairement appelés ogives).

CHAPITRE III

ÉGLISE DE FORME BASILICALE.—ÉGLISE DE VIGNORY.—ÉGLISE DE SAINT-GENOU.—ÉGLISE DE CERISY-LA-FORÊT (FRANCE).

Les premières églises romanes n’eurent qu’une durée éphémère, soit par les vices de leur construction, soit par la précipitation avec laquelle elles avaient été bâties, ou soit encore par l’inexpérience des constructeurs.

Après plus ou moins d’années de service, ces édifices s’écroulèrent ou durent être démolis. Quicherat nous apprend qu’on en sauva ce qu’on put: des pans de murs, une abside, quelques arcades de nef, les cryptes dont la construction s’était effectuée sans sortir des pratiques connues. Les tours étaient dans le même cas, n’ayant que des étages étroits, enfermés entre quatre murs; aussi sont-elles ce qui s’est le mieux conservé des ouvrages de l’an 1000. Il y en a peu, parmi celles qui adhèrent aux anciennes églises, dont la base ne remonte à cette antiquité.

L’étude des monuments démontre l’existence précaire de ces édifices primitifs. Ces faits sont très particulièrement prouvés par les chroniques des cathédrales et des monastères mentionnant, dans le courant du XIᵉ siècle, les mêmes faits d’écroulements partiels ou complets, aussi fréquents, après l’an 1000, que l’avaient été avant cette époque les relations d’incendies.

«Ce fâcheux résultat du travail de la première heure paraît avoir suggéré un compromis, auquel nous devons les monuments du XIᵉ siècle qui se sont le mieux conservés[54]

Telles sont les églises dont certaines parties seulement sont voûtées, tandis que le reste de l’édifice est couvert en bois.

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FIG. 102.—ÉGLISE DE VIGNORY, HAUTE MARNE (FRANCE). (Plan.)

Quelques-uns de ces édifices sont parvenus jusqu’à nous dans leurs dispositions primitives; telles sont les nefs de Jumièges, de Montiérender et l’église de Vignory.

La nef de cette dernière église, réminiscence des basiliques latines, est formée de deux rangées d’arcades en plein cintre, au-dessus desquelles s’élèvent d’autres arcades subdivisées, qui ne sont plus qu’un simulacre traditionnel. A Vignory, ces arcatures supérieures n’éclairent

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FIG. 103.—ÉGLISE DE VIGNORY, HAUTE-MARNE (FRANCE). (Coupe transversale de la nef.)

pas une galerie haute, selon les dispositions des basiliques romaines, et ces arcades superposées s’ouvrent sur les bas côtés, qui n’ont plus qu’un étage.

La nef et ces bas côtés sont couverts par une charpente apparente dont la coupe (fig. 103) indique les dispositions.

A l’extrémité orientale de la nef commence la partie

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