L'oeuvre du divin Arétin, deuxième partie: Essai de bibliographie arétinesque par Guillaume Apollinaire
The Project Gutenberg eBook of L'oeuvre du divin Arétin, deuxième partie
Title: L'oeuvre du divin Arétin, deuxième partie
Author: Pietro Aretino
Editor: Guillaume Apollinaire
Release date: September 27, 2013 [eBook #43822]
Most recently updated: October 23, 2024
Language: French
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L'ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN
=Il a été tiré de cet ouvrage=
10 exemplaires sur Japon Impérial
======== (1 à 10) ========
25 exemplaires sur papier d'Arches
======== (11 à 35) ========
Droits de reproduction réservés pour tous pays, y compris la Suède, la Norvège et le Danemark.
Petrus Aretinus.
Un portrait de Pierre Arétin, peu connu et sa signature autographe.
LES MAITRES DE L'AMOUR
L'ŒUVRE
DU
DIVIN ARÉTIN
DEUXIÈME PARTIE
Les Ragionamenti
L'Éducation de la Pippa.—Les Roueries des Hommes
La Ruffianerie
ESSAI DE BIBLIOGRAPHIE ARÉTINESQUE
PAR
Guillaume APOLLINAIRE
Ouvrage orné d'un portrait hors texte
PARIS
BIBLIOTHÈQUE DES CURIEUX
4, RUE DE FURSTENBERG, 4
MCMX
ESSAI DE BIBLIOGRAPHIE ARÉTINESQUE
L'Arétin a laissé une œuvre importante dont les éditions en italien sont très nombreuses. La bibliographie de ces ouvrages n'a encore été ébauchée que par Brunet, par Graesse, etc. On espère que l'essai que voici pourra, tout imparfait qu'il soit, rendre quelques services.
L'Arétin fut précoce, et au titre de l'œuvre mentionnée ci-après, la première sans doute qu'il ait publiée, il est qualifié de «jeune homme très fécond».
Opera nova del fecundissimo giovene Pietro Aretino zoé strambotti, sonetti, capitoli, epistole, barzelelle e una desperata.
Et à la fin:
Impresso in Venezia per Nicolo Zopino nel MCCCCCXI a di XXII di Zenaro.
Ce livre, découvert par M. d'Ancona, à la Marciana, fut publié quand l'Arétin avait 19 ans et qu'il était étudiant à Pérouse.
LES SONNETS LUXURIEUX
Les Sonnetti lussuriosi de l'Arétin ont été composés pour interpréter des gravures de Marc-Antoine Raimondi d'après des dessins de Jules Romain.
On n'a aucune idée de ces gravures, dont il n'existe aucun exemplaire. Des fragments ont été, il est vrai, signalés çà et là, mais jamais leur authenticité ne fut absolument certaine. Nul doute cependant qu'elles n'aient existé, mais elles ont été poursuivies et détruites avec tant d'acharnement qu'elles paraissent aujourd'hui définitivement perdues.
Ces estampes ont paru dans les sonnets de l'Arétin. D'autre part, un curieux passage d'Ebert (Beschreibung der Kœnigl. Biblioth. zu Dresden) semble indiquer l'existence d'une édition originale comprenant les sonnets et les gravures. Le fait est possible et non pas avéré.
D'après Ebert, la Bibliothèque royale de Dresde aurait possédé jusqu'en 1781 un exemplaire des Sonnetti lussuriosi avec des dessins de Jules Romain (Graesse, qui cite Ebert, donne aux termes dessins le sens de gravures d'après les dessins).
Mais le gouvernement fit retirer l'ouvrage, qui fut détruit. M. Canzler, bibliothécaire, put cependant copier les sonnets. Était-ce un manuscrit ou un imprimé? S'agit-il des dessins originaux de Jules Romain ou des estampes de Marc-Antoine? S'agit-il simplement, ce qui est probable, d'un tout autre livre? On ne sait, et personne, que je sache, n'a même vu si les sonnets copiés par M. Canzler sont bien les Sonnetti lussuriosi.
Il semble démontré que les Sonnetti n'ont pas été gravés au bas des planches de Marc-Antoine, ni même imprimés en Italie du vivant de l'Arétin.
La première mention qui ait été faite des
Sonnetti lussuriosi
comme d'un livre imprimé parut dans les Memoriae historico-criticae librorum rariorum d'Auguste Beyer. (Dresde et Leipzig, 1734, in-8.) Il y est dit que ce petit livre, in-12 (s. l. n. d.), contient 23 ff.; dont le recto seul est imprimé. L'ouvrage ne contient qu'une gravure qui est libre et sert de frontispice.
Corona de i Cazzi cioé Sonnetti lussuriosi di Messer Pietro Aretino.
In-16, s. l. n. d., figurant au catalogue de Boze. De Bure rapporte:
«On croit communément que ce savant ne l'a jamais eue en sa possession et ne l'avait annoncée dans son catalogue que sur l'espérance qu'il avait de se la procurer un jour...»
«...Cependant, remarque Bonneau, le livre est marqué comme relié en maroquin rouge et coté 1,000 francs, ce qui serait bien singulier s'il était tout à fait imaginaire; une autre raison qui nous incline à croire que les sonnets ont pu porter ce titre de Corona de i Cazzi, c'est le titre qu'on leur a donné en les réimprimant dans le «Recueil du Cosmopolite» (1735, in-8). Ce recueil, exclusivement composé de pièces françaises à l'exception des Sonnetti, des Dubbi amorosi et du Capitolo del Forno, de Mgr della Casa, a été, chacun le sait, imprimé en France; éditeurs, typographes et correcteurs, tous ceux qui ont concouru à son exécution ignoraient complètement l'italien, comme il n'appert que trop du nombre considérable de mots qui sont estropiés, notamment en prenant presque toujours les s longues pour des f, et réciproquement. Ils ont dû se borner à copier de leur mieux un vieux livre qu'ils avaient entre les mains. Dans ce Recueil, les Sonnets sont intitulés: Corona di Cazzi; Sonnetti (sic) Divi Aretini: Corona di Cazzi est évidemment le titre copié sur l'imprimé, et qu'on n'a pas inventé; Sonnetti Divi Aretini, au lieu de Sonnetti del divino Aretino, qu'il faudrait en italien, est un sous-titre de mauvais latin imaginé par l'éditeur qui a cru bien faire. A cela s'est bornée, sans aucun doute, son intervention, et nous tenons là, exempte de toute retouche, une reproduction exacte d'une des plus anciennes éditions, un texte d'une antiquité certifiée par son orthographe archaïque du xvie siècle.»
Bonneau se trompe, on ne dit pas dans le Cosmopolite: Sonnetti Divi Aretini, mais Divi Aretini Sonnetti.
Aretino Pietro Sonnetti lussuriosi, in Vinegia, 1556.
Pet. in-16 qui, d'après Charles Nodier (Description raisonnée d'une jolie collection de livres, Techener, 1884, in-8), paraît avoir été exécuté, en Suisse, dans le courant du xviiie siècle.
Ce livre se compose de 22 ff., dont le premier contient le titre et les autres un Sonnet imprimé au recto; le vingt et unième ne contient qu'un huitain. La marque du papier est un double aigle couronné.
Dubbii amorosi, di Aretino, altri dubbii e sonetti.
In-8, s. l. n. d.
Dubbii amorosi, altri Dubbii et Sonetti lussuriosi, di Pietro Aretino. Nella Stamperia del Forno, alla corona de cazzi.
Paris, chez Grangé, vers 1757, in-16 de 84 pp. Tous les exempl. sont tirés sur papier de Hollande. Dubbj amorosi Altri Dubbj e Sonetti lussuriosi di Pietro Aretino dedicati ad clero: in Parigi appresso Giacomo Girouard nella strada del fine del mondo.
Dubbii amorosi, altri dubbii e sonetti lussuriosi...
In-16 de 76 pp. sur pap. ord.
Sonetti lussuriosei (sic), di Messer Pietro Aretino. In Venezia l'anno MDCCLXXIX.
Cette édition, comme celle mentionnée et décrite par Nodier, contient 22 ff. aux versos blancs. Comme il y manque le Sonnet IVe, Alcide Bonneau pense, non sans raison, que ce sonnet omis par négligence manque aussi dans l'édition dont Nodier fait mention «et que toutes les deux sont, sauf cette lacune, la reproduction textuelle de l'exemplaire mentionné par A. Beyer, qui avait vingt-trois feuillets».
Dubbj amorosi altri dubbj e sonnetti lussuriosi di Pietro Aretino. Edizione pui d'ogni altra corretta. Prezzo 2 ff., in Roma, MDCCXCII, nella Stamperia Vaticana, con privilegio di sua santita.
In-18 (Paris, Girouard), 68 pp., 50 ex. sur pap. vélin et un ex. sur papier bleu.
Recueil de Pièces choisies rassemblées par les soins du Cosmopolite Anconne chez Vriel Bandant à l'enseigne de la Liberté, MDCCXXV.
Ce recueil, formé par le duc d'Aiguillon et imprimé par lui et chez lui, fut tiré à 12 exemplaires; il contient La Corona di Cazzi, Divi Aretini Sonnetti, où se trouve, et dans un ordre logique, le meilleur texte que l'on connaisse des sonnets d'Arétin.
Ce recueil a été imprimé plusieurs fois, notamment en 1835 (?), avec quelques différences dans le texte, mais insignifiantes, et en deux volumes chez Gay.
On a aussi tiré à part
La Corona di Cazzi et autres poésies italiennes extraites du Recueil du Cosmopolite, Leyde, 1864.
In-8 de v-99 pp. tiré à 70 ex., par Gay, imprimé à Bruxelles et paru dans cette ville en octobre 1865.
Les Sonnets luxurieux, du divin Pietro Aretino, Texte italien, le seul authentique, et traduction littérale par le traducteur des Ragionamenti, avec une notice sur les Sonnets luxurieux, l'époque de leur composition, les rapports de l'Arétin avec la Cour de Rome et sur les dessins de Jules Romain gravés par Marc Antoine. Imprimé à cent exemplaires pour Isidore Liseux et ses amis. Paris, 1882.
In-8, cxx pp. (faux titre, titre rouge et noir et notice), 79 pp. et une p. non chiffrée (table des matières).
La couverture porte: Musée secret du Bibliophile nº 2.
La traduction et l'introduction sont d'Alcide Bonneau. Tiré à 100 exemp. numérotés, plus quelques exemp. de passe numérotés 100 a, 100 b, etc. (Typ. A. H. Bécus.)
Les Sonnets luxurieux de l'Arétin (Sonnetti lussuriosi di Pietro Aretino), texte italien avec traduction française en regard (par Alcide Bonneau), précédée de la notice et des commentaires d'Isidore Liseux et publiés pour la première fois avec la suite complète des dessins de Jules Romain d'après des documents originaux. Paris, C. Hirsch, 1904.
In-4º oblong, xii-151 pp., pl. en noir et en couleurs; les exemp. ord. comportent 33 planches, un frontispice, 16 fac-similés d'un calque (ou soi-disant calque) des gravures de Marc Antoine d'après Jules Romain, 16 planches reproduisant les mêmes dessins retouchés et modernisés.
Il y a des exemplaires comportant en outre 16 planches reproduisant les mêmes dessins retouchés et modernisés en couleur. (On conserve à l'Enfer de la Bibliothèque nationale un exemplaire de cette dernière sorte.) Tiré à 300 exemp.
Cette édition est la même que celle de Liseux, elle comporte des dessins que je crois exécutés d'après la description des grav. de Marc Antoine donnée par Bonneau dans sa notice (elle n'est pas de Liseux, malgré ce qu'en pense l'éd. Hirsch). Il y a de plus une petite notice relatant la découverte en France des soi-disant calques.
Je crois qu'il y a une contrefaçon de l'éd. Hirsch sur format un peu plus petit.
LES RAGIONAMENTI
On comprend, sous le nom de Ragionamenti, les Dialogues putanesques divisés en deux parties et en six journées, et deux autres dialogues appelés respectivement le Dialogue des cours et le Dialogue du jeu que l'on a appelé aussi les Cartes parlantes; on a voulu faire de ces deux dialogues et du Zoppino une troisième partie des Dialogues putanesques ou Caprices d'Arétin. Mais le Dialogue des cours et le Dialogue du jeu sont des œuvres distinctes, qui n'ont rien à voir avec les fameux Caprices; quant au Zoppino, il paraît certain qu'on ne doit plus l'attribuer à l'Arétin. Le troisième dialogue a été traduit en espagnol par Francisco Xuarès: Coloquio de las Damas... 1607 (in-12) et d'après la trad. espagnole en latin: Pornodidascalus seu colloquium muliebre, par Gaspard Barth, 1660, in-8. Il y a une trad. française (du xvie siècle) où les interlocutrices sont nommées Laïs et Lamia. Il y a aussi une traduction latine-française par Bonneau des six dialogues, publiée par Liseux avant les traductions anglaise (Liseux) et allemande (Insel Verlag).
Ragionamento della Nanna e della Antonia fatto in Roma sotto una ficaia, composto dal divino Aretino per suo capricio a correttione de i tre stati delle donne.
A la fin:
Egli si e datto alle stampe di queste mese di aprile, MDXXXIIII, nella inclyta citta di Parigi.
In-8, 198 pp. et le f. de souscr. lettres italiques. Brunet la croit imprimée à Venise, malgré que l'édition soit datée de Paris, 1534.
Opera nova del divo et unico signor Pietro Aretino laqual scuopre les astutie; scelerita, frode, tradimenti, assassinamenti, inganni, truffarie, strigarie, calcagnarie robarie. Et la gran fintion et dolce paroline ch'usano le cortigiane a voi dir tapune, per ingannar hi semplici gioveni per la qual causa i poverelli per cio restano appesi come ucelli al vischio. E tal fin co vitupio et dishonor posti al basso co la borsa leggiera. Et chi questa opera leggera gli sera uno especchio el a potersi schiffar dalle lor inganatrice mani.
A la fin:
Napoli, 1535.
In-8, lettres rondes.
Le titre est impr. en rouge et noir dans une bordure gravée en bois. Le livre comprend 4 cahiers de 8 ff., sign. A.-D. C'est le troisième dialogue des Rag.
On cite une seconde édition.
Napoli, 1534.
In-8.
Et une troisième faite à Venise.
1535.
In-8.
Dialogo di M. Pietro Aretino, nel quale la Nanna il primo giorno insegna a la Pippa sua figliola a esser puttana; nel secondo gli conta i tradimenti che fanno gli huomini a le meschine che gli credono; nel terzo et ultimo la Nanna a la Pippa sedendo nel orto ascoltano la comare e la balia che ragionano de la ruffiana. Impressa in Turino, P.-M.-L., 1536.
In-8, sign. A.-T. Elle est imprimée avec les mêmes caract. que la précéd., c'est pourquoi Brunet la croit aussi impr. à Venise.
Il existe des exemplaires avec un nouveau front daté:
Vinegia, 1540.
Dialogo del divino P. Aretino, che scuopre le falsita, Rubatie, tradimenti e fatuchiarie, ch'usano le Corteggione per ingannare li simplici huomini che de loro s'innamorano. Entitolata la Nanna e Antonia, Parigi.
In-8, s. d., 144 ff., non chiff., sign. A.-S., rare, vol. attrib. par Elbert à une presse de Rome. Il contient la 3e journée de la 1re partie des Rag. et les trois journées de la 2e partie.
In-8, 78 ff., n. chif., let. ital., s. d.
Il y a deux réimpress.
Impr. nel, M. D., XXXViiij.
In-8, 126 pp.
MDXXXIX.
In-8, 55 ff., il y a des exemplaires sur papier bleu.
1541.
In-8, 56 ff.
Dialogo nel quale si parla del gioco, con moralita piagevole, Vigenia, per Giovanni, 1543.
In-8.
Dialogo nel quale si parla del gioco, con moralita piagevole, Vigenia, per Bartolomeo detto l'Imperador, 1544.
In-8, 127 ff.
Le carte parlenti, dialogo, Ven., per Bartol, detto l'Imperadore ad instanza di M. Gessa, 1544.
In-8, 127 ff. et 1 f. bl.
Le carte parlenti, dialogo di Partenio Etiro, Ven., 1560.
In-8.
La prima parte de Ragionamenti di M. Pietro Aretino... commento di ser Agresto da Ficaruolo sopra la prima ficata del Padre Siceo con la diceria de Nasi.
La seconda parte de Ragionamenti di M. Pietro Aretino... doppo le quali habbiamo aggiunto il piacevol ragionamento del Zeppino, composto da questo medesmo autore..., Stanpata nella nobil citta di Bengodi, 1584.
3 parties en 1 vol. in-8.
Le Commento di ser Agresto est d'Annibal Caro, le Padre Siceo est de Molza, le Zoppino, à mon avis, n'est pas d'Arétin, mais pourrait bien être de Francisco Delicado, prêtre espagnol, auteur de la Lozana Andaluza. Cf. mon introd. à l'Œuvre du divin Arétin (Bib. des Curieux, Paris, 1909).
Il existe quatre édit. différentes, savoir:
A) Part. I, 198 pp. Part. II, 339 pp. Commento di ser Agretso [sic], 198 pp. à 29 lignes.
Il existe une copie exacte, mais avec cette suscription au bas du second tome: MEDIC a ta re Labor, dont le chronogramme donne la date de 1649 et où la faute Agretso est corrigée. La table des Ragionamenti, indiquée au verso du titre général par un titre de 2 lignes, en a 3 dans la contrefaçon.
B) Tome I, 228 pp. Tome II, 401 pp. Commento di ser Agresto, 142 pp. de 28 l., caract. plus grands.
C) Tome I, p. 1-194. Tome II, p. 195-422.
D) Tome I, 6 ff. de préf., 219 pp. Tome II. 3 ff. de préf., 373 pp., entre les 2e et 3e tomes sont 2 ff. blancs. Tome III, 6 ff. de préf. et 116 pp.
La terza e ultima parte de Ragionamenti del diuino Aretino ne la quale si contengono, due raggionamenti cioé de le corti, e del Giuco, cosa morale e bella Veritas odium parit. Apresso Gio. Andr. del Melagrano, 1589.
In-8, 3 ff. préf., 202 ff. chiff. et 1 f. non chiff., les 66 prem. ff. contiennent le Rag. de le Corti. et les autres le Ragio del Gioco, avec un titre particulier. Raggionamento del divino Pietro Aretino ne quale si parla del gioco con moralita piacevole, M.D. XLXXIX [sic].
Le carte parlanti, dialogo di Partenio Etiro nel quale si tratta del gioco con moralita piacevole.... Venetia, per M. Ginammi, 1650.
In-8.
Cappricciosi et piacevoli ragionamenti di Pietro Aretino... nova editione, con certe postille, che spianano et dichiarano evidentemente i luoghi e le parole piú oscure e piú difficili dell'opera. La Puttana errante, overto dialogo di Madalena e Giulia, Cosmopoli, 1660.
In-8 (Amsterdam, Elzévir ou Leyde, Elzévier). Partie I, p. 1-174. Partie II, p. 175-418. Rag. del Zoppino, p. 419-451. Comm. di ser Agresto, p. 452-541. La Puttana errante, overo dialogo di Madalena e Giulia, 38 pp. Il y a des exemp. sans Puttana errante et d'autres avec une contrefaçon de 54 pp. contenant cette pièce en caractères plus gros.
Il y a à la même date une contrefaçon. La première éd. se distingue par la forme allongée de la lettre Z employée dans les notes marginales en caractère italique et par une variante de la 282e page où la dernière ligne de la note donne: la forza dell'espressione, tandis que la copie ajoute le mot crescere devant la forza.
Les Ragionamenti ou Dialogues du Divin Pietro Aretino. Texte italien et traduction complète par le traducteur des Dialogues de Luisa Sigea, avec une réduction du portrait de l'Arétin peint par le Titien et gravé par Marc-Antoine. Imprimé à cent exemplaires pour Isidore Liseux et ses amis. Paris, 1882.
6 vol. in-8 (Impr. Ch. Unsinger).
Tome I: xliii pp. (faux titre, titre rouge et noir, avant-propos, avertissement, «Le vieil imprimeur Barbagrigia» et «Pietro Aretino à son sapajou»), et 159 pp., contient la Vie des Religieuses.
Tome II: 175 pp., y compris le faux titre et le titre, contient la Vie des Femmes mariées.
Tome III: 2 ff. (faux titre et titre) et 194 pp., contient la Vie des Courtisanes.
Tome IV: xvii pp. (faux titre, titre et dédicace), 271 pp. et 1 f. n. ch. (nom de l'imprimeur), contient l'Éducation de la Pippa.
Tome V: 263 pp., y compris le faux titre et le titre, plus un carton pr. les pages 3-6 du tome I, contient les Roueries des Hommes.
Tome VI: 2 ff. (faux titre et titre), 286 pp. et 1 f. v. ch. (table des matières des six volumes et l'Achevé d'imprimer).
Tiré à 100 exemp. numérotés, plus quelques exemplaires de passe numérotés 100 a, 100 b, etc.
POÈMES PUTANESQUES
Les trois poèmes putanesques de l'Arétin ont été attribués par lui-même à Lorenzo Veniero, qui en prit la responsabilité. Les éditeurs ont plus tard attribué la Puttana errante et la Zaffetta à Maffeo Veniero, fils de Lorenzo. Pour la Tariffa on en a dénié la paternité et à l'Arétin et aux Veniero. Nous avons dit (L'œuvre du Divin Arétin, vol. I, introduction. Bib. des Curieux, Paris, 1909) les raisons qui permettent de restituer ces trois poèmes pleins de verve à l'Arétin. La Puttana errante est un poème en quatre chants qui n'a rien à voir avec l'insipide dialogue en prose qu'on a aussi intitulé la Puttana errante et que les éditeurs des Ragionamenti (Cosmopoli, 1660) ont inséré dans leur recueil. Ce dialogue n'est d'ailleurs aucunement d'Arétin.
La Puttana errante, di Maf. Ven.
In-8, 5 ff. n. ch., titre orné et portrait de Maffeo Veniero, quatre chants et deux sonnets dont le dernier est «Il divin Pietra Aretino à l'autore».
On croit qu'il y a une éd. de 1531 (Venise) et une de 1537, antérieures à celle que nous décrivons, mais on n'en cite point d'exemplaire. Le nom de Maf. Veniero est mis là parce qu'il est possible que cet ecclésiastique, fils de Lorenzo, se soit attribué ce poème dont ni lui ni son père n'était l'auteur. Au demeurant, Maffeo Veniero, qui fut archevêque de Corfou, composa dans sa jeunesse un certain nombre de poèmes burlesques dont la Strazzosa est d'un burlesque qui contient un lyrisme véritable. La Puttana errante aurait aussi paru à la suite des Poésies da Fuoco... Lucerna, 1651, in-12. Cette réimpression contiendrait, d'après de Bure, «quelques augmentations». L'éd. de 1531 contiendrait sept cahiers de signatures A.-G., chaque signature étant de huit feuillets, sauf la dernière qui en a six. La Puttana finit au second feuillet de la signature E, où commence La Zaffetta.
Titre en rouge et noir, xxiii-139 pp., 1 f. blanc, couv. imprimée. De la Nouvelle collection elzévirienne à 150 ex., numér. imp. Unsinger. Notice et trad. d'Alcide Bonneau.
La Zaffetta, di Maf. Ven.
16 ff. non chif., comprenant le titre orné, le port. de Maf. Ven. et le poème en caractère ital. (V. l'article sur la Puttana.)
La Zaffetta, Parigi, estamp. di Jouaust, 1861.
In-8 (xvi et 79 pp).
Cette éd., qui fait partie de la Racc. di rariss. opuscoli italiani, a été tirée à 100 ex. seulement, dont 90 sur pap. vergé et 10 sur pap. de Hollande.
Le trente et un de la Zaffetta, poème de Lorenzo Veniero, gentilhomme vénitien (xvie siècle), littéralement traduit, texte italien en regard. Paris, Isidore Liseux, éditeur, quai Malaquais, nº 5, 1883.
Titre rouge et noir, XV-79 pp., imp. Unsinger, couv. imprimée, notice et trad. d'Alcide Bonneau. Tirée à 150 exemp. numér.
Tariffa delle puttane overo ragionamento del forestiere e del gentil'huomo: nel quale si dinota il prezzo e la qualita di tutte le Cortegiane di Vinezia; col nome delle Ruffiane: et alcune novelle piacevoli da ridere fatte da alcune di queste famose signore a gli suoi amorosi (In terza rima).
A la fin:
Stampato nel nostro hemisphero l'anno 1535, messe di Agosto.
Pet. in-8 (19 ff.).
Livre rarissime dont on ne connaît que deux exemplaires. M. Deschamps le croit exécuté avec les caractères de Zoppino, à Venise.
La Tariffa delle Puttane di Venegia, xvie siècle, texte italien et trad. littérale. Paris, Isidore Liseux, éditeur, quai Malaquais, nº 5, 1883.
Titre rouge et noir, VIII-87 pp., couv. impr., imp. Unsinger. De la collection Elzévirienne à 150 ex. numér. Intr. et trad. d'Alcide Bonneau sur une copie de Tricofel. A la page 1 se trouve le titre entier: Tariffa delle Puttane overo Ragionamento del Forestiere e del gentilhuomo: ne quale si dinota il prezzo e la qualita di tutte le cortigiane di Venegia; col nome delle Ruffiane el alcune novelle fatte da alcune di queste famose signore agli suoi amorosi.
THÉÂTRE
Le théâtre d'Arétin est peut-être ce qui honore le plus son talent. Ses comédies sont parmi les meilleures qui aient été écrites en italien jusqu'à Goldoni, et son Orazia ou Tragédie d'Horace, la plus parfaite tragédie dont l'Italie puisse se vanter. Le bibliophile Jacob a publié une traduction de quatre comédies d'Arétin (Paris, Gosselin, 1845) et Bonneau (chez Liseux) a aussi donné des traductions de comédies arétinesques. Il reste à traduire l'Orazia et l'Hypocrite. Ajoutons qu'il y a du théâtre arétinien des éditions classiques modernes parues en italien et qui ne figurent pas dans cette bibliographie.
Il Marescalco..., comedia Venezia, Vitali, 1533.
In-4.
Il Marescalco..., 1534.
In-8 (s. l. ni n. d'imp.)
Il Marescalco..., comedia del Divino Pietro Aretino, stampata per Jo. Ant. Ant. Milano da Castelliono, 1535.
In-8.
Il Marescalco..., 1535.
In-8 (s. l.)
Il Marescalco..., Vinegia stampato per F. Marcolini, 1536.
In-8.
Il Marescalco..., Vin., Marcolini, 1536.
In-8.
Il Marescalco..., Ven., Marcolini, 1539.
In-8.
Il Marescalco..., Ven., Marcolini, 1542.
In-8.
Il Marescalco..., Ven., Bindoni, 1550.
In-8.
Il Marescalco..., Ven., Giolito, 1553.
In-8.
Il Marescalco..., 1588.
In-8, s. l. ni nom d'impr.
Cette comédie a été reproduite sous le titre de
Il cavallerizzo..., Vincenza, 1601.
In-12.
Elle a été publiée par Jac. Doronetti, qui l'attribue à Luigi Tansillo, en changeant le nom des personnages et en retranchant plusieurs passages trop libres.
Comedia intitolata, il Filosofo, Vinegia, Bern. de Vitali, 1533.
In-4.
Comedia intitolata, il Filosofo, Vinegia, Giolito, 1546.
In-8.
Comedia intitolata, il Filosofo..., 1549.
In-8.
Comedia intitolata, il Filosofo..., 1549.
Contrefaçon de l'éd. précédente faite à Brescia, en 1530, par Faust. Avogadro.
Cette comédie a été reproduite sous le titre
Il sofista..., Vicenza, 1601.
In-12.
Elle a été publiée par Jac. Doronetti, qui l'attribue à Luigi Tansillo, en changeant le nom des personnages et en retranchant plusieurs passages trop libres.
La Cortigiana..., comedia, Vinegia, Marcolini, 1534.
In-4.
La Cortigiana..., Ven., da Sabbio, 1534.
In-8.
La Cortigiana..., comedia di M. Pietro Aretino, ristampata novamente..., Vinegia, F. Marcolini, 1535.
In-8.
La Cortigiana..., 1537.
In-8, s. l.
La Cortigiana..., 1539.
In-8, s. l.
La Cortigiana..., Ven., Marcolini, 1542.
In-8.
La Cortigiana..., 1545.
In-8, s. l.
La Cortigiana..., Ven., 1545.
In-8.
La Cortigiana.... comedia di M. Pietro Aretino, ristampata novamente..., Vinegia, G. Giolito, 1550.
In-12.
La Cortigiana..., Ven., Gio Podoano.
In-8, s. d.
Cette comédie a été reproduite sous le titre de
Lo Sciocco..., Ven., 1604.
In-12.
Lo Sciocco..., Ven., 1625.
In-12.
Elle a été publiée par Franc. Buonafede, qui l'a mutilée et attribuée à Ces. Caporali.
L'Ippocrito..., comedia, Ven., Bindoni, 1540.
In-8.
L'Ippocrito..., Ven., Marcolini, 1542.
In-8.
Av. un portrait d'Arétin.
Cette comédie a été reproduite sous le titre
Il Finto..., Vincenza, 1601.
In-12.
Elle a été publiée par Jac. Doronetti, qui l'attribue à Luigi Tansillo, en changeant le nom des personnages et en retranchant plusieurs passages trop libres.
La Talanta, comedia, Ven., Marcolini, 1542.
In-8.
La Talanta, Ven., Giolito, 1553.
In-12.
Cette comédie a été reproduite sous le titre
La Ninetta..., Ven., 1604.
In-12.
Elle a été publiée par Franc. Buonafede, qui l'a mutilée et attribuée à Cés. Caporali.
Comédie, Vinetia Fr. Marcolini, 1542.
In-8 contenant: il Mariscalco, la Cortigiana, la Talanta et l'Ipocrito.
Quattro comédie... nouellamente ritornate, per mezzo della stampa, a luce, a richiesta de conoscitori di lor valore, 1560.
In-8 ou in-16, 8 ff. de prél. et 288 pp. de texte, y compris un titre particulier pour chaque pièce.
Quattro comedie del divino Pietro Aretino, cioé il Marescalco, la Cortegiana, la Talanta, l'Hipocrito, 1588.
In-8, s. l.
Les trois comédies intitulées il Filosofo, il Mariscalco et il Ipocrito ont été reproduites par Jac. Doronetti, qui les a attribuées à Luigi Tansillo, en changeant les titres (voir à l'art. consacré à chaque comédie), les noms des personnages et en supprimant certains passages libres. Elle parut d'abord séparément, en 1601, et ensemble.
... Vicenza, 1610.
... Fortunio...
Zeno, dans ses Letere, vol. VI, p. 401, assure que la comédie imprimée sous le nom de Vinc. Giusti et intitulée Fortunio appartient aussi à l'Arétin.
La Horatia, di messer Pietro Aretino, Vinegia, Giolito, 1546.
In-8.
La Horatia, di messer Pietro Aretino, Vinegia, Giolito, 1549.
In-12, 53 ff. chiffr.
La Orazia, tragedia di M. Pietro Aretino. Terza edizione tratta da quella rarissima di Vinegia appresso Gabriel Giolito, 1549 (publicata da A. G. C. Galletti) si aggiungono alcune sue letere ed altre illustrazioni. Firenze, L. Molini, 1855.
In-12.
POÈMES SÉRIEUX, CHEVALERESQUES, DE CIRCONSTANCE, DE STYLE
L'Arétin, qui écrivait beaucoup, a composé un grand nombre de poèmes sérieux, ou de circonstance, ou de style ou de chevalerie.
Il avait entrepris une œuvre chevaleresque dont les strophes se comptaient par dizaines de mille, mais il la détruisit.
Esortatione de la pace tra l'Imperadore e il Re di Francia, compositione di messer Pietro Aretino. In Roma per Lodovico Vicentino et Laurentio Perugino nel MDXXIII.
In-4, 14 ff., opuscule cité par Molini.
Canzon in Laude del Datario. Compositione del preclaro poeta misser Pietro Aretino.
A la fin:
Stampata in Roma da Lodovico Vincentino e Laurentio Perugino.
In-4, 4 ff., s. d., vers 1524, opuscule cité par Molini.
Il divino Pietro Aretino a la imperadore ne la morte del duca d'Urbino, Roma stamp. per A. Blado, 1539.
In-8.
Due primi canti d'Angelica, Vinegia, Bern. de Vitali.
In-4, s. d.
Delle lagrime d'Angelica di M. Pietro Aretino due primi canti, 1538.
In-8, s. l. ni nom d'imprimeur.
Delle lagrime d'Angelica..., Genoa per Ant. Bellono di Taurino, 1538.
In-8.
Delle lagrime d'Angelica..., Venezia, 1541.
In-8.
Delle lagrime d'Angelica..., 1543.
In-8, s. l. ni nom d'imprimeur.
Delle lagrime d'Angelica..., Venezia, 1545.
In-8.
Delle lagrime d'Angelica..., Venezia, 1556.
In-8.
La Sirena, Marfisa ed Angelica, tre poemetti di Etiro Partenio..., Venezia, M. Ginammi, 1630.
In-24. La Sirena est un petit poème à la louange d'Angela Serena. Il avait paru à Venise avec les Strumbotti cités ci-dessous.
Strumbotti alla Villanesca; Freneticati da la Quartana de l'Aretino, con le stanze de la Serena appresso in comparatione de gli stili, Venezia, Marcolini, 1544.
In-8. Imitation en langage rustique de la Beca de L. de Médicis et de la Nencia de L. Pulci.
... Marphisa...
1re édition publiée à l'insu de l'auteur et très incorrectement, à Ancône.
In-8. Avait aussi paru en 1530, à Venise, chez Ginammi, avec la Sirena et Angelica.
Al gran Marcheso del Vasto dui primi canti di Marphisa del divino Pietro Aretino.
In-4, s. l. n. d. (Venise, Vitati, vers 1535), lettres italiques. 36 ff., sign. A.-E. Le second feuillet du dernier cahier porte par erreur la signature E iii au lieu de E ii.
... dui primi canti di Marphisa...
In-4, s. l. n. d.
Tre primi canti di battaglia del Divino Pietro Aretino.
In-8, s. l. n. d., avec fig. grav. en bois, lettres italiques.
Réimpression des deux premiers chants de la Marfisa auxquels est venu s'ajouter un troisième.
Tre primi canti di battaglia del Divino Pietro Aretino nuovamente stampati e historiati, Venezia..., 1535.
In-8.
Tre primi canti di battaglia del Divino Pietro Aretino nuovamente stampati e historiati, Venezia, Zoppino, 1537.
In-8, avec fig. grav. en bois, sign. A.-G.
Tre primi canti di battaglia del Divino Aretino..., Venezia, Gio, Andrea Vanassore ditto Guaiagnino et Fiordo fratelli, 1544.
In-8, avec fig. en bois et le portrait d'Arétin sur le frontispice.
Cinque primi canti della guerra di Fiandra..., Vinegia, 1551.
In-8. Ces poèmes ont été réunis par Giroamo Maggi.
ECRITS SATIRIQUES OU BURLESQUES EN VERS ET EN PROSE.
Le Fléau des Princes a écrit moins de satires qu'on ne croit. Il a composé quelques parodies des poèmes chevaleresques si fort à la mode en son temps, quelques pasquinades, des pamphlets en vers et en prose, mais ces écrits n'ont plus aujourd'hui l'importance qu'ils pouvaient avoir à l'époque. L'Arétin a composé d'autres ouvrages qui sauveront sa mémoire...
Li dui primi Canti di Orlandino del Divino Messer Pietro Aretino.
In-8, s. l. n. d. A la fin: Stampato ne la stampa, pel maestro de la citta in caso e non di fuora, nel mille, vallo chercha.
L'Orlandino, canti due di messer Pietro Aretino, publicato de Gaetano Romagnoli (con una nota ni Giammaria Mazzuchelli tratta dalla vita di Pietro Aretino). Bologna, G. Romagnoli, 1868.
In-8.
Astoleide del divino Pietro Aretino opera delettevole da leggere, che contiene la vita e fatti de tutti li paladini di Francia...
In-8, s. l. n. d. n. nom d'impr. 20 ff. On ne connaît de cette parodie des poèmes chevaleresques que l'exemplaire de Paris conservé à la Bibliothèque nationale. Ce poème est inachevé.
Abattimento poetico del divino Aretino e del Bestiale albicante, occorso sopra la guerra di Piemonte, e la pace loro, celebrata nella academia degli Intronati a Siena.
In-4, s. d., 16 ff., avec 3 fig. en bois, au nombre desquelles le portrait de l'auteur. Le poèmes en octaves de Giov. Alberto Albicante, qui donna lieu à l'Abattimento, est intitulé Historia de la guerra del Piemonte. (Milan, 1538, in-4.)
Abattimento poetico del divino Aretino e del Bestiale Albicante occorso sopra la Guerra di Piemonte, e la pace loro, celebrata nella academia degli Intronati a Siena.
In-4, vers 1538, Milan, avec un portrait gravé en bois.
Combattimento poetico del divino Aretino et del bestiale Albicante, occorso sopra la guerra di Piemonte, et la pace loro, celebrata nella Academia degli Intronati a Siena, 1539.
In-8, s. l.
In-8, 55 ff. plus 1 f. non num. qui contient quelques vers ajouté dans un Capitolo.
Capitoli di S. Pietro Aretino di Ludovico Dolce, di M. Francesso Sansovino e d'altri acutissimi ingegni..., 1540.
In-8, s. l.
Capitoli di l'Aretino di Lod. Dolce, di Frans. Sansovino e d'altri acutissimi ingegni, 1540.
Capitoli di P. Aretino, di Lod. Dolce, di F. Sansovino e di altri acutissimi ingegni, 1541.
Capitoli di P. Aretino, di Lod. Dolce, di Fr. Sansovino e di altri acutissimi ingegni.
In-8, Florence, 1541.
Il Manganello...
In-12, s. l. n. d. (vers 1530), contenant des capitoli qui ont été attribués à plusieurs poètes, parmi lesquels l'Arétin, Dragoncino da Fano, etc. Il a été réimp. à Paris, en 1860, in-8, de 80 pp., tiré à 100 exempt. Hors commerce. Manganello signifie rouleau ou cylindre avec un sens obscène.
M. Francesco Trucchi a publié deux sonnets inédits d'Arétin dans le tome III des
Poesie italiane inedite di dugento autori Prato, 1847.
Pasquinate di Pietro Aretino ed anonime per il conclave e l'elezione di Adriano VI, publicate ed illustrate da Vittoria Rossi. Palermo-Torino, C. Clausen, 1891.
In-16.
Uno Pronostico satirico di Pietro Aretino (M.D.XXXIIII) edito ed illustrato da Alessandro Luzio, Bergamo, 1900.
Ce pamphlet politique, qui affecte la forme d'un de ces giudicii astrologiques fort en honneur à l'époque, a été publié par M. Luzio, d'après un manuscrit de la fin du xvie siècle, copié par un Allemand et conservé à Vienne, en Autriche. Il est possible qu'il y ait eu une édition ancienne de ce Prognostic, mais on n'en connaît aucun exemplaire. Voici le titre du pamphlet qui est dédié Alla Sacra Maesta Christanissima:
Pronostico dell' anno M.D.XXXIIII, composto da Pietro Aretino, Flagello dei Principi et quinto evangelista.
Cette dernière épithète est propre à éclairer la question du nom véritable de l'Arétin. (Cf. mon introduction à l'Œuvre du Divin Arétin, t. I, Bibliothèque des Curieux, Paris, 1909.)
ÉCRITS ÉDIFIANTS
Les ouvrages religieux de l'Arétin ont joui d'une grande vogue. Ils ne lui ont point valu ce chapeau de cardinal qu'il ambitionnait, mais ils ont certainement forcé les dévots à révérer un écrivain aussi édifiant. Il est vrai que le nom de Pietro Aretino paraissant trop peu recommandable, la plupart des réimpressions de ces pieuses élucubrations indiquent comme auteur l'anagramme Partenio Etiro. Ces ouvrages ont été traduits pour la plupart.
On indique quelques passages scabreux ou singuliers dans ces ouvrages, mais ils n'ont ni l'importance ni l'impiété qu'on leur attribue.
Il Genesi, di M. Pietro Aretino, con la visione di Noe nella quale vedi i misterii del testamento vecchio e del nuovo... Venetia, imp. per F. Marcolini, 1538.
In-8.
Il Genesi, di Pietro Aretino, con la visione di Noe ne la quale side i misterii del testamento vecchio et del nuovo, 1539.
In-8, s. l.
Il Genesi, di Pietro Aretino..., 1541.
Il Genesi, di M. Pietro Aretino..., Vinegia, 1541.
In-8.
Il Genesi, con la visione de Noe ne la quale side i misterii del testamento vecchio e del nuovo, Venezia, 1545.
In-8, avec un portrait d'Arétin.
Al Beatissimo Giulio Terzo, Papa..., Il genesi, l'humanita di Christo, e i salmi, opere di M. Pietro Aretino..., Vinegia, in casa de figlioli d'Aldo, 1551.
3 tomes en 1 vol. in-4, 4 ff. de prél., 80, 82 et 83 ff., et 1 f. pour le registre.
Dello specchio delle opere di Dio nello stata della natura libri tre, di Partenio Etiro, Venezia, 1528.
Pet. in-4.
Dello specchio delle opere di Dio nello stato della natura libri tre, di Partenio Etiro, Venezia, 1628.
In-16.
Dello specchio delle opere di Dio nello stato di natura libre tre, di Partenio Etiro, Venetia, M. Ginammi, 1629.
In-24.
Dello specchio delle opere di Dio nello stato di natura libre tre, di Partenio Etiro, Venetia..., 1635.
In-24.
L'Humanita di Christo, Vinegia... Nicolini, 1535.
In-8. Ne contient que trois livres au lieu de quatre.
I quattro libri de la Humanita di Christo..., novamente stampata, Vinegia, Fr. Marcolini, MDXXXIX.
In-8, 119 ff.
L'Humanita di Christo..., Vinegia..., 1545.
In-8.
Dell' Humanita del Figliuolo di Dio libri tre, di Partenio Etiro..., Venetia, M. Ginnami, 1628.
In-24.
Dell' Humanita del Figliuolo di Dio libri tre, di Partenio Etiro..., Venetia..., 1633.
In-24.
Dell' Humanita del Figliuolo di Dio libri tre, di Partenio Etiro..., Venetia..., 1645.
In-12.
La Passione de Giesu, con due canzoni, una alla vergine e l'altra al christianissimo.
In-4.
A la fin:
Ho fatto imprimere queste cose in Vinegia da Giouann' Antonio de Nicolini da Sabio, 1534, del mese di Giugno.
La Passione de Giesu, con due canzoni, una alla vergine e l'altra al christianissimo composte per messe Pietro Aretino..., Vinegia, ristampata per F. Marcolini, 1535.
Pet. in-4.
La Passione di Giesu, con due canzoni, un alla vergine e l'altra, al christianissimo ristampate nuovamente, Vinegia, Fr. Marcolini, 1536.
In-8, 9 cahiers signés A. J., chacun de 8 ff., à l'exception du dernier de 6 ff. finit par cette suscr.:
Per testimonio della bonta et della cortesia del divino Aretino, Francesco Marcolini da Forli ha ristampato in Vinegia la presente opera, del mese genaro, MDXXXVI.
La Passionne de Giesu..., Bologna..., 1535.
In-8.
La Passione de Giesu, composta per M. Pietro Aretino, Vinegia..., 1545.
In-8, 35 ff. chiffrés, et 1 f. pour le registre.
Gli sette salmi della penitentia., Venezia, 1534.
In-4.
Gli sette salmi della penitentia di David. impr. per composti per Pietro Aretino, Vinegia, impr. per Franc, Marcolini da Forli, 1536.
In-4.
Gli sette salmi della penitentia, Firenze Mazochi, 1537.
In-8.
Gli sette salmi della penitentia, Venezia, 1539.
In-4.
Gli sette salmi della penitentia, Vinegia.
In-12, sans indication d'année.
Gli sette salmi della penitentia.
S. l. n. d., in-8, avec le portrait d'Arétin gravé en bois, éd. qui paraît avoir été faite à Venise vers 1540, lettres ital., feuil. non chiffrés, sig. A.-F. par 8, ayant le dernier feuil. tout blanc.
Gli sette salmi della penitentia di David, 1545.
In-8, s. l.
Gli sette salmi della penitentia, Lione, 1548.
In-12.
Gli sette salmi della penitentia, Firenze, 1566.
In-8.
Gli sette salmi della penitentia, di Partenio Etiro, Venezia, 1627.
In-12.
Gli sette salmi della penitentia, di Partenio Etiro, Venezia, 1635.
In-16.
Gli sette salmi della penitentia, Lione, 1648.
In-12.
Parafrasi sopra i sette salmi della penitenza di David, di Partenio Etiro, Venetia, M. Ginammi, 1635.
In-24.
Aretino pentito, cioé parafrasi sovra i sette salmi della penitenza di Davide, di nuova correcto e ristampato, Lione, G. Barbier, 1648.
In-12.
La Vita di Catherina Vergine..., 1539.
In-8, Venise.
La Vita di Catherina Vergine, composta per M. Pietro Aretino, Vinegia, per F. Marcolino, 1540.
In-8.
La vita di Catherina Vergine, 1541.
In-8, s. l. Avec un portrait gravé en bois, 116 ff., lettre italiques. Cette édition est la même qui est citée dans le cat. de la Vallière, sous la date de Venise, 1540. La dédicace ayant été signée du 25 novembre 1540.
La vita di Catherina Vergine.
In-8, s. l. n. d.
La vita di Catherina Vergine.
In-8, s. l. n. d.
Vita di S. Catherina Vergine e martire, divisa in tre libri di Partenio Etiro..., Venetia, M. Ginammi, 1630.
In-24.
La vita di Maria Vergine, di messer Pietro Aretina, nuovamente correta e stampata con gratia e privilegio.
In-8, vers 1540. Avec un portrait gravé en bois, 148 ff., lettres italiques.
La vita di Maria Vergine, di messer Pietro Aretino, nuovamente correta e ristampata, 1545.
In-8, s. l.
La vita di Maria Vergine..., Venetia, G. de Farri e i fratelli.
In-8, s. d.
Vita di Maria Vergine, descritta in tre libri da Partenio Etiro..., Venetia, M. Ginammi, 1633.
In-24.
Vita di Maria Vergine, descritta in tre libri da Partenio Etiro..., Venetia, 1642.
In-12.
La Vita di san Tomaso, signor d'Aquino, opera di M. Pietro Aretino. In Venezia, per Giouanni de Furri e i fratelli ad istamtia de M. Biagio, 1543.
Pet. in-8 de 125 ff. ch., 1 f. pour les souscrip. et 1 f. blanc, caract. italiques, portr. d'Arétin.
Vita di san Tomaso d'Aquino, divisa en tre libri, di Partenio Etiro, Venetie, M. Giouanni, 1618.
In-24.
Vita di san Tomaso..., 1630.
In-24.
Vita di san Tomaso..., 1636.
In-24.
Alla somma bontá di Giulio III pontefice... La vita di Maria Vergine, di Caterina Santa et di Tomaso Aquinate, beato. Composition di M. Pietro Aretino del Monte eccelso divoto et per divina gracia huomo libero Vinegia in casa de' figlinoli d'Aldo, 1552.
In-4, 4 ff. de prél. y compris le titre et 1 f. blanc, 106, 76 et 70 ff. pour les trois vies, 1 f. blanc et 1 f. pour l'ancre.
RECUEILS ÉPISTOLAIRES
L'Arétin écrivait beaucoup de lettres et l'on en découvre souvent d'inédites. Toutes n'ont pas été réunies.
Delle lettre di M. Pietro Aretino. Libro primo... Venezia, impr. per Marcolini, 1537.
In-fol.
Delle lettre di M. Pietro Aretino, libro primo, ristampato nuovamente con giunta d'altre XXV. Venezia impr. per Fr. Marcolini, 1538.
Deux fois, in-fol.
Le lettre [sic] di M. Pietro Aretino, di nuovo impresse et corrette (Libro primo) Vinegia par N. d'Aristotele detto Zoppino, 1538.
In-8.
Le lettre di M. Pietro Aretino, di nuovo impresse et corette (libro primo)..., 1538.
In-8, s. l.
Le lettre di M. Pietro Aretino, di nuovo con la gionta ristampate o con somma diligenza ricorrette (libro primo) Venetia, per A. Fortis, 1539.
In-8.
De le lettre di M. Pietro Aretino libro primo... Venetia G. Padovano a spesa di Fed. Torresano d'Asola, 1539.
Éd. très rare qui se rattache à la collection Aldine.
Delle lettere di M. Pietro Aretino libro primo, 1542.
In-8.
De le lettere di M. Pietro Aretino. Libro secondo. Venezia Marcolini, 1538.
In-fol.
De le lettere di M. Pietro Aretino libro secondo. Venezia Marcolini, 1542.
De le lettere di M. Pietro Aretino, libro secondo, 1547.
De le lettere di M. Pietro Aretino libro secondo.
In-8, s. l., av. le port. d'Arétin.
De le lettere di M. Pietro Aretino libro secondo. Parigi, 1609.
In-8.
De le lettere di M. Pietro Aretino. Libro terzo. Venezia Giolito, 1546.
In-8.
De le lettere di M. Pietro Aretino, libro terzo. Parigi, 1609.
In-8.
De le lettere di M. Pietro Aretino. Libro quarto. Venezia Cesano, 1550.
In-8.
A la Bontá somma del magnanimo signore Balvodino de Monte, il quinto libro de la lettere di M. Pietro Aretino... Vinegia, per Comin da Trino, 1550.
In-8.
De le lettere di M. Pietro Aretino. Libro sesto, Venezia Giolito, 1557.
In-8.
Il primo [secondo, terzo, quarto, quinto, sesto] libro de le lettere di M. Pietro Aretino. Parigi, Matteo il Maestro, 1609.
6 vol. in-8.
Il y a un autre tirage de la même année et le tome IV porte la date de 1608.
Lettere di Partenio Etiro Venezia, 1637.
In-8.
Il y a aussi deux vol. de:
Lettere scritte a P. Aretino de molti signori... Ven. 1551 [1552].
2 vol. in-8.
Vol. I, 415 pp. num. y compris titre et dédic, 3 ff. non chif. pour la table et 1 f. pour la marque de l'imprim.
Vol. II, 462 pp. num. et 5 non chif.
G. A.
LES RAGIONAMENTI
Seconde partie
PREMIÈRE JOURNÉE
L'Éducation de la Pippa
Ci commence la Première journée de la seconde partie des capricieux «Ragionamenti» de l'Arétin, dans laquelle la Nanna enseigne à la Pippa, sa fille, le métier de putain.
Nanna.—Quelle colère, quelle fureur, quelle rage, quelle manie, quels battements de cœur, quelles pâmoisons, quelle moutarde est la tienne! Fastidieuse enfant que tu es!
Pippa.—La mouche me grimpe de ce que vous ne voulez pas me faire courtisane, comme vous l'a conseillé Monna Antonia, ma marraine.
Nanna.—Il faut plus que d'entendre sonner trois heures[1] pour dîner.
Pippa.—Vous êtes une marâtre! Hou! hou!
Nanna.—Tu pleures, ma petite poupée?
Pippa.—Je veux pleurer, bien sûr.
Nanna.—Renonce d'abord à la fierté, renonces-y, te dis-je, parce que si tu ne changes pas de façon, Pippa, si tu n'en changes point, tu n'auras jamais de brayes au derrière. Aujourd'hui le nombre des putains est si grand que celle qui ne fait pas de miracle en l'art de savoir se conduire n'arrive pas à joindre le dîner au goûter. Il ne suffit pas d'être un friand morceau, d'avoir de beaux yeux, de blondes tresses: l'adresse ou la chance seules se tirent d'affaires; le reste n'est rien.
Pippa.—Oui, à ce que vous dites.
Nanna.—Et cela est, Pippa. Mais si tu entres dans mes vues, si tu ouvres les oreilles à mes préceptes, bonheur à toi, bonheur à toi, bonheur à toi!
Pippa.—Si vous vous dépêchez de faire de moi une signora, je les ouvrirai bel et bien.
Nanna.—Pourvu que tu veuilles m'écouter, que tu cesses de bayer au moindre poil qui vole et d'avoir l'idée aux grillons, comme à ton ordinaire, quand je te parle dans ton intérêt, je te jure et je te rejure par ces patenôtres que je mâchonne toute la journée qu'avant quinze jours au plus tard je te mets en perce.
Pippa.—Dieu le veuille, maman!
Nanna.—Veuille-le d'abord, toi.
Pippa.—Je le veux, ma chère maman, ma petite mère en or.
Nanna.—Si tu le veux, ainsi le veux-je moi-même, et sache, ma fille, que je suis plus que certaine de te voir monter plus haut que n'importe quelle favorite de pape; je te vois déjà au ciel. Écoute-moi bien.
Pippa.—Je suis toute à écouter.
Nanna.—Ma Pippa, quoique je fasse croire au monde que tu n'as que seize ans, tu en as vingt, clairs et nets: tu es née un peu après l'issue du Conclave de Léon[2]; quand on criait partout: Palle! Palle![3] moi je bramais: Holà! holà! et l'on pendit l'écusson des Médicis au-dessus du portail de Saint-Pierre juste au moment où je te faisais.
Pippa.—Raison de plus pour que vous ne me reteniez pas davantage à vendanger le brouillard; ma cousine Sandra me l'a dit, on n'en veut plus, par le monde, que de onze à douze ans: les autres n'ont plus de cours.
Nanna.—Je ne te dis pas non, mais tu n'en parais pas quatorze et, pour en revenir à moi, je t'avertis de m'écouter sans rêvasser à autre chose. Imagine-toi que je suis le maître d'école et toi le marmot qui apprend à épeler ou, mieux encore, que je suis le prédicateur et toi le chrétien; si tu veux être le marmot, écoute-moi comme il fait, quand il a peur d'être planté à cheval; si tu aimes mieux être le chrétien, applique-toi à me comprendre tout comme écoute le prêche celui qui ne veut pas aller dans la maudite maison.
Pippa.—Ainsi fais-je.
Nanna.—Ma fille, ceux qui jettent leur fortune, leur honneur, leur temps et eux-mêmes derrière les garces se lamentent continuellement du peu de cervelle de celle-ci et de celle-là, tout comme si c'était parce qu'elles sont des folles qu'elles les ont ruinés; ils ne s'aperçoivent pas que ces billevesées dont leurs têtes sont pleines, à elles, sont leur bonheur, à eux, et ils les méprisent, ils les insultent. C'est pourquoi j'ai délibéré que par ta sagesse tu leur fasses toucher du doigt quel triste sort attendrait les malheureux qui tombent par chez nous, si les putains n'étaient toutes des voleuses, des traîtresses, des ribaudes, des écervelées, des ânesses, des sans-souci, des coquines, des pas grand'chose, des soulardes, des ignares, des vilaines, le diable et pire.
Pippa.—Pourquoi vous?
Nanna.—Parce que si elles avaient autant de qualités qu'elles ont de vices, les gens à qui tant de trahisons et de filouteries que l'on voit de jour et de nuit se commettre ont fini par ouvrir les yeux, après les avoir supportées des six, sept et dix ans, vous les enverraient à la potence et auraient plus de plaisir à les regarder tirer la langue qu'ils n'ont eu de déplaisir à se voir toujours voler leur argent. S'il y en a tant qui se meurent de faim, tandis qu'elles nourrissent à leurs dépens la lèpre, le chancre et le mal français, c'est grâce à ce qu'elles n'ont jamais eu une heure la tête à leurs affaires.
Pippa.—Je commence à comprendre.
Nanna.—Comprends-moi donc et fiche-toi bien dans la tête mes épîtres et mes évangiles; ils te mettent au fait en deux mots, rien qu'à te dire: si un docteur, un philosophe, un marchand, un soldat, un moine, un prêtre, un ermite, un seigneur, un monseigneur, un Salomon devient une bête entre les mains d'une de ces grandes folles, comment crois-tu que les femmes qui ont du sel dans la citrouille arrangeraient les vieux papas?
Pippa.—Elles les arrangeraient mal.
Nanna.—Donc le métier de putain n'est pas un métier de sotte, et moi qui le sais bien je ne me dépêche pas, en ce qui te regarde. Il faut savoir autre chose que relever ses jupes et dire: «Va, j'y suis»; à moins qu'on ne veuille faire banqueroute le jour même où l'on ouvre boutique. Pour en venir à la moelle, il arrivera que, dès qu'on te saura entamée, beaucoup voudront être les premiers servis; moi je ressemblerai à un confesseur qui réconcilie une foule, tant j'aurai de «pchitt! pchitt!» murmurés dans mes oreilles par les entremetteurs de celui-ci ou de celui-là; tu seras toujours retenue d'avance par une douzaine. Si bien qu'il nous faudrait que la semaine eût plus de jours que n'en a un mois entier. Tiens, me voici dans mon rôle, en train de répondre au valet de messire un tel: «Il est vrai que ma Pippa s'est laissé pincer, Dieu sait comment! Ah! vache de commère! ruffiane de commère! tu me le payeras. Ma pauvre fille est plus pure qu'une colombe; il n'y a pas eu de sa faute, et, parole de Nanna, elle n'a encore consenti qu'une seule fois. Il faudrait que je fusse bien barbare pour la livrer de la sorte, mais Sa Seigneurie m'a si fort ensorcelée que je ne trouve pas de langue pour lui dire non. Ma fille s'y rendra un peu après l'Ave Maria.» Toi, au moment où le messager se dispose à s'en aller porter la réponse, traverse en courant la maison, et comme si tes cheveux s'étaient dénoués, laisse-les se dérouler sur tes épaules, puis entre dans la salle en levant un peu la figure, de façon que le valet te donne une œillade.
Pippa.—A quoi sert de faire comme cela?
Nanna.—Cela sert, parce que les valets sont tous les ruffians et les enjôleurs de leurs maîtres. Dès que celui dont je te parle sera de retour près du sien, tout essoufflé et hors d'haleine, pour accaparer ses faveurs, il s'écriera: «Maître, j'ai tant fait que j'ai réussi à voir la belle; elle vous a des tresses qu'on dirait des fils d'or; elle vous a deux yeux que j'en méprise les faucons. Autre chose: je vous ai nommé à propos, pour voir quelle mine elle ferait en entendant parler de vous; eh bien! c'est une fille à se laisser incendier par un soupir.»
Pippa.—Quel bénéfice retirerai-je de semblables histoires?
Nanna.—Elles t'enfonceront dans les bonnes grâces de l'homme qui te désire et lui feront paraître mille ans de t'attendre une heure. Combien crois-tu qu'il y ait de benêts qui se passionnent rien que pour entendre les chambrières vanter leurs patronnes, et à qui l'eau vient à la bouche pendant que ces menteuses, ces dupeuses portent la dame au ciel du four?
Pippa.—Les chambrières sont donc de la même pâte que les valets?
Nanna.—Pires encore. Maintenant, tu te rendras chez l'homme de bien que je te prends pour exemple et j'irai avec toi. Aussitôt que tu arriveras, il viendra à ta rencontre; sois sur le seuil de la porte; remets bien d'aplomb toute ta personne, qui aura pu se déranger en route, rassemble tes bras près du corps, et après avoir jeté un coup d'œil en sous-main sur ses amis, qui seront raisonnablement un peu en arrière, fixe humblement tes yeux sur les siens, arrondis une révérence parfumée et dégaine ton salut à la façon des épousées et des empaillées, comme dit la Perugina, quand les parents ou les compères du mari leur touchent la main.
Pippa.—Je deviendrai peut-être rouge à le faire.
Nanna.—Et moi bien aise! Le fard que la pudeur met sur les joues des jeunes filles vous arrache l'âme aux gens.
Pippa.—Bien, alors.
Nanna.—Les cérémonies achevées, selon la condition de celui avec qui tu dois dormir, la première chose c'est qu'il te fera asseoir à côté de lui et, en te prenant la main, il me cajolera moi aussi, qui, pour faire trotter les têtes des convives vers la tienne, ne cesserai de fixer les yeux sur ton visage, comme si j'étais en extase devant tes charmes. Il commencera par te dire: «Madonna, votre mère a bien raison de vous adorer; les autres fabriquent des filles et elle des anges!» Si, par hasard, en te disant de semblables choses, il se penchait pour te baiser l'œil ou le front, tourne-toi doucement de son côté et lâche un soupir qui ne soit à peine entendu que de lui; s'il est possible que sur ce temps-là tu te colores les joues du rose que je t'ai dit, tu le rissoleras du coup.
Pippa.—Oui, vraiment?
Nanna.—Oh! que oui.
Pippa.—La raison?
Nanna.—La raison, c'est que soupirer et rougir tout ensemble c'est signe d'amour, c'est le commencement du coup de marteau. Comme les autres n'osent se familiariser avec toi et se tiennent sur la réserve, celui qui doit t'avoir cette nuit-là commencera de se donner à croire que tu es malade de lui, et d'autant plus s'en persuadera-t-il que tu le persécuteras davantage de tes regards. En conversant avec toi, il t'attirera petit à petit dans un coin et, à l'aide des plus tendres paroles, des plus gracieuses qu'il trouvera, il t'amènera aux folâtreries; c'est là qu'il s'agira pour toi de répondre à propos, et, d'une voix suave, de tâcher de dire quelques mots qui ne sentent pas le bordel. A ce moment, la société qui sera en train de badiner avec moi se rapprochera de toi, comme autant de couleuvres qui se glissent dans l'herbe, et l'un te dira ceci, l'autre cela, par plaisanterie; toi, garde ton sang-froid et, soit que tu parles, soit que tu te taises, arrange-toi de sorte que la conversation ou le silence paraissent aussi agréables l'un que l'autre, dans ta bouche. S'il t'arrive de te tourner vers celui-ci ou vers celui-là, fixe-le sans lasciveté, regarde-le comme regardent les moines les chastes religieuses, c'est l'ami qui t'offre le souper et le gîte, c'est lui seulement que tu régaleras d'œillades affamées et de paroles attractives. S'il te plaît de rire, ne va pas élever putanesquement la voix, en élargissant la mâchoire de façon à montrer ce que tu as au fond de la gorge, ris de telle sorte qu'aucun des traits de ton visage ne s'enlaidisse; bien mieux, embellis-les d'un sourire, d'un clignement de l'œil, et laisse-toi plutôt arracher une dent qu'un vilain mot; ne jure ni par Dieu, ni par les saints; ne t'obstine pas à soutenir: Cela ne s'est point passé comme ça; ne t'irrite pas, quoi que puisse te dire un de ceux dont c'est le bonheur de taquiner celles de ta condition. Toute fille qui fait chaque jour nouvelles épousailles doit s'habiller plutôt d'agrément que de velours et se montrer une princesse dans ses moindres actes. Lorsqu'on t'appellera au souper, quoique tu doives toujours être la première à te laver les mains et à te mettre à table, fais-le-toi dire plus d'une fois: rien ne vous rehausse comme la modestie.
Pippa.—J'y ferai attention.
Nanna.—A la salade, ne va pas te jeter dessus comme les vaches sur le fourrage; fais de toutes petites, petites bouchées, et presque sans te graisser le bout des doigts, porte-les à ta bouche, que tu ne pencheras pas, comme pour avaler les viandes jusque sur l'assiette, ainsi que maintes fois je le vois faire à des malapprises. Tiens-toi avec majesté, allonge la main gracieusement; pour demander à boire, fais un signe de tête et, si les carafes sont sur la table, sers-toi toute seule; ne remplis pas ton verre jusqu'au bord, dépasses-en à peine la moitié, puis porte-le gentiment à tes lèvres et ne bois jamais tout.
Pippa.—Et si j'ai grand'soif?
Nanna.—Bois peu, quand même, pour ne pas t'attirer le renom de goulue et de soularde. Ne mâche pas chaque morceau la bouche ouverte, en ruminant fastidieusement et salaudement; fais en sorte qu'à peine il semble que tu manges; tout le long du souper, parle le moins que tu pourras et à moins qu'on ne t'en prie; tâche que le bavardage ne provienne pas de toi. Si celui qui découpe à la table où tu es t'offre une aile, un devant de chapon ou de perdrix, accepte-le avec une révérence, tout en jetant un coup d'œil à ton amant, avec un geste qui lui demande la permission sans la lui demander. Fini de manger, ne va pas roter, pour l'amour de Dieu!
Pippa.—Qu'arriverait-il, s'il m'en échappait un?
Nanna.—Oh! pouah! Tu donnerais mal au cœur, non seulement aux salops, mais à la saloperie en personne.
Pippa.—Si j'observe tout ce que vous m'avez enseigné et d'autres choses encore, qu'en sera-t-il?
Nanna.—Il en sera que tu acquerras le renom de la plus discrète et de la plus gracieuse courtisane qui vive et que chacun dira, en te comparant aux autres: «Soyez tranquilles, mieux vaut l'ombre des vieilles savates de la signora Pippa qu'une telle ou telle, chaussée et vêtue.» Ceux qui te connaîtront resteront tes esclaves, iront partout prêcher tes perfections et tu en seras plus recherchée que ne sont évitées celles qui ont des manières de rôdeuses et de gourgandines. Pense si je me rengorgerai.
Pippa.—Que dois-je faire quand nous aurons soupé?
Nanna.—Entretiens-toi un moment avec celui qui sera près de toi, sans jamais te lever d'à côté de ton amant. L'heure de dormir venue, tu me laisseras m'en retourner à la maison; puis, après avoir dit respectueusement: «Bonsoir à Vos Seigneuries», garde-toi mieux que du feu d'être aperçue ou entendue pisser, te lâcher le ventre, prendre un mouchoir pour te nettoyer: ces choses-là feraient vomir des poulets, qui pourtant becquètent toute espèce de crottin. Quand tu seras dans la chambre, la porte fermée, cherche pourtant si tu vois quelque essuie-main, quelque coiffe qui te plaise, et, sans rien demander, trouve à ta convenance essuie-main et coiffe.
Pippa.—A quelle fin?
Nanna.—Afin que le chien, qui est bien attaché à sa chienne, t'offre l'un ou l'autre.
Pippa.—Et s'il me les offre?
Nanna.—Applique-lui un baiser, avec un petit coup de langue, et accepte.
Pippa.—Ce sera chose faite.
Nanna.—Pendant qu'il se couchera au galop, déshabille-toi tout doucement, tout doucement, et marmotte en toi-même quelques paroles entremêlées de certains soupirs. Cela le forcera à te demander, quand tu entreras au lit: «Qu'avez-vous donc à soupirer, mon âme?» Alors, pousses-en un autre à te démantibuler et réponds: «Votre Seigneurie m'a ensorcelée!» En lui disant cela, embrasse-le serré, baise-le, rebaise-le, puis fais le signe de la croix, comme si tu avais oublié de le faire en te couchant; si tu ne veux pas dire de prière ni quoi que ce soit, remue un peu les lèvres, de façon à paraître les dire: il faut être bien élevée jusqu'au bout. Pendant ce temps-là, le scélérat, qui t'attendait au lit comme un homme qui a un appétit d'enragé et qui s'est mis à table avant même qu'on ait posé dessus le pain et le vin, s'aventurera à te peloter les tétons, il plongera toute sa figure dedans, comme s'il voulait les boire; il te parcourra tout le corps, puis descendra peu à peu sa main sur la guenuche, et après lui avoir donné quelques petites tapes, il te pelotera les cuisses; mais les fesses sont une véritable calamité: elles attirent à elles la main, te dis-je, et lorsqu'il les aura festoyées tant soit peu, il essayera de te tâter, en te glissant son genou entre les jambes, pour voir si tu te tourneras, sans oser toutefois te demander cela dès la première rencontre. Tiens-toi ferme, et suppose qu'il se mette à miauler, à faire l'enfant, à vouloir prendre des façons étranges, ne lui tourne pas le dos.
Pippa.—Et s'il m'y force?
Nanna.—On ne fait rien de force à personne, petite folle.
Pippa.—Mais qu'importe que je le laisse me faire cela par devant ou par derrière?
Nanna.—Écervelée, tu parles vraiment là comme une sotte que tu es! Dis-moi, qui est-ce qui vaut le plus, d'un Jules ou d'un ducat?
Pippa.—Je vous comprends; l'argent vaut moins que l'or.
Nanna.—Tu l'as dit. Mais maintenant je songe au bon coup à faire.
Pippa.—Enseignez-le-moi.
Nanna.—Il est beau, on ne peut plus beau.
Pippa.—Oh! dites, maman.
Nanna.—Si cependant notre homme insiste et te fourre entre les cuisses sa jambe gauche, pour te tourner à sa façon, tâte bien s'il a quelque petite chaîne au cou, quelque bague au doigt, et tandis que le goulu tourne autour de toi, poussé par la tentation que lui donne l'odeur du rôti, vois s'il se les laisse enlever; s'il veut bien, laisse-le faire; une fois dévalisé de ses bijoux, tu lui joueras le tour adroitement; sinon, dis-lui d'un air dégagé: «Comment, Votre Seigneurie s'aventure ainsi par derrière à de telles cochonneries?» Le mot lâché, il s'y prendra avec toi de la bonne façon et quand il sera sur toi, fais ton devoir, Pippa, fais-le; vois-tu, les caresses par lesquelles on aide les bons jouteurs à finir sont leur propre ruine, et leur procurer des douceurs, c'est les assassiner. Et puis, une putain qui fait bien ça est comme un mercier qui vend à haut prix sa marchandise. On ne peut mieux comparer qu'à une boutique de mercier les badinages, les jeux, les caresses que débite une rusée putain.
Pippa.—Quelles drôles de comparaisons vous faites!
Nanna.—Voici un mercier; il a des aiguillettes, des miroirs, des gants, des chapelets, des rubans, des dés à coudre, des épingles, des aiguilles, des ceintures, des bonnets, des galons, des savons, des huiles de senteur, de la poudre de Chypre, de faux chignons et cent mille espèces de choses. De même une putain a dans son magasin de douces paroles, des sourires, des baisers, des œillades. Mais ce n'est rien que cela: elle a dans ses mains et dans sa châtaigne les rubis, les perles, les diamants, les émeraudes et toute l'harmonie des mondes.
Pippa.—Comment cela?
Nanna.—Comment, hein? Il n'y en a pas un qui ne touche le ciel du bout du doigt quand sa bonne amie, qu'il aime tant, au moment qu'il lui glisse la langue entre les lèvres, lui empoigne le machin et, le serrant à deux ou trois reprises entre ses doigts, le force à se redresser; dès qu'il se redresse, elle lui administre une petite secouée, puis le laisse en plan. Après être ainsi restée un tout petit peu, elle te prend les sonnettes dans le creux de la main et les chatouille voluptueusement; puis elle te tapote les fesses, te gratte entre les poils et recommence à te le taquiner, si bien que le concombre, mis en belle humeur, ressemble à quelqu'un qui a bien envie de vomir et qui ne peut pas. Notre galant, sous ces caresses, se prélasse comme un abbé et ne troquerait pas sa béatitude contre celle d'un cochon qu'on gratte; quand il se voit chevauché par celle qu'il comptait chevaucher lui-même, il tombe en pâmoison comme un homme qui achève.
Pippa.—Qu'entends-je?
Nanna.—Écoute et apprends à vendre tes marchandises. Sur ma foi, Pippa, si une femme, que grimpe son amoureux, fait seulement une parcelle de ce que je t'enseigne, elle est apte à lui tirer l'argent des grègues avec plus d'adresse encore que les dés et les cartes ne le tirent de celles des joueurs.
Pippa.—Je vous crois.
Nanna.—Tiens-le pour certain.
Pippa.—Vous voulez que je fasse ce que vous venez de dire avec celui chez qui je serai?
Nanna.—Oui, fais-le.
Pippa.—Comment m'y prendre, s'il est sur moi?
Nanna.—Il manque bien de moyens de le jeter à bas!
Pippa.—Montrez-m'en un.
Nanna.—Le voici. Pendant qu'il te foule, mets-toi à pleurnicher, deviens soucieuse, ne fais pas un mouvement, ne prononce pas une parole. S'il te demande ce que tu as, contente-toi de grogner; il sera bien forcé de s'arrêter et de dire: «Mon cœur, vous fais-je mal? Avez-vous déplaisir du plaisir que je prends?» Toi, tu lui réponds: «Mon vieux petit chéri, je voudrais...» Arrête-toi là. Il te demandera: «Quoi donc?» Alors, fais la chatte qui miaule; enfin, moitié de bouche, moitié par signes, tu lui donneras à entendre que tu veux courir une lance à la Jeannette.
Pippa.—A cette heure, faites compte que je sois déjà où vous dites.
Nanna.—Si tu es en imagination en train de faire ce que je voudrais que tu fisses, arrange-toi bien à ton aise et, une fois installée, entoure-lui le cou de tes bras, applique-lui dix baisers à la file, et après que tu lui auras empoigné son pilon dans la main, serre-le si fort qu'il achève de se mettre en fureur; quand il sera tout feu et flammes, plante-le-toi dans le mitan et pousse-toi sur lui de toutes tes forces; là, arrête-toi, immobile, et baise l'homme amoureusement. Après être un peu restée ainsi en suspens, tu soupires, comme au comble de la jouissance, et lui dis: «Si j'achève, achèverez-vous?» L'étalon te répondra, d'une voix envitaillée: «Oui, mon espérance!» Toi, pas autrement que si son esprit était l'essieu et ta marjolaine la roue, à l'endroit où le moyeu la fait tourner, commence à te trémousser; si tu vois qu'il est sur le point de finir, arrête-toi en disant: «Pas encore, ma vie», et lui fourrant ta langue à pleine bouche, en ayant bien soin de ne pas ôter la clef de la serrure, pousse, recule, reviens dessus, doucement, fort, vas-y d'estoc et de taille, et touche le clavier en vraie Paladine. Pour abréger, je voudrais qu'en faisant cette besogne tu aies de ces balancements de corps que prennent ceux qui jouent à la paume, quand ils ont la balle en main: ils s'escriment avec art et, faisant mine de vouloir courir par-ci par-là, se dérobent si à propos que, sans être aucunement empêchés par l'adversaire, ils lancent le coup comme il leur plaît.
Pippa.—Vous m'instruisez dans l'honnêteté d'abord, puis dans la déshonnêteté à ventre déboutonné!
Nanna.—Et je ne sors pas de mes gonds, pas du tout; je veux que tu sois aussi putain au lit qu'honnête femme partout ailleurs. Tâche qu'il ne se puisse imaginer de caresses que tu ne fasses à qui couche avec toi; sois toujours aux aguets pour le gratter où cela le démange. Ah! ah! ah!
Pippa.—De quoi riez-vous?
Nanna.—Je ris de l'excuse qu'ont trouvée ceux à qui la queue ne peut pas se dresser.
Pippa.—Quelle excuse?
Nanna.—Ils s'en prennent au trop d'amour et, bien sûr, bien sûr que si cette excuse n'existait pas, ils resteraient plus embarrassés que ne le sont les médecins quand le malade à qui ils demandent s'il va du corps leur répond que oui; ils ne savent plus alors quel remède donner et se trouvent tout penauds. C'est comme ces vieux qui, une fois grimpés sur vous, ne peuvent payer que de courbettes et de sornettes.
Pippa.—Justement, je voulais vous demander comment il faudra me gouverner sous quelque baveux, lâcheur de pets, qui puera autant devant que derrière; de quelle façon je devrai me laisser fatiguer à l'avoir toute une nuit sur le dos. Ma cousine me raconte que la je ne sais plus qui faillit trépasser en telle occurrence.
Nanna.—Ma petite, la suavité des écus ne laisse arriver jusqu'au nez ni la putridité des haleines, ni la puanteur des pieds, et il est bien pire de recevoir des camouflets que de sentir l'odeur des latrines dans la bouche d'un homme qui fait de la dépense; ceux-là vous achètent au poids de l'or la complaisance qu'on a pour les défauts. Écoute-moi bien; je vais t'indiquer la manière de te comporter avec toutes espèces de musico musicorum; si tu peux te plier aux humeurs des gens et les endurer avec patience, tu seras plus maîtresse de tout ce qu'ils ont que nous ne sommes moi à toi, et toi à moi.
Pippa.—Éclairez-moi un peu au sujet de ces vieux-là.
Nanna.—Te voici à souper avec de ces libidineux qui ont bonne volonté, mais tristes jambes. Pippa, les mets sont ici à profusion, les vins à discrétion, les hâbleries comme chez les grands seigneurs, et qui entendrait parler ces vantards dirait: «Voilà des gens qui doivent faire quinze milles à l'heure.» Si leur vaillance au lit égalait celle dont ils font preuve à l'encontre des faisans et du malvoisie, ils pourraient conchier Roland. Oui, s'ils contentaient leurs maîtresses, en les enfilant, comme ils les bourrent de friands morceaux à table, quel bonheur pour elles! Les entêtés, les acharnés comptent sur le poivre, sur les truffes, sur les cardons, sur certains électuaires brûlants qui proviennent de France et s'en empiffrent plus que ne s'empiffrent de raisins les paysans. Parce qu'ils engloutissent les huîtres sans les mâcher, ils s'imaginent pouvoir faire merveille! A ces soupers-là, tu peux manger quasi sans cérémonie.
Pippa.—Pourquoi?
Nanna.—Parce que leur bonheur est de t'empâter comme on empâte les bambins. Ils prennent plus de plaisir à vous voir manger en affamé que n'en a un cheval d'entendre siffler le valet qui le mène à l'abreuvoir. Et puis les vieux détestent les façons de jeunes mariées.
Pippa.—Alors, quand je mangerai chez eux, je pourrai rendre leurs petites bouchées aux continences ci-dessus dites?
Nanna.—Par la croix de Dieu! tu me saisis, et si tu vas de bien en mieux, les autres filles resteront avec la mine du prêtre en face de maigres offrandes. J'oubliais de t'en avertir: il ne faudra pas te nettoyer les dents avec la serviette, ni te les rincer à l'eau fraîche aussitôt que tu auras soupé avec des vieux, comme tu devras le faire en soupant avec des jeunes gens. Ils seraient capables de s'en formaliser et de se dire en eux-mêmes: «Avec ses dents, elle se moque des nôtres, qui nous branlent dans la bouche, collées avec de la cire.»
Pippa.—J'entends me les nettoyer, tant pis pour eux!
Nanna.—Prends garde!...
Pippa.—Allons! je ne les nettoyerai pas.
Nanna.—Tu peux tout de même te les curer proprement avec un brin de romarin, mais en cachette.
Pippa.—Venons-en au moment de se coucher avec eux.
Nanna.—Ah! ah! ah! Je ne puis m'empêcher de rire, parce qu'il leur faudra d'abord avoir la précaution d'aller au retrait (je t'ai prévenue de t'en bien garder, toi). Oh! que de vesses, que de pétarades ils lâchent! Soufflets de forgerons ne soufflent pas si ferme. Et pendant qu'en se tordant le museau ils s'efforcent de pousser des bondons, ils tiennent à la main un cornet de réglisse pour apaiser la toux qui les crucifie. La vérité, c'est qu'une fois déshabillés en pourpoints, ils sont appétissants à voir; ils se ressouviennent de leur jeune temps, comme des sarments verts les ânons et les ânesses, et se trouvent en appétit avec plus de ferveur que jamais. En serrant la nymphe entre leurs bras, je ne saurais te dire de combien de douceurs ils la cajolent; ces babillages dont se servent les nourrices avec leurs poupons, qui n'y comprennent rien, sont leurs sucreries à eux; ils te mettent l'épervier au poing, te sucent les tétons, te montent à califourchon sur le dos et te font tourner par-ci, caracoler par-là. Toi, en les chatouillant sous les bras, autour des reins, glisse la main où tu sais: quand tu l'as réveillée, empoigne-la, secoue-la si gentiment qu'elle finisse par lever la tête tant bien que mal.
Pippa.—Quoi! celles des vieux aussi lèvent arrogamment la tête?
Nanna.—Quelquefois, mais elles la baissent bien vite. Si tu avais vu ton père (bénie soit sa mémoire), lorsque dans sa dernière maladie il s'efforçait de se soulever pour s'asseoir sur le lit et retombait aussitôt tout de son long, tu aurais vu celle de ces vieux-là; elles sont de la nature des lombrics, qui rentrent en eux-mêmes et s'allongent pour cheminer.
Pippa.—Maman, vous m'avez enseigné ce que je dois faire à califourchon sur l'homme, et toutes les petites façons de circonstance, mais non comment il me faudra achever.
Nanna.—N'en dis pas plus, je te tiens au bout de ma ligne, et il me vient un tel orgueil de te voir si attentive, que j'en suis in cymbalis. Je retourne donc en arrière; tu veux que je te dise à quoi devront aboutir ces chatteries que tu auras faites, à califourchon sur le fouteur, pour parler suivant l'usage?
Pippa.—Vous l'avez pris par le toupet.
Nanna.—Ne te souviens-tu point, Pippa, de ce que fait le Zoppino, quand il débite sur l'estrade la légende de Campriano?
Pippa.—Je me rappelle ce Zoppino que tout le monde court entendre, quand il chante sur les planches.
Nanna.—C'est celui-là même. Te souviens-tu comme tu riais lorsque nous étions chez Piero, mon compère, et que tu allais l'écouter avec sa Luchina et sa Luciette?
Pippa.—Oui, madonna.
Nanna.—Tu sais que le Zoppino contait comment Campriano, après avoir introduit des liards pour une somme de trois livres dans le trou du cul de son âne, le conduisit à Sienne et se le fit acheter cent ducats par deux marchands à qui il donnait à entendre que cet âne chiait de la monnaie?
Pippa.—Ah! ah! ah!
Nanna.—Il poursuivait l'histoire jusqu'à la moitié; puis lorsqu'il avait bien amorcé la foule, il retournait sa veste et, avant d'achever, voulait vendre toutes sortes de drogues.
Pippa.—Je ne saisis pas...
Nanna.—Sais-tu, bâton de ma vieillesse, ce qui t'arrivera souvent, si tu me laisses finir de t'endoctriner?
Pippa.—Quoi?
Nanna.—Ce qui arrive à un homme qui en regarde un autre plonger, en nageant sous l'eau: toujours il le voit reparaître en quelque endroit auquel il ne songeait point. Je te le dis, lorsque tu l'auras mis en humeur, avec de gentilles façons, et qu'il sera tout près de cracher le limaçon sans coquille, arrête-toi en t'écriant: «Je ne puis plus!» Et qu'il ait beau supplier, répète: «Plus ne puis!»
Pippa.—Et je dirais bien encore: «Je ne veux plus!»
Nanna.—Dis-le, alors; parce qu'aussitôt il entrera dans la frénésie d'un homme qui brûle de soif, au milieu d'une fièvre dont il est en ébullition, et qui se voit arracher des mains un seau d'eau fraîche que la compassion de son valet venait de tirer du puits et de lui apporter vite, vite. Dès que tu feras mine de descendre de cheval, il te promettra des merveilles; toi, refuse. Alors, il se jettera sur sa bourse et te donnera tout ce qu'il y a dedans, pendant que, feignant de ne pas vouloir accepter, tu tendras la main pour recevoir. Vois-tu, dire: «Je ne veux pas, je ne puis pas», au plus beau moment de l'affaire, c'est la recette que vendait le Zoppino, lorsqu'il laissait à sec l'assistance qui se pâmait, en lui coupant en deux l'histoire de Campriano.
Pippa.—Le bec est fait à l'oie[4]; retournons maintenant au vieux.
Nanna.—Au vieux qui, suant et soufflant plus que ne sue et ne souffle un pauvre homme à qui le cul fait lapp! lapp! te harassera toute du désir qu'il a de faire et ne fera rien: force est de le câliner un peu. Allonge ton visage sur sa poitrine et dis-lui: «Qui est votre mignonne? Qui est votre enfant? Qui est votre fille? Papa, mon papa, petit papa, ne suis-je pas votre coucou?» Gratte-lui toutes les croûtes, toutes les rides que tu lui trouveras et dis-lui: «Dodo! dodo!» Chante-lui encore quelque chansonnette à mi-voix et traite-le comme un marmot. Je suis sûre qu'il prendra des airs de poupon et t'appellera sa maman, sa petite maman, sa bonne petite maman. Sur ce coup de temps, attaque-le ferme et tâte si l'escarcelle est sous le traversin; si elle y est, n'en laisse pas un dedans. Si elle n'y est pas, fais qu'elle s'y trouve. Il faut user de ce stratagème, parce que ces ladres-là vous alambiquent un denier quatre heures durant hors du moment où ils se divertissent; s'ils te promettent des robes, des colliers, ne les lâche pas avant que le cadeau ne soit bien en règle. Après, soit avec le doigt, soit avec ce qu'ils pourront, qu'ils te le fassent à l'endroit ou à l'envers, je ne t'en donnerais pas une pistache.
Pippa.—N'ayez pas peur.
Nanna.—Écoute encore: ils sont jaloux, sujets à monter sur leurs grands chevaux et ils ont les mains aussi promptes que la langue aux brutalités. Mais si tu sais les amadouer, outre que les cadeaux te pleuvront, tu prendras d'eux un amusement de l'autre monde. Il me semble d'ici en voir un, plus cassé que le bisaïeul de l'Antéchrist, en culotte et en pourpoint de brocart tout tailladé, sa toque de velours ornée d'une plume, couverts de ferrets, d'aiguillettes, une pointe de diamant au milieu de sa médaille d'or, avec sa barbe d'argent de coupelle, les jambes et les mains tremblotantes, la figure pleine de rides, s'acheminer en branlant, passer et repasser toute une journée devant la maison, sifflant, grommelant, ronronnant comme des chats au mois de janvier, et je me compisse de rire en dessous, rien que de penser à une bonne farce qui referait le millésime.
Pippa.—Dites-la-moi.
Nanna.—Un madré charlatan lui fit accroire qu'il possédait une teinture pour la barbe et les cheveux, si noire que les diables étaient blancs en comparaison; mais il la voulait vendre si cher que l'autre fut des jours et des jours avant de lui prêter l'oreille. A la fin des fins, s'avisant que sa tête de poireau et sa barbe d'étoupe lui rognaient bonne part de réputation en amour, il compta vingt-cinq ducats de Venise au charlatan qui, soit pour le bafouer, soit pour l'attraper, lui rendit les cheveux et la barbe du plus beau bleu turquin dont on ait jamais peint la queue d'un cheval barbe ou d'un cheval turc; de sorte qu'il fallut le raser jusqu'à la couenne. On en fit des fables dans le public; on en rit encore.
Pippa.—Ah! ah! ah! Je crois le voir. Le vieux fou! S'il m'en tombe un entre les griffes, je veux qu'il soit mon bouffon.
Nanna.—Tout au contraire! Ne te gausse pas de lui, sous n'importe quel prétexte, et surtout s'il y a du monde, parce qu'on doit toujours révérer la vieillesse. Tu serais tenue pour une vilaine, une scélérate, d'oser bafouer un tel personnage. Je veux que tu feignes de le porter dans ton cœur et que tu fasses la révérence à la moindre parole qu'il te dira. Il en résultera que d'autres vieux se rajeuniront à t'aimer et, si tu veux en rire tout à ton aise, que ce soit entre nous.
Pippa.—C'est ce que je ferai, si cependant ce n'est pas mal.
Nanna.—Parlons maintenant des seigneurs.
Pippa.—Oui, parlons-en.
Nanna.—Voici un seigneur qui veut t'avoir; je t'y envoie ou tu y vas, n'importe. Ici, il te faudra donner du bon, parce que les seigneurs sont habitués aux grandes dames et qu'ils se nourrissent plus de conversations et de bavardages que d'autre chose. Sache causer, réponds à propos; ne va pas sauter de l'échalas sur la branche: sa seigneurie, ses laquais eux-mêmes te feraient des grimaces par derrière. Ne te tiens pas là comme une sotte ou comme une coquette, mais posément. Si l'on fait de la musique ou si l'on chante, prête l'oreille aux instruments et aux voix et sache faire l'éloge des musiciens et des chanteurs, bien que tu n'y trouves aucun plaisir et que tu n'y entendes rien. S'il y a là quelque lettré, aborde-le d'un air gracieux et montre que tu les apprécies encore mieux, le dirai-je? encore mieux que le maître de la maison.
Pippa.—Dans quel but?
Nanna.—Dans un but excellent.
Pippa.—Voyons.
Nanna.—Parce qu'il ne te manquerait plus que cela, que tel ou tel fît des livres contre toi et qu'on répandît partout sur toi de ces vilaines choses qu'ils savent inventer contre les femmes. Tu serais bien avancée si l'on venait à imprimer ta vie, comme je ne sais quel désœuvré s'est amusé à imprimer la mienne: il manquait bien de putains de pire sorte que moi! S'il avait eu à divulguer les déportements de je sais bien qui je veux dire, le soleil en aurait pâli, et que de clameurs se sont élevées à propos de moi! L'un veut reprendre ce que j'ai dit des religieuses[5] et s'écrie: «Elle en a menti d'un bout à l'autre», oubliant que je racontais leurs histoires à l'Antonia pour la faire rire et non pour médire d'elles, comme j'aurais bien pu; mais le monde est changé, et il n'y a plus moyen ici de vivre pour quelqu'un qui a de l'expérience.
Pippa.—Ne vous mettez point en colère.
Nanna.—Regarde, Pippa; j'ai été religieuse; j'en suis sortie parce que j'en suis sortie, et si j'avais voulu révéler à l'Antonia comment elles se marient et appellent leur moine «mon bel ami», tandis que le moine appelle sa religieuse «ma belle amie», j'aurais très bien su le dire. Rien qu'à raconter les propos que ces pleins de soupe tiennent à leurs belles amies, lorsqu'en revenant de prêcher n'importe où ils font reculer de peur les stigmates... Je sais bien ce qu'ils font avec les veuves qui les entretiennent de chemises, de mouchoirs, de bons dîners; je connais leurs badinages et leurs tripotages. C'était sans doute quelque grande dame, la maîtresse de celui qui, au moment où il se démenait en chaire comme un dragon et mettait tous les assistants parmi les damnés, laissa tomber dans la foule, qui l'écoutait la bouche ouverte, son bonnet qu'il tenait dans sa manche. On vit alors les broderies qu'il cachait; en dedans, au fond, il y avait un cœur de soie, couleur chair, brûlant au milieu d'un feu de soie rouge, et sur le bord, tout autour, on lisait, en lettres noires: «L'amour veut de la fidélité; l'âne des coups de bâton.» L'assistance, qui en éclata de rire, garda ce bonnet comme une relique. Pour ce qui est des peintures de sainte Nafisse et de Mazet de Lamporecchio, ce sont des inventions; au lieu de ces peintures, vrai, on voit, pendus au mur, des cilices, des disciplines à pointes de fer, des étrilles à dents pointues, des sandales munies de leurs courroies, des raves, en témoignage des jeûnes que ne font pas les religieuses, des gobelets de bois dans lesquels on mesure l'eau à celles qui pratiquent l'abstinence, des têtes de mort qui font penser au trépas, des ceps, des cordes, des menottes, des fouets, toutes choses propres à épouvanter la sœur qui les regarde et non celles qui pèchent, ni qui vous les ont pendues là.
Pippa.—Est-ce possible qu'il y ait tant d'affaires?
Nanna.—Il y en a encore bien d'autres dont je ne me souviens plus. Mais qu'aurait dit quelqu'une de ces ignorantines, de ces flaire-étrons, si j'avais divulgué de quelle manière la maîtresse des novices s'aperçoit que sœur Crescentia ou sœur Gaudentia s'est fait couvrir par le chien? Garces de crottes de sbires! fussiez-vous fouettées, puisque vous osez trouver à redire même au langage de qui vous mènerait à l'école.
Pippa.—Quoi! ne peut-on pas au moins parler à sa façon?
Nanna.—Puissent-elles étouffer les drôlesses qui ne savent que blâmer ce que l'on dit à la mode de son pays et amenuiser leurs expressions comme on émince un radis noir. Je t'en supplie, mon enfant, n'abandonne pas le langage que t'a enseigné ta maman, laisse les «in cotal guisa» et les «tantosto»[6] aux madrema, et donne-leur partie gagnée lorsque, usant de termes nouveaux et profonds, elles disent: «Allez, que les cieux vous soient propices, et que les heures vous soient prochaines!», pour mépriser celles qui parlent à la bonne franquette, qui disent: «Vaccio, a buonotta, mô, mô, testé, testé, alitare, accorhuomo, raita, riminio, aguluppa, sciabordo, zampilla, cupo, buio[7]», et se servent de cent mille autres locutions exemptes de recherches.
Pippa.—Les corneilles!
Nanna.—Tu les as baptisées on ne peut mieux, puisqu'elles veulent que l'on dise tosto et non presto[8], immole et non immacero[9]; si tu leur demandes pourquoi, elles te répondent que porta et reca[10] ne sont pas de règle, de sorte qu'il y a maintenant péril à ouvrir la bouche. Mais moi qui suis moi, je parle comme bon me semble, sans me gonfler les joues en crachant de la saumure; je marche sur mes pieds et non sur ceux de la grue; je dis les mots tels qu'ils me viennent et je ne les arrache pas de ma gorge avec une fourchette. Les mots sont des mots et non des confitures; quand je parle, je ressemble à une femme et non à une pie. Voilà pourquoi la Nanna est la Nanna, tandis que cette engeance qui va foirant des verbi gratia et reluquant sur un œuf le poil qui ne s'y trouve point n'a pas seulement assez de crédit pour s'en couvrir le cul. A la fin des fins, qui blâme tout sans rien produire ne fait pas aller son nom au delà des tavernes, et j'ai fait trotter le mien jusqu'en Turquie. Donc, pécores, je veux ourdir et tisser mes toiles à mon idée, parce que je sais où trouver l'écheveau pour achever les rangs commencés, et que je possède pas mal de pelotes de fil pour coudre et recoudre déchirures et morceaux.
Pippa.—Les sottes s'en vont agacer la fourmilière! Elles se gonfleront à crever si nous leur faisons la figure en plein visage, puisqu'elles se moquent de notre parler.
Nanna.—Nous la leur ferons pour sûr. A ce propos, une sybille, une fée, une Beffana[11] qui enseigne à babiller aux perroquets, me demandait pas plus tard qu'avant-hier ce que veulent dire: anfanare, trasandare, aschio, ghiribizzo, meriggie, transecolo, mezzamoscia, sdrucciala et razzola[12], et pendant que je lui expliquais les chiffres, elle allait écrivaillant; maintenant elle en fait sa belle, comme si c'était de sa farine. Mais moi qui ne demande qu'à vivoter, je n'en ai cure et ne m'inquiète si covelle est plus malappris que nulla.
Pippa.—Ne baguenaudez pas davantage avec ces vétilleuses; ma cervelle s'embrouille, à la fin, et je vais oublier tout ce qui importe à mon affaire.
Nanna.—Tu as raison. La colère où me mettent les Alfanes qui veulent vous guetter au piège, qui font des salades et des sauces piquantes de mots décharnés, et avec l'obstination des poux et des morpions, n'en veulent pas démordre, m'a fait sortir de l'emblavure. Mais je m'en souviens très bien: j'étais à te dire comment tu devais choyer les lettrés que le plus souvent on rencontre à la table des seigneurs.
Pippa.—C'est ce que vous me disiez justement.
Nanna.—Fais-leur bon visage, entretiens-toi avec eux, et pour montrer que tu prises les talents, demande-leur un sonnet, un estrambot, un capitolo ou quelque semblable bêtise. Quand ils te l'offriront, embrasse-les, remercie-les tout comme si c'étaient des joujoux que tu recevais là. Chaque fois qu'ils viendront frapper à ta porte, ouvre-leur toujours; ce sont gens discrets: s'ils te voient occupée, ils s'en iront sans plus d'embarras et te reviendront te faire la cour dès que les autres seront expédiés.
Pippa.—Et si pourtant je n'avais pas envie de leur ouvrir, qu'est-ce qu'il en serait?
Nanna.—Tu en serais fustigée des plus cruelles vilenies qu'on ait ouïes jamais; parce que, en plus de leur humeur fantasque, qui travaille à chaque changement de lune, il y aurait le dépit qu'ils prendraient contre toi; donc, gare la jambe. Et puisque c'est l'ordinaire des femmes de ne jamais savoir coudre deux paroles ensemble, avant que d'en revenir au seigneur avec lequel tu seras, je veux te dire une petite gentillesse qui m'était sortie de l'idée, pendant que je te parlais des vieux.
Pippa.—Elle doit être bien drôle, puisque vous revenez en arrière pour me la dire.
Nanna.—Ah! ah! Je veux, Pippa, que des bonbons qui seront étalés sur la table, la nappe enlevée, tu en prennes cinq et que tu dises en les jetant en l'air: «S'ils font belle croix, mon vieux chéri mignon n'aime que moi toute seule; si la croix est de travers, il adore la une telle.» Pippa, si la croix réussit bien, lève les mains au ciel, puis, les bras tout grands ouverts, étreins le bonhomme de toutes tes forces et applique-lui un baiser avec autant de mignardises que tu sauras en imaginer: tu le verras tomber tout de son long comme un homme qui crève de chaud s'abat où souffle le moindre courant d'air. Supposé que la croix réussisse mal, laisse-toi échapper, si tu le peux, deux petites larmes accompagnées de deux coquins de soupirs, lève-toi de ta chaise et va près du feu que tu feras semblant d'attiser avec les pincettes, pour passer ta colère. Là-dessus, le coïon de bœuf viendra se pencher derrière ton dos avec des mines d'espiègle, et jurant par le corps, par le sang, que ma foi oui. Toi, une fois que vous serez dans la chambre à coucher, taquine-le jusqu'à ce qu'il te donne n'importe quoi, avant de faire la paix.
Pippa.—Je vous obéirai, maman.
Nanna.—Je n'ai pas d'autre espoir, ma fille. Te voici chez le seigneur, te voici chez ce vantard d'amour qui ne sait dire que: «La signora une telle, madame une telle, la duchesse, la reine et la merde» (qu'il l'ait dans le bec!) «m'a fait cadeau de ce ruban; telle autre m'a donné celui-ci.» Loue les rubans et montre-toi stupéfaite de ce que les belles dames de Tunis ne se fassent pas toutes baptiser pour s'appliquer sur le corps un tel personnage. Lorsqu'il en viendra aux prouesses qu'il a faites au siège de Florence ou au sac de Rome, approche-toi à l'oreille de ton voisin et dis-lui, de façon que l'imbécile l'entende:—«Oh! le galant seigneur! sa bonne mine me fait perdre la tête.» Il feindra de ne pas entendre et se pavanera de tout son être. Sache bien que celui qui n'use pas avec eux des mêmes finesses dont se servent les courtisans de mauvaises fortunes vis-à-vis des monsignors, lorsqu'ils mettent la sottise de leurs patrons au-dessous de toute hiérarchie, devient leur ennemi mortel.
Pippa.—Je l'ai entendu dire.
Nanna.—Flatteries et flagorneries sont la quéquette des grands, à ce que dit le monde; donc vide-moi tout ton sac, avec ces gens-là, si tu veux en tirer quelque chose: autrement, tu me reviendras à la maison la panse pleine, mais la bourse vide. Et même si leur amitié ne rapportait pas plus d'honneur qu'elle ne rapporte de profit, je te dirais de les fuir, par la raison qu'ils veulent être les seuls dont le couvert soit mis et, sous prétexte qu'ils sont des seigneurs, qu'on ne donne rien aux autres. Si tu n'accours pas, si tu ne leur ouvres pas, ils se moquent d'envoyer leurs estafiers faire du tapage à la porte dans la rue, par la fenêtre et au nez de la servante, comme de cracher par terre. Ils ressemblent à ces chiens hargneux qui surviennent au moment qu'un tas de roquets donnent l'assaut à une chienne et qui, après avoir mis la bande en déroute rien qu'en montrant les dents ou à coups de crocs, tiennent toute la rue à eux seuls. Il n'y a pas de doute que ces manières-là fassent prendre la fuite à qui a peur de marcher sur leurs brisées et elles sont très bonnes pour celles qui préfèrent la fumée au rôti.
Pippa.—Dieu m'assiste, avec ces seigneurs!
Nanna.—Mais je veux t'enseigner un petit jeu qui, dussent les gredins en crever, leur coûtera bon. Lorsque Son Altesse commencera à se déshabiller pour aller au lit, prends-lui sa toque et mets-la sur ta tête, puis revêts-toi de son pourpoint et fais deux tours par la chambre. Le messire ne t'aura pas plus tôt vue métamorphosée de femme en homme, qu'il tombera sur toi comme sur le pain chaud, et ne pouvant attendre que tu sois au lit, il voudra te faire appuyer la tête au mur ou sur une caisse. Ce que j'ai à te dire, c'est que tu te laisses écarteler avant de consentir, s'il te donne la toque et le pourpoint, afin que tu puisses, par la suite, revenir le voir sous le costume qui plaît le mieux au seigneur.
Pippa.—La vache est à nous!
Nanna.—Sur toutes choses, étudie les flatteries et les flagorneries que je t'ai dites: ce sont les enjolivements de se maintenir en faveur. Les hommes veulent être trompés; encore bien qu'ils s'aperçoivent que tu leur en donnes à garder et qu'aussitôt partis tu te gausses d'eux, que tu t'en vantes même à tes chambrières, ils préfèrent les feintes caresses aux vraies sans exagérations. Ne sois jamais chiche de baisers, d'œillades, de sourires, de tendres paroles; tiens toujours sa main dans ta main, et de temps en temps mords-lui d'un coup de dents les lèvres, qu'il ne puisse s'empêcher de lâcher ce «Aïe!» si doux pour celui qui se sent meurtri avec volupté. L'art des putains est de savoir tirer des carottes à messieurs les nigauds.
Pippa.—Vous ne le dites ni à une sourde, ni à une muette.
Nanna.—Je pense...
Pippa.—A quoi donc?
Nanna.—A moi, qui veux t'enseigner les moyens que tu dois prendre pour réussir où j'espère te voir un jour, et qui, en te les indiquant, mets sur la voie ceux qui auront affaire à toi. S'ils savent ce que je te dis, ils sauront également ne pas te croire quand tu emploieras tes artifices, et mes bons avis ressembleront à ces peintures qui fixent de tous les côtés ceux qui les regardent.
Pippa.—Qui voulez-vous qui les divulgue?
Nanna.—Cette chambre, ce lit que voici, les chaises où nous sommes assises, cette fenêtre que voilà, cette mouche qui veut me manger le nez, le diable l'emporte! Les seigneuries sont pleines de présomption: elles surpassent en importunités ces jaloux qui en deviennent à charge à eux-mêmes, avec tous les stratagèmes dont ils usent pour garder celle que rien ne peut garder quand elle est décidée à leur faire voir le tour. Avec un animal de ce poil, sache te gouverner prudemment et lui planter les cornes avant que d'en faire signe.
Approche-toi. Tu seras la bonne amie de quelqu'un dont prendra ombrage un particulier qui t'accommodera bien aussi, moins que le premier pourtant, mais qu'il te serait on ne peut plus préjudiciable de perdre. Ce particulier te défendra d'ouvrir à l'autre, de lui parler, d'accepter quoi que ce soit de lui. C'est là qu'il faudra employer serments diaboliques, mines effrontées, hochements de tête, éclats de voix, gestes de stupéfaction de ce qu'il puisse croire que tu lui préférais une telle pécore. Ajoute:—«Nous voilà frais, si l'on croit que je vais me jeter au nez de ce visage d'âne, de cette figure d'imbécile!» Exige toi-même qu'il te fasse surveiller, offre de payer les espions, puis reste enfermée et tiens-toi tranquille. Si sa défiance ne diminue point, ne perds pas de temps, et ce que tu lui as soutiré, dépense-le en bombance avec le pauvre exilé; tu le feras entrer dès que l'autre sera sorti, ou bien sous prétexte de te faire apporter du bois, d'envoyer porter du pain au four. Si la frénésie du jaloux augmente, fais venir de nuit l'amoureux chez toi, cache-le dans la chambrette de ta servante, où tu tâcheras toujours de placer la chaise percée, pour tes petits besoins, et arrange-toi de façon à manger le soir quelque chose qui te dérange le ventre; tu fais alors semblant d'avoir la colique, tu t'échapperas d'à côté de l'autre en geignant lamentablement et tu vas retrouver celui qui, pour t'avoir attendue la flûte en main, te forgera deux clous d'une chaude. La douceur qui te chatouillera toute, à ce moment, te fera crier d'autres «Aïe! aïe!», d'autres «Je me meurs» et sur plus belle gamme que si tu avais le mal de matrice. L'office achevé, reviens près de ton homme déchargée de toute peine; cette recette-là, c'est le moyen de ménager la chèvre et les couilles, comme disait le dépensier de l'Armellino.
Pippa.—Je l'utiliserai.
Nanna.—Supposé que le jaloux en ait quelque vent, vite la main en l'air, pour jurer que non, et d'une mine assurée dis toujours: «Des bêtises!» S'il entre en fureur, humilie-toi jusqu'à crier: «Ainsi, vous me tenez pour une de ces espèces, hein? Si l'on vous a dit quelque chose, puis-je empêcher les langues? Si j'en avais voulu d'autres, je ne vous aurais pas pris, je n'aurais pas fais de moi une recluse, pour l'amour de vous»; et en clabaudant de la sorte, serre-toi contre lui le plus que tu pourras. Si les poings se mettent à entrer en branle, patience! Il ne tardera pas à payer les frais de médecin et de médecines. Toutes les caresses que tu lui auras faites pour le radoucir, il te les fera pour te reconsoler, et les «Pardonne-moi», les «J'ai eu tort de le croire» te chatouilleront si bien que tu redeviendras la belle et bonne amie. Gare que si tu confessais ta faute ou si tu voulais te revenger de quatre coups de poing qui vont et viennent, tu ne sois en danger de le perdre ou de l'irriter si fort qu'il ne t'en résulterait rien de bon. Il est clair que le difficile c'est de garder des amants et non d'en faire.
Pippa.—Il n'y a pas de doute à cela.
Nanna.—Tourne la page. Tu en rencontreras un autre qui ne sera pas jaloux, quoique amoureux, en dépit de ceux qui ne croient pas que l'amour puisse exister sans jalousie. Pour les hommes taillés dans ce bois-là, il y a un électuaire dont on n'a qu'à faire prendre une ou deux lampées: on rendrait jaloux un bordel.
Pippa.—Quel électuaire?
Nanna.—Fais-toi écrire une petite lettre par quelqu'un à qui tu puisses te fier; celle-ci, par exemple, que j'ai autrefois apprise par cœur:
«Signora, je ne puis vous saluer, en tête de ma lettre, parce qu'il n'y a plus de salut pour moi. A l'heure que votre pitié daignera m'assigner et à l'endroit qui vous paraîtra le plus commode, je pourrai vous dire ce que je n'ose vous déclarer par écrit ni par message. C'est pourquoi je vous supplie, au nom de vos charmes divins, que la nature, avec le consentement de Dieu, a empruntés aux anges pour vous les donner, de vouloir permettre que je vous parle. J'ai à vous dire des choses qui vous rendront heureuse, et d'autant plus heureuse que j'obtiendrai plus vite l'audience que je sollicite à genoux. J'attends une réponse empreinte d'autant de grâce qu'il s'en irradie de votre gracieux visage. Si vous refusez de me l'octroyer, comme vous refusâtes les perles que je vous fis porter non en présent, mais en signe de bonne amitié, par..., etc., le fer, la corde ou le poison me délivrera de mes peines. Je baise les mains à votre illustre Seigneurie...», avec la suscription et la souscription que saura faire celui qui écrira la lettre, dans le cas que je t'explique.
Pippa.—Qu'aurai-je à en faire, la lettre une fois écrite?
Nanna.—Plie-la menu et glisse-la dans un gant que tu laisseras tomber quelque part, comme à l'étourdie. L'homme qui met la jalousie sous ses semelles ne tardera pas à l'avoir en plein poumon. L'insouciant ramasse le gant et sent aussitôt le billet; dès qu'il le sentira, il le prendra et, se cachant d'un chacun, se retirera en quelque coin, seul, tout seul. A peine aura-t-il commencé à lire qu'il commencera à faire la grimace; et quand il en sera aux perles refusées, il soufflera comme un aspic; sa morgue lui tombera dans les talons et l'âme lui viendra aux dents, car j'imagine que le diable entre au corps de l'homme qui tout d'un coup butte contre un rival, et l'on ne pourrait dire quelle rage met sens dessus dessous celui qui jusqu'alors croyant ne pas avoir de compagnon au plat en voit surgir un qui lui met en grand danger tout le rôti. La facétieuse missive lue et relue, il la remettra où il l'a trouvée, c'est-à-dire dans le gant: toi, là-dessus, sois à l'épier par quelque fente ou par le trou de la serrure et, au bon moment, querelle la servante, dis-lui: «Où est mon gant, petite sotte? Où est-il, tête à l'évent?» Le dolent ne manquera pas de s'avancer; hausse le ton et dis: «Gueuse, coquine, tu seras cause de quelque scandale, et peut-être de ma ruine. Je crois bien que si elle lui tombe entre les mains, je ne pourrai jamais lui faire entrer dans la tête que je voulais la lui montrer et lui dire quel est celui qui m'adresse de telles sottises. Dieu sait si des perles ou des ducats ont le pouvoir de faire de moi la femme d'un autre!» L'englué, en entendant cela, calmera sa colère et, après avoir délibéré une minute, t'appellera en s'écriant: «Le voici! pas un mot de plus; je n'ai de confiance qu'en toi, j'ai lu tout et ce ne sont pas les perles qui te manqueront. Je t'en supplie, ne me dis pas le nom de celui qui te fait des offres si magnifiques, parce que peut-être bien, peut-être bien...» Il s'arrêtera là-dessus; tu lui répondras: «Je n'ai jamais voulu vous dire les ennuis que j'ai, les messages, les..., enfin, suffit! Je suis à vous, je veux toujours l'être, et quand je serai morte, je serai encore toute à vous.»
Pippa.—Dites-moi donc à quoi aboutira la trame.
Nanna.—A ce que le trouveur de la lettre n'aura plus de repos. Tout homme qu'il apercevra dans ta rue, il croira que c'est celui qui te l'a envoyée, ou son ruffian, et de peur de te laisser la moindre occasion d'accepter ses cadeaux, il ira tout de suite au-devant de ces Mantouans, pour ne pas dire de ces Ferrarais, qui, à peine descendus à l'auberge, s'en vont faire de l'œil à toutes, comme si les galons et les crevés qui déparent leurs pourpoints et leurs capes possédaient le privilège de les faire expédier «gratis», comme on dit au Palais. Pippa, si jamais des chats-huants de cette espèce te tombent entre les pinces, informe-toi bellement de l'époque où ils doivent s'en aller et calcule le temps de leur séjour d'après les bagues, les agrafes, les chaînes de cou, les dentelles et autres fanfreluches qu'ils ont sur le corps; parce que, pour ce qui est de leur argent, il n'y a aucun fondement à faire là-dessus, et comme par aventure jamais ne reviendront, tu n'as pas à t'inquiéter qu'ils te prisent ou te méprisent.
Pippa.—Je m'en moquerai pas mal; mais que savez-vous de leur argent?
Nanna.—Je sais qu'ils n'en apportent même pas assez pour s'en retourner dans leur pays. Si tu as affaire à eux, dévalise-les de ces colifichets dont je te parle; sinon, tu resteras les mains pleines de leurs compliments à l'ambre.
Pippa.—Si je tombe dans leur panneau, que je les paye de ma bourse!
Nanna.—Au cas que l'un d'eux couche avec toi, guigne de l'œil ce qu'il a de bon, sa chemise, sa coiffure de nuit, et le matin, avant qu'il se lève, fais venir une Juive avec une foule de babioles; quand tu les auras comparées avec ses mantouaneries, dis de les emporter ou brouille le paquet et jette tout à terre, mets-toi en colère contre toi-même, contre le bélître, et grommelle entre tes dents jusqu'à ce qu'il te les offre; s'il refuse, invite-le à revenir coucher et cette fois saccage-le de gré ou de force.
Pippa.—Quand vous étiez jeune, est-ce que vous faisiez tout ce que vous me recommandez de faire?
Nanna.—De mon temps, c'était un autre temps; j'ai fait ce que j'ai pu, comme tu le verras si je te donne à lire ma vie imprimée par celui que le Diable... non que Dieu l'emporte! je me reprends, de peur que s'il a mauvais caractère, il ne dise de moi pis que n'en diront de toi ces amoureux grossiers avec qui tu ne saurais pas te maintenir. Je sais bien que tu vas me répondre: «Je ne t'empêtrerai pas de semblables gens»; oui, mais tu ne pourras t'en empêcher.
Pippa.—Pourquoi non?
Nanna.—Parce que si tu veux agir avec prudence, comme tu le dois, il te faudra en souffrir autour de toi. Laisse-les donc s'emporter, s'ils s'emportent, et bouche les oreilles aux «putain! coquine!» qu'ils te lâcheront tout d'un trait. Ils ont beau couper en deux la mappemonde, ce ne sont que des paroles noyées dans la salive qu'ils lancent au visage de qui les approche, il n'en est rien de plus; en moins de deux Credo, les voilà retournés en bonace; ils te demandent pardon, te font des cadeaux et voudraient te mettre dans leur cœur. Pour moi, j'aime assez avoir affaire à ceux-là, parce que si la moindre des choses les met en fureur, la moindre des choses les radoucit. Je compare leur colère à un nuage de juillet, il tonne, il éclaire, et après qu'il est tombé vingt-cinq petites gouttes d'eau, voici le soleil. Ainsi donc, patience te procurera richesse.
Pippa.—Nous patienterons; qu'en adviendra-t-il?
Nanna.—Il en adviendra que chacun tiendra à toi jusqu'à la mort. A cette heure, te voici avec un finaud, un madré, un vieux renard qui pèse toutes tes allures; pour la moindre parole, il te cherche querelle, fait signe du pied à son compère, se tord le museau et cligne de l'œil comme s'il disait: «M'attraper, moi? ha!» Tiens-toi coite, ne te trouble jamais; bien mieux, fais toujours la simple, la niaise; ne l'interroge point, ne te défends point. S'il te parle, parle-lui; s'il t'embrasse, embrasse-le; s'il te donne quelque chose, accepte et comporte-toi si adroitement qu'il ne puisse jamais te prendre au plat. Tâche qu'il commence à se dire en lui-même que tu es bonne comme le pain; mais ne te laisse pas sarcler le jardinet sans qu'il paye la façon du terrain où il veut semer la graine, et comme il s'aide de tous ses tours de gibecière pour ne pas se faire attraper, de même tu t'aideras de toute ta finesse pour l'obliger d'avouer qu'il n'y a pas moyen de t'attraper non plus. Force lui sera, à ce rapetasse-morceaux, de te fier sa foi méfiante; ainsi refait du même au même, il sera tout à toi et tu ne seras à lui que quand tu le voudras bien.
Pippa.—Je m'étonne, maman, que vous ne teniez pas école pour y apprendre aux gens ces galanteries-là.
Nanna.—Je possède une qualité qui rehausserait une impératrice: je ne suis pas glorieuse. Je l'étais autrefois, Dieu me le pardonne! Mais ne gaspillons pas le temps. Apprends à te fâcher et à te radoucir avec tes poursuivants de la manière que je t'enseigne, et ne trouve pas trop long ce livre que je veux que tu récites couramment. Le putanisme aiguise si bien l'esprit que sans maître, en huit jours, il vous en apprend plus long qu'on n'en peut savoir. Or juge un peu si tu dépasseras les autres, ayant la Nanna pour guide!
Pippa.—Qu'il en soit ainsi!
Nanna.—Il en sera ainsi, n'en doute pas. Fâche-toi avec grâce, Pippa; prends-y toi de telle sorte que tout le monde te donne raison. Si ton amoureux te promet Rome et le reste, attends l'exécution de sa promesse un jour ou deux, sans lui en dire un mot; passé la moitié du troisième jour, pousse-lui un petit coup de bouton. Il te répondra: «Sois sans crainte, tu verras; compte sur moi.» Montre-toi rayonnante et mets-toi à causer du Turc qui doit venir, du Pape qui n'est pas encore crevé, de l'Empereur qui fait des choses miraculeuses, du Roland furieux et du Tarif des courtisanes de Venise, que j'aurais dû mettre en tête. Puis laisse-toi tomber le menton sur la poitrine et deviens muette tout d'un coup; songe et resonge un bout de temps, et en te levant debout, dis d'une voix étranglée: «Je ne l'aurais jamais cru!» Là-dessus, il me semble voir l'homme au cadeau en retard s'écrier: «Qu'avez-vous donc?—Où étiez-vous donc hier soir?» lui riposteras-tu, et sans vouloir rien entendre, sauve-toi dans ta chambre, enferme-toi en dedans. S'il frappe, laisse-le aboyer; moi, de mon côté, je lui donnerai toujours tort et je lui affirmerai par serment qu'on t'a dit qu'il venait passer avec toi un caprice qu'il a pour une telle. Sois-en certaine, il dégringolera l'escalier en blasphémant, en niant la chose; quand il voudra revenir quelque temps après, ou sur l'heure même, ou le lendemain, fais-lui répondre que tu as affaire ou que tu es en compagnie.
Pippa.—Oui, oui; il fera la paix en m'apportant ce qu'il m'aura promis au double.
Nanna.—Vrai, comme je suis sûre que tu auras alors un visage différent du mien; mais suis-moi attentivement. Tu peux encore mettre en œuvre une bouderie de ton cru, c'est-à-dire te fâcher en dedans de toi-même et t'enfoncer les joues dans tes mains.
Pippa.—Pourquoi faire?
Nanna.—Pour faire que lui, qui ne peut durer sans toi, s'approche de toi et te dise: «Quelles fantaisies vous prennent? Vous sentez-vous mal? Vous manque-t-il rien? Parlez.» Il te donnera du vous pour t'amadouer. Réponds-lui: «Eh! laisse-moi en paix, je te prie; allons, ôte-toi de là, ôte-toi, te dis-je; oui, oui!» Tu lui cherches pouille et le tutoies toujours, ce qui aura l'air de le mépriser. Tu t'y prends de la sorte afin qu'il te chatouille pour te faire rire, mais ces rires-là, garde-toi bien d'en laisser rien échapper de ta figure ou de tes yeux, à moins qu'il ne te donne quelque chose; le cadeau fait, fais à sa volonté. On dit que les enfants, eux aussi, se fâchent sans sujet et font la paix quand on leur donne du nanan.
Pippa.—Tout ça, c'est des bêtises. Je voudrais que vous me disiez comment on se rapatrie après une infidélité: mettons le cas qu'elle vienne de lui à moi ou de moi à lui.
Nanna.—Je vais te le dire. S'il arrive que l'infidélité provienne de toi, comme on doit archicroire qu'elle en proviendra, baisse les épaules, parle humblement et dis à tout le monde: «J'ai fait un coup de jeunesse, de tête folle, de femme sans cervelle; le diable m'aveuglait; je ne mérite pas de pardon, et si Dieu m'en réchappe, jamais plus, jamais je n'enfreindrai ses commandements.» Enfin, lève la bonde à l'écluse des larmes et pleure plus que si tu me voyais refroidie aux pieds, ce dont Dieu me garde et le réserve pour qui me veut du mal.
Pippa.—Amen.
Nanna.—Le tapage et les pleurnicheries que tu feras lui seront rapportés à franc étrier, parce qu'un homme dans ce cas-là aura toujours espions à ses trousses. Ce qu'ils lui en diront, en ajoutant quelques petites choses du leur, lui fera changer de résolution, et bien qu'il jure de se ronger de faim les poings plutôt que de t'adresser la parole, de se laisser plutôt mener à la boucherie par ses ennemis, et tous les autres philostrocoles qui viennent entre les dents quand on se laisse aller à la colère, il n'en sera rien de plus; ces jurements-là ne le conduiront pas en enfer, parce que messire le bon Dieu ne tient aucun compte des parjures des amoureux: ils ne peuvent faire de testament tant qu'ils pérorent dans le délire du coup de marteau. Si l'obstination persiste en cet opiniâtre dès le maillot, écris-lui une bible, va le trouver chez lui et fais mine de vouloir briser sa porte; s'il refuse d'ouvrir, emporte-toi, crie de toutes tes forces, maudis-le et, rien ne réussissant, feins de te pendre. Prends garde seulement que le simulacre ne devienne une réalité, comme il est arrivé à je ne sais plus qui, de Modène.
Pippa.—Oh! si jamais je me pends, pour rire ou pour de bon, je veux être pendue.
Nanna.—Ah! ah! ah! Voici le bon moyen de défaire le nœud. Furète partout chez toi, dans les armoires, dans tous coins et fais un paquet de ses chemises, de ses chaussettes, de tout ce qui lui appartient, jusqu'à une vieille paire de pantoufles éculées, jusqu'à ses vieux gants, son bonnet de nuit, toutes ses frusques; même, si tu as quelque bracelet, quelque bague qu'il t'ait donnés, renvoie-les-lui.
Pippa.—Je n'en ferai rien.
Nanna.—Fais-le, sur ma parole, parce que les saintes huiles, pour celui que l'amour a mis à toute extrémité, c'est de se voir rendre les cadeaux par lui offerts à sa maîtresse; cela lui fait voir clairement l'estime où l'on tient sa personne et sa fortune, et il en tombe dans un tel chagrin que la moindre folie dont il soit capable, c'est d'aller ramasser des pierres; sans plus de retard, il empoignera les objets en question et te les fera reporter, c'est certain.
Pippa.—Et si c'était quelque avaricieux?
Nanna.—Les avaricieux ne font pas de cadeaux et ne laissent traîner rien qui ait de la valeur; donc, risque-toi à essayer ce que je te dis, et si la paix de Marcone ne se fait pas, dis-moi que je suis une bête, du genre de celles qui se plantent là écarquillées et, pourvu qu'on les mette parmi les premières de toutes, s'imaginent avoir bien arrangé leurs petites affaires en vendant leur peau, sans plus s'aider des pratiques de la magie. Pauvres, pauvres malheureuses! Elles ne soupçonnent pas la fin qui s'accorde avec le commencement et le milieu pour les mener tout droit à l'hôpital et sur les ponts, où, pleines de mal français, cassées en deux, rebutées de tout le monde, elles vont vomir quiconque peut souffrir de les regarder. Je te le dis, ma fille, le trésor que ces fins limiers d'Espagnols ont trouvé dans le nouveau monde ne suffirait pas à payer une putain, si laide, si disgracieuse qu'elle soit; et qui réfléchit bien à leur existence pécherait damnablement à ne pas confesser que c'est vrai.
Pour te faire savoir que je parle par la bouche de la vérité, en voici une, par exemple, qui se trouve obligée à l'un ou à l'autre; elle n'a jamais une heure de repos, elle ne peut ni sortir, ni rester; elle n'est tranquille ni au lit, ni à table. A-t-elle sommeil? impossible de dormir; il lui faut se tenir éveillée, faire des caresses à un galeux, à un homme dont la bouche est un fumier, à un buffle qui la pilonnera tout le temps. Si elle refuse, les reproches vont bon train: «Tu ne mérites pas de m'avoir: tu n'es pas digne de moi; si j'étais ce poltron, ce fainéant d'un tel, tu ne ferais pas l'endormie.» Est-elle à table? toute mouche qui vole est un éléphant, et pour la moindre des bouchées qu'elle adresse à n'importe qui, le voilà qui grogne, qui fume de rage, en mâchonnant son pain et sa jalousie avec, pour tout partage. Sort-elle? le voilà en furie et se disant: «Il y a là-dessous quelque trame.» Il cesse de te parler et va clabauder par les rues l'infidélité qu'il croit que tu lui as faite, soupçonne celui-ci, celui-là et ne peut durer en place. Reste-t-elle au logis, ayant ce je ne sais quoi dont il advient que souvent on est tout mélancolique sans avoir la moindre mélancolie, empêchée que l'on est de faire aux gens bon visage comme à l'ordinaire?—«Mon soupçon se confirme», dira-t-il; «j'en étais sûr; je te pue, maintenant; je sais bien où tu as mal, je le sais fort bien. Tu ne manqueras pas d'hommes, ni moi non plus de femmes pour mon argent. Des putains, il y en a au cent, par ici.» Tout cela ne serait que manus-christi et bonbons dorés, n'était cet avilissant mépris où nous sommes tenues et dont l'odeur pénètre jusqu'au fond de l'abîme, non contente de monter jusqu'au ciel. On nous tourne et on nous retourne par tous les bouts, de jour et de nuit, et qui ne consent à toutes les saletés que l'homme peut imaginer meurt à la peine; l'un préfère le bouilli, l'autre le rôti; ils ont inventé de baiser la motte en arrière, les jambes sur le cou, à la Jeannette, à la grue, à la tortue, à l'église sur le clocher, à la franc étrier, à la brebis qui broute, et autres postures plus bizarres que ne sont les gestes d'un joueur de gobelets. De sorte que je puis bien dire: «Monde, va-t'en avec Dieu!» J'ai honte d'en conter plus long. Bref, aujourd'hui on fait l'anatomie de n'importe quelle signora: c'est pourquoi, sache plaire, Pippa; sache te conduire, autrement je t'ai vue à Lucques!
Pippa.—Vraiment oui, ma foi, il faut, pour être courtisane, savoir autre chose que relever ses jupes et dire: «Va, j'y suis», comme vous me le disiez tout à l'heure. Il ne suffit pas d'être un friand morceau; vous êtes bonne devineresse.
Nanna.—Un particulier n'a pas plus tôt dépensé dix ducats à se passer toutes les fantaisies qu'on peut se passer avec une jeune fille qu'il a été crucifié à Baccano, et comme s'il se faisait là quelque mauvais coup, voilà le peuple en rumeur, criant partout que telle drôlesse a ruiné ce pauvre garçon. Mais qu'ils jouent jusqu'à leurs côtés, en reniant le baptême et la religion, ils en sont loués; leur race puisse-t-elle être anéantie! Laisse-moi finir de te narrer ce que je t'ai promis, et demain j'emploierai toute la journée à te lire le calendrier de ces brigands d'hommes; je te ferai pleurer en te contant les cruautés et les félonies de ces Turcs, de ces Maures, de ces Juifs à l'égard de ces pauvres femmelettes: il n'y a pas de poison, de poignard, de feu ni de flammes qui puisse nous en venger. Pour moi, il m'en est resté deux paires sur la conscience; je m'en suis confessée, sans aller à confesse.
Pippa.—Ne vous mettez pas en colère.
Nanna.—Je ne puis empêcher que les ribauds ne s'y mettent; tu verras comme ils savent reprendre ce qu'ils ont donné et leur vaillantise à vous diffamer, à vous flanquer des trente-et-un. Pourtant, je ne veux pas t'avoir donné le dernier conseil touchant les chatteries, les façons, les manières dont tu devras user dans la conversation: c'est là qu'est la clef du jeu.
Pippa.—Je voulais vous y voir venir.
Nanna.—Et tu m'y tiens maintenant. Savoir causer, avec ce gentil babillage qui jamais n'ennuie, c'est le citron dont on exprime le jus sur les tripes en train de frire dans la poêle et le poivre dont on les saupoudre. Le joli passe-temps, si tu te trouves en société avec toute sorte de monde, que de plaire à chacun et de les cajoler tous sans te rendre fastidieuse! Il y a du bon aussi dans quelques mots salés, quelque riposte adressée à qui se permettrait de vouloir te dauber; et comme les caractères des gens sont encore de plus de variétés que leurs fantaisies, étudie-les, guette, prévois, examine, réfléchis et passe au crible les cervelles de tout le monde.
Te voici un Espagnol, bien attifé, parfumé, délicat comme le cul d'un pot de chambre, qui se brise dès qu'on le cogne, l'épée au côté, bouffi d'arrogance, son moço par derrière, la bouche pleine de ses «Par la vie de l'Impératrice!» et autres gentillesses. Dis-lui: «Je ne mérite pas qu'un cavalier tel que vous me fasse tant d'honneur! Que Votre Seigneurie se couvre la tête: je ne l'écouterai pas qu'elle ne se la soit couverte.» Si les «Votre Altesse» qu'il te lâchera par la figure et les baisers dont il te léchera les mains étaient le moyen alchimique de t'enrichir, grâce à ses Altesses et à toutes ses cérémonies, tes revenus dépasseraient ceux d'Agostino Chigi.
Pippa.—Je sais bien qu'il n'y a rien à gagner avec eux.
Nanna.—Avec eux, tu n'as pas autre chose à faire qu'à leur rendre de la fumée en échange du vent et des bouffées en échange de ces soupirs qu'ils savent si bien lâcher à pleins boyaux. Incline-toi cependant à leurs révérences, ne leur baise pas seulement la main, mais le gant, et si tu ne veux pas qu'ils te payent avec le récit de la prise de Milan, dépêtre-toi d'eux le mieux que tu sauras.
Pippa.—C'est ce que je ferai.
Nanna.—Tiens-toi tranquille. Un Français! Ouvre-lui vite, à celui-là; ouvre-lui en un éclair, et pendant que tout guilleret il t'embrasse, il te baise à la bonne franquette, fais apporter le vin; avec les gens de cette nation, sors du naturel des putains, qui ne te donneraient pas un verre d'eau si elles te voyaient trépasser, et à l'aide de deux bouchées de pain commencez à vous familiariser amoureusement ensemble. Sans rester trop longtemps sur les convenances, accepte-le à coucher avec toi et mets-moi gentiment à la porte tous les autres: aussitôt, tu croiras avoir affaire à carnaval, tant il pleuvra de victuailles dans ta cuisine. Quoi de plus? Il sortira en chemise de tes griffes, parce que ce sont de bons ivrognes, sachant mieux dépenser l'argent que le gagner et s'oubliant eux-mêmes plus facilement qu'ils ne se souviennent d'une injure qu'on leur a faite; il se souciera bien que tu l'aies volé ou non!
Pippa.—Amours de Français! Soyez-vous bénis!
Nanna.—Songe aussi que les Français retournent deniers et les Espagnols coupes. Les Allemands, parlons d'eux, sont faits d'un autre moule, et il y a lieu de jeter sur eux son dévolu: je parle des gros marchands, qui se plongent dans les amours, je ne veux pas dire comme dans le vin, parce que j'en ai connu d'on ne peut plus sobres, mais comme dans les luthérianeries. Ils te donneront de grands ducats, si tu sais les prendre par le bon bout, sans aller crier sur les toits qu'ils sont tes amants, ni qu'ils te font ceci, qu'ils te disent cela; plume-les secrètement, ils se laisseront plumer.
Pippa.—J'en aurai bonne mémoire.
Nanna.—Leur naturel est dur, âpre et grossier; quand ils s'entêtent d'une chose, Dieu seul la leur ôterait. Donc, sache les oindre, comme d'huile douce, de la connaissance que tu as de leur caractère.
Pippa.—Que me reste-il à faire de plus?
Nanna.—Je voudrais t'exhorter à une chose, et je n'ose me risquer à la dire.
Pippa.—A quoi donc?
Nanna.—A rien.
Pippa.—Dites-le-moi, je veux le savoir.
Nanna.—Non, ce me serait imputé à blâme et à péché.
Pippa.—Pourquoi m'avez-vous mise en goût de le savoir?
Nanna.—A te dire vrai, que diable en sera-t-il, si tu peux souffrir la promiscuité de juifs? Oui, endure-la donc, mais adroitement. Trouve un prétexte, comme de vouloir acheter des tapisseries, des garnitures de lit et semblables babioles; tu verras qu'il s'en rencontrera bien quelqu'un qui te mettra dans le tiroir de devant le produit net de toutes leurs usures, de toutes leurs filouteries, et qui y surajoutera même l'argent du change; s'ils puent le chien, laisse-les puer.
Pippa.—Je croyais que vous alliez me confier quelque grand secret.
Nanna.—Que sais-je, moi? L'infection qui est leur maladie me fait hésiter à t'en parler. Mais sais-tu ce qu'il en est? Les gros grains ramassés par les gens qui vont sur mer, c'est au risque d'aller ramer sur les galères, au risque des Catalans, au risque de se noyer, de tomber entre les mains des Turcs, de Barberousse, de voir le vaisseau s'effondrer, de manger du pain sec et plein de vermine, de boire de l'eau et du vinaigre, et de supporter mille autres misères, à ce que j'ai entendu dire. Si celui qui va sur mer ne s'inquiète ni du vent, ni de la pluie, ni de ses fatigues, pourquoi une courtisane ne se moquerait-elle pas de la puanteur des juifs?
Pippa.—Vous faites des comparaisons on ne peut plus jolies. Mais si je m'empêtre d'eux, que diront mes amis?
Nanna.—Que veux-tu qu'ils disent, s'ils ne savent rien?
Pippa.—Comment ne le sauraient-ils pas?
Nanna.—Si tu n'en dis rien, le juif, par crainte qu'on ne lui casse les os, sera discret comme un voleur.
Pippa.—De cette façon, oui!
Nanna.—Te voici dans ta chambre un Florentin, avec ses froncements, ses remuements de babines; fais-lui bon accueil. Les Florentins, hors de Florence, ressemblent à ces gens qui ont la vessie pleine et n'osent aller pisser, par respect pour l'endroit où ils se trouvent; une fois sortis, ils submergent un terrain d'une longueur!... d'une longueur! avec l'urine que verse leur ustensile. Ils sont, je te dis, plus larges dehors qu'ils ne sont chez eux serrés; en outre, ils se montrent lettrés, gentils, polis, spirituels, savoureux, et quand ils ne te feraient cadeau de rien plus que de leur aimable langage, ne pourrais-tu pas t'en contenter?
Pippa.—Moi, non.
Nanna.—C'est une façon de parler. Suffit qu'ils dépensent au possible, qu'ils font des soupers pontificaux et des parties de plaisir bien autrement galantes que les autres; enfin, leur langue plaît à tout le monde.
Pippa.—Venez-en donc un peu aux Vénitiens.
Nanna.—Je ne veux pas te renseigner sur eux, parce que si je t'en disais autant de bien qu'ils en méritent, on me riposterait: «L'amour te déçoit!» et certes il ne me déçoit nullement, car ce sont les dieux, les maîtres de l'univers, et les plus beaux jeunes gens, les plus beaux hommes faits, les plus beaux vieillards du monde. Dépouille-les de ces vêtements austères qu'ils portent, tous les autres hommes te paraîtront des fantoches de cire, en comparaison, et bien qu'ils soient fiers, parce qu'ils sont riches, ils sont la bonté même, pourtraite au naturel. Quoiqu'ils vivent en marchands vis-à-vis de nous autres, ils se comportent royalement, et celle qui sait les prendre peut s'estimer heureuse: toute chose en ce monde est plaisanterie, sauf ces grands coffres qu'ils ont, pleins jusqu'au bord de ducats, et qu'il tonne ou pleuve, ils n'en font pas plus de cas qu'un bagattino[13].
Pippa.—Dieu les protège!
Nanna.—Il les protège bien.
Pippa.—Mais maintenant que je m'en souviens, expliquez-moi donc pourquoi la signora qui est revenue de chez eux l'autre jour n'a pu y rester; à ce que ma marraine disait, elle s'en est revenue avec vingt paires de caisses remplies de cailloux.
Nanna.—Je vais te le dire. Les Vénitiens ont le goût fait à leur façon particulière; ils veulent des fesses, des tétons et des chairs fermes, de quinze à seize ans jusqu'à vingt ans, au plus, et non pas des pétrarquesqueries. Pour cette raison, ma fille, avec eux mets dans le coin les manières de courtisane et régale-les au naturel, si tu veux qu'ils te jettent à pleines mains de l'or couleur de braise et non des sornettes couleur de brouillard. Pour moi, si j'étais homme, je voudrais coucher avec une femme qui aurait plutôt la langue emmiellée que bien endoctrinée, et j'aimerais mieux tenir dans mes bras la plus grande catin que messire Dante; crois-moi, c'est une autre mélodie que la sienne, celle d'une main qui s'égare, qui va cherchant au bas du ventre les cordes du luth et sait s'arrêter sur ce nerf alors qu'il n'est pas trop rentré en dedans ni trop poussé au dehors. La musique de cette main qui tapote le sanctuaire des fesses me paraît d'une autre suavité que celle des fifres du château, quand les cardinaux s'en vont au palais sous ces vastes capuchons qui les font ressembler à des chouettes blotties dans leur trou. C'est comme si je la voyais, cette main dont je te parle, cesser un peu la musique, puis reprendre le manche qui, en retenant et en déchargeant sa colère, se hausse et se baisse comme ferait une peinture, supposé qu'elle fût animée.
Pippa.—Oh! vous peignez suffisamment bien en paroles. Je me suis toute troublée en vous écoutant et j'aurais volontiers cru que cette main dont vous parliez se glissait au bas de mes tétons et allait me prendre... je ne veux pas dire quoi.
Nanna.—Je me suis aperçue de ton émotion à ta figure, qui a commencé par changer, puis qui s'est couverte de rougeur pendant que je te montrais ce qui ne se voit pas. Pour te faire faire un saut de Florence à Sienne, je te dirai que les Siennois, ces grosses bêtes, sont de bons fous, pas méchants, encore bien que depuis quelques années ils aient empiré, à ce que disent certaines gens. De la quantité d'hommes que j'ai pratiqués, ils me semblent être le superlatif; ils ont quelque chose des gentillesses et des talents des Florentins, mais sans être si adroits, si fins de nez, et qui sait les duper les rase et les pèle jusqu'au vif; ce sont de bons couillards, plutôt que non, d'un commerce honorable et agréable.
Pippa.—Ils sont faits exprès pour moi.
Nanna.—Oui, certes; maintenant passons à Naples.
Pippa.—Ne m'en parlez pas; rien que d'y songer, je rends l'âme.
Nanna.—Écoute, ma petite signora, par la vie de ta mort! Les Napolitains sont mis au monde pour vous faire perdre le sommeil ou pour que l'on en prenne une bonne lippée une fois par mois, un jour qu'on en a la fantaisie en tête, que l'on est seule ou avec quelqu'un de peu d'importance. Je dois t'en prévenir, leurs hâbleries vont jusqu'au ciel; parle-leur chevaux: ils possèdent les meilleurs d'Espagne; parle vêtements: ils en ont plein deux ou trois garde-robes; de l'argent, ils en regorgent, et toutes les belles du royaume meurent d'amour pour eux. Si tu laisses tomber ton mouchoir, ton gant, ils te le ramassent, avec les plus galantes paraboles qu'on ait ouïes jamais à la cour de Capoue; oui, signora.
Pippa.—Quel amusement!
Nanna.—J'avais pris l'habitude jadis de désespérer un de ces brigands, appelé Giovanni Agnese, en m'efforçant de le contrefaire (en paroles, car en actions le bourreau n'y parviendrait pas: c'est l'écume de la ribauderie des ribauds), et un Génois s'en étouffait de rire. Je me tournai un jour vers celui-ci et je lui dis: «Ma Gênes à toi, ta superbe à toi, vous savez si bien, vous autres, acheter la vache sans vous laisser mettre un seul os, que nous n'avons pas grand'chose à gagner avec vous.» C'est vrai; ils trouvent moyen de raffiner le fin, d'aiguiser l'aigu, sont excellents ménagers, coupent la tranche aussi mince qu'elle doit l'être et ne t'en donneraient pas un tantinet de plus. Glorieux au demeurant, je ne saurais te dire comme, amateurs des gentilles façons napolitaines espagnolisées, respectueux, te faisant paraître de sucre le peu qu'ils te donnent, et ce peu ne leur manque jamais. Ces gens-là, contente-toi de les payer de fumet et mesure-leur les denrées comme ils te mesurent les leurs; sans trop te dégoûter de ce qu'ils parlent de la gorge et du nez, avec des hoquets, prends avec eux la vie comme elle vient.
Pippa.—Les Bergamesques ont plus de grâce que n'en a leur parler.
Nanna.—Il y en a parmi eux aussi d'agréables et de séduisants, oui, certes; mais venons-en à nos Romains; gare les coups, Rienzi! Ma fille, s'il te convient de manger du pain et du fromage, avec des lames d'épée et des pointes de pique en salade, assaisonnées de superbes bravades que leurs aïeux firent jadis aux Prévôts, va t'empêtrer d'eux. Bref, le jour du sac[14] leur chie encore sur la tête (révérence parler), et c'est pourquoi le pape Clément n'a jamais voulu les revoir.
Pippa.—N'oubliez pas Bologne, au moins pour l'amour du comte et chevalier qui est presque déjà de la famille.
Nanna.—Oublier les Bolonais! Quelle mine auraient les logis des putains sans l'ombre de ces grands échalas taillés en flûtes?
Nés seulement pour faire nombre et pour faire ombre, dit la chanson; «en amour, dis-je, et non à la guerre», ajoutait Fra Mariano, suivant ce que me racontait un jeune drôle d'une vingtaine d'années, sa créature: «Jamais il n'avait vu, disait-il, fous plus joufflus ni mieux vêtus.» Par conséquent, toi, Pippa, fais-leur fête, comme aux bouche-trous de la Cour que tu auras, et amuse-toi de leur babil léger et coulant. Telle pratique n'est pas tout à fait, tout à fait inutile; elle serait même plus utile que nulle autre, s'ils se délectaient de chèvre, autant qu'ils se délectent de chevreau. Quant au reste des Lombards, ces grosses limaces, ces gros papillons, traite-les en franche putain; tires-en tout ce que tu pourras, et le plus vite sera le mieux, en ayant bien soin de leur donner à chacun du chevalier et du comte par la moustache; les «oui, signor; non, signor», ils y tiennent comme à l'œil. Avec eux, quelque bonne petite piperie ne gâtera pas le potage; il est honnête de leur en faire avaler quelqu'une et plus encore de s'en vanter: eux aussi dupent les pauvres courtisanes, puis vont s'en vanter par toutes les auberges où ils logent. Pour que tu saches ce que c'est que piper, sans en avoir l'air, je veux te conter deux de ces piperies que je n'ai pas dites à cette bavarde d'Antonia: je me les suis réservées in petto, pour les cas qui pourraient advenir.
Pippa.—Oh! je suis bien aise de les connaître.
Nanna.—La première est basse, basse; la seconde sera haute, haute. Pour te le dire en douceur, j'avais une petite chambrière, qui m'est morte, sur ses treize ans, et dodue, dodue! jolie, jolie! avec cela futée, adroite, vaurienne au possible, cajoleuse, Dieu te le dise! une vraie petite fouine, une espiègle à éviter prudemment. Je lui enseignai la manière dont elle devrait s'y prendre pour me gagner, ou plutôt pour me chiper l'argent des menues dépenses.
Pippa.—Et comment?
Nanna.—Dès qu'elle avait réussi à capter les bonnes grâces de quiconque abordait chez moi, soit un homme de la ville, soit un étranger, en faisant des agaceries à l'un ou à l'autre, de façon que celui-ci ou celui-là n'eût bientôt plus d'autre plaisir qu'à la lutiner, je lui mettais dans la main une tasse de porcelaine brisée en trois morceaux, et aussitôt que quelque gentilhomme heurtait à la porte, après lui avoir tiré le cordon, elle accourait au haut de l'escalier, toute échevelée, criant d'une voix lamentable:—«Holà! je suis morte! holà! je suis exterminée!» et faisant semblant de vouloir s'enfuir; mon autre servante, d'un âge mur, la retenait bien fort par un bout de sa jupe et lui disait:—«Ne t'en va pas, ne t'en va pas; la signora ne te fera pas de mal.» L'écervelé, la voyant ainsi toute sens dessus dessous, toute en désordre, la prenait par le bras:—«Qu'y a-t-il donc?» lui disait-il; «De quoi pleures-tu? Qu'est-ce qui te fait crier?—Malheureuse que je suis!» répondait-elle, «j'ai cassé cette tasse, qui vaut un ducat; laissez-moi m'en aller, elle va me tuer, si elle m'attrape.» Elle disait tout cela avec des mines si gentilles, des soupirs qui partaient si bien du fond du cœur et des semblants de se trouver mal, qu'elle aurait ému de compassion la potence du gouverneur de la Man-Mozza; elle touchait encore bien mieux le cavalier qui venait badiner avec moi, enfermée que j'étais dans ma chambre, derrière quelque porte entre-bâillée, un bout de mon tablier dans la bouche de peur qu'on ne m'entendît éclater de rire, pendant que lui, d'ordinaire plus serré que le poing, lui mettait dans la main un écu, qu'il comptait avec ses autres aumônes; et je croyais crever quand la vieille, prenant l'écu, dégringolait l'escalier en courant, comme si elle allait chercher une autre tasse.
Pippa.—La bonne fourbe!
Nanna.—Aussitôt, je me montrais dans la salle.—«Je viens faire la révérence à Votre Seigneurie,» s'écriait le cavalier, et me prenant la main, il me la baisait en bavant dessus. Puis il se mettait à converser avec moi, et un quart d'heure après venait la petite, apportant la sœur de la tasse brisée; elle me disait:—Je vais la replacer dans votre chambre.—Qu'as-tu donc? lui demandais-je; qu'est-ce que cela veut dire? tu as les yeux rouges.» Et la petite sournoise, la petite drôlesse lui faisait signe de ne pas me dire l'histoire.
Pippa.—Enfin, pour être courtisane, il faut en savoir plus long qu'un docteur.
Nanna.—Je l'envoyais ainsi jouer le tour à quiconque venait me voir, tenant tantôt un verre, tantôt une tasse, tantôt un plat à la main; elle réussissait à tirer d'eux quatre, quelquefois cinq Jules d'une bourse, autant d'une autre, et de la sorte les menues dépenses de la maison se trouvaient on ne peut plus subtilement couvertes. Arrivons maintenant à la grande piperie.
Pippa.—Voici que je la bois, avant même que vous ne l'entamiez.
Nanna.—Un officier, un gaillard à qui ses charges rapportaient en rentes près de deux mille ducats de chambre, était si démesurément amoureux de moi qu'il en faisait pénitence de ses péchés. Il dépensait lunatiquement, et besoin était de recourir à l'astrologie, je puis le dire, pour en tirer quoi que ce fût s'il ne se trouvait pas en fantaisie de donner. Ce qui est bien pis, c'est que la mauvaise humeur naquit le jour où il vint au monde; pour la moindre parole dont le son lui déplaisait, il entrait en colère; mettre la main à son poignard et t'en fourrer la pointe jusque sous le nez, c'est la moindre frayeur qu'il pût te faire. Pour ce motif, les courtisanes le détestaient comme les paysans détestent la pluie; moi qui ai donné ma peur à ressemeler, je le recevais tant qu'il voulait, et bien qu'il me fît quelques-unes de ses mauvaises plaisanteries, je le souffrais patiemment, méditant toujours de lui en rendre une qui me payât de toutes les siennes. J'y songeai si assidûment qu'à la fin je la trouvai. Que fis-je? Je me confiai à certain peintre, maître Andréa, je puis bien le nommer, et lui laissai prendre quelques menus suffrages, à condition qu'il ferait ce que je voudrais et viendrait se cacher sous mon lit, muni de couleurs et de pinceaux, pour me dessiner une balafre sur la figure, à un moment donné; je m'en ouvris également à maître Mercurio, d'heureuse mémoire; je sais que tu l'as connu.
Pippa.—Oui, je l'ai connu.
Nanna.—Je lui dis que je l'enverrais chercher telle nuit et qu'il accourût avec de la charpie et des œufs; pour m'obliger, il ne sortit pas de chez lui le jour de la fête que je voulais fêter. Voici donc maître Andréa sous le lit et maître Mercurio chez lui; moi, je suis à table avec l'officier. Nous avions presque fini de souper, quand je me mis à lui rappeler certain camérier du Révérendissime à qui il m'avait défendu de parler, sous n'importe quel prétexte; c'était pour le faire monter. Pain déjà levé n'a pas besoin de beaucoup de levain.—«Sacrée garce, vieille putain, sale coureuse!» s'écria-t-il; et comme je voulais lui renfoncer ses injures dans la gorge avec un démenti, il me donna du plat de son poignard sur la joue un tel soufflet que je le sentis pour de bon. J'avais dans une vessie je ne sais quel vermillon détrempé d'huile, à moi donné par maître Andréa; je m'en barbouillai les mains, m'en frottai le visage et aux cris les plus épouvantables qu'ait jamais poussés une femme en couches, je lui fis véritablement croire qu'il m'avait frappée de la pointe. Épouvanté comme un homme qui en a tué un autre, il joua des jambes, s'enfuit au palais du cardinal Colonna et, s'étant blotti dans la chambre d'un courtisan de ses amis, se mit à geindre tout bas, tout bas: «Hélas! adieu la Nanna, Rome et mes emplois; j'ai tout perdu!» Moi je m'étais renfermée dans ma chambre avec ma vieille servante seulement; maître Andréa, sorti du nid, en un clin d'œil me dessina une balafre sur la joue droite, et si parfaitement que, me regardant au miroir, je fus sur le point de tomber à la renverse de saisissement et de tremblement. A l'instant même arrive maître Mercurio qu'était allée chercher ma petite drôlesse à la tasse cassée; il entre et me dit: «—N'ayez pas peur; vous n'avez aucun mal.» Il laisse à la couleur le temps de sécher, me l'arrange bien avec de la charpie trempée dans l'huile de rose, et la plaie obtenue par grâce et privilège spécial ainsi bien nette, bien pansée, il sort par la salle, où une foule de gens se trouvaient déjà rassemblés, et s'écrie: «—Impossible qu'elle en réchappe!» Le bruit en courut par toute la ville de Rome et en vint jusqu'aux oreilles du meurtrier, en train de pleurer comme un enfant qu'on a battu. Le lendemain matin arrive; le médecin, tenant allumée à la main une chandelle d'un denier, lève l'appareil: je ne sais combien de personnes qui avaient réussi à passer leur tête par la porte de la chambre (toutes les fenêtres étaient fermées) se mirent à pleurer, et je ne sais qui, ne pouvant supporter la vue d'une si horrible blessure, s'évanouit en l'apercevant. C'était le bruit public que j'avais la figure abîmée pour toujours, et de la plus triste façon, de sorte que le malfaiteur, en m'envoyant de l'argent, des médecines et des médecins, cherchait à s'épargner la visite du bargello, peu confiant qu'il était, au fond, dans la protection des Colonna. Au bout de huit jours, je fais courir le bruit que j'en réchappe, mais avec une cicatrice plus affreuse, pour une courtisane, que ne le serait la mort: le bon ami de vouloir me l'adoucir à force d'argent; il employa tant de moyens par-ci, tant de moyens par-là, fit si bien agir amis et patrons, que je consentis à un accord, sans me laisser voir de personne, si ce n'est d'un monsignor à la fève égoussée qu'il fréquentait. En somme, il déboursa cinq cents écus pour le dommage, cinquante pour le médecin et les médecines, et je lui pardonnai, c'est-à-dire que je promis de ne pas le poursuivre devant le gouverneur, en exigeant de lui qu'il me laisse en paix et fournirait caution. C'est cet argent-là que j'ai dépensé à l'achat de cette maison, sans le jardin, dont je l'ai arrondie plus tard.
Pippa.—Vous étiez un vaillant homme, maman, quand vous vous lanciez dans semblable aventure.
Nanna.—L'aventure n'est pas encore à l'Alleluia, et je n'en viendrais pas à bout en une année si je voulais te les conter toutes. En bonne foi, je n'ai pas jeté dans l'eau le temps que j'ai vécu; ma foi non, je ne l'ai pas jeté dans l'eau, va.
Pippa.—Cela se voit bien au résultat.
Nanna.—Continuons. Ne trouvant pas que les cinq cents écus, avec cinquante après, eussent touché le palais à mon appétit, j'imaginai très putanesquement une ruse putanesque. Et de quelle façon, crois-tu? Je fis surgir un Napolitain, maître filou des filous, et sous le prétexte d'un secret qu'il possédait, au moyen duquel on pouvait effacer toute trace de blessure laissée au visage de quelqu'un par un mauvais coup, il vint me voir.—«Le jour que l'on voudra déposer cent écus», dit-il, «je me charge de votre affaire; vous n'aurez pas plus de cicatrices sur la figure que vous ne m'en voyez là»; il montrait le creux de sa main. Je me contorsionne et je lui dis avec un semblant de soupir;—«Allez faire part de ce miracle à celui qui est cause que je ne suis plus...» j'allais ajouter «reconnaissable», mais je détournai la tête pour sangloter à petit bruit. Le charlatan, beaucoup trop honorablement habillé de soie, sort, va trouver l'officier tombé en mauvaises griffes et lui expose l'épreuve qu'il se targue de faire. Pense si notre homme, que crucifiait le dépit de ne plus me posséder jamais, déposa la centaine d'écus. Mais pourquoi te traîner en longueur? La cicatrice, qui n'avait jamais existé, s'en alla grâce à l'eau merveilleuse dont il m'injecta par six fois le visage en prononçant les paroles qui semblaient dire MIRABILIUM, et qui ne disaient rien du tout. De la sorte, les cent piaceri[15], comme dit le Grec, m'arrivèrent dans les mains.
Pippa.—Les bienvenus! bon an je leur souhaite.
Nanna.—Attends un peu. Dès que le bruit se répandit que je restais ainsi sans une cicatrice au monde, quiconque avait une balafre par la figure se mit à courir au logis du drôle, comme les synagogues accourraient au Messie, s'il descendait en pleine Piazza Giudea; le traître, après avoir rempli d'arrhes sa bourse, fit ses paquets; à son compte, puisque je lui abandonnais quelques-uns de ces ducats qu'il m'avait fait gagner, les autres devaient montrer la même discrétion.
Pippa.—Est-ce que l'officier sut, comprit et crut la chose?
Nanna.—Il la sut sans la savoir, la comprit sans la comprendre et la crut sans la croire.
Pippa.—Suffit alors.
Nanna.—Dans la queue gît le venin.
Pippa.—Qu'y a-t-il encore?
Nanna.—Il reste le meilleur. Le nigaud, après tant de déboursés, pour lesquels il fut forcé, dit-on, de vendre un titre de chevalier, se réconcilia avec moi, par l'entremise de ruffians et par le moyen de ses lettres et ambassades, qui me chantèrent sa passion. Il vint pour se jeter à mes pieds, la corde au cou, et comme il se composait intérieurement quelques paroles à le faire rentrer dans mes bonnes grâces, il se trouva passer devant la boutique du peintre qui m'avait barbouillé le tableau à miracle que je devais, je le disais bien haut, porter en personne à Lorette. Ses yeux se fixèrent sur la toile et il se vit là tout craché, le poignard à la main, en train de me balafrer, moi, pauvrette; ce n'était rien encore, s'il n'avait lu dessous: «Moi, la signora Nanna, j'adorais messire Maco; mais grâce au diable qui lui entra dans le gobelet, en récompense de mon adoration, j'ai reçu de lui cette balafre, dont m'a guérie la Madone à laquelle je suspends cet ex-voto.»
Pippa.—Ah! ah!
Nanna.—Il fit, en lisant son histoire, la même grimace que les évêques[16] font à leurs pancartes, sous les pieds des démons qui les bâtonnent quand on les excommunie. De retour chez lui, sorti de ses gonds, il me fit consentir, moyennant le cadeau d'une robe, à effacer son nom du tableau.
Pippa.—Ah! ah! ah!
Nanna.—La conclusion, la voici: ce bravache à ses dépens me donna encore l'argent nécessaire pour aller où je n'avais nullement fait vœu d'aller; mais cela ne suffisait pas, je refusai de partir et force lui fut de me faire absoudre par le pape.
Pippa.—Est-ce possible qu'il fût insensé à ce point? Venu chez vous, il ne s'aperçut pas que vous n'aviez jamais eu de cicatrice dans la figure?
Nanna.—Je vais te dire, Pippa. Je pris je ne sais plus quoi, quelque chose comme une lame de couteau, et je me l'appliquai bien fort, bien fort sur la joue; je l'y tins ferme toute la nuit et je me l'enlevai dès qu'il survint. Pour un peu, tu aurais cru, en apercevant la trace livide profondément empreinte dans la chair, que c'était une balafre guérie.
Pippa.—Comme cela, oui.
Nanna.—Je vais maintenant te conter l'histoire de la grue, puis je t'achèverai ce que je dois t'achever.
Pippa.—Dites-la donc.
Nanna.—Je feignis de craindre de faire un enfant marqué, tant j'avais envie de manger une grue aux lasagnes et on n'en trouvait nulle part à acheter: il fallut que mon amoureux envoyât quelqu'un en tuer une d'un coup d'escopette; c'est ainsi que je l'eus. Mais qu'est-ce que j'en fis? Je l'adressai à un charcutier qui connaissait tous mes sujets et tous mes vassaux, comme Gian-Maria[17], le juif, appelle les siens ceux de Verrochio et de Scorticata, je l'avais oublié. Je fis jurer à celui qui m'avait donné la grue de n'en rien dire et comme il me demandait à quoi importait d'en parler ou non, je lui répondis que je ne voulais point passer pour une goulue.
Pippa.—Vous faisiez bien; au charcutier, maintenant.
Nanna.—Je lui fis dire de ne la vendre à personne, sinon à qui viendrait l'acheter pour moi, et lui qui avait déjà maintes fois opéré pour mon compte de semblables ventes comprit la chose d'emblée. A peine eut-il appendu la grue dans sa boutique, l'un de ceux qui connaissaient mon désir de femme grosse tomba dessus et lui dit: «Combien en veux-tu?—Elle n'est pas à vendre», lui répondit le finaud, pour lui en donner d'autant plus envie et la lui faire payer plus cher. L'autre de se mettre à le supplier et à lui dire: «Coûte que coûte!» A la fin, il en donna un ducat et me l'envoya porter par son valet, se flattant de me faire croire qu'un cardinal la lui avait offerte en cadeau; je lui fais fête et, dès qu'il est parti, je la renvoie au marchand pour qu'il la revende. Quoi de plus? la grue fut achetée à la file par tous mes amoureux, toujours un ducat, puis elle me revint à la maison. Maintenant, Pippa, crois-tu que ce soit une moquerie de savoir s'y prendre dans le métier de putain?
Pippa.—Je suis stupéfiée!
Nanna.—Arrivons désormais aux moyens que tu dois employer pour t'attirer des pratiques.
Pippa.—Oui, tout est bon à connaître.
Nanna.—Il te viendra cinq ou six pigeons nouveaux, en compagnie de quelque ancien ami à toi. Fais-leur un accueil princier, assieds-toi avec eux, engage un entretien agréable et le plus honnête que tu pourras. Tout en parlant et en écoutant, toise-moi leurs apparences et estime au juste, d'après leur façon d'être, ce qu'on en peut tirer. Prends alors à part, galamment, ta connaissance, et informe-toi de la condition de chacun; puis reviens au jeu et fais des risettes au plus riche, regarde-le d'un air câlin, comme si tu te mourais pour lui, et ne détache jamais tes yeux des siens sans lâcher quelques soupirs; quand tu ne saurais que son nom, à son départ, dis-lui: «Je baise la main à Votre Seigneurie, signor un tel.» Aux autres, dis-leur simplement: «Je me recommande à vous», et aussitôt postée à la jalousie, dès qu'ils sortiront de la maison, ne te laisse pas apercevoir, sauf lorsqu'il se retournera pour te saluer; au moment que tu seras pour le perdre de vue, penche-toi à corps perdu hors de la fenêtre, et en te mordant le doigt, en le menaçant gentiment, fais-lui connaître qu'il t'a tout ensavonné le cœur, rien que par sa divine présence. Tu verras qu'il reviendra chez toi tout seul et plus délibérément qu'il n'était venu accompagné. Le reste te regarde, Pippa.
Pippa.—Il fait bon vous voir causer.
Nanna.—Je veux te dire une chose, maintenant que je l'ai dans l'idée. Ne ris jamais en parlant à l'oreille de qui se trouve à côté de toi, ni à table, ni autour du feu, ni n'importe où; c'est un des plus déplorables défauts que puissent avoir les femmes, honnêtes ou putains. Jamais on n'y tombe, dans ce défaut-là, sans que chacun ne te soupçonne de se moquer de lui, et il en résulte souvent des brouilleries folles. En second lieu, ne commande jamais, d'un ton de reine, à tes servantes, en présence du monde; ce que tu peux faire toi-même, fais-le: on sait bien que tu as des servantes et que, puisque tu en as, tu peux leur donner des ordres; en ne leur en donnant jamais avec hauteur, tu acquiers la bienveillance des gens, et qui te voit s'écrie: «Oh! la gentille créature! avec quelle grâce elle s'applique à faire toute chose!» Supposé, au contraire, qu'ils te voient t'emporter, les gronder de ce qu'elles ne se dépêchent pas de te ramasser un cure-dent qui te sera échappé des doigts, ou de te brosser une des pantoufles, leur opinion sera que gare à qui est sous ta dépendance, et ils se feront remarquer l'un à l'autre ton orgueil, à l'aide de signes.
Pippa.—Les saints conseils, les excellents conseils!
Nanna.—Mais comment ai-je omis la façon dont tu devras te tenir à un repas où se trouveront une foule de courtisanes, dont le naturel est d'être envieuses, jalouses, fâcheuses et fastidieuses? Tu me connaîtras quand tu ne m'auras plus.
Pippa.—Pourquoi me dites-vous cela?
Nanna.—C'est pour n'avoir plus à te le dire que je te dis. Te voici à un repas où se trouvent invités (on est en carnaval) quantité et quantité de signoras; elles entrent dans la salle, toutes masquées, et elles dansent, elles s'assoient, elles causent sans vouloir s'ôter le masque du visage; elles font bien de rester ainsi pendant que la cohue, qui ne doit pas souper avec elles, s'amuse à écouter la musique, à voir danser: mais elles font mal ensuite, quand on se lave les mains, de ne pas vouloir manger à la table préparée pour tout le monde: l'un va par-ci, l'autre va par-là, il faudrait bâtir des chambres à l'aide de la nécromancie pour contenter toutes celles qui veulent manger à part avec leurs amoureux et qui s'en vont bouleversant le repas, la fête, la maison, les laquais, les servants, les cuisiniers; Dieu leur donne mal an et male Pâques! Chaque jour soit-il pour elles un an et une Pâques!
Pippa.—Les fastidieuses!
Nanna.—Ma douce espérance, je te vais enseigner ici le moyen d'arracher le cœur à tout un chacun par ta gentillesse.
Pippa.—Un moyen certain?
Nanna.—On ne peut plus certain.
Pippa.—Dites-moi comment et payez-vous.
Nanna.—Déballe ta marchandise sans te faire aucunement prier, va t'asseoir à l'endroit que l'on t'indique et dis: «Me voici telle que m'a faite celle qui m'a mise au monde.» En parlant de la sorte, tu toucheras le ciel du doigt, rien que d'entendre les louanges qu'ils t'adressent tous, jusqu'aux broches de la cuisine.
Pippa.—Pourquoi se sauvent-elles donc par les chambres?
Nanna.—Parce qu'elles craignent les comparaisons. Qui est ridée ne veut pas le paraître; qui est laide ne tolère pas qu'une jolie se place à côté d'elle; qui a les dents jaunes refuse d'ouvrir la bouche n'importe où il s'en trouve une qui les ait blanches comme du lait caillé; une autre se dépite de ne pas avoir la robe, le collier, la ceinture, la coiffe de celle-ci ou de celle-là, elle, qui se croit le Seicento même et plus encore, pour le reste; elle aimerait mieux être à l'article de la mort que de se laisser voir en public. L'une se cache par fantaisie, l'autre par bêtise, une autre par malice; de plus, je te dirai qu'étant ainsi séparées, elles disent les unes des autres le pis qu'elles peuvent ou savent dire: «Ce collier de perles n'est pas à elle; cette jupe est celle de la femme d'un tel; ce rubis appartient à messire Piccinolo; tel objet vient de chez tel juif.» Elles se soûlent ainsi de médisance et de maintes sortes de vins, mais il leur est bien rendu verjus pour merises par ceux qui soupent avec toi. L'un dit: «La signora une telle fait bien de cacher sa mauvaise grâce.» D'autres s'écrient: «Signora une telle, quand prenez-vous la décoction de bois?» Un autre rit à n'en plus pouvoir du marquis dont il a reconnu la présence dans les yeux de celle-ci ou de celle-là. Un autre exalte comme un homme d'un courage à toute épreuve quelque pauvre «laissez-moi tranquille», pour l'intrépidité qu'il a de dormir avec sa déesse, plus semblable encore à Satanas en personne qu'à la mère du diable. A la fin, chacun se tourne de ton côté et t'offre son corps et son âme.
Pippa.—Je vous remercie.
Nanna.—Quand tu seras où je te dis, fais-toi honneur, tu me feras aussi honneur à moi. Il t'arrivera d'aller au Popolo, à la Consolazione, à Saint-Pierre, à Saint-Laurent, aux autres principales églises, les jours solennels; galants, seigneurs, courtisans, gentilshommes y seront en groupes, postés à l'endroit qu'ils trouveront le plus commode pour dévisager les belles et dire son fait à celles qui passent et prennent de l'eau bénite du bout des doigts, non sans leur lancer quelque brocard qui cuise. Passe outre gentiment; ne va pas répondre avec une arrogance putanesque; tais-toi plutôt ou dis: «Révérence, belle ou laide, à votre service»; ce disant, ta modestie te servira de vengeance, si bien que lorsque tu repasseras, ils s'écarteront au large et s'inclineront devant toi jusqu'à terre. Au contraire, que tu veuilles leur répondre quelques brusques paroles, leurs murmures t'accompagneraient par toute l'église; il n'en serait pas autrement.
Pippa.—J'en suis certaine.
Nanna.—Lorsqu'il s'agira de te mettre à genoux, place-toi honnêtement sur les marches de l'autel le plus en vue qu'il y ait, ton livre de messe à la main.
Pippa.—Pourquoi faire ce livre de messe, si je ne sais pas lire?
Nanna.—Pour paraître le savoir, et peu importe que tu le tiennes à l'envers comme font les Romanesca pour qu'on croie qu'elles sont des fées et ce sont des fantômes.
Venons-en, à cette heure, aux mérites des jouvenceaux: ne place en eux nulle espérance, ne fais aucun fonds sur leurs promesses; ils n'ont pas la moindre stabilité, ils tournent selon que leur cervelle ou leur sang s'échauffe, ils s'énamourent, puis se désénamourent dès qu'ils rencontrent une autre amourette; s'il t'arrive de leur en donner une fois par hasard, fais-les payer d'avance. Malheur à toi si tu venais à te coiffer de l'un d'eux ou de tout autre; il sied très bien de se coiffer de quelqu'un à celles qui vivent de leurs rentes, non pas à celles qui doivent vivoter au jour le jour. Quand il n'y aurait pas d'autre raison, sitôt que tu es engluée, tu es ruinée; en effet, n'avoir plus l'esprit tendu que vers un seul, c'est donner congé aux autres, que d'ordinaire tu caressais sans préférences. Tu peux compter qu'une courtisane qui se met à être amoureuse d'autre chose que des bourses est comme un ivrogne, un goulu de tavernier qui mange et boit ce qu'il devrait plutôt s'arracher du corps pour le vendre.
Pippa.—Vous les connaissez toutes, toutes, toutes!
Nanna.—Il me semble entendre un capitaine te fracasser la porte. Oh! par Dieu, tout le monde aujourd'hui s'appelle capitaine, et je crois bien que jusqu'aux muletiers, chacun se donne de la capitainerie. Je dis «fracasser», parce qu'ils font heurter aux portes en bravaches, pour paraître avoir des manières brutales; avec cela, ils introduisent dans leur langage un tas de mots espagnols et mélangés de mauvais français encore! Ne donne pas audience à de pareils secoue-panaches ou du moins, si tu les aimes, tâche de t'y fier comme tu te fierais à des zingari; ils sont pires que des charbons qui vous brûlent ou vous salissent; toujours à coasser qu'ils attendent leur solde. Qui veut être payée de l'expédition qu'ils conseillent au roi d'entreprendre ou des victoires que remportera mère l'Église, pour leur donner à faire dodo; pour celle qui a besoin d'argent, qu'elle les exalte comme autant de Rolands du quartier, puis passe son chemin. Autrement, elles les quittera la tête rompue, ce qui lui arriverait aussi avec les jeunes gens, les gamins, les galopins; le plus grand honneur qu'ils te feront, ce sera d'aller partout révéler les défauts de ton endroit et de ton envers, et de se vanter qu'ils te font aller et démener de la belle façon.
Pippa.—Les hiboux!
Nanna.—C'est en pleine mer que s'aventure à nager celle qui se fait putain pour se passer sa rage d'amour, et non pas de faim; qui veut sortir des guenilles, dis-je, qui veut se retirer des haillons, il lui faut être sage; qu'elle n'aille pas baguenauder, en actions ni en paroles. Te voici une petite comparaison, tout chaud, tout chaud: moi, je parle à l'impromptu, je ne tiraille pas les choses à la filière, je les dis d'une haleine, et non en cent ans comme font certaines pécores, fatiguant les pédagogues qui leur enseignent à composer des ouvrages, prennent à bail des pour ainsi dire, des pour ainsi faire et des pour ainsi chier, bâtissant des comédies avec des mots plus constipés que la constipation; c'est pour cela que tout le monde accourt entendre mon babillage et le porte aussitôt à imprimer, comme si c'était le verbum caro.
Pippa.—Et cette petite comparaison?
Nanna.—Un soldat qui n'a du courage qu'à dépeupler les poulaillers des paysans et à faire sortir les chanoines de leurs prisons passe pour un lâche et à grand'peine reçoit-il sa paye, comme me le disait un de la garnison. Il me disait aussi que celui qui se bat et fait des prouesses voit courir après lui toutes les guerres et toutes les soldes du monde. De même une putain qui ne sait que se faire travailler, et rien de plus, ne va jamais au delà d'un éventail dépenaillé et d'une mauvaise robe de messire taffetas; donc, mignonne, il faut de plus ou de l'adresse ou de la chance, et si je n'avais qu'à demander de bouche, je ne te cache pas que j'aimerais encore mieux de la chance que de l'adresse.
Pippa.—Pourquoi?
Nanna.—Parce qu'avec de la chance, nulle fatigue, et que pour l'adresse, il faut suer; et force est d'astrologuer de vivre d'expédients, comme il me semble te l'avoir dit. La meilleure preuve que la chance est une route sans cailloux, regarde cette gueuse, cette saleté, cette pouilleuse de... tu m'entends bien, et sois convaincue.
Pippa.—Oh! n'est-elle pas riche à crever?
Nanna.—C'est pour cela que je t'en parle. Elle n'a pas un brin de grâce, pas une seule qualité, pas un agrément dans sa personne, pas de prestance; elle est niaise, elle a passé la trentaine, et avec tout cela on la croirait enduite de miel, tant les hommes lui courent droit dessus. Est-ce de la chance, hé? est-ce de la chance, hein? Demande-le aux familiers, aux laquais, aux ruffians, et ne me le fais pas dire, puisque la chance en a fait des seigneurs et des monseigneurs; nous voyons cela arriver tous les jours. Est-ce de la chance, hé? est-ce de la chance, hein? Messire Trojano dégrossissait des mortiers; à cette heure, il possède un beau palais; est-ce de la chance, hé? est-ce de la chance, hein? Sarapica tondait les chiens; par la suite il fut pape: est-ce de la chance, hein? est-ce de la chance, hé? Accursio était le commis d'un orfèvre; il est devenu Jules II; est-ce de la chance, hé? est-ce de la chance, hein? Certes, quand la chance et l'adresse se trouvent ensemble chez une putain, oh! alors, sursum corda! Cela c'est chose plus douce que ne l'est ce «Oui, là! oui, là!» qui se dit au moment où le doigt qui te chatouille quelque part, après bien des: «Un peu plus bas, un peu plus haut, plus par ici, plus par là», trouve enfin le bouton qui te démange. Heureuse qui sait les réunir toutes deux, l'adresse et la chance, hé! la chance et l'adresse, hein!
Pippa.—Retournez où vous m'avez laissée.
Nanna.—Je t'ai laissée au moment où je te dissuadais de l'amour des jeunes gens, ces entripaillés, et de celui des capitaines à beaux panaches; je te disais de les fuir, comme à présent je te dis de courir tout droit aux gens rassis, parce qu'ils ne te payeront pas moins en bon argent qu'en bonnes manières.
Pippa.—Un peu plus de baïoques et un peu moins de politesse.
Nanna.—Sans doute, mais ils ont pour vous des uns et des autres; aussi les gens d'un naturel si aimable sont-ils bien notre affaire. A rester avec eux, on a le plaisir d'une nourrice qui allaite, gouverne et élève un poupon exempt de rogne, lequel jamais ne pleure, ni jour, ni nuit. Tourne-toi maintenant du côté des difficiles: miséricorde, avec cette espèce de gens-là! Dépouille-toi de l'orgueil que nous autres, mesdames les putains, apportons de la fente qui nous a pondues, et quand ces acariâtres te parlent d'un ton bourru, crient après toi et, d'un air goguenard, t'insultent, tiens-toi sur tes gardes, comme l'homme qui fait la parade avec l'ours; sache t'y prendre de façon que les baudets ne t'atteignent pas de leurs ruades et qu'ils te laissent toujours de leur poil dans la main.
Pippa.—Si je n'y réussis point, qu'ils m'exposent en effigie!
Nanna.—Après ces animaux-là viennent les spadassins, braves au coin du feu et autour de la bouteille, qui ne donneraient pas un coup de pied au cul à Castruccio; ils ne laissent pas de faire des rodomontades et t'apporteraient la mer dans un gobelet. Oh! ne seras-tu pas plus que l'Ancroia, si tu sais leur faire lâcher jusqu'à leur cotte de mailles, jusqu'à l'épée qu'ils portent au côté, sans raison aucune?
Pippa.—Oui.
Nanna.—Entre l'une et l'autre de ces deux catégories se placent les bons nigauds, toujours le rire épanoui sur les lèvres, et qui avec ces Ah! ah! ah! dont ils tombent étourdiment à la renverse, diront à tout le monde, en lettres d'enseigne d'épicier, ce qu'ils t'ont fait et ce qu'ils comptent te faire; qu'il y ait là qui veut, plus ils voient de monde, plus ils haussent la voix. C'est tout naturellement qu'ils agissent de la sorte, pour se montrer bons compagnons, et ils ne feront pas plus de cas de te relever les jupes devant qui que ce soit que de cracher par terre. Ne crains pas de leur dire des sotises, houspille-les aussi délibérément qu'ils te houspillent toi-même; tu le peux en toute sûreté, ils ne font attention à rien et vivent à la sans-gêne.
Pippa.—Croiriez-vous que de tels gens me plairont très bien?
Nanna.—Tu me ressembles; nous avons les mêmes goûts. Mais, dis-moi, ne t'ai-je pas prévenue que les écervelés sont comme les singes, qui se radoucissent moyennant une noisette? La mer, qui est un si monstrueux animal, sa colère passée fait moins de bruit qu'un ruisseau!
Pippa.—Il me semble que si.
Nanna.—Oui, je t'en avais parlé, mais des ignorantasses, non. A l'égard de ceux-là, et ils sont pires encore que les poltrons, que les baudets, que les avares, que les butors, que les hypocrites, que les pédants, que les vauriens, que tout le reste de l'espèce humaine, je n'ai pas de règle à te donner. Ils font les dégoûtés à tout ce qu'il y a de bon et, n'importe quelle gentillesse tu leur fasses, ce sont les trois eaux perdues. Les bélîtres te tombent dessus sans crier gare, et chacune de leurs actions, à ton détriment et à ta honte, porte elle-même témoignage de leur stupidité.
Pippa.—Pourquoi à mon détriment et à ma honte?
Nanna.—Parce qu'étant sans éducation, sans le moindre suc, ils s'assoient au-dessus des plus dignes, parlent quand ils devraient se taire et se taisent quand ils devraient parler. Le résultat, c'est qu'ils éloignent de toi l'affection des honnêtes gens, et il est clair que qui les aperçoit autour des femmes leur conter fleurette, autant lui vaut voir des porcs flairer les roses dans un jardin. Donc, casse-leur l'échine avec le bâton de la prudence.
Pippa.—Et par-dessus le marché, je leur briserai le cœur. Mais écervelés et fantasques, n'est-ce pas tout un?
Nanna.—Pas du tout! Les fantasques sont pires que des horloges détraquées et plus à fuir que les fous déchaînés; ils veulent, puis ils ne veulent plus; tantôt les voici muets, tantôt voilà qu'ils nous assourdissent de leur caquetage; le plus souvent, ils ont leurs lunes, sans savoir pourquoi; et sainte Nafissa, qui fut la patience et la bonté mêmes, ne saurait supporter leurs boutades; par conséquent, le premier jour que tu les connaîtras, sers-leur des fèves et des pois.
Pippa.—Je vous obéirai.
Nanna.—Et que dis-tu des puise-la-science-dans-la-bouche-à-papa? Quel supplice, quelle pénitence c'est de vivre avec ces archisages qui, de peur d'ôter à leurs lèvres le pli qu'ils leur ont fait prendre devant le miroir, ne parlent jamais, ou, s'ils parlent, ouvrent la bouche avec assez de promptitude pour remettre vite les lèvres dans leur premier pli, et toujours interprètent tes paroles en sens contraire! Ils mangent doctoralement, crachent rond, regardent en dessous, voudraient être aperçus avec des putains et ne veulent pas qu'on le sache, prennent bien garde de ne te rien donner en présence de leur valet et pourtant sont heureux que le valet sache ce qu'ils te donnent.
Pippa.—Quels hommes sont donc ces gens-là?
Nanna.—Si quelqu'un survient pendant qu'ils se trouvent chez toi, ils vont se cacher dans la chambre et, se mettant aux aguets derrière quelque fente de la porte, crèvent dans leur peau jusqu'à ce qu'ils te fassent dire à celui qui a été cause de leur retraite:—«Messire un tel est dans la chambre.» Au surplus, ils mesurent scrupuleusement le soleil, la veillée, la nourriture, le jeûne, la promenade, le repos chez soi, l'histoire de faire cela, de ne pas le faire, le rire, le sérieux, et mettant tant de chieries à la moindre de leurs actions que les nouvelles mariées en auraient de reste. Encore n'est-ce rien; ce qui est insupportable, c'est qu'ils te farfouillent si bien que force est de leur rendre compte de ce que tu as, de ce que tu fais de tes épluchures. Or, comme tout sage ou qui se croit tel, pour mieux dire, tient un peu de l'avaricieux, parce qu'il alambique la peine qu'on a à gagner des écus, rivalise d'astuce avec sa finesse; en composant tes démarches, tâche d'être toi-même la Sapientia Capranica, d'une sapience à faire désencapuchonner Salomon. Je le tiens de bonne source, il n'y a pas de folies plus salées que celles que se décident à la fin à faire ces sages, sans même que l'amour soit en jeu; estime maintenant quelles doivent être celles qui leur jaillissent de la tête quand ils sont amoureux perdus.
Pippa.—Je saurai comment m'y prendre, si de semblables hiboux tombent dans mes filets.
Nanna.—Ne t'ai-je encore rien dit des hypocrites?
Pippa.—Non, Madonna.
Nanna.—Les hypocrites qui ne se le touchent jamais qu'avec des gants et qui observent les vendredis de mars et les Quatre-Temps dans la dévotion des dévotions viendront te voir en cachette. Si tu leur dis, quand ils manderont ta petite pudeur par derrière:—«Eh quoi! voulez-vous donc aller par là?» ils te répondront: «Nous sommes pécheurs comme les autres.» Pippa, ma belle enfant, tiens bien secrets leurs faits et gestes, ne va pas gargouiller leur infamie comme un pot qui ne tient pas l'huile; ce sera tout profit pour toi. Ces ribauds, ces ennemis de la foi vous pelotent les tétons, rendent visite aux fesses, vous trépanent toute espèce de trou et fente, à l'égal de n'importe quel vaurien. S'ils rencontrent une femme qui sache ensevelir les turpitudes dont ils se délectent, ils donnent démesurément; les cordons de la braguette une fois renoués, ils se mettent à remuer les lèvres, marmottent le Miserere, le Domine ne in furore, le Exaudi orationem, et s'en vont pas à pas gratter les pieds aux incurables.
Pippa.—Fussent-ils tenaillés vifs!
Nanna.—Il leur arrivera pis un jour, n'en doute pas, et leurs vilaines âmes seront foulées aux pieds par ces ladres, ces avares, ces pourceaux qui, même lorsqu'il s'agit de faire l'amour, regardent aux épluchures. Avec ces gredins, il te faudra, pour leur sortir l'argent de la poche, toute l'adresse dont ils usent, eux, à le mettre de côté! Oh! quelle pénitence que d'avoir à leur arracher l'argent des doigts! Ne crois pas que leur poirier se laisse cueillir ses poires, si fort qu'on le secoue. Une maman, plus tendre encore que les autres, ne fait pas tant de mamours à son enfantelet qui ne veut pas s'endormir ou manger la bouillie, qu'il n'en faut faire à un avare; au moment qu'il sort un écu, la paralysie lui tombe sur les doigts, et il reluque du coin de l'œil sa monnaie rognée pour t'en faire don. Les ladres, tends-leur tes lacets et prends les gros lourdauds au piège, comme on y prend les vieux renards. Quand tu veux qu'ils en viennent au fait, ne leur demande pas de grosses sommes à la fois, mais bois-leur le sang goutte à goutte; dis-leur:—«Je ne puis le faire, faute de cinq mauvais teigneux de ducats.»
Pippa.—Faire quoi? Un corsage?
Nanna.—Oui, un corsage. En lui disant cela, tu le verras se tordre comme quelqu'un qui a grande envie de faire ses besoins et qui ne sait où aller, et tout en se tordant, marronner, se gratter la tête, se prendre la barbe et faire ces grimaces de belle-mère que fait un joueur, lorsque n'ayant plus un écu, ni bon ni rogné, il est invité à jouer son reste. Enfin il te les donnera en bougonnant. Dès que tu auras les cinq ducats, applique-lui des baisers à la file, avec mille mignardises, reste comme cela avec lui deux ou trois jours, puis mets-toi à souffler, à te mordre les doigts, à ne plus lui faire bonne mine. S'il te demande:—«Qu'as-tu donc?—Triste chance que j'ai», lui répondras-tu; «de là vient que je suis toute nue et toute crue, et la cause, c'est que je suis trop bonne. Si j'étais autrement, il ne tiendrait pas à moins de quatre écus que je garde cette mauvaise jupe.» Là-dessus, voilà en triste état le misérable ladre, qui te réplique:—«J'ai beau te donner, tu ne te remplis jamais; tu jettes l'argent dans le ruisseau; va-t'en de là, ne me casse plus la tête, je ne te donnerai pas un rouge liard.» Et tout en serrant les cordons de son escarcelle, il cherchera le moyen de carotter la somme à celui-ci ou à celui-là.
Pippa.—Pourquoi ne dois-je pas lui demander tout, d'un seul coup?
Nanna.—Pour ne pas l'épouvanter par la quantité.
Pippa.—Je vous entends.
Nanna.—Avec les généreux, ce n'est pas de l'adresse du baudet qu'il faut user, mais de celle du lion. Si tu as quelque chose à leur demander, demande-le-leur CORAM POPULO: les glorieux se haussent d'un pouce quand tu les traites publiquement en grands seigneurs; car c'est aux grands seigneurs qu'il appartient de donner, quoique pourtant ils n'en usent guère. Sans que tu leur demandes rien, tu n'as qu'à dire:—«Je veux me faire faire une robe à la mode», ils te répliqueront aussitôt, pourvu qu'il y ait du monde:—«Va, je veux te la payer, moi.» Vis-à-vis de ceux-là, ma chère enfant, sois libérale, toi aussi; tourne-toi comme ils le veulent et ne leur refuse jamais ce que réclame de toi leur désir.
Pippa.—Il est honnête que je m'y prête.
Nanna.—Fais bien attention à certains autres, qui ne te donneraient pas un grain de coriandre, si tu le leur demandais; d'autres ne t'obligeraient pas d'un denier, à moins que tu ne leur mettes toujours les éperons au flanc. Les gens courtois, ne leur fais pas de prix, rapporte-t'en à leur naturel, qui s'épanouira en te donnant continuellement; lorsqu'ils donnent sans en être priés, il leur semble non pas dépenser de l'argent avec les putains, mais en gagner à faire les grands seigneurs, puisque, comme je te l'ai dit, les grands seigneurs devraient être larges. Par conséquent, tu n'as pas autre chose à faire avec semblables gens que de leur complaire, de leur montrer de l'estime, et non point d'être toujours à leur dire: «Donnez-moi ceci, faites-moi cela.» Mais quoi qu'ils te donnent et qu'ils te fassent, feins toujours de ne pas vouloir qu'ils te donnent ou qu'ils te fassent rien.
Pippa.—Fort bien.
Nanna.—Les grosses bêtes de somme, comme disait la Romanesca, il ne faut pas cesser de les persécuter avec les «Donne-moi ceci, fais-moi cela»; ces rustres veulent être piqués de semblables aiguillons. S'il y a du monde quand tu leur en parles, ils en sont enchantés, parce que cela leur donne l'air d'être des finauds et non pas de simples niais. En outre, cela leur semble sentir son grand clerc de se faire prier par la signora, et, bien qu'ils soient proches parents des fourmis du sorbier, ils sortent de leur trou pour venir frapper à ta porte quand ils en devraient crever.
Pippa.—Ils en sortiront, ou crèveront.
Nanna.—Je ne veux pas oublier, encore bien que dans mon parler je me serve tantôt du tu, tantôt du vous, que tu devras dire vous à tout le monde, jeune ou vieux, grand ou petit; le tu a quelque chose de sec et ne plaît pas trop aux gens. Il n'y a pas de doute là-dessus, les bonnes manières sont d'excellents moyens de parvenir; donc, ne sois jamais hautaine dans tes façons et tiens-toi au proverbe qui dit: Ne te moque de personne pour de bon et ne dis jamais en ricanant: Tant pis pour qui se fâche. Quand tu te trouves avec les amis ou les connaissances de ton amant, ne laisse échapper de ta bouche aucun trait qui pique; qu'il ne te vienne jamais l'envie de tirer les cheveux ou la barbe, ou de donner des tapes, pas plus de petites que de grosses tapes, à personne. Les hommes sont des hommes, et si tu leur touches le museau, ils font la grimace et se fâchent comme s'ils étaient vraiment insultés; moi, j'ai vu faire de brutales menaces, bien mieux, j'ai vu infliger de bonnes corrections à certaine fastidieuse qui pousse l'aplomb jusqu'à tirer les oreilles aux gens, et chacun lui dit: C'est bien fait pour toi.
Pippa.—Ma foi, oui, c'est bien fait pour elle.
Nanna.—J'ai encore quelque chose à te rappeler. Quitte les errements des putains dont le premier article de foi, c'est de ne jamais garder leur foi. Sois décidée à mourir plutôt que de planter là personne: promets ce que tu peux tenir et pas davantage. Vienne n'importe quelle bonne occasion, ne donne jamais de la casse et du plantoir au nez de qui doit passer la nuit avec toi, sauf s'il se présentait le Français dont je t'ai parlé. Dans ce cas-là, fais appeler celui qui devait venir le soir et dis-lui: «Je vous ai promis la nuit prochaine, elle est à vous, comme je suis toute vôtre; mais je pourrais gagner, si je l'avais à moi, une bonne aubaine. Laissez-la-moi donc et je vous en rendrai cent pour une. Un Monseigneur de France la veut absolument; je la lui donnerai, si vous le voulez bien; si cela vous déplaît, me voici aux ordres de Votre Seigneurie.» Lui, qui se verra estimer davantage en t'accordant ce qu'il ne pourrait pas te vendre, se prêtera à ton intérêt, et non seulement te fera cette grâce, mais ne t'en sera que plus attaché. Au contraire, si, sans rien dire, tu le plantais là, tu courrais le risque de le perdre; bien mieux, en allant se plaindre partout de la vilenie que tu lui aurais faite, il te mettrait en bisbille avec ceux qui ont de la fantaisie pour toi.
Pippa.—Et ce serait malheur sur malheur, voulez-vous dire?
Nanna.—Tu l'as dis. Maintenant, note ceci. Il t'arrivera de te trouver au milieu de tous tes galants; tu dois penser que si tu ne partages également tes caresses, la moutarde montera également au nez du moins favorisé. Pèse-les donc dans la balance de la discrétion, et supposé que ton goût se porte plus vers l'un que vers l'autre, manifeste-le par de petits signes et non par de grands gestes débraillés. Fais en sorte que personne ne parte fâché, ni contre toi, ni contre le favori; tout homme qui dépense mérite récompense, et si celui qui donne davantage doit recevoir davantage, acquitte-toi discrètement avec lui. La route que je t'indique est bonne pour aller dans tous les pays du monde; il ne faut que savoir faire, savoir dire, savoir se tenir.