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La Mort

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CHAPITRE VIII
LA RÉINCARNATION

I

Voilà pour la survivance proprement dite. Mais certains spirites vont plus loin et tentent de prouver scientifiquement la palingénésie et la transmigration des âmes. Je passe leurs arguments d'ordre moral ou sentimental, et ceux qu'ils trouvent dans les réminiscences prénatales d'hommes illustres ou autres. Ces réminiscences, souvent troublantes, il est vrai, sont encore trop rares, trop sporadiques, si l'on peut dire; et ne furent pas toujours suffisamment contrôlées, pour qu'il soit prudent d'en faire état. Je ne m'arrête pas davantage aux preuves tirées des aptitudes innées du génie ou de certains enfants prodiges, aptitudes assez inexplicables, mais qu'on peut néanmoins attribuer à des lois inconnues de l'hérédité. Je me contenterai de rappeler sommairement les résultats de quelques expériences assez déconcertantes du colonel de Rochas.

Le colonel de Rochas, il convient de le faire tout d'abord remarquer, est un savant qui ne cherche que la vérité objective avec une rigueur et une probité scientifiques qui ne furent jamais mises en doute. Il endort certains sujets exceptionnels et à l'aide de passes longitudinales leur fait remonter tout le cours de leur existence. Il les ramène ainsi successivement à la jeunesse, à l'adolescence et jusqu'aux extrêmes limites de l'enfance. A chacune de ces étapes hypnotiques, le sujet retrouve la conscience, le caractère et l'état d'esprit qu'il avait à l'étape correspondante de sa vie. Il retraverse les mêmes événements, leurs bonheurs et leurs peines. S'il a été malade, il repasse par sa maladie, sa convalescence et sa guérison. S'il s'agit, par exemple, d'une femme qui fut mère, elle redevient grosse et éprouve à nouveau les angoisses et les douleurs de l'accouchement. Ramené à l'âge où il apprenait à écrire, le sujet écrit comme un enfant, et l'on peut confronter son écriture à celle de ses cahiers d'écolier.

C'est déjà bien extraordinaire, mais, comme le dit le colonel de Rochas: «Jusqu'à présent nous avons marché sur un terrain ferme; nous avons observé un phénomène physiologique difficilement explicable, mais que des expériences et des vérifications nombreuses permettent de considérer comme certain.» Nous entrons maintenant dans une région où nous attendent de plus surprenantes énigmes.

Prenons, pour préciser, un des cas les plus simples. Le sujet est une jeune fille de 18 ans, nommée Joséphine. Elle habite Voiron, dans l'Isère. La voici ramenée par des passes longitudinales à l'état de tout petit enfant allaité par sa mère. Les passes continuent et le conte de fées se poursuit. Joséphine ne peut plus parler; et c'est le grand silence de l'enfance auquel semble succéder un autre silence plus mystérieux encore. Joséphine ne répond plus que par signes; elle n'est pas encore née, «elle flotte dans le noir». On insiste, le sommeil devient plus épais; et tout à coup, du fond de ce sommeil, s'élève la voix d'un autre être, une voix inattendue et inconnue, une voix de vieillard bourru, méfiant et mécontent. On l'interroge. D'abord, il refuse de répondre, disant qu'«il est là, puisqu'il parle, qu'il ne voit rien et qu'il est dans le noir». On redouble les passes, on gagne peu à peu sa confiance. Il s'appelle Jean-Claude Bourdon; il est vieux, couché dans son lit et malade depuis longtemps. Il fait le récit de sa vie. Il est né à Champvent, dans la commune de Polliat, en 1812. Il a été à l'école jusqu'à 18 ans, il a fait son service militaire au 7e d'artillerie à Besançon, et il raconte ses équipées tandis que la jeune fille endormie fait le geste de friser une moustache imaginaire.

De retour au pays, il ne se marie pas, mais prend une maîtresse. Il vieillit solitaire (j'abrège), et meurt à 70 ans, après une longue maladie.

Maintenant, c'est le mort qui parle; et ses révélations d'outre-tombe ne sont pas sensationnelles, ce qui, du reste, n'est pas une raison suffisante pour douter de leur réalité. «Il se sent sortir de son corps»; mais il y reste attaché pendant un temps assez long. Son corps fluidique d'abord diffusé reprend une forme plus compacte. Il vit dans l'obscurité qui lui est pénible, mais il ne souffre pas. Enfin les ténèbres où il est plongé sont sillonnées de quelques lueurs. Il a l'idée de se réincarner et s'approche de celle qui doit être sa mère (c'est-à-dire la mère de Joséphine). Il l'entoure jusqu'à ce que l'enfant vienne au monde, et alors, entre peu à peu dans le corps de cet enfant. Jusque vers la septième année, il y avait autour de ce corps une sorte de brouillard flottant où il voyait beaucoup de choses qu'il n'a plus revues depuis.

Il s'agit à présent de remonter au delà de Jean-Claude. Une magnétisation de près de trois quarts d'heure, sans s'attarder à aucune étape, ramène le vieillard mort à l'état de tout petit enfant. Nouveau silence, nouveaux limbes; puis, tout à coup, autre voix et personnage inattendu. Cette fois, c'est une vieille femme qui a été très méchante; aussi souffre-t-elle beaucoup. (Elle est morte pour le moment, car dans ce monde renversé, on prend les vies à rebours et elles commencent naturellement par la fin.) Elle est dans des ténèbres épaisses, entourée de mauvais esprits. Elle parle d'une voix faible, mais répond toujours d'une façon précise aux questions qu'on lui pose, au lieu d'ergoter à tout instant, comme le faisait Jean-Claude. Elle s'appelle Philomène Carteron.

«En approfondissant encore le sommeil, ajoute le colonel de Rochas que je cite ici textuellement, je provoque les manifestations de Philomène vivante. Elle ne souffre plus, paraît très calme, répond toujours très nettement et d'un ton sec. Elle sait qu'elle n'est pas aimée dans le pays, mais personne n'y perdra rien et elle saura bien se venger à l'occasion. Elle est née en 1702; elle s'appelait Philomène Charpigny quand elle était fille; son grand-père maternel s'appelait Pierre Machon et habitait Ozan. Elle s'était mariée en 1732, à Chevroux, avec un nommé Carteron, dont elle a eu deux enfants qu'elle a perdus.

«Avant son incarnation, Philomène avait été une petite fille, morte en bas âge. Auparavant, elle avait été un homme qui avait tué; c'est pour cela qu'elle a beaucoup souffert dans le noir, même après sa vie de petite fille où elle n'avait pas eu le temps de faire du mal, afin d'expier son crime. Je n'ai pas jugé utile de pousser plus loin le sommeil, parce que le sujet paraissait épuisé et faisait mal à voir dans ses crises.

«Mais, d'autre part, j'ai fait une observation qui tendrait à prouver que les révélations de ces médiums reposent sur une réalité objective. A Voiron, j'ai pour spectatrice habituelle de mes expériences une jeune fille d'esprit très posé, très réfléchi, et nullement suggestible, Mlle Louise, qui possède à un très haut degré la propriété (relativement commune à un degré moindre) de percevoir les effluves humains et, par suite, le corps fluidique. Quand Joséphine ravive la mémoire de son passé, on observe autour d'elle une aura lumineuse perçue par Louise. Or, aux yeux de Louise, cette aura devient sombre quand Joséphine se trouve dans la phase qui sépare deux existences. Dans tous les cas, Joséphine réagit vivement quand je touche des points de l'espace où Louise me dit percevoir l'aura, qu'elle soit lumineuse ou sombre.»

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