La Navigation Aérienne L'aviation Et La Direction Des Aérostats Dans Les Temps Anciens Et Modernes
Nos lecteurs auront facilement corrigé deux mots dans l'article inséré hier dans le feuilleton sur M. Degen, eu substituant avant-hier à hier dans le second et le troisième paragraphe et commençant le quatrième par le mot hier; en effet, tout le monde sait que c'est mardi qu'on a affiché, ainsi que nous l'avons dit, la remise de l'expérience au lendemain.
C'est à huit heures un quart, mercredi, que M. Degen est parti de Tivoli. Hier, à quatre heures de l'après-midi, nous avons appris qu'il était arrivé sans accident après s'être accroché, en rasant la terre, au mur du parc de Sceaux, côté du sud, près la route de Versailles à Choisy, et était descendu à Chatenay, où il a été accueilli par Mme Pinon et M. Grivois, propriétaires.
On dit que pendant l'expérience de M. Degen, deux auteurs du Théâtre des Variétés faisaient le plan d'une pièce intitulée Vol-au-vent, destinée à ce théâtre. On ajoute que le Vaudeville compte aussi célébrer le départ de M. Degen.
L'inventeur ne perdit pas confiance, et la presse continua à lui prêter son concours, pour lui permettre de reprendre sa revanche.
Extrait du Journal de Paris du mardi 16 juin 1812.
VARIÉTÉS
Donnons-lui sa revanche
Nos pères ont bien mal fait de mourir si vite. Pourquoi se sont-ils tant pressés? que de belles choses ils auraient vues, s'ils avaient voulu se donner la peine d'attendre un instant! Pauvres gens! je les plains, ils marchaient: nous volons aujourd'hui. Cette découverte aurait dû être faite par un Français; nous sommes si légers! mais la gloire en était réservée aux Allemands. C'est grâce à M. Degen qu'il est reconnu que l'homme est un volatile. L'illustre inventeur, fort de sa conscience et de ses ailes de 22 pieds d'envergure, s'est élevé majestueusement dans les airs, où je crois qu'il serait encore, s'il ne s'était souvenu qu'il avait un petit compte à régler avec le caissier de Tivoli. Cependant, il faut bien en convenir, M. Degen n'a pas tenu ce qu'il nous avait promis; il devait, si j'ai bien lu son affiche, se diriger contre le vent; et de fort honnêtes gens prétendent que c'est le vent qui a dirigé M. Degen; en vérité, ce vent du nord est trop honnête; il a cru, sans doute, rendre un service au mécanicien de Vienne en le secondant de son mieux: ce n'était point là ce qu'on lui demandait. De son côté, M. Degen, en homme qui sait vivre, n'a point voulu contrarier un hôte aussi obligeant, et il a consenti pour cette fois seulement à faire toutes ses volontés; mais il ne faut pas que le vent du nord s'y habitue, sinon M. Degen partira par un vent du midi, et au lieu d'aller de Tivoli à Chatenay, il pourrait bien venir de Chatenay à Tivoli, ce qui changerait sa direction.
Quoi qu'il en soit, et malgré toutes les plaisanteries qu'on a pu faire sur le vol à tire-d'ailes, il serait souverainement injuste de juger le mérite d'une invention d'après une seule expérience; M. Degen a perdu la partie, donnons-lui sa revanche. Tant de gens marchent ici-bas en tâtonnant qu'il est bien permis de tâtonner dans les airs. Les premiers essais, d'ailleurs, sont toujours très faibles, et je tiens d'un savant très distingué que le premier vaisseau qui fut lancé n'était point un vaisseau de 74. L'important dans les découvertes est de faire un pas, le temps se charge du reste.
L'eussiez-vous jamais deviné? certes, celui qui trouva la gravitation n'était pas un sot, au moins je le présume. Mais que doit-on penser du savant mécanicien dont le génie fait de l'homme un oiseau, et nous apprend à planer dans les airs contre vent et marée? Depuis cette admirable découverte, il ne faut plus regarder les pieds que d'un air de dédain, et comme une de ces superfluités dont on sait bien se passer au besoin, car lorsqu'on peut voler ce n'est que par complaisance que l'on consent à marcher. Mais voyez donc toutes ces personnes qui s'offrent à votre rencontre: ne leur trouvez-vous pas une démarche plus légère, plus vive et plus animée? ne diriez-vous pas qu'elles sont prêtes à s'envoler? elles effleurent à peine la terre qui n'est plus leur seul élément; il y a dans leur allure, dans leurs mouvemens, quelque chose d'aërien: n'en soyez pas surpris;
«Même quand l'oiseau marche, on sent qu'il a des ailes.»
Chacun va s'empresser de profiter de cette heureuse invention.
Pour en venir à M. Degen, je crois très fermement qu'il fera à Paris tout ce qu'il a fait à Vienne, mais je l'invite à bien prendre ses mesures. Nous avons ici des gens bien prudens, bien avisés, qui regardent toujours d'où le vent souffle.
Le deuxième essai de l'infortuné Degen ne fut pas plus heureux que le premier.
Extrait du Journal de Paris 8 juillet 1812.
La deuxième expérience aérostatique de M. Degen a eu lieu hier soir, par un très beau temps, devant une grande affluence de curieux; elle n'a pas été moins contrariée que la première; les personnes qui avaient été chargées de remplir le ballon avaient mal préparé et employé le gaz, il en est résulté que le ballon s'est chargé dans son intérieur de beaucoup d'eau, et qu'il n'a pu s'élever d'abord qu'à 15 pieds de terre. Bientôt il s'est dégagé d'une grande partie de son lest, et il s'est élevé majestueusement dans les airs. Au mouvement de ses ailes on eût dit un oiseau colossal; son ballon, dominé par le vent, a suivi la direction du nord-est; pendant quelques instans il a résisté au courant qui l'entraînait, et il a paru stationnaire, mais il a disparu. Ces différentes circonstances peuvent faire croire qu'avec un ballon mieux préparé, il obtiendra plus de succès.
Les extraits suivants, qui donnent le funeste dénouement de la troisième expérience de Degen, termineront l'histoire de ce malheureux homme volant.
Extrait du Journal de Paris du 4 octobre 1812.
La troisième expérience de M. Degen aura lieu au champ de Mars demain 5 octobre, à 3 heures après-midi, si le tems le permet, sinon, le premier beau jour suivant. Prix des places: premières 10 francs, deuxièmes 5 francs, troisièmes 2 francs. On trouve tous les jours des billets chez M. Degen, Avenue du Champ de Mars, numéro 10; chez M. Cardinaux, horloger, boulevard Poissonnière, numéro 18; chez M. Auger, parfumeur, rue de la Michodière, numéro 12; et au café de la Rotonde (Palais-Royal). Les billets de 2 francs on les aura dans ces 4 endroits à 1 fr. 50, pour la facilité du public et pour prévenir la foule à la caisse; mais on les payera 2 francs dans les bureaux qui seront établis à l'entrée du champ de Mars.
Extrait du Journal de Paris du 6 octobre 1812.
M. Degen, qui a été accueilli en France avec indulgence, a prouvé hier qu'il n'était qu'un misérable charlatan qui ne cherchait qu'à tromper le public; ne pouvant remplir ses promesses, il a été exposé à l'indignation des spectateurs, et l'intervention de la police a été nécessaire pour prévenir les désordres auxquels il avait donné lieu. La recette a été saisie et envoyée au bureau de bienfaisance, de sorte que M. Degen n'a volé en aucune manière.
On voit que ce dernier article était d'une sévérité extrême. Le malheureux Degen, lors de sa troisième expérience au champ de Mars, fut roué de coups par la foule, et il fut ensuite bafoué, caricaturé et chansonné. L'acteur Brunet le représenta avec grand succès sous le nom de Vol-au-Vent, dans une pièce comique du théâtre des Variétés, intitulée: Le Pâtissier d'Asnières.
Il paraîtrait cependant, d'après Dupuis Delcourt, que Degen était un honnête homme, plein de sincérité et de bonne foi. Il aurait fait à Vienne quelques expériences d'étude, à l'aide de son système d'ailes artificielles équilibré par une corde soutenue par des contrepoids.
Voici l'appréciation que nous trouvons sur Degen dans les notes inédites de Dupuis Delcourt:
En examinant à distance les travaux de Jacob Degen, on en vient à lui rendre plus de justice. M. Degen, dans les ascensions publiques qu'il a faites à Paris, non plus que dans celles qu'il avait exécutées précédemment (1809, 1810) à Vienne et à Luxembourg, n'avait point exécuté le vol à tire-d'ailes qu'il avait annoncé; son expérience n'était pas complète; mais il y serait parvenu, je n'en doute pas, s'il avait été convenablement encouragé et soutenu. Sa machine, très ingénieuse, était imparfaite encore sans doute; n'en est-il pas ainsi de tous les travaux humains? Rien ne vient à sa perfection du premier jet. Minerve, dit la Fable, sortit un jour tout armée du cerveau de Jupiter. Mais Jupiter était un dieu, et nous ne sommes que des hommes.
M. Degen était un habile horloger, fort expert en mécanique[38].
La force d'un homme est assurément impuissante à faire fonctionner des ailes capables de l'enlever dans l'atmosphère. Nombre de physiciens ont essayé de recourir à la mécanique pour lui emprunter une force motrice suffisante.
Fig. 17.—Machine volante de Kaufmann (1860).
Lors de l'exposition aéronautique qui eut lieu à Londres en 1860, on a beaucoup parlé d'une grande machine volante à vapeur imaginée par M. Kaufmann. Cette machine que nous représentons ci-dessus (fig. 17) était destinée à pouvoir se mouvoir sur terre au moyen de roues, sur l'eau en flottant comme un bateau, et dans l'air à l'aide de grandes ailes qu'un mécanisme puissant devait mettre en mouvement. Un modèle de petite dimension fut construit par M. Kaufmann; l'appareil fonctionna sur terre et sur l'eau, mais il se trouva absolument incapable de s'élever dans l'air au moyen de ses ailes.
Le poids de l'appareil de M. Kaufmann était de 5 175 kilogrammes sous un volume de 7 mètres cubes. Il devait avoir pour moteur une machine à vapeur de 50 chevaux. Il ne fut jamais construit en grand et n'aurait assurément pas fonctionné.
Fig. 18.—Appareil volant d'Edison.
Dans ces derniers temps, les journaux américains ont prétendu que leur célèbre inventeur Edison s'était préoccupé de construire une machine volante de grande dimension. Quelques-uns d'entre eux ont même donné l'aspect de la machine que le physicien aurait imaginée. Nous reproduisons ce dessin à titre de curiosité (fig. 18), non sans ajouter qu'il s'agit probablement d'une fantaisie, due à quelque reporter à court de nouvelles.
Ce qu'il a été jusqu'ici impossible de réaliser en grand, quelques habiles constructeurs ont pu le faire en petit, sous forme d'appareils très légers et fonctionnant pendant un temps très court.
En 1857, Le Bris construisit un petit oiseau artificiel dont nous donnons l'aspect (fig. 19), et qui, paraît-il, permit de réaliser quelques essais intéressants.
L'auteur produisait l'abaissement des ailes au moyen de leviers articulés, que des ressorts relevaient avec une grande énergie; mais le système en définitive ne quittait pas le sol pour s'élever dans l'air.
Fig. 19.—Oiseau artificiel de Le Bris (1857).
Nous avons vu que dès 1870, M. Marey a pu faire faire un premier pas très remarquable au problème du vol artificiel en faisant fonctionner des insectes artificiels attelés à un petit manège; il restait encore, après ces essais, à gagner les deux tiers restants du poids en perfectionnant l'action de l'aile, et à faire emporter aux appareils leur moteur au lieu de les mettre en mouvement par une force extérieure. C'est ce que réalisa Alphonse Pénaud vers la fin de l'année 1871, en employant le caoutchouc tordu, comme moteur de petits oiseaux artificiels. Nous reproduisons ici une partie d'un remarquable mémoire de M. Pénaud, travail considérable qui a été couronné par l'Académie des sciences:
Au milieu des théories diverses de l'aile que donnaient Borelli, Huber, Dubochet, Strauss-Durckheim, Liais, Pettigrew, Marey, d'Esterno, de Lucy, Artingstall, etc., et des mouvements si compliqués qu'ils assignaient à cet organe et à chacune de ses plumes, mouvements dont la plupart étaient inimitables pour un appareil mécanique, nous nous décidâmes à chercher nous-même par le raisonnement seul, appuyé sur les lois de la résistance de l'air et quelques faits d'observation la plus simple, quels étaient les mouvements rigoureusement nécessaires de l'aile. Nous trouvâmes: 1o une oscillation double, abaissement et relèvement, transversale à la trajectoire suivie par le volateur; 2o le changement de plan de la rame pendant ce double mouvement; la face inférieure de l'aile regardant en bas et en arrière pendant l'abaissement, de façon à soutenir et à propulser; cette même face regardant en bas et en avant pendant le relèvement, de façon que l'aile puisse se relever sans éprouver de résistance sensible et en coupant l'air par sa tranche, tandis que l'oiseau se meut dans les airs. Ces mouvements étaient d'ailleurs admis par un grand nombre d'observateurs, et fort nettement exposés, en particulier, par Strauss-Durckheim et MM. Liais et Marey.
Mais, en considérant la difficulté de la construction de notre oiseau mécanique, nous dûmes, malgré notre désir de faire un appareil simple et facile à comprendre, chercher à perfectionner ce jeu un peu sommaire. Il est évident d'abord que les différentes parties de l'aile, depuis sa racine jusqu'à son extrémité, sont loin d'agir sur l'air dans les mêmes conditions. La partie interne de l'aile, dénuée de vitesse propre, ne saurait produire aucun effet propulsif à aucune période du battement, mais elle est loin d'être inutile, et l'on comprend que pendant la rapide translation de l'oiseau dans l'espace elle peut, en présentant sa face inférieure en bas et un peu en avant, faire cerf-volant pendant le relèvement comme pendant l'abaissement, et soutenir ainsi d'une façon continue une partie du poids de l'oiseau. La partie moyenne de l'aile a un jeu intermédiaire entre celui de la partie interne de l'aile et celui de la partie externe ou rame. De la sorte, l'aile, pendant son action, est tordue sur elle-même d'une façon continue depuis sa racine jusqu'à son extrémité. Le plan de l'aile à sa racine varie peu pendant la durée des battements; le plan de l'aile médiane se déplace sensiblement, de part et d'autre de sa position moyenne; enfin la rame, et surtout sa portion extrême, éprouvent des changements de plans notables. Ces gauchissements de l'aile se modifient à chaque instant du relèvement et de l'abaissement, dans le sens que nous avons indiqué; aux extrémités de ses oscillations l'aile est à peu près plane. Le jeu de l'aile se trouve ainsi intermédiaire entre celui d'un plan incliné et celui d'une branche d'hélice à pas très long et incessamment variable.
Malgré les différences de leurs théories entre elles et avec celle-ci, divers auteurs nous donnaient, tantôt l'un, tantôt l'autre, des confirmations de la plupart de ces idées. Ainsi la torsion de l'aile avait été déjà très bien signalée par Dubochet et M. Pettigrew, qui a longuement insisté à son égard; il a seulement pris, selon nous, le galbe du relèvement pour celui de l'abaissement, et vice versa. Ces auteurs ont bien vu comment les articulations osseuses, les ligaments de l'aile, l'imbrication et l'élasticité des pennes concouraient à cet effet. M. d'Esterno avait expliqué l'effet continu de cerf-volant de la partie interne de l'aile pendant son abaissement et son relèvement, et M. Marey avait donné à cette partie de l'aile l'épithète heureuse de «passive», tout en accordant un rôle prépondérant, dans le vol, à un changement de plan général de l'aile, dû à la rotation de l'humérus sur lui-même.
Selon nous, il y a une distinction complète à établir entre le vol sur place et le vol avançant ordinaire, et l'amplitude des changements de plans de la rame est essentiellement fonction de la vitesse de translation du volateur. À l'extrémité de l'aile, où se produisent les changements de plans les plus considérables, ils atteignent 90 degrés et plus dans le vol sur place, mais ils sont bien moindres dans le vol avançant. D'après nos calculs, les portions extrêmes de la surface de la rame du corbeau ne sont, en plein vol, inclinées vers l'avant pendant l'abaissement que de 7 à 11 degrés au-dessous de l'horizon, et de 15 à 20 degrés au-dessus pendant le relèvement. Le plan de l'aile à sa racine fait d'ailleurs, pendant ce temps, cerf-volant sous un angle de 2 à 4 degrés seulement.
Il est facile de vérifier la petitesse des inclinaisons de l'aile et, par suite, de ses angles d'attaque sur l'air, en regardant voler un oiseau qui se meut sur un rayon visuel horizontal. On ne voit, en effet, alors, à peu près que la tranche de ses ailes. Il est, en somme, inexact de dire que l'aile change de plan; à peine pourrait-on dire qu'elle change de plans. La vérité est qu'elle passe d'une façon continue par une série de gauchissements gradués et d'une intensité généralement assez faible. C'est du reste ainsi que l'avait compris un auteur anglais, dont nous avons retrouvé les travaux depuis la construction de notre oiseau, et dont la connaissance nous eût évité plusieurs recherches. La théorie de sir G. Cayley, publiée en 1810, ne diffère de la nôtre que par un petit nombre de points; il pensait que la rame remontante a toujours une action propulsive, et il attribuait aux parties propulsives et cerf-volant de l'aile des proportions relatives inverses de celles que nous avons été conduit par le calcul à leur attribuer.
C'est avec ces idées, qui ont été jugées favorablement par l'Académie au dernier concours de mathématiques, que nous entreprîmes, en septembre 1871, l'application du caoutchouc tordu au problème de l'oiseau mécanique. Les ailes de notre oiseau battent dans un même plan par l'intermédiaire de bielles et d'une manivelle. Après quelques essais grossiers, nous reconnûmes la nécessité d'avoir, pour cette transformation de mouvement, un mécanisme très solide relativement à son poids, et je m'adressai à un habile mécanicien, M. Jobert, pour la construction d'un mécanisme d'acier, que mon frère, M. E. Pénaud, avait imaginé.
Fig. 20.—Oiseau artificiel d'Alphonse Pénaud (1871).
Nous représentons ci-dessus (fig. 20) l'appareil qu'Alphonse Pénaud est arrivé à construire. Le caoutchouc moteur est placé au-dessus de la tige rigide qui sert de colonne vertébrale à l'appareil. Le mécanisme des battements des ailes est disposé au-dessus d'un volant régulateur. À la partie postérieure est une queue régulatrice formée par une longue plume de paon, que l'on peut incliner vers le haut, le bas ou par le côté, et que l'on peut aussi charger de cire, de façon à amener le centre de gravité de tout l'appareil au point convenable.
Les gauchissements des ailes sont obtenus par la mobilité du voile de l'aile et de petits doigts qui le supportent autour d'une grande nervure. Un petit tenseur en caoutchouc part de l'angle intéro-postérieur de la surface de l'aile, et vient s'attacher d'autre part vers le milieu de la tige centrale de l'appareil.
Cet appareil fut présenté le 20 juin 1872 à la Société de navigation aérienne. Quand le caoutchouc était bien tendu, on abandonnait le système à lui-même, les ailes battaient, et l'oiseau artificiel franchissait la salle des séances, de 7 mètres de longueur, en s'élevant d'une façon continue par un vol accéléré, suivant une rampe de 15 à 20 degrés. En espace libre, l'oiseau artificiel d'Alphonse Pénaud parcourait 12 à 15 mètres et parvenait à 2 mètres environ au point le plus haut de sa course.
MM. le docteur Hureau de Villeneuve, Jobert, Gauchot, Crocé-Spinelli, et d'autres expérimentateurs exécutèrent des petits appareils du même genre. Un peu plus tard la question fut reprise avec une grande ardeur par M. Victor Tatin, qui ne construisit pas seulement de petits oiseaux à ressorts de caoutchouc, mais qui entreprit de faire fonctionner un oiseau artificiel de plus grande dimension, actionné par un moteur à air comprimé.
En 1874, cet habile et ingénieux mécanicien commença ses études expérimentales sur le vol artificiel dans le laboratoire de M. Marey, et il parvint, en 1876, à réussir dans des conditions particulièrement intéressantes, ses premiers essais réalisés en petit.
Fig. 21.—Oiseau mécanique de M. Victor Tatin (1876).
Les efforts de M. Tatin ont sans cesse tendu à la reproduction du vol de l'oiseau sur des schémas plus ou moins compliqués; il a recherché, sur de petits appareils mis en mouvement par un ressort de caoutchouc, quelles étaient les meilleures formes d'ailes, afin de les adapter à un grand appareil fonctionnant par l'air comprimé. Après plusieurs essais, il s'est arrêté à l'emploi d'ailes longues et étroites. Wenham avait montré qu'une aile peut avoir une aussi bonne fonction quand elle est étroite que lorsqu'elle est large, et M. Marey avait signalé ce fait, que «les oiseaux dont l'amplitude des battements est faible, ont toujours l'aile très longue». Avec ces ailes étroites et longues (fig. 21), M. Tatin a rendu aussi court que possible le temps pendant lequel le voile prend la position convenable pour agir sur l'air pendant l'abaissée.
Étant donné ce fait depuis longtemps établi, qu'un oiseau vole plus facilement s'il peut appuyer son aile sur une grande masse d'air en peu de temps, on comprend que la vitesse de translation maxima sera l'allure la plus avantageuse au point de vue de la réduction de la dépense de force. L'auteur ne pouvant empêcher que ses oiseaux mécaniques dépensent précisément des forces considérables pour obtenir la vitesse utile, a remédié à cet inconvénient en portant en avant le centre de gravité. Dès lors l'oiseau en plein vol conserve le même équilibre que l'oiseau qui plane, et sa vitesse est en quelque sorte passive, de nouvelles couches d'air inertes venant se placer comme d'elles-mêmes sous ses ailes: toute la dépense de force peut alors être utilisée pour la suspension. C'est ainsi que M. Tatin a pu augmenter le poids de ses appareils sans en augmenter la force motrice, et obtenir un parcours double.
Le mouvement que fait l'aile autour d'un axe longitudinal, et qui lui permet de présenter toujours la face inférieure en avant pendant la relevée, a été obtenu par un organe de l'appareil schématique.
Cet appareil, vu latéralement et par derrière, se compose d'un bâti en bois léger, à l'avant duquel sont implantés deux petits supports traversés par un arbre coudé et contre-coudé, de façon à former deux manivelles en vilebrequin, à 90 degrés l'une de l'autre. Cet arbre reçoit un mouvement circulaire d'un ressort de caoutchouc (fig. 22). La manivelle placée sur le plan le plus avancé produit l'élévation et l'abaissée des ailes, qui sont mobiles autour d'un axe commun. Ce même axe est fortement incliné en bas et en arrière par la seconde manivelle, lorsque la première passe au point mort et que les ailes sont au bas de leur course.
Mais l'aile ne doit pas seulement changer de place dans son ensemble; chaque point de l'aile doit avoir, surtout pendant la relevée, une inclinaison d'autant plus marquée qu'il est plus voisin de l'extrémité; la partie voisine du corps doit seule conserver sensiblement la même obliquité. M. Tatin a pensé que c'était par le carpe qu'il fallait commander le mouvement de torsion venant s'éteindre graduellement près du corps, et pour obtenir avec toutes ses transitions, il avait substitué aux ailes de soie qui se plissent, des ailes entièrement construites en plumes très fortes, disposées de telle façon qu'elles arrivassent à glisser un peu l'une sur l'autre pendant les mouvements de torsion: la fonction de cette nouvelle voilure était parfaite; mais, adaptée au grand oiseau, ces ailes ne donnèrent que des résultats médiocres. L'auteur a donc dû revenir aux ailes de soie, qu'il semble avoir définitivement adoptées.
Fig. 22.—Appareil de M. Victor Tatin pour l'étude du mouvement des ailes.
Grâce à certaines modifications qu'il a fait subir à son grand appareil (léger changement de forme des ailes, variation de l'amplitude des battements, renouvellement de quelques organes de la machine), M. Tatin a pu réaliser un grand progrès: l'oiseau à air comprimé, qui, attelé à un manège, ne soulevait d'abord que les trois quarts de son poids, est arrivé à soulever son poids entier. Malheureusement ce résultat n'a pu être dépassé[39].
Nous donnerons en terminant quelques-unes des conclusions présentées par M. Tatin dans son mémoire:
Pour que l'oiseau puisse se soulever par ses coups d'aile, il faut théoriquement, d'après M. Marey, que le moment de la force motrice soit un peu supérieur à celui de la résistance de l'air, ce dernier ayant pour valeur, sous chaque aile, la moitié du poids de l'oiseau multipliée par la distance qui sépare le centre de pression de l'air sur l'aile du centre de l'articulation scapulo-humérale. Mes expériences montrent que, pour les appareils mécaniques, il faut un plus grand excès de la force motrice sur la résistance de l'air. Peut-être cet écart entre la force théorique et la force pratiquement nécessaire existe-t-il également chez l'oiseau, dont on n'a pu encore mesurer la dépense de travail pendant le vol.
J'ai essayé de donner la mesure expérimentale du travail dépensé par une machine qui vole. J'insiste pour rappeler que de pareilles mesures ne représentent pas le minimum de force nécessaire, mais la dépense actuellement faite par nos appareils[40].
On ne saurait croire combien d'efforts ont été tentés, souvent de la part des hommes les plus distingués, pour réaliser une machine volante. En 1845, un mécanicien nommé Duchesnay, avait exposé dans l'intérieur de la grande salle de l'ancien cloître de Saint-Jean de Latran, à Paris, un grand oiseau mécanique dont les ailes recouvertes de plumes avaient plus de dix mètres d'envergure. Dupuis Delcourt a vu cette machine, mais il ne l'a pas vue fonctionner.
Fig. 23.—Oiseau mécanique de Brearey (1879).
Marc Seguin, vers 1849, étudia l'aviation avec beaucoup de persévérance. Il parvint à se soulever du sol au moyen d'ailes battantes qui se trouvaient fixées sur un châssis[41]. Mais ce résultat n'offre pas une grande importance s'il n'est obtenu que pendant un temps très court; l'homme en sautant, quitte également le sol par le seul effort de ses jarrets.
Depuis les expériences plus heureuses des Pénaud et des Tatin, on essaya souvent encore de construire des appareils de vol mécanique à battements d'aile. En 1879, M. Brearey, en Angleterre, étudia un système de ce genre, que nous représentons (fig. 23). Il s'agissait d'un oiseau à ailes flexibles mues par la vapeur. L'appareil devait être monté sur roues, et le centre de gravité était variable pour l'ascension ou la descente. Ce projet ne fut pas réalisé. M. le docteur Hureau de Villeneuve et M. Clément Ader, l'ingénieux inventeur électricien, ont également tenté de construire de grands oiseaux artificiels. Ces deux aviateurs ont fait chacun isolément les plus louables efforts pour arriver aux résultats qu'ils croyaient pouvoir atteindre.
Ces tentatives ont échoué; on n'a jamais obtenu jusqu'ici aucun résultat dans le vol artificiel, dès que l'on a abandonné les minuscules appareils à ressort de caoutchouc.
III
LES HÉLICOPTÈRES
Premier hélicoptère de Launoy et de Bienvenu en 1784. — Appareil de Sir George Cayley en 1796. — Le spiralifère et le strophéor. — Nadar et le manifeste de l'aviation. — MM. de Ponton d'Amécourt et de La Landelle. — Babinet. — Hélicoptères Pénaud, Dandrieux. — Tentative de M. Forlanini.
L'école du vol aérien peut être divisée en deux systèmes différents. On peut essayer de s'élever de l'air par le battement d'ailes artificielles; c'est ce mode d'action que nous venons d'étudier; on peut encore tenter de s'insinuer en avant, à l'aide d'un plan incliné agissant sur l'air et poussé par un moteur. Le plan incliné peut avancer horizontalement; il constitue alors l'aéroplane que nous examinerons dans la suite; il peut encore tourner en forme d'hélice, il constitue dans ce cas l'hélicoptère qui fait l'objet de ce chapitre.
Fig. 24.—Hélicoptère de Launoy et Bienvenu (1784).
Nous avons vu, dans la première partie de cet ouvrage, que Léonard de Vinci et Paucton, à des époques différentes, avaient eu l'idée des hélicoptères.
La plus ancienne des petites machines de ce genre qui ait fonctionné, est celle de MM. Launoy et Bienvenu; elle a été présentée à l'Académie des sciences en 1784, et on l'a vue fonctionner longtemps au Palais-Royal. Les ailes de l'hélice avaient, d'après Dupuis Delcourt, 0m,30 d'envergure. La rapidité du mouvement déterminait l'ascension du système. L'exécution de cette petite machine (fig. 24), dont le moteur consistait en un fort ressort, était due à ses deux auteurs. Launoy, naturaliste, avait fourni les idées relatives au vol des oiseaux, Bienvenu, mécanicien, avait agencé et confectionné la machine.
Nous reproduisons ici une curieuse lettre que les inventeurs ont publiée dans le Journal de Paris à la date du 19 avril 1784. Cette lettre est accompagnée d'une note du rédacteur, qui a vu fonctionner le petit appareil.
Nous ignorons quels sont les moyens dont M. Blanchard prétendait se servir pour s'élever en l'air sans le secours d'un aérostat, ni ceux qu'il a adoptés pour sa direction; nous présumons qu'il a reconnu l'insuffisance des premiers, puisqu'il y a renoncé; à l'égard du second, l'expérience n'ayant pu avoir lieu, on ne peut savoir ce qu'il en aurait obtenu. Voulez-vous bien nous permettre de prévenir le public, par la voie de votre journal, que nous croyons être parvenus à pouvoir élever en l'air et diriger dans l'atmosphère une machine par les seuls moyens mécaniques sans le secours de la physique.
Notre machine en petit nous a parfaitement réussi. Cette tentative heureuse nous a déterminés à en exécuter une un peu plus grande qui puisse mettre le public à portée de juger de la réalité de nos moyens. Nous nous proposons d'après elle de faire l'expérience en grand et de monter nous-mêmes dans le vaisseau. Nous n'avons dans ce moment d'autre but que de prendre date, et nous attendons de votre goût pour les arts que vous ne nous refuserez pas cette faveur.
Nous avons l'honneur d'être, etc.
Bienvenu, machiniste-physicien,
Rue de Rohan, 18.
Launoy, naturaliste.
Rue Plâtrière, au bureau des eaux minérales.
Note des rédacteurs.—Avant de nous engager à insérer la lettre de MM. Bienvenu et Launoy, nous avons cru devoir nous assurer de l'essai en petit; nous ne pouvons dissimuler que nous avons été singulièrement frappés de la simplicité du moyen qu'ils ont adopté, et nous attestons que cet essai, dans son état d'imperfection, s'est échappé plusieurs fois de nos mains et a été frapper le plafond. Nous ignorons ce que deviendra ce moyen appliqué en grand. Les auteurs paraissent n'avoir aucun doute sur le succès. Avant de prévenir le public sur la machine qu'ils travaillent dans ce moment, nous en prendrons nous-mêmes connaissance, et ce ne sera qu'après des expériences répétées que nous en ferons mention.
L'appareil de Launoy et Bienvenu fonctionna dans la salle des séances de l'Académie des sciences, le 28 avril 1784; il fut l'objet d'un rapport d'une commission. Ce rapport existe aux Archives de l'Institut, écrit de la main de Legendre. Il est daté du 1er mai 1784 et signé par les quatre commissaires, Jeaurat, Cousin, général Meusnier et Legendre. Nous le reproduisons textuellement.
Nous, Commissaires nommés par l'Académie, avons examiné une machine destinée à s'élever dans l'air ou à s'y mouvoir suivant une direction quelconque, par un procédé mécanique et sans aucune impulsion initiale.
Cette machine, imaginée par MM. Launoy et Bienvenu, est une espèce d'arc que l'on bande en faisant faire à sa corde quelques révolutions autour de la flèche qui est en même temps l'axe de la machine. La partie supérieure de cet axe porte deux ailes inclinées en sens contraire, et qui se meuvent rapidement, lorsqu'après avoir bandé l'arc, on le retient vers son milieu. La partie inférieure de la machine est garnie de deux ailes semblables qui se meuvent en même temps que l'axe et qui tournent en sens contraire des ailes supérieures.
L'effet de cette machine est très simple. Lorsqu'après avoir bandé le ressort et mis l'axe dans la situation où l'on veut qu'il se meuve, dans la situation verticale, par exemple, on a abandonné la machine à elle-même, l'action du ressort fait tourner rapidement les deux ailes supérieures dans un sens, et les deux ailes inférieures en sens contraire; ces ailes étant disposées de manière que les percussions horizontales de l'air se détruisent et que les percussions verticales conspirent à élever la machine. Elle s'élève en effet et retombe ensuite par son propre poids.
Tel a été le succès du petit modèle du poids de trois onces, que MM. Launoy et Bienvenu ont soumis au jugement de l'Académie. Nous ne doutons pas qu'en mettant plus de précision dans l'exécution de cette machine, on ne parvienne facilement à en construire de plus grandes, et à les élever plus haut et plus longtemps; mais les limites en ce genre ne peuvent être que très étroites. Quoi qu'il en soit, ce moyen mécanique par lequel un corps semble s'élever de soi-même nous a paru simple et ingénieux.
Les Anglais ont revendiqué en faveur d'un de leurs compatriotes, sir George Cayley, l'invention de l'hélicoptère. D'après M. J.-B. Pettigrew, George Cayley aurait donné en 1796 une démonstration pratique de l'efficacité de l'hélice appliquée à l'air.
Son appareil était presque identique à celui des deux constructeurs français que nous venons de citer. Nous figurons ce système d'après le dessin qui en a été publié dans le journal de Nicholson pour 1809 (fig. 25). Sir George Cayley a donné le mode de construction de cet hélicoptère, nous reproduisons ce passage curieux de son travail.
Fig. 25.—Hélicoptère de sir Georges Cayley (1796).
Comme ce peut être un amusement pour quelques-uns de nos lecteurs de voir une machine s'élever en l'air par des moyens mécaniques, je vais terminer cette communication en décrivant un instrument de cette espèce que chacun peut construire en dix minutes de travail: a et b sont deux bouchons dans chacun desquels on a planté quatre plumes d'ailes d'un oiseau, de manière qu'elles soient légèrement inclinées comme les ailes d'un moulin à vent, mais dans des directions opposées pour chaque groupe. Un arbre arrondi est fixé dans le bouchon a et se termine en pointe effilée. À la partie supérieure du bouchon b, l'on fixe un arc de baleine avec un petit trou au centre pour laisser passer la pointe de l'arbre. On joint alors l'arc par des cordes égales de chaque côté, à la partie supérieure de l'arbre, et la petite machine est complète. On monte le ressort en tournant les volants en sens contraire de manière que le ressort de l'arc les déroule, leurs bords antérieurs étant ascendants; on place alors sur une table le bouchon auquel est attaché l'arc, et avec le doigt, on presse suffisamment fort sur le bouchon supérieur pour empêcher le ressort de se détendre; si on l'abandonne subitement, cet instrument s'élèvera jusqu'au plafond.
En 1842, d'après M. Pettigrew, M. Philipps éleva un modèle beaucoup plus volumineux au moyen de palettes tournantes. L'appareil de M. Philipps était fait entièrement de métal et pesait complet et chargé 2 livres. Il consistait en un bouilleur ou générateur de vapeur et quatre palettes soutenues par huit bras. Les palettes étaient inclinées sur l'horizon de 20 degrés; à travers les bras s'échappait de la vapeur d'après le principe découvert par Héron d'Alexandrie. La sortie de la vapeur faisait tourner les palettes avec une énergie considérable. Il paraît, si l'on en croit certains récits du temps, que le modèle s'éleva à une très grande hauteur, et traversa deux champs avant de toucher terre. La force motrice employée était obtenue par la combustion d'un charbon mêlé de salpêtre. Les produits de la combustion se mêlant à l'eau de la chaudière sortaient à haute pression de l'extrémité des huit bras[42].
Les expériences relatées précédemment des hélicoptères de Launoy-Bienvenu et de Cayley ont été continuées par les marchands de jouets. On sait que depuis de longues années, surtout vers 1853, on trouve dans les bazars, sous le nom de spiralifères, des petites hélices s'élevant dans l'air sous l'action de la rotation obtenue par une tige de bois qui tourne quand on déroule violemment une cordelette qu'on y a enroulée au préalable. Au spiralifère on vit se joindre le strophéor, qui avait été exécuté déjà précédemment. Le strophéor ne diffère de l'hélicoptère que parce qu'il est en métal et monte beaucoup plus haut, avec une rapidité beaucoup plus considérable. Ces constructions n'avaient pas dépassé le domaine du fabricant de joujoux, quand, à la fin de 1863, Nadar lança son fameux Manifeste de l'automotion aérienne, qui fut accueilli par la presse dans tous les pays du monde, et souleva un mouvement presque universel en faveur du Plus lourd que l'air. Voici quelques-uns des principaux passages de ce manifeste, qui a fait époque dans l'histoire de la navigation aérienne:
Ce qui a tué, depuis quatre-vingts ans tout à l'heure qu'on la cherche, la direction des ballons, c'est les ballons.
En d'autres termes, vouloir lutter contre l'air en étant plus léger que l'air, c'est folie.
À la plume—levior vento, si le physicien laisse parler le poète,—à la plume vous aurez beau ajuster et adapter tous les systèmes possibles, si ingénieux qu'ils soient, d'agrès, palettes, ailes, rémiges, roues, gouvernails, voiles et contre-voiles,—vous ne ferez jamais que le vent n'emporte pas du coup ensemble, au moment de sa fantaisie, plume et agrès.
Le ballon, qui offre à la prise de l'air un volume de 600 à 1 200 mètres cubes d'un gaz de dix à quinze fois plus léger que l'air, le ballon est à jamais frappé d'incapacité native de lutte contre le moindre courant, quelle que soit l'annexe en force motrice de résistance que vous lui dispensiez.
De par sa constitution et de par le milieu qui le porte et le pousse à son gré, il lui est à jamais interdit d'être vaisseau: il est né bouée et restera bouée.
La plus simple démonstration arithmétique suffit pour établir irréfragablement, non seulement l'inanité de l'aérostat contre la pression du vent, mais dès lors au point de vue de la navigation aérienne, sa nocuité.
Étant donnés le poids qu'enlève chaque mètre cube de gaz et la quotité de mètres cubés par votre ballon d'une part et, d'autre part, la force de pression du vent dans ses moindres vitesses, établissez la différence—et concluez.
Il faut reconnaître enfin que, quelle que soit la forme que vous donniez à votre aérostat, sphérique, conique, cylindrique ou plane, que vous en fassiez une boule ou un poisson, de quelque façon que vous distribuiez sa force ascensionnelle en une, deux ou quatre sphères, de quelque attirail, je le répète, que vous l'attifiez, vous ne pourrez jamais faire que 1, je suppose, égale 20,—et que les ballons soient vis-à-vis de la navigation aérienne autre chose que les bourrelets de l'enfance[43].
Pour lutter contre l'air, il faut être spécifiquement plus lourd que l'air.
De même que spécifiquement l'oiseau est plus lourd que l'air dans lequel il se meut, ainsi l'homme doit exiger de l'air son point d'appui.
Pour commander à l'air, au lieu de lui servir de jouet, il faut s'appuyer sur l'air, et non plus servir d'appui à l'air.
En locomotion aérienne comme ailleurs, on ne s'appuie que sur ce qui résiste.
L'air nous fournit amplement cette résistance, l'air qui renverse les murailles, déracine les arbres centenaires, et fait remonter par le navire les plus impétueux courants.
De par le bon sens des choses,—car les choses ont leur bon sens,—de par la législation physique, non moins positive que la légalité morale, toute la puissance de l'air, irrésistible hier quand nous ne pouvions que fuir devant lui, toute cette puissance s'anéantit devant la double loi de la dynamique et de la pondération des corps, et, de par cette loi, c'est dans notre main qu'elle va passer.
C'est au tour de l'air de céder devant l'homme; c'est à l'homme d'étreindre et de soumettre cette rébellion insolente et anormale qui se rit depuis tant d'années de tant de vains efforts. Nous allons à son tour le faire servir en esclave, comme l'eau à qui nous imposons le navire, comme la terre que nous pressons de la roue.
Nous n'annonçons point une loi nouvelle: cette loi était édictée dès 1768, c'est-à-dire quinze ans avant l'ascension de la première Montgolfière, quand l'ingénieur Paucton prédisait à l'hélice son rôle futur dans la navigation aérienne.
Il ne s'agit que de l'application raisonnée des phénomènes connus.
Et quelque effrayante que soit, en France surtout, l'apparence seule d'une novation, il faut bien en prendre son parti si, de même que les majorités du lendemain ne sont jamais que les minorités de la veille, le paradoxe d'hier est la vérité de demain.
L'automotion aérienne, d'ailleurs, ne sera pas absolument une nouveauté pour tout le monde....
J'arrive à MM. de Ponton d'Amécourt, inventeur de l'Aéronef, et de la Landelle, dont les efforts considérables, depuis trois années, se sont portés sur la démonstration pratique du système, à l'obligeance desquels nous devons la communication d'une série de modèles d'hélicoptères s'enlevant automatiquement en l'air avec des surcharges graduées.
Si des obstacles que j'ignore, des difficultés personnelles ont empêché jusqu'ici l'idée de prendre place dans la pratique, le moment est venu pour l'éclosion.
La première nécessité pour l'automotion aérienne est donc de se débarrasser d'abord absolument de toute espèce d'aérostat.
Ce que l'aérostation lui refuse, c'est à la dynamique et à la statique qu'elle doit le demander.
C'est l'hélice—la Sainte Hélice! comme me disait un jour un mathématicien illustre—qui va nous emporter dans l'air; c'est l'hélice, qui entre dans l'air comme la vrille entre dans le bois, emportant avec elles, l'une son moteur, l'autre son manche.
Vous connaissez ce joujou qui a nom spiralifère?
—Quatre petites palettes, ou, pour dire mieux, spires en papier bordé de fil de fer, prennent leur point d'attache sur un pivot de bois léger.
Ce pivot est porté par une tige creuse à mouvement rotatoire sur un axe immobile qui se tient de la main gauche. Une ficelle enroulée autour de la tige et déroulée d'un coup bref par la main droite lui imprime un mouvement de rotation suffisant pour que l'hélice en miniature se détache et s'élève à quelques mètres en l'air.—d'où elle retombe, sa force de départ dépensée.
Veuillez supposer maintenant des spires de matière et d'étendue suffisantes pour supporter un moteur quelconque, vapeur, éther, air comprimé, etc., que ce moteur ait la permanence des forces employées dans les usages industriels, et, en le réglant à votre gré comme le mécanicien fait sa locomotive, vous allez monter, descendre ou rester immobile dans l'espace, selon le nombre de tours de roues que vous demanderez par seconde à votre machine.
Mais rien ne vaut, pour arriver à l'intelligence, ce qui parle d'abord aux yeux. La démonstration est établie d'une manière plus que concluante par les divers modèles de MM. de Ponton d'Amécourt et de la Landelle.
On voit en définitive que le manifeste de Nadar se résumait ainsi: 1o supprimer les ballons, que l'on ne saurait songer à diriger dans l'atmosphère; 2o créer la navigation aérienne par la construction d'un grand hélicoptère mécanique.
Pour trouver le capital nécessaire aux études et aux constructions, Nadar construisit le Géant, dont on connaît les aventures dramatiques. Quelle que fût ensuite l'ardeur dépensée en faveur du Plus lourd que l'air, Nadar et ses amis n'arrivèrent à aucun résultat pratique. On fit fonctionner de petits hélicoptères-jouets dans l'une des séances de la nouvelle Société de Navigation aérienne, mais nous allons voir un peu plus loin que les tentatives faites pour aller au delà ne furent pas couronnées de succès, malgré les affirmations de M. Babinet de l'Institut, que l'on peut considérer comme le chef de l'École d'alors.
Fig. 26.—Hélicoptère à vapeur de M. de Ponton d'Amécourt (1865).
Voici, disait le savant physicien dans le Constitutionnel, ce que dit le public, par lettres, de France, d'Espagne, d'Angleterre, d'Italie; dans des rencontres au milieu des rues; par des interpellations de salon; par des conseils d'amis, etc.: «Parlez-nous de l'art de voler par l'hélice.»
Mais je n'ai rien à dire de nouveau: attendez la construction d'un hélicoptère qui, avec le zèle de M. Nadar, ne peut tarder à se produire. Surtout, ne confondez pas son ballon géant, qui est réalisé, avec son hélicoptère, qui va être réalisée incessamment. Un ballon monte et plane dans les airs. Un hélicoptère y vole, s'y dirige, s'y maîtrise au gré du voyageur. Un enfant commence à se tenir debout; plus tard, il marche. De même le ballon s'élève et l'hélice marche ou plutôt marchera.
M. de Ponton d'Amécourt, un des plus fervents partisans de l'aviation, qui, ainsi que notre savant et vénérable ami, M. de la Landelle, s'était occupé de l'aviation par l'hélice, bien avant les tentatives de Nadar, fit de grands efforts pour réussir. Il construisit, en 1865, un hélicoptère à vapeur qui devait enlever son moteur et son générateur. Ce charmant petit modèle, qui a figuré à l'Exposition aéronautique de Londres en 1868, est fort gracieusement construit (fig. 26). La chaudière et le bâti sont en aluminium et les cylindres en bronze. Le mouvement de va-et-vient des pistons est transmis par des engrenages à deux hélices superposées de 264 centimètres carrés de surface et dont l'une tourne dans le sens inverse de l'autre. L'appareil vide qui se trouve actuellement au siège de la Société de navigation aérienne, pèse 2kgm,770. La chaudière a 0m,08 de hauteur sur 0m,10 de diamètre. La hauteur totale du système est de 0m,62.
Malheureusement le générateur ne peut résister à une pression suffisante; quand cet hélicoptère fonctionne, il parvient à s'alléger notablement, il a une certaine force ascensionnelle, mais il n'arrive pas à quitter le sol[44].
Les journaux illustrés ont, à l'époque du Géant, publié un autre projet de grand hélicoptère à vapeur (fig. 27), attribué à M. de la Landelle, mais nul essai d'appareil de ce genre ne fut entrepris et n'aurait pu être exécuté en raison de l'insuffisance des moteurs dont on pouvait disposer. Il y eut beaucoup de projets et de mémoires écrits sur le plus lourd que l'air par l'hélice[45]; mais on ne vit paraître aucune machine fonctionnant, et la grande agitation produite par l'initiative de Nadar ne tarda pas à être oubliée.
On en revint un peu plus tard au premier appareil de Launoy et Bienvenu. Alphonse Pénaud le modifia en remplaçant le ressort dont se servait ces premiers inventeurs par un fil de caoutchouc tordu; cet appareil donna un résultat tellement supérieur à ce qu'on avait obtenu qu'il put presque passer pour une création nouvelle. Voici en quels termes Alphonse Pénaud a décrit son système.
Fig. 27.—Projet de navire aérien à hélice attribué à M. de la Landelle.
Tous les hélicoptères, pour la plupart coûteux, délicats, se brisant facilement en retombant, avaient un grave défaut: c'est que leur marche, qui ne durait qu'un instant, semblait plutôt un saut aérien qu'un véritable vol; à peine étaient-ils partis, leurs hélices s'arrêtaient, et ils redescendaient.
Préoccupé, il y a quelques années, de l'insuffisance de la démonstration, je fis des recherches sur les moyens d'avoir des modèles plus satisfaisants. La force des ressorts solides était seule d'un emploi simple; mais le bois, la baleine, l'acier, ne fournissent qu'une force minime en égard à leur poids; le caoutchouc était bien plus puissant, mais la charpente nécessaire pour résister à sa violente tension était nécessairement assez lourde. J'eus alors l'idée d'employer l'élasticité de torsion du caoutchouc, qui donna enfin la solution tant cherchée de la construction facile, simple et efficace des modèles volants démonstrateurs.
J'appliquai d'abord le nouveau moteur à l'hélicoptère, et la figure 28 représente l'appareil que je montrai en avril 1870 à notre vénérable doyen, M. de la Landelle. Il est extrêmement simple: ce sont toujours deux hélices superposées tournant en sens contraire; leur distance est maintenue par de petites tiges, au milieu desquelles se trouve le caoutchouc.
Fig. 28.—Hélicoptère à ressort de caoutchouc d'Alphonse Pénaud (1870).
Pour mettre l'appareil en mouvement, on saisit de la main gauche l'une de ces petites tiges, et l'on fait tourner avec la main droite l'hélice inférieure dans le sens contraire, à celui de la rotation utile. Lorsque la lanière de caoutchouc est ainsi tordue sur elle-même d'une façon suffisante, il ne reste plus qu'à abandonner l'appareil à lui-même; on le voit alors (selon les proportions de ses différentes parties) monter comme un trait, à plus de 15 mètres, planer obliquement en décrivant de grands cercles, ou enfin, après s'être élevé de 7 à 8 mètres, voler presque sur place pendant 15 à 20 secondes, et parfois jusqu'à 26 secondes.
Malgré les efforts de Pénaud et d'un certain nombre de chercheurs, il fut impossible de tirer de l'hélicoptère aucun résultat pratique et la petite machine fut condamnée à rester jouet.
Fig. 29.—Hélicoptère-jouet de M. Dandrieux.
Nous donnons (fig. 29) l'aspect d'un de ces hélicoptères-jouets basés sur le même principe et construits par M. Dandrieux. Sous l'action du ressort de caoutchouc, l'hélice tourne et s'enlève à quelques mètres de hauteur avec les ailes de papillon en papier mince dont elle est agrémentée.
Le seul appareil de ce genre qui ait laissé derrière lui ses devanciers est celui de M. Forlanini, au sujet duquel nous allons donner quelques renseignements précis.
En 1878, le savant ingénieur italien M. Forlanini, ancien officier du génie, construisit un petit modèle d'hélicoptère à vapeur dont nous reproduisons l'aspect (fig. 30).
L'appareil comprend deux hélices, mais une seule d'entre elles est mise en mouvement par le moteur à vapeur à deux pistons. Les deux pistons sont calés à angles contrariés sur un arbre de couche, transmettent le mouvement à un arc qui porte l'hélice par l'intermédiaire de deux roues d'engrenage. La seconde hélice est fixée sur le bâti; elle est destinée, comme dans le premier système de Launoy et Bienvenu, à empêcher l'appareil de tourner sur lui-même. Le manomètre est gradué jusqu'à 15 atmosphères. La distribution et la détente s'obtiennent pour chaque cylindre au moyen de deux bielles calées sur des excentriques fixés à l'arbre de couche[46].
Fig. 30.—Hélicoptère à vapeur de M. Forlanini (1878).
Le poids total de l'appareil est de 3 kilogrammes et demi, la surface totale des hélices est de 2 mètres carrés, la force motrice varie de 18 à 25 kilogrammètres. Le moteur proprement dit pèse 1 kilogramme et demi, celui de la petite chaudière sphérique chargée d'eau pèse 1 kilogramme.
Quand on veut expérimenter l'appareil, on chauffe le petit moteur sphérique représenté à la partie inférieure de notre figure, jusqu'à ce que la pression soit suffisante. On retire le système du feu, on ouvre le robinet: les hélices se mettent en mouvement.
L'auteur affirme que lors d'une expérience faite devant le professeur Giuseppe Colombo et quelques autres spectateurs, l'appareil se serait élevé à 13 mètres de hauteur, et serait resté 20 secondes en l'air.
Quel que soit l'intérêt de ce résultat, nous ferons observer qu'il est encore loin de donner la solution du problème de la navigation aérienne par l'hélice.
La machine de M. Forlanini n'enlève pas son foyer. Elle ne fonctionne que pendant quelques secondes!
Voilà tout ce qu'a pu donner jusqu'ici l'hélicoptère.
IV
CERFS-VOLANTS, PARACHUTES ET AÉROPLANES
Archytas de Tarente et le cerf-volant. — Le parachute de Sébastien Lenormand. — Jacques Garnerin. — Cocking. — Letur. — De Groof. — Aéroplanes de Henson et de Stringfellow. — Aéroplane à air comprimé de Victor Tatin. — De Louvrié. — Du Temple.
Archytas de Tarente, celui-là à qui l'on a attribué la construction d'une colombe mécanique, est l'inventeur du cerf-volant à plan incliné formé d'une matière solide, plus dense que l'air et qui se soutient dans l'air sous l'influence d'un point d'appui: c'est le plus simple des aéroplanes. Le cerf-volant d'Archytas remonte à 400 ans avant notre ère, et la théorie du cerf-volant n'est pas encore faite. Elle a dérouté les mathématiciens. «Le cerf-volant, ce jouet d'enfant méprisé des savants, disait le grand Euler en 1756, peut cependant donner lieu aux réflexions les plus profondes.»
Marey-Monge disait que le cerf-volant obéit à des conditions mystérieuses, il s'est livré à de nombreuses études sur cet intéressant appareil et il arrivait à conclure que la queue du cerf-volant est un organe indispensable, et qu'un cerf-volant «chargé d'une queue qui a la moitié de son poids, monte deux fois plus haut qu'un cerf-volant sans queue!
Cependant les cerfs-volants japonais, en forme d'oiseau aux ailes étendues, fonctionnent admirablement et ils n'ont pas la moindre queue!
Plan incliné dans l'air, le cerf-volant a conduit les aviateurs à l'idée de l'aéroplane, plan qui doit être poussé dans l'air par un moteur, sous un angle déterminé. Nous allons arriver à l'aéroplane en partant du cerf-volant et passant par le parachute.
Quand les ballons firent leur apparition dans le monde en 1773, on avait depuis longtemps oublié les descriptions de Léonard de Vinci et de Veranzio et le parachute fut découvert une seconde fois. À qui revient l'honneur d'avoir construit le premier parachute à la fin du siècle dernier? Il est certain que Blanchard dès ses premières ascensions se servit de petits parachutes pour lancer des chiens et des animaux dans l'espace. Son vaisseau volant était muni d'un parachute. Il n'est pas moins certain que Sébastien Lenormand, peu de mois après l'ascension des premiers aérostats, effectua du haut de la tour de l'Observatoire de Montpellier une descente en parachute qui excita vivement l'attention publique. Ceci résulte d'une enquête qui a été faite à ce sujet, lorsque Garnerin prit un brevet d'invention pour le système qu'il venait d'expérimenter.
Voici en quels termes Sébastien Lenormand a revendiqué lui-même son invention; on va voir que son droit de propriété a été reconnu.
Le 26 décembre 1783 je fis à Montpellier, dans l'enclos des ci-devant Cordeliers, ma première expérience en m'élançant de dessus un ormeau ébranché, et tenant en mes mains deux parasols de trente pouces de rayon, disposés de la manière dont je vais l'indiquer. Cet ormeau présentait une saillie à la hauteur d'un premier étage un peu haut; c'est de dessus cette saillie que je me suis laissé tomber.
Afin de retenir les deux parasols dans une situation horizontale sans me fatiguer les bras, je fixai solidement les extrémités des deux manches aux deux bouts d'un liteau de bois, de cinq pieds de long, je fixai pareillement les anneaux aux deux bouts d'un autre liteau semblable et j'attachai à l'extrémité de toutes les baleines des ficelles qui correspondaient au bout de chaque manche.
Il est facile de concevoir que ces ficelles représentent deux cônes renversés, placés l'un à côté de l'autre, et dont les bases étaient les parasols ouverts. Par cette disposition j'empêchais que les parasols ne fussent forcés de se reployer en arrière par la résistance de la colonne d'air. Je saisis la tringle inférieure avec les mains et me laissai aller: la chute me parut presque insensible lorsque je la fis les yeux fermés. Trois jours après, je répétai mon expérience, en présence de plusieurs témoins, en laissant tomber des animaux et des poids du haut de l'Observatoire de Montpellier.
M. Montgolfier était alors dans cette ville, il en eut connaissance et répéta mes expériences à Avignon avec M. de Brante, dans le courant de mars 1784, en changeant quelque chose à mon parachute, dont j'avais communiqué la construction à M. l'abbé Bertholon, alors professeur de physique.
L'Académie de Lyon avait proposé un prix d'après le programme suivant:
Déterminer le moyen le plus sûr, le plus facile, le moins dispendieux et le plus efficace de diriger à volonté les globes aérostatiques.
J'envoyai un mémoire au concours, ce fut dans les premiers jours de 1784, j'y insérai la description de mon parachute dans la vue de m'assurer la priorité de la découverte.
L'abbé Bertholon fit imprimer quelque temps après un petit ouvrage, sur les avantages que la physique et les arts qui en dépendent peuvent retirer des globes aérostatiques; et l'on y trouve, page 49 et suivantes, des détails sur le parachute et sur les expériences que nous fîmes ensemble.
Le citoyen Prieur avait inséré dans le tome XXI des Annales de chimie une note historique sur l'invention et les premiers essais des parachutes, il en attribuait la gloire à M. Joseph Montgolfier; je réclamai, et ce savant distingué s'empressa d'insérer dans le tome XXXVI, page 94, une notice qu'il termine par cette phrase: «La justice et l'intérêt de la vérité prescrivaient également la publicité que nous donnons à la réclamation du citoyen Lenormand, ainsi qu'aux preuves, qui paraissent en effet lui assurer la priorité de date pour les premières expériences des parachutes.» Plusieurs journaux répétèrent ce qu'avait avancé le citoyen Prieur.
Voici, monsieur, l'article relatif à mon parachute, que j'extrais mot à mot du mémoire que j'adressai à l'Académie de Lyon, et dont j'ai parlé plus haut; j'y joins aussi la copie de la planche qui l'accompagnait.
Description d'un parachute.
Je fais un cercle de 14 pieds de diamètre avec une grosse corde; j'attache fortement tout autour un cône de toile dont la hauteur est de 6 pieds; je double le cône de papier en le collant sur la toile pour le rendre imperméable à l'air; ou mieux, au lieu de toile, du taffetas recouvert de gomme élastique. Je mets tout autour du cône des petites cordes, qui sont attachées par le bas à une petite charpente d'osier, et forment avec cette charpente, un cône tronqué renversé. C'est sur cette charpente que je me place. Par ce moyen j'évite les baleines du parasol et le manche, qui feraient un poids considérable. Je suis sûr de risquer si peu, que j'offre d'en faire moi-même l'expérience, après avoir cependant éprouvé le parachute sur divers poids pour être assuré de sa solidité.
Fig. 31.—Premier parachute de Sébastien Lenormand.
Les propriétés du parachute étaient donc très connues, lorsqu'un élève du physicien Charles, Jacques Garnerin, ayant été fait prisonnier de guerre, et se trouvant enfermé en Autriche, eut l'idée de s'évader à l'aide d'un appareil qui lui permettrait de se précipiter du haut d'une tour. Il ne réussit pas à s'échapper par ce procédé, mais quand il eut recouvré la liberté, il résolut de mener à bien l'expérience qu'il avait imaginée pendant sa captivité.
La première tentative d'une descente de ballon exécutée en parachute eut lieu le 22 octobre 1797, au parc Monceau, en présence d'une foule considérable, parmi laquelle se trouvait l'astronome Lalande. Jacques Garnerin s'éleva sous un parachute plié, attaché à un ballon. À 1 000 mètres de hauteur, il coupa la corde qui le maintenait sous l'aérostat, et il s'abandonna dans les airs. Des cris de stupeur retentirent, mais on vit le parachute s'ouvrir et osciller au milieu de l'atmosphère. Ce premier parachute avait seulement 7m,80 de diamètre. La descente fut très rapide, elle se termina par un choc violent qu'eut à subir Garnerin dans sa petite nacelle, en touchant la terre. L'intrépide expérimentateur, en fut quitte pour une contusion au pied, légère blessure, puisqu'elle ne l'empêcha pas de revenir à cheval, vers son point de départ, où il fut accueilli par des acclamations.
Lalande courut à l'Institut pour annoncer à ses collègues le succès de cette grande expérience d'aviation.
Le parachute ne subit presque aucune modification après Garnerin. Il fut muni d'une ouverture centrale circulaire, destinée à laisser passer l'air à sa partie supérieure; cette ouverture tend à éviter les oscillations de la descente, mais elle n'est pas nécessaire, d'après l'avis des spécialistes compétents.
Après un grand nombre de descentes en parachute, exécutées par Garnerin et par sa nièce Élisa Garnerin, par Blanchard, par Mme Blanchard, par Louis Godard et par Mme Poitevin, on abandonna cet appareil; il n'a en réalité aucune utilité aérostatique, et ne sert qu'à donner une démonstration expérimentale intéressante.
L'appareil de Garnerin n'est-il pas susceptible d'être perfectionné? Sa forme est-elle le plus favorable au but qu'il s'agit d'atteindre? Certains aviateurs pensent que le parachute de Garnerin pourrait être avantageusement modifié. En 1816, Cayley, dont nous avons déjà parlé précédemment, et qui est considéré comme l'un des partisans les plus distingués du plus lourd que l'air dans la Grande-Bretagne, exprimait l'opinion suivante: Les machines de ce genre, qui ont certainement été construites en vue de procurer une descente équilibrée, ont reçu, chose étonnante, la pire des formes qu'on puisse imaginer pour atteindre ce but.
L'inventeur anglais Cocking partageait ces idées, mais il eut la témérité de se confier à des surfaces de dimensions insuffisantes, disposées à l'inverse d'un parachute ordinaire. Son appareil avait la forme d'un cône renversé: il devait fonctionner la pointe en bas.
Le 27 septembre 1836, Cocking exécuta son expérience avec l'aéronaute anglais Green, qui, convaincu de la justesse des raisonnements de l'inventeur, n'hésita pas à l'enlever attaché à la nacelle de son ballon. Il s'élevèrent tous deux du Wauxhall à Londres, et montèrent jusqu'à l'altitude de 1 200 mètres. À cette hauteur, Green coupa la corde, qui reliait au ballon Cocking et son appareil. Le parachute retourné se précipita dans l'air avec une vitesse désordonnée; sa surface mal calculée se déforma, et l'on vit avec stupeur le malheureux aviateur être précipité vers le sol avec une rapidité toujours croissante (fig. 32). Cocking fut broyé par le choc, et l'on releva son corps en lambeaux.
En 1853, un Français, Letur, imagina de munir un parachute de deux grandes ailes analogues à celles des coléoptères, et qui lui permettraient de se diriger pendant la descente vers un point déterminé (fig. 33). Il exhiba son appareil à l'Hippodrome de Paris à la fin de mai 1853[47], mais il n'exécuta pas son expérience. L'année suivante, le 27 juin 1854, Letur fut enlevé à Londres dans le ballon de William Henry Adam. Celui-ci était accompagné par un ami. Le parachute volant de Letur était attaché à 25 mètres au-dessous de la nacelle de l'aérostat. Une catastrophe analogue à celle de Cocking allait se produire. En voici le récit d'après le journal anglais le Sun:
Fig. 32.—Mort de Cocking, le 26 septembre 1836.
La descente en parachute de l'aéronaute français, M. Letur, dont l'ascension avait eu lieu à Cremorn-Gardens, il y a quelques jours, s'est terminée d'une manière fatale pour lui. Il paraît que lorsque le ballon fut arrivé au-dessus de Tottenham, M. Adam, l'une des personnes qui occupaient des places dans la nacelle, trouvant l'endroit favorable, se prépara à descendre. Il coupa deux des cordes qui attachaient le parachute au ballon; mais il s'aperçut que la troisième corde était engagée dans l'appareil de la machine.
Tout près de la station du chemin de fer de Tottenham, deux employés du chemin de fer s'étaient d'abord saisis de l'ancre attachée au parachute, mais force leur fut bientôt de lâcher prise. M. Adam, pour éviter les dangers que présentaient des arbres dans le voisinage, se mit à jeter du lest; néanmoins, on heurta les arbres.
Fig. 33.—Appareil de Letur (1854).
Le parachute fut ballotté avec une grande violence dans les branchages, que l'on entendait craquer de la station, à la distance d'un quart de mille. Cependant M. Adam parvint à descendre sur le champ, tout près de la station de Marshlane. Les ancres du parachute étant demeurées attachées à des branches, à peu de distance de l'endroit où M. Adam et son ami étaient descendus, ceux-ci s'empressèrent de courir au secours du malheureux Français, qui n'avait pas voulu quitter le parachute et s'y tenait accroché avec force.
Une foule immense fut bientôt sur le théâtre de l'accident, et l'on parvint après beaucoup d'efforts à dégager le malheureux M. Letur, qui, n'ayant pas perdu connaissance, quoique fortement brisé par de nombreuses contusions, poussait des cris et des gémissements. On le transporta à la taverne du chemin de fer près de la station. M. Barrett, propriétaire, le fit placer dans une chambre. On courut chercher un médecin. M. le docteur Lieks arriva.
Ce pauvre M. Letur, qui ne parle pas du tout anglais, ne cessait de répéter: «Mon Dieu! mon Dieu!» On le mit dans un lit. Le docteur Lieks examina attentivement ses blessures. Les contusions extérieures parurent peu graves, mais le docteur jugea qu'une lésion interne d'une nature grave et mortelle devait avoir eu lieu.
Dans la soirée, plusieurs personnes arrivèrent de Cremorn-Gardens, et entre autres M. Franchel, l'ami intime du blessé, et qui l'avait engagé à venir en Angleterre par spéculation. M. Franchel, très ému et rempli de compassion pour le sort du malheureux, déclara qu'il ne le quitterait pas. Cette assurance parut améliorer beaucoup l'état moral du blessé, qui pensa que sa famille pourrait avoir de ses nouvelles par l'intermédiaire de cet ami.
M. Franchel n'a pas quitté le blessé jusqu'à son dernier soupir, qu'il a rendu jeudi dernier, et il avait même déclaré qu'il ne quitterait l'hôtel qu'après avoir rendu les derniers devoirs à son ami. Jusqu'à sa mort, M. Letur a gardé sa pleine connaissance. Il s'est entretenu avec calme avec M. Franchel, à qui il a exprimé ses dernières volontés. Il avait quarante-neuf ans. On dit qu'il laisse sa famille dans l'indigence, à Paris. Sa malheureuse femme est dans un état de grossesse très avancé.
Parmi les personnes qui ont montré le plus d'intérêt pour ce malheureux a été M. Simpton, propriétaire de Cremorn-Gardens. Le parachute n'a pas été très endommagé. Il reste déposé à la taverne pour être examiné par le coroner et le jury.
Cette catastrophe causa une vive émotion et donna lieu à une enquête du coroner. Nous extrayons les passages les plus intéressants du procès-verbal qui a été publié à cette époque.
Aujourd'hui, à quatre heures de l'après-midi, M. Baker, coroner d'East-Middlesex, et un jury composé d'hommes très recommandables, se sont réunis à l'hôtel du Chemin-de-Fer, pour s'y livrer à une enquête sur la mort de M. Letur, aéronaute français, âgé de quarante-neuf ans, mort des suites de ses blessures dans une descente en parachute.
Un grand nombre de personnages spéciaux et scientifiques assistaient à l'enquête, et notamment MM. Green, Coxwell, Hampton, aéronautes distingués. M. Adam, secrétaire, de M. Simpson, propriétaire de Cremorn-Gardens, où avait eu lieu l'ascension, représentait ce dernier.
M. William Henry Adam, aéronaute à Cremorn-Gardens, dépose en ces termes: «Le 27 juin, le défunt s'est enlevé à Cremorn-Gardens avec son parachute. Il était accompagné de M. Adam et d'un ami de ce dernier. La nacelle du ballon était à environ 80 pieds au-dessus du parachute de M. Letur. Celui-ci, attaché au siège sur lequel il était placé, faisait mouvoir, à l'aide de ses pieds, deux vastes ailes avec lesquelles il guidait sa machine. Ses mains étaient entièrement libres.
L'ascension se fit très heureusement; en arrivant à Conden-Town, M. Adam songea à descendre. La descente étant déjà commencée, M. Adam demanda à M. Spearham, armateur, qui était avec lui dans la nacelle, si le parachute s'était ouvert, ce qui aurait dû être fait immédiatement. M. Spearham répondit que non.
M. Adam vit alors que le parachute et les cordes se trouvaient mêlées. L'humidité du gazon sur lequel le parachute était resté deux heures avant l'ascension avait exercé de l'influence sur les cordes toutes neuves.
Il fallut songer à descendre définitivement. C'est alors que le parachute se heurta avec violence contre les branches des arbres que l'on avait vainement tenté d'éviter. De là et par suite des secousses et des commotions, la mort de M. Letur.
Le coroner, après l'interrogatoire des témoins, a résumé l'affaire, et le jury, après une courte délibération, a rendu un verdict constatant que la mort avait été accidentelle.
Fig. 34.—Machine volante de de Groof.
En 1872, un Belge, nommée de Groof, voulut réaliser une machine volante jouant à la fois le rôle d'ailes battantes et de parachute. Comme Cocking et Letur, il entreprit d'expérimenter son système de vol planeur, en se séparant d'un aérostat qui l'enlèverait à une assez grande hauteur dans l'atmosphère. En 1873, il voulut commencer ses essais à Bruxelles, mais il ne réussit pas. Comme jadis Degen, il fut roué de coups par la foule et devint ensuite l'objet des railleries impitoyables de ses concitoyens.
De Groof ne se lassa point; au commencement de l'année suivante il fit insérer dans un grand nombre de journaux politiques l'annonce suivante, que nous reproduisons textuellement:
POUR faire des expériences à Paris ou ailleurs on demande pour le mois de mai prochain UN AÉRONAUTE ayant un BALLON pouvant enlever et lâcher à une certaine hauteur le soussigné et un appareil volateur pesant ensemble 125 kilos.—Pour les conditions s'adresser à M. de Groof, à Bruges (Belgique).
L'aéronaute demandé, se présenta dans la personne de M. Simmons, praticien anglais, et les expériences furent préparées à Londres, pour être exécutées dans les jardins de Cremorne, comme cela avait eu lieu précédemment pour Cocking et Letur. Le sort de de Groof fut le même que celui de ses prédécesseurs!
Nous allons, avant de donner le récit de cette catastrophe, faire connaître quel était le système du malheureux inventeur.
L'appareil de de Groof se composait de deux ailes de 11 mètres et d'une queue de 9 mètres, à l'aide desquelles il prétendait descendre lentement dans une direction déterminée, quand on le détacherait de dessous la nacelle d'un aérostat qui l'aurait élevé à une assez grande hauteur (fig. 34). Ce n'était pas le problème du vol complet que cet inventeur cherchait à résoudre, mais une sorte de vol partiel.
Une première expérience, exécutée le 29 juin 1873 à Cremorne, a réussi, en ce sens que de Groof parvint à conserver l'équilibre et à descendre à terre sans mésaventure, à peu près dans la direction où l'aurait porté un simple parachute.
Il avait été, dans cette première expérience, lâché dans l'air à une hauteur de 300 mètres au-dessus du sol. De Groof donna lui-même à l'aéronaute Simmons le signal de la séparation. Il déclare avoir crié: «Lâchez!» Il se trouva à terre sans accident, la queue de l'appareil ayant été légèrement endommagée.
Enhardi par ce succès relatif, de Groof voulut donner une nouvelle représentation de son expérience. Le 5 juillet 1874, il exécuta une ascension dans les mêmes circonstances que précédemment, se faisant attacher au-dessous de la nacelle du ballon de M. Simmons, un des aéronautes ordinaires de Cremorne.
Il paraît qu'après être monté à quelques centaines de mètres, le ballon s'est mis à descendre rapidement, sans doute à cause d'une condensation subite. De Groof, craignant d'être écrasé sous le ballon, prit peur et cria à M. Simmons de couper la corde. Il n'était plus à ce moment qu'à trente mètres de terre.
Les ailes n'ayant pu faire parachute, le malheureux de Groof tomba aussi lourdement qu'une pierre. Il avait perdu connaissance en arrivant à terre, où il reçut un coup terrible sur la nuque, et il expira, avant qu'on eût pu le transporter à l'hôpital de Chelsea, où sa femme accourut en même temps que son cadavre arrivait.
Après les applications si malheureuses et si funestes qui ont été faites du parachute aux appareils de vol aérien, arrivons aux aéroplanes que les aviateurs considèrent actuellement comme le système le plus avantageux que l'on puisse préconiser.
Fig. 35.—Machine aérienne à vapeur de Henson.
En 1843, MM. Henson et Stringfellow, en Angleterre, construisirent successivement de grands appareils formés de plans inclinés que deux roues en hélice devaient faire progresser au sein de l'air. L'appareil de M. Henson, qui fut présenté sous le nom de machine à vapeur aérienne, consistait en un chariot adapté à un grand cadre rectangulaire de bois et de bambou, couvert de canevas ou de soie vernie. Le cadre formant plan incliné, s'étendait de chaque côté du chariot, de la même manière que les ailes étendues d'un oiseau, mais avec cette différence qu'il devait rester immobile (fig. 35). Derrière, se trouvaient deux roues verticales en éventail, munies de palettes obliques destinées à pousser l'appareil. Ces roues jouaient donc le rôle de propulseurs. Cet appareil curieux, dont on parla beaucoup à l'époque où il fut imaginé, ne fonctionna jamais convenablement.
M. Stringfellow étudia de son côté un grand projet, dans lequel il avait eu l'idée de superposer en trois étages les plans de glissement dans l'atmosphère. Aucune expérience ne fut exécutée.
Ce que MM. Henson et Stringfellow ne surent réaliser, M. Victor Tatin, dont nous avons déjà parlé précédemment, l'exécuta en petit à une époque beaucoup plus récente.
Voici comment l'auteur a décrit lui-même son ingénieux aéroplane après avoir résumé quelques intéressantes considérations d'ensemble que nous reproduisons.
On désigne sous le nom d'aéroplanes, des appareils dont l'invention est assez récente, car le premier projet rationnel qu'on en ait publié est dû à Henson, et ne remonte qu'à 1842. C'est, du reste, le type qui depuis lors a toujours été reproduit.
Le principe de cet appareil consiste à maintenir sur l'air un vaste plan auquel des hélices propulsives communiquent un rapide mouvement de translation. Personne, que nous sachions, n'avait obtenu de bons résultats au moyen des aéroplanes, avant Pénaud, qui employa encore le caoutchouc tordu pour mettre en mouvement ces petits appareils si étonnants par la simplicité de leur mécanisme (fig. 36). Cet ingénieux expérimentateur n'a malheureusement réalisé que des types d'aéroplanes de petites dimensions. La maladie qui devait nous l'enlever, a sans doute entravé ses recherches. Quelques années avant sa mort, il avait cependant publié, avec le concours d'un de nos amis communs, M. P. Gauchot, ingénieur distingué, un projet d'aéroplane de grandes dimensions; la mort de Pénaud dut en empêcher la réalisation. Cette construction eût sans doute entraîné d'assez fortes dépenses, mais nous croyons qu'elle eût donné la preuve victorieuse de la supériorité de l'aéroplane sur tous les appareils que nous avons décrits ci-dessus.
Fig. 36.—Aéroplane d'Alphonse Pénaud.
À l'époque où Pénaud se rattachait définitivement à l'emploi de l'aéroplane comme à la méthode la plus capable de donner des résultats pratiques, nous poursuivions encore la création d'appareils basés sur l'imitation du vol de l'oiseau. Nos yeux s'ouvrirent enfin à l'évidence et nous entrâmes dans la voie que, depuis lors, nous n'avons plus cessé de suivre. Nous ne tardâmes pas à nous applaudir de ce changement, car, dès nos premiers essais, les résultats furent très satisfaisants.
Fig. 37.—Aéroplane à air comprimé de Victor Tatin, expérimenté en 1879.
Un petit aéroplane d'environ 0mq,7 de surface était remorqué par deux hélices tournant en sens inverse; le moteur était une machine à air comprimé, analogue à une petite machine à vapeur dont la chaudière était remplacée par un récipient relativement grand et d'une capacité de 8 litres; malgré le peu de poids dont nous pouvions disposer, nous avons pourtant pu donner à ce récipient une solidité suffisante pour qu'il puisse résister, à l'épreuve, à plus de 20 atmosphères: dans nos expériences, la pression n'en a jamais dépassé 7; son poids n'était que de 700 grammes. La petite machine développant une force motrice d'environ 2kgm,6 par seconde, pesait 300 grammes; enfin, le poids total de l'appareil, monté sur roulettes était de 1k,750 (fig. 37); cet ensemble quittait le sol, à la vitesse de 8 mètres par seconde, quoique les résistances inutiles fussent presque égales à celles dues à l'ouverture de l'angle formé par les plans au-dessus de l'horizon. L'expérience a été faite en 1879 dans l'établissement militaire de Chalais-Meudon. L'aéroplane, attaché par une cordelette au centre d'un plancher circulaire, tournait autour de la piste; il a pu s'enlever du sol, et passer même une fois au-dessus de la tête d'un spectateur. Nous ne pouvons que renouveler ici les remerciements que nous avons déjà adressés à MM. Renard et Krebs, pour leur extrême obligeance et l'intérêt qu'ils semblaient prendre à nos essais.
Après ce résultat, nous avions formé le projet d'étudier avec cet appareil les avantages ou les inconvénients de l'emploi de plans plus ou moins étendus, d'angles plus ou moins ouverts, et enfin, de diverses vitesses dans chacun de ces cas; mais nos ressources, alors plus qu'épuisées par ces longs et coûteux travaux, ne nous le permirent pas et, à notre grand regret, nous avons dû depuis, nous contenter d'indiquer le programme de nos expériences, sans pouvoir le réaliser nous-même.
L'expérience que nous venons de rapporter corroborait, d'ailleurs, nos prévisions, et nous pensons aujourd'hui pouvoir tracer les lignes principales d'un aéroplane, sans crainte de commettre de grave erreur. Dans un aéroplane, comme dans un ballon, la résistance à la translation croît comme le carré de la vitesse; la force motrice devra donc, ici aussi, croître comme le cube de cette vitesse, mais comme, pour un angle donné et supposé invariable, la poussée de sustention et la résistance à la translation seront toujours dans le même rapport, le poids disponible augmentera avec le carré de la vitesse, de sorte qu'on se trouve sur ce point, plus avantagé qu'avec l'emploi des ballons.
Il faut remarquer, par contre, qu'avec le système aéroplane, les grandes constructions ne procureront que l'avantage de pouvoir obtenir des moteurs relativement plus légers et plus économiques.
Il est bien évident que les premiers essais qu'on pourrait traiter avec des aéroplanes ne seraient que d'une courte durée. Ayons d'abord des vues modestes. Qu'une machine aérienne fonctionne seulement une heure, une demi-heure même, à la vitesse d'une quinzaine de mètres par seconde, et le progrès accompli sera immense; on peut même dire que le problème sera entièrement résolu. Après ce premier pas, viendront rapidement les perfectionnements qu'indiquera l'expérience; les moteurs nouveaux deviendront un but de recherches qui ne tarderont pas à être fécondes, et l'humanité se trouvera enfin en possession du plus puissant engin qu'elle ait jamais imaginé.
Fig. 38.—Aéroplane de Michel Loup. (1852).
Beaucoup d'autres systèmes ont été proposés par les aviateurs. Michel Loup, en 1852, décrivit l'appareil que représente notre gravure (fig. 38). C'était un système formé par un plan de glissement devant s'avancer au moyen de quatre ailes tournantes. L'appareil était muni d'un gouvernail et de roues; il affectait l'aspect d'un oiseau quand on le voyait de profil.
Nous ne devons pas oublier de mentionner le nom d'un mathématicien pratique dont les travaux étaient fort dignes d'intérêt: de Louvrié. Il avait imaginé un système d'aéroplane, dont les ailes pouvaient être repliées comme celles de l'oiseau. Son système de cerf-volant parachute, dont nous donnons le schéma (fig. 39), fut soumis à l'examen de l'Académie des sciences, mais aucune expérience ne put avoir lieu.
Fig. 39.—Aéroscaphe de Louvrié.
Dans cet appareil il devait y avoir une hélice de propulsion, ou un moteur à mélange détonant produisant une réaction sur l'air.
Fig. 40.—Aéroplane monté sur roue de M. du Temple (1857).
Parmi les plus fervents disciples de l'aviation par les aéroplanes, nous aurons encore à citer les frères du Temple. Dès l'année 1857, M. Félix du Temple, alors lieutenant de vaisseau, prit un brevet d'invention pour un appareil de locomotion aérienne imitant le vol des oiseaux. Bientôt aidé de son frère, M. Louis du Temple, capitaine de frégate, auteur d'ouvrages de mécanique estimés, il eut l'idée de l'aéroplane que nous représentons (fig. 40). Cet aéroplane, formé de deux grandes ailes et d'une queue, était monté sur roue. À l'avant se trouvait une hélice d'aspiration, mise en mouvement par une machine à vapeur très légère. M. Louis du Temple a étudié avec un grand mérite les moteurs légers, et tout le monde connaît la chaudière à vapeur qui lui est due. Malgré les efforts les plus persévérants, aucun résultat d'expérimentation pratique de l'aéroplane ne put être obtenu.
Fig. 41.—Aéroplane de Thomas Moy (1871).
En 1858, Jullien, dont nous allons résumer plus loin les remarquables expériences d'aérostat allongé, voulut étudier ce que peuvent donner les appareils plus lourds que l'air. Il présenta à la Société d'encouragement pour l'aviation[48] un modèle d'aéroplane automoteur ne pesant que 36 grammes quoique ayant 1 mètre de longueur. Les propulseurs étaient des hélices à deux palettes. Le moteur, une simple lanière de caoutchouc analogue à celle qu'employait Pénaud. M. de la Landelle en a donné la description:
L'appareil, qui marchait en ligne droite et horizontale, papillonnait durant cinq secondes et parcourait une distance de douze mètres. La force dépensée était de 72 grammètres par seconde.
L'inventeur se proposait de construire un appareil de plus grande dimension, pesant 200 grammes et fonctionnant pendant 20 secondes, mais il ne donna pas suite à cette idée.
Vers la même époque M. Carlingford prit en Angleterre et en France un brevet d'invention pour un chariot ailé, muni d'une hélice de traction. Cet aéroplane singulier était destiné à être lancé en l'air au moyen d'une balançoire à laquelle on devait l'avoir préalablement suspendu. La seule force de l'homme qui s'y trouvait suspendu devait en outre permettre à l'appareil de voler comme l'oiseau dans toutes les directions.
Les projets d'aéroplanes sont innombrables et les aviateurs se nomment légion. Mais que de fois leurs projets sont absolument chimériques! Figurons à titre de curiosité de ce genre, un projet d'appareil proposé par Thomas Moy en 1871[49] (fig. 41). Deux plans inclinés seraient animés de mouvement dans l'air sous l'influence de grandes roues à hélice. Il est facile de figurer une machine sur le papier; mais l'art de la construire et de la faire fonctionner est plus difficile. C'est ce qu'oublient trop souvent les hommes que leur imagination entraîne loin du domaine de la science expérimentale.
Nous avons décrit les principes de l'aviation, nous avons parlé des expériences qui ont été faites. On a vu que malgré l'incontestable intérêt des études et des constructions exécutées, le plus lourd que l'air n'a pas réalisé jusqu'ici la navigation aérienne.
Est-ce à dire que la solution du problème de l'aviation n'est pas possible? Nous nous garderons de prononcer ce mot; mais il nous paraît certain qu'avec les ressources actuelles de la mécanique contemporaine, le problème ne saurait être résolu d'une façon pratique, les moteurs dont on dispose, étant beaucoup trop lourds.
TROISIÈME PARTIE
LE PROBLÈME DE LA DIRECTION DES BALLONS
On sent que tous les usages de l'aérostat se multiplieront, lorsque cette machine aura été perfectionnée, et même qu'ils deviendront d'une tout autre conséquence, si on parvient jamais à la diriger, comme tout semble en annoncer la possibilité.
(Rapport fait à l'Académie des sciences sur la machine aérostatique, par Lavoisier, Condorcet, etc., présenté le 24 décembre 1783.)
I
PREMIÈRES EXPÉRIENCES DE DIRECTION AÉRIENNE
Le ballon à rames de Blanchard. — Expériences de direction de Guyton de Morveau. — Miolan et Janinet. — Le projet du général Meusnier. — Études de Brisson. — Le premier ballon allongé des frères Robert. — Le Comte d'Artois, aérostat de Javel. — L'aéro-montgolfière de Pilâtre de Rozier. — Masse et Testu-Brissy.
Aussitôt que les frères Montgolfier eurent lancé dans l'espace le premier ballon à air chaud, que Pilâtre et Rozier et le marquis d'Arlandes eurent exécuté, à la date du 21 novembre 1783, le premier voyage aérien, que Charles et Robert, quelques jours après, le 1er décembre, se furent élevés du jardin des Tuileries dans le premier ballon à gaz hydrogène, on songea à se diriger dans l'atmosphère. Dès 1783, l'année même de la découverte, les projets surgirent, et, en 1784, nous n'allons pas avoir à enregistrer moins de cinq tentatives distinctes.
Blanchard est le premier en date. L'aviateur que nous avons vu dans la première partie de ce livre expérimenter les ailes de sa voiture volante, devint un des plus fervents disciples des frères Montgolfier; il songea à appliquer aux ballons son système de rames et conçut un système de direction très élémentaire. C'était un ballon sphérique, à gaz hydrogène, dont l'appendice portait un parachute: on pouvait manœuvrer dans la nacelle, deux ailes ou rames et un gouvernail (fig. 42).
Ce système ressemblait beaucoup à sa voiture volante, dont la curieuse caricature de la première Partie représente l'aspect d'ensemble. Blanchard avait, comme on le voit, appliqué à la nacelle d'un ballon à gaz les ailes et le parachute de son appareil d'aviation. C'est avec beaucoup de bon sens qu'il rendit hommage à la découverte des frères Montgolfier, et dans une lettre insérée dans le Journal de Paris, il convint de bonne grâce, qu'il ne se serait jamais élevé dans l'air sans les ballons.
Fig. 42.—Aérostat dirigeable de Blanchard (1789).
L'ascension de Blanchard eut lieu au Champ-de-Mars le 2 mars 1784; elle fut signalée par un incident curieux. Un jeune officier de l'école de Brienne, Dupont de Chamtbont, voulut monter de force dans la nacelle, et ayant tiré son épée, il blessa l'aéronaute à la main. Blanchard dut laisser ses ailes à terre: il n'emporta que son gouvernail et descendit à Billancourt. Il raconta qu'il avait opéré des manœuvres particulières, et qu'il avait réussi à marcher contre le vent[50] en manœuvrant l'appendice de l'aérostat, mais rien ne justifie ces affirmations: on se moqua de l'aéronaute, et des dessins satiriques furent faits contre lui. Blanchard, hâtons-nous de l'ajouter pour sa mémoire, se releva dignement de cet échec; il eut l'honneur de traverser pour la première fois le détroit du Pas-de-Calais en ballon, avec le Dr Jeffries, et il exécuta plus de cinquante ascensions qui font de lui un des premiers aéronautes français.
Au moment où ces expériences de Blanchard attiraient l'attention publique, un officier du génie d'un grand mérite, le général Meusnier[51], étudiait la construction d'un ballon allongé muni d'un propulseur, et Brisson, membre de l'Académie des sciences, se préparait à exposer nettement les conditions du problème de la direction des aérostats. Nous allons parler, un peu loin, des travaux de ces savants, qui ont jeté les premières bases de la navigation aérienne, mais nous voulons auparavant continuer ici l'énumération des essais qui ont été entrepris à l'aide des ballons sphériques.
Le 12 juin 1784 on vit s'élever, à Dijon, l'appareil dirigeable construit sous les auspices de Guyton de Morveau, par les soins de l'Académie de Dijon. Le célèbre physicien avait imaginé de fixer à l'équateur d'un aérostat sphérique, un cercle de bois, portant d'une part, deux grandes tablettes de soie tendue sur un cadre rigide, et d'autre part, un gouvernail. En outre, deux rames placées entre la proue et le gouvernail étaient destinées à battre l'air comme les ailes d'un oiseau (fig. 43). Tous ces organes se manœuvraient à l'aide de cordes, par les aéronautes dans la nacelle. C'est avec ces moyens d'action que Guyton de Morveau, de Virly et l'abbé Bertrand essayèrent de se diriger dans les airs; les expériences furent continuées longtemps, avec une grande persévérance, mais sans aucun succès. L'Académie de Dijon, on doit le reconnaître, ne recula, pour les mener à bonne fin, devant aucune dépense[52].
Fig. 43.—L'aérostat dirigeable l'Académie de Dijon, expérimenté par Guyton de Morveau en 1784.
Pendant que ces essais s'exécutaient à Dijon, on ne parlait à Paris que de la montgolfière dirigeable de deux physiciens, l'abbé Miolan et Janinet. Le système consistait en un grand écran en forme de queue de poisson, que les aéronautes devaient actionner dans la nacelle, à la façon d'une godille (fig. 44).
Fig. 44.—La Montgolfière dirigeable de Miolan et Janinet.
Les infortunés physiciens essayèrent de gonfler leur montgolfière le 11 juillet 1784[53], ils n'y réussirent point; la foule envahit l'enceinte de manœuvre, brisa tout autour d'elle, pendant que le feu dévorait le globe aérien. Miolan et Janinet furent l'objet d'une raillerie sans pitié; on les ridiculisa dans les estampes, et je possède dans ma collection aérostatique quelques curieuses caricatures à ce sujet, notamment une gravure qui représente l'abbé Miolan sous la forme d'un chat, Janinet sous celle d'un âne, triomphalement traînés par des baudets et conduits à «l'Académie de Montmartre».
De toutes parts on songeait à diriger les ballons, et tandis que Miolan et Janinet échouaient d'une façon si pitoyable, les frères Robert allaient expérimenter le premier aérostat allongé.
L'idée de ce mode de navigation appartient, comme nous l'avons dit précédemment, au général Meusnier, membre de l'Académie des sciences. Le général Meusnier, dans un remarquable mémoire, a jeté les bases de la navigation aérienne par les aérostats à hélice, et il a eu la première idée du ballonnet compensateur qui permet de monter et de descendre sans perdre de gaz et sans jeter de lest.
Voici le sommaire de ce que contient le travail de Meusnier.
Le savant officier du génie avait imaginé un aérostat à double enveloppe. L'hydrogène est contenu dans le ballon intérieur formé de soie rendue imperméable par un vernis au caoutchouc. Cette enveloppe doit être aussi légère qu'il est possible, plus grande que le volume du gaz qu'elle contient, en sorte qu'elle ne soit jamais complètement tendue à la partie inférieure. On la nomme enveloppe imperméable. La seconde enveloppe, dite de force, peut être de toile et d'autant plus épaisse que l'aérostat est plus grand; on la fortifie encore à l'extérieur par un réseau de cordes. Elle doit être imperméable à l'air atmosphérique comprimé. On laisse entre les deux enveloppes un assez grand espace dont nous allons voir l'usage.
Un tuyau de même tissu que l'enveloppe de force fait communiquer cette enveloppe avec une pompe foulante établie dans la nacelle. On peut, au moyen de cette pompe, comprimer l'air entre les deux enveloppes et augmenter ainsi la pesanteur spécifique du système. Comme l'enveloppe est disposée pour n'être presque pas extensible et comme les cordes dont elle est enveloppée extérieurement ne lui permettent pas de se déformer, on peut regarder le volume de l'aérostat comme à peu près invariable, tandis que son poids augmente ou diminue en raison de la densité moyenne des deux gaz qu'il contient. Ces gaz, séparés l'un de l'autre par l'enveloppe imperméable, sont constamment en équilibre de part et d'autre de cette enveloppe, qui, n'étant jamais tendue et ne supportant aucun effort, peut être du tissu le plus mince et le plus léger. Aussi, lorsque les aéronautes sont à une grande hauteur, il leur suffit, pour descendre, de faire agir la pompe foulante, tout le poids de l'air atmosphérique qu'ils introduisent entre les deux enveloppes, est ajouté à celui de l'aérostat, qui ne peut plus rester en équilibre que dans une couche plus dense, et par conséquent située à des niveaux inférieurs.
Quand on veut s'élever, il suffit d'ouvrir une soupape, et de laisser échapper l'air atmosphérique comprimé entre les deux enveloppes. Pour descendre à nouveau, on rétablit la compression de l'air et ainsi de suite indéfiniment.
L'aérostat du général Meusnier était de forme allongée, comme le montre la gravure ci-contre (fig. 45), empruntée à son mémoire. Le moteur consistait en palettes analogues aux ailes d'un moulin à vent et fixées à un axe horizontal que les hommes d'équipage devaient faire tourner. Meusnier calculait que ce propulseur à bras d'homme, ne procurerait qu'une marche assez lente de l'aérostat, à peu près une lieue à l'heure, mais, suivant le savant officier, le mouvement de translation ne devait servir, en le combinant avec le mouvement ascensionnel, qu'à chercher dans l'atmosphère un courant qui portât les aéronautes vers les lieux où ils voulaient se rendre. Il n'avait pas le projet de les conduire à leur destination par la seule action du propulseur.
L'aérostat du général Meusnier était muni d'un gouvernail à l'arrière de la nacelle allongée, et d'une ancre pour l'atterrissage. Il devait être d'un grand volume, afin d'avoir une force ascensionnelle considérable et un équipage nombreux. Le mémoire du général Meusnier est un des plus curieux documents de l'histoire de la navigation aérienne à ses débuts.
Fig. 45.—Projet d'aérostat dirigeable du général Meusnier (1784).
Un autre membre de l'Académie des sciences, homme d'un grand mérite et d'une haute érudition, Brisson, qui rédigea le 23 décembre 1783, avec Le Roy, Tillet, Cadet, Lavoisier, Bossut, de Condorcet et Desmarest, le célèbre Rapport sur la machine aérostatique par MM. Montgolfier, insista aussi à cette époque sur l'importance de la forme allongée, à donner aux ballons pour les diriger.
Le 24 janvier 1784, Brisson lut à l'Académie des sciences un mémoire additionnel dont il était le seul auteur, sur la direction des aérostats, et il émit d'excellentes idées sur ce problème.
La forme qui me paraît la plus convenable à adopter, dit Brisson, est celle d'un cylindre qui ait peu de diamètre et beaucoup de longueur; par exemple une longueur qui égale cinq ou six fois le diamètre; que ce cylindre soit placé de manière que son axe soit horizontal, et qu'il soit terminé en cône allongé à celle de ses extrémités qui doit se présenter au vent, afin d'éprouver de sa part une moindre résistance.
Brisson indique que dans ces conditions, il sera indifférent d'appliquer à la machine telle ou telle force motrice, pourvu qu'elle soit capable de vaincre celle du vent. «Mais où trouverons-nous cette force motrice, capable de vaincre celle du vent? J'avoue que je commence à en désespérer», ajoute le savant académicien. Brisson parle de la force humaine actionnant des rames, assurément insuffisante, et il ne semble pas supposer que, dans l'avenir, apparaîtront de nouveaux moteurs qui pourront changer la face du problème. Il ajoute que le judicieux emploi des courants aériens superposés dans l'atmosphère pourra être souvent utilisé.
On sait, dit Brisson[54], et les expériences qu'on a faites avec les aérostats ont prouvé qu'il y a dans l'atmosphère, à différents hauteurs, des courants qui ont des directions différentes. M. Meunier (sic), de l'Académie des sciences, a donné le moyen simple de se soutenir à telle hauteur qu'on voudra, en comprimant plus ou moins le gaz renfermé dans l'aérostat. Ce moyen consiste à composer l'aérostat d'une double enveloppe: on remplit l'enveloppe intérieure de gaz inflammable, et lorsqu'on veut comprimer cette masse de gaz, on fait passer, par le moyen d'un soufflet à soupape, de l'air atmosphérique entre les deux enveloppes, ce qui rend la machine plus pesante et l'oblige à descendre. Si l'on veut remonter, on permet à cet air de sortir: le gaz reprend alors son premier volume et perd l'excès de densité qu'on lui avait fait acquérir en le comprimant. Si donc il y a, comme nous venons de le dire, à différentes hauteurs, des courants qui ont des directions différentes, on pourrait choisir celui de ces courants qui aurait la direction la plus rapprochée de la route qu'on voudrait suivre. De cette manière, on arriverait au terme de son voyage par des chemins pris successivement à différentes hauteurs de l'atmosphère. Par ce moyen on éviterait toute la manœuvre nécessaire à la direction: l'aérostat serait beaucoup moins chargé et il n'aurait pas besoin d'être d'un aussi grand volume pour produire l'effet qu'on en attend. Si tous ces moyens sont insuffisants, il faudrait se résoudre à faire comme les marins, attendre que le vent soit favorable.
On a souvent discuté dans ces derniers temps pour savoir à qui appartenait, parmi les contemporains, la première idée des aérostats allongés; on voit qu'elle remonte à l'origine même de la découverte des ballons. Nous allons examiner ici le premier point que Brisson a si bien exposé dans son mémoire et parler de la première expérience d'aérostat allongé qui ait été exécutée. Nous reviendrons dans la suite sur la direction naturelle des aérostats par les courants aériens.
Les frères Robert construisirent leur ballon allongé dans le palais de Saint-Cloud, sous les auspices de M. le duc de Chartres, père du futur roi Louis-Philippe; cet aérostat de taffetas, enduit de gomme élastique et de vernis imperméable, avait 52 pieds de long sur 32 de diamètre; gonflé d'hydrogène pur, il était muni à sa partie inférieure d'une nacelle, ou char, comme on disait à cette époque, de 16 pieds de long. Ce char était d'un bois très léger, couvert d'un taffetas bleu de ciel, soutenu intérieurement par un filet. Cinq parasols ou ailes de taffetas bleu en forme de rames, devaient servir de propulseurs. Une grande rame rectangulaire placée à l'arrière jouait le rôle de gouvernail ou de godille (fig. 46).
Une première ascension fut exécutée le 15 juillet 1784; le départ se fit dans le parc de Saint-Cloud. Le duc de Chartres accompagnait lui-même les aéronautes, mais, par suite de circonstances peu favorables, il ne fut pas possible d'expérimenter les appareils de propulsion.
Fig. 46.—Le premier aérostat allongé des frères Robert. Expérience du 13 juillet 1784. (D'après une ancienne gravure.)
Une nouvelle expérience eut lieu à Paris, le 19 septembre 1784, et les aéronautes affirment qu'elle eut le succès le plus complet, puisqu'ils seraient arrivés à se dévier de 22 degrés de la ligne du vent. Le ballon fut rempli en trois heures par M. Vallet; après les signaux donnés, il fut conduit à onze heures trente minutes à l'estrade construite sur le bassin du jardin des Tuileries, en face le château; les cordes furent tenues par le maréchal de Richelieu, le maréchal de Biron, le bailli de Suffren et le duc de Chaulnes. La machine s'éleva à onze heures cinquante minutes, aux acclamations multiples d'une foule considérable. Les voyageurs, au nombre de trois, les deux frères Robert et Collin Hullin leur beau-frère, disparurent à midi, au delà des brumes de l'horizon. Au moment de la descente, qui eut lieu à six heures quarante minutes dans l'Artois, les voyageurs s'emparèrent des rames, qu'ils firent fonctionner de toute leur force.
Nous rompîmes, disent les frères Robert, l'inertie de la machine, et nous parcourûmes une ellipse dont le petit diamètre était d'environ 1 000 toises. Outre le spectre (ombre) de notre machine sur le sol, nous avions encore pour objet de comparaison les différentes pièces de terre, très distinctes les unes des autres, séparées par des lignes droites.
Les expérimentateurs calculèrent qu'ils purent obtenir une déviation de 22 degrés de la ligne du vent. La descente eut lieu dans des conditions très remarquables; nous laisserons à ce sujet la parole aux aéronautes:
À quelque distance d'Arras, nous aperçûmes un bois assez considérable: nous n'hésitâmes point de le traverser, quoiqu'il n'y eût presque plus de jour à terre, et en vingt minutes nous fûmes portés d'Arras dans la plaine de Beuvry, distante d'un quart de lieue de Béthune en Artois. Comme nous n'avions pu juger dans l'ombre le corps d'un vieux moulin sur lequel nous allions porter, nous nous en éloignâmes avec le secours de nos rames, et nous descendîmes au milieu d'une assemblée nombreuse d'habitants; ils ne furent point effrayés de voir notre machine, attendu que M. le prince de Ghistelles-Richebourg, protecteur et amateur zélé des sciences, venait de faire ce jour même une expérience dont ils avaient été témoins. Ce prince nous aborda avec le prince son fils; ils nous demandèrent notre nom, et nous offrirent de nous rendre avec notre machine à leur château. Nous fîmes tous nos efforts pour conduire notre machine dans le parc du château, à l'aide de tous les habitants du canton, qui se prêtèrent à nous obliger, et à conserver nos machines avec un zèle et une joie qu'il est difficile de peindre... M. le prince de Ghistelles nous fit l'honneur de nous accueillir en son château avec une bonté dont nous ressentons d'autant mieux le prix, qu'il nous est plus impossible de la rendre[55] (fig. 47).
Telle est l'expérience qui fut entreprise vers la fin de l'année 1784, à l'aide du premier aérostat allongé muni de propulseurs à rames.
Si l'idée de ce mode de navigation aérienne date de l'origine de la découverte des ballons, on a vu que celle d'utiliser les courants aériens n'est pas moins ancienne.
Fig. 47.—Le premier aérostat allongé des frères Robert, devant le château du prince de Ghistelles: expérience du 19 septembre 1784. (D'après une ancienne gravure.)
Pendant que les curieuses expériences des frères Robert s'accomplissaient, deux expérimentateurs persévérants, Alban et Vallet, directeurs d'une grande usine de produits chimiques, préparaient, dans l'établissement qu'ils dirigeaient à Javel, la confection d'un ballon dont la nacelle était munie d'un propulseur formé de quatre grandes ailes, rappelant la roue à aube d'un navire (fig. 48). Ce ballon, construit sous les auspices du comte d'Artois, avait reçu le nom de celui-ci. D'après les inventeurs, il paraît qu'il se dirigea par un temps calme. Voici quelques passages de la description qu'Alban et Vallet ont donnée de leur expérience:
Ce n'a été que vers la fin d'avril 1785 que nous avons eu pendant quelques jours un temps presque calme jusqu'au lever du soleil; nous en avons profité. Nous avions adapté un moulinet à la proue de la gondole, et à la poupe une aile, posée verticalement pour servir de gouvernail; le premier objet était de savoir si nous parviendrions avec ces machines à déplacer le ballon, et à lui imprimer un mouvement qui pût vaincre la résistance que sa surface devait éprouver.
Les auteurs racontent que dans d'autres expériences, il ont eu recours à des rames, et qu'ils essayèrent notamment ce nouveau système le 5 mai, jour de l'Ascension.
Nous reconnûmes, disent Alban et Vallet, que posées perpendiculairement, l'une à droite, l'autre à gauche, et mues alternativement, elles nous chassaient en avant plus promptement encore que le moulinet et qu'elles nous donnaient la facilité de retourner l'aérostat sur tous les sens à volonté.... Par les moments de calme, nous nous sommes promenés dans l'enceinte de notre manufacture, et nous en avons fait plusieurs fois le tour à volonté.
Plusieurs voyages aériens furent encore exécutés par Alban et Vallet, quelquefois accompagnés du comte d'Artois lui-même, le futur roi Charles X; et d'après les expérimentateurs quelques tentatives de direction furent couronnées de succès.
Fig. 48.—Le Comte d'Artois, aérostat de Javel (1785).
Le récit de ces résultats si heureux nous paraît assurément exagéré. Il est possible que par un temps absolument calme, les aéronautes aient obtenu une direction de leur aérostat, mais on ne saurait admettre qu'il y avait là le principe de la navigation aérienne. Si l'on se reporte à cette époque des débuts de l'aéronautique, on se rendra compte de l'insuffisance absolue des moyens d'action dont on pouvait disposer. La machine à vapeur n'existait pas dans le domaine de la pratique, et aucun moteur mécanique ne fonctionnait encore; l'hélice, qui est le plus favorable des propulseurs, n'était pas encore appliquée, et la force de l'homme était la seule à laquelle il fût possible de recourir.
Le grand problème de la direction des aérostats occupait cependant tous les esprits, car on considérait alors la solution comme prochaine. Joseph Montgolfier étudiait un aérostat à propulseur, il voulait lui donner une forme lenticulaire, afin de faciliter son passage au milieu de l'air[56], mais il ne mit jamais ce projet à exécution. L'intrépide Pilâtre de Rosier s'occupait de construire son aéro-montgolfière, au moyen de laquelle il voulait tenter ce passage de la Manche de France en Angleterre, que Blanchard avait réussi à exécuter en sens inverse, en compagnie du Dr Jeffries (janvier 1785). Pilâtre voulait monter et descendre dans l'atmosphère, sans perdre de gaz et sans jeter de lest, afin d'aller à la recherche de courants aériens favorables. Il avait imaginé de placer une montgolfière cylindrique, sous un aérostat de gaz, afin d'augmenter ou de diminuer à volonté la force ascensionnelle en chauffant ou en laissant refroidir le système. L'idée théorique était bonne, mais son exécution était difficile et dangereuse: placer le feu sous un ballon à gaz combustible, c'est, comme on l'a dit, mettre la mèche enflammée sous un baril de poudre. Pilâtre de Rosier, accompagné d'un jeune physicien nommé Romain, exécuta son expérience dans des conditions déplorables, avec un appareil en mauvais état. Il avait reçu des fonds du ministre, M. de Calonne, pour réaliser son essai, il croyait son honneur engagé; il partit avec Romain, qui n'avait pas voulu l'abandonner. L'aéro-montgolfière, sans qu'on ait jamais connu la vraie cause de la catastrophe, fut précipitée du haut des airs; elle tomba sur le rivage, où les infortunés aéronautes trouvèrent la mort, premiers martyrs de la navigation aérienne.
De toutes parts on élaborait des projets d'aérostats dirigeables; c'est par centaines que l'on pourrait les mentionner. Je me bornerai à en citer un qui attira l'attention à cette époque, et que l'on doit à un architecte nommé Masse.
Masse, comme un grand nombre d'autres observateurs, était persuadé qu'un propulseur efficace pour un aérostat, devait être copié sur le modèle de ceux que l'on voit fonctionner dans la nature, et qui sont mis en mouvement par les animaux. Ce ne furent pas les nageoires du poisson qui lui servirent de modèle, mais les doigts palmés du cygne. Voici comment l'auteur explique son système, non sans commettre une grave erreur, en comparant un oiseau aquatique qui flotte à la surface de l'eau à un ballon qui est immergé dans la masse de l'air.
Un cygne se trouvant porté par l'eau tel qu'un ballon l'est par l'air, et qui remonte le courant d'eau par le moyen de ses petites pattes qu'il reploie et développe quand il veut avancer; M. Masse a cherché à imiter ces sortes de pattes, et y a parfaitement réussi dans un modèle de sa machine qu'il a fait faire au quart de l'exécution et qui ne pèse que cinquante livres: les pattes du modèle sont assez grandes pour en sentir tous les effets et la réussite[57].
Fig. 49.—Projet d'aérostat dirigeable de Masse (1785).
Fig. 50.—Coupe longitudinale de la nacelle.
Le ballon avait à peu près la forme allongée de celui des frères Robert, il devait avoir 20 mètres de long, 10 mètres de diamètre. Outre les propulseurs que l'on devait actionner au moyen d'une roue, il y avait, à chaque extrémité de la nacelle, deux gouvernails «aussi en forme de pattes».
L'aérostat à pattes de cygne ne fut jamais construit.
Les tentatives de Blanchard, des frères Robert, d'Alban et de Vallet, que l'on pouvait croire alors couronnées de succès, déterminèrent les aéronautes, même quand ils employaient des ballons sphériques, à se pourvoir de rames de propulsion qu'ils actionnaient eux-mêmes. À cette époque, où l'on n'avait pas encore étudié d'une façon précise les courants superposés dans l'atmosphère, on pouvait s'imaginer, dans certaines circonstances spéciales, que l'action des rames tendait en effet à modifier le sens de translation de l'aérostat, tandis que celui-ci était en réalité entraîné par des courants aériens superposés ou par un vent dont la vitesse augmentait subitement.
Fig. 51.—Ballon à rames de Testu-Brissy.
C'est probablement ce qui arriva au docteur Potain, qui s'éleva en ballon, de Dublin en Irlande le 17 juin 1785, dans l'intention de traverser le canal Saint-Georges pour descendre en Angleterre. Le docteur Potain tenta de traverser ce bras de mer, mais il ne réussit pas dans son expérience, contrairement à ce que l'on a souvent dit, d'après les affirmations de Dupuis-Delcourt[58]. Voici, en effet, un extrait du récit de l'époque, publié par le docteur Potain lui-même[59]:
Le ballon prit d'abord la direction du nord-est; mais, remontant ensuite un courant d'air supérieur, il changea aussitôt et fit marche presque en sens contraire, ce qui le fit paraître pendant quelque temps s'avançant à pleines voiles vers la mer; mais, s'élevant à une hauteur plus considérable, il changea de nouveau de direction et prit celle du nord. Il demeura dans cette position pendant plus de trois quarts d'heure, paraissant faire route au-dessus des contrées de Wikols et de Worford, jusqu'à ce qu'enfin il ne fut plus possible à l'œil de le suivre. Le docteur Potain dut être extrêmement mortifié de se voir frustré de l'espérance qu'il avait eue que son ballon se dirigerait vers la mer, ayant toujours témoigné la plus grande envie qu'il prit cette direction pour avoir la gloire de passer le canal et de descendre en Angleterre.
Si le docteur Potain ne traversa pas la mer, il se dirigea vers la mer, et suivit ensuite à différentes altitudes des routes opposées. Il n'en fallait pas plus pour faire dire que les ailes dont la nacelle était munie, avaient été efficaces. Mais il n'en fut rien. Voici ce que l'expérimentateur en a dit:
Mes ailes avaient du rapport avec celles de Blanchard, sans être aussi compliquées, et d'une manœuvre plus facile; mon moulinet, en le faisant agir, prenait l'air en biais, et je tournais sur mon axe. Ces évolutions, faites à l'aide du ballon, ont réussi: le gouvernail ne servait que d'enjolivement, la direction n'étant point trouvée, cependant je l'avais annoncée, et je l'ai tentée sans succès.
On voit d'après ce passage, d'ailleurs un peu confus, que les appréciations élogieuses qui ont été faites des expériences du docteur Potain, ne sont pas justifiées, et que son ascension ne doit attirer l'attention que parce qu'il rencontra des courants aériens de différentes directions.
À côté du nom de Potain, nous devons placer celui du comte Zambeccari, qui exécuta plusieurs tentatives de direction aérienne au moyen de rames, et à l'aide d'un système ascensionnel analogue à celui que Pilâtre de Rozier proposa, et qui consistait à joindre une montgolfière à un ballon à gaz. Zambeccari exécuta de remarquables voyages aériens, mais il ne réussit en aucune façon dans ses essais de direction.
Un nouveau venu allait bientôt se présenter encore sur la scène de l'aéronautique; nous voulons parler de Testu-Brissy, qui exécuta, à partir de l'année 1786, un grand nombre de voyages aériens. Sa nacelle était munie de rames d'une forme particulière (fig. 51), à l'instar de celle de Blanchard, dont il fut momentanément un des émules. Il ne tarda pas à inaugurer les ascensions équestres, et il s'éleva plusieurs fois dans un ballon allongé, au-dessous duquel la nacelle, en forme de plateau rectangulaire, soutenait Testu-Brissy, monté sur un cheval. Ces exercices d'aérostation publique devaient être plus tard renouvelés par l'aéronaute Poitevin. Ils n'offrent point d'intérêt pour notre étude de navigation aérienne.
II
LES BALLONS À VOILES
Conditions de translation d'un aérostat dans l'air. — Il n'y a pas de vent en ballon. — Erreur des auteurs de projets de ballons à voiles. — Tissandier de la Mothe. — Martyn. — Guyot. — Le véritable navigateur aérien. — La Minerve de Robertson. — Terzuolo et le vent factice.
Quand un ballon, dépourvu de tout propulseur, est en équilibre dans l'air et se déplace horizontalement par rapport à la surface du sol, il se trouve, relativement à l'air ambiant au sein duquel il est plongé, dans la plus complète immobilité. Il n'a aucun mouvement qui lui soit propre; ce n'est pas lui qui marche; c'est la masse d'air au milieu de laquelle il est immergé et comme enclavé. Tout est immobile autour de l'aéronaute quand il se trouve à une même altitude; son drapeau n'est pas agité, il ne sent pas l'action du vent, quand bien même le courant aérien dans lequel il est baigné, l'entraînerait avec une grande-vitesse. Comme l'a dit un praticien expert, des bulles de savon qu'il poserait devant lui sur une planchette, y resteraient dans un état de repos complet, et la flamme d'une bougie n'y vacillerait pas. Le ballon est exactement dans les mêmes conditions, par rapport au courant aérien où il est plongé, qu'une boule de bois qui serait lestée dans le courant d'un fleuve; cette boule avance, mais ce n'est pas elle qui marche, c'est l'eau dans laquelle elle est plongée.
On voit donc combien il est illusoire d'admettre que des voiles pourraient avoir la moindre influence sur la propulsion d'un aérostat; elles ne seraient jamais gonflées, par cette raison qu'il n'y pas de vent en ballon. Malgré l'évidence des faits, on ne saurait croire combien ont été nombreux les inventeurs qui ont proposé de munir les ballons de voiles, à l'instar des navires, auxquels cependant ils ressemblent si peu dans leur mode de translation. Nous avons résolu de faire connaître dans ce chapitre quelques-unes des propositions qui ont été faites à ce sujet, depuis l'origine même de la navigation aérienne; nous y joindrons l'histoire de quelques autres utopies plus ou moins irréalisables, qui nous donneront l'occasion d'indiquer à nos lecteurs les écueils de l'imagination, quand elle n'est pas guidée par le raisonnement et la pratique.
Les archives de l'Académie des sciences sont encombrées de projets de ballons à voiles, et les écrits du temps des Montgolfier, sont remplis de systèmes analogues.
Nous reproduisons ici, à titre de curiosité, l'un des premiers mémoires qui aient été présentés à l'Académie des sciences à ce sujet. Par une singulière coïncidence, l'auteur, qui était, comme on va le voir, ancien secrétaire des vaisseaux du roi, portait le nom de l'auteur de ce livre.