L'Architecture romane

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FIG. 104.—ÉGLISE DE VIGNORY, HAUTE-MARNE (FRANCE). (Vue perspective intérieure.)

voûtée; d’abord par un arc triomphal accompagné de deux autres plus petits, puis par des voûtes latérales en berceau, renforcées par des arcs-doubleaux, et enfin

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FIG. 105.—ÉGLISE DE SAINT-GENOU, INDRE (FRANCE). (Vue perspective de la nef.)

par un berceau entourant le chœur semi-circulaire, voûté en quart de sphère, de même que les trois chapelles cantonnant le pourtour de l’abside. Il est bon de noter que le plan du chœur de l’église de Vignory est semblable à celui de l’église du Saint-Sépulcre de Jérusalem (fig. 119 et 120).

«Dès la fin du Xᵉ siècle, on voit quelquefois les bas côtés conduits tout autour du chœur et du sanctuaire, et communiquer avec lui par des arcades portées sur des colonnes; ces bas côtés durent, dès cette époque, donner asile à quelques chapelles. Au XIᵉ siècle, l’allongement du chœur et ces dispositions devinrent d’un usage général dans les grandes églises. Les bas côtés font le tour du sanctuaire... à l’église de Vignory et dans les grandes églises de Saint-Savin, de Saint-Hilaire de Poitiers[55], etc.»

L’église de Saint-Genou (Indre) a conservé à l’intérieur l’aspect d’une basilique antique, dont elle rappelle en plan les dispositions caractéristiques (fig. 105).

La nef de l’ancienne église du monastère de l’ordre de Saint-Benoît est formée de deux rangs de colonnes, dont les fûts sont composés d’assises régulières, reliées par des arcs étroits. Entre ces arcs et les fenêtres hautes, à plein cintre, éclairant le vaisseau, une rangée d’arcatures est composée de colonnettes trapues supportant de petits arcs très solidement appareillés.

Il y a évidemment, à Saint-Genou comme à Vignory, une réminiscence très marquée des dispositions adoptées par les architectes romains pour les galeries hautes des basiliques. A Saint-Genou, l’arcature aveugle n’est plus qu’un ornement traditionnel décorant la partie occupée par le comble en appentis du bas côté.

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FIG. 106. ÉGLISE ABBATIALE DE CERISY-LA-FORÊT, MANCHE (FRANCE). (Plan.)

La sculpture des grands et des petits chapiteaux supportant les arcs et les arcatures est curieuse, parce qu’elle montre, sous une traduction plastique très grossière, ou plutôt très naïve, les influences antiques et byzantines. Elles sont très nettement accusées par les détails de l’ornementation, rappelant à l’état rudimentaire les volutes ioniques, les feuilles d’acanthe corinthiennes, les ornements plats découpés des Arabes, en même temps que des têtes affrontées, expression d’un art plus ancien dont l’origine orientale n’est pas douteuse.

Un grand nombre d’églises construites vers la première moitié du XIᵉ siècle conservèrent longtemps, surtout dans les pays du nord de l’Europe, aussi bien en Allemagne qu’en France, les traditions basilicales, tout en adoptant les lois de la construction nouvelle; cependant ces premiers ouvrages témoignent encore de la grande timidité des constructeurs, principalement en ce qui touche au voûtement des grandes nefs. La voûte d’arête, celle en quart de sphère et même les petites coupoles leur étaient déjà familières et l’emploi fréquent; mais on voit qu’ils hésitèrent longtemps, en raison des accidents nombreux qui avaient marqué les premiers essais, et qu’ils cherchèrent longtemps la formule du système de construction qu’ils devaient si bien appliquer dès le siècle suivant.

Aussi les architectes du XIᵉ siècle adoptèrent-ils divers modes de construction pour les églises. Les unes avaient leurs nefs et leurs bas côtés couverts en bois, comme à Vignory (fig. 103 et 104); les autres conservaient seulement une charpente apparente sur la nef centrale et couvraient les bas côtés par des voûtes d’arête et les absides et absidioles par des voûtes en berceau et en quart de sphère.

Au centre des édifices bâtis vers cette époque s’élevait généralement une tour-lanterne[56], portée sur les arcs triomphaux de la nef, de l’abside et sur les arcs latéraux du transsept; si elle n’indique plus extérieurement, comme dans les premiers temps du christianisme, l’emplacement de l’autel majeur, elle éclaire largement le centre de l’église, en répandant la lumière sur le chœur et le sanctuaire.

Nous avons indiqué les origines des tours-lanternes; elles sont fort anciennes, car nous en voyons un des premiers exemples à Saint-Georges d’Ezra, dans la Syrie centrale[57], construit à la date certaine de 516 de notre ère; puis à diverses églises byzantines, notamment à l’église de Théotocos, bâtie à Constantinople au IXᵉ siècle[58], à l’église palatine d’Aix-la-Chapelle et à celle de Germiny-des-Prés[59].

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FIG. 107.—ÉGLISE ABBATIALE DE CERISY-LA-FORÊT, MANCHE (FRANCE). (Coupe transversale de la nef.)

Afin de diminuer la propagation des incendies, la nef était généralement, dans le haut des combles, séparée du reste de l’édifice par un pignon s’élevant au-dessus de l’arc triomphal à l’entrée du transsept et formant une des faces de la tour centrale; c’est une imitation lointaine de l’architecture syrienne que nous avons vue dans la première partie. L’église de Roueiha, dans la Syrie centrale (fig. 47 et 48), a été construite au VIᵉ siècle; elle présente cette ingénieuse disposition qui, non seulement sépare la nef du transsept et du chœur, mais divise, à l’aide des pignons élevés sur les arcs-doubleaux de la nef, le vaisseau en plusieurs compartiments, afin d’atténuer les effets de l’incendie des charpentes. (Voir Saint-Sernin de Toulouse.)

L’église abbatiale de Cerisy-la-Forêt fut élevée vers 1020 par l’arrière-petit-fils de Rollon, Richard II, duc de Normandie. Elle rappelle les dispositions des basiliques antiques, et surtout celles de la Syrie centrale, par le plan des nefs et des transsepts, et celles des églises byzantines par le prolongement de l’abside et des absidioles adjacentes[60]. Par sa coupe transversale (fig. 107), elle ressemble aux églises syriennes, et particulièrement à celles de Roueiha et de Tourmanin[61]. La seule différence consiste dans l’importance plus grande qui a été donnée au transsept par l’adjonction de travées débordant le vaisseau antérieur; chacune de ces travées est terminée par une absidiole voûtée en quart de sphère.

L’église abbatiale de Cerisy-la-Forêt présente un exemple des édifices bâtis au commencement du XIᵉ siècle par des constructeurs hésitants.

Le chœur, l’abside et les absidioles adjacentes sont voûtés en berceau et en quart de sphère; les bas côtés, couverts par des voûtes d’arête, sont très savamment construits comme les autres ouvrages voûtés; mais la nef seule est couverte en charpente. Chaque travée est marquée par une colonne engagée montant d’un trait du sol à la corniche supérieure, pour recevoir une des maîtresses-fermes de la charpente apparente.

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FIG. 108.—ÉGLISE ABBATIALE DE CERISY-LA-FORÊT, MANCHE (FRANCE). (Coupe longitudinale, fragment.)

La nef est formée par deux rangs d’arcades superposées, retombant sur un faisceau de colonnes engagées et de pilastres composant chaque pilier. La galerie basse est voûtée d’arête et la galerie haute est couverte par une charpente en appentis. Au-dessus de ces arcades, une rangée d’arcatures décore la partie supérieure de la nef et forme avec le mur extérieur un passage étroit établissant une circulation autour de l’édifice, coupes (fig. 107 et 108).

CHAPITRE IV

ÉGLISE ABBATIALE DU MONT SAINT-MICHEL (FRANCE).—ÉGLISE DE WALTHAM-ABBEY (ANGLETERRE).—ÉGLISE DE PETERBOROUGH (ANGLETERRE).—CLOÎTRE DE MOISSAC (FRANCE).

L’église abbatiale du Mont Saint-Michel présente en plan des dispositions analogues à celle de Cerisy-la-Forêt et rappelle les mêmes influences latines et byzantines. Si l’on en croit les traditions, elle aurait été élevée sur les vestiges d’un oratoire érigé par saint Aubert au VIIIᵉ siècle et sur les ruines d’une église construite au Xᵉ siècle par Richard Iᵉʳ, petit-fils de Rollon. Il ne subsiste aucune trace des édifices des VIIIᵉ et Xᵉ siècles; mais de l’église fondée en 1020 par Richard II, duc de Normandie, il reste encore le transsept et la plus grande partie de la nef.

L’église fut commencée en 1020 par Hildebert II, quatrième abbé du Mont Saint-Michel (de 1017 à 1023), et que Richard II chargea du détail des travaux. C’est à Hildebert qu’il faut attribuer les vastes substructions de l’édifice roman qui, principalement du côté occidental, ont des proportions gigantesques. Au lieu de saper la crête de la montagne, et surtout pour ne rien enlever

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FIG. 109.—ÉGLISE ABBATIALE DU MONT SAINT-MICHEL
(FRANCE). (Plan.)

à la majesté du piédestal, l’architecte construisit un vaste plateau dont le centre affleure l’extrémité du rocher, dont les côtés reposent sur des murs et des piles reliés par des voûtes, et forment un soubassement d’une solidité parfaite[62].

Cette immense construction, dont le sol est à 80 mètres au-dessus du niveau moyen de la mer, est admirable en tous points; d’abord par la grandeur de la conception et par les efforts qu’il a fallu faire pour la réaliser au milieu d’obstacles de toute nature résultant de la situation même, de la difficulté d’approvisionnement des matériaux et des moyens restreints de les mettre en œuvre.

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FIG. 110. ÉGLISE ABBATIALE DU MONT SAINT-MICHEL (FRANCE). (Coupe transversale de la nef.)

La figure 109 donne le plan de l’église après son achèvement; la silhouette ponctuée à l’est est celle du chœur reconstruit au XVᵉ siècle; les lignes ponctuées à l’ouest indiquent les constructions ajoutées par Robert de Torigni, de 1154 à 1186.

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FIG. 111. ÉGLISE ABBATIALE DU MONT SAINT-MICHEL (FRANCE). (Coupe longitudinale, fragment.)

Ce vaste édifice, élevé sur le plateau artificiel construit par Hildebert, avait alors la forme d’une croix latine figurée par le chœur, par le transsept et par la nef composée de sept travées.—Il en reste quatre; les trois premières ont été détruites en 1776.—Au centre, les arcs triomphaux de la nef et du chœur, ainsi que les arcs latéraux du transsept, supportaient la tour-lanterne que Bernard du Bec, treizième abbé du Mont, de 1131 à 1149, construisit en 1135, et dont les vestiges sont encore visibles sur les quatre faces de la tour-lanterne, au-dessous de la massive pyramide construite en 1602.

Ainsi que la plupart des églises romanes construites dans le nord de l’Europe et notamment en Normandie, la nef centrale était couverte par une charpente apparente. Le chœur et l’abside étaient couverts par des voûtes en berceau ou en quart de sphère; les absidioles du transsept sont voûtées de même, c’est-à-dire en quart de sphère.

Les bas côtés sont couverts par des voûtes, composées d’arcs-doubleaux dont les intervalles sont remplis par des voûtes d’arête.

Les piles carrées sont cantonnées par quatre colonnes engagées (fig. 109). Les colonnes, placées du côté de la nef, s’élèvent jusqu’à la corniche supérieure et supportaient les fermes de la charpente apparente (fig. 110 et 111); les trois autres colonnes, surmontées de chapiteaux, reçoivent les arcs-doubleaux du mur latéral et ceux des bas côtés.

Le transsept et les absidioles ont conservé leurs dispositions anciennes, sauf la charpente supérieure apparente; la façade du côté nord du transsept a été modifiée au XIIIᵉ siècle par la construction du cloître.

Le chœur roman s’est écroulé en 1421; il avait les mêmes dispositions qu’à Cerisy-la-Forêt.

 

L’architecture romane a exercé sur l’architecture de l’Angleterre une influence certaine, qui s’est manifestée dès les premiers temps de la conquête normande; cette influence s’est établie naturellement, car les édifices élevés vers la fin du XIᵉ siècle de chaque côté du détroit furent bâtis par des architectes normands ou par des constructeurs instruits en Normandie, où l’architecture romane avait fait déjà à cette époque de si grands progrès. Lorsque les Normands envahirent l’Angleterre après la conquête, ils y trouvèrent une civilisation chrétienne consacrée déjà par une longue suite de siècles. L’architecture nationale, autant qu’on en peut juger par les rares documents qui sont parvenus jusqu’à nous, suivait, pour la construction des édifices religieux, la tradition basilicale, traduite grossièrement par les Saxons qui, ne connaissant pas la voûte ou n’osant pas encore l’employer, couvraient leurs églises en bois.

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FIG. 112.—ÉGLISE DE WALTHAM-ABBEY (ANGLETERRE). (Plan.)

«Ce système de couverture était tellement ancré dans la pratique des constructeurs indigènes qu’on ne pourrait citer, dans toute l’architecture anglaise de l’époque, un seul exemple de nef voûtée. Même après la conquête normande, on voit s’élancer des piliers de hautes colonnes, qui vont jusqu’au haut des nefs chercher des arcs imaginaires, à défaut desquels elles s’arrêtent brusquement sous des charpentes plates, peintes et dorées.

«Comme en Normandie, cependant, toute la construction semble attendre une couverture voûtée. Les piliers sont, ou bien de lourdes piles cylindriques dressées en petit appareil, ou bien des massifs formés de demi-colonnes et d’autres moulures rondes; leurs bases se composent d’un simple tore et d’une plinthe chanfreinée; leurs chapiteaux constituent une variante rudimentaire du chapiteau cubique[63]

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FIG. 113.—ÉGLISE DE WALTHAM-ABBEY (ANGLETERRE). (Coupe transversale de la nef.)

L’église abbatiale de Waltham a été construite selon ce programme, à la fin du XIᵉ siècle ou au commencement du siècle suivant; la nef se compose de deux rangs d’arcades superposées, s’élevant du sol à la corniche supportant la charpente sans aucune liaison avec les murs latéraux; l’arcade supérieure n’est qu’une décoration traditionnelle, car elle n’éclaire, comme l’arcade inférieure, que le bas côté d’un seul étage couvert par une charpente apparente. Le mur intérieur de la nef est d’une grande épaisseur et semble avoir été préparé pour résister facilement à la poussée des voûtes de la nef.

Les dispositions générales et les détails de la construction rappellent les églises de la Normandie, mais plus particulièrement celle de Cerisy-la-Forêt, dont l’église de Waltham-Abbey semble être une copie servile, sauf par les petits détails de l’arrangement des arcatures supérieures de la nef. Il est intéressant de comparer la coupe figure 114 avec celle de Cerisy-la-Forêt, figure 108.

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FIG. 114.—ÉGLISE DE WALTHAM-ABBEY (ANGLETERRE). (Coupe longitudinale, fragment.)

L’église ou la cathédrale de Peterborough, construite ou commencée dans les premières années du XIIᵉ siècle, présente une ressemblance plus complète encore avec l’église abbatiale de Cerisy-la-Forêt.

La nef centrale est couverte en charpente et les bas côtés sont voûtés,—avec cette particularité que les voûtes ne sont pas d’arête, mais reposent sur des croisées d’ogives.

Ces bas côtés sont surmontés de galeries, couvertes par une charpente apparente en appentis et ouvrant par des arcades géminées sur le vaisseau central (fig. 117). Une étroite galerie ménagée dans l’épaisseur des murs

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FIG. 115.—ÉGLISE DE PETERBOROUGH (ANGLETERRE).
(Plan.)

de la nef, comme à Cerisy-la-Forêt, et de même qu’à Waltham-Abbey, établit une circulation autour de l’édifice à la hauteur des fenêtres hautes de la nef.

Au centre de l’édifice s’élève une tour-lanterne portée sur quatre grosses piles formant la croisée du transsept et de la nef, à l’exemple des églises romanes du continent. Dans les églises anglaises comme dans les églises normandes, les archivoltes des arcades, les encadrements des galeries et surtout les portails reproduisent à profusion les ornements linéaires particuliers à l’école normande, billettes, pointes de diamants,

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FIG. 116.—ÉGLISE DE PETERBOROUGH (ANGLETERRE).

(Coupe transversale.)

étoiles, dessins imbriqués ou à bâtons rompus, etc.

La façade de l’église-cathédrale de Peterborough s’ouvre entre deux clochers placés en avant et à côté des collatéraux, et terminés horizontalement par une forte corniche à créneaux. Les portails sont en plein cintre, sans linteau ni tympan, la porte s’ouvrant dans toute la hauteur de l’ouverture.

La plupart des églises et des cathédrales d’Angleterre remontent à l’époque normande; mais comme elles ont été agrandies et transformées à différentes époques, on ne retrouve des traces de leur origine romane que dans les cryptes ou confessions sur

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FIG. 117.—ÉGLISE DE PETERBOROUGH (ANGLETERRE).

(Coupe longitudinale, fragment.)

lesquelles elles ont été élevées.

La cathédrale de Winchester, qui date de la fin du XIᵉ siècle, possède encore un transsept et une grande crypte primitifs; d’autres cryptes importantes existent à Worcester et à Canterbury, ainsi qu’à l’église de Gloucester, dont le chœur est également de la fin du XIᵉ siècle.

La cathédrale de Norwick, fondée en 1096, est un spécimen des formes très allongées données au chœur et qui sont très particulières aux églises romanes de l’Angleterre.

La cathédrale de Peterborough, achevée vers la fin du XIᵉ siècle,

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FIG. 118.—CLOÎTRE DE MOISSAC (FRANCE). (Vue perspective des galeries.)

présente tous les caractères des édifices bâtis du XIᵉ au XIIᵉ siècle, sous l’influence directe de l’architecture romane continentale, à laquelle elle ressemble absolument par la grandeur des dimensions, par la proportion des arcades et même par les détails de son ornementation. Ces divers éléments primitifs se sont transformés et constituent le fond de l’architecture anglaise, ou plutôt anglo-normande, dans laquelle on retrouve toujours les traces de son origine romane.

 

Les cloîtres des abbayes sont une réminiscence de l’atrium qui précédait les basiliques chrétiennes primitives. A partir du VIᵉ siècle, ainsi que nous l’avons vu[64], la plupart des basiliques furent affectées à des communautés religieuses, et les bâtiments réguliers nécessaires furent établis sur l’un des côtés de l’église, autour d’une cour carrée. C’est sur ce point que fut transporté, sous le nom de cloître—claustrum—le quadri-portique, devenu inutile sur la façade.

Le cloître de Moissac, s’il ne peut pas être classé parmi les édifices de forme basilicale, doit être compté au nombre de ceux qui s’en rapprochent le plus par le système de leur construction. La forme est rectangulaire; les galeries, couvertes par une charpente apparente, sont construites en briques, unies ou moulurées; elles sont formées d’une série d’arcatures en arcs brisés, retombant alternativement sur une colonnette ou deux colonnettes jumellées et sur des piliers carrés assurant la stabilité des fragiles arcatures; les colonnettes portent des chapiteaux trop lourds par rapport à leur diamètre.

Ces chapiteaux, très richement, mais très naïvement sculptés, en rappelant les traditions byzantines, ainsi que les grandes figures décorant les piliers carrés, proviennent d’un édifice du XIᵉ siècle, dont les fragments ont servi à reconstruire les bâtiments claustraux dans les premières années du XIIᵉ siècle.

La reconstruction du cloître, si amplement orné de sculptures, antérieurement à la soumission des moines de Moissac aux règles de Cîteaux, explique la contradiction qui existe entre la réforme imposée par saint Bernard relativement à la somptuosité des constructions monastiques et la richesse ornementale du cloître.

CHAPITRE V

ÉGLISES RONDES ET POLYGONES.—ÉGLISE DU SAINT-SÉPULCRE A JÉRUSALEM.

Sans vouloir faire l’historique des temples ronds, il est juste de rappeler tout d’abord l’un des plus anciens des édifices de ce genre: le Panthéon d’Agrippa, à Rome, que nous avons étudié avec l’attention que mérite l’un des chefs-d’œuvre du génie romain[65].

«Le vaste répertoire de l’architecture romane offre un certain nombre d’églises et de chapelles singulières par leur forme, qui est ronde ou approchant du rond. Elles dérivent d’édifices dont l’idée première remontait à l’antiquité chrétienne, quoique plusieurs d’entre elles aient été prises plus d’une fois pour des monuments païens... Le Saint-Sépulcre, dont la conquête fut le but de la première croisade, n’était plus l’éminente et magnifique basilique que Constantin avait fait bâtir sur l’emplacement assigné par la tradition au tombeau du Sauveur. Deux fois reconstruit, après deux destructions, l’une par les Perses, l’autre par les Arabes, il avait reçu, dès le VIIᵉ siècle, la forme qu’on lui voit encore aujourd’hui: celle d’une rotonde avec bas côté étagé; seulement cette rotonde, que les modernes ont coiffée d’une coupole en maçonnerie, reçut d’abord et garda pendant toute la durée du moyen âge un chapeau de charpente en forme de cône tronqué et ouvert à son sommet. Par là, le Saint-Sépulcre ressemblait aux temples hypèthres de l’antiquité. Son plan, d’ailleurs, n’était pas une nouveauté. Des rotondes avaient été construites pour l’exercice du culte chrétien avant le sac de Jérusalem par les Perses: témoin Sainte-Constance[66] et Saint-Étienne-le-Rond, à Rome, et notre Saint-Germain-l’Auxerrois de Paris, qui commença par être une église ronde, et bien d’autres encore. On ne peut donc pas dire que le Saint-Sépulcre renouvelé ait été la première église bâtie en rond; mais il est certain que, sous cette forme, elle devint un type qu’on imita dans toute la chrétienté. L’histoire nous apprend qu’on en fit en France, au XIᵉ et encore au XIIᵉ siècle[67], beaucoup de copies sur une grande échelle. Elles ne durèrent pas, car nous voyons à leur place des églises dans la forme ordinaire, par conséquent reconstruites. La disparition de ces églises, construites par les architectes romans à l’instar du Saint-Sépulcre, résulte des vices de construction de leur couverture. Tantôt, en effet, on voulut les coiffer de coupoles qui s’écroulèrent, tantôt on chercha à éluder la difficulté de construire une coupole en les recouvrant, comme le Saint-Sépulcre de Jérusalem, d’ouvrages en charpente; mais ces ouvrages furent la proie des flammes et entraînèrent dans leur ruine le bâtiment lui-même. Pourtant deux de ces essais, Saint-Bénigne de Dijon et l’église de Charroux, ont subsisté jusque dans les premières années de ce siècle, grâce à ce que la plus grande partie de leur diamètre avait été donnée au bas côté, tandis que la rotonde centrale y était extrêmement exiguë et, par conséquent, plus facile à couvrir; encore celle de Saint-Bénigne fut-elle hypèthre. Les imitations en petit, qui se sont conservées, permettent de conjecturer ce que furent la plupart de ces grands édifices[68]

Parmi les églises rondes les plus intéressantes, il faut citer: le Saint-Sépulcre de Neuvy (Cher), commencé en 1045, abandonné à la hauteur du premier étage et achevé un siècle plus tard; Saint-Bonnet-la-Rivière (Corrèze), dont la rotonde intérieure, de 10 mètres environ de diamètre, portée sur dix colonnes, est couverte en charpente ainsi que le bas côté; le temple de Lanleff (Côtes-du-Nord), ou prétendu tel, ruiné depuis des siècles et dont la rotonde intérieure, de 10 mètres, est portée sur douze arcades romanes; et enfin l’église Sainte-Croix, à Quimperlé, bâtie en 1081, qui s’écroula en 1862 et qui a été reconstruite sur ses vestiges dans ces dernières années.

Le prototype des églises polygones construites en Occident paraît avoir été l’église à huit pans, appelée le Temple d’or, que Constantin fit élever à Antioche, au IVᵉ siècle de notre ère.

Le plus ancien monument de ce genre en Europe est la chapelle palatine d’Aix, bâtie sous Charlemagne, dans les dernières années du VIIIᵉ siècle.

On connaît deux copies à peu près fidèles de l’église d’Aix-la-Chapelle: l’une du XIᵉ siècle, à Nimègue (Pays-Bas), et l’autre du XIIᵉ, à Ottmarsheim (Alsace) (fig. 122 et 123). On connaît également des dérivés de ce type: l’église de Rieux-Mérinville, en France, et l’église du Saint-Sépulcre, à Cambridge, en Angleterre.

Les templiers affectionnèrent la forme octogone, sans doute parce qu’elle se rapprochait de celle de leur église mère, à Jérusalem, qui avait été élevée elle-même sur le plan du Saint-Sépulcre.

 

Les premières constructions de l’église du Saint-Sépulcre, à Jérusalem, furent faites d’après les ordres de Constantin.

«Commencées en 326, elles furent achevées en 335, année de leur dédicace. Elles comprenaient une grande basilique, des cours et des colonnades (fig. 119). Ces magnifiques édifices furent totalement rasés, en 614, par Chosroës II, roi des Perses. A ses bandes victorieuses s’étaient joints des milliers de Juifs, qui furent les plus acharnés à l’œuvre de massacre et de destruction... La restauration fut entreprise par un moine nommé Modeste, supérieur du couvent de Théodose, et depuis patriarche de Jérusalem. Avec l’aide de saint Jean l’Aumônier, patriarche d’Alexandrie, elle fut achevée dans l’espace de quinze années. Modeste ne put pas, comme Constantin, recouvrir d’une seule et immense basilique l’ensemble des Saints Lieux; il se borna à construire sur chaque emplacement vénéré une petite église selon le goût du temps... Ce fut dans cette nouvelle église de la Résurrection que, le 14 septembre 629, l’empereur Héraclius II, vainqueur à son tour de Chosroës, rapporta sur ses épaules le bois de la vraie croix, précieux trophée de ses triomphes. Mais le règne des chrétiens ne devait pas être de longue durée. Huit ans après l’exaltation de la croix, les disciples de Mahomet, vainqueurs d’Héraclius et de Jezdegerd, maîtres de la Syrie et de la Perse, assiégeaient Jérusalem... Le patriarche Sophronius se mit à la tête des habitants et, par sa vigoureuse résistance, obtint au moins une capitulation. Le premier article stipulait que le calife recevrait lui-même la soumission des vaincus. Omar vint donc de Médine... Il conclut devant la porte de la ville sainte un traité qui garantissait aux chrétiens la possession de leurs églises et la liberté de leur culte... Puis il entra dans Jérusalem, alla prier sur les marches de la porte orientale de l’église du Saint-Sépulcre et jeta les fondements d’une mosquée sur les ruines du temple, après avoir indiqué l’emplacement de la grande coupole qui porte vulgairement son nom (637). Depuis ce temps jusqu’au commencement du XIᵉ siècle, l’église de Jérusalem traversa diverses alternatives de repos et de persécution. Le règne le plus heureux fut celui du célèbre Haroun-al-Raschid (786 à 809). Les chrétiens durent à la modération du calife et à ses relations amicales avec Charlemagne quelques années de tranquillité. On sait que le nouvel empereur d’Occident inaugura cette protection, dont l’exercice séculaire devint le droit et l’honneur du souverain de la France; vers l’an 800, il envoya d’abondantes aumônes en Terre-Sainte pour la réparation des églises... L’époque la plus triste de toute cette période fut celle qui suivit la mort d’Haroun-al-Raschid; à la faveur de l’anarchie qui désola l’empire arabe, la persécution s’étendit sur la communauté chrétienne... Le nouveau souverain,

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FIG. 119.—ÉGLISE DU SAINT-SÉPULCRE (JÉRUSALEM).

(Plan de la basilique de Constantin restaurée.)

Hakem-Biamr-Illah, en 996, ordonna la destruction complète des églises de Jérusalem, poussé, dit Raoul Glaber, par les Juifs d’Occident... Les ordres du calife furent sévèrement exécutés; les églises de la Résurrection, du Calvaire, de Sainte-Marie, de Sainte-Hélène tombèrent sous le marteau et la torche des démolisseurs; le saint tombeau échappa seul à l’action du fer et du feu... On attribue à l’intervention de Marie, mère de Hakem et sœur des deux patriarches de Jérusalem et d’Alexandrie, le brusque changement qui se fit dans les dispositions du vainqueur. L’année même de la destruction des églises saintes (1010), il permit de les restaurer. Alors, dit Raoul Glaber, accourut de tout l’univers une foule immense de pèlerins apportant de l’argent pour la reconstruction de la maison de Dieu. Mais les

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FIG. 120.—ÉGLISE DU SAINT-SÉPULCRE (JÉRUSALEM).

(Plan depuis le VIᵉ siècle.)

ressources n’étant pas suffisantes, on se contenta d’une restauration partielle... La reconstruction fut reprise sous la direction d’architectes grecs et achevée en 1048.

«Depuis cette époque jusqu’aux croisades, ces édifices ne semblent pas avoir subi de changements.

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FIG. 121.—ÉGLISE DU SAINT-SÉPULCRE (JÉRUSALEM).

(Coupe longitudinale, fragment.)

Pendant les premières années de l’occupation franque, les vainqueurs, occupés à consolider leur conquête, n’eurent pas assez de loisirs pour travailler à l’agrandissement des églises... Quelques années plus tard, dans les premières années du XIIᵉ siècle, les croisés se mirent à l’œuvre et réunirent dans un seul monument tous les sanctuaires isolés jusque-là. Leurs constructions subsistent encore[69] (fig. 124 et 125).»

CHAPITRE VI

ÉGLISE D’OTTMARSHEIM (ALSACE).—ÉGLISE DE RIEUX-MÉRINVILLE (FRANCE).—ÉGLISE DE CAMBRIDGE (ANGLETERRE).

La chapelle du palais de Charlemagne, construite à Aix, à l’exemple de Saint-Vital de Ravenne, qui avait été lui-même élevé sur le modèle du Temple d’or que Constantin fit construire à Antioche en l’honneur de la Vierge, eut une grande influence sur les progrès de l’art dans les pays voisins. Cette forme nouvelle, importée d’Orient et adoptée par le plus puissant souverain de son temps, ne pouvait manquer d’être imitée surtout par les architectes francs, qui reçurent plus directement les rayons de l’art carolingien.

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FIG. 122.—ÉGLISE D’OTTMARSHEIM (ALSACE). (Plan.)

L’église octogone d’Ottmarsheim, dans la haute Alsace, fut bâtie, selon les chroniqueurs romans, par le frère de Vernher, évêque de Strasbourg, fondateur d’une abbaye de l’ordre de Saint-Benoît: Rodolphe de Souabe, anti-empereur en 1077 et célèbre par le rôle qu’il joua à cette époque dans la querelle des Investitures.

L’imitation de l’église carolingienne d’Aix-la-Chapelle est presque complète. La nef centrale d’Ottmarsheim est un octogone couronné par une coupole ovoïde

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FIG. 123.—ÉGLISE D’OTTMARSHEIM (ALSACE).

(Coupe longitudinale.)

dont les dispositions, réduites dans leurs dimensions, sont identiques à celle d’Aix-la-Chapelle. Cette coupole s’élève également sur des piles reliées par des arcades superposées; les unes, inférieures, correspondant aux bas côtés du pourtour; les autres à la galerie supérieure surmontant ce bas côté. Mais la différence s’établit par la forme du mur extérieur; il n’est plus à seize pans comme il l’est à Aix; il reste octogone, et les voûtes superposées du bas côté forment des compartiments alternativement carrés ou triangulaires.

A Aix-la-Chapelle, l’architecture romane s’annonçait; elle s’affirme à Ottmarsheim par l’emploi systématique des arcs-doubleaux dans les voûtes; cependant l’influence de l’art byzantin est encore très caractérisée par l’absence de contreforts et par les détails de la construction.

 

Le monument de Rieux-Mérinville, près de Carcassonne, dont la construction remonte à la fin du XIᵉ siècle, est évidemment une des nombreuses imitations de l’église du Saint-Sépulcre de Jérusalem.

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FIG. 124.—ÉGLISE DE RIEUX-MÉRINVILLE (FRANCE). (Plan.)

Les églises circulaires ou celles qui se rapprochent de cette forme, par le nombre plus ou moins grand des côtés inscrits dans le cercle, sont fort rares en France et même dans le reste de l’Europe.

Le plan de l’église de Rieux-Mérinville est un polygone de quatorze côtés, enveloppant un heptagone qui forme le centre de l’édifice; au-dessus des sept arcades, supportées par des colonnes ou des faisceaux de colonnettes, s’élève une coupole sur le plan du polygone intérieur, dont les pans se perdent en moulant vers le sommet ovoïde.

Le mur extérieur se compose de quatorze pans, dont chaque angle est renforcé à l’intérieur et à l’extérieur par des colonnes engagées qui maintiennent la poussée des arêtiers de la voûte intérieure. Cette voûte, couvrant le bas côté enveloppant toute la nef centrale, est en quart de cercle, et elle est très judicieusement construite en demi-berceau contrebutant la coupole centrale,

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FIG. 125.—ÉGLISE DE RIEUX-MÉRINVILLE (FRANCE).

(Coupe.)

dont chaque pan est maintenu par deux de ces demi-berceaux. Chaque pan du mur d’enveloppe est décoré à l’intérieur d’une arcade plein cintre retombant sur des colonnettes correspondant dans l’angle intérieur aux colonnes engagées renforçant chacun des angles extérieurs; au-dessus de ces arcades, de petites fenêtres largement ébrasées à l’extérieur éclairent, insuffisamment d’ailleurs, l’intérieur de l’église. La porte principale est à l’ouest, et une petite porte, beaucoup plus richement décorée, s’ouvre au sud.

Le parti architectonique de ce curieux monument indique très nettement l’influence byzantine, de même que les détails et surtout la sculpture conservent des traces accusées des traditions latines mêlées aux premières manifestations de l’art roman nouveau. Les chapiteaux, très finement sculptés, imitent les feuilles d’acanthe corinthiennes confondues avec l’ingénieuse ornementation du XIIᵉ siècle, très marquée par la fine ciselure des tailloirs, aussi bien que par la somptuosité toute méridionale de sa sculpture décorative.

 

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FIG. 126.

ÉGLISE DU SAINT-SÉPULCRE, A CAMBRIDGE (ANGLETERRE).

(Plan.)

L’église du Saint-Sépulcre de Cambridge paraît avoir été construite à l’imitation de la chapelle palatine de Charlemagne plutôt qu’à l’exemple de la célèbre église élevée à Jérusalem sur le tombeau du Christ.

Suivant les auteurs anglais, elle serait la plus ancienne des églises rondes de l’Angleterre et elle remonterait à Henri Beauclerc qui mourut en 1135 ou, tout au moins, à la première moitié du XIIᵉ siècle.

Elle a beaucoup d’analogie, comme parti architectonique, avec l’église de Peterborough qui est certainement une imitation des églises normandes du XIᵉ siècle (fig. 116 et 117). Dans tous les cas, l’influence de

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FIG. 127.—ÉGLISE DU SAINT-SÉPULCRE, A CAMBRIDGE (ANGLETERRE). (Coupe.)

l’architecture romano-normande, lourdement traduite par les constructeurs saxons, est très accusée par la disposition des arcs superposés retombant sur les chapiteaux grossiers de massifs piliers ronds et trapus, par la construction des voûtes du bas côté formées d’arcsdoubleaux et de croisées d’ogives, très solides, mais très gauchement ajustés par des constructeurs timides, peu familiarisés avec une architecture qu’ils essayaient de traduire.

Les essais des architectes anglo-normands de ce temps sont pourtant fort intéressants à étudier, parce qu’on voit les efforts qu’ils ont faits pour bâtir des monuments qui ont résisté plutôt par la rude solidité de leurs masses que par les savantes combinaisons des constructeurs. La rotonde de Cambridge présente cette particularité que, contrairement aux édifices anciens qui lui ont servi de modèle, les étages inférieurs sont circulaires et la coupole octogone.

L’église du Saint-Sépulcre de Cambridge est composée d’un vaisseau central, circulaire, à deux étages, entouré d’un bas côté semblable sans étage; à chaque étage les huit lourdes colonnes, sur un plan également circulaire, sont reliées par des arcades formées d’arcs-doubleaux superposés. La galerie supérieure, dont les arcades sont géminées, s’ouvrent sur la nef centrale qui est surmontée d’une coupole octogone; les angles intérieurs sont renforcés par des colonnes engagées dans les parties verticales et par des arcs-doubleaux carrés dans la partie cintrée de la coupole, dont la poussée est amortie par des redans sur l’épaisseur considérable du mur. Des fenêtres plein cintre, ménagées dans les pans, éclairent le vaisseau central. Le bas côté est éclairé par des fenêtres ébrasées à l’intérieur et la galerie haute, au-dessus du bas côté voûté, est couverte par une charpente en appentis.

CHAPITRE VII

ÉGLISES VOÛTÉES.

Les Romains avaient élevé tant d’édifices, et ils les avaient construits dans toute l’Europe occidentale avec tant de science et d’art, que les traditions romaines ne s’étaient pas perdues, même pendant la période barbare.

La voûte romaine, d’arête ou en berceau, était connue des constructeurs bien longtemps après la chute de Rome; ils employaient fréquemment ces deux formes de voûte, et leur usage était constant, surtout pour la construction des édifices souterrains ou cryptes qui, vers le VIIIᵉ siècle, remplacèrent les confessions des basiliques.

Il est intéressant de remarquer à ce sujet qu’il existait une grande différence entre ces deux ouvrages. La confession était une cellule construite moitié au-dessus du sol et moitié au-dessous; elle servait d’estrade à l’autel et en même temps de tombeau renfermant un corps saint qui, selon les lois liturgiques du temps, devait être obligatoirement placé sous l’autel. Cet édicule était de très petite dimension, car il était, le plus souvent, facilement couvert par une seule dalle de pierre ou de marbre. La crypte était complètement ou partiellement souterraine, soit par le creusement total de son emplacement, soit par la disposition des lieux et du sol dont certaines parties pouvaient être dégagées, ce qui permettait alors d’éclairer l’intérieur de la crypte qui formait un ensemble de compartiments compris entre les substructions de l’église haute s’étendant sous le sanctuaire supérieur et souvent même dans les parties adjacentes. Ces compartiments étaient couverts par des voûtes formées soit de berceaux pleins, soit de berceaux entre-croisés, soit par des arcs-doubleaux dont les intervalles étaient remplis par des voûtes d’arête; tous ces arcs ou voûtes retombant sur des colonnes ou des piles trouvant un solide contrebutement dans les soubassements des points d’appui supérieurs.

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FIG. 128.—ARÈNES D’ARLES.

(Couvertures en pierre.)

Mais ces édifices ne sont pas romans par cela seul qu’ils ont été voûtés; ils ont été construits selon le mode romain et ils ressemblent aux monuments antiques que les architectes du VIIIᵉ siècle ont copiés grossièrement ou tout au moins très naïvement.

Les ouvrages romains ne manquent pas d’ailleurs et les contrées méridionales de l’Europe en présentent de nombreux exemples, celles surtout qui n’eurent pas à subir les ravages des invasions barbares venues successivement de l’Est et du Nord.

Les monuments antiques du Iᵉʳ et du IIᵉ siècle de notre ère pouvaient servir d’exemples excellents, qui durent avoir une réelle influence sur les constructeurs romans suivant tout naturellement les traditions romaines.

On voit aux arènes d’Arles, qui remontent au Iᵉʳ siècle, des couvertures construites très simplement; elles sont formées d’arcs-doubleaux sur lesquels sont posées des dalles de pierres (fig. 128). Ce moyen était

 

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FIG. 129 ET 130.—NYMPHÉE DE NÎMES.

(Coupes de la voûte en berceau.)

connu des Syriens qui l’employèrent fort judicieusement en raison des matériaux qu’ils avaient à leur disposition; nous avons vu ce mode de construction dans la Syrie centrale, à l’église de Tafkha, bâtie du IVᵉ au Vᵉ siècle sur le modèle des basiliques antiques[70].

Suivant Quicherat, l’amphithéâtre de Nîmes offre un exemple bien conservé d’arcs-doubleaux de l’époque romaine. Le corridor qui forme la dernière précinction du second étage est couvert d’une voûte en berceau soutenue par des doubleaux qui retombent sur des consoles.

On peut voir également à Nîmes, au Nymphée, ou Bain de Diane, ouvrage romain du IIᵉ siècle, une voûte en berceau d’une assez grande largeur dont les éléments se composent d’arcs-doubleaux très ingénieusement combinés et dont l’appareil est particulièrement soigné. Les arcs forment, pour ainsi dire, des cintres permanents en pierre entre lesquels sont ajustées des dalles taillées en claveaux et reposant dans des feuillures ménagées sur les faces latérales des arcs-doubleaux (fig. 130 et 131).

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FIG. 131.

NYMPHÉE DE NÎMES.

(Perspective des arcs-doubleaux.)

On sait, du reste, que les architectes construisaient au VIIIᵉ et au IXᵉ siècle, non seulement des cryptes, mais encore des monuments voûtés, de petites dimensions, il est vrai, et ne présentant pas les difficultés qui résultent de la largeur et de la hauteur des nefs.

Suivant Quicherat, l’évêque Toldus, prince mérovingien qui occupa le siège de Vienne—Vienna Allobrogum—fit bâtir, en 708, dans l’intérieur de la ville un petit édicule voûté pour y placer les reliques de saint Maurice et de ses compagnons. Le palais de Chasseneuil—manse royale du temps des Carolingiens—avait au IXᵉ siècle, sur les côtés d’une grande basilique, une petite église voûtée en briques qui excitait l’admiration des contemporains. Selon le même auteur, si digne de foi à tous égards, le palais de Chasseneuil aurait été construit par des architectes de l’Aquitaine.

Il est permis de croire que ces architectes aquitains ne faisaient que pratiquer les traditions propagées par les colonies syriennes qui existaient déjà sous les Mérovingiens[71], dans le centre de la Gaule celtique, voisine de l’Aquitaine.

Vers le même temps, c’est-à-dire dans les premières années du IXᵉ siècle, Théodulphe, évêque d’Orléans, faisait élever près de sa ville épiscopale, à Germiny-des-Prés, une église voûtée dont les dispositions générales, autant que les détails, indiquent l’origine byzantine[72].

Les grandes églises latines, couvertes par des charpentes lambrissées, avaient souvent quelques-unes de leurs parties voûtées. On cite d’abord la somptueuse basilique de Reims, construite, pendant le règne de Louis le Débonnaire, par un architecte nommé Rumald, avec les pierres provenant des murailles de la ville; d’après les chroniques du temps connues par Quicherat, cette basilique eut jusqu’à la fin du Xᵉ siècle une tribune portant sur une voûte adossée à la façade; puis la cathédrale d’Auxerre, rebâtie au Xᵉ siècle et couverte en bois, avait deux chapelles voûtées donnant à l’église la forme d’une croix latine. Il est possible que de grandes églises construites antérieurement à l’an 1000 aient eu des bas côtés voûtés à l’exemple de l’ancien Saint-Pierre de Rome, église romaine à cinq nefs inégales dont les bas côtés extérieurs étaient couverts par des voûtes en arc de cloître.

Il est même permis de croire que la plupart des absides des basiliques antiques étaient construites en matériaux appareillés. Ces absides, ou hémicycles, étaient voûtées en quart de sphère ou en demi-coupole dont la construction facile ne présente aucune des difficultés qui surgirent lorsque les architectes du IXᵉ siècle, voulant couvrir les grandes nefs des églises, employèrent le berceau romain et même la coupole byzantine.

La coupole, du reste, a joué un rôle considérable dans l’histoire de l’architecture et nous l’avons vu déjà dans la première partie. Au VIᵉ siècle après Jésus-Christ, les chrétiens d’Orient adoptèrent ce mode de construction qui révolutionna l’architecture à cette époque, par l’emploi systématique de la coupole, de même que les chrétiens d’Occident, plus tard, causèrent à leur tour une révolution dans l’art de bâtir par l’application sur les églises de voûtes prolongées, maintenues par des contreforts ou des arcs-boutants.

Selon Quicherat, le résultat fut différent dans les deux régions parce que le point de départ ne fut pas le même. Il suffit de dire, pour caractériser cette différence, que les Orientaux ou, comme on les appelle dans l’histoire de l’art, les Byzantins, renoncèrent tout d’abord au plan consacré de la basilique; qu’ils transformèrent l’église en un assemblage de salles polygones ou carrées, fournissant à la fois, par des jambages épais et par des clôtures non moins puissantes, l’assiette nécessaire aux coupoles; qu’à cela près, ils restèrent fidèles pendant plus de quatre siècles aux modes d’ajustement et aux proportions de l’architecture antique.

Nous avons démontré, dans la première partie, l’analogie, la similitude même, qui existe entre les monuments byzantins du VIᵉ siècle et les grands édifices romains des premiers siècles de l’ère chrétienne[73].

Nous avons vu également que, bien avant l’an 1000, on bâtissait des églises rondes ou polygones[74], entre autres la chapelle palatine d’Aix, édifice à coupole élevé par Charlemagne et copié sur l’église byzantine de Ravenne.

On cite encore des coupoles élevées après coup sur le transsept des basiliques couvertes en charpente, ce qui est assez rare cependant, car elles avaient plutôt à la même place une tour-lanterne, selon l’usage gallican.

En résumé, on peut dire que si les Latins essayèrent, durant la période barbare, de construire des coupoles et que si les Gallo-Francs, du VIIIᵉ au IXᵉ siècle, ont construit dans les conditions les plus simples des voûtes ou des coupoles, ils ne firent, les uns et les autres, que suivre les traditions romaines et byzantines, mais qu’ils n’avaient pas encore trouvé la formule romane que nous voyons naître tout à la fin du Xᵉ siècle, s’affirmer dès les premières années du XIᵉ siècle, et grandir avec une étonnante rapidité dans le courant du même siècle.

CHAPITRE VIII

ÉGLISE DE SAINT-SAVIN (VIENNE).—ÉGLISE DE SAINT-BENOIT-SUR-LOIRE (LOIRET).

La voûte est le principal caractère de l’architecture romane[75] proprement dite, et les églises romanes sont couvertes sous leurs toitures par des voûtes de formes diverses.

Nous avons étudié, dans le chapitre III de la seconde partie, les moyens employés par les premiers constructeurs de la période romane, moyens mixtes consistant dans l’emploi des voûtes pour les bas côtés et le sanctuaire, laissant à la nef sa forme basilicale avec sa couverture en charpente, réminiscences de la tradition romaine.

Les premiers édifices romans portent encore la marque de l’hésitation et des craintes des architectes, mais aussi l’expression de leur volonté de résoudre le problème, difficile et complexe, du voûtement général. La première partie de ce problème, la plus facile, était résolue déjà par l’emploi de la voûte d’arête pour la couverture des bas côtés; il restait à couvrir le vaisseau principal et, pour augmenter les probabilités de durée, les architectes romans ne donnèrent à la nef qu’une largeur à peu près égale à celle des bas côtés; ils couvrirent cette nef par une voûte en berceau et, pour neutraliser l’action de la poussée sur les murs latéraux, ils élevèrent les arcs des bas côtés jusqu’à la naissance du berceau central, de manière que les voûtes d’arête qui couvraient ceux-là vinssent contrebuter solidement celui-ci.

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FIG. 132.

ÉGLISE DE SAINT-SAVIN (FRANCE). (Plan.)

L’église abbatiale de Saint-Savin a été construite, vers la fin du XIᵉ siècle, d’après cet ingénieux système. La nef est formée par deux rangées de hautes colonnes composées d’assises cylindriques et couronnées par des chapiteaux naïvement sculptés; elles portent des archivoltes formées par la pénétration du berceau des bas côtés croisés transversalement et longitudinalement; sur ces arcs ou archivoltes reliant les colonnes retombe le berceau en plein cintre sur-haussé de la nef. Le plan et la coupe, fig. 132 et 133, indiquent ces dispositions.

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FIG. 133.—ÉGLISE DE SAINT-SAVIN.

(Coupe transversale.)

Les murs s’élèvent longitudinalement au-dessus des reins du berceau central qu’ils chargent pour neutraliser les effets de la poussée latérale, et supportent la charpente du comble de l’édifice.

Par suite de ce parti architectonique, si le plan rappelle encore la basilique latine, l’élévation s’en écarte par la suppression des galeries hautes et celle des fenêtres ménagées dans la partie supérieure de la nef. Celle-ci n’est plus éclairée alors que par les jours ménagés dans les murs extérieurs des collatéraux, et insuffisants, surtout dans les pays du nord, pour répandre la lumière nécessaire au centre de l’édifice; mais nous verrons plus tard les constructeurs romans résoudre encore cette difficulté et trouver les moyens d’ajourer la partie haute des églises.

Le plan de la nef de Saint-Savin, ainsi que du transsept avec ses absidioles, rappelle la forme basilicale des églises normandes; mais le chœur a des dispositions particulières; le sanctuaire, en forme d’hémicycle ou d’abside marquée par des colonnes, est entouré d’un collatéral, voûté comme les bas côtés de la nef et cantonné de cinq absidioles voûtées en quart de sphère, celle du milieu plus grande que les autres.

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FIG. 134.—NARTHEX DE L’ÉGLISE DE SAINT-BENOIT-SUR-LOIRE.

(Plan.)

Ces absidioles sont décorées à l’intérieur et à l’extérieur de colonnes engagées; ce sont de véritables contreforts ornés dont nous avons vu les premières applications—qui sont des réminiscences antiques—aux églises de la Syrie centrale: à Qalb-Louzeh et à Tourmanin (fig. 44 et 50), bâties au VIᵉ siècle de notre ère.

Nous avons indiqué[76] l’origine de cette disposition du chœur, qui remonterait, d’après Quicherat, au Vᵉ siècle, époque à laquelle l’abside des basiliques, ou presbyterium, devint le martyrium, c’est-à-dire le lieu

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FIG. 135.—NARTHEX DE L’ÉGLISE DE SAINT-BENOIT-SUR-LOIRE.

(Vue perspective.)

où reposait le corps du saint patron de l’église, autour duquel on établit des galeries basses pour faciliter la circulation des fidèles.

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FIG. 136.—NARTHEX DE L’ÉGLISE DE SAINT-BENOIT-SUR-LOIRE. (Coupe.)

La forme du chœur de Saint-Savin peut d’ailleurs être rapprochée de celle de Vignory[77], car elle présente cette particularité, des plus curieuses, de ressembler à l’abside de la basilique du Saint-Sépulcre de Jérusalem, élevée sous le règne de Constantin, de 325 à 336 de notre ère[78]. On sait l’immense intérêt qui s’attacha aux Lieux Saints dès les premiers temps du christianisme, et il est tout simple de penser que la forme donnée à l’église primitive élevée sur le tombeau du Christ dût exercer sur toute la chrétienté une influence considérable. Elle s’est traduite par un grand nombre d’imitations monumentales, non seulement à l’état d’édifices isolés, mais encore par la forme donnée aux sanctuaires des grandes églises romanes.

 

Le narthex ou, suivant Viollet-le-Duc, le grand porche, élevé sur la façade occidentale de l’église de Saint-Benoît-sur-Loire, date du XIᵉ siècle.

Il se compose d’un quinconce de fortes piles ouvert sur trois de ses faces, tandis que les porches romans sont généralement clos de murs et n’ont d’issues que par les portes principales ou secondaires; il est couvert par des voûtes d’arête. Il occupe une grande surface, et au-dessus s’élève une salle haute construite comme la salle basse et voûtée de même, mais beaucoup plus élevée (fig. 136).

Le porche ou plutôt le magnifique narthex de Saint-Benoît-sur-Loire qui fut élevé avant 1030, suivant certains auteurs, présente un superbe exemple de voûtement général, remarquable par sa vigoureuse construction dont la puissante ossature fait voir encore la préoccupation des architectes romans. S’exagérant l’importance de la poussée des voûtes d’arête, ils ont multiplié les points d’appui en leur donnant des dimensions exagérées qui ne sont plus en rapport proportionnel avec les voûtes remplissant les compartiments sur plan carré, laissés dans le réseau des arcs-doubleaux.

Selon de Caumont, des vestibules ou porches à peu près semblables existent à Airvault (dans le département des Deux-Sèvres), à Tournus (Saône-et-Loire), ainsi que dans les grandes abbayes de Cluny et de Vézelay: mais le narthex de Saint-Benoît-sur-Loire est l’un des plus beaux spécimens des ouvrages de ce genre et l’un de ceux qui donnent une haute idée de la science des constructeurs romans du XIᵉ siècle.

CHAPITRE IX

ÉGLISE DE SAINT-PAUL, A ISSOIRE.—ÉGLISE DE NOTRE-DAME LA GRANDE, A POITIERS.—ÉGLISE DE SAINT-HILAIRE, A POITIERS.—ÉGLISE DE SAINT-SERNIN, A TOULOUSE.

Les églises d’Auvergne et particulièrement celles d’Orcival, de Notre-Dame-du-Port, à Clermont, et de Saint-Paul, à Issoire, élevées vers la fin du XIᵉ siècle ou dans les premières années du XIIᵉ, semblent être l’œuvre d’un seul architecte poursuivant la même idée dans des édifices différents; on pourrait même dire qu’ils ont été bâtis par les mêmes ouvriers, puisque les signes gravés sur la pierre—les marques des tâcherons—sont également les mêmes.

L’église de Saint-Paul, à Issoire, est peut-être la moins ancienne des églises que nous venons de citer; mais elle présente bien tous les caractères réunis de l’architecture romane de l’Auvergne; elle marque les grands progrès réalisés par les constructeurs romans dans leur système de voûtes.

La nef est formée de deux rangées d’arcades et de deux bas côtés, traversés de deux en deux—ou en trois—travées, par de puissants arcs-doubleaux; la voûte en berceau, qui couvre la nef centrale, est solidement contrebutée par des demi-berceaux. La coupe transversale, figure 138, indique cette ingénieuse et très rationnelle disposition, qui assure à l’ensemble du voûtement une stabilité parfaite.

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FIG. 137. ÉGLISE DE SAINT-PAUL, A ISSOIRE. (Plan.)

Les bas côtés sont à deux étages; la galerie basse est couverte par des voûtes d’arête comprises entre les arcs-doubleaux, latéraux et transversaux, et la galerie haute, ouvrant sur la nef par de petites arcatures reposant sur des colonnettes et éclairées par des jours ménagés dans les murs extérieurs, est couverte par les demi-berceaux latéraux.

Le chœur présente des dispositions analogues à

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FIG. 138.—ÉGLISE DE SAINT-PAUL, A ISSOIRE. (Coupe transversale.)

celles de Vignory et de Saint-Savin, avec cette différence que les absidioles sont percées de fenêtres et que, dans le mur circulaire extérieur de l’abside, entre les absidioles, on a ménagé également des fenêtres pour éclairer largement le pourtour du sanctuaire.

Les absidioles sont ornées à l’intérieur de contreforts sous forme de colonnes, que nous avons vus déjà à Saint-Savin et dont nous avons indiqué l’origine orientale ou syrienne.

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FIG. 139.—ÉGLISE DE SAINT-PAUL, A ISSOIRE.

(Vue perspective de l’abside.)

Au-dessous du chœur, une crypte, desservie par deux degrés, a été construite dans les soubassements de l’église haute, dont le sol du chœur est relevé de quelques marches au-dessus de celui du transsept.

Au centre de ce transsept, à l’extrémité de la nef et en avant du chœur, s’élève une tour octogone; sur les quatre piles de la croisée, quatre arcs-doubleaux portant dans les angles des trompillons, passant du carré à l’octogone; au-dessus, une voûte en coupole, contre-butée latéralement par des demi-berceaux, est surmontée d’une tour octogone, dont l’étage supérieur est un clocher terminé par une pyramide en pierre.

La construction très soignée de l’église d’Issoire a été faite en grès à gros grains pour les massifs et en grès calcaire pour les membres ornés de sculptures. Certaines parties sont ornées de mosaïques ou, plus exactement, d’une marqueterie polychrome, qui donne à l’édifice un caractère oriental très originalement élégant, dont nous avons signalé l’origine en étudiant l’église latine de Saint-Front[79].

L’architecture romane de l’Auvergne eut un grand succès, qui s’explique par l’originalité de ses dispositions et de sa décoration orientale ou byzantine, et dont les effets se manifestèrent rapidement dans les provinces du Nivernais, du Limousin, du Poitou et même du Languedoc.

Dès la fin du XIᵉ siècle ou le commencement du XIIᵉ, on voit se généraliser la forme des absides circulaires agrandies par des chapelles rayonnantes.

Poitiers, Nevers en conservent encore des exemples, et nous verrons un des plus beaux de ce genre à Toulouse.

Le transsept de l’église abbatiale de Saint-Hilaire à Poitiers est très vaste, car une nef centrale et 4 bas côtés y aboutissaient; le sanctuaire, en forme d’hémicycle, est enveloppé d’un vaste collatéral sur lequel s’ouvrent des chapelles, ou des absidioles, comme celles de Saint-Savin, de Notre-Dame-du-Port à Clermont et de Saint-Paul à Issoire.

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FIG. 140.—ÉGLISE DE SAINT-HILAIRE, A POITIERS.

(Vue perspective de l’abside.)

L’église de Notre-Dame-la-Grande est une des plus curieuses de Poitiers, si riche en monuments romans. A l’intérieur, elle présente trois nefs voûtées en berceau de hauteur à peu près égale.

Ce système de construction montre encore les hésitations et les tentatives constantes des constructeurs romans à la fin du XIᵉ siècle.

Une grande tour carrée, se terminant par un étage circulaire couronné d’une pyramide, s’élève sur la croisée du transsept; sa façade, couverte de sculptures, montre l’arc plein cintre associé à l’arc brisé, employé depuis longtemps déjà et que nous avons vu à la chapelle de Sainte-Croix à Montmajour, construite dans les premières années du XIᵉ siècle; deux tourelles, couronnées comme la partie haute de la tour centrale et supportées par des faisceaux de lourdes colonnes, ornent les angles de la façade occidentale (fig. 141).

Cette façade dans laquelle les réminiscences orientales abondent est surtout remarquable par la décoration sculpturale dont elle est entièrement couverte; elle semble être le volet central d’un immense triptyque, chef-d’œuvre de l’imagerie romane, représentant la chute de l’homme et sa rédemption[80].

Ces sculptures ont un intérêt iconographique considérable, comme idée et comme expression. L’une d’elles, placée au-dessus et à droite—pour le spectateur—de l’arcade latérale représente le Bain de l’Enfant Jésus, sujet très rare et dont il n’existe, croyons-nous, qu’un exemple appartenant à la châsse en orfèvrerie du XIIIᵉ siècle, dite des Grandes reliques conservée au trésor d’Aix-la-Chapelle.

 

L’église de Saint-Sernin, pour lui conserver sa dénomination vulgaire—ou plus exactement de Saint-Saturnin—à Toulouse, fut commencée en 1060 par Raymond, chanoine de la cathédrale de Toulouse, achevée en 1096 et consacrée par le pape Urbain II,

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FIG. 141.—ÉGLISE DE NOTRE-DAME LA GRANDE, A POITIERS. (Vue perspective des façades ouest et sud.)

après le concile de Clermont où sa parole détermina la première croisade, et peu de temps avant sa mort survenue en 1099; mais la date de cette construction

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FIG. 142.—ÉGLISE DE SAINT-SERNIN, A TOULOUSE.

(Vue perspective de l’abside.)

doit concerner la première église de Saint-Sernin, car, d’après Viollet-le-Duc, celle qui existe aujourd’hui, et qui a été complétée à diverses époques, est du XIIᵉ siècle. C’est un des plus vastes édifices élevés dans le Midi de l’Europe par les constructeurs romans.

L’influence de l’architecture romane d’Auvergne est manifeste aussi bien dans le plan et la coupe que dans

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FIG. 143.—ÉGLISE DE SAINT-SERNIN, A TOULOUSE.

(Vue perspective des façades ouest et sud.)

les détails de sa construction; c’est une imitation, agrandie, des églises de Clermont et d’Issoire.

La nef dont la façade est inachevée a été rebâtie au XVᵉ siècle, mais sur les données primitives. Le vaisseau central est voûté par un berceau contrebuté par les demi-berceaux latéraux couvrant les galeries hautes des collatéraux; celles-ci sont simples, tandis que les galeries basses des bas côtés, voûtées d’arête, sont doubles et se retournent dans le transsept, très vaste et dont la face orientale est percée d’absidioles voûtées en quart de sphère.

Le chœur est enveloppé par un collatéral, voûté d’arête, sur lequel s’ouvrent cinq absidioles ou chapelles rayonnantes voûtées comme celles du transsept.

Sur la croisée du transsept, et soutenue par quatre énormes piliers, s’élève une haute tour construite au XIIIᵉ ou au XIVᵉ siècle, en pierre et en briques dont l’appareil est très ingénieusement étudié pour l’étagement des arcatures et leur construction, dans laquelle l’emploi des matériaux est des plus judicieusement combinés.

CHAPITRE X

ÉGLISE ET CLOÎTRE DE SAINT-TROPHIME, A ARLES.—PORTAILS DE SAINT-GILLES EN LANGUEDOC, DE SAINTE-MARTHE, A TARASCON ET DE MOISSAC.—CLOÎTRES DE MONTMAJOUR, PRÈS D’ARLES ET DE SAINT-PAUL-DU-MAUSOLÉE, PRÈS DE SAINT-RÉMI (BOUCHES-DU-RHÔNE).

Dans les contrées méridionales de l’Europe et principalement dans le Midi de la France, l’architecture romane a pris, dès son avènement, un caractère particulier de finesse et d’élégance qui s’explique facilement.

Les architectes méridionaux, nés au milieu des chefs-d’œuvre de l’art romain que leurs ancêtres s’étaient non seulement assimilés, mais encore qu’ils avaient rapidement amenés à un plus haut degré de perfectionnement, nous en donnent la preuve.

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FIG. 144.

ÉGLISE DE SAINT-TROPHIME A ARLES. (Plan.)

Ce fait a été parfaitement dégagé par le savant épigraphiste Léon Rénier, dans ses cours du Collège de France. «Il est remarquable que les changements, les enrichissements, les modifications de l’architecture importée par Rome dans tous les pays soumis à sa domination se produisent dans les provinces bien avant de se produire en Italie. Rome ne donnait plus, mais recevait des provinces un goût plus affiné, et il s’est opéré alors comme une transfusion d’un sang nouveau plus vif et plus riche[81]

Les architectes romans de la province ont suivi les traditions non interrompues de l’antiquité et, tout en sacrifiant à l’art nouveau qui se manifeste par l’adoption d’un parti architectonique pour la construction des édifices élevés au XIᵉ et au XIIᵉ siècle dans les provinces méridionales, ils conservent les caractères de l’art ancien par le goût raffiné de l’ornementation et de la statuaire dans l’expression desquelles on retrouve aisément les influences syriennes et byzantines.

L’église de Saint-Trophime, à Arles, présente un des exemples, nombreux en Provence, des édifices bâtis au commencement du XIIᵉ siècle selon les nouveaux principes de la construction romane. Elle se compose d’une nef et de deux bas côtés étroits (fig. 144), divisés en cinq travées et séparés par un transsept du sanctuaire formé d’une grande abside et de deux absidioles voûtées en quart de sphère.

Le plan de Saint-Trophime rappelle la basilique antique par les dispositions de la nef, du transsept et de l’hémicycle accompagné de deux absidioles; mais l’édifice est roman par son système de voûtes.

Le berceau de la nef est en forme d’arc brisé et les arcs-doubleaux des bas côtés sont en plein cintre. L’arc brisé de la nef n’est pas la caractéristique d’un style d’architecture; ce n’est qu’un moyen, employé souvent par les architectes romans dans le Centre et le Midi de la France, parce que le berceau en forme d’arc brisé exerce, sur les murs latéraux, une action beaucoup moins énergique que le berceau en plein cintre. On voit, du reste, à Saint-Trophime, comme en d’autres églises, l’arc brisé et l’arc plein cintre employés simultanément dans le même édifice selon les exigences de la construction pour assurer sa parfaite solidité.

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FIG. 145.—PORTAIL DE SAINT-TROPHIME, A ARLES.

Le portail de Saint-Trophime d’Arles est un des plus beaux de la Provence, aussi remarquable par la perfection de sa construction que par la richesse de sa décoration.

Selon Viollet-le-Duc, l’ornementation de ce portail est toute romano-grecque syriaque, et la statuaire est gallo-romaine avec une influence byzantine prononcée.

 

Le cloître roman de Saint-Trophime est certainement un des plus curieux du Midi de la France, qui en possède cependant plusieurs de cette époque, notamment à Montmajour et à Saint-Rémi. «Deux des galeries de ce cloître datent du commencement du XIIᵉ siècle; chacune d’elles se compose de trois travées principales, divisées en quatre arcades portées sur des colonnettes jumelles. Les piles d’angles sont très puissantes ainsi que celles qui séparent les travées. Les galeries étant voûtées en berceau continu, les piles d’angles reçoivent deux arcs-doubleaux et un arc diagonal qui masque la pénétration des deux berceaux. Chaque pile de travée reçoit un arc-doubleau[82].» Le berceau est un arc rampant qui recevait primitivement la couverture du cloître, en dalles posées sur l’extrados du berceau, selon le mode provençal.

Ce cloître est d’une grande richesse comme sculpture; les colonnettes, les chapiteaux, les revêtements des piles sont en marbre gris, et on sent, aussi bien dans la sculpture que dans les profils, l’influence des arts de l’antiquité romaine.

L’église abbatiale de Saint-Gilles, en Languedoc,

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FIG. 146.—ÉGLISE DE SAINT-TROPHIME, A ARLES. (Vue perspective de l’aitre du cloître.)

de même que celle de Saint-Trophime, reproduit dans les détails de sa décoration des fragments romains qui

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FIG. 147.—PORTAIL DE SAINT-GILLES, EN LANGUEDOC. (Vue perspective des trois portes.)

couvrent encore le sol de la Provence. L’édifice est très

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FIG. 148.—PORTAIL DE SAINTE-MARTHE, A TARASCON (BOUCHES-DU-RHONE).

intéressant et son magnifique portail est un des plus somptueux exemples de l’ornementation romano-byzantine; suivant Mérimée, elle se présente comme

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FIG. 149.—PORTAIL DU MOUSTIER A MOISSAC (TARN-ET-GARONNE).

un immense bas-relief de marbre et de pierre où le fond disparaît sous la multiplicité des détails. D’après Viollet-le-Duc, l’école de Toulouse avait su concilier

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FIG. 150.—CLOÎTRE DE L’ABBAYE DE MONTMAJOUR (FRANCE). (Vue perspective des galeries.)

les traditions de l’architecture gallo-romaine—et auvergnate—avec les données byzantines recueillies en Orient. Une autre école voisine, celle de la Provence, s’était initiée plus intimement encore aux derniers vestiges de l’art gréco-romain réfugié en Syrie. En examinant les portes de Saint-Gilles, qui datent du

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FIG. 151.—ABBAYE DE MONTMAJOUR (FRANCE).

(Vue perspective de l’aitre du cloître.)

XIIᵉ siècle, on croirait voir les restes de ces monuments semés en si grand nombre sur la route d’Antioche à Alep.

C’est dans cette église que se trouve la Vis de Saint-Gilles, chef-d’œuvre de stéréotomie qui a donné son nom aux voûtes rampantes en spirale; elle était autrefois le but des pèlerinages des compagnons tailleurs de pierre.

Le portail de Sainte-Marthe à Tarascon est beaucoup

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FIG. 152.—ÉGLISE SAINT-PAUL-DU-MAUSOLÉE, A SAINT-RÉMI (FRANCE). (Vue perspective des galeries.)

moins riche que ceux de Saint-Trophime et de Saint-Gilles, mais les caractères de l’architecture romane du XIIᵉ siècle sont peut-être plus franchement accusés. Il faut constater, toutefois, les réminiscences antiques très marquées par le galbe des colonnes, les profils, la sculpture et plus encore par l’attique qui surmonte le portail.

Cet attique est composé de pilastres alternant avec des colonnettes, les uns et les autres cannelés et compris entre deux corniches minces; celle du bas est soutenue par des modillons ou plutôt des corbeaux sculptés dont l’espacement est rempli par une frise en forme de métopes gravées. Ces membres d’architecture ont conservé l’aspect des mêmes motifs qu’on retrouve fréquemment sur les édifices romains bâtis en Provence vers les premiers siècles de notre ère.

Parmi les portes d’églises du XIIᵉ siècle les plus remarquables, il faut citer, d’après Viollet-le-Duc, celle de Moissac.

Cette porte s’ouvre latéralement sur le grand porche; elle est élevée sous un large berceau—presque en plein cintre—qui forme lui-même l’avant-porche et qui est richement décoré de sculptures en marbre gris. Son trumeau est formé de lions entrelacés, formant une ornementation dont le caractère asiatique est très fortement accusé; la sculpture est d’ailleurs d’une finesse et d’une netteté extraordinaires; le temps l’a ornée d’une admirable patine qui donne à cette singulière composition, si originale et si décorative, l’aspect d’un bronze antique.

Les pieds-droits se découpent en croissants sur le vide des baies et le linteau est décoré de belles rosaces admirablement fouillées. Dans le tympan est assise une grande figure couronnée représentant le Christ bénissant; de chaque côté sont les quatre symboles des évangélistes, accompagnés de deux anges de dimension colossale et des vingt-quatre vieillards de l’Apocalypse. Les voussures sont décorées d’ornements finement sculptés. Sur les pieds-droits du berceau et dans des arcatures latérales, des bas-reliefs en marbre, d’un style byzantin très marqué, représentent, à la droite du Christ, les vices punis, et à gauche: l’Annonciation, la Visitation, l’Adoration des mages et la Fuite en Égypte.

 

Les cloîtres des abbayes de Montmajour, près d’Arles, et de Saint-Paul-du-Mausolée, près de Saint-Rémi, sont moins ornés que le cloître de Saint-Trophime d’Arles; mais ils présentent avec celui-ci de grandes analogies par le mode de construction adopté par les architectes de ces édifices romans.

Les galeries des cloîtres de Montmajour et de Saint-Paul-du-Mausolée sont également couvertes par des voûtes en berceau, nervées par des arcs-doubleaux et retombant sur les murs latéraux; celui du côté de l’aitre du cloître est fort épais, et il est encore renforcé extérieurement par des contreforts au droit des arcs-doubleaux intérieurs. Ces contreforts sont reliés, extérieurement, par des arcs en segment dont le vide ou plus exactement la claire-voie est décorée d’arcatures reposant sur des colonnettes jumelles.

Le cloître de Montmajour est plus ancien que celui de Saint-Paul, qui paraît remonter aux premières années du XIIᵉ siècle; il a été construit avec plus d’art que celui-ci, les profils sont plus nets, les sculptures mieux composées et l’ensemble de la construction n’a pas la rusticité de Saint-Paul, qui semble avoir été une imitation grossière de Montmajour, comme ce dernier est une traduction simplifiée de Saint-Trophime.

CHAPITRE XI

ÉGLISE DE SAINT-MARC A VENISE (ITALIE).

La construction des églises à coupoles a été une des phases les plus intéressantes de la révolution dans l’art de bâtir, qui a pris naissance en Orient au VIᵉ siècle et qui s’est manifestée, à peu près simultanément, dès le commencement du XIᵉ siècle, en Italie et en France par deux admirables monuments, chefs-d’œuvre d’architecture de la période romane.

Les églises élevées à la fin du Xᵉ siècle et surtout dès le commencement du XIᵉ siècle sont voûtées, partiellement ou entièrement, selon les principes, nouveaux alors, de l’architecture romane, et nous avons vu les efforts des constructeurs pour arriver à ce résultat. Cependant les dispositions générales étaient restées à peu près les mêmes que celles de la basilique antique, à l’exception des églises rondes ou polygones, et les édifices dans lesquels on peut constater les combinaisons les plus ingénieuses et les plus savantes de la formule romane ne s’écartent pas de la forme basilicale, forme consacrée pour ainsi dire. C’est toujours la même nef centrale, accompagnée d’un ou de plusieurs bas côtés, aboutissant à un transsept sur lequel s’ouvrent, au delà, un hémicycle principal, ou grande abside et deux ou plusieurs absidioles. Ces diverses parties de l’édifice sont couvertes en bois ou en pierre, par des charpentes apparentes ou par des voûtes, en berceau plein cintre ou brisé, d’arête ou en quart de sphère; c’est le plan latin augmenté d’un plus ou moins grand nombre de détails accessoires qui ne changent pas la forme générale.

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FIG. 153.—ÉGLISE DE SAINT-MARC, A VENISE. (Plan.)

Mais par l’adoption du système nouveau dont la coupole est l’élément capital, les églises se transforment et, si elles gardent encore quelques détails latins, elles deviennent byzantines par l’économie même de leur construction. Le plan des édifices ne rappelle plus les basiliques romaines; il devient semblable à celui de l’église des Saints-Apôtres, bâtie sous le règne de

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FIG. 154.—ÉGLISE DE SAINT-MARC, A VENISE.

(Coupe longitudinale.)

Justinien à Constantinople et décrit par l’historien grec Procope.—De ædificiis Justiniani, d’après Quicherat.

L’église des Saints-Apôtres figurait une croix grecque composée de deux nefs égales, de trois travées chacune, se coupant à angle droit et formant par conséquent cinq travées semblables, couronnées chacune par une coupole hémisphérique soutenue par quatre pendentifs

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FIG. 155.—ÉGLISE DE SAINT-MARC, A VENISE. (Vue perspective intérieure.)

rachetant le carré. C’est absolument la description de l’église de Saint-Marc et de celle de Saint-Front que nous étudierons dans le chapitre suivant.

Saint-Marc ne fut donc pas construit sur le plan de Sainte-Sophie de Constantinople, à moins qu’il ne s’agisse de l’église primitive[83], détruite par un incendie en 976—ce qui indiquerait qu’elle était couverte par une charpente comme les basiliques antiques.

L’église de Saint-Marc, qui existe encore aujourd’hui, a été commencée, selon les historiens et les archéologues dignes de foi, en 1043 et couverte, en 1071, sinon achevée, car on continua pendant des siècles à l’agrandir et à la décorer. Elle a la forme exacte de l’église des Saints-Apôtres, si bien décrite par Procope.

L’origine orientale de Saint-Marc est donc absolument démontrée; elle s’explique aisément d’ailleurs par les relations incessantes qui existaient entre Constantinople, le Levant et Venise qui monopolisa, jusqu’au Xᵉ siècle, le commerce de l’Orient et celui d’une partie de l’Occident.

La construction de Saint-Marc indique un art avancé. Les nefs croisées sont formées par des arcs-doubleaux réunis au sommet par des pendentifs formant une assise solide aux coupoles hémisphériques. Les piles recevant les retombées des arcs-doubleaux sont évidées par des arcades étagées et forment des bas côtés qui établissent les communications faciles latéralement aux nefs croisées[84].

Mais si le plan et le parti architectural en élévation sont franchement byzantins, le mode de construction est resté romain; l’ossature de l’édifice a été revêtue après coup d’une décoration qui dissimule les détails de sa construction.

Les détails d’architecture sont également romains;

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FIG. 156.—ÉGLISE DE SAINT-MARC, A VENISE.

(Détails de sculpture.)

les bases, les profils ont tous les caractères antiques, et les fûts des colonnes ainsi que leurs chapiteaux semblent avoir été enlevés à des monuments grecs.

A l’est, un hémicyle, ou abside, cantonné d’absidioles,—comme à l’église du Saint-Sépulcre à Jérusalem—est accompagné de deux absides plus petites, disposées de même manière. Cette abside et ces deux absidioles forment un sanctuaire qui rappelle celui des églises chrétiennes de Constantinople ou de la Grèce, surtout celles de Théotocos et de Saint-Nicodème.

A l’ouest, un porche à coupoles, moins ancien que l’église, s’étend sur la façade percée de cinq portes et se prolonge sur les faces latérales jusqu’aux bras de croix nord et sud.

Les dômes actuels ont remplacé les couronnements primitifs des coupoles. Les façades ont été restaurées au XIVᵉ siècle et les clochetons, les arcs en accolade et les ornements de mauvais goût qui déshonorent le vénérable édifice paraissent être de cette époque.

CHAPITRE XII

ÉGLISE DE SAINT-FRONT A PÉRIGUEUX (FRANCE).

La première église à coupoles qui ait été élevée en France paraît être celle de Saint-Front, à Périgueux.

D’après Quicherat, elle fut certainement construite à l’imitation d’une église orientale; sa ressemblance, comme conformation, avec Saint-Marc de Venise est telle qu’on n’a pas craint d’affirmer que Saint-Front en était une copie[85].

Ce fait n’a été nullement prouvé et toutes les conjectures qu’on a faites pour expliquer l’importation d’un modèle vénitien en Aquitaine n’ont aucune consistance.

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FIG. 157.—ÉGLISE DE SAINT-FRONT, A PÉRIGUEUX. (Plan[86].)

«Il est plus naturel de considérer les deux églises comme des sœurs engendrées par la même mère et d’aller chercher celle-ci à Constantinople. Là, effectivement, existait une célèbre église, celle des Saints-Apôtres, bâtie par Justinien[87].» La description, qui nous en a été laissée par Procope, supplique également à Saint-Marc et à Saint-Front.

Ces deux églises n’ont de ressemblance que par leurs dispositions générales qui résultent de leur origine commune. Le plan et la coupe sont semblables à l’église des Saints-Apôtres de Constantinople, mais leur construction est absolument différente.

D’ailleurs, Saint-Front serait plus ancien que Saint-Marc si l’on en croyait certains historiens. Ils affirment que le commencement de l’église à coupoles de Saint-Front coïncide avec le retour, en 1010, d’un voyage fait en Terre Sainte par l’évêque de Périgueux—voyage qu’on peut supposer avoir été un des innombrables pèlerinages qui furent un des effets de la vive réaction qui se produisit après l’apaisement des terreurs de l’an 1000,—et que son église aurait été consacrée en 1047.

Il importe peu que Saint-Front et Saint-Marc aient été bâtis en même temps—il est certain du reste que le premier n’est pas la copie du second;—le point intéressant, c’est de comparer et d’étudier leurs constructions afin d’en tirer l’enseignement utile qui s’attache aux progrès réalisés dans l’église périgourdine.

Nous avons vu dans le chapitre précédent les particularités de la structure, tout antique, de Saint-Marc; il a été bâti suivant les traditions romaines, avec des matériaux grossiers, solidement réunis par d’excellents mortiers, et revêtu ensuite d’une décoration somptueuse, composée de marbres les plus rares et les plus brillamment colorés et de mosaïques à fond d’or, tandis que

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FIG. 158.—ÉGLISE DE SAINT-FRONT, A PÉRIGUEUX.

(Coupe transversale du nord au sud.)

Saint-Front a été construit selon les principes de la construction syrienne, que les architectes de l’Aquitaine s’étaient assimilés et que leurs successeurs ont portés à un si haut degré de perfection, en procédant à l’édification du grandiose monument par assises réglées, en appareillant les arcs, les voûtes, les pendentifs, les coupoles, et en laissant partout la pierre apparente dans toute la beauté de sa mâle simplicité.

Ce n’est plus une agglomération de matériaux noyés dans des mortiers, très habilement disposés, cependant, pour la répartition des charges et des résistances, mais formant une sorte de concrétion moulée sur des cintres, puis décorée après coup comme l’église vénitienne.

L’église périgourdine est au contraire, une savante composition dont chaque partie a sa place marquée d’avance par un appareil normal à chaque membre d’architecture et dans laquelle les arcs, conservant leur force élastique, forment, par leur jonction combinée sur des points déterminés, un ensemble d’une solidité et d’une stabilité parfaites.

Saint-Front est un vaste champ qu’on ne saurait trop explorer au point de vue de l’étude de l’art de bâtir en Occident et particulièrement en France. C’est le berceau de l’architecture nationale, car, dans sa forme symbolique, la coupole de Saint-Front est l’œuf d’où est sorti un système architectonique qui a causé une révolution des plus fécondes dans le domaine de l’art.

Nous trouvons, en effet, à Saint-Front une des premières applications d’un système nouveau, né en Orient, mais perfectionné savamment en Occident; c’est un des principes des transformations nécessaires de l’architecture romane et l’une des causes les plus décisives des rapides progrès qu’elle fit dans toute l’Europe occidentale du XIᵉ au XIIᵉ siècle.

Les pendentifs des coupoles de Saint-Front, appareillés normalement à la courbe en passant du plan carré de la naissance des arcs au plan circulaire couronnant leurs clefs, sont les embryons de l’arc ogif ou croisée d’ogives, selon l’expression fort ancienne et qui était encore employée du temps de Philibert Delorme pour désigner les arcs diagonaux supportant les voûtes avec le concours des arcs-doubleaux.

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FIG. 159.—ÉGLISE DE SAINT-FRONT. A PÉRIGUEUX.

(Coupe d’un pendentif sur la diagonale A B.)

On trouve, à notre avis, dans la disposition des pendentifs le principe même de la croisée d’ogives, ainsi que l’indique la coupe diagonale sur A B d’une des coupoles de Saint-Front (fig. 159).

Mais il faut d’abord dire un mot de la structure des coupoles; elle consiste en une succession d’assises formant des lignes circulaires de claveaux concaves. «Il résulte de cette disposition des assises que leurs éléments usent à s’entretenir la plus grande partie de la force qui les sollicite à tomber; par conséquent, il n’y a qu’une médiocre poussée des rangs supérieurs sur les rangs inférieurs et, en définitive, la coupole ne chasse guère au vide les supports sur lesquels elle est assise[88].» Ce mode de construction a cet avantage, mais il nécessite des massifs énormes pour supporter les coupoles et il ne peut servir qu’à couvrir des édifices ronds ou octogones. Le perfectionnement apporté par les constructeurs du XIᵉ siècle a été d’élever des coupoles sur des espaces carrés à l’aide de pendentifs rachetant le carré et reportant, avec les arcs-doubleaux, la charge des voûtes sur les piles.

Dans ces conditions, les fonctions de pendentifs, appareillés normalement, et celles des croisées d’ogives, appareillées de même, sont identiques, puisque dans tous les cas elles reportent, avec les arcs-doubleaux, leurs poussées et les charges des remplissages des voûtes sur les piles.

Les architectes romans, rompus à toutes les pratiques professionnelles, étaient trop habiles constructeurs

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FIG. 160.—ÉGLISE DE SAINT-FRONT, A PÉRIGUEUX.

(Vue perspective intérieure.)

pour ne pas utiliser ces principes en cherchant à les perfectionner par des combinaisons moins coûteuses. Deux raisons surtout devaient stimuler leurs recherches; tout d’abord la question d’argent, grave question qui a eu une grande importance dans tous les temps; le mode de construction des coupoles nécessitait des piles et des arcs-doubleaux très puissants et, par conséquent, de grandes dépenses. Puis le besoin d’agrandir les églises qui, étant donnée la sévérité des lois liturgiques si puissantes au moyen âge, ne pouvaient être bâties ou réédifiées que sur le lieu consacré. D’où résultait la nécessité de modifier les voûtes afin de diminuer leur poids en les répartissant sur des points d’appui plus nombreux, mais d’une section moindre et permettant, comme conséquence, d’agrandir l’espace intérieur des églises.

Nous examinerons d’ailleurs cette transformation économique, après avoir étudié les églises à coupoles bâties en grand nombre, à l’exemple de Saint-Front ou suivant ses principes de construction.

Saint-Front présente les mêmes dispositions que l’église des Saints-Apôtres, dispositions que nous avons décrites dans le chapitre précédent.

Les nefs croisées figurant une croix grecque et couronnées de cinq coupoles sont formées par de puissants arcs-doubleaux qui, bandés sur les piles et réunis par des pendentifs appareillés normalement à la courbe (fig. 159), composent une assise inébranlable aux coupoles ovoïdes, sur plan circulaire, dont les poussées verticales se répartissent également sur les arcs mutuellement contrebutés. Les piles, percées de hautes et étroites arcades, établissent une circulation latérale; les murs de clôture, d’une mince épaisseur et formant le parement extérieur, sont percés de fenêtres en plein cintre.

Il est intéressant de remarquer l’analogie qui existe entre les dispositions de Saint-Front et de Saint-Marc et celles de Sainte-Sophie et des Saints-Apôtres à Constantinople qui rappellent le parti architectural adopté par les Romains dans les Thermes d’Antonin Caracalla; il est utile de revoir à ce sujet dans la première partie les chapitres III, XII et XIV.

A l’est, l’hémicycle primitif a été remplacé plus tard par une abside plus importante, et deux absidioles ont été ménagées dans le côté oriental des bras de la croix nord et sud.

A l’ouest, l’église à coupoles communique avec l’ancienne église latine dont nous avons parlé au chapitre XI de la première partie et sur deux travées de laquelle le grand clocher, marquant la sépulture de Saint-Front, aurait été élevé par Frotaire, évêque de Périgueux sur la fin du Xᵉ siècle.

Les grands doubleaux de l’église à coupoles présentent cette particularité d’être des arcs brisés. Ainsi que nous l’avons déjà dit au chapitre X de la deuxième partie, cette forme est un moyen de construction, plutôt qu’un caractère d’architecture, employé pour diminuer l’action des poussées de l’arc plein cintre, beaucoup plus énergique que celles de l’arc brisé.

Du reste, l’arc brisé était connu bien avant la construction de Saint-Front; les savants dont nous parle Quicherat signalent sa présence: au Caire, dans des monuments arabes du IXᵉ siècle de notre ère; au centre de l’Arménie, à Diarbekir, dans un portique de l’époque romaine et dont les colonnes sont reliées par des arcs brisés; enfin, remontant encore plus haut dans l’histoire, en Perse où les constructeurs n’ont pas employé d’autres cintres depuis les derniers Sassanides.

Une forme qui eut autant de succès chez le peuple le plus artiste de l’Orient dut certainement être transportée de très bonne heure dans la Syrie et se rencontrer sur le passage des pèlerins si nombreux qui fréquentaient alors les Lieux Saints; pour que cette forme eût attiré l’attention des Latins, il faut nécessairement qu’ils l’aient vue, non pas dans les mosquées où ils n’avaient garde d’entrer, mais dans des édifices consacrés au culte chrétien.

CHAPITRE XIII

ÉGLISE DE CAHORS (LOT).—ÉGLISE DE SAINT-AVIT-SÉNIEUR (DORDOGNE).

Les premières églises bâties à l’exemple de Saint-Front, celles de la première génération pour ainsi dire comme celles de la cité ou de Saint-Étienne à Périgueux et de Cahors, conservent le même mode de construction, mais présentent quelques différences dans le plan; les bras latéraux de la croix grecque sont supprimés et il ne reste plus qu’un rectangle formé de deux ou de plusieurs travées couronnées par des coupoles et terminé par un sanctuaire demi-circulaire cantonné d’absidioles comme à Cahors, ou même simplement par le mur de clôture d’un des côtés de la travée terminale comme à Saint-Avit, soit parce qu’on s’est contenté de cet arrangement ou bien parce que l’édifice n’a pas été achevé.

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FIG. 161.—ÉGLISE DE CAHORS.

(Plan.)

L’église de Saint-Étienne, à Cahors, bien qu’elle ait été consacrée dans les premières années du XIIᵉ siècle, remonte cependant au milieu du siècle précédent, et elle doit être contemporaine de l’achèvement de la célèbre église de Périgueux; c’est d’ailleurs une des plus importantes et surtout des plus fidèles imitations de Saint-Front.

La construction de l’église de Cahors est semblable à celle de Saint-Étienne de Périgueux—du moins dans la partie antérieure de celle-ci—qui a suivi de très près celle de Saint-Front.

On peut remarquer déjà dans ces deux églises et surtout à Cahors un perfectionnement sensible dans l’économie de la construction. Les arcs-doubleaux sont beaucoup moins larges, et l’on sent que les architectes,

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