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La Pensée de l'Humanité: Dernière oeuvre de L. Tolstoï

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The Project Gutenberg eBook of La Pensée de l'Humanité

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Title: La Pensée de l'Humanité

Author: graf Leo Tolstoy

Translator: E. Halpérine-Kaminsky

Release date: September 18, 2013 [eBook #43761]
Most recently updated: October 23, 2024

Language: French

Credits: Produced by Madeleine Fournier, Annemie Arnst & Marc D'Hooghe (Scans generously made available by Gallica, Bibliothèque nationale de France)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LA PENSÉE DE L'HUMANITÉ ***

LÉON TOLSTOÏ

La Pensée de l'Humanité

Dernière œuvre de L. Tolstoï

TRADUITE DU RUSSE

PAR

E. HALPÉRINE-KAMINSKY

PARIS
L'ÉDITION MODERNE—LIBRAIRIE AMBERT
47, RUE DE BERRI, 47
1912

Table des matières


PRÉFACE DU TRADUCTEUR

L'ouvrage de Léon Tolstoï, dont nous présentons ici au lecteur européen la première traduction française, a une double portée. Il résume les pensées exprimées par les sages universellement reconnus et par les fondateurs des religions les plus répandues de tous les temps et de tous les pays, pensées sur le sens et le but suprême de la vie. C'est en cherchant à son tour, durant son existence entière, le «chemin de la vie», que le grand penseur russe s'est efforcé de mettre à profit ce qui avait été dit et écrit avant lui sur l'éternel problème, pour sa propre éducation, d'abord, pour éclairer les autres, ensuite, par des citations appropriées. Le présent ouvrage est le résultat de ce travail formidable. C'est bien «la pensée de l'humanité» refléchie par l'âme de Tolstoï.

C'est, d'autre part, son œuvre testamentaire, celle qu'il entoura de plus de soin durant ses dernières années et dont il corrigeait les épreuves jusqu'à sur sa couche de mourant.

Il avait déjà précédemment établi plusieurs recueils analogues, sans avoir pu se déclarer satisfait. Ce fut, premièrement: Pensées des sages pour chaque jour; puis: Cercle de lecture, et, enfin: Lectures quotidiennes. Durant dix ans, l'auteur de ces recueils, dont chacun forme plusieurs volumes, ne cessait de les amender, de les coordonner sur un nouveau plan, et c'est de ce long travail préliminaire qu'est sorti enfin Le Chemin de la vie dont nous croyons plus explicitement intituler la version française: La Pensée de l'Humanité.

L'idée de laisser avant de mourir la confirmation de sa doctrine par la collectivité de grands penseurs, le hantait avec une telle constance que toutes les fois où Tolstoï croyait sa fin proche, son unique préoccupation était d'en activer la réalisation. L'un de ses disciples et plus proches amis, M. Gorbounov-Possadov, qui avait été chargé par lui de publier les recueils énumérés, raconte, dans sa préface à l'édition russe du Chemin de la vie, ces détails significatifs sur l'origine du premier recueil:

«Pendant la grave maladie dont L.N. Tolstoï souffrait en janvier 1903, alors que sa vie était en danger et qu'il n'avait plus la force de s'adonner à ses travaux habituels, il relisait l'Evangile et, en détachant chaque jour les feuilles du calendrier suspendu à la tête de son lit, parcourait les maximes empruntées aux grands penseurs que portaient les feuillets. Le calendrier étant épuisé et le malade n'ayant pas sous la main un autre pour le remplacer, Tolstoï éprouva le désir d'établir pour son usage personnel un recueil des pensées pour sa lecture quotidienne. C'est ainsi que, durant sa maladie, il réunit les éléments pour son premier recueil.»

Rétabli, il ne cessa d'enrichir chaque nouveau recueil du produit de ses constantes recherches, utilisant toute pensée qui avait sa valeur propre, sans se préoccuper de la tendance de l'auteur, fût-il le prince Bismarck, «tout rougi du sang de ses frères allemands et français», en témoignage, nous dit M. Gorbounov-Possadov, «de ce fait que l'étincelle sacrée subsiste même chez le représentant le plus implacable du régime de violence». Quantité de ses propres pensées, soit extraites de ses ouvrages extérieurs, soit nouvellement rédigées, s'aggloméraient à celles des autres auteurs. Le tout était disposé en lectures quotidiennes, pour tous les jours de l'année.

Pour le présent travail, outre de nombreuses additions inédites, il modifia cette disposition suivant un plan nouveau, plus rationnelle. Les pensées sur le sens de la vie, sur nos passions bonnes et mauvaises, sur la conduite à observer dans divers cas, etc., furent groupées en trente chapitres homogènes, chacun traitant une seule question fondamentale. Cette division correspond donc à un mois de lecture, au lieu de s'espacer sur l'année entière. Tout en conservant ainsi son caractère de livre de chevet, le présent ouvrage gagne en ordonnance, et cela d'autant plus que les chapitres sont disposés suivant le développement logique de la doctrine de Tolstoï.

Rappelons, enfin, que l'ermite de Yasnaïa Poliana avait mis une passion particulière à la rédaction de son dernier travail. M. Gorbounov nous conte que, non content d'avoir refait à plusieurs reprises le manuscrit, l'auteur multipliait les corrections en première, en deuxième, en troisième épreuves. En portant lui-même les épreuves corrigées à son éditeur,—celui-ci demeurait alors dans le voisinage de Yasnaïa Poliana,—Tolstoï s'excusait avec un sourire contraint, comme si on l'avait pris en défaut: «J'ai encore tout barbouillé. Pardonnez-moi, je ne recommencerai pas.»

«La dernière fois, ajoute M. Gorbounov, j'ai apporté à Léon Nicolaïevitch les épreuves de deux fascicules de son ouvrage le 11 novembre 1910 (trois jours avant la mort de Tolstoï), à Astapovo, où il se mourait. Il eut encore la force d'écouter attentivement les renseignements que je lui ai apportés sur la marche de l'impression des trente fascicules. J'ai ajouté qu'à tout hasard, je lui apportais la troisième épreuve de deux fascicules; il me répondit, d'une voix éteinte et où perçait le regret de son impuissance de se remettre à son travail favori: «Je n'ai pas la force.... Faites-le vous-même.»

Nous sommes bien en présence de l'expression dernière et la plus complète peut-être de la doctrine du grand mort, confrontée avec les pensées de plus grands philosophes de l'humanité et de ses plus anciennes traditions. Tolstoï cite, en effet, tous les livres sacrés connus de tous les pays: la Bible, Vichnou-Pourana, Rama-Krichna et autres textes hindous; Bouddha, Lao-Tseu, Confucius et les Bramines; l'Evangile, les Apôtres, le Talmud et le Coran; et aussi les plus antiques traditions: chinoises, hindoues, arabes, persanes, voire mexicaines d'avant la découverte de l'Amérique et quinze siècles avant l'ère chrétienne; les philosophes grecs Héraclite, Socrate, Platon, Xenophon et Épictète, comme les romains Caton, Cicéron, Sénèque, Juvénal, Marc-Aurèle et Lactance; Basile-le-Grand et Jean Chrysostome; Mahomet, Saadi et Saïd Ben-Hamed; Jean Huss, Erasme, Luther; Montaigne, Pascal, Fénelon, La Bruyère, Rousseau, Lamennais et Lamartine; Emerson, Bentham, Thomas More, Carlyle, Ruskin, Carpenter, Grant-Allen et Henry George; Kant, Lessing, Humboldt et Schopenhauer; Gogol, Hertzen et Dostoïevsky, etc. etc., pour ne nommer que les livres et les auteurs les plus universellement connus et sans faire état des sources que Tolstoï n'indique pas, en raison de ce que les passages empruntés sont, comme il l'explique dans sa préface, interprétés et non pas fidèlement traduits par lui.

E. HALPÉRINE-KAMINSKY.


PRÉFACE DE L'AUTEUR

Les pensées recueillies ici, appartiennent aux auteurs les plus divers, depuis les écrits des brahmanes, de Confucius, des bouddhistes jusqu'à l'Évangile, aux Épitres et aux travaux de bien des penseurs, tant anciens que modernes. La plupart de ces pensées ont été tellement modifiées par mes traductions et adaptations, qu'il serait déplacé de maintenir la signature de leurs auteurs. Les meilleures de ces pensées ne sont pas de moi, mais des plus grands sages de l'univers.

Léon Tolstoï.


La Pensée de l'Humanité


CHAPITRE PREMIER

DE LA FOI

Pour vivre heureux, l'homme doit savoir ce qu'il peut et ce qu'il ne peut pas faire. Et seule la foi le lui apprend. La foi indique ce qu'est l'homme et pourquoi il est sur la terre. Cette foi a toujours existé et existe chez tous les hommes doués de raison.


I.—En quoi consiste la véritable foi.

1

Afin de vivre d'une vie heureuse, l'homme doit comprendre ce qu'est la vie, ce qu'il peut et ce qu'il ne peut pas faire. Ceux qui furent les meilleurs et les plus sages parmi tous les peuples l'enseignèrent de tout temps. Toutes les doctrines de ces sages se rejoignent par leur base. Et c'est cet ensemble des doctrines, révélant le but de la vie humaine et la conduite à observer, qui constitue la véritable religion.

2

Quel est la signification de l'univers dont je ne conçois ni la fin ni le commencement? Que représente ma vie dans cet univers et comment dois-je vivre cette vie?

La foi seule répond à ces questions.

3

La vraie religion a pour mission de révéler la loi qui prime toutes les lois humaines et qui est une pour tous les hommes.

4

Il peut exister plusieurs croyances erronées, mais la vraie croyance est une.

KANT.

5

Si ta foi a été effleurée d'un doute, tu n'as plus la foi. La foi est alors seulement la foi, quand il ne te vient même pas la pensée qu'elle puisse être mensongère.

6

Il existe deux sortes de croyances: la confiance qu'on accorde à ce qu'affirment les hommes; c'est, la foi en l'humanité, et on en compte un grand nombre. L'autre croyance reconnaît la dépendance dans laquelle on se trouve envers Celui qui nous a envoyés dans ce monde. C'est la foi en Dieu, et il n'en existe qu'une pour tous.


II.—L'enseignement de la vraie foi est toujours clair et simple.

1

Croire—signifie avoir confiance en ce qui nous est révélé, sans nous demander pourquoi il en est ainsi et ce qu'il en résultera. C'est en cela que réside la vraie foi. Elle nous apprend qui nous sommes et quels devoirs suscite en nous cette connaissance; mais elle reste muette sur les conséquences et les résultats des actes ordonnés par elle.

Si je crois en Dieu, point n'est besoin de connaître le but de mon obéissance à la volonté divine, car je sais que Dieu est amour et que l'amour n'a qu'un but: le Bien.

2

La véritable loi de la vie est si simple, si claire et si compréhensible que les hommes n'ont pas d'excuse à leur mauvaise vie sous prétexte d'ignorer cette loi. Si les hommes vivent contrairement à la loi de la vraie vie ils répudient la raison. Et c'est ce qu'ils font.

3

On dit que l'accomplissement de la volonté divine est ardue. C'est faux. La loi de vie ne nous demande qu'amour envers notre prochain. Et l'amour n'est pas pénible, mais joyeux.

D'après GRÉGOIRE SKOVORODA.

4

Le sentiment qu'éprouve l'homme lorsqu'il découvre la vraie foi est semblable à celui d'une personne faisant jaillir la lumière dans une chambre obscure. Tout s'éclaire et le bonheur remplit l'âme.


III.—La véritable foi est dans l'amour de Dieu et de son prochain.

1

«Aimez-vous les uns les autres comme je vous aime; tous vous reconnaîtront pour mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres»,—a dit le Christ. Il ne dit pas: si vous croyez en ceci ou en cela, mais si vous aimez.—La foi chez différents hommes, à diverses époques, peut varier, mais l'amour est invariable chez tous.

La vraie foi est unique—c'est l'amour pour tout ce qui vit.

YBRAHIM DE CORDOUE.

3

L'amour rend les hommes heureux, parce qu'il unit l'homme à Dieu.

4

Le Christ a révélé aux hommes que l'éternel n'était pas la même chose que le futur, mais que l'éternel, l'invisible, est en nous, dans cette vie même, que nous devenons éternels lorsque nous sommes en communion avec le Dieu-Esprit en lequel tout vit et se meut.

Nous parvenons à cette éternité uniquement par l'amour.


IV.—La foi dirige la vie des hommes.

1

Seul, celui qui agit selon ce qu'il considère comme loi de la vie, connaît la loi de la vie.

2

Toute foi n'est qu'une réponse à ceci: comment dois-je vivre dans le monde, non pas aux yeux des hommes, mais aux yeux de Celui qui m'a envoyé sur la terre?

3

La vraie foi n'est pas de savoir bien parler de Dieu, de l'âme, de ce qui a été et de ce qui sera, mais uniquement de bien savoir ce qu'il faut faire et ne pas faire dans cette vie.

D'après KANT.

4

Si un homme éprouve des malheurs dans la vie, c'est uniquement parce que cet homme n'a pas de foi. Il en est de même pour tout un peuple. Si un peuple est malheureux, c'est parce qu'il a perdu la foi.

5

La vie des hommes est heureuse ou malheureuse, suivant leur conception de la vraie loi de la vie. Plus ils comprennent clairement cette loi, plus leur vie est heureuse; plus ils la comprennent faussement, plus leur vie est malheureuse.

6

Pour sortir des souillures du péché, de la dépravation et de la vie malheureuse,'il ne faut aux hommes qu'une chose, une religion dans laquelle ils ne vivraient pas, chacun pour soi, comme ils le font à présent, mais d'une vie commune, en reconnaissant tous la même loi et le même but. Alors seulement les hommes, en répétant les paroles de la prière du Seigneur: «Que ton règne arrive sur la terre comme au ciel» pourraient espérer que le règne de Dieu viendrait réellement sur la terre.

D'après MAZZINI.

7

Si une religion nous apprend qu'il faut renoncer à cette vie pour la vie éternelle, c'est une religion mensongère. On ne peut pas renoncer, à cette vie pour la vie éternelle, pour cette raison que la vie éternelle existe déjà dans cette vie.

WEMANA indienne.

8

Plus la foi de l'homme est solide, plus sa vie est ferme. La vie d'un homme sans religion est celle d'une bête.


V.—La fausse religion.

1

La loi de la vie commandant d'aimer Dieu et son prochain est simple et claire: tout homme, ayant atteint l'âge de raison la conçoit par son cœur. Par conséquent, s'il n'y avait, pas de doctrines erronées, tous les hommes reconnaîtraient cette loi, et le royaume des cieux serait sur la terre.

Mais, partout et toujours, des faux docteurs ont appris aux hommes à reconnaître comme loi de Dieu, ce qui n'est pas sa loi. Les multitudes ont accepté ces fausses doctrines et se sont éloignées de la vraie loi de la vie et de l'accomplissement de la véritable loi. Aussi, leur vie n'en est devenue que plus pénible et plus malheureuse.

Il ne faut donc croire à aucune doctrine, si elle n'est pas d'accord avec l'amour de Dieu et de son prochain.

2

Il ne faut pas croire que la religion est vraie parce qu'elle est vieille. Au contraire, plus les hommes vivent, plus la vraie loi de la vie leur devient claire. Supposer qu'à notre époque, il faut continuer à croire à ce que croyaient nos grands-pères et aïeux, c'est croire qu'un adulte peut continuer à porter les vêtements d'enfant.

3

Nous nous lamentons de ce que nous ne croyons plus en ce que croyaient nos pères. Il ne faut pas s'en désoler, mais s'efforcer de créer une religion à laquelle nous puissions croire aussi fermement que nos pères croyaient à la leur.

MARTINEAU.


VI.—Le culte extérieur.

1

La vraie foi est dans la croyance en une seule loi qui convient à tous les hommes de l'univers.

2

La vraie religion enseigne de vivre dans le bien, en accord avec tous et d'agir envers son prochain comme on voudrait qu'on agisse envers nous.

Cette vraie religion a été enseignée par tous les sages, par tous les saints de tous les peuples.


VII.—L'idée de la récompense pour la bonne conduite est incompatible avec la vraie foi.

1

Quiconque, pratique une religion seulement en vue des récompenses qu'elle peut lui assurer pour ses bonnes œuvres, ne fait pas preuve de foi mais de calcul, calcul toujours faux. Il est faux, parce que la vraie foi assure le bonheur dans le présent uniquement, qu'elle ne donne et ne peut donner aucun bonheur dans l'avenir.

2

Un ouvrier cherchait à s'embaucher. Il rencontra deux embaucheurs, qui, chacun de son côté, se mirent à lui vanter leurs patrons. L'un lui dit que la place était excellente. «Il est vrai, que si tu ne contentes pas le patron, il te frappera, t'emprisonnera; mais si tu réussis à le satisfaire, tu ne pourras pas avoir de vie plus agréable. Quand tu auras fini ton temps de travail, tu auras ta retraite, tu vivras sans rien faire; des fêtes, du vin, des friandises et promenades chaque jour. Plais-lui seulement; la vie sera telle que tu n'en peux imaginer de meilleure.»

L'autre embaucheur invita, à son tour, l'ouvrier à aller chez son patron, mais ne dit pas comment il serait récompensé; il ne pouvait même pas dire où et comment vivaient les ouvriers et si le travail était facile ou pénible; il affirma seulement que le maître était bon, qu'il ne punissait personne et qu'il vivait lui-même au milieu de ses employés.

L'ouvrier réfléchit: «Le premier patron promet trop. Si tout était vrai, il n'aurait pas besoin de tant promettre. En me laissant tenter par une vie grasse, je pourrai bien mal tomber. Le maître doit être méchant, parce qu'il punit sévèrement ceux qui ne travaillent pas à son gré; j'irai plutôt chez l'autre; au moins, celui-ci ne promet rien, mais on dit qu'il est bon et qu'il vit au milieu de ses ouvriers.»

Il en est de même des doctrines religieuses. Certains docteurs incitent les hommes à bien faire en les intimidant par les punitions et en les attirant par des promesses de récompenses dans l'autre monde où personne n'a été. D'autres enseignent seulement que l'amour, base de la vie, est en nous et que celui qui reconnaît ce principe est heureux.

3

Si tu sers Dieu pour obtenir la jouissance éternelle, tu te sers toi-même et non pas Dieu.


VIII.—La raison vérifie les dogmes de la foi.

1

On n'obtient pas la foi par la raison. Mais la raison nous est nécessaire pour contrôler la religion qu'on nous enseigne.

2

Ne craignons pas de rejeter de notre religion tout ce qui est inutile, matériel, tangible, autant que ce qui est vague, indécis: plus nous purifierons le noyau spirituel, mieux nous comprendrons la véritable loi de la vie.

3

Celui qui ne croit pas à tout ce que tout le monde croit autour de lui n'est pas un incroyant; tandis que celui qui pense et dit qu'il croit à ce qu'il ne croit pas, est un véritable incroyant.


IX.—La conscience religieuse des hommes ne cesse de se perfectionner.

1

Nous devons nous servir des doctrines des anciens sages et des saints posant la loi de la vie, mais nous devons vérifier ce qu'ils nous apprennent: accepter ce qui est conforme à la raison et rejeter ce qui lui est contraire.

2

Il est surprenant que la plupart des hommes restent fidèles aux doctrines les plus anciennes, à celles qui ne conviennent plus à notre temps, tandis qu'ils rejettent et considèrent comme inutiles et malfaisantes toutes les nouvelles doctrines. Ils oublient que si Dieu a révélé la vérité aux anciens, il demeure le même et peut la révéler de la même façon aux hommes qui ont vécu jadis et à ceux qui vivent maintenant.

D'après THOREAU[1].

5

La religion n'est pas vraie parce que les saints l'ont prêchée, mais les saints l'ont prêchée parce qu'elle est vraie.

LESSING

6

Lorsque l'eau de pluie coule dans les chenaux, il nous semble que l'eau en vient. Mais l'eau tombe du ciel. Il en est de même des doctrines des sages et des saints: il nous semble que ce sont ces derniers qui les ont formées; mais elles viennent de Dieu.

D'après RAMA-KRICHNA


[1] Écrivain américain de l'École d'Emerson (Note du traducteur).


CHAPITRE II

DE DIEU

Outre la matière dont nous et l'univers sommes faits, nous connaissons encore quelque chose d'immatériel qui donne la vie à notre corps et est uni à lui. C'est cette chose immatérielle que nous appelons l'âme. De même, cette chose immatérielle qui n'est unie à rien et qui donne la vie à tout ce qui existe, est ce que nous appelons Dieu.


I.—L'homme découvre Dieu en soi-même.

1

La base de toute religion est dans la reconnaissance, non seulement de tout ce que nous voyons et ressentons matériellement, mais encore de ce quelque chose d'invisible, d'immatériel qui nous donne la vie, à nous et à tout ce qui est tangible et matériel.

2

Je sais que j'ai en moi quelque chose sans quoi rien ne serait. C'est ce que j'appelle Dieu.

D'après ANGÉLUS.

3

Tout homme, en réfléchissant à ce qu'il est, est forcé de s'apercevoir qu'il n'est pas tout, mais une partie isolée de quelque chose. L'ayant compris, l'homme pense généralement que ce quelque chose dont il est séparé est le monde matériel qu'il voit: la terre sur laquelle il vit et où ont vécu ses ancêtres, et aussi le ciel, les étoiles et le soleil qu'il aperçoit. Mais en y réfléchissant plus à fond, ou en apprenant ce qu'en pensaient les sages de tout l'univers, il reconnaît que ce quelque chose, dont les hommes se sentent séparés, n'est pas le monde matériel qui s'étend à l'infini, dans l'espace et dans le temps, mais quelque chose d'autre. Si l'homme réfléchit encore et qu'il apprend ce qu'en pensaient également les sages, il comprendra, que le monde matériel, qui n'a jamais commencé, ne finira jamais et ne peut avoir de limites, n'est pas réel, mais est une conception de notre cerveau et que, par suite, le quelque chose dont nous nous sentons séparés, n'a ni commencement ni fin, ni dans le temps ni dans l'espace, mais qu'il est immatériel et spirituel.

Ce quelque chose de spirituel, que l'homme reconnaît, comme son commencement, est ce que les sages appelaient et appellent Dieu.

4

On ne peut reconnaître Dieu qu'en soi-même. Tant que tu ne l'as pas trouvé en toi, tu ne le trouveras nulle part.

Il n'y a pas de Dieu pour celui qui ne Le sens pas en soi.

5

Je sens en moi un être spirituel séparé de tout. Je sens le même être spirituel, également séparé de tout, dans les autres hommes. Mais si je le reconnais en moi et si je le reconnais dans les autres êtres, il ne peut ne pas exister lui-même. C'est cet être existant par lui-même que nous appelons Dieu.

6

Ce n'est pas toi qui vis: ce que tu considères comme toi est mort. Ce qui t'anime est Dieu.

ANGÉLUS.

7

Ne pense pas gagner Dieu par tes actes; toutes les œuvres sont nulles devant Dieu. Il ne faut pas gagner Dieu, mais être Lui.

ANGÉLUS.

8

Si nous ne voyions pas de nos yeux, si nous n'entendions pas de nos oreilles, si nous ne touchions pas de nos mains, nous ne saurions rien de ce qui est autour de nous. Mais si nous ne reconnaissions pas Dieu en nous-mêmes, nous ne nous connaîtrions pas nous-mêmes; nous ne connaîtrions pas en nous-mêmes celui qui voit, qui entend le monde autour de soi.

9

Celui qui ne saura devenir fils de Dieu, restera à jamais dans l'étable avec le bétail.

ANGÉLUS.

10

Si je mène la vie du siècle, je peux me passer de Dieu. Mais je n'ai qu'à réfléchir d'où je suis issu, quand je suis né et où j'irai après ma mort, pour que je reconnaisse aussitôt qu'il y a quelque chose dont je suis venu et où je vais. Il m'est impossible de ne pas reconnaître que je suis venu dans ce monde de quelque chose d'incompréhensible et que je vais vers quelque chose de tout aussi incompréhensible pour moi.

C'est cet incompréhensible dont je viens et où je vais que j'appelle Dieu.

11

On dit que Dieu est l'amour et que l'amour est Dieu. On dit aussi que Dieu, est la raison et que la raison est Dieu. Tout cela n'est pas absolument exact. L'amour et la raison sont des qualités de Dieu que nous reconnaissons en nous-mêmes, mais nous ne pouvons savoir ce qu'Il est par Lui-même.

12

C'est bien de craindre Dieu, mais mieux encore est de L'aimer. Le mieux, c'est de Le ressusciter en soi.

ANGÉLUS.

13

L'homme doit aimer; mais on ne peut aimer réellement que ce qui est parfait. Il doit donc exister quelque chose qui n'a pas de défauts. Et il n'y a qu'un seul être qui est sans défaut: Dieu.

14

Si les hommes ne sont pas toujours d'accord sur ce qu'est Dieu, tous ceux qui croient réellement en Lui comprennent toujours de la même façon ce que Dieu veut d'eux.

15

Dieu aime la solitude. Il n'entrera dans ton cœur que lorsqu'il y sera seul et que tu ne penseras qu'à Lui.

D'après ANGÉLUS.

16

Il existe un conte arabe que voici: En traversant le désert, Moïse entendit un pâtre prier Dieu: «O Seigneur! disait-il, comment faire pour Te rencontrer et devenir Ton esclave! Avec quelle joie je Te chausserai, je laverai, je baiserai Tes pieds, je peignerai Tes cheveux, je laverai Tes vêtements, j'arrangerai Ta demeure et je T'apporterai le lait de mon troupeau! Mon cœur Te désire!» Moïse, entendant ces paroles, se fâcha contre le pâtre et dit: «Tu blasphèmes. Dieu n'a pas de corps. Il n'a besoin ni de vêtements, ni de demeure, ni de serviteur. Tu dis des sottises.» Le pâtre en fut attristé. Il ne pouvait se représenter Dieu sans corps et sans besoins matériels; il ne pouvait plus prier et servir Dieu, et il tomba dans le désespoir. Alors Dieu dit à Moïse: «Pourquoi as-tu éloigné de Moi Mon fidèle esclave? Chaque homme a ses pensées et ses termes. Ce qui est mal pour l'un est bien pour l'autre; ce qui est poison pour toi est miel pour un autre. Les paroles ne signifient rien. Je vois le cœur de celui qui s'adresse à Moi.»

17

Si l'homme ne sait pas qu'il respire l'air, il sait, lorsqu'il étouffe qu'il lui manque quelque chose sans quoi il ne peut vivre. Il en est de même de celui qui perd Dieu, bien qu'il ne sache pas ce qui le fait souffrir.


II—Tout homme doué de raison est forcé de reconnaître Dieu.

1

Nous voyons aux cieux et dans chaque homme ce que nous appelons Dieu.

Lorsqu'on hiver, pendant la nuit, tu regardés le ciel, tu vois des étoiles, encore des étoiles et des étoiles sans fin, et lorsque tu penses que chacune de ces étoiles est nombre de fois plus grande que la terre où tu vis, que par-dessus les étoiles que tu vois, il y a des centaines, des milliers, des millions d'autres étoiles et de plus grandes encore et que ni les étoiles, ni le ciel n'ont de fin, tu comprends que ce que nous ne pouvons concevoir existe.

Lorsque nous regardons en nous-mêmes et que nous voyons ce que nous appelons notre «moi», lorsque nous y voyons quelque chose que nous ne pouvons pas comprendre non plus, mais que nous connaissons mieux que tout le reste et qui nous fait comprendre tout ce qui est, nous voyons dans notre moi, dans l'âme, quelque chose de plus compréhensible et de plus grand que ce que nous voyons dans les cieux.

C'est ce que nous voyons au ciel et ce que nous sentons en nous, en notre âme, que nous appelons Dieu.

2

De tous temps, chez tous les peuples s'était formée la foi en une force invisible gouvernant le monde.

Les anciens attribuaient cette force à la raison universelle, à la nature, à la vie, à l'éternité; les chrétiens appellent cette force: esprit, Père, Seigneur, raison, vérité.

Le monde visible, changeant, est en quelque sorte l'ombre de cette force.

De même que Dieu est éternel, le monde visible, son ombre, est éternel. Seule la force invisible, Dieu, existe véritablement..

SKOVORODA. [1].

3

Il y a un être sans lequel ni le ciel, ni la terre, ne seraient. Cet être est paisible, immatériel; ses qualités s'appellent: amour et raison; mais l'être lui-même n'a pas de nom. Il est le plus éloigné et le plus proche.

LAO-TSEU.

4

On demanda à un homme: Pourquoi sait-il que Dieu existe? Il répondit: «Faut-il donc une chandelle pour voir l'aurore?»

5

Si l'homme considère quelque chose comme grand, c'est qu'il ne voit pas les choses de la hauteur de Dieu.

ANGÉLUS.

6

Je peux ne pas réfléchir à ce qu'est l'univers infini et à ce qu'est mon âme qui se connaît elle-même; mais si j'y pense, il m'est impossible de ne pas reconnaître ce que nous appelons Dieu.

9

Il y a en Amérique une petite fille aveugle et sourde-muette de naissance. On lui a appris à lire et à écrire par le toucher. Lorsque sa maîtresse lui eut expliqué qu'il y avait un Dieu, la fillette répondit qu'elle le savait, mais qu'elle ignorait son nom.


III.—La volonté de Dieu.

1

Nous concevons Dieu moins par la raison que par notre sensation d'être en Son pouvoir, tel un nourrisson dans les bras de sa mère.

L'enfant ne sait pas qui le tient, le réchauffe, le nourrit, mais il sait que ce quelqu'un existe et non seulement il connaît, mais il aime ce quelqu'un dont il dépend. Il en est de même de l'homme.

2

Plus l'homme accomplit la volonté de Dieu, plus il Le connaît.

Si l'homme n'accomplit pas la volonté de Dieu, il ne Le connaît pas du tout, bien qu'il dise Le connaître et qu'il L'invoque.

3

De même qu'on ne peut reconnaître une chose qu'en s'en approchant, on ne peut connaître Dieu, qu'en s'approchant de Lui, et on ne peut le faire qu'à l'aide de bonnes actions. Et plus l'homme s'habitue au bien, mieux il apprend à connaître Dieu; et plus il apprend à le connaître, plus il aime ses semblables.

4

Nous ne pouvons connaître Dieu. Tout ce que nous savons de Lui c'est Sa loi, Sa volonté, telles qu'elles sont écrites dans l'Evangile. De la connaissance de Sa loi, nous déduisons que Celui qui l'a faite existe, mais nous ne pouvons pas Le connaître Lui-même. Nous ne savons au juste qu'une chose, c'est que nous devons accomplir la loi que Dieu nous a donnée et que notre vie est d'autant, meilleure que nous suivons plus strictement cette loi.

5

Il est surprenant que je n'aie pu voir avant la simplicité de cette vérité qu'en dehors de ce monde et de notre vie, il y a quelqu'un, quelque chose qui sait pourquoi le monde existe et pourquoi nous y sommes, telles les bulles qui se forment dans l'eau bouillante et qui éclatent et disparaissent.

Oui, il se passe quelque chose en ce monde, grâce à tous les êtres vivants, à moi, à ma vie. Autrement, pourquoi existeraient ce soleil, ces printemps, ces hivers et pourquoi ces souffrances, ces naissances et ces morts, ces bienfaits, ces crimes, pourquoi tous ces êtres séparés qui apparemment n'ont aucun sens pour moi et qui vivent de toutes leurs forces, qui se soucient tant de leur vie? La vie de tous ces êtres me convainc parfaitement que tout cela est nécessaire à quelque chose de raisonnable, de bon, mais qui ne m'est pas accessible.

6

Tant que l'homme chante, crie et dit devant tous: «O Seigneur, Seigneur!» c'est qu'il n'a pas trouvé le Seigneur. Celui qui L'a trouvé garde le silence.

RAMA-KRICHNA.

7

Dans les mauvais moments, on ne sent pas Dieu, on doute de Lui. Mais le salut est toujours le même: penser non à Dieu, mais à Sa loi et l'accomplir: aimer tout le monde.


IV.—On ne peut comprendre Dieu par la raison.

1

On peut sentir Dieu en soi, ce qui n'est pas difficile. Mais comprendre Dieu et savoir ce qu'Il est, est impossible et inutile.

2

On ne peut comprendre par la raison, que l'homme contient son âme et Dieu; de même, il est impossible de concevoir qu'il n'y ait pas de Dieu et que l'homme n'ait pas d'âme.

PASCAL.

3

Pourquoi suis-je séparé de tout le reste et pourquoi sais-je que tout ce dont je suis séparé existe, et pourquoi ne puis-je comprendre ce qu'est ce tout? Pourquoi «moi» change-t-il constamment? Je ne peux rien comprendre à tout cela. Mais je ne puis m'empêcher de penser que tout cela a un sens, qu'il y a un être pour lequel tout cela est compréhensible, qui sait à quoi tout cela sert.

4

Chacun peut sentir Dieu, et personne ne peut Le comprendre.

C'est pourquoi ne cherchons pas à Le comprendre, mais accomplissons sa volonté, qui est de le sentir en soi avec plus d'intensité.

5

Si tes yeux sont aveuglés par le soleil, tu ne dis pas qu'il n'y a pas de soleil. Tu ne diras pas non plus que Dieu n'existe pas parce que ta raison s'embrouille et se perd, lorsque tu veux comprendre le commencement et la cause de tout.

D'après ANGÉLUS.

6

«Pourquoi me demandes-tu mon nom?—dit Dieu à Moïse.—Si derrière ce qui se meut tu peux voir ce qui a toujours été, ce qui est et ce qui sera, tu Me connais. Mon nom est le même que ma substance. Je suis réel. Je suis celui qui est.

«Celui qui veut savoir mon nom, ne me connaît pas.»

SKOVORODA.

7

La raison qu'on ne peut concevoir n'est pas la raison éternelle; l'être qu'on peut nommer n'est pas l'être suprême.

LAO-TSEU.

8

Si étrange que soit le fait que je ne connaisse pas Dieu, j'ai toujours peur lorsque je suis sans Lui, et je ne suis tranquille que lorsque je suis avec lui. C'est plus étrange encore que je n'aie point besoin de Le connaître mieux et davantage que je ne Le connais maintenant dans ma vie actuelle. Je peux et je voudrais me rapprocher de Lui; ma vie entière tend à cela. Mais ce rapprochement n'augmente aucunement ma connaissance de Dieu. Toute tentative de mon imagination me démontrant que je le conçois (par exemple, lorsque je me l'imagine créateur ou miséricordieux, ou quelque chose d'analogue) m'éloigne de lui et arrête mon rapprochement de Lui. Même le pronom «Il», appliqué à Dieu, détruit en quelque sorte pour moi toute sa signification. Le mot «Il» le diminue.

9

Tout ce qu'on peut dire de Dieu ne Lui ressemble pas. On ne peut dépeindre Dieu par des paroles.

ANGÉLUS.


V.—Du manque de foi en Dieu.

1

L'homme raisonnable trouve en lui-même la conception de son âme, de lui-même et de l'âme de l'univers, qui est Dieu; et en reconnaissant l'impossibilité d'amener ces conceptions à la netteté complète, il s'arrête docilement devant elles, sans toucher à ce qui les voile.

Mais il y a eu et il y a encore des gens d'un esprit et d'une sagesse raffinés et qui veulent expliquer la conception de Dieu par des paroles. Je ne condamne pas ces gens. Néanmoins, ils ont tort lorsqu'ils affirment qu'il n'y a pas de Dieu, et un pareil athéisme ne peut durer. D'une façon ou d'une autre, l'homme aura toujours besoin de Dieu. Si Sa divinité s'était révélée à vous avec plus d'éclat encore que jusqu'à présent, je suis convaincu que ceux qui contestent Dieu inventeraient de nouvelles subtilités pour Le nier. La raison se plie toujours devant les exigences du cœur.

ROUSSEAU.

2

Penser qu'il n'y a pas de Dieu, revient au même d'après Lao-Tseu, que de croire que l'air qui sort d'un soufflet, a le soufflet pour origine et que le soufflet pourrait fonctionner là où il n'y aurait pas d'air.

3

Lorsque les gens de mauvaise vie disent que Dieu, n'existe pas, ils ont raison: Dieu n'existe que pour ceux qui regardent de Son côté et se rapprochent de Lui. Mais pour celui qui s'est détourné de Lui et s'en éloigne, il ne peut y avoir de Dieu.

4

Deux catégories d'hommes connaissent Dieu. Ceux qui ont le cœur modeste—qu'ils soient sages ou sots—et ceux qui sont vraiment intelligents. Seuls, les hommes orgueilleux et d'intelligence médiocre ne connaissent pas Dieu.

PASCAL.

5

Moïse dit à Dieu: «Où te trouverai-je, Seigneur?»—Dieu lui répondit: «Tu m'as déjà trouvé, si tu Me cherches».

6

Prouver que Dieu existe! Il ne peut y avoir rien de plus stupide que l'idée de prouver l'existence de Dieu. Le faire, c'est vouloir prouver la raison de sa vie. A qui? Comment? Pourquoi? Si Dieu n'existe pas, il n'y a rien. Or, comment dès lors prouver Son existence?

7

Dieu existe. Point n'est besoin de le prouver. Le faire, serait blasphémer; le nier, une folie. Dieu demeure dans notre conscience, dans la conception de l'humanité entière, dans la structure de l'univers. Seul un homme très misérable ou très dépravé peut nier Dieu sous la voûte du ciel étoile, sur la tombe des êtres chers ou devant la mort heureuse d'un martyr.

MAZZINI.

VI.—L'amour de Dieu.

«Je ne comprends pas ce que signifie l'amour de Dieu. Peut-on aimer l'inconcevable et l'inconnu? On peut aimer son prochain, c'est compréhensible et bien. Mais aimer Dieu, ce sont des paroles vides de sens.» Ainsi parlent bien des gens. Mais ceux qui le disent et le pensent se trompent lourdement: ils ne comprennent pas ce qu'est aimer son prochain—non pas un homme agréable ou qui nous est utile, mais indifféremment tout homme, quand même il serait le plus désagréable et le plus hostile. Seul, celui qui est le même partout, peut aimer ainsi son prochain. De sorte que ce n'est pas l'amour de Dieu qui est incompréhensible, mais l'amour du prochain sans l'amour de Dieu.


[1] Philosophe ukrainien du XVIIIe siècle dont l'exceptionnelle valeur ne fut que récemment reconnue en Russie. (N. du trad.)


CHAPITRE III

DE L'ÂME

Nous appelons Dieu, l'impalpable, l'invisible, l'immatériel, celui qui donne la vie à tout et qui existe. Nous appelons âme le même élément impalpable, invisible et immatériel, séparé par le corps de tout le reste et que nous reconnaissons comme nous-mêmes.


I.—Qu'est-ce que l'Âme?

1

Si l'homme vit longtemps, il subit diverses transformations: il est enfant, puis adolescent, adulte, vieillard. Mais, malgré ses changements, il dit toujours «moi» en parlant de lui-même. Et ce «moi» a toujours été le même: dans l'enfant, dans l'adulte, dans le vieillard. C'est ce «moi» immuable que nous appelons âme.

2

Si l'homme pense que tout ce qui l'entoure, tout l'univers infini, est tel qu'il le voit, il se trompe fort. L'homme connaît tout ce qui est matériel uniquement parce qu'il a tels vue, oui toucher. Si ces sens étaient autres, le monde entier serait différent. De sorte que nous ne savons pas et ne pouvons savoir quel est exactement le monde matériel où nous vivons. Ce que nous connaissons sûrement et entièrement, c'est notre âme.


II.—Le «Moi» spirituel.

1

Lorsque nous parlons de notre «moi», nous n'entendons pas notre corps, mais ce qui le fait vivre. Qu'est-ce que le «moi»? Nous ne pouvons le définir par des paroles, mais nous le connaissons mieux que tout ce que nous savons. Car nous savons que si nous n'avions pas ce «moi», nous ne saurions rien, nous n'aurions rien au monde, et nous n'aurions pas existé nous-mêmes.

2

Lorsque je réfléchis, il m'est plus difficile de comprendre ce qu'est mon corps que ce qu'est mon âme. Le corps a beau nous être proche, il nous est toujours étranger; seule l'âme est à soi.

3

Si l'homme ne sent pas l'âme en soi, cela ne veut pas dire qu'il n'a pas d'âme, mais cela prouve seulement qu'il n'a pas encore appris à la connaître.

4

Tant que nous ne comprenons pas ce qui est en nous, quel intérêt avons-nous à savoir ce qui est en dehors de nous? Et peut-on connaître le monde avant de s'être compris soi-même? Celui qui est aveugle chez lui, peut-il voir lorsqu'il est chez les autres?

SKOVORODA.

5

De même que la bougie ne peut pas brûler sans feu, l'homme ne peut pas vivre sans force spirituelle. L'esprit vit dans tous les hommes, mais tous les hommes ne le savent pas.

La vie de ceux qui le savent est heureuse, et la vie de ceux qui l'ignorent est malheureuse.

Sagesse brahmane.


III.—L'âme et le monde matériel.

1

Nous avons mesuré la terre, le soleil, les étoiles, les profondeurs des mers; nous descendons dans l'antre de la terre pour y chercher de l'or; nous avons trouvé des rivières et des montagnes sur la lune; nous découvrons de nouveaux astres et connaissons leurs dimensions; nous nivelons des précipices, nous construisons des machines compliquées; chaque jour apporte de nouvelles et toujours de nouvelles inventions. Que ne savons-nous pas? que de choses nous pouvons faire! Seulement, il y a une chose absolument essentielle qui nous manque. Et nous ne saurions préciser ce que c'est. Nous sommes pareils à un petit enfant: il sent qu'il n'est pas à son aise, mais il ne sait pas pourquoi.

Nous sommes malheureux, parce que nous savons beaucoup de choses inutiles et que nous ignorons l'essentiel, c'est nous-mêmes. Nous ne connaissons pas ce qui est en nous. Si nous savions et si nous nous souvenions de ce qui est en nous, notre vie serait toute différente.

D'après SKOVORODA.

2

Nous ne pouvons savoir ce qu'est en réalité tout ce qui est matériel en ce monde. Nous ne pouvons connaître parfaitement que ce qui est spirituel en nous-mêmes, ce qui est nous-mêmes et ce qui ne dépend ni de nos sentiments ni de nos pensées.

3

Les hommes croient souvent que seules les choses qu'ils peuvent toucher de leurs mains existent. Bien au contraire: existe seulement ce qu'on ne peut voir, ni entendre, ni palper, ce que nous appelons notre «moi»— notre âme.

4

Confucius disait: Le ciel et la terre sont grands, mais ils ont une couleur, une forme, une dimension, alors qu'en l'homme il y a quelque chose qui pense à tout et qui n'a ni couleur, ni forme, ni dimension. De sorte que si tout l'univers était mort, ce qui est en l'homme aurait donné la vie au monde.


IV.—Le côté spirituel et le côté charnel de l'homme.

1

Chacun de nous est un homme absolument distinct de tous les autres: un homme, une femme, un vieillard, un garçon, une fille; et dans chacun de nous, comme dans tous, réside le même être spirituel. Chacun de nous est donc Jean ou Nathalie et en même temps un être spirituel qui est le même dans tous les hommes. Et lorsque nous disons: Je veux, cela indique, parfois, ce que désirent Jean et Nathalie, mais d'autres fois ce que veut l'être spirituel qui est commun à nous tous. Et il arrive, parfois, que Jean et Nathalie veulent quelque chose, mais que l'être spirituel ne le veut pas et qu'il désire tout autre chose.

2

Dire que ce que nous appelons nous-mêmes n'est que notre chair, dire que ma raison, mon âme, mon amour ne dépendent que de mon corps, c'est prétendre que notre corps n'est que la nourriture dont notre chair s'alimente.

Il est vrai que mon corps n'est composé que d'aliments qu'il transforme, mais mon corps n'est pas aliment. Ceux-ci lui sont nécessaires pour vivre, mais ils ne sont pas le corps.

Il en est de même de l'âme. Il est vrai que, sans ma chair, ce que j'appelle âme n'existerait pas; mais mon âme n'est pas mon corps. Celui-ci est nécessaire à l'âme, mais il n'est pas l'âme.

Si l'âme n'existait pas, je ne saurais pas ce qu'est mon corps.

Les éléments de la vie ne sont pas dans le corps, mais dans l'âme.

3

Lorsque nous disons: cela est arrivé, cela arrivera ou cela pourra arriver, nous parlons de notre vie corporelle. Mais, en dehors de la vie corporelle qui a été et qui sera, nous reconnaissons en nous une autre vie: la vie spirituelle. Et cette vie-là n'a pas été, ne sera pas, mais est toujours. C'est cette vie qui est la vraie. L'homme est heureux lorsqu'il vit de la vie spirituelle, et non de la vie corporelle.

4

Le Christ apprend à connaître à l'homme qu'il y a en lui quelque chose qui le met au-dessus de cette vie, de ses misères, de ses craintes et de ses désirs.

L'homme qui a compris la doctrine du Christ se sent comme un oiseau qui, ignorant la présence de ses ailes, aurait compris brusquement qu'il pouvait voler, être libre et ne rien craindre.


V.—La conscience, voix de l'âme.

1

Dans chaque homme il y a deux êtres: l'un: aveugle, matériel; l'autre: voyant clair, spirituel. L'un—l'être aveugle—mange, boit, travaille, se repose, se reproduit et fait tout comme une horloge réglée. L'autre—l'être spirituel—ne fait rien lui-même, mais ne fait qu'approuver ou désapprouver les actes de l'être aveugle et animal.

On appelle conscience la partie éclairée, spirituelle de l'homme. Cette partie spirituelle agit de même que les branches d'un compas. Celles-ci ne changent de place que lorsque celui qui tient les compas abandonne la direction qu'elles indiquent. Il en est de même de la conscience: elle se tait tant que l'homme fait ce qu'il doit, mais dès qu'il abandonne la bonne voie, elle lui montre où et à quel point il s'est trompé.

2

Lorsque nous apprenons qu'un homme a fait une mauvaise action, nous disons: il n'a pas de conscience. Qu'est-ce que la conscience? La conscience est la voix de l'être unique et spirituel qui réside en nous tous.

3

La conscience, c'est la manifestation de l'être spirituel qui vit dans tous les hommes. Et ce n'est que lorsqu'elle se manifeste qu'elle devient un directeur sûr de la vie des hommes. Car souvent les hommes prennent pour la conscience non pas la manifestation de l'être spirituel, mais simplement ce qui est considéré comme bon ou mauvais par les gens dont ils sont entourés.

4

La voix de la passion peut être plus forte que celle de la conscience; mais elle est tout autre que la voix calme et persuasive de la conscience. Celle-ci est la voix de l'Éternel, du divin qui vit en l'homme.

CHANNING [1].

5

Le philosophe Kant disait que deux choses l'étonnaient le plus: les étoiles au ciel et la loi du bien dans l'âme humaine.

6

La vraie bonté est en toi-même, dans ton âme. Celui qui cherche le bien en dehors de lui-même, agit comme le pâtre qui cherche dans son troupeau l'agneau qu'il a caché sur sa poitrine.

VIMANA HINDOUE.

VI.—La divinité de l'âme.

1

L'homme a, d'abord, le sentiment de la séparation de son essence du reste de sa substance, c'est-à-dire de sa chair; ensuite, la conscience de ce qui est séparé, c'est-à-dire de son âme; enfin, la conscience de ce dont cette base spirituelle de la vie est séparée: la conscience du Tout, de Dieu.

C'est précisément cet élément, conscient d'être séparé du Tout, de Dieu, qui est l'unique être spirituel qui vit en chaque homme.

2

Reconnaître qu'on est un être séparé, c'est reconnaître l'existence de ce dont on est séparé, reconnaître l'existence du Tout, de Dieu.

3

«En vérité, en vérité, je vous le dis: celui qui écoute «Ma parole et qui croit à Celui qui m'a envoyé, a la vie «éternelle et il ne vient point en jugement, mais il est «passé de la mort à la vie. En vérité, en vérité, je vous «le dis, le temps vient, et il est déjà venu, que les morts «entendront la voix du Fils de Dieu et que ceux qui l'auront «entendue vivront. Car comme le Père a la vie en «lui-même, il a aussi donné au Fils d'avoir la vie en lui-même.»

JEAN, V, 24-25.

4

Une goutte qui tombe dans la mer, devient mer. L'âme qui communie avec Dieu devient Dieu.

ANGÉLUS

5

Lorsque l'homme dit une vérité, cela ne veut pas dire que la vérité émane de l'homme. Toute vérité vient de Dieu. Elle ne fait que passer par l'homme. Si elle passe par l'un plutôt que par l'autre, c'est uniquement parce que cet homme a su se rendre suffisamment transparent pour que la vérité puisse passer à travers lui.

PASCAL.

6

Dieu dit: Je n'étais un trésor connu de personne. J'ai voulu être connu, et j'ai créé l'homme.

MAHOMET.

7

On ne peut pas comprendre Dieu par la raison. Si nous savons qu'il existe, ce n'est pas parce que nous le concevons par la raison, mais parce que nous le sentons en nous-mêmes.

L'homme, pour être véritablement un homme, doit concevoir la présence de Dieu en lui-même.

Demander si Dieu existe, serait demander si j'existe. Ce par quoi je vis, est Dieu.

8

Le corps est l'aliment de l'âme; ce sont les chantiers qui servent à construire la vraie vie.

La plus grande joie que l'homme puisse concevoir, c'est la joie de reconnaître en soi un être libre, raisonnable, aimant, et par conséquent bienheureux de sentir Dieu en soi.

9

L'âme est un verre; Dieu est la lumière qui pénètre à travers ce verre.

10

Il n'y a que moi et Toi. Si nous n'existions pas tous deux, il n'y aurait rien sur la terre.

ANGÉLUS.

11

Il semble à l'homme toujours entendre une voix derrière lui, mais il ne peut pas tourner la tête et voir celui qui parle. Cette voix parle toutes les langues, gouverne tous les hommes, mais personne n'a jamais vu celui qui parle. Dès que l'homme commence à obéir strictement à cette voix et la recueille de façon à ne pas la séparer de lui-même dans ses pensées, il sent que cette voix et lui font un; et plus l'homme considérera cette voix comme lui-même, plus il sera heureux. Cette voix lui révélera la vie bienheureuse, parce que cette voix est celle de Dieu dans l'homme.

D'après EMMERSON.

Dieu veut le bonheur de tous; or, si tu veux du bien à tous, c'est-à-dire si tu aimes, Dieu vit en toi.

13

On dit: sauver son âme. On ne peut sauver que ce qui peut périr. L'âme ne peut pas périr parce qu'il n'y a qu'elle seule qui existe. Il ne faut pas la sauver, mais la purifier de ce qui l'obscurcit, la souille, il faut l'instruire pour que Dieu pénètre de plus en plus en elle.

14

On dit: «Aurais-tu oublié Dieu?» C'est une bonne parole. Oublier Dieu, c'est oublier Celui qui vit en toi et par qui tu vis.

15

De même que j'ai besoin de Dieu, Dieu a besoin de moi.

16

Lorsque tu t'affaiblis et que tu es malheureux, tu dois te rappeler que tu as une âme et que tu peux vivre par elle. Mais au lieu de cela, nous nous imaginons que des hommes pareils à nous-mêmes peuvent nous réconforter.

EMMERSON.

17

Celui qui est uni à Dieu, ne doit pas craindre Dieu. Dieu ne saurait se faire de mal à Lui-Même.

Les poissons de la rivière apprirent un jour que les hommes disaient qu'ils ne pouvaient vivre que dans l'eau. Et les poissons s'en étonnèrent et se mirent à s'interroger entre eux afin d'apprendre si quelqu'un savait ce que c'est que l'eau. Alors, un poisson intelligent dit: «On raconte qu'il y a dans la mer un vieux et sage poisson qui sait tout; allons le trouver et demandons-lui ce qu'est l'eau.» Et les poissons se dirigèrent vers l'endroit de la mer où habitait le sage et lui demandèrent ce qu'était l'eau. Et le sage poisson dit: «L'eau c'est ce qui nous fait vivre. Si vous ne la connaissez pas c'est parce que vous vivez dans l'eau et d'eau.»

De même, il semble parfois aux hommes qu'ils ne savent pas ce qu'est Dieu, mais ils vivent eux-mêmes en Lui.

SOUFI [2].


VII.—La vie de l'homme n'est pas dans le corps, mais dans l'âme, et non pas dans le corps et dans l'âme, mais dans l'âme seule.

1

«Celui qui m'a envoyé est véritable, et les choses que «j'ai entendues de Lui, je les dis dans le monde.»

Ils ne comprirent point qu'Il parlait du Père. Et Jésus leur dit: «Lorsque vous aurez élevé le Fils de l'Homme, «vous connaîtrez qui Je suis, et que Je ne fais rien de «Moi-même, mais que Je dis les choses comme Mon «Père Me les a enseignées.

JEAN, VIII, 26-28.

Élever le Fils de l'Homme, c'est avoir conscience de l'esprit qui vit en nous et l'élever au-dessus de la chair.

2

L'âme et le corps sont ce que l'homme considère comme sien, ce dont il s'occupe constamment. Mais on doit savoir que le vrai «toi» n'est pas ton corps, mais ton âme. Souviens-toi de cela, élève ton âme au-dessus de ta chair, préserve-là de toute souillure humaine, ne permets pas à ta chair de l'étouffer—et tu auras une vie heureuse.

MARC-AURÈLE.

3

On dit qu'on ne doit pas s'aimer soi-même. Mais sans l'amour de soi-même, il n'y aurait pas de vie. Il s'agit de savoir ce qu'il faut aimer en soi: son âme ou son corps.

4

Il n'est pas de corps vigoureux qui n'aura jamais été malade; il n'est pas de richesses qui ne disparaîtront jamais; il n'est pas de pouvoir qui n'aura pas de fin. Si l'on consacre toute sa vie à devenir vigoureux, riche, puissant, et qu'on arrive à obtenir ce à quoi l'on aspire, on devra tout de même s'inquiéter, craindre et s'attrister, parce qu'on verra tout ce qu'on a cherché dans sa vie vous échapper, parce qu'on constatera que l'on se fait vieux et que l'on approche de la mort.

Que faire pour ne pas s'inquiéter, pour ne pas avoir peur?

Il n'y a qu'un seul moyen: il consiste à consacrer sa vie non pas à ce qui passe, mais à ce qui ne périt pas et ne peut périr, à l'esprit qui vit dans l'homme.

5

Accomplis ce que ton corps exige de toi: cherche à obtenir la gloire, les honneurs, la richesse, et ta vie sera un enfer. Fais ce que veut l'esprit qui réside en toi: cherche l'humilité, la clémence, l'amour, et tu n'auras pas besoin de paradis. Le paradis sera dans ton âme.

6

Tout homme a des devoirs envers le prochain et des devoirs envers lui-même, envers l'esprit qui vit en lui; ces devoirs consistent à ne pas souiller, à ne pas supprimer, à ne pas étouffer cet esprit et à le cultiver sans cesse.


VIII—Le vrai bonheur de l'homme n'est que la joie spirituelle.

1

L'homme vit par l'esprit et non par le corps. Lorsque l'homme le sait et qu'il a voué sa vie à l'esprit et non au corps, on peut le mettre aux fers, le verrouiller derrière des lourdes portes, il sera toujours libre.

2

Tout homme connaît deux vies: la vie charnelle et la vie spirituelle. Dès qu'elle atteint sa plénitude, la vie charnelle commence à faiblir. Et elle faiblit de plus en plus et arrive à la mort. La vie spirituelle, au contraire, grandit et devient toujours plus ferme, depuis la naissance jusqu'à la mort.

Si l'homme ne vivait que de la vie charnelle, toute son existence serait celle d'un condamné à mort. S'il vivait pour son âme, le bonheur qu'il y trouverait grandirait de jour en jour, et la mort ne l'effrayerait pas.

3

Pour mener une existence heureuse, point n'est besoin de savoir d'où tu es venu et ce que tu deviendras dans l'autre monde. Pense uniquement à ce que veut ton âme, et tu n'auras pas besoin de t'inquiéter d'où tu es issu et ce qui t'arrivera après la mort. Tu n'auras pas besoin de tout cela, parce que tu éprouveras le bonheur complet qui ne s'inquiète ni du passé ni de l'avenir.

4

Lorsque le monde commença à exister, la raison fut sa mère. Celui qui est conscient du fait que la base de sa vie est l'esprit, sait qu'il se trouve hors de tout danger. Lorsqu'à la fin de sa vie, ses lèvres se fermeront et les portes de ses sens retomberont, il n'éprouvera aucune inquiétude.

LAO-TSEU


[1] Théologien américain. (N. du trad.)

[2] Confrérie musulmane. (N. du trad.)


CHAPITRE IV

MÊME ÂME CHEZ TOUS

Tous les êtres vivants sont séparés par leurs corps les uns des autres; mais l'origine la vie est la même pour tous.


I.—La Conscience de la divinité de l'âme unit les hommes.

1

La doctrine chrétienne révèle aux hommes que le même principe spirituel vit en eux tous, qu'ils sont tous frères, et elle les unit ainsi pour une heureuse vie commune.

LAMENNAIS.

2

Il ne suffit pas de se dire que chaque homme a la même âme que moi; il faut se dire qu'en chaque homme vit le même principe qui vit en moi. Tous les hommes sont séparés les uns des autres par leurs corps, mais ils sont tous unis par le même principe spirituel qui donne la vie à tout.

3

C'est un grand bonheur que d'être en communion avec les hommes; mais comment faire pour s'unir à tous? Je peux m'unir aux membres de ma famille; mais aux autres? Je peux m'unir à mes amis, à tous les Russes, à tous mes coreligionnaires. Mais comment faire pour m'unir à ceux que je ne connais pas, les étrangers, ceux qui professent une autre religion? Il y a tant d'hommes et ils sont tous si différents! Comment faire?

Il n'existe qu'un moyen: oublier les hommes, ne pas penser à s'unir à eux, et ne songer qu'à s'unir au seul principe spirituel qui vit en moi et en tous les hommes.

4

On dit que chaque homme peut être très bon et très mauvais et qu'il manifeste l'un ou l'autre sentiment suivant ses dispositions. C'est parfaitement exact.

La vue des souffrances d'autrui provoque, non seulement chez des personnes différentes, mais chez le même homme des sentiments absolument contradictoires: parfois, la compassion, et, parfois, une sorte de mauvais plaisir qui va jusqu'à la plus cruelle méchanceté.

J'ai eu l'occasion de le constater sur moi-même: tantôt j'avais pour tous les êtres une profonde compassion, tantôt j'éprouvais la plus grande indifférence, et, parfois, de la haine même.

Cela, prouve clairement que nous avons deux façons, absolument opposées, de concevoir les choses: l'une, quand nous nous considérons comme des êtres séparés, quand tous les êtres nous sont absolument étrangers et qu'ils ne sont pas «moi». Dans ce cas, nous ne pouvons éprouver pour eux autre chose que de l'indifférence, de l'envie, de la haine, de la malveillance.

L'autre façon de concevoir est dans la conscience de notre unité avec tous. Dans ce cas, tous les êtres sont pour nous ce qu'est noire «moi», et alors, ils suscitent notre amour pour eux.

L'une nous sépare les uns des autres comme par un mur infranchissable, l'autre détruit ce mur, et nous ne faisons qu'un. La première nous apprend à reconnaître que tous les autres êtres ne sont pas «moi», la seconde nous enseigne que tous les êtres sont le même «moi» que celui que je sens en moi-même.

SCHOPENHAUER.

5

Plus l'homme vit pour son âme, plus il sent son unité avec tous les êtres vivants. Vis pour ton corps, et tu seras seul parmi des étrangers; vis pour ton âme, et tous te seront parents.

6

Un fleuve ne ressemble pas à un étang, un étang à un tonneau et un tonneau à un seau d'eau. Mais dans un étang, dans un fleuve, dans un tonneau et dans un seau il y a la même eau. De même, tous les gens sont différents, mais l'esprit qui vit en eux tous est le même.

7

L'homme ne comprend sa vie que lorsqu'il se voit dans chacun de ses semblables.

8

L'essentiel dans la doctrine du Christ c'est qu'il considérait tous les hommes comme frères. Dans chaque homme, il voyait un frère et, pour cette raison, aimait chacun, quel qu'il soit et qui que ce soit. Il ne s'occupait pas de son extérieur, mais de l'intérieur. Il ne voyait pas le corps, mais, à travers les beaux habits du riche et les haillons du misérable, il voyait l'âme immortelle. Dans l'homme le plus dépravé, il apercevait ce qui pouvait transformer l'être le plus déchu en l'homme sublime, aussi grand et aussi saint qu'il l'était lui-même.

9

Lorsque l'homme ne voit pas dans chacun le même esprit qui l'unit à tous les hommes, il vit comme dans un rêve. Celui qui voit Dieu et lui-même dans chacun, vit réellement.


II—Le même principe spirituel vit non seulement dans tous les hommes, mais aussi dans tout ce qui vit.

1

Nous sentons dans notre for intérieur que ce par quoi nous vivons, ce que nous appelons notre vrai «moi», est le même non seulement dans chaque homme, mais aussi dans un chien, un cheval, une souris, une poule, un moineau, une abeille, et même dans une plante.

2

Quand on prétend que les animaux nous sont absolument étrangers, on peut en dire autant des sauvages, des noirs et des jaunes. Et si l'on estime que ces hommes nous sont étrangers, ils ont absolument le même droit de considérer les blancs comme des étrangers. Quel est donc notre prochain? II ne peut y avoir qu'une seule réponse à cette question: ne demande pas qui est ton prochain, mais agis envers tout ce qui vit comme tu voudrais que l'on agisse envers toi-même.

3

Tout ce qui vit, craint les souffrances; tout ce qui vit, craint la mort. Reconnais-toi non seulement dans un homme, mais aussi dans chaque être vivant; ne tue pas et ne cause pas de souffrance ni de mort. Tout ce qui vit veut la même chose que toi; reconnais-toi donc dans chaque être vivant.

Sagesse bouddhiste.

4

L'homme n'est pas supérieur aux bêtes parce qu'il les fait souffrir, mais parce qu'il est capable de les plaindre. Et il a pitié des bêtes, car il sent vivre en elles ce qui vit également en lui.

5

La pitié pour tout ce qui vit, est plus nécessaire que tout le reste pour pouvoir avancer vers la vertu. Un homme bon ne peut manquer de pitié. Si un homme est injuste et méchant, il est sûrement impitoyable. Sans pitié pour tout ce qui vit, il ne peut y avoir de vertu.

SCHOPENHAUER.

6

On peut se déshabituer de la pitié envers les bêtes. Cela se remarque tout particulièrement à la chasse. Les hommes bons qui y prennent goût, tourmentent et tuent les bêtes sans remarquer la cruauté qu'ils commettent.

7

Le commandement: «Tu ne tueras point» ne se rapporte pas à l'homme seul, mais à tout ce qui vit. Ce commandement avait été gravé dans le cœur de l'homme avant d'être inscrit sur la table.

8

Les hommes considèrent qu'il n'y a pas de mal à se nourrir de la chair animale, parce qu'on les a persuadés que Dieu l'avait permis. C'est faux. On a beau assurer qu'il n'y a pas de péché de tuer et démanger les animaux, il est gravé dans le cœur de l'homme, mieux que dans tous les livres, qu'il faut avoir pitié des animaux et qu'on ne doit pas les tuer, au même titre que les hommes. Nous le savons tous, si nous n'étouffons pas la voix de la conscience.

9

Si seulement tous ceux qui mangent les animaux, les tuaient eux-mêmes, un grand nombre parmi eux auraient renoncé à la viande.

10

Nous sommes étonnés de voir qu'il y ait eu et qu'il y a encore des hommes qui tuent leurs semblables pour les manger. Mais le temps viendra où nos petits enfants s'étonneront que leurs grands pères aient tué, tous les jours, des millions d'animaux pour les manger, alors qu'on peut avoir une nourriture saine et substantielle en se servant des fruits de la terre.

11

On peut se déshabituer de toute pitié, même envers les hommes, et on peut s'habituer à avoir pitié même d'un insecte.

Plus l'homme est pitoyable, mieux cela vaut pour son âme.

«Comment s'abstenir de tuer la mouche ou la puce? Chacun de nos mouvements supprime malgré nous la vie des êtres que nous ne voyons pas,» dit-on généralement pour justifier la cruauté humaine envers les animaux. Ceux qui parlent ainsi oublient qu'il n'est pas donné à l'homme d'arriver à la perfection en toutes choses. La tâche de l'homme est de se rapprocher de la perfection. Il en est de même lorsqu'il s'agit de la compassion envers les bêtes. Nous ne pouvons pas vivre sans faire mourir d'autres êtres, mais nous pouvons avoir pour eux plus ou moins de compassion. Et plus nous en aurons, mieux cela vaudra pour notre âme.


III.—Plus les hommes sont bons, mieux ils conçoivent l'unité du principe divin qui vit en eux.

1

Pourquoi sommes-nous tout joyeux quand nous avons accompli une bonne action? Parce que chaque bonne action nous confirme que notre vrai «moi » ne se borne pas à notre personne seule, mais qu'il existe en tout ce qui vit.

Lorsqu'on vit pour soi-même, on ne vit que d'une parcelle de son vrai «moi». Lorsqu'on vit pour les autres, on sent son «moi» s'étendre.

Si tu vis pour toi seul, tu te sens entouré d'ennemis, tu sens le bonheur de chacun entraver le tien. Vis pour les autres, et tu te sentiras entouré d'amis et le bonheur de chacun deviendra ton bonheur à toi.

2

L'homme ne trouve le bonheur qu'en servant son prochain. Et il l'y trouve parce qu'en rendant service à ses prochains, il communie avec l'Esprit Divin qui vit en eux.

3

Toute bonne action véritable, celle que l'homme accomplit avec désintéressement et en ne pensant qu'au malheur d'autrui, serait un fait étonnant et inconcevable, s'il n'était pas aussi naturel et familier à l'homme.

En effet, pourquoi se priver de quelque chose, s'inquiéter, se déranger pour un étranger, un homme comme il y en a tant sur la terre? On ne peut pas expliquer cela autrement que par le fait que la personne qui fait du bien, sait que celui pour qui elle le fait n'est pas un être isolé de tous, mais le même être qu'elle, mais sous un autre aspect.

D'après SCHOPENHAUER.

4

Lorsqu'on vit de la vie spirituelle, on éprouve des souffrances morales chaque fois qu'on se sépare des hommes. Pourquoi cette souffrance? Parce que, de même que la souffrance physique démontre le danger qui menace la vie corporelle, la souffrance morale démontre le danger qui menace la vie spirituelle de l'homme.

5

Un sage hindou disait: «En toi, en moi, en tous les êtres vivants vit un seul et même esprit vital; et voici que tu te fâches contre moi, tu ne m'aimes pas. Souviens-toi que toi et moi, nous sommes un. Qui que tu sois, toi et moi, nous ne faisons qu'un.»

6

Bien qu'un homme soit méchant, injuste, bête et désagréable, souviens-toi qu'en ne le respectant plus, tu romps non seulement tout lien avec lui seul, mais avec tout le monde spirituel.

7

Pour qu'il te soit facile de vivre avec chaque homme, pense à ce qui t'unit à lui et non pas à ce qui te sépare de lui.


IV.—Les conséquences résultant de la conception de l'unité de l'âme de tous les hommes.

1

Il ne peut y avoir et il n'y aura pas de liberté et de bonheur véritable, tant que les hommes n'auront pas compris leur unité. Si seulement les hommes avaient compris cette vérité essentielle du christianisme,—la communauté spirituelle de tous les hommes—leur vie se serait transformée, et il s'établirait entre eux des rapports que nous ne saurions imaginer maintenant. Les insultes, les peines, les humiliations que nous faisons subir aux hommes-frères nous auraient révoltés plus que les plus grands crimes actuels.

Oui, il nous faut une nouvelle révélation, non pas sur le paradis et l'enfer, mais sur l'esprit qui vit en nous.

CHANNING.

2

L'amour appelle l'amour. Cela ne peut être autrement parce qu'en se révélant en toi, Dieu se révèle également en un autre homme.

3

La branche coupée de son nœud est, par cela même, séparée de l'arbre entier. De même l'homme qui rompt avec un autre homme, se détache de toute l'humanité. Seulement, la branche est coupée par un bras étranger, alors que, par son mépris, l'homme se détache de son prochain, sans penser que, par cela même, il se détache de toute l'humanité.

MARC-AURÈLE.

4

Il n'y a pas de mauvaise action pour laquelle soit seul puni celui qui l'a faite. Nous ne pouvons nous isoler de façon à ce que notre méchanceté ne se répande pas sur les autres hommes. Nos actions, bonnes et mauvaises, sont comme nos enfants: elles vivent et agissent non plus par notre volonté, mais par elles-mêmes.

GEORGE ELLIOT.

5

La vie des hommes est pénible uniquement parce qu'ils ne savent pas que l'âme, qui est en chacun de nous, vit dans tous les hommes. C'est de là que provient l'animosité, que les uns sont riches, les autres pauvres, les uns sont maîtres, les autres ouvriers; de là que vient l'envie, la haine et tous les tourments humains.


CHAPITRE V

DE L'AMOUR

L'âme humaine, isolée par le corps aussi bien de Dieu que des autres êtres, tend à se réunir à ce dont elle est séparée.

L'âme s'unit à Dieu par la conscience progressive de la présence de Dieu en soi, alors qu'elle s'unit aux âmes des autres par des manifestations d'amour de plus en plus évidentes.


I. L'Amour unit les hommes à Dieu et aux autres êtres.

1

«Jésus dit au légiste: Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. C'est le premier et le plus grand des commandements.

«Le second est: aime ton prochain comme toi-même, répondit l'homme de loi au Christ, et Jésus lui dit: Tu as bien répondu; agis donc comme tu l'as dit, c'est-à-dire, aime Dieu et ton prochain et tu vivras bien.»

2

Vous êtes bien malheureux, vous, les gens du monde! Les chagrins et les inquiétudes sont au-dessus de vos têtes et sous vos pieds, à droite et à gauche, et vous êtes des énigmes pour vous-mêmes. Et vous resterez toujours énigmes si vous ne devenez pas joyeux et affectueux comme les enfants. Alors seulement vous Me connaîtrez et, m'ayant connu, vous vous comprendrez vous-mêmes et vous pourrez vous gouverner.

Alors seulement, lorsque vous regarderez le monde à travers votre âme, tout sera joie pour vous sur la terre et en vous-mêmes.

Soutes bouddhistes.

3

On ne peut aimer que la perfection.

Il faut donc, pour aimer: ou bien considérer comme parfait ce qui ne l'est pas, ou bien aimer ce qui est parfait, c'est-à-dire Dieu. Si l'on considère comme parfait ce qui ne l'est pas, l'erreur se révélera tôt ou tard et l'amour ne sera plus. Mais l'amour de Dieu, c'est-à-dire de la perfection, ne peut pas finir.

4

Dieu est amour; celui qui demeure dans la charité, demeure en Dieu et Dieu en lui. Personne n'a jamais vu Dieu; mais si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour est accompli en nous. Si quelqu'un dit: «J'aime Dieu» et qu'il haïsse son frère, c'est un menteur. Car celui qui n'aime point son frère qu'il voit, comment peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas? Frères, aimons-nous les uns les autres, car l'amour vient de Dieu, et quiconque aime, est né de Dieu et connaît Dieu, car Dieu est amour.

D'après la 1re épitre de saint Jean.

5

Les hommes ne peuvent communier réellement qu'en Dieu. Pour se rencontrer, les hommes n'ont pas besoin de se croiser, ils doivent simplement se diriger vers Dieu.

S'il y avait un grand temple où la lumière ne pénétrerait que d'en haut et du centre, les hommes, pour se rencontrer dans ce temple, n'auraient qu'à se diriger vers la lumière. Il en est de même dans le monde: si tous les hommes allaient, à Dieu, ils se rencontreraient tous.

6

Il n'y a rien de plus agréable que de se savoir aimé. Mais, chose extraordinaire! pour qu'on nous aime il est inutile de rendre service aux autres: il suffit de se rapprocher de Dieu. Rapproche-toi de Dieu et ne pense pas aux hommes, et les hommes t'aimeront.

7

Celui qui prétend aimer Dieu tout en n'aimant pas son prochain, trompe les hommes. Celui qui prétend aimer son prochain et n'aime pas Dieu, se trompe lui-même.

8

On dit que le jour du jugement dernier arrivera et que le bon Dieu se fâchera. Mais un Dieu bon ne peut faire que du bien.

De toutes les religions existantes, il n'y en a qu'une seule vraie, celle qui dit que Dieu est amour. Et l'amour ne peut donner que le bonheur.

Ne crains rien: pendant ta vie et après ta mort, il ne peut y avoir que l'amour.

Traduit du persan.

9

Vivre selon les préceptes de Dieu c'est être pareil à Dieu. Et, pour être pareil à Dieu, il faut ne rien craindre et ne rien désirer pour soi. Et pour ne rien craindre et ne rien désirer pour soi, il n'y a qu'à aimer.

Les uns disent: rentre en toi-même et tu trouveras le repos. Toute la vérité n'est pas là.

D'autres disent, au contraire: sors de toi-même; tâche de t'oublier et de trouver le bonheur dans les plaisirs. Ceci n'est pas vrai non plus. Ce n'est pas vrai pour cette seule raison qu'on ne peut pas se débarrasser des maladies par les plaisirs. Le repos et le bonheur ne sont ni en nous, ni en dehors de nous, ils sont en Dieu. Et Dieu est en nous et hors nous. Aime Dieu, car c'est en Dieu que tu trouveras ce que tu cherches.

PASCAL.


II.—De même que le corps a besoin de nourriture et souffre lorsqu'il en est privé, l'âme a besoin d'amour et souffre en son absence.

1

Tous les corps sont attirés par la terre et les uns par les autres. De même toutes les âmes sont attirées vers Dieu et les unes vers les autres.

2

Tous les gens vivent, non pas parce qu'ils pensent à eux-mêmes, mais parce que l'amour est le propre des hommes.

Afin que les hommes ne vivent pas chacun pour soi, mais tous pour la même cause, Dieu ne leur a pas révélé ce qu'il faut à chacun d'eux, mais leur a dit seulement ce qu'il leur fallait à tous.

Afin que les hommes sachent ce qu'il leur faut à tous, Il a pénétré dans leurs âmes et s'y est manifesté en amour.

3

Tous les malheurs des hommes ne sont pas causés par les mauvaises récoltes, les incendies, les brigands, mais simplement parce qu'ils vivent en désaccord.—Ils sont en désaccord, parce qu'ils ne croient pas à la voix de l'amour qui vit en eux et qui les appelle à s'unir.

4

Tant que l'homme vit d'une vie matérielle, il lui semble qu'il est séparé des autres hommes parce que cela est ainsi et ne peut être autrement. Mais dès qu'il commence à vivre d'une vie spirituelle, il s'étonne, ne comprend pas, jusqu'à en souffrir, pourquoi il est séparé des autres hommes, et il cherche à s'unir à eux. L'amour seul unit les hommes.

5

La vie de chaque homme consiste à devenir meilleur chaque année, chaque mois, chaque jour. Plus les gens deviennent meilleurs et plus ils s'unissent, plus leur vie est meilleure.

6

Si nous tenions fermement à nous rallier aux hommes là où nous sommes d'accord avec eux, sans exiger leur consentement sur les points où nous ne sommes pas d'accord, nous serions bien plus près du Christ que ceux qui, tout en se qualifiant de chrétiens, se détachent, au nom du Christ, des hommes d'une autre religion, en exigeant qu'ils soient d'accord avec ce qui leur semble être la vérité.

Aimez vos ennemis, et vous n'en n'aurez point.

Actes des Apôtres.


III.—L'amour n'est vrai que lorsqu'il se répand sur tout.

1

Dieu voulait que nous fussions heureux et, dans ce but, il nous a donné le besoin du bonheur; seulement, il voulait que nous soyons heureux tous, et non pas quelques-uns, et pour cela il nous a donné le besoin d'aimer. Il s'ensuit que les hommes ne seront heureux que lorsqu'ils s'aimeront tous les uns les autres.

2

Sénèque disait que tout ce que nous voyons, tout ce qui vit n'est qu'un seul corps; tels les bras, les jambes, l'estomac, les os, nous sommes les parties de ce corps. Tous, nous sommes venus au monde de la même façon; tous, nous voulons notre bonheur; tous nous savons que nous ferions mieux de nous entr'aider que de nous exterminer et tous nous avons un germe d'amour les uns pour les autres. Comme des pierres, nous formons une même route et nous nous écroulerons, si nous ne nous soutenons pas.

3

Si nous aimons ceux qui nous plaisent, qui nous louent, qui nous font du bien, nous les aimons pour nous-mêmes. Le véritable amour est celui qui nous fait aimer non pour notre plaisir, mais pour le bien des hommes que nous aimons; nous devons les aimer, non pas parce qu'ils sont agréables ou utiles, mais parce que dans chaque homme nous reconnaissons l'esprit qui vit en nous.

Ce n'est qu'ainsi que nous pouvons aimer, comme nous l'a appris le Christ, non seulement ceux qui nous aiment, mais aussi ceux qui nous haïssent: nos ennemis.

4

Tâche d'aimer celui que tu n'aimais pas, que tu blâmais, qui t'a offensé. Si tu y réussis, tu connaîtras une sensation nouvelle de joie. De même que la clarté éclate après les ténèbres, la lumière de l'amour s'allumera avec plus d'intensité et plus joyeusement en toi, après s'être libéré de l'inimitié.

5

Le meilleur des hommes est celui qui aime tous et qui fait du bien à tous, qu'ils soient bons ou méchants.

MAHOMET.

6

«Je suis triste, ennuyé, seul.» Mais qui donc t'a ordonné de fuir tous les hommes et de te murer dans la prison de ton misérable et ennuyeux «moi».

7

Agis de façon à pouvoir dire à chacun: fais comme moi.

D'après KANT.

8

Tant que je n'aurai pas vu observer le plus grand commandement du Christ—l'amour envers les ennemis—je ne croirai pas que ceux qui se qualifient de chrétiens le soient effectivement.

LESSING.


IV.—On ne peut aimer réellement que l'âme.

1

Tous les hommes ne désirent, qu'une seule chose, c'est de bien vivre. C'est pourquoi, depuis les temps les plus anciens, partout et toujours, les sages et les saints ont pensé et appris aux hommes comment il fallait vivre pour être heureux. Et à toutes les époques et dans tous les pays, les sages et les saints ont enseigné aux hommes la même doctrine.

Cette doctrine est brève et simple:

Tous les hommes vivent par le même esprit, mais sont séparés, dans cette vie, par leurs corps; s'ils en sont convaincus, ils doivent s'unir les uns aux autres par l'amour. S'ils ne le comprennent pas et s'imaginent qu'ils vivent uniquement par leurs corps, ils se querellent entre eux et sont malheureux.

Toute la doctrine est dans la recommandation de faire ce qui unit les hommes et de ne pas faire ce qui les désunit. Il est facile d'avoir foi en cette doctrine parce qu'elle demeure dans le cœur de chaque homme.


V.—L'amour est un sentiment naturel à l'homme.

1

L'homme aime aussi naturellement que l'eau descend la pente.

Proverbe oriental.

2

Pour que l'abeille vive selon sa nature, elle doit voler, le serpent ramper, le poisson nager, l'homme aimer. Par conséquent, si l'homme fait du mal à son prochain au lieu de lui faire du bien, cela paraît aussi étrange que si le poisson se mettait à voler et l'oiseau à nager.

3

Le cheval, par sa course rapide, fuit l'ennemi. Il est malheureux non pas lorsqu'il ne peut pas crier comme un coq, mais lorsqu'il perd ce qui lui est acquis: la faculté de courir.

Le sens le plus précieux pour le chien est son flair. Il est malheureux lorsqu'il le perd, et non lorsqu'il voit qu'il ne peut pas voler.

De même l'homme est malheureux, non quand il est impuissant à maîtriser un ours, un lion, ou de mauvaises gens, mais quand il perd ce qu'il a de plus cher: sa nature spirituelle, sa faculté d'aimer.

On n'a pas à regretter quand on meurt, quand on a perdu son argent, sa propriété, sa maison—tout cela n'appartient pas à l'homme. On doit regretter quand l'homme perd son bien réel, son plus grand bonheur: la faculté d'aimer.

4

On demanda à un philosophe chinois: qu'est-ce que la science? Il répondit: C'est connaître les hommes.

On lui demanda: Qu'est-ce que la vertu? Il répondit: C'est aimer les hommes.

5

Un philosophe hindou disait: «De même qu'une mère soigne son unique enfant, le dorlote, le garde et l'élève, l'homme doit élever et garder en soi ce qu'il a de plus cher au monde: l'amour pour tout ce qui vit. Toutes les religions nous l'enseignent: celle des Bramines, des Bouddhistes, des Hébreux, des Chinois, des Chrétiens, des Mahométans. C'est pourquoi, la chose la plus nécessaire au monde est d'apprendre à aimer.»

6

Les Chinois ont eu leurs philosophes tels que Confucius, Lao-Tseu et un autre sage, peu connu, du nom de Mi-Ti.

Mi-Ti enseignait qu'il ne fallait pas inculquer aux hommes le respect de la force, de la richesse, de la bravoure, mais de l'amour seul. Il disait: On élève les hommes de façon à ce qu'ils considèrent que la richesse et la gloire sont au-dessus de tout et ils ne songent qu'à gagner le plus possible de gloire et de richesses; il faut les élever de façon à ce qu'ils placent l'amour au-dessus de tout et que, dans la vie quotidienne, ils s'habituent à aimer les hommes et à consacrer toutes les forces à apprendre à aimer.

Mi-Ti n'a pas été écouté. Mendzé, un élève de Confucius, contredit Mi-Ti, en assurant qu'on ne saurait vivre uniquement d'amour. Et les Chinois suivirent Mendzé. 500 ans s'écoulèrent ainsi, lorsque Jésus vint enseigner aux hommes ce qu'avait déjà dit Mi-Ti, mais avec plus de force et de clarté. Bien que personne ne conteste cette doctrine d'amour, les disciples du Christ ne suivent toujours pas son enseignement. Mais le moment viendra—et il est proche—où les hommes ne pourront pas faire autrement que de suivre cette doctrine, parce que son germe se trouve dans tous les cœurs, alors que la non observation de ses préceptes rendra les gens de plus en plus malheureux.


VI.—L'amour seul donne le bonheur réel.

1

Tu veux du bien, tu auras ce que tu désires, à condition que tu veuilles le bien qui est bon pour tous. Ce bonheur ne se gagne que par l'amour.

2

«Celui qui veut conserver sa vie, la perdra, et celui qui donne sa vie pour le bien, la conservera. L'homme n'a pas de profit à gagner le monde entier s'il fait du tort à son âme.» Ainsi parlait Jésus. De même parlait le païen Marc-Aurèle: «Âme, quand donc seras-tu le chef du corps? Quand te débarrasseras-tu des désirs et des peines charnelles, et pourras-tu te passer des services de ce que les hommes te servent de leur vie ou de leur mort! Quand comprendras-tu que le vrai bonheur est toujours en ton pouvoir et qu'il est l'amour pour tous les hommes?»

3

Celui qui dit qu'il est dans la lumière et qui hait son frère, est encore à présent dans les ténèbres. Celui qui aime son frère demeure dans la lumière et ne craint nulle tentation. Mais celui qui hait son frère est dans les ténèbres, marche dans les ténèbres et ne sait où il va, parce que les ténèbres ont aveuglé ses yeux.... Aimons, non par la parole et la langue, mais par les actes et la vérité. C'est à cela que nous reconnaissons la vérité et que nous tranquillisons nos cœurs.

1re épitre de saint JEAN.

4

Je ne sais pas lequel des chefs des religions a raison, et je ne puis le savoir d'une façon certaine; mais je sais pertinemment que le mieux que je puis faire, c'est de développer l'amour en moi; de cela je ne puis en douter. Je ne puis en douter parce qu'en se développant, mon amour augmente mon bonheur.

5

Nous savons trouver tout; il n'y a que nous-mêmes que nous ne sachions pas trouver. Chose étrange! L'homme vit sur la terre pendant de nombreuses années sans remarquer à quel moment il éprouve le plus de satisfaction. S'il s'en apercevait, il verrait clairement en quoi consiste son vrai bonheur; il saurait qu'il ne se sent à son aise que lorsqu'il a l'amour dans l'âme. C'est que nous ne méditons pas assez pour nous en apercevoir. Nous avons perverti notre raison et ne cherchons plus à connaître ce qui seul nous est nécessaire.

Si nous nous étions arrêtés un seul instant au milieu du tourbillon de la vie qui nous emporte, si nous étions rentrés en nous-mêmes, nous aurions compris où est notre bonheur.

Notre corps est faible, impur, mortel; mais il recèle un trésor divin: l'esprit immortel. Il nous suffirait d'avoir conscience de cet esprit intérieur pour nous mettre à aimer les hommes, et, en les aimant, nous aurons tout ce que notre cœur désire: le bonheur.

SKOVORODA.

6

Nous n'obtenons le bonheur corporel, tous les plaisirs, qu'au détriment des autres hommes. Par contre, nous n'augmentons le bien spirituel, le bien de l'amour qu'en augmentant le bonheur d'autrui.

7

Tous nos perfectionnements de la vie matérielle: les chemins de fer, le télégraphe, les machines peuvent servir à l'union des hommes et à les rapprocher du royaume de Dieu. Mais le malheur est que les hommes se passionnent pour ces perfectionnements et s'imaginent que s'ils construisent beaucoup de ces engins, ils peuvent se rapprocher de Dieu. C'est une aussi grosse erreur que si l'homme avait toujours travaillé le même terrain sans songer à y semer quelque chose. Pour que toutes ces machines soient utiles, il faut que les hommes perfectionnent leur âme, y cultivent l'amour. Car sans amour, le téléphone, le télégraphe, les machines volantes, loin de nous rapprocher, nous divisent de plus en plus.

8

L'homme est misérable et ridicule lorsqu'il cherche ce qu'il a sur le dos. Il est tout aussi misérable et ridicule lorsqu'il cherche le bonheur, sans savoir qu'il le trouvera dans l'amour qui est dans son cœur.

Ne regardez pas le monde et les œuvres des hommes, mais jetez un regard dans votre âme, et vous y trouverez, le bonheur que vous cherchez là où il n'est pas; vous trouverez l'amour et vous saurez que ce bonheur est si grand que celui qui l'a, ne peut plus rien désirer.

KRISHNA.

9

Fais du bien à tes amis pour qu'ils t'aiment davantage, fais-en à tes ennemis pour qu'ils deviennent tes amis.

KLEOVODLOS [1].

10

On dit: quel profit y a-t-il à faire du bien aux gens qui vous paient par le mal? Si tu aimes celui à qui tu fais le bien, tu as déjà reçu ta récompense par ton amour pour lui, et tu en auras une plus grande encore dans ton âme si tu supportes avec amour le mal qu'il le fait.

11

Quand nous aimons nos frères nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie. Celui qui hait son frère n'a pas la vie éternelle qui est en lui.

D'après le 1er épitre de JEAN, III.

12

Oui, le temps viendra bientôt, celui-là même dont le Christ disait qu'il souffrait en l'attendant, le temps où les hommes seront fiers, non pas de la domination sur les autres et de la spoliation du fruit de leur travail, non pas de la crainte et de l'envie qu'ils provoquent, mais fiers de leur amour pour tous et heureux de cette sensation qui les libère de tout mal, malgré les peines qu'on peut leur causer.

13

L'amour donne et ne reçoit rien.


[1] L'un des sept sages de la Grèce; il vivait au VIe siècle avant J.-C. (Note du trad.).


CHAPITRE VI

PÉCHÉS, TENTATIONS, SUPERSTITIONS

La vie humaine serait un bonheur continuel si les superstitions, les tentations et les péchés n'avaient pas privé les hommes de ce bien qui leur est accessible. Le péché est l'encouragement aux désirs charnels; les tentations sont la conception erronée que l'homme a de ses relations avec le monde; les superstitions sont les fausses doctrines acceptées sur parole.


I.—La vraie vie n'est pas dans le corps, mais dans l'âme.


1

Le terme de péché, dans le langage populaire, est employé par le laboureur lorsque la charrue lui échappe des mains, et qu'elle sort du sillon sans retourner la terre.

Il en est de même dans la vie. Le péché est la déviation du corps humain de la bonne voie et son impuissance, par suite, d'accomplir son devoir.

2

Dans leur jeunesse, lorsqu'ils ne connaissent pas le but réel de la vie qui est la communion dans l'amour, les hommes pensent que le but est de satisfaire leurs désirs charnels. Il n'y aurait pas grand mal, si cette illusion n'était qu'une erreur de la raison; mais le malheur est que l'assouvissement des désirs charnels souille l'âme et que celle-ci perd la faculté de trouver son bonheur dans l'amour.

N'est-ce pas vouloir puiser de l'eau potable avec un récipient bien souillé préalablement?

3

Tu voudrais procurer à ton corps les plus grands plaisirs. Mais ton corps, vivra-t-il longtemps? Se soucier des plaisirs charnels, c'est construire sa maison sur de la glace. Quelle joie pourrait-on attendre d'une telle vie, quel repos? Ne crains-tu pas constamment que, tôt ou tard, la glace fondra, que, tôt ou tard, tu devras abandonner ton corps mortel?

Transporte donc ta maison sur la terre ferme; travaille à ce qui ne meurt pas: perfectionne ton âme, débarrasse-toi des péchés, des tentations et des superstitions.

D'après SKOVORODA.

4

L'enfant ne sent pas encore son âme et ne sent pas ce qu'éprouve l'adulte lorsqu'il entend deux voix contradictoires parler en lui. L'une dit: «mange toi-même» et l'autre: «donne à celui qui demande.» L'une dit: «venge-toi», et l'autre: «pardonne». L'une dit: «crois à ce que disent les autres», et l'autre: «réfléchis toi-même».

Plus l'homme devient âgé, plus il entend ces deux voix contradictoires: l'une est la voix du corps, l'autre celle de l'esprit. Et celui qui s'habituera à entendre la voix de l'âme, sera heureux.

5

Nul ne peut servir deux maîtres: car ou il haïra l'un et aimera l'autre, ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mamon.

MATTH., VI, 24.

6

On ne peut avoir soin en même temps de son âme et de son corps. Si tu veux des plaisirs charnels, renonce à ton âme; si tu veux préserver ton âme, renonce aux plaisirs charnels. Sinon, tu sera tiraillé tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, et tu n'auras ni l'un ni l'autre.

7

L'homme cherche à s'assurer la liberté afin de soustraire son corps à toute entrave et de pouvoir agir à sa guise. C'est là une grande erreur. Les moyens par lesquels les hommes cherchent à délier leur corps de toute entrave: la richesse, la puissance, la bonne réputation, tout cela n'assure pas la liberté souhaitée; au contraire, cela ne fait que les lier davantage. Pour acquérir une liberté plus grande, les hommes construisent une prison de leurs péchés, tentations et superstitions et s'y enferment.


II.—Qu'est-ce que le Péché?

1

La doctrine des Bouddhistes enseigne cinq commandements principaux. Le premier: ne tue sciemment nul être vivant. Le deuxième: ne t'approprie pas ce qu'autrui considère comme son bien. Le troisième: sois chaste. Le quatrième: ne dis pas le contraire de la vérité. Le cinquième: ne te grise ni de boissons, ni de fumée. Les Bouddhistes considèrent donc comme péchés: le meurtre, le vol, la fornication, l'ivrognerie, le mensonge.

2

La doctrine évangélique ne recommande que deux préceptes, tous deux ayant trait à l'amour. Lorsque l'homme de loi, pour éprouver le Christ, lui demanda:—Maître quel est le grand commandement de la loi? Jésus répondit:—Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute la pensée. C'est là le premier et le grand commandement. Et voici le second qui lui est semblable: Tu aimeras ton prochain comme toi-même.

C'est pourquoi, d'après la doctrine chrétienne, tout ce qui est en désaccord avec ces deux commandements, est péché.

3

Les hommes ne sont pas punis à cause de leurs péchés, mais par les péchés mêmes. C'est là le plus pénible et le plus sûr des châtiments.

Il arrive qu'un imposteur ou un méchant vit et meurt dans l'opulence et les honneurs; mais ceci ne signifie nullement qu'il a échappé au châtiment dû pour ses péchés. Et le châtiment ne se produira pas quelque part où personne n'a jamais été et n'ira jamais, mais ici même. Cet homme est déjà puni par ce fait que chaque nouveau péché l'éloigné de plus en plus du vrai bonheur, de l'amour, et qu'il devient de moins en moins heureux. De même qu'un ivrogne, qu'il soit puni par les hommes ou non, l'est déjà à coup sûr, parce que, indépendamment de son mal de tête immédiat dû à l'ivresse, il est puni par les souffrances qui le tenaillent à mesure qu'il s'adonne à l'ivrognerie.

4

Si l'on s'imagine que l'on peut se débarrasser de ses péchés dans cette vie, on se trompe grossièrement. L'homme peut avoir plus ou moins de péchés, mais il ne saurait être impeccable. Il ne le saurait, parce que toute notre vie se passe dans l'effort de nous libérer de nos péchés et c'est là seulement qu'est le vrai bonheur.


III.—Les Tentations et les Superstitions.

1

Le but de l'homme dans cette vie est d'accomplir la volonté de Dieu. Celle-ci commande à l'homme de développer et de manifester l'amour qui est en lui. Que peut faire l'homme pour manifester cet amour? Supprimer tout ce qui l'entrave. Qu'est-ce qui l'entrave? Les péchés.

De sorte que pour accomplir la volonté divine, l'homme n'a qu'une chose à faire: se libérer de ses péchés.

2

Pécher est l'œuvre humaine; justifier les péchés est œuvre diabolique.

3

Tant que l'homme est sans raison, il vit comme une bête et il n'est pas responsable de la suite de ses actes, bons ou mauvais. Mais le moment arrive où il devient capable de réflexion et peut distinguer entre ce qu'il doit et ce qu'il ne doit pas faire. Or, au lieu de comprendre que la raison lui est donnée pour discerner le bien et le mal, il l'emploie souvent à justifier le mal qui lui est agréable et auquel il est habitué.

C'est ce qui engendre les tentations et les superstitions dont le monde souffre le plus.

4

C'est mal quand l'homme se croit sans péchés et n'a pas besoin de faire d'efforts sur lui-même. Mais c'est tout aussi mal quand l'homme s'imagine être né dans les péchés, être condamné à mourir comblé de péchés et qu'il ne servirait à rien de faire des efforts pour s'en débarrasser. Les deux erreurs sont également funestes.

5

C'est mal quand l'homme qui vit parmi les pécheurs ne voit ni ses propres péchés, ni ceux des autres; mais c'est plus mal encore quand l'homme voit les péchés des autres et ne remarque pas les siens.

6

Dans chaque existence, il arrive un moment où le corps vieillit, s'affaiblit, devient de moins en moins exigeant, tandis que le «moi» spirituel grandit de plus en plus. Alors, ceux qui sont habitués à satisfaire leurs désirs corporels imaginent, afin de ne pas renoncer à leurs habitudes, des séductions et des superstitions qui leur permettent de vivre en pécheurs. Mais ils ont beau faire de garantir leur corps contre le «moi» spirituel, ce «moi» vainc toujours, ne serait-ce que dans les derniers moments de la vie.

7

D'abord, le péché est un étranger dans notre âme; puis, il en est l'hôte; et lorsque nous nous habituons à lui, il y devient comme le maître de la maison.

8

Celui qui commet un péché pour la première fois ressent toujours sa faute; celui qui pèche à plusieurs reprises,—surtout lorsque les gens qui l'entourent commettent le même péché,—tombe dans la tentation et ne sent plus son péché.

9

Lorsqu'un homme a commis un péché et s'en rend compte, il a deux issues: l'une de reconnaître sa faute, et de s'efforcer à ne plus recommencer; l'autre est de chercher à savoir ce que les gens pensent du péché qu'il a commis, et si ces gens ne le blâment pas, de continuer à pécher.

«Tous le font, pourquoi donc ne ferai-je pas comme tout le monde?» Lorsque l'homme s'engage sur cette pente, il ne s'aperçoit plus qu'il s'éloigne chaque jour davantage de la bonne voie.

10

«Les tentations doivent exister sur la terre», a dit le Christ. Je crois que le sens de cette sentence est que la connaissance de la vérité ne suffit pas pour détourner les hommes du mal et pour les attirer vers le bien.

Pour que la plupart des hommes puisse connaître la vérité, il est indispensable d'être amené, par les péchés, les tentations et les superstitions, au dernier degré de l'erreur et à la souffrance qui s'ensuit.

11

Les péchés viennent du corps; les tentations, de l'opinion publique; les superstitions, du manque dé confiance en son propre jugement.


IV.—L'œuvre essentielle de la vie de l'homme est de se débarrasser des péchés, des tentations, et des superstitions.

1

L'homme se réjouit lorsque son corps sort de la captivité, de la prison. Comment donc ne serait-il pas heureux lorsqu'il se débarrasse des péchés, des tentations et des superstitions qui tenaient son âme en captivité?

2

Admettons que les hommes ne sachent vivre que de la vie bestiale, qu'ils ne luttent pas contre leurs passions—quelle vie horrible ce serait, quelle haine il y aurait entre tous les hommes, quelle débauche, quelle cruauté! C'est parce que les hommes connaissent leurs faiblesses et leurs passions et luttent contre elles, qu'ils peuvent vivre ensemble.

3

La vie de l'homme, qu'il le veuille ou non, tend à le débarrasser de plus en plus de ses péchés. Celui qui le comprend, y contribue de ses efforts, et la vie d'un tel homme est facile, parce qu'elle est en accord avec ce qui se produit en lui.

4

Les enfants ne sont pas encore habitués aux péchés et tout péché leur répugne. Les adultes sont déjà tombés dans la tentation et ils pèchent sans s'en rendre compte.

5

Deux femmes vinrent trouver un vieillard pour lui demander conseil. L'une se considérait comme une grande pécheresse. Etant jeune encore, elle avait trompé son mari et vivait dans un tourment continuel. L'autre, ayant toujours vécu selon les bonnes règles, ne se reprochait aucune faute marquante et était satisfaite d'elle-même.

Le vieillard interrogea les deux femmes sur leur vie. L'une, tout en larmes lui avoua son grand péché. Elle le trouvait si grand qu'elle ne croyait pas mériter le pardon; l'autre déclara qu'elle ne reconnaissait aucun péché particulier. Le vieillard dit à la première:

—Va derrière le clos et trouve-moi une grande pierre, la plus grande que lu pourras soulever, et apporte-la.

—Et toi, dit-il à celle qui ne se connaissait pas de grands péchés, apporte-moi aussi des pierres, autant que tu pourras en porter, mais des petites.

Les femmes exécutèrent l'ordre du vieillard. L'une apporta un grand bloc, l'autre, tout un sac de cailloux.

Le vieillard examina les pierres et dit:

—Voici ce que vous allez faire maintenant: rapportez les pierres là où vous les avez prises, et lorsque vous l'aurez fait, revenez me trouver.

Les femmes s'en furent exécuter l'ordre du vieillard. La première trouva facilement l'endroit où elle avait pris la pierre et la remit à sa place. La seconde, n'arrivant pas à se rappeler les places où se trouvaient chacune de ses pierres, revint avec son sac vers le vieillard, sans avoir exécuté son ordre.

—Il en est de même pour les péchés, dit le vieillard. Tu as pu remettre, sans difficulté, une grande et lourde pierre à son ancienne place, parce que tu te souvenais où tu l'avais prise. Quant à toi, tu n'as pu le faire, parce que tu ne te souvenais plus où tu avais pris les petites pierres.

Puis, se tournant de nouveau vers la première, il ajouta:

—Tu te souvenais de ta faute, tu supportais les reproches des gens et ceux de ta conscience, tu t'humiliais, et tu t'es libérée ainsi des conséquences de ton péché. Quant à toi, dit-il à la femme qui avait rapporté les cailloux, n'ayant commis que des petites fautes, tu ne t'en souvenais plus, tu ne t'en repentais pas, tu t'es habituée à vivre dans les péchés et, en blâmant les fautes d'autrui, tu t'es enlizée de plus en plus dans les tiennes.

6

C'est une grande erreur que de croire à la possibilité de se débarrasser d'un péché par la foi ou le pardon des hommes. On ne peut en aucune façon se libérer d'un péché; on peut seulement le reconnaître et tâcher de ne plus le répéter.

7

Ne sois jamais lâche devant le péché, ne te dis pas: je ne peux pas faire autrement, je suis habitué, je suis faible. Tant que tu vis, tu peux toujours lutter contre le péché et le vaincre, sinon aujourd'hui, demain; sinon demain, après-demain; sinon après demain, sûrement avant ta mort. Mais si tu renonces d'avance à la lutte, tu renonces au sens fondamental de la vie.

8

L'être chez qui est absente la conscience de son unité avec Dieu et avec tout ce qui vit est sans péchés. Tels sont l'animal, la plante.

Au contraire, l'homme reconnaît la présence simultanée en lui de la bête et de Dieu; c'est pourquoi il ne saurait être sans péchés. Nous disons que les enfants sont innocents. Ce n'est pas exact. L'enfant n'est pas innocent. Il a moins de péchés que l'adulte, mais il a déjà des péchés charnels. De même un homme de sainte vie n'est pas sans péchés. Un saint a commis moins de péchés, mais il en a commis quand même: sans péchés il n'y a pas de vie.

9

Pour s'habituer à lutter contre le péché, il est utile de cesser, de temps en temps, ses occupations habituelles, afin de voir si l'on est maître de son corps, ou si c'est le corps qui est le maître.


V.—L'importance des péchés, des tentations, des superstitions, et des fausses doctrines dans la manifestation de la vie spirituelle.

1

Ceux qui croient que Dieu a créé le monde demandent souvent: pourquoi Dieu a-t-il créé l'homme tel qu'il soit obligé de pécher? Cela revient à demander pourquoi Dieu a créé la femme qui, pour avoir un enfant, doit souffrir, accoucher, l'allaiter, l'élever? Ne serait-ce pas plus simple si Dieu lui donnait des enfants tout faits, sans accouchement, sans allaitement, sans peines ni soucis? Aucune mère ne posera cette question, car l'enfant lui est cher précisément par ce que c'est dans les tourments de l'accouchement, de l'allaitement, de l'éducation, des soucis qu'était la plus grande joie de sa vie.

Il en est de même de la vie humaine: les péchés, les tentations, les superstitions, la lutte et la victoire obtenue sur eux constituent tout le sens et toute la joie de la vie.

2

Il est très pénible à l'homme de connaître ses péchés: en revanche, il éprouve une grande joie à sentir qu'il s'en débarrasse. S'il n'y avait pas de nuit, nous ne pourrions pas nous réjouir à l'apparition du soleil; s'il n'y avait pas de péché, l'homme ne connaîtrait pas les joies d'une vie exemplaire.

3

Si l'homme n'avait pas d'âme, il ne connaîtrait pas les péchés; et s'il n'y avait pas de péchés, l'homme ne saurait pas qu'il possède une âme.

4

Les péchés, les tentations et les superstitions constituent le terreau qui doit recouvrir les semences de l'amour pour qu'elles puissent lever.


CHAPITRE VII

DES EXCÈS

Le seul et unique bonheur de l'homme est dans l'amour. Mais il est privé de ce bien, lorsqu'au lieu de développer en lui l'amour, il augmente et encourage les exigences de son corps.


I.—Tout le superflu dont jouit le corps est nuisible, tant au corps qu'à l'âme.

1

Il ne faut satisfaire les besoins du corps que dans les limites du nécessaire. Imaginer de nouveaux plaisirs pour le corps, c'est vivre à rebours, c'est-à-dire mettre l'âme au service du corps, au lieu du corps au service de l'âme.

2

Moins on a de besoins, plus la vie est heureuse; c'est là une ancienne vérité qui est loin d'être acceptée par tout le monde.

3

Plus tu t'habitues au luxe, plus tu te soumets à la servitude; car plus tu auras de besoins, plus tu limiteras ta liberté. La liberté absolue consiste à n'avoir besoin de rien, et celle plus limitée est de n'avoir besoin que de peu.

JEAN CHRYSOSTOME.

4.

On pèche envers les hommes et l'on pèche envers soi-même. Les péchés envers les hommes viennent de ce qu'on ne respecte pas l'Esprit Divin chez son semblable. Les péchés envers soi-même, de ce qu'on ne respecte pas l'Esprit Divin en soi-même.

5

Si tu veux vivre tranquille et libre, déshabitue-toi de ce dont tu peux te passer.

6

Tout ce qui est nécessaire au corps est facile à obtenir. Il n'est difficile de se procurer que ce qui n'est pas nécessaire.

7

C'est bon d'avoir ce qu'on désire; mais c'est mieux de ne rien désirer de plus de ce qu'on a.

MENEDEM.

8

Si tu te portes bien et que tu as travaillé jusqu'à sentir la fatigue, l'eau et le pain te paraîtront meilleurs qu'au riche ses mets choisis, ta paillasse plus moelleuse que tous les lits à ressorts, et ta blouse de travail te sera plus agréable que tous les vêtements de velours.

9

Socrate s'abstenait de toute nourriture qui flattait, seulement le goût, ne mangeait que juste pour satisfaire sa faim, et recommandait à ses élèves de suivre son exemple. Il disait que les excès de boisson et de nourriture étaient très nuisibles non seulement au corps, mais aussi à l'âme, et il conseillait de sortir de table ayant encore faim. Il leur rappelait l'histoire du sage Ulysse et de la fée Circé qui n'a pu ensorceler Ulysse uniquement parce qu'il n'avait pas mangé à l'excès, alors que tous ses compagnons furent métamorphosés par elle en pourceaux dès qu'ils se sont empiffrés de mets délicats.

10

La plupart des hommes d'aujourd'hui sont persuadés que le bonheur est de flatter les exigences corporelles. Cet état d'esprit est révélé par l'extension de la doctrine socialiste. D'après cette doctrine, l'homme dont les besoins sont peu développés est une brute, tandis que l'accroissement des besoins est le premier indice de l'homme civilisé, indice de la conscience de sa dignité. Les hommes de notre temps ont à tel point foi en cette fausse doctrine qu'ils ne font que railler les sages qui voyaient le bien de l'homme dans la diminution de ses besoins.

11

Voyez comment voudrait vivre l'esclave. Il veut, tout d'abord, qu'on le mette en liberté. Il pense que, sans cela, il ne peut être ni libre, ni heureux. Il dit: «Si on m'avait donné la liberté, j'aurais été immédiatement heureux. Je ne serais plus obligé d'exécuter les caprices, ni de gagner les bonnes grâces de mon maître; je pourrais parler à qui me plaira, comme à mon égal; je pourrais aller où je voudrais sans eu demander la permission à personne.»

Mais aussitôt qu'il est en liberté, il se met à chercher qui il pourrait bien flatter pour mieux dîner. Pour y parvenir, il est prêt à toutes les bassesses. Et dès qu'il réussit à s'installer auprès d'un homme riche, il retombe dans le même esclavage que celui d'où il voulait tant sortir.

Lorsqu'un tel homme commence à s'enrichir, il prend une maîtresse et retombe auprès d'elle dans une servitude pire encore. Riche, il possède moins de liberté encore, et alors il souffre et pleure. Et lorsqu'il est très malheureux, il se rappelle sa servitude d'autrefois et dit: «Je n'étais vraiment pas mal chez mon maître. Je n'avais aucun souci, j'étais vêtu, chaussé, nourri, et lorsque j'étais malade on me soignait. Le travail n'était pas trop difficile. Tandis que maintenant, j'ai tant à faire. Je n'avais alors qu'un seul maître; maintenant, j'en ai un grand nombre. Que de gens à satisfaire!»

ÉPICTÈTE.


II.—L'Insatiabilité des passions charnelles.

1

Pour entretenir la vie, notre corps a besoin de peu; tandis que les caprices de notre corps ne peuvent jamais être contentés.

2

Flatter le corps, lui assurer le superflus, est une grande erreur. En effet, la vie de luxe n'augmente pas, mais diminue le plaisir de manger, de se reposer, de dormir, de s'habiller, de se loger. Si l'on mange trop, ou sans avoir faim, l'estomac se délabre et on n'a pas de goût à la nourriture. Si l'on roule en voiture quand il est facile de faire le même trajet à pied, si l'on s'habitue à un lit moelleux, à une nourriture délicate et recherchée, à une installation luxueuse, si l'on est habitué à faire faire aux autres ce que l'on peut faire soi-même, on n'a plus de plaisir à se reposer après le travail, à avoir chaud après le froid, à bien dormir, et l'on ne fait que s'affaiblir de plus en plus et diminuer ses joies, sa paix et sa liberté.

5

Les hommes devraient prendre exemple sur les bêtes pour savoir traiter leur corps. Dès que l'animal a ce qui est nécessaire à son corps, il se calme. Pour l'homme, il ne suffit pas de contenter sa faim, de pouvoir s'abriter; il invente continuellement de nouveaux plats et de nouvelles boissons, construit des palais, fabrique une grande quantité d'objets inutiles qui ne le rendent que plus malheureux.


III.—Péché d'intempérance dans la nourriture.

1

Un sage disait: Je remercie Dieu de nous avoir rendu facile tout ce qui est nécessaire, et difficile tout ce qui ne l'est pas. C'est juste surtout pour la nourriture; celle qui est nécessaire à l'homme pour qu'il se porte bien et puisse travailler est simple et bon marché: le pain, les fruits, les légumes, l'eau. On en trouve partout.

Seuls les plats compliqués sont difficiles à préparer. Non seulement ils sont difficiles à préparer, mais encore ils sont nuisibles.

2

On meurt plus rarement de faim que de la bonne chair.

3

Il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger.

4

Sans la gourmandise, nul oiseau ne serait pris dans les filets de l'oiseleur. On prend les gens au même appât. Le ventre—c'est comme des chaînes aux mains et des fers aux pieds. Celui qui est esclave de son ventre reste toujours esclave. Si tu veux être libre, commence à te libérer de ton ventre. Mange pour calmer ta faim, et non pour y trouver du plaisir.

D'après SAADI.


IV.—Le péché de manger de la viande.

1

Pythagore ne mangeait pas de viande. Lorsqu'on demandait à Plutarque, qui avait décrit la vie de Pythagore, pourquoi celui-ci ne mangeait pas de viande, il répondait qu'il s'étonnait non pas de ce que Pythagore ne mangeait pas de viande, mais de ce qu'il y avait, encore des gens qui, au lieu de se nourrir de graines, de légumes et de fruits, captivent des êtres vivants et les tuent pour les manger.

2

«Tu ne tueras point» ne se rapporte pas uniquement au meurtre de l'homme, mais de tout ce qui vit. Ce commandement avait été gravé dans le cœur de l'homme avant de l'être au Sinaï.

3

La compassion pour les animaux est si étroitement liée à la bonté que l'on peut affirmer avec assurance que celui qui est cruel pour les bêtes, ne peut avoir bon cœur.

SCHOPENHAUER.

4

Ne lève pas ta main sur ton frère et ne verse pas le sang des êtres qui peuplent la terre: hommes, animaux domestiques, bêtes fauves et oiseaux; des profondeurs de ton âme s'élève une voix qui le défend de répandre le sang, car le sang c'est la vie, et tu ne peux pas rendre la vie.

LAMARTINE.

5

Les joies que la pitié et la compassion pour les animaux donnent à l'homme rachètent au centuple les plaisirs dont, il se prive en renonçant à la chasse et à la chair abattue.


V.—Péché de la griserie: vin, tabac, opium, etc.

1

Pour pouvoir bien vivre, les hommes ont surtout besoin de leur raison. Ils devraient donc tenir tout particulièrement à leur saine raison. Pourtant, ils trouvent du plaisir à l'étouffer par le vin, le tabac et l'opium, et c'est parce qu'ils désirent mener une mauvaise vie et que leur raison non obscurcie leur montre que leur vie est mauvaise.

2

Pourquoi les hommes, ayant des habitudes différentes, gardent-ils l'habitude de fumer et de boire? Parce que la plupart parmi eux sont mécontents de leur vie. Ils en sont mécontents parce qu'ils-recherchent les plaisirs charnels sans jamais pouvoir les satisfaire. C'est pourquoi les pauvres comme les riches cherchent l'oubli dans l'ivresse.

3

Si l'homme mange trop, il lui est difficile de ne pas être paresseux. S'il boit des boissons grisantes, il lui est difficile de rester chaste.

4

Personne ne s'est jamais enivré ni grisé de fumée pour accomplir une bonne action: travailler, prendre une décision, soigner un malade, prier Dieu. Mais la plupart des mauvaises actions sont faites dans un état d'ébriété.

Ce n'est pas un crime de se griser; mais c'est créer l'état qui dispose au crime.


VI.—Servir le corps, c'est nuire à l'âme.

1

Si un homme a beaucoup plus qu'il ne lui faut, c'est que d'autres manquent du nécessaire.

2

Qui est plus heureux: celui qui se nourrit par son travail juste assez pour ne pas avoir faim, s'habille pour ne pas rester nu, se loge pour ne pas souffrir de la pluie et du froid; ou bien celui qui se procure une bonne nourriture, des vêtements riches et une habitation luxueuse par la mendicité, la servilité, ou par l'escroquerie et la force?

3

Si nous n'avions pas inventé le luxe, tous ceux qui sont maintenant dans la misère pourraient vivre sans manquer de rien, et les riches sans craindre pour leur vie ou leurs richesses.

4

De même que le premier principe de la sagesse est la connaissance de soi-même, parce que celui qui se connaît peut connaître les autres, de même le premier principe de la charité est de se contenter de peu, car seul celui qui se contente de peu, peut être charitable.

J. RUSKIN.

5

Les grands penseurs et les saints étaient sobres et chastes.

6

De même que la fumée chasse les abeilles de leur ruche, la voracité et l'ivrognerie chassent les meilleures forces spirituelles.

BASILE LE GRAND.

7

Ne tuez pas votre cœur par des excès de nourriture et de boisson.

MAHOMET.


VII—Seul celui qui est maître de ses désirs charnels est libre.

1

Lorsque l'homme vit, non pour l'âme mais pour le corps, il imite un oiseau qui irait d'un endroit à l'autre sur ses faibles pattes, au lieu de voler en toute liberté sur ses ailes.

2

Vous dites que la bonne chair, les vêtements riches et le luxe sont le bonheur. Moi, je crois que la plus grande félicité est de ne rien désirer, et, afin de se rapprocher de ce bonheur suprême, il faut, s'habituer à avoir besoin de peu.

SOCRATE.

3

Personne ne s'est jamais repenti d'avoir vécu trop simplement.

4

Ce qui arrive à l'estomac lorsqu'on le bourre jusqu'à l'indigestion, arrive quand il y a excès dans les distractions. Plus les hommes s'évertuent d'augmenter le plaisir de manger, en inventant des plats raffinés, plus l'estomac s'affaiblit et plus le plaisir d'absorber la nourriture diminue. Plus les gens s'efforcent à augmenter le plaisir des distractions par des jeux compliqués, plus leur faculté de goûter ce plaisir s'affaiblit.


CHAPITRE VIII

DE LA LUBRICITÉ

Le principe divin demeure dans tous les êtres humains, femmes et hommes. C'est donc un grand péché que de considérer les porteurs de ce principe comme un moyen de plaisir sensuel.

Pour l'homme, chaque femme doit être, avant tout, une sœur, et l'homme pour la femme, un frère.


I.—On doit tendre à la complète chasteté.

1

Il est bon de vivre honnêtement marié, mais il vaut mieux encore de ne jamais se marier. Peu de gens en sont capables. Mais celui qui le peut est heureux.

2

Les gens qui se marient lorsqu'ils peuvent s'en passer, agissent comme celui qui tombe sans avoir trébuché. Si l'on trébuche et que l'on tombe, il n'y a rien à y faire, mais si l'on n'a pas trébuché, pourquoi tomber exprès? Si tu peux vivre chaste, sans pécher, il est préférable de ne pas te marier.

3

C'est une erreur de croire que la chasteté est contraire à la nature humaine. La chasteté est possible et donne bien plus de bonheur qu'un mariage, même heureux.

4

Les excès de nourriture sont funestes à une vie honnête; mais les excès sexuels le sont plus encore. C'est pourquoi moins l'homme s'adonne aux uns et aux autres, mieux cela vaut pour sa vie spirituelle. La différence entre les uns et les autres est toutefois très sensible. En renonçant entièrement à la nourriture, l'homme ne peut prolonger sa vie, alors qu'en renonçant au besoin sexuel, il ne supprime ni sa vie, ni la vie de son espèce qui ne dépend pas de lui seul.

5

«Celui qui n'est pas marié, s'occupe des choses du Seigneur pour plaire au Seigneur. Mais celui qui est marié s'occupe des choses du monde pour plaire à sa femme. Il y a cette différence entre la femme mariée et la vierge, que celle qui n'est pas mariée s'occupe des choses du Seigneur pour être sainte de corps et d'esprit, tandis que celle qui est mariée s'occupe des choses du monde pour plaire à son mari.

I COR., 7, 33.

6

Si les gens se marient avec la conviction qu'ils servent ainsi Dieu et les hommes en prolongeant l'espèce humaine, ils s'abusent. Au lieu de se marier pour augmenter le nombre des enfants, ils feraient bien mieux de concourir au sauvetage de millions de petits êtres qui périssent de misère et manquent de soins.

7

Bien que très peu d'hommes puissent atteindre à une chasteté absolue, chacun doit comprendre et se rappeler qu'il peut toujours être plus chaste qu'il ne l'a été, et que plus l'homme se rapproche de la chasteté absolue, plus il sera heureux lui-même et pourra concourir au bonheur des autres.

8

On dit que si tous étaient chastes, le genre humain s'éteindrait. Or, suivant l'Eglise, la fin du monde doit arriver; de même suivant la science, la vie humaine et notre planète même doivent avoir une fin.

Pourquoi dès lors nous révolter à l'idée qu'une vie morale amènerait également le genre humain à sa fin?

En réalité, l'extinction ou la prolongation du genre humain ne doit pas nous préoccuper. Chacun de nous ne doit avoir qu'un souci: vivre honnêtement, ce qui, pour le désir sexuel, veut dire s'efforcer d'être aussi chaste que possible.

9

Un savant a calculé que si l'humanité continue à se doubler tous les 50 ans, suivant la progression actuelle, dans 7.000 ans un couple aura produit tant d'hommes qu'en les entassant l'un contre l'autre sur toute l'étendue du globe, une 27e partie seulement de tous les hommes pourrait s'y placer.

Pour éviter cette alternative, il n'y a qu'un moyen, celui indiqué par tous les sages de la terre et qui s'accorde avec les aspirations de l'âme humaine: la chasteté; il faut tendre à la plus grande chasteté réalisable.

10

«Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens (dit le Christ en citant les paroles de la loi de Moïse): tu ne commettras point d'adultère. Mais moi, je vous dis, que quiconque regarde une femme pour la convoiter, a déjà commis un adultère avec elle clans son cœur.» (MATTH., V, 27-28).

Ces paroles ne peuvent signifier autre chose que la possibilité pour l'homme d'aspirer à la chasteté absolue.

«Comment la réaliser? objectera-t-on. Si les hommes deviennent entièrement chastes, le genre humain disparaîtra.» Mais en parlant ainsi, on oublie qu'indiquer la perfection à laquelle l'homme doit tendre, ce n'est point exiger la perfection absolue. Il n'est pas donné à l'homme d'atteindre la perfection en aucune chose. La destinée de l'homme est dans la marche vers la perfection.


II.—Le péché de luxure.

1

Un homme non dépravé éprouve toujours du dégoût et de la honte à parler des rapports sexuels et à y penser. Garde ce sentiment. Ce n'est pas sans raison que ce sentiment est propre à l'homme. Il l'aide à se contenir de l'impudicité et à rester chaste.

2

On désigne par le même mot l'amour spirituel,—pour Dieu et son prochain,—et l'amour charnel de l'homme pour la femme et de la femme pour l'homme.

C'est une grande erreur. Il n'y a rien de commun entre ces sentiments. Le premier,—l'amour spirituel pour Dieu et son prochain—est la voix de Dieu; le second—l'amour entre homme et femme—est la voix de la bête.

3

La loi de Dieu consiste à aimer Dieu et son prochain, c'est-à-dire, tous les hommes sans distinction. Dans l'amour sexuel, l'homme aime une femme plus que tous et la femme n'aime qu'un seul homme. Il s'ensuit le plus souvent que l'amour sexuel empêche l'homme d'observer la loi divine.


III.—Malheurs provoqués par la licence sexuelle.

1

Tant que tu n'as pas exterminé dans sa racine le désir sexuel que tu éprouves pour une femme, ton esprit sera lié aux choses de la terre, comme le veau-têtard est lié à sa mère.

Les gens pris de désir s'agitent comme un lièvre pris dans un piège. Dès qu'ils sont pris dans les filets de la passion charnelle, ils restent longtemps sans pouvoir se débarrasser des souffrances.

Sagesse bouddhiste.

2

Le papillon de nuit vole vers la lumière parce qu'il ne sait pas qu'il se brûlera les ailes; le poisson avale l'amorce parce qu'il ne sait pas que cela le fera périr. Mais nous savons que le désir sexuel nous engluera, nous fera sûrement périr; malgré cela, nous nous y abandonnons.

3

De même que les feux follets des marécages conduisent les hommes aux fondrières, puis disparaissent; les plaisirs sexuels illusionnent l'homme.

Il s'égare, empoisonne son existence et, lorsqu'il se dégrise, il n'aperçoit même plus le mirage auquel il avait sacrifié une partie de sa vie.

D'après SCHOPENHAUER.


IV.—Altitude criminelle des conducteurs d'âmes dans la question sexuelle.

1

Pour bien comprendre toute l'immoralité, tout esprit anti-chrétien de la vie des peuples chrétiens, il suffit de se rappeler que la situation des femmes qui vivent du vice est reconnue et réglementée dans tous les pays.

2

Les gens riches se sont fait une conviction partagée par la fausse science, suivant laquelle les rapports sexuels seraient indispensables; seulement, le mariage n'étant pas toujours possible, les rapports sexuels n'engageraient à rien, sauf à les payer, et seraient absolument naturels. Cette conviction est devenue tellement générale et inébranlable que les parents, sur les conseils d'un médecin, organisent la débauche pour leurs enfants, et les institutions dont le seul but est de s'occuper du bien-être des citoyens, autorisent l'existence d'une classe de femmes qui doivent périr moralement et physiquement, pour satisfaire à la dépravation de l'homme.

3

Parler de l'utilité ou de la nocivité des rapports sexuels, reviendrait à demander s'il est utile ou nuisible de boire le sangd'autrui.


V.—Lutte contre le péché sexuel.

1

L'homme, comme l'animal, est obligé de lutter contre les autres êtres et se reproduire pour assurer l'existence de son espèce. Mais, créature douée de raison et d'amour, l'homme ne doit pas lutter contre les autres êtres et ne doit pas penser à se reproduire; il doit rester chaste. De la combinaison de ces deux aspirations contraires résulte la vie humaine telle qu'elle doit l'être.

2

La lutte contre le désir sexuel est la lutte la plus difficile, et il n'y a pas de situation ni d'âge, excepté l'enfance et la profonde vieillesse, où l'homme en est libéré. C'est pourquoi tout adulte, homme ou femme, doit surveiller l'ennemi qui n'attend qu'une occasion propice pour attaquer.

3

De même que nous devons prendre sur les animaux l'exemple de tempérance dans la nourriture: ne manger que lorsqu'on a faim et sans en abuser, nous devons les imiter dans nos rapports sexuels: s'abstenir comme eux jusqu'à l'âge de puberté, ne s'y adonner que lorsqu'on y est irrésistiblement attiré et s'abstenir encore dès que la conception se manifeste.


VI.—Le Mariage.

1

Il est bon à l'homme de ne point toucher la femme. Mais, pour ne pas commettre d'adultère, que chacun ait sa femme et que chaque femme ait son mari.

I COR., VII, 1-2.

2

La doctrine chrétienne ne donne pas les mêmes règles pour tout et pour tous; elle ne fait qu'indiquer la perfection vers laquelle il faut tendre. Il en est ainsi pour la question sexuelle: la perfection, c'est la chasteté absolue. Tout effort vers la chasteté absolue constitue une observation plus ou moins grande dé la doctrine.

3

Pour toucher une cible, il faut viser plus loin. De même pour que le mariage soit indissoluble et les deux époux fidèles l'un à l'autre, il faut que tous deux tendent à la chasteté.

4

Si l'homme cherche le plaisir dans les rapports sexuels, même entre époux, ainsi que cela arrive parmi nous, il tombera sûrement dans le vice.

5

La cohabitation entre homme et femme ayant des enfants pour résultat est le mariage réel; toutes les cérémonies extérieures ne font pas le mariage, mais ne s'emploient que pour reconnaître comme mariage une seule union entre beaucoup d'autres.

6

La véritable doctrine chrétienne ne contient aucune allusion à l'institution du mariage. Aussi, les chrétiens de notre temps qui s'en aperçoivent, mais ne voient pas l'idéal du Christ (qui est la chasteté absolue) parce qu'il leur est voilé par l'Eglise, demeurent, quant au mariage, sans aucune règle de conduite. C'est à cela que tient le fait, étrange au premier abord, que chez les peuples professant des doctrines bien moins élevées que le christianisme, mais possédant une définition exacte du mariage, l'esprit de famille, la fidélité conjugale sont bien plus développés que chez les soi-disant chrétiens.

Les peuples qui professent des doctrines inférieures au christianisme admettent le concubinage, la polygamie et la polyandrie dans certaines limites, mais ils évitent en revanche la dépravation qui se révèle par le concubinage, la polygamie et la polyandrie qui régnent parmi les chrétiens et sont masqués par la monogamie apparente.

7

Pour que le mariage soit un acte sage et moral, il faut:

Primo: Ne pas penser que chaque homme ou chaque femme doit absolument se marier, mais se dire, au contraire, qu'il est préférable de rester pur pour que rien ne nous empêche de consacrer toutes nos forces à servir Dieu.

Secundo: Considérer les rapports sexuels comme un mariage indissoluble. (MATTH., XIX, 4-7).

Tertio: Ne pas considérer le mariage comme un encouragement à la satisfaction des désirs charnels, mais comme un péché qui doit être expié par l'accomplissement des devoirs de famille.


VII—Les enfants servent à l'expiation du péché mortel.

1

Si les hommes pouvaient atteindre la perfection et devenir chastes, le genre humain s'éteindrait et n'aurait plus de raison d'exister sur la terre, parce que les hommes seraient devenus pareils aux anges qui ne se marient pas, comme il est dit dans l'Evangile. Mais tant que les hommes ne sont pas arrivés à la perfection, ils doivent produire leur progéniture pour qu'en se perfectionnant, la postérité puisse atteindre à la perfection à laquelle l'homme tend.

2

Le mariage, le vrai mariage qui a pour mission la production et l'éducation des enfants, est un moyen indirect de servir Dieu par les enfants. «Si je n'ai pas fait ce que je pouvais et devais faire, mes enfants le feront.»

C'est pourquoi les gens qui se marient éprouvent toujours un certain apaisement. Ils ont le sentiment de la possibilité de transmettre une partie de leurs obligations à leurs enfants à venir. Mais ce sentiment n'est légitime qu'au cas où les époux élèvent leurs enfants de façon qu'ils ne soient pas une entrave à l'œuvre divine, mais ses ouvriers. La conviction que si je n'ai pas pu me consacrer entièrement au service de Dieu, je ferai tout mon possible pour que mes enfants le fassent—cette conviction donne un sens moral au mariage ainsi qu'à l'éducation des enfants.

3

Bénie soit l'enfance qui, au milieu des cruautés de la terre, laisse entrevoir un peu de ciel! Les 80.000 naissances quotidiennes dont parle la statistique, constituent le débordement d'innocence et de fraîcheur, luttant non seulement contre l'extinction de l'espèce, mais encore contre la corruption humaine et contre une infection générale par le vice. Tous les bons sentiments éveillés par le berceau et l'enfance sont un des mystères de la grande Providence; supprimez cette rosée vivifiante, et la rafale des passions égoïstes séchera, comme par le feu, la société humaine.

Si l'humanité se composait d'un milliard d'êtres immortels, dont le nombre ne pourrait ni augmenter ni diminuer, où serions-nous et que serions-nous, Grand Dieu! Nous serions incontestablement mille fois plus savants, mais aussi mille fois plus mauvais.

Bénie soit l'enfance pour le bonheur qu'elle donne elle-même, pour le bien qu'elle fait sans le savoir et sans le vouloir en obligeant, en permettant de l'aimer! Ce n'est que grâce à elle que nous apercevons une parcelle de paradis sur terre. Bénie soit également la mort! Les anges n'ont pas besoin de naître, ni de mourir pour vivre; mais, pour les hommes, l'un et l'autre sont nécessaires, indispensables.

AMIEL.

5

Les gens riches, qui considèrent les enfants comme une entrave au plaisir, un accident malheureux ou une sorte de jouissance quand il en naît un nombre fixé à l'avance, ne les élèvent pas en vue de la mission humaine qu'ils auront à accomplir en tant qu'êtres intelligents et affectueux, mais en vue des plaisirs qu'ils peuvent donner à leurs parents. Les enfants de tels parents sont, pour la plupart, entourés de soins en vue de les rendre propres, blancs, rassasiés, beaux, et, par conséquent, douillets et sensuels.

Les costumes, les lectures, les spectacles, la musique, la danse, la bonne chair, tout l'arrangement de leur existence, depuis les images sur les boîtes, jusqu'aux romans, nouvelles et poèmes, ne fait qu'exciter leur sensualité, ce qui suscite chez les enfants des classes aisées les plus bas vices et les maladies sexuelles.


CHAPITRE IX

DE L'OISIVETÉ

Il est injuste de demander aux hommes plus de travail qu'on ne peut leur en donner soi-même. Mais comme on ne saurait peser si on donne aux autres plus qu'on ne leur demande, qu'en outre, on peut à tout moment faiblir ou tomber malade et qu'on devra alors prendre sans donner, on doit, tant qu'on a des forces, tâcher de travailler pour les autres le plus possible et leur demander le moins de travail possible.


I.—L'homme commet un grand pèché s'il profite du travail d'autrui sans travailler lui-même.

1

Celui qui ne veut pas travailler n'a pas le droit de manger.

Apôtre PAUL.

2

En te servant de n'importe quel objet, souviens-toi que c'est le produit du travail humain et que, lorsque tu dépenses, supprimes ou abîmes cet objet, tu dépenses le travail et parfois la vie humaine.

3

Celui qui ne se nourrit pas de son propre travail et fait travailler les autres pour soi est un cannibal.

Sagesse orientale.

4

Toute la morale chrétienne en son application pratique se réduit à considérer tous les hommes comme des frères, à être l'égal de tous; et pour arriver à cela, il faut, avant tout, cesser de faire travailler les autres pour soi et, dans l'organisation sociale actuelle, profiter le moins possible du produit du travail des autres, de tout ce qui s'acquiert pour de l'argent, dépenser le moins d'argent et vivre le plus simplement possible.

5

Ne fais pas faire aux autres ce que tu peux faire toi-même. Que chacun balaye devant sa porte. Si chacun agit ainsi, toute la rue sera propre.

6

Quelle est la meilleure nourriture? Celle que vous avez gagnée vous-même.

MAHOMET.

7

Il est très utile pour les gens riches d'abandonner pour un certain temps leur vie luxueuse et de vivre, ne serait-ce que quelques jours, comme les ouvriers, en faisant soi-même tout ce que les salariés font chez les gens riches; si le riche faisait ainsi, il verrait le grand péché qu'il commet en faisant travailler les autres.

8

Ceux qui vivent dans le luxe ne peuvent pas aimer les hommes. Ils ne le peuvent pas, parce que tout ce dont ils se servent est fait à contre-cœur, par nécessité, souvent avec des malédictions, par ceux qu'ils forcent à les servir. Pour que ces gens-là puissent aimer leurs prochains, ils doivent tout d'abord cesser de les tourmenter.


II.—La loi du travail n'est pas pénible, mais agréable à accomplir.

1

Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front. C'est une loi immuable. De même que la femme obéit à la loi de l'enfantement dans la souffrance, l'homme doit obéir à la loi dure du travail. La femme ne peut se libérer de son sort. Si elle adopte un enfant qui n'est pas né d'elle, ce sera, malgré tout, un étranger et elle sera privée des joies de la maternité. Il en est de même pour le travail des hommes. Lorsqu'un homme mange le pain qu'il n'a pas gagné, il se prive des joies du travail.

BONDAREV [1].

2

L'homme craint la mort à laquelle il est soumis. L'homme qui ne connaît ni le bien ni le mal semble plus heureux, mais il est irrésistiblement attiré à les connaître.

L'homme aime l'oisiveté et la satisfaction des désirs sans souffrances, mais ce n'est que le travail et les souffrances qui lui donnent la vie, à lui et à toute son espèce.

3

C'est une grande erreur que de supposer que les hommes peuvent avoir une vie spirituelle élevée, alors que leur corps demeure dans le luxe et l'oisiveté. Le corps est toujours le premier élève de l'âme.

THOREAU.

4

Si l'homme vit seul et se dispense de la loi du travail, il en est immédiatement puni par le fait que son corps s'anémie et s'affaiblit. Si l'homme vit dans l'oisiveté et force les autres à travailler pour lui, il s'en trouve immédiatement puni par ce fait que son âme s'obscurcit et s'abaisse.

5

L'homme vit d'une vie spirituelle et d'une vie matérielle. Il y a une loi pour la vie spirituelle et une autre pour la vie matérielle. La loi de la vie matérielle, c'est le travail, et la loi de la vie spirituelle, c'est l'amour. Si l'homme déroge à la loi matérielle, celle du travail, il dérogera inévitablement à la loi spirituelle, celle de l'Amour.

6

Bien que les habits offerts par le roi soient magnifiques, ceux qu'on se fait soi-même sont meilleurs: bien que la nourriture des riches soit bonne, le pain que l'on gagne soi-même est le meilleur plat.

SAADI.

7

La puissance divine égalise les hommes: elle prend à ceux qui ont beaucoup et donne à ceux qui ont peu. L'homme riche a plus de choses, mais elles lui donnent moins de plaisir. Le pauvre a moins de choses, mais plus de plaisir. L'eau puisée à la source et une croûte de pain semblent bien meilleures au pauvre travailleur, que les mets et les boissons les plus chers le paraissent à l'oisif. Le riche blasé ne trouve plus goût à rien. Pour le travailleur, la nourriture, la boisson et le repos sont chaque fois un plaisir nouveau.

8

L'enfer est caché par les plaisirs, le paradis par le travail et les malheurs.

MAHOMET.

9

Sans travail manuel, il n'y a pas de corps sain, il n'y a pas non plus de pensées saines.

10

Si tu veux toujours être de bonne humeur, travaille jusqu'à la fatigue, mais non pas au-dessus de tes forces. L'oisiveté rend les gens mécontents et méchants. Il en est de même lorsqu'on travaille trop.

11

La meilleure et la plus pure joie est celle du repos après le travail.

KANT.


III.—Le meilleur travail est le travail agricole.

1

Tous les hommes reconnaîtront avec le temps la vérité comprise depuis longtemps par les grands esprits de tous les peuples; la plus grande vertu de l'humanité consiste dans la soumission aux lois de l'Être suprême. «Tu es cendre et tu redeviendras cendre». C'est la première loi que nous apprenons sur notre vie; la deuxième loi commande la culture de la terre dont nous sommes issus et à laquelle nous retournerons. C'est en cultivant cette terre avec l'amour pour des bêtes et des plantes que cette culture exige, que l'homme comprend et vit le mieux sa vie.

J. RUSKIN.

2

L'agriculture n'est pas l'une des occupations propres à l'homme. L'agriculture est une occupation propre à tous les hommes; ce travail leur donne le plus de liberté et le plus d'honneur.

3

La terre dit à celui qui ne la cultive pas: parce que tu ne me travailles pas de la main droite et de la main gauche, tu resteras éternellement à la porte des hommes avec tous les autres quémandeurs; tu n'auras jamais que les restes des riches.

ZOROASTRE.

4

La vie des hommes de notre temps est organisée de façon que la plus grande rémunération est obtenue pour un travail vain et inutile: dans les confiseries, les fabriques de tabacs, les pharmacies, les banques, le commerce, la littérature, la musique, etc.; et l'on paie bien moins le travail agricole. Si l'on attache de l'importance à la rémunération pécuniaire, cet état de choses est très injuste. Mais si l'on envisage principalement la joie du travail, son influence sur la santé corporelle et ses attraits naturels, c'est très juste.

5

Le travail manuel, le travail agricole surtout, est utile non seulement au corps, mais encore à l'âme. Les gens qui ne travaillent pas de leurs mains, éprouvent des difficultés à comprendre sainement les choses. Ils ne cessent de penser, de parler, d'écouter ou de lire. L'esprit n'a pas de repos, il s'irrite et s'embrouille. Le travail agricole est utile, parce qu'en outre du repos qu'il offre à l'homme, il lui permet d'envisager sainement, simplement et clairement la situation de l'homme dans la vie.

6

J'aime les paysans. Ils ne sont pas assez instruits pour raisonner faussement.

MONTAIGNE.


IV.—Ce qu'on appelle la division du travail, n'est qu'une excuse de l'oisiveté.

1

Ces derniers temps on parle beaucoup d'une des raisons principales du succès obtenu par les hommes dans la production et la division du travail. Nous disons: division du travail; mais cette expression n'est pas juste. Dans notre société, ce n'est pas le travail qui est divisé, mais les hommes; ils sont divisés, réduits en petites parcelles d'homme. A la fabrique, un homme ne fait qu'une infime partie de l'objet; de sorte que la partie d'initiative laissée à l'homme ne suffit pas pour faire toute une épingle ou tout un clou; il s'épuise à faire un bout d'épingle ou la tête d'un clou. C'est vrai qu'il serait bon et désirable de fabriquer un grand nombre d'épingles par jour; mais si nous pouvions voir seulement de quel sable nous les frottons, nous aurions réfléchi que ce n'est pas avantageux, pour cette raison que nous les frottons avec le sable de l'âme humaine.

On peut tourmenter les hommes, les mettre aux fers, les atteler comme des bêtes, les tuer comme des mouches en été, et cependant, dans un sens, dans le meilleur, ces hommes peuvent rester libres. Mais écraser leurs âmes immortelles, les étrangler et transformer les gens en machines—c'est la vraie servitude. Seule cette humiliation, cette transformation des hommes en machines force les ouvriers à lutter désespérément et inutilement pour leur liberté dont ils ne conçoivent pas le sens eux-mêmes. Leur animosité n'est pas provoquée par la faim, ni par les atteintes à l'amour propre (ces deux causes ont toujours produit leur effet, mais les bases de la société n'ont jamais été aussi ébranlée que maintenant). Cela ne tient pas à ce que les ouvriers se nourrissent mal, mais à ce qu'ils n'ont pas de plaisir au travail par lequel ils gagnent leur pain; ce qui fait qu'ils considèrent la richesse comme l'unique moyen de plaisir. Ils souffrent moins du mépris que leur témoignent les classes impérieuses que du mépris qu'ils ont pour eux-mêmes, parce que le travail auquel ils sont condamnés les humilie, les déprave, les amoindrit. Jamais plus qu'aujourd'hui les classes supérieures n'ont témoigné autant de sympathie et d'affection pour les classes inférieures, et, cependant, elles n'ont jamais été autant méprisées par celles-ci.

JOHN RUSKIN.

2

L'homme, comme l'animal, doit besogner, employer ses mains et ses pieds. Il peut forcer les autres à faire ce qui lui est nécessaire, mais il devra quand même dépenser à quelque chose ses forces corporelles. S'il ne travaille pas à des choses utiles, raisonnables, il travaillera à des choses inutiles et stupides. C'est ce qui se produit, en effet, parmi les classes aisées.

3

Les classes oisives excusent leur fainéantise par ce qu'elles s'occupent des arts et des sciences nécessaires au peuple. Ces gens se chargent d'en fournir à ceux qui travaillent; malheureusement, ce qu'ils apportent au peuple en fait de science et d'art, est une fausse science et un faux art. Aussi, au lieu de récompenser le peuple de son travail, la science et l'art qu'on lui offre ne font que le tromper et le dépraver.

4

Un Européen vantait devant un Chinois les avantages de la production mécanique: «Elle libère l'homme du travail» disait l'Européen. «La libération du travail serait un grand malheur, répondit le Chinois. Sans travail il n'y a pas de bonheur possible.»

5

L'homme ne peut acquérir la richesse que par trois moyens: le travail, la mendicité et le vol. Ceux qui peinent gagnent peu, justement parce qu'une trop grande part revient aux mendiants et aux voleurs.

HENRY GEORGE.


V.—Les occupations des gens qui se sont libérés de la loi du travail sont toujours vaines et inutiles.

1

De même qu'un cheval tournant une roue inclinée ne peut pas s'arrêter et doit toujours avancer, l'homme ne peut pas rester oisif. Par conséquent, un homme qui travaille a tout autant de mérite qu'un cheval monté sur une roue et qui remue les jambes. L'important n'est pas dans le fait que l'homme travaille, mais à quoi il travaille.

2

Ceux qui se sont dispensés du travail manuel peuvent être intelligents, mais rarement raisonnables. Si l'on écrit, imprime et enseignelant de futilités dans nos écoles, si notre littérature, notre musique, nos tableaux sont si subtils, si peu compréhensibles pour tous, c'est parce que tous ceux qui s'en occupent se sont libérés du travail manuel et mènent une vie oisive.

D'après EMERSON.

3

Les hommes cherchent le plaisir d'un côté et d'autre parce qu'ils sentent le vide de leur existence, mais ne sentent pas encore le vide du nouveau plaisir qui les attire.

PASCAL.

4

Personne n'a encore calculé les millions de journées de dur travail et, peut-être des milliers de vies qui se dépensent à préparer les distractions. C'est pour cette raison que les distractions de notre monde ne sont pas joyeuses.


VI.—Le mal de l'oisiveté.

1

On ne peut avoir honte d'aucun travail même du plus malpropre; seule l'oisiveté doit faire honte.

2

Les gens oisifs et riches n'ont qu'un souci—c'est de tirer orgueil de leur luxe. Ils sentent que, sans cela, tous les mépriseraient comme ils le méritent.

3

Honte à l'homme à qui l'on doit conseiller de prendre sur la fourmi l'exemple de l'amour pour le travail. Doublement honteux à lui quand il ne suit pas ce conseil.

Le Talmud.

4

L'oisiveté devrait figurer parmi les tourments de l'enfer, et c'est elle qui se trouve placée parmi les joies du paradis.

MONTAIGNE.

5

Celui qui ne fait rien a toujours de nombreux aides.

6

Ne fais jamais faire par les autres ce que tu peux faire toi-même.

7

Le doute, la tristesse, l'abattement, l'indignation, le désespoir, tous ces démons veillent sur l'homme, et dès qu'il mène une vie oisive, ils l'attaquent. Le moyen le plus sûr de se protéger contre ces démons, c'est un travail corporel assidu. Dès que l'homme se met à cette besogne, aucun démon n'ose plus l'approcher et ne fait que grogner de loin.

CARLYLE.

8

Le démon, lorsqu'il pèche les hommes à la ligne, se sert de différentes amorces. Mais l'homme oisif n'a pas besoin d'amorce, il se fait prendre sans amorce.

9

Il est préférable de prendre une corde, d'aller chercher du bois dans la forêt et de le vendre pour acheter du pain que de demander aux gens de vous en donner. Si l'on vous refuse, vous en aurez du dépit; si on vous le donne ce sera pis encore: vous aurez honte.

MAHOMET.

10

Il y avait une fois deux frères; l'un travaillait chez un seigneur, l'autre vivait du travail de ses mains. Le frère riche dit un jour au pauvre:

—Pourquoi ne vas-tu pas travailler chez le seigneur? Tu ne connaîtrais pas de besogne pénible.

A cela le pauvre répliqua:

—Pourquoi ne travailles-tu pas? Tu ne connaîtrais pas d'humiliation ni de servitude.

Les sages disent qu'il est préférable de manger tranquillement le pain qu'on a gagné, que de porter une écharpe d'or et d'être le serviteur d'un autre. Il est préférable de pétrir la chaux et l'argile de ses mains, que de joindre ses mains sur la poitrine en signe d'humilité.

SAADI.

11

Ne pas rester à la porte des riches et ne pas parler d'une voix de quémandeur—c'est la meilleure vie. Et, afin que cela n'arrive pas, il ne faut pas craindre le travail.

HOTOPADEZÉ hindou.

12

Si tu ne veux pas travailler, humilie-toi, ou opprime les autres.

13

L'aumône d'une pauvre veuve est égale aux plus riches dons, avec cette différence qu'elle est la vraie charité.

Seuls les pauvres qui travaillent peuvent avoir la joie de la charité. Les riches, les oisifs, en sont privés.


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