L'Iliade
The Project Gutenberg eBook of L'Iliade
Title: L'Iliade
Author: Homer
Translator: Leconte de Lisle
Release date: December 7, 2004 [eBook #14285]
                Most recently updated: October 28, 2024
Language: French
Credits: Produced by Ebooks libres et gratuits at http://www.ebooksgratuits.com
Homère
L’ILIADE
Traduction Charles-René-Marie Leconte de L'Isle
Table des matières
Chants
Chant 1
Chant 2
Chant 3
Chant 4
Chant 5
Chant 6
Chant 7
Chant 8
Chant 9
Chant 10
Chant 11
Chant 12
Chant 13
Chant 14
Chant 15
Chant 16
Chant 17
Chant 18
Chant 19
Chant 20
Chant 21
Chant 22
Chant 23
Chant 24
Chant 1
Chante, déesse, du Pèlèiade Akhilleus la colère désastreuse, qui de maux infinis accabla les Akhaiens, et précipita chez Aidès tant de fortes âmes de héros, livrés eux-mêmes en pâture aux chiens et à tous les oiseaux carnassiers. Et le dessein de Zeus s'accomplissait ainsi, depuis qu'une querelle avait divisé l'Atréide, roi des hommes, et le divin Akhilleus.
Qui d'entre les dieux les jeta dans cette dissension? Le fils de Zeus et de Lètô. Irrité contre le roi, il suscita dans l'armée un mal mortel, et les peuples périssaient, parce que l'Atréide avait couvert d'opprobre Khrysès le sacrificateur.
Et celui-ci était venu vers les nefs rapides des Akhaiens pour racheter sa fille; et, portant le prix infini de l'affranchissement, et, dans ses mains, les bandelettes de l'Archer Apollôn, suspendues au sceptre d'or, il conjura tous les Akhaiens, et surtout les deux Atréides, princes des peuples:
— Atréides, et vous, anciens aux belles knèmides, que les dieux qui habitent les demeures olympiennes vous donnent de détruire la ville de Priamos et de vous retourner heureusement; mais rendez- moi ma fille bien-aimée et recevez le prix de l'affranchissement, si vous révérez le fils de Zeus, l'archer Apollôn.
Et tous les Akhaiens, par des rumeurs favorables, voulaient qu'on respectât le sacrificateur et qu'on reçût le prix splendide; mais cela ne plut point à l'âme de l'Atréide Agamemnôn, et il le chassa outrageusement, et il lui dit cette parole violente:
— Prends garde, vieillard, que je te rencontre auprès des nefs creuses, soit que tu t'y attardes, soit que tu reviennes, de peur que le sceptre et les bandelettes du dieu ne te protègent plus. Je n'affranchirai point ta fille. La vieillesse l'atteindra, en ma demeure, dans Argos, loin de sa patrie, tissant la toile et partageant mon lit. Mais, va! ne m'irrite point, afin de t'en retourner sauf.
Il parla ainsi, et le vieillard trembla et obéit. Et il allait, silencieux, le long du rivage de la mer aux bruits sans nombre. Et, se voyant éloigné, il conjura le roi Apollôn que Lètô à la belle chevelure enfanta:
— Entends-moi, porteur de l'arc d'argent, qui protèges Khrysè et Killa la sainte, et commandes fortement sur Ténédos, Smintheus! Si jamais j'ai orné ton beau temple, si jamais j'ai brûlé pour toi les cuisses grasses des taureaux et des chèvres, exauce mon voeu: que les Danaens expient mes larmes sous tes flèches!
Il parla ainsi en priant, et Phoibos Apollôn l'entendit; et, du sommet Olympien, il se précipita, irrité dans son coeur, portant l'arc sur ses épaules, avec le plein carquois. Et les flèches sonnaient sur le dos du dieu irrité, à chacun de ses mouvements. Et il allait, semblable à la nuit.
Assis à l'écart, loin des nefs, il lança une flèche, et un bruit terrible sortit de l'arc d'argent. Il frappa les mulets d'abord et les chiens rapides; mais, ensuite, il perça les hommes eux-mêmes du trait qui tue. Et sans cesse les bûchers brûlaient, lourds de cadavres.
Depuis neuf jours les flèches divines sifflaient à travers l'armée; et, le dixième, Akhilleus convoqua les peuples dans l'agora. Hèrè aux bras blancs le lui avait inspiré, anxieuse des Danaens et les voyant périr. Et quand ils furent tous réunis, se levant au milieu d'eux, Akhilleus aux pieds rapides parla ainsi:
— Atréide, je pense qu'il nous faut reculer et reprendre nos courses errantes sur la mer, si toutefois nous évitons la mort, car, toutes deux, la guerre et la contagion domptent les Akhaiens. Hâtons-nous d'interroger un divinateur ou un sacrificateur, ou un interprète des songes, car le songe vient de Zeus. Qu'il dise pourquoi Phoibos Apollôn est irrité, soit qu'il nous reproche des voeux négligés ou qu'il demande des hécatombes promises. Sachons si, content de la graisse fumante des agneaux et des belles chèvres, il écartera de nous cette contagion.
Ayant ainsi parlé, il s'assit. Et le Thestoride Kalkhas, l'excellent divinateur, se leva. Il savait les choses présentes, futures et passées, et il avait conduit à Ilion les nefs Akhaiennes, à l'aide de la science sacrée dont l'avait doué Phoibos Apollôn. Très sage, il dit dans l'agora:
— Ô Akhilleus, cher à Zeus, tu m'ordonnes d'expliquer la colère du roi Apollôn l'archer. Je le ferai, mais promets d'abord et jure que tu me défendras de ta parole et de tes mains; car, sans doute, je vais irriter l'homme qui commande à tous les Argiens et à qui tous les Akhaiens obéissent. Un roi est trop puissant contre un inférieur qui l'irrite. Bien que, dans l'instant, il refrène sa colère, il l'assouvit un jour, après l'avoir couvée dans son coeur. Dis-moi donc que tu me protégeras.
Et Akhilleus aux pieds rapides, lui répondant, parla ainsi:
— Dis sans peur ce que tu sais. Non! par Apollôn, cher à Zeus, et dont tu découvres aux Danaens les volontés sacrées, non! nul d'entre eux, Kalkhas, moi vivant et les yeux ouverts, ne portera sur toi des mains violentes auprès des nefs creuses, quand même tu nommerais Agamemnôn, qui se glorifie d'être le plus puissant des Akhaiens.
Et le divinateur irréprochable prit courage et dit:
— Apollôn ne vous reproche ni voeux ni hécatombes; mais il venge son sacrificateur, qu'Agamemnôn a couvert d’opprobre, car il n'a point délivré sa fille, dont il a refusé le prix d'affranchissement. Et c'est pour cela que l'archer Apollôn vous accable de maux; et il vous en accablera, et il n'écartera point les lourdes kères de la contagion, que vous n'ayez rendu à son père bien-aimé la jeune fille aux sourcils arqués, et qu'une hécatombe sacrée n'ait été conduite à Khrysè. Alors nous apaiserons le dieu.
Ayant ainsi parlé, il s'assit. Et le héros Atréide Agamemnôn, qui commande au loin, se leva, plein de douleur; et une noire colère emplissait sa poitrine, et ses yeux étaient pareils à des feux flambants. Furieux contre Kalkhas, il parla ainsi:
— Divinateur malheureux, jamais tu ne m'as rien dit d'agréable. Les maux seuls te sont doux à prédire. Tu n'as jamais ni bien parlé ni bien agi; et voici maintenant qu'au milieu des Danaens, dans l'agora, tu prophétises que l'archer Apollon nous accable de maux parce que je n’ai point voulu recevoir le prix splendide de la vierge Khrysèis, aimant mieux la retenir dans ma demeure lointaine. En effet, je la préfère à Klytaimnestrè, que j'ai épousée vierge. Elle ne lui est inférieure ni par le corps, ni par la taille, ni par l'intelligence, ni par l'habileté aux travaux. Mais je la veux rendre. Je préfère le salut des peuples à leur destruction. Donc, préparez-moi promptement un prix, afin que, seul d'entre tous les Argiens, je ne sois point dépouillé. Cela ne conviendrait point; car, vous le voyez, ma part m'est retirée.
Et le divan Akhilleus aux pieds rapides lui répondit:
— Très orgueilleux Atréide, le plus avare des hommes, comment les magnanimes Akhaiens te donneraient-ils un autre prix? Avons-nous des dépouilles à mettre en commun? Celles que nous avons enlevées des villes saccagées ont été distribuées, et il ne convient point que les hommes en fassent un nouveau partage. Mais toi, remets cette jeune fille à son dieu, et nous, Akhaiens, nous te rendrons le triple et le quadruple, si jamais Zeus nous donne de détruire Troiè aux fortes murailles.
Et le roi Agamemnôn, lui répondant, parla ainsi:
— Ne crois point me tromper, quelque brave que tu sois, Akhilleus semblable à un dieu, car tu ne me séduiras ni ne me persuaderas. Veux-tu, tandis que tu gardes ta part, que je reste assis dans mon indigence, en affranchissant cette jeune fille? Si les magnanimes Akhaiens satisfont mon coeur par un prix d'une valeur égale, soit. Sinon, je ravirai le tien, ou celui d'Aias, ou celui d'Odysseus; et je l'emporterai, et celui-là s'indignera vers qui j'irai. Mais nous songerons à ceci plus tard. Donc, lançons une nef noire à la mer divine, munie d'avirons, chargée d'une hécatombe, et faisons-y monter Khrysèis aux belles joues, sous la conduite d'un chef, Aias, Idoméneus, ou le divin Odysseus, ou toi-même, Pèléide, le plus effrayant des hommes, afin d'apaiser l'archer Apollôn par les sacrifices accomplis.
Et Akhilleus aux pieds rapides, le regardant d'un oeil sombre, parla ainsi;
— Ah! revêtu d'impudence, âpre au gain! Comment un seul d'entre les Akhaiens se hâterait-il de t'obéir, soit qu'il faille tendre une embuscade, soit qu'on doive combattre courageusement contre les hommes? Je ne suis point venu pour ma propre cause attaquer les Troiens armés de lances, car ils ne m'ont jamais nui. Jamais ils ne m'ont enlevé ni mes boeufs ni mes chevaux; jamais, dans la fructueuse Phthiè, ils n'ont ravagé mes moissons: car un grand nombre de montagnes ombragées et la mer sonnante nous séparent. Mais nous t'avons suivi pour te plaire, impudent! pour venger Ménélaos et toi, oeil de chien! Et tu ne t'en soucies ni ne t'en souviens, et tu me menaces de m'enlever la récompense pour laquelle j'ai tant travaillé et que m'ont donnée les fils des Akhaiens! Certes, je n'ai jamais une part égale à la tienne quand on saccage une ville troienne bien peuplée; et cependant mes mains portent le plus lourd fardeau de la guerre impétueuse. Et, quand vient l'heure du partage, la meilleure part est pour toi; et, ployant sous la fatigue du combat, je retourne vers mes nefs, satisfait d'une récompense modique. Aujourd'hui, je pars pour la Phthiè, car mieux vaut regagner ma demeure sur mes nefs éperonnées. Et je ne pense point qu'après m'avoir outragé tu recueilles ici des dépouilles et des richesses.
Et le roi des hommes, Agamemnôn, lui répondit:
— Fuis, si ton coeur t'y pousse. Je ne te demande point de rester pour ma cause. Mille autres seront avec moi, surtout le très sage Zeus. Tu m'es le plus odieux des rois nourris par le Kronide. Tu ne te plais que dans la dissension, la guerre et le combat. Si tu es brave, c'est que les dieux l'ont voulu sans doute. Retourne dans ta demeure avec tes nefs et tes compagnons; commande aux Myrmidones; je n'ai nul souci de ta colère, mais je te préviens de ceci; puisque Phoibos Apollôn m'enlève Khrysèis, je la renverrai sur une de mes nefs avec mes compagnons, et moi-même j'irai sous ta tente et j'en entraînerai Breisèis aux belles joues, qui fut ton partage, afin que tu comprennes que je suis plus puissant que toi, et que chacun redoute de se dire mon égal en face.
Il parla ainsi, et le Pèléiôn fut ampli d'angoisse, et son coeur, dans sa mâle poitrine, délibéra si, prenant l'épée aiguë sur sa cuisse, il écarterait la foule et tuerait l'Atréide, ou s'il apaisent sa colère et refrénerait sa fureur.
Et tandis qu'il délibérait dans son âme et dans son esprit, et qu'il arrachait sa grande épée de la gaine, Athènè vint de l'Ouranos, car Hèrè aux bras blancs l'avait envoyée, aimant et protégeant les deux rois. Elle se tint en arrière et saisit le Pèléiôn par sa chevelure blonde; visible pour lui seul, car nul autre ne la voyait. Et Akhilleus, stupéfait, se retourna, et aussitôt il reconnut Athènè, dont les yeux étaient terribles, et il lui dit en paroles ailées:
— Pourquoi es-tu venue, fille de Zeus tempétueux? Est-ce afin de voir l'outrage qui m'est fait par l'Atréide Agamemnôn? Mais je te le dis, et ma parole s'accomplira, je pense: il va rendre l’âme à cause de son insolence.
Et Athènè aux yeux clairs lui répondit:
— Je suis venue de l'Ouranos pour apaiser ta colère, si tu veux obéir. La divine Hèrè aux bras blancs m'a envoyée, vous aimant et vous protégeant tous deux. Donc, arrête; ne prends point l'épée en main, venge-toi en paroles, quoi qu'il arrive. Et je te le dis, et ceci s'accomplira: bientôt ton injure te sera payée par trois fois autant de présents splendides. Réprime-toi et obéis-nous.
Et Akhilleus aux pieds rapides, lui répondant, parla ainsi:
— Déesse, il faut observer ton ordre, bien que je sois irrité dans l'âme. Cela est pour le mieux sans doute, car les dieux exaucent qui leur obéit.
Il parla ainsi, et, frappant d'une main lourde la poignée d'argent, il repoussa sa grande épée dans la gaine et n'enfreignit point l'ordre d'Athènè.
Et celle-ci retourna auprès des autres dieux, dans les demeures olympiennes de Zeus tempétueux.
Et le Pèléide, débordant de colère, interpella l'Atréide avec d'âpres paroles:
— Lourd de vin, oeil de chien, coeur de cerf! jamais tu n'as osé, dans ton âme, t'armer pour le combat avec les hommes, ni tendre des embuscades avec les princes des Akhaiens. Cela t'épouvanterait comme la mort elle-même. Certes, il est beaucoup plus aisé, dans la vaste armée Akhaienne, d'enlever la part de celui qui te contredit, roi qui manges ton peuple, parce que tu commandes à des hommes vils. S'il n'en était pas ainsi, Atréide, cette insolence serait la dernière. Mais je te le dis, et j'en jure un grand serment: par ce sceptre qui ne produit ni feuilles, ni rameaux, et qui ne reverdira plus, depuis qu'il a été tranché du tronc sur les montagnes et que l'airain l'a dépouillé de feuilles et d'écorce; et par le sceptre que les fils des Akhaiens portent aux mains quand ils jugent et gardent les lois au nom de Zeus, je te le jure par un grand serment: certes, bientôt le regret d'Akhilleus envahira tous les fils des Akhaiens, et tu gémiras de ne pouvoir les défendre, quand ils tomberont en foule sous le tueur d'hommes Hektôr; et tu seras irrité et déchiré au fond de ton âme d'avoir outragé le plus brave des Akhaiens.
Ainsi parla le Pèlëide, et il jeta contre terre le sceptre aux clous d'or, et il s'assit. Et l'Atréide s'irritait aussi; mais l'excellent agorète des Pyliens, l'harmonieux Nestôr, se leva.
Et la parole coulait de sa langue, douce comme le miel. Et il avait déjà vécu deux âges d'hommes nés et nourris avec lui dans la divine Pylos, et il régnait sur le troisième âge. Très sage, il dit dans l'agora:
— Ô dieux! Certes. un grand deuil envahit la terre Akhaienne! Voici que Priamos se réjouira et que les fils de Priamos et tous les autres Troiens se réjouiront aussi dans leur coeur, quand ils apprendront vos querelles, à vous qui êtes au-dessus des Danaens dans l'agora et dans le combat. Mais laissez-vous persuader, car vous êtes tous deux moins âgés que moi. J'ai vécu autrefois avec des hommes plus braves que vous, et jamais ils ne m'ont cru moindre qu'eux. Non, jamais je n'ai vu et je ne reverrai des hommes tels que Peirithoos, et Dryas, prince des peuples, Kainéos, Exadios, Polyphèmos semblable à un dieu, et Thèseus Aigéide pareil aux immortels. Certes, ils étaient les plus braves des hommes nourris sur la terre, et ils combattaient contre les plus braves, les centaures des montagnes; et ils les tuèrent terriblement. Et j'étais avec eux, étant allé loin de Pylos et de la terre d'Apiè, et ils m'avaient appelé, et je combattais selon mes forces, car nul des hommes qui sont aujourd'hui sur la terre n'aurait pu leur résister. Mais ils écoutaient mes conseils et s'y conformaient. Obéissez donc, car cela est pour le mieux. Il n'est point permis à Agamemnôn, bien que le plus puissant, d'enlever au Pèléide la vierge que lui ont donnée les fils des Akhaiens, mais tu ne dois point aussi, Pèléide, résister au roi, car tu n'es point l'égal de ce porte sceptre que Zeus a glorifié. Si tu es le plus brave, si une mère divine t'a enfanté, celui-ci est le plus puissant et commande à un plus grand nombre. Atréide, renonce à ta colère, et je supplie Akhilleus de réprimer la sienne, car il est le solide bouclier des Akhaiens dans la guerre mauvaise.
Et le roi Agamemnôn parla ainsi:
— Vieillard, tu as dit sagement et bien; mais cet homme veut être au-dessus de tous, commander à tous et dominer sur tous. Je ne pense point que personne y consente. Si les dieux qui vivent toujours l'ont fait brave, lui ont-ils permis d'insulter?
Et le divin Akhilleus lui répondit:
— Certes, je mériterais d'être nommé lâche et vil si, à chacune de tes paroles, je te complaisais en toute chose. Commande aux autres, mais non à moi, car ne pense point que je t'obéisse jamais plus désormais. Je te dirai ceci; garde-le dans ton esprit: Je ne combattrai point contre aucun autre à cause de cette vierge, puisque vous m'enlevez ce que vous m'avez donné. Mais tu n'emporteras rien contre mon gré de toutes les autres choses qui sont dans ma nef noire et rapide. Tente-le, fais-toi ce danger, et que ceux-ci le voient, et aussitôt ton sang noir ruissellera autour de ma lance.
S'étant ainsi outragés de paroles, ils se levèrent et rompirent l'agora auprès des nefs des Akhaiens. Et le Pèléide se retira, avec le Ménoitiade et ses compagnons, vers ses tentes. Et l'Atréide lança à la mer une nef rapide, l'arma de vingt avirons, y mit une hécatombe pour le dieu et y conduisit lui-même Khrysèis aux belles joues. Et le chef fut le subtil Odysseus.
Et comme ils naviguaient sur les routes marines, l'Atréide ordonna aux peuples de se purifier. Et ils se purifiaient tous, et ils jetaient leurs souillures dans la mer, et ils sacrifiaient à Apollôn des hécatombes choisies de taureaux et de chèvres, le long du rivage de la mer inféconde. Et l'odeur en montait vers l'Ouranos, dans un tourbillon de fumée.
Et pendant qu'ils faisaient ainsi, Agamemnôn n'oubliait ni sa colère, ni la menace faite à Akhilleus. Et il interpella Talthybios et Eurybatès, qui étaient ses hérauts familiers.
— Allez à la tente du Pèléide Akhilleus. Saisissez de la main Breisèis aux belles joues; et, s'il ne la donnait pas, j'irai la saisir moi-même avec un plus grand nombre, et ceci lui sera plus douloureux.
Et il les envoya avec ces âpres paroles. Et ils marchaient à regret le long du rivage de la mer inféconde, et ils parvinrent aux tentes et aux nefs des Myrmidones. Et ils trouvèrent le Pèléide assis auprès de sa tente et de sa nef noire, et Akhilleus ne fut point joyeux de les voir. Enrayés et pleins de respect, ils se tenaient devant le roi, et ils ne lui parlaient, ni ne l'interrogeaient. Et il les comprit dans son âme et dit:
— Salut, messagers de Zeus et des hommes! Approchez. Vous n'êtes point coupables envers moi, mais bien Agamemnôn, qui vous envoie pour la vierge Breisèis. Debout, divin Patroklos, amène-la, et qu'ils l'entraînent! Mais qu'ils soient témoins devant les dieux heureux, devant les hommes mortels et devant ce roi féroce, si jamais on a besoin de moi pour conjurer la destruction de tous; car, certes, il est plein de fureur dans ses pensées mauvaises, et il ne se souvient de rien, et il ne prévoit rien, de façon que les Akhaiens combattent saufs auprès des nefs.
Il parla ainsi, et Patroklos obéit à son compagnon bien-aimé. Il conduisit hors de la tente Breisèis aux belles joues, et il la livra pour être entraînée. Et les hérauts retournèrent aux nefs des anciens, et la jeune femme allait les suivant à contrecoeur. Et Akhilleus, en pleurant, s'assit, loin des siens, sur le rivage blanc d'écume, et, regardant la haute mer toute noire, les mains étendues, il supplia sa mère bien-aimée:
— Mère! puisque tu m'as enfanté pour vivre peu de temps, l'Olympien Zeus qui tonne dans les nues devrait m'accorder au moins quelque honneur; mais il le fait maintenant moins que jamais. Et voici que l'Atréide Agamemnôn, qui commande au loin, m'a couvert d'opprobre, et qu'il possède ma récompense qu'il m'a enlevée.
Il parla ainsi, versant des larmes. Et sa mère vénérable l'entendit, assise au fond de l'abîme, auprès de son vieux père. Et, aussitôt, elle émergea de la blanche mer, comme une nuée; et, s'asseyant devant son fils qui pleurait, elle le caressa de la main et lui parla:
— Mon enfant, pourquoi pleures-tu? Quelle amertume est entrée dans ton âme? Parle, ne cache rien afin que nous sachions tous deux.
Et Akhilleus aux pieds rapides parla avec un profond soupir:
— Tu le sais; pourquoi te dire ce que tu sais? Nous sommes allés contre Thèbè la sainte, ville d'Êétiôn, et nous l'avons saccagée, et nous en avons tout enlevé; et les fils des Akhaiens, s'étant partagé les dépouilles, donnèrent à l'Atréide Agamemnôn Khrysèis aux belles joues. Mais bientôt Khrysès, sacrificateur de l'archer Apollôn, vint aux nefs rapides des Akhaiens revêtus d'airain, pour racheter sa fille. Et il portait le prix infini de l'affranchissement, et, dans ses mains les bandelettes de l'archer Apollôn, suspendues au sceptre d'or. Et, suppliant, il pria tous les Akhaiens, et surtout les deux Atréides, princes des peuples. Et tous les Akhaiens, par des rumeurs favorables, voulaient qu'on respectât le sacrificateur et qu'on reçût le prix splendide. Mais cela ne plut point à l'âme de l'Atréide Agamemnôn, et il le chassa outrageusement avec une parole violente. Et le vieillard irrité se retira. Mais Apollôn exauça son voeu, car il lui est très cher. Il envoya contre les Argiens une flèche mauvaise; et les peuples périssaient amoncelés; et les traits du dieu sifflaient au travers de la vaste armée Akhaienne. Un divinateur sage interprétait dans l'agora les volontés sacrées d'Apollôn. Aussitôt, le premier, je voulus qu'on apaisât le dieu. Mais la colère saisit l'Atréide, et, se levant soudainement, il prononça une menace qui s'est accomplie. Les Akhaiens aux sourcils arqués ont conduit la jeune vierge à Khrysè, sur une nef rapide, et portant des présents au dieu; mais deux hérauts viennent d'entraîner de ma tente la vierge Breisèis que les Akhaiens m'avaient donnée. Pour toi, si tu le veux, secours ton fils bien-aimé. Monte à l'Ouranos Olympien et supplie Zeus, si jamais tu as touché son coeur par tes paroles ou par tes actions. Souvent je t'ai entendue, dans les demeures paternelles, quand tu disais que, seule parmi les immortels, tu avais détourné un indigne traitement du Kroniôn qui amasse les nuées, alors que les autres Olympiens, Hèrè et Poseidaôn et Pallas Athènè le voulaient enchaîner. Et toi, déesse, tu accourus, et tu le délivras de ses liens, en appelant dans le vaste Olympes le géant aux cent mains que les dieux nomment Briaréôs, et les hommes Aigaiôs. Et celui-ci était beaucoup plus fort que son père, et il s'assit, orgueilleux de sa gloire, auprès du Kroniôn; et les dieux heureux en furent épouvanté, et n'enchaînèrent point Zeus. Maintenant rappelle ceci en sa mémoire; presse ses genoux; et que, venant en aide aux Troiens, ceux-ci repoussent, avec un grand massacre, les Akhaiens contre la mer et dans leurs nefs. Que les Argiens jouissent de leur roi, et que l'Atréide Agamemnôn qui commande au loin souffre de sa faute, puisqu'il a outragé le plus brave des Akhaiens.
Et Thétis, répandant des larmes, lui répondit:
— Hélas! mon enfant, pourquoi t'ai-je enfanté et nourri pour une destinée mauvaise! Oh! que n'es-tu resté dans tes nefs, calme et sans larmes du moins, puisque tu ne dois vivre que peu de jours! Mais te voici très malheureux et devant mourir très vite, parce que je t'ai enfanté dans mes demeures pour une destinée mauvaise! Cependant, j'irai dans l'Olympos neigeux, et je parlerai à Zeus qui se réjouit de la foudre, et peut-être m'écoutera-t-il. Pour toi, assis dans tes nefs rapides, reste irrité contre les Akhaiens et abstiens-toi du combat. Zeus est allé hier du côté de l'Okéanos, à un festin que lui ont donné les Aithiopiens irréprochables, et tous les dieux l'ont suivi. Le douzième jour il reviendra dans l'Olympos. Alors j'irai dans la demeure d'airain de Zeus et je presserai ses genoux, et je pense qu'il en sera touché.
Ayant ainsi parlé, elle partit et laissa Akhilleus irrité dans son coeur au souvenir de la jeune femme à la belle ceinture qu'on lui avait enlevée par violence.
Et Odysseus, conduisant l'hécatombe sacrée, parvint à Krysè. Et les Akhaiens, étant entrés dans le port profond, plièrent les voiles qui furent déposées dans la nef noire. Ils abattirent joyeusement sur l'avant le mât dégagé de ses manoeuvres; et, menant la nef à force d'avirons, après avoir amarré les câbles et mouillé les roches, ils descendirent sur le rivage de la mer, avec l'hécatombe promise à l'archer Apollôn. Khrysèis sortit aussitôt de la nef, et le subtil Odysseus, la conduisant vers l'autel, la remit aux mains de son père bien-aimé, et dit:
— Ô Khrysès! le roi des hommes, Agamemnôn, m'a envoyé pour te rendre ta fille et pour sacrifier une hécatombe sacrée à Phoibos en faveur des Danaens, afin que nous apaisions le dieu qui accable les Argiens de calamités déplorables.
Ayant ainsi parlé, il lui remit aux mains sa fille bien-aimée, et le vieillard la reçut plein de joie. Aussitôt les Akhaiens rangèrent la riche hécatombe dans l'ordre consacré, autour de l'autel bâti selon le rite. Et ils se lavèrent les mains, et ils préparèrent les orges salées; et Khrysès, à haute voix, les bras levés, priait pour eux:
— Entends-moi, porteur de l'arc d'argent, qui protèges Khrysè et la divine Killa, et commandes fortement sur Ténédos. Déjà tu as exaucé ma prière; tu m'as honoré et tu as couvert d'affliction les peuples des Akhaiens. Maintenant écoute mon voeu, et détourne loin d'eux la contagion.
Il parla ainsi en priant, et Phoibos Apollôn l'exauça. Et, après avoir prié et répandu les orges salées, renversant en arrière le cou des victimes, ils les égorgèrent et les écorchèrent. On coupa les cuisses, on les couvrit de graisse des deux côtés, et on posa sur elles les entrailles crues.
Et le vieillard les brûlait sur du bois sec et les arrosait d'une libation de vin rouge. Les jeunes hommes, auprès de lui, tenaient en mains des broches à cinq pointes. Et, les cuisses étant consumées, ils goûtèrent les entrailles; et, séparant le reste en plusieurs morceaux, ils les trans-fixèrent de leurs broches et les tirent cuire avec soin, et le tout fut retiré du feu. Après avoir achevé ce travail, ils préparèrent le repas; et tous furent conviés, et nul ne se plaignit, dans son âme, de l'inégalité des parts.
Ayant assouvi la faim et la soif, les jeunes hommes couronnèrent de vin les patères et les répartirent entre tous à pleines coupes. Et, durant tout le jour, les jeunes Akhaiens apaisèrent le dieu par leurs hymnes, chantant le joyeux paian et célébrant l'archer Apollôn qui se réjouissait dans son coeur de les entendre.
Quand Hélios tomba et que les ombres furent venues, ils se couchèrent auprès des câbles, à la proue de leur nef; et quand Éôs, aux doigts rosés, née au matin, apparut, ils s'en retournèrent vers la vaste armée des Akhaiens, et l'archer Apollôn leur envoya un vent propice. Et ils dressèrent le mât, et ils déployèrent les voiles blanches; et le vent les gonfla par le milieu; et l'onde pourprée sonnait avec bruit autour de la carène de la nef qui courait sur l'eau en faisant sa route.
Puis, étant parvenus à la vaste armée des Akhaiens, ils tirèrent la nef noire au plus haut des sables de la plage; et, l'ayant assujettie sur de longs rouleaux, ils se dispersèrent parmi les tentes et les nefs.
Mais le divin fils de Pèleus, Akhilleus aux pieds rapides, assis auprès de ses nefs légères, couvait son ressentiment; et il ne se montrait plus ni dans l'agora qui illustre les hommes, ni dans le combat. Et il restait là, se dévorant le coeur et regrettant le cri de guerre et la mêlée.
Quand Éôs, reparut pour la douzième fois, les dieux qui vivent toujours revinrent ensemble dans l'Olympos, et Zeus marchait en tête. Et Thétis n'oublia point les prières de son fils; et, émergeant de l'écume de la mer, elle monta, matinale, à travers le vaste Ouranos, jusqu'à l'Olympos, où elle trouva celui qui voit tout, le Kronide, assis loin des autres dieux, sur le plus haut faîte de l'Olympos aux cimes nombreuses. Elle s'assit devant lui, embrassa ses genoux de la main gauche, lui toucha le menton de la main droite, et le suppliant, elle dit au roi Zeus Kroniôn:
— Père Zeus! si jamais, entre les immortels, je t'ai servi, soit par mes paroles, soit par mes actions, exauce ma prière. Honore mon fils qui, de tous les vivants, est le plus proche de la mort. Voici que le roi des hommes, Agamemnôn, l’a outragé, et qu'il possède sa récompense qu'il lui a enlevée. Mais toi, du moins, honore-le, Olympien, très sage Zeus, et donne le dessus aux Troyens jusqu'à ce que les Akhaiens aient honoré mon fils et lui aient rendu hommage.
Elle parla ainsi, et Zeus, qui amasse les nuées, ne répondit pas et resta longtemps muet. Et Thétis, ayant saisi ses genoux qu'elle tenait embrassés, dit une seconde fois:
— Consens et promets avec sincérité, ou refuse-moi, car tu ne peux craindre rien. Que je sache si je suis la plus méprisée des déesses!
Et Zeus qui amasse les nuées, avec un profond soupir, lui dit:
— Certes, ceci va causer de grands malheurs, quand tu m'auras mis en lutte avec Hèrè, et quand elle m'aura irrité par des paroles outrageantes. Elle ne cesse, en effet, parmi les dieux immortels, de me reprocher de soutenir les Troiens dans le combat. Maintenant, retire-toi en hâte, de peur que Hèrè t'aperçoive. Je songerai à faire ce que tu demandes, et je t'en donne pour gage le signe de ma tête, afin que tu sois convaincue. Et c'est le plus grand de mes signes pour les immortels. Et je ne puis ni révoquer, ni renier, ni négliger ce que j'ai promis par un signe de ma tête.
Et le Kroniôn, ayant parlé, fronça ses sourcils bleus. Et la chevelure ambroisienne s'agita sur la tête immortelle du roi, et le vaste Olympos en fut ébranlé.
Tous deux s'étant ainsi parlé, se séparèrent. Et Thétis sauta dans la mer profonde du haut de l'Olympos éblouissant, et Zeus rentra dans sa demeure. Et tous les dieux se levèrent de leurs sièges à l'aspect de leur père, et nul n'osa l'attendre, et tous s'empressèrent au-devant de lui, et il s'assit sur son thrône. Mais Hèrè n'avait pas été trompée, l'ayant vu se concerter avec la fille du vieillard de la mer, Thétis aux pieds d'argent. Et elle adressa d'amers reproches à Zeus Kroniôn:
— Qui d'entre les dieux, ô plein de ruses, s'est encore concerté avec toi? Il te plaît sans cesse de prendre, loin de moi, de secrètes résolutions, et jamais tu ne me dis ce que tu médites.
Et le père des dieux et des hommes lui répondit:
— Hèrè, n'espère point connaître toutes mes pensées. Elles te seraient terribles, bien que tu sois mon épouse. Celle qu'il convient que tu saches, aucun des dieux et des hommes ne la connaîtra avant toi; mais pour celle que je médite loin des dieux, ne la recherche ni ne l'examine.
Et la vénérable Hèrè aux yeux de boeuf lui répondit:
— Terrible Kronide, quelle parole as-tu dite? Certes, je ne t'ai jamais interrogé et n'ai point recherché tes pensées, et tu médites ce qu'il te plaît dans ton esprit. Mais je tremble que la fille du vieillard de la mer, Thétis aux pieds d'argent, ne t'ait séduit; car, dès le matin, elle s'est assise auprès de toi et elle a saisi tes genoux. Tu lui as promis, je pense, que tu honorerais Akhilleus et que tu ferais tomber un grand nombre d'hommes auprès des nefs des Akhaiens.
Et Zeus qui amasse les nuées lui répondit, et il dit:
— Insensée! tu me soupçonnes sans cesse et je ne puis me cacher de toi. Mais, dans ton impuissance, tu ne feras que t'éloigner de mon coeur, et ta peine en sera plus terrible. Si tes soupçons sont vrais, sache qu'il me plaît d'agir ainsi. Donc, tais-toi et obéis à mes paroles. Prends garde que tous les dieux Olympiens ne puissent te défendre, si j'étends sur toi mes mains sacrées.
Il parla ainsi, et la vénérable Hèra aux yeux de boeuf fut saisie de crainte, et elle demeura muette, domptant son coeur altier. Et, dans la demeure de Zeus, les dieux ouraniens gémirent.
Et l'illustre ouvrier Hèphaistos commença de parler, pour consoler sa mère bien-aimée, Hèrè aux bras blancs:
— Certes, nos maux seront funestes et intolérables, si vous vous querellez ainsi pour des mortels, et si vous mettez le tumulte parmi les dieux. Nos festins brillants perdront leur joie, si le mal l'emporte. Je conseille à ma mère, bien qu'elle soit déjà persuadée de ceci, de calmer Zeus, mon père bien-aimé, afin qu'il ne s'irrite point de nouveau et qu'il ne trouble plus nos festins. Certes, si l'Olympien qui darde les éclairs le veut, il peut nous précipiter de nos trônes, car il est le plus puissant. Tente donc de le fléchir par de douces paroles, et aussitôt l'Olympien nous sera bienveillant.
Il parla ainsi, et, s'étant élancé, il remit une coupe profonde aux mains de sa mère bien-aimée et lui dit:
— Sois patiente, ma mère, et, bien qu'affligée, supporte ta disgrâce, de peur que je te voie maltraitée, toi qui m'es chère, et que, malgré ma douleur, je ne puisse te secourir, car l'Olympien est un terrible adversaire. Déjà, une fois, comme je voulais te défendre, il me saisit par un pied et me rejeta du haut des demeures divines. Tout un jour je roulai, et, avec Hélios, qui se couchait, je tombai dans Lèmnos, presque sans vie. Là les hommes Sintiens me reçurent dans ma chute.
Il parla ainsi, et la divine Hèrè aux bras blancs sourit, et elle reçut la coupe de son fils. Et il versait, par la droite, à tous les autres dieux, puisant le doux nektar dans le kratère. Et un rire inextinguible s'éleva parmi les dieux heureux, quand ils virent Hèphaistos s'agiter dans la demeure.
Et ils se livraient ainsi au festin, tout le jour, jusqu'au coucher de Hélios. Et nul d'entre eux ne fut privé d'une égale part du repas, ni des sons de la lyre magnifique que tenait Apollôn, tandis que les Muses chantaient tour à tour d'une belle voix. Mais après que la brillante lumière Hélienne se fut couchée, eux aussi se retirèrent, chacun dans la demeure que l'illustre Hèphaistos boiteux des deux pieds avait construite habilement. Et l'Olympien Zeus, qui darde les éclairs, se rendit vers sa couche, là où il reposait quand le doux sommeil le saisissait. Et il s'y endormit, et, auprès de lui, Hèrè au trône d'or.
Chant 2
Les dieux et les cavaliers armés de casques dormaient tous dans la nuit; mais le profond sommeil ne saisissait point Zeus, et il cherchait dans son esprit comment il honorerait Akhilleus et tuerait une foule d'hommes auprès des nefs des Akhaiens. Et ce dessein lui parut le meilleur, dans son esprit, d'envoyer un songe menteur à l'Atréide Agamemnôn. Et, l'ayant appelé, il lui dit ces paroles ailées:
— Va, songe menteur, vers les nefs rapides des Akhaiens. Entre dans la tente de l'Atréide Agamemnôn et porte-lui très fidèlement mon ordre. Qu'il arme la foule des Akhaiens chevelus, car voici qu'il va s'emparer de la ville aux larges rues des Troiens. Les immortels qui habitent les demeures Olympiennes ne sont plus divisés, car Hèrè les a tous fléchis par ses supplications, et les calamités sont suspendues sur les Troiens.
Il parla ainsi, et, l'ayant entendu, le songe partit. Et il parvint aussitôt aux nefs rapides des Akhaiens, et il s'approcha de l'Atréide Agamemnôn qui dormait sous sa tente et qu'un sommeil ambroisien enveloppait. Et il se tint auprès de la tête du roi. Et il était semblable au Nèlèiôn Nestôr, qui, de tous les vieillards, était le plus honoré d'Agamemnôn. Et, sous cette forme, le songe divin parla ainsi:
— Tu dors, fils du brave Atreus dompteur de chevaux? Il ne faut pas qu'un homme sage à qui les peuples ont été confiés, et qui a tant de soucis dans l'esprit, dorme toute la nuit. Et maintenant, écoute-moi sans tarder, car je te suis envoyé par Zeus qui, de loin, s'inquiète de toi et te prend en pitié. Il t'ordonne d'armer la foule des Akhaiens chevelus, car voici que tu vas t'emparer de la ville aux larges rues des Troiens. Les immortels qui habitent les demeures Olympiennes ne sont plus divisés, car Hèrè les a tous fléchis par ses supplications, et les calamités sont suspendues sur les Troiens. Garde ces paroles dans ton esprit et n'oublie rien quand le doux sommeil t'aura quitté.
Ayant ainsi parlé, il disparut et le laissa rouler dans son esprit ces paroles qui ne devaient point s'accomplir. Et l'insensé crut qu'il allait s'emparer, ce jour-là, de la ville de Priamos, ne sachant point ce que Zeus méditait. Et le Kronide se préparait à répandre encore, en de terribles batailles, les douleurs et les gémissements sur les Troiens et sur les Danaens.
Et l'Atréide s'éveilla, et la voix divine résonnait autour de lui. Il se leva et revêtit sa tunique moelleuse, belle et neuve. Et il se couvrit d'un large manteau et noua à ses pieds robustes de belles sandales, et il suspendit à ses épaules l'épée aux clous d'argent. Enfin, il prit le sceptre immortel de ses pères et marcha ainsi vers les nefs des Akhaiens revêtus d'airain.
Et la divine Éôs gravit le haut Olympos, annonçant la lumière à Zeus et aux immortels. Et l'Atréide ordonna aux hérauts à la voix sonore de convoquer à l'agora les Akhaiens chevelus. Et ils les convoquèrent, et tous accoururent en foule; et l'Atréide réunit un conseil de chefs magnanimes, auprès de la nef de Nestôr, roi de Pylos. Et, les ayant réunis, il consulta leur sagesse:
— Amis, entendez-moi. Un songe divin m'a été envoyé dans mon sommeil, au milieu de la nuit ambroisienne. Et il était semblable au divin Nestôr par le visage et la stature, et il s'est arrêté au-dessus de ma tête, et il m'a parlé ainsi:
— Tu dors, fils du brave Atreus dompteur de chevaux? Il ne faut point qu'un homme sage à qui les peuples ont été confiés, et qui a tant de soucis dans l'esprit, dorme toute la nuit. Et maintenant, écoute-moi sans tarder, car je te suis envoyé par Zeus qui, de loin, s'inquiète de toi et te prend en pitié. Il t'ordonne d'armer la foule des Akhaiens chevelus, car voici que tu vas t'emparer de la ville aux larges rues des Troiens. Les immortels qui habitent les demeures Olympiennes ne sont plus divisés, car Hèrè les a tous fléchis par ses supplications, et les calamités sont suspendues sur les Troiens. Garde ces paroles dans ton esprit.’
En parlant ainsi il s'envola, et le doux sommeil me quitta. Maintenant, songeons à armer les fils des Akhaiens. D'abord, je les tenterai par mes paroles, comme il est permis, et je les pousserai à fuir sur leurs nefs chargées de rameurs. Vous, par vos paroles, forcez-les de rester.
Ayant ainsi parlé, il s'assit. Et Nestôr se leva, et il était roi de la sablonneuse Pylos, et, les haranguant avec sagesse, il leur dit:
— Ô amis! rois et princes des Argiens, si quelqu'autre des Akhaiens nous eût dit ce songe, nous aurions pu croire qu'il mentait, et nous l'aurions repoussé; mais celui qui l'a entendu se glorifie d'être le plus puissant dans l'armée. Songeons donc à armer les fils des Akhaiens.
Ayant ainsi parlé, il sortit le premier de l'agora. Et les autres rois porte sceptres se levèrent et obéirent au prince des peuples. Et les peuples accouraient. Ainsi des essaims d'abeilles innombrables sortent toujours et sans cesse d'une roche creuse et volent par légions sur les fleurs du printemps, et les unes tourbillonnent d'un côté, et les autres de l'autre. Ainsi la multitude des peuples, hors des nefs et des tentes, s'avançait vers l'agora, sur le rivage immense. Et, au milieu d'eux, Ossa, messagère de Zeus, excitait et hâtait leur course, et ils se réunissaient.
Et l'agora était pleine de tumulte, et la terre gémissait sous le poids des peuples. Et, comme les clameurs redoublaient, les hérauts à la voix sonore les contraignaient de se taire et d'écouter les rois divins. Et la foule s'assit et resta silencieuse; et le divin Agamemnôn se leva, tenant son sceptre. Hèphaistos, l'ayant fait, l'avait donné au roi Zeus Kroniôn. Zeus le donna au messager, tueur d'Argos; et le roi Herméias le donna à Pélops, dompteur de chevaux, et Pélops le donna au prince des peuples Atreus. Atreus, en mourant, le laissa à Thyestès riche en troupeaux, et Thyestès le laissa à Agamemnôn, afin que ce dernier le portât et commandât sur un grand nombre d'îles et sur tout Argos. Appuyé sur ce sceptre, il parla ainsi aux Argiens:
— Ô amis! héros Danaens, serviteurs d'Arès, Zeus Kronide m'accable de maux terribles. L'impitoyable! Autrefois il me promit que je reviendrais après avoir conquis Ilios aux fortes murailles; mais il me trompait, et voici qu'il me faut rentrer sans gloire dans Argos, ayant perdu un grand nombre d'hommes. Et cela plaît au tout puissant Zeus qui a renversé et qui renversera tant de hautes citadelles, car sa force est très grande. Certes, ceci sera une honte dans la postérité, que la race courageuse et innombrable des Akhaiens ait combattu tant d'années, et vainement, des hommes moins nombreux, sans qu'on puisse prévoir la fin de la lutte. Car, si, ayant scellé par serment d'inviolables traités, nous, Akhaiens et Troiens, nous faisions un dénombrement des deux races; et que, les habitants de Troiè s'étant réunis, nous nous rangions par décades, comptant un seul Troien pour présenter la coupe à chacune d'elles, certes, beaucoup de décades manqueraient d'échansons, tant les fils des Argiens sont plus nombreux que les Troiens qui habitent cette ville. Mais voici que de nombreux alliés, habiles à lancer la pique, s'opposent victorieusement à mon désir de renverser la citadelle populeuse de Troiè. Neuf années du grand Zeus se sont écoulées déjà, et le bois de nos nefs se corrompt, et les cordages tombent en poussière; et nos femmes et nos petits enfants restent en nous attendant dans nos demeures, et la tâche est inachevée pour laquelle nous sommes venus. Allons! fuyons tous sur nos nefs vers la chère terre natale. Nous ne prendrons jamais la grande Troiè!
Il parla ainsi, et ses paroles agitèrent l'esprit de la multitude qui n'avait point assisté au conseil. Et l'agora fut agitée comme les vastes flots de la mer Ikarienne que remuent l'Euros et le Notos échappés des nuées du père Zeus, ou comme un champ d'épis que bouleverse Zéphyros qui tombe impétueusement sur la grande moisson. Telle l'agora était agitée. Et ils se ruaient tous vers les nefs, avec des clameurs, et soulevant de leurs pieds un nuage immobile de poussière. Et ils s'exhortaient à saisir les nefs et à les traîner à la mer divine. Les cris montaient dans l'Ouranos, hâtant le départ; et ils dégageaient les canaux et retiraient déjà les rouleaux des nefs. Alors, les Argiens se seraient retirés, contre la destinée, si Hèrè n'avait parlé ainsi à Athènè:
— Ah fille indomptée de Zeus tempétueux, les Argiens fuiront-ils vers leurs demeures et la chère terre natale, sur le vaste dos de la mer, laissant à Priamos et aux Troiens leur gloire et l'Argienne Hélénè pour laquelle tant d'Akhaiens sont morts devant Troiè, loin de la chère patrie? Va trouver le peuple des Akhaiens armés d'airain. Retiens chaque guerrier par de douces paroles, et ne permets pas qu'on traîne les nefs à la mer.
Elle parla ainsi, et la divine Athènè aux yeux clairs obéit. Et elle sauta du faîte de l'Olympos, et, parvenue aussitôt aux nefs rapides des Akhaiens, elle trouva Odysseus, semblable à Zeus par l'intelligence, qui restait immobile. Et il ne saisissait point sa nef noire bien construite, car la douleur emplissait son coeur et son âme. Et, s'arrêtant auprès de lui, Athènè aux yeux clairs parla ainsi:
— Divin Laertiade, sage Odysseus, fuirez-vous donc tous dans vos nefs chargées de rameurs, laissant à Priamos et aux Troiens leur gloire et l'Argienne Hélénè pour laquelle tant d'Akhaiens sont morts devant Troiè, loin de la chère patrie? Va! hâte-toi d'aller vers le peuple des Akhaiens. Retiens chaque guerrier par de douces paroles, et ne permets pas qu'on traîne les nefs à la mer.
Elle parla ainsi, et il reconnut la voix de la déesse, et il courut, jetant son manteau que releva le héraut Eurybatès d'Ithakè, qui le suivait. Et, rencontrant l'Atréide Agamemnôn, il reçut de lui le sceptre immortel de ses pères, et, avec ce sceptre, il marcha vers les nefs des Akhaiens revêtus d'airain. Et quand il se trouvait en face d'un roi ou d'un homme illustre, il l'arrêtait par de douces paroles:
— Malheureux! Il ne te convient pas de trembler comme un lâche. Reste et arrête les autres. Tu ne sais pas la vraie pensée de l'Atréide. Maintenant il tente les fils des Akhaiens, et bientôt il les punira. Nous n'avons point tous entendu ce qu'il a dit dans le conseil. Craignons que, dans sa colère, il outrage les fils des Akhaiens, car la colère d'un roi nourrisson de Zeus est redoutable, et le très sage Zeus l'aime, et sa gloire vient de Zeus.
Mais quand il rencontrait quelque guerrier obscur et plein de clameurs, il le frappait du sceptre et le réprimait par de rudes paroles:
— Arrête, misérable! écoute ceux qui te sont supérieurs, lâche et sans force, toi qui n'as aucun rang ni dans le combat ni dans le conseil. Certes, tous les Akhaiens ne seront point rois ici. La multitude des maîtres ne vaut rien. Il ne faut qu'un chef, un seul roi, à qui le fils de Kronos empli de ruses a remis le sceptre et les lois, afin qu'il règne sur tous.
Ainsi Odysseus refrénait puissamment l'armée. Et ils se précipitaient de nouveau, tumultueux, vers l'agora, loin des nefs et des tentes, comme lorsque les flots aux bruits sans nombre se brisent en grondant sur le vaste rivage, et que la haute mer en retentit. Et tous étaient assis à leurs rangs. Et, seul, Thersitès poursuivait ses clameurs. Il abondait en paroles insolentes et outrageantes, même contre les rois, et parlait sans mesure, afin d'exciter le rire des Argiens. Et c'était l'homme le plus difforme qui fût venu devant Ilios. Il était louche et boiteux, et ses épaules recourbées se rejoignaient sur sa poitrine, et quelques cheveux épars poussaient sur sa tête pointue. Et il haïssait surtout Akhilleus et Odysseus, et il les outrageait. Et il poussait des cris injurieux contre le divin Agamemnôn. Les Akhaiens le méprisaient et le haïssaient, mais, d'une voix haute, il outrageait ainsi Agamemnôn:
— Atréide, que te faut-il encore, et que veux-tu? Tes tentes sont pleines d'airain et de nombreuses femmes fort belles que nous te donnons d'abord, nous, Akhaiens, quand nous prenons une ville. As- tu besoin de l'or qu'un Troien dompteur de chevaux t'apportera pour l'affranchissement de son fils que j'aurai amené enchaîné, ou qu'un autre Akhaien aura dompté? Te faut-il une jeune femme que tu possèdes et que tu ne quittes plus? Il ne convient point qu'un chef accable de maux les Akhaiens. Ô lâches! opprobres vivants! Akhaiennes et non Akhaiens! Retournons dans nos demeures avec les nefs; laissons-le, seul devant Troiè, amasser des dépouilles, et qu'il sache si nous lui étions nécessaires ou non. N'a-t-il point outragé Akhilleus, meilleur guerrier que lui, et enlevé sa récompense? Certes, Akhilleus n'a point de colère dans l'âme, car c'eût été, Atréide, ta dernière insolence!
Il parla ainsi, outrageant Agamemnôn, prince des peuples. Et le divin Odysseus, s'arrêtant devant lui, le regarda d'un oeil sombre et lui dit rudement:
— Thersitès, infatigable harangueur, silence! Et cesse de t'en prendre aux rois. Je ne pense point qu'il soit un homme plus vil que toi parmi ceux qui sont venus devant Troiè avec les Atréides, et tu ne devrais point haranguer avec le nom des rois à la bouche, ni les outrager, ni exciter au retour. Nous ne savons point quelle sera notre destinée, et s'il est bon ou mauvais que nous partions. Et voici que tu te plais à outrager l'Atréide Agamemnôn, prince des peuples, parce que les héros Danaens l'ont comblé de dons! Et c'est pour cela que tu harangues? Mais je te le dis, et ma parole s'accomplira: si je te rencontre encore plein de rage comme maintenant, que ma tête saute de mes épaules, que je ne sois plus nommé le père de Tèlémakhos, si je ne te saisis, et, t'ayant arraché ton vêtement, ton manteau et ce qui couvre ta nudité, je ne te renvoie, sanglotant, de l'agora aux nefs rapides, en te frappant de coups terribles
Il parla ainsi, et il le frappa du sceptre sur le dos et les épaules. Et Thersitès se courba, et les larmes lui tombèrent des yeux. Une tumeur saignante lui gonfla le dos sous le coup du sceptre d'or, et il s'assit, tremblant et gémissant, hideux à voir, et il essuya ses yeux. Et les Akhaiens, bien que soucieux, rirent aux éclats; et, se regardant les uns les autres, ils se disaient:
— Certes, Odysseus a déjà fait mille choses excellentes, par ses sages conseils et par sa science guerrière; mais ce qu'il a fait de mieux, entre tous les Argiens, a été de réduire au silence ce harangueur injurieux. De longtemps, il se gardera d'outrager les rois par ses paroles injurieuses.
La multitude parlait ainsi. Et le preneur de villes, Odysseus, se leva, tenant son sceptre. Auprès de lui, Athènè aux yeux clairs, semblable à un héraut, ordonna à la foule de se taire, afin que tous les fils des Akhaiens, les plus proches et les plus éloignés, pussent entendre et comprendre. Et l'excellent agorète parla ainsi:
— Roi Atréide, voici que les Akhaiens veulent te couvrir d'opprobre en face des hommes vivants, et ils ne tiennent point la promesse qu'ils te firent, en venant d'Argos féconde en chevaux, de ne retourner qu'après avoir renversé la forte muraille d'Ilios. Et voici qu'ils pleurent, pleins du désir de leurs demeures, comme des enfants et des veuves. Certes, c'est une amère douleur de fuir après tant de maux soufferts. Je sais, il est vrai, qu'un voyageur, éloigné de sa femme depuis un seul mois, s'irrite auprès de sa nef chargée de rameurs, que retiennent les vents d'hiver et la mer soulevée. Or, voici neuf années bientôt que nous sommes ici. Je n'en veux donc point aux Akhaiens de s'irriter auprès de leurs nefs éperonnées; mais il est honteux d'être restés si longtemps et de s'en retourner les mains vides. Souffrez donc, amis, et demeurez ici quelque temps encore, afin que nous sachions si Kalkhas a dit vrai ou faux. Et nous le savons, et vous en êtes tous témoins, vous que les kères de la mort n'ont point emportés. Était-ce donc hier? Les nefs des Akhaiens étaient réunies devant Aulis, portant les calamités à Priamos et aux Troiens. Et nous étions autour de la source, auprès des autels sacrés, offrant aux immortels de complètes hécatombes, sous un beau platane; et, à son ombre, coulait une eau vive, quand nous vîmes un grand prodige. Un dragon terrible, au dos ensanglanté, envoyé de l'Olympien lui- même, sortit de dessous l'autel et rampa vers le platane. Là étaient huit petits passereaux, tout jeunes, sur la branche la plus haute et blottis sous les feuilles; et la mère qui les avait enfantés était la neuvième. Et le dragon les dévorait cruellement, et ils criaient, et la mère, désolée, volait tout autour de ses petits. Et, comme elle emplissait l'air de cris, il la saisit par une aile; et quand il eut mangé la mère et les petits, le dieu qui l'avait envoyé en fit un signe mémorable; car le fils de Kronos empli de ruses le changea en pierre. Et nous admirions ceci, et les choses terribles qui étaient dans les hécatombes des dieux. Et voici que Kalkhas nous révéla aussitôt les volontés divines:
— Pourquoi êtes-vous muets, Akhaiens chevelus? Ceci est un grand signe du très sage Zeus; et ces choses s'accompliront fort tard, mais la gloire n'en périra jamais. De même que ce dragon a mangé les petits passereaux, et ils étaient huit, et la mère qui les avait enfantés, et elle était la neuvième, de même nous combattrons pendant neuf années, et, dans la dixième, nous prendrons Troiè aux larges rues.’
— C'est ainsi qu'il parla, et ses paroles se sont accomplies. Restez donc tous, Akhaiens aux belles knèmides, jusqu'à ce que nous prenions la grande citadelle de Priamos.
Il parla ainsi, et les Argiens, par des cris éclatants, applaudissaient la harangue du divin Odysseus. Et, à ces cris, les nefs creuses rendirent des sons terribles. Et le cavalier Gérennien Nestôr leur dit:
— Ah! certes, ceci est une agora d'enfants étrangers aux fatigues de la guerre! Où iront nos paroles et nos serments? Les conseils et la sagesse des hommes, et les libations de vin pur, et les mains serrées en gage de notre foi commune, tout sera-t-il jeté au feu? Nous ne combattons qu'en paroles vaines, et nous n'avons rien trouvé de bon après tant d'années. Atréide, sois donc inébranlable et commande les Argiens dans les rudes batailles. Laisse périr un ou deux lâches qui conspirent contre les Akhaiens et voudraient regagner Argos avant de savoir si Zeus tempétueux a menti. Mais ils n'y réussiront pas. Moi, je dis que le terrible Kroniôn engagea sa promesse le jour où les Argiens montaient dans les nefs rapides pour porter aux Troiens les Kères de la mort, car il tonna à notre droite, par un signe heureux. Donc, que nul ne se hâte de s'en retourner avant d'avoir entraîné la femme de quelque Troien et vengé le rapt de Hélénè et tous les maux qu'il a causés. Et si quelqu'un veut fuir malgré tout, qu'il saisisse sa nef noire et bien construite, afin de trouver une prompte mort. Mais, ô roi, délibère avec une pensée droite et écoute mes conseils. Ce que je dirai ne doit pas être négligé. Sépare les hommes par races et par tribus, et que celles-ci se viennent en aide les unes les autres. Si tu fais ainsi, et que les Akhaiens t'obéissent, tu connaîtras la lâcheté ou le courage des chefs et des hommes, car chacun combattra selon ses forces. Et si tu ne renverses point cette ville, tu sauras si c'est par la volonté divine ou par la faute des hommes.
Et le roi Agamemnôn, lui répondant, parla ainsi
— Certes, vieillard, tu surpasses dans l'agora tous les fils des Akhaiens. Ô père Zeus! Athènè! Apollôn! Si j'avais dix conseillers tels que toi parmi les Akhaiens, la ville du roi Priamos tomberait bientôt, emportée et saccagée par nos mains! Mais le Kronide Zeus tempétueux m'a accablé de maux en me jetant au milieu de querelles fatales. Akhilleus et moi nous nous sommes divisés à cause d'une jeune vierge, et je me suis irrité le premier. Si jamais nous nous réunissons, la ruine des Troiens ne sera point retardée, même d'un jour. Maintenant, allez prendre votre repas, afin que nous combattions. Et que, d'abord, chacun aiguise sa lance, consolide son bouclier, donne à manger à ses chevaux, s'occupe attentivement de son char et de toutes les choses de la guerre, afin que nous fassions tout le jour l'oeuvre du terrible Arès. Et nous n'aurons nul relâche, jusqu'à ce que la nuit sépare les hommes furieux. La courroie du bouclier préservateur sera trempée de la sueur de chaque poitrine, et la main guerrière se fatiguera autour de la lance, et le cheval fumera, inondé de sueur, en traînant le char solide. Et, je le dis, celui que je verrai loin du combat, auprès des nefs éperonnées, celui-là n'évitera point les chiens et les oiseaux carnassiers.
Il parla ainsi, et les Argiens jetèrent de grands cris, avec le bruit que fait la mer quand le Notos la pousse contre une côte élevée, sur un roc avancé que les flots ne cessent jamais d'assiéger, de quelque côté que soufflent les vents. Et ils coururent, se dispersant au milieu des nefs; et la fumée sortit des tentes, et ils prirent leur repas. Et chacun d'eux sacrifiait à l'un des dieux qui vivent toujours, afin d'éviter les blessures d'Arès et la mort. Et le roi des hommes, Agamemnôn, sacrifia un taureau gras, de cinq ans, au très puissant Kroniôn, et il convoqua les plus illustres des Panakhaiens, Nestôr, le roi Idoméneus, les deux Aias et le fils de Tydeus. Odysseus, égal à Zeus par l'intelligence, fut le sixième. Ménélaos, brave au combat, vint de lui-même, sachant les desseins de son frère. Entourant le taureau, ils prirent les orges salées, et, au milieu d'eux, le roi des hommes, Agamemnôn, dit en priant:
— Zeus! Très glorieux, très grand, qui amasses les noires nuées et qui habites l'aithèr! puisse Hélios ne point se coucher et la nuit ne point venir avant que j'aie renversé la demeure enflammée de Priamos, après avoir brûlé ses portes et brisé, de l'épée, la cuirasse de Hektôr sur sa poitrine, vu la foule de ses compagnons, couchés autour de lui dans la poussière, mordre de leurs dents la terre!
Il parla ainsi, et le Kroniôn accepta le sacrifice, mais il ne l'exauça pas, lui réservant de plus longues fatigues. Et, après qu'ils eurent prié et jeté les orges salées, ils renversèrent la tête du taureau; et, l'ayant égorgé et dépouillé, ils coupèrent les cuisses qu'ils couvrirent deux fois de graisse; et, posant par-dessus des morceaux sanglants, ils les rôtissaient avec des rameaux sans feuilles, et ils tenaient les entrailles sur le feu. Et quand les cuisses furent rôties et qu'ils eurent goûté aux entrailles, ils coupèrent le reste par morceaux qu'ils embrochèrent et firent rôtir avec soin, et ils retirèrent le tout. Et, après ce travail, ils préparèrent le repas, et aucun ne put se plaindre d'une part inégale. Puis, ayant assouvi la faim et la soif, le cavalier Gérennien Nestôr parla ainsi:
— Très glorieux roi des hommes, Atréide Agamemnôn, ne tardons pas plus longtemps à faire ce que Zeus nous permet d'accomplir. Allons! que les hérauts, par leurs clameurs, rassemblent auprès des nefs l'armée des Akhaiens revêtus d'airain; et nous, nous mêlant à la foule guerrière des Akhaiens, excitons à l'instant l'impétueux Arès.
Il parla ainsi, et le roi des hommes, Agamnemnôn, obéit, et il ordonna aux hérauts à la voix éclatante d'appeler au combat les Akhaiens chevelus. Et, autour de l'Atréiôn, les rois divins couraient çà et là, rangeant l'armée. Et, au milieu d'eux, Athènè aux yeux clairs portait l'Aigide glorieuse, impérissable et immortelle. Et cent franges d'or bien tissues, chacune du prix de cent boeufs, y étaient suspendues. Avec cette aigide, elle allait ardemment à travers l'armée des Akhaiens, poussant chacun en avant, lui mettant la force et le courage au coeur, afin qu'il guerroyât et combattît sans relâche. Et aussitôt il leur semblait plus doux de combattre que de retourner sur leurs nefs creuses vers la chère terre natale. Comme un feu ardent qui brûle une grande forêt au faîte d'une montagne, et dont la lumière resplendit au loin, de même s'allumait dans l'Ouranos l'airain étincelant des hommes qui marchaient.
Comme les multitudes ailées des oies, des grues ou des cygnes au long cou, dans les prairies d'Asios, sur les bords du Kaystrios, volent çà et là, agitant leurs ailes joyeuses, et se devançant les uns les autres avec des cris dont la prairie résonne, de même les innombrables tribus Akhaiennes roulaient en torrents dans la plaine du Skamandros, loin des nefs et des tentes; et, sous leurs pieds et ceux des chevaux, la terre mugissait terriblement. Et ils s'arrêtèrent dans la plaine fleurie du Skamandros, par milliers, tels que les feuilles et les fleurs du printemps. Aussi nombreux que les tourbillons infinis de mouches qui bourdonnent autour de l'étable, dans la saison printanière, quand le lait abondant blanchit les vases, les Akhaiens chevelus s'arrêtaient dans la plaine en face des Troiens, désirant les détruire. Comme les bergers reconnaissent aisément leurs immenses troupeaux de chèvres confondus dans les pâturages, ainsi les chefs rangeaient leurs hommes. Et le grand roi Agamemnôn était au milieu d'eux, semblable par les yeux et la tête à Zeus qui se réjouit de la foudre, par la stature à Arès, et par l'ampleur de la poitrine à Poseidaôn. Comme un taureau l'emporte sur le reste du troupeau et s'élève au-dessus des génisses qui l'environnent, de même Zeus, en ce jour, faisait resplendir l'Atréide entre d'innombrables héros.
Et maintenant, Muses, qui habitez les demeures Olympiennes, vous qui êtes déesses, et présentes à tout, et qui savez toutes choses, tandis que nous ne savons rien et n'entendons seulement qu'un bruit de gloire, dites les rois et les princes des Danaens. Car je ne pourrais nommer ni décrire la multitude, même ayant dix langues, dix bouches, une voix infatigable et une poitrine d'airain, si les Muses Olympiades, filles de Zeus tempétueux, ne me rappellent ceux qui vinrent sous Ilios. Je dirai donc les chefs et toutes les nefs.
Pènéléôs et Lèitos, et Arkésilaos, et Prothoènôr, et Klonios commandaient aux Boiôtiens. Et c'étaient ceux qui habitaient Hyriè et la pierreuse Aulis, et Skhoinos, et Skôlos, et les nombreuses collines d'Étéôn, et Thespéia, et Graia, et la grande Mikalèsos; et ceux qui habitaient autour de Harma et d'Eilésios et d'Érythra; et ceux qui habitaient Éléôn et Hilè, et Pétéôn, Okaliè et Médéôn bien bâtie, Kôpa et Eutrèsis et Thisbé abondante en colombes; et ceux qui habitaient Korônéia et Haliartos aux grandes prairies; et ceux qui habitaient Plataia; et ceux qui vivaient dans Glissa; et ceux qui habitaient la cité bien bâtie de Hypothèba, et la sainte Onkhestos, bois sacré de Poseidaôn; et ceux qui habitaient Arnè qui abonde en raisin, et Midéia, et la sainte Nissa, et la ville frontière Anthèdôn. Et ils étaient venus sur cinquante nefs, et chacune portait cent vingt jeunes Boiôtiens.
Et ceux qui habitaient Asplèdôn et Orkhomènos de Mynias étaient
commandés par Askalaphos et Ialménos, fils d'Arès. Et Astyokhè
Azéide les avait enfantés dans la demeure d'Aktôr; le puissant
Arès ayant surpris la vierge innocente dans les chambres hautes.
Et ils étaient venus sur trente nefs creuses.
Et Skhédios et Épistrophos, fils du magnanime Iphitos Naubolide, commandaient aux Phôkèens. Et c'étaient ceux qui habitaient Kiparissos et la pierreuse Pythôn et la sainte Krissa, et Daulis et Panopè; et ceux qui habitaient autour d'Anémôréia et de Hyampolis; et ceux qui habitaient auprès du divin fleuve Kèphisos et qui possédaient Lilaia, à la source du Kèphisos. Et ils étaient venus sur quarante nefs noires, et leurs chefs les rangèrent à la gauche des Boiôtiens.
Et l'agile Aias Oilèide commandait aux Lokriens. Il était beaucoup moins grand qu'Aias Télamônien, et sa cuirasse était de lin; mais, par la lance, il excellait entre les Panhellènes et les Akhaiens. Et il commandait à ceux qui habitaient Kynos et Kalliaros, et Bèssa et Scarphè, et l'heureuse Augéia, et Tarphè, et Thronios, auprès du Boagrios. Et tous ces Lokriens, qui habitaient au-delà de la sainte Euboiè, étaient venus sur quarante nefs noires.
Et les Abantes, pleins de courage, qui habitaient l'Euboia et Khalkis, et Eirétria, et Histiaia qui abonde en raisin, et la maritime Kèrinthos, et la haute citadelle de Diôs; et ceux qui habitaient Karistos et Styra étaient commandés par Éléphènôr Khalkodontiade, de la race d'Arès; et il était le prince des magnanimes Abantes. Et les Abantes agiles, aux cheveux flottant sur le dos, braves guerriers, désiraient percer de près les cuirasses ennemies de leurs piques de frêne. Et ils étaient venus sur quarante nefs noires.
Et ceux qui habitaient Athènes, ville forte et bien bâtie du magnanime Érékhtheus que nourrit Athènè, fille de Zeus, après que la terre féconde l'eut enfanté, et qu'elle plaça dans le temple abondant où les fils des Athènaiens offrent chaque année, pour lui plaire, des hécatombes de taureaux et d'agneaux; ceux-là étaient commandés par Ménèstheus, fils de Pétéos. Jamais aucun homme vivant, si ce n'était Nestôr, qui était plus âgé, ne fut son égal pour ranger en bataille les cavaliers et les porte boucliers. Et ils étaient venus sur cinquante nefs noires.
Et Aias avait amené douze nefs de Salamis, et il les avait placées auprès des Athènaiens.
Et ceux qui habitaient Argos et la forte Tiryntha, Hermionè et Asinè aux golfes profonds, Troixènè, Eiôna et Épidauros qui abonde en vignes; et ceux qui habitaient Aigina et Masès étaient commandés par Diomèdès, hardi au combat, et par Sthénélôs, fils de l'illustre Kapaneus, et par Euryalos, semblable aux dieux, fils du roi Mèkisteus Taliônide. Mais Diomèdès, hardi au combat, les commandait tous. Et ils étaient venus sur quatre-vingts nefs noires.
Et ceux qui habitaient la ville forte et bien bâtie de Mykènè, et la riche Korinthos et Kléôn; et ceux qui habitaient Ornéia et l'heureuse Araithyréè, et Sikiôn où régna, le premier, Adrèstos; et ceux qui habitaient Hipérèsia et la haute Gonoessa et Pellèna, et qui vivaient autour d'Aigion et de la grande Hélikè, et sur toute la côte, étaient commandés par le roi Agamemnôn Atréide. Et ils étaient venus sur cent nefs, et ils étaient les plus nombreux et les plus braves des guerriers. Et l'Atréide, revêtu de l'airain splendide, était fier de commander à tous les héros, étant lui- même très brave, et ayant amené le plus de guerriers.
Et ceux qui habitaient la grande Lakédaimôn dans sa creuse vallée, et Pharis et Sparta, et Messa qui abonde en colombes, et Bryséia et l'heureuse Augéia, Amykla et la maritime Hélos; et ceux qui habitaient Laas et Oitylos, étaient commandés par Ménélaos hardi au combat, et séparés des guerriers de son frère. Et ils étaient venus sur soixante nefs. Et Ménélaos était au milieu d'eux, confiant dans son courage, et les excitant à combattre; car, plus qu'eux, il désirait venger le rapt de Hélénè et les maux qui en venaient.
Et ceux qui habitaient Pylos et l'heureuse Arènè, et Thryos traversée par l'Alphéos, et Aipy habilement construite, et Kiparissè et Amphigènéia, Ptéléon, Hélos et Dôrion, où les Muses, ayant rencontré le Thrakien Thamyris qui venait d'Oikhaliè, de chez le roi Eurytos l'Oikhalien, le rendirent muet, parce qu'il s'était vanté de vaincre en chantant les Muses elles-mêmes, filles de Zeus tempétueux. Et celles-ci, irritées, lui ôtèrent la science divine de chanter et de jouer de la kithare. Et ceux-là étaient commandés par le cavalier Gérennien Nestôr. Et ils étaient venus sur quatre-vingt-dix nefs creuses.
Et ceux qui habitaient l'Arkadia, aux pieds de la haute montagne de Killènè où naissent les hommes braves, auprès du tombeau d'Aipytios; et ceux qui habitaient Phénéos et Orkhoménos riche en troupeaux, et Ripè, et Stratiè, et Enispè battue des vents; et ceux qui habitaient Tégéè et l'heureuse Mantinéè, et Stimphèlos et Parrhasiè, étaient commandés par le fils d'Ankaios, le roi Agapènôr. Et ils étaient venus sur cinquante nefs, et dans chacune il y avait un grand nombre d'Arkadiens belliqueux. Et le roi Agamemnôn leur avait donné des nefs bien construites pour traverser la noire mer, car ils ne s'occupaient point des travaux de la mer.
Et ceux qui habitaient Bouprasios et la divine Élis, et la terre qui renferme Hyrininè et la ville frontière de Myrsinè, et la roche Olénienne et Aleisios, étaient venus sous quatre chefs, et chaque chef conduisait dix nefs rapides où étaient de nombreux ÉpéiensAmphimakhos et Thalpios commandaient les uns; et le premier était fils de Kléatos, et le second d'Eurytos Aktoriôn. Et le robuste Diôrès Amarynkéide commandait les autres, et le divin Polyxeinos commandait aux derniers; et il était fils d'Agasthéneus Augéiade.
Et ceux qui habitaient Doulikiôn et les saintes îles Ekhinades qui sont à l'horizon de la mer, en face de l'Élis, étaient commandés par Mégès Phyléide, semblable à Arès. Et il était fils de Phyleus, habile cavalier cher à Zeus, qui, s'étant irrité contre son père, s'était réfugié à Doulikhiôn. Et ils étaient venus sur quarante nefs noires.
Et Odysseus commandait les magnanimes Képhallèniens, et ceux qui habitaient Ithakè et le Nèritos aux forêts agitées, et ceux qui habitaient Krokyléia et l'aride Aigilipa et Zakyntos et Samos, et ceux qui habitaient l'Épeiros sur la rive opposée. Et Odysseus, égal à Zeus par l'intelligence, les commandait. Et ils étaient venus sur douze nefs rouges.
Et Thoas Andraimonide commandait les Aitôliens qui habitaient Pleurôn et Olénos, et Pylènè, et la maritime Khalkis, et la pierreuse Kalidôn. Car les fils du magnanime Oineus étaient morts, et lui-même était mort, et le blond Méléagros était mort, et Thoas commandait maintenant les Aitôliens. Et ils étaient venus sur quarante nefs noires.
Et Idoméneus, habile à lancer la pique, commandait les Krètois et ceux qui habitaient Knôssos et la forte Gorcyna, et les villes populeuses de Lyktos, de Milètos, de Lykastos, de Phaistos et de Rhytiôn, et d'autres qui habitaient aussi la Krètè aux cent villes. Et Idoméneus, habile à lancer la pique, les commandait avec Mèrionès, pareil au tueur d'hommes Arès. Et ils étaient venus sur quatre-vingts nefs noires.
Et Tlèpolémos Hèraklide, très fort et très grand, avait conduit de Rhodos, sur neuf nefs, les fiers Rhodiens qui habitaient les trois parties de Rhodos: Lindos, Ièlissos et la riche Kameiros. Et Tlèpolémos, habile à lancer la pique, les commandait. Et Astyokhéia avait donné ce fils au grand Hèraklès, après que ce dernier l'eut emmenée d'Éphyrè, des bords du Sellèis, où il avait renversé beaucoup de villes défendues par des jeunes hommes. Et Tlèpolémos, élevé dans la belle demeure, tua l'oncle de son père, Likymnios, race d'Arès. Et il construisit des nefs, rassembla une grande multitude et s'enfuit sur la mer, car les fils et les petits-fils du grand Hèraklès le menaçaient. Ayant erré et subi beaucoup de maux, il arriva dans Rhodos, où ils se partagèrent en trois tribus, et Zeus, qui commande aux dieux et aux hommes, les aima et les combla de richesses.
Et Nireus avait amené de Symè trois nefs. Et il était né d'Aglaiè et du roi Kharopos, et c'était le plus beau de tous les Danaens, après l'irréprochable Pèléiôn, mais il n'était point brave et commandait peu de guerriers.
Et ceux qui habitaient Nisyros et Krapathos, et Kasos, et Kôs, ville d'Eurypylos, et les îles Kalynades, étaient commandés par Pheidippos et Antiphos, deux fils du roi Thessalos Hèrakléide. Et ils étaient venus sur trente nefs creuses.
Et je nommerai aussi ceux qui habitaient Argos Pélasgique, et Alos et Alopè, et ceux qui habitaient Trakinè et la Phthiè, et la Hellas aux belles femmes. Et ils se nommaient Myrmidones, ou Hellènes, ou Akhaiens, et Akhilleus commandait leurs cinquante nefs. Mais ils ne se souvenaient plus des clameurs de la guerre, n'ayant plus de chef qui les menât. Car le divin Akhilleus aux pieds rapides était couché dans ses nefs, irrité au souvenir de la vierge Breisèis aux beaux cheveux qu'il avait emmenée de Lyrnèssos, après avoir pris cette ville et renversé les murailles de Thèbè avec de grandes fatigues. Là, il avait tué les belliqueux Mènytos et Épistrophos, fils du roi Évènos Sélèpiade. Et, dans sa douleur, il restait couché mais il devait se relever bientôt.
Et ceux qui habitaient Phylakè et la fertile Pyrrhasos consacrée à Dèmètèr, et Itôn riche en troupeaux, et la maritime Antrôn, et Ptéléos aux grasses prairies, étaient commandés par le brave Prôtésilaos quand il vivait; mais déjà la terre noire le renfermait; et sa femme se meurtrissait le visage, seule à Phylakè, dans sa demeure abandonnée; car un guerrier Dardanien le tua, comme il s'élançait de sa nef, le premier de tous les Akhaiens. Mais ses guerriers n'étaient point sans chef, et ils étaient commandés par un nourrisson d'Arès, Podarkès, fils d'Iphiklos riche en troupeaux, et il était frère du magnanime Prôtésilaos. Et ce héros était l'aîné et le plus brave, et ses guerriers le regrettaient. Et ils étaient venus sur quarante nefs noires.
Et ceux qui habitaient Phéra, auprès du lac Boibèis, et Boibè, et Glaphyra, et Iôlkos, étaient commandés, sur onze nefs, par le fils bien-aimé d'Admètès, Eumèlos, qu'Alkèstis, la gloire des femmes et la plus belle des filles de Pèlias, avait donné à Admètès.
Et ceux qui habitaient Mèthônè et Thaumakè, et Méliboia et l'aride Olizôn, Philoktètès, très excellent archer, les commandait, sur sept nefs. Et dans chaque nef étaient cinquante rameurs, excellents archers, et très braves. Et Philoktètès était couché dans une île, en proie à des maux terribles, dans la divine Lèmnôs, où les fils des Akhaiens le laissèrent, souffrant de la mauvaise blessure d'un serpent venimeux. C'est là qu'il gisait, plein de tristesse. Mais les Argiens devaient bientôt se souvenir, dans leurs nefs, du roi Philoktètès. Et ses guerriers n'étaient point sans chef, s'ils regrettaient celui-là. Et Médôn les commandait, et il était fils du brave Oileus, de qui Rhènè l'avait conçu.
Et ceux qui habitaient Trikkè et la montueuse Ithomè, et Oikhaliè, ville d'Eurytos Oikhalien, étaient commandés par les deux fils d'Asklèpios, Podaleirios et Makhaôn. Et ils étaient venus sur trente nefs creuses.
Et ceux qui habitaient Orménios et la fontaine Hypéréia, et
Astériôn, et les cimes neigeuses du Titanos, étaient commandés par
Eurypylos, illustre fils d'Évaimôn. Et ils étaient venus sur
quarante nefs noires.
Et ceux qui habitaient Argissa et Gyrtônè, Orthè et Élonè, et la blanche Oloossôn, étaient commandés par le belliqueux Polypoitès, fils de Peirithoos qu'engendra l'éternel Zeus. Et l'illustre Hippodaméia le donna pour fils à Peirithoos le jour où celui-ci dompta les centaures féroces et les chassa du Pèliôn jusqu'aux monts Aithiens. Et Polypoitès ne commandait point seul, mais avec Léonteus, nourrisson d'Arès, et fils du magnanime Koronos Kainéide. Et ils étaient venus sur quarante nefs noires.
Et Gouneus avait amené de Kyphos, sur vingt-deux nefs, les Éniènes et les braves Péraibes qui habitaient la froide Dôdônè, et ceux qui habitaient les champs baignés par l'heureux Titarèsios qui jette ses belles eaux dans le Pènéios, et ne se mêle point au Pènéios aux tourbillons d'argent, mais coule à sa surface comme de l'huile. Et sa source est Styx par qui jurent les dieux.
Et Prothoos, fils de Tenthrèdôn, commandait les Magnètes qui habitaient auprès du Pènéios et du Pèliôn aux forêts secouées par le vent. Et l'agile Prothoos les commandait, et ils étaient venus sur quarante nefs noires.
Et tels étaient les rois et les chefs des Danaens.
Dis-moi, Muse, quel était le plus brave, et qui avait les meilleurs chevaux parmi ceux qui avaient suivi les Atréides.
Les meilleurs chevaux étaient ceux du Phèrètiade Eumèlos. Et ils étaient rapides comme les oiseaux, du même poil, du même âge et de la même taille. Apollôn à l'arc d'argent éleva et nourrit sur le mont Piérè ces cavales qui portaient la terreur d'Arès. Et le plus brave des guerriers était Aias Télamônien, depuis qu'Akhilleus se livrait à sa colère; car celui-ci était de beaucoup le plus fort, et les chevaux qui traînaient l'irréprochable Pèléiôn étaient de beaucoup les meilleurs. Mais voici qu'il était couché dans sa nef éperonnée, couvant sa fureur contre Agamemnôn. Et ses guerriers, sur le rivage de la mer, lançaient pacifiquement le disque, la pique ou la flèche; et les chevaux, auprès des chars, broyaient le lotos et le sélinos des marais; et les chars solides restaient sous les tentes des chefs; et ceux-ci, regrettant leur roi cher à Arès, erraient à travers le camp et ne combattaient point.
Et les Akhaiens roulaient sur la terre comme un incendie; et la terre mugissait comme lorsque Zeus tonnant la fouette à coups de foudre autour des rochers Arimiens où l'on dit que Typhôeus est couché. Ainsi la terre rendait un grand mugissement sous les pieds des Akhaiens qui franchissaient rapidement la plaine.
Et la légère Iris, qui va comme le vent, envoyée de Zeus tempêtueux, vint annoncer aux Troiens la nouvelle effrayante. Et ils étaient réunis, jeunes et vieux, à l'agora, devant les vestibules de Priamos. Et la légère Iris s'approcha, semblable par le visage et la voix à Politès Priamide, qui, se fiant à la rapidité de sa course, s'était assis sur la haute tombe du vieux Aisyètas, pour observer le moment où les Akhaiens se précipiteraient hors des nefs.
Et la légère Iris, étant semblable à lui, parla ainsi:
— Ô vieillard! tu te plais aux paroles sans fin, comme autrefois, du temps de la paix; mais voici qu'une bataille inévitable se prépare. Certes, j'ai vu un grand nombre de combats, mais je n'ai point encore vu une armée aussi formidable et aussi innombrable. Elle est pareille aux feuilles et aux grains de sable; et voici qu'elle vient, à travers la plaine, combattre autour de la ville. Hektôr, c'est à toi d'agir. Il y a de nombreux alliés dans la grande ville de Priamos, de races et de langues diverses. Que chaque chef arme les siens et les mène au combat.
Elle parla ainsi, et Hektôr reconnut sa voix, et il rompit l'agora, et tous coururent aux armes. Et les portes s'ouvrirent, et la foule des hommes, fantassins et cavaliers, en sortit à grand bruit. Et il y avait, en avant de la ville, une haute colline qui s'inclinait de tous côtés dans la plaine; et les hommes la nommaient Batéia, et les immortels, le tombeau de l'agile Myrinnè. Là, se rangèrent les Troiens et les alliés.
Et le grand Hektôr Priamide au beau casque commandait les Troiens, et il était suivi d'hommes nombreux et braves qui désiraient frapper de la pique.
Et le vaillant fils d'Ankhisès, Ainéias, commandait les Dardaniens. Et la divine Aphroditè l'avait donné pour fils à Ankhisès, s'étant unie à un mortel, quoique déesse, sur les cîmes de l'Ida. Et il ne commandait point seul; mais les deux Anténorides l'accompagnaient, Arkhilokhos et Akamas, habiles à tous les combats.
Et ceux qui habitaient Zéléia, aux pieds de la dernière chaîne de l'Ida, les riches Troadiens qui boivent l'eau profonde de l'Aisèpos, étaient commandés par l'illustre fils de Lykaôn, Pandaros, à qui Apollôn lui-même avait donné son arc.
Et ceux qui habitaient Adrèstéia et Apeisos, et Pithyéia et les hauteurs de Tèréiè, étaient commandés par Adrèstos et par Amphios à la cuirasse de lin. Et ils étaient tous deux fils de Mérops, le Perkôsien, qui, n'ayant point d'égal dans la science divinatoire, leur défendit de tenter la guerre qui dévore les hommes; mais ils ne lui obéirent point, parce que les kères de la noire mort les entraînaient.
Et ceux qui habitaient Perkôtè et Praktios, et Sèstos et Abydos, et la divine Arisbè, étaient commandés par Asios Hyrtakide, que des chevaux grands et ardents avaient amené des bords du fleuve Sellèis.
Et les tribus Pélasgiques habiles à lancer la pique, et ceux qui
habitaient Larissa aux plaines fertiles, étaient commandés par
Hippothoos et Pyleus, nourrissons d'Arès, fils du Pélasge Lèthos
Teutamide.
Et Akamas commandait les Thrakiens, et le héros Peirôs ceux qu'enferme le Hellespontos rapide.
Et Euphèmos commandait les braves Kikoniens, et il était fils de
Troizènos Kéade, cher à Zeus.
Et Pyraikhmès commandait les archers Paiones, venus de la terre lointaine d'Amydôn et du large Axios qui répand ses belles eaux sur la terre.
Et le brave Pylaiméneus commandait les Paphlagones, du pays des
Énètiens, où naissent les mules sauvages. Et ils habitaient aussi
Kytôros et Sésamos, et les belles villes du fleuve Parthénios, et
Krômna, et Aigialos et la haute Érythinos.
Et Dios et Épistrophos commandaient les Halizônes, venus de la lointaine Alybè, où germe l'argent.
Et Khromis et le divinateur Eunomos commandaient les Mysiens. Mais Eunomos ne devina point la noire mort, et il devait tomber sous la main du rapide Aiakide, dans le fleuve où celui-ci devait tuer tant de Troiens.
Et Phorkys commandait les Phrygiens, avec Askanios pareil à un dieu. Et ils étaient venus d'Askaniè, désirant le combat.
Et Mesthlès et Antiphos, fils de Pylaiméneus, nés sur les bords du lac de Gygéia, commandaient les Maiones qui habitent aux pieds du Tmôlos.
Et Nastès commandait les Kariens au langage barbare qui habitaient Milètos et les hauteurs Phthiriennes, et les bords du Maiandros ét les cimes de Mykalè. Et Amphimakhos et Nastès les commandaient, et ils étaient les fils illustres de Nomiôn. Et Amphimakhos combattait chargé d'or comme une femme, et ceci ne lui fit point éviter la noire mort, le malheureux! Car il devait tomber sous la main du rapide Aiakide, dans le fleuve, et le brave Akhilleus devait enlever son or.
Et l'irréprochable Sarpèdôn commandait les Lykiens, avec l'irréprochable Glaukos. Et ils étaient venus de la lointaine Lykiè et du Xanthos plein de tourbillons.
Chant 3
Quand tous, de chaque côté, se furent rangés sous leurs chefs, les Troiens s'avancèrent, pleins de clameurs et de bruit, comme des oiseaux. Ainsi, le cri des grues monte dans l'air, quand, fuyant l'hiver et les pluies abondantes, elles volent sur les flots d'Okéanos, portant le massacre et la kèr de la mort aux Pygmées. Et elles livrent dans l'air un rude combat. Mais les Akhaiens allaient en silence, respirant la force, et, dans leur coeur, désirant s'entre aider. Comme le Notos enveloppe les hauteurs de la montagne d'un brouillard odieux au berger et plus propice au voleur que la nuit même, de sorte qu'on ne peut voir au-delà d'une pierre qu'on a jetée; de même une noire poussière montait sous les pieds de ceux qui marchaient, et ils traversaient rapidement la plaine.
Et quand ils furent proches les uns des autres, le divin Alexandros apparut en tête des Troiens, ayant une peau de léopard sur les épaules, et l'arc recourbé et l'épée. Et, agitant deux piques d'airain, il appelait les plus braves des Argiens à combattre un rude combat. Et dès que Ménélaos, cher à Arès, l'eut aperçu qui devançait l'armée et qui marchait à grands pas, comme un lion se réjouit, quand il a faim, de rencontrer un cerf cornu ou une chèvre sauvage, et dévore sa proie, bien que les chiens agiles et les ardents jeunes hommes le poursuivent, de même Ménélaos se réjouit quand il vit devant lui le divin Alexandros. Et il espéra se venger de celui qui l'avait outragé, et il sauta du char avec ses armes.
Et dès que le divin Alexandros l'eut aperçu en tête de l'armée, son coeur se serra, et il recula parmi les siens pour éviter la kèr de la mort. Si quelqu'un, dans les gorges des montagnes, voit un serpent, il saute en arrière, et ses genoux tremblent, et ses joues pâlissent. De même le divin Alexandros, craignant le fils d'Atreus, rentra dans la foule des hardis Troiens.
Et Hektôr, l'ayant vu, l'accabla de paroles amères:
— Misérable Pâris, qui n'as que ta beauté, trompeur et efféminé, plût aux dieux que tu ne fusses point né, ou que tu fusses mort avant tes dernières noces! Certes, cela eût mieux valu de beaucoup, plutôt que d'être l'opprobre et la risée de tous! Voici que les Akhaiens chevelus rient de mépris, car ils croyaient que tu combattais hardiment hors des rangs, parce que ton visage est beau; mais il n'y a dans ton coeur ni force ni courage. Pourquoi, étant un lâche, as-tu traversé la mer sur tes nefs rapides, avec tes meilleurs compagnons, et, mêlé à des étrangers, as-tu enlevé une très belle jeune femme du pays d'Apy, parente d'hommes belliqueux? Immense malheur pour ton père, pour ta ville et pour tout le peuple; joie pour nos ennemis et honte pour toi-même! Et tu n'as point osé attendre Ménélaos, cher à Arès. Tu saurais maintenant de quel guerrier tu retiens la femme. Ni ta kithare, ni les dons d'Aphrodite, ta chevelure et ta beauté, ne t'auraient sauvé d'être traîné dans la poussière. Mais les Troiens ont trop de respect, car autrement, tu serais déjà revêtu d'une tunique de pierres, pour prix des maux que tu as causés.
Et le divin Alexandros lui répondit:
— Hektôr, tu m'as réprimandé justement. Ton coeur est toujours indompté, comme la hache qui fend le bois et accroît la force de l'ouvrier constructeur de nefs. Telle est l'âme indomptée qui est dans ta poitrine. Ne me reproche point les dons aimables d'Aphrodite d'or. Il ne faut point rejeter les dons glorieux des dieux, car eux seuls en disposent, et nul ne les pourrait prendre à son gré. Mais si tu veux maintenant que je combatte et que je lutte, arrête les Troiens et les Akhaiens, afin que nous combattions moi et Ménélaos, cher à Arès, au milieu de tous, pour Hélénè et pour toutes ses richesses. Et le vainqueur emportera cette femme et toutes ses richesses, et, après avoir échangé des serments inviolables, vous, Troiens, habiterez la féconde Troiè, et les Akhaiens retourneront dans Argos, nourrice de chevaux, et dans l'Akhaiè aux belles femmes.
Il parla ainsi, et Hektôr en eut une grande joie, et il s'avança, arrêtant les phalanges des Troiens, à l'aide de sa pique qu'il tenait par le milieu. Et ils s'arrêtèrent. Et les Akhaiens chevelus tiraient sur lui et le frappaient de flèches et de pierres. Mais le roi des hommes, Agamemnôn, cria à voix haute:
— Arrêtez, Argiens! ne frappez point, fils des Akhaiens! Hektôr au casque mouvant semble vouloir dire quelques mots.
Il parla ainsi, et ils cessèrent et firent silence, et Hektôr parla au milieu d'eux:
— Ecoutez, Troiens et Akhaiens, ce que dit Alexandros qui causa cette guerre. Il désire que les Troiens et les Akhaiens déposent leurs belles armes sur la terre nourricière, et que lui et Ménélaos, cher à Arès, combattent, seuls, au milieu de tous, pour Hélénè et pour toutes ses richesses. Et le vainqueur emportera cette femme et toutes ses richesses, et nous échangerons des serments inviolables.
Il parla ainsi, et tous restèrent silencieux. Et Ménélaos, hardi au combat, leur dit:
— Ecoutez-moi maintenant. Une grande douleur serre mon coeur, et j'espère que les Argiens et les Troiens vont cesser la guerre, car vous avez subi des maux infinis pour ma querelle et pour l'injure que m'a faite Alexandros. Que celui des deux à qui sont réservées la moire et la mort, meure donc; et vous, cessez aussitôt de combattre. Apportez un agneau noir pour Gaia et un agneau blanc pour Hélios, et nous en apporterons autant pour Zeus. Et vous amènerez Priamos lui-même, pour qu'il se lie par des serments, car ses enfants sont parjures et sans foi, et que personne ne puisse violer les serments de Zeus. L'esprit des jeunes hommes est léger, mais, dans ses actions, le vieillard regarde à la fois l'avenir et le passé et agit avec équité.
Il parla ainsi, et les Troiens et les Akhaiens se réjouirent, espérant mettre fin à la guerre mauvaise. Et ils retinrent les chevaux dans les rangs, et ils se dépouillèrent de leurs armes déposées sur la terre. Et il y avait peu d'espace entre les deux armées. Et Hektôr envoya deux hérauts à la ville pour apporter deux agneaux et appeler Priamos. Et le roi Agamemnôn envoya Talthybios aux nefs creuses pour y prendre un agneau, et Talthybios obéit au divin Agamemnôn.
Et la messagère Iris s'envola chez Hélénè aux bras blancs, s'étant faite semblable à sa belle-soeur Laodikè, la plus belle des filles de Priamos, et qu'avait épousée l'Anténoride Élikaôn.
Et elle trouva Hélénè dans sa demeure, tissant une grande toile double, blanche comme le marbre, et y retraçant les nombreuses batailles que les Troiens dompteurs de chevaux et les Akhaiens revêtus d'airain avaient subies pour elle par les mains d'Arès. Et Iris aux pieds légers, s'étant approchée, lui dit:
— Viens, chère nymphe, voir le spectacle admirable des Troiens dompteurs de chevaux et des Akhaiens revêtus d'airain. Ils combattaient tantôt dans la plaine, pleins de la fureur d'Arès, et les voici maintenant assis en silence, appuyés sur leurs boucliers, et la guerre a cessé, et les piques sont enfoncées en terre. Alexandros et Ménélaos cher à Arès combattront pour toi, de leurs longues piques, et tu seras l'épouse bien-aimée du vainqueur.
Et la déesse, ayant ainsi parlé, jeta dans son coeur un doux souvenir de son premier mari, et de son pays, et de ses parents. Et Hélénè, s'étant couverte aussitôt de voiles blancs, sortit de la chambre nuptiale en pleurant; et deux femmes la suivaient, Aithrè, fille de Pittheus, et Klyménè aux yeux de boeuf. Et voici qu'elles arrivèrent aux portes Skaies. Priamos, Panthoos, Thymoitès, Lampos, Klytios, lbkétaôn, nourrisson d'Arès, Oukalégôn et Antènôr, très sages tous deux, siégeaient, vieillards vénérables, au-dessus des portes Skaies. Et la vieillesse les écartait de la guerre; mais c'étaient d'excellents agorètes; et ils étaient pareils à des cigales qui, dans les bois, assises sur un arbre, élèvent leur voix mélodieuse. Tels étaient les princes des Troiens, assis sur la tour. Et quand ils virent Hélénè qui montait vers eux, ils se dirent les uns aux autres, et à voix basse, ces paroles ailées:
Certes, il est juste que les Troiens et les Akhaiens aux belles knèmides subissent tant de maux, et depuis si longtemps, pour une telle femme, car elle ressemble aux déesses immortelles par sa beauté. Mais, malgré cela, qu'elle s'en retourne sur ses nefs, et qu'elle ne nous laisse point, à nous et à nos enfants, un souvenir misérable.
Ils parlaient ainsi, et Priamos appela Hélénè:
— Viens, chère enfant, approche, assieds-toi auprès de moi, afin de revoir ton premier mari, et tes parents, et tes amis. Tu n'es point la cause de nos malheurs. Ce sont les dieux seuls qui m'ont accablé de cette rude guerre Akhaienne. Dis-moi le nom de ce guerrier d'une haute stature; quel est cet Akhaien grand et vigoureux? D'autres ont une taille plus élevée, mais je n'ai jamais vu de mes yeux un homme aussi beau et majestueux. Il a l'aspect d'un roi.
Et Hélénè, la divine femme, lui répondit:
— Tu m'es vénérable et redoutable, père bien-aimé. Que n'ai-je subi la noire mort quand j'ai suivi ton fils, abandonnant ma chambre nuptiale et ma fille née en mon pays lointain, et mes frères, et les chères compagnes de ma jeunesse! Mais telle n'a point été ma destinée, et c'est pour cela que je me consume en pleurant. Je te dirai ce que tu m'as demandé. Cet homme est le roi Agamemnôn Atréide, qui commande au loin, roi habile et brave guerrier. Et il fut mon beau-frère, à moi infâme, s'il m'est permis de dire qu'il le fut.
Elle parla ainsi, et le vieillard, plein d'admiration, s'écria:
— Ô heureux Atréide, né pour d'heureuses destinées! Certes, de nombreux fils des Akhaiens te sont soumis. Autrefois, dans la Phrygiè féconde en vignes, j'ai vu de nombreux Phrygiens, habiles cavaliers, tribus belliqueuses d'Otreus et de Mygdôn égal aux dieux, et qui étaient campés sur les bords du Sangarios. Et j'étais au milieu d'eux, étant leur allié, quand vinrent les Amazones viriles. Mais ils n'étaient point aussi nombreux que les Akhaiens.
Puis, ayant vu Odysseus, le vieillard interrogea Hélénè:
— Dis-moi aussi, chère enfant, qui est celui-ci. Il est moins grand que l'Atréide Agamemnôn, mais plus large des épaules et de la poitrine. Et ses armes sont couchées sur la terre nourricière, et il marche, parmi les hommes, comme un bélier chargé de laine au milieu d'un grand troupeau de brebis blanches.
Et Hélénè, fille de Zeus, lui répondit:
— Celui-ci est le subtil Laertiade Odysseus, nourri dans le pays stérile d'Ithakè. Et il est plein de ruses et de prudence.
Et le sage Antènôr lui répondit:
— Ô femme! tu as dit une parole vraie. Le divin Odysseus vint autrefois ici, envoyé pour toi, avec Ménélaos cher à Arès, et je les reçus dans mes demeures, et j'ai appris à connaître leur aspect et leur sagesse. Quand ils venaient à l'agora des Troiens, debout, Ménélaos surpassait Odysseus des épaules, mais, assis, le plus majestueux était Odysseus. Et quand ils haranguaient devant tous, certes, Ménélaos, bien que le plus jeune, parlait avec force et concision, en peu de mots, mais avec une clarté précise et allant droit au but. Et quand le subtil Odysseus se levait, il se tenait immobile, les yeux baissés, n'agitant le sceptre ni en avant ni en arrière, comme un agorète inexpérimenté. On eût dit qu'il était plein d'une sombre colère et tel qu'un insensé. Mais quand il exhalait de sa poitrine sa voix sonore, ses paroles pleuvaient, semblables aux neiges de l'hiver. En ce moment, nul n'aurait osé lutter contre lui; mais, au premier aspect, nous ne l'admirions pas autant.
Ayant vu Aias, une troisième fois le vieillard interrogea Hélénè:
— Qui est cet autre guerrier Akhaien, grand et athlétique, qui surpasse tous les Argiens de la tête et des épaules?
Et Hélénè au long péplos, la divine femme, lui répondit:
— Celui-ci est le grand Aias, le bouclier des Akhaiens. Et voici, parmi les Krètois, Idoméneus tel qu'un dieu, et les princes Krètois l'environnent. Souvent, Ménélaos cher à Arès le reçut dans nos demeures, quand il venait de la Krètè. Et voici tous les autres Akhaiens aux yeux noirs, et je les reconnais, et je pourrais dire leurs noms. Mais je ne vois point les deux princes des peuples, Kastôr dompteur de chevaux et Polydeukès invincible au pugilat, mes propres frères, car une même mère nous a enfantés. N'auraient-ils point quitté l'heureuse Lakédaimôn, ou, s'ils sont venus sur leurs nefs rapides, ne veulent-ils point se montrer au milieu des hommes, à cause de ma honte et de mon opprobre?
Elle parla ainsi, mais déjà la terre féconde les renfermait, à
Lakédaimôn, dans la chère patrie.
Et les hérauts, à travers la ville, portaient les gages sincères des dieux, deux agneaux, et, dans une outre de peau de chèvre, le vin joyeux, fruit de la terre. Et le héraut Idaios portait un kratère étincelant et des coupes d'or; et, s'approchant, il excita le vieillard par ces paroles:
— Lève-toi, Laomédontiade! Les princes des Troiens dompteurs de chevaux et des Akhaiens revêtus d'airain t'invitent à descendre dans la plaine, afin que vous échangiez des serments inviolables. Et Alexandros et Ménélaos cher à Arès combattront pour Hélénè avec leurs longues piques, et ses richesses appartiendront au vainqueur. Et tous, ayant fait alliance et échangé des serments inviolables, nous, Troiens, habiterons la féconde Troiè, et les Akhaiens retourneront dans Argos nourrice de chevaux et dans l'Akhaiè aux belles femmes.
Il parla ainsi, et le vieillard frémit, et il ordonna à ses compagnons d'atteler les chevaux, et ils obéirent promptement. Et Priamos monta, tenant les rênes, et, auprès de lui, Antènôr entra dans le beau char; et, par les portes Skaies, tous deux poussèrent les chevaux agiles dans la plaine.
Et quand ils furent arrivés au milieu des Troiens et des Akhaiens, ils descendirent du char sur la terre nourricière et se placèrent au milieu des Troiens et des Akhaiens.
Et, aussitôt, le roi des hommes, Agamemnôn, se leva, ainsi que le subtil Odysseus. Puis, les hérauts vénérables réunirent les gages sincères des dieux, mêlant le vin dans le kratère et versant de l'eau sur les mains des rois. Et l'Atréide Agamemnôn, tirant le couteau toujours suspendu à côté de la grande gaine de l'épée, coupa du poil sur la tête des agneaux, et les hérauts le distribuèrent aux princes des Troiens et des Akhaiens. Et, au milieu d'eux, l'Atréide pria, à haute voix, les mains étendues:
— Père Zeus, qui commandes du haut de l'Ida, très glorieux, très grand! Hélios, qui vois et entends tout! fleuves et Gaia! et vous qui, sous la terre, châtiez les parjures, soyez tous témoins, scellez nos serments inviolables. Si Alexandros tue Ménélaos, qu'il garde Hélénè et toutes ses richesses, et nous retournerons sur nos nefs rapides; mais si le blond Ménélaos tue Alexandros, que les Troiens rendent Hélénè et toutes ses richesses, et qu'ils payent aux Argiens, comme il est juste, un tribut dont se souviendront les hommes futurs. Mais si, Alexandros mort, Priamos et les fils de Priamos refusaient de payer ce tribut, je resterai et combattrai pour ceci, jusqu'à ce que je termine la guerre.
Il parla ainsi, et, de l'airain cruel, il trancha la gorge des agneaux et il les jeta palpitants sur la terre et rendant l'âme, car l'airain leur avait enlevé la vie. Et tous, puisant le vin du kratère avec des coupes, ils le répandirent et prièrent les dieux qui vivent toujours. Et les Troiens et les Akhaiens disaient:
— Zeus, très glorieux, très grand, et vous, dieux immortels! que la cervelle de celui qui violera le premier ce serment, et la cervelle de ses fils, soient répandues sur la terre comme ce vin, et que leurs femmes soient outragées par autrui!
Mais le Kroniôn ne les exauça point. Et le Dardanide Priamos parla et leur dit:
— Ecoutez-moi, Troiens et Akhaiens aux belles knèmides. Je retourne vers la hauteur d'Ilios, car je ne saurais voir de mes yeux mon fils bien-aimé lutter contre Ménélaos cher à Arès. Zeus et les dieux immortels savent seuls auquel des deux est réservée la mort.
Ayant ainsi parlé, le divin vieillard plaça les agneaux dans le char, y monta, et saisit les rênes. Et Antènôr, auprès de lui, entra dans le beau char, et ils retournèrent vers Ilios.
Et le Priamide Hektôr et le divin Odysseus mesurèrent l'arène d'abord, et remuèrent les sorts dans un casque, pour savoir qui lancerait le premier la pique d'airain. Et les peuples priaient et levaient les mains vers les dieux, et les Troiens et les Akhaiens disaient:
— Père Zeus, qui commandes au haut de l'Ida, très glorieux, très grand! que celui qui nous a causé tant de maux descende chez Aidès, et puissions-nous sceller une alliance et des traités inviolables!
Ils parlèrent ainsi, et le grand Hektôr au casque mouvant agita les sorts en détournent les yeux, et celui de Pâris sortit le premier. Et tous s'assirent en rangs, chacun auprès de ses chevaux agiles et de ses armes éclatantes. Et le divin Alexandros, l'époux de Hélénè aux beaux cheveux, couvrit ses épaules de ses belles armes. Et il mit autour de ses jambes ses belles knèmides aux agrafes d'argent, et, sur sa poitrine, la cuirasse de son frère Lykaôn, faite à sa taille; et il suspendit à ses épaules l'épée d'airain aux clous d'argent. Puis il prit le bouclier vaste et lourd, et il mit sur sa tête guerrière un riche casque orné de crins, et ce panache s'agitait fièrement; et il saisit une forte pique faite pour ses mains. Et le brave Ménélaos se couvrit aussi de ses armes.
Tous deux, s'étant armés, avancèrent au milieu des Troiens et des Akhaiens, se jetant de sombres regards; et les Troiens dompteurs de chevaux et les Akhaiens aux belles knèmides les regardaient avec terreur. Ils s'arrêtèrent en face l'un de l'autre, agitant les piques et pleins de fureur.
Et Alexandros lança le premier sa longue pique et frappa le bouclier poli de l'Atréide, mais il ne perça point l'airain, et la pointe se ploya sur le dur bouclier. Et Ménélaos, levant sa pique, supplia le père Zeus:
— Père Zeus! fais que je punisse le divin Alexandros, qui le premier m'a outragé, et fais qu'il tombe sous mes mains, afin que, parmi les hommes futurs, chacun tremble d'outrager l'hôte qui l'aura reçu avec bienveillance!
Ayant parlé ainsi, il brandit sa longue pique, et, la lançant, il en frappa le bouclier poli du Priamide. Et la forte pique, à travers le bouclier éclatant, perça la riche cuirasse et déchira la tunique auprès du flanc. Et Alexandros, se courbant, évita la noire kèr. Et l'Atréide, ayant tiré l'épée aux clous d'argent, en frappa le cône du casque; mais l'épée, rompue en trois ou quatre morceaux, tomba de sa main, et l'Atréide gémit en regardant le vaste Ouranos:
— Père Zeus! nul d'entre les dieux n'est plus inexorable que toi. Certes, j'espérais me venger de l'outrage d'Alexandros et l'épée s'est rompue dans ma main, et la pique a été vainement lancée, et je ne l'ai point frappé!
Il parla ainsi, et, d'un bond, il le saisit par les crins du casque, et il le traîna vers les Akhaiens aux belles knèmides. Et le cuir habilement orné, qui liait le casque sous le menton, étouffait le cou délicat d'Alexandros; et l'Atréide l'eût traîné et eût remporté une grande gloire, si la fille de Zeus, Aphroditè, ayant vu cela, n'eût rompu le cuir de boeuf; et le casque vide suivit la main musculeuse de Ménélaos. Et celui-ci le fit tournoyer et le jeta au milieu des Akhaiens aux belles knèmides, et ses chers compagnons l'emportèrent. Puis, il se rua de nouveau désirant tuer le Priamide de sa pique d'airain; mais Aphroditè, étant déesse, enleva très facilement Alexandros en l'enveloppant d'une nuée épaisse, et elle le déposa dans sa chambre nuptiale, sur son lit parfumé. Et elle sortit pour appeler Hélénè, qu’elle trouva sur la haute tour, au milieu de la foule des Troiennes. Et la divine Aphroditè, s'étant faite semblable à une vieille femme habile à tisser la laine, et qui la tissait pour Hélénè dans la populeuse Lakédaimôn, et qui aimait Hélénè, saisit celle-ci par sa robe nektaréenne et lui dit:
— Viens! Alexandros t'invite à revenir. Il est couché, plein de beauté et richement vêtu, sur son lit habilement travaillé. Tu ne dirais point qu'il vient de lutter contre un homme, mais tu croirais qu'il va aux danses, ou qu'il repose au retour des danses.
Elle parla ainsi, et elle troubla le coeur de Hélénè. Mais dès que celle-ci eut vu le beau cou de la déesse, et son sein d'où naissent les désirs, et ses yeux éclatants, elle fut saisie de terreur, et, la nommant de son nom, elle lui dit:
— Ô mauvaise! Pourquoi veux-tu me tromper encore? Me conduiras-tu dans quelque autre ville populeuse de la Phrygiè ou de l'heureuse Maioniè, si un homme qui t'est cher y habite? Est-ce parce que Ménélaos, ayant vaincu le divin Alexandros, veut m'emmener dans ses demeures, moi qui me suis odieuse, que tu viens de nouveau me tendre des pièges? Va plutôt! abandonne la demeure des dieux, ne retourne plus dans l'Olympos, et reste auprès de lui, toujours inquiète; et prends-le sous ta garde, jusqu'à ce qu'il fasse de toi sa femme ou son esclave! Pour moi, je n'irai plus orner son lit, car ce serait trop de honte, et toutes les Troiennes me blâmeraient, et j'ai trop d'amers chagrins dans le coeur.
Et la divine Aphroditè, pleine de colère, lui dit:
— Malheureuse! crains de m'irriter, de peur que je t'abandonne dans ma colère, et que je te haïsse autant que je t'ai aimée, et que, jetant des haines inexorables entre les Troiens et les Akhaiens, je te fasse périr d'une mort violente!
Elle parla ainsi, et Hélénè, fille de Zeus, fut saisie de terreur, et, couverte de sa robe éclatante de blancheur, elle marcha en silence, s'éloignant des Troiennes, sur les pas de la déesse.
Et quand elles furent parvenues à la belle demeure d'Alexandros, toutes les servantes se mirent à leur tâche, et la divine femme monta dans la haute chambre nuptiale. Aphroditè qui aime les sourires avança un siège pour elle auprès d'Alexandros, et Hélénè, fille de Zeus tempétueux, s'y assit en détournant les yeux; mais elle adressa ces reproches à son époux:
— Te voici revenu du combat. Que n'y restais-tu, mort et dompté par l'homme brave qui fut mon premier mari! Ne te vantais-tu pas de l'emporter sur Ménélaos cher à Arès, par ton courage, par ta force et par ta lance? Va! défie encore Ménélaos cher à Arès, et combats de nouveau contre lui; mais non, je te conseille plutôt de ne plus lutter contre le blond Ménélaos, de peur qu'il te dompte aussitôt de sa lance!
Et Pâris, lui répondant, parla ainsi:
— Femme! ne blesse pas mon coeur par d'amères paroles. Il est vrai, Ménélaos m'a vaincu à l'aide d'Athènè, mais je le vaincrai plus tard, car nous avons aussi des dieux qui nous sont amis. Viens! couchons-nous et aimons-nous! Jamais le désir ne m'a brûlé ainsi, même lorsque, naviguant sur mes nefs rapides, après t'avoir enlevée de l'heureuse Lakédaimôn, je m'unis d'amour avec toi dans l'île de Kranaè, tant je t'aime maintenant et suis saisi de désirs!
Il parla ainsi et marcha vers son lit, et l'épouse le suivit, et ils se couchèrent dans le lit bien construit.
Cependant l'Atréide courait comme une bête féroce au travers de la foule, cherchant le divin Alexandros. Et nul des Troiens ni des illustres alliés ne put montrer Alexandros à Ménélaos cher à Arès. Et certes, s'ils l'avaient vu, ils ne l'auraient point caché, car ils le haïssaient tous comme la noire kèr. Et le roi des hommes, Agamemnôn, leur parla ainsi:
— Ecoutez-moi, Troiens, Dardaniens et alliés. La victoire, certes, est à Ménélaos cher à Arès. Rendez-nous donc l'Argienne Hélénè et ses richesses, et payez, comme il est juste, un tribut dont se souviendront les hommes futurs.
L'Atréide parla ainsi, et tous les Akhaiens applaudirent.
Chant 4
Les dieux, assis auprès de Zeus, étaient réunis sur le pavé d'or, et la vénérable Hèbè versait le nektar, et tous, buvant les coupes d'or, regardaient la ville des Troiens. Et le Kronide voulut irriter Hèrè par des paroles mordantes, et il dit:
— Deux déesses défendent Ménélaos, Hèrè l'Argienne et la protectrice Athènè; mais elles restent assises et ne font que regarder, tandis qu'Aphroditè qui aime les sourires ne quitte jamais Alexandros et écarte de lui les kères. Et voici qu'elle l'a sauvé comme il allait périr. Mais la victoire est à Ménélaos cher à Arès. Songeons donc à ceci. Faut-il exciter de nouveau la guerre mauvaise et le rude combat, ou sceller l'alliance entre les deux peuples? S'il plaît à tous les dieux, la ville du roi Priamos restera debout, et Ménélaos emmènera l'Argienne Hélénè.
Il parla ainsi, et les déesses Athènè et Hèrè se mordirent les lèvres, et, assises à côté l'une de l'autre, elles méditaient la destruction des Troiens. Et Athènè restait muette, irritée contre son père Zeus, et une sauvage colère la brûlait; mais Hèrè ne put contenir la sienne et dit:
Très dur Kronide, quelle parole as-tu dite? Veux-tu rendre vaines toutes mes fatigues et la sueur que j'ai suée? J'ai lassé mes chevaux en rassemblant les peuples contre Priamos et contre ses enfants. Fais donc, mais les dieux ne t'approuveront pas.
Et Zeus qui amasse les nuées, très irrité, lui dit:
— Malheureuse! Quels maux si grands Priamos et les enfants de Priamos t'ont-ils causés, que tu veuilles sans relâche détruire la forte citadelle d'Ilios? Si, dans ses larges murailles, tu pouvais dévorer Priamos et les enfants de Priamos et les autres Troiens, peut-être ta haine serait elle assouvie. Fais selon ta volonté, et que cette dissension cesse désormais entre nous. Mais je te dirai ceci, et garde mes paroles dans ton esprit: Si jamais je veux aussi détruire une ville habitée par des hommes qui te sont amis, ne t'oppose point à ma colère et laisse-moi agir, car c'est à contrecoeur que je te livre celle-ci. De toutes les villes habitées par les hommes terrestres, sous Hélios et sous l'Ouranos étoilé, aucune ne m'est plus chère que la ville sacrée d'Ilios, où sont Priamos et le peuple de Priamos qui tient la lance. Là, mon autel n'a jamais manqué de nourriture, de libations, et de graisse; car nous avons cet honneur en partage.
Et la vénérable Hèrè aux yeux de boeuf lui répondit:
— Certes, j'ai trois villes qui me sont très chères, Argos, Spartè et Mykènè aux larges rues. Détruis-les quand tu les haïras, et je ne les défendrai point; mais je m'opposerais en vain à ta volonté, puisque tu es infiniment plus puissant. Il ne faut pas que tu rendes mes fatigues vaines. Je suis déesse aussi, et ma race est la tienne. Le subtil Kronos m'a engendrée, et je suis deux fois vénérable, par mon origine et parce que je suis ton épouse, à toi qui commandes à tous les immortels. Cédons-nous donc tour à tour, et les dieux immortels nous obéiront. Ordonne qu'Athènè se mêle au rude combat des Troiens et des Akhaiens. Qu'elle pousse les Troiens à outrager, les premiers, les fiers Akhaiens, malgré l'alliance jurée.
Elle parla ainsi, et le père des hommes et des dieux le voulut, et il dit à Athènè ces paroles ailées:
— Va très promptement au milieu des Troiens et des Akhaiens, et pousse les Troiens à outrager, les premiers, les fiers Akhaiens, malgré l'alliance jurée.
Ayant ainsi parlé, il excita Athènè déjà pleine de ce désir, et elle se précipita des sommets de l'Olympos. Comme un signe lumineux que le fils du subtil Kronos envoie aux marins et aux peuples nombreux, et d'où jaillissent mille étincelles, Pallas Athènè s'élança sur la terre et tomba au milieu des deux armées. Et sa vue emplit de frayeur les Troiens dompteurs de chevaux et les Akhaiens aux belles knèmides. Et ils se disaient entre eux: — Certes, la guerre mauvaise et le rude combat vont recommencer, ou Zeus va sceller l'alliance entre les deux peuples, car il règle la guerre parmi les hommes.’
Ils parlaient ainsi, et Athènè se mêla aux Troiens, semblable au brave Laodokos Anténoride, et cherchant Pandaros égal aux dieux. Et elle trouva debout le brave et irréprochable fils de Lykaôn, et, autour de lui, la foule des hardis porte boucliers qui l'avaient suivi des bords de l'Aisèpos. Et, s'étant approchée, Athènè lui dit en paroles ailées:
— Te laisseras-tu persuader par moi, brave fils de Lykaôn, et oserais-tu lancer une flèche rapide à Ménélaos? Certes, tu serais comblé de gloire et de gratitude par tous les Troiens et surtout par le roi Alexandros. Et il te ferait de riches présents, s'il voyait le brave Ménélaos, fils d'Atreus, dompté par ta flèche et montant sur le bûcher funéraire. Courage! Tire contre le noble Ménélaos, et promets une belle hécatombe à l'illustre archer Apollôn Lykien, quand tu seras de retour dans la citadelle de Zéléiè la sainte.
Athènè parla ainsi, et elle persuada l'insensé. Et il tira de l'étui un arc luisant, dépouille d'une chèvre sauvage et bondissante qu'il avait percée à la poitrine, comme elle sortait d'un creux de rocher. Et elle était tombée morte sur la pierre. Et ses cornes étaient hautes de seize palmes. Un excellent ouvrier les travailla, les polit et les dora à chaque extrémité. Et Pandaros, ayant bandé cet arc, le posa à terre, et ses braves compagnons le couvrirent de leurs boucliers, de peur que les fils des courageux Akhaiens vinssent à se ruer avant que le brave Ménélaos, chef des Akhaiens, ne fût frappé.
Et Pandaros ouvrit le carquois et en tira une flèche neuve, ailée, source d'amères douleurs. Et il promit à l'illustre archer Apollôn Lykien une belle hécatombe d'agneaux premiers-nés, quand il serait de retour dans la citadelle de Zéléiè la sainte.
Et il saisit à la fois la flèche et le nerf de boeuf, et, les ayant attirés, le nerf toucha sa mamelle, et la pointe d'airain toucha l'arc, et le nerf vibra avec force, et la flèche aiguë s'élança, désirant voler au travers de la foule.
Mais les dieux heureux ne t'oublièrent point, Ménélaos! Et la terrible fille de Zeus se tint la première devant toi pour détourner la flèche amère. Elle la détourna comme une mère chasse une mouche loin de son enfant enveloppé par le doux sommeil. Et elle la dirigea là où les anneaux d'or du baudrier forment comme une seconde cuirasse. Et la flèche amère tomba sur le solide baudrier, et elle le perça ainsi que la cuirasse artistement ornée et la mitre qui, par-dessous, garantissait la peau des traits. Et la flèche la perça aussi, et elle effleura la peau du héros, et un sang noir jaillit de la blessure.
Comme une femme Maionienne ou Karienne teint de pourpre l'ivoire destiné à orner le mors des chevaux, et qu'elle garde dans sa demeure, et que tous les cavaliers désirent, car il est l'ornement d'un roi, la parure du cheval et l'orgueil du cavalier, ainsi, Ménélaos, le sang rougit tes belles cuisses et tes jambes jusqu'aux chevilles. Et le roi des hommes, Agamemnôn, frémit de voir ce sang noir couler de la blessure; et Ménélaos cher à Arès frémit aussi. Mais quand il vit que le fer de la flèche avait à peine pénétré, son coeur se raffermit; et, au milieu de ses compagnons qui se lamentaient, Agamemnôn qui commande au loin, prenant la main de Ménélaos, lui dit en gémissant:
— Cher frère, c'était ta mort que je décidais par ce traité, en t'envoyant seul combattre les Troiens pour tous les Akhaiens, puisqu'ils t'ont frappé et ont foulé aux pieds des serments inviolables. Mais ces serments ne seront point vains, ni le sang des agneaux, ni les libations sacrées, ni le gage de nos mains unies. Si l'Olympien ne les frappe point maintenant, il les punira plus tard; et ils expieront par des calamités terribles cette trahison qui retombera sur leurs têtes, sur leurs femmes et sur leurs enfants. Car je le sais, dans mon esprit, un jour viendra où la sainte Ilios périra, et Priamos, et le peuple de Priamos habile à manier la lance. Zeus Kronide qui habite l'aithèr agitera d'en haut sur eux sa terrible Aigide, indigné de cette trahison qui sera châtiée. Ô Ménélaos, ce serait une amère douleur pour moi si, accomplissant tes destinées, tu mourais. Couvert d'opprobre je retournerais dans Argos, car les Akhaiens voudraient aussitôt rentrer dans la terre natale, et nous abandonnerions l'Argienne Hélénè comme un triomphe à Priamos et aux Troiens. Et les orgueilleux Troiens diraient, foulant la tombe de l'illustre Ménélaos:
— Plaise aux dieux qu'Agamemnôn assouvisse toujours ainsi sa colère! Il a conduit ici l'armée inutile des Akhaiens, et voici qu'il est retourné dans son pays bien-aimé, abandonnant le brave Ménèlaos!’
— Ils parleront ainsi un jour; mais, alors, que la profonde terre m'engloutisse!
Et le blond Ménélaos, le rassurant, parla ainsi:
— Reprends courage, et n'effraye point le peuple des Akhaiens. Le trait aigu ne m'a point blessé à mort, et le baudrier m'a préservé, ainsi que la cuirasse, le tablier et la mitre que de bons armuriers ont forgée.
Et Agamemnôn qui commande au loin, lui répondant, parla ainsi:
— Plaise aux dieux que cela soit, ô cher Ménélaos! Mais un médecin soignera ta blessure et mettra le remède qui apaise les noires douleurs.
Il parla ainsi, et appela le héraut divin Talthybios:
— Talthybios, appelle le plus promptement possible l'irréprochable médecin Makhaôn Asklépiade, afin qu'il voie le brave Ménélaos, prince des Akhaiens, qu'un habile archer Troien ou Lykien a frappé d'une flèche. Il triomphe, et nous sommes dans le deuil.
Il parla ainsi, et le héraut lui obéit. Et il chercha, parmi le peuple des Akhaiens aux tuniques d'airain, le héros Makhaôn, qu'il trouva debout au milieu de la foule belliqueuse des porte boucliers qui l'avaient suivi de Trikkè, nourrice de chevaux. Et, s'approchant, il dit ces paroles ailées:
— Lève-toi, Asklépiade! Agamemnôn, qui commande au loin, t'appelle, afin que tu voies le brave Ménélaos, fils d'Atreus, qu'un habile archer Troien ou Lykien a frappé d'une flèche. Il triomphe, et nous sommes dans le deuil.
Il parla ainsi, et le coeur de Makhaôn fut ému dans sa poitrine. Et ils marchèrent à travers l'armée immense des Akhaiens; et quand ils furent arrivés à l'endroit où le blond Ménélaos avait été blessé et était assis, égal aux dieux, en un cercle formé par les princes, aussitôt Makhaôn arracha le trait du solide baudrier, en ployant les crochets aigus; et il détacha le riche baudrier, et le tablier et la mitre que de bons armuriers avaient forgée. Et, après avoir examiné la plaie faite par la flèche amère, et sucé le sang, il y versa adroitement un doux baume que Khirôn avait autrefois donné à son père qu'il aimait.
Et tandis qu'ils s'empressaient autour de Ménélaos hardi au combat, l'armée des Troiens, porteurs de boucliers, s'avançait, et les Akhaiens se couvrirent de nouveau de leurs armes, désirant combattre.
Et le divin Agamemnôn n'hésita ni se ralentit, mais il se prépara en hâte pour la glorieuse bataille. Et il laissa ses chevaux et son char orné d'airain; et le serviteur Eurymédôn, fils de Ptolémaios Peiraide, les retint à l'écart, et l'Atréide lui ordonna de ne point s'éloigner, afin qu'il pût monter dans le char, si la fatigue l'accablait pendant qu'il donnait partout ses ordres. Et il marcha à travers la foule des hommes. Et il encourageait encore ceux des Danaens aux rapides chevaux, qu'il voyait pleins d'ardeur:
— Argiens! ne perdez rien de cette ardeur impétueuse, car le père Zeus ne protégera point le parjure. Ceux qui, les premiers, ont violé nos traités, les vautours mangeront leur chair; et, quand nous aurons pris leur ville, nous emmènerons sur nos nefs leurs femmes bien-aimées et leurs petits enfants.
Et ceux qu'il voyait lents au rude combat, il leur disait ces paroles irritées:
— Argiens promis à la pique ennemie! lâches, n'avez-vous point de honte? Pourquoi restez-vous glacés de peur, comme des biches qui, après avoir couru à travers la vaste plaine, s'arrêtent épuisées et n'ayant plus de force au coeur? C'est ainsi que, glacés de peur, vous vous arrêtez et ne combattez point. Attendez-vous que les Troiens pénètrent jusqu'aux nefs aux belles poupes, sur le rivage de la blanche mer, et que le Kroniôn vous aide?
C'est ainsi qu'il donnait ses ordres en parcourant la foule des hommes. Et il parvint là où les Krètois s'armaient autour du brave Idoméneus. Et Idoméneus, pareil à un fort sanglier, était au premier rang; et Mèrionès hâtait les dernières phalanges. Et le roi des hommes, Agamemnôn, ayant vu cela, s'en réjouit et dit à Idoméneus ces paroles flatteuses:
— Idoméneus, certes, je t'honore au-dessus de tous les Danaens aux rapides chevaux, soit dans le combat, soit dans les repas, quand les princes des Akhaiens mêlent le vin vieux dans les kratères. Et si les autres Akhaiens chevelus boivent avec mesure, ta coupe est toujours aussi pleine que la mienne, et tu bois selon ton désir. Cours donc au combat, et sois tel que tu as toujours été.
Et le prince des Krètois, Idoméneus, lui répondit:
Atréide, je te serai toujours fidèle comme je te l'ai promis. Va! encourage les autres Akhaiens chevelus, afin que nous combattions promptement, puisque les Troiens ont violé nos traités. La mort et les calamités les accableront, puisque, les premiers, ils se sont parjurés.
Il parla ainsi, et l'Atréide s'éloigna, plein de joie. Et il alla vers les Aias, à travers la foule des hommes. Et les Aias s'étaient armés, suivis d'un nuage de guerriers. Comme une nuée qu'un chevrier a vue d'une hauteur, s'élargissant sur la mer, sous le souffle de Zéphyros, et qui, par tourbillons épais, lui apparaît de loin plus noire que la poix, de sorte qu'il s'inquiète et pousse ses chèvres dans une caverne; de même les noires phalanges hérissées de boucliers et de piques des jeunes hommes nourrissons de Zeus se mouvaient derrière les Aias pour le rude combat. Et Agamemnôn qui commande au loin, les ayant vus, se réjouit et dit ces paroles ailées:
— Aias! Princes des Argiens aux tuniques d'airain, il ne serait point juste de vous ordonner d'exciter vos hommes, car vous les pressez de combattre bravement. Père Zeus! Athènè! Apollôn! que votre courage emplisse tous les coeurs! Bientôt la ville du roi Priamos, s'il en était ainsi, serait renversée, détruite et saccagée par nos mains.
Ayant ainsi parlé, il les laissa et marcha vers d'autres. Et il trouva Nestôr, l'harmonieux agorète des Pyliens, qui animait et rangeait en bataille ses compagnons autour du grand Pélagôn, d'Alastôr, de Khromios, de Haimôn et de Bias, prince des peuples. Et il rangeait en avant les cavaliers, les chevaux et les chars, et en arrière les fantassins braves et nombreux, pour être le rempart de la guerre, et les lâches au milieu, afin que chacun d'eux combattît forcément. Et il enseignait les cavaliers, leur ordonnant de contenir les chevaux et de ne point courir au hasard dans la mêlée:
— Que nul ne s'élance en avant des autres pour combattre les Troiens, et que nul ne recule, car vous serez sans force. Que le guerrier qui abandonnera son char pour un autre combatte plutôt de la pique, car ce sera pour le mieux, et c'est ainsi que les hommes anciens, qui ont eu ce courage et cette prudence, ont renversé les villes et les murailles.
Et le vieillard les exhortait ainsi, étant habile dans la guerre depuis longtemps. Et Agamemnôn qui commande au loin, l'ayant vu, se réjouit et lui dit ces paroles ailées:
— Ô vieillard! plût aux dieux que tes genoux eussent autant de vigueur, que tu eusses autant de force que ton coeur a de courage! Mais la vieillesse, qui est la même pour tous, t'accable. Plût aux dieux qu'elle accablât plutôt tout autre guerrier, et que tu fusses des plus jeunes
Et le cavalier Gérennien Nestôr lui répondit:
— Certes, Atréide, je voudrais être encore ce que j'étais quand je tuai le divin Éreuthaliôn. Mais les dieux ne prodiguent point tous leurs dons aux hommes. Alors, j'étais jeune, et voici que la vieillesse s'est emparée de moi. Mais tel que je suis, je me mêlerai aux cavaliers et je les exciterai par mes conseils et par mes paroles, car c'est la part des vieillards.
Il parla ainsi, et l'Atréide, joyeux, alla plus loin. Et il trouva le cavalier Ménèstheus immobile, et autour de lui les Athènaiens belliqueux, et, auprès, le subtil Odysseus, et autour de ce dernier la foule hardie des Képhallèniens. Et ils n'avaient point entendu le cri de guerre, car les phalanges des Troiens dompteurs de chevaux et des Akhaiens commençaient de s'ébranler. Et ils se tenaient immobiles, attendant que d'autres phalanges Akhaiennes, s'élançant contre les Troiens, commençassent le combat. Et Agamemnôn, les ayant vus, les injuria et leur dit ces paroles ailées:
— Ô fils de Pétéos, d'un roi issu de Zeus, et toi, qui es toujours plein de ruses subtiles, pourquoi, saisis de terreur, attendez-vous que d'autres combattent? Il vous appartenait de courir en avant dans le combat furieux, ainsi que vous assistez les premiers à mes festins, où se réunissent les plus vénérables des Akhaiens. Là, sans doute, il vous est doux de manger des viandes rôties et de boire des coupes de bon vin autant qu'il vous plaît. Et voici que, maintenant, vous verriez avec joie dix phalanges des Akhaiens combattre avant vous, armées de l'airain meurtrier!
Et le subtil Odysseus, avec un sombre regard, lui répondit:
— Atréide, quelle parole s'est échappée de ta bouche? Comment oses-tu dire que nous hésitons devant le combat? Lorsque nous pousserons le rude Arès contre les Troiens dompteurs de chevaux, tu verras, si tu le veux, et si cela te plaît le père bien-aimé de Tèlémakhos au milieu des Troiens dompteurs de chevaux. Mais tu as dit une parole vaine.
Et Agamemnôn qui commande au loin, le voyant irrité, sourit, et, se rétractant, lui répondit:
— Subtil Odysseus, divin Laertiade, je ne veux t'adresser ni injures ni reproches. Je sais que ton coeur, dans ta poitrine, est plein de desseins excellents, car tes pensées sont les miennes. Nous réparerons ceci, si j'ai mal parlé. Va donc, et que les dieux rendent mes paroles vaines!
Ayant ainsi parlé, il les laissa et alla vers d'autres. Et il trouva Diomèdès, l'orgueilleux fils de Tydeus, immobile au milieu de ses chevaux et de ses chars solides. Et Sthénélos, fils de Kapaneus, était auprès de lui. Et Agamemnôn qui commande au loin, les ayant vus, l'injuria et lui dit ces paroles ailées:
— Ah! fils du brave Tydeus dompteur de chevaux, pourquoi trembles-tu et regardes-tu entre les rangs? Certes, Tydeus n'avait point coutume de trembler, mais il combattait hardiment l'ennemi, et hors des rangs, en avant de ses compagnons. Je ne l'ai point vu dans la guerre, mais on dit qu'il était au-dessus de tous. Il vint à Mykènè avec Polyneikès égal aux dieux, pour rassembler les peuples et faire une expédition contre les saintes murailles de Thèbè. Et ils nous conjuraient de leur donner de courageux alliés, et tous y consentaient, mais les signes contraires de Zeus nous en empêchèrent. Et ils partirent, et quand ils furent arrivés auprès de l'Asopos plein de joncs et d'herbes, Tydeus fut l'envoyé des Akhaiens. Et il partit, et il trouva les Kadméiônes, en grand nombre, mangeant dans la demeure de la force Étéokléenne. Et là, le cavalier Tydeus ne fut point effrayé, bien qu'étranger et seul au milieu des nombreux Kadméiônes. Et il les provoqua aux luttes et les vainquit aisément, car Athènè le protégeait. Mais les cavaliers Kadméiônes, pleins de colère, lui dressèrent, à son départ, une embuscade de nombreux guerriers' commandés par Maiôn Haimonide, tel que les immortels, et par Lyképhontès, hardi guerrier, fils d'Autophonos. Et Tydeus les tua tous et n'en laissa revenir qu'un seul. Obéissant aux signes des dieux, il laissa revenir Maiôn. Tel était Tydeus l'Aitôlien; mais il a engendré un fils qui ne le vaut point dans le combat, s'il parle mieux dans l'Agora.
Il parla ainsi, et le brave Diomèdès ne répondit rien, plein de respect pour le roi vénérable. Mais le fils de l'illustre Kapaneus répondit à l'Atréide:
— Atréide, ne mens point, sachant que tu mens. Certes nous nous glorifions de valoir beaucoup mieux que nos pères, nous qui, confiants dans les signes des dieux, et avec l'aide de Zeus, avons pris Thèbè aux sept portes, ayant conduit sous ses fortes murailles des peuples moins nombreux. Nos pères ont péri par leurs propres fautes. Ne compare donc point leur gloire à la nôtre.
Et le robuste Diomèdès, avec un sombre regard, lui répondit:
— Ami, tais-toi et obéis. Je ne m'irrite point de ce que le prince des peuples, Agamemnôn, excite les Akhaiens aux belles knèmides à combattre; car si les Akhaiens détruisent les Troiens et prennent la sainte Ilios, il en aura la gloire; mais si les Akhaiens sont détruits, il en portera le deuil. Occupons-nous tous deux de la guerre impétueuse.
Il parla ainsi, et sauta de son char à terre avec ses armes, et l'airain retentit terriblement sur la poitrine du roi, et ce bruit aurait troublé le coeur du plus brave.
Et comme le flot de la mer roule avec rapidité vers le rivage, poussé par Zéphyros, et, se gonflant d'abord sur la haute mer, se brise violemment contre terre, et se hérisse autour des promontoires en vomissant l'écume de la mer, de même les phalanges pressées des Danaens se ruaient au combat. Et chaque chef donnait ses ordres, et le reste marchait en silence. On eût dit une grande multitude muette, pleine de respect pour ses chefs. Et les armes brillantes resplendissaient tandis qu'ils marchaient en ordre. Mais, tels que les nombreuses brebis d'un homme riche, et qui bêlent sans cesse à la voix des agneaux, tandis qu'on trait leur lait blanc dans l'étable, les Troiens poussaient des cris confus et tumultueux de tous les points de la vaste armée. Et leurs cris étaient poussés en beaucoup de langues diverses, par des hommes venus d'un grand nombre de pays lointains.
Et Arès excitait les uns, et Athènè aux yeux clairs excitait les autres, et partout allaient la crainte et la terreur et la furieuse et insatiable Éris, soeur et compagne d'Arès tueur d'hommes, et qui, d'abord, est faible, et qui, les pieds sur la terre, porte bientôt sa tête dans l'Ouranos. Et elle s'avançait à travers la foule, éveillant la haine et multipliant les gémissements des hommes.
Et quand ils se furent rencontrés, ils mêlèrent leurs boucliers, leurs piques et la force des hommes aux cuirasses d'airain; et les boucliers bombés se heurtèrent, et un vaste tumulte retentit. Et on entendait les cris de victoire et les hurlements des hommes qui renversaient ou étaient renversés, et le sang inondait la terre. Comme des fleuves, gonflés par l'hiver, tombent du haut des montagnes et mêlent leurs eaux furieuses dans une vallée qu'ils creusent profondément, et dont un berger entend de loin le fracas, de même le tumulte des hommes confondus roulait.
Et, le premier, Antilokhos tua Ekhépôlos Thalysiade, courageux Troien, brave entre tous ceux qui combattaient en avant. Et il le frappa au casque couvert de crins épais, et il perça le front, et la pointe d'airain entra dans l'os. Et le Troien tomba comme une tour dans le rude combat. Et le roi Elphènôr Khalkodontiade, prince des magnanimes Abantes, le prit par les pieds pour le traîner à l'abri des traits et le dépouiller de ses armes; mais sa tentative fut brève, car le magnanime Agènôr, l'ayant vu traîner le cadavre, le perça au côté, d'une pique d'airain, sous le bouclier, tandis qu'il se courbait, et le tua. Et, sur lui, se rua un combat furieux de Troiens et d'Akhaiens; et, comme des loups, ils se jetaient les uns sur les autres, et chaque guerrier en renversait un autre.
C'est là qu'Aias Télamônien tua Simoéisios, fils d'Anthémiôn, jeune et beau, et que sa mère, descendant de l'Ida pour visiter ses troupeaux avec ses parents, avait enfanté sur les rives du Simoéis, et c'est pourquoi on le nommait Simoéisios. Mais il ne rendit pas à ses parents bien-aimés le prix de leurs soins, car sa vie fut brève, ayant été dompté par la pique du magnanime Aias. Et celui-ci le frappa à la poitrine, près de la mamelle droite, et la pique d'airain sortit par l'épaule. Et Simoéisios tomba dans la poussière comme un peuplier dont l'écorce est lisse, et qui, poussant au milieu d'un grand marais, commence à se couvrir de hauts rameaux, quand un constructeur de chars le tranche à l'aide du fer aiguisé pour en faire la roue d'un beau char; et il gît, flétri, aux bords du fleuve. Et le divin Aias dépouilla ainsi Simoéisios Anthémionide.
Et le Priamide Antiphos à la cuirasse éclatante, du milieu de la foule, lança contre Aias sa pique aiguë; mais elle le manqua et frappa à l'aine Leukos, brave compagnon d'Odysseus, tandis qu'il traînait le cadavre, et le cadavre lui échappa des mains. Et Odysseus, irrité de cette mort, s'avança, armé de l'airain éclatant, au-delà des premiers rangs, regardant autour de lui et agitant sa pique éclatante. Et les Troiens reculèrent devant l'homme menaçant; mais il ne lança point sa pique en vain, car il frappa Dèmokoôn, fils naturel de Priamos, et qui était venu d'Abydos avec ses chevaux rapides. Et Odysseus, vengeant son compagnon, frappa Dèmokoôn à la tempe, et la pointe d'airain sortit par l'autre tempe, et l'obscurité couvrit ses yeux. Et il tomba avec bruit, et ses armes retentirent. Et les Troiens les plus avancés reculèrent, et même l'illustre Hektôr. Et les Akhaiens poussaient de grands cris, entraînant les cadavres et se ruant en avant. Et Apollôn s'indigna, les ayant vus du faîte de Pergamos, et d'une voix haute il excita les Troiens:
— Troiens, dompteurs de chevaux, ne le cédez point aux Akhaiens. Leur peau n'est ni de pierre ni de fer pour résister, quand elle en est frappée, à l'airain qui coupe la chair. Akhilleus, le fils de Thétis à la belle chevelure, ne combat point; il couve, près de ses nefs, la colère qui lui ronge le coeur.
Ainsi parla le dieu terrible du haut de la citadelle. Et Tritogénéia, la glorieuse fille de Zeus, marchant au travers de la foule, excitait les Akhaiens là où ils reculaient.
Et la Moire saisit Diôrès Amarynkéide, et il fut frappé à la cheville droite d'une pierre anguleuse. Et ce fut l'Imbraside Peiros, prince des Thrakiens, et qui était venu d'Ainos, qui le frappa. Et la pierre rude fracassa les deux tendons et les os. Et Diôrès tomba à la renverse dans la poussière, étendant les mains vers ses compagnons et respirant à peine. Et Peiros accourut et enfonça sa pique près du nombril, et les intestins se répandirent à terre, et l'obscurité couvrit ses yeux. Et comme Peiros s'élançait, l'Aitôlien Moas le frappa de sa pique dans la poitrine, au-dessus de la mamelle, et l'airain traversa le poumon. Puis il accourut, arracha de la poitrine la pique terrible, et, tirant son épée aiguë, il ouvrit le ventre de l'homme et le tua. Mais il ne le dépouilla point de ses armes, car les Thrakiens aux cheveux ras et aux longues lances entourèrent leur chef, et repoussèrent Moas, tout robuste, hardi et grand qu'il était. Et il recula loin d'eux. Ainsi les deux chefs, l'un des Thrakiens, l'autre des Épéiens aux tuniques d'airain, étaient couchés côte à côte dans la poussière, et les cadavres s'amassaient autour d'eux.
Si un guerrier, sans peur du combat, et que l'airain aigu n'eût encore ni frappé ni blessé, eût parcouru la mêlée furieuse, et que Pallas Athènè l'eût conduit par la main, écartant de lui l'impétuosité des traits, certes, il eût vu, en ce jour, une multitude de Troiens et d'Akhaiens renversés et couchés confusément sur la poussière.
Chant 5
Alors, Pallas Athènè donna la force et l'audace au Tydéide Diomèdès, afin qu'il s'illustrât entre tous les Argiens et remportât une grande gloire. Et elle fit jaillir de son casque et de son bouclier un feu inextinguible, semblable à l'étoile de l'automne qui éclate et resplendit hors de l'Okéanos. Tel ce feu jaillissait de sa tête et de ses épaules. Et elle le poussa dans la mêlée où tous se ruaient tumultueusement.
Parmi les Troiens vivait Darès, riche et irréprochable sacrificateur de Hèphaistos, et il avait deux fils, Phygeus et Idaios, habiles à tous les combats. Et tous deux, sur un même char, se ruèrent contre le Tydéide, qui était à pied. Et, lorsqu'ils se furent rapprochés, Phygeus, le premier, lança sa longue pique, et la pointe effleura l'épaule gauche du Tydéide, mais il ne le blessa point. Et celui-ci, à son tour, lança sa pique, et le trait ne fut point inutile qui partit de sa main, car il s'enfonça dans la poitrine, entre les mamelles, et jeta le guerrier à bas. Et Idaios s'enfuit, abandonnant son beau char et n'osant défendre son frère tué. Certes, il n'eût point, pour cela, évité la noire mort; mais Hèphaistos, l'ayant enveloppé d'une nuée, l'enleva, afin que la vieillesse de leur vieux père ne fût point désespérée. Et le fils du magnanime Tydeus saisit leurs chevaux, qu'il remit à ses compagnons pour être conduits aux nefs creuses.
Et les magnanimes Troiens, voyant les deux fils de Darès, l'un en fuite et l'autre mort auprès de son char, furent troublés jusqu'au fond de leurs coeurs. Mais Athènè aux yeux clairs, saisissant le furieux Arès par la main, lui parla ainsi:
— Arès, Arès, fléau des hommes, tout sanglant, et qui renverses les murailles, ne laisserons-nous point combattre les Troiens et les Akhaiens? Que le père Zeus accorde la gloire à qui il voudra. Retirons-nous et évitons la colère de Zeus.
Ayant ainsi parlé, elle conduisit le furieux Arès hors du combat et le fit asseoir sur la haute rive du Skamandros. Et les Danaens repoussèrent les Troiens. Chacun des chefs tua un guerrier. Et, le premier, le roi Agamemnôn précipita de son char le grand Odios, chef des Alizônes. Comme celui-ci fuyait, il lui enfonça sa pique dans le dos, entre les épaules, et elle traversa la poitrine, et les armes d'Odios résonnèrent dans sa chute.
Et Idoméneus tua Phaistos, fils du Maiônien Bôros, qui était venu de la fertile Tarnè, l'illustre Idoméneus le perça à l'épaule droite, de sa longue pique, comme il montait sur son char. Et il tomba, et une ombre affreuse l'enveloppa, et les serviteurs d'Idoméneus le dépouillèrent.
Et l'Atréide Ménélaos tua de sa pique aiguë Skamandrios habile à la chasse, fils de Strophios. C'était un excellent chasseur qu'Artémis avait instruit elle-même à percer les bêtes fauves, et qu'elle avait nourri dans les bois, sur les montagnes. Mais ni son habileté à lancer les traits, ni Artémis qui se réjouit de ses flèches, ne lui servirent. Comme il fuyait, l'illustre Atréide Ménélaos le perça de sa pique dans le dos, entre les deux épaules, et lui traversa la poitrine. Et il tomba sur la face, et ses armes résonnèrent.
Et Mèrionès tua Phéréklos, fils du charpentier Harmôn, qui fabriquait adroitement toute chose de ses mains et que Pallas Athènè aimait beaucoup. Et c'était lui qui avait construit pour Alexandros ces nefs égales qui devaient causer tant de maux aux Troiens et à lui-même; car il ignorait les oracles des dieux. Et Mèrionès, poursuivant Phéréklos, le frappa à la fesse droite, et la pointe pénétra dans l'os jusque dans la vessie. Et il tomba en gémissant, et la mort l'enveloppa.
Et Mégès tua Pèdaios, fils illégitime d'Antènôr, mais que la divine Théanô avait nourri avec soin au milieu de ses enfants bien-aimés, afin de plaire à son mari. Et l'illustre Phyléide, s'approchant de lui, le frappa de sa pique aiguë derrière la tête. Et l'airain, à travers les dents, coupa la langue, et il tomba dans la poussière en serrant de ses dents le froid airain.
Et l'Évaimonide Eurypylos tua le divin Hypsènôr, fils du magnanime Dolopiôn, sacrificateur du Skamandros, et que le peuple honorait comme un dieu. Et l'illustre fils d'Évaimôn, Eurypylos, se ruant sur lui, comme il fuyait, le frappa de l'épée à l'épaule et lui coupa le bras, qui tomba sanglant et lourd. Et la mort pourprée et la Moire violente emplirent ses yeux.
Tandis qu'ils combattaient ainsi dans la rude mêlée, nul n'aurait pu reconnaître si le Tydéide était du côté des Troiens ou du côté des Akhaiens. Il courait à travers la plaine, semblable à un fleuve furieux et débordé qui roule impétueusement et renverse les ponts. Ni les digues ne l'arrêtent, ni les enclos des vergers verdoyants, car la pluie de Zeus abonde, et les beaux travaux des jeunes hommes sont détruits. Ainsi les épaisses phalanges des Troiens se dissipaient devant le Tydéide, et leur multitude ne pouvait soutenir son choc.
Et l'illustre fils de Lykaôn, l'ayant aperçu se ruant par la plaine et dispersant les phalanges, tendit aussitôt contre lui son arc recourbé, et, comme il s'élançait, le frappa à l'épaule droite, au défaut de la cuirasse. Et la flèche acerbe vola en sifflant et s'enfonça, et la cuirasse ruissela de sang. Et l'illustre fils de Lykaôn s'écria d'une voix haute:
— Courage, Troiens, cavaliers magnanimes! Le plus brave des Akhaiens est blessé, et je ne pense pas qu'il supporte longtemps ma flèche violente, s'il est vrai que le roi, fils de Zeus, m'ait poussé à quitter la Lykiè.
Il parla ainsi orgueilleusement, mais la flèche rapide n'avait point tué le Tydéide, qui, reculant, s'arrêta devant ses chevaux et son char, et dit à Sthénélos, fils de Kapaneus:
— Hâte-toi, ami Kapanéide! Descends du char et retire cette flèche amère.
Il parla ainsi, et Sthénélos, sautant à bas du char, arracha de l'épaule la flèche rapide. Et le sang jaillit sur la tunique, et Diomèdès hardi au combat pria ainsi:
— Entends-moi, fille indomptée de Zeus tempétueux! Si jamais tu nous as protégés, mon père et moi, dans la guerre cruelle, Athènè! secours-moi de nouveau. Accorde-moi de tuer ce guerrier. Amène-le au-devant de ma pique impétueuse, lui qui m'a blessé le premier, et qui s'en glorifie, et qui pense que je ne verrai pas longtemps encore la splendide lumière de Hélios.
Il parla ainsi en priant, et Pallas Athènè l'exauça. Elle rendit tous ses membres, et ses pieds et ses mains plus agiles; et s'approchant, elle lui dit en paroles ailées:
— Reprends courage, ô Diomèdès, et combats contre les Troiens, car j'ai mis dans ta poitrine l'intrépide vigueur que possédait le porte-bouclier, le cavalier Tydeus. Et j'ai dissipé le nuage qui était sur tes yeux, afin que tu reconnaisses les dieux et les hommes. Si un immortel venait te tenter, ne lutte point contre les dieux immortels; mais si Aphroditè, la fille de Zeus, descendait dans la mêlée, frappe-la de l'airain aigu.
Ayant ainsi parlé, Athènè aux yeux clairs s'éloigna, et le Tydéide retourna à la charge, mêlé aux premiers rangs. Et, naguère, il était, certes, plein d'ardeur pour combattre les Troiens, mais son courage est maintenant trois fois plus grand. Il est comme un lion qui, dans un champ où paissaient des brebis laineuses, au moment où il sautait vers l'étable, a été blessé par un pâtre, et non tué. Cette blessure accroît ses forces. Il entre dans l'étable et disperse les brebis, qu'on n'ose plus défendre. Et celles-ci gisent égorgées, les unes sur les autres; et le lion bondit hors de l'enclos. Ainsi le brave Diomèdès se rua sur les Troiens.
Alors, il tua Astynoos et Hypeirôn, princes des peuples. Et il perça l'un, de sa pique d'airain, au-dessus de la mamelle; et, de sa grande épée, il brisa la clavicule de l'autre et sépara la tête de l'épaule et du dos. Puis, les abandonnant, il se jeta sur Abas et Polyeidos, fils du vieux Eurydamas, interprète des songes. Mais le vieillard ne les avait point consultés au départ de ses enfants. Et le brave Diomèdès les tua.
Et il se jeta sur Xanthos et Thoôn, fils tardifs de Phainopos, qui les avait eus dans sa triste vieillesse, et qui n'avait point engendré d'autres enfants à qui il pût laisser ses biens. Et le Tydéide les tua, leur arrachant l'âme et ne laissant que le deuil et les tristes douleurs à leur père, qui ne devait point les revoir vivants au retour du combat, et dont l'héritage serait partagé selon la loi.
Et Diomèdès saisit deux fils du Dardanide Priamos, montés sur un même char, Ekhémôn et Khromios. Comme un lion, bondissant sur des boeufs, brise le cou d'une génisse ou d'un taureau paissant dans les bois, ainsi le fils de Tydeus, les renversant tous deux de leur char, les dépouilla de leurs armes et remit leurs chevaux à ses compagnons pour être conduits aux nefs.
Mais Ainéias, le voyant dissiper les lignes des guerriers, s'avança à travers la mêlée et le bruissement des piques, cherchant de tous côtés le divin Pandaros. Et il rencontra le brave et irréprochable fils de Lykaôn, et, s'approchant, il lui dit:
— Pandaros! où sont ton arc et tes flèches? Et ta gloire, quel guerrier pourrait te la disputer? Qui pourrait, en Lykiè, se glorifier de l'emporter sur toi? Allons, tends les mains vers Zeus et envoie une flèche à ce guerrier. Je ne sais qui il est, mais il triomphe et il a déjà infligé de grands maux aux Troiens. Déjà il a fait ployer les genoux d'une multitude de braves. Peut-être est- ce un dieu irrité contre les Troiens à cause de sacrifices négligés. Et la colère d'un dieu est lourde.
Et l'illustre fils de Lykaôn lui répondit:
— Ainéias, conseiller des Troiens revêtus d'airain, je crois que ce guerrier est le Tydéide. Je le reconnais à son bouclier, à son casque aux trois cônes et à ses chevaux. Cependant, je ne sais si ce n'est point un dieu. Si ce guerrier est le brave fils de Tydeus, comme je l'ai dit, certes, il n'est point ainsi furieux sans l'appui d'un dieu. Sans doute, un des immortels, couvert d'une nuée, se tient auprès de lui et détourne les flèches rapides. Déjà je l'ai frappé d'un trait à l'épaule droite, au défaut de la cuirasse. J'étais certain de l'avoir envoyé chez Aidès, et voici que je ne l'ai point tué. Sans doute quelque dieu est irrité contre nous. Ni mes chevaux ni mon char ne sont ici. J'ai, dans les demeures de Lykaôn, onze beaux chars tout neufs, couverts de larges draperies. Auprès de chacun d'eux sont deux chevaux qui paissent l'orge et l'avoine. Certes, le belliqueux vieillard Lykaôn, quand je partis de mes belles demeures, me donna de nombreux conseils. Il m'ordonna, monté sur mon char et traîné par mes chevaux, de devancer tous les Troiens dans les mâles combats. J'aurais mieux fait d'obéir; mais je ne le voulus point, désirant épargner mes chevaux accoutumés à manger abondamment, et de peur qu'ils manquassent de nourriture au milieu de guerriers assiégés. Je les laissai, et vins à pied vers Ilios, certain de mon arc, dont je ne devais pas me glorifier cependant. Déjà, je l'ai tendu contre deux chefs, l'Atréide et le Tydéide, et je les ai blessés, et j'ai fait couler leur sang, et je n'ai fait que les irriter. Certes, ce fut par une mauvaise destinée que je détachais du mur cet arc recourbé, le jour funeste où je vins, dans la riante Ilios, commander aux Troiens, pour plaire au divin Hektôr. Si je retourne jamais, et si je revois de mes yeux ma patrie et ma femme et ma haute demeure, qu'aussitôt un ennemi me coupe la tête, si je ne jette, brisé de mes mains, dans le feu éclatant, cet arc qui m'aura été un compagnon inutile!
Et le chef des Troiens, Ainéias, lui répondit:
— Ne parle point tant. Rien ne changera si nous ne poussons à cet homme, sur notre char et nos chevaux, et couverts de nos armes. Tiens! monte sur mon char, et vois quels sont les chevaux de Trôs, habiles à poursuivre ou à fuir rapidement dans la plaine. Ils nous ramèneront saufs dans la ville, si Zeus donne la victoire au Tydéide Diomèdès. Viens! saisis le fouet et les belles rênes, et je descendrai pour combattre; ou combats toi-même, et je guiderai les chevaux.
Et l'illustre fils de Lykaôn lui répondit:
— Ainéias, charge-toi des rênes et des chevaux. Ils traîneront mieux le char sous le conducteur accoutumé, si nous prenions la fuite devant le fils de Tydeus. Peut-être, pleins de terreur, resteraient-ils inertes et ne voudraient-ils plus nous emporter hors du combat, n'entendant plus ta voix.
Ayant ainsi parlé, ils montèrent sur le char brillant et poussèrent les chevaux rapides contre le Tydéide. Et l'illustre fils de Kapaneus, Sthénélos, les vit; et aussitôt il dit au Tydéide ces paroles ailées:
— Tydéide Diomèdès, le plus cher à mon âme, je vois deux braves guerriers qui se préparent à te combattre. Tous deux sont pleins de force. L'un est l'habile archer Pandaros, qui se glorifie d'être le fils de Lykaôn. L'autre est Ainéias, qui se glorifie d'être le fils du magnanime Ankhisès, et qui a pour mère Aphroditè elle-même. Reculons donc, et ne te jette point en avant, si tu ne veux perdre ta chère âme.
Et le brave Diomèdès, le regardant d'un oeil sombre, lui répondit:
— Ne parle point de fuir, car je ne pense point que tu me persuades. Ce n'est point la coutume de ma race de fuir et de trembler. Je possède encore toutes mes forces. J'irai au-devant de ces guerriers. Pallas Athènè ne me permet point de craindre. Leurs chevaux rapides ne nous les arracheront point tous deux, si, du moins, un seul en réchappe. Mais je te le dis, et souviens-toi de mes paroles: si la sage Athènè me donnait la gloire de les tuer tous deux, arrête nos chevaux rapides, attache les rênes au char, cours aux chevaux d'Ainéias et pousse-les parmi les Akhaiens aux belles knèmides. Ils sont de la race de ceux que le prévoyant Zeus donna à Trôs en échange de son fils Ganymèdès, et ce sont les meilleurs chevaux qui soient sous Éôs et Hélios. Le roi des hommes, Ankhisès, à l'insu de Laomédôn, fit saillir des cavales par ces étalons, et il en eut six rejetons. Il en retient quatre qu'il nourrit à la crèche, et il a donné ces deux-ci, rapides à la fuite, à Ainéias. Si nous les enlevons, nous remporterons une grande gloire.
Pendant qu'ils se parlaient ainsi, les deux Troiens poussaient vers eux leurs chevaux rapides, et le premier, l'illustre fils de Lykaôn, s'écria:
— Très brave et très excellent guerrier, fils de l'illustre Tydeus, mon trait rapide, ma flèche amère, ne t'a point tué; mais je vais tenter de te percer de ma pique.
Il parla, et, lançant sa longue pique, frappa le bouclier du Tydéide. La pointe d'airain siffla et s'enfonça dans la cuirasse, et l'illustre fils de Lykaôn cria à voix haute:
— Tu es blessé dans le ventre! Je ne pense point que tu survives longtemps, et tu vas me donner une grande gloire.
Et le brave Diomèdès lui répondit avec calme:
— Tu m'as manqué, loin de m'atteindre; mais je ne pense pas que vous vous reposiez avant qu'un de vous, au moins, ne tombe et ne rassasie de son sang Arès, l'audacieux combattant.
Il parla ainsi, et lança sa pique. Et Athènè la dirigea au-dessus du nez, auprès de l'oeil, et l'airain indompté traversa les blanches dents, coupa l'extrémité de la langue et sortit sous le menton. Et Pandaros tomba du char, et ses armes brillantes, aux couleurs variées, résonnèrent sur lui, et les chevaux aux pieds rapides frémirent, et la vie et les forces de l'homme furent brisées.
Alors Ainéias s'élança avec son bouclier et sa longue pique, de peur que les Akhaiens n'enlevassent le cadavre. Et, tout autour, il allait comme un lion confiant dans ses forces, brandissant sa pique et son bouclier bombé, prêt à tuer celui qui oserait approcher, et criant horriblement. Mais le Tydéide saisit de sa main un lourd rocher que deux hommes, de ceux qui vivent aujourd'hui, ne pourraient soulever. Seul, il le remua facilement. Et il en frappa Ainéias à la cuisse, là où le fémur tourne dans le cotyle. Et la pierre rugueuse heurta le cotyle, rompit les deux muscles supérieurs et déchira la peau. Le héros, tombant sur les genoux, s'appuya d'une main lourde sur la terre, et une nuit noire couvrit ses yeux. Et le roi des hommes, Ainéias, eût sans doute péri, si la fille de Zeus, Aphroditè, ne l'eût aperçu: car elle était sa mère, l'ayant conçu d'Ankhisès, comme il paissait ses boeufs. Elle jeta ses bras blancs autour de son fils bien-aimé et l'enveloppa des plis de son péplos éclatant, afin de le garantir des traits, et de peur qu'un des guerriers Danaens enfonçât l'airain dans sa poitrine et lui arrachât l'âme. Et elle enleva hors de la mêlée son fils bien-aimé.
Mais le fils de Kapaneus n'oublia point l'ordre que lui avait donné Diomèdès hardi au combat. Il arrêta brusquement les chevaux aux sabots massifs, en attachant au char les rênes tendues; et, se précipitant vers les chevaux aux longues crinières d'Ainéias, il les poussa du côté des Akhaiens aux belles knèmides. Et il les remit à son cher compagnon Deipylos, qu'il honorait au-dessus de tous, tant leurs âmes étaient d'accord, afin que celui-ci les conduisît aux nefs creuses.
Puis le héros, remontant sur son char, saisit les belles rênes, et, traîné par ses chevaux aux sabots massifs, suivit le Tydéide. Et celui-ci, de l'airain meurtrier, pressait ardemment Aphroditè, sachant que c'était une déesse pleine de faiblesse, et qu'elle n'était point de ces divinités qui se mêlent aux luttes des guerriers, comme Athènè ou comme Ényô, la destructrice des citadelles. Et, la poursuivant dans la mêlée tumultueuse, le fils du magnanime Tydeus bondit, et de sa pique aiguë blessa sa main délicate. Et aussitôt l'airain perça la peau divine à travers le péplos que les Kharites avaient tissé elles-mêmes. Et le sang immortel de la déesse coula, subtil, et tel qu'il sort des dieux heureux. Car ils ne mangent point de pain, ils ne boivent point le vin ardent, et c'est pourquoi ils n'ont point notre sang et sont nommés immortels. Elle poussa un grand cri et laissa tomber son fils; mais Phoibos Apollôn le releva de ses mains et l'enveloppa d'une noire nuée, de peur qu'un des cavaliers Danaens enfonçât l'airain dans sa poitrine et lui arrachât l'âme. Et Diomèdès hardi au combat cria d'une voix haute à la déesse:
— Fille de Zeus, fuis la guerre et le combat. Ne te suffit-il pas de tromper de faibles femmes? Si tu retournes jamais au combat, certes, je pense que la guerre et son nom seul te feront trembler désormais.
Il parla ainsi, et Aphroditè s'envola, pleine d'affliction et gémissant profondément. Iris aux pieds rapides la conduisit hors de la mêlée, accablée de douleurs, et son beau corps était devenu noir. Et elle rencontra l'impétueux Arès assis à la gauche de la bataille. Sa pique et ses chevaux rapides étaient couverts d'une nuée. Et Aphroditè, tombant à genoux, supplia son frère bien-aimé de lui donner ses chevaux liés par des courroies d'or:
— Frère bien-aimé, secours-moi! Donne-moi tes chevaux pour que j'aille dans l'Olympos, qui est la demeure des immortels. Je souffre cruellement d'une blessure que m'a faite le guerrier mortel Tydéide, qui combattrait maintenant le père Zeus lui-même.
Elle parla ainsi, et Arès lui donna ses chevaux aux aigrettes dorées. Et, gémissant dans sa chère âme, elle monta sur le char. Iris monta auprès d'elle, prit les rênes en mains et frappa les chevaux du fouet, et ceux-ci s'envolèrent et atteignirent aussitôt le haut Olympos, demeure des dieux. Et la rapide Iris arrêta les chevaux aux pieds prompts comme le vent, et, sautant du char, leur donna leur nourriture immortelle. Et la divine Aphroditè tomba aux genoux de Diônè sa mère; et celle-ci, entourant sa fille de ses bras, la caressa et lui dit:
— Quel Ouranien, chère fille, t'a ainsi traitée, comme si tu avais ouvertement commis une action mauvaise?
Et Aphroditè qui aime les sourires lui répondit:
— L'audacieux Diomèdès, fils de Tydeus, m'a blessée, parce que j'emportais hors de la mêlée mon fils bien-aimé Ainéias, qui m'est le plus cher de tous les hommes. La bataille furieuse n'est plus seulement entre les Troiens et les Akhaiens, mais les Danaens combattent déjà contre les immortels.
Et l'illustre déesse Diônè lui répondit:
— Subis et endure ton mal, ma fille, bien que tu sois affligée. Déjà plusieurs habitants des demeures ouraniennes, par leurs discordes mutuelles, ont beaucoup souffert de la part des hommes. Arès a subi de grands maux quand Otos et le robuste Éphialtès, fils d'Aloè, le lièrent de fortes chaînes. Il resta treize mois enchaîné dans une prison d'airain. Et peut-être qu'Arès, insatiable de combats, eût péri, si la belle Ériboia, leur marâtre, n'eût averti Herméias, qui délivra furtivement Arès respirant à peine, tant les lourdes chaînes l'avaient dompté. Hèrè souffrit aussi quand le vigoureux Amphitryonade la blessa à la mamelle droite d'une flèche à trois pointes, et une irrémédiable douleur la saisit. Et le grand Aidès souffrit entre tous quand le même homme, fils de Zeus tempétueux, le blessa, sur le seuil du Hadès, au milieu des morts, d'une flèche rapide, et l'accabla de douleurs. Et il vint dans la demeure de Zeus, dans le grand Olympos, plein de maux et gémissant dans son coeur, car la flèche était fixée dans sa large épaule et torturait son âme. Et Paièôn, répandant de doux baumes sur la plaie, guérit Aidès, car il n'était point mortel comme un homme. Et tel était Hèraklès, impie, irrésistible, se souciant peu de commettre des actions mauvaises et frappant de ses flèches les dieux qui habitent l'Olympos. C'est la divine Athènè aux yeux clairs qui a excité un insensé contre toi. Et le fils de Tydeus ne sait pas, dans son âme, qu'il ne vit pas longtemps celui qui lutte contre les immortels. Ses enfants, assis sur ses genoux, ne le nomment point leur père au retour de la guerre et de la rude bataille. Maintenant, que le Tydéide craigne, malgré sa force, qu'un plus redoutable que toi ne le combatte. Qu'il craigne que la sage fille d'Adrèstès, Aigialéia, la noble femme du dompteur de chevaux Diomèdès, gémisse bientôt en s'éveillant et en troublant ses serviteurs, parce qu'elle pleurera son premier mari, le plus brave des Akhaiens!
Elle parla ainsi, et, de ses deux mains, étancha la plaie, et celle-ci fut guérie, et les amères douleurs furent calmées.
Mais Hèrè et Athènè, qui les regardaient, tentèrent d'irriter le Kronide Zeus par des paroles mordantes. Et la divine Athènè aux yeux clairs parla ainsi la première:
— Père Zeus, peut-être seras-tu irrité de ce que je vais dire; mais voici qu'Aphroditè, en cherchant à mener quelque femme Akhaienne au milieu des Troiens qu'elle aime tendrement, en s'efforçant de séduire par ses caresses une des Akhaiennes au beau péplos, a déchiré sa main délicate à une agrafe d'or.
Elle parla ainsi, et le père des hommes et des dieux sourit, et, appelant Aphroditè d'or, il lui dit:
— Ma fille, les travaux de la guerre ne te sont point confiés, mais à l'impétueux Arès et à Athènè. Ne songe qu'aux douces joies des Hyménées.
Et ils parlaient ainsi entre eux. Et Diomèdès hardi au combat se ruait toujours sur Ainéias, bien qu'il sût qu'Apollôn le couvrait des deux mains. Mais il ne respectait même plus un grand dieu, désirant tuer Ainéias et le dépouiller de ses armes illustres. Et trois fois il se rua, désirant le tuer, et trois fois Apollôn repoussa son bouclier éclatant. Mais, quand il bondit une quatrième fois, semblable à un dieu, Apollôn lui dit d'une voix terrible:
— Prends garde, Tydéide, et ne t'égale point aux dieux, car la race des dieux immortels n'est point semblable à celle des hommes qui marchent sur la terre.
Il parla ainsi, et le Tydéide recula un peu, de peur d'exciter la colère de l'archer Apollôn. Et celui-ci déposa Ainéias loin de la mêlée, dans la sainte Pergamos, où était bâti son temple. Et Lètô et Artémis qui se réjouit de ses flèches prirent soin de ce guerrier et l'honorèrent dans le vaste sanctuaire. Et Apollôn à l'arc d'argent suscita une image vaine semblable à Ainéias et portant des armes pareilles. Et autour de cette image les Troiens et les divins Akhaiens se frappaient sur les peaux de boeuf qui couvraient leurs poitrines, sur les boucliers bombés et sur les cuirasses légères. Alors, le roi Phoibos Apollôn dit à l'impétueux Arès:
— Arès, Arès, fléau des hommes sanglant, et qui renverses les murailles, ne vas-tu pas chasser hors de la mêlée ce guerrier, le Tydéide, qui, certes, combattrait maintenant même contre le père Zeus? Déjà il a blessé la main d'Aphroditè, puis il a bondi sur moi, semblable à un dieu.
Ayant ainsi parlé, il retourna s'asseoir sur la haute Pergamos, et le cruel Arès, se mêlant aux Troiens, les excita à combattre, ayant pris la forme de l'impétueux Akamas, prince des Thrakiens. Et il exhorta les fils de Priamos, nourrissons de Zeus:
— Ô fils du roi Priamos, nourris par Zeus, jusqu'à quand laisserez-vous les Akhaiens massacrer votre peuple? Attendrez-vous qu'ils combattent autour de nos portes solides? Un guerrier est tombé que nous honorions autant que le divin Hektôr, Ainéias, fils du magnanime Ankhisès. Allons! Enlevons notre brave compagnon hors de la mêlée.
Ayant ainsi parlé, il excita la force et le courage de chacun. Et
Sarpèdôn dit ces dures paroles au divin Hektôr:
— Hektôr, qu'est devenu ton ancien courage? Tu te vantais naguère de sauver ta ville, sans l'aide des autres guerriers, seul, avec tes frères et tes parents, et je n'en ai guère encore aperçu aucun, car ils tremblent tous comme des chiens devant le lion. C'est nous, vos alliés, qui combattons. Me voici, moi, qui suis venu de très loin pour vous secourir. Elle est éloignée, en effet, la Lykiè où coule le Xanthos plein de tourbillons. J'y ai laissé ma femme bien-aimée et mon petit enfant, et mes nombreux domaines que le pauvre convoite. Et, cependant, j'excite les Lykiens au combat, et je suis prêt moi-même à lutter contre les hommes, bien que je n'aie rien à redouter ou à perdre des maux que vous apportent les Akhaiens, ou des biens qu'ils veulent vous enlever. Et tu restes immobile, et tu ne commandes même pas à tes guerriers de résister et de défendre leurs femmes! Ne crains-tu pas qu'enveloppés tous comme dans un filet de lin, vous deveniez la proie des guerriers ennemis? Sans doute, les Akhaiens renverseront bientôt votre ville aux nombreux habitants. C'est à toi qu'il appartient de songer à ces choses, nuit et jour, et de supplier les princes alliés, afin qu'ils tiennent fermement et qu'ils cessent leurs durs reproches.
Sarpèdôn parla ainsi, et il mordit l'âme de Hektôr, et celui-ci sauta aussitôt de son char avec ses armes, et, brandissant deux lances aiguës, courut de toutes parts à travers l'armée, l'excitant à combattre un rude combat. Et les Troiens revinrent à la charge et tinrent tête aux Akhaiens. Et les Argiens les attendirent de pied ferme.
Ainsi que, dans les aires sacrées, à l'aide des vanneurs et du vent, la blonde Dèmètèr sépare le bon grain de la paille, et que celle-ci, amoncelée, est couverte d'une poudre blanche, de même les Akhaiens étaient enveloppés d'une poussière blanche qui montait du milieu d'eux vers l'Ouranos, et que soulevaient les pieds des chevaux frappant la terre, tandis que les guerriers se mêlaient de nouveau et que les conducteurs de chars les ramenaient au combat. Et le furieux Arès, couvert d'une nuée, allait de toutes parts, excitant les Troiens. Et il obéissait ainsi aux ordres que lui avait donnés Phoibos Apollôn qui porte une épée d'or, quand celui-ci avait vu partir Athènè, protectrice des Danaens.
Et l'archer Apollôn fit sortir Ainéias du sanctuaire et remplit de vigueur la poitrine du prince des peuples. Et ce dernier reparut au milieu de ses compagnons, pleins de joie de le voir vivant, sain et sauf et possédant toutes ses forces. Mais ils ne lui dirent rien, car les travaux que leur préparaient Arès, fléau des hommes, Apollôn et Éris, ne leur permirent point de l'interroger.
Et les deux Aias, Odysseus et Diomèdès exhortaient les Danaens au combat; et ceux-ci, sans craindre les forces et l'impétuosité des Troiens, les attendaient de pied ferme, semblables à ces nuées que le Kroniôn arrête à la cime des montagnes, quand le Boréas et les autres vents violents se sont calmés, eux dont le souffle disperse les nuages épais et immobiles. Ainsi les Danaens attendaient les Troiens de pied ferme. Et l'Atréide, courant çà et là au milieu d'eux, les excitait ainsi:
— Amis, soyez des hommes! ruez-vous, d'un coeur ferme, dans la rude bataille. Ce sont les plus braves qui échappent en plus grand nombre à la mort; mais ceux qui fuient n'ont ni force ni gloire.
Il parla, et, lançant sa longue pique, il perça, au premier rang, le guerrier Dèikoôn Pergaside, compagnon du magnanime Ainéias, et que les Troiens honoraient autant que les fils de Priamos, parce qu'il était toujours parmi les premiers au combat. Et le roi Agamemnôn le frappa de sa pique dans le bouclier qui n'arrêta point le coup, car la pique le traversa et entra dans le ventre en déchirant le ceinturon. Et il tomba avec bruit, et ses armes résonnèrent sur son corps.
Alors, Ainéias tua deux braves guerriers Danaens, fils de Dioklès, Krèthôn et Orsilokhos. Et leur père habitait Phèrè bien bâtie, et il était riche, et il descendait du fleuve Alphéios qui coule largement sur la terre des Pyliens. Et l'Alphéios avait engendré Orsilokhos, chef de nombreux guerriers; et Orsilokhos avait engendré le magnanime Dioklès, et de Dioklès étaient nés deux fils jumeaux, Krèthôn et Orsilokhos, habiles à tous les combats. Tout jeunes encore, ils vinrent sur leurs nefs noires vers Ilios aux bons chevaux, ayant suivi les Argiens pour la cause et l'honneur des Atréides, Agamemnôn et Ménélaos, et c'est là que la mort les atteignit. Comme deux jeunes lions nourris par leur mère sur le sommet des montagnes, au fond des épaisses forêts, et qui enlèvent les boeufs et les brebis, et qui dévastent les étables jusqu'à ce qu'ils soient tués de l'airain aigu par les mains des pâtres, tels ils tombèrent tous deux, frappés par les mains d'Ainéias, pareils à des pins élevés.
Et Ménélaos, hardi au combat, eut pitié de leur chute, et il s'avança au premier rang, vêtu de l'airain étincelant et brandissant sa pique. Et Arès l'excitait afin qu'il tombât sous les mains d'Ainéias. Mais Antilokhos, fils du magnanime Nestôr, le vit et s'avança au premier rang, car il craignait pour le prince des peuples, dont la mort eût rendu leurs travaux inutiles. Et ils croisaient déjà leurs piques aiguës, prêts à se combattre, quand Antilokhos vint se placer auprès du prince des peuples. Et Ainéias, bien que très brave, recula, voyant les deux guerriers prêts à l'attaquer. Et ceux-ci entraînèrent les morts parmi les Akhaiens, et, les remettant à leurs compagnons, revinrent combattre au premier rang.
Alors ils tuèrent Pylaiménès, égal à Arès, chef des magnanimes Paphlagones porteurs de boucliers. Et l'illustre Atréide Ménélaos le perça de sa pique à la clavicule. Et Antilokhos frappa au coude, d'un coup de pierre, le conducteur de son char, le brave Atymniade Mydôn, comme il faisait reculer ses chevaux aux sabots massifs. Et les blanches rênes ornées d'ivoire s'échappèrent de ses mains, et Antilokhos, sautant sur lui, le perça à la tempe d'un coup d'épée. Et, ne respirant plus, il tomba du beau char, la tête et les épaules enfoncées dans le sable qui était creusé en cet endroit. Ses chevaux le foulèrent aux pieds, et Antilokhos les chassa vers l'armée des Akhaiens.
Mais Hektôr, les ayant aperçus tous deux, se rua à travers la mêlée en poussant des cris. Et les braves phalanges des Troiens le suivaient, et devant elles marchaient Arès et la vénérable Ényô. Celle-ci menait le tumulte immense du combat, et Arès, brandissant une grande pique, allait tantôt devant et tantôt derrière Hektôr.
Et Diomèdès hardi au combat ayant vu Arès, frémit. Comme un voyageur troublé s'arrête, au bout d'une plaine immense, sur le bord d'un fleuve impétueux qui tombe dans la mer, et qui recule à la vue de l'onde bouillonnante, ainsi le Tydéide recula et dit aux siens:
— Ô amis, combien nous admirions justement le divin Hektôr, habile à lancer la pique et audacieux en combattant! Quelque dieu se tient toujours à son côté et détourne de lui la mort. Maintenant, voici qu'Arès l'accompagne, semblable à un guerrier. C'est pourquoi reculons devant les Troiens et ne vous hâtez point de combattre les dieux.
Il parla ainsi, et les Troiens approchèrent. Alors, Hektôr tua deux guerriers habiles au combat et montés sur un même char, Ménèsthès et Ankhialos.
Et le grand Télamônien Aias eut pitié de leur chute, et, marchant en avant, il lança sa pique brillante. Et il frappa Amphiôn, fils de Sélagos, qui habitait Paisos, et qui était fort riche. Mais sa Moire l'avait envoyé secourir les Priamides. Et le Télamônien Aias l'atteignit au ceinturon, et la longue pique resta enfoncée dans le bas-ventre. Et il tomba avec bruit, et l'illustre Aias accourut pour le dépouiller de ses armes. Mais les Troiens le couvrirent d'une grêle de piques aiguës et brillantes, et son bouclier en fut hérissé. Cependant, pressant du pied le cadavre, il en arracha sa pique d'airain; mais il ne put enlever les belles armes, étant accablé de traits. Et il craignit la vigoureuse attaque des braves Troiens qui le pressaient de leurs piques et le firent reculer, bien qu'il fût grand, fort et illustre.
Et c'est ainsi qu'ils luttaient dans la rude mêlée. Et voici que la Moire violente amena, en face du divin Sarpèdôn, le grand et vigoureux Hèraklide Tlèpolémos. Et quand ils se furent rencontrés tous deux, le fils et le petit-fils de Zeus qui amasse les nuées, Tlèpolémos, le premier, parla ainsi:
— Sarpèdôn, chef des Lykiens, quelle nécessité te pousse tremblant dans la mêlée, toi qui n'es qu'un guerrier inhabile? Des menteurs disent que tu es fils de Zeus tempétueux, tandis que tu es loin de valoir les guerriers qui naquirent de Zeus, aux temps antiques des hommes, tels que le robuste Hèraklès au coeur de lion, mon père. Et il vint ici autrefois, à cause des chevaux de Laomédôn et, avec six nefs seulement et peu de compagnons, il renversa Ilios et dépeupla ses rues. Mais toi, tu n'es qu'un lâche, et tes guerriers succombent. Et je ne pense point que, même étant brave, tu aies apporté de Lykiè un grand secours aux Troiens, car, tué par moi, tu vas descendre au seuil d'Aidès.
Et Sarpèdôn, chef des Lykiens, lui répondit:
— Tlèpolémos, certes, Hèraklès renversa la sainte Ilios, grâce à la témérité de l'illustre Laomédôn qui lui adressa injustement de mauvaises paroles et lui refusa les cavales qu'il était venu chercher de si loin. Mais, pour toi, je te prédis la mort et la noire kèr, et je vais t'envoyer, tué par ma pique et me donnant une grande gloire, vers Aidès qui a d'illustres chevaux.
Sarpèdôn parla ainsi. Et Tlèpolémos leva sa pique de frêne, et les deux longues piques s'élancèrent en même temps de leurs mains. Et Sarpèdôn le frappa au milieu du cou, et la pointe amère le traversa de part en part. Et la noire nuit enveloppa les yeux de Tlèpolémos. Mais celui-ci avait percé de sa longue pique la cuisse gauche de Sarpèdôn, et la pointe était restée engagée dans l'os, et le Kronide, son père, avait détourné la mort de lui. Et les braves compagnons de Sarpèdôn l'enlevèrent hors de la mêlée. Et il gémissait, traînant la longue pique de frêne restée dans la blessure, car aucun d'eux n'avait songé à l'arracher de la cuisse du guerrier, pour qu'il pût monter sur son char, tant ils se hâtaient.
De leur côté, les Akhaiens aux belles knèmides emportaient Tlèpolémos hors de la mêlée. Et le divin Odysseus au coeur ferme, l'ayant aperçu, s'affligea dans son âme; et il délibéra dans son esprit et dans son coeur s'il poursuivrait le fils de Zeus qui tonne hautement, ou s'il arracherait l'âme à une multitude de Lykiens. Mais il n'était point dans la destinée du magnanime Odysseus de tuer avec l'airain aigu le brave fils de Zeus. C'est pourquoi Athènè lui inspira de se jeter sur la foule des Lykiens. Alors il tua Koiranos et Alastôr, et Khromios et Alkandros et Halios, et Noèmôn et Prytanis. Et le divin Odysseus eût tué une plus grande foule de Lykiens, si le grand Hektôr au casque mouvant ne l'eût aperçu. Et il s'élança aux premiers rangs, armé de l'airain éclatant, jetant la terreur parmi les Danaens. Et Sarpèdôn, fils de Zeus, se réjouit de sa venue et lui dit cette parole lamentable:
— Priamide, ne permets pas que je reste la proie des Danaens, et viens à mon aide, afin que je puisse au moins expirer dans votre ville, puisque je ne dois plus revoir la chère patrie, et ma femme bien-aimée et mon petit enfant.
Mais Hektôr au casque mouvant ne lui répondit pas, et il s'élança en avant, plein du désir de repousser promptement les Argiens et d'arracher l'âme à une foule d'entre eux. Et les compagnons du divin Sarpèdôn le déposèrent sous le beau hêtre de Zeus tempétueux, et le brave Pélagôn, qui était le plus cher de ses compagnons, lui arracha hors de la cuisse la pique de frêne. Et son âme défaillit, et une nuée épaisse couvrit ses yeux. Mais le souffle de Boréas le ranima, et il ressaisit son âme qui s'évanouissait.
Et les Akhaiens, devant Arès et Hektôr au casque d'airain, ne fuyaient point vers les nefs noires et ne se ruaient pas non plus dans la mêlée, mais reculaient toujours, ayant aperçu Arès parmi les Troiens. Alors, quel fut le guerrier qui, le premier, fut tué par Hektôr Priamide et par Arès vêtu d'airain, et quel fut le dernier? Teuthras, semblable à un dieu, et l'habile cavalier Orestès, et Trèkhos, combattant Aitôlien; Oinomaos et l'Oinopide Hélénos, et Oresbios qui portait une mitre brillante. Et celui-ci habitait Hylè, où il prenait soin de ses richesses, au milieu du lac Kèphisside, non loin des riches tribus des Boiôtiens.
Et la divine Hèrè aux bras blancs, voyant que les Argiens périssaient dans la rude mêlée, dit à Athènè ces paroles ailées:
— Ah! fille indomptable de Zeus tempétueux, certes, nous aurons vainement promis à Ménélaos qu'il retournerait dans sa patrie après avoir renversé Ilios aux fortes murailles, si nous laissons ainsi le cruel Arès répandre sa fureur. Viens, et souvenons-nous de notre courage impétueux.
Elle parla ainsi, et la divine Athènè aux yeux clairs obéit. La vénérable déesse Hèrè, fille du grand Kronos, se hâta de mettre à ses chevaux leurs harnais d'or. Hèbè attacha promptement les roues au char, aux deux bouts de l'essieu de fer. Et les roues étaient d'airain à huit rayons, et les jantes étaient d'un or incorruptible, mais, par-dessus, étaient posées des bandes d'airain admirables à voir. Les deux moyeux étaient revêtus d'argent, et le siège était suspendu à des courroies d'or et d'argent, et deux cercles étaient placés en avant d'où sortait le timon d'argent, et, à l'extrémité du timon, Hèrè lia le beau joug d'or et les belles courroies d'or. Puis, avide de discorde et de cris de guerre, elle soumit au joug ses chevaux aux pieds rapides.
Et Athènè, fille de Zeus tempétueux, laissa tomber sur le pavé de la demeure paternelle le péplos subtil, aux ornements variés, qu'elle avait fait et achevé de ses mains. Et elle revêtit la cuirasse de Zeus qui amasse les nuées, et l'armure de la guerre lamentable. Elle plaça autour de ses épaules l'Aigide aux longues franges, horrible, et que la fuite environnait. Et là, se tenaient la discorde, la force et l'effrayante poursuite, et la tête affreuse, horrible et divine du monstre Gorgô. Et Athènè posa sur sa tête un casque hérissé d'aigrettes, aux quatre cônes d'or, et qui eût recouvert les habitants de cent villes. Et elle monta sur le char splendide, et elle saisit une pique lourde, grande, solide, avec laquelle elle domptait la foule des hommes héroïques, contre lesquels elle s'irritait, étant la fille d'un père puissant.
Hèrè pressa du fouet les chevaux rapides, et, devant eux, s'ouvrirent d'elles-mêmes les portes ouraniennes que gardaient les Heures. Et celles-ci, veillant sur le grand Ouranos et sur l'Olympos, ouvraient ou fermaient la nuée épaisse qui flottait autour. Et les chevaux dociles franchirent ces portes, et les déesses trouvèrent le Kroniôn assis, loin des dieux, sur le plus haut sommet de l'Olympos aux cimes sans nombre. Et la divine Hèrè aux bras blancs, retenant ses chevaux, parla ainsi au très haut Zeus Kronide:
— Zeus, ne réprimeras-tu pas les cruelles violences d'Arès qui cause impudemment tant de ravages parmi les peuples Akhaiens? J'en ai une grande douleur; et voici qu'Aphroditè et Apollôn à l'arc d'argent se réjouissent d'avoir excité cet insensé qui ignore toute justice. Père Zeus, ne t'irriteras-tu point contre moi, si je chasse de la mêlée Arès rudement châtié?
Et Zeus qui amasse les nuées lui répondit:
— Va! excite contre lui la dévastatrice Athènè, qui est accoutumée à lui infliger de rudes châtiments.
Il parla ainsi, et la divine Hèrè aux bras blancs obéit, et elle frappa ses chevaux, et ils s'envolèrent entre la terre et l'Ouranos étoilé. Autant un homme, assis sur une roche élevée, et regardant la mer pourprée, voit d'espace aérien, autant les chevaux des dieux en franchirent d'un saut. Et quand les deux déesses furent parvenues devant Ilios, là où le Skamandros et le Simoïs unissent leurs cours, la divine Hèrè aux bras blancs détela ses chevaux et les enveloppa d'une nuée épaisse. Et le Simoïs fit croître pour eux une pâture ambroisienne. Et les déesses, semblables dans leur vol à de jeunes colombes, se hâtèrent de secourir les Argiens.
Et quand elles parvinrent là où les Akhaiens luttaient en foule autour de la force du dompteur de chevaux Diomèdès, tels que des lions mangeurs de chair crue, ou de sauvages et opiniâtres sangliers, la divine Hèrè aux bras blancs s'arrêta et jeta un grand cri, ayant pris la forme du magnanime Stentôr à la voix d'airain, qui criait aussi haut que cinquante autres:
— Honte à vous, ô Argiens, fiers d'être beaux, mais couverts d'opprobre! Aussi longtemps que le divin Akhilleus se rua dans la mêlée, jamais les Troiens n'osèrent passer les portes Dardaniennes; et, maintenant, voici qu'ils combattent loin d'Ilios, devant les nefs creuses!
Ayant ainsi parlé, elle ranima le courage de chacun. Et la déesse Athènè aux yeux clairs, cherchant le Tydéide, rencontra ce roi auprès de ses chevaux et de son char. Et il rafraîchissait la blessure que lui avait faite la flèche de Pandaros. Et la sueur l'inondait sous le large ceinturon d'où pendait son bouclier bombé; et ses mains étaient lasses. Il soulevait son ceinturon et étanchait un sang noir. Et la déesse, auprès du joug, lui parla ainsi:
— Certes, Tydeus n'a point engendré un fils semblable à lui. Tydeus était de petite taille, mais c'était un homme. Je lui défendis vainement de combattre quand il vint seul, envoyé à Thèbè par les Akhaiens, au milieu des innombrables Kadméiônes. Et je lui ordonnai de s'asseoir paisiblement à leurs repas, dans leurs demeures. Cependant, ayant toujours le coeur aussi ferme, il provoqua les jeunes Kadméiônes et les vainquit aisément, car j'étais sa protectrice assidue. Certes, aujourd'hui, je te protège, je te défends et je te pousse à combattre ardemment les Troiens. Mais la fatigue a rompu tes membres, ou la crainte t'a saisi le coeur, et tu n'es plus le fils de l'excellent cavalier Tydeus Oinéide.
Et le brave Diomèdès lui répondit:
— Je te reconnais, déesse, fille de Zeus tempétueux. Je te parlerai franchement et ne te cacherai rien. Ni la crainte ni la faiblesse ne m'accablent, mais je me souviens de tes ordres. Tu m'as défendu de combattre les dieux heureux, mais de frapper de l'airain aigu Aphroditè, la fille de Zeus, si elle descendait dans la mêlée. C'est pourquoi je recule maintenant, et j'ai ordonné à tous les Argiens de se réunir ici, car j'ai reconnu Arès qui dirige le combat.
Et la divine Athènè aux yeux clairs lui répondit:
— Tydéide Diomèdès, le plus cher à mon coeur, ne crains ni Arès ni aucun des autres immortels, car je suis pour toi une protectrice assidue. Viens! pousse contre Arès tes chevaux aux sabots massifs; frappe-le, et ne respecte pas le furieux Arès, ce dieu changeant et insensé qui, naguère, nous avait promis, à moi et à Hèrè, de combattre les Troiens et de secourir les Argiens, et qui, maintenant, s'est tourné du côté des Troiens et oublie ses promesses.
Ayant ainsi parlé, elle saisit de la main Sthénélos pour le faire descendre du char, et celui-ci sauta promptement à terre. Et elle monta auprès du divin Diomèdès, et l'essieu du char gémit sous le poids, car il portait une déesse puissante et un brave guerrier. Et Pallas Athènè, saisissant le fouet et les rênes, poussa vers Arès les chevaux aux sabots massifs. Et le dieu venait de tuer le grand Périphas, le plus brave des Aitôliens, illustre fils d'Okhèsios; et, tout sanglant, il le dépouillait; mais Athènè mit le casque d'Aidès, pour que le puissant Arès ne la reconnût pas. Et dès que le fléau des hommes, Arès, eut aperçu le divin Diomèdès, il laissa le grand Périphas étendu dans la poussière, là où, l'ayant tué, il lui avait arraché l'âme, et il marcha droit à l'habile cavalier Diomèdès.
Et quand ils se furent rapprochés l'un de l'autre, Arès, le premier, lança sa pique d'airain par-dessus le joug et les rênes des chevaux, voulant arracher l'âme du Tydéide; mais la divine Athènè aux yeux clairs, saisissant le trait d'une main, le détourna du char, afin de le rendre inutile. Puis, Diomèdès hardi au combat lança impétueusement sa pique d'airain, et Pallas Athènè la dirigea dans le bas ventre, sous le ceinturon.
Et le dieu fut blessé, et la pique, ramenée en arrière, déchira sa belle peau, et le féroce Arès poussa un cri aussi fort que la clameur de dix mille guerriers se ruant dans la mêlée. Et l'épouvante saisit les Akhaiens et les Troiens, tant avait retenti le cri d'Arès insatiable de combats. Et, comme apparaît, au- dessous des nuées, une noire vapeur chassée par un vent brûlant, ainsi Arès apparut au brave Tydéide Diomèdès, tandis qu'il traversait le vaste Ouranos, au milieu des nuages. Et il parvint à la demeure des dieux, dans le haut Olympos. Et il s'assit auprès de Zeus Kroniôn, gémissant dans son coeur; et, lui montrant le sang immortel qui coulait de sa blessure, il lui dit en paroles ailées:
— Père Zeus, ne t'indigneras-tu point de voir ces violences? Toujours, nous, les dieux, nous nous faisons souffrir cruellement pour la cause des hommes. Mais c'est toi qui es la source de nos querelles, car tu as enfanté une fille insensée, perverse et inique. Nous, les dieux Olympiens, nous t'obéissons et nous te sommes également soumis; mais jamais tu ne blâmes ni ne réprimes celle-ci, et tu lui permets tout, parce que tu as engendré seul cette fille funeste qui pousse le fils de Tydeus, le magnanime Diomèdès, à se jeter furieux sur les dieux immortels. Il a blessé d'abord la main d'Aphroditè, puis, il s'est rué sur moi, semblable à un dieu, et si mes pieds rapides ne m'avaient emporté, je subirais mille maux, couché vivant au milieu des cadavres et livré sans force aux coups de l'airain.
Et Zeus qui amasse les nuées, le regardant d'un oeil sombre, lui répondit:
— Cesse de te plaindre à moi, dieu changeant! Je te hais le plus entre tous les Olympiens, car tu n'aimes que la discorde, la guerre et le combat, et tu as l'esprit intraitable de ta mère, Hèrè, que mes paroles répriment à peine. C'est son exemple qui cause tes maux. Mais je ne permettrai pas que tu souffres plus longtemps, car tu es mon fils, et c'est de moi que ta mère t'a conçu. Méchant comme tu es, si tu étais né de quelque autre dieu, depuis longtemps déjà tu serais le dernier des Ouraniens.
Il parla ainsi et ordonna à Paièôn de le guérir, et celui-ci le guérit en arrosant sa blessure de doux remèdes liquides, car il n'était point mortel. Aussi vite le lait blanc s'épaissit quand on l'agite, aussi vite le furieux Arès fut guéri. Hèbè le baigna et le revêtit de beaux vêtements, et il s'assit, fier de cet honneur, auprès de Zeus Kroniôn. Et l'Argienne Hèrè et la protectrice Athènè rentrèrent dans la demeure du grand Zeus, après avoir chassé le cruel Arès de la mêlée guerrière.
Chant 6
Livrée à elle-même, la rude bataille des Troiens et des Akhaiens se répandit confusément çà et là par la plaine. Et ils se frappaient, les uns les autres, de leurs lances d'airain, entre les eaux courantes du Simoïs et du Xanthos.
Et, le premier, Aias Télamônien enfonça la phalange des Troiens et ralluma l'espérance de ses compagnons, ayant percé un guerrier, le plus courageux d'entre les Thrakiens, le fils d'Eussôros, Akamas, qui était robuste et grand. Il frappa le cône du casque à l'épaisse crinière de cheval, et la pointe d'airain, ouvrant le front, s'enfonça à travers l'os, et les ténèbres couvrirent ses yeux.
Et Diomèdès hardi au combat tua Axylos Teuthranide qui habitait dans Arisbè bien bâtie, était riche et bienveillant aux hommes, et les recevait tous avec amitié, sa demeure étant au bord de la route. Mais nul alors ne se mit au-devant de lui pour détourner la sombre mort. Et Diomèdès le tua, ainsi que son serviteur Kalésios, qui dirigeait ses chevaux, et tous deux descendirent sous la terre.
Et Euryalos tua Drèsos et Opheltios, et il se jeta sur Aisèpos et Pèdasos, que la nymphe naïade Abarbaréè avait conçus autrefois de l'irréprochable Boukoliôn. Et Boukoliôn était fils du noble Laomédôn, et il était son premier-né, et sa mère l'avait enfanté en secret. En paissant ses brebis, il s'était uni à la nymphe sur une même couche; et, enceinte, elle avait enfanté deux fils jumeaux; mais le Mèkistèiade brisa leur force et leurs souples membres, et arracha leurs armures de leurs épaules.
Et Polypoitès prompt au combat tua Astyalos; et Odysseus tua Pidytès le Perkosien, par la lance d'airain; et Teukros tua le divin Arétaôn.
Et Antilokhos Nestoréide tua Ablèros de sa lance éclatante; et le roi des hommes, Agamemnôn, tua Élatos qui habitait la haute Pèdasos, sur les bords du Saméoïs au beau cours. Et le héros Lèitos tua Phylakos qui fuyait, et Eurypylos tua Mélanthios. Puis, Ménélaos hardi au combat prit Adrèstos vivant. Arrêtés par une branche de tamaris, les deux chevaux de celui-ci, ayant rompu le char près du timon, s'enfuyaient, épouvantés, par la plaine, du côté de la ville, avec d'autres chevaux effrayés, et Adrèstos avait roulé du char, auprès de la roue, la face dans la poussière. Et l'Atréide Ménélaos, armé d'une longue lance, s'arrêta devant lui; et Adrèstos saisit ses genoux et le supplia:
— Laisse-moi la vie, fils d'Atreus, et accepte une riche rançon. Une multitude de choses précieuses sont dans la demeure de mon père, et il est riche. Il a de l'airain, de l'or et du fer ouvragé dont il te fera de larges dons, s'il apprend que je vis encore sur les nefs des Argiens.
Il parla ainsi, et déjà il persuadait le coeur de Ménélaos, et celui-ci allait le remettre à son serviteur pour qu'il l'emmenât vers les nefs rapides des Akhaiens; mais Agamemnôn vint en courant au-devant de lui, et lui cria cette dure parole:
— Ô lâche Ménélaos, pourquoi prendre ainsi pitié des hommes? Certes, les Troiens ont accompli d'excellentes actions dans ta demeure! que nul n'évite une fin terrible et n'échappe de nos mains! pas même l'enfant dans le sein de sa mère! qu'ils meurent tous avec Ilios, sans sépulture et sans mémoire!
Par ces paroles équitables, le héros changea l'esprit de son frère qui repoussa le héros Adrèstos. Et le roi Agamemnôn le frappa au front et le renversa, et l'Atréide, lui mettant le pied sur la poitrine, arracha la lance de frêne.
Et Nestôr, à haute voix, animait les Argiens:
— Ô amis, héros Danaens, serviteurs d'Arès, que nul ne s'attarde, dans son désir des dépouilles et pour en porter beaucoup vers les nefs! Tuons des hommes! Vous dépouillerez ensuite à loisir les morts couchés dans la plaine!
Ayant ainsi parlé, il excitait la force et le courage de chacun.
Et les Troiens, domptés par leur lâcheté, eussent regagné la haute
Ilios, devant les Akhaiens chers à Arès, si le Priamide Hélénos,
le plus illustre de tous les divinateurs, ayant abordé Ainéias et
Hektôr, ne leur eût dit:
— Ainéias et Hektôr, puisque le fardeau des Troiens et des Lykiens pèse tout entier sur vous qui êtes les princes du combat et des délibérations, debout ici, arrêtez de toutes parts ce peuple devant les portes, avant qu'ils se réfugient tous jusque dans les bras des femmes et soient en risée aux ennemis. Et quand vous aurez exhorté toutes les phalanges, nous combattrons, inébranlables, contre les Danaens, bien que rompus de lassitude; mais la nécessité le veut. Puis, Hektôr, rends-toi à la ville, et dis à notre mère qu'ayant réuni les femmes âgées dans le temple d'Athènè aux yeux clairs, au sommet de la citadelle, et ouvrant les portes de la maison sacrée, elle pose sur les genoux d'Athènè à la belle chevelure le péplos le plus riche et le plus grand qui soit dans sa demeure, et celui qu'elle aime le plus; et qu'elle s'engage à sacrifier dans son temple douze génisses d'un an encore indomptées, si elle prend pitié de la ville et des femmes Troiennes et de leurs enfants, et si elle détourne de la sainte Ilios le fils de Tydeus, le féroce guerrier qui répand le plus de terreur et qui est, je pense, le plus brave des Akhaiens. Jamais nous n'avons autant redouté Akhilleus, ce chef des hommes, et qu'on dit le fils d'une déesse; car Diomèdès est plein d'une grande fureur, et nul ne peut égaler son courage.
Il parla ainsi, et Hektôr obéit à son frère. Et il sauta hors du char avec ses armes, et, agitant deux lances aiguës, il allait de tous côtés par l'armée, excitant au combat, et il suscita une rude bataille. Et tous, s'étant retournés, firent tête aux Akhaiens; et ceux-ci, reculant, cessèrent le carnage, car ils croyaient qu'un immortel était descendu de l'Ouranos étoilé pour secourir les Troiens, ces derniers revenant ainsi à la charge. Et, d'une voix haute, Hektôr excitait les Troiens:
— Braves Troiens, et vous, alliés venus de si loin, soyez des hommes! Souvenez-vous de tout votre courage, tandis que j'irai vers Ilios dire à nos vieillards prudents et à nos femmes de supplier les dieux et de leur vouer des hécatombes.
Ayant ainsi parlé, Hektôr au beau casque s'éloigna, et le cuir noir qui bordait tout autour l'extrémité du bouclier arrondi heurtait ses talons et son cou.
Et Glaukos, fils de Hippolokhos, et le fils de Tydeus, prompts à combattre, s'avancèrent entre les deux armées. Et quand ils furent en face l'un de l'autre, le premier, Diomèdès hardi au combat lui parla ainsi:
— Qui es-tu entre les hommes mortels, ô très brave? Je ne t'ai jamais vu jusqu'ici dans le combat qui glorifie les guerriers; et certes, maintenant, tu l'emportes de beaucoup sur eux tous par ta fermeté, puisque tu as attendu ma longue lance. Ce sont les fils des malheureux qui s'opposent à mon courage. Mais si tu es quelque immortel, et si tu viens de l'Ouranos, je ne combattrai point contre les Ouraniens. Car le fils de Dryas, le brave Lykoorgos, ne vécut pas longtemps, lui qui combattait contre les dieux ouraniens. Et il poursuivait, sur le sacré Nysa, les nourrices du furieux Dionysos; et celles-ci, frappées du fouet du tueur d'hommes Lykoorgos, jetèrent leurs Thyrses; et Dionysos, effrayé, sauta dans la mer, et Thétis le reçut dans son sein, tremblant et saisi d'un grand frisson à cause des menaces du guerrier. Et les dieux qui vivent en repos furent irrités contre celui-ci; et le fils de Kronos le rendit aveugle, et il ne vécut pas longtemps, parce qu'il était odieux à tous les immortels. Moi, je ne voudrais point combattre contre les dieux heureux. Mais si tu es un des mortels qui mangent les fruits de la terre, approche, afin d'atteindre plus promptement aux bornes de la mort.
Et l'illustre fils de Hippolokhos lui répondit:
— Magnanime Tydéide, pourquoi t'informes-tu de ma race? La génération des hommes est semblable à celle des feuilles. Le vent répand les feuilles sur la terre, et la forêt germe et en produit de nouvelles, et le temps du printemps arrive. C'est ainsi que la génération des hommes naît et s'éteint. Mais si tu veux savoir quelle est ma race que connaissent de nombreux guerriers, sache qu'il est une ville, Éphyrè, au fond de la terre d'Argos féconde en chevaux. Là vécut Sisyphos, le plus rusé des hommes, Sisyphos Aiolidès; et il engendra Glaukos, et Glaukos engendra l'irréprochable Bellérophontès, à qui les dieux donnèrent la beauté et la vigueur charmante. Mais Proitos, qui était le plus puissant des Argiens, car Zeus les avait soumis à son sceptre, eut contre lui de mauvaises pensées et le chassa de son peuple. Car la femme de Proitos, la divine Antéia, désira ardemment s'unir au fils de Glaukos par un amour secret; mais elle ne persuada point le sage et prudent Bellérophontès; et, pleine de mensonge, elle parla ainsi au roi Proitos:
— Meurs, Proitos, ou tue Bellérophontès qui, par violence, a voulu s'unir d'amour à moi.
Elle parla ainsi, et, à ces paroles, la colère saisit le roi. Et il ne tua point Bellérophontès, redoutant pieusement ce meurtre dans son esprit; mais il l'envoya en Lykiè avec des tablettes où il avait tracé des signes de mort, afin qu'il les remît à son beau-père et que celui-ci le tuât. Et Bellérophontès alla en Lykiè sous les heureux auspices des dieux. Et quand il y fut arrivé, sur les bords du rapide Xanthos, le roi de la grande Lykiè le reçut avec honneur, lui fut hospitalier pendant neuf jours et sacrifia neuf boeufs. Mais quand Eôs aux doigts rosés reparut pour la dixième fois, alors il l'interrogea et demanda à voir les signes envoyés par son gendre Proitos. Et, quand il les eut vus, il lui ordonna d'abord de tuer l'indomptable Khimaira. Celle-ci était née des dieux et non des hommes, lion par devant, dragon par l'arrière, et chèvre par le milieu du corps. Et elle soufflait des flammes violentes. Mais il la tua, s'étant fié aux prodiges des dieux. Puis, il combattit les Solymes illustres, et il disait avoir entrepris là le plus rude combat des guerriers. Enfin il tua les Amazones viriles. Comme il revenait, le roi lui tendit un piège rusé, ayant choisi et placé en embuscade les plus braves guerriers de la grande Lykiè. Mais nul d'entre eux ne revit sa demeure, car l'irréprochable Bellérophontès les tua tous. Et le roi connut alors que cet homme était de la race illustre d'un dieu, et il le retint et lui donna sa fille et la moitié de sa domination royale. Et les Lykiens lui choisirent un domaine, le meilleur de tous, plein d'arbres et de champs, afin qu'il le cultivât. Et sa femme donna trois enfants au brave Bellérophontès: Isandros, Hippolokhos et Laodaméia. Et le sage Zeus s'unit à Laodaméia, et elle enfanta le divin Sarpèdôn couvert d'airain. Mais quand Bellérophontès fut en haine aux dieux, il errait seul dans le désert d'Alèios. Arès insatiable de guerre tua son fils Isandros, tandis que celui-ci combattait les illustres Solymes. Artémis aux rênes d'or, irritée, tua Laodaméia; et Hippolokhos m'a engendré, et je dis que je suis né de lui. Et il m'a envoyé à Troiè, m'ordonnant d'être le premier parmi les plus braves, afin de ne point déshonorer la génération de mes pères qui ont habité Éphyrè et la grande Lykiè. Je me glorifie d'être de cette race et de ce sang.
Il parla ainsi, et Diomèdès brave au combat fut joyeux, et il enfonça sa lance dans la terre nourricière, et il dit avec bienveillance au prince des peuples:
— Tu es certainement mon ancien hôte paternel. Autrefois, le noble Oineus reçut pendant vingt jours dans ses demeures hospitalières l'irréprochable Bellérophontès. Et ils se firent de beaux présents. Oineus donna un splendide ceinturon de pourpre, et Bellérophontès donna une coupe d'or très creuse que j'ai laissée, en partant, dans mes demeures. Je ne me souviens point de Tydeus, car il me laissa tout petit quand l'armée des Akhaiens périt devant Thèbè. C'est pourquoi je suis un ami pour toi dans Argos, et tu seras le mien en Lykiè quand j'irai vers ce peuple. Évitons nos lances, même dans la mêlée. J'ai à tuer assez d'autres Troiens illustres et d'alliés, soit qu'un dieu me les amène, soit que je les atteigne, et toi assez d'Akhaiens, si tu le peux. Echangeons nos armes, afin que tous sachent que nous sommes des hôtes paternels.
Ayant ainsi parlé tous deux, ils descendirent de leurs chars et se serrèrent la main et échangèrent leur foi. Mais le Kronide Zeus troubla l'esprit de Glaukos qui donna au Tydéide Diomèdès des armes d'or du prix de cent boeufs pour des armes d'airain du prix de neuf boeufs.
Dès que Hektôr fut arrivé aux portes Skaies et au hêtre, toutes les femmes et toutes les filles des Troiens couraient autour de lui, s'inquiétant de leurs fils, de leurs frères, de leurs concitoyens et de leurs maris. Et il leur ordonna de supplier toutes ensemble les dieux, un grand deuil étant réservé à beaucoup d'entre elles. Et quand il fut parvenu à la belle demeure de Priamos aux portiques éclatants, — et là s'élevaient cinquante chambres nuptiales de pierre polie, construites les unes auprès des autres, où couchaient les fils de Priamos avec leurs femmes légitimes; et, en face, dans la cour, étaient douze hautes chambres nuptiales de pierre polie, construites les unes auprès des autres, où couchaient les gendres de Priamos avec leurs femmes chastes, — sa mère vénérable vint au-devant de lui, comme elle allait chez Laodikè, la plus belle de ses filles, et elle lui prit la main et parla ainsi:
— Enfant, pourquoi as-tu quitté la rude bataille? Les fils odieux des Akhaiens nous pressent sans doute et combattent autour de la ville, et tu es venu tendre les mains vers Zeus, dans la citadelle? Attends un peu, et je t'apporterai un vin mielleux afin que tu en fasses des libations au père Zeus et aux autres immortels, et que tu sois ranimé, en ayant bu; car le vin augmente la force du guerrier fatigué; et ta fatigue a été grande, tandis que tu défendais tes concitoyens.
Et le grand Hektôr au casque mouvant lui répondit:
— Ne m'apporte pas un vin mielleux, mère vénérable, de peur que tu m'affaiblisses et que je perde force et courage. Je craindrais de faire des libations de vin pur à Zeus avec des mains souillées, car il n'est point permis, plein de sang et de poussière, d'implorer le Krôniôn qui amasse les nuées. Donc, porte des parfums et réunis les femmes âgées dans le temple d'Athènè dévastatrice; et dépose sur les genoux d'Athènè à la belle chevelure le péplos le plus riche et le plus grand qui soit dans ta demeure, et celui que tu aimes le plus; et promets de sacrifier dans son temple douze génisses d'un an, encore indomptées, si elle prend pitié de la ville et des femmes Troiennes et de leurs enfants, et si elle détourne de la sainte Ilios le fils de Tydeus, le féroce guerrier qui répand le plus de terreur. Va donc au temple d'Athènè dévastatrice, et moi, j'irai vers Pâris, afin de l'appeler, si pourtant il veut entendre ma voix. Plût aux dieux que la terre s'ouvrît sous lui! car l'Olympien l'a certainement nourri pour la ruine entière des Troiens, du magnanime Priamos et de ses fils. Si je le voyais descendre chez Aidès, mon âme serait délivrée de ses amères douleurs.
Il parla ainsi, et Hékabè se rendit à sa demeure et commanda aux servantes; et celles-ci, par la ville, réunirent les femmes âgées. Puis Hékabè entra dans sa chambre nuptiale parfumée où étaient des péplos diversement peints, ouvrage des femmes Sidoniennes que le divin Alexandros avait ramenées de Sidôn, dans sa navigation sur la haute mer par où il avait conduit Hélènè née d'un père divin. Et, pour l'offrir à Athènè, Hékabè en prit un, le plus beau, le plus varié et le plus grand; et il brillait comme une étoile et il était placé le dernier. Et elle se mit en marche, et les femmes âgées la suivaient.
Et quand elles furent arrivées dans le temple d'Athènè, Théanô aux belles joues, fille de Kissèis, femme du dompteur de chevaux Antènôr, leur ouvrit les portes, car les Troiens l'avaient faite prêtresse d'Athènè. Et toutes, avec un gémissement, tendirent les mains vers Athènè. Et Théanô aux belles joues, ayant reçu le péplos, le déposa sur les genoux d'Athènè à la belle chevelure, et, en le lui vouant, elle priait la fille du grand Zeus:
— Vénérable Athènè, gardienne de la ville, très divine déesse, brise la lance de Diomèdès, et fais-le tomber lui-même devant les portes Skaies, afin que nous te sacrifiions dans ton temple douze génisses d'un an, encore indomptées, si tu prends pitié de la ville, des femmes Troiennes et de leurs enfants.
Elle parla ainsi dans son voeu, et elles suppliaient ainsi la fille du grand Zeus; mais Pallas Athènè les refusa.
Et Hektôr gagna les belles demeures d'Alexandros, que celui-ci avait construites lui-même à l'aide des meilleurs ouvriers de la riche Troiè. Et ils avaient construit une chambre nuptiale, une maison et une cour, auprès des demeures de Priamos et de Hektôr, au sommet de la citadelle. Ce fut là que Hektôr, cher à Zeus, entra. Et il tenait à la main une lance haute de dix coudées; et une pointe d'airain étincelait à l'extrémité de la lance, fixée par un anneau d'or. Et, dans la chambre nuptiale, il trouva Alexandros qui s'occupait de ses belles armes, polissant son bouclier, sa cuirasse et ses arcs recourbés. Et l'Argienne Hélénè était assise au milieu de ses femmes, dirigeant leurs beaux travaux.
Et Hektôr, ayant regardé Pâris, lui dit ces paroles outrageantes:
— Misérable! la colère que tu as ressentie n'était point bonne. Nos troupes périssent autour de la ville, sous les hautes murailles. Grâce à toi, les clameurs de la guerre montent avec fureur autour de cette ville, et tu blâmerais toi-même celui que tu verrais s'éloigner de la rude bataille. Lève-toi donc, si tu ne veux voir la ville consumée bientôt par la flamme ardente.
Et le divin Alexandros lui répondit:
— Hektôr, puisque tu ne m'as point blâmé avec violence, mais dans la juste mesure, je te répondrai. Je ne restais point dans ma chambre nuptiale par colère ou par indignation contre les Troiens, mais pour me livrer à la douleur. Maintenant que mon épouse me conseille par de douces paroles de retourner au combat, je crois, comme elle, que cela est pour le mieux. La victoire exauce tour à tour les guerriers. Mais attends que je revête mes armes belliqueuses, ou précède-moi, je vais te suivre.
Il parla ainsi, et Hektôr ne lui répondit rien; et Hélénè dit à
Hektôr ces douces paroles:
— Mon frère, frère d'une misérable chienne de malheur, et horrible! Plût aux dieux qu'au jour même où ma mère m'enfanta un furieux souffle de vent m'eût emportée sur une montagne ou abîmée dans la mer tumultueuse, et que l'onde m'eût engloutie, avant que ces choses fussent arrivées! Mais, puisque les dieux avaient résolu ces maux, je voudrais être la femme d'un meilleur guerrier, et qui souffrît au moins de l'indignation et des exécrations des hommes. Mais celui-ci n'a point un coeur inébranlable, et il ne l'aura jamais, et je pense qu'il en portera bientôt la peine. Viens, mon frère, entre et prends ce siège, car ton âme est pleine d'un lourd souci, grâce à moi, chienne que je suis, et grâce au crime d'Alexandros. Zeus nous a fait à tous deux une mauvaise destinée, afin que nous soyons célèbres par là chez les hommes qui naîtront dans l'avenir.
Et le grand Hektôr au casque mouvant lui répondit:
— Ne me fais point asseoir, Hélénè, bien que tu m'aimes, car tu ne me persuaderas point. Mon coeur est plein du désir de secourir les Troiens qui regrettent vivement mon absence. Mais excite Pâris, et qu'il se hâte de me suivre, tandis que je serai encore dans la ville. Je vais, dans ma demeure, revoir mes serviteurs, ma femme bien-aimée et mon petit enfant. Je ne sais s'il me sera permis de les revoir jamais plus, ou si les dieux me dompteront par les mains des Akhaiens.
Ayant ainsi parlé, Hektôr au casque mouvant sortit et parvint bientôt à ses demeures, et il n'y trouva point Andromakhè aux bras blancs, car elle était sortie avec son fils et une servante au beau péplos, et elle se tenait sur la tour, pleurant et gémissant. Hektôr, n'ayant point trouvé dans ses demeures sa femme irréprochable, s'arrêta sur le seuil et parla ainsi aux servantes:
— Venez, servantes, et dites-moi la vérité. Où est allée, hors des demeures, Andromakhè aux bras blancs? Est-ce chez mes soeurs, ou chez mes belles-soeurs au beau péplos, ou dans le temple d'Athènè avec les autres Troiennes qui apaisent la puissante déesse à la belle chevelure?
Et la vigilante intendante lui répondit:
— Hektôr, puisque tu veux que nous disions la vérité, elle n'est point allée chez tes soeurs, ni chez tes belles-soeurs au beau péplos, ni dans le temple d'Athènè avec les autres Troiennes qui apaisent la puissante déesse à la belle chevelure; mais elle est au faîte de la vaste tour d'Ilios, ayant appris une grande victoire des Akhaiens sur les Troiens. Et, pleine d'égarement, elle s'est hâtée de courir aux murailles, et la nourrice, auprès d'elle, portait l'enfant.
Et la femme intendante parla ainsi. Hektôr, étant sorti de ses demeures, reprit son chemin à travers les rues magnifiquement construites et populeuses, et, traversant la grande ville, il arriva aux portes Skaies par où il devait sortir dans la plaine. Et sa femme, qui lui apporta une riche dot, accourut au-devant de lui, Andromakhè, fille du magnanime Êétiôn qui habita sous le Plakos couvert de forêts, dans Thèbè Hypoplakienne, et qui commanda aux Kilikiens. Et sa fille était la femme de Hektôr au casque d'airain. Et quand elle vint au-devant de lui, une servante l'accompagnait qui portait sur le sein son jeune fils, petit enfant encore, le Hektoréide bien-aimé, semblable à une belle étoile. Hektôr le nommait Skamandrios, mais les autres Troiens Astyanax, parce que Hektôr seul protégeait Troiè. Et il sourit en regardant son fils en silence; mais Andromakhè, se tenant auprès de lui en pleurant, prit sa main et lui parla ainsi:
— Malheureux, ton courage te perdra; et tu n'as pitié ni de ton fils enfant, ni de moi, misérable, qui serai bientôt ta veuve, car les Akhaiens te tueront en se ruant tous contre toi. Il vaudrait mieux pour moi, après t'avoir perdu, subir la sépulture, car rien ne me consolera quand tu auras accompli ta destinée, et il ne me restera que mes douleurs. Je n'ai plus ni mon père ni ma mère vénérable. Le divin Akhilleus tua mon père, quand il saccagea la ville populeuse des Kilikiens, Thèbè aux portes hautes. Il tua Êétiôn, mais il ne le dépouilla point, par un respect pieux. Il le brûla avec ses belles armes et il lui éleva un tombeau, et les nymphes orestiades, filles de Zeus tempétueux, plantèrent des ormes autour. J'avais sept frères dans nos demeures; et tous descendirent en un jour chez Aidès, car le divin Akhilleus aux pieds rapides les tua tous, auprès de leurs boeufs aux pieds lents et de leurs blanches brebis. Et il emmena, avec les autres dépouilles, ma mère qui régnait sous le Plakos planté d'arbres, et il l'affranchit bientôt pour une grande rançon; mais Artémis qui se réjouit de ses flèches la perça dans nos demeures. Hektôr! Tu es pour moi un père, une mère vénérable, un frère et un époux plein de jeunesse! Aie pitié! Reste sur cette tour; ne fais point ton fils orphelin et ta femme veuve. Réunis l'armée auprès de ce figuier sauvage où l'accès de la ville est le plus facile. Déjà, trois fois, les plus courageux des Akhaiens ont tenté cet assaut, les deux Aias, l'illustre Idoméneus, les Atréides et le brave fils de Tydeus, soit par le conseil d'un divinateur, soit par le seul élan de leur courage.
Et le grand Hektôr au casque mouvant lui répondit:
— Certes, femme, ces inquiétudes me possèdent aussi, mais je redouterais cruellement les Troiens et les Troiennes aux longs péplos traînants, si, comme un lâche, je fuyais le combat. Et mon coeur ne me pousse point à fuir, car j'ai appris à être toujours audacieux et à combattre, parmi les premiers, pour la gloire de mon père et pour la mienne. Je sais, dans mon esprit et dans mon coeur, qu'un jour viendra où la sainte Troiè périra, et Priamos, et le brave peuple de Priamos. Mais ni le malheur futur des Troiens ni celui de Hékabè elle-même, du roi Priamos et de mes frères courageux qui tomberont en foule sous les guerriers ennemis, ne m'afflige autant que le tien, quand un Akhaien cuirassé d'airain te ravira la liberté et t'emmènera pleurante! Et tu tisseras la toile de l'étranger, et tu porteras de force l'eau de Messèis et de Hypéréiè, car la dure nécessité le voudra. Et, sans doute, quelqu'un dira, te voyant répandre des larmes: — Celle-ci est la femme de Hektôr qui était le plus brave des Troiens dompteurs de chevaux quand il combattait autour de Troiè.’ — Quelqu'un dira cela, et tu seras déchirée d'une grande douleur, en songeant à cet époux que tu auras perdu, et qui, seul, pourrait finir ta servitude. Mais que la lourde terre me recouvre mort, avant que j'entende tes cris et que je te voie arracher d'ici!
Ayant ainsi parlé, l'illustre Hektôr tendit les mains vers son fils, mais l'enfant se rejeta en arrière dans le sein de la nourrice à la belle ceinture, épouvanté à l'aspect de son père bien-aimé, et de l'airain et de la queue de cheval qui s'agitait terriblement sur le cône du casque. Et le père bien-aimé sourit et la mère vénérable aussi. Et l'illustre Hektôr ôta son casque et le déposa resplendissant sur la terre. Et il baisa son fils bien- aimé, et, le berçant dans ses bras, il supplia Zeus et les autres dieux:
— Zeus, et vous, dieux, faites que mon fils s'illustre comme moi parmi les Troiens, qu'il soit plein de force et qu'il règne puissamment dans Troiè! Qu'on dise un jour, le voyant revenir du combat: Celui-ci est plus brave que son père! Qu'ayant tué le guerrier ennemi, il rapporte de sanglantes dépouilles, et que le coeur de sa mère en soit réjoui!
Ayant ainsi parlé, il déposa son enfant entre les bras de sa femme bien-aimée, qui le reçut sur son sein parfumé, en pleurant et en souriant; et le guerrier, voyant cela, la caressa de la main et lui dit:
— Malheureuse, ne te désespère point à cause de moi. Aucun guerrier ne m'enverra chez Aidès contre ma destinée, et nul homme vivant ne peut fuir sa destinée, lâche ou brave. Mais retourne dans tes demeures, prends soin de tes travaux, de la toile et de la quenouille, et mets tes servantes à leur tâche. Le souci de la guerre appartient à tous les guerriers qui sont nés dans Ilios, et surtout à moi.
Ayant ainsi parlé, l'illustre Hektôr reprit son casque à flottante queue de cheval. Et l'épouse bien-aimée retourna vers ses demeures, regardant en arrière et versant des larmes. Et aussitôt qu'elle fut arrivée aux demeures du tueur d'hommes Hektôr, elle y trouva ses nombreuses servantes en proie à une grande douleur. Et celles-ci pleuraient, dans ses demeures, Hektôr encore vivant, ne pensant pas qu'il revînt jamais plus du combat, ayant échappé aux mains guerrières des Akhaiens.
Et Pâris ne s'attardait point dans ses hautes demeures mais, ayant revêtu ses armes excellentes, d'un airain varié, il parcourait la ville, de ses pieds rapides, tel qu'un étalon qui, longtemps nourri d'orge à la crèche, ses liens étant rompus, court dans la plaine en frappant la terre et saute dans le fleuve au beau cours où il a coutume de se baigner. Et il redresse la tête, et ses crins flottent épars sur ses épaules, et, fier de sa beauté, ses jarrets le portent d'un trait aux lieux où paissent les chevaux. Ainsi Pâris Priamide, sous ses armes éclatantes comme l'éclair, descendait de la hauteur de Pergamos; et ses pieds rapides le portaient; et voici qu'il rencontra le divin Hektôr, son frère, comme celui-ci quittait le lieu où il s'était entretenu avec Andromakhè.
Et, le premier, le roi Alexandros lui dit:
— Frère vénéré, sans doute je t'ai retardé et je ne suis point venu promptement comme tu me l'avais ordonné.
Hektôr au casque mouvant lui répondit:
— Ami, aucun guerrier, avec équité, ne peut te blâmer dans le combat, car tu es brave; mais tu te lasses vite, et tu refuses alors de combattre, et mon coeur est attristé par les outrages que t'adressent les Troiens qui subissent tant de maux à cause de toi. Mais, allons! et nous apaiserons ces ressentiments, si Zeus nous donne d'offrir un jour, dans nos demeures, un libre kratère aux dieux ouraniens qui vivent toujours, après avoir chassé loin de Troiè les Akhaiens aux belles knèmides.
Chant 7
Ayant ainsi parlé, l'illustre Hektôr sortit des portes, et son frère Alexandros l'accompagnait, et tous deux, dans leur coeur, étaient pleins du désir de combattre. Comme un dieu envoie un vent propice aux matelots suppliants qui se sont épuisés à battre la mer de leurs avirons polis, de sorte que leurs membres sont rompus de fatigue, de même les Priamides apparurent aux Troiens qui les désiraient.
Et aussitôt Alexandros tua le fils du roi Arèithoos, Ménèsthios, qui habitait dans Arnè, et que Arèithoos qui combattait avec une massue engendra de Philomédousa aux yeux de boeuf. Et Hektôr tua, de sa pique aiguë, Eionèos; et l'airain le frappa au cou, sous le casque, et brisa ses forces. Et Glaukos, fils de Hippolokhos, chef des Lykiens, blessa, de sa pique, entre les épaules, au milieu de la mêlée, Iphinoos Dexiade qui sautait sur ses chevaux rapides. Et il tomba sur la terre, et ses forces furent brisées.