L'oppidum de Bibracte: Guide historique et archéologique au Mont Beuvray; d'après les documents archéologiques les plus récents
III INTÉRIEUR DE L'OPPIDUM
L'oppidum est traversé dans toute sa longueur par la grande voie de la Croix du Rebout. A l'extrémité du plateau triangulaire--dit du Champlain,--cette voie est rejointe par un embranchement qui part du hameau de l'Echeneaux et remonte la vallée de l'Ecluse.
La surface comprise dans l'intérieur de la couronne supérieure des remparts est partagée en trois régions bien distinctes, formées par trois plateaux, divisés par des vallées.
Le plateau supérieur--appelé LA TERRASSE--occupe une langue de terre très allongée parallèle au rempart du côté du levant. Du haut de ce plateau, la vue s'étend sur des espaces sans limites, au-delà du Puy-de-Dôme et du mont Blanc.
Le deuxième plateau, dit PARC AUX CHEVAUX,—-inférieur au précédent de 10 à 12 mètres d'altitude, et séparé de lui par la vallée de la GOUTTE DAMPIERRE,--se termine au couchant par le Theureau de la Roche, monticule de grès qui domine d'une part le cours de la Séglise et de l'autre la VALLÉE DE L'ÉCLUSE, située entre ce plateau et celui du CHAMPLAIN.
Ce dernier, resserré entre deux vallées, forme une esplanade triangulaire au sud de laquelle s'élève un mamelon analogue à celui du Theureau de la Roche.
La vallée de LA COME-CHAUDRON sépare le Champlain des pentes escarpées qui montent à la pointe de la Terrasse où se trouve le Porrey, point culminant du Beuvray, à 820 mètres d'altitude au-dessus du niveau de la mer.
TERRASSE.
Ce plateau renferme le Temple, le Forum et le Champ de foire.
Temple et Forum.
Le temple du Beuvray--ainsi que le forum et autres dépendances qui l'entourent--parait avoir été créé uniquement en vue du pèlerinage et de la foire à l'époque où l'oppidum fut abandonné de gré ou de force par les populations qui l'habitaient.
Les substructions qu'on rencontre sur son emplacement ont révélé les traces d'installations antérieures remplacées par l'édifice cité plus haut.[15]
Construit avec la solidité des travaux romains, ce temple était flanqué de trois autres constructions au nord, à l'ouest et au sud.
La partie qui regarde le levant comprenait un très gros mur à hauteur d'appui, qui soutenait tout le terrassement du plateau et laissait la vue libre de ce côté.
Au nord et à l'ouest étaient des boutiques marchandes; au sud le logement des bestiaux et la boucherie, dépendance obligée du temple.
Une rangée de boutiques—-à l'usage des marchands qui se rendaient à la foire-—longeait les vieux côtés de la grande voie, séparée d'elle par un trottoir et un portique couvert.
Le temple était entouré d'un portique semblable à celui des boutiques. Il se composait de deux parties: d'un pronaós ou vestibule de 7 à 8 mètres de côté, et d'une cella surélevée, plus étroite que le vestibule auquel elle faisait suite.
Quand le christianisme pénétra dans les montagnes du Morvan, le temple du Beuvray fut transformé en chapelle; mais la partie la plus ancienne—-c'est-à-dire le vestibule-—fut seule conservée. La cella, où étaient les idoles, fut entièrement rasée; car on sait que les premiers apôtres n'admettaient pas que les sacrés mystères soient célébrés dans le sanctuaire même des fausses divinités.—-On la remplaça par une abside demi-circulaire précédée d'une partie droite plus étroite que le vestibule, et l'édifice prit ainsi la forme des basiliques constantiniennes du quatrième siècle.
La maçonnerie des parties reconstruites est irrégulière comme un travail fait à la hâte et par des ouvriers inexpérimentés; le mortier et les moellons en sont aussi également médiocres.
La tradition populaire attribue cette transformation à saint Martin lui-même, et l'on doit convenir qu'à défaut de preuves elle a au moins pour elle d'assez graves présomptions:
La circonstance qui milite le plus en faveur de l'opinion que nous émettons, c'est que la médaille romaine--la dernière en date parmi celles trouvées dans cette ruine--est exactement contemporaine de saint Martin. Cette même médaille était aussi la dernière de celles qui accompagnaient l'ex voto de la Dea Bibracte trouvé--comme on sait--au fond d'un puits scellé d'une dalle, dans l'enclos du petit séminaire d'Autun.[16]
Le premier établissement chrétien du Beuvray disparut à une époque difficile à préciser. On sait seulement qu'au douzième siècle, on éleva sur le même emplacement un nouvel édifice, dédié à saint Martin, qui fut ruiné vers 1570 par les soldats de Coligny, et fit place à une chapelle plus petite encore; celle-ci s'étant écroulée peu d'années avant la Révolution, ne fut remplacée que par une simple croix de bois.
En 1851, un membre de la Société Éduenne se rendant au congrès de Nevers, traversa la route du Beuvray. S'étant détourné quelque peu pour aller visiter le plateau de la Terrasse, il trouva la croix de Saint-Martin gisante sur le sol et brisée par la vétusté.
Les membres du congrès, informés de ce fait, et soucieux de perpétuer le souvenir du passage de saint Martin sur le Beuvray, votèrent par acclamation un crédit pour l'érection de la croix de pierre qui se voit au devant de la chapelle actuelle. Cette dernière fut construite par souscription vingt ans plus tard, et Mgr Landriot, archevêque de Reims, en posa la première pierre en 1871.
Foire du Beuvray.
L'exploration des terrains autour du temple et du forum a permis--en l'absence de textes écrits--de retracer l'histoire archéologique de cette foire--la plus ancienne de France et peut-être du monde entier.
Elle se tient encore chaque année, au premier mercredi de mai, sur un vaste emplacement dont la destination n'a jamais varié depuis l'époque gauloise. On y recueille de nombreuses pièces de cités appartenant à la Gaule, des silex taillés, des morceaux de hache de bronze, des verroteries, des fibules, des objets de toilette, des émaux, et enfin toutes espèces de fragments de poteries.
Viennent d'abord les poteries gauloises; la céramique romaine[17]--dont les débris ne se trouvent que dans les boutiques et aux alentours du champ de foire--fait suite dans cette série par rang d'ancienneté où elle précède les poteries mérovingiennes, ardoisées, et ornementées de grillages, trouvées en grande quantité sur le même emplacement.
On arrive ainsi aux poteries carlovingiennes blanches et rayées de rouge, puis à celles du moyen âge et de la renaissance, et enfin à l'époque moderne.
Les monnaies suivent la même série qui est ininterrompue de Philippe-Auguste (1180) jusqu'à nos jours.
Ainsi,--depuis le temps où l'on taillait des silex pour en faire des flèches--toutes les générations ont laissé des traces et en quelque sorte gravé leur âge sur ce plateau célèbre. Fait unique en archéologie: car autant vaudrait, pour un géologue, trouver au même lieu la série complète des assises terrestres à partir du granit.
A l'époque gauloise, les populations accouraient en foule sur la montagne, attirées non-seulement par la facilité de la vente ou de l'achat des denrées, mais aussi par la grande fête religieuse qu'on célébrait à la même époque. Les Éduens allaient porter leurs voeux--referre vota--à la fée nationale, la DEA BIBRACTE et jeter dans le bassin de sa source sacrée des oeufs, des pièces de monnaie ou autres offrandes.
Sous la domination romaine, le Beuvray, malgré l'abandon de Bibracte, n'en fut pas moins le rendez-vous de toutes les populations d'alentour au moment de sa foire et de son pèlerinage, car les Romains--contrairement à une opinion reçue--furent très tolérants pour la religion des vaincus, toutes les fois qu'elle ne touchait point à la politique, et acceptèrent avec la plus grande facilité les génies des sources et des rivières, les fées des fontaines, les maires..., etc., en un mot toutes les divinités des Gaulois.
Les coutumes religieuses du pays éduen étaient d'ailleurs d'une si grande ténacité que le christianisme lui-même eut grand'peine à les détruire. Saint Éloi, au sixième siècle, défendait expressément de chômer au mois de mai; aujourd'hui encore, nous retrouvons la trace de ces coutumes dans les pratiques superstitieuses en usage chez les paysans de nos montagnes:
Les nourrices viennent comme autrefois aux sources de la fée Bibracte--sanctifiées par les noms de Saint-Pierre et de Saint-Martin--se laver le sein avant l'aurore pour obtenir un bon nourrissage et jettent dans l'eau une pièce de monnaie ou un fromage.
Les hommes vont de même, à l'heure matinale, attacher des cordons de lisière autour de la croix et y déposer des bouquets composés de cinq espèces d'herbes magiques--à la mode des druides--pour préserver du mauvais oeil leur bétail ou leurs champs; puis ils s'avancent devant la croix, le dos tourné vers elle, et jettent derrière leur épaule gauche une baguette de coudrier--l'arbre du mal.[18]
On retrouve dans toutes ces pratiques les restes de traditions communes à tous les peuples issus des plateaux de l'Asie centrale.
Les forums, au moyen âge, furent détruits à une date inconnue et remplacés par de petites loges dispersées sur le même terrain.
La foire du Beuvray pendant cette période était non-seulement un rendez-vous religieux, mais aussi servait de prétexte à ces sortes de plaids, dont César a cité quelques exemples chez les Gaulois.
Les seigneurs de Glux et de la Roche-Milay, possesseurs de la montagne, y réunissaient chaque année tous leurs vassaux pour en faire le dénombrement, et tenaient cour plénière.
Les fêtes se terminaient généralement par un tournoi auquel prenait part toute la noblesse des environs.
La foule avant de se livrer aux affaires se rendait à la chapelle où étaient célébrés les offices religieux, et où l'on faisait des offrandes comme au temps d'Eumène--referunt vota templis.
La foire du Beuvray au seizième siècle est ainsi décrite par Guy Coquille:
«En la dite cime du Beuvray se tient une foire renommée par toute la France ... qui représente beaucoup d'antiquité car elle se tient chacun an le premier mercredy du mois de may.
«Au temps du paganisme les marchands soulaient sacrifier et faire leurs voeux a Maja déesse fille d'Atlas, et à Mercure son fils, en ce mois de may, pour avoir leur faveur au trafic de leurs marchandises.
Le mois de may est dit majus, en l'honneur de la dite Maja du temps des Romains, ainsi que dit Ovide au cinquième livre des Fastes; Mercure était le dieu des marchands comme se voit au prologue de la comédie de Plaute, Amphytrion. Et on voit encore aujourd'huy que cette foire est à jour de mercredy dit de Mercure et au mois de may dit de Maja.»
De nos jours, quoique singulièrement déchue, cette foire subsiste encore; elle est même l'occasion, entre les paysans, de rixes parfois sanglantes, car on s'ajourne au premier mercredi de mai pour vider en champ clos les anciennes querelles sur le sommet de la Terrasse.
PARC AUX CHEVAUX
Il commence aux pentes inférieures de la Terrasse et se prolonge jusqu'au Theureau de la Roche entre les vallées de la Goutte-Dompierre et de l'Écluse.
Des fouilles pratiquées sur ce plateau, au début des explorations, par M. le vicomte d'Aboville, ont mis à jour les substructions de plusieurs maisons construites avec un certain luxe, et renfermant même des mosaïques,--bien qu'on n'y ait trouvé que des médailles gauloises.
On rencontra dans ces fouilles les aqueducs et les premières salles d'une vaste habitation, dont les proportions dépassent tout ce qui a été découvert jusqu'à ce jour au mont Beuvray.
Cette maison--dite du Parc-aux-Chevaux--est construite sur le plan des maisons romaines, mais nous n'hésitons pas à l'attribuer aux derniers temps de l'indépendance de la Gaule, car on y a trouvé quarante médailles gauloises et pas une seule médaille de l'empire.
Elle se compose--comme les maisons luxueuses de l'antiquité--d'un atrium entouré de couloirs ou fauces qui desservent les appartements distribués sur les quatres faces.
Pendant les trois années qu'ont duré les fouilles de ce vaste bâtiment, on chercha inutilement l'entrée principale aux trois parties les mieux exposées, sud, est, ouest, et c'est avec surprise qu'à la fin du travail on la découvrit en plein nord dans des conditions qui prouvent que nos aïeux étaient aguerris contre les intempéries des saisons et la rudesse de l'Hiems gallica.
On accédait au seuil par des marches de granit conduisant à un petit vestibule couvert, qui débouchait lui-même sur une cour; d'autres cours s'étendaient à droite et à gauche et étaient entourées de dépendances considérables.
Les appartements--dans plusieurs desquels on a reconnu des traces de mosaïque, des carrelages carrés et triangulaires en schiste ou formés par des briquettes posées sur champ et imitant la feuille de fougère, comme nos parquets, des traces de placage en calcaire oolithique autour des pieds-droits des portes, des cheminées aux brasseros en briques parfaitement construits...--font de cette maison une sorte de petit palais dont il nous est impossible de préciser la destination, mais que nous oserions presque attribuer au vergobret si nous avions l'assurance que ce magistrat suprême--pris dans toutes les parties de la cité indistinctement--avait à Bibracte une résidence fixe. Dans cette hypothèse, il faudrait admettre que les Gaulois possédaient des bâtiments publics.
Une belle source, située dans l'arrière-cour, et qui, depuis s'est fait jour par dessous le massif de glaise sur lequel repose l'habitation, va former la fontaine du Loup-Bourrou, qui sort à 150 mètres plus loin, et conserve encore aujourd'hui une partie de sa voûte gauloise construite en tuileaux et en terre glaise.
Le bâtiment dont on vient de parler--établi dans une anfractuosité qui le mettait à l'abri des coups de vent et de la foudre--était adossé du côté du levant aux pentes que coupe la grande voie du Rebout et situé le long d'une chaussée empierrée, non encore explorée.
Au nord et à l'ouest s'étendent de vastes espaces couverts de ruines, principalement dans le bois dit des Queudres, et à la pointe du Theureau de la Roche.
Entre ce mamelon et le rempart se dresse le rocher de la Pierre-Salvée. L'analogie de ce rocher avec la Pierre de la Wivre permet d'y voir une tribune de justice.
Au sud de ce quartier jusqu'à la fontaine Saint-Pierre et même au-delà, les mouvements du terrain indiquent d'autres ruines où quelques sondages ont été pratiqués: on y a découvert entre autres une vaste écurie dont les cases--au nombre de quatre-vingts--formées par des poteaux carbonisés, à un mètre de distance les uns des autres, devaient servir non à des chevaux mais à des boeufs,--pour qui cet espace était suffisant. L'aire d'une grande cheminée demi-circulaire de 1m 70 de diamètre, composée d'un béton de tuileaux et de terre glaise dur comme la pierre, de 0m 80 d'épaisseur, a été trouvée derrière cette écurie.
La fontaine Saint-Pierre, située à quelques pas de là, se répand dans un espèce de massif bétonné, entouré de murs, et dans lequel on a trouvé un grand nombre de tuiles à rebords provenant--selon toute apparence--de la chute d'une toiture de lavoir.
LE CHAMPLAIN
A droite de l'entrée de l'oppidum s'élève un mamelon triangulaire compris entre le rempart et les vallées de l'Écluse et de la Come-Chaudron.
Une voie longeant le retranchement conduit à un petit plateau rocheux escarpé de trois côtés, et dominé par un monticule dont il n'est séparé que par une esplanade demi-circulaire.
Au centre du plateau s'élève un bloc de quelques mètres de hauteur, taillé--disent les géologues--par la main de l'homme, et ménagé dans la masse d'un roc aplani qui forme l'aire environnante.
C'est la pierre de la Wivre. Elle recouvre--suivant la légende--un trésor accessible seulement dans la nuit de Noël--où la pierre, à l'heure de minuit, fait une révolution sur elle-même.
Le sommet, auquel on accède par une rampe étroite, est rasé à l'avant en forme de siège; à l'arrière est une excavation ordinairement remplie d'eau pluviale et désignée dans le pays sous le nom de Fontaine des Larmes. Ces traditions, rapprochées de la disposition singulière du lieu, lui donnent un intérêt historique qu'il est impossible de méconnaître: la légende du trésor rappelle le locus consecratus--dont parle César--si fréquent dans les cités gauloises, où les populations déposaient en plein air leurs offrandes aux génies et aux dieux sous la garde du serpent sacré.[19]
Le plateau, d'autre part--grâce à son escarpement isolé, et son inclinaison sur toutes faces qui facilite l'écoulement des eaux--se prête mieux que tout autre point de l'oppidum à la réunion d'un corps délibérant.
Abrité par sa situation de l'oreille des curieux, ce locus consecratus--qui dans toutes les cités antiques était celui du conseil--est pour nous la salle en plein air du sénat gaulois. Elle pouvait contenir facilement plus de 500 personnes--chiffre auquel César évalue le nombre des chefs d'une des grandes cités de la Gaule.
L'hémicycle aplani, dont nous avons parlé, séparé du lieu du concilium par une levée de terre assez prononcée, était destiné vraisemblablement à loger les chariots des chefs et leurs chevaux, qui, pendant le conseil--d'après les lois les plus anciennes des tribus celtiques--devaient rester attachés au piquet.[20]
Toute cette partie de l'oppidum était inhabitée. On n'a rencontré autour du monticule qu'une seule maison dans laquelle fut trouvé un vase couvert d'ornements gaulois.
Les habitations n'existaient que dans la partie orientale voisine de la grande voie de la Croix du Rebout. La plupart étaient possédées par des artisans--notamment des fabricants de bronze dont les creusets et les scories ont été recueillis en grande quantité; on a trouvé de distances en distances des cases funéraires--renfermant jusqu'à 50 ou 60 amphores--qui appartenaient--ainsi qu'on a pu le constater depuis--aux différents corps de métier occupant cette région.
VALLÉES DE LA GOUTTE DAMPIERRE, DE L'ÉCLUSE ET DE LA COME-CHAUDRON
Ces trois vallées sont suivies chacune par un ruisseau où vont se réunir, par bassins respectifs, les vingt-deux sources comprises dans l'intérieur de l'enceinte.
Une seule de ces vallées--celle de la Come-Chaudron--a été suffisamment explorée pour qu'on puisse en parler ici:
Le quartier de la Come-Chaudron, parallèle à celui du Champlain, est situé à gauche de la grande voie, et se compose d'une partie supérieure légèrement inclinée à l'est et d'une vallée profonde traversée par un faible ruisseau. Les régions fouillées le plus complètement sont à l'entrée même de la place et servaient de demeure exclusive à des métallurgistes.
Le premier établissement était une fonderie, où, dans de petits fours bien construits, on extrayait le fer directement par la méthode catalane. Plus loin, des forges isolées, creusées dans le sol et munies de buses en terre réfractaire, assez semblables aux nôtres, un grand atelier de forgerons de 47 mètres de long, de vastes hangars construits avec des charpentes et de la terre battue ont offert partout les débris de la sidérurgie dans toutes ses variétés. Les habitations, sur la pente de la vallée, enterrées de deux mètres à l'arrière et de plain-pied à la façade, étaient construites, la plupart du temps, en pisé et en poteaux fixés dans le sol; les parties enfouies étaient seules en maçonnerie de pierres sans chaux, quelques-unes même cloisonnées avec de simples planches. C'est dans ces réduits, espèces de tannières, où le soleil ne pénétrait que par la porte, quand elle n'était point abritée sous un auvent, que les fabricants de Bibracte exerçaient leurs industries, parmi lesquelles une des plus curieuses est celle de l'émaillerie. Le travail des émaux, qui confine à l'art, apparut pour la première fois au centre de la Gaule, avec des dates certaines, lors des fouilles de la Come-Chaudron, en 1869; car, on ne mit point seulement à jour quelques échantillons isolés, mais tout un centre de fabrication, dont les ateliers—-comme dans certaines fouilles de Pompéï-—n'auraient paru fermés que de la veille, si l'état d'altération d'un grand nombre d'objets n'eût témoigné d'un long séjour au sein de la terre.
Les ustensiles gisaient pêle-mêle, les fours étaient encore remplis de charbon; à côté de spécimens complètement terminés, on en voyait d'autres à peine ébauchés, d'autres en pleine période de fabrication; tout autour, des fragments d'émail brut, des creusets de terre, des grès à polir, une quantité considérable de déchets, des bavures, des rognures provenant de la taille; des coques vitreuses qui conservaient l'empreinte des dessins du bronze, et, par-dessus tout, le témoin même des opérations, c'est-à-dire la médaille.[21]
Le procédé, employé par les Gaulois pour émailler les bronzes, diffère peu du travail de la niellure, dans lequel les populations du Caucase ont excellé de tout temps.
Il consistait à graver des traits ou des dessins sur la pièce à décorer, puis à la recouvrir uniformément, sur toute sa surface, d'une couche d'émail dont on enlevait ensuite l'excès à l'aide de pierres de grès et de polissoirs.
Un assez grand nombre de ces émaux primitifs de la Gaule ont été trouvés au Beuvray et déposés dans les vitrines du musée de Saint-Germain-en-Laye; ce sont--pour la plupart--des bossettes, des clous-ornements, des fleurons..., etc., en un mot, des objets relatifs à l'attelage et au harnachement, incisés de tailles profondes remplies d'émail rouge.
Les lignes parallèles ou brisées, les chevrons, les feuilles de fougères et les quadrillés qui composent le dessin de ces émaux ont un caractère purement gaulois. L'ornementation est la même que celle qu'on voit figurer sur le bouclier du guerrier gaulois dont la statue est au musée d'Avignon. Il est donc de toute vraisemblance que les couleurs mentionnées par les écrivains et dont nous avons parlé plus haut comme resplendissant sur les boucliers des chefs gaulois, n'étaient autres que des émaux.