La Péninsule Des Balkans — Tome I: Vienne, Croatie, Bosnie, Serbie, Bulgarie, Roumélie, Turquie, Roumanie
Maintenant ministre de Serbie à Londres (1885).
La principale institution de crédit de la Serbie est l'Ouprava Fondava ou crédit foncier, fondé en 1862, réorganisé en 1881. Il reçoit les dépôts des institutions publiques, caisses de retraite, caisses d'épargne et fait des avances sur hypothèques au taux de 6 p. c., plus 2 p. c. d'amortissement pendant vingt-trois ans et six mois. Le total des dépôts, qui n'était que de 7,824,737 francs en 1863, s'est élevé en 1882 à 28,219,465 francs.
Par une loi de 1871, des caisses d'épargne ont été fondées par l'État dans cinq chefs-lieux de département: Smedorevo, Krouchevatz, Tchatchak, Ougitza et Kragonjevatz. Outre une somme de 150,000 ducats (1,962,500 francs) avancée par l'État, ces caisses ont reçu en dépôt les capitaux des églises, des communes, des veuves et des orphelins qui ont été remis à l'Ouprava Fondava. L'intérêt payé est de 5 p. c. et seulement de 3 p. c. pour les fonds exigibles à la première demande.
Les différents métiers, constitués par l'association des ouvriers et des corps de patrons, ont aussi chacun une caisse de secours et même d'avances. En 1881, Belgrade comptait 30 métiers possédant en tout un capital de 174,318 francs; Tchoupria, 37 métiers possédant 74,834 francs; Pojarévatz, 28 métiers possédant 69,509 francs; Nisch, 29 métiers possédant 27,248 francs.
Nous touchons un autre point encore. Les hommes d'État que je rencontre ici, comme ceux de la plupart des jeunes pays, désirent vivement voir se développer chez eux l'industrie manufacturière. A cet effet, on a voté, en 1873, une loi spéciale qui permet au gouvernement d'accorder aux entreprises industrielles qui s'établiront en Serbie un monopole exclusif, même pour quinze ans, et, en outre, toute espèce de faveurs: des terres, des bois, des exemptions de droits d'importation sur les machines. Quelques concessions de monopole ont été demandées, mais sans aboutir. La seule qui ait réussi est une grande fabrique de draps, établie à Paratchine, par une maison de Moravie. Mais l'État est obligé de lui prendre tous les draps nécessaires à l'armée, en les payant 10 p. c. de plus que le prix le plus bas soumissionné par d'autres fournisseurs. Ceci est une rude charge imposée aux contribuables. Et qui en profite? Personne; pas même les ouvriers, qui reçoivent un minime salaire: fr. 40 c. à 1 franc pour les femmes, 1 fr. 50 c. à 2 francs pour les hommes. Tout monopole est une entrave au progrès, et partout où on l'a pu, on l'a supprimé. On le comprend quand il rapporte un revenu au fisc, comme celui du sel, du tabac ou des allumettes; mais un monopole qui coûte de l'argent à l'État et qui grève tous les consommateurs est une chose absurde et inique.
Dans un pays où chacun est propriétaire et cultive sa propre terre, l'heure de l'industrie manufacturière n'est pas venue; il manque le prolétariat, pour lui fournir la main-d'œuvre à bon marché par la concurrence des bras. Au lieu de se féliciter d'une situation économique si heureuse, qui permet à tous de mener la vie saine de la campagne et de se procurer, par le travail agricole, un bien-être suffisant, le gouvernement serbe s'efforce, au moyen de primes, de protection et de privilèges, de créer une industrie factice, contre nature, plus exposée encore que la nôtre aux crises cruelles dont nous souffrons périodiquement. Quelle aberration! Elle est dictée par cette idée qu'un pays où manque la grande industrie est arriéré, barbare. Même erreur en Italie. Voit-on s'élever des cheminées de fabrique, on s'en réjouit: c'est l'image de la civilisation occidentale. Qui profitera de la création de ces établissements? Ni l'État, qui leur accorde des faveurs de toute espèce, ni le public, rançonné par les monopoleurs, ni surtout les travailleurs enlevés aux champs et entassés dans les ateliers. Quelques spéculateurs étrangers s'enrichiront peut-être aux dépens de la Serbie et iront dépenser ailleurs le produit net de leurs prélèvements privilégiés.
Comme le sol, source principale de la richesse, est aux mains de ceux qui le font valoir, il n'y a pas de fermage payé, et ainsi manque la classe des rentiers et des oisifs, qui forment les grandes villes: Belgrade n'a que 36,000 habitants et Nisch 25,000. Toute la population urbaine, y compris celle des bourgades, ne dépasse pas 200,000 âmes. Il n'y a point du tout d'aristocratie et très peu de bourgeoisie; celle-ci est composée des négociants, des boutiquiers et des propriétaires de maisons. Mais, d'autre part, il n'y a point de paupérisme; les infirmes, les vieillards et les malades sont soutenus par leurs proches et, dans les villes, par la commune ou par les associations ouvrières. Presque tout ce qu'il faut aux habitants des campagnes, qui forment les neuf dixièmes de la population, les vêtements, les meubles, les ustensiles, les instruments aratoires, est confectionné sur place par les industries domestiques. Est-il si urgent de tuer celles-ci par une concurrence subventionnée, qui remplacera les bonnes et fortes étoffes de laine et les solides chemises de lin brodées, appropriées au climat et si pittoresques, par des cotonnades à bas prix, à l'imitation de celles de l'Autriche et de l'Allemagne? Tout manque donc ici jusqu'à présent pour favoriser le développement de l'industrie manufacturière: les marchés urbains, les consommateurs et le personnel ouvrier. Elle se heurterait d'ailleurs à un autre obstacle résultant, non des conditions naturelles, mais des combinaisons spéciales du tarif douanier; car l'Autriche s'est fait accorder des avantages exceptionnels par le récent traité de commerce de 1881.
Pour faciliter les échanges des populations habitant des deux côtés de la frontière dans une certaine zone, l'Autriche a adopté, de commun accord et sous condition de réciprocité avec quelques États limitrophes, notamment avec l'Italie et la Roumanie, un tarif de faveur appelé Grenz-Verkehr-Tarif[14]. Le tarif différentiel arrêté avec la Serbie réduit, pour certaines marchandises, les droits de douane à la moitié de ceux que paye la nation la plus favorisée, et, au lieu de limiter la zone à laquelle doivent être réservées ces facilités, le traité austro-serbe de 1881 les accorde aux produits qui sont directement importés, par libre trafic, du territoire douanier de la monarchie austro-hongroise par les frontières communes. Les droits de douane, déjà peu élevés en général, se trouvent tellement réduits que les fabriques serbes qui veulent s'établir sont rendues impossibles ou sont bientôt tuées par la concurrence. C'est ce qui a frappé de stérilité la plupart des monopoles accordés en vertu de la loi de 1873. Les patriotes serbes s'indignent de ce qu'ils appellent un asservissement commercial à l'Autriche. Les autres nations ont le droit de se plaindre de cette prime exorbitante accordée à un État déjà si favorisé par sa proximité; car, sur le total du commerce extérieur de la Serbie, s'élevant en 1879, pour les importations et les exportations, à 86 millions de francs, les échanges avec l'Autriche montaient à 65 millions. Mais, quant à moi, j'y vois un avantage pour les Serbes: elle les préserve d'être enfermés dans des ateliers insalubres et exploités par des manufacturiers privilégiés.
Les marchandises qui, par faveur spéciale, en vertu du trafic-frontière (Grenz-Verkehr) entre la Serbie et le territoire douanier de l'Autriche-Hongrie, ne payent à l'importation que la moitié des droits de douane applicables à la nation la plus favorisée, sont les suivantes:
1. Papiers grossiers et carton de toute sorte. Taxe: la nation la plus favorisée, par 100 kilogrammes, 4 francs; l'Autriche-Hongrie, 2 francs.
2. Pierres non polies, pierres à aiguiser et pierres à lithographier. Taxe ordinaire: par 100 kilogrammes, 1 fr. 50 c.; l'Autriche-Hongrie, 75 centimes.
3. Poteries communes avec ou sans vernis, poterie de grès, tuyaux, carreaux pour poêles et pour plancher. Taxe ordinaire: par 100 kilogrammes, 2 francs; l'Autriche-Hongrie, 1 franc.
4. Verre à vitres, etc., plaques de verre coulées pour toitures ou dallages. Taxe ordinaire: par 100 kilogrammes, 3 francs; l'Autriche-Hongrie, 1 fr. 50 c.
5. Verre creux, blanc. Taxe ordinaire: par 100 kilogrammes, 5 francs; l'Autriche-Hongrie, 2 fr. 50 c.
6. Fer brut, fonte en barre, en gueuse, fer malléable et acier en barre, massiaux, fer en loupe, vieille ferraille, débris de fer et acier. Taxe ordinaire: par 100 kilogrammes, 80 centimes; l'Autriche-Hongrie, 40 centimes.
7. Fer et acier en verges, carré, en rubans, méplat ou rond, fer et acier d'angle et de cornière de toute espèce, plaques de fer et d'acier. Taxe ordinaire: par 100 kilogrammes, 2 francs; l'Autriche-Hongrie, 1 franc. Les outils et instruments aratoires rentrent dans cette catégorie.
En échange, la Serbie a obtenu le traitement différentiel pour ses bœufs et taureaux (par tête, 4 florins), et ses porcs (par tête, fl. 1.50.
Un rapport récent du consul d'Autriche-Hongrie à Belgrade constate sans façon que la Serbie est entraînée dans l'orbite commerciale de sa puissante voisine. «La Serbie, dit M. de Wysocki, est, par sa situation, attribuée presque entièrement à l'Autriche-Hongrie, et elle le sera encore longtemps. Le long de sa frontière septentrionale, la Serbie a trois grands moyens de communication: le Danube, la Save et la Staatsbahn, qui lui imposent impérieusement l'Autriche-Hongrie comme débouché et comme source d'importations.» La vérité de cette affirmation se trouve confirmée par les chiffres du commerce extérieur de la Serbie, dont voici le résumé pour 1880: Importation, 59,096,263 francs; exportation, 31,685,553 francs; transit, 1,504,877 francs; total: 90,286,693 francs. Importation d'Autriche-Hongrie, 38,151,904 francs; exportation en Autriche-Hongrie, 24,376,208 francs; total: 62,528,112 francs. Reste donc pour tous les autres pays: 27,758,581 francs. En 1882, on a exporté 280,000 porcs estimés 13,990,000 francs; pour 14,246,270 francs de pruneaux secs; pour 8,101,770 francs de laine; 6,083,600 francs de froment; 2,584,660 francs de vin. Progression du commerce extérieur: 1842, 13 millions; 1852, 22 millions; 1862, 28 millions; 1868, 67 millions; 1880, 90 millions.
Je me suis permis de dire aussi au ministre des finances qu'un autre danger me semblait menacer la Serbie, celui de la dette publique, grossissant partout et toujours, grevant toutes les familles, ruinant surtout les campagnes et faisant plus de mal que les trois fléaux dont la litanie demande que le Seigneur nous délivre: la peste, la guerre et la famine. Point d'agent de paupérisation plus malfaisant. Les désastres de la guerre se réparent vite, on l'a bien vu en France après 1870; mais la dette arrache le pain de la bouche de ceux qui le produisent: voyez l'Italie, la Russie et l'Egypte. Elle est surtout une cause de souffrances dans les contrées éloignées des marchés de l'Occident, où les denrées sont à vil prix et l'argent rare. Dans une province écartée, au centre de la péninsule des Balkans, une famille vit à l'aise; mais forcez-la de verser 20 ou 30 francs en or aux banquiers de Vienne ou de Paris, pour sa part dans l'intérêt de la dette, que de produits elle devra vendre et soustraire à la satisfaction de ses besoins, dans une région où les routes manquent pour l'exportation et où il n'y a pas d'acheteurs sur place, parce que chacun produit à suffisance tout ce qu'il lui faut! La facilité d'emprunter est un entraînement irrésistible pour ceux qui gouvernent. Ils ont immédiatement en mains des moyens d'action énormes; l'avenir pourvoira aux intérêts et au remboursement! Les banquiers sont toujours prêts à avancer l'argent. Ils touchent la prime et rejettent le risque sur les souscripteurs. Le déficit se creuse; on emprunte encore pour le combler; les populations sont accablées de charges croissantes, jusqu'à ce que vienne la faillite. C'est l'histoire habituelle des emprunts orientaux. Pour les pays primitifs, le crédit est une peste.
La dette de la Serbie ne s'élève encore qu'à 130 millions, dont 100 ont été consacrés à faire le chemin de fer Belgrade-Nisch et à remplacer les millions emportés par la faillite Bontoux. Mais les emprunts n'ont commencé à se succéder qu'à partir de 1875, et déjà ils prennent plus de 7 millions par an sur un revenu de 34. On entre dans cette voie funeste qui a mené la Turquie à sa perte. Pour obtenir 5 millions destinés à compléter l'achat de 100,000 nouveaux fusils Mauser, on a cédé à l'Anglo-Austrian Bank le monopole du sel pour quinze ans, et récemment on a engagé d'autres impôts, se mettant ainsi à la merci des financiers étrangers. Rien de plus funeste pour un État; il aliène de la sorte son indépendance. Je sais parfaitement que jusqu'à présent la Serbie peut très facilement payer l'intérêt de sa dette, d'autant plus que le nouveau chemin de fer, surtout quand il sera relié à Salonique, d'un côté, et à Constantinople, de l'autre, favorisera notablement le développement de la richesse; mais, néanmoins, je ne puis cacher mon impression aux ministres serbes qui m'ont fait un si bienveillant accueil. Armements coûteux, emprunts répétés, mise en gage des sources du revenu, ce sont là des symptômes inquiétants auxquels il faut veiller. Principiis obsta est une admirable devise, trop peu comprise.
—Je reçois l'accueil le plus amical chez le secrétaire de notre légation, le comte du Bois. Il est grand chasseur et rapporte merveille des belles traques que l'on peut faire dans les montagnes du pays, qui sont sauvages et inhabitées.
—En voyage, je tâche toujours, quand j'en ai le temps, de visiter les bureaux des principaux journaux; c'est encore le meilleur centre d'informations. On y trouve des gens d'esprit capables d'exposer la situation d'une façon plus «objective», plus impartiale que les «politiciens». Je rencontre plusieurs fois M. Komartchitch, rédacteur en chef du journal progressiste et gouvernemental le Vidélo. Il y a, me dit-il, trois partis en Serbie: les conservateurs, les progressistes et les radicaux.
Les conservateurs ont pour chef M. Ristitch, l'homme politique le plus considérable du pays. Il a fait partie du conseil de régence après la mort du prince Michel et pendant la minorité du prince Milan. C'est lui qui a dirigé la politique étrangère pendant la période si difficile, si périlleuse de la guerre turco-russe, et aussi au congrès de Berlin, d'où il a eu l'honneur de rapporter pour la Serbie les deux importantes provinces de Nisch et de Pirot. Il a dû quitter le pouvoir, parce qu'il n'a pas voulu céder aux exigences de l'Autriche, lors des négociations pour le traité de commerce. Quand le cabinet de Vienne a menacé de fermer ses frontières aux exportations de la Serbie et que les canonnières autrichiennes sont venues s'embosser à Semlin, la Serbie n'a pas osé résister et M. Ristitch s'est retiré. On le prétend inféodé à la Russie. Il s'en défend énergiquement. «Ce que je veux pour mon pays, me dit-il, c'est ce bien précieux que nous avons conquis au prix de notre sang, l'indépendance. Nous devons conserver de bonnes relations avec l'Autriche, mais nous ne pouvons pas oublier ce que la Russie a fait pour nous. C'est à elle que nous devons d'exister. C'est elle qui, à la paix de Bucharest, en 1812, puis en 1815, en 1821 et en 1830, est intervenue pour nous et a obtenu notre affranchissement. Inutile de rappeler ses sacrifices en notre faveur durant la dernière guerre. C'est d'elle encore que nous pouvons attendre la délivrance des populations slaves affranchies par le traité de San-Stefano, mais remises sous le joug turc par le traité de Berlin. Amis de tous, serviteurs de personne, voilà quelle doit être notre devise.» A l'intérieur, M. Ristitch est hostile aux innovations trop hâtives et partisan d'un gouvernement fort. Il est encore dans la force de l'âge. L'œil ferme et même dur indique une volonté arrêtée. Il expose ses idées avec une grande netteté, et, quand il s'anime, avec une véritable éloquence. Il occupe une vaste maison richement meublée, sur le boulevard Michel, non loin du Konak.
Parmi les hommes d'État éminents de la Serbie appartenant au parti conservateur, on peut encore citer M. Kristitch, qui a été, à plusieurs reprises, président du conseil; Marinovitch, ancien président du Sénat, actuellement (1885) ministre de Serbie à Paris, et Garaschanine, qui a exercé une grande influence sur les affaires de son pays.
Le parti progressiste correspond aux libéraux de l'Occident. Il n'a guère de respect pour les institutions anciennes, qu'il considère comme un reste de barbarie, et il ne se pique point d'une grande déférence envers l'Église nationale, ainsi que l'a prouvé la façon dont il a mené et terminé le différend avec le métropolite Michel. Il veut doter son pays le plus tôt possible de tout ce qui constitue ce qu'on appelle la civilisation occidentale: grande industrie, chemins de fer, affaires financières, banques et crédit, instruction à tous les degrés, beaux monuments, villes bien pavées, éclairées au gaz, bourgeoisie aisée menant grand train, développement de la richesse, et, pour hâter la réalisation de ce programme, l'accroissement des pouvoirs et des revenus du gouvernement, et la centralisation. Le roi, qui désire voir son pays marcher d'un pas rapide dans la voie du progrès, s'attache de préférence à ce groupe de «libéraux». En outre, comme tous les souverains, qui craignent les chocs que peut amener la situation actuelle de l'Europe, il a pour visée principale de fortifier son armée.
Le parti radical comprend deux groupes dont les tendances sont très différentes. Le premier se compose des paysans et des popes de la campagne, qui veulent conserver intactes les anciennes libertés locales et payer peu d'impôts. Ils sont, par conséquent, hostiles aux innovations des progressistes, qui coûtent de l'argent et qui étendent le cercle d'action du pouvoir central. Les ruraux serbes ressemblent en ceci à ceux de la Suisse, qui, par le referendum, rejettent impitoyablement toutes les mesures centralisatrices, à ceux du Danemark, qui, dominant dans la Chambre basse, refusent, depuis des années, de voter le budget trop favorable aux villes, d'après eux, et à ceux de la Norvège, qui tiennent en échec le roi Oscar, si aimé en Suède et si digne de l'être. La seconde fraction du parti radical est composée de jeunes gens qui, ayant fait leurs études à l'étranger, en ont rapporté des idées républicaines et socialistes. Leur organe était la Somoouprava (l'Autonomie). Leur amour des anciennes institutions slaves s'avive d'un enthousiasme étrange pour «la commune» de Paris, comme on peut le constater dans leur journal le Borba (le Combat). Dans un programme que publiait naguère un de leurs journaux, ils réclamaient la revision de la Constitution afin d'arriver aux réformes suivantes: suppression du conseil d'État, division du pays en cantons fédérés, la magistrature remplacée par des juges élus, tous les impôts transformés en un impôt progressif sur le revenu et, au lieu de l'armée permanente, des milices nationales.
Si les élections sont libres, le parti des paysans doit l'emporter, car est électeur tout homme majeur payant l'impôt sur ses biens ou son revenu, ce qui équivaut à peu près au suffrage universel des chefs de famille. On compte 360,000 contribuables, dont environ les neuf dixièmes appartiennent aux campagnes. Mais quand le groupe radical urbain expose des idées révolutionnaires et socialistes qui n'ont guère d'application dans un pays où il n'y a ni accumulation de capitaux, ni prolétariat, et où se trouve réalisé le principe essentiel du socialisme: «A tout producteur l'intégralité de son produit», parce que la propriété foncière est répartie universellement et très également, alors les paysans prennent peur, et les avancés sont livrés sans défense à la merci du gouvernement, qui parfois use à leur égard de procédés de répression sommaires, rappelant trop l'époque turque, ainsi qu'on l'a vu récemment.
Je ne puis m'empêcher de croire que le parti progressiste, en s'efforçant d'implanter hâtivement en Serbie le régime dont la Révolution française et l'Empire ont doté la France, poursuit un faux idéal, dont l'Occident revient. Au risque de passer pour un réactionnaire, je n'hésite pas à dire que très souvent les paysans ont raison dans leurs résistances. C'est un si grand avantage pour un pays de posséder des autonomies locales, vivantes, ayant leurs racines dans le passé, qu'il faut bien se garder de les affaiblir ou de restreindre leur compétence. Quand la centralisation les a détruites, on a grand'peine à les ressusciter, comme on le voit en France et en Angleterre.
Le «fonctionnarisme» est une des plaies des États modernes. Pourquoi l'introduire là où il n'existe pas? Un exemple fera comprendre ma pensée. Tandis que la Belgique, avec cinq millions et demi d'habitants, n'a que neuf gouverneurs de province, la Serbie, qui n'a que 1,800,000 habitants, est divisée en vingt et un départements avec autant de préfets (natchalnick) et quatre-vingt-un districts ayant chacun son sous-préfet (sreski-natchalnick), et dans chaque préfecture et sous-préfecture il y a des secrétaires, des greffiers, des employés. N'est-ce pas trop? Le but visé paraît très désirable: c'est l'application rapide et surtout uniforme des lois. Il paraît intolérable que toutes les communes ne marchent pas du même pas et que quelques-unes restent très en arrière. C'est cependant ce que l'on voit dans les pays les plus libres et les plus heureux: en Suisse, aux États-Unis et jadis dans les Pays-Bas. L'uniformité est une admirable chose, mais on peut la payer trop cher. Il faut voir dans Tocqueville comment, en la poursuivant, l'ancien régime a détruit la vie locale et préparé la révolution. L'avantage incalculable des pays où la commune primitive a survécu, c'est que, plus on y est démocrate, plus on est conservateur. Quelles sont les causes de perturbation dans les États occidentaux? La grande industrie, la concentration des capitaux, le prolétariat, les grandes villes et la centralisation. Or, c'est là ce que les progressistes travaillent à développer en Serbie. Ils sont donc, à leur insu, les fauteurs des révolutions futures, en multipliant, aux dépens des contribuables, les places, ample proie que se disputeront les factions politiques, les influences parlementaires et les aspirants au pouvoir: C'est un des maux dont souffrent déjà la Grèce et l'Espagne, sans parler des États plus rapprochés de nous.
Les Serbes doivent rester un peuple principalement agricole: Beati nimium agricolæ! Il n'est pas vrai, comme l'a dit l'économiste allemand List, le fondateur du Zollverein, en invoquant l'exemple de l'ancienne Pologne, qu'un État exclusivement adonné à l'agriculture ne peut s'élever à un haut degré de civilisation. Il y a trente ou quarante ans, avant qu'un tarif ultra-protecteur eût développé la grande industrie aux États-Unis, la Nouvelle-Angleterre avait autant de lumières et de bien-être et plus de vertus et de vraie liberté qu'aujourd'hui. Lisez ce qu'en disent les voyageurs clairvoyants de cette époque: Michel Chevalier, Ampère, Tocqueville: nulle part ils n'avaient trouvé un état social plus parfait. Voilà l'exemple qu'il faut poursuivre, et dont la Serbie n'est séparée que par une certaine infériorité de culture qui est le résultat inévitable de quatre siècles de servitude. Si ma voix pouvait être écoutée, je dirais aux Serbes: Conservez vos institutions communales, votre égale répartition de la terre; respectez les autonomies locales; gardez-vous de les écraser sous une nuée de règlements et de fonctionnaires. Ayez surtout, de bons instituteurs, des popes instruits, des écoles pratiques d'agriculture, des voies de communication; puis, laissez agir librement les initiatives individuelles, et vous deviendrez un pays modèle, le centre d'agglomération de cet immense et splendide cristal en voie de formation, la fédération des Balkans. Mais si, au contraire, vous violentez et comprimez les populations, pour marcher plus vite et vous rapprocher en peu de temps de l'Occident, vous conduirez la Serbie et vous-mêmes à l'abîme, car vous provoquez les révolutions.
—Je m'entretiens avec M. Vladan Georgevitch du service sanitaire de la Serbie, dont il est l'organisateur et dont il est très fier. Il a beaucoup voyagé et beaucoup étudié, et il a pu édicter une réglementation modèle dans un pays où presque tout était à faire. J'en dirai quelques mots, parce qu'elle soulève un très grave débat. Il est certain qu'il est pour les communes une série de mesures, et pour les individus une façon de vivre, de se nourrir et de se soigner, en cas de maladie, qui sont les plus conformes à l'hygiène publique et privée. L'État doit-il, par des règlements détaillés, imposer tout ce que commande la science à cet égard, comme il le fait dans l'armée, afin d'accroître autant que possible les forces de la population? Il est hors de doute qu'en le faisant, l'État aidera les citoyens à se mieux porter et à se mieux défendre des épidémies; mais, d'autre part, il affaiblira le ressort de l'initiative et de la responsabilité individuelles, comme on l'a vu dans les établissements des jésuites au Paraguay; il favorisera l'extension du fonctionnarisme; la nation deviendra un mineur soumis à une tutelle perpétuelle. Récemment, Herber Spencer a poussé, à ce sujet, un cri d'alarme d'une admirable éloquence en décrivant l'esclavage futur: the Coming Slavery, qui réduira, dit-il, les hommes, libres jadis, à n'être plus que des automates aux mains de l'État omnipotent. C'est l'éternel débat entre l'individu et le pouvoir. Je me trouve très embarrassé en présence d'une réglementation plus minutieuse, plus excessive qu'aucune de celles édictées par la bureaucratie prussienne, et, en même temps, si méthodique, si conforme aux desiderata de la science qu'on ne peut s'empêcher de l'admirer. On en jugera; j'imagine qu'il n'est pas un médecin qui ne souhaitât semblable organisation pour son pays.
Au ministère de l'intérieur est constituée une section sanitaire, composée d'un chef de service, d'un inspecteur général et d'un secrétaire, de deux chimistes et d'un vétérinaire général, tous docteurs en médecine. La compétence et les pouvoirs de cette section s'étendent à tout ce qui concerne l'hygiène, même à la nourriture des habitants. Elle peut édicter des règlements obligatoires applicables à toutes les industries travaillant pour l'alimentation. L'énumération de ces prescriptions forme un petit volume. Pour mettre à exécution ces règlements, la section a sous ses ordres des médecins de département, d'arrondissement et de commune, des vétérinaires et des sages-femmes. L'organisation médicale est aussi complète que l'organisation administrative: à côté du préfet, le médecin départemental, presque aussi bien rétribué; à côté du sous-préfet, le médecin d'arrondissement, avec le même traitement; dans chaque commune d'une certaine importance, un médecin communal qui fait de droit partie du conseil municipal. Ceci, en tout cas, est excellent. Au ministère se réunit aussi le conseil sanitaire général, composé de sept médecins. C'est un corps scientifique consultatif. Sa mission est d'étudier et de contrôler les mesures que peut adopter la section sanitaire qui représente le pouvoir exécutif. Le pays tout entier est donc soumis à une hiérarchie de fonctionnaires médicaux, investis du pouvoir d'inspecter et de réglementer tout ce qui touche à l'hygiène des hommes et des animaux domestiques.
Voici maintenant quelques détails de cette réglementation. Tout enfant doit être vacciné entre le troisième et le douzième mois de sa naissance et revacciné à la sortie de l'école primaire, et, s'il est du sexe masculin, revacciné une troisième fois quand il est appelé au service militaire. La vaccination obligatoire et gratuite se fait sous la surveillance du préfet et du médecin départemental, et en présence du maire. La vaccination doit avoir lieu entre le 1er mai et le 30 septembre. Sur toute maison où règne une maladie contagieuse doit être attaché un écriteau réglementaire, indiquant la nature du mal. Même prescription en Hollande, où l'on pouvait voir récemment, sur l'hôtel qu'occupait l'héritier de la couronne, une plaque portant ces mots sinistres: Fièvre typhoïde. Le médecin départemental doit veiller à la propreté des maisons habitées, en éloigner les causes d'infection ou de maladie résultant des lieux d'aisances et, des fumiers trop rapprochés des sources, de la nature de l'eau, de la mauvaise nourriture, des coutumes concernant les couches et les inhumations. Ses investigations doivent s'étendre même jusqu'à un sujet très délicat, car il doit rechercher «comment se font les mariages, s'ils produisent des maladies héréditaires, quelle est la fécondité moyenne des unions et s'il y a des causes qui la limitent». Sous peine de punition disciplinaire, il est tenu d'obtenir du préfet des mesures pour faire disparaître, soit dans les ateliers, soit dans les familles particulières, «tout ce qui peut nuire à la santé».
Le nombre des pharmaciens est limité et le prix de tous les médicaments taxé. Les honoraires des médecins pour leurs visites et pour toutes les opérations le sont également. Ainsi, la visite simple se paye dans la capitale de 1 à 4 francs, dans le reste du pays, de 1 à 2 francs. Pour un bandage de plâtre sur un bras cassé: 6 francs; pour amputer un bras ou une jambe, 40 francs; pour l'emploi du forceps, 6 à 40 francs, et ainsi de suite. On ne peut pas dire que le corps médical ait abusé de sa toute-puissance pour rançonner les malades. Un hôpital de vingt lits au moins doit être ouvert dans chaque chef-lieu de département et dans chaque arrondissement; il est placé autant que possible au centre du territoire. N'oublions pas qu'il y en a 31 pour 1,800,000 habitants. Le médecin officiel y aura son logement. Les indigents y seront reçus gratuitement ou ils seront soignés à domicile.
Dans l'intérêt de la santé publique, les règlements n'ont pas craint d'interdire un usage séculaire, qui semble presque un rite religieux. Partout, les orthodoxes transportent leurs morts au cimetière dans un cercueil ouvert, et on couvre le visage et le corps de fleurs. Désormais, il faut le mettre dans un cercueil fermé, sous peine de prison et d'amende. Les prescriptions pour combattre les épizooties à la frontière et dans le pays sont également rigoureuses et minutieuses.
Cette vaste et complète organisation sanitaire dispose d'un budget spécial, qui se compose du revenu de toutes les fondations hospitalières fusionnées en un fonds spécial, d'un impôt spécial de 1 fr. 60 c. par contribuable et de subsides de l'État. Je pense qu'en aucun pays il n'existe un régime de police hygiénique aussi détaillé et aussi parfait. Mais n'a-t-on pas dépassé la mesure? Dans une intéressante étude sur l'histoire du service sanitaire en Serbie, M. Vladan Georgevitch nous montre, dès le XIIe siècle, les anciens souverains serbes, le grand Stephan Nemanja et le roi Milutine fondant des hôpitaux. Nommé récemment maire de Belgrade, cet hygiéniste éminent s'est donné pour mission de faire de cette capitale la ville la plus saine de l'Europe. A cet effet, il s'occupe, en ce moment, de préparer de grands travaux de pavage, d'éclairage et d'égouts, ce qui est excellent; seulement, pour payer l'intérêt des douze millions que cela coûtera, il veut établir l'octroi, ce qui serait très regrettable. Alors que tous les économistes condamnent cet impôt et qu'on envie les pays qui, comme la Belgique et la Hollande, sont parvenus à l'abolir, on irait entourer Belgrade d'un cercle de douane intérieure et d'un cordon de gabelous, et on choisirait pour cela le moment où les nouveaux chemins de fer, qui relieront l'Occident à l'Orient, vont faire de la capitale serbe une grande place commerciale et où il faut surtout faciliter les échanges, en supprimant les entraves, les frais et les délais! Mieux vaut accomplir lentement les améliorations que d'arrêter, dès le début, l'essor du commerce, qui fuit dès qu'on le gêne et qu'on porte atteinte à sa liberté.
—On fonde grand espoir sur le développement des industries extractives. Déjà existe à Maidan-Pek, aux mains d'une compagnie anglaise, une grande fonderie de fer, mais elle ravage les forêts et ne donne pas de grands bénéfices. Bientôt, grâce au chemin de fer, on pourra exploiter les couches de lignite qu'on rencontre entre Tchoupria et Alexinatz et aux bords de la Nischava, au delà de Nisch, et aussi rouvrir les mines de plomb argentifères de Kopaonik et de Jastribatz, dans la vallée de la Topolnitza. Comme la Grèce au Laurium, la Serbie possède des résidus d'anciennes exploitations qui contiennent 5 à 6 p. c. de plomb et 0.0039 d'argent. On estime qu'il y en a 426,000 mètres cubes. On les rencontre dans les montagnes de Glatschina, à 28 kilomètres de Belgrade.
—Le bâtiment où se réunit l'assemblée nationale, la Skoupchtina, est une construction provisoire sans prétention architecturale. On y trouve, comme partout, des bancs en demi-cercle, l'estrade du bureau et des galeries publiques, mais il n'y a point de tribune pour l'orateur; chacun parle de sa place. Le régime constitutionnel ordinaire est en vigueur; seulement, il n'y a qu'une Chambre. Le conseil d'État, autrefois appelé Sénat (Soviet), avec onze à quinze membres, nommés par le roi, prépare les lois. Il a aussi d'importantes attributions administratives; mais la Skoupchtina seule vote les lois et le budget. Celle-ci compte aujourd'hui 170 membres, dont les trois quarts sont élus à raison de un député par 3,000 contribuables et le dernier quart, nommé par le roi «parmi les personnes distinguées par leur instruction ou leur expérience des affaires publiques». Est électeur tout Serbe majeur et payant un impôt sur ses biens, son travail ou son revenu. Pour être nommé député, il faut avoir trente ans révolus et payer trente francs au moins d'impôt à l'État. Curieuse incompatibilité, les officiers, les fonctionnaires, les avocats, les ministres des cultes ne peuvent être désignés par le peuple, mais seulement par le roi. La Skoupchtina se réunit chaque année. Le roi peut la dissoudre. Pour changer la Constitution (Oustaw), pour élire le souverain ou le régent, s'il y a lieu, ou pour toute question de première importance au sujet de laquelle le roi veut consulter le pays, il faut réunir la Skoupchtina extraordinaire, qui se compose de quatre fois plus de députés que l'assemblée ordinaire. Une bande de réfugiés, réunie le 4 février 1804 dans la forêt d'Oréchatz, y décida la guerre sainte contre les Turcs et conféra à Kara-George le titre de vojd ou de chef: ce fut la première Skoupchtina. C'est d'elle qu'émanent, par conséquent, la nationalité serbe et plus tard la dynastie. C'est en Serbie, plus que partout ailleurs, qu'on peut dire que tous les pouvoirs viennent du peuple. Les électeurs étant tous des propriétaires indépendants, les élections devraient être complètement libres, et néanmoins, dans les moments de crise, le gouvernement, par l'influence de ses préfets et de ses sous-préfets, parvient, dit-on, à imposer ses candidats. Si cela est vrai, c'est un symptôme regrettable et pour les gouvernants et pour les gouvernés.
—Le prix des denrées et le montant des traitements servent à faire apprécier les conditions économiques d'un pays. Les chiffres sont un peu inférieurs à ceux de l'Occident, mais pas notablement. La liste civile du roi a été élevée, en 1882, de 700,000 à 1,200,000 francs. Le métropolite reçoit 25,000 francs; les ministres et les évêques, 12,630 francs; les conseillers d'État, 10,140 francs; les conseillers de la cour des comptes et de la cour de cassation, de 5,000 à 7,000 francs; le président d'un tribunal de première instance, de 4,000 à 5,000 francs; les juges, de 2,500 à 4,000; un professeur d'université, 3,283 francs, augmentés tous les cinq ans jusqu'à 7,172 francs; un professeur de l'enseignement moyen, 2,273 francs, augmentés tous les cinq ans jusqu'à 5,000 francs; les instituteurs et les institutrices, outre le logement et le chauffage, fourni par la commune, 800 francs, augmentés successivement jusqu'au maximum de 2,450 francs; un général, 12,600 francs; un colonel, 7,000, un capitaine, 2,700 et un lieutenant 1,920 francs. A Belgrade, la viande se paye 1 franc le kilogramme; le poisson, 1 fr. 25 c.; le sterlet, 1 fr. 60 c.; le pain, 25 centimes; le vin, de 50 centimes à 1 franc; le beurre, 3 à 4 francs; la couple de poulets, 2 à 3 francs; un dindon, 4 francs; une oie, 3 francs. Plus on pénètre dans l'intérieur du pays, plus ces prix diminuent. Les voies de communication rapides nivelant les prix, Belgrade est déjà sous l'action du marché de Pesth. La Serbie a adopté le système monétaire français; seulement, le franc s'appelle dinar et le centime, para.
La valeur des immeubles en Serbie augmente rapidement. En 1863, on a estimé celle des propriétés urbaines, moins Belgrade, à 48,531,844 francs, et celle des propriétés rurales à 196,099,000 francs. D'après les calculs communiqués par le directeur de l'Ouprava Fondava à M. de Borchgrave, il faudrait porter la valeur des propriétés urbaines à plus du double, soit à environ 100 millions, et celle des propriétés rurales à 2,160,000,000 de francs. Pour Belgrade seule, on compte 1,080,000,000 de francs, ce qui, relativement, paraît un chiffre trop fort. Pour les terres, les appréciations sont difficiles, parce qu'il s'en vend très peu. Sur les 360,000 contribuables que compte la Serbie, 12,000 ont conclu avec l'Ouprava Fondava des emprunts hypothécaires pour une somme de 36 millions de francs, dont 12 millions pour Belgrade, et 24 millions pour le reste du pays.
A Belgrade, les terrains à bâtir atteignent un prix élevé: 60 à 100 francs par mètre carré dans les rues Prince-Michel fit Teresia; vers le Danube, 20 à 30 francs, et vers la Save, 24 à 40 francs. Les constructions coûtent cher, parce que la main-d'œuvre et les matériaux se payent à un haut prix. Le salaire d'un ouvrier maçon est de 5 à 6 francs par jour; leurs aides, qui sont souvent des femmes, reçoivent 1 fr. 50 c. Les 1,000 briques valent 35 à 40 francs. Les maisons rapportent de 8 à 10 ou 12 p. c. de leur prix de revient. C'est donc un bon placement, car le chemin de fer augmentera la valeur des immeubles dans la capitale. Il y aurait avantage à employer ici, pour faire des briques, les méthodes et les ouvriers belges, qui les produisent au prix de 12 à 15 francs le 1,000.
M. Vouitch, professeur d'économie politique à l'université, m'en fait voir les bâtiments. Ils ont été construits grâce au legs généreux d'un patriote serbe, le capitaine Micha Anastasiévitch, mort récemment à Bucharest, et dont l'une des filles a épousé M. Marinovitch, envoyé de Serbie à Paris. C'est le plus beau monument de Belgrade. On y a réuni des monnaies, des armes, des antiquités, des manuscrits et des portraits très intéressants pour l'histoire nationale. C'est aussi le siège de l'Académie royale des sciences. L'université n'a que trois facultés: celle de philosophie et lettres; celle des sciences, comprenant les arts et métiers, et celle de droit, vingt-huit professeurs et environ deux cents élèves. Pour étudier la médecine, il faut se rendre à l'étranger.
—Le code civil, rédigé sous Milosch, est une imitation du code autrichien; cependant il y a quelques différences curieuses à noter, entre autres celle-ci: comme dans toutes les législations primitives, les filles n'héritent pas, s'il y a des fils ou des enfants mâles issus d'eux. Elles n'ont droit qu'à une dot, afin que les biens ne passent pas dans une famille étrangère.
—Je lis dans un journal financier:
«Les journaux de Berlin s'occupent de la régie des tabacs serbes. La formation de la régie est prévue dans le contrat d'avances conclu avec le groupe de la Banque des Pays-Autrichiens et du Comptoir d'Escompte. La redevance est fixée, pour les cinq premières années, à 2,250,000 francs, et elle progresse par séries quinquennales. Elle forme le gage de l'emprunt de 40 millions, dont le service sera fait directement par les contractants de la régie et par prélèvements sur cette redevance.»
Rien de plus triste! Voilà la Serbie, pays libre et à peine émancipé, qui suit le chemin de la Turquie et de l'Égypte. Elle hypothèque et livre en gage, successivement, toutes ses ressources, donnant droit, chose plus grave, aux financiers européens d'intervenir dans son administration intérieure. C'en est fait de son indépendance. Elle ne payera plus tribut à Constantinople, mais à Vienne et à Paris, et dans des conditions bien plus dures. Elle marche ainsi ou à la banqueroute ou à l'asservissement économique de la nation serbe. Vaillant Kara-George, glorieux Milosch, est-ce pour un semblable avenir que vous avez combattu!
—Tandis que nous nous promenons sur le Kalimegdan et que nous contemplons, du haut de ce glacis de la forteresse, le magnifique paysage qui se déroule devant nous, la vaste plaine hongroise et le confluent du Danube et de la Save illuminés des feux dorés du soleil couchant, on me raconte quelques détails sur les atrocités commises jadis par les Turcs en ce lieu même. C'était en 1815. L'insurrection serbe vaincue, et Milosch momentanément réduit à se soumettre, les Turcs, qui avaient réoccupé tout le pays, voulurent lui enlever toutes ses armes. Suleyman-Pacha envoya des sbires dans chaque village pour forcer les paysans à livrer leurs fusils. Ceux qui refusaient ou qui prétendaient n'en pas avoir étaient soumis à des tortures atroces; des femmes et des hommes étaient tués sous la bastonnade, pendus, les pieds en l'air, privés de toute nourriture, empalés ou brûlés vifs. Ce serait à ne pas le croire, si, comme le dit Mme Mijatovitch, dans son livre History of Modern Serbia, page 81, on ne connaissait pas le nom des victimes et la date exacte de leur martyr. En un seul jour, le gouverneur de Belgrade, Suleyman, fit empaler 170 Serbes compromis dans la dernière insurrection, malgré l'amnistie générale solennellement promise. Comme ces empalements s'étaient faits du côté du Kalimegdan qui domine la Save et fait face à Semlin, le général autrichien qui y commandait écrivit au pacha que cette exhibition révoltante devait être considérée comme une insulte à un État chrétien voisin, et que, par conséquent, s'il n'était pas mis fin immédiatement à ce spectacle abominable, les soldats autrichiens viendraient y mettre ordre. Suleyman ordonna de faire faire les exécutions du côté du Danube.
—L'esprit d'association est développé parmi les artisans. J'ai remarqué, en face des bureaux du Videlo, une zadruga d'imprimeurs typographes, c'est-à-dire une société coopérative. L'antique zadruga rurale, la communauté de familles, est, en effet, une association de production agricole.
—J'aime à errer dans le grand cimetière. Il est situé à l'extrémité sud de la ville, sur une colline d'un côté, coupée à pic par une carrière. On y a une vue admirable sur le Danube et sur l'immense plaine de la Hongrie. Le vendredi, les parents des défunts viennent visiter leurs tombes et y apportent des offrandes, comme dans l'antiquité. Voici, sur le tertre où est plantée une simple croix en bois noir, une petite bougie, un plat de cerises, un petit pain, une bouteille de vin et des fleurs. Une femme y est accroupie, elle pousse des gémissements accompagnés d'invocations à l'âme de son mari semblables à des mélopées: «O ami, pourquoi nous as-tu quittés? Nous t'aimions tant! Chaque jour, nous te pleurons! Rien ne pourra nous consoler.» Sur d'autres tombes se font entendre des lamentations encore plus douloureuses. On dirait un chœur de pleureuses romaines. L'effet est poignant. Le rite oriental s'est beaucoup moins modifié que les cultes occidentaux. Les coutumes du paganisme grec et latin, qui ont transformé le christianisme primitif, purement sémitique, sont restées ici intactes et vivantes. Ce poétique cimetière n'est pas à 200 mètres des habitations, comme le prescrit le règlement sanitaire: sera-t-il aussi fermé?
—Je retrouve ici une personne que j'avais rencontrée lors de mon premier voyage et dont la vie est un drame. En 1867, lorsque je quittai Belgrade pour me rendre aux bains d'Hercule, à Mehadia, je vis monter sur le bateau à vapeur une dame au port de reine, accompagnée d'une jeune fille dont la beauté était éblouissante. Je remarque qu'elle est saluée avec le plus grand respect. La femme du consul d'Autriche, Mme de Lenk, m'apprend que c'est Mme Anka Constantinovitch, tante du prince Michel, lequel est éperdument amoureux de sa fille, la ravissante Catherine.—«Il veut, me dit-elle, l'épouser, après s'être divorcé de sa femme, la comtesse Hunyadi, qui déteste Belgrade et habite constamment en Hongrie. Jusqu'à présent, deux obstacles ont empêché l'accomplissement de ce dessein: le rite orthodoxe admet le divorce, mais interdit le mariage entre cousins et cousines. La comtesse Hunyadi est catholique; elle se refuse au divorce, et l'Autriche la soutient.» Comme j'avais une lettre de François Huet pour le prince Michel, Mme Anka me reçut de la façon la plus aimable et je passai quelques jours avec elle et sa fille à Mehadia. Peu de mois après, le prince Michel et Mme Anka étaient assassinés dans le parc de Topchidéré. Sa fille, la belle Catherine, qui est devenue Mme Michel Boghitchevitch, me raconte ce tragique épisode.
—«Nous nous promenions, me dit-elle, ma mère et moi, avec le prince dans le Thiergarten. C'était par une belle après-midi du mois de juin. Tout à coup, sortent du bois des hommes armés de pistolets. Ils tirent à bout portant. Le prince et ma mère sont tués sur le coup, une balle m'atteint et me jette la figure contre terre. Pour m'achever, on me tire une seconde balle dans le dos, mais celle-ci rencontre l'omoplate, glisse et s'arrête dans mon cou. Tenez, elle est encore là; on n'a pas voulu l'extraire! J'avais dix-huit ans. On m'amena à épouser, peu de temps après, Blasnavatz qui en avait près de soixante, mais qui était régent de la Principauté. Après sa mort, je devins la femme de mon mari actuel, qui est également mon cousin. Aussi, pour que le mariage pût s'accomplir, fûmes-nous obligés de nous réfugier en Hongrie. Le roi Milan nous a fait revenir à Belgrade, et il est très bon pour nous, mais nous préférons vivre à l'écart du monde officiel. Que de terribles souvenirs! Le prince Michel était adoré par le peuple. Vous avez vu sa statue équestre sur la place du Théâtre. Bientôt on inaugurera un monument expiatoire dans le parc aux Daims, à la place où il a été tué.»—Malgré ces tragiques épreuves, Mme Catherine est restée très belle. Elle a les yeux magnifiques, d'un noir velouté, avec de grands sourcils arqués et ce teint mat et chaud des femmes roumaines. Car, comme son cousin le roi, à qui elle ressemble d'ailleurs, elle est d'origine valaque, par les femmes.
—Je dîne chez M. Sidney-Locock, ministre d'Angleterre, qui s'est fait bâtir ici une charmante résidence avec une pelouse unie comme un tapis, où l'on joue au lawn-tennis, à l'ombre de beaux arbres. On se croirait aux environs de Londres. Grande discussion avec le ministre d'Allemagne, le comte de Bray, sur le point de savoir qui profitera le plus du futur chemin de fer Belgrade-Nisch-Vrania-Salonique, ou l'Angleterre ou l'Autriche? La concurrence sera vive, car les Autrichiens sont favorisés par leur tarif différentiel. En tout cas, l'Angleterre ne peut pas y perdre. Si on relie par un tronçon, facile à faire le long de la côte, Salonique à la ligne grecque récemment inaugurée de Larissa-Volo, ce port, situé au fond du plus admirable golfe, deviendra le point d'embarquement le plus rapproché vers les échelles du Levant et l'Égypte, à moins qu'on ne pousse jusqu'à Athènes! Lorsque la jonction sera faite entre Nisch et les chemins ottomans à Sarambey, par Sofia, on ira, avec une vitesse de 40 kilomètres à l'heure, de Belgrade à Constantinople, 1,066 kilomètres, en 29 heures, et de Londres à Constantinople en 75 heures. La ligne de Salonique réalisera le fameux projet exposé, avec tant d'éloquence, par le consul autrichien de Hahn, il y a plus de trente ans. La malle des Indes suivra l'ancienne route militaire des Romains par Singidunum ou Alba Greca (Belgrade), Horreum Margi (Tchoupria), Naissus (Nisch) et Thessalonique, qui deviendrait un port de première importance.
—Quelles sont les visées d'avenir de la Serbie? Elles sont vastes, illimitées comme les rêves de la jeunesse. Les patriotes exaltés voient renaître dans un avenir éloigné l'empire de Douchan, ce qui est une pure chimère. D'autres espèrent, ici comme à Agram, qu'un jour un État serbe-croate réunira toutes les populations parlant la même langue: les Croates, les Serbes, les Slovènes, les Dalmates et les Monténégrins; mais, pour cela, il faut ou qu'elles se soumettent à l'Autriche, ou qu'elles contribuent à la démembrer. Quoique ce projet ait pour lui la force très grande du principe des nationalités, il n'est pas encore à la veille de se réaliser. Les patriotes pratiques visent un but plus prochain: l'annexion de la Vieille-Serbie, cette pointe nord de la Macédoine, au sud de Vrania, qui comprend le théâtre de la grandeur et de la chute de l'antique royaume serbe: Ipek, la résidence des anciens patriarches serbes; Skopia, où Douchan plaça sur sa tête la couronne impériale de toute la Romanie; Detchani, le tombeau de la dynastie des Némanides, et Kossovo, le champ de bataille épique où triompha définitivement le croissant. D'après un voyageur qui connaît bien cette partie de la Péninsule, M. Arthur Evans, le jour où l'armée serbe pénétrera dans la Vieille-Serbie, elle y sera reçue avec joie par les rayas, dont la condition est affreuse[15]. Pour éviter à l'avenir de nouvelles complications, il faut que l'Europe tienne compte des vœux des populations, fondés sur les convenances ethniques, économiques et géographiques et sur les souvenirs de l'histoire.
Voyez aux annexes, n° I.
ANNEXE N° 1.
LA VIEILLE-SERBIE.
Le pays appelé Vieille-Serbie est un des moins connus de la péninsule des Balkans. Il y a toujours eu danger à parcourir cette province, à cause de la présence des nombreux Arnautes qui l'occupent. Ces Arnautes sont les descendants des Serbes qui, après la bataille de Kossovo, se sont soumis au sultan et ont embrassé l'islamisme afin d'acquérir des terres et des privilèges que les sultans accordaient à tous ceux qui prenaient le turban.
Les Arnautes de la Vieille-Serbie sont, sans contredit, les plus fanatiques et les plus turbulents des musulmans, toujours les armes à la main. Ils portent sur eux un véritable arsenal, car, dans leurs larges ceintures en cuir, ils ont généralement deux grands pistolets, un et quelquefois deux kandjiars. A cette ceinture, les Arnautes accrochent trois cartouchières ou boîtes en métal ciselé de dimensions différentes et dans lesquelles ils mettent la poudre, les balles et les amorces. Une baguette en fer, terminée par un anneau en cuir ouvragé et qui leur, sert à bourrer leurs pistolets, complète leur attirail guerrier. Lorsqu'ils sont en expédition ou qu'ils voyagent, les Arnautes portent toujours un immense fusil à crosse de cuivre plein, plus ou moins bien ciselé.
Aussi ne peut-on s'aventurer qu'avec les plus grandes précautions dans la Vieille-Serbie turque, et les Européens qui ont pu traverser le pays des Arnautes sont extrêmement rares.
Une partie de la Vieille-Serbie que revendique le peuple serbe a déjà été conquise en 1879; elle compose aujourd'hui trois départements qui sont ceux de Nisch, de Vrania et de Prekopljé. C'est dans ce dernier département qu'habitait plus particulièrement l'élément arnaute, et dont le centre principal était Kourschoumlié. Il a fallu les déloger à coups de fusil, car ils opposèrent une résistance armée à l'occupation de leur pays par les troupes serbes. Ne pouvant vivre sous le joug chrétien, les Arnautes de Prekopljé et de Kourschoumlje, quoique Serbes de race, se retirèrent plus au sud, en territoire ottoman, mais toujours dans la Vieille-Serbie.
On les retrouvera peut-être encore et avec eux bien d'autres qui peuplent le pays, vivant côte à côte avec les Serbes chrétiens, qu'ils oppriment et terrorisent cruellement.
Les Serbes rencontreraient-ils de grandes difficultés dans l'occupation du pays qu'ils convoitent? Cela est à peu près certain, quoique la Serbie soit en mesure de surmonter ces obstacles; mais, pour le moment, nous ne voulons pas nous occuper de cette éventualité, nous voulons simplement donner quelques notions sur le territoire et les habitants du pays qui doit, aux yeux des Serbes, composer l'agrandissement de leur patrie.
Nous avons dit plus haut qu'une partie de la Vieille-Serbie a été incorporée au jeune royaume en 1879; celle qui reste encore en territoire ottoman est la plus considérable et forme presque exclusivement le vilayet de Kossovo.
Les territoires qui composent ce vilayet sont ceux de Kossovopoljé, Métokia, Liouma, Tetovo, Dvetz et Kodjak.
Le Kossovopoljé est le plus vaste et le plus peuplé. C'est là que se trouve la ville de Pristina, le chef-lieu du vilayet, résidence du gouverneur général turc ou vali. C'est là également que se trouve la ville de Mitrovitza, tête de ligne du chemin de fer qui mène à Salonique. Ce territoire touche aux frontières serbes; deux routes relient le Kossovopoljé à la Serbie; elles partent, l'une de Pritchina pour aller à Leskovatz, l'autre de Tirnovatz à Vrania. Si les Serbes donnent suite à leurs projets, c'est par là qu'ils doivent forcément commencer. Le territoire de Kossovopoljé est encore plein de souvenirs historiques chers aux Serbes. C'est là, entre le village de Wuchtrin et la ville de Pritchina, que se trouve le fameux haut plateau de Kossovo, qui a donné son nom au vilayet; c'est une très vaste plaine élevée qu'arrosent trois petites rivières qui se jettent dans l'Ibar, et qui se nomment la Grasena, la Lab et la Simnitza. C'est la fameuse plaine des Merles (Kossovopoljé en slave), où tomba le dernier empereur serbe, le knèze Lazar, dans la bataille qu'il livra à la tête de toutes les troupes serbes contre les Turcs, commandés par le sultan Mourad, qui périt lui-même à la fin du combat, par le poignard du voïvode Miloch Obilitch, qui venait d'être fait prisonnier et que l'on conduisait devant le vainqueur. C'est à partir de ce moment que commença la servitude de la Serbie. A l'endroit où tomba Mourad, il existe un «turbé» ou monument funèbre musulman.
Près de Mitrovitza, on voit encore les ruines, assez bien conservées, d'un grand château, où périt assassiné le roi Ouroch, père de Douchan, le plus grand souverain serbe.
D'autres ruines de châteaux serbes se trouvent dans les montagnes qui séparent la rivière Lab de l'Ibar.
A Gilar et à Novobrdo, il y a de belles églises serbes en assez bon état.
La province de Métoja se trouve à l'ouest de celle de Kossovopoljé; les deux villes principales de ce pays sont: Diakowa et Ipek ou Petsch. Ipek conserve encore l'église métropolitaine de l'ancienne Serbie. Pendant un moment, le patriarche de l'Église serbe résida dans cette ville.
Diakowa est le centre arnaute par excellence; c'est le pays le plus dangereux de toute la Péninsule; c'est un véritable repaire d'haïdouks (brigands).
Le territoire de la Ljuma, situé plus au sud, se trouve compris entre les montagnes du Schar et la rive droite du fleuve Drin. Les villes principales de ce territoire sont: Prizrend, la plus grande ville de tout le vilayet de Kossovo; elle possède plus de 40,000 habitants et fut longtemps la résidence du pacha gouverneur, et Dibré ou Diwra, où l'on travaille le cuir, comme on le faisait à Cordoue. C'est à Dibré que se trouvent les plus fanatiques musulmans de la contrée. Les Arnautes de Dibré sont orgueilleux et fiers et d'un courage exceptionnel. Ils sont continuellement en lutte avec les Malisores Mirdites qui les avoisinent, lesquels sont catholiques. Il est vrai que ceux-ci pratiquent la religion romaine à leur façon, qui n'est pas tout à fait conforme à l'orthodoxie catholique.
La territoire de Tetovo est le plus accidenté de tous; il est presque exclusivement habité par des Arnautes de race serbe; ce sont des montagnards sauvages, d'une ignorance extrême et qui ne vivent que du produit de leur bétail. C'est à peine s'ils savent qu'ils vivent sous la domination ottomane, et les collecteurs d'impôts, si âpres partout ailleurs, ne pénètrent jamais dans leurs montagnes. Les villes principales de ce territoire sont Kalkandelen, Gustiva et Kritschévo.
Le territoire d'Ovetz se trouve à l'est; c'est un pays riche, mais là l'élément serbe se trouve mélangé par parties presque égales à l'élément bulgare. Tracer une ligne de démarcation entre ces deux races dans cette province nous paraît chose bien difficile. Il est très possible que le désaccord entre la Serbie et la Bulgarie survienne à propos de l'Ovetz, où se trouvent les centres importants d'Istib, d'Uskub et de Kumanova.
Le territoire du Kodjak est le moins connu de tous. Il limite la Serbie au sud de Vrania. Toutefois, de ce que les géographes qui ont dressé des cartes de la presqu'île des Balkans ont laissé en blanc tout le Kodjak, il ne s'ensuit pas qu'il soit inhabité, comme l'ont affirmé certains publicistes mal renseignés.
Il existe, au contraire, un assez grand nombre de villages assez peuplés dans les étroites vallées formées par le Kodjak-Planina, grande montagne qui donne son nom au territoire.
Le Kodjak est également habité par des Serbes et par des Bulgares, dont la sauvagerie ne le cède en rien aux Arnautes pasteurs du Tétovo.
Telles sont les provinces qui composent la Vieille-Serbie. Quoique en majorité serbe, la population se divise en deux fractions bien distinctes: la partie composée des Serbes ou des Bulgares demeurés chrétiens et celle des Serbes musulmans ou Arnautes. La première représente environ les deux tiers de la population, la partie musulmane, l'autre tiers. La population totale du vilayet de Kossovopoljé, moins le sandjak de Novi-Bazar, monte à 480,000 habitants, d'après les dernières cartes de Bianconi.
SITUATION ACTUELLE DE LA VIEILLE-SERBIE.
«A quatre lieues de distance de Djakowo, cachés dans une belle gorge alpestre, s'élèvent l'église et le monastère de Détchani, fondés par le roi serbe saint Étienne, et par son fils, Douchan, qui le premier prit le titre de czar. Dans tout l'intérieur de la péninsule des Balkans, on ne rencontre pas un monument aussi artistique que cette église. La forme, les matériaux et le style de cet édifice nous transportent bien loin des constructions de briques, du genre byzantin. Ses bandes de marbre blanc veiné de rose ressortent avec éclat sur les collines couvertes de sapins qui l'environnent. Ses colonnes élégantes et ses lions hardiment posés en avant rappellent l'architecture de la Dalmatie et de la ville d'Ancône. Les rinceaux dentelés des fenêtres sont, en partie, si bien conservés qu'on croirait que le sculpteur vient d'y mettre la dernière main. Cette église est le souvenir vivant d'une dynastie de rois qui régnèrent du Danube à l'Adriatique, et de l'Adriatique à la mer Egée, d'artisans qui ont laissé la trace de leur habileté jusque sur le sol italien. Le style de cette église est une heureuse combinaison des traditions de l'architecture religieuse italienne et grecque; il s'éloigne beaucoup de la rigidité de lignes du style byzantin. Tout l'intérieur est recouvert de fresques remarquables, dont les plus intéressantes représentent les héros de la famille royale des Nemanjas, depuis le czar Siméon jusqu'au jeune czar Ourosh, rangés parallèlement entre les branches feuillues d'un arbre héraldique.
«Les personnes qui ont vu cette admirable relique historique comprendront aisément la place qu'elle a occupée et qu'elle occupe encore actuellement dans l'imagination de tous les Serbes et même de tous les Slaves. Cette église, de même que l'église patriarcale d'Ipek, qui s'élève non loin de là, sont les deux lieux saints de la race serbe. C'est dans l'église d'Ipek que siégeaient les métropolitains et les patriarches de l'église serbe, qui disparurent peu à peu à l'époque du célèbre exode de la race serbe. Ceux qui connaissent la puissance des sentiments populaires en matière politique saisiront l'absurdité, d'un traité, qui a laissé ces centres des aspirations de tout un peuple dans les mains d'Arnautes barbares et de mahométans fanatiques. Il n'est pas étonnant que l'église et le monastère de Détchani aient été aussi bien conservés. Après la conquête, les Turcs s'aperçurent que ce lieu de pèlerinage pourrait devenir, entre leurs mains, une source importante de revenus. C'est pourquoi ils commencèrent par faire payer par les Slaves un lourd tribut—qu'ils exigent encore maintenant;—ensuite, ils convertirent le monastère en vakouf impérial, c'est-à-dire en propriété ecclésiastique, placée sous la protection du sultan, et durant les quatre siècles qui viennent de s'écouler un grand nombre de firmans ratifièrent cette charte. Les privilèges spéciaux et les assurances de protection si souvent réitérées donnent à la situation actuelle du monastère une garantie toute spéciale. Néanmoins, des Arnautes s'établissent constamment chez les moines, y restent parfois des semaines entières, en vivant à leurs dépens. Les mahométans du voisinage ont, de plus, levé une série d'impôts forcés sur les moines, qui ne peuvent les payer; les malheureux frères vivent dans un péril constant.
Il est impossible de s'éloigner de cent pas du monastère sans escorte armée, et, en 1882, les Arnautes brûlèrent une aile du bâtiment principal et tirèrent à plusieurs reprises dans l'intérieur. Les moines eux-mêmes furent outragés indignement.
Une nuit, je fus réveillé par les cris sauvages de ces brigands, et je pensai à saint Guthlac de Croyland, dans les temps anciens, qui, entendant des hurlements affreux dans le voisinage, crut à une invasion des Bretons. Quand le saint s'aperçut que ce bruit avait été fait par des diables, il fut tout réconforté et sa peur s'apaisa. Mais dans le cas présent, cette consolation-là me fut enlevée, car c'étaient bien des Arnautes, il n'y avait pas à s'y méprendre. Après avoir échappé à la destruction pendant quatre cents ans de domination turque, cet admirable monument court, à l'heure présente, les plus grands dangers.
La situation de l'église patriarcale d'Ipek, située à une demi-lieue du siège du gouverneur turc, est également précaire; quoiqu'elle soit, comme Detchani, sous la protection spéciale du gouvernement, elle est exposée aux mêmes extorsions et au même système de terrorisation. Les trois quarts de la congrégation régulière ne peuvent assister aux offices parce que les Arnautes battent les chrétiens qui se rendent à l'église et les attaquent à coups de fusil. Le pays est si peu sûr, que la plupart des chefs de famille n'osent s'aventurer hors de leurs maisons. Les portes du monastère sont criblées de trous de balles et plus d'un meurtre a été commis dans le voisinage.
«Le gouverneur civil et militaire de la ville d'Ipek n'est autre que le redoutable Ali de Gusinje, vieillard d'un aspect imposant, qui possède, sans doute, une autorité sans bornes dans Gusinje, mais qui est devenu l'instrument d'un «cercle» d'Arnautes. Les troupes en garnison à Ipek sont disciplinées, et leur présence est bien vue des chrétiens, mais la Porte ne leur permet pas d'intervenir pour maintenir l'ordre. Les Arnautes sont les favoris du «Palais», et il est interdit de se mêler de leurs affaires. Dans la ville, l'insécurité est telle, que ce fut seulement sous l'escorte de huit Arnautes armés jusqu'aux dents, formant le carré autour de moi, qu'il me fut permis de faire quelques petites acquisitions au bazar. Quoi qu'il en soit, l'apparition d'un étranger «européen» dans les rues d'Ipek causa une si grande agitation, que le gouverneur ne me permit plus de sortir et me défendit de visiter l'école serbe. Je parvins cependant à la voir. Le maître d'école vit dans un péril constant; mais il faut rendre cette justice à Ali de Gusinje, que c'est grâce à son intervention que les livres de classe n'ont pas été saisis en bloc, comme cela s'est fait ailleurs. L'école des filles est dirigée par deux maîtresses indigènes fort remarquables. Miss Irby parle de l'une d'elles dans ses livres. Cette école fait oublier un peu l'anarchie complète qui règne à Ipek, mais l'état de choses dans les contrées avoisinantes surpasse toute description. Depuis le traité de Berlin, il y a eu ici de 150 à 200 meurtres de chrétiens restés impunis. On m'a donné la date exacte de 92 de ces assassinats; dans plusieurs cas, la victime était un enfant, et je suis certain que jamais les autorités n'ont fait aucun effort pour poursuivre les meurtriers. C'est ainsi que la Turquie se venge d'avoir dû signer «une paix honorable».
«Pendant mon court séjour à Ipek, on assassina un infortuné Serbe dans le village de Gorazdova, où avaient été commis deux crimes identiques dans les derniers temps. Dans le village de Trebovitza, un musulman, arnaute ou renégat serbe, avait persuadé à une jeune fille de seize ans de l'épouser et d'embrasser l'islamisme. Les parents de la jeune fille refusèrent leur consentement au mariage. Alors, les autorités mirent la mère en prison (elle s'y trouvait encore lors de mon départ), et le séducteur emmena la jeune fille dans son harem. Il y a eu six ou sept cas semblables à Ipek, et l'un des Arnautes influents commet impunément des outrages encore plus révoltants. Les prêtres des villages sont cruellement maltraités. J'en vis un qui avait courageusement signalé aux autorités d'Ipek deux meurtres commis dans sa paroisse. Les autorités firent la sourde oreille, mais les Arnautes, informés de ses réclamations, tombèrent sur lui à coups de couteau. J'ai vu l'un de ses bras à moitié coupé. Dans le monastère d'Ipek se trouvait un autre pope, qui venait de s'enfuir du village de Suho-Gurlo. Les Arnautes s'étaient emparés de lui, l'avaient conduit dans un lieu désert et étaient sur le point de le massacrer, quand ils consentirent à le relâcher, à condition qu'il leur payât la somme de 50 piastres dans un délai de trois jours. Il est actuellement enfermé dans le couvent et n'ose visiter son troupeau. Il m'apprit que, dans les environs de Suho-Gurlo, plus de douze villages avaient été privés de leurs pasteurs de la même manière. Même à Vuchitern, un endroit relativement favorisé par sa position sur le chemin de fer macédonien, je découvris que le pope et le maître d'école avaient passé une année au cachot, et l'on croyait que le prêtre avait été déporté en Asie.
«Si ces crimes étaient des actes de cruauté isolés, ce serait déjà déplorable; mais il est hors de doute que c'est un système de terreur organisé et ayant un but parfaitement défini. On veut à tout prix chasser les Serbes de ces territoires par des actes répétés de violence et de pillage. Des habitants du pays, bien informés, m'ont assuré que les Arnautes, malgré leur sauvagerie naturelle, ne se rendraient pas coupables d'assassinats pareils, s'ils n'y étaient encouragés par les gouvernants. Le plus grand promoteur de ces violences est indubitablement Mullazeg, un notable Arnaute fort riche, qui, de concert avec une série de personnages influents du même genre, dirige tous les mouvements du pacha.
«Plusieurs de ces «gentilshommes» ont des relations intimes avec le palais de Stamboul, et on trouvera difficilement un fonctionnaire turc qui consentira à jouer encore le rôle du malheureux Mehemet-Ali,qui s'était laissé persuader qu'il parviendrait à rétablir l'ordre. C'est ainsi que continue le règne de la terreur, et si l'Europe n'intervient pas bientôt, il est probable que le rêve des oppresseurs se réalisera complètement. Sous le coup de semblables persécutions, les populations chrétiennes prennent la fuite, parfois par villages entiers, et se mettent en chemin vers la frontière serbe. Dans certains villages, des hordes d'Arnautes ont littéralement chassé les habitants. Dans les environs d'Ipek seulement, 22 villages sont déserts. Les réfugiés conservent toujours l'espoir de revenir dans leur pays natal, quand le règne de la tyrannie aura cessé.
«Les autorités craignant les Arnautes, favoris du sultan, il s'ensuit que les receveurs des contributions n'osent s'adresser à eux, et forcent les malheureux rayas de l'Albanie et de la Macédoine à payer les impôts dus par leurs oppresseurs. La «vergia» ou impôt foncier est ainsi réclamée jusqu'à trois fois au même propriétaire, et comme on ne donne pas de reçu aux paysans des impôts déjà perçus, ils n'ont aucun recours contre ces extorsions réitérées. Les receveurs trouvent un appui puissant dans les autorités turques, et plusieurs chrétiens sont actuellement emprisonnés à Ipek, pour n'avoir pas voulu ou n'avoir pas pu payer leurs impôts pour la seconde ou peut-être la troisième fois.
«Dans le district voisin de Kolashin, j'ai constaté le même état de choses, en 1880. Les chrétiens sont assassinés et dépouillés sans merci et sans qu'il soit possible de poursuivre les coupables. Le gouvernement et la justice sont également inertes. Je citerai un seul fait qui s'est passé récemment. Entre Ipek et Mitrovitza, la route traverse pendant six lieues une plaine fertile, bien irriguée, mais maintenant déserte, sans culture et sans habitations. Je passai la nuit dans le petit village serbe de Banja. J'y trouvai les paysans en grande discussion pour savoir s'ils quitteraient le pays immédiatement. Tous les environs sont le théâtre de scènes horribles. Un jeune Serbe, appelé Simo Lazaritch, se baignant dans la source d'eau tiède qui donne son nom à Banja, fut tué de sang-froid par un Arnaute de Dervishevitch. Le jour précédent, un autre jeune Serbe âgé de 20 ans, Josif Patakovitch, avait subi le même sort, et un autre malheureux avait été grièvement blessé. Les habitants de Banja ont travaillé six mois à la restauration de leur église, mais les Turcs l'ont de nouveau détruite. L'école, de même, est en ruines, et aucun instituteur n'a le courage d'y rester. «Ils nous assassineront tous, l'un après l'autre,» me dit un des anciens du village; et un vieil infirme me demanda avec anxiété s'il n'y aurait pas bientôt la guerre. Tels sont les fruits, dans ces contrées, de la «paix avec honneur» obtenue par lord Beaconsfield.
«M'est-il permis de demander si l'Europe et l'Angleterre n'ont aucune responsabilité relativement au sort de ces malheureuses populations, par leur participation au traité de Berlin? Ou bien faut-il que les habitants du vilayet de Kossovo soient exterminés, simplement parce qu'il convient à la politique de l'Autriche de cacher l'anarchie qui règne dans ces régions? Pourtant, il est incontestable que la «Vieille-Serbie» tout entière ferait partie du royaume serbe, et jouirait de la sécurité et de la liberté de conscience qui font le bonheur de la Serbie et du Monténégro, sans l'opposition de la politique tortueuse et impie qui faisait de chaque charte de franchise accordée par la Russie à ses alliés serbes un casus belli.
«Arthur Evans.»
J'ajouterai que si la Serbie, au lieu d'attaquer la Bulgarie sans le moindre droit, s'était donné pour mission de dénoncer la situation de la Vieille-Serbie à l'Europe et d'affranchir ses frères opprimés, ce pays infortuné serait probablement aujourd'hui délivré et réuni au royaume serbe.
TABLE DES MATIÈRES
WURZBOURG. LUDWIG NOIRÉ. SCHOPENHAUER.
Le Rhin «chemin qui marche».—-Wurzbourg.—-Ludwig Noiré, Das Werkzeug.-—Kant et Schopenhauer.—La Residenz et l'art du XVIIe siècle.—Nurnberg et les Hohenzollern.—La Neue freie Presse.—La mêlée des nationalités 5
VIENNE. LES MINISTRES ET LE FÉDÉRALISME.
Le comte Taaffe, Viribus unitis.—Le comte de Kálnoky. —Les chemins de fer.—L'Altgraf Salm-Lichtenstein.—Allemands et Tchèques.—M. de Serres et les chemins de fer autrichiens.—Le baron de Kállay et la Bosnie.—Le Ring.—De Vienne à Essek 35
L'ÉVÊQUE STROSSMAYER.
Siroko-Polje et les mœurs anciennes.—Djakovo et son évêque.—Sa biographie.—Ses tableaux et le musée d'Agram.—Bravoure des Monténégrins et des Croates. —Gladstone et lord Acton.—L'hôpital et les écoles à Djakovo.—Les zadrugas.—Strossmayer et l'évêque de Zara 75
LA BOSNIE. HISTOIRE ET ÉCONOMIE RURALE.
De Djakovo à Sarajevo.-—Brod et l'islam.-—Les bans et les rois de Bosnie.-—Les Bogomiles.—La Tchartsia et la mosquée d'Usref-Bey.—Le régime agraire musulman.—Le Homestead.—Souffrances des rayas sous le régime turc.—Les réformes faites et à faire. 138
LA BOSNIE. LES SOURCES DE RICHESSE. LES HABITANTS ET LES PROGRÈS RÉCENTS.
Le sol et ses produits.-—Le bétail.-—Le cadastre.-—Mgr Stadler et la question religieuse.-—Ilitche.-—Le Kmet.-—Chez le consul de France.—-Coutumes des musulmans et des juifs espagnols.-—Les Tzintzares.-—La Bosnie émancipée du Phanar.-—L'enseignement. Réforme judiciaire.-—Le régime communal de Sarajevo.-—Les impôts.-—Le Drang nach Osten 204
LES NATIONALITÉS CROATE ET SLOVÈNE. LA SERBIE.
Griefs des Croates.-—La nationalité slovène.-—De Vukovar à Belgrade.—-Serbie.—-Progrès de l'enseignement. -—L'armée.-—Le clergé orthodoxe.-—L'impôt croissant.-—Le roi Milan et la reine Nathalie.-—La Slava.-—Le régime communal.-—Le Kolo. -—Répartition des cultures.—-Le bétail.—-M. et Mme Mijatovitch. -—Organisation du crédit.-—Le commerce extérieur. -—Les trois partis.-—MM. Ristitch et Kristitch. -—Le fonctionnarisme.-—M. Vladan Georgevitch et le service sanitaire.-—Les institutions politiques.-—Le prix des denrées et les traitements.-—L'université. -—Mme Catherine Boghitchevitch.-—M. Sidney-Locock. —Les chemins de fer serbes.-—Les espérances. 268