La Navigation Aérienne L'aviation Et La Direction Des Aérostats Dans Les Temps Anciens Et Modernes
The Project Gutenberg eBook of La Navigation Aérienne L'aviation Et La Direction Des Aérostats Dans Les Temps Anciens Et Modernes
Title: La Navigation Aérienne L'aviation Et La Direction Des Aérostats Dans Les Temps Anciens Et Modernes
Author: Gaston Tissandier
Release date: March 24, 2009 [eBook #28397]
Language: French
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BIBLIOTHÈQUE DES MERVEILLES
LA
NAVIGATION AÉRIENNEL'AVIATION
ET LA DIRECTION DES AÉROSTATSdans les temps anciens et modernes
PAR
GASTON TISSANDIER...L'avenir est à la navigation aérienne
et le devoir du présent est de travailler
à l'avenir...Victor Hugo (Lettre à l'auteur)
OUVRAGE ILLUSTRÉ DE 99 VIGNETTES
PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie
79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79
1886
Droits de propriété et de traduction réservés![]()
L'aérostat dirigeable de MM. les Capitaines Renard et Kreus au-dessus de l'usine aéronautique de Chalais-Meudon.
BIBLIOTHÈQUE DES MERVEILLES
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION
DE M. ÉDOUARD CHARTONLA NAVIGATION AÉRIENNE
PRINCIPAUX OUVRAGES DE M. G. TISSANDIER
- L'Eau, 5e édition. 1 vol. in-18 illustré. Hachette et Cie.
- La Houille, 4e édition. 1 vol. in-18 illustré. Hachette et Cie.
- Les Fossiles, 3e édition. 1 vol. in-18 illustré. Hachette et Cie.
- La Photographie, 3e édition. 1 vol. in-18 illustré. Hachette et Cie.
- Éléments de chimie, 7e édition. 4 vol. in-18 avec de nombreuses figures (En collaboration avec M. PP. Dehérain), Hachette et Cie.
- Causeries sur la science, 2e édition. 1 vol. in-18 illustré. Hachette et Cie.
- Les martyrs de la science, 2e édition. 1 vol. in-8o, avec 20 vignettes par Gilbert. Maurice Dreyfous.
- Les héros du travail, 2e édition. 1 vol. in-8o, avec 20 vignettes par Gilbert. Maurice Dreyfous.
- Les poussières de l'air. 1 vol. in-18 avec figures et planches hors texte. Gauthier-Villars.
- Les récréations scientifiques ou l'enseignement par les jeux. 1 vol. in-8o avec de nombreuses figures et 4 planches hors texte. Ouvrage couronné par l'Académie française, 4e édition. G. Masson.
- L'océan aérien. Études météorologiques. 1 vol. in-8o avec de nombreuses gravures. G. Masson.
- La Nature. Revue des sciences et de leurs applications aux arts et à l'industrie. Journal hebdomadaire illustré. Gaston Tissandier, rédacteur en chef. 2 vol. grand in-8o par an depuis 1873. G. Masson.
- L'héliogravure, son histoire et ses procédés. Conférence faite au cercle de la librairie. 1 broch. in-8o. (Épuisé).
- Histoire de la gravure typographique. Conférence faite au cercle de la librairie. 1 broch. in-8o. (Épuisé).
- Histoire de mes ascensions. Récit de 30 voyages aériens, précédé de simples notions sur les ballons, 4e édition. 1 vol. in-8o avec de nombreuses illustrations, par M. Albert Tissandier. Maurice Dreyfous.
- En ballon pendant le siège de Paris. Souvenirs d'un aéronaute. 1o vol. in-8o. E. Dentu.
- Deux conférences sur les aérostats et la navigation aérienne. 1 broch. in-18, S. Molteni.
- Les ballons dirigeables. Application de l'électricité à la navigation aérienne. 1 vol. in-18 avec 35 figures et 4 planches hors texte. Gauthier-Villars.
- Observations météorologiques en ballon. 1 vol. in-18 avec figures. Gauthier-Villars.
- Voyages dans les airs. 1 vol. in-18 illustré. Hachette et Cie.
- Le grand ballon captif à vapeur de M. Henry Giffard. 2e édition, avec de nombreuses gravures par Albert Tissandier. (Épuisé). G. Masson.
12787.—Imprimerie A. Lahure, rue de Fleurus, 9, à Paris.
PRÉFACE
Parmi les nombreux problèmes que l'homme s'est proposé de résoudre, il n'en est peut-être pas de plus difficile que celui de la navigation aérienne.
Des ailes! Des ailes! a pu dire le poète dès les premiers âges du monde. Oui des ailes, pour voler comme l'oiseau, pour parcourir les espaces sans rencontrer d'obstacles, pour planer dans cet océan sans rivages que nous appelons l'atmosphère. Mais la mécanique impuissante n'a pas encore su les construire.
Il a fallu, après des milliers d'années de conceptions vaines, que les frères Montgolfier aient songé à remplir d'air chaud et raréfié, un sac de papier de grand volume, et l'art aéronautique a été créé. L'hydrogène remplaçant l'air chaud, le ballon à gaz a succédé à la Montgolfière.
L'aérostat a permis à l'explorateur de s'affranchir des lois de la pesanteur, de quitter la surface du sol, pour traverser les nuages, visiter le domaine des météores et pénétrer dans les hautes régions, au delà des limites que l'aigle lui-même n'a jamais atteintes.
On demande au ballon plus encore aujourd'hui. Bouée flottante au sein des courants, on exige de lui qu'il devienne vaisseau; on veut qu'il obéisse à l'action d'un propulseur puissant et léger, et qu'il nous conduise, non pas où le vent le mène, mais où nous voulons aller.
Grand problème, dont les conséquences sont incalculables.
La conquête de l'air par les aérostats dirigeables, déjà commencée depuis peu, sera continuée dans le présent, et achevée dans l'avenir.
C'est notre conviction profonde. Nous avons essayé de la faire partager à nos lecteurs, non par des mots, mais par des faits; non par des conjectures et des hypothèses, mais par l'exposé méthodique des idées émises, des essais proposés, des travaux accomplis, et des expériences réalisées.
G. T.
Octobre 1885.
PREMIÈRE PARTIE
LA LOCOMOTION AÉRIENNE AVANT LES MONTGOLFIER... Terras licet, inquit et undas
Obstruat; at cœrte cœlum patet: ibimus illac....(La terre et les ondes nous sont fermées, mais le ciel est ouvert: nous irons par ce chemin.)
Ovide, Métamorphoses, lib. VIII, fab. IV.
Peut estre sera inventée herbe moyennant laquelle pourront les humains visiter les sources des gresles, les bondes des pluyes et l'officine des fouldres.
Rabelais, Pantagruel, liv. III, chap. LI.
I
LA LÉGENDE DES HOMMES VOLANTSDédale et Icare. — La flèche d'Abaris. — La colombe volante d'Archytas. — Roger Bacon. — Dante de Pérouse. — Appareil volant de Besnier. — Les poètes et les romanciers. — Cyrano de Bergerac. — Pierre Wilkins. — Rétif de la Bretonne. — M. de la Folie.
Il est certain que dans tous les temps, les hommes de hardiesse qui, dès les premiers âges du monde, avaient le sentiment de l'exploration, le goût des voyages, le désir de parcourir les mers et de s'éloigner du rivage sur des barques plus ou moins primitives, ont dû se demander s'il ne serait pas possible d'imiter l'oiseau et de quitter la terre en s'élevant dans l'atmosphère. Les légendes de l'antiquité abondent en récits de tentatives de ce genre. Ovide a retracé notamment les aventures de Dédale qui, pour fuir la colère de Minos, roi de Crète, fabriqua des ailes qui lui permirent de se sauver de l'île où il était prisonnier avec son fils Icare. Dédale réussit à s'évader, mais Icare ayant volé trop haut, la cire qui liait ses ailes se fondit au soleil, et il tomba dans la mer.
Des histoires analogues se retrouvent dans des temps plus reculés encore. Dans le tome Ier des Religions de l'Inde[1], on lit: «Hanouman monta sur le sommet d'une colline et, après avoir pris les conseils du sage Jambaranta, il s'élança dans les airs et alla tomber dans le Lanka, ainsi qu'il l'avait espéré.» La Bible rapporte que le prophète Élie fut enlevé par un char de feu.
Dans la Salle des dieux, au musée égyptien du Louvre, il existe une petite plaque de bronze d'une haute antiquité, où l'on voit en relief un homme volant les deux ailes étendues (fig. 1). Il est vrai que l'on s'accorde à considérer cette pièce comme une composition symbolique plutôt que comme la représentation d'un appareil d'aviation.
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Fig. 1.—Bronze égyptien représentant un homme volant.
Abaris, d'après les récits de Diodore de Sicile, aurait fait le tour de la Terre, assis sur une flèche d'or. L'oracle du temple d'Hiéropolis se serait élevé dans les airs. Sous Néron, Simon le Magicien aurait aussi connu le moyen de voler dans l'espace. Les Capnobates, peuple de l'Asie Mineure, dont le nom signifie marcheurs par la fumée, auraient trouvé le moyen de s'élever à l'aide de l'air raréfié par le feu.
Reproduire avec détails des fables de ce genre, n'aurait qu'un intérêt purement mythologique. Là n'est pas notre but; nous voulons passer en revue les expériences qui ont pu être faites, et les idées rationnelles qui ont pu être émises au sujet de la navigation aérienne avant les Montgolfier. Sans chercher des documents dans les traités d'aérostation écrits depuis un siècle et qui, la plupart du temps, se recopient les uns les autres, je me suis efforcé de remonter aux sources originales afin d'offrir au lecteur des renseignements inédits, sûrs et précis.
Le premier document que les historiens spéciaux aient signalé au sujet des appareils de vol mécanique, est relatif à la colombe volante d'Archytas[2]. On a beaucoup écrit à ce sujet, mais en oubliant trop souvent le texte original. Il n'existe, à notre connaissance, aucun autre texte que celui des Nuits attiques d'Aulu-Gelle. Or, voici ce qu'Aulu-Gelle a écrit, d'après la traduction française de la collection Nisard: «Les plus illustres des auteurs grecs, et, entre autres, le philosophe Favorinus, qui a recueilli avec tant de soins les vieux souvenirs, ont raconté du ton le plus affirmatif qu'une colombe de bois, faite par Archytas à l'aide de la mécanique, s'envolait; sans doute elle se soutenait au moyen de l'équilibre, et l'air qu'elle renfermait secrètement la faisait mouvoir[3].»
Voilà tout ce que l'histoire a laissé; cette phrase laconique n'autorise en aucune façon les affirmations qui ont été publiées postérieurement par des écrivains trop crédules. Dans plusieurs autres auteurs, Cassiodore, Michel Glycas, etc., on trouve des histoires vagues d'oiseaux artificiels qui volaient et qui chantaient. Il semble à peu près certain qu'il s'agit de contes imaginaires, bien plutôt que de faits réels.
Il n'en est pas moins vrai que des appareils d'aviation ont été expérimentés depuis des temps très reculés.
Au onzième siècle, Olivier de Malmesbury, savant bénédictin anglais, entreprit de voler en s'élevant du haut d'une tour, mais les ailes qu'il avait attachées à ses bras et à ses pieds n'ayant pu le porter, il se cassa les jambes en tombant, et mourut à Malmesbury en 1060[4].
Au douzième siècle, un Sarrasin, qui passa d'abord pour magicien, fit, d'après la légende, une tentative de vol aérien à Constantinople, sous le règne d'Emmanuel Comnène. Il était monté sur le haut de la tour de l'hippodrome. Il était debout, vêtu d'une robe blanche fort longue et fort large, dont les pans, retroussés avec de l'osier, lui devaient servir de voile pour recevoir le vent. Il s'éleva comme un oiseau, mais son vol fut aussi infortuné que celui d'Icare. Il se brisa les os[5].
Au treizième siècle, le moine anglais Roger Bacon a affirmé, dans son livre: De mirabili potestate artis et naturæ, que l'homme pourrait un jour voler dans l'atmosphère; mais il ne donne aucune indication sur un mécanisme quelconque, et il se contente d'une simple prophétie:
«On fabriquera des instruments pour voler, au moyen desquels l'homme assis fera mouvoir quelque ressort qui mettra en branle des ailes artificielles comme celles des oiseaux.» Et rien de plus. Une hypothèse exprimée de cette manière, ne permet assurément pas de compter Roger Bacon au nombre des précurseurs des Montgolfier.
Au quinzième siècle, Jean Muller, dit Regiomontanus, aurait construit une mouche de métal qui se soutenait dans l'air, et un aigle de fer qui serait allé au-devant de l'empereur Frédéric IV et aurait volé sur un parcours de mille pas aux environs de Nuremberg. Ces récits sont peu vraisemblables.
On a encore souvent parlé de Dante de Pérouse qui, au quatorzième siècle, aurait réussi à construire des ailes artificielles au moyen desquelles il se serait élevé et aurait franchi le lac Trasimène.
Ce récit a été mentionné par Henri Paulrau dans son Dictionnaire de physique, en 1789. Je suis arrivé à me procurer un livre plus ancien, daté de 1678, et qui rapporte le même récit. Ce livre est intitulé: Athenæum Augustum in quo Perusinorum scripta publice exponientur. Il donne (p. 168) une courte biographie de Baptista Dantius Perusinus, et il affirme que l'expérience dont nous venons de parler a eu lieu; mais on ne trouve aucun détail du mécanisme, ce qui ferait supposer que l'auteur reproduit un simple récit légendaire encore inspiré de celui d'Icare.
La tradition rapporte que sous Louis XIV un nommé Allard, danseur de corde, annonça qu'il ferait une expérience de vol, à Saint-Germain, en présence du roi. Il devait partir de la terrasse pour descendre dans les bois du Vésinet. L'expérience eut lieu, paraît-il, mais Allard tomba au pied même de la terrasse, et se blessa grièvement.
Il fut question en 1678 d'un appareil volant construit par un nommé Besnier. Les aviateurs ont souvent mentionné ce fait; j'ai pu me procurer encore le document original où il est signalé. C'est le Journal des sçavans du 12 décembre 1678; voici in extenso ce qui est dit de l'expérience de Besnier avec la reproduction de la figure (fig. 2).
Extrait d'une lettre escrite à monsieur Toynard sur une Machine d'une nouvelle invention pour vôler en l'air.
M. Toinard a eu avis que le P. Besnier serrurier de Sablé au païs du Maine a inventé une machine à quatre aisles pour vôler. Quoy qu'il en attende une Figure et une Description plus exacte que celle-cy: l'on a crû que parceque ce Journal est le dernier de ceux que nous donnerons cette année avec celuy du Catalogue de tous les Livres et de la Table des Matières par où nous finissons toutes les années, le Public ne seroit pas fasché d'apprendre par advance une chose si extraordinaire.
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Fig. 2.—Appareil volant de Besnier. Reproduction par l'héliogravure de la figure du Journal des sçavans (1678).
A, aisle droite de devant.—B, aisle gauche de derrière.—C, aisle gauche de devant.—D, aisle droite de derrière.—E, fisselle du pied gauche qui fait baisser l'aisle D, lorsque la main gauche fait baisser l'aisle C.—F, fisselle du pied droit qui fait baisser l'aisle D lorsque la main gauche fait baisser l'aisle C.
Cette machine consiste en deux bastons qui ont à chaque bout un châssis oblong de taffetas, lequel châssis se plie de haut en bas comme des battants de volets brisés.
Quand on veut vôler, on ajuste ces bastons sur ses espaules, en sorte qu'il y ait deux châssis devant et deux derrière. Les châssis de devant sont remués par les mains, et ceux de derrière, par les pieds, en tirant une fisselle qui leur est attachée.
L'ordre de mouvoir ces sortes d'aisle est tel, que quand la main droite fait baisser l'aisle droite de devant marquée A, le pied gauche fait baisser par le moyen de la fisselle E l'aisle gauche de derrière marquée B. Ensuite la main gauche, faisant baisser l'aisle gauche de devant marquée C, le pied droit fait baisser par le moyen de la fisselle l'aisle droite de derrière marquée D, et alternativement en diagonale.
Ce mouvement en diagonale a semblé très bien imaginé, puisque c'est celuy qui est naturel aux quadrupèdes et aux hommes quand ils marchent ou quand ils nagent; et cela fait bien espérer de la réussite de la machine. On trouve néanmoins que, pour la rendre d'un plus grand usage, il y manque deux choses. La première est qu'il y faudroit adjouster quelque chose de très léger et de grand volume, qui, estant appliqué à quelque partie du corps qu'il faudroit choisir pour cela, pust contre-balancer dans l'air le poids de l'homme; et la seconde chose à désirer seroit que l'on y ajustât une queüe, car elle serviroit à soutenir et à conduire celuy qui voleroit; mais l'on trouve bien de la difficulté à donner le mouvement et la direction à cette queüe, après les différentes expériences qui ont esté faites autrefois inutilement par plusieurs personnes.
La première paire d'aisles qui est sortie des mains du sieur Besnier a esté portée à la Guibré, où un Baladin l'a acheptée et s'en sert fort heureusement. Presentement, il travaille à une nouvelle paire plus achevée que la première.
Il ne prétend pas néanmoins pouvoir s'élever de terre par sa machine, ny se soutenir fort longtemps en l'air, à cause du deffaut de la force et de la vitesse qui sont nécessaires pour agiter fréquemment et efficacement ces sortes d'aisles, ou en terme de volerie pour planer. Mais il asseure que, partant d'un lieu médiocrement élevé, il passeroit aisément une rivière d'une largeur considérable, l'ayant déjà fait de plusieurs distances et en différentes hauteurs.
Il a commencé d'abord par s'élancer de dessus un escabeau, ensuite de dessus une table, après, d'une fenêtre médiocrement haute, ensuite de celle d'un second étage, et enfin d'un grenier d'où il a passé par dessus les maisons de son voisinage, et s'exerçant ainsi peu à peu, a mis sa machine en l'estat où elle est aujourd'huy.
Si cet industrieux ouvrier ne porte cette invention jusqu'au point où chacun se forme des idées, ceux qui seront assez heureux pour la mettre dans sa dernière perfection, luy auront du moins l'obligation d'avoir donné une veüe dont les suites pourront peut-être devenir aussi prodigieuses que le sont celles des premiers essais de la navigation. Car quoy que ce que nous avons dit du Dante de Pérouse, que le Mercure Hollandois de l'année 1673 rapporte d'un nommé Bernoin qui se cassa le col en vôlant à Francfort, ce que l'on a vu mesme dans Paris, et ce qui est arrivé en plusieurs autres endroits, fasse voir le risque et la difficulté qu'il y a de réüssir dans cette entreprise, il s'en pourroit enfin trouver quelqu'un qui seroit ou plus industrieux ou moins malheureux que ceux qui l'ont tentée jusqu'icy[6].
J'ai souligné les passages qui m'ont paru devoir attirer l'attention, soit au point de vue des idées théoriques émises, soit au point de vue historique. On voit que l'appareil représenté par le dessin du Journal des sçavans ne saurait être construit avec quelque chance de donner aucun résultat sérieux: le document historique que nous avons reproduit est insuffisant pour qu'il soit permis d'affirmer, comme on l'a fait, que Besnier ait pu réussir dans ses essais de vol aérien. Il ne serait pas impossible cependant qu'un appareil analogue ait fonctionné à la façon d'un parachute, mais alors il ne pouvait avoir l'aspect de la figure.
Si, comme l'affirmait Borelli, aucun homme n'avait pu réellement voler au moyen d'ailes artificielles, si comme nous le croyons aussi, l'expérience des hommes volants n'a jamais réussi, le problème du vol artificiel et de l'ascension dans l'atmosphère a toujours préoccupé les esprits. Les romanciers, dans tous les temps, ont souvent donné à leurs personnages imaginaires la faculté de parcourir l'espace. Parmi les procédés qu'ils ont inventés, il en est quelques-uns qui méritent d'être signalés.
On se rappelle le fameux tapis enchanté et le cheval de bronze des Mille et une nuits. On connaît aussi les récits de Cyrano de Bergerac et les aventures de son héros dans le Voyage à la Lune[7].
Voici comment je me donnai au ciel, dit Cyrano. J'avais attaché autour de moi quantité de fioles pleines de rosée, sur lesquelles le soleil dardait ses rayons si violemment que la chaleur qui les attirait, comme elle fait les plus grosses nuées, m'éleva si haut, qu'enfin je me trouvai au-dessus de la moyenne région; mais comme cette attraction me faisait monter avec trop de rapidité, et qu'au lieu de m'approcher de la lune, comme je le prétendais, elle me paraissait plus éloignée qu'à mon partement, je cassai plusieurs de mes fioles, jusqu'à ce que je sentis que ma pesanteur surmontait l'attraction et que je redescendais vers la terre; mon opinion ne fut pas fausse, car j'y retombai quelque temps après.
Dans sa relation des États du Soleil, Cyrano de Bergerac décrit une autre machine qu'il appelle un oiseau de bois. Swift dans ses aventures de Gulliver a décrit l'île de Laputa, qui plane au moyen de procédés électriques. Nous allons voir tout à l'heure l'électricité intervenir encore dans d'autres curieuses fantaisies aériennes.
Un Anglais, l'évêque Wilkins, écrivain remarquable du dix-huitième siècle, a écrit un ouvrage sur les Hommes volants[8] où il discute sérieusement l'histoire et les conditions du vol artificiel. Rétif de la Bretonne l'a imité, dans son livre rare et curieux: La découverte australe par un homme volant[9] où il publie de charmantes vignettes représentant les aventures de son héros Victorin parcourant les divers pays au moyen de ses ailes artificielles.
Un autre livre rare et précieux que je possède aussi dans ma bibliothèque aéronautique, donne la singulière description d'une machine volante qui s'élève au moyen du fluide électrique. Ce livre est intitulé Le philosophe sans prétention, il est signé M. D. L. F.[10]. On sait que l'auteur était M. de la Folie, de Rouen.
Une planche fort bien gravée, placée en tête de l'ouvrage, représente la machine volante au moment où elle s'élève.
Nous reproduisons à titre de curiosité cette charmante vignette (fig. 3), où l'on voit l'inventeur Scintilla conduisant son appareil.
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Fig. 3.—Machine volante électrique figurée dans le Philosophe sans prétention (1775).
Depuis longtemps, dit Scintilla, dans l'ouvrage de M. de la Folie, les hommes ont recherché par quelles loix méchaniques ils pourraient franchir les espaces. Je suis flatté de pouvoir vous offrir aujourd'hui la réussite de mes recherches. Le voici, dit-il, en présentant un écrit; mais cet écrit ne suffit pas. La théorie quoique fort simple, ne serait peut-être pas assez intelligible dans une matière aussi neuve. Aussi avant d'en venir à la démonstration théorique, faisons l'expérience. Deux esclaves ont porté mon appareil sur la plate-forme de notre tour. Rendons-nous-y....
Je marchais avec les autres. Je calculais, je réfléchissais en moi-même que l'écart des leviers pour former une résistance suffisante, c'est-à-dire pour embrasser un grand volume d'air, exigeait une force ou puissance considérable....
Quelle fut ma surprise lorsque arrivé sur la plate-forme, je vis deux globes de verre de trois pieds de diamètre montés au-dessus d'un petit siége assez commode; quatre montans de bois couverts de lames de verre soutenaient ces deux globes. La pièce inférieure qui servait de soutien et de base au siége, était un plateau enduit de camphre et couvert de feuilles d'or. Le tout était entouré de fils de métal. Aussitôt que j'eus aperçu cette machine électrique de nouvelle forme je devins moins incrédule....
Enfin, il n'y eut bientôt plus aucun doute à former. Scintilla dont le corps était aussi alerte que l'imagination, monte lestement sur la méchanique, et poussant promptement une détente, nous vîmes les deux globes tourner avec une rapidité prodigieuse. Messieurs, dit-il, vous voyez que pour m'élever en l'air, mon principal moyen est d'annuler au-dessus de ma tête la pression de l'atmosphère. Observez que la percussion de la lumière agit actuellement au-dessous de ma méchanique. C'est elle qui va m'enlever sans beaucoup d'efforts, et, maître du mouvement de mes globes, je descendrai ou monterai en telles proportions qu'il me plaira. Vous voyez encore.... Mais nous ne l'entendions plus. Sa machine entourée tout à coup d'un cercle lumineux, s'était enlevée avec la plus grande vitesse. Jamais spectacle si nouveau et si beau ne s'offrit à nos yeux. Nous le vîmes pendant quelque temps rester immobile, puis redescendre, puis s'élever de nouveau. Enfin nous le perdîmes de vue.
On est vraiment surpris de trouver ce récit dans un livre publié avant la découverte des aérostats. Ne croirait-on pas lire la description d'une ascension en ballon? La machine imaginaire de l'auteur du Philosophe sans prétention donne assurément à penser, et le choix de l'électricité comme moteur, est remarquablement choisi, à une époque où l'on ne soupçonnait pas l'existence des moteurs dynamo-électriques.
N'a-t-on pas eu raison de dire: Poète, prophète.
Bien d'autres auteurs se sont servis de la fiction du vol à travers les airs pour faire voyager leurs héros. On se souvient que Voltaire a entraîné Micromégas d'une planète à l'autre, en le mettant à cheval sur une comète.
Après avoir mentionné ces rêves de l'imagination, dont quelques-uns peuvent être cités comme une sorte d'inspiration et de prévision singulières de l'avenir, revenons en arrière dans l'histoire, pour étudier la réalité des faits, et rentrer dans le domaine des études qui ont été entreprises pour la conquête de l'air.
II
L'AVIATION, DU XVe AU XVIIIe SIÈCLELéonard de Vinci. — Étude du vol artificiel. — L'hélicoptère et le parachute. — Fauste Veranzio et le parachute de Venise. — Le ptérophore de Paucton.
Léonard de Vinci, le grand artiste de la Renaissance, a sa place marquée dans l'histoire de l'aviation. M. Hureau de Villeneuve a résumé dans l'Aéronaute[11] l'histoire des travaux de cet homme de génie, et nous reproduirons ici les faits les plus curieux qui se rattachent à ces études, fort intéressantes, puisqu'elles remontent au quinzième siècle.
Léonard de Vinci avait abordé le problème en suivant cette même méthode rationnelle qu'on retrouve dans tous ses écrits, et qui le distingue de ses contemporains. Avant d'arriver à la construction de ses appareils d'aviation, il commença par l'observation et l'étude du vol des oiseaux.
Les quelques documents que l'on possède aujourd'hui du mémoire de Léonard de Vinci, font regretter la perte d'une grande partie de ses travaux. M. le prince Boncompagnoni a fait rééditer récemment les manuscrits qui restent du grand artiste italien; mais beaucoup de cartons et divers manuscrits laissés à Milan ont été éparpillés et n'ont pu être retrouvés. Ces manuscrits étaient écrits à l'envers, d'une écriture fine et serrée, ce qui en rendait la lecture des plus difficiles et a dû contribuer à leur perte. On peut voir, dans les planches que nous donnons ci-contre, des échantillons de cette écriture bizarre que nous n'avons pu déchiffrer. Il est probable que cette manière d'écrire, intelligible pour l'auteur seul, était un moyen de conserver le secret de ses découvertes; mais le penseur, en agissant ainsi, a eu le tort de ne pas comprendre que si l'inventeur a l'usufruit de ses découvertes, la nue propriété en appartient à l'humanité tout entière.
La partie capitale du manuscrit de Léonard de Vinci, est celle qui a trait aux principes mêmes du vol. Léonard établit que l'oiseau, étant plus lourd que l'air, s'y soutient et avance en rendant «ce fluide plus dense là où il passe que là où il ne passe pas». Il avait donc compris que l'animal pour voler doit prendre son point d'appui sur l'air, et l'ensemble de sa théorie se rapproche beaucoup des théories modernes s'appuyant sur l'influence de la vitesse sur la suspension.
L'examen des dessins originaux du grand artiste italien est curieux à approfondir. Nous en reproduisons par l'héliogravure une planche complète (fig. 4); elle permet de suivre la pensée qui a présidé à son exécution. Nous laissons M. le docteur Hureau de Villeneuve l'interpréter.
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Fig. 4.—Fac-similé des dessins de Léonard de Vinci sur les ailes artificielles.
Nous voyons sur le second rang à droite un petit personnage assez analogue à un démon ou à un génie, car il porte sur la tête une flamme et, à côté de cette flamme, une croix latine. Il a les bras terminés par des doigts de chauve-souris. La figure n'est pas encore terminée que déjà Léonard reconnaît son insuffisance et, devinant le peu d'action musculaire des bras, pense à employer la force des jambes. Nous voyons donc un peu plus haut, dans la même planche, un homme vigoureux placé sur le ventre, les jambes repliées et s'apprêtant à lancer un violent coup de pied. Les muscles saillants, tracés par un crayon d'anatomiste, décèlent le grand peintre dans un dessin jeté sans prétention. Dans ce croquis, Léonard n'a pas encore pris de parti quant au mode d'attache des ailes, mais dans le dessin qui suit, supprimant l'homme dont il ne conserve plus que les pieds, l'auteur commence l'étude des détails de la construction. Une tige arrondie en forme de bât doit être appuyée sur le dos, les bras prenant un point d'appui sur les deux côtés. Au sommet du bât, sont deux anneaux fermés, recevant par deux autres anneaux la racine des ailes. Ce mode d'articulation fort simple, mais qui manque de précision, présente l'avantage de permettre à l'aile des mouvements limités de rotation autour de son axe. Le bât se continue en deux tiges repliées à une demi-ceinture placée derrière la taille. Sur les côtés du bât, se trouvent deux poulies portant des cordes à étriers qui, tirées par les pieds, servent à abaisser les ailes. Celles-ci sont relevées par deux tiges de bois actionnées par les mains. Une queue est fixée à une tige placée entre les deux jambes. Mais ici une préoccupation semble s'emparer de l'esprit de l'inventeur. Les ailes s'appuieront sur l'air pendant l'abaissement sans doute; mais pendant le relèvement elles détruiront leur action. Aussi Léonard cherche un moyen de supprimer cet inconvénient. Il donne aux doigts de sa chauve-souris la faculté de se plier en dessous sans pouvoir se relever au-dessus de l'horizontale. Voyez dans le reste de la page les différents systèmes de doigts articulés qu'il désire employer. Le premier à gauche se manœuvre au moyen de poulies de renvoi; dans le second, les leviers relevés donnent une action plus énergique. Mais, ce n'est pas encore bien, le troisième nous montre un ressort fait de deux rotins agissant sur une roulette placée à la queue de la phalange. Enfin, dans le bas, il essaie des charnières métalliques.
Après ses études sur le vol, Léonard de Vinci a donné une idée de l'hélicoptère, et il a eu le mérite d'imaginer le parachute, avec une rare intelligence. Un savant italien, M. Govi, a résumé ces travaux à l'Académie des Sciences dans sa séance du 29 août 1881[12], à propos du petit propulseur à hélice que j'avais installé dans la nacelle du minuscule aérostat électrique de l'Exposition d'électricité.
Parmi les projets très nombreux et fort variés que l'on peut voir dans le Codice Atlantico, rendu en 1815 à la Bibliothèque ambroisienne de Milan, et dans les volumes restés à Paris et conservés à la Bibliothèque de l'Institut, il y a (au volume B de la Bibliothèque de l'Institut, feuillet 83, verso) le dessin d'une large hélice destinée à tourner autour d'un axe vertical (fig. 5), à côté et au-dessous de laquelle on peut lire (écrites en italien et à rebours) les deux notes suivantes[13]:
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Fig. 5.—Principe de l'hélicoptère, dessin de Léonard de Vinci.
À côté de la figure.—Que le contour extérieur de la vis (hélice) soit en fil de fer de l'épaisseur d'une corde, et qu'il y ait du bord au centre huit brasses de distance.
Au-dessous de la figure.—Si cet instrument, en forme de vis, est bien fait, c'est-à-dire fait en toile de lin dont on a bouché les pores avec de l'amidon, et si on le tourne avec vitesse, je trouve qu'une telle vis se fera son écrou dans l'air et qu'elle montera en haut.
Tu en auras une preuve en faisant mouvoir rapidement à travers l'air une règle large et mince, car ton bras sera forcé de suivre la direction du tranchant de cette planchette.
La charpente de ladite toile doit être faite avec de longs et gros roseaux.
On en peut faire un petit modèle en papier, dont l'axe soit une lame de fer mince que l'on tord avec force. Quand on laissera cette lame libre, elle fera tourner la vis (l'hélice).
On voit donc par là que, non seulement Léonard avait inventé le propulseur à hélice, mais qu'il avait songé à l'utiliser pour la locomotion aérienne, et qu'il en avait construit de petits modèles en papier, mis en mouvement par des lames minces d'acier tordues, puis abandonnées à elles-mêmes.
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Fig. 6.—Principe du parachute, dessin de Léonard de Vinci.
En consultant d'ailleurs le Saggio delle Opere di Leonardi da Vinci, publié à Milan en 1872 (1 vol. in-fol.), au chapitre intitulé: Leonardo letterato e scienziato (p. 20-21) et les planches photolithographiques qui l'accompagnent (pl. XVI, no 1), on peut constater que cet homme de génie avait étudié le moyen de mesurer l'effort que l'on peut exercer en frappant l'air avec des palettes de dimensions déterminées, et qu'il avait inventé le parachute, dont il donne le dessin reproduit ci-dessus (fig. 6); il décrit l'appareil dans les termes suivants[14]:
Si un homme a un pavillon (tente) de toile empesée dont chaque face ait 12 brasses de large et qui soit haut de 12 brasses, il pourra se jeter de quelque grande hauteur que ce soit, sans crainte de danger.
Les études faites par Léonard de Vinci sur les appareils d'aviation sont, on le voit, nombreuses et remarquables.
Si les expériences de vol aérien de Léonard de Vinci ne semblent pas avoir été exécutées en grand, il n'en est peut-être pas de même du parachute, dont l'emploi est beaucoup plus sûr. La description de Léonard de Vinci a été reproduite postérieurement, non sans une amélioration notable dans le mode de représentation de l'appareil, dans un recueil de machines, dû à Fauste Veranzio et publié à Venise en 1617.
La gravure ci-jointe (fig. 7) est la reproduction exacte du parachute que l'auteur définit d'autre part dans les termes suivants, assurément inspirés de ceux de Léonard de Vinci:
Avecq un voile quarré estendu avec quattre perches égalles et ayant attaché quatre cordes aux quattre coings, un homme sans danger se pourra jeter du haut d'une tour ou de quelque autre lieu éminent; car encore que, à l'heure, il n'aye pas de vent, l'effort de celui qui tombera apportera du vent qui retiendra la voile, de peur qu'il ne tombe violement, mais petit à petit descende. L'homme doncq se doit mesurer avec la grandeur de la voile.
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Fig. 7—Le parachute de Venise (1617), d'après une gravure du temps.
Il est impossible de donner plus nettement le principe du parachute, et l'appareil se trouve si clairement expliqué qu'il nous semble difficile que l'expérience indiquée successivement par Léonard de Vinci et par Fauste Veranzio n'ait pas été essayée. On voit qu'elle a pu être faite deux cents ans avant celle de Garnerin.
En 1768, plus d'un siècle après la publication de l'ouvrage de Fauste Veranzio, un savant mathématicien, Paucton, a esquissé le projet d'un véritable hélicoptère, qu'il a désigné sous le nom de ptérophore[17].
Un homme, dit Paucton, est capable d'une force suffisante pour vaincre le poids de son corps. Si donc je mets entre les mains de cet homme une machine telle que, par son moyen, il agisse sur l'air avec toute la force dont il est capable et toute l'adresse possible, il s'élèvera à l'aide de ce fluide, comme à l'aide de l'eau, ou même d'un corps solide. Or, il ne paraît pas que dans un ptérophore, adapté verticalement à une chaise, le tout fait de matière légère et soigneusement exécuté, il ne se trouve rien qui l'empêche d'avoir cette propriété dans toute sa perfection. Dans la construction, on aurait soin que la machine produisît le moins de frottement qu'il serait possible; et elle doit naturellement en produire peu, n'étant pas du tout composée. Le nouveau Dédale, assis commodément sur sa chaise, donnerait au ptérophore, par le moyen d'une manivelle, telle vitesse circulaire qu'il jugerait à propos. Ce seul ptérophore l'enlèverait verticalement; mais pour se mouvoir horizontalement, il lui faudrait un gouvernail; ce serait un second ptérophore. Lorsqu'il voudrait se reposer un peu, des clapets ou soupapes, ajustés solidement aux extrémités de secteurs de sciadique, fermeraient d'eux-mêmes les canaux hélices par où l'air coule, et feraient de la base du ptérophore une surface parfaitement pleine qui résisterait au fluide et ralentirait considérablement la chute de la machine.
On voit que Paucton expose nettement un projet d'un appareil d'aviation mû par deux hélices, l'une destinée à l'ascension, l'autre à la propulsion du système. Et cela en 1768!
Il n'y a rien de nouveau sous le soleil!
III
LE PRINCIPE DES BALLONSLe Père Francesco Lana et son projet de navire aérien en 1670. — Le Brésilien Gusmâo. — Expérience de Lisbonne en 1709. — Le Père Galien et l'art de voyager dans les airs, en 1756.
Si le parachute a été indiqué à la fin du quinzième siècle et nettement décrit au commencement du dix-septième siècle, nous allons voir que l'idée des ballons a été émise vers la fin du dix-septième siècle, en 1670, par Lana. On a beaucoup écrit sur le célèbre jésuite; mais, ici encore, j'ai voulu me reporter au texte original. Après plus de quinze années de recherches, je suis arrivé à me procurer ce livre rare[18], où Francesco Lana a écrit le curieux chapitre intitulé: Fabricare una nave che camini sostentata sopra l'aria a remi et a vele; quale si dimostra poter riuscire nella pratica (Construire un navire qui se soutienne dans l'air et se déplace à l'aide de rames et de voiles; l'on démontre que ce projet est pratiquement réalisable).
Je vais donner ici la traduction de quelques-uns des passages les plus curieux de ce chapitre: ils montreront que les idées de Lana étaient excellentes au point de vue théorique.
Après avoir rappelé la fable de Dédale et le fait de l'expérience de vol de Dante de Pérouse, le savant jésuite s'exprime ainsi qu'il suit:
On n'a jamais cru possible jusqu'ici de construire un navire parcourant les airs, comme s'il était soutenu par de l'eau, parce qu'on n'a jamais jugé que l'on pourrait réaliser une machine plus légère que l'air lui-même: condition nécessaire pour obtenir l'effet voulu. M'étant toujours ingénié à rechercher les inventions des choses les plus difficiles, après de longues études sur ce sujet, je pense avoir trouvé le moyen de construire une machine plus légère en espèce que l'air, qui, non seulement grâce à sa légèreté, se soutienne dans l'air; mais qui encore puisse emporter avec elle des hommes, ou tout autre poids, et je ne crois pas me tromper, car je n'avance rien que je ne démontre par des expériences certaines, et je me base sur une proposition du onzième livre d'Euclide, que tous les mathématiciens admettent comme rigoureusement vraie.
Lana, après ce préambule, entre dans de longues dissertations sur des expériences préliminaires dont la gravure ci-jointe (fig. 8), reproduite pour la première fois de l'original, avec l'exactitude que comporte la photographie, montre le dispositif. L'auteur considère d'abord un vase sphérique de cuivre ou de fer-blanc A (no III de la figure), muni d'une longue tubulure à robinet BC d'au moins 47 palmes romaines de longueur. Il remplit le système d'eau, il bouche l'orifice C et retourne le tout au-dessus de l'eau. Ouvrant alors le robinet B (no V de la figure), il indique que le vase A se vide d'eau, et que le tube restera rempli jusqu'à la hauteur de 46 palmes 26 minutes.
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Fig. 8.—Le navire aérien du Père Lana (1670). Reproduction par l'héliogravure de la figure authentique.
Il s'agit là de l'expérience très bien indiquée du baromètre à eau; Lana montre que le vase A se trouve vide d'air et que, dans ces conditions, il a perdu de son poids. Sans entrer dans toutes les démonstrations qu'il fournit à ce sujet, sans parler de la méthode qu'il propose d'employer pour faire le vide, nous dirons seulement qu'il se trouve conduit à imaginer, pour la confection du navire aérien qu'il propose, quatre grandes sphères en cuivre mince A B C D (no IV de la figure), dans lesquelles on aurait fait le vide. Ces sphères ou ces ballons, comme Lana les appelle, seraient plus légers que le volume d'air déplacé; ils s'élèveraient, par conséquent, dans l'atmosphère. Lana imagine de suspendre à ces ballons une barque où se tiendraient les voyageurs, et, tombant dans l'erreur que devaient commettre plus tard les premiers aéronautes qui voulaient diriger les ballons avec des voiles, sans se rendre compte que le vent n'existe pas pour l'aérostat immergé dans l'air, il munit son navire d'une voile de propulsion.
Assurément le projet de Lana est impraticable: le savant jésuite n'a pas prévu que ses ballons de cuivre vides d'air seraient écrasés par la pression atmosphérique extérieure; mais il n'en a pas moins eu une idée très nette et très remarquable pour son époque du principe de la navigation aérienne par les ballons plus légers que le volume d'air qu'ils déplacent. Il termine son long chapitre par quelques considérations très curieuses:
Je ne vois pas d'autres difficultés que l'on puisse opposer à cette idée, si ce n'est une qui me semble plus importante que toutes les autres, et que Dieu veuille ne pas permettre que cette invention soit jamais appliquée avec succès dans la pratique, afin d'empêcher les conséquences qui en résulteraient pour le gouvernement civil et politique des hommes. En effet, qui ne voit qu'il n'y a pas d'État qui serait assuré contre un coup de surprise, car ce navire se dirigerait en droite ligne sur une de ses places fortes, et, y atterrissant, pourrait y descendre des soldats.
Le livre du P. Lana eut un grand succès à l'époque où il fut publié, et le chapitre du navire aérien attira vivement l'attention de ses contemporains, comme l'attestent des publications spéciales qui ont été faites de ce chapitre en brochures isolées[19].
Nous arrivons à présent au dix-huitième siècle et à l'époque la plus curieuse incontestablement dans l'histoire des antériorités de la découverte des aérostats. Nous allons étudier attentivement ce qui a été écrit au sujet d'un célèbre Brésilien, Gusmâo, qui a été surnommé à son époque l'homme volant, et qui paraît avoir exécuté à Lisbonne une expérience de locomotion aérienne.
Gusmâo (Bartholomeu-Lourenço de) naquit à Santos, au Brésil, alors colonie portugaise, vers 1665, et mourut après 1724. Il était le frère d'Alexandre Gusmâo, célèbre homme d'État brésilien, et après avoir renoncé à l'état ecclésiastique auquel il s'était d'abord destiné, il se voua à l'étude des sciences physiques.
C'est dans les premières années du dix-huitième siècle que Gusmâo conçut le projet de construire une machine au moyen de laquelle on pourrait voyager au sein de l'air. L'un des membres les plus distingués de l'Académie de Lisbonne, Freire de Carvalho[20], qui paraît avoir étudié tous les documents relatifs à ce fait important, dit que «de l'examen de divers mémoires, soit imprimés, soit manuscrits, il ressort bien que Gusmâo avait inventé une machine à l'aide de laquelle on pouvait se transporter dans les airs d'un lieu à un autre». Mais il ajoute aussitôt qu'il est impossible, par ces mêmes descriptions, «de se faire une idée exacte de la machine elle-même».
D'après certains récits du temps, l'auteur aurait mis en usage comme moteurs, l'électricité et le magnétisme combinés; quelques écrivains ont dit que la machine avait la forme d'un oiseau, criblé de tubes à travers lesquels passait l'air.
Ces descriptions sont inadmissibles. Un artiste du dix-huitième siècle a donné de l'appareil de Gusmâo un dessin que l'on peut voir au département des estampes de la Bibliothèque nationale et que je possède aussi dans ma collection de documents aéronautiques. Ce dessin est, suivant l'expression de M. Ferdinand Denis, auquel on doit une savante étude sur Gusmâo[21], «une curiosité inutile».
Cependant, parmi les documents contradictoires de l'époque, il en est qui semblent offrir un intérêt historique de premier ordre.
M. Carvalho a pu recueillir un exemplaire imprimé de la pétition adressée par Gusmâo au roi de Portugal en 1709. On y lit ce qui suit:
J'ai inventé une machine au moyen de laquelle on peut voyager dans l'air bien plus rapidement que sur terre ou sur mer; on pourra aussi faire plus de deux cents lieues par jour, transporter des dépêches pour les armées et les contrées les plus éloignées. On fera sortir des places assiégées les personnes que l'on voudra, sans que l'ennemi puisse s'y opposer. Grâce à cette machine, on découvrira les régions les plus voisines des pôles.
Le roi fit répondre à l'inventeur, sous la date du 17 avril 1709, que si les effets annoncés pouvaient se réaliser, il le nommerait en récompense professeur de mathématiques à l'Université de Coïmbre, avec un traitement annuel de 600 000 reis (4 245 francs).
Il résulte d'une note imprimée en 1774, et dont M. Carvalho cite le texte, que les globes employés par Gusmâo devaient être mus par la force du gaz qu'ils contenaient. Dans un manuscrit du savant Ferreira, né à Lisbonne en 1667 et mort en 1735, on lit:
Gusmâo fit son expérience le 8 août 1709, dans la cour du palais des Indes, devant Sa Majesté et une nombreuse et illustre assistance, avec un globe qui s'éleva doucement jusqu'à la hauteur de la salle des Ambassades, puis descendit de même. Il avait été emporté par de certains matériaux qui brûlaient et auxquels l'inventeur lui-même avait mis le feu.
Ce texte semblerait indiquer un aérostat à air chaud; mais nous allons malheureusement rencontrer, dans le document que nous mentionnons, des contradictions qui empêchent de bien établir la vérité.
Ferreira, après avoir dit que l'expérience se fit no pateo da casa da India (dans la cour du palais des Indes), termine son récit par ces mots: Esta experiencia se fez dentia da salla das Audiencias (cette expérience se fit dans la salle des Audiences). M. Carvalho se tire d'embarras en supposant qu'il y eut deux expériences faites, l'une dans la cour, l'autre dans la salle.
Une preuve secondaire de l'expérience de Gusmâo résulte de pièces de vers plus ou moins satiriques publiées en 1732 par Thomas Pinto Brandâo. L'une d'elles est intitulée: «Au père Bartholomeu Lourenço, l'homme volant qui s'est enfui, et cela se comprend, puisqu'on a su qu'il était lié avec le diable.»
Dans ces vers, on lit des passages analogues à celui-ci: «Gusmâo s'est élevé dans les airs, il a volé avec ses ailes, au regret de bien des familles. Pour se faire de bonnes ailes, il a déplumé bien du monde[22].»
En résumé, le manuscrit de Ferreira, parlant de l'invention de Gusmâo, semble dénoter un ballon à air chaud; les vers de Brandâo citent nettement, au contraire, un appareil volant au moyen d'ailes. Enfin d'autres récits paraissent faire comprendre que Gusmâo se serait élancé de la tourelle da casa da India; dans ce cas, il serait admissible que l'inventeur ait employé un parachute, au moyen duquel il aurait plané au-dessus de la foule.
Il paraît certain qu'une mémorable expérience aérienne a été faite en 1706 par Gusmâo; une tradition constante en a conservé le souvenir; mais il n'est malheureusement pas possible de rien préciser de net à l'égard du système employé. Nous nous bornerons à ajouter que Gusmâo ne renouvela jamais son essai. On l'accusa de magie, et il craignit sans doute les rigueurs du Saint-Office. Il s'occupa de navigation océanique et de construction navale, jusqu'en 1724, époque où on le voit quitter clandestinement le Portugal. Il vécut quelque temps en Espagne et mourut à l'hôpital de Séville.
Après Gusmâo, nous parlerons du livre remarquable du père Galien qui fut publié en 1755 sous le titre: l'Art de naviguer dans l'air. Ce petit livre très rare, que je suis arrivé à me procurer, comme celui de Lana, a été imprimé à Avignon. Il a été beaucoup lu et a été réédité deux ans après, en 1757[23]. Le Père Galien formule très clairement le principe des aérostats à air raréfié. Il admet que des globes remplis d'un air puisé à des régions très élevées de l'atmosphère, pourront flotter dans l'atmosphère des couches inférieures, mais il ne mentionne pas le mode de gonflement.
Nous voici donc arrivés, dit Galien, au moment de la construction de notre vaisseau pour naviguer dans les airs et transporter, si nous le voulons, une nombreuse armée avec tous les attirails de la guerre et ses provisions de bouche, jusqu'au milieu de l'Afrique, ou dans d'autres pays non moins inconnus. Pour cela, il faut lui donner une vaste capacité.... Plus il sera grand, plus sa pesanteur en sera absolument plus grande, mais aussi elle sera moindre respectivement à son énorme grandeur, comme peuvent le comprendre ceux qui ont quelque teinture de géométrie et qui savent que, plus un corps est grand, moins il a à proportion de superficie, quoiqu'il en ait absolument davantage.... Nous construirons ce vaisseau de bonne et forte toile doublée, bien cirée et goudronnée, couverte de peau et fortifiée de distance en distance de bonnes cordes, ou même de câbles dans les endroits qui en auront besoin, soit en dedans, soit en dehors, en telle sorte qu'à évaluer la pesanteur de tout le corps de ce vaisseau, indépendamment de sa charge, ce soit environ deux quintaux par toise carrée.... La pesanteur de l'air de la région sur laquelle nous établissons notre navigation étant supposée à celle de l'eau comme 1 à 1 000, et la toise d'eau pesant 15 120 livres, il s'ensuit qu'une toise cube de cet air pèsera environ 15 livres et 2 onces; et celui de la région supérieure étant la moitié plus léger, la toise cube ne pèsera qu'environ 7 livres 9 onces. Ce sera cet air qui remplira la capacité du vaisseau; c'est pourquoi nous l'appellerons l'air intérieur, qui réellement pèsera sur le fond du vaisseau, à raison de 7 livres 9 onces par toise cube; mais l'air de la région inférieure lui résistera avec une force double, de sorte que celui-ci ne consumera que la moitié de sa force pour le contre-balancer, et il lui en restera encore la moitié pour contre-balancer et soutenir le vaisseau avec toute sa cargaison.
Nous n'insisterons pas davantage sur les idées du P. Galien, qu'il s'est contenté de présenter à titre de simples amusements, mais qui n'en sont pas moins très curieuses. Il se trompait d'ailleurs en admettant que l'air léger des hautes régions pourrait être employé à gonfler des aérostats pour de basses régions. Cet air, ramené à des niveaux inférieurs, se réduirait de volume et prendrait la densité du milieu ambiant.
IV
LES VOITURES VOLANTESLes ailes du marquis de Bacqueville, en 1742. — La voiture volante du chanoine Desforges, en 1772. — La voiture volante ou vaisseau volant de Blanchard, en 1782.
Pendant que le P. Galien publiait son ouvrage de l'Art de voyager dans les airs, un expérimentateur audacieux, le marquis de Bacqueville, revenait à l'étude du vol artificiel: il convient de résumer ici l'histoire de ses tentatives, parce qu'elles ont inspiré l'invention des voitures volantes, dont je vais, un peu plus loin, entretenir le lecteur.
Le marquis de Bacqueville exécuta sa tentative de vol aérien en 1742. Il mourut en 1760, à l'âge de 80 ans, en voulant rentrer à toute force dans son hôtel que dévorait un incendie. D'après ces deux dates, cet aviateur convaincu avait dépassé la soixantaine quand il annonça qu'en partant de son domicile situé sur le quai, à Paris, au coin de la rue des Saints-Pères, il traverserait la Seine et irait descendre dans le jardin des Tuileries. Le jour convenu, il y eut une foule considérable, tant sur les quais que sur le Pont-Royal. À l'instant qu'il avait indiqué, le marquis de Bacqueville se montra avec ses ailes. L'un des côtés de son hôtel se terminait en terrasse; ce fut de là, d'après les récits de l'époque, qu'il s'abandonna à l'air. On prétend que son vol débuta bien, et qu'il put s'élancer jusqu'au bord de la Seine; mais, il tomba bientôt sur un bateau de blanchisseuses. Il dut à la grandeur de ses ailes de ne s'y pas tuer; il eut la cuisse cassée.
En 1772, l'abbé Desforges, chanoine de Sainte-Croix à Étampes, annonça par la voie des journaux l'expérience d'une voiture volante.
Voici la reproduction textuelle de ce qui a été publié sur l'appareil de l'abbé Desforges, dans les affiches, annonces et avis divers de 1772[24].
Du mercredi 21 octobre 1772.
On connoît les hommes volans, ou les aventures de Pierre Wilkins, traduites de l'anglois, qui parurent il y a neuf à dix ans en (1763). La lecture de ce roman, dont bien des idées sont empruntées de Robinson, a sûrement réchauffé le goût de quelques Glumms françois pour l'art de voler. Toutes les leçons qu'en a données Tuccaro dans son livre, ne valent pas en effet la description du Groundy faite par Wilkins, ni celle du vol d'Youwarky sa femme, et des autres Glumms volans. Or comme ce livre nous paroît tout aussi propre à exciter l'industrie que l'histoire de Robinson en qui le précepteur d'Émile reconnoît cette propriété, nous ne doutons pas que l'armement naturel des Glumms de Groundvolet ou de Battingdrigg n'ait suggéré l'idée de la voiture volante dont nous allons rendre compte.
On a lu dans les affiches d'Orléans une lettre de M. Desforges, chanoine de l'église royale de Sainte-Croix d'Étampes, qui dit: «avoir inventé une voiture volante, avec laquelle on pourra s'élever en l'air, voler à son gré à droite ou à gauche ou directement sans le moindre danger (fors de tomber seulement comme il en a fait l'expérience) et faire plus de cent lieues de suite sans être fatigué».
Il ajoute que: «Quand on aura le vent bon, on pourra faire au moins 30 lieues par heure, 24 par un temps calme et 10 par un vent contraire.» Il propose de s'engager par acte devant notaire de livrer une de ces voitures à ceux qui désireront en avoir pour la somme de cent mille livres qui seront déposées chez le même notaire, il s'oblige d'en faire l'essai lui-même en présence de l'acquéreur. Cette curieuse découverte n'a pas été plus tôt répandue par les papiers publics, qu'un particulier de Lyon, s'adressant directement à l'auteur, lui a marqué que les cent mille francs étoient prêts et qu'il l'attendoit avec sa voiture. Sur un avis si positif, M. Desforges, après avoir mis la dernière main à sa machine, se dispose à partir. Il s'y embarque et la fait élever de terre, par quatre hommes, à une certaine hauteur, pour prendre son vol; mais soit maladresse de ses aides, soit dérangement de quelque ressort, soit défaut de vent, le char volant, au lieu de s'élancer en haut, vole à rebours, comme le coursier de la Dunciade, et précipite son Phaéton. Comme ce char n'avait pu prendre l'essor, la chute n'a pas été périlleuse. M. Desforges en a été quitte, à ce qu'on nous a dit, pour quelques contusions, plus heureux que le marquis de Bacq, qui voulant voler comme Icare, avec des ailes artificielles, mais plus solidement attachées, se cassa la cuisse. Le vol est une vraie natation; mais le fluide imperceptible, dans lequel l'oiseau rame avec ses ailes (ou ses nageoires à tuyaux) n'a pas à beaucoup près la consistance de l'eau, dont toute la surface a des points d'appui.
L'air n'est donc navigable aux volatiles que par la vitesse et la légèreté de leurs mouvements; or quels ressorts faits de main d'homme pourront jamais les égaler? La colombe d'Archytas, colombe mécanique, s'élevoit peut-être assez haut, et voloit sans doute, dans une durée de temps déterminée, par celle de l'action du rouage, ou des autres ressorts, mais comment se remontoit-elle, ou, quel que fût le principe de son mouvement, jusqu'où se soutenoit son vol? C'est ce qu'on nous laisse à deviner. Si dans le vaste océan de l'air, comme sur celui qui nous est familier, c'est le vent qui doit suppléer aux rames, qu'est-ce qui pourra suppléer au vent, dans ces calmes soudains où l'air, sans la moindre agitation, fait à peine frémir une feuille. Il ne paroît que deux moyens à mettre en œuvre, pour une machine volante, l'air et le feu, il faut nécessairement employer l'un ou l'autre de ces deux ressorts.
Tout l'art de l'horlogerie, qui pour calculer le mouvement le plus insensible et pourtant le plus rapide de tous (celui du temps comme nous l'appelons) est aujourd'hui porté si loin, ne trouvera jamais de ressorts qui puissent représenter ceux-là. Mais si l'on parvenoit enfin à faire voler, hommes ou machines, il y auroit peut-être autant d'art à les faire abattre à leur gré, et le vol nous surprendroit encore moins que la descente.
Du mercredi 28 octobre 1772.
Suite de la voiture volante.—L'inventeur de cette curieuse machine est, dit-on, un homme de quarante-neuf ans dont la santé est ruinée par des travaux et des fatigues extraordinaires. C'est pour cela qu'il invitoit les curieux à se presser, et qu'il indiquoit sa demeure à Étampes, rue de la Cordonnerie. Voici l'idée qu'il donne lui-même de cette voiture dans une réponse qu'il a faite à une dame de province, et qui se trouve insérée dans plusieurs papiers publics:
«Elle est, dit-il, longue de 6 pieds, large de 3 pieds 8 pouces, profonde de 6 pieds et demi, depuis les pieds jusqu'au faîte de l'impériale, qui met à couvert de la pluie.»
Elle est apparemment d'osier, puisqu'il y travailloit avec un vannier. Il devoit s'envoler avec elle d'Étampes à Paris, sans y aborder, de peur d'y être retenu par la foule; mais après avoir fait cinq ou six fois le tour des Tuileries, du même vol non interrompu, il avoit résolu de revenir à Étampes, où dès qu'il seroit arrivé, il brûleroit la voiture, et n'en feroit point d'autres, qu'il n'eût été récompensé de ses peines. La voiture ne doit pas être brûlée puisqu'elle n'a pas fait le voyage.
Monsieur Desforges ajoute: «Si cette voiture étoit peinte en verd à l'huile de noix, elle durerait plus de quatre-vingts ans, en faisant 300 lieues par jour; ce qui seroit le plus sujet à s'user ce seroit les charnières, on y prendra garde de temps en temps. Quand on les verra à moitiée usées on y en substituera d'autres, mais avant d'être usées à moitié, elles pourront servir trois mois de suite à faire chaque jour 300 lieues. (Ces charnières font apparemment l'effet des cartilages des Glumms.)
«Quoique le vent soit très contraire, on pourra voler sans beaucoup d'efforts, de même qu'un batelier qui rame pour remonter contre la marche d'une rivière, qui coule très lentement, non contre le cours d'un fleuve très rapide. Cette voiture ne coûte presque rien, il ne faut rien autre chose pour la construire que de l'osier pour 40 sols, et du bois de Marseau pour 4 livres; les journées du vannier sont plus chères, il n'y a de l'ouvrage pour lui que pour 12 jours. Il faudra revêtir le dessus des ailes et de l'impériale avec du taffetas-cire d'Angleterre; c'est ce qu'il y a de plus coûteux. On coudra des plumes aux ailes, sans quoi l'on voleroit trop rapidement. Les deux ailes formeront une étendue (le terme est envergeûre) de 19 pieds et demi, elles s'ôtent et se remettent quand on veut partir. Il n'y a rien de cloué à la voiture, pas même les charnières, qui s'ôtent aussi, quand on veut, et néanmoins elle est d'une solidité que rien ne pourra briser. Les oiseaux ne peuvent planer que soixante pas au plus, mais ma voiture volante planera un demi-quart de lieue. Car les oiseaux n'ont que deux ailes pour planer; mais moi, outre les deux ailes, j'ai encore l'impériale qui m'aidera à planer; elle est longue de 8 pieds, et large de 6. La voiture est si simple, si aisée à conduire, que les dames et les demoiselles pourront toutes s'en servir facilement, et se conduire elles-mêmes, et tout vannier pourra en construire une pareille en ayant le modèle. On pourra voler, tant haut et tant bas qu'on voudra, sans le moindre danger. Ceux qui voleront au-dessus de l'atmosphère, quoique l'air y soit rare, en trouveront une dose plus que suffisante pour la respiration, parce qu'en volant, ils pressent l'air devant eux. À tous ceux qui voudront voler je leur donnerai aussi un préservatif contre la trop grande affluence de l'air; si les Anglois faisoient un fréquent usage de ma voiture volante, cela leur rafraîchiroit les poumons et ils ne mourroient plus de consomption. La voiture que je fabrique actuellement n'est que pour le conducteur lui seul, je ne répons pas pour davantage. Néanmoins je crois fermement que je pourrai construire une voiture capable d'enlever encore une personne outre le conducteur. Cette personne ne sera pas dans la voiture, de peur de faire perdre l'équilibre, mais sous le milieu de la voiture on attachera solidement un siège environné de soutiens (vessies ou calebasses peut-être). La personne sera assise sur ce siège sans le moindre danger, à cause des soutiens qui l'environneront, elle sera précisément au-dessous des pieds du conducteur, lequel sera en quelque façon comme un aigle qui emporte un petit mouton avec ses pattes.» (Quelle commodité pour les enlèvements! que d'agneaux, que de moutons même iront se précipiter dans les serres des aigles, des milans, des vautours!)
«Enfin la voiture est construite avec tant de légèreté, que si l'on tirait deux boulets de canon, pour en arracher les deux ailes, quand elle sera à 200 pieds de hauteur, la voiture dégarnie de ses deux ailes ne tombera pas, mais elle descendra dix fois plus lentement qu'en volant. Il n'y aura donc aucun danger; aussi est-ce moi qui aurai le plaisir de voyager le premier (après Cyrano de Bergerac et Pierre Wilkins) par les régions aériennes.»
Les expériences de la voiture volante de l'abbé Desforges n'ont pas été renouvelées après son premier échec. Ses tentatives donnèrent lieu à une amusante pièce de théâtre qui fut jouée à la comédie italienne et qui eut pour titre: Le cabriolet volant.
Plusieurs années avant la découverte des aérostats par les frères Montgolfier, Blanchard, qui devait plus tard devenir un aéronaute passionné, étudiait avec beaucoup de persévérance le problème du vol mécanique. Voici la curieuse lettre qu'il publiait dans le Journal de Paris, à la date du 28 août 1781:
L'avis que j'ai l'honneur de vous faire passer vous paraîtra une chimère, mais le fait n'existe pas moins.
Peu de personnes ignorent que, depuis un certain laps de temps, je m'occupe, proche Saint-Germain-en-Laye, à construire un vaisseau qui puisse naviguer dans l'air. J'ai choisi cet endroit, aussi isolé que superbe, afin de tenir la chose cachée, en me garantissant de la vue des curieux. Mais comme une entreprise de ce genre ne peut rester longtemps sous le secret, tous les environs, et Paris même, en ont été bientôt instruits, notamment plusieurs grands seigneurs qui ont bien voulu m'honorer de leur présence, et qui m'ont promis de très grandes récompenses en cas de réussite. Mais comme depuis environ un mois, des affaires, jointes à une maladie, m'ont empêché de terminer cet ouvrage, j'entends tous les jours dire au public (qui ignore ces causes), cet homme entreprenait l'impossible. En effet, au premier coup d'œil, la chose paraît telle; mais après de sages réflexions, on ne sait qu'en décider.
Depuis plus de douze ans je m'occupe à ce projet, j'y trouvais d'abord bien des obstacles; mais, toujours convaincu de la possibilité de voler, je n'ai cessé d'y travailler. Je suis actuellement à ma sixième opération. Il ne me reste plus qu'une seule difficulté, qu'un homme plus riche que moi lèverait facilement.
L'idée d'une voiture volante me fut suggérée par le récit des essais de M. de Baqueville; certainement si cet amateur, qui était fortuné, eût poussé la chose aussi avant que moi, il eût fait un chef-d'œuvre; mais malheureusement on se rebute quelquefois aux premiers essais, et par là on ensevelit dans l'obscurité les choses les plus magnifiques.
Comme plusieurs personnes s'imaginent que c'est l'enthousiasme où je suis de mon projet, qui me fait parler, ils m'objectent que la nature de l'homme n'est pas de voler, mais bien celle des oiseaux emplumés. Je réponds que les plumes ne sont pas nécessaires à l'oiseau pour voler, une tenture quelconque suffit. La mouche, le papillon, la chauve-souris, etc., volent sans plumes et avec des ailes en forme d'éventail, d'une matière semblable à la corne. Ce n'est donc ni la matière ni la forme qui fait voler; mais le volume proportionné, et la célérité du mouvement qui doit être très mobile.
L'on m'objecte encore qu'un homme est trop pesant pour pouvoir s'enlever seulement avec des ailes, moins encore dans un navire dont le seul nom présente un poids énorme. Je réponds que mon navire est d'une très grande légèreté; quant à la pesanteur de l'homme, je prie que l'on fasse attention à ce que dit M. de Buffon, dans son Histoire naturelle, au sujet du condor; cet oiseau, quoique d'un poids énorme, enlève facilement une génisse de deux ans, pesant au moins cent livres, le tout avec des ailes d'environ trente à trente-six pieds d'envergure.
L'ascension de ma machine avec le conducteur dépend donc de la force dont l'air sera frappé, en raison du poids.
Voici, en abrégé, l'analyse de ma machine que, dans quelques jours, j'aurai l'honneur de vous détailler plus amplement.
Sur un pied en forme de croix est posé un petit navire de 4 pieds de long sur 2 pieds de large, très solide, quoique construit avec de minces baguettes; aux deux côtés du vaisseau s'élèvent deux montants de 6 à 7 pieds de haut, qui soutiennent 4 ailes de chacune 10 pieds de long, lesquelles forment ensemble un parasol qui a 20 pieds de diamètre, et conséquemment plus de 60 pieds de circonférence. Ces 4 ailes se meuvent avec une facilité surprenante. La machine, quoique très volumineuse, peut facilement se soulever par deux hommes.
Elle est actuellement portée à sa perfection; il ne reste plus que la tenture à faire poser, que je désire mettre en taffetas, c'est ce que je ferai à ma possibilité; et d'après cela on me verra enlever facilement à la hauteur qu'il me plaira, parcourir un chemin immense en très peu de temps, descendre où je voudrai, même sur l'eau, car mon navire en est susceptible.
L'on me verra fendre l'air avec plus de vivacité que le corbeau, sans qu'il puisse m'intercepter la respiration, étant garanti par un masque aigu, et d'une construction singulière.
La boussole, qui sera sur la poupe de mon vaisseau, servira à diriger ma course que rien ne pourra arrêter, sinon la violence des vents contraires; mais omne violentum non est durabile.
Il n'y aura donc que les ouragans et la force des vents contraires qui pourront m'arrêter dans ma course; car un calme parfait me sera tout à fait favorable; avantage que j'aurai sur les vaisseaux, qui ne peuvent non plus voyager pendant ce temps, que par un vent contraire.
L'armée des Grecs, qui brûlait d'aller faire la guerre à Priam, roi des Troyens, fut obligée de rester six mois de suite au port avec toute la flotte, parce qu'ils avaient sans cesse les vents contraires.
À la vérité, je n'irai pas si vite par un vent contraire, mais encore j'irai beaucoup plus vite qu'un vaisseau qui a le bon vent. J'espère, messieurs, vous en donner la preuve physique dans peu[25].
J'ai l'honneur d'être, etc.
Blanchard.
Le 1er mai 1782, Blanchard annonça pour deux dimanches suivants l'expérience de son appareil ou vaisseau volant.
Au moyen de son système il s'était élevé déjà, mais à l'aide d'une corde maintenue par des contrepoids; l'expérience publique fut successivement ajournée.
Les journaux n'en continuaient pas moins à s'en entretenir, et tout le monde parlait du vaisseau volant de Blanchard. Les uns en espéraient des résultats merveilleux, les autres se montraient incrédules et parmi ceux-ci, le célèbre de Lalande de l'Académie des sciences; voici les principaux passages d'une lettre qu'il a publiée dans le Journal de Paris à la date du 23 mai 1782.
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Fig. 9.—La voiture volante de Blanchard (d'après une gravure publiée en juillet 1782).
Aux auteurs du journal.
Il y a si longtemps, Messieurs, que vous parlez de bateaux volans et de baguettes tournantes[26], qu'on pourrait penser à la fin que vous croyez à toutes ces folies ou que les savans qui coopèrent à votre journal, n'ont rien à dire pour écarter des prétentions aussi absurdes. Permettez donc, Messieurs, qu'à leur défaut, j'occupe quelques lignes dans votre journal pour assurer à vos lecteurs que si les savans se taisent, ce n'est que par mépris.
Il est démontré impossible dans tous les sens qu'un homme puisse s'élever ou même se soutenir en l'air: M. Coulomb, de l'Académie des sciences, a lu, il y a plus d'un an, dans une de nos séances, un mémoire où il fait voir par le calcul des forces de l'homme, fixées par l'expérience, qu'il faudrait des ailes de douze à quinze mille pieds, mues avec une vitesse de trois pieds par seconde; il n'y a donc qu'un ignorant qui puisse former des tentatives de cette espèce[27].
On voit que l'astronome était sévère.... mais juste, serons-nous tenté d'ajouter. Quoiqu'il exagérât singulièrement le diamètre des ailes artificielles qu'il faudrait pour enlever un homme (15 000 pieds!), il est certain que la voiture volante de Blanchard n'aurait jamais pu s'élever. J'en reproduis l'un des dessins (fig. 9) d'après des gravures fort rares que je possède. Ces gravures, peintes à la main, ont été publiées en juillet 1782 par Martinet, qui était au contraire un adepte convaincu de l'aviateur.
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Fig. 10.—Caricature sur la voiture aérienne ou vaisseau volant de Blanchard. (D'après une gravure du temps.)
L'examen que j'ai fait du vaisseau volant, dit Martinet dans le Journal de Paris du 8 juillet 1782, m'ont convaincu de sa possibilité et m'ont déterminé à en graver le tableau que je publie. La raison qui retarde l'expérience de ce vaisseau est la lenteur des ouvriers que l'auteur de cette ingénieuse mécanique a employés jusqu'à présent.... Qui souhaite plus de voler? Celui sans doute qui est sûr du succès de son invention par des principes fondés sur des tentatives multipliées qu'il a faites avec succès. Il s'élèvera, il volera et tout incrédule dira: je ne l'aurais pas cru.
Martinet,
Ingénieur et graveur du
Cabinet du Roi, rue St-Jacques,
près St-Benoît.Malgré les affirmations de l'éditeur Martinet, le public attendit en vain l'expérience publique tant de fois annoncée; on ne tarda pas à se moquer de l'aviateur, comme l'indique la curieuse gravure satirique ci-contre (fig. 10), où des ânes sont «en admirant le départ du vaisseau volant».
Blanchard ne s'éleva pas et ne vola pas, si ce n'est bientôt avec les ballons, dont la première expérience eut lieu à Annonay, le 5 juin 1783.
L'inventeur du vaisseau volant, s'inclina d'ailleurs de bonne grâce devant les merveilleux résultats obtenus par les Montgolfier, et il devint un de leurs plus fervents disciples.
V
L'HYDROGÈNE ET LA DÉCOUVERTE DES AÉROSTATSCavendish et la découverte du gaz hydrogène. — Le docteur Black et le principe des aérostats. — Les bulles de savon gonflées d'hydrogène de Tibère Cavallo. — Les frères Montgolfier et les ballons à air chaud. — Le physicien Charles et les ballons à gaz.
Pour terminer l'étude que nous avons entreprise, des antériorités à la découverte des ballons, nous citerons quelques faits curieux, relatifs à de véritables expériences aérostatiques faites en petit, avant la construction de la montgolfière d'Annonay. Ces expériences sont la conséquence de la découverte du gaz hydrogène et de ses propriétés.
Dès que Cavendish eut constaté que le gaz hydrogène est beaucoup plus léger que l'air, l'idée des ballons pouvait naître. Elle naquit, en effet, mais sans être mise immédiatement en exécution.
Il semble probable que le docteur J. Black, d'Édimbourg, eut la conception des aérostats, comme l'indiquent les passages de la lettre qu'il a écrite au docteur Lind, après la découverte des frères Montgolfier.
Il me parut, dit le docteur Black, en 1784, suivre des principes de M. Cavendish, que, si une vessie suffisamment mince et légère était remplie d'air inflammable, la vessie et l'air qui y serait contenu formeraient une masse moins pesante que le même volume d'air atmosphérique et qu'elle s'élèverait dans l'espace. J'en parlai à quelques-uns de mes amis et dans mes leçons, lorsque j'eus occasion de traiter de l'air inflammable, ce qui fut dans l'année 1767 ou 1768.
Le docteur Black ne fit pas l'expérience; mais elle fut tentée en 1782 par un Anglais, Tibère Cavallo, comme le prouve incontestablement une curieuse note présentée, le 20 juin 1782, à la Société royale de Londres, et de laquelle nous empruntons les passages suivants:
... Il s'agissait, dit Cavallo, après avoir exposé quelques notions sur le gaz inflammable, de construire un vaisseau ou une espèce d'enveloppe qui, remplie d'air inflammable, serait plus légère qu'un volume égal d'air commun, et qui conséquemment pourrait monter, de même que la fumée, dans l'atmosphère, car on savait bien que l'air inflammable est spécifiquement plus léger que l'air commun.... J'essayai les vessies les plus minces et les plus grandes que je pus me procurer. Quelques-unes furent nettoyées avec beaucoup de soin en ôtant toutes les membranes superflues, et les autres matières qu'il était possible d'enlever; mais, malgré toutes ces précautions, la plus légère et la plus grande des vessies préparées étant pesée, et le calcul nécessaire fait, il se trouva que lorsqu'elle serait remplie d'air inflammable, elle serait au moins de dix grains plus pesante qu'un égal volume d'air commun, et que conséquemment elle descendrait au lieu de monter. Nous trouvâmes aussi que quelques vessies qui servent aux poissons à nager étaient trop pesantes. Je ne pus jamais réussir à faire aucune bulle légère et durable, en soufflant de l'air inflammable dans une solution épaisse de gomme, les vernis épais ni les peintures à l'huile. Enfin les bouteilles (bulles) de savon remplies d'air inflammable furent la seule chose de cette sorte qui s'éleva dans l'atmosphère; mais comme elles se détruisent facilement et qu'on ne peut les manier, elles ne semblent applicables à aucune expérience de physique.
Tibère Cavallo dans son mémoire donne la description complète de l'appareil qu'il emploie pour gonfler d'hydrogène les bulles de savon[28]. Il prépare le gaz dans une petite fiole de verre, il en remplit une vessie munie d'un tube, qu'il plonge dans un bassin plein d'eau de savon; il la presse entre les mains; les bulles se dégagent, gonflées de l'air inflammable; elles s'élèvent dans l'atmosphère. Le physicien anglais continue en ces termes:
Dans les différentes tentatives que je fis pour la réussite de l'expérience dont j'ai déjà parlé, j'employai le papier, qui semblait propre pour la construction d'une enveloppe, qui, remplie d'air inflammable, serait plus légère que l'air commun; d'après cela, je me procurai de très beau papier de la Chine, je m'assurai de son poids; le calcul nécessaire étant fait, je donnai à cette enveloppe une forme cylindrique, terminée par deux cônes très courts, et la fis de telle dimension que, venant à être remplie d'air inflammable, elle fût plus légère qu'un pareil volume d'air commun, d'au moins vingt-cinq grains; en conséquence, elle devait s'élever comme la fumée dans l'atmosphère.
Après avoir essayé cette machine de papier en la remplissant d'air commun, je mis dans une grande bouteille de l'acide vitriolique affaibli, et de la limaille de fer pour retirer de l'air inflammable qui, à l'instant de son dégagement, devait remplir cette enveloppe, qui avait communication avec la bouteille par un tube de verre, et était suspendue au-dessus de cette bouteille. On avait fait sortir l'air commun de la machine de papier en la comprimant; mais je fus très étonné de voir que, malgré le dégagement rapide de l'air inflammable, elle ne se remplissait nullement, et que, d'un autre côté, l'air inflammable répandait une très forte odeur dans la chambre.... L'air inflammable passait à travers les pores du papier, comme l'eau au travers d'un crible.
On voit que jamais expérimentateur n'atteignit de plus près le grand but de l'aérostation. Tibère Cavallo est digne d'avoir son nom inscrit parmi les précurseurs des Montgolfier, mais il se borna à exécuter une simple expérience de laboratoire; il ne songea pas à rendre les tissus imperméables pour conserver l'hydrogène, il s'arrêta au moment même où il touchait du doigt la solution du problème.
Il allait appartenir aux frères Montgolfier de lancer pour la première fois, à l'air libre, la sphère aérostatique, dont ils sont incontestablement les inventeurs. Sans rien vouloir leur enlever de la gloire qui leur est due, nous espérons avoir montré qu'il est intéressant, au point de vue historique, d'étudier ce qu'ont pu entreprendre ou proposer leurs précurseurs.
On a souvent donné des récits différents sur l'origine de cette étonnante découverte. Voici comment M. de Gérando en a fait connaître le premier motif dans sa notice biographique sur Joseph de Montgolfier, et d'après ce que lui avait dit l'inventeur lui-même.
Joseph Montgolfier se trouvait à Avignon et c'était à l'époque où les armées combinées tentaient le siège de Gibraltar. Seul, au coin de sa cheminée, rêvant selon sa coutume, il considérait une sorte d'estampe qui représentait les travaux du siège; il s'impatientait de voir qu'on ne pût atteindre au corps de la place, ni par terre, ni par eau. «Mais ne pourrait-on point y arriver au travers des airs? la fumée s'élève dans la cheminée; pourquoi n'emmagasinerait-on pas cette fumée de manière à en composer une force disponible?» Son esprit calcule à l'instant le poids d'une surface donnée de papier ou de taffetas; construit sans désemparer son petit ballon, et le voit s'élever du plancher, à la grande surprise de son hôtesse et avec une joie singulière. Il écrit sur-le-champ à son frère Étienne, qui était pour lors à Annonay[29]: «Prépare promptement des provisions de taffetas, de cordages, et tu verras une des choses les plus étonnantes du monde.»
C'est le 5 juin 1783 que Joseph et Étienne Montgolfier lancèrent pour la première fois à l'air libre la sphère aérostatique. C'était un ballon de papier gonflé d'air chaud. Il monta dans l'espace, en présence des membres des États du Vivarais et de nombreux habitants du pays.—Cette expérience eut un retentissement considérable; on comprenait alors que la première étape était faite dans le chemin de la conquête de l'atmosphère.
Le physicien Charles, et Robert construisirent à Paris le premier ballon à gaz hydrogène; Pilâtre de Rozier et le marquis d'Arlandes exécutèrent la première ascension que les hommes aient jamais faite, en quittant le sol.
Une nouvelle et immense découverte venait d'accroître la liste des victoires que le génie de l'homme remporte parfois sur la matière inerte.
La découverte des ballons est une des plus grandes conquêtes que l'on doive aux inventeurs. Elle a permis à l'homme de vaincre les lois de la pesanteur qui semblaient l'attacher à jamais à la surface de la terre qu'il habite: un jour viendra où elle apportera à l'humanité des ressources immenses que nous pouvons à peine soupçonner aujourd'hui.
DEUXIÈME PARTIE
L'AVIATION
OU LA LOCOMOTION ATMOSPHÉRIQUE
PAR LE PLUS LOURD QUE L'AIRPour les ballons, le volume c'est la puissance, la surface c'est l'obstacle. C'est le contraire pour l'appareil d'aviation: pour lui, la surface c'est le point d'appui, le volume c'est la force qui l'attire vers le sol. Aussi il est à craindre, à mon sens, que les appareils d'aviation, autrement dit de vol mécanique, ne puissent atteindre d'ici longtemps à des dimensions suffisantes pour être utiles.
Alphonse Pénaud.
I
LE VOL DES INSECTES ET DES OISEAUXL'oiseau artificiel de Borelli au dix-septième siècle. — Les études de Navier. — Les idées de M. Bell Pettigrew sur l'action de l'aile des êtres volants. — Les travaux de M. Marey. — M. Mouillard et M. Goupil.
La vue des insectes et des oiseaux qui volent dans l'air a souvent donné aux mécaniciens l'idée d'imiter la nature et de construire des appareils volants artificiels, soit en petit, à titre expérimental, soit en grand, pour élever un homme et lui donner les facultés de se mouvoir au sein de l'atmosphère.
Nous avons déjà étudié une partie des études ou des expériences qui ont pu être faites à ce sujet dans les siècles passés; nous examinerons ici le problème à un point de vue plus spécialement scientifique, en passant d'abord en revue les travaux méthodiques que l'on doit aux aviateurs et aux physiologistes.
L'étude du vol est déjà ancienne; on trouve une description très bien faite d'ailes artificielles dans le Motu animalium de Borelli, datant de 1680, c'est-à-dire de plus de deux siècles. Dans ses mémoires sur le vol considéré au point de vue de l'aéronautique, un savant anglais, M. Bell Pettigrew, a fort bien résumé les idées de l'ancien physiologiste et mathématicien italien[30].
Il était familiarisé, dit M. Pettigrew, avec les propriétés du coin appliqué au vol, et connaissait également la flexibilité et l'élasticité des ailes. C'est à lui qu'on doit faire remonter la théorie purement mécanique de l'action des ailes. Il a figuré un oiseau avec des ailes artificielles dont chacune consiste en une baguette rigide en avant, et des plumes flexibles derrière. J'ai cru bon de reproduire la figure de Borelli à la fois à cause de sa grande antiquité et parce qu'elle éclaircit admirablement son texte[31]. Les ailes b c f, et a (fig. 11) sont représentées comme frappant verticalement en bas g h. Elles s'accordent remarquablement avec celles décrites par Strauss-Durckheim, Girard, et tout récemment par le professeur Marey. Borelli pense que le vol résulte de l'application d'un plan incliné qui bat l'air, et qui fait l'office du coin. En effet, il s'efforce de prouver qu'un oiseau s'insinue dans l'air par la vibration perpendiculaire de ses ailes, les ailes pendant leur action formant un angle dont la base est dirigé vers la tête de l'oiseau, le sommet a f étant dirigé vers la queue.
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Fig. 11.—Oiseau figuré par Borelli (1680).
Borelli explique plus loin comment un coin étant poussé dans un corps, il tend à le séparer en deux portions; mais si l'on permet aux parties du corps de réagir sur le coin, elles communiqueront des impulsions obliques aux faces du coin, et le feront sortir la base la première, en ligne droite.
Poursuivant cette analogie, Borelli s'efforce de faire voir que si l'air agit obliquement sur les ailes, le résultat sera un transport horizontal du corps de l'oiseau. Si l'aile frappe verticalement vers le bas, l'oiseau volera horizontalement en avant.
Je ne saurais mieux faire d'ailleurs que de citer textuellement les passages les plus saillants de l'ouvrage de Borelli.
Si l'air placé sous les ailes est frappé par les parties flexibles des ailes, avec un mouvement vertical, les voiles et les parties flexibles de l'aile céderont dans une direction ascendante et formeront un coin, ayant la pointe dirigée vers la queue. Que l'air, donc, frappe les ailes par dessous, ou que les ailes frappent l'air par dessous, le résultat est le même, les bords postérieurs ou flexibles des ailes cèdent dans une direction ascendante, et en agissant ainsi, poussent l'oiseau dans une direction horizontale.
Quant au second point ou au mouvement transversal des oiseaux (c'est-à-dire au vol horizontal), quelques auteurs se sont étrangements mépris; ils pensent qu'il est semblable à celui des bateaux qui, poussés à l'aide de rames, se meuvent horizontalement dans la direction de la proue, et en pressant sur l'eau résistant en arrière, s'élancent avec un mouvement contraire et sont ainsi portés en avant. De la même manière, disent-ils, les ailes vibrent vers la queue, avec un mouvement horizontal et frappent également contre l'air non troublé, grâce à la résistance duquel elles se meuvent par une réflexion de mouvement. Mais c'est contraire au témoignage de nos yeux aussi bien qu'à la raison; car nous voyons que les plus grandes espèces d'oiseaux, tels que cygnes, oies, etc., ne font jamais en volant vibrer leurs ailes vers la queue avec un mouvement horizontal comme celui des rames, mais les courbent toujours vers le bas, et décrivent ainsi des cercles élevés perpendiculairement à l'horizon.
Plus d'un siècle s'écoula après Borelli, sans que l'étude du vol ait été soumise à des observations précises.
En 1830, Navier a présenté à l'Académie des sciences des considérations sur le mécanisme du vol chez les oiseaux, et la possibilité d'approprier cette faculté à l'homme. Je vais m'efforcer de reproduire succinctement les principaux arguments de l'auteur.
La première chose à déterminer, quand on examine la manière dont s'opère le vol des oiseaux, est la force qu'ils emploient pour faire mouvoir leurs ailes. Pour cela, il convient de les considérer, 1o lorsqu'ils veulent s'élever verticalement ou planer dans l'air, sans avancer ni reculer, en résistant seulement à l'action de la pesanteur; 2o lorsqu'ils veulent se mouvoir horizontalement avec une grande vitesse, dans un air calme, ou lutter contre un vent violent.
Lorsque l'oiseau plane simplement dans l'air, la vitesse d'abaissement du centre de l'aile peut être estimée, d'après Navier, à environ 7 mètres par seconde. Le temps de l'élévation de l'aile est à peu près double de celui de l'abaissement, et le nombre de vibrations ou battements des ailes dans une seconde est d'environ 23. La quantité de travail que dépense l'oiseau en une seconde est égale à celle qui serait nécessaire pour élever son propre poids à 8 mètres de hauteur.
Lorsque l'oiseau peut se mouvoir horizontalement avec une grande vitesse, comme 15 mètres par seconde, l'action de la pesanteur devient alors très petite par rapport à la résistance que l'air oppose au mouvement du corps, et cette action peut être négligée. Par conséquent, le mouvement horizontal de l'oiseau exige que la direction du battement des ailes soit aussi sensiblement horizontale. La vitesse d'abaissement de l'aile doit être alors trois fois et demie plus grande que la vitesse du déplacement de l'oiseau dans cet air tranquille.
D'après ce qui précède, il est aisé de comparer, d'après Navier, la quantité de travail que l'homme est capable de produire, avec celle qu'exige le vol. L'oiseau qui plane dans l'air dépense dans chaque seconde la quantité d'action nécessaire pour élever son poids à 8 mètres de hauteur. Un homme, employé, dans les travaux des arts, à tourner une manivelle pendant huit heures par jour, est regardé comme élevant moyennement, dans une seconde, un poids de 6 kilogrammes à 1 mètre de hauteur. En supposant que cet homme pèse 70 kilogrammes, cette quantité de travail est capable d'élever son propre poids à 86 millimètres de hauteur. Ainsi, toutes proportions gardées, elle n'est pas la 1/92e partie de celle que l'oiseau dépense pour se soutenir dans l'air. Si l'homme était le maître de dépenser, dans un temps aussi court qu'il le voudrait, la quantité de travail qu'il dépense ordinairement en huit heures, on trouve qu'il pourrait chaque jour se soutenir dans l'air pendant cinq minutes; mais, comme il est fort éloigné d'avoir cette faculté, il est évident qu'il ne pourrait se soutenir que pendant un temps beaucoup moindre, ce qui ne serait sans doute qu'une portion très petite d'une minute. Ces rapprochements montrent à quel point les tentatives faites dans la vue de rendre l'homme capable de voler étaient chimériques. «L'idée du vol ne pouvait être réalisée, dit Navier, que dans des êtres poétiques, auxquels on attribuait, un caractère divin, et par conséquent des forces sans limites et une vigueur inépuisable.»
Nous ajouterons ici que les calculs de Navier n'avaient pour point de départ aucune expérience, et qu'il est souvent facile de les réfuter. Navier, par exemple, s'est cru autorisé à admettre que dix-sept hirondelles dépenseraient le travail d'un cheval-vapeur!... «Autant vaudrait, dit spirituellement M. Bertrand, prouver par le calcul que les oiseaux ne peuvent pas voler, ce qui ne laisserait pas d'être compromettant pour les mathématiques.»
En terminant son rapport, Navier dit cependant que la création d'un art de la navigation aérienne est subordonnée à la découverte d'un nouveau moteur dont l'action comporterait un appareil beaucoup moins pesant que ceux qu'on connaît aujourd'hui[32].
Les travaux les plus importants qui ont été publiés dans les temps modernes sur l'étude du vol aérien, sont dus à M. Pettigrew en Angleterre, et surtout à M. le professeur Marey, qui, avec la rigoureuse précision de la méthode expérimentale, a déterminé les vrais mouvements des ailes des insectes et des oiseaux. M. Pettigrew a cru voir dans la courbure de l'aile une surface gauche hélicoïdale; frappé de cette coïncidence entre la forme de l'aile et celle de l'hélice propulsive des navires, il en est arrivé à considérer l'aile de l'oiseau comme une vis dont l'air serait l'écrou.
Nous ne croyons pas, a dit avec raison M. Marey, devoir réfuter une pareille théorie. Il est trop évident que le type alternatif qui appartient à tout mouvement musculaire ne saurait se prêter à produire l'action propulsive d'une hélice; car en admettant que l'aile pivote sur son axe, cette rotation se borne à une fraction de tour, puis est suivie d'une rotation de sens inverse, qui dans une hélice, détruirait complètement l'effet produit par le mouvement précédent.
M. Marey a étudié successivement le mécanisme du vol des insectes et des oiseaux. Après avoir employé la méthode graphique à déterminer le mouvement des ailes, le savant professeur est arrivé à reproduire ce mouvement et à construire un insecte artificiel. Voici comment l'auteur décrit lui-même ce remarquable appareil, que j'ai vu fonctionner jadis au laboratoire du Collège de France.
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Fig. 12.—Insecte mécanique de M. Marey.
Pour rendre plus saisissable l'action de l'aile de l'insecte et les effets de la résistance de l'air, voici l'appareil que nous avons construit. Soit (fig. 12) deux ailes artificielles composées d'une nervure rigide prolongée en arrière par un voile flexible fait de baudruche soutenue par de fines nervures d'acier; le plan de ces ailes est horizontal. Un mécanisme de leviers coudés les élève ou les abaisse sans leur imprimer aucun mouvement de latéralité. Le mouvement des ailes est commandé par un petit tambour de cuivre T dans lequel de l'air est foulé ou raréfié alternativement par l'action d'une pompe. Les faces circulaires de ce tambour sont formées de membranes de caoutchouc articulées aux deux ailes par des leviers coudés; l'air comprimé ou raréfié dans le tambour, imprime à ces membranes flexibles des mouvements puissants et rapides qui se transmettent aux deux ailes en même temps.
Un tube horizontal équilibré par un contrepoids, permet à l'appareil de pivoter autour d'un axe central, et sert en même temps à conduire l'air de la pompe dans le tambour moteur. L'axe est formé d'une sorte de gazomètre à mercure qui produit une clôture hermétique des conduits de l'air, tout en permettant à l'instrument de tourner librement dans un plan horizontal. Ainsi disposé, l'appareil montre le mécanisme par lequel la résistance de l'air combinée avec les mouvements de l'aile produit la propulsion de l'insecte.
En effet, si au moyen de la pompe à air on met en mouvement les ailes de l'insecte artificiel, on voit que l'appareil prend bientôt une rotation rapide, autour de son axe. Le mécanisme de la translation de l'insecte est donc éclairé par cette expérience, qui confirme pleinement les théories que nous avons déduites de l'analyse optique et graphique des mouvements de l'aile pendant le vol.
Pour que l'appareil qui vient d'être décrit, donne une idée complète du vol de l'insecte, en changeant l'inclinaison du plan d'oscillation de ses ailes, ce qui peut se faire par des mouvements de l'abdomen qui déplacent le centre de gravité, l'insecte peut, suivant les nécessités, augmenter sa tendance à voler en avant, perdre sa vitesse acquise, ou enfin se jeter de côté. Grâce à des modifications accessoires de son appareil, M. Marey a pu reproduire artificiellement le planement ou vol ascendant.
Les études du savant professeur sur le vol des oiseaux ont été conduites avec la même méthode. Par une analyse délicate, M. Marey a déterminé les mouvements de l'aile pendant le vol; après avoir déduit de ces observations les principes du mécanisme du vol, il a su réaliser comme pour l'insecte la reproduction de quelques-uns de ces phénomènes au moyen d'appareils artificiels.
M. Marey a donné sur la théorie du vol des idées qui se rapprochent beaucoup de celles de Borelli.
Sur ce sujet comme sur tous ceux qui ont beaucoup prêté à la discussion, presque tout a été dit, de sorte qu'il ne faut pas s'attendre à voir sortir de mes expériences une théorie entièrement neuve. C'est dans Borelli qu'on trouve la première idée juste sur le mécanisme du vol de l'oiseau. L'aile, dit cet auteur, agit sur l'air comme un coin. En développant la pensée du savant physiologiste de Naples, on dirait aujourd'hui que l'aile de l'oiseau agit sur l'air à la façon d'un plan incliné, pour produire contre cette résistance une réaction qui pousse le corps de l'animal en haut et en avant. Confirmée par Strauss-Durckheim, cette théorie a été complétée par Liais, qui signale une double action de l'aile: d'abord celle qui, dans la phase d'abaissement de cet organe, soulève l'oiseau en lui imprimant une impulsion eu avant; ensuite l'action de l'aile remontante qui s'oriente à la façon d'un cerf-volant et soutient le corps de l'oiseau en attendant le coup d'aile qui va suivre.
On nous a reproché d'aboutir à une théorie dont l'origine remonte à plus de deux siècles; nous préférons de beaucoup une ancienne vérité à la plus neuve des erreurs, aussi nous permettra-t-on de rendre au génie de Borelli la justice qui lui est due, en ne réclamant pour nous que le mérite d'avoir fourni la démonstration expérimentale d'une vérité déjà soupçonnée.
M. Marey, considérant, au point de vue de l'aéronautique, le problème qu'il a si bien étudié en physiologiste, croit qu'il est possible d'imiter le mécanisme du vol. Après les appareils d'étude expérimentale que le savant professeur a réalisés, nous allons voir, dans le chapitre suivant, que MM. Alphonse Pénaud, Tatin et d'autres expérimentateurs ont, en effet, été plus loin en construisant des petits oiseaux mécaniques qui volent d'eux-mêmes à l'air libre. M. Marey ne doute pas que l'on puisse dépasser encore ces résultats. «Nous avons prouvé, dit-il, que rien n'est impossible dans l'analyse des mouvements du vol de l'oiseau; on nous accordera sans doute que la mécanique peut toujours reproduire un mouvement dont la nature est bien définie.»
Dans ces derniers temps, deux aviateurs, M. Mouillard et M. Goupil, ne se sont pas montrés moins affirmatifs, mais sans avoir pu cependant donner aucune preuve de démonstration expérimentale, M. Mouillard a exécuté plusieurs essais à l'aide d'un appareil de vol qu'il avait construit, mais sans réussir à se soulever du sol[33].
M. Goupil a étudié les conditions mécaniques du vol et il a donné notamment quelques chiffres intéressants à reproduire.
Un pigeon de 420 grammes dépense 2 kilogrammètres et demi, pour se soutenir immobile dans l'espace en air calme; j'ai déterminé ce chiffre de deux façons différentes, en voici une troisième.
Un pigeon de ce poids que j'ai eu occasion d'examiner fréquemment à mes pieds, que j'ai pesé et mesuré, avait l'habitude de voleter à 0m,70 environ au-dessus du sol, je ne sais pourquoi; ce travail pénible lui demandait six coups d'ailes par seconde à l'amplitude de 170 degrés, ce qui, au centre de l'aile, équivalait à 0m,50 d'arc décrit; dans ce cas, la violence du battement est à peu près telle en relevant l'aile qu'en l'abaissant, car la position du corps est à 45°, et l'arc décrit par les ailes est dans un plan presque horizontal; l'effort moyen était nécessairement égal au poids de l'animal et le chemin parcouru de 12 fois 0m, 50, soit: 6m x 0k,420 = 2kgm, 50. On peut évaluer à 8 chevaux par 100 kilog. le travail développé dans ce cas pour produire la sustentation totale. La surface mesurant 0m,09, cette espèce dispose donc de 27kgm par mètre carré, et sa surface d'aile mesurant 0m,06, il dispose de 40 kilogrammètres par mètre carré d'aile. Avec cela il est maître de sa voilure et ne redoute ni les coups de vent, ni la tempête[34].
M. Goupil tire de ses calculs la conclusion suivante: L'homme par sa seule puissance ne peut produire le vol ramé, ni l'ascension directe. Mais il peut, avec un appareil bien conditionné, produire un planement horizontal à la condition de pouvoir se mettre en vitesse.
II
LES MACHINES VOLANTES ARTIFICIELLES OU ORTHOPTÈRESMachine volante de Gérard en 1784. — Projet d'homme volant de C. F. Meerwein. — Vol artificiel à tire-d'ailes. — L'horloger Degen. — Les expériences de 1812. — Machine volante de Kaufmann en 1860. — Un projet d'Edison. — Oiseaux mécaniques de Le Bris, d'Alphonse Penaud, du Dr Hureau de Villeneuve, de Victor Tatin, etc.
Les aviateurs désignent sous le nom d'orthoptères des appareils de vol mécanique qui ont pour organes principaux des surfaces animées de mouvements à peu près verticaux; ce sont en un mot des systèmes à ailes battantes artificielles. On les distingue des hélicoptères, qui se soutiennent à l'aide d'hélices en rotation autour d'un axe, et des aéroplanes formées de surfaces plates inclinées d'un petit angle sur l'horizon et poussées à l'aide de propulseurs.
En 1783 et en 1784, quand les premières ascensions aérostatiques surexcitèrent l'esprit public, il ne manqua pas d'aviateurs pour proposer différents systèmes de machines volantes.—Gérard dès 1784, publia son Essai sur l'art du vol aérien[35], où il donne le naïf dessin que nous reproduisons d'une machine volante (fig. 13), oubliant de parler des organes essentiels de l'appareil: le mécanisme proprement dit et le moteur.
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Fig 13.—Machine volante de Gérard (1784).
La même année, C. F. Meerwein, architecte du prince de Galles, proposa de construire un grand appareil destiné à un homme volant[36]. Cet appareil devait être formé de deux grandes ailes qu'un homme fixé au milieu, à l'aide de courroies, aurait fait fonctionner lui-même. Nous donnons l'aspect de l'appareil, vu en dessous et de côté par l'avant (fig. 14), d'après la figure même qu'en a publiée l'auteur en 1784.
Ce que des écrivains plus ou moins compétents, s'étaient bornés à proposer à la fin du siècle dernier, après la découverte des aérostats, des hommes de hardiesse ont voulu parfois le réaliser à une époque plus récente.
Au commencement de ce siècle, le public se préoccupa très vivement de l'aviation par le vol artificiel à tire-d'ailes, à la suite de deux entreprises qui eurent un très grand retentissement. La première est celle d'un nommé Calais qui, en 1801, annonça qu'il s'élèverait dans les airs au moyen d'un appareil volant de son invention; l'expérience se fit au jardin Marbœuf, à Paris: elle fut malheureuse et ridicule et nous n'avons rien à en dire.
La seconde tentative attira l'attention de l'Europe entière et produisit une grande émotion. Elle eut pour acteur un horloger de Vienne nommé Degen, qui commença à faire parler de lui en 1809. À cette époque tous les journaux annoncèrent que Degen s'était élevé dans les airs, à Vienne, au moyen d'une machine de son invention.
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Fig. 14.—Projet d'homme volant de C. F. Meerwein (1784).
On comprend combien la curiosité publique dut être tenue en éveil par cette nouvelle, et on ne tarda pas à publier à Paris quelques détails sur le système du mécanicien viennois.
Il était difficile de bien juger l'invention de Degen, parce que les détails qu'on en donnait, étaient très incomplets. Voici ce qu'on avait lu dans une feuille allemande:
M. Jacques Degen[37], habile horloger de Vienne, vient de s'élever dans l'air comme un oiseau, par un procédé de son invention. Il s'applique deux ailes artificielles faites de petits morceaux de papier, joints ensemble avec de la soie la plus fine. En battant de ces ailes, il s'élève avec beaucoup de rapidité, et dans une direction soit perpendiculaire, soit oblique, jusqu'à la hauteur de cinquante-quatre pieds. Son expérience, qui eut lieu devant une société nombreuse, lui valut les plus vifs applaudissements.
Un savant de Leipsick, M. Zacharie, avait publié les gravures que nous reproduisons ci-contre, en les réduisant (fig. 15 et 16), et qui ne tardèrent pas à être exposées chez tous les marchands d'estampes de Paris. Il avait ajouté quelques pages de texte où il faisait des restrictions prudentes. M. Degen s'est élevé. Pourquoi oublie-t-on de dire quel jour et à quelle heure? La société était nombreuse: pourquoi ne nomme-t-on personne? Quoi qu'il en soit de ces réserves, le savant Allemand donne la description du mécanisme. Nous allons en reproduire les passages les plus saillants.
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Fig. 15.—Appareil volant de Degen (1812).
Les deux ailes présentent une carcasse probablement de jonc ou de baleine, à peu près comme celle d'un parasol, et dont les parties, pour réunir à la plus grande ténuité la plus grande raideur, sont combinées par en haut, ainsi que par en bas, par de petites cordes, attachées au-dessus et au-dessous de l'aile, à une forte baguette qui passe comme un axe par le milieu. On voit à chaque aile plusieurs systèmes de cordes dont l'effet devait être de donner à chaque parasol beaucoup de solidité.
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Fig. 16.—Appareil de Degen, figuré en plan.
Un point important se trouvait caché dans ces descriptions, Degen n'en parlait pas: c'est que le système, avec l'aviateur, devait être attaché à un petit ballon gonflé de gaz hydrogène. L'inventeur avait la prétention, à l'aide de ses ailes, d'entraîner l'aérostat qui le soulevait, et de le diriger dans l'atmosphère. Le projet n'était pas réalisable, l'aérostat sphérique destiné à enlever le poids d'un homme offrant déjà un volume et une surface considérables.
Nous résumerons d'une façon complète l'histoire malheureuse des expériences exécutées par Degen à Paris en 1812, en reproduisant les articles qui ont successivement été publiés à ce sujet dans le Journal de Paris.
Le premier article que l'on va lire est d'autant plus intéressant, qu'il a été écrit par Garnerin, le célèbre expérimentateur du parachute.
Extrait du Journal de Paris du 9 juin 1812.
M. DEGEN
Volera-t-il? Ne volera-t-il pas?
Voila ce qu'on se dit depuis quelques jours, dans les places publiques, dans les promenades, dans les salons dorés, dans les boutiques des marchands: volera-t-il, ne volera-t-il pas? à quoi servent les journalistes s'ils ne parlent jamais qu'après l'événement? à quoi servent-ils surtout, si, imitant certain critique de théâtre, ils ne nous disent pas même la vérité après l'événement, et s'ils prennent, suivant leur intérêt personnel, les applaudissemens pour des sifflets, et les sifflets pour des applaudissemens?
Moi, j'oserai prendre franchement l'initiative, au risque de faire rire de pitié ces ignorans orgueilleux qui se disent sceptiques par principe et qui ne le sont que par sottise.
Avant que les hommes aient trouvé une substance spécifiquement plus légère que l'air atmosphérique prête à les soutenir dans l'espace, on a pu douter du succès de semblables tentatives; mais aujourd'hui que le gaz inflammable est employé avec tant de facilité pour élever les corps, on conçoit qu'une semblable expérience offre beaucoup de chances de succès.
Il est certain que plusieurs animaux, sans avoir rien de commun avec les oiseaux, du moins quant à l'organisation, peuvent s'élever dans les airs et même voler: c'est ce que font les chauves-souris, et quelques espèces d'écureuils qui sont des animaux à poils et à mamelles. Certains lézards volent d'un arbre à l'autre, des poissons même s'élèvent pendant quelques instans dans les airs en se servant de leurs nageoires comme les volatiles se servent de leurs ailes; nul doute que la mécanique seule ne pût parvenir à faire des espèces d'ailes avec lesquelles on pourrait quelque tems se soutenir dans les airs et même aller d'un lieu à un autre.
Il ne faut donc pas être surpris que quelques têtes ardentes aient tenté l'entreprise. Dans le siècle dernier, Bacqueville et Blanchard eurent l'intention de voler; l'un vola aussi bien et presque aussi longtemps que l'espèce de lézard connu sous le nom de dragon; l'autre s'occupait depuis longtemps de la construction d'un bateau à ailes, que j'ai vu, il y a environ 25 ans, chez l'abbé Viennai, au faubourg Saint-Germain. La découverte des aérostats par Montgolfier, l'application du gaz inflammable à la formation des ballons, le détourna de son projet, et Blanchard trouva plus commode et plus sûr de suspendre sa nacelle à un ballon aérostatique.
Il y a quelques années qu'un M. Pauly construisit ce qu'il appelait un poisson volant, avec lequel on m'a dit qu'il obtint des résultats assez heureux et qui faisaient du moins prévoir la possibilité de louvoyer dans les airs: je ne parle pas de ce prétendu mécanicien qui se fit hisser au haut d'un mât pour retomber de tout son poids; les tentatives d'un tel homme n'offrent rien de décourageant pour ceux qui ont quelques connaissances réelles.
Au surplus, de ce que des mécaniciens n'ont pas encore réussi complettement dans la construction d'ailes propres à les soutenir dans les airs, on ne doit pas conclure que cela est physiquement impossible; lorsqu'un projet ne répugne pas absolument à la raison et aux lois bien connues de la physique, il faut se rappeler ces beaux vers:
«Croire tout découvert est une erreur profonde;
C'est prendre l'horizon pour les bornes du monde.»La belle et audacieuse expérience des parachutes prouverait seule qu'on peut se soutenir dans les airs par des moyens à peu près semblables à ceux des écureuils volants, des dragons, etc.; mais j'avoue que ces moyens, qui doivent consister dans une ingénieuse combinaison de leviers, me paraissent offrir les plus grandes difficultés, et qu'un homme de génie pourra seul les trouver. Cependant, aujourd'hui qu'on peut s'aider du gaz hydrogène, comme le fait M. Degen, la possibilité de se diriger m'est démontrée.
M. Degen a-t-il trouvé les moyens mécaniques dont la combinaison peut faire mouvoir des ailes propres à le diriger dans l'espace? c'est ce que nous saurons bientôt, car je déclare qu'au moment où j'écris cette note, je n'ai encore vu ni M. Degen, ni son appareil mécanique; mais je déclare aussi que quand son expérience n'aurait pas tout le succès que sa réputation semble promettre, cela ne devrait point ralentir le zèle de ceux qui voudraient tenter une semblable entreprise.
J'ajouterai que d'après ce qu'on m'a dit des moyens ingénieux employés par M. Degen, je crois qu'il est possible de perfectionner ce qu'il a fait, et je suis persuadé que tous les physiciens seront de mon avis.
Mais, volera-t-il, ne volera-t-il pas? diront encore les incrédules. Je pourrais répondre comme ces bonnes gens: je vous dirai cela ce soir; mais je réponds franchement: je crois qu'il volera; mais, je le répète, s'il ne vole pas il ne m'en sera pas moins démontré qu'il est possible de se diriger dans les airs.
Après ce premier article, le public eut quelques renseignements plus précis dans une notice spécialement consacrée au mécanisme de l'inventeur.
Extrait du Journal de Paris du mercredi 10 juin 1812.
À côté de la grande affiche de Tivoli, on en avait placé hier une seconde que les curieux lisaient avec beaucoup d'attention, et qui contient quelques renseignemens sur les moyens employés par M. Degen, et sur le degré de gloire auquel il aspire comme mécanicien. Nous allons transcrire textuellement cette affiche:
«C'est après avoir fait une étude profonde et réfléchie du mécanisme naturel du vol des oiseaux, que M. Degen a imaginé ce qu'il appelle sa machine à voler.
«Son travail est absolument calqué sur celui de la nature, et ses ailes ont la même forme et la même légèreté, proportion gardée, que celles des oiseaux. Il leur imprime le même mouvement et en obtient le même résultat, enfin il se dirige dans tous les sens, monte et descend à volonté et plane dans les airs avec une facilité et une vitesse telles qu'il peut faire 14 lieues en une heure, lorsqu'il n'est pas trop contrarié par le vent; car alors son travail devient plus pénible et il est obligé de louvoyer. Tous ces mouvemens s'exécutent sans aucune espèce de danger pour lui ni pour son appareil. Il arrive à terre aussi lentement qu'il le désire et repart de nouveau pour reprendre une nouvelle direction; il vole ou s'arrête à volonté.
«Ses ailes, car on peut leur donner ce nom, ont 22 pieds d'envergure et 8 pieds et demi dans leur plus grande largeur. Chaque mouvement qu'il leur imprime déplace 130 pieds carrés d'air atmosphérique, et à chacun des battemens il pourrait enlever un poids de 160 livres, tandis que la force ascensionnelle du ballon dont il se sert n'est que de 90 livres environ: ce qui donne en faveur de ses ailes quand elles sont en mouvement une différence de 70 livres. Ce mécanicien observe que ce ballon ne lui est d'aucune utilité pour sa direction, mais il est obligé de l'employer comme contrepoids, pour le maintenir en équilibre et le soulager en même tems dans sa manœuvre; du reste, il en est parfaitement le maître, et le force à suivre tous ses mouvemens.
«M. Degen, laisse aux Français l'honneur de la découverte sublime des ballons; mais il réclame pour lui celle de la direction à volonté, que personne n'a encore pu trouver jusqu'à présent.
«En conséquence, il prie le public qui voudra bien l'honorer de sa présence, de ne considérer son expérience que sous le seul rapport de la direction, le ballon n'étant qu'un faible accessoire qui n'entre pour rien dans la composition ni dans le mécanisme de la machine dont il est l'inventeur.»
À ces détails, nous ajouterons que chacune de ses ailes déployée, et vue en dessus ou en dessous, a la forme de certaines feuilles d'arbres très connus, tels que le peuplier et le tremble.
Ces ailes sont formées de parties séparées destinées à imiter les plumes des oiseaux; ce sont des bandes de taffetas montées sur des baguettes de rotang ou jonc, une foule de cordages bien déliés les font mouvoir au moyen de pièces principales.
Ces ailes sont fixées à une espèce de collier qui fait partie de l'ensemble de la machine; ainsi, elles sont situées un peu au-dessus de ses épaules. Les traverses auxquelles aboutissent tous les cordages sont placées en avant et en arrière du mécanicien, à la hauteur des hanches ou environ: c'est sur ces traverses qu'il pose de chaque côté une de ses mains pour imprimer le mouvement aux ailes. Les pieds du mécanicien sont posés sur une traverse inférieure; et comme tout cet appareil est suspendu au ballon, M. Degen est dans une situation verticale; situation que la nature semble prescrire à l'homme, tandis que les animaux qui ont des ailes, des membranes, ou des peaux pour s'élever dans les airs, se tiennent dans une situation horizontale. On dit que tout cet appareil mécanique, en apparence compliqué mais en effet fort simple, ne pèse pas vingt livres.
Le ballon qui sert à favoriser l'ascension a un diamètre à peu près égal à l'envergure des ailes.
Nous rendrons compte demain du résultat de cette expérience.
On va voir que la première expérience de Degen n'eut qu'un bien piètre succès.
Extrait du Journal de Paris du vendredy 12 juin 1812.