La pénétration saharienne (1830-1906)
Le domaine de la France dans l’Afrique occidentale s’est considérablement étendu pendant cette période décennale. En 1890, les Etats situés sur les rives du Sénégal sont, ou directement administrés par nos agents, ou soumis à notre influence. A l’Est et au Sud, nous avons débordé sur les pays soumis de trois côtés à la fois, au Soudan (Haut-Niger), dans le Fouta-Djallon, aux Rivières du Sud. Ces résultats ont été obtenus avec des forces militaires très restreintes. En 1887, le lieutenant de vaisseau Caron s’est même avancé sur le Niger jusqu’à Kabara, port de Tombouctou. Mais l’exécution de la voie ferrée du Sénégal au Niger a été poursuivie avec une extrême lenteur. Les changements de personnel, la cherté des envois, faits souvent pendant la mauvaise saison, le gaspillage du matériel, enfin deux épidémies de fièvre jaune absorbèrent la majeure partie des crédits[259] ; au bout de deux ans, 40 kil. seulement étaient construits, et c’est seulement en 1888 qu’on atteignit Bafoulabé (132 kil.)[260].
Pendant ce temps se passait sur le Bas-Niger un événement d’une bien autre portée. En 1884, les Compagnies françaises qui avaient remonté le Niger et y avaient fondé des comptoirs, lassées d’une lutte inégale et n’étant pas soutenues par le Gouvernement, se laissèrent acheter leurs comptoirs par leurs concurrents anglais. La Compagnie anglaise ne perdit pas de temps. Pour prévenir le retour d’un semblable péril, elle se fit décerner en 1886 une charte royale lui donnant le droit d’administrer le pays, et dès le 18 octobre 1887, l’Angleterre notifiait officiellement son protectorat sur les territoires possédés par la Compagnie du Niger[261].
Nos comptoirs de la Côte-d’Ivoire, Grand-Bassam et Assinie, ont servi de point de départ à de nombreux explorateurs qui ont entrepris la conquête pacifique de l’arrière-pays. En 1888, le capitaine Binger signait à Kong un traité de protectorat qui nous attribuait une partie de l’immense boucle du Niger, jusque là à peu près inconnue.
L’acquisition de la nouvelle colonie donnée à la France par de Brazza avait été ratifiée par le Parlement en 1882 ; à la suite du Congrès de Berlin, l’Association internationale africaine devenait l’Etat indépendant du Congo, dont le roi des Belges, Léopold II, était reconnu souverain. Les limites entre cet Etat et le Congo français furent fixées par un traité de 1887, qui assignait comme limite à la France la rive droite de l’Oubangui, depuis son confluent avec le Congo jusqu’à sa source. De même que l’Ogooué nous avait conduit au Congo et le Congo à l’Oubangui, l’Oubangui à son tour nous conduisit vers le lac Tchad et vers le Haut-Nil.
C’est par cette voie que nos explorateurs ont pénétré dans l’Afrique centrale, cherchant d’une part à relier par le lac Tchad le Congo à l’Afrique nigérienne et soudanienne, de l’autre à se rapprocher de la vallée du Nil.
La pénétration saharienne prend une allure différente à partir de 1890. C’est cette année-là que fut fondé le Comité de l’Afrique française, qui a joué un si grand rôle dans la fondation de l’empire colonial français en Afrique, et a provoqué le grand mouvement d’opinion qui rendit les entreprises africaines populaires en France. La mort de Crampel n’arrêta pas l’action du Comité ; les projets du jeune explorateur furent repris et exécutés par d’autres missions. Enfin, le 5 avril 1890, une convention franco-anglaise partageait entre la France et l’Angleterre une partie des territoires sahariens et soudaniens. Le « partage de l’Afrique », commencé pendant la période précédente, va marcher à pas de géant pendant la période décennale qui termine le XIXe Siècle. Du côté de l’Afrique septentrionale, notre politique, quoique bien timide encore, est un peu plus active que dans la période précédente. M. Jules Cambon, Gouverneur général de l’Algérie, manifeste de diverses manières l’intérêt qu’il porte aux questions sahariennes, et, bien que cet intérêt soit généralement demeuré platonique, son gouvernement marque une reprise de la pénétration saharienne. En dernier lieu, la mission Foureau-Lamy et la mission Flamand-Pein sont venues apporter ou tout au moins préparer la solution de questions pendantes depuis plus de trente ans, et ouvrir véritablement une ère nouvelle.
[214]Deuxième mission Flatters, Histor. et rapp. rédigés au Serv. Centr. des Aff. Ind., p. 164.
[215]Documents, II, p. 103.
[216]Id., II, p. 525.
[217]Documents, II, p. 119.
[218]Id., II, 115.
[219]Robin, Le Mzab et son Annexion à la France, Alger, 1884.
[220]Dr Amat, Le Mzab et les Mzabites, in-8o, Paris, 1888, p. 297.
[221]Jus, Les Forages artésiens de la province de Constantine, Constantine, 1890. Weisgerber, Notes sur l’Oued Rir et ses habitants, Paris, 1886. Id., Aperçu sur les conditions sanitaires et hygiéniques du Sahara algérien et de l’Oued-Rir, Paris, 1885. Georges Rolland, C. R. A. Sc., janvier 1887 ; Revue Scientifique, 18 févr. et 2 juillet 1887, 18 mars 1888 ; Bull. Soc. Géogr. comm., 1887, p. 663 ; Afas, Oran, 1888, t. I, p. 47 (av. carte).
[222]G. Rolland, Hydrologie du Sahara algérien, p. 56. Id., L’Oued-Rir et la colonisation Française, in-8o, Paris, 1887.
[223]Gouvernement Général de l’Algérie. Notes sur le pays d’Ouargla et les sondages opérés dans ses Oasis de 1883 à 1888, Alger, Giralt, in-4o, 1889. — Cf. P. Blanchet, L’Oasis et le pays d’Ouargla, Ann. de Géogr., 1900. p. 47.
[224]Rinn (commandant), Nos frontières sahariennes, Alger, 1886.
[225]Documents, II, p. 145.
[226]Vuillot, p. 201.
[227]Baunard, Vie du Cardinal Lavigerie, p. 201.
[228]Vuillot, p. 213.
[229]Vuillot, p. 219. Cf. Foureau, Excursion dans le Sahara Algérien (l’Exploration, tome XVI, p. 335 ; Bull. Soc. Archéol. de Constantine, 1888, p. 34). Une Excursion au Sahara Algérien : Rapport au Ministre de l’Instruction publique, in-8o, Paris, 1883.
[230]C. R. Soc. Géogr. Paris, 1885, p. 326, 421, 437, et 1887, p. 531.
[231]Id., 1892, p. 172.
[232]La carte donnée par Vuillot indique un ksar d’Ygrouth ; il n’existe pas de ksar de ce nom : il faut entendre l’Aouguerout ; par contre, Deldoun n’est pas un ksar, mais un district.
[233]Documents, III, p. 225, note.
[234]Vuillot, p. 227.
[235]C. R. Soc. Géogr. 1898, p. 52.
[236]Deleuze (Ct), Monument élevé à l’explorateur Camille Douls (Bull. Soc. Géogr. d’Alger, 1902, p. 408-412).
[237]Documents, II, p. 539.
[238]Documents, II, p. 459.
[239]Carte du Sud-Oranais à 1/400.000e publiée par le dépôt de la Guerre en 1855, revue et complétée en 1883 d’après les travaux du capitaine de la Croix de Castries, des lieutenants Delcroix et Brosselard, 4 feuilles.
[240]Carte du Sud-Oranais à 1/200.000e, édition provisoire, héliogravure sur zinc en couleurs, 15 feuilles, 1886.
[241]Mentionnée par Deporter, Extrême-Sud de l’Algérie, p. 1.
[242]V. Cornetz, Bull. Soc. Géogr. Paris, 1896, p. 521.
[243]Carte d’une partie du Sahara septentrional, dressée par F. Foureau, d’après l’Etat-Major, les documents les plus récents, les travaux, cartes et itinéraires de Duveyrier, Parisot, Le Châtelier, Bajolle, F. Bernard, Pech, Teisserenc de Bort, Foureau, à 1/100.000e, 1888.
[244]Bull. Soc. Géogr. Paris, 1882, p. 401. Cf. Documents, II, p. 461.
[245]3e trim. 1886, p, 364.
[246]Bull. Corr. afric. (Publicat. de l’Ec. des Lettres d’Alger), 1885, p. 266. — Cf. Documents, IV, p. 286.
[247]Documents, IV, p. 286.
[248]Le Chatelier, Les Medaganat, in-8o, Alger, 1888.
[249]René Basset, Documents géographiques sur l’Afrique septentrionale, in-8o, Paris, 1898 (Articles parus depuis 1883 dans le Bull. de la Soc. de Géogr. de l’Est).
[250]René Basset, Les manuscrits arabes des bibliothèques de Aïn-Mahdi et Temacin, de Ouargla et de Adjadja, in-8o, Alger, 1885.
[251]René Basset, Notes de lexicographie berbère, Paris 1883-88, 1re partie : Ghat et Keloui ; 3e partie ; Sud-Oranais et Figuig ; 4e partie : Touat, Gourara, Aoulimmiden. — Id., Etude sur la zenatia du Mzab, de Ouargla et de l’Oued-Rhir, Paris, 1893.
[252]A. de C. Motylinski, Guerara depuis sa fondation, Alger, 1884.
[253]A. de C. Motylinski, Les livres de la secte abadite, Bull. Corresp. afric., 1885, tome III.
[254]In-8o, Paris.
[255]Ch. Amat, Le Mzab et les Mozabites, in-8o, Paris, 1888.
[256]E. Masqueray, Dictionnaire français-touareg (Publicat. de l’Ec. des Lettres d’Alger, 3 fascic., Paris 1893-95). — Id., Observations grammaticales et textes de la tamahaq des Taïtoq, publiées par R. Basset et Gaudefroy-Demombynes (Publicat. de l’Ec. des Lettres d’Alger, 3 fascic., Paris 1896-97).
[257]In-8o, Alger, 1888. V. notamment p. 39 et suiv.
[258]Documents, III, p. 158. — Schirmer, Le Sahara, p. 182. — C. Sabatier, Touat, Sahara, Soudan, p. 10.
[259]Schirmer, p. 404.
[260]Bull. Afr. fr., 1896, p. 332.
[261]Schirmer, p. 405.
CHAPITRE VI
LA PÉRIODE DU PARTAGE DE L’AFRIQUE (1890-1900)
I. — La convention de 1890 avec l’Angleterre. — Occupation d’El-Goléa (1891). — Voyage de M. Cambon à El-Goléa (1892). — Projets d’expédition au Touat. — Les bordjs (1892-93). — Prise d’In-Salah (1899). — Progrès dans l’Afrique occidentale et centrale. — Prise de Tombouctou. — Politique saharienne du Soudan. — La « course au lac Tchad ». — La convention de 1899.
II. — Explorations : Jacob (1892). — Godron (1895). — Flamand (1896). — Germain et Laperrine (1898). — Cornetz (1891-94). — Foureau (1890-1900). — La mission Foureau-Lamy (1898-1900).
III. — Tentatives de pénétration commerciale. — G. Méry (1892-93). — D’Attanoux (1893-94). — Morès (1896). — Question des marchés francs (1893). — Question du Transsaharien.
IV. — Renseignements recueillis par MM. Deporter (1890) et Sabatier (1891). — Ouvrages de MM. Schirmer, Flamand, Vuillot, de la Martinière et N. Lacroix. — Cartographie saharienne.
I
Par la convention du 5 août 1890, « le gouvernement de S. M. B. reconnaît la zone d’influence de la France au Sud de ses possessions méditerranéennes, jusqu’à une ligne de Say, sur le Niger, à Barroua, sur le Tchad ». Cette convention a été assez diversement appréciée[262]. Suivant les uns, elle nous permet de réunir toutes les colonies françaises du nord et de l’ouest de l’Afrique et d’en faire un tout. Suivant les autres, cette union est purement fictive et imaginaire ; pour la satisfaction de teinter aux couleurs françaises, dans nos atlas, les vastes espaces vides du Sahara, nous avons abandonné aux Anglais les véritables portes de sortie de l’Afrique centrale, le Niger inférieur et la Bénoué. Sous prétexte de nous autoriser à prolonger l’Algérie vers le Sud, autorisation qui ne nous était nullement nécessaire et que personne ne songeait à nous refuser, nous nous sommes laissés exclure des riches territoires du Sokoto. Lord Salisbury se vanta, non sans quelque apparence de raison, de nous avoir attribué la mauvaise part, en nous donnant « les terres légères » du Sahara, où le coq gaulois trouverait « de quoi gratter ».
Quoi qu’il en soit, si nous voulions tirer parti de cette convention, la première chose à faire était de prendre possession du Touat sans plus tarder. Tel paraît bien avoir été un moment notre pensée. Un projet d’expédition aux oasis du Sud-Ouest par Igli et l’Oued-Saoura fut étudié en 1890, puis ajourné[263]. On se contenta de créer en 1891 un poste permanent à El-Goléa, à cheval sur l’Oued-Mya qui va à l’Igharghar et l’Oued-Seggueur qui va à l’Oued-Saoura ; en ce point, l’Oued-Seggueur, sortant de l’Erg, bute contre le plateau crétacé et repart par un coude brusque dans une direction perpendiculaire, en prenant le nom d’Oued-Meguiden et en se dirigeant à l’W. S. W. vers l’Aouguerout[264].
Cette mesure aurait dû être le prélude d’une action sur In-Salah. Au mois d’août 1891, M. Jules Cambon écrivait combien il lui paraissait nécessaire qu’enfin la France prît une résolution qui assurerait définitivement la tranquillité de l’Algérie et sa domination dans le Sud : « Les oasis du Touat, du Gourara et du Tidikelt, disait-il, ont servi de refuge à tous les hommes de nos tribus plus ou moins compromis, et ont été le centre de toutes les agitations qui se produisent contre nous ; c’est là, au Deldoun, que s’est réfugié Bou-Amama, qui cherche par tous les moyens à encourager les insurrections, les razzias et les défections. D’un autre côté, le souvenir de la mission Flatters, qui n’a pas été vengée, écarte de nous les Touareg qui l’ont concertée. Enfin les nécessités de la politique nous ont conduits à reconnaître la suzeraineté de la Porte sur Ghadamès et sur Ghat ; il en résulte que, si nous laissons échapper le Touat, qui est la plus grande ligne d’eau et de la population se dirigeant à travers le Sahara vers l’intérieur de l’Afrique, comme d’autre part la ligne des oasis de Ghadamès-Ghat ne nous appartient plus, nous n’avons plus de voie de pénétration facile et sûre dans le Sahara, et le traité conclu avec l’Angleterre l’an dernier relativement à l’hinterland algérien sera devenu une lettre morte entre nos mains[265] ».
Mais M. J. Cambon ne parvint pas à faire partager cette manière de voir par le Gouvernement de la métropole. On s’en tint à décider l’augmentation des forces militaires dans le Sud, et le prolongement du chemin de fer d’Aïn-Sefra sur Djenien-bou-Rezg, c’est-à-dire des mesures préparatoires qui ne furent suivies d’aucune action. Les essais faits pour utiliser des influences indigènes, notamment celle du chérif d’Ouazzan, demeurèrent sans grand résultat. En 1892, nous perdîmes une des plus belles occasions d’agir qui se soit présentée. M. Cambon, exécutant un projet conçu par son prédécesseur M. Tirman, se rendit à El-Goléa, accompagné du général Thomassin, et les Ouled-Sidi-Cheikh vinrent l’y saluer. C’est alors qu’on songea à reprendre avec Si-Kaddour la politique qui nous avait jadis donné avec le concours de son père Si-Hamza, le sultanat d’Ouargla[266]. Le chef des Ouled-Sidi-Cheikh promettait de diriger au profit de notre cause ses efforts vers les oasis du Touat. Ce projet n’aboutit pas plus que les autres. Pendant ce temps, la cour de Fès poursuivait ses menées et investissait des caïds dans les oasis ; les efforts du Sultan, évidemment dirigés par les puissances européennes, ne manquaient ni de persévérance ni d’intelligence. En 1893, le sultan Moulay el Hassan visita le Tafilelt, pour y prier, disait-on, sur la tombe de ses ancêtres ; il dut revenir en toute hâte, rappelé par les événements de Melila, et notre situation dans le Sahara n’eut guère à souffrir de ce voyage. La mort du Sultan (1894) rendit encore impossible l’année suivante l’expédition du Gourara.
C’était une compensation insuffisante à notre inaction que la construction de quelques caravansérails fortifiés ou bordjs, au-delà des points extrêmes de nos possessions. En 1893, on créa de ces forts, ainsi qu’on appelle un peu pompeusement ces petits ouvrages, à Berresof, sur la route du Souf à Ghadamès, à Hassi-el-Mey, au sud d’El-Oued et à Hassi-Inifel sur l’Oued-Mya, près du confluent de l’Oued Insokki. En 1894, on construisit Hassi-bel-Heïrane (Fort Lallemand), dans les gassis de l’Igharghar, Hassi-Chebaba (Fort Miribel) à 135 kilomètres Sud d’El-Goléa, sur la route d’In-Salah par le Tademayt, Hassi-el-Homeur (Fort Mac-Mahon), à 165 kilomètres S. W. d’El-Goléa, dans l’Oued-Meguiden, sur la route du Gourara. En 1895, on occupa dans la province d’Oran El-Abiod-Sidi-Cheikh et Djenien-bou-Rezg, postes qui, installés sur le revers de l’Atlas Saharien, allaient nous permettre de surveiller le pays en avant, ce que n’avaient pu faire nos postes de Géryville et d’Aïn-Sefra, placés au débouché nord des montagnes. Enfin, en 1897, le chef-lieu du cercle de l’Extrême-Sud, qui était primitivement à Ghardaïa, fut transféré à El-Goléa.
Ces mesures étaient parfaitement justifiées s’il fallait y voir une solution d’attente, si ces bordjs devaient être des gîtes d’étape et des points d’appui en vue d’une marche immédiate sur In-Salah ; c’était une charge sans compensation si l’on devait s’imposer pendant des années le ravitaillement coûteux et parfois dangereux de ces postes. Avec les nomades, quand on occupe un point, on n’occupe que ce point. Bugeaud l’avait déjà dit[267], et ce principe stratégique, déjà vérifié aux confins du Tell, devient un axiome en pays saharien. La garde d’un point d’eau ou d’un défilé n’empêchera jamais un djich, un rezzou ou une harka de « passer à côté ». Selon le mot de M. de Castries[268] « on ne tient pas les nomades avec des bordjs, on les tient par le ventre ». Ce n’est pas par une progression lente de notre base d’opérations et par la création de postes perdus dans les immensités sahariennes que nous établirons notre domination ; c’est en allant tout droit occuper les oasis où se trouve une population sédentaire et agricole, où, par suite, notre installation est facile, et d’où nous pouvons tenir « par le ventre » les turbulents et les insoumis. C’est en occupant In-Salah, carrefour de routes et lieu de ravitaillement des Touareg, que nous les aurons à notre merci[269].
En 1898, M. Laferrière prit possession du Gouvernement général de l’Algérie. Il montra en maintes circonstances qu’il s’intéressait vivement aux questions de l’Extrême-Sud, et qu’il était résolu à en finir avec les difficultés que nous rencontrions dans le Sud-Oranais et au Touat. La présence à ses côtés du capitaine Levé, officier familier avec les problèmes sahariens et apportant à préparer leur solution l’activité la plus énergique, était un indice certain que la pénétration saharienne entrait dans une phase nouvelle. En effet, les questions posées depuis 1890, voire depuis 1864, se sont trouvées rapidement résolues à la suite de l’attaque de la mission de M. G.-B.-M. Flamand, qui mit fin à des hésitations inexplicables.
Cette mission scientifique était escortée d’un goum d’environ 140 hommes, commandé par le capitaine Pein ; chef du poste de Ouargla, cet officier s’était distingué dans la poursuite d’un rezzou jusque dans la région de Ghadamès, et c’est à lui qu’était échue, en 1898, la difficile mission de ravitailler, dans un pays inconnu, la mission Foureau-Lamy. La mission Flamand, arrivée le 27 décembre 1899 dans la région d’Iguesten, fut attaquée le lendemain au point du jour par une troupe de 1.200 hommes venus d’In-Salah et des ksour voisins, et ayant à leur tête les chefs du sof antifrançais des Badjouda. Le capitaine Pein, malgré le faible effectif dont il disposait, repoussa les agresseurs, qui eurent 50 tués ou blessés et laissèrent plus de 60 prisonniers, parmi lesquels Badjouda. Les portes de Ksar-el-Kebir lui furent ouvertes. A la nouvelle du combat, le capitaine Pein avait été rejoint par le capitaine Germain, commandant les spahis sahariens, qui avait reçu l’ordre de se maintenir en contact avec la mission, de manière à pouvoir lui porter secours en cas de besoin. Le 5 janvier 1900, un nouveau combat, livré près du petit ksar de Deghamcha, amena la soumission de la population de tout le groupe d’In-Salah. Le maintien de l’occupation de cette oasis fut décidé, et le 18 janvier arrivaient des forces de soutien, envoyées d’El-Goléa sous les ordres du commandant Baumgarten. La pénétration saharienne se présentait dans des conditions toutes nouvelles, par suite de cet événement décisif.
Dans nos possessions de l’Afrique occidentale, nous avons acquis un domaine immense pendant la période décennale 1890-1900, et déployé une très grande activité. Celui de tous ces événements coloniaux qui intéresse le plus directement le Sahara est la prise de Tombouctou en 1895 ; notre entrée dans cette ville eut un grand retentissement au Sahara. Les campagnes de la flottille du Niger de 1895-96, grâce, en particulier, au lieutenant de vaisseau Hourst, ont fait connaître le cours complet de ce grand fleuve. La pacification de la partie septentrionale de la boucle a été assurée par l’établissement de postes à Bamba, Gao, Tozaye et Ansongo, qui tiennent le fleuve contre les incursions des Touareg de la rive gauche. Les questions sahariennes ont été étudiées au Soudan avec un soin vraiment digne d’éloges, et le gouvernement de cette colonie a publié sur les Touareg du Sud d’intéressantes études.
En 1898, M. Coppolani, administrateur-adjoint de commune mixte, fut chargé d’une mission du Gouvernement général de l’Algérie pour étudier les rapports entre les confréries religieuses musulmanes de l’Algérie et celle du Soudan. Il entra en relations avec les tribus de Maures et de Touareg Aouelimmiden dont les parcours s’étendent au nord du Sénégal et du Niger et contribua à leur pacification. Il traversa le Tagant, le Hodh, l’Azaouad, et s’avança jusqu’à Araouan.
En 1890, le capitaine Monteil, parti de Bammako, atteint Say en traversant le Massina, reconnaît les limites assignées par la convention franco-anglaise et aboutit à Tripoli en traversant le Sahara par la route de Bilma et du Fezzan. A la fin de la même année, le lieutenant de vaisseau Mizon remonte le bas Niger, sur la foi des traités qui assuraient la liberté complète de navigation du fleuve et de ses affluents. Malgré les embarras de toutes sortes que lui suscite la Royal Niger Company, il réussit à remonter la Bénoué jusqu’à Yola. Il ne parvient pas à atteindre le lac Tchad, mais il effectue sa jonction avec de Brazza, venu à sa rencontre par la Sangha ; il avait ainsi fermé le hinterland du Cameroun, qu’une convention franco-allemande de mars 1894 délimita.
Au Dahomey, les postes de Wydah et de Kotonou servent de point de départ à une action énergique contre le Dahomey, qui aboutit à la prise d’Abomey par le colonel Dodds. Les années suivantes sont employées à effectuer la jonction du Dahomey avec nos possessions de la Côte-d’Ivoire et du Haut-Niger, jonction réalisée de 1896 à 1897.
La capture de notre vieil ennemi Samory, en 1898, abat les dernières résistances dans l’Afrique occidentale. Enfin une convention du 14 juin 1898, par laquelle nous faisions à l’Angleterre des concessions étendues, partage entre elle et nous les territoires de la boucle du Niger[270] ; elle n’est en somme que la conséquence de la fâcheuse convention de 1890.
Dans l’Oubangui, les missions Dybowski, Maistre (1892-94), Gentil (1895-97), s’avançaient vers le bassin du Chari et le Tchad, pendant que les missions Liotard (1892) et Marchand (1896-98) étendaient notre domaine dans la direction du Nil.
La période de grande expansion en Afrique, la « course au lac Tchad », inaugurée par l’exploration de Crampel, peut être considérée comme close par la convention franco-anglaise de 1899, qui a fixé d’une manière à peu près définitive les limites de notre empire colonial dans l’Afrique Centrale[271]. La jonction au moins virtuelle des possessions françaises du Soudan, de l’Algérie et du Congo français sur les bords du lac Tchad est effectuée. La convention de 1899 consacre nos efforts dans la région du Haut-Oubangui, du Chari et du Baguirmi ; elle nous attribue le Ouadaï et le Tibesti, sans parler de vastes régions purement sahariennes. Malgré ce qu’a eu de pénible pour nous l’évacuation de Fachoda et notre exclusion des régions du Haut-Nil, on reconnaîtra sans doute à la réflexion que la part qui nous est faite par la convention n’est pas négligeable. A notre avis, c’est en 1890 que les fautes irréparables ont été commises, lorsque nous nous sommes laissé exclure du Bas-Niger et surtout de la Bénoué, où Mizon nous avait acquis les droits les plus sérieux.
II
La période décennale 1890-1900 n’a pas été sans profit au point de vue de l’exploration et de la connaissance scientifique du Sahara. Le martyrologe des victimes des Touareg semble à peu près clos ; sauf le lieutenant Collot, tué au sud d’El-Goléa par des Chaanba dissidents dans une reconnaissance topographique[272], et le marquis de Morès, qui périt dans le sud de la Tunisie, aucun nouveau désastre ne s’est produit dans le Sahara. Avant de parler des diverses missions de M. Foureau, qui figurent au premier rang pendant cette période, il convient de rappeler les autres explorations accomplies dans l’arrière-pays de la province d’Oran et de la Tunisie.
En 1891, le capitaine de Saint-Julien reconnaissait la vallée de l’Oued-Namous. En 1892-93, M. Jacob, ingénieur des Mines, chargé de l’étude hydrologique du sud des divisions d’Oran et d’Alger, parcourait les vallées de l’Oued-Namous et de l’Oued-Gharbi, s’avançait jusqu’à Hassi-Ouchen, à deux jours de Tabelkoza, puis allait passer à Hassi-bou-Zid et gagnait de là El-Goléa. Il déterminait divers points astronomiques, et M. le lieutenant Fariau, qui l’accompagnait jusqu’à Hassi-bou-Zid, levait son itinéraire. Divers itinéraires dans la région de Fort-Mac-Mahon étaient reconnus et levés par le capitaine Pein, le lieutenant Pouget et d’autres officiers[273]. En 1895, le commandant Godron, accompagné des lieutenants S. du Jonchay et de Lamothe et de l’interprète militaire Palaska, descendait l’Oued-Gharbi, franchissait l’Erg et allait toucher à l’oasis de Tabelkoza[274].
Mais le principal explorateur du Sud-Ouest est M. G.-B.-M. Flamand, professeur à l’Ecole des Sciences d’Alger et collaborateur du Service de la Carte géologique de l’Algérie ; il a fait du Sahara oranais son domaine propre et y a accompli ces mêmes explorations méthodiques que M. Foureau a poursuivies plus particulièrement dans le Sahara algéro-constantinois. C’est en 1890 qu’il commença à voyager dans l’Atlas saharien et les régions limitrophes. En 1896, il accomplit un voyage dont les résultats scientifiques ont été importants. Parti d’El-Abiod-Sidi-Cheikh, M. Flamand aboutit à Fort-Mac-Mahon (Hassi-el-Homeur) ; il reconnut la série des régions naturelles parallèles, dirigées S.-W.-N.-E., que l’on rencontre entre la chaîne saharienne et le plateau crétacé du Tademayt, visitant l’Oued-Gharbi, l’Erg, le Tinerkouk, le Meguiden. Le voyageur a signalé l’importance de la zone d’épandage des grands oueds, réceptacle des eaux des grandes crues de l’Oued-Seggueur, de l’Oued-Gharbi, de l’Oued-Namous ; cette zone n’a pas moins de 400 kilomètres de développement, et sa largeur maximum dépasse 80 kilomètres. La lisière septentrionale du grand Erg est reculée par M. Flamand jusqu’à Oum-es-Sif ; il va se terminer à l’Est à El-Goléa, au sud de la grande vallée du Meguiden ; il est large de 100 kilomètres à peine dans la partie où l’explorateur l’a traversé. Une particularité de structure de cette région est la présence de tar’tar (plur. tr’atir), plateaux sableux sans alignement défini[275].
M. G.-B.-M. Flamand s’est fait une place dans les études sahariennes non seulement comme explorateur, mais comme géologue et comme archéologue. Il a montré la grande extension dans le Sud-Oranais des terrains tertiaires (dépôts gréseux et caillouteux) analogues à ceux des gour de Brézina[276]. Il a publié un ouvrage relatif à la géologie et aux productions minérales de l’Oued-Saoura[277]. On sait en outre l’importance de ses recherches et de ses publications sur les monuments rupestres qu’il a décrits sous le nom de « Pierres Ecrites », et qu’il a déterminés comme appartenant à trois périodes distinctes (néolithique, libyco-berbère, musulmane[278]).
A la suite de sa mission au Tidikelt à la fin de 1899, M. Flamand a fait connaître la tectonique et le régime hydrographique de cette dépression. Des chaînes orotectoniques à direction méridienne ou subméridienne et à axe cristallophyllien relient transversalement le Tademayt à l’avant-pays du massif central targui. Les oasis ont bien une direction nord-sud, mais les drains souterrains des feggaguir ont une direction est-ouest. Les eaux dérivent des grès paléozoïques du Sud par des synclinaux subméridiens, et non du Nord comme on l’avait cru jusqu’à ce jour ; la nappe artésienne paraît beaucoup moins importante que celle de l’Oued-Rir. D’autres notes[279] font connaître la présence au Tidikelt du Dévonien inférieur et du Carboniférien (calcaires à polypiers), reliant les assises carbonifériennes du pays des Azdjer signalées par Foureau à celles du Sahara marocain rencontrées par Lenz[280].
M. Flamand a également présenté[281] des observations sur les nitrates du Sahara, à propos d’un échantillon de terre salpêtrée provenant de la sebkha des Ouled-Mahmoud.
En 1898, MM. Germain et Laperrine, officiers de spahis sahariens, traversaient le plateau du Tademayt de Fort-Mac-Mahon à In-Salah, par Hassi-Aflissès, levant 662 kilomètres d’itinéraires nouveaux. Ils reconnaissaient la configuration exacte du plateau et des oueds qui l’entaillent, configuration assez mal indiquée jusqu’ici sur les cartes. Le versant sud du Baten est abrupt et plonge tout d’un coup sur le reg, où l’on descend par de profondes et difficiles échancrures, telles que la gorge d’Aïn-Souf[282].
Dans le Sud-Tunisien, la région située au sud des grands chotts, parcourue souvent encore par des razzias pendant les premières années après l’occupation de la Tunisie, n’était guère connue, jusqu’en 1891, au-delà de la limite de la carte au 1/200.000e du Service géographique de l’armée, que par quelques renseignements indigènes. Seul, M. de Béchevelle, officier du Service des renseignements, chargé d’organiser le petit pays du Nefzaoua, s’était avancé jusqu’à Bir-Kessira, sur la route de Douirat à Ghadamès. Aucun voyageur européen n’avait encore parcouru les routes conduisant de la Tunisie à Ghadamès.
C’est ce que se proposa un jeune ingénieur suisse, M. V. Cornetz, qui accomplit, en 1891, un voyage de Douirat à Ghadamès et entra même dans cette dernière ville. De 1891 à 1894, il a vécu sous la tente avec les dernières tribus tunisiennes et fait de grandes excursions cynégétiques, son principal point de départ ayant été le village de Douz, au sud-est du Nefzaoua. M. Cornetz a dégagé avec beaucoup de clarté[283] les traits généraux de la géographie du Sahara tunisien, où la division fondamentale est, comme dans le Sahara algérien, celle du Sahara quaternaire ou pays des Puits (Bled-el-Biar) et du Sahara crétacé ou pays de la Soif (Bled-el-Ateuch). Entre Ghadamès et le Nefzaoua. M. Cornetz distingue 5 régions : une région de hammada ; une région de chebka, longée par une large plaine d’érosion, le Djelel ; une région de gour ; la région des Toual (gour allongés) et la plaine des puits. M. Cornetz a étudié les Areg tunisiens et leurs limites, les points d’eau, les tribus, les principaux trajets de caravanes.
En 1893, MM. Cazemajou, capitaine du génie, et Dumas, lieutenant au 4e spahis, exécutaient un voyage de reconnaissance vers Ghadamès en suivant la route Nefta-Ghadamès, non encore reconnue. Partis de Berresof Cherf, ils s’avançaient à travers l’Erg jusqu’à la zaouïa de Sidi-Maabed, à 2 kil. à l’ouest de Ghadamès, levant leurs itinéraires à 1/100.000e[284].
Le principal explorateur de cette période décennale est M. Foureau, qui reprend et continue, dans des conditions singulièrement plus difficiles, les traditions de Duveyrier. Presque chaque année, depuis 1890, nous trouvons M. Foureau sur les routes du Sahara. La surface des régions explorées par lui de 1890 à 1897 représente un carré de 750 kil. du nord au sud et autant d’est en ouest compris entre les latitudes de Touggourt et d’Edeyehouen, dans l’Oued-Mihero, entre les méridiens d’In-Salah et de Ghadamès[285]. Les itinéraires de M. Foureau, divergeant presque tous de Biskra, embrassent la région comprise entre le Sud Algérien et le Tassili des Azdjer, en passant par l’Erg et la hammada de Tinghert. Il a franchi treize fois les grandes dunes de l’Erg oriental, trois fois le massif de dunes au sud du Djoua (Erg d’Issaouan des cartes). Il a résolu le problème du cours de l’Igharghar, reconnu des bras très excentriques de ce fleuve fossile dans l’Erg de l’Est, alors qu’on admettait avant lui qu’il suivait en un cours unique le Gassi Touil. Il a déterminé l’altitude, la nature du sol et la végétation dans les régions ainsi parcourues par lui, dont ses itinéraires, soigneusement relevés, ont aidé à fixer la carte. Ses missions ont eu d’importants résultats géologiques : il a notamment fait connaître l’existence de larges bandes de calcaire carbonifère dans l’Erg d’Issaouan, entre la hammada crétacée de Tinghert et le plateau dévonien du Tassili.
En 1890, M. Foureau[286] part de Touggourt, va passer à Bir-Ghardaya, Hassi-Botthin et Aïn-Taïba. Puis, traversant l’Erg dans la direction du sud-ouest, par une contrée fort difficile, il va aboutir à Menkeb-Souf, dans la région dite du Maader, estuaire terminal des rivières descendues du Tademayt sur le versant nord-est. Il passe à Hassi-Aouleggui, non loin de Hassi-Messeguem, coupant en ce point la route de la deuxième mission Flatters. Puis il longe le versant sud du Tademayt, cheminant sur une hammada noire qui s’étend entre l’Oued-Massin à gauche et le Djebel-el-Abiod à droite, le long du Baten. Arrivé au Koudiat-Mrokba, à partir duquel le Baten s’éloigne dans la direction Ouest plein, il reprend la route du retour, repasse à Menkeb-Souf, puis se dirige sur Guern-el-Messeyed. De là, il suit la hammada Dra-el-Atchan ou hammada de l’Oudje nord et rentre à Touggourt.
En 1892, M. Foureau se propose[287] de reconnaître la région au sud d’Aïn-Taïba, entre Temassinin et Hassi-Messeguem. Il franchit l’Erg deux fois, par des routes presque entièrement nouvelles, pousse une pointe à travers le plateau rocheux de Tinghert jusqu’au puits de Tabankort, visite Temassinin, petit jardin de 2 à 300 palmiers, où habite seul un hartani d’In-Salah, gardien de la zaouïa, à dix jours de marche de tout centre habité. De Temassinin, M. Foureau fait route sur Hassi-Messeguem en passant par El-Biodh, et remonte ensuite sur Touggourt par Aïn-Taïba.
En 1893, M. Foureau parcourt de nouveau[288] le Sahara algérien et relève des itinéraires nouveaux dans la région s’étendant entre Ouargla, Temassinin et Ghadamès. A partir d’Aïn-Taïba, il gagne El-Biodh par une route nouvelle et intermédiaire entre ses anciens itinéraires de 1890 et 1892. A Temassinin, il apprend la présence, près Ghadamès, de plusieurs nobles Azdjer qu’il désire rencontrer ; il se décide alors à se rapprocher de cette ville en suivant l’Oudje sud de l’Erg, au nord de la route suivie par Rohlfs, région curieuse et jusqu’alors inexplorée, en sol de hammada rocheuse extrêmement dure. Arrivé au Hassi-Imoulay, il ne crut pas devoir s’approcher plus près de Ghadamès. Quelques Ifoghas, auxquels il avait envoyé des émissaires, vinrent l’y visiter ; ils déclarèrent que la convention de 1862 était ignorée de la masse des tribus, et qu’ils ne pouvaient, pour le moment, lui assurer le passage à travers leur territoire. D’après ces indigènes, le commerce serait nul entre In-Salah et Ghadamès, peu important entre l’Aïr, la région du Tchad et la Méditerranée. M. Foureau, traversant l’Erg de nouveau entre les itinéraires de Largeau et de Duveyrier, rentra à Touggourt par Hassi-Tozeri et Bir-el-Hadj.
En 1894, de même qu’en 1893, le but de M. Foureau[289] était de pénétrer chez les Touareg Azdjer, de traverser leur territoire et d’atteindre l’Aïr. Cependant, avant de prendre la direction de Temassinin et du Tassili des Azdjer, il dut, afin de déférer au désir du Gouvernement général de l’Algérie, faire un levé rapide de la route d’El-Goléa au Tidikelt à travers le Tademayt. Seul, sans bagages, ni tente, ni convoi, accompagné de cinq Chaanba seulement, il passe par Hassi-Chebaba et s’avance jusqu’à Hassi-el-Mongar, à 35 kilomètres N.-E. d’In-Salah. Il se dirige ensuite sur El-Biodh et Temassinin, suit le Djoua par l’Oued-Ohanet, puis, coupant à travers l’Erg d’Issaouan, il gagne par une route complètement nouvelle le puits de Tadjentourt, situé sur la route de Ghadamès à Ghat et qu’avait jadis visité Duveyrier. De là, il traverse le plateau d’Eguélé et atteint l’Oued-Tikhammalt (Oued-Mihero), où il a une entrevue avec les chefs Azdjer, notamment Guedassen, Mohammed ben Ikhenoukhen, et Moulay-ag-Khaddadj. Guedassen, le chef des Azdjer, est très hostile aux Européens ; Mohammed ben Ikhenoukhen est plus calme et plus sympathique ; Moulay ag Khaddadj, cousin d’Ikhenoukhen, est peu influent[290]. Il n’y a d’ailleurs plus d’amenokal depuis la mort d’El Hadj Ikhenoukhen ; l’anarchie complète règne chez les Azdjer. Après de longues et pénibles discussions, les chefs finirent par accepter de faire traverser leur territoire à M. Foureau. Celui-ci remonta la vallée, encaissée dans le Tassili, massif montagneux de grès noir hérissé de pics aigus, mais sa marche vers le Sud-Est fut bientôt arrêtée, au point dit Edeyehouen, avant le lac Mihero, par une bande de fanatiques à l’encontre desquels les notables Azdjer ne montrèrent qu’une médiocre bonne volonté. Le retour en arrière s’effectua à travers l’Erg d’Issaouan et le plateau de Tinghert, par Hassi Tabankort, Mouilah Maatallah, Hassi-Mokhanza et Touggourt.
Ces deux missions de M. Foureau à Hassi-el-Mongar et à Edeyehouen sont parmi les plus importantes qu’il ait accomplies à tous les points de vue. Il rapportait un itinéraire de 4.600 kilomètres levé à 1/100.000e. Sa tentative de janvier 1894 pour traverser le Tassili et pénétrer dans l’Aïr est celle qui fut le plus près de réussir.
Pendant les années qui suivent, M. Foureau fait encore plusieurs explorations plus ou moins longues dans l’arrière-pays de nos possessions de l’Afrique du Nord ; d’octobre 1894 à mars 1895, il effectue deux nouvelles tentatives[291]. Dans un précédent voyage, il avait pris contact et séjourné quelque temps avec les chefs Azdjer au milieu de leurs campements ; arrêté dans sa marche vers le Sud par les efforts d’un chérif fanatique et la mollesse voulue des chefs Azdjer, il rapportait une réclamation des Touareg qui demandaient au Gouvernement français la restitution de chameaux à eux razziés en 1885 par des nomades algériens d’El-Oued. Après règlement de cette question, ils assuraient, disaient-ils, le libre passage aux explorateurs français. Le Gouverneur général voulut bien consentir, par mesure bienveillante, à payer aux Touareg leurs chameaux ; mais ils devaient envoyer à Touggourt des mandataires pour toucher cette somme, fixée à 9.000 francs.
M. Foureau se rendit chez les chefs Azdjer pour les informer de cette décision. Passant par Aïn-Taïba, El-Biodh et Temassinin, il traversa l’Erg d’Issaouan, où il reconnut l’existence d’un grand gassi se dirigeant vers Aïn-el-Hadjadj ; il s’avança jusqu’au lac Menghough, doublant à peu près l’itinéraire de la première mission Flatters, et poussa jusqu’à Tadjentourt, où eurent lieu avec les chefs des pourparlers qui durèrent 6 jours. Il se décida à leur payer 2.000 francs à titre d’acompte, et ramena deux mandataires auxquels fut versé le reste de la somme. Il rentra à Touggourt par Hassi-bel-Haïrane, rapportant environ 1.000 kilomètres d’itinéraires nouveaux, notamment dans le grand Erg, et ayant recueilli divers fossiles du dévonien et du carboniférien.
Les mandataires des Touareg, ayant reçu en janvier 1895 à El-Oued le solde de leur compte, repartirent avec une lettre par laquelle Foureau donnait rendez-vous aux chefs Azdjer au pied du Tassili pour le mois de mai. Ayant rempli[292] toutes les conditions exigées par eux, il devait trouver son escorte au jour dit. Mais cette fois, il fut arrêté par un rezzou de Chaanba dissidents habitant avec Bou-Amama. Il dut rentrer à Biskra, après avoir couru de réels dangers, et ne rapportant que fort peu de renseignements géographiques. La même année survenait un événement fâcheux pour l’influence française, la mort de Mohammed ben Ikhenoukhen, fils du protecteur de Duveyrier[293].
En 1896, les Touareg avaient accusé officiellement réception des sommes versées le 3 février 1895 par les autorités françaises à leurs mandataires. Leurs dispositions semblaient assez favorables, mais le Gouvernement général s’opposa à ce que M. Foureau pénétrât cette année-là chez les Touareg, où on signalait un état troublé, et il dut se borner à une course dans le grand Erg algérien et tunisien[294]. Il distingua dans l’Erg un certain nombre de zones bien distinctes, différentes par l’aspect et la végétation, reconnut un bras très oriental de l’Igharghar et constata que la région de l’Ouar (la difficile), qui succède à l’Oudje nord, recouvre tout un système montagneux, aujourd’hui à peu près complètement enseveli.
En 1897, M. Foureau tente une fois encore la traversée du Tassili des Azdjer[295]. De Temassinin, il remonte la vallée des Ighargharen, passe à Aïn-el-Hadjadj et au lac Menghough. Il a de longs palabres avec les Azdjer au puits de Tassindja, dans l’Oued-Lezy, mais sans plus de succès que précédemment. Il doit renoncer à gagner l’Aïr, faute d’argent et de temps (il était parti trop tard, en mars, et avait rencontré des températures très pénibles) ; mais le principal obstacle résidait toujours dans l’attitude des Azdjer « dont les appétits, au point de vue de l’argent, sont aussi grands que leur complaisance l’est peu. »
Les explorations de M. Foureau donnent la conviction, à peu près établie d’ailleurs dès sa mission de janvier 1894, que le système employé par Duveyrier, et consistant à se présenter presque sans compagnons en s’assurant le patronage de chefs influents, n’est plus de mise et ne saurait désormais réussir, si bien préparé que soit l’explorateur et quelle que soit sa connaissance des choses du Sahara.
Il ne restait donc qu’à tenter la traversée du Sahara « avec une petite colonne d’hommes disciplinés à toute épreuve, qui puisse s’avancer sans provocation, mais négocier sans faiblesse, et passer outre aux manœuvres dilatoires qu’emploient si volontiers les Touareg, qui ne sont forts que de notre apparente faiblesse[296]. » « Seule, écrivait M. Foureau[297], une escorte de 150 fusils bien recrutés assure absolument la sécurité et la réussite ; avec elle, on peut se passer des Touareg, solder les droits de passage régulièrement dus, ne pas faire de cadeaux ». Il restait en somme à recommencer la mission Flatters dans des conditions meilleures, et avec la résolution ferme de passer de force si l’on ne pouvait passer de plein gré. C’est ce qu’a exécuté la mission Foureau-Lamy en 1898. Cette mission a prouvé la justesse des vues de ceux qui avaient toujours affirmé qu’une petite troupe bien organisée, placée sous le commandement d’officiers ayant pratiqué le désert, ne devait rencontrer au Sahara d’autre résistance, d’autre obstacle que ceux provenant de la nature.
Le legs fait[298] à la Société de Géographie de Paris par M. R. des Orgeries permit à M. Foureau de réaliser ce programme, qui reçut l’approbation des divers ministères et du Gouvernement général de l’Algérie. Le commandant Lamy, ancien chef du poste d’El-Goléa en 1891, alors officier d’ordonnance du Président de la République M. Félix Faure, devint le second de M. Foureau dans l’entreprise et fut spécialement désigné pour commander l’escorte. La mission comprenait en tout 5 membres civils : MM. Foureau, Villatte, Ménard-Dorian, Louis Leroy, du Passage (ces deux derniers ne dépassèrent pas Temassinin) ; 10 officiers : MM. Lamy, Reibell, Métois, Verlet-Hanus, Britsch, Oudjari, de Chambrun, Rondeney, docteurs Fournial et Haller, et 277 hommes de troupe.
Le 23 octobre 1898, la mission quitta Ouargla, emmenant avec elle un immense convoi de 1.000 chameaux chargé d’approvisionnements de toutes sortes. La mission passa d’abord par Aïn-Taïba, El-Biodh et Temassinin. Un poste provisoire fut fondé en ce dernier point pour rester le plus longtemps possible en relations avec la mission et la couvrir au besoin ; grâce à cette précaution, négligée bien à tort par Flatters, la mission, qui avait d’ailleurs avec elle des forces suffisantes, devait être plus respectée encore des populations touareg[299]. Le capitaine Pein fut chargé du commandement de ce poste ; il avait avec lui 120 méharistes, dont 50 spahis sahariens aux ordres du lieutenant de Thézillat, et une quinzaine de chevaux ; il accomplit sa difficile tâche avec un succès qui lui fait le plus grand honneur. Dès que la mission Foureau-Lamy eut quitté Temassinin, le capitaine Pein partit en reconnaissance vers le S.-W. jusqu’au puits d’In-Kelmet, à deux jours au N.-E. d’Amguid, couvrant le flanc droit de la mission. De retour à Temassinin, il en repartit pour s’avancer jusqu’à Tikhammar et à l’Oued-Affatakha, qu’il ne comptait pas dépasser ; mais la nécessité d’assurer le retour de l’escorte d’un dernier et important convoi, que le lieutenant de Thézillat avait dû accompagner à Assiou, le contraignit de pousser jusqu’à Tadent. C’est seulement lorsque tout son monde fut rentré qu’il se décida à revenir en suivant une route nouvelle, qui le ramena à la Sebkha d’Amadghor et à Amguid[300]. Partout où il avait passé, il avait fait le levé de son itinéraire, exécuté de nombreuses reconnaissances, recueilli d’utiles renseignements auprès des indigènes.
Quant à la mission Foureau-Lamy, elle fut retardée par la difficulté d’abreuver et de nourrir un si grand nombre de chameaux, difficulté encore aggravée par une sécheresse persistante. En outre, la route présente des obstacles très rudes au point de vue de la nature et du relief du sol. Jusqu’à Aïn-el-Hadjadj, la mission suivit l’itinéraire de la première mission Flatters ; mais à partir de ce point, elle entra en pays complètement inconnu, jusqu’auprès d’Assiou (In-Azaoua), où elle rejoignit l’itinéraire de Barth.
La carte de la région était complètement erronée, bien que la succession des oueds, puits et points importants, fixée par Duveyrier d’après renseignements soit tout-à-fait exacte et rende de précieux services au voyageur. Mais il est nécessaire de faire subir aux diverses régions des corrections de report soit vers l’Est, soit vers l’Ouest, soit vers divers azimuts. On traversa d’abord, non sans peine, le Tindesset, portion ouest du Tassili des Azdjer, région gréseuse offrant des altitudes de 1.400 mètres, et entourée vers l’Est d’étendues volcaniques ; la mission y rencontra des températures très basses de − 8° et − 10°. On découvrit ensuite l’Adrac, région difficile et tourmentée ; elle se relie par son angle S. W. au massif d’Ahorrène, qui porte ses sommets principaux à 1.800 mètres, ne le cédant en rien du reste aux pics majeurs situés plus à l’Est et appartenant à l’Adrar proprement dit. La ligne de partage entre la Méditerranée et l’Atlantique fut franchie par 1374 mètres d’altitude et presque sur le 25e parallèle Nord. Puis, devant l’Oued-Tafassasset, il fallut marcher dix jours dans une nouvelle région montagneuse, le massif de l’Anahef, composé de granit, de gneiss et de schistes, absolument dépourvu d’eau.
La mission arriva ensuite à Tadent, sur la route des caravanes de Ghat à l’Aïr. De ce point, MM. Foureau et Lamy allèrent, avec une faible escorte de 30 Chaanba, visiter les parages où eut lieu, en 1883, le massacre de la mission Flatters. La traversée entre Tadent et Assiou fut encore très pénible par suite du manque de toute espèce de végétation ; la mission perdit un grand nombre de chameaux. Le puits d’Assiou n’existe pour ainsi dire plus comme point d’eau ; il est remplacé par In-Azaoua, situé un peu plus loin dans l’Oued-Tafassasset, qui draine toutes les eaux du flanc oriental de l’Anahef.
D’In-Azaoua, une marche de 11 jours, à travers une région montagneuse parfois très difficile, où un seul puits intermédiaire, celui de Taghazi, permit de renouveler la provision d’eau, amena la mission à Iferouane, premier village de l’Aïr, habité par des Touareg. Le manque d’animaux de transport, pour remplacer ceux très nombreux qui avaient péri en route depuis l’Algérie, la mauvaise volonté des indigènes, les tromperies des guides, retinrent longtemps les voyageurs dans l’Aïr. Ils y endurèrent de cruelles souffrances, notamment par suite du manque de vivres, et durent se résoudre à sacrifier une grande partie de leurs bagages. Ils furent attaqués à deux reprises par les Touareg, sans aucun succès d’ailleurs ; sur un des Touareg tués on trouva des fragments de papiers, ayant appartenu à Erwin de Bary. M. Foureau est d’accord avec l’explorateur allemand qui l’avait précédé sur le régime climatique, la végétation de l’Aïr et le degré d’importance d’Agadès.
Arrivée dans cette ville le 28 juillet, la mission ne la quitta définitivement que le 17 octobre, et, par des marches longues et pénibles, traversa l’Azaouak, zone désertique, puis le Tagama, relativement boisé, le Damergou, plus découvert, avec des champs de mil. Elle parvint enfin à Zinder, grande et belle ville, où elle trouva un détachement d’une centaine de tirailleurs sénégalais. De Zinder, Foureau-Lamy se dirigèrent vers le Tchad, traversant Kouka en ruines ; arrivés sur les bords du lac, ils opérèrent leur jonction avec deux autres missions françaises : la mission de l’Afrique centrale, ancienne mission Voulet-Chanoine devenue la mission Joalland-Meynier, qui s’était avancée du Niger au Tchad, et la mission Gentil qui provenait du Congo et du Chari. Pendant que Foureau rentrait en France par l’Oubangui, ayant parcouru près de 10 degrés de latitude en passant par le centre du continent noir, les forces réunies des trois missions, sous les ordres du commandant Lamy, livraient bataille à Rabah à Koussri ; le conquérant noir était tué, mais ce succès était trop chèrement payé par la mort de Lamy enseveli dans son triomphe (22 avril 1900). La défaite des bandes de Rabah était achevée à Dikoa par le capitaine Reibell. La mission Foureau-Lamy, c’est en somme la mission Flatters reprise et réussissant. Il est seulement fâcheux qu’on ait attendu 20 ans pour cela. La preuve est faite dorénavant qu’on peut traverser le Sahara avec une petite troupe bien commandée.
Les résultats scientifiques de la Mission Saharienne sont trop considérables pour qu’il soit possible d’en donner ici même un aperçu. Les Documents rapportés par la mission et l’exposé méthodique des résultats de la grande expédition ont été publiés par M. Foureau[301]. Les observations astronomiques et météorologiques, l’orographie et la structure du pays, l’hydrographie, la carte, la nature géologique, la flore et la faune, l’ethnographie, les découvertes d’ordre préhistorique sont successivement passés en revue. C’est en quelque sorte l’encyclopédie des connaissances acquises sur cette longue bande d’Afrique qui va d’Ouargla à l’Oubangui[302]. L’Atlas, dressé par le capitaine Verlet-Hanus, d’après les travaux exécutés sur le terrain par M. F. Foureau et par les officiers de l’escorte militaire comprend 16 planches en couleur contenant l’itinéraire général de la mission entre Ouargla et Bangui, à l’échelle de 1/400.000e. Cet itinéraire est appuyé sur plus de cent positions astronomiques. Il est complété par une série de profils qui donnent une impression très nette de la région traversée.
Au point de vue géologique, c’est à M. Foureau que nous devons les documents paléontologiques permettant d’établir une chronologie précise des formations géologiques qui affleurent dans le grand désert : schistes siluriens du Tindesset, caractérisés par la présence de graptolithes, grès dévoniens, grès et calcaires carbonifères, argiles et grès albiens. Si l’on rapproche les faits observés par M. Foureau de ceux qui ont été constatés depuis à l’Ouest de l’Ahaggar, on constate[303] que le Sahara septentrional et central comprend deux régions essentiellement distinctes : une région de plissements postcarbonifères, et une région tabulaire où les plissements sont antérieurs au dévonien. Les terrains crétacés forment une vaste nappe transgressive, qui s’étend indistinctement sur les deux systèmes de plissements. M. E. Haug déclare que, parmi les faits stratigraphiques mis en lumière au cours de ces dernières années, il n’en est certainement pas qui dépassent en intérêt ceux qu’a moissonnés M. Foureau au cours de ses voyages successifs en pays touareg.
Dans le chapitre consacré à la géographie physique, le Sud Algérien, le grand Erg, la hammada de Tinghert, l’Erg d’Issaouan, les massifs montagneux et les plateaux du Sahara central, les massifs de l’Aïr, les plateaux sahariens du Tagama et du Damergou sont décrits de main de maître ; M. Foureau y a joint des observations sur les dunes et sur les phénomènes éoliens. Pour la richesse des renseignements météorologiques, M. Foureau a toujours satisfait les plus difficiles. L’hydrographie contient des considérations sur le bassin de l’Igharghar, sur l’Oued Tafassasset, qui parait s’acheminer vers le S.-S.-W., dans la direction de Sokoto et du Niger, sur les oueds de l’Aïr, sur le problème du Tchad. Les collections botaniques et zoologiques sont malheureusement incomplètes, détruites par les accidents de la route.
Les collections préhistoriques reccueillies par M. Foureau et commentées par le Dr Haug et le Dr Verneau, sont des plus précieuses. Le chapitre ethnographique apporte beaucoup de renseignements nouveaux sur les Touareg du Nord et sur les Keloui de l’Aïr. Enfin l’aperçu commercial et les conclusions démontrent que toute la partie du Sahara qui s’étend depuis le Sud Algérien jusqu’aux confins septentrionaux de l’Aïr est improductive, stérile et n’offre aucune ressource sérieuse. Dans la région même de l’Aïr, les cultures sont extrêmement réduites, et il y a peu de chances d’étendre ces petits jardins entretenus à grand’peine. Dans l’état actuel des choses, le Sahara n’a aucune valeur, ne produit absolument rien, et il y a lieu de procéder à son organisation de la façon la plus économique possible[304].
III
Parmi les missions sahariennes, il convient de mettre à part celles de MM. G. Méry et B. d’Attanoux, à cause du caractère de tentatives commerciales qui leur est propre.
En 1892, M. G. Méry fut chargé par M. Georges Rolland, ainsi que par la Société d’études pour la construction d’une voie ferrée de Biskra à Ouargla et prolongements, d’une mission géographique et commerciale au sud d’Ouargla vers le pays des Touareg Azdjer. Parti d’El-Oued avec 3 indigènes et 4 chameaux seulement, il gagna El-Biodh par Aïn-Taïba, reconnaissant le grand Gassi découvert par la première mission Flatters, le plus beau couloir de la région tant par son sol régulier de reg que par sa largeur, qui atteint jusqu’à 12 kilomètres, et constatant que l’établissement d’une voie ferrée ne rencontrerait aucune difficulté provenant de la nature du terrain[305]. D’El-Biodh, il marcha vers le S.-S.-E., comptant atteindre Tabalbalet, d’où les premiers campements Azdjer n’étaient pas éloignés, mais, après 3 jours de marche dans cette direction, il fut contraint de revenir sur ses pas par suite du refus de son guide Chaanbi de l’accompagner plus loin à cause des Touareg. Il revint à Aïn-Taïba, où il rencontra M. Foureau revenant d’Hassi-Messeguem, et rentra à El-Oued par Hassi-bel-Haïran et Hassi-Mey.
En 1893, M. G. Méry est envoyé de nouveau par le syndicat de Biskra-Ouargla, avec mission de chercher à s’entendre avec les chefs des Azdjer et d’obtenir le libre passage sur leur territoire pour des caravanes à destination du Soudan central. M. Méry était allé au préalable à Tripoli se renseigner sur le mouvement des échanges existant entre ce port et le Soudan, ainsi que sur la nature des marchandises échangées. D’El-Oued, M. Méry accompagné de M. Guilloux, se dirigea sur Hassi-Mey et Hassi-bel-Haïran. Là, il fut rejoint par un miad de Touareg revenant d’Alger, où ils étaient allés, dans un but mal défini, pour voir le Gouverneur et échanger des salutations, dirent-ils, mais surtout pour se renseigner sur nos intentions à leur égard[306].
La mission, conduite par Abd-en-Nebi, marabout des Ifoghas et arrière-neveu de Cheikh Othman, se dirigea sur le lac Menghough par Tabalbalet et Aïn-el-Hadjadj, suivant la route de la première mission Flatters. Au lac Menghough, elle eut des entrevues avec les chefs Azdjer Guedassen et Mouley. Elle regagna ensuite El-Oued par Temassinin, El-Biodh, Aïn-Taïba et Hassi-bel-Haïran. L’itinéraire avait été relevé à la boussole par M. Méry, qui avait fait en outre des observations météorologiques, recueilli des échantillons géologiques et botaniques, tandis que M. Guilloux faisait des observations astronomiques.
Au point de vue scientifique, le voyage de M. G. Méry n’a donc pas été sans résultats. Au point de vue économique, les assertions de cet explorateur étaient en complète contradiction avec celles de M. Foureau. M. Méry affirmait que « tous les Touareg, même les bergers, connaissaient le traité de Ghadamès, et que pas un ne manquerait à la parole donnée par un chef au nom de toutes les tribus[307] ». M. Foureau déclarait que la masse de la nation ne connaissait point la convention de 1862. Le courant d’échanges entre la Méditerranée et le Soudan est très important d’après M. Méry, insignifiant d’après M. Foureau[308]. Une vive polémique s’est engagée là-dessus ; elle ne présente d’ailleurs plus qu’un intérêt rétrospectif, puisque les conditions de la pénétration saharienne sont aujourd’hui complètement changées.
« Je ne crains pas, disait M. G. Méry, d’affirmer que nous avons la route du Soudan ouverte par le Nord, et à ceux qui me contrediraient, je me contenterais de répondre que je m’offre à en faire pratiquement la preuve. » Cette réponse eût en effet convaincu les plus incrédules. Malheureusement, elle ne fut pas faite. En octobre 1893, le Syndicat Ouargla-Soudan, avec l’appui officiel du Gouvernement général de l’Algérie, envoya une mission pour essayer de tirer parti de la première mission Méry. Cette mission comprenait M. Méry, chef de mission, M. B. d’Attanoux, ancien officier, rédacteur au Temps, M. Bonnel de Mézières, ancien membre de la mission Maistre, et deux Pères Blancs, le P. Hacquart, supérieur de la station d’Ouargla, et le P. Ménoret. Mais, dès les premiers jours, un désaccord survint entre M. Méry et ses compagnons au sujet de l’organisation de la caravane et des mesures à prendre pour assurer sa sécurité. M. Méry, souffrant, rentra en France : il alla de là à Tombouctou, où il ouvrit avec beaucoup de succès des comptoirs commerciaux commandités par le Syndicat Ouargla-Soudan ; il mourut à Tombouctou, après un séjour de plusieurs années. M. B. d’Attanoux fut désigné comme nouveau chef de la mission, et le départ fut ajourné pour utiliser le retour dans son pays d’une députation de Touareg qui venait d’arriver à El-Oued, où elle fut reçue par le général de la Roque.
La mission d’Attanoux reprit la route du Sud au mois de janvier 1894, accompagnée des membres du miad Touareg et du marabout Abd-en-Nebi. Elle passa par Hassi-bel-Haïran, Aïn-Taïba, Temassinin, et gagna le lac Menghough par Tabalbalet et Aïn-el-Hadjadj. L’attitude des Touareg fut exactement la même que dans les autres tentatives pour franchir leur territoire. La mission rencontra, sur la route du Menghough, des Hoggar qui exigeaient le droit de passage et avec lesquels la discussion faillit mal tourner ; les Ifoghas suivaient la mission comme des chiens affamés, demandant sans cesse des vivres et des cadeaux ; les chefs des Azdjer, campés à 3 jours du Menghough, ne se dérangèrent point, et la mission n’alla pas les trouver : « Des raisons d’ordre matériel et moral, également impérieuses les unes et les autres, s’opposent à ce que nous allions jusque-là. Nos provisions ne résisteraient pas aux premiers assauts que leur donnerait la multitude que nous y trouverions et pour laquelle la venue d’un voyageur bien approvisionné est une bonne fortune inespérée. » On se borna à des échanges de propos avec un représentant de la Djemaa, nommé Kounni, qui déclara bien que les Azdjer « se considéraient comme liés par le traité de Ghadamès », mais qu’ils exprimaient « le désir de ne pas voir la mission aller plus loin cette année ». On reprit la route de l’Algérie, en suivant le même chemin qu’à l’aller jusqu’à Temassinin ; puis la mission gagna Hassi-Tabankort, et, coupant à travers le grand Erg, se dirigea sur Hassi-bel-Haïran et Touggourt. Bien qu’elle se déclarât très satisfaite des résultats obtenus, elle n’avait pas réussi, pas plus que celles qui l’ont précédée ou suivie, à traverser le territoire des Azdjer avec le concours de ces derniers.
Un essai d’envoi de Souafa à Ghadamès, en 1896, ne réussit pas davantage ; le kaïmakam, sur des ordres de Tripoli, à ce qu’il prétendit, s’opposa à la mise en vente des marchandises, et déclara que seuls les Anglais avaient le droit de faire le commerce de l’ivoire avec Ghadamès[309].
La tentative du marquis de Morès eut une issue plus malheureuse encore. Il cherchait à faire pénétrer vers le centre africain des caravanes tunisiennes, avec l’appui de la Chambre de Commerce et d’Agriculture de Sousse. Il quitta Djeneïen le 31 mai 1896 : le 9 juin, il était massacré avec ses compagnons au lieu dit El-Ouatia (Bir-el-Oti), entre Sinaoun et Ghadamès, victime de la traîtrise de Touareg et de Chaanba dissidents entre les mains desquels il s’était remis, faisant preuve ainsi d’une funeste méconnaissance de ces contrées et de leurs habitants[310].
Un essai assez original fut fait en 1896, par le général de la Roque, pour fixer aux environs de Berresof un certain nombre de tentes touareg ; on espérait, par l’entremise de ces Sahariens, développer nos relations avec leurs congénères du désert. Ils se laissèrent nourrir pendant un certain temps, puis, lorsqu’on les invita à planter quelques palmiers, repoussèrent l’offre d’un travail indigne d’hommes libres, et firent comprendre que, si on voulait leur donner des jardins, il fallait auparavant y attacher quelques esclaves nègres. Ils se mirent ensuite à voler les chameaux de nos nomades, pratiquant la razzia en quelque sorte sur place, et finirent par reprendre le chemin du Sud, dûment engraissés et repus[311].
L’échec des tentatives commerciales de MM. Méry et d’Attanoux fit songer à l’emploi d’un autre moyen. Puisque nous ne pouvions aller commercer au Sahara, il fallait amener le Sahara à venir commercer chez nous. On pensa qu’il fallait avant toute chose s’attacher à modifier le tarif douanier appliqué, lors de leur entrée dans les ports algériens, aux marchandises françaises. Les prix de nos produits se trouvaient majorés des 2/3 par les taxes qu’ils subissaient comparativement aux denrées similaires parvenant à la même latitude par Tripoli ou le Maroc[312]. Dans le Sahara oranais, le sucre, le thé, le café et les objets de quincaillerie étaient de provenance marocaine. En 1892, une caravane de Rezaïna, chargée de denrées diverses d’une valeur de 65.828 fr., n’emportait qu’un seul produit de notre industrie française : 96 francs de bougie de Marseille ; ce chiffre a son éloquence. A Figuig, les marchandises venues de Melila étaient meilleur marché que celles d’Aïn-Sefra[313].
Une commission fut instituée en 1903, par ordre de M. J. Cambon, pour chercher les moyens de remédier à cet état de choses. Elle reconnut que le régime appliqué stérilisait notre action, et conclut en demandant l’entrée en franchise des produits destinés à traverser du N. au S. le territoire algérien pour se répandre dans le Sahara[314]. Comme conséquence, elle réclamait la création non de territoires francs, mais simplement de postes de sortie où l’on s’assurerait que les exportations sont bien réelles. La caravane emportant les produits détaxés serait escortée pendant un certain temps pour prévenir toute fraude[315]. Un décret du 17 décembre 1896 réalisa cette mesure et indiqua comme postes de sortie El-Oued, Touggourt, El-Abiod-Sidi-Cheikh, Djenien-bou-Rezg[316].
En Tunisie, la frontière saharienne est restée franche de toute barrière douanière et la pénétration commerciale se présente sous certains rapports dans des conditions plus favorables qu’en Algérie. On pouvait espérer faire concurrence à Tripoli et faire aboutir au golfe de Gabès une partie du commerce, faible d’ailleurs, de Ghat et de Ghadamès. En y intéressant les Azdjer, on comptait créer une voie indépendante de ces deux villes ; le mouvement devait se produire par l’arrivée à Tataouïn de caravanes conduites par les Sahariens eux-mêmes, et effectivement un léger mouvement de reprise se produisit vers 1895, bientôt arrêté par le meurtre de Morès. Ce mouvement ne paraît pas s’être beaucoup accentué depuis[317]. Sans abandonner complètement tout espoir de trafic transsaharien, on s’occupe surtout actuellement, et avec juste raison, du développement économique des diverses régions qui constituent l’Extrême-Sud tunisien[318].
Restait à essayer de la pénétration économique par les voies ferrées, l’instrument évidemment le plus efficace au point de vue politique comme au point de vue commercial. La question du Transsaharien, un moment enterrée après la mission Flatters, renaît de ses cendres vers 1890. Cette résurrection[319] est due en grande partie aux efforts de M. G. Rolland, ancien membre de la mission Choisy. Par ses brochures et ses conférences, M. Rolland a ému l’opinion publique et suscité de nouvelles controverses. M. Ed. Blanc, le général Philebert, furent également parmi les plus chauds partisans du Transsaharien, examinant la question économique, les rapports avec les Touareg, les difficultés techniques[320]. « Faire un tout de l’Algérie, du Sénégal et du Congo, par le Sahara touareg et par le Soudan central et occidental », tel est le but que se proposent MM. Philebert et Rolland[321], M. Rolland examine les divers tracés : occidental, d’Aïn-Sefra au Niger[322] ; central, de Laghouat à El-Goléa et au Niger[323] ; occidental, de Biskra au lac Tchad par Ouargla, l’Igharghar et Amguid. Enfin M. Ed. Blanc préconise plus particulièrement le tracé du golfe de Gabès au Soudan par Ghat et Ghadamès[324]. En somme, quatre tracés principaux étaient proposés, correspondant à chacune des provinces algériennes et à la Tunisie, les tracés par le Touat conduisant au Niger et ceux par l’Igharghar menant au Tchad, quoique chacun d’eux puisse « faire la fourche[325] » vers le Tchad et vers le coude du Niger. Les préférences de M. G. Rolland, de M. Schirmer[326] et de beaucoup d’autres personnes compétentes en matière saharienne paraissent être à cette époque pour le tracé qui passe par Biskra, Ouargla et Amadghor et aboutit au Tchad.
En 1899, à la suite des progrès nouveaux de la domination française dans l’Afrique centrale, il y a eu un troisième réveil de la question du Transsaharien. Cette fois, c’est M. Paul Leroy-Beaulieu qui prend la tête du mouvement[327]. Il fait ressortir l’incohérence de notre empire africain, à laquelle il espère remédier par la construction d’un Transsaharien. Il reprend les arguments économiques et politiques précédemment développés, en y ajoutant des considérations tirées d’événements récents, tels que la mission Marchand. Il préconise la construction de deux lignes allant l’une au Niger, l’autre au Tchad, et évalue les dépenses à 100 millions pour la première ligne et 150 ou 160 millions pour la seconde. Cette fois comme les précédentes, de nombreuses objections n’ont pas manqué de se produire[328].
IV
La pénétration du Sahara par le Nord est demeurée jusqu’à ces dernières années si difficile, que l’ère de la géographie positive, pour reprendre l’expression de Carette, n’a encore commencé que pour une faible partie de ces régions. Pour le reste, il faut continuer à se contenter de renseignements indirects fournis par les indigènes.
En 1890, le commandant Deporter publiait une volumineuse étude sur l’Extrême-Sud Algérien[329], divisée en trois parties, la première, concernant El-Goléa et son territoire, la deuxième le Gourara, le Touat et le Tidikelt, la troisième le pays des Touareg de l’Ouest. Le volume se termine par plusieurs itinéraires à Tombouctou et à Agadès. Il n’est que le commentaire de la carte du Sahara, publiée en même temps. La méthode suivie par Deporter dans cet ouvrage a été, de la part de M. C. Sabatier, l’objet de critiques très justifiées[330]. Deporter n’indique pas ses sources ; on ignore si ses itinéraires sont dus à la déposition d’un seul, ou s’ils sont appuyés par plusieurs témoignages, et jusqu’à quel point ces témoignages sont concordants. « Nous aimerions à connaître ses informants[331], savoir combien de fois ils ont fait le voyage, savoir s’il y en a d’autres qui ont vu comme eux, et faute par Deporter de nous fixer à ce sujet, on n’utilisera le plus souvent ces itinéraires qu’à titre de simple renseignement, quand ils combleront les lacunes de Barth et non quand ils contrediront ses informations. »
Une faute grave de Deporter est d’avoir traduit en kilomètres les distances accusées par ses informateurs en journées ou heures de marche. Il y a là une précision inquiétante. On se demande dans quelle mesure il a pu substituer son appréciation personnelle à celle des indigènes. « Lorsque, comme Deporter, on accompagne ses itinéraires d’une carte, on est tenté, très loyalement d’ailleurs, de tirer sur les itinéraires comme sur un fil élastique, tantôt les laissant se raccourcir, tantôt les allongeant pour permettre une construction cartographique qui concilie les renseignements qui sont venus de diverses sources[332]. » La carte devient par suite incontrôlable. Ce n’est pas ainsi qu’avait procédé M. Bissuel, qui enregistre comme un simple notaire et indique lui-même dans quelles limites ses informateurs sont susceptibles d’erreur.
L’ouvrage de M. C. Sabatier[333], paru en 1891, est au contraire un véritable travail de géographie critique, digne pendant de ceux des d’Avezac, des Daumas, des de Colomb. M. C. Sabatier donne d’abord une note justificative à l’appui de sa carte du Sahara central et méridional. Après un aperçu générale de la géographie physique et économique de la région, il étudie les divers tracés de Transsaharien et donne la préférence au tracé par Igli. Puis il étudie la question du Touat et du Sahara. En appendice on trouve une note intéressante sur la valeur, la recherche et l’emploi des informations géographiques d’origine indigène, puis des itinéraires indigènes recueillis par l’auteur et déjà en partie connus. Malgré certaines exagérations et quelques illusions en ce qui concerne le rôle économique du Transsaharien et du Touat, l’ouvrage de M. C. Sabatier conserve une réelle valeur.
L’utilisation des informations indigènes peut encore fournir nombre de documents. M. le capitaine Fariau a donné un itinéraire du Kheneg-el-Hadid au pays d’Adrar[334] d’après le Targui Mohamed Ould Ali ben Besis, qui donne de très intéressants renseignements sur le Mouydir ; il est accompagné de deux cartes, dont l’une est due au Targui lui-même, qui l’a dessinée d’une main sûre, rapidement et sans hésitation. Enfin le Bulletin de la Société de Géographie d’Alger publiait[335] quelques indications dues au Naïb des Kadrïa d’Ouargla sur l’itinéraire d’Hassi-el-Mongar à In-Salah, complétant les renseignements de MM. Le Châtelier et Deporter.
Parmi les ouvrages scientifiques et les travaux d’ensemble publiés sur le Sahara, il convient de mentionner en première ligne l’ouvrage de M. Schirmer[336]. Cette thèse magistrale a contribué, plus qu’aucun autre livre, à rectifier et à préciser les idées répandues dans le public sur la géographie du Sahara. Les idées de M. H. Schirmer sur la géographie physique et le climat du Sahara sont aujourd’hui admises par tout le monde et ne soulèvent plus d’objections. Quant à ses conclusions économiques, les objections présentées par M. Fock[337] ne les atteignent en rien. Depuis lors, M. Schirmer a fait entendre à plusieurs reprises son avis toujours autorisé dans les questions sahariennes, traduisant Erwin de Bary[338], combattant, en compagnie de M. Foureau, les illusions que quelques personnes nourrissent soit à l’égard des Touareg, soit à l’égard du Transsaharien.
L’Exploration du Sahara de M. P. Vuillot[339] est un ouvrage des plus utiles et un répertoire commode, auquel nous avons fait de nombreux emprunts. Il est édité avec soin et accompagné de cartes-itinéraires hors texte, précieuses pour les travailleurs. Malheureusement, les appréciations de l’auteur paraissent avoir été faussées par des idées préconçues, notamment en ce qui concerne le traité de Ghadamès.
L’un de nous a publié, en collaboration avec M. H. M. P. de la Martinière, et par ordre de M. Jules Cambon, des Documents sur le Nord-Ouest africain[340] qui constituent une sorte de dossier des affaires concernant l’Ouest et le Sud-Ouest de l’Algérie. La question du Touat et les questions connexes y sont étudiées sous leurs divers aspects. On a utilisé, outre les ouvrages imprimés, divers documents des archives du Service des affaires indigènes, des itinéraires européens et indigènes inédits, dont on trouvera la liste à la fin de chaque volume.
La cartographie saharienne a fait aussi de notables progrès. En 1890 paraissait la carte dite de l’Extrême-Sud, de Deporter, à 1/800.000e, en 13 feuilles. En 1891, le Service géographique de l’armée entreprenait une nouvelle édition de la carte d’Afrique à 1/2.000.000e, sous la direction du capitaine Rouby ; cette édition est en trois couleurs, la planimétrie en noir et en bleu, le figuré du terrain en bistre. En 1894, le même Service rééditait la carte générale de l’Algérie à 1/800.000e en six feuilles : les deux feuilles méridionales s’étendent jusqu’à la latitude d’In-Salah. En 1895, M. P. Vuillot accompagnait son historique des explorations d’une carte du Sahara à 1/4.000.000e. De nombreuses cartes accompagnent l’ouvrage que l’un de nous a publié en collaboration avec M. de la Martinière ; l’une d’elles, à 1/2.000.000e, qui donne la région touatienne et les itinéraires qui la relient à l’Algérie, rectifie utilement pour cette région la feuille correspondante du 1/800.000e.
En Tunisie, la carte à 1/400.000e de la région frontière, carte par itinéraires et renseignements publiée en novembre 1890 par le commandant Rebillet, complète la lacune dans la géographie de l’Arad entre la carte de reconnaissance à 1/200.000e et la frontière tripolitaine. Au cours des années 1892 à 1894, M. le lieutenant de Larminat a effectué la triangulation de la région représentée sur cette carte, avec la topographie définitive à 1/50.000e[341]. Enfin la feuille Sud de la carte à 1/800.000e de la Tunisie comprend le Sahara tunisien jusqu’à Ghadamès et une partie de la Tripolitaine ; mais les renseignements qu’elle contient sont fort incomplets. La carte que M. V. Cornetz a jointe à son travail était destinée à remplacer ce document et à servir de carte de reconnaissance aux triangulateurs et topographes ; elle a servi à améliorer les éditions ultérieures de la carte à 1/800.000[342].
[262]H. Schirmer, Les voies de pénétration au Soudan (Ann. de Géogr., 1891-92, p. 16). — Id., Le Sahara, p. 406.
[263]Documents, III, p. 59.
[264]Documents, II, p. 143 ; IV, p. 130.
[265]Documents, III, p. 63-64. — Pour l’historique de la question du Touat, v. Documents, III, ch. II, et G. Mandeville, L’Algérie Occidentale et le Touat (Quest. diplom. et colon., 1898, t. III. p. 137).
[266]Documents, III, p. 80.
[267]Rinn, Nos Frontières Sahariennes, p, 46.
[268]Journal des Débats, 17 février 1899.
[269]Bull. Afr. fr., 1897, p. 250.
[270]Bull. Afr. fr., 1898, p. 207.
[271]Bull. Afr. fr., 1899, p. 100.
[272]Id., 1896, p. 381.
[273]Ces travaux ont été utilisés dans les Documents (voir notamment tome IV, p. 199, et l’atlas joint aux Documents).
[274]Documents, III, p. 105.
[275]G.-B.-M. Flamand, De l’Oranie au Gourara, in-8o, Paris 1898. — Id., La traversée de l’Erg occidental. (Ann. de Géogr. 1899, p. 231.)
[276]Id., L’Atlas Saharien. (Nouvelles géographiques, 1892). — Id., Caractères généraux des régions qui bornent à l’ouest la province d’Oran. (Documents II, chap. III., p. 172 et suiv., 1896.)
[277]Id., Aperçu général sur la géologie et les productions minérales du bassin de l’Oued-Saoura et des régions limitrophes. (Documents, III, et tirage à part, 1897).
[278]G.-B.-M. Flamand, Les pierres écrites (Hadjrat mektoubat) du nord de l’Afrique et spécialement de la région d’In-Salah. (L’Anthropologie, 1897-1901). Id., Hadjrat mektoubat ou les pierres écrites. Premières manifestations artistiques dans le Nord Africain. (Bull. Soc. Anthropol. de Lyon, 1901, et Bull. Soc. Géogr. Alger, 1902). Id., Note sur les inscriptions et dessins rupestres de la gara des chorfa du district de l’Aoulef (Tidikelt). (Bull. Géogr. historique et descriptive, 1903).
[279]Id., Une mission d’exploration scientifique au Tidikelt. Aperçu général sur les régions traversées. (Annales de Géog., 1900.) Id., Au Tidikelt. Le programme saharien. (Questions diplomatiques et coloniales. 1900). Id., L’occupation d’In-Salah et l’action française dans le Sahara. (Bulletin de la Réunion d’Etudes algériennes, 1900). Id., Sur la position géographique d’In-Salah. (C. R. Acad. Sc., 1902). Id., Sur le régime hydrographique du Tidikelt. C. R. Acad. Sc., 21 juillet 1902, p. 212).
[280]G.-B.-M. Flamand, Sur la présence du Dévonien à calceola sandalina dans le Sahara occidental (Ibid., 1901). Id., Sur la présence du terrain carbonifère dans le Tidikelt. Id., Sur la présence du Dévonien inférieur dans le Sahara occidental. (C. R. Acad. Sc., 1902). Ces deux notes, ainsi que la précédente, ont été reproduites dans le Bull. de la Réun. d’études algériennes, 1902, p. 304 et suiv.
[281]Id., Observations sur les nitrates du Sahara. (Bull. Soc. Géol. Fr., 1902, p. 366).
[282]Bull. Afr. fr., juillet 1898, p. 227, av. carte par P. Vuillot.
[283]V. Cornetz, Le Sahara tunisien, étude géographique. (Bull. Soc. Géogr. Paris, 1896, p. 518, av. carte à 1/800.000e).
[284]P. Vuillot. Note sur un voyage de Nefta à Ghadamès, exécuté par MM. Cazemajou et Dumas. (Bull. Soc. Géogr. Paris, 1896, p. 145).
[285]F. Foureau, Mes Missions dans le Sahara (Bul. de la Soc. de Géogr. de Marseille, 1897, tome XX, p. 360). — Id., Coup d’œil sur le Sahara français (Ann. de Géogr., 1894-95, p. 61). — J. Bergeron, Résultats des voyages de M. Foureau au point de vue de la géologie et de l’hydrologie (Extr. des Mém. de la Soc. des Ingén. civils, janvier 1897).
[286]Id., Mission du Tademayt (Bull. Soc. Géogr. de Paris, 1891, p. 5). — Id., Une mission au Tademayt (territoire d’In-Salah) en 1890 : rapport au Ministre de l’Instruction publique, in-8o. Paris, 1890. Cf. P. Vuillot, p. 248.
[287]C. R. Soc. Géogr., 1892, p. 244. Cf. Vuillot, p. 263.
[288]F. Foureau, Une mission chez les Touareg (C. R. Soc. Géogr., 1893, p. 256 ; Bull. Soc. Géogr. 1893, p. 500). — Id., Au Sahara : Mes deux missions de 1892 et 1893 (Réédition du rapport de mission de juillet 1893), in-8o, Paris, 1897. — Cf. Vuillot, p. 286.
[289]F. Foureau, C. R. Soc. Géogr. 1894, p. 132 ; Bull. Soc. Géogr., 1895, p. 10. — Id., Rapport sur ma mission au Sahara et chez les Touareg Azdjer (octobre 1893 à mars 1894), 1 vol. texte et 1 vol. carte, in-8o, Paris, 1894. Cf. Documents, Atlas, pl. X. et Vuillot, p. 302.
[290]B. S. G. P., 1895, p. 32.
[291]F. Foureau, C. R. Soc. Géogr., 1895, p. 45, 171, 210, 303. — Id., Mission chez les Touareg, Mes deux itinéraires sahariens d’octobre 1894 à mai 1895, in-8o, Paris, 1895.
[292]C. R. Soc. Géogr., 1895, p. 172-173.
[293]Id., 1895, p. 306.
[294]F. Foureau, C. R. Soc. Géogr., 1896, p. 99. — Id., Dans le grand Erg : Mes itinéraires sahariens de décembre 1895 à mars 1896 : rapport au Ministre de l’Instruction publique, in-8o, Paris, 1896.
[295]F. Foureau, Mon neuvième voyage au Sahara et au pays Touareg. (C. R. Soc. Géogr., 1898, p. 229 ; B. S. G. P., 1898, p. 229).
[296]H. Schirmer, Pourquoi Flatters et ses compagnons sont morts, Bull. Soc. Géogr. Lyon, 1896.
[297]B. S. G. P., 1898, p. 229.
[298]Sur la mission Foureau-Lamy, voir F. Foureau, D’Alger au Congo par le Tchad, in-8o, Paris, 1902. — Id., Documents scientifiques de la mission Saharienne, Texte et atlas in. 4o, Paris, 1905. — Ct Reibell, Le commandant Lamy d’après sa correspondance et ses souvenirs de campagne, in-8o, Paris, 1903. Cf. aussi La Géographie, 1900, t. II, p. 433 et suiv.
[299]Bull. Afr. fr., 1899, p. 176.
[300]Bull. Afr. fr., 1899, p. 177.
[301]F. Foureau, Documents scientifiques de la mission Saharienne, Paris, 1905 (Publicat. de la Soc. de Géogr.) 1 vol. in-4o de 1210 p., av. 428 fig., 30 pl. et 1 atlas.
[302]H. Schirmer, Ann. de Géogr. 1904, p. 83 et suiv. — L. Gentil, Bull. Afr. fr., 1905, p. 321-428. — E. Haug, La Géographie, 1905, t. XII, p. 297 et suiv.
[303]Haug, art. cité, p. 302.
[304]Documents scientifiques de la Mission Saharienne, p. 1160-1164.
[305]C. R. S. Géogr., 12 juin 1892.
[306]Depont et Coppolani, Les confréries religieuses musulmanes, p. 273.
[307]C. R. Soc. Géogr., 5 mai 1893.
[308]P. Vuillot, p. 228 (d’après M. Fock). — Cf. Foureau, B. S. G. P., 1893, p. 529.
[309]Bull. Afr. fr., 1896, p. 44.
[310]Bull. Afr. fr., janvier 1895 ; ibid., 1896, p. 202 et 209. V. aussi Dépêche Algérienne du 28 juillet 1902.
[311]Bull. Afr. fr., 1896, p. 127 ; 1898, p. 232.
[312]Id., II, p. 157.
[313]Documents, II, p. 168.
[314]Bull. Afr. fr., 1899, p. 202.
[315]Documents, II. p. 163-164.
[316]Bull. Afr. fr. 1898, p. 42.
[317]P. Rebillet, Relations commerciales de la Tunisie avec le Soudan, in-8o, 1896 (n. m. d. l. comm.). — Id., Relations commerciales de la Tunisie avec le Soudan, (Revue générale des Sciences, 1896, p. 1151).
[318]E. Fallot, Etude sur le développement économique de l’Extrême-Sud tunisien (Bull. Dir. Agr. et Comm. de Tunis, 1899).
[319]Schirmer, Le Sahara, p. 405.
[320]G. Rolland, C. R. Soc. Géogr., 7 mars et 11 avril 1890.
[321]Philebert et Rolland, La France en Afrique et le Transsaharien, Paris, 1890.
[322]Recommandé notamment par M. Bouty, Bull. Soc. de Géogr. d’Oran, passim.
[323]Préconisé notamment par M. Broussais, de Paris au Soudan, in-8o, Alger-Paris, 1891.
[324]Lanier, L’Afrique, Lectures géographiques, p. 421. Cf. C. R. Soc. Géogr. années 1889-90. V. aussi G. Rolland, Le Transsaharien : Un an après, Paris, 1891. — A. Fock, Algérie, Sahara, Tchad, Paris, 1891.
[325]Philebert et Rolland, La France en Afrique et le Transsaharien, p. 65.
[326]Schirmer, Le Sahara, p. 414.
[327]Journal des Débats, 30 sept. et 9 nov. 1898, 18 mars et 31 août 1899, et surtout R. D. M., 1er juillet 1899, p. 4 et 113. On trouvera la plus récente et la plus complète expression des idées du savant économiste sur la question dans Paul Leroy-Beaulieu, Le Sahara, le Soudan et les chemins de fer, in-8o, Paris, 1904.
[328]V. notamment P. Lefébure, Correspondant, 25 juillet 1899, p. 324. — Général Cosseron de Villenoisy, Bull. Afr. fr., 1899, p. 259. — Augustin Bernard, La question du Transsaharien, in-8o, Alger, 1899.
[329]In-8o, Alger, 1890.
[330]C. Sabatier, Touat, Sahara, Soudan, p. 3.
[331]Ibid., p. 5.
[332]C. Sabatier p. 9.
[333]Id., Touat, Sahara, Soudan, in-8o, Paris, 1891.
[334]Bull. Soc. Géogr. d’Alger, 1899, p. 181.
[335]Id., 1899, p. 197.
[336]H. Schirmer, Le Sahara, in-8o, 1893.
[337]Revue générale des sciences, 30 octobre 1893.
[338]Schirmer, Le dernier rapport d’un Européen sur Ghat et les Touareg de l’Aïr, in-8o, Paris, 1898.
[339]P. Vuillot, L’exploration du Sahara, étude historique et géographique, gr. in-8o, Paris, 1895.
[340]4 vol., de texte et 1 atlas.
[341]De Larminat, Etude sur les formes du terrain dans le Sud de la Tunisie (Ann. de Géogr., 1895-96, p. 386).
[342]Bull. Soc. Géogr., Paris, 1896, p. 521-522.
CHAPITRE VII
LA SOLUTION (1900-1906)
I. L’occupation des oasis du Sud-Ouest et ses conséquences. — La question de la Zousfana. — Protocoles de 1901 et 1902. — Attentats de 1902. — Bombardement de Zenaga. — Affaire de Taghit. — Le général Lyautey (septembre 1902). — Occupation de Béchar (novembre 1903). — Organisation de la région entre Zousfana et Oued-Guir. — Le chemin de fer. — Le commerce. — Reconnaissances et explorations. — Cartographie.
II. La question Touareg. — Les raids Cottenest, Guillo-Lohan, Laperrine, Pein et Besset. — Action du Soudan. — Jonction de l’Algérie avec le Soudan (18 avril 1904). — Mission Etiennot. — Résultats scientifiques. — M. Emile F. Gauthier.
III. Les Territoires du Sud et leur organisation. — La limite Sud de l’Algérie. — La limite Nord du Soudan. — Les communications transsahariennes : le télégraphe, le chemin de fer.
I
« L’Algérie n’est pas achevée, écrivait Rohlfs ; il est absolument nécessaire que tout le système de l’Oued-Saoura, et par suite le Gourara, le Touat et In-Salah soient attirés dans la sphère d’action de la France. Il est tout-à-fait étonnant qu’on ne l’ait pas reconnu après le massacre de la mission Flatters. » L’expérience a démontré combien cette appréciation était exacte. Par le retentissement qu’elle a eu parmi les populations sahariennes, par le point d’appui qu’elle a donné à notre politique, la prise de possession des Oasis du Sud-Ouest a été un événement décisif, le plus décisif de tous dans l’histoire de la pénétration saharienne, dont les conditions se sont trouvées complètement modifiées à notre très grand avantage. Cette occupation a été effectuée par à-coups, sans plan d’ensemble, sans vues d’avenir, sous la pression des circonstances, et c’est en partie pour cela qu’elle a été extrêmement coûteuse. Mais enfin elle a été effectuée, c’est l’essentiel.
C’est seulement au mois de mars 1900[343] qu’on se décida à l’occupation de tout le groupe des oasis du Sud-Ouest, conséquence nécessaire de la prise d’In-Salah.
Une colonne commandée par le lieutenant-colonel d’Eu fut mise en route pour achever l’occupation du Tidikelt, pendant qu’une seconde colonne s’avançait de Duveyrier vers Igli sous les ordres du colonel Bertrand. La première de ces colonnes eut à soutenir, le 19 mars, un combat acharné et sanglant, à la suite duquel on s’empara des oasis d’Inrar, situées à environ 50 kilomètres à l’ouest d’In-Salah. Le chef Ed Driss ben Naïmi, qui avait pris le titre de « pacha de Timmi », et n’avait pas cessé d’être, depuis la prise d’In-Salah, l’agent le plus actif de l’hostilité contre la France, avait rassemblé des contingents tirés du Touat, de l’Aoulef, de Sali et évalués à 3.000 hommes environ. La kasba du ksar Lekhal, où un grand nombre de combattants s’étaient réfugiés, fut bombardée et s’écroula en partie sur ses défenseurs. Les pertes de l’ennemi furent d’environ 600 tués ; parmi les prisonniers se trouvait Ben Naïmi. Nous eûmes 9 tués et plusieurs blessés[344]. Le combat d’Inrar fut suivi de la soumission des oasis de l’Akabli et de l’Aoulef, les plus occidentales du Tidikelt. D’autre part, la colonne Bertrand, forte de 2.000 hommes, partie de Duveyrier le 25 mars, occupait Igli sans coup férir le 5 avril. Enfin des forces venues d’El-Goléa et de Géryville convergeaient sur Tabelkoza et Timmimoun, les premières par l’Oued-Meguiden, les secondes par l’Erg, et occupaient le Gourara.
Quelques semaines plus tard, le général Servière, nommé au commandement de la division d’Alger, entreprenait une tournée dans les oasis ; n’ayant comme escorte qu’une section de tirailleurs et un peloton de spahis sahariens, avec un convoi de 200 chameaux, il visitait d’abord les ksour du Tidikelt, entrait le 30 juillet à Adrar (Timmi), le plus important des ksour du Touat, et revenait à El-Goléa par le Gourara sans avoir perdu ni un homme ni un chameau. Il réclamait la création à Adrar d’une circonscription administrative semblable à celles que l’on venait d’organiser à In-Salah et à Timmimoun.
Cependant certaines oasis du Gourara faisaient appel aux Beraber pour organiser la résistance à notre domination. Le 30 août, le capitaine Falconetti, chef de l’annexe du Gourara, se heurtait à ces adversaires avec lesquels nous ne nous étions pas encore mesurés ; il les rencontrait à Sahela-Metarfa, à 80 kil. environ au sud de Timmimoun. Retranchés dans les kasbas, les Beraber résistèrent à toutes les attaques, et les nôtres durent se retirer sur Deldoul, après avoir perdu un officier (lieutenant Depardieu) et quatre hommes[345]. Le 5 septembre, un nouveau combat, qui coûta la vie au capitaine Jacques, n’eut pas plus de succès. On fut obligé d’envoyer dans le Sud-Ouest des renforts assez considérables.
En janvier 1901, le général Servière[346], revenu aux oasis, installa à Adrar une petite garnison qui devait occuper ce nouveau poste. Pendant son séjour il apprit que, le 18 février, une harka de Beraber, forte de 650 hommes, avait surpris la garnison de Timmimoun et n’avait été repoussée qu’après un combat meurtrier. Il l’atteignit à Charouin (28 février) et lui infligea des pertes sérieuses. Après son départ, il poussa jusqu’au petit ksar de Talmin, qui nous avait, comme Charouin, manifesté de l’hostilité et qui, après un court engagement, fit sa soumission. Depuis lors, la paix a régné d’une manière complète dans les oasis, et aucun combat ne s’y est plus livré.
Au printemps de 1901, la « question du Touat » proprement dite peut donc être considérée comme réglée et résolue. Cette prise de possession ne s’est pas opérée sans d’assez grandes difficultés, les unes inhérentes à l’opération elle-même, les autres résultant d’hésitations ou d’erreurs de méthode : hésitation à occuper les oasis après la prise d’In-Salah, hésitations à s’établir à Adrar après la tournée du général Servière ; erreurs de méthode consistant à accumuler inutilement dans ces régions pauvres les inutiles, lourds et onéreux effectifs de troupes régulières qui ne peuvent y subsister qu’au prix d’énormes sacrifices d’argent et d’animaux, au lieu de s’en tenir simplement à des tournées de police exécutées par des éléments sahariens[347].
Au Touat comme dans tout le Sahara, on vient facilement à bout des sédentaires, habitant des oasis ; les nomades, plus guerriers et échappant plus facilement au châtiment, sont autrement redoutables. Ce sont les nomades du Zegdou et la puissante tribu des Beraber, dont le territoire s’étend derrière le leur, qui attaquent nos postes et nos convois de ravitaillement. Nous avons été amenés à utiliser la ligne de communication naturelle de la Zousfana et de la Saoura pour relier les oasis à la région du Sud-Oranais : c’est même par là qu’on aurait dû commencer si l’on avait agi suivant un plan d’ensemble au lieu d’avoir la main forcée par les événements. Pour assurer sa ligne de ravitaillement, l’autorité militaire avait multiplié les postes dans cette région dangereuse et exposée aux coups de main. En 1902, une nouvelle annexe était installée à Beni-Abbès, et l’annexe d’Igli était transférée à Taghit, au centre des oasis des Beni-Goumi. En 1901, une autre annexe avait été établie à 13 kilomètres au sud de Figuig, à Djenan-ed-Dar, où un poste destiné à surveiller cette oasis avait été placé dès le mois de décembre 1900. Le 1er avril 1902, un décret avait créé les compagnies des oasis sahariennes, dans le but de remplacer les troupes régulières qui avaient jusqu’alors été maintenues au Gourara, au Touat et au Tidikelt, par des unités plus mobiles et d’un entretien moins onéreux. Ces compagnies, pourvues de cadres français, sont composées d’hommes recrutés parmi les habitants du Sahara et qui, au moyen de la solde qui leur est attribuée, se nourrissent et s’entretiennent eux-mêmes. Chaque compagnie comprend des fantassins, des cavaliers et des méharistes. Elle est pourvue de pièces d’artillerie légère. Les officiers appartenant au service des affaires indigènes sont chargés à la fois du commandement de ces troupes spéciales et de l’administration du pays[348]. En même temps, les Oasis sahariennes, qui jusqu’alors avaient relevé de la division d’Alger, étaient rattachées à la division d’Oran.
Cependant ces mesures se montraient assez peu efficaces. C’est qu’il n’était pas possible d’occuper le fossé, c’est-à-dire la Zousfana, sans être obligé de s’assurer en même temps du talus qui le borde, c’est-à-dire de la région des Ouled-Djerir et des Douï-Menia qui s’étend entre la Zousfana et l’Oued-Guir[349]. Quand on veut couvrir quelque chose, on s’interpose entre ce quelque chose et l’ennemi[350]. Il n’y avait évidemment qu’à user, comme nous l’avions fait à plusieurs reprises, des droits qui nous sont conférés par le traité de 1845, et à reprendre la politique que nous avions suivie jadis avec de Colomb en 1855-57, avec de Wimpffen en 1870. Mais on craignait de se trouver entraîné trop loin et d’ouvrir inopinément de ce côté la question du Maroc.
Au mois de juin 1901, M. Paul Révoil était appelé au Gouvernement Général de l’Algérie, où il succédait à M. Jonnart. Après avoir été longtemps à Tunis, et représenté la France à Tanger, il allait, comme gouverneur de l’Algérie, appliquer la politique consistant à donner plus d’unité à notre action dans l’Afrique du Nord. C’est à l’instigation de M. Révoil qu’avait été signé à Paris, le 20 juillet 1901, un protocole[351] destiné à interpréter et à compléter le traité de délimitation du 18 mars 1845, et à inaugurer dans ces régions la politique de collaboration avec le makhzen. Il avait été stipulé que la France resterait maîtresse du territoire des Ouled-Djerir et des Douï-Menia, et que ceux de ces indigènes qui refuseraient de se soumettre à la France devraient se transporter dans la région du Maroc que le Gouvernement chérifien leur assignerait comme résidence. Cet arrangement fut suivi de deux accords complémentaires (20 avril et 7 mai 1902) établissant entre l’Algérie et le Maroc un modus vivendi pour les relations politiques, administratives et commerciales dans les régions-frontières. Mais, sur le terrain, ces conventions ne purent être mises à exécution. Les commissaires français et marocains chargés de notifier aux Douï-Menia et aux Ouled-Djerir les arrangements les concernant avaient été fort mal accueillis à Kenadsa. Ils avaient cependant réussi à éloigner de Figuig notre vieil ennemi de 1881, Bou-Amama, qui y résidait depuis plusieurs années ; Bou-Amama n’avait pas voulu profiter de l’aman qu’on lui avait accordé en 1899, et se tenait depuis lors à l’écart, cherchant en apparence à nous servir, mais en réalité excitant en toute occasion les populations contre nous et prélevant sa part du butin fait à notre détriment, le plus souvent par des bandits de son entourage. Aussi sa présence dans l’oasis constituait-elle pour nous une source d’ennuis de tous les instants. Sur notre demande, Si Mohammed Guebbas, chef de la mission marocaine, invita le vieux marabout à quitter Figuig ou à se soumettre ; il gagna, par étapes successives, la région d’Oudjda, où il alla faire cause commune avec le prétendant Bou-Hamara.
Cependant les vols et les agressions contre nos postes et nos convois, enlèvements de troupeaux, assassinats de sentinelles, attentats contre les isolés, vols de fils télégraphiques se multipliaient d’une manière de plus en plus inquiétante dans la région de la Zousfana. Au mois d’octobre 1901, deux enfants avaient été assassinés sur la route de Duveyrier ; le 19 janvier suivant, deux capitaines du 1er régiment étranger, MM. de Cressin et Gratien, étaient tués dans la même région. Dans les premiers mois de 1903, des convois étaient enlevés ou attaqués entre Djenan-ed-Dar et Taghit, et la situation devenait de plus en plus intolérable.
M. Jonnart, député, ancien ministre des Travaux publics, replacé à la tête du Gouvernement général de l’Algérie en mai 1903, était décidé à mettre un terme à cet état de choses. Il se rendit aussitôt dans le Sud-Ouest ; au cours de sa tournée, le 31 mai, son escorte fut attaquée par les habitants de Zenaga, le principal des ksour de Figuig. Cet incident ne fit que hâter l’exécution des mesures de police prévues. Le 8 juin, le ksar de Zenaga fut bombardé. Aussitôt après, les habitants de Figuig vinrent faire des offres de soumission sans conditions. L’aman leur fut accordé. Une petite colonne avait été envoyée en même temps à l’ouest du Chott Tigri et une autre s’était avancée jusqu’à Bechar sans incidents.
Depuis cette époque, la population sédentaire de Figuig peut être considérée comme pacifiée ; mais les nomades n’ont pas cessé les hostilités. Quelques agressions se sont encore produites dans la deuxième partie de l’année 1903. Le 16 juillet, un détachement de la compagnie saharienne du Touat fut attaqué à Hassi Rzell, dans la Saoura ; le capitaine Regnault, chef de l’annexe de Beni Abbès, atteignit les Beraber auteurs de ce coup de main et les défit à Noukhila, le 28 du même mois.
Le poste de Taghit fut investi, du 17 au 21 août, par une horde de plus de quatre mille Beraber, secondés par quelques Ouled-Djerir et Chaanba dissidents. La petite garnison, sous les ordres du capitaine de Susbielle, fit une admirable résistance et contraignit les assaillants à la retraite. Le 2 septembre, un convoi fut attaqué à El Moungar, dans la Zousfana ; la défense fut héroïquement dirigée par le sergent-fourrier Tisserand après la mise hors de combat des deux officiers qui commandaient l’escorte.
Cette dernière affaire, venant à la suite de la tentative heureusement avortée de Taghit, avait ému l’opinion publique. Aussi le gouvernement se décida-t-il, sur les instances du Gouverneur général, à confier le commandement de la subdivision d’Aïn-Sefra au général Lyautey, qui s’était déjà trouvé aux prises avec de semblables difficultés au Tonkin et à Madagascar et y avait fait ses preuves comme organisateur. Bientôt après, on renforçait encore la situation du général Lyautey en dotant la subdivision d’Aïn-Sefra d’une organisation autonome. Son chef était investi de l’autorité directe sur toutes les troupes stationnées dans son commandement, sous le contrôle du Ministre de la Guerre et du Gouverneur général.
La situation troublée que rencontrait à son arrivée le général Lyautey avait surtout pour origine le manque de mobilité de nos troupes, en face d’un ennemi insaisissable, connaissant admirablement le pays et qui apparaissait aussi vite qu’il disparaissait. La multiplicité de nos postes, échelonnés tous les 50 kilomètres environ le long de la Zousfana[352], ne pouvait suffisamment remédier à un pareil état de choses, car, avec leur effectif souvent restreint, leur action ne pouvait guère s’étendre, et leur ravitaillement nécessitait l’envoi de fréquents convois qui excitaient les convoitises de l’ennemi et devenaient finalement fort onéreux. Il fallait donc de toute évidence se décider à reporter plus à l’Ouest nos postes de couverture, organiser des forces essentiellement mobiles et donner à celles-ci l’appui d’une artillerie légère dont l’effet moral est toujours très grand sur les populations primitives qui peuplent ces régions. Il fallait enfin donner plus de cohésion à nos différents postes en les reliant entre eux le plus vite possible par le télégraphe afin de leur permettre de parer rapidement aux surprises inopinées de l’adversaire[353].
Déjà la nécessité de réduire des adversaires aussi actifs que les auteurs des récents coups de main avait amené au mois d’août précédent l’occupation d’El-Ardja, pour surveiller les massifs montagneux qui sont au nord de Figuig, puis celle de Ben-Zireg à la pointe septentrionale du Djebel Bechar. L’œuvre ainsi ébauchée fut bientôt complétée par la création (11 novembre 1903) d’un poste à Colomb, près de l’oasis de Béchar, de façon à couvrir la route qui suit la vallée de la Zousfana et à amener les Douï-Menia et les Ouled-Djerir, jusqu’alors insoumis, à accepter notre juridiction, conformément aux droits que nous avaient reconnus le protocole du 20 juillet 1901. Un cercle des affaires indigènes était en même temps installé à Colomb.
L’année 1904 a été marquée par le perfectionnement de l’organisation défensive de nos confins du Sud et du Sud-Ouest. Deux nouvelles compagnies montées furent créées l’une à la légion étrangère, l’autre au 2e régiment de tirailleurs ; une quatrième compagnie saharienne fut constituée à Beni-Abbès, et une cinquième à Colomb. D’un autre côté, un détachement important alla s’établir le 15 juin à Berguent, point d’eau de l’Oued-Charef, à 4 kilomètres au Sud de Ras-el-Aïn, afin de parer aux incursions de Bon Amama et de ses contingents, et d’enlever au marabout la possibilité de revenir dans le pays compris entre Figuig et le Haut-Guir.
L’heureux résultat de ces efforts ne tarda pas à se manifester : de nombreux groupes des Douï-Menia et d’Ouled-Djerir vinrent faire leur soumission et les Beni-Guil, dans une entrevue solennelle à Aïn-Sefra, affirmèrent leur désir de vivre en paix avec nous.
En 1905, des opérations sont dirigées contre un djich qui, au mois de décembre 1904, avait attaqué une caravane à Hassi-Ouchen, aux abords du Gourara. Les auteurs de ce coup de main sont battus et dipersés sur le Guir, à Garet Douifa. A la suite de cette affaire, le lieutenant Canavy s’avance jusqu’au ksar Es Saheli, dans le Haut Guir, où se trouve la petite zaouïa de Moul-Sehoul dont les marabouts reçoivent fort bien notre reconnaissance.
En janvier 1906, le groupe mobile de Berguent, appuyé sur une compagnie de la légion montée, surprend dans l’Oued Nesly un rezzou de Chaanba de Bou-Amama qui depuis plusieurs années inquiétait nos postes et nos caravanes et lui inflige une sérieuse leçon.
En mai 1906, trois détachements partis de Berguent, de Forthassa et de Beni-Ounif, viennent converger à Metarka, dans l’Oued Charef, à proximité des campements des Beni Guil dissidents qui, en janvier 1905, avaient enlevé 145 chameaux à nos Hamyan. Cette démonstration suffit pour amener les bandits à composition et les contraindre à restituer leurs prises.
La situation s’est donc beaucoup améliorée dans le Sud-Ouest depuis quelques années. Il n’y a plus eu de grand rezzou depuis celui d’Hassi-Ouchen, et l’excellence de la méthode du général Liautey a été démontrée par les faits.
Les négociations qui ont précédé la conférence d’Algésiras ont reconnu et confirmé notre droit exclusif à assurer la police dans la région-frontière « sur les territoires où résident, campent et se meuvent traditionnellement les tribus marocaines, sédentaires ou nomades en relations ou en contact habituels avec les tribus algériennes[354] ».
Le Tafilelt est désormais la région la plus hostile à notre influence. C’est là que vivent les Ouled Djerir et les Douï Menia dissidents. C’est du Tafilelt que partent les grandes harkas dirigées contre nos postes et nos administrés. L’une d’elles, au mois de juillet 1904, s’avance même jusqu’auprès de Tombouctou pour razzier les populations soumises à l’Afrique occidentale française. Elle essuie dans cette région, au mois de novembre, une sanglante défaite.
Les routes que suivent les harkas du Tafilelt pour aller au Sahel ou au Niger échappaient jusqu’ici par leur éloignement à la surveillance des postes extrêmes du Sud Algérien ; cependant quelques-uns de leurs points de passage ont été reconnus en 1905 par le capitaine Flye-Sainte-Marie, commandant la compagnie saharienne du Touat, qui a traversé l’Iguidi, poussé une très belle reconnaissance dans l’ouest de la Saoura jusqu’à 9° 11′ Ouest, à 160 kilomètres seulement de Tindouf et recoupé, aux puits de Marabouti et de Bir Aouina, les itinéraires d’Oskar Lenz et de René Caillié[355]. Le capitaine Flye-Sainte-Marie a reconnu ainsi toutes les routes du Maroc méridional au Soudan ; elles seraient aisées à dominer en occupant quelques points de l’Iguidi par lesquelles elle doivent forcément passer. Elles sont d’ailleurs aujourd’hui entièrement désertes, et aucun commerce n’y existe plus[356].