← Retour

La Navigation Aérienne L'aviation Et La Direction Des Aérostats Dans Les Temps Anciens Et Modernes

16px
100%

Paris, ce 23 janvier 1784.

Messieurs,

Les imaginations échauffées par la sublime découverte de M. de Montgolfier s'occupent à chercher le moyen de la diriger: tout le monde semble comme défié de le trouver.

Voulez-vous bien, Messieurs, que j'aie l'honneur de vous présenter mes idées sur cette découverte, et sur la direction à volonté de ce globe aérostatique; ce projet conçu depuis quelques jours, mûrement examiné d'après les manœuvres dont j'ai acquis la connaissance sur les vaisseaux, m'ayant paru possible, je le soumets à votre décision ayant la plus grande confiance, fondée sur la vénération que vos sciences vous ont acquise de l'Europe dont vous êtes le flambeau.

J'ai l'honneur d'être avec un profond respect,

Messieurs,
Votre très humble et très obéissant serviteur,

Tissandier de la Mothe,

ancien secrétaire des vaisseaux du Roy.

À Messieurs,

Messieurs les Académiciens préposés à l'Examen des Projets sur le globe aérostatique.

Le globe aérostatique voguant dans les airs au gré des vents comme un vaisseau vogue sur l'eau, et étant à son élément ce que le vaisseau est au sien, doit être dirigé par les mêmes principes et ce ne peut être que par le moyen de voiles qu'il faudrait ainsi que sur les vaisseaux pouvoir diriger à volonté afin de tenir une route certaine.

Six voiles en forme d'étoile de la grandeur du globe et dont le mouvement à volonté en parcourrait la circonférence, horizontalement, suffiraient déjà je pense pour le pousser à tous airs du vent.

Ce mouvement se ferait autour du globe par le moyen d'une baguette de cuivre attachée à un mât ou pivot placé au centre de la partie supérieure et descendrait en demi-cercle jusqu'au char ou gallerie pour être à portée des navigateurs qui en dirigeraient le mouvement à la main; cette baguette serait ajustée au mât, de manière à tourner à tous vents, enfin comme une girouette aurait la même facilité de tourner, mais serait retenue en bas dans une parfaite immobilité et ne deviendrait mobile que par la main des navigateurs.

Ce soleil ou étoile serait adapté au milieu de cette baguette et en suivrait la direction.

Comme le principe fondamental du globe Montgolfier est la légèreté même, les voiles seraient construites de la manière la plus légère, encore plus s'il est possible qu'un parapluie, et pourraient être tendues sur des fils de cuivre ou de fer, qui traceraient la forme de l'étoile; d'ailleurs cette combinaison se ferait suivant la grandeur et la force du globe; plus il serait grand, plus les voiles seraient légères à proportion.

Ce soleil pousserait les voiles également de haut en bas, milieu et côtés, et la baguette sur laquelle il serait appuyé, se tiendrait un tant soit peu éloignée du globe, ou si cela n'était pas possible, en mettant une toile forte sous cette baguette, on pourrait la poser de manière à toucher le contour du globe et la toile éviterait un plus grand frottement de la part du grand conducteur et en dirigeant le mouvement on l'en écarterait.

Un triangle allongé en forme de queue de poisson placé au centre du soleil, ferait les mêmes fonctions qu'un gouvernail à bord d'un vaisseau et serait dirigé par le même procédé que le grand conducteur le serait au haut du globe.

Ces six voiles pourraient aussi être faites de façon à se replier l'une sur l'autre dans une tempête, celles du milieu de chaque côté pourraient être immobiles, et ce serait sur elles devant ou derrière que les autres se replieraient.

La pesanteur que ce soleil occasionnerait plus d'un côté que de l'autre suivant l'endroit où le globe se trouverait, serait contre-balancée par des poids qu'on mettrait dans la gallerie du côté opposé ou par le passage des navigateurs sous le vent, il faudrait cependant que le côté où le soleil serait placé fût plus lourd que l'autre, c'est du moins ainsi qu'on en use dans l'arrimage d'un vaisseau, où l'on met plus de poids sur le derrière que sur le devant.

Le soleil placé, le mouvement du conducteur libre, il sera très facile de diriger le globe Montgolfier et de tenir une route certaine à tous vents, vent arrière, vent largue, virer vent arrière même, vent devant et en général se servir du globe comme d'un vaisseau.

Ce serait donc à l'Académie si après avoir examiné ce projet, elle y voit comme moi de la possibilité, à en confier l'exécution à quelques habiles mécaniciens, qui par leur adresse le simplifieraient, avouant que ayant la théorie et n'étant point mécanicien, je n'en pourrai point donner d'idées précises suivant les règles de cet art et que c'est en qualité de marin que je vous présente ce projet, proposant que si l'exécution s'en ferait, de le diriger suivant les principes reçus sur mer.

Nous devons ajouter que l'Académie des sciences jugea à leur juste valeur les projets analogues de ballons à voiles, et les condamna sans hésiter, comme on va le voir par l'extrait suivant, que nous empruntons aux registres de l'Académie des sciences (séance du 17 mars 1784):

Les Commissaires nommés par l'Académie pour examiner un mémoire envoyé par M. Tissandier de la Mothe, ancien secrétaire des vaisseaux du roi, en ont rendu le compte suivant.

Le moyen que M. Tissandier propose pour la direction des machines aérostatiques consiste en six voiles disposées en manière de rose ou de toile dont la construction et la manœuvre sont décrits d'une manière peu intelligibles. Quoi qu'il en soit, comme M. Tissandier pense que l'action du vent modifiée par ces voiles doit porter la machine suivant toutes sortes de directions à volonté, les raisons exposées dans le précédent rapport contre l'action des voiles en général suffisent pour démontrer que cette idée est fausse et que ce mémoire ne mérite aucune approbation.

Au Louvre, le 17 mars 1784.

Avant le projet de Tissandier de la Mothe, un Anglais nommé Martyn avait imaginé le système que nous reproduisons d'après une très jolie gravure peinte de l'époque (fig. 52). Cette gravure porte une double légende, en anglais et en français; l'auteur y donne la description de son vaisseau aérien, qui comprend:

Un parachute pour descendre aisément dans le cas où le ballon viendrait à crever; une voile principale, une avant-voile, une voile de gouvernail pour diriger la machine.

Une copie de ce dessin, lit-on au bas de la gravure, a été présentée à S. A. R. le prince de Galles en novembre 1783, et une autre à l'Académie des sciences de Lyon en février 1784, par Thomas Martyn, King street, Covent Garden, à Londres.

Les journaux de 1784 à 1786 sont remplis de projets analogues, et les libraires publiaient aussi un grand nombre de brochures sur l'art de diriger les ballons. Les ballons à voiles occupent une large place dans ces élucubrations d'inventeurs, qui n'avaient en aucune façon la pratique de l'art qu'ils voulaient perfectionner.

Fig. 52.—Ballon à voiles et à parachute de Martyn (1783). (D'après une gravure de l'époque.)

Un constructeur de petits ballons de baudruche (ils avaient alors un très grand succès de la part des amateurs de physique), fit paraître une brochure qui eut un certain retentissement, sur la manière de diriger les ballons[60]. Guyot (c'est le nom de l'auteur) propose de donner à l'aérostat la forme ovoïdale que représente une des planches de son opuscule (fig. 53). Retombant dans l'erreur de ceux de ses contemporains qui se figuraient que le ballon peut être assimilé à un bateau, il munit la nacelle d'une voile et il s'exprime dans les termes suivants, dont le lecteur saura rectifier les erreurs:

Fig. 53.—Ballon ovoïdal à voile de Guyot (1784).

Il est aisé de voir que suivant cette forme, l'aérostat présentera toujours au vent le côté de l'ovale qui se termine en pointe.... À l'extrémité de la galerie, et en dehors du côté où l'ovale a le plus de largeur, on établira une voile soutenue par une perche ou mât; on attachera à l'extrémité de cette voile quatre cordages pour la faire mouvoir de côté ou d'autre à volonté.

Fig. 54.—Le véritable navigateur aérien. (Reproduction d'une gravure peinte de 1784.)

L'auteur ne doute pas du succès de son appareil, et on est étonné de tant de naïveté de la part d'un physicien.

Que dire du projet suivant (fig. 54), pompeusement présenté à la même époque, comme la solution complète du problème de la navigation aérienne. L'auteur anonyme de ce système extravagant, en donne la description dans une gravure peinte que nous reproduisons, et qui est publiée sous le titre: Le véritable navigateur aérien.

Il y a cinq ballons, «composés de trois enveloppes», dit la légende explicative; l'intérieure est de taffetas, l'autre de toile et la dernière de peau. Ces ballons enlèvent une sorte de navire qui a sept pieds de hauteur sur sept pieds de longueur; cette nacelle est recouverte de toile et «garnie de vitrages».

Deux ailes, de 60 pieds de longueur, ont une nervure qui les ploye pour favoriser l'ascension et qui leur donne à volonté une forme concave par le moyen d'une corde qui, étant arrêtée au centre du mât, sert à redresser les ailes au moment de la cadence.

L'auteur ajoute au bas de sa gravure l'observation suivante, qui donne les propriétés et les avantages de son appareil volant:

Ce globe, au moyen d'une mécanique très simple que l'auteur a inventée, et qu'un seul homme fait mouvoir très aisément, peut être dirigé dans tous les sens et même contre le vent. On peut le retenir à la hauteur qu'on désire et le faire monter et descendre à volonté sans perdre aucun gaz. Ce globe d'une construction nouvelle réunit encore plusieurs autres avantages qu'on reconnaîtra facilement à l'inspection et qu'il serait trop long de détailler ici. Il se propose d'exécuter son projet si l'on veut le faciliter.

N'est-ce pas sans doute pour se moquer de ces inventeurs de ballons à voiles que le célèbre physicien Robertson publia plus tard, en 1803, une brochure qui eut un grand succès[61], et dans laquelle il décrivit sous le nom de la Minerve, un immense ballon à voile de 50 mètres de diamètre, capable d'élever 72 000 kilogrammes et destiné à faire voyager dans tous les pays du monde «60 personnes instruites choisies par les académies», pour faire des observations scientifiques et des découvertes géographiques.

Nous donnons à la page suivante le dessin de ce ballon gigantesque (fig. 55). Il suffit de le considérer pour voir que Robertson a voulu se jouer de son lecteur, ou plaisanter, comme nous venons de le dire, les inventeurs d'aérostats dirigeables. Nous donnons d'après lui la description suivante de l'appareil:

En haut de la machine est un coq, symbole de la vigilance: «un observateur intérieurement placé à l'œil de ce coq, surveille tout ce qui peut arriver dans l'hémisphère supérieur du ballon; il annonce aussi l'heure à tout l'équipage.»

Fig. 55.—La Minerve, grand navire aérien de Robertson (1803).

Ce ballon enlève un navire qui réunit, dit l'inventeur, toutes les choses nécessaires. Il y a un grand magasin aux provisions, une cuisine, un laboratoire, une salle de conférences, un salon pour la musique, un atelier pour la menuiserie, enfin au-dessous du navire est «un logement pour quelques dames curieuses». Ce pavillon, ajoute Robertson, est éloigné du grand corps de logis, «dans la crainte de donner des distractions aux savants voyageurs».

Fig. 56.—Voile de direction d'un ballon gonflée par un ventilateur.
Projet Terzuolo.

N'avais-je pas raison de prévenir le lecteur que le projet de Robertson, qu'un certain nombre d'historiens ont eu le tort de prendre au sérieux, ne pouvait être accepté que comme une amusante plaisanterie?

Il n'en est pas de même du projet ci-dessus (fig. 56), qui a été proposé à une époque beaucoup plus récente en 1855, par M. E. P. Terzuolo. Il montre jusqu'à quel point peuvent s'égarer les esprits qui ne sont point suffisamment initiés aux principes de la mécanique et de l'aéronautique. L'auteur de ce projet étonnant, n'ignore pas qu'il n'existe point de vent en ballon: il propose d'en produire artificiellement au moyen de ventilateurs placés dans la nacelle. M. Terzuolo insuffle de l'air dans des tubes évasés qui gonflent la toile, et doivent d'après lui «déterminer la marche en avant[62]».

Le baron de Crac, dont les aventures sont célèbres, s'est un jour retiré d'une rivière, où il se noyait, par un procédé analogue; il sortit son bras de l'eau, et se souleva lui-même par les cheveux!

Ô Navigation aérienne que de naïvetés on a commises en ton nom!

III
LES BALLONS PLANEURS

Utilisation du courant d'air vertical produit par la montée ou la descente d'un ballon dans l'air. — Projet du baron Scott en 1788 et de Hénin en 1801. — Pétin. — Prosper Meller. — Projets de Dupuis-Delcourt. — Le ballon de cuivre. — Système mécanique du docteur Van Hecke pour monter et descendre sans jeter de lest et sans perdre de gaz. — Société générale de navigation aérienne. — Projets divers.

Nous avons montré qu'il n'y avait pas de vent en ballon; cela est vrai quand l'aéronaute plane à une même hauteur au-dessus du niveau de la mer; mais quand le voyageur aérien monte ou descend dans l'atmosphère, par suite d'une augmentation ou d'une diminution de la force ascensionnelle dont il dispose, en jetant du lest ou en perdant du gaz, il ressent très nettement l'action d'un courant d'air vertical de haut en bas ou de bas en haut.

Ne serait-il pas possible de profiter de cette action du vent vertical, obtenu pendant l'ascension ou la descente, pour diriger l'aérostat dans un sens ou dans un autre? C'est à quoi ont pensé un assez grand nombre d'inventeurs qui ont cru devoir répondre par l'affirmative. Prenez à la main un écran, soulevez-le vivement en le tenant horizontalement et à plat, vous vous apercevrez que l'air oppose une résistance très sensible; recommencez l'expérience, en inclinant l'écran de manière à ce que sa surface forme un angle appréciable avec la ligne de l'horizon, vous verrez que l'air, en glissant sur le plan incliné, fait dévier ce plan dans le sens opposé à son inclinaison. Votre bras, si vous agissez violemment, sera entraîné obliquement par le mouvement de l'écran.

D'après ce principe, on s'est trouvé conduit à proposer de munir l'aérostat de grandes surfaces planes, qui, inclinées convenablement, le dirigeraient dans un sens ou dans un autre, pendant sa montée ou sa descente. On a encore pensé à se servir du ballon lui-même comme d'un plan incliné, en donnant au navire aérien la propriété de s'incliner au gré du pilote aérien. Si ces méthodes sont efficaces, il suffirait de s'élever et de descendre successivement, sans perdre de gaz et sans jeter de lest, pour que le ballon puisse en quelque sorte tirer des bordées dans le sens de la verticale.

Telle est l'idée fondamentale qui a servi de base à un grand nombre de projets, paraissant rationnels au premier examen, et que nous avons réunis sous le nom de ballons planeurs.

Un officier distingué de notre armée, le baron Scott, capitaine de dragons, exposa le principe des ballons planeurs en 1789[63].

Lorsqu'on a décidé, dit le baron Scott, qu'on ne parviendrait jamais à diriger les machines aérostatiques, on entendait sûrement celles de ces machines avec lesquelles on a fait les expériences ascensionnelles: en effet elles avaient reçu une forme (celle sphérique) qui s'opposait si invinciblement à leur direction que ce n'est pas sans raison qu'on avait jugé qu'il serait toujours impossible de leur adapter des agents qui eussent l'excès de puissance indispensable à l'effet qui doit être produit, pour procurer la direction. Aussi n'est-ce point de semblables machines dont j'entends parler, lorsque j'en annonce une qui sera dirigée à volonté; mais d'un aérostat dont la forme permettra cet excès de puissance aux agents dont il sera muni, lequel aura une enveloppe constamment imperméable, et assez solide pour résister au frottement du courant d'air contre lequel on le fera cingler.

Le baron Scott a donné une description très étendue, quoique souvent bien confuse, de son aérostat dirigeable. Il insiste longuement sur la nécessité d'abandonner la forme sphérique, et de recourir à une forme allongée analogue à celle des poissons (fig. 57). Son navire aérien devait être de très grande dimension, formé d'une double enveloppe d'une grande solidité et muni de deux poches ou sortes de vessies natatoires, où l'on pourrait comprimer et décomprimer de l'air, pour faire monter et descendre à volonté le système sans perdre de gaz et sans jeter de lest, d'après le principe du général Meusnier. Le baron Scott admet qu'en comprimant l'air dans la poche d'avant ou d'arrière, on peut incliner le navire aérien dans un sens ou dans l'autre, et lui donner ce qu'il appelle la position ascendante (fig. 58) ou descendante quand sa pointe d'avant est dirigée vers le sol.

La nacelle devait être suspendue dans une cavité spéciale réservée à la partie inférieure de l'aérostat, et cette nacelle pouvait être à volonté exposée à l'air libre, ou recouverte de toiles, qui l'enfermaient en quelque sorte dans le corps même du ballon-poisson. Un gouvernail était disposé à l'arrière du navire, qui devait comprendre, en outre, des rames de propulsion, pour accroître le mouvement de direction pendant la montée ou pendant la descente.

Fig. 57.—Projet de ballon-poisson du baron Scott (1789).
Vue de l'aérostat lorsqu'il a ses pavois baissés.

Le baron Scott avait étudié son projet dès l'année 1788; il publia son travail en 1789, à une époque où les grands événements de la Révolution française allaient détourner les esprits du problème de la direction des aérostats. Il se trouva dans l'impossibilité de donner suite à ses études.

Au commencement du siècle, en 1801, un autre officier de l'armée, F. Hénin, chef d'escadron dans la même arme que le baron Scott, au 15e régiment de dragons, proposa encore de se servir des courants descendants ou ascendants, déterminés par la montée ou la descente de l'aérostat, pour diriger un ballon dans un sens déterminé, à l'aide de voiles et d'un grand parachute retourné sous la nacelle. Hénin lut son mémoire le 20 thermidor de l'an X à la Société académique des sciences de Paris, séante au Louvre: mais son travail très sommaire et peu explicite[64] ne mérite guère de fixer l'attention, et le dessin qu'il a donné de son système n'offre aucun caractère d'intérêt spécial (fig. 59).

Fig. 58.—Le même aérostat dans son inclinaison ascendante.

Nous ne nous arrêterons point à examiner les systèmes analogues qui ont été proposés en grand nombre, il nous suffira d'avoir indiqué leur caractère fondamental par quelques exemples.

Arrivons au milieu de notre siècle, à une époque fort curieuse de l'histoire qui nous occupe.

En 1849, apparut sur la scène de la navigation aérienne un homme qui devait pendant quelques années attirer l'attention de l'Europe entière; nous voulons parler de Pétin, qui imagina de construire un système formé de plusieurs ballons sphériques, enlevant une grande charpente, au centre de laquelle on pourrait disposer des plans inclinés, pour diriger le système dans les mouvements de montée et de descente. Pétin avait déjà proposé plusieurs autres procédés, comme l'indique le document inédit que nous allons publier, et que nous avons trouvé dans les papiers de Dupuis-Delcourt, actuellement en notre possession. Dupuis-Delcourt écrivait les lignes suivantes en 1850:

Fig. 59.—Projet de Hénin (1801).

M. Pétin, qui se révèle aujourd'hui avec tant d'éclat au public est un marchand mercier de la rue Rambuteau à Paris, il était donc parfaitement inconnu dans le monde savant et dans le monde marchand, car son établissement commercial, au franc Picard, est de la plus mince apparence.

Il y a quelques années, M. Pétin commença à s'agiter en façon d'aérostation. Comme tout le monde, il voulait diriger les ballons. C'est alors qu'il publia d'abord un, puis successivement deux, trois et enfin un quatrième projet de navires aériens, différents entre eux, de formes et de principes, dans lesquels il a fait figurer tant bien que mal tous les projets, toutes les idées ou à peu près précédemment émises par les inventeurs si nombreux qui ont précédé M. Pétin dans la carrière. Seulement, M. Pétin n'a pas d'idées fixes ni parfaitement arrêtées, car dans ses différents projets, si dissemblables entre eux, et aujourd'hui même encore que son vaisseau est prêt à mettre à la voile, M. Pétin change à tous moments les organes les plus essentiels, les plus fondamentaux de son œuvre. C'est ainsi, par exemple, que les quatre hélices représentées sur la figure du vaisseau aérien, seront probablement et définitivement remplacées par une hélice unique.

M. Pétin s'est donc successivement adressé au plan incliné proposé à l'origine des ballons par Montgolfier lui-même, et vingt fois depuis mis en pratique, mais toujours inutilement ou avec de faibles avantages; aux roues à palettes, aux turbines, à l'hélice, à la voile; c'est à ce dernier moyen qu'il s'en tiendra dans la prochaine expérience qu'il nous promet, si nous nous en rapportons aux renseignements qui nous ont été fournis dans les ateliers mêmes de M. Pétin par M. le capitaine de marine Dupré (?), qui paraît avoir été choisi par l'inventeur pour diriger la manœuvre du vaisseau aérien.

Pétin a publié, en effet, divers dessins de son projet; nous reproduisons l'un d'eux, où l'on voit de grandes hélices figurer au-dessous des plans inclinés (fig. 60). D'autres dessins montrent une série de plans inclinés au milieu du châssis inférieur. Pétin exposa son système au public, dans ses ateliers de la rue Marbœuf; il reçut la visite du Président de la République, qui fut le premier souscripteur de son système. L'heureux inventeur trouva enfin dans Théophile Gautier un apologiste ardent, qui contribua à le rendre célèbre, et à attirer l'attention du monde sur ses projets.

On sera étonné aujourd'hui de voir jusqu'à quel point peut s'égarer dans ses appréciations, un écrivain et un poète, quand il traite de questions qui ne lui sont point connues. Voici les principaux passages du feuilleton que Théophile Gauthier publia dans la Presse sur le navire aérien de M. Pétin:

Fig. 60.—Navire aérien de Pétin (1850).

Nous avons dit quelques mots, plus haut, de M. Pétin; parlons maintenant de son système. Ce n'est plus seulement un aérostat dans les conditions ordinaires; c'est une combinaison grandiose, c'est un véritable navire avec tous ses agrès, qu'on peut voir d'ailleurs, puisqu'il est exposé aux regards de tous, aux Champs-Élysées, rue Marbœuf. L'espoir de la navigation aérienne est là. Si le succès couronne ses efforts, gloire éternelle à M. Pétin!

Ce navire suspendu dans les airs par trois énormes aérostats reliés entre eux, a 70 mètres (210 pieds) de longueur sur 10 mètres (30 pieds) de largeur, 12 156 mètres carrés de superficie, et les aérostats cubent 4 190 mètres de gaz. La force ascensionnelle est égale à 15 000 kilogrammes. La grande dimension de cet appareil, qui présente quelque chose comme la nef de Notre-Dame ou un vaisseau de guerre avec sa mâture, n'a rien qui doive étonner. Dans l'air, ce n'est pas la place qui manque, et M. Pétin a eu raison d'en user largement. En augmentant ainsi le poids de son navire, il accroît sa force de résistance contre les courants d'air horizontaux, et, d'ailleurs, ne sait-on pas que le même vent qui fait chavirer une nacelle n'émeut seulement pas un navire à trois ponts? La proportion gigantesque du navire de M. Pétin est, donc une garantie de sécurité. Le mouvement se fait au moyen d'un centre de gravité et d'une rupture d'équilibre aux extrémités. Jusqu'à présent, on n'avait pas trouvé pour les ballons ce centre de gravité et voilà pourquoi toute marche était impossible. Il existait pourtant, et le mérite de M. Pétin est d'avoir su le trouver. Ce point d'appui, il se l'est procuré, par un moyen d'une simplicité extrême. Il a établi sur le second pont de son navire, dans l'endroit que laissent libre les ballons, de vastes châssis posés horizontalement et garnis de toiles à peu près comme des ailes de moulin à vent. Ces châssis se remploient à volonté. Les ailerons se ramènent sur les ailes aisément et rapidement, de manière à offrir plus ou moins de résistance dans l'ascension et la descente, selon les mouvements qu'on veut produire. Au centre de ce plancher mobile sont disposés parallèlement, car la nature procède toujours ainsi, deux demi-globes fixés sur leurs bords et libres de se gonfler dans un sens ou dans l'autre. Lorsqu'on monte, l'air s'engouffre dans leur cavité et les arrondit par sa pression, qui est immense comme on sait. Les deux demi-sphères décrivent un arc renversé du côté de la terre, et retardent cette force d'ascension verticale qui opère par éloignement de la circonférence et dans le sens du rayon.

Lorsqu'on se rapproche de la terre, les deux globes se retournent, prennent l'apparence de coupoles et ralentissent la descente. Tout à l'heure le point d'appui était au-dessus de l'appareil, maintenant il est au-dessous; aussi l'un retient et l'autre soutient. Voilà le centre de gravité, le point d'appui trouvé. Nous allons voir comment M. Pétin en tire parti. Les ailes du plancher horizontal, qui forme le second pont de son navire, lorsqu'elles sont étendues également, présentent à l'air une résistance uniforme dans le sens ascensionnel ou descensionnel; mais, en repliant les toiles des extrémités vers le centre, la résistance devient inégale, l'air passe librement, et l'un des côtés se trouve plus chargé que l'autre; il y a rupture d'équilibre, la balance représentée par le plancher horizontal, et dont les coupoles déterminent le centre de gravité, penche et glisse sur le plan incliné formé par l'air sous-jacent; ou bien, si le mouvement se fait en sens inverse, l'appareil remonte en suivant une ligne diagonale, en dessous d'un plan incliné formé par l'air supérieur.

Voici donc, et là est tout l'avenir de la navigation, la fatale ligne perpendiculaire rompue. Procéder en ligne diagonale, c'est avancer, et tout corps lancé sur une pente reçoit de cette projection le mouvement.

Jusqu'à présent, M. Pétin ne s'est servi que de l'air-résistance, dont l'action est verticale, et non de l'air-vitesse, dont l'action est horizontale, et qui procède par éloignement du rayon dans le sens de la circonférence. Un des plus grands obstacles à la direction des ballons ce sont les courants d'air qui peuvent faire dévier le ballon de sa route.

Comme M. Pétin peut, en levant ou en abaissant la proue de son navire, se faire prendre en dessus ou en dessous par le courant d'air arrêté dans les ailes, et filer en montant ou en descendant, sans surmonter tout à fait la force de l'air-vitesse lorsqu'elle est contraire, il la rompt et la brise, et diminue son recul à la façon d'un vaisseau qui louvoie contre le vent. Mais les diagonales ascendantes ou descendantes déterminées par la rupture d'équilibre, qui suffiraient dans un air tranquille ou avec un courant favorable, n'auraient pas assez de force dans des circonstances moins propices ou quand on voudrait obtenir une plus grande rapidité. M. Pétin a imaginé d'appliquer à son vaisseau aérien l'hélice inventée pour les bateaux à vapeur par Sauvage, ce grand génie si longtemps méconnu. Deux hélices mises en mouvement par deux turbines posées autour des globes parachutes et paramontes se vissent, pour ainsi dire, dans l'air, et opèrent des tractions énergiques. Lorsqu'on veut virer de bord, on laisse aller une poulie folle; une des hélices suspend sa rotation, et l'aérostat tourne sur lui-même ou décrit une courbe; enfin, il devient susceptible d'exécuter toutes les manœuvres d'un steamer.

Ces hélices peuvent être tournées à la main ou par tout autre moyen mécanique, si l'on ne veut pas employer les turbines qui ont le mérite d'utiliser une force qui ne coûte rien, la force ascendante et descendante.

S'il est permis d'affirmer une chose encore à l'état de projet, l'on n'avance rien que de parfaitement raisonnable et logique en disant que, dès aujourd'hui, le problème de la locomotion aérienne est résolu, ou bien toutes les lois physiques sont fausses, et la statistique n'existe pas.

L'appareil de M. Pétin offre plus de sûreté aux voyageurs que tout autre moyen de locomotion; ses trois ou quatre ballons crèveraient tous, ce qui est impossible, que les deux coupoles et les ailes rendraient sa chute si lente qu'elle serait sans danger, car son vaisseau est inchavirable et insubmersible. On tomberait dans la mer qu'on ne se noierait pas pour cela. Nous en sommes tellement certain, que nous avons retenu notre place pour le premier voyage.

Quoi qu'il en soit de toutes les opinions sur l'œuvre de M. Pétin, encore quelques jours et nous saurons à quoi nous en tenir; nous verrons enfin si le grand problème de l'aéronautique est trouvé. Tous les plus beaux discours ne valent pas une seule expérience. À l'œuvre donc, monsieur Pétin[65]!

Quand on se reporte aux journaux du temps, on se rend compte de l'émotion que produisit le projet de Pétin. On ne s'attendait à rien moins qu'à une révolution produite par la solution complète du grand problème. On en jugera par une notice que nous empruntons à l'Argus à la date du 14 septembre 1851. Cette notice fut reproduite par la plupart des journaux du temps.

Nous aurons dans quelques jours l'essai de navigation aérienne d'après le système Pétin, qui n'aboutit à rien moins qu'à la solution du problème de la direction des ballons.

Nous avons entendu de la bouche même de l'inventeur les explications les plus lucides sur sa curieuse découverte. Nous sommes encore sous le charme qui captivait son nombreux auditoire, à la suite de cette brillante description donnée ex professo.

Nous avons visité en détail l'appareil gigantesque au moyen duquel M. Pétin doit faire sa première expérience. Le vaste emplacement du Champ de Mars a été choisi par l'aéronaute mécanicien pour cette audacieuse tentative. Il eût été difficile de faire un autre choix, car la locomotive aérienne se développe avec toutes ses dépendances sur cinquante-quatre mètres de longueur, vingt-sept mètres de large et trente-six mètres de haut. Le point de départ est connu: il est possible, sans encombre; mais il est permis de se demander sur quel terrain ira se reposer cette immense machine à l'envergure géante. Espérons, toutefois, que M. Pétin a tout prévu et qu'il pourra, selon sa volonté, s'approcher ou s'éloigner des aspérités de nos villes ou des sommets raboteux de nos montagnes. La sûreté du nombreux équipage qui doit accompagner le premier capitaine de cet étrange navire, en dépend. Dans le cas de succès complet, aux termes du rapport de M. Reverchon, membre de l'Académie nationale, la locomotive aérostatique Pétin pourrait arriver à parcourir quelque chose comme huit cents kilomètres à l'heure. Pauvre chemin de fer, qui parcourez à peine quarante kilomètres dans le même espace de temps! l'invention de Pétin menace de vous réduire à l'état de tortue. Où allons-nous, grand Dieu! où s'arrêtera-t-on?

Que vit-on sortir de ces belles promesses? Rien, absolument rien. Pétin ne réussit même pas à s'élever une seule fois dans les airs avec son grand navire aérien. Il savait à peine calculer la force ascensionnelle d'un ballon: tant il est vrai que parfois l'opinion publique s'égare étrangement sur la valeur des hommes.

Après avoir piteusement échoué en France, Pétin traversa l'Atlantique; il ne réussit pas mieux aux États-Unis, et il revint en France, où il mourut misérablement.

Le principe des ballons planeurs ne tarda pas à être repris par un mécanicien nommé Prosper Meller, qui publia en 1851 divers projets de chemins de fer atmosphériques, formés de ballons captifs glissant sur des câbles tendus, et proposa de construire un grand navire aérien qui utiliserait la résistance de l'air pendant la montée ou la descente, pour obtenir la direction.

La puissance produite par la différence des résistances de l'air sur un aérostat allongé et incliné est d'autant plus précieuse, dit Prosper Meller[66], qu'elle ne nécessite aucun surcroît de poids; elle s'effectue d'elle-même, en augmentant ou en dirigeant la légèreté, de manière qu'en réservant toute la force ascensionnelle, elle ne nuit en rien à l'application de tout autre procédé.

Dans le projet de Prosper Meller, son aérostat allongé, qu'il désignait sous le nom de locomotive aérienne, devait avoir de grandes dimensions. Comme tous ceux qui se bornent à exposer la simple description de leur système, il ne semblait se rendre compte en aucune façon des difficultés pratiques de construction. Il proposait de construire le ballon en tôle de fer. Ne perdant pas de gaz, dit-il, «la machine conserverait sa force ascensionnelle; les variations atmosphériques ne feraient pas changer son volume, et enfin, l'océan ne serait plus pour elle qu'un détroit». La locomotive aérienne devait avoir la forme d'un cylindre terminé par deux cônes (fig. 61); elle devait être munie d'hélices sur ses parois. L'aérostat devait pouvoir s'incliner pour obtenir l'effet de direction.

Les parties supérieures et inférieures de notre locomotive, dit Meller, qui représentent deux vastes plans inclinés, produiront l'avancement horizontal en s'appuyant successivement sur l'air dans l'ascension et dans la descente.

Fig. 61.—Locomotive aérienne Meller (1851).

Ces projets, conçus par des hommes sans instruction scientifique et sans aucune idée pratique de l'aéronautique, n'étaient pas réalisables tels qu'ils étaient présentés, sans étude complète et sans plan d'ensemble suffisant. L'idée des ballons planeurs agissant sans force motrice est tout à fait fausse. Quand bien même ils se dirigeraient dans un sens ou dans l'autre pendant leurs ascensions successives, cette direction serait relative; ils n'en seraient pas moins entraînés avec la masse d'air ambiant en mouvement.—Pour que les aérostats planeurs fonctionnent avec efficacité, il faut qu'ils soient munis de propulseurs mécaniques, actionnés par un moteur puissant. L'hélice ne suffit pas à elle seule, pour donner l'avancement, il faut la machine qui la fasse agir. C'est ce qu'on oublie trop souvent. N'a-t-on pas vu plus haut que Théophile Gautier, en parlant des hélices du navire aérien de Pétin, disait: «Ces hélices pourraient être tournées à la main.» Voilà assurément une force motrice bien puissante!

Quelques mécaniciens ont proposé de réunir dans l'aérostat planeur les deux principes du plus léger que l'air et du plus lourd que l'air. Nous citerons parmi ceux-là, M. Arsène Olivier, qui propose un aérostat allongé, rigide, muni de grandes ailes et d'une hélice, et capable de s'incliner pour le vol à plane[67]. Nous mentionnerons aussi le projet récent de M. Capazza; l'inventeur veut construire un ballon lenticulaire, tour à tour plus léger et plus lourd que l'air, et qui nagerait dans l'atmosphère à la façon des soles dans l'océan. Projet facile à dessiner, mais difficile à réaliser! Un peu antérieurement, M. Duponchel, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, a proposé un projet analogue à celui du ballon planeur du baron Scott, et dans lequel on obtiendrait la montée et la descente en chauffant ou en laissant refroidir le gaz du ballon. M. Duponchel, peu au courant des constructions aérostatiques, voulait construire un escalier intérieur dans son aérostat pour que les aéronautes pussent monter à la partie supérieure[68]!

On ne saurait se faire une idée des rêves qui ont germé dans le cerveau des inventeurs de ballons dirigeables. Renou-Grave, en 1844, avait imaginé les ballons-chapelets que nous figurons ci-dessous[69] (fig. 62).

Fig. 62.—Ballons-chapelets de Renou-Grave.

Les plus grands esprits sont parfois tombés dans des erreurs analogues. Monge, le grand Monge, avait eu l'idée de réunir ensemble une série de ballons sphériques qui auraient formé, selon lui, un assemblage flexible dans tous les sens; susceptible d'être développé en ligne droite, courbé en arc de cercle dans toute sa longueur, ou seulement dans une partie; de prendre avec ces courbures ou ces formes rectilignes la situation horizontale ou différents degrés d'inclinaison. Ce système de globes montant et descendant alternativement avec la vitesse que les aéronautes lui auraient imprimée, eût imité dans l'air le mouvement du serpent dans l'eau!

À côté des inventeurs des ballons planeurs mécaniques dont nous venons de parler, nous placerons ceux qui veulent se contenter de chercher à différents niveaux dans l'atmosphère des vents propices.

Les projets de monter et descendre dans l'air, automatiquement, sans jeter de lest et sans perdre de gaz pour aller à la rencontre des courants aériens favorables, ont été très nombreux. Nous avons signalé la poche à air du général Meusnier; nous avons vu qu'à peu près à la même époque, Pilâtre de Rozier proposait de joindre un ballon à air chaud à un aérostat à gaz, afin d'obtenir à volonté l'ascension et la descente en élevant ou en abaissant la température du gaz, c'est-à-dire en diminuant ou en faisant accroître la densité du système.

Parmi les aéronautes les plus convaincus de l'efficacité de l'utilisation des courants aériens à différentes altitudes, nous ne devons pas oublier de mentionner le célèbre Dupuis-Delcourt, dont les ascensions ont été nombreuses, et dont les travaux sont devenus classiques dans l'étude de l'aérostation.

Dès 1824, alors qu'il n'avait que vingt-deux ans, il se mit à l'œuvre, et de concert avec son ami Richard, il construisit sa flottille aérostatique; c'était un système formé de cinq ballons accouplés: un aérostat central, et quatre autres plus petits qui l'entouraient. Au-dessous de l'aérostat principal, se croisaient deux grandes vergues horizontales d'où partaient les cordes d'attache des quatre ballons destinés à sonder l'atmosphère. Ce système ne donna point de bons résultats.

Après ces essais infructueux, Dupuis-Delcourt s'associa à un jeune savant, Marey-Monge, pour construire un aérostat cylindro-conique en cuivre métallique imperméable. Les deux associés exécutèrent d'abord, à titre d'essai, un ballon sphérique en cuivre rouge. Il avait dix mètres de diamètre, et d'après les calculs de Marey-Monge, sa force ascensionnelle devait être de 346 kilogrammes[70]. Ce ballon, d'un nouveau genre, fut exposé au public dans des ateliers de l'impasse du Maine; il fut même gonflé d'hydrogène, mais il ne fonctionna point et les deux associés ne tardèrent pas à se séparer. Dupuis-Delcourt fit les plus grands efforts pour continuer son œuvre, mais ses efforts furent impuissants.

Plusieurs années après ces tentatives, un médecin belge, le docteur Van Hecke, eut recours à un système purement mécanique, pour monter ou descendre dans l'atmosphère et aller chercher des courants aériens favorables. Dupuis-Delcourt ne tarda pas à joindre ses efforts aux siens. Il s'agissait de palettes ou d'hélices à mettre en mouvement dans la nacelle. M. Babinet exposa ce système dans un rapport adressé à l'Académie des sciences en 1847.

Le docteur Van Hecke, dit M. Babinet, renonce formellement à l'idée de prendre un point d'appui sur l'air pour se mouvoir en un sens contraire du vent; son système consiste comme celui de Meusnier à chercher à différentes hauteurs des courants favorables à la direction qu'il veut suivre; mais son procédé diffère de celui de Meusnier qui voulait comprimer ou dilater l'air dans une capacité intérieure au ballon. La question que s'est proposée M. Van Hecke, se réduit donc à trouver un moyen facile de monter et de descendre verticalement sans employer, comme on le fait ordinairement, une perte de lest ou une perte de gaz, l'une et l'autre évidemment irréparables. M. Van Hecke a cherché dans un moteur artificiel, une force capable d'élever ou de déprimer l'aérostat à volonté, et il s'est adressé naturellement à l'un de ces moteurs qui, tels que les ailes du moulin à vent, l'hélice, les turbines, etc., transforment sans réaction latérale, un mouvement rotatoire en mouvement rectiligne, suivant l'axe ou réciproquement. Un appareil analogue, à ailes gauches, a été mis sous les yeux de l'Académie, et par sa réaction sur l'air, a produit facilement une force ascensionnelle ou descensionnelle de 2 à 5 kilogrammes, ce qui avec les quatre moteurs pareils que M. Van Hecke adapta à sa nacelle, constituerait une force d'environ de 10 à 12 kilogrammes. Ajoutons que cet effet, loin d'être exagéré, a été obtenu, sans grand effort, avec des ailes à peu près carrées, dont la dimension était seulement d'un demi-mètre de côté; ainsi rien n'empêche d'admettre qu'avec une puissance suffisante, on pourrait arriver à se procurer par ce procédé, 50, 60 ou même 100 kilogrammes de lest ascendant ou descendant.

Fig. 63.—Nacelle de ballon à ailes tournantes du docteur Van Hecke, destinée à monter ou à descendre dans l'atmosphère sans perdre de gaz et sans jeter de lest.

Dupuis-Delcourt et le docteur Van Hecke fondèrent une Société générale de navigation aérienne, au capital de deux millions de francs, représentés par deux mille actions de mille francs. Cette Société fut constituée en Belgique vers la fin de 1846. Les deux associés exécutèrent une ascension à Bruxelles le 27 septembre 1847, et attachèrent à leur ballon la nacelle que représente notre figure 63. Les palettes tournantes contribuèrent, paraît-il, à faire monter l'aérostat quand il était bien équilibré dans l'air, mais quand bien même le système adopté pour monter et descendre à volonté eût été absolument efficace, il n'y avait point encore là le principe de la direction des ballons, comme nous allons le faire comprendre un peu plus loin.

Ce qui était expérimenté par Dupuis-Delcourt et Van Hecke à l'aide de moyens mécaniques, les aéronautes peuvent le faire avec le lest, à titre expérimental, pendant une durée limitée.

La manœuvre a été souvent réalisée avec succès. Ce mode de procéder peut se désigner sous le nom de direction naturelle des aérostats.

La direction naturelle par les courants aériens a plusieurs fois été obtenue par les voyageurs aériens; elle a été mise en évidence avec netteté lors du voyage que M. Jules Duruof et moi, nous avons exécuté le 16 août 1868 au-dessus de la mer du Nord, dans le voisinage de Calais. À partir de la surface du sol jusqu'à 600 mètres de hauteur, l'air se dirigeait du nord-est au sud-ouest. Au-dessus de 600 mètres, régnait un courant aérien dont la direction était inverse, du sud-ouest au nord-est. Une couche de nuages séparait les deux courants. En faisant monter l'aérostat au-dessus des nuages, ou en le laissant descendre au-dessous, nous pouvions à volonté progresser dans deux directions presque opposées. Il nous a été possible de nous aventurer à deux reprises à 27 kilomètres du rivage, pour revenir en sens inverse sur terre, après deux voyages successifs au-dessus de l'Océan[71]. Les courants aériens superposés faisaient en réalité entre eux un certain angle qui aurait pu nous permettre de gagner les côtes de l'Angleterre, en tirant des bordées à deux altitudes différentes, comme un bateau à voile.

Depuis cette époque, d'autres aéronautes ont opéré avec succès la même manœuvre; M. J. Duruof à Cherbourg, M. Jovis à Nice. M. Bunelle à Odessa, Lhoste sur la Manche, ont réussi à s'avancer au-dessus de la mer dans la nacelle de leur ballon et à revenir à terre sous l'influence d'un courant aérien inverse.

Ce système tout à fait séduisant par la simplicité des manœuvres qu'il nécessite, offre un grand inconvénient., c'est qu'il dépend des conditions atmosphériques auxquelles on ne saurait commander à son gré. Or les courants ne soufflent pas toujours dans la direction voulue. S'il y a parfois, dans l'atmosphère, des courants superposés, il arrive plus fréquemment qu'il n'y en a pas, et que l'air se déplace dans le même sens à toutes les altitudes. Lors de l'ascension à grande hauteur du Zénith, par exemple, la direction suivie par l'aérostat était à peu de chose près la même, depuis la surface du sol jusqu'à la hauteur de 8 600 mètres.

IV
LA PROPULSION MÉCANIQUE DES AÉROSTATS

Nécessité d'une force motrice pour diriger les aérostats. — Projet de Carra en 1784. — Le ballon-navire l'Aigle, de Lennox. — Le ballon-poisson de Samson. — Jullien. — Ferdinand Lagleize. — Camille Vert. — Delamarne. — Smitter. — Projets divers. — Un ballon à vis.

Le problème de la direction des aérostats est très simple en principe pour tous ceux qui possèdent des notions mécaniques précises. Il a été très controversé parce que tout le monde a voulu s'en mêler, surtout les ignorants. Quant aux hommes de science qui en ont nié la possibilité, c'est qu'ils n'avaient pas la pratique de l'aéronautique, et qu'ils ne connaissaient pas bien les ballons.

Un de nos plus savants physiciens, M. Jamin, a récemment exposé avec une grande clarté le principe de la direction des aérostats par la propulsion mécanique, et comme on pourrait croire que notre passion pour la navigation aérienne nous éloigne de l'impartialité de jugement qui convient à la discussion scientifique, c'est à l'éminent secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences que nous confierons le soin de plaider ici la cause des aérostats dirigeables:

Si on veut diriger un ballon, il faut une force; il faut le munir d'un moteur capable de l'entraîner, d'un propulseur qui puisse au besoin lui faire remonter les courants d'air. Quand on veut faire marcher une voiture, on y attelle un cheval, un wagon exige une locomotive, un bateau des rameurs travaillant: l'oiseau n'a pas seulement des ailes, il produit la force musculaire qui les anime; de même, le ballon doit être remorqué par une machine faisant du travail. Que cette machine soit un moteur animé, électrique, à vapeur, à gaz, peu nous importe en théorie, mais, quelle qu'elle soit, il en faut une. Telle est l'indiscutable nécessité que nous devons subir pour diriger un ballon.

Ce n'est pas tout d'avoir un moteur, nous devons encore chercher comment nous l'emploierons. C'est ici que se place la terrible question du point d'appui, de l'action et de la réaction. Prenons des exemples; on tire un coup de canon: la poudre enflammée produit un gaz qui se détend, c'est la force; il chasse le boulet, c'est l'action; mais la pièce recule, c'est la réaction. Seulement la pièce prend moins de vitesse que le boulet, parce qu'elle est plus lourde. Un animal détend ses muscles pour sauter; soyez sûr que la Terre recule, mais elle est si incomparablement grosse que son recul est insensible. On exprime autrement ce phénomène en disant que le boulet prend son point d'appui sur la pièce, et l'animal qui saute, sur la terre. L'eau fait le même office: dans un bateau à roues, les palettes chassent l'eau en arrière, mais le navire avance, et s'il est à hélice, vous voyez un courant d'eau vivement lancé qui recule. Enfin, l'air obéit à la même loi et fait la même fonction: il sert d'appui; et pour conclure: si nous fixons à la nacelle une hélice dont l'axe soit horizontal et que nous la fassions mouvoir, elle avancera grâce à la pression qu'elle exerce sur l'air postérieur; elle entraînera nacelle et ballon, et tout le système deviendra un navire véritable avec cette seule différence qu'il sera dans un autre fluide, dans l'air au lieu de travailler dans l'eau. Pour compléter la ressemblance, il conviendra de lui donner une forme allongée et de le munir d'un gouvernail, placé à l'arrière, formé d'une toile lisse et tendue qu'on pourra tourner vers la droite ou la gauche, remplissant les mêmes fonctions et obéissant aux mêmes principes que le gouvernail des vaisseaux.

Cette construction réalisée, le ballon pourra être dirigé comme on le voudra dans une atmosphère en repos; mais dans un courant d'air il faut y ajouter une dernière et essentielle condition. Quand l'air est complètement immobile, l'aérostat n'a dans toutes les directions qu'une seule et même vitesse, celle que lui donne son moteur et qu'on peut appeler sa vitesse propre. Quand l'atmosphère est en mouvement, il en a deux: la sienne et celle du courant d'air qui s'y superpose. Si toutes deux sont parallèles et de même sens, elles s'ajoutent; mais si on met le cap à l'opposé du vent, elles se retranchent, et il peut arriver les trois cas suivants: 1o la vitesse propre est supérieure à celle du courant: alors le ballon peut marcher contre le vent, qu'il dépasse; 2o toutes deux sont égales: dans ce cas, elles se détruisent et on reste en place; 3o le vent est supérieur à la marche du moteur, et on recule. La première condition seule permet d'avancer contre le vent; et comme ce vent n'est pas chose constante, qu'il est, suivant les cas, nul, modéré ou violent, le ballon sera dirigeable à certains jours, ne le sera pas dans d'autres; dirigeable si le vent est moindre que la vitesse propre, indirigeable en tout sens, s'il est plus fort; d'autant plus souvent dirigeable que le moteur sera plus puissant, la vitesse propre plus grande. La question est du ressort de la mécanique: faire un moteur léger et fort. En résumé, la solution du problème exige quatre conditions: 1o un moteur; 2o une hélice; 3o un gouvernail; 4o un vent inférieur à la vitesse propre[72].

Avant d'en arriver à une conclusion aussi nette, qui dérive des expériences entreprises par Giffard, Dupuy de Lôme, les frères Tissandier et MM. les capitaines Renard et Krebs, il a été proposé bien des projets, il a été réalisé bien des essais, et nous allons, dans ce chapitre, résumer l'histoire de la propulsion mécanique des aérostats.

Elle date de l'origine de la navigation aérienne: le général Meusnier, les frères Robert, Alban et Vallet, en avaient la notion exacte, mais il leur manquait la machine qui pût leur fournir la force.

Fig. 64.—Projet de Carra (1784).

On a pensé à appliquer des propulseurs de toute espèce à des ballons de toutes les formes. En 1784, un physicien assez célèbre, Carré, présentait à l'Académie des sciences un Mémoire sur la nautique aérienne[73]; il proposait de munir les aérostats sphériques d'ailes tournantes qui n'agiraient que dans un sens de rotation, la toile de la palette de propulsion se repliant dans le mouvement de retour. Le système était muni d'un gouvernail, et un ballon-sonde hérissé de pointes métalliques devait recueillir l'électricité atmosphérique, sans que l'auteur expliquât nettement le but qu'il se proposait (fig. 64). Ce ballon-sonde devait aussi servir à faire monter ou descendre l'aérostat, en tirant sur sa corde, ou en la laissant filer. On voit que ce projet rentre dans la classe de ceux qui ne sont pas pratiquement réalisables et que nous mentionnons à titre de curiosité historique.

Pendant de bien longues années, il ne fut plus question de la propulsion mécanique des aérostats. En 1834, elle attira de nouveau l'attention publique, avec le comte de Lennox, dont les projets eurent alors un retentissement considérable.

Le système de Lennox était un système mixte, tenant à la fois du ballon planeur et du ballon à propulseur. Nous laisserons l'inventeur décrire lui-même son navire aérien l'Aigle, en reproduisant une pièce historique devenue rare: le prospectus de la Société pour la navigation aérienne qu'il voulait fonder, et la gravure qui l'accompagne.

SOCIÉTÉ
POUR LA NAVIGATION AÉRIENNE

Note sur le premier ballon-navire l'Aigle, commandé par M. le comte de Lennox, MM. Guibert, Orsi, Edan et Ph. Laurent.—M. Ajasson de Grandsagne emporte les instruments de physique pour faire des expériences correspondantes à celles qui seront répétées simultanément à l'Observatoire royal, par M. Arago, dans le but de constater plusieurs faits importants de physique.

Premier voyage et manœuvres publiques au champ de Mars, le 17 août 1784.

Ateliers de constructions, Champs-Élysées, vis-à-vis le pont des Invalides.

Ballon-navire de 130 pieds de longueur sur 35 pieds de diamètre: forme d'un cylindre terminé par deux cônes, rempli d'hydrogène.

2 800 mètres cubes de capacité.

Un filet et des échelles de cordes l'enveloppent entièrement. À l'intérieur, il y a un second ballon contenant de l'air, de 200 mètres cubes, qui communique à l'extérieur au moyen d'un tuyau.

Fig. 65.—Le ballon-navire l'Aigle, de Lennox (1834).

Nacelle de 66 pieds de longueur et 30 pouces de largeur, soutenue par des sangles attachées au filet, à 18 pouces de distance.

Vingt rames de 3 mètres carrés, construites à palettes mobiles pour agir dans différents sens.

Un long coussin remplissant l'espace contenu entre le ballon et la nacelle est soumis à l'action d'une pompe foulante et aspirante (fig. 65).

La force ascensionnelle du ballon (6 500 livres) soutiendra la nacelle, les mécanismes, les instruments de physique et l'équipage.

Pour mieux étudier les courants atmosphériques et l'atmosphère en général, nous espérons nous élever et redescendre en comprimant plus ou moins, à l'aide de notre pompe, l'air contenu dans le ballon intérieur et dans le coussin de la nacelle.

Si nous trouvons un courant favorable, nous nous y maintiendrons en profitant de toute sa vitesse, qui peut dépasser cinquante lieues à l'heure.

Dans un temps calme ou par un vent ordinaire, nous ferons marcher nos rames et nos mécanismes; nous ne ferions plus alors que deux ou trois lieues à l'heure.

Dans les deux cas, nous croyons être maître de la direction.

Nous sommes déjà arrivés à d'importantes modifications, que nous proposons d'exécuter en grand d'après des modèles construits dans nos ateliers, et dans lesquels la force humaine est remplacée par un agent beaucoup plus puissant.

Nous recevrons toujours avec reconnaissance, au nom de la science aéronautique, qui se trouve aujourd'hui dans des voies de progrès, les conseils et les réflexions de tous ceux qui s'y intéressent.

Le comte de Lennox ne réussit pas à mener à bien son projet grandiose. L'essai qu'il essaya d'entreprendre fut déplorable; bien loin de pouvoir enlever ses voyageurs, le ballon ne pouvait pas se soutenir lui-même. On eut toutes les peines du monde à le transporter le 17 août 1834, jour de l'expérience, des ateliers de construction où il avait été gonflé, jusqu'au champ de Mars, où il devait s'élever. Il ne fut pas possible de faire partir le navire aérien l'Aigle; il y eut alors des cris de fureur de la foule assemblée, on envahit l'enceinte de manœuvre, et le matériel fut mis en pièces.

Dupuis-Delcourt, qui avait été en relation avec Lennox, le jugeait pour un homme d'honneur et de bonne foi. Il se peut; mais il lui manquait une instruction aéronautique suffisante et la pratique des ballons, sans lesquelles on ne saurait entreprendre de grandes constructions. M. de Lennox était riche, et il consacra sa fortune à ses malheureux essais de navigation aérienne. Le principe de son projet était rationnel, et la forme qu'il avait donnée à son navire aérien, était favorable à la propulsion mécanique.

Depuis Lennox, les projets d'aérostats allongés, munis de propulseurs, sont si nombreux qu'il serait absolument impossible d'en donner une énumération complète. Citons quelques projets qui ont plus spécialement attiré l'attention.

Fig. 66.—Le ballon-poisson de Sanson (1850).

Vers l'année 1850, MM. Sanson père et fils donnèrent une grande publicité à un projet de ballon qu'il présentèrent comme la solution du problème de la navigation aérienne (fig. 66). Les brochures qu'ils publièrent en grand nombre, dénotent un médiocre esprit scientifique. Le ballon devait être seulement équilibré dans l'air, le moyen ascensionnel lui serait donné à l'aide de quatre ailes placées aux flancs; le moyen de propulsion horizontale, consistait «en quatre roues creuses placées par paires,» le moyen de direction consistait en un gouvernail «faisant annexe aux équatoriales.» Enfin MM. Sanson père et fils avaient un moyen secret qu'ils appelaient physico ichtyologique et qu'ils se gardaient de faire connaître[74].

Fig. 67.—Aérostat dirigeable de Jullien (1850).

Pendant que le ballon-poisson de Sanson figurait dans des brochures, un horloger de grand mérite, et très habile ouvrier, Jullien, réalisait à l'Hippodrome de Paris une expérience, faite en petit, d'un modèle d'aérostat dirigeable, allongé, qui peut être considéré comme le point de départ des tentatives modernes. L'aérostat de Jullien avait une forme analogue à celle qui a été adoptée par les constructeurs de Chalais-Meudon (fig. 67). L'inventeur avait choisi cette forme à la suite d'essais exécutés au moyen de fuseaux de bois dont il avait expérimenté les mouvements dans l'eau[75]. Voici dans quels termes M. Pierre Bernard a annoncé, dans le journal le Siècle, l'expérience à laquelle il a assisté le 6 novembre 1850.

Le fait d'abord! Aujourd'hui 6 novembre un aérostat d'une forme excessivement simple et toute vivace, a navigué dans le vent, contre le vent, selon la fantaisie de son inventeur, M..., et les indications de notre maître à tous: le public.

D'autre part M. Turgan, qui a écrit un excellent petit ouvrage sur l'histoire de la locomotion aérienne, publiait dans la Presse la notice suivante:

À trois heures et demie, en présence de MM. Émile de Girardin, Louis Perrée, de Fiennes, Bernard, etc., M. Jullien a apporté, d'abord dans le manège, puis dans l'amphithéâtre de l'Hippodrome, un petit aérostat, long de sept mètres, de forme oblongue, et ayant monté un mécanisme bien simple, de son invention, il a abandonné l'appareil qui s'est dirigé rapidement dans le sens désigné antérieurement.

Dans le manège, il n'y avait pas de courant d'air, la chose paraissait fort simple; mais une fois dans l'amphithéâtre, notre étonnement fut au comble lorsque nous vîmes l'expérience se reproduire, malgré un vent sud-ouest fort marqué. L'aérostat se dirigea directement contre le vent. On recommença en divers sens, et toujours l'expérience réussit.

On a tant de fois répété qu'il était impossible d'arriver à un tel résultat qu'on se regardait les uns les autres, sans vouloir absolument croire au spectacle que l'on avait sous les yeux, et qu'il a fallu recommencer plusieurs fois ces manœuvres pour nous convaincre du fait.

Les essais de mouvement circulaire ont été tentés, mais l'enceinte était trop restreinte, et l'on ne pouvait agir que par le gouvernail. Cependant plusieurs de ces tentatives ont réussi. C'est, du reste, l'appareil le plus simple du monde:—une sorte de poisson cylindre à tête, en baudruche, et cerclé par un équateur en bois auquel vient s'attacher un filet supérieur.

Vers le tiers antérieur de l'appareil se trouvent deux petites ailes composées chacune de deux petites palettes formant hélice. Ces palettes ont à peu près la forme d'une raquette à jouer au volant, de 0m,22 de diamètre longitudinal, soit 0m,20 de diamètre transversal. Elles tournent avec rapidité et produisent ainsi le mouvement direct.

Comment tournent ces hélices? Rien n'est plus simple: l'axe qui les supporte s'engrène avec une longue tige, qui va s'engrener elle-même dans un mouvement de pendule ou de tourne-broche, suspendu au-dessous du ballon à 0m,4 environ.

Le récipient du gaz contient 1 200 décimètres cubes d'hydrogène pur.

L'enveloppe pèse 350 grammes.
L'armature en bois 350
Le moteur 450
Les fils qui servant de cordages, environ. 10
  ——  
Total 1 160

Un système composé de deux gouvernails, l'un vertical, l'autre horizontal, termine l'appareil.

N'anticipons pas sur les conséquences probables de cette simple expérience. Constatons seulement qu'aujourd'hui mercredi, 6 novembre 1850, à trois heures et demie, une machine aérostatique s'est manifestement dirigée contre le vent, mue par un appareil d'une simplicité extrême.

Les expériences se sont renouvelées le jeudi 7 novembre. Le dimanche 10, elles ont moins bien réussi par un défaut d'équilibre et un excès de poids apporté à l'ensemble de la machine. Le public fut sévère pour le pauvre inventeur, qui fut découragé dans ses essais.

Jullien habitait Villejuif: c'était un petit horloger de village qui avait toujours été misérable. L'exposition de son remarquable petit ballon, ne lui rapporta que des déceptions; il avait cependant étudié avec grand mérite le problème de la navigation aérienne, et il peut être cité comme un précurseur d'Henri Giffard, qui assista à ses remarquables expériences, et en tira profit pour ses constructions futures. Nous tenons le fait de Giffard lui-même.

Fig. 68.—Projet de Ferdinand Lagleize (1853).

C'est en 1852 que le futur inventeur de l'injecteur exécuta ses mémorables essais de navigation aérienne; nous les étudierons d'une façon spéciale dans un chapitre suivant. Continuons ici l'énumération des projets et des expériences.

Mentionnons le projet de Ferdinand Lagleize, qui construisit en petit l'aérostat dirigeable représenté ci-dessus (fig. 68). Quatre ailes adaptées au flanc du ballon-poisson, lui imprimaient le mouvement[76]. Un gouvernail de propulsion était adapté à l'arrière. Ce système a été exposé douze jours, du 3 au 15 septembre 1853, au jardin d'hiver des Champs-Élysées, à Paris.

Fig. 69.—Poisson-volant de Camille Vert (1859).

Plus tard, en 1859, un aéronaute, ouvrier habile, constructeur de mérite, Camille Vert, fit fonctionner à plusieurs reprises, un navire aérien de son système, qu'il désigna sous le nom de poisson volant. Cet aérostat allongé, à hélice, était mû par une petite machine à vapeur (fig. 69); il fonctionna devant le public, au palais de l'Industrie, à Paris, et il fut expérimenté devant l'empereur. Voici en effet le compte rendu de cette séance, tel qu'il a été publié dans le Moniteur du 19 novembre 1859.

Le 27 octobre dernier, une nouvelle machine aérienne, inventée et exécutée par M. Camille VERT, a été expérimentée dans le palais de l'Industrie, en présence de S. M. l'empereur. Cette machine se dirigeant à volonté, dans tous les sens et à laquelle est adaptée un système ingénieux de sauvetage des voyageurs, a fonctionné de la manière la plus satisfaisante.

L'inventeur de cette curieuse découverte, après avoir été complimenté par Sa Majesté, a été autorisé à en faire une exposition publique dans le palais de l'Industrie.

Fig. 70.—Aérostat propulsif de Gontier-Grisy (1862).

Fig. 71.—Projet d'un ballon de cuivre par Chéradame (1865).

Les belles expériences de Giffard faites en 1852, dans son grand ballon allongé à vapeur, avaient fait naître une multitude de ballons-poissons. En outre des expériences en petit, on voyait paraître de toutes parts de nouveaux projets. L'aérostat propulsif de Gontier-Grisy (fig. 70), dans lequel devait fonctionner un moteur à air comprimé[77], le ballon allongé de Chéradame (1865), qui devait être confectionné en cuivre rouge et atteindre des dimensions énormes[78] (fig. 71), et une infinité d'autres systèmes que nous passerons sous silence.

Fig. 72.—L'aérostat l'Espérance de Delamarne (1865).

M. Delamarne, à cette même époque, a présenté, sous le nom d'hélicoptère un système de navire aérien, l'Espérance, qui consistait en un aérostat allongé de forme spéciale, muni d'hélices de propulsion et d'ascension (fig. 72).

Le longueur du navire aérien était de 30 mètres, son diamètre de 10m,80, la capacité de 2 000 mètres cubes en nombre rond. Le ballon était séparé en deux parties par une cloison intérieure.—Voici d'ailleurs la description qui a été publiée, en 1865, du ballon de M. Delamarne.

Perpendiculairement à l'axe est une cloison intérieure et imperméable qui sépare le ballon en deux parties. La soupape est à cheval sur cette cloison et présente deux volets, communiquant chacun avec l'un des compartiments du ballon. Enfin, deux forts rectangles, portant deux hélices mobiles dans un plan perpendiculaire à l'axe, pressent le ballon en flanc, par l'effort de deux larges bandes de caoutchouc. Ces hélices ont 2m,20 d'envergure, et portent trois ailettes; elles font plus de trois cent soixante tours à la minute. Chaque ailette se partage, à son extrémité, en deux parties qui se recourbent de part et d'autre pour retenir le vent.

L'ensemble de ces appareils pèse 400 kilogrammes, y compris le poids d'une voile qui se fixe d'une part au ballon, et d'autre part au gouvernail de la nacelle. Les mouvements du gouvernail se transmettent ainsi au ballon avec l'accroissement de force qu'apporte la voile.

La nacelle pèse 200 kilogrammes avec tous ses accessoires; elle a 4m,50 de large et 7 de long. Sur ses côtés sont deux hélices semblables à celles du ballon, mais n'ayant que 1m,10 d'envergure; elles doivent aider les hélices du ballon. Comme celles-ci, elles font trois cent soixante tours à la minute. Chaque hélice déplace 3 mètres cubes d'air par tour, en tout 1 080 mètres cubes d'air par minute.

Une roue, mue par trois hommes, communique aux quatre hélices le mouvement qui leur est transmis par des courroies sans fin. Puis, à l'arrière de la nacelle, et pour aider à la descente ou à l'ascension, sont deux hélices horizontales moins recourbées à leurs extrémités que les premières. Une roue horizontale, mue par un seul homme, les fait agir en temps et lieu. Un gouvernail, enfin, est placé derrière la nacelle, et un taille-vent à la proue. Ce taille-vent est une sorte de tranchant qui divise l'air et le vent et leur présente deux plans inclinés[79].

M. Delamarne insistait sur ce point que dans son système le ballon «ne remorquait pas la nacelle, et la nacelle ne remorquait pas le ballon.» Il disait, que son système tenait à la fois du plus lourd que l'air et du plus léger que l'air[80].

Quoi qu'il en soit, l'expérience, annoncée avec une assez grande publicité, eut lieu le 2 juillet 1865, dans le voisinage du jardin du Luxembourg. Le résultat en fut piteux. L'aérostat l'Espérance, fut gonflé, mais l'inventeur n'y adapta aucun des organes de propulsion qu'il avait décrits. La nacelle seule portait des hélices latérales, un taille-vent et gouvernails.

Voici en quels termes un témoin de l'expérience, M. Jouanne, ingénieur des arts et manufactures, en deux a décrit le résultat:

L'aérostat l'Espérance s'est enlevé à six heures du soir en tournant sur lui-même, et tant que nos yeux ont pu l'apercevoir, il a continué ses circonvolutions. Il a suivi d'ailleurs la direction du vent, qui soufflait du nord au midi, car il s'est dirige vers Vincennes, et à huit heures, il est descendu prés du polygone, sans difficulté[81].

Fig. 73.—Aérodophore de Pillet (1857).

En 1857, un professeur de l'École des apprentis du port de Cherbourg, Pillet, présenta, sous le nom d'aérodophore, un projet de grand ballon-poisson à nageoires latérales (fig. 73).

Fig 74.—Aérostat à hélice de Smitter (1866).

En 1866, M. Smitter, qui depuis cette époque a fait plusieurs tentatives de direction aérienne, a proposé de placer l'hélice à l'avant du ballon allongé, au moyen d'un châssis extérieur comme le représente notre figure 74, empruntée à un prospectus de l'inventeur. Ce projet a été encouragé par M. Henri Rochefort. Voici l'article qu'a publié dans le Soleil le célèbre pamphlétaire, à la date du 11 mai 1866:

Le vice radical des procédés d'aérostation connus c'est que, ne pouvant corriger le ballon, qui est trop massif, trop susceptible d'allongement ou d'élargissement par suite du peu de résistance de l'enveloppe en taffetas, les aéronautes essayaient de diriger la nacelle, ce qui bouleversait toutes les lois de la physique et du bon sens, attendu qu'un ballon ne peut pas plus être dirigé par sa nacelle qu'un gros navire par le canot qu'il traîne après lui.

Au premier abord, ce problème paraît être l'enfance de sa simplicité; eh bien! de tous les aéronautes passés et présents, M. Smitter, simple ouvrier mécanicien, est le seul qui l'ait soulevé. Au lieu d'appliquer à la nacelle les voiles et le gouvernail, il reporte toute la force motrice et dirigeante sur l'aérostat lui-même, qu'il établit au moyen d'une charpente osseuse en fer creux, légère et solide, recouverte ensuite de taffetas. Le ballon résistant devient ainsi capable de recevoir tous les agrès nécessaires à sa direction, comme les hélices, le gouvernail et surtout deux palettes qui, en s'ouvrant et se fermant aux deux côtés de l'aérostat comme les battants d'une table, permettent au voyageur de lutter contre la pression atmosphérique et de planer à la hauteur et dans la zone qu'il a lui-même choisies.

C'est du reste à nous autres, qui ne croyons ni aux coups de trompette, ni aux placards sur les murs, mais aux faits et aux raisonnements, c'est à nous, dis-je, d'aller chercher dans leur obscurité laborieuse les hommes qui usent en travail et en sacrifices de toute espèce le temps que d'autres dépensent en réclames. Rien n'eût été plus facile à ce chercheur timide que de se mettre dans les mains de quelque Barnum qui l'eût compromis, mais qui l'eût fait connaître. Il est venu simplement nous dire:

«Je puis, je crois, faire faire un grand pas à la direction des ballons. J'avais six mille francs d'économies, je les ai mis dans la construction d'un aérostat. Aujourd'hui mes économies sont épuisées, et il me manque une dizaine de mille francs pour tenter une expérience décisive. Est-ce que vous croyez que la question n'est pas assez importante pour que je fasse appel à une souscription publique, après avoir démontré préalablement en quoi mon système diffère de tous ceux qui ont été vainement essayés jusqu'ici?»

Henri Rochefort.

Vaussin-Chardanne, dont les projets aériens furent très nombreux: ballons à hélice, ballons à ailes, ballons allongés, publia aussi différentes brochures depuis 1858 jusqu'à 1873. Nous citerons son projet de gondole-poisson dans lequel les hélices de propulsion étaient à peu près au milieu du système et de côté, l'aérostat étant séparé en deux parties, avec grand gouvernail à l'arrière (fig. 75).

Fig. 75.—Gondole-poisson de Vaussin-Chardanne.

En 1859, M. E. Farcot, ingénieur-mécanicien, étudia un grand aérostat dirigeable à vapeur pour la navigation atmosphérique. Cet aérostat pisciforme devait être muni de deux hélices de traction placées à l'avant et fixées sur le ballon lui-même; il se trouvait terminé à l'arrière par un gouvernail[82]. En 1861, H. Guilbaut de Saintes, proposa un aérostat cylindrique allongé, muni d'ailes latérales et d'hélices[83]. En 1865, J. E. Renucci, capitaine au 2e de ligne, examina les conditions de construction d'un aérostat à enveloppe de fer, de 100 mètres de diamètre et devant rester plus d'un an dans l'atmosphère[84]. Il faut avoir entre les mains les documents spéciaux qui ont été publiés pour se rendre compte de l'abondance des études faites, les unes rationnelles et logiques, comme celle de M. Cordenous[85] en 1875, qui vint à Paris pour soumettre son projet d'aérostat allongé à Henri Giffard et aux savants compétents, les autres où l'imagination déborde comme dans le projet d'un nommé Fayol, qui décrit ainsi qu'il suit son étonnant voyageur aérien[85]:

C'est un animal qui a quarante kilomètres, dix lieues de longueur. Il va de Paris à Philadelphie en Amérique en six heures de temps, sans s'arrêter. Il traverse les airs à deux mille mètres de hauteur.... Sept galeries superposées qui s'étendent dans toute sa longueur déterminent sa hauteur. Il porte dans son ventre sept mille machines à vapeur, lesquelles travaillent toutes à comprimer de l'air dans les oreilles qui sont au nombre de deux mille. Il y a sept mille chauffeurs, un à chaque machine; ils sont commandés par un seul homme placé à la tête de l'animal, entre les deux yeux. Cet homme transmet sa volonté par l'électricité aux sept mille chauffeurs[86].

Le projet de M. Cordenous mérite qu'on s'y arrête avec un peu plus d'attention. L'auteur voulait construire un aérostat allongé ellipsoïdal, contenant un axe rigide central, portant à l'arrière une hélice de propulsion. Son projet était d'exécuter d'abord une expérience au moyen d'un ballon de faible dimension, capable d'enlever un homme. Il avait exécuté à cet effet une machine motrice à gaz ammoniac, qui sous le poids de 85 kilogrammes donnait une force de un demi-cheval[87]. M. Cordenous se trompait au sujet de la possibilité de munir un aérostat allongé d'un axe rigide transversal, le poids de cet axe serait considérable, et son mode d'attache nécessiterait encore l'addition d'autres pièces rigides, qui alourdiraient le système au point qu'il ne pourrait plus s'élever.

En 1871, un ingénieur italien, M. Micciollo-Picasse proposait de construire un aérostat d'aluminium, avec deux hélices de propulsion à l'avant et à l'arrière, fixées à la pointe même de l'aérostat allongé[88] (fig. 76).

Fig. 76.—Projet d'aérostat en aluminium de Micciollo-Picasse (1871).

En 1877, M. Deydier, à Oran, proposait un grand aérostat à compartiments, ou enceintes indépendantes à air raréfié[89]. En 1881, M. Morel donnait la description de son ballon-comète, ainsi nommé parce qu'il était muni d'une énorme queue qui utiliserait les courants aériens[90]. Nous ne parlons ici que des aérostats sphériques, des aérostats allongés pisciformes ou cylindriques, mais on a encore proposé les aérostats en forme d'anneau ou de couronne[91], en forme de solides plans géométriques, d'octoaèdres et autres.

Fig. 77.—Propulseur de Guillaume (1816).

On ne saurait croire jusqu'où pourrait nous entraîner cette revue des projets de ballons dirigeables; en outre de ceux que je viens de mentionner, j'en possède encore des centaines dans mes cartons et dans ma bibliothèque aérostatique; si les formes varient, les systèmes de propulsions sont aussi multiples et souvent invraisemblables. Voici le projet d'un nommé Guillaume, dont nous reproduisons l'affiche (fig. 77), et qui en 1816, fit une tentative au champ de Mars. Voici l'aérostat d'Émile Gire, qui, en 1843, publia le dessin de son singulier appareil à éolipyle (fig. 78); il le proposait comme une machine de guerre redoutable[92].

Fig. 78.—Aérostat d'Émile Gire (1843).

Voici l'extraordinaire propulseur proposé en 1860 par Gontier-Grisy[93], deux ans avant le système d'aérostat cylindrique qu'il avait imaginé et dont nous avons parlé un peu plus haut (fig. 79). Il est formé de stores fixées à chaque partie recourbée d'une tringle! C'est la description qu'en donne l'auteur.

Fig. 79.—Propulseur de Gontier-Grisy (1860).

Voici enfin un autre propulseur proposé par M. Ziégler en 1868[94]; cet appareil, d'une complication inouïe (fig. 80), a été exposé dans le jardin des Tuileries pendant la durée de l'Exposition universelle de 1878. Pourquoi rechercher ces roues, ces rames, ces aubes, quand il est si simple de recourir à une hélice actionnée par un moteur puissant et léger?

Un inventeur nommé Lassie a été jusqu'à proposer le ballon à vis, qui en tournant sur son axe se visserait dans l'atmosphère (fig. 81)! Voici comment il décrit ce curieux système.

Le navire aérien est un cylindre métallique de 32 mètres de diamètre et long de 10 diamètres ou de 320 mètres. Quatre voilures de 9 mètres de hauteur sont soudées par-dessus, en forme de spirales faisant un tour et demi sur toute sa longueur; c'est donc une grande vis aérienne plus grande que le cylindre ou que le navire lui-même qui lui sert d'axe; en faisant un tour et demi sur lui-même, il parcourt 320 mètres de distance: pour produire ce mouvement de rotation, 640 hommes placés au centre du gaz ou centre du cylindre, dans le tunnel ou tube métallique de 260 centimètres de diamètre, marchent circulairement au commandement du sifflet, comme les écureuils qui font tourner leurs cages.

Fig. 80.—Propulseur aérostatique de Ziégler (1868).

Un autre projet analogue a été publié en 1878, par un nommé Desplats, qui proposait de faire monter dans l'atmosphère un aérostat sphérique dont la surface extérieure était hélicoïdale. Cet aérostat devait tourner sur son axe[95]. Nous citerons encore dans un ordre d'idée semblable le ballon cylindrique «garni dans sa longueur de voiles disposées en hélice» proposé antérieurement, en 1835, par un mécanicien nommé Pierre Ferrand[96].

Fig. 81.—Ballon à vis de Lassie.

N'oublions pas, parmi l'énumération que nous publions ici, de citer les projets de direction d'aérostats au moyen d'oiseaux dressés et attelés. Cette idée a été émise dès 1785. En 1845, Mme Tessiore, née Vitalis, publia à ce sujet une brochure où elle proposait de conduire un ballon allongé par un gypaëte, grand vautour des Alpes. Une lithographie publiée à cette époque représente ce curieux système de navigation aérienne.

La structure des oiseaux de grande espèce, dit l'auteur, leur puissance de vol, l'instinct de la conservation, servent à démontrer que l'industrie humaine parviendrait promptement à dresser ces rapides coursiers dont quelques-uns ont jusqu'à 12 à 15 pieds d'envergure.

On observe chez les oiseaux une grande légèreté spécifique. Leurs muscles pectoraux, destinés à agiter leurs ailes, ont une force énorme, comparée au poids et au volume de leur corps, et la physique nous démontre qu'un ballon surnage dans les airs sur un fluide. Donc les aérostats, remorqués par une puissance aérienne, suivraient, même contre le vent, la direction prise par l'oiseau remorqueur.

Nous ne devons pas omettre de mentionner un inventeur qui a eu l'idée de construire un ballon aimanté. D'après lui, ce ballon «serait toujours attiré vers le pôle nord!»

Nous pourrions encore parler des ballons à pointes redressées tournant sur leur axe, des ballons à soufflets propulseurs, des chemins de fer aériens, et de mille autres projets plus ou moins fantaisistes.

Si les systèmes de ballons et de propulseurs sont nombreux, les moteurs proposés ne le sont pas moins: moteurs à acide carbonique, à mélanges détonants et à poudre.

On va voir quelles ont été les ressources de la vapeur appliquée aux aérostats.

QUATRIÈME PARTIE
LES NAVIRES AÉRIENS À HÉLICE

Il n'est pas possible de dire où s'arrêteront, dans l'avenir, l'économie et la rapidité des transports aériens.

Henri Giffard.

Il a fallu bien des siècles pour transformer le radeau flottant en un rapide paquebot à hélice; mais qu'est-ce qu'un siècle pour Dieu éternel qui conduit l'humanité.

Dupuy de Lôme.

I
HENRI GIFFARD ET LE PREMIER AÉROSTAT À VAPEUR

Les débuts d'Henri Giffard. — Construction et expérimentation du premier navire aérien à vapeur le 24 septembre 1852. — Second aérostat dirigeable à vapeur de 1855. — Essai de 1856. — La découverte de l'injecteur. — Les ballons captifs à vapeur. — Mort de l'inventeur.

Henri Giffard est né à Paris, le 8 janvier 1825; il fit ses études au collège Bourbon, et dès son jeune âge le génie de la mécanique était déjà développé dans son cerveau. Il m'a souvent raconté qu'en 1839 et 1840, alors qu'il n'avait que quatorze ou quinze ans, il trouvait le moyen de s'échapper de sa pension pour aller voir passer les premières locomotives du chemin de fer de Paris à Saint-Germain. Deux ans après, il entrait comme employé dans les ateliers de ce chemin de fer; mais son ambition était de conduire lui-même les locomotives. Il y réussit, et il eut le plaisir de faire glisser sur les rails, aussi vite qu'il le pouvait, les premiers trains de chemins de fer français.

Henri Giffard n'avait que dix-huit ans quand il commença à s'occuper de navigation aérienne; fils de parents modestes, il n'avait aucune fortune; sa bourse était vide, et son ambition était grande. Il se lia avec deux jeunes élèves de l'École centrale, David et Sciama, et tous trois se mirent à méditer la construction d'un navire aérien à vapeur.—Giffard voulut d'abord connaître l'atmosphère qu'il s'agissait de vaincre, et il exécuta plusieurs ascensions à l'Hippodrome sous les auspices d'Eugène Godard et du directeur Arnaud. Il s'adonna avec passion à la construction des machines à vapeur légères, et il arriva à réaliser une machine de trois chevaux du poids de 45 kilogrammes, faisant trois mille tours par minute. Après ces études préliminaires, il prit en août 1851 un brevet pour l'application de la vapeur à la navigation aérienne, où il décrit avec beaucoup de science un aérostat allongé, muni d'un propulseur à vapeur.

Que faire, dit le jeune ingénieur, pour réduire au minimum la résistance du milieu, ou, en d'autres termes, pour faciliter au plus haut point le passage de cette masse à travers l'atmosphère? La réponse se fait naturellement.... Il faut donner au volume gazeux le plus grand allongement possible dans le sens de son mouvement, de telle sorte que l'étendue transversale qu'il offre et de laquelle dépend en grande partie la résistance, soit diminuée dans la même proportion[97].

Giffard calcule le pas de l'hélice, l'effort de propulsion, tous les détails de son navire aérien qu'il présente d'abord sous l'aspect de la figure ci-dessous (fig. 82), reproduite d'après un prospectus publié à peu près à cette époque.

David et Sciama, qui avaient quelques ressources pécuniaires, prêtèrent à Giffard la somme nécessaire pour la construction du premier ballon dirigeable. L'expérience devait être exécutée en public, à l'Hippodrome; l'aérostat était disposé pour être gonflé au gaz de l'éclairage.

Fig. 82.—Premier projet de Henri Giffard.

Après bien des déboires, bien des difficultés, et plusieurs tentatives avortées, l'expérience eut lieu le 24 septembre 1852, au milieu de l'admiration et de l'étonnement des spectateurs peu nombreux qui étaient présents. Émile de Girardin se trouvait parmi ceux-ci; le grand publiciste comprit l'importance de la belle tentative dont il avait été témoin, et il publia dans la Presse datée 26 septembre, sous le titre: Le risque et l'invention, un article des plus élogieux à l'égard du jeune ingénieur. En voici un extrait:

Hier, vendredi 24 septembre, un homme est parti imperturbablement assis sur le tender d'une machine à vapeur, élevée par un ballon ayant la forme d'une immense baleine, navire aérien pourvu d'un mât servant de quille et d'une voile tenant lieu de gouvernail.

Ce Fulton de la navigation aérienne se nomme Henri Giffard.

C'est un jeune ingénieur qu'aucun sacrifice, aucun mécompte, aucun péril n'ont pu décourager ni détourner de cette entreprise audacieuse, où il n'avait pour appui que deux jeunes ingénieurs de ses amis, MM. David et Sciama, anciens élèves de l'École centrale.

Il est parti de l'Hippodrome. C'était un beau et dramatique spectacle que celui de ce soldat de l'idée, affrontant, avec l'intrépidité que l'invention communique à l'inventeur, le péril, peut-être la mort; car à l'heure où j'écris, j'ignore encore si la descente a pu s'opérer sans accident et comment elle a pu s'opérer....

La notice d'Émile de Girardin était suivie du récit de la grande expérience aérostatique, écrit par Henri Giffard lui-même. Nous reproduisons in extenso cet important document.

L'appareil aéronautique dont je viens de faire l'expérience, a présenté pour la première fois dans l'atmosphère la réunion d'une machine à vapeur et d'un aérostat d'une forme nouvelle et convenable pour la direction.

Cet aérostat est allongé et terminé par deux pointes; il a 12 mètres de diamètre au milieu, et 44 mètres de longueur; il contient environ 2 500 mètres cubes de gaz; il est enveloppé de toutes parts, sauf à la partie inférieure et aux pointes, d'un filet dont les extrémités ou pattes d'oie viennent se réunir à une série de cordes fixées à une traverse horizontale en bois, de 20 mètres, de longueur; cette traverse porte à son extrémité une espèce de voile triangulaire assujettie par un de ses côtés à la dernière corde partant du filet, et qui lui tient lieu de charnière ou axe de rotation (fig. 83).

Fig. 83.—Le premier aérostat dirigeable à vapeur, conduit dans les airs le 24 septembre 1852.

Cette voile représente le gouvernail et la quille; il suffit, au moyen de deux cordes qui viennent se réunir à la machine, de l'incliner de droite à gauche pour produire une déviation correspondante à l'appareil et changer immédiatement de direction. À défaut de cette manœuvre, elle revient aussitôt se placer d'elle-même dans l'axe de l'aérostat, et son effet normal consiste alors à faire l'office de quille ou girouette, c'est-à-dire à maintenir l'ensemble du système dans la direction du vent relatif.

À 6 mètres au-dessous de la traverse sont suspendus la machine à vapeur et tous ses accessoires.

Elle est posée sur une espèce de brancard en bois, dont les quatre extrémités sont soutenues par des cordes de suspension, et dont le milieu, garni de planches, est destiné à supporter les personnes et l'approvisionnement d'eau et de charbon.

La chaudière est verticale et à foyer intérieur sans tubes; elle est entourée extérieurement, en partie, d'une enveloppe en tôle qui, tout en utilisant mieux la chaleur du charbon, permet aux gaz de la combustion de s'écouler à une plus basse température; la cheminée est dirigée de haut en bas, et le tirage s'y opère au moyen de la vapeur qui vient s'y élancer avec force à sa sortie du cylindre, et qui, en se mélangeant avec la fumée, abaisse encore considérablement sa température tout en les projetant rapidement dans une direction opposée à celle de l'aérostat.

La combustion du charbon a lieu sur une grille complètement entourée d'un cendrier, de sorte qu'en définitive il est impossible d'apercevoir extérieurement la moindre trace de feu.

Le combustible que j'emploie est du coke de bonne qualité.

La vapeur produite se rend aussitôt dans la machine proprement dite; celle-ci est à un cylindre vertical dans lequel se meut un piston qui, par l'intermédiaire d'une bielle, fait tourner l'arbre coudé placé au sommet. Celui-ci porte à son extrémité une hélice à 3 patelles de 3m,40 de diamètre, destinée à prendre le point d'appui sur l'air et à faire progresser l'appareil. La vitesse de l'hélice est d'environ 110 tours par minute, et la force que développe la machine pour la faire tourner est de 3 chevaux, ce qui représente la puissance de 25 ou 30 hommes. Le poids du moteur proprement dit, indépendamment de l'approvisionnement et de ses accessoires, est de 100 kilogrammes pour la chaudière, et de 58 kilogrammes pour la machine; en tout 159 kilogrammes ou 50 kilogrammes par force de cheval, ou bien encore 5 à 6 kilogrammes par force d'homme; de sorte que s'il s'agissait de produire le même effet par ce dernier moyen, il faudrait, ce qui serait impossible, enlever 25 à 30 hommes représentant un poids moyen de 1800 kilogrammes, c'est-à-dire un poids douze fois plus considérable. De chaque côté de la machine sont deux bâches, dont l'une contient le combustible et l'autre l'eau destinée à être refoulée dans la chaudière au moyen d'une pompe mue par la tige du piston. Cet approvisionnement représente également la quantité de lest dont il est indispensable de se munir même en assez grande quantité, pour parer aux fuites du gaz par les pores du tissu; de sorte qu'ici la dépense de la machine, loin d'être nuisible, a pour effet très avantageux de délester graduellement l'aérostat, sans avoir recours aux projections de sable ou à tout autre moyen employé habituellement dans les ascensions ordinaires.

Enfin, l'appareil moteur est monté tout entier sur quelques roues mobiles en tous sens, ce qui permet de le transporter facilement à terre; cette disposition pourrait, en outre, être utile, dans le cas où la machine viendrait toucher le sol avec une certaine vitesse horizontale.

Si l'aérostat était rempli de gaz hydrogène pur, il pourrait enlever en totalité 2 800 kilogrammes: ce qui lui permettrait d'emporter une machine beaucoup plus forte et un certain nombre de personnes. Mais, vu les difficultés de toutes espèces de se procurer un pareil volume, il est nécessaire d'avoir recours au gaz d'éclairage, dont la densité est, comme on sait, très supérieure à celle de l'hydrogène. De sorte que la force ascensionnelle totale de l'appareil se trouve diminuée de 1000 kilogrammes et réduite à 1800 kilogrammes environ, distribués comme suit:

Aérostat avec la soupape 320 kil.
Filet 150  
Traverse, corde de suspension, gouvernail, cordes d'amarrage 300  
Machine et chaudière vide 150  
Eau et charbon contenus dans la chaudière au moment du départ 60  
Châssis de la machine, brancard, planches, roues mobiles, bâches à eau et à charbon 420  
Corde traînante pour arrêter l'appareil en cas d'accident 80  
Poids de la personne conduisant l'appareil 70  
Force ascensionnelle nécessaire du départ 10  
  ———  
  1 560 kil.

Il reste donc à disposer d'un poids de 248 kilogrammes, qu'il est prudent d'affecter uniquement à l'approvisionnement d'eau, de charbon, et par conséquent de lest. Tout ceci posé, le problème à résoudre pouvait être envisagé sous deux points de vue principaux, la suspension convenable d'une machine à vapeur et de son foyer sous un aérostat de forme nouvelle pleine de gaz inflammable, et la direction proprement dite de tout le système dans l'air.

Sous le premier rapport, il y avait déjà des difficultés à vaincre. En effet, jusqu'ici les appareils aérostatiques enlevés dans l'atmosphère s'étaient bornés invariablement à des globes sphériques ou ballons, tenant suspendu par un filet un poids quelconque, soit une nacelle ou espèce de panier pouvant contenir une ou plusieurs personnes, soit tout autre objet plus ou moins lourd; toutes les expériences tentées en dehors de cette primitive et unique disposition avaient eu lieu, ce qui est infiniment plus commode et moins dangereux, sur de petits modèles tenus captifs par l'expérimentateur; le plus souvent elles étaient restées à l'état de projet ou de promesse.

En l'absence de tout fait antérieur suffisamment concluant et malgré les indications de la théorie, je devais encore concevoir certaines craintes sur la stabilité de l'appareil; l'expérience est venue pleinement rassurer à cet égard, et prouver que l'emploi d'un aérostat allongé, le seul que l'on puisse espérer diriger convenablement, était, sous tous les autres rapports, aussi avantageux que possible, et que le danger résultant de la réunion du feu et d'un gaz inflammable pouvait être complètement illusoire.

Pour le second point, celui de la direction, les résultats obtenus ont été ceux-ci: dans un air parfaitement calme, la vitesse du transport en tous sens est de 2 à 3 mètres par seconde; cette vitesse est évidemment augmentée ou diminuée, par rapport aux objets fixes, de toute la vitesse du vent, s'il y en a, et suivant qu'on marche avec ou contre, absolument comme pour un bateau montant ou descendant un courant quelconque; dans tous les cas, l'appareil a la faculté de dévier plus ou moins de la ligne du vent et de former avec celle-ci un angle qui dépend de la vitesse de ce dernier.

Ces résultats sont d'ailleurs conformes à ceux que la théorie indique, et je les avais à peu près prévus d'avance à l'aide du calcul et des faits analogues relatifs à la navigation maritime.

Telles sont les conditions dans lesquelles se trouve ce premier appareil; elles sont certainement loin d'être aussi favorables que possible; mais si l'on réfléchit aux difficultés de toute nature qui doivent entourer ces premières expériences, faites avec des moyens d'exécution excessivement restreints et à l'aide de matériaux incomplets et imparfaits, on sera convaincu que les résultats obtenus, quelque incomplets qu'ils soient encore, doivent conduire dans un avenir prochain à quelque chose de positif et de pratique. Pour cela que faut-il?

Un appareil plus considérable, permettant l'emploi d'un moteur relativement beaucoup plus puissant, et ayant à sa disposition toutes les ressources pratiques accessoires sans lesquelles il lui est impossible de fonctionner convenablement.

Je me propose, d'ailleurs, d'aller au-devant de toutes les objections, en faisant connaître les principes généraux, théoriques et pratiques, sur lesquels je crois que la navigation aérienne par la vapeur doit être basée.

Les diverses explications que je viens de donner, me dispensent d'entrer dans de longs détails sur le voyage aérien que j'ai fait; je suis parti seul de l'Hippodrome, le 24, à cinq heures un quart; le vent soufflait avec une assez grande violence; je n'ai pas songé un seul instant à lutter directement contre le vent, la force de la machine ne me l'eût pas permis: cela était prévu d'avance et démontré par le calcul; mais j'ai opéré avec le plus grand succès diverses manœuvres de mouvement circulaire et de déviation latérale.

L'action du gouvernail se faisait parfaitement sentir, et à peine avais-je tiré légèrement une de ses deux cordes de manœuvre, que je voyais immédiatement l'horizon tournoyer autour de moi; je suis monté à une hauteur de 1 500 mètres, et j'ai pu m'y maintenir horizontalement à l'aide d'un nouvel appareil que j'ai imaginé, et qui indique immédiatement le moindre mouvement vertical de l'aérostat.

Cependant la nuit approchant, je ne pouvais rester plus longtemps dans l'atmosphère; craignant que l'appareil n'arrivât à terre avec une certaine vitesse, je commençai à étouffer le feu avec du sable; j'ouvris tous les robinets de la chaudière: la vapeur s'écoula de toutes parts avec un fracas horrible; j'eus un moment la crainte qu'il ne se produisît un phénomène électrique, et pendant quelques instants je fus enveloppé d'un nuage de vapeur qui ne me permettait plus de rien distinguer. J'étais en ce moment à la plus grande élévation que j'aie atteinte; le baromètre marquait 1800 mètres; je m'occupai immédiatement de regagner la terre, ce que j'effectuai très heureusement dans la commune d'Élancourt, près Trappes, dont les habitants m'accueillirent avec le plus grand empressement et m'aidèrent à dégonfler l'aérostat. À dix heures, j'étais de retour à Paris. L'appareil a éprouvé à la descente quelques avaries insignifiantes qui seront bientôt réparées, et alors je m'empresserai de renouveler cette expérience, soit par moi-même, soit en la confiant à l'habileté et à la hardiesse de mes collaborateurs. Je ne terminerai pas sans faire savoir que j'ai été puissamment secondé dans cette entreprise par MM. David et Sciama, ingénieurs civils, anciens élèves de l'École centrale; c'est grâce à leur dévouement sans bornes, aux sacrifices de toute espèce qu'ils se sont imposés, et à leur concours intelligent, que j'ai pu exécuter ma première expérience. Sans eux, il m'eût été probablement impossible de la mettre à exécution dans un avenir prochain.

Je saisis avec empressement cette occasion de leur en témoigner publiquement toute ma reconnaissance; c'est pour moi un devoir et une vive satisfaction.

Henri Giffard.

Après sa magnifique tentative de 1852, Henri Giffard ne pensa qu'à recommencer une nouvelle expérience dans des conditions plus favorables encore. En 1855, il construit un nouveau ballon allongé, qui peut être considéré comme un prodige de hardiesse. Cet aérostat n'avait pas moins de 70 mètres de longueur et 10 mètres seulement de diamètre au milieu. Il avait l'aspect d'un cigare à deux pointes. Il cubait 3 200 mètres. Giffard modifia le système d'attache de la machine à vapeur, fixa la traverse de bois à la partie supérieure du navire aérien, dont il lui faisait embrasser la forme ovoïdale, modifia très heureusement son moteur et s'éleva avec un des aéronautes qui l'ont aidé dans ses constructions, M. Gabriel Yon, que nous allons retrouver plus tard avec M. Dupuy de Lôme.

Le départ s'effectue de l'usine à gaz de Courcelles, et si M. Giffard ne peut pas encore obtenir la direction absolue, il confirme victorieusement ses premiers résultats, obtient la déviation latérale du navire aérien, et à plusieurs reprises il le fait dévier de la direction du vent par les mouvements combinés du gouvernail et de l'hélice.

Au moment du départ, la machine était chauffée à toute pression, et les spectateurs présents virent avec admiration l'appareil tenir tête au vent pendant quelques instants. La descente fut périlleuse; par suite de l'excès d'allongement, le ballon ne garda pas sa stabilité; une de ses pointes se releva et le système eut la tendance à prendre la position verticale. En touchant terre, l'aérostat sortit du filet, qui tomba sur la tête des aéronautes. Il fit une seconde ascension et retomba en se séparant en deux morceaux qui furent recueillis à une faible distance du lieu de l'atterrissage.

C'est pendant cette même année 1855 que Giffard prit, à la date du 6 juillet, un second brevet sur son système de navigation aérienne. Le texte de ce brevet, publié dans le Génie industriel de MM. Armengaud frères[98], est un monument aérostatique d'un puissant intérêt. L'audacieux ingénieur étudie d'une façon très complète les conditions de construction d'un aérostat allongé de la forme que représente la gravure ci-dessous (fig. 84), dont nous donnons la reproduction exacte, et d'un volume immense, de 220 000 mètres cubes. La longueur totale de ce navire aérien devait être de 600 mètres et son diamètre au milieu de 30 mètres. Un tel aérostat, dont la construction ne sera peut-être pas impossible dans l'avenir, pourrait enlever un moteur de 30 000 kilogrammes, avec un excès de force ascensionnelle considérable pour les voyageurs, le lest et les approvisionnements. Henri Giffard démontre par le calcul que la vitesse propre de ce navire pourrait atteindre 20 mètres par seconde, et par conséquent dominer presque tous les vents.

Fig. 84.—Projet d'un aérostat à vapeur gigantesque de 600 mètres de longueur, étudié par Henri Giffard en 1856.

Giffard se proposait de construire un aérostat semblable, en lui donnant une pointe un peu plus effilée à l'arrière qu'à l'avant. La forme de l'aérostat devait être maintenue rigide au moyen d'une arête fixée sur le sommet et dans toute sa longueur.

Cette pièce, dit Giffard, est destinée à résister à l'effort de compression qui résulte de l'inclinaison des cordes de suspension; elle peut être ronde, pleine, creuse, ou présenter une forme quelconque; on peut aussi, au lieu d'une, en placer deux, éloignées l'une de l'autre de quelques degrés; on pourrait enfin en placer une ou deux en un point quelconque du filet ou de la suspension, et même au-dessous de l'aérostat, pourvu qu'on arrive au résultat principal de soustraire l'aérostat à tout effort de compression. Toute la partie inférieure de l'aérostat est garnie sur toute la longueur, ou à peu près, d'une série de fils ou bandes, ou tissus élastiques et tendus. Cette élasticité a pour but de maintenir le tissu de l'aérostat dans un état continuel de tension, de s'opposer à toute rentrée d'air dans l'intérieur, et par suite à tout mélange de gaz et d'air, et de réduire la section transversale et, par suite, la résistance de l'air, proportionnellement au volume de gaz contenu, volume qui varie continuellement en raison de la hauteur, de la déperdition qui a eu lieu précédemment, de la température, et du vide primitif qui a pu être laissé à dessein au moment du départ.

Tout en faisant ces savantes études, le jeune ingénieur voulait continuer à bien étudier en petit, les conditions de stabilité et de fonctionnement dans l'air des aérostats allongés. En 1856, il avait construit le navire aérien que représente la gravure ci-contre[99] (fig. 85). Ce ballon, de très petit volume, était muni d'une hélice que l'aéronaute devait lui-même faire fonctionner: il s'agissait simplement de faire certaines observations expérimentales. On essaya de remplir cet aérostat au moyen de gaz hydrogène, que préparait alors un chimiste nommé M. Gillard en décomposant la vapeur d'eau par le charbon, mais le gonflement ne put être achevé.

Fig. 85.—Petit aérostat allongé d'expérimentation construit par Henri Giffard en 1856.

Toutes ces expériences étaient fort coûteuses; Giffard dut les abandonner. Il construisit avec Flaud, qui fonda alors l'atelier de mécanique devenu depuis longtemps déjà l'un des établissements industriels les plus importants de Paris, de remarquables petites machines à vapeur à grande vitesse, qui lui rapportèrent bientôt une centaine de mille francs. Le jeune ingénieur put rembourser ce que lui avaient prêté ses amis David et Sciama (il eut malheureusement la douleur de les perdre successivement l'un et l'autre). Il donna bientôt naissance à l'injecteur des machines à vapeur, une des plus étonnantes inventions de la mécanique moderne, qui devait faire sa fortune.

Henri Giffard devint plusieurs fois millionnaire, mais il ne cessa jamais d'être le travailleur modeste et simple qu'on avait pu connaître au début de sa carrière. Les ballons restèrent sa préoccupation constante et l'objet de ses travaux les plus assidus. Il construisit le premier aérostat captif à vapeur, lors de l'Exposition universelle de 1867. L'année suivante, il fit installer à Londres un second aérostat captif qui cubait 12 000 mètres et qui avait nécessité des constructions gigantesques. Ce matériel coûta plus de 700 000 francs, que M. Henri Giffard perdit entièrement, sans proférer une seule plainte. L'éminent ingénieur ne regrettait jamais la dépense d'une expérience, si coûteuse qu'elle fût, parce que, disait-il, on en tirait toujours quelque profit.

Henri Giffard fut ainsi conduit peu à peu à donner naissance au grand ballon captif à vapeur de 1878, véritable monument aérostatique, que l'on peut appeler une des merveilles de la mécanique moderne. Tout le monde a encore présent à l'esprit ce globe de 25 000 mètres cubes, qui enlevait dans l'espace quarante voyageurs à la fois et ouvrit le panorama de Paris à plus de trente mille personnes pendant la durée de l'Exposition. Tout était nouveau dans cette œuvre colossale, l'aéronautique s'y trouvait transformée de toutes pièces: tissu imperméable, préparation en grand de l'hydrogène, détails de construction modifiés et perfectionnés, Henri Giffard avait tout calculé, tout essayé, tout réalisé. Sa puissance de conception était inouïe; il pensait à tout et prévoyait tout. C'était un expérimentateur émérite, un mathématicien éminent, un esprit d'une ingéniosité exceptionnelle, un mécanicien hors ligne.

Les grandes constructions aérostatiques, auxquelles il s'était si vaillamment exercé, devaient lui permettre de réaliser le rêve de toute sa vie, de reprendre son expérience de 1852, et d'apporter enfin au monde la solution définitive du problème de la direction des aérostats. Il avait conçu un projet grandiose, celui de la construction d'un aérostat de 50 000 mètres cubes, muni d'un moteur très puissant actionné par deux chaudières, l'une à gaz du ballon, l'autre à pétrole, afin que les pertes de poids de force ascensionnelle pussent s'équilibrer. La vapeur formée par la combustion aurait été recueillie à l'état liquide dans un condensateur à grande surface de manière à équilibrer les pertes d'eau de la chaudière.

Que de fois mon regretté maître ne m'a-t-il pas donné dans ses détails la description de ce monitor de l'air! Tout était calculé, tout était prêt, jusqu'au million qui devait lui permettre de l'exécuter, et que l'illustre ingénieur tenait toujours en réserve, dans quelques-unes des grandes maisons de banque de Paris. D'autres projets germaient encore dans son cerveau: voiture à vapeur, locomotive à très haute pression, bateau à grande vitesse; conceptions puissantes, étudiées avec une persévérance à toute épreuve et marquées au sceau du génie.

L'ingénieur, venons-nous de dire, avait tout prévu. Mais au-dessus de la volonté et de la prévoyance humaines, il y a les lois fatales de la destinée: les plus forts doivent s'y soumettre. La maladie est venue lutter contre les efforts du grand inventeur; sa vue s'affaiblit, lui rendant tout travail impossible, ce qui le plongea dans une douleur extrême. Il y avait un peu de l'athlète dans l'âme de Giffard, et l'idée de se trouver réduit à l'impuissance, le rendit inconsolable. Il s'enferma, et lui, qui avait tant aimé la lumière, l'indépendance et l'action, il vécut dans la solitude et s'éteignit graduellement, jusqu'au moment où, la tête affolée par la douleur, il se donna la mort le 15 avril 1882, en respirant du chloroforme.

II
DUPUY DE LÔME ET L'ÉTUDE DES AÉROSTATS À HÉLICE

Projet d'un aérostat dirigeable pendant le siège de Paris. — Navire aérien à hélice de M. Dupuy de Lôme. — Expérience du 2 février 1872. — Résultats obtenus. — Projet de M. Gabriel Yon.

En 1870, après nos premières défaites et la chute de l'Empire, Dupuy de Lôme, auquel la construction des premiers navires cuirassés avait donné une réputation universelle, accepta de faire partie du Comité de la défense, et il commença pendant le siège de Paris à s'occuper d'aérostation. Il présenta à l'Académie des sciences un projet de ballon dirigeable, pour l'exécution duquel le gouvernement de la Défense nationale lui ouvrit un crédit de 40 000 francs (28 octobre 1870). Mais cet aérostat, en raison des difficultés de construction, ne fut prêt que quelques jours avant la capitulation, et il ne devait être expérimenté que deux ans plus tard. M. Dupuy de Lôme a exposé en 1872 dans les termes suivants les motifs de ce retard:

C'est le 29 octobre 1870, pendant le siège de Paris par les armées allemandes, que j'ai été chargé de faire exécuter pour le compte de l'État un aérostat dirigeable, conçu conformément aux vues que j'avais exposées à ce sujet à l'Académie des sciences dans les séances des 10 et 17 du même mois.

J'ai accepté cette mission, sans me dissimuler les difficultés que j'allais rencontrer pour l'exécution de mon appareil dans Paris assiégé, avec son industrie désorganisée. Malgré mes efforts et ceux de mes collaborateurs principaux, M. Zédé, ingénieur de la marine, et M. Yon, aéronaute, je n'ai pu réussir assez à temps pour qu'il pût servir pendant le siège.

Des obstacles insurmontables, tels que l'insurrection du 18 mars et le second siège de Paris, suivis d'autres incidents, m'ont contraint de retarder encore l'essai de mon aérostat. Ce n'est qu'au mois de décembre 1871 qu'il m'a été possible de le préparer, dans un local du Fort-Neuf de Vincennes mis à ma disposition par le ministre de la guerre. Une commission, nommée par le ministre de l'instruction publique, a été alors chargée de constater la remise à l'État de l'appareil, et de suivre l'essai que je demandais à en faire le plus tôt possible.

Je rappelle que j'ai posé en principe que, pour obtenir un aérostat dirigeable, il faut d'abord satisfaire aux deux conditions ci-après:

1o La permanence de la forme du ballon, sans ondulations sensibles de la surface de son enveloppe;

2o La constitution, pour l'ensemble de l'aérostat, d'un axe de moindre résistance dans le sens horizontal, et dans une direction sensiblement parallèle à celle de la force poussante.

J'ai satisfait à la condition de permanence de la forme au moyen d'un ventilateur porté et manœuvré dans la nacelle, et mis en communication par un tuyau en étoffe avec un ballonnet placé à l'intérieur du ballon à sa partie basse. Le volume de ce ballonnet est le dixième de celui du grand ballon. Cette proportion permet de descendre de 866 mètres de hauteur, en maintenant le ballon gonflé malgré l'augmentation correspondante de la pression barométrique.

Fig. 86.—Épure de l'aérostat à hélice de Dupuy de Lôme.

Ce ballonnet à air est muni d'une soupape s'ouvrant de dedans en dehors, et réglée par des ressorts, de telle façon que si l'on venait à souffler mal à propos, ce serait l'air insufflé qui s'échapperait du ballonnet par cette soupape plutôt que de le gonfler en refoulant l'hydrogène plus bas que l'extrémité inférieure des pendentifs. Le grand ballon est muni de deux de ces pendentifs ouverts à l'air libre et descendant à 8 mètres au-dessous du plan tangent à la partie basse du ballon.

L'aérostat de Dupuy de Lôme cubait 3 400 mètres; sa longueur de pointe en pointe était de 36 mètres, son diamètre de 14m,84 (fig. 86). Gonflé d'hydrogène pur, il avait une force ascensionnelle considérable, et pouvait enlever huit hommes de manœuvre destinés à faire mouvoir l'hélice de propulsion, qui n'avait pas moins de 9 mètres de diamètre. Un gouvernail formé d'une voile triangulaire était à l'arrière.

Chargement de la publicité...