La Mort
CHAPITRE V
L'HYPOTHÈSE NÉO-SPIRITE
LES APPARITIONS
I
En dehors de la théosophie, des recherches purement scientifiques ont été faites dans ces régions déconcertantes de la survivance et de la réincarnation. Le néo-spiritisme, ou psychisme ou spiritualisme expérimental, est né en Amérique en 1870. Sir William Crookes, l'homme de génie qui ouvrit la plupart des routes au bout desquelles on découvrit avec stupéfaction des propriétés et des états inconnus de la matière, dès l'année suivante organisait les premières expériences rigoureusement scientifiques; et déjà, en 1873-74, obtenait avec l'aide du médium Miss Cook, des phénomènes de matérialisation qu'on n'a guère dépassés. Mais c'est surtout de la fondation de la Society for Psychical Research (S. P. R.), que date le véritable essor de la nouvelle science. Cette société créée à Londres il y a vingt-huit ans, sous les auspices des plus illustres savants de l'Angleterre, a entrepris, comme on sait, une étude méthodique et rigoureuse de tous les faits de psychologie et de sensibilité supra-normales. Cette étude ou cette enquête, dirigée par Gurney, Myers et Podmore, et continuée par leurs successeurs, est un chef-d'œuvre de patience et de conscience scientifiques. Aucun fait n'y est admis qui ne soit corroboré par des témoignages irrécusables, des preuves écrites, des concordances convaincantes; en un mot, on ne peut guère contester la véracité matérielle de la plupart d'entre eux, à moins de dénier d'avance et de parti pris toute valeur probante au témoignage humain et de rendre impossible toute conviction, toute certitude qui y prend sa source[3]. Parmi ces manifestations surnormales, télépathie, télergie, prévisions, etc., nous ne retiendrons que celles qui se rapportent à la vie d'outre-tombe. On peut les diviser en deux catégories: 1o les apparitions réelles, objectives et spontanées ou manifestations directes; 2o les manifestations obtenues par l'intermédiaire de médiums, qu'il s'agisse d'apparitions provoquées, que nous écarterons pour l'instant à cause de leur caractère souvent suspect[4], ou de communications avec les morts par le langage ou l'écriture automatique. Nous nous arrêterons un moment à ces communications extraordinaires. Elles ont été longuement étudiées par des hommes tels que Myers, le docteur Hodgson, Sir Oliver Lodge, le philosophe William James, le père du Pragmatisme; elles les ont profondément impressionnés et presque convaincus, et méritent donc de retenir notre attention.
[3] La rigueur de ces enquêtes est telle que la S. P. R. se trouve sans cesse en butte aux attaques de la presse spirite qui l'appelle couramment: «Société pour la suppression des faits», «Pour la généralisation des accusations d'imposture», «Pour le découragement des sensitifs, et pour le rejet de toute révélation du genre de celles qui, disait-on, s'imposent à l'humanité, du haut des régions de la lumière et de la connaissance».
[4] Il serait cependant injuste d'affirmer que toutes ces apparitions sont suspectes. Il est, par exemple, impossible de contester la réalité de la célèbre Katie King, le double de Miss Cook, dont un homme comme William Crookes étudia et contrôla sévèrement, durant trois ans, les faits et gestes. Mais au point de vue des preuves de la survivance, et bien que Katie King se donnât pour une morte revenue sur terre afin d'expier certaines fautes, ses manifestations ont moins de valeur que les communications obtenues depuis. En tout cas, elles n'apportent aucune révélation sur l'existence d'outre-tombe; et Katie, si jeune, si vivante, dont on pouvait compter les pulsations, dont on entendait battre le cœur, qu'on a photographiée, qui distribuait aux assistants les boucles de sa chevelure, qui répondait à toutes les questions, n'a pas dit un mot au sujet des secrets de l'autre monde.
Pour ce qui concerne les manifestations de la première catégorie, il est naturellement impossible de rapporter ici, même très sommairement, les plus frappantes d'entre elles, et je renvoie le lecteur aux collections des Proceedings. Il suffira de rappeler que de nombreuses apparitions de défunts ont été constatées et étudiées par des savants comme Sir W. Crookes, R. Wallace, R. Dale-Owen, Aksakof, Paul Gibier, etc. Gurney, l'un des classiques de cette science nouvelle, cite deux cent trente et un cas de ce genre; et depuis, le Journal de la S. P. R. et les revues spéciales n'ont cessé d'en enregistrer de nouveaux. Il paraît donc établi, autant qu'un fait peut l'être, qu'une forme spirituelle ou nerveuse, une image, un reflet attardé de l'existence, est capable de subsister durant quelque temps, de se dégager du corps, de lui survivre, de franchir en un clin d'œil d'énormes distances, de se manifester aux vivants et, parfois, de communiquer avec eux.
Au reste, il faut reconnaître que ces apparitions sont très brèves. Elles n'ont lieu qu'au moment précis de la mort ou la suivent de près. Elles ne semblent pas avoir la moindre conscience d'une vie nouvelle ou supra-terrestre et différente de celle du corps dont elles émanent. Au contraire, leur énergie spirituelle, à l'instant qu'elle devrait être toute pure puisqu'elle est débarrassée de la matière, paraît fort inférieure à ce qu'elle était lorsque la matière l'enveloppait. Ces phantasmes, plus ou moins ahuris, fréquemment tourmentés de soucis insignifiants, bien qu'ils viennent d'un autre monde, ne nous ont jamais apporté, sur ce monde dont ils ont franchi le seuil prodigieux, une seule révélation topique. Bientôt ils s'évaporent et disparaissent pour toujours. Sont-ils les premières lueurs d'une autre existence ou les dernières de celle-ci? Les morts usent-ils ainsi, faute de mieux, du suprême lien qui les unit et les rend perceptibles à nos sens? Continuent-ils ensuite à vivre autour de nous, mais ne parviennent-ils plus, malgré leurs efforts, à se faire connaître ni à nous donner une idée de leur présence parce que nous n'avons pas l'organe nécessaire pour les percevoir; de même que tous nos efforts ne réussiraient point à donner à un aveugle-né la moindre notion de la lumière et des couleurs? Nous n'en savons rien; et nous ignorons encore si, de tous ces phénomènes incontestables, il est permis de tirer quelque conclusion. Ils ne prendraient vraiment d'importance que s'il était possible de constater ou de provoquer des apparitions d'êtres dont la mort remontât à un certain nombre d'années. On aurait enfin la preuve matérielle, toujours éludée, que l'esprit ne dépend pas du corps, qu'il est cause et non pas effet, qu'il peut subsister, se nourrir, fonctionner sans organes. La plus grande question que se soit posée l'humanité serait ainsi, sinon résolue, du moins débarrassée de quelques ténèbres; et du coup, la survivance personnelle, tout en demeurant captive des mystères de l'origine et de la fin, deviendrait défendable. Mais nous n'en sommes pas là. En attendant, il est curieux de constater qu'il y a réellement des revenants, des spectres et des fantômes. Une fois de plus la science vient confirmer ici une croyance générale de l'humanité et nous apprendre qu'une croyance de ce genre, si absurde que d'abord elle paraisse, mérite toujours d'être examinée avec soin.