La Pensée de l'Humanité: Dernière oeuvre de L. Tolstoï
[1] Paysan russe, auteur d'un ouvrage sur la loi du travail. Tolstoï a connu l'auteur et commenté son ouvrage. (N. du trad.)
CHAPITRE X
DE LA CUPIDITÉ
Le péché de cupidité est dans l'accumulation d'une quantité toujours grandissante d'objets ou d'argent nécessaires aux autres hommes, et de garder ces objets ou cet argent afin de jouir à sa guise du travail d'autrui.
I—Le péché du riche.
1
Dans notre société, un homme ne peut pas dormir sans payer sa place. L'air, l'eau, la lumière du soleil ne lui appartiennent que sur la grand'route.... L'unique droit reconnu chez nous, c'est de marcher sur cette grand'route jusqu'à ce que l'on commence à chanceler de fatigue, parce qu'on ne peut s'arrêter et que l'on doit marcher toujours.
GRANT ALLEN [1].
2
Dix hommes bons s'étendent et dorment paisiblement sur le même feutre, mais deux riches ne peuvent pas vivre en paix dans dix chambres. Si un homme de cœur trouve une miche de pain, il en donne la moitié à celui qui a faim. Mais lorsqu'un conquérant conquiert une partie du monde, il ne se tranquillise pas tant qu'il n'en n'a pas pris une autre partie encore.
3
Les riches ont quinze chambres pour trois personnes, et il ne peuvent pas laisser un mendiant se chauffer et coucher chez eux.
Le paysan a une chaumière de sept mètres pour sept personnes; mais il laisse volontiers entrer un voyageur en disant: «Dieu nous ordonne de partager».
4
Les riches et les pauvres se complètent les uns les autres. Quand il y a des riches, il y a et il doit y avoir des pauvres. Quand existe le luxe effréné, existe et doit exister l'affreuse misère qui force ceux qui n'ont rien à être au service du luxe.
Le Christ aimait les pauvres et s'éloignait des riches.
Dans le royaume de vérité qu'Il prêchait, les riches et les pauvres seraient également impossibles.
HENRY GEORGE.
5
Le vagabond est le complément indispensable du millionnaire.
HENRY GEORGE.
6
Les plaisirs des riches sont obtenus par les larmes des pauvres.
7
Lorsque les riches parlent du bonheur social, je ne doute pas qu'ils forment sous ce prétexte un complot en vue d'assurer leurs intérêts.
THOMAS MORE.
8
Les honnêtes gens ne sont jamais riches. Les gens riches ne sont jamais honnêtes.
LAO-TSEU.
9
«Ne vole pas un pauvre parce qu'il est pauvre,» dit Salomon. Pourtant, ce pillage du pauvre parce qu'il est pauvre est une chose très ordinaire: le riche profite toujours de la misère du pauvre pour le forcer à travailler pour lui, ou bien pour lui acheter ses produits à vil prix.
On dévalise rarement les riches sur les grand'routes, parce qu'il est dangereux de voler un riche, alors qu'on peut dévaliser un pauvre sans aucun risque.
D'après JOHN RUSKIN.
10
Les gens qui appartiennent aux classes ouvrières tâchent le plus souvent de passer dans la classe des gens aisés qui vivent du travail d'autrui. Ils appellent ça se joindre aux bonnes gens, alors qu'il faudrait dire quitter les bonnes gens pour les méchants.
La richesse est un grand péché devant Dieu, la pauvreté l'est devant les hommes.
Proverbe russe.
II.—-L'homme et la terre.
1
Etant issu de la terre, la terre m'est donnée pour que j'y prenne tout ce qu'il me faut pour cultiver et ensemencer, et j'ai le droit de réclamer ma part.
Montrez-moi donc où elle est.
EMERSON.
2
La terre est notre mère à tous; elle nous nourrit, nous donne asile, nous réjouit et nous chauffe; depuis notre naissance et jusqu'au moment où nous nous endormons du dernier sommeil sur son cœur de mère, elle nous caresse constamment de son étreinte affectueuse.
Et voici que les gens parlent de sa vente; et elle présente, en effet, à notre époque vénale, un article de négoce, elle est vendue et achetée.
Mais la vente de la terre créée par le Créateur céleste est une énorme ineptie. La terre ne peut appartenir qu'au Dieu tout-puissant et à tous les fils des hommes qui la travaillent, de même qu'à ceux qui la travailleront dans l'avenir.
Elle est la propriété non seulement d'une seule génération, mais de toutes les générations passées, futures et présentes qui la travaillent.
style="margin-left: 70%; font-size: 0.8em;"CARLYLE.
3
Nous occupons une île sur laquelle nous vivons des produits de nos mains. Un marin naufragé est rejeté sur notre côte. A-t-il le même droit naturel que nous d'occuper sur les mêmes bases que nous, une parcelle de terre pour s'y nourrir de son travail? Il semblerait que ce droit est incontestable. Et cependant, combien d'hommes naissent sur notre planète auxquels les gens qui y vivent refusent ce droit.
DE LAVELEYE.
III.—Les conséquences nuisibles de la richesse.
1
Les hommes se plaignent d'être pauvres et s'efforcent, par tous les moyens, d'arriver à la richesse; cependant, la misère et la pauvreté donnent aux gens la fermeté et la force, alors que les excès et le luxe les affaiblissent et les amènent à leur perte.
Les pauvres ont tort de vouloir échanger l'indigence utile au corps et à l'âme contre la richesse qui est nuisible au corps et à l'âme.
2
Si le pauvre a des peines, le riche en a doublement.
3
Le riche est malheureux; d'abord, parce qu'il craint toujours pour ses richesses, ensuite, parce que plus il a de biens, plus il a de soucis et d'affaires. Mais il est surtout malheureux parce qu'il ne peut se lier qu'avec des riches comme lui, qui sont peu nombreux, et non avec les pauvres qui sont la majorité. S'il se lie avec un pauvre, il voit trop nettement son péché, et il ne peut pas ne pas en avoir honte.
4
La richesse a l'or, la pauvreté a la joie.
Proverbe.
5
La richesse habitue les gens à l'orgueil, à la cruauté, à l'ignorance présomptueuse et à la débauche.
6
Seul un homme riche peut être insensible et indifférent au malheur d'autrui.
Le Talmud.
7
La misère assagit, la richesse abêtit. Les chiens eux-mêmes deviennent enragés à force de trop bien manger.
Proverbe russe.
8
Celui qui est charitable n'est jamais riche. Le riche n'est sûrement pas charitable.
Proverbe mandchourien.
9
Les gens cherchent la richesse; s'ils savaient seulement combien ils perdent de bonté en gagnant l'opulence et en vivant au milieu d'elle, ils auraient cherché à s'en débarrasser avec le même zèle qu'ils mettent à l'acquérir.
10
Le moment est proche où les hommes cesseront de croire que la richesse donne le bonheur et comprendront, enfin, la simple vérité qu'en gagnant et en conservant leur richesse, ils rendent plus malheureuse et non meilleure l'existence des autres et la leur.
IV.—On ne doit pas envier la richesse, mais en avoir honte.
1
Il ne faut pas respecter et envier les riches, mais les plaindre et s'éloigner d'eux. Quant au riche, il ne doit pas être fier de ses biens, mais honteux.
2
Si le pauvre envie le riche, il ne vaut pas mieux que lui.
3
L'orgueil des riches est mauvais, mais l'envie des pauvres n'est pas moins mauvaise. Combien il y a de pauvres qui, tout en blâmant les riches, agissent de même qu'eux envers ceux qui sont plus pauvres qu'eux-mêmes!
V.—L'excuse de la richesse.
1
Si tu as des revenus sans travailler, il y a sûrement quelqu'un qui travaille sans être payé.
2
Seul celui qui est sûr de n'être pas un homme comme tous les autres, mais meilleur qu'eux, peut posséder des richesses au milieu des pauvres et avoir la conscience tranquille. Seule la pensée qu'il est meilleur que les autres peut justifier un tel homme à ses propres yeux. Et, chose extraordinaire, la possession des richesses, qui devrait rendre un tel homme honteux, est pour lui la principale justification de sa supériorité sur les autres hommes. «Je jouis de la richesse parce que je suis meilleur que les autres. Et je suis meilleur que les autres parce que je jouis de la richesse,» se dit-il.
3
Rien ne prouve aussi clairement la fausseté de la religion professée parmi nous que ce fait que les hommes qui se considèrent comme chrétiens peuvent non seulement jouir de leurs richesses, au milieu des pauvres, mais encore en être fiers.
4
L'une des erreurs les plus fréquentes et les plus significatives que les hommes commettent, est de croire comme bon ce qu'ils aiment. Ils aiment la richesse, et bien que le mal de la richesse soit évident, ils se persuadent que la richesse est bonne.
5
Est-ce que Dieu a donné quelque chose à l'un, sans le donner à l'autre? Est-ce que notre Père commun a exclu l'un de ses enfants? Vous qui exigez le droit exclusif de profiter de ses dons, montrez le testament par lequel il aurait privé les autres frères de son héritage.
LAMENNAIS.
6
Il semblerait que, connaissant l'affreuse misère des ouvriers qui meurent de privations et d'excès de travail (et il est impossible de ne pas le savoir), les gens riches, qui profitent de ce travail homicide, seraient forcés de s'en émouvoir. Cependant, ces gens riches, libéraux, humanitaires, très sensibles non seulement aux souffrances des hommes, mais à celles des bêtes, cherchent à s'enrichir davantage, c'est-à-dire à profiter de plus en plus du travail des autres et le font en toute sérénité.
Cette sérénité des riches est due à l'intervention d'une nouvelle science dénommée économie politique, qui a posé des lois en vertu desquelles la répartition du travail et la jouissance de ses produits dépendent de l'offre et de la demande, du capital, de la rente, du taux des salaires, des bénéfices, etc.
Il a été écrit sur ce thème, en peu de temps, un nombre incalculable de traités, de brochures; il a été fait des cours et des conférences, et on en écrit et on conférencie encore à l'infini.
Bien que la plupart des gens ignorent les détails de ces explications rassurantes de la science, ils savent quand même que cette explication existe, que les savants, des gens subtils, ne cessent de démontrer que l'ordre de choses actuel est tel qu'il doit être, et que l'on peut se laisser vivre tranquillement dans cet état de choses, sans essayer de le modifier.
Ce n'est qu'ainsi qu'on peut expliquer l'aveuglement surprenant dans lequel se trouvent les hommes sensibles de notre société, qui plaignent sincèrement, les animaux, mais qui, la conscience tranquille, s'attaquent à la vie de leurs semblables.
VI.—Pour atteindre le bonheur, l'homme ne doit pas se soucier de l'accroissement de son avoir, mais de l'amour qui est en lui.
1
Gagne une richesse que personne ne pourra te prendre, qu'elle te reste même après la mort et qu'elle ne diminue ni ne tarisse jamais. Cette richesse—c'est ton âme.
Proverbe hindou.
2
Les gens se soucient mille fois plus d'augmenter leurs richesses que de développer leur raison. Pourtant chacun devrait comprendre qu'il vaut bien mieux pour son bonheur conserver ce qui est en lui que ce qui est chez lui.
D'après SCHOPENHAUER.
3
Et il leur dit celte parabole: «Les terres d'un riche donnèrent, une abondante récolte; et ce riche se demanda: Que ferai-je? Je n'ai pas assez de place pour serrer ma récolte. Voici, dit-il, ce que je ferai: j'abatterai mes greniers, j'en bâtirai de plus grands, et j'y amasserai toute ma récolte et tous mes biens. Puis je dirai à mon âme: Mon âme, tu as beaucoup de biens en réserve pour plusieurs années; repose-toi, mange, bois et réjouis-toi. Mais Dieu lui dit: Insensé, celte nuit même ton âme te sera prise, et ce que tu as amassé, à qui cela appartiendra-t-il?
Luc, XII, 16-20.
4
Pourquoi l'homme voudrait-il être riche? Pourquoi lui faut-il des chevaux de race, de riches habits, de magnifiques chambres, des droits d'entrée dans les lieux de distractions?
Parce qu'il manque de vie spirituelle.
Donnez à cet nomme une vie spirituelle, et il n'aura besoin de rien.
EMERSON.
5
De même qu'un vêtement riche embarrasse les mouvements du corps, la richesse entrave les mouvements de l'âme.
VII.—La lutte contre de péché de cupidité.
1
Celui qui possède moins qu'il ne veut avoir doit se souvenir qu'il a plus qu'il ne mérite.
LICHTENBERG.
2
On peut éviter la misère par deux moyens: augmenter son avoir, ou bien apprendre à se contenter de peu. Augmenter les richesses n'est pas toujours possible, et c'est presque toujours malhonnête; tandis que diminuer nos caprices est toujours en notre pouvoir et est salutaire à notre âme.
3
Le pire voleur n'est pas celui qui a pris ce qui lui est nécessaire, mais bien celui qui garde sans en donner aux autres ce dont il n'a pas besoin.
4
«Celui qui aurait des biens de ce monde et qui, voyant son frère dans le besoin, lui fermerait son cœur, comment l'amour de Dieu demeurerait-il en lui? Mes enfants, n'aimons pas en paroles, mais en actes et par la vérité!» I. JEAN, III, 17-18.
Pour qu'un riche n'aime pas en paroles mais en actes et par la vérité il doit donner à celui qui demande, ainsi que l'a dit le Christ. Et si l'on donne à celui qui demande, toute richesse s'épuise bientôt. Et dès que l'homme cesse d'être riche, il lui arrive ce que Jésus a dit au jeune homme, c'est-à-dire que ce qui empêchait le jeune homme riche de le suivre n'existe plus.
5
La charité est véritable seulement quand tu t'es privé en la faisant. C'est alors que celui qui reçoit un don matériel, reçoit également un don spirituel. Et si ton don n'est pas un sacrifice, mais le résultat de la surabondance, il ne fait qu'irriter celui qui le reçoit.
6
Les opulents bienfaiteurs ne voient pas ce qu'ils donnent au pauvre, ils l'enlèvent souvent des mains de plus pauvres encore.
[1] Moraliste anglais (N. du tr.)
CHAPITRE XI
DE LA COLÈRE
I.—Péché de malveillance.
1
«Il a été dit aux anciens: Tu ne tueras point, et celui qui tuera sera jugé (Exode, XX, 13). Mais moi je vous dis que quiconque se met en colère contre son frère sera jugé.»
MATTH., V, 21-22.
2
Si tu éprouves une douleur dans le corps, tu sais que quelque chose n'est pas en bon état: ou tu fais ce que tu ne devrais pas faire, ou bien lu ne fais pas ce que tu devrais faire. Il en est de même de la vie spirituelle. Si tu te sens triste, irrité, sache que quelque chose est en mauvais état: ou tu aimes ce qu'il ne faudrait pas aimer, ou bien tu n'aimes pas ce qu'il faudrait aimer.
3
Les péchés de la gourmandise, de l'oisiveté, de la volupté, sont mauvais par eux-mêmes. Mais ces péchés sont surtout repréhensibles parce qu'ils engendrent le pire des péchés: la malveillance, l'iniquité envers les gens.
4
Ce ne sont pas les pillages, les assassinats, les exécutions qui sont effrayants. Qu'est-ce que le pillage? C'est le passage de la propriété des uns aux autres. Cela a toujours existé, cela sera toujours, et il n'y a rien d'effrayant à cela.
Que sont les exécutions, les assassinats? C'est le passage des hommes de la vie à la mort. Ces passages ont été, sont et seront toujours, et cela n'a également rien, d'effrayant. Ce qu'il y a de réellement effrayant, c'est la haine des hommes qui engendre le brigandage, le vol, le meurtre.
II.—L'absurdité de la colère.
1
Les Bouddhistes disent que tout péché vient de la bêtise. Cela est juste pour tous les péchés, mais surtout pour l'inimitié. Le pêcheur, l'oiseleur se fâche contre le poisson ou l'oiseau parce qu'il ne l'a pas pris, et moi je me fâche contre l'homme, parce qu'il fait ce dont il a besoin pour lui, et non pas ce que je voudrais de lui. N'est-ce pas également stupide?
2
Un homme t'a offensé. Tu t'es fâché contre lui. L'affaire est terminée. Mais la colère contre cet homme s'est figée dans ton cœur, et lorsque tu penses à lui, tu t'irrites. Comme si le diable, qui est toujours en faction à la porte de ton cœur, avait profité de l'heure où tu as ressenti ta colère contre cet homme; comme si elle lui eut ouvert la porte, qu'il eut bondi dans ton cœur et qu'il y fût maître, maintenant. Chasse-le. Et à l'avenir, sois plus prudent, n'ouvre pas la porte par laquelle il entre.
3
Plus l'homme se croit haut placé, plus facilement il s'irrite contre les gens. Plus l'homme est modeste, plus il est bon et se fâche moins.
4
Ne pense pas que la vertu consiste dans la bravoure et la force. Si tu peux te placer au-dessus de la colère, pardonner et aimer celui qui t'a offensé, tu auras fait le mieux de ce qu'un homme peut faire.
DJERBELOTE, persan.
5
Il est vrai, que tu n'as peut-être pas la force de ne pas te fâcher contre celui qui t'a offensé, outragé. Mais tu peux toujours le contenir, ne manifester ta colère ni en paroles ni en actes.
6
La colère ment toujours de l'impuissance.
III.—La colère contre les hommes nos frères est déraisonnable parce que le même Dieu vit en nous tous.
1
On doit s'observer depuis le matin et se dire: tout à l'heure, je pourrai avoir affaire à un homme insolent, effronté, importun, hypocrite, nerveux. Il y a souvent des gens comme ça. Ils ne savent pas ce qui est bien et ce qui est mal. Mais si je sais, moi, où est le bien et le mal, si je comprends que le mal pour moi ne peut venir que de la mauvaise action que j'ai commise moi-même, aucun mauvais homme ne peut me nuire. Personne ne peut me forcer à faire mal. Si je pense encore que tout homme m'est proche, non par le sang et la chair, mais par l'esprit, que le même Esprit divin vit en chacun de nous, je ne peux pas me fâcher contre un être qui m'est proche. Je sais donc que nous sommes créés l'un pour l'autre, que nous sommes appelés à nous entr'aider comme les mains, les pieds, les yeux et les dents s'aident entre eux et servent le corps entier; comment puis-je me détourner de mon prochain si, contrairement à sa vraie nature, il me fait du mal.
MARC-AURÈLE
2
Si tu t'es fâché contre un homme, c'est que tu menais une vie charnelle, et non pas une vie spirituelle. Si tu vivais selon la volonté divine, personne ne pourrait t'offenser, car on ne peut offenser Dieu, et Dieu, le Dieu qui est en toi, ne peut se fâcher.
3
On ne doit ni trop mépriser ni trop respecter aucun homme.
Si tu le méprises, tu ne pourras pas apprécier le bien qu'il y a en lui; si tu l'honores trop, tu exigeras trop de lui.
Pour ne pas se tromper, il faut mépriser le côté charnel autant chez autrui qu'en soi-même et respecter l'homme comme un être spirituel en qui demeure l'esprit divin.
IV.—Plus l'homme se diminue, mieux il vaut.
1
On dit qu'un homme de bien ne peut pas faire autrement que de se fâcher contre les méchants. Mais si cela est ainsi, plus l'homme est bon comparativement aux autres, plus il doit se mettre en colère contre eux; en réalité, plus un homme est bon, plus il est doux et bon pour tous les autres hommes. Cela tient à ce qu'un homme bon se souvient que lui aussi a souvent péché, et que s'il s'irrite contre les méchants, il doit, tout d'abord, s'irriter contre lui-même.
SÉNÈQUE.
2
Un homme raisonnable ne peut pas se fâcher contre les hommes méchants et déraisonnables.
—Comment puis-je ne pas me fâcher s'ils sont voleurs et filous? dis-tu.
—Qu'est-ce qu'un voleur et un filou? C'est un homme qui s'est égaré. On doit non pas se fâcher contre un tel homme, mais le plaindre. Si tu peux, persuade-le que ce n'est pas bon pour lui-même de vivre comme il vit, et il cessera de faire le mal. S'il ne le comprend pas encore, quoi d'étonnant qu'il vive ainsi.
Tu diras que ces gens là doivent être punis.
Si un homme a mal aux yeux et qu'il est devenu aveugle, tu ne diras pas qu'il faut l'en punir. Pourquoi donc veux-tu punir celui qui est privé de quelque chose de bien plus précieux que les yeux, qui est privé du plus grand bonheur qui existe, celui de savoir vivre raisonnablement?
On ne doit pas se fâcher contre ces gens, mais les plaindre.
Aie pitié de ces malheureux et tâche de faire en sorte que leurs égarements ne t'irritent pas. Souviens-toi combien souvent tu t'es trompé et tu as péché toi-même, et fâche-toi plutôt contre toi-même de ce que ton âme renferme tant d'inimitié et de méchanceté.
ÉPICTÈTE.
3
Tu dis que tu n'es entouré que de mauvaises gens. Si tu penses ainsi, c'est une preuve certaine que tu es méchant toi-même.
4
Souvent les gens croient se faire valoir en remarquant les défauts des autres; mais ils ne font que montrer leur faiblesse.
Plus l'homme est bon et intelligent, plus il voit le bien chez les autres; plus il est bête et méchant, plus il voit les défauts des autres.
5
Il est vrai, qu'il est difficile de se montrer bon envers un vicieux, un menteur, surtout s'il vous offense; mais c'est précisément envers de pareils hommes qu'on doit être bon, et pour eux, et pour soi.
6
Lorsqu'on se fâche contre quelqu'un, on cherche généralement à justifier sa colère et, à ne voir que le mal en la personne contre laquelle on s'irrite; et l'on ne fait qu'augmenter son inimitié. Alors, qu'au contraire, plus on est irrité, plus on doit chercher le bien que peut contenir celui contre qui on s'irrite. Et lorsqu'on réussit à découvrir le bien et à aimer un tel homme, non seulement on apaise sa colère, mais encore on éprouve une joie profonde.
7
Si tu veux reprocher à un homme ses incohérences, ne qualifie pas ses actes ou ses paroles de sottises, ne dis et ne pense pas que ce qu'il a fait ou dit n'a aucun sens. Au contraire, suppose toujours qu'il voulait faire ou dire quelque chose de raisonnable et tâche de le prouver. Il faut s'efforcer de découvrir les idées erronées qui ont trompé l'homme et les lui faire voir de façon à ce qu'il arrive lui-même à la conclusion, qui est qu'il se trompe. On ne peut persuader un homme que par sa propre raison. De même, on ne peut persuader un homme de l'immoralité de son acte que par son sentiment moral. Il ne faut pas supposer que l'homme le plus vicieux ne puisse pas devenir un être vertueux et libre.
D'après KANT.
8
Si tu te fâches contre un homme parce qu'il a commis un acte que nous considérons comme repréhensible, tâche de savoir pourquoi il a fait ce que nous considérons comme mauvais. Dès que tu l'auras compris, tu ne seras plus fâché, parce qu'on ne peut se fâcher de ce que la pierre tombe du haut en bas et non de bas en haut.
V.—La nécessité de l'amour pour la communion entre les hommes.
1
Pour que tes relations avec les hommes ne soient pas un sujet de souffrance pour toi et pour eux, n'entre pas en rapports avec les gens si tu n'éprouves pas d'affection pour eux.
2
Sans amour, on ne peut manier que les objets; sans amour, on peut abattre des arbres, faire des briques, forger le fer; on ne peut sans amour traiter les hommes.
Si tu n'éprouves pas d'amour pour les hommes, occupe-toi de toi-même, manie des choses, ce que tu voudras, mais laisse les hommes tranquilles. Dès que tu te permettras de les traiter sans amour, tu deviendras non pas un homme, mais une bête, tu leur nuiras et tu seras malheureux toi-même.
3
Lorsqu'on voit des gens toujours mécontents, critiquant, tout et tout le monde, on a envie de leur dire: «Le but de votre existence n'est pas de dévoiler l'absurdité de la vie, de la critiquer, de vous fâcher et de mourir. Cela n'est pas possible. Réfléchissez; vous ne devriez pas vous fâcher, ni critiquer, mais travailler à réparer le mal que vous voyez.
«Si vous voulez faire disparaître le mal que vous voyez vous n'y arriverez certainement pas par l'inimitié, mais uniquement par la bienveillance envers tous les hommes, car ce sentiment vit toujours en nous et vous le sentirez aussitôt que vous cesserez de l'étouffer en vous.»
4
Il faut nous habituer à être mécontents d'un autre homme de la même façon, qu'il nous arrive d'être mécontents de nous-mêmes. Cela nous arrive lorsque nous ne sommes pas satisfaits d'un de nos actes, et non de notre âme. Il faut agir de même à l'égard des autres: critiquer leurs actes, et les aimer eux-mêmes.
5
Pour ne pas faire tort à son prochain, pour l'aimer, il faut s'habituer à ne pas dire de mal ni de lui, ni à lui, et pour y parvenir, il faut s'habituer à ne pas penser mal de lui, à ne pas laisser pénétrer dans notre âme le sentiment de malveillance.
6
Peux-tu te fâcher contre un homme parce qu'il a des plaies purulentes? Ce n'est pas sa faute si l'aspect de ses plaies est désagréable. Comporte-toi de même envers les vices d'autruis.
Mais tu diras que l'homme a une raison pour comprendre et corriger ses vices. C'est juste. Par conséquent, toi aussi, tu as une raison et tu peux réfléchir que tu ne dois pas le fâcher contre l'homme en raison de ses vices, mais au contraire, tu dois l'efforcer d'éveiller sa conscience en le traitant avec bonté et intelligence, sans colère, sans impatience et sans orgueil.
MARC-AURÈLE.
7
Il y a des gens qui aiment se fâcher. Ils sont toujours occupés à quelque chose et toujours heureux de l'occasion de brusquer, de gronder celui qui s'adresse à eux pour quelque affaire. Ces gens-là sont très désagréables, mais il faut se souvenir qu'ils sont très malheureux, ne connaissent pas la joie de la bonne humeur, et c'est pourquoi, il ne faut pas se fâcher contre eux, mais les plaindre.
8
On ne peut mieux calmer une colère, même juste, qu'en disant à celui qui se fâche que celui contre lequel il se fâche, n'est qu'un malheureux. La pluie a le même effet sur le feu que la compassion sur la colère.
9
L'homme qui désire faire du tort à son ennemi, n'a qu'à s'imaginer qu'il lui a déjà fait mal et qu'il souffre de corps et d'âme; il n'a qu'à se l'imaginer et à comprendre que tout cela est l'œuvre de nos mains, pour que, à l'idée des souffrances de l'ennemi, l'homme le plus méchant cesse de garder sa rancune.
SCHOPENHAUER.
VI.—La lutte contre le péché de malveillance.
1
On me blâme, je suis ennuyé, j'ai de la peine. Comment me débarrasser de ce sentiment désagréable? D'abord, par l'humilité; quand on connaît sa faiblesse, on ne se fâche pas de ce que les autres la montrent. Ce n'est pas aimable de leur part, mais ils ont raison. Ensuite, par le raisonnement; car, en définitive, on reste toujours ce qu'on a été, et si l'on avait trop de vénération pour soi-même, on aurait qu'à modifier son opinion. Enfin, et principalement, par le pardon; il n'y a qu'un seul moyen pour ne pas haïr ceux qui nous font du mal et nous offensent, c'est de leur faire du bien. Si l'on ne parvient pas à les changer, du moins, arrive-t-on à se maîtriser soi-même.
AMIEL.
2
La meilleure boisson qu'un homme peut boire est la mauvaise parole qu'il a déjà sur les lèvres; qu'il ne la laisse pas, échapper et l'avale.
MAHOMET.
3
Comprends bien et souviens-toi que tout homme agit toujours au mieux de ses propres intérêts.
Si tu y penses toujours, tu ne te fâcheras contre personne, tu ne reprocheras rien à personne, tu ne gronderas personne; car si quelqu'un a réellement du profit à faire ce qui t'est désagréable, il a raison et il ne peut agir autrement. S'il se trompe et ne se fait du tort qu'à lui-même, tant pis pour lui; on doit le plaindre et non se fâcher contre lui.
ÉPICTÈTE.
4
Souvenons-nous que tous nous redeviendrons poussière, et soyons humbles et modestes.
D'après SAADI.
VII.—La malveillance nuit toujours à celui qui la ressent.
1
Bien que la colère soit nuisible aux autres, elle fait surtout du tort à celui qui se fâche. La colère est toujours plus nuisible que la chose pour laquelle on se fâche.
2
Il y a des gens qui aiment se fâcher, qui s'irritent et font du mal aux autres sans aucune raison. On peut comprendre pourquoi un avare offense les autres: il veut s'emparer de leur bien pour s'enrichir; il fait du mal aux gens dans son propre intérêt. Un méchant homme fait du tort aux autres sans aucun bénéfice personnel. Quelle folie!
D'après SOCRATE.
3
Ne pas faire de mal, pas même à ses ennemis, est une grande vertu.
Celui qui cherche à faire périr les autres, périt sûrement lui-même.
Ne fais pas de mal. La pauvreté ne peut excuser le mal. Si tu fais du mal, tu seras plus pauvre encore.
Les gens peuvent éviter les conséquences de la méchanceté de leurs ennemis, mais ils n'éviteront jamais les conséquences de leurs péchés. Cette ombre les poursuivra pas à pas, jusqu'à ce qu'elle les fasse périr.
Que celui qui ne veut pas vivre triste et malheureux ne fasse pas de tort aux autres.
Si l'homme se veut du bien, qu'il ne fasse pas le moindre mal.
Kouran hindou.
4
Être vertueux, c'est avoir l'âme libre. Les gens qui s'irritent continuellement contre quelqu'un, qui craignent constamment quelque chose et qui s'adonnent aux passions, ne peuvent avoir l'âme libre. Celui qui ne peut pas avoir l'âme libre ne verra pas en regardant, n'entendra pas en écoutant, ne sentira pas de goût en mangeant.
CONFUCIUS.
5
Goutte à goutte, le seau se remplit; de même l'homme s'emplit de colère, bien qu'il la ramasse petit à petit, lorsqu'il se permet de s'irriter contre les gens. Le mal revient à celui qui le commet, de même que la poussière jetée contre le vent.
Ni au ciel, ni dans la mer, ni dans les profondeurs des montagnes, il n'y a de place dans tout l'univers, où l'homme pourrait se débarrasser de la méchanceté qui est dans son cœur. Souviens-t-en.
DJAMAPADA.
6
La loi hindoue dit: De même qu'il est juste qu'il fasse froid en hiver et chaud en été, il est juste qu'un mauvais homme soit malheureux et un bon heureux. Que personne n'entame de querelle, bien qu'il soit offensé et qu'il souffre; que personne n'offense, ni par un acte, ni par une parole, ni par une pensée. Tout cela prive l'homme du vrai bonheur.
7
Lorsque je sais que la colère me prive du vrai bonheur, je ne peux plus chercher consciemment querelle aux autres; je ne peux pas, ainsi que je le faisais avant, me réjouir de mon péché, en être fier, l'encourager, le justifier, me donner de l'importance et me croire raisonnable, considérer les autres comme nuls, perdus, insensés; je ne peux plus maintenant, en sentant que je me laisse emporter par la colère, ne pas reconnaître que j'en suis seul coupable, et ne pas tâcher de me réconcilier avec ceux qui me cherchent querelle.
Mais cela ne suffit pas. Si je sais maintenant que la colère est un mal pour mon âme, je sais aussi ce qui me conduit au mal. C'est que j'oublie que la même chose vit en moi et en tous les hommes. Je vois maintenant que l'habitude de se distinguer des autres hommes et de se considérer comme étant supérieur à eux—est l'une des raisons principales de mon inimitié.
En repassant ma vie écoulée, je vois que je n'ai jamais laissé s'accroître mon sentiment d'inimitié envers les gens que je considérais supérieurs à moi, et je ne les offensais jamais. Mais, par contre, le moindre acte de celui que je considérais comme mon inférieur provoquait ma colère, et plus je me considérais supérieur, plus il m'était facile de l'offenser. Parfois même, rien que l'idée de l'infériorité de l'homme, provoquait déjà une offense de ma part.
8
Un jour d'hiver François, accompagné du frère Léon se rendait de Pérouse à Porcioncule. Il gelait, et tous deux tremblaient de froid. François appela Léon qui marchait devant, et lui dit: «O frère Léon, Dieu veuille que nos frères donnent par toute la terre, l'exemple de la vie de sainteté. Note, cependant, que ce n'est pas là qu'est la joie parfaite.»
Un peu plus loin, François appela encore une fois Léon et lui dit:
«Note encore que si nos frères guérissent les malades, chassent le diable, rendent la vue aux aveugles font ressusciter les morts, ce n'est pas là non plus que sera la joie parfaite.»
Encore plus loin, François appela de nouveau Léon et lui dit: «Note encore frère Léon, brebis du Seigneur, que si nous avions appris le langage des anges, si nous connaissions le cours des étoiles, si tous les trésors de la terre nous étaient apparus, et que si nous avions compris tous les mystères de la vie des oiseaux, des poissons, des bêtes, des gens, des arbres, des pierres et des eaux, note que cela non plus ne serait pas une joie parfaite.»
Et un peu plus loin, François appela encore une fois Léon et lui dit: «Note encore que si nous étions des prédicateurs, qui parviendraient à ramener tous les payens au Christianisme, note que là encore, il n'y aurait pas de joie parfaite.»
Alors le frère Léon dit à François:
—En quoi donc consiste la joie parfaite?
Et François répondit: «En ceci: lorsque nous arriverons à Porcioncule sales, mouillés, transis de froid et affamés, et que nous demanderons de nous donner asile, le portier nous dira: «Pourquoi traînez-vous, vagabonds, par les chemins, pourquoi tentez-vous les gens, pourquoi voulez-vous l'aumône des pauvres; allez-vous en d'ici,» et il ne nous ouvrira pas. Si nous ne nous offensons pas et que nous pensons avec humilité et amour que le portier a raison, et que mouillés, gelés, et affamés, nous restons jusqu'au matin dans la neige et l'humidité sans murmurer contre le portier, c'est alors, frère Léon, que sera la joie parfaite.»
CHAPITRE XII
DE L'ORGUEIL
Il est difficile de se débarrasser des péchés, surtout lorsque les tentations les encouragent. Telle est la tentation de l'orgueil.
I.—L'absurdité de l'orgueil.
1
Les gens fiers sont tellement occupés à prêcher aux autres qu'ils n'ont pas le temps de penser à eux-mêmes; au reste, ils le croient inutile; ils sont parfaits tels qu'ils sont. C'est pourquoi, plus ils prêchent aux autres, plus ils tombent bas eux-mêmes.
2
De même que l'homme ne peut pas se soulever lui-même, il ne peut pas se glorifier lui-même.
3
La fierté est mauvaise parce que les gens sont fiers de ce dont on doit avoir honte: de la richesse, de la gloire, des honneurs.
4
Si vous êtes plus-fort, plus riche, plus instruit que les autres, tâchez de venir en aide aux gens avec ce que vous avez de plus qu'eux. Si vous êtes plus fort, aidez les faibles; si vous êtes plus intelligent, aidez ceux qui ne le sont pas; si vous êtes instruit, aidez ceux qui le sont moins; si vous êtes riche, aidez ceux qui sont pauvres. Mais les orgueilleux ne raisonnent pas ainsi. Ils pensent que s'ils possèdent ce que les autres n'ont pas, ils n'ont pas besoin de partager avec ceux-ci, mais n'ont qu'à se vanter devant eux.
5
Ce n'est pas bien si l'homme, au lieu d'aimer ses frères, se fâche contre eux. Mais c'est pis encore lorsque quelqu'un se persuade qu'il n'est pas un homme comme les autres, mais meilleur qu'eux et, par conséquent, qu'il peut traiter les gens autrement qu'il ne voudrait être traité lui-même.
6
C'est stupide lorsque des gens tirent vanité de leur visage, de leur corps, mais c'est plus stupide encore lorsqu'ils sont fiers de leurs parents, de leurs ancêtres, de leurs amis, de leur classe, de leur peuple.
Une grande partie du mal, dans ce monde, vient de ce sot orgueil. C'est de là que proviennent les querelles entre les hommes, entre les familles, et les guerres entre les peuples.
7
La bêtise peut exister sans l'orgueil; mais l'orgueil ne va jamais sans la bêtise.
8
Prenez l'exemple des eaux qui coulent dans les profondeurs des mers et dans les cavités des montagnes: les ruisseaux descendent avec bruit, mais la mer sans fin est muette, elle se balance à peine.
Les Soutes bouddhistes.
9
Plus la substance est légère et moins elle est dense, plus elle occupe de place. Il en est de même de l'orgueil.
10
Une mauvaise roue grince plus fort, un épi vide s'élève plus haut, Il en est de même d'un homme mauvais et vain.
11
Plus l'homme est content de lui-même, moins il possède ce dont on peut être fier.
12
Un homme fier est comme couvert d'une écorce de glace. Aucun bon sentiment ne peut pénétrer à travers cette écorce.
13
Le plus sot des hommes est plus facile à éclairer qu'un orgueilleux.
14
Si les gens fiers pouvaient seulement savoir ce que pensent d'eux ceux qui profitent de leur fierté, ils cesseraient d'être fiers.
II.—L'orgueil national
1
Se croire meilleur que les autres est mal et stupide, nous le savons tous. Considérer sa famille comme la meilleure de toutes, est plus mal et plus stupide encore; et, cependant, non seulement nous ne nous en rendons pas compte, mais encore nous y voyons un mérite particulier. Considérer son peuple comme le meilleur entre tous est la chose la plus stupide qui puisse exister. Or, loin d'être jugée comme mauvaise, cette présomption apparaît comme une grande vertu.
2
Les gens se querellent entre eux et savent que ce n'est pas bien. Alors, pour se donner le change à eux-mêmes et pour étouffer leur conscience, ils inventent des excuses à leur animosité. L'une de ces excuses est que je suis meilleur que les autres hommes; seulement, ceux-ci ne le comprennent pas, et c'est pourquoi je ne puis m'entendre avec eux. Une autre excuse, c'est que ma famille est meilleure que les autres familles; la troisième, que ma classe est meilleure que les autres classes; la quatrième, que mon peuple est meilleur que les autres peuples.
Rien ne désunit les hommes autant que l'orgueil, qu'il soit celui de l'individu, de la famille, de la classe ou de la nation.
III.—Un homme n'a pas de raison de s'enorgueillir devant les autres, parce que le même Esprit vit dans tous les hommes.
1
L'homme se trouve meilleur que les autres quand il considère uniquement la vie charnelle: seul le corps peut être plus fort, plus grand, meilleur qu'un autre. Mais si l'homme a une vie spirituelle, il ne peut se considérer meilleur que les autres, car l'âme est la même chez tous.
2
On donne aux hommes les titres d'excellence, de grandeur, d'éminence, de monsieur, de père, etc., alors qu'un seul titre convient à tous et n'offense personne: frère, sœur.
Ce terme est bon pour cette raison encore qu'il nous rappelle Le Père pour qui nous sommes tous frères et sœurs.
3
L'homme a raison s'il croît que, dans tout l'univers, if n'y a pas un seul être qui soit au-dessus de lui; mais il se trompe s'il pense qu'il y a sur la terre un seul homme qui soit au-dessous de lui.
4
C'est bien pour un homme de se respecter parce que l'Esprit de Dieu vit en lui; mais c'est mal quand il est fier de ce qu'il a d'humain: de son esprit, de sa sagesse, de sa distinction, de sa richesse, de ses bonnes œuvres.
5
L'homme est bon lorsqu'il élève très haut son «moi» spirituel, divin; mais il est affreux lorsqu'il veut élever au-dessus des hommes son «moi» charnel, vaniteux, ambitieux et exclusif.
6
Si l'homme est fier des marques de distinctions extérieures, il ne fait que montrer ainsi qu'il ne comprend pas son mérite intérieur qui, en comparaison de toutes les marques extérieures de distinction, est comme le soleil par rapport à la bougie.
7
Un homme ne doit pas se vanter devant les autres. Il ne le doit pas, parce que la chose la plus précieuse en lui, c'est son âme et que personne, sauf Dieu, ne connaît le prix de l'âme humaine.
8
La fierté n'est pas du tout la même chose que la conscience de la dignité d'homme. Les faux honneurs et les fausses louanges augmentent la fierté, alors qu'au contraire, les fausses humiliations et le faux blâme augmentent la conscience de la dignité.
IV.—Conséquences de la tentation de l'orgueil.
1
De même que les mauvaises herbes qui poussent parmi le blé, boivent l'eau et le jus de la terre et empêchent le soleil de pénétrer jusqu'au blé, l'orgueil absorbe toutes les forces de l'homme et lui cache la lumière de la vérité.
2
La conscience du péché est souvent plus utile à l'homme qu'une bonne action: la conscience du péché humilie l'homme, alors qu'une bonne action augmente souvent sa fierté.
3
Il y a bien des punitions pour un orgueilleux; mais la punition principale et la plus douloureuse est le fait que, malgré tous les mérites qu'il pourrait avoir et tous ses efforts les gens ne l'aiment pas.
4
Dès que je me réjouis en disant: comme je suis bon, c'est fini, je tombe dans l'abîme.
5
L'orgueilleux veut se distinguer des autres et se prive ainsi de la meilleure joie de la vie, de la communication libre et joyeuse avec les hommes.
6
L'orgueilleux craint toute critique. Il la craint parce qu'il sent que sa grandeur n'est pas solide, qu'elle ne tient que jusqu'au moment où il n'y a pas le moindre petit trou dans le ballon qui le gonfle.
7
L'orgueil pourrait encore se comprendre s'il plaisait aux gens et les attirait. Mais il n'y a pas de défaut qui éloigne davantage.
8
L'assurance étonne les gens au début. Et, les premiers temps, ils attribuent à l'homme confiant en lui-même exactement la même importance que celle qu'il se donne. Mais l'étonnement passe vite. Les gens sont bientôt désenchantés et ils paient par le mépris pour avoir été trompés.
V.—La lutte contre la tentation de l'orgueil.
1
Il y aurait bien moins de mal sur la terre si le sentiment de l'orgueil n'existait pas. Comment se débarrasser de cette cause du mal? Il n'y a qu'un moyen: le travail de chacun sur lui-même. Les tentations de l'orgueil ne disparaissent que lorsque nous extirpons en nous cette profonde racine du mal. S'il vit dans notre cœur, comment pouvons-nous espérer qu'il mourra dans les cœurs des autres hommes? C'est pourquoi, la seule chose que nous puissions faire pour notre bien et pour le bien des autres, c'est de tarir en nous cette source du mal dont les autres souffrent.
Aucune amélioration n'est possible, tant que chacun n'aura commencé cet amendement de lui-même.
D'après LAMENNAIS.
2
Il n'est facile de vivre avec un homme que si on ne se considère pas comme supérieur et meilleur que lui; et qu'on ne le croit ni supérieur ou ni meilleur que soi-même.
3
Le but principal de la vie est le perfectionnement de l'âme. Mais l'orgueilleux se croit toujours très bon. C'est pour cette raison que l'orgueil est particulièrement nuisible. Il empêche de travailler à l'œuvre principale de la vie humaine: devenir meilleur.
4
«Mais que le plus grand d'entre vous soit votre serviteur. Car quiconque s'élèvera sera abaissé, et quiconque s'abaissera sera élevé.»
MATTH., XXIII, 11-12.
Celui qui s'élève dans l'opinion des gens sera abaissé, car celui que l'on croit bon, sage, charitable, ne s'efforcera pas de devenir meilleur, plus sage, plus charitable.
Mais celui qui s'abaisse sera élevé, car celui qui se croit mauvais s'efforcera de devenir meilleur, plus charitable, plus sage.
Les présomptueux font ce que ferait le piéton si, au lieu de marcher, il s'était hissé sur des échasses. Sur les échasses on est plus haut, la boue ne vous atteint pas, les pas sont plus grands, mais le malheur est qu'on ne peut aller loin ainsi, sans compter que l'on risque continuellement de tomber dans la boue, de faire rire les gens et de rester en arrière.
Il en est de même des vaniteux. Ils restent bien en arrière de ceux qui ne s'élèvent pas au-dessus de leur taille et, en outre, ils tombent souvent de leurs échasses et deviennent la risée de fous.
CHAPITRE XIII
DE L'INÉGALITÉ
La base de la vie de l'homme, est le séjour en lui de l'esprit divin, égal chez tous les hommes. Et c'est pourquoi les hommes sont tous égaux entre eux.
I.—De la tentation de l'inégalité.
1
Autrefois, les hommes croyaient qu'ils étaient d'origine différente, appartenant aux tribus de Cham ou à celles de Japhet, et que les uns devaient être maîtres et les autres esclaves. Ils reconnaissaient cette division en maîtres et en esclaves parce qu'ils croyaient qu'elle avait été instituée par Dieu. Cette superstition vulgaire et pernicieuse subsiste encore, mais sous un autre aspect.
2
Il suffit de jeter un coup d'œil sur la vie des peuples chrétiens, divisés en classes, pour être frappé du degré effrayant d'inégalité auquel sont arrivés les gens qui professent la loi du christianisme et mettent en avant le mensonge de l'égalité. Parmi ces classes, les unes passent leur vie entière dans un travail abrutissant, inutile et meurtrier, les autres sont blasées des plaisirs de tous genres.
3
L'une des croyances les plus anciennes et les plus profondes comme idée, était celle des Hindous. La raison pour laquelle elle n'est pas devenue une croyance universelle et n'a pas donné à la vie des hommes les fruits qu'elle pouvait apporter, est que ses maîtres ont estimé que les hommes n'étaient pas égaux et les ont divisés en castes. Pour les gens qui se croient inégaux, il ne peut y avoir de vrai religion.
4
On pourrait comprendre que les gens se croient inégaux parce que l'un est plus fort, plus grand que l'autre, ou plus intelligent, ou plus hardi, ou plus savant ou meilleur. Mais ce n'est pas ainsi que l'on distingue les hommes habituellement. On estime que les hommes ne sont pas égaux parce que l'un s'appelle comte et l'autre paysan, que l'un porte des vêtements riches et l'autre des sabots.
5
Les hommes de notre époque comprennent déjà que l'inégalité des hommes est une superstition et ils la blâment intérieurement. Mais ceux qui en retirent un profit ne se décident pas à s'en séparer, tandis que ceux pour qui elle est désavantageuse ne savent pas comment la supprimer.
6
Les gens se sont habitués à diviser les hommes en gens distingués et non distingués, valeureux et lâches, instruits et non instruits, et ils se sont si bien accoutumés à ce classement, qu'ils croient, en réalité, que les uns peuvent être meilleurs que les autres, parce que les uns sont placés par les hommes dans une catégorie et les autres dans une autre.
7
Rien que la coutume admise chez les gens riches de tendre la main aux uns et de ne pas la tendre aux autres, de faire entrer les uns au salon et de recevoir les autres dans l'anti-chambre, prouve combien les gens sont loin de reconnaître l'égalité entre eux.
8
Si la superstition de l'inégalité n'existait pas, les hommes ne pourraient jamais commettre tous les forfaits qu'ils commettent sans cesse, uniquement parce qu'ils n'admettent pas que tous les hommes sont égaux.
II.—Les excuses de l'inégalité.
1
Rien ne donne tant d'assurance que la camaraderie pour accomplir des mauvaises actions, et cela par le fait que quelques hommes seulement s'unissent entre eux, en laissant tous les autres à l'écart.
2
Ceux qui se font valoir devant les autres sont tout autant fautifs de l'inégalité des hommes que ceux qui se croient, inférieurs aux gens qui se vantent devant eux.
3
Nous sommes étonnés de voir combien ce que nous appelons maintenant le christianisme est loin de ce que prêchait Jésus, et combien notre vie est loin du christianisme. Et, cependant, cela pouvait-il être autrement lorsqu'il s'agissait d'une doctrine qui, au milieu des gens qui croyaient que Dieu a divisé les hommes en maîtres et esclaves, en fidèles et infidèles, en riches et pauvres, apprenait aux gens la vraie égalité, disant que tous les hommes était fils de Dieu, que tous sont frères, que la vie de tous étaient également sacrée. Les gens qui embrassèrent la doctrine du Christ ne pouvaient choisir qu'entre ces deux alternatives: modifier toute l'ancienne organisation sociale, ou dénaturer la doctrine. Ils ont choisi la dernière.
III.—Tous les hommes sont frères.
1
Il est stupide de voir un homme se croire meilleur que tous les autres, mais c'est plus stupide encore de voir tout un peuple s'estimer meilleur que les autres peuples. Et chaque peuple, la plus grande partie de chaque peuple, vit dans cette affreuse, sotte et mauvaise superstition.
2
On comprend qu'un Juif, un Grec, un Romain non seulement ait maintenu l'indépendance de son peuple par le meurtre, mais encore ait cherché à soumettre les autres peuples par les mêmes procédés; il croyait que son peuple était le vrai peuple bon, charitable et aimé de Dieu, et que tous les autres étaient des Philistins, des barbares. Les hommes du Moyen Âge pouvaient également le croire; on pouvait le croire naguère encore, à la fin du siècle dernier. Mais, à notre époque, nous ne pouvons plus le croire.
3
L'homme qui comprend le sens et la signification de la vie est forcé de sentir son égalité et sa fraternité avec tous les hommes non seulement de son peuple, mais de tous les peuples.
4
Chaque homme, avant d'être autrichien, serbe, turc, chinois, est un homme, c'est-à-dire un être raisonnable et aimant dont l'unique mission est de remplir sa destinée pendant le court laps de temps qu'il doit vivre en ce monde. Cette mission est d'aimer tous les hommes.
5
Un enfant accueille un autre, indépendamment de la classe de la religion ou de la nationalité à laquelle il appartient, d'un sourire bienveillant qui exprime la joie. L'homme adulte qui devrait être plus raisonnable que l'enfant, se demande, avant d'entrer en relations avec un autre, quelle est sa classe, sa religion, sa nationalité et le traite de façon ou d'autre, suivant sa classe, sa nationalité. Le Christ disait bien: soyez comme les enfants.
6
Le Christ a appris aux hommes que la distinction entre leur peuple et les peuples étrangers était une supercherie et un mal. Ayant compris cela, le chrétien ne peut plus concevoir un sentiment d'inimitié pour d'autres peuples; il ne peut plus excuser, ainsi qu'il le faisait auparavant, les actes de cruauté à l'égard des peuples étrangers, par le fait que ces peuples étaient pires que le sien. Le chrétien ne peut pas ignorer que sa distinction des autres peuples est un mal, que cette distinction est une tentation, et, par conséquent, il ne peut plus se laisser abuser, ainsi qu'il le faisait auparavant.
Le chrétien ne peut pas ignorer que son bonheur est lié, non pas à celui des hommes de son peuple seul, mais au bonheur des hommes de tout l'univers; il sait que son union avec tous les hommes ne peut être rompue par la frontière et les règlements relatifs à sa nationalité. Il sait que tous les hommes sont frères partout, et sont, par conséquent, tous égaux.
IV.—Tous les hommes sont égaux.
1
L'égalité, c'est la reconnaissance à tous les hommes de droits égaux aux bienfaits de la nature de leur vie en commun et au respect de la personnalité humaine.
2
La loi de l'égalité des hommes renferme toutes les lois morales; c'est le point auquel ces lois ne peuvent atteindre, mais vers lequel elles convergent toutes.
E. CARPENTER
3
Le vrai «moi» de l'homme est spirituel. Et ce «moi» est le même en tous. Alors comment les hommes pourraient-ils ne pas être égaux?
4
Et un jour la mère et les frères de Jésus-Christ vinrent chez lui, mais ne purent le voir parce qu'il y avait beaucoup de monde autour de Lui. Et un homme les aperçut, et il s'approcha de Lui et dit: «Les gens de Ta famille, Ta mère et Tes frères sont dehors et veulent te voir.» Mais, Jésus dit:—Ma mère et mes frères sont ceux qui ont compris la volonté de mon Père et qui l'accomplissent.
Les paroles de Jésus signifient que pour un homme raisonnable qui comprend sa destination, il ne peut y avoir de différence ou d'avantages entre les uns et les autres.
5
Nous sommes mécontents de la vie parce que nous ne cherchons pas le bonheur là où il nous est donné.
C'est là la raison de toutes les tentations.
Le bonheur incomparable de la vie, avec toutes ses joies, nous est donné. Et nous disons: nous avons peu de joies. On nous donne le plus grand bonheur de la vie: la communion entre tous les hommes, mais nous disons: je veux mon bonheur à moi, celui de ma famille, celui de mon peuple.
V.—Pourquoi tous les hommes sont égaux.
1
Seul celui qui ignore que Dieu vit en lui, peut attribuer à certaines gens plus d'importance qu'aux autres.
2
Lorsque l'homme aime les uns plus que les autres, il aime d'un amour humain. Pour l'amour divin, tous les hommes sont égaux.
3
Le même sentiment d'attendrissement tout particulier que nous éprouvons indifféremment à la vue d'un nouveau-né, aussi bien qu'à la vue d'un être humain qui vient de mourir, indépendamment de la classe à laquelle il appartient, nous démontre notre conscience innée de l'égalité de tous les hommes.
4
Si l'on considère tous les hommes comme ses égaux, cela ne veut pas dire que l'on est aussi fort, aussi agile, aussi intelligent, aussi instruit, aussi bon que les autres; cela veut dire qu'il y a en toi la chose la plus importante au monde qui est la même en tous les hommes: l'Esprit de Dieu.
5
Dire que les hommes ne sont pas égaux, serait prétendre que le feu de la cheminée, de l'incendie, de la bougie n'est pas le même. L'esprit divin vit en chaque homme. Comment pouvons-nous faire une différence entre les porteurs du même principe?
Un feu a pris, l'autre prend seulement; mais le feu est le même et nous nous comportons envers chaque feu de la même façon.
VI.—La reconnaissance de l'égalité de tous les hommes est possible et l'humanité s'y rapproche.
1
Les hommes s'occupent à établir l'égalité devant leurs lois, mais ils ne veulent rien savoir de l'égalité établie par la loi éternelle qu'ils transgressent par leur loi.
2
Ne devrions-nous pas nous efforcer d'organiser notre vie de façon à ce que l'élévation sur les degrés de l'échelle sociale ne séduise pas les hommes, mais les effraye; car cette élévation les prive de l'un des principaux bienfaits de la vie: des rapports égaux entre tous les hommes.
D'après RUSKIN.
3
On dit que l'égalité est impossible. Il faudrait dire au contraire: l'inégalité est impossible parmi les chrétiens.
On ne peut pas faire qu'un homme grand, devienne petit, un fort faible, un intelligent sot, un ardent froid, mais on peut et on doit également aimer et respecter un petit comme un grand, un faible comme un fort, un sage comme un sot.
4
On dit toujours que les uns sont plus forts, les autres plus faibles, que les uns sont plus intelligents, les autres plus bêtes. C'est précisément parce que les uns sont plus intelligents, ou plus forts que les autres, dit Lichtenberg, que l'égalité des droits des hommes est nécessaire. Si, outre l'inégalité intellectuelle et physique, il y avait encore l'inégalité des droits, l'oppression des faibles par les forts serait encore plus grande.
5
Ne crois pas que l'égalité est impossible, ou bien qu'elle ne puisse être réalisée dans un avenir très éloigné. Apprends-la chez les enfants. Elle peut exister dès à présent pour chaque homme. Toi-même, tu peux établir dans ta vie l'égalité envers tous les gens que tu rencontres. Seulement, ne témoigne pas de respect particulier à ceux qui se croient grands et haut placés, mais traite surtout avec le même respect ceux que l'on considère comme petits et placés au bas de l'échelle sociale.
VII.—Tous les hommes sont égaux pour celui qui vit de la vie spirituelle.
1
Pour le chrétien l'amour est un sentiment qui veut le bonheur de tous les hommes. Pour bien des gens le mot «amour» exprime un sentiment absolument contraire, parce qu'ils l'envisagent sous son aspect animal: c'est le sentiment qui force la mère, pour le bien de son enfant, à ravir, en prenant une nourrice, le lait de sa mère à un autre enfant; un père à arracher le dernier morceau à ceux qui ont faim pour le donner à ses enfants; celui qui aime une femme, à la faire souffrir en la séduisant, ou, par jalousie, causer sa perte et la sienne; le sentiment qui détermine les gens du même clan à nuire à ceux des camps étrangers ou ennemis; celui qui pousse les hommes outragés dans leur orgueil national à couvrir les champs de bataille de morts et de blessés. Ces sentiments ne sont pas de l'amour, car ceux qui les éprouvent ne reconnaissent pas tous les hommes comme égaux. Et sans la reconnaissance de l'égalité des hommes, il ne peut y avoir de véritable amour.
2
On ne peut combiner l'inégalité avec l'amour. L'amour est comme le soleil qui éclaire indifféremment tout ce qui tombe sous ses rayons. Quand l'amour luit sur l'un et exclut l'autre, cela montre qu'il n'est pas amour, mais seulement quelque chose qui lui ressemble.
3
Il est difficile d'aimer également tous les hommes; mais pour la raison que cela est difficile, on ne peut pas dire qu'on ne doit pas s'efforcer de le réaliser.
Tout ce qui est bien est difficile.
4
Plus les hommes sont inégaux par leurs qualités, plus on doit se donner de la peine pour les traiter d'une façon égale.
5
En toi, en moi, en chacun de nous demeure le Dieu de la vie. Tu as tort de te fâcher contre moi, de ne pas supporter mon approche: sache, que nous sommes tous égaux.
MAKHMUD HASCHA hindou.
CHAPITRE XIV
DE LA VIOLENCE
Une des raisons principales des malheurs des hommes est de croire à la possibilité d'améliorer, d'organiser la vie des autres hommes en recourant à la violence.
I.—La violence de l'homme exercée sur l'homme.
1
L'erreur de croire que les hommes peuvent, par la force, organiser la vie de leurs pareils, provient non de l'invention de cette duperie par tel ou tel, mais de ce que, poussés par leurs passions, les hommes avaient commencé par violenter leurs semblables, puis ont cherché une excusé à cette violence.
2
Les hommes voient qu'il y a quelque chose de mauvais dans leur vie, qu'il y a quelque chose à améliorer. Mais nous ne pouvons améliorer que ce qui est en notre pouvoir: nous-même. A cette fin, il faut tout d'abord reconnaître que nous ne sommes pas bons, et on n'en a pas envie. Dès lors, toute notre attention se concentre non pas sur ce qui est en noire pouvoir: notre âme, mais sur les conditions extérieures qui ne sont pas en notre pouvoir et dont la modification ne pourrait pas plus améliorer la situation des hommes que le transvasement du vin d'un récipient dans un autre ne peut changer sa qualité. De là, la vie oisive, d'abord, puis, nuisible, présomptueuse (nous corrigeons les autres hommes) et méchante (on peut tuer les hommes qui entravent le bonheur général).
3
On croit forcer les gens à bien vivre en employant la contrainte, alors que l'on montre soi-même l'exemple de la mauvaise vie en recourant à la violence. Les hommes sont dans la boue et, au lieu de tâcher d'en sortir, ils apprennent aux autres ce qu'il faut faire pour ne pas se salir.
4
Il est facile d'organiser la vie des autres, parce que si nous l'organisons mal, ce n'est pas nous qui en souffrons, mais les autres.
5
Seul celui qui ne croit pas en Dieu peut s'imaginer que des gens pareils à lui peuvent organiser sa vie de façon à ce qu'elle soit meilleure.
6
L'erreur de croire qu'il y à des gens qui peuvent organiser la vie des autres est effrayante parce qu'avec celle croyance, plus les gens sont pervers, plus ils sont estimés.
7
Lorsque les gens disent que tous doivent vivre en paix, n'offenser personne, alors qu'eux-mêmes forcent les gens, non par la douceur, mais par la violence, à vivre comme ils veulent; c'est comme s'ils disaient: faites ce que nous disons, mais non ce que nous faisons. On peut craindre ces gens-là, mais on ne peut pas avoir foi en eux.
II.—La lutte contre le mal par la violence est inadmissible parce que les hommes conçoivent le mal différemment.
1
Etant donné que chaque homme détermine le mal à sa manière, il semblerait évident que si chacun combat le mal par la violence, cela ne peut qu'augmenter le mal au lieu de le diminuer. Si Jean estime que Pierre n'agit pas bien et se croit en droit de faire du mal à Pierre, celui-ci prend le même droit de faire du mal à Jean, et le mal ne fait qu'augmenter.
Mais chose étrange: tout en pénétrant les lois du mouvement des étoiles, les hommes ne comprennent pas une vérité aussi évidente. Pourquoi? Parce qu'ils croient que la violence est bienfaisante.
2
La doctrine conformément à laquelle l'homme ne peut et ne doit jamais faire violence pour arriver à ce qui lui semble bien, est juste pour cette simple raison que tous les hommes n'entendent pas le bien et le mal de la même façon. Ce que l'un considère comme mal est douteux (d'autres le considèrent comme bien), tandis que la violence dont il use afin de supprimer le mal: coups, blessures, entraves à la liberté, mort, est incontestablement un mal.
3
Le plus grand mal de la superstition suivant laquelle on peut organiser la vie des autres, par la violence, réside en ce fait, qu'aussitôt qu'un homme se permet d'user de violence à l'égard d'un seul pour le bien de tous, il n'y a plus de borne au mal qu'il pourrait commettre. C'est la même superstition qui justifiait dans les temps passés, les tortures, l'inquisition, le servage, et à notre époque, les guerres qui font périr des millions d'hommes.
III.—L'inefficacité de la violence.
1
Forcer les gens par la violence à cesser de faire le mal revient au même que de poser une digue sur une rivière, et de se réjouir que, l'eau soit devenue moins profonde derrière la digue. De même que la rivière inondera la digue en son temps et coulera comme par le passé, les hommes qui font le mal ne cesseront pas de le faire, mais attendront simplement une occasion propice.
2
Celui qui exerce sur nous la violence semble nous priver de nos droits, et c'est pourquoi, nous le détestons. Par contre, nous aimons comme nos bienfaiteurs ceux qui savent nous convaincre. Ce n'est pas le sage, mais l'homme grossier et ignorant qui a recours à la violence. Pour employer la force, il faut de nombreux collaborateurs; pour convaincre, on n'a besoin de personne. Celui qui se sent suffisamment fort pour agir sur la raison n'aura pas recours à la violence. Seuls ceux qui se reconnaissent incapables de persuader, usent de violence.
D'après SOCRATE.
3
Contraindre les gens à faire ce qui me semble bon, est le meilleur moyen de les en dégoûter.
4
Chacun sait combien il est difficile de modifier sa vie et de devenir tel que l'on voudrait. Mais lorsqu'il s'agit des autres, il nous semble qu'il suffit seulement d'ordonner et d'effrayer pour que les autres deviennent tels que nous désirerions qu'ils soient.
5
S'il est possible de soumettre les hommes à l'équiter par la violence, cela ne veut pas dire qu'il soit juste de soumettre les hommes par la violence.
PASCAL.
IV.—L'erreur d'organiser la vie par la violence.
1
Il a déjà été fait, tant de sacrifices sur l'autel du Dieu de la violence qu'on aurait pu peupler de ces victimes vingt planètes de la grandeur de la terre; mais est-on arrivé au moindre résultat? A aucun, sinon à ce fait que la situation des peuples empire de plus en plus. Malgré tout, la violence demeure toujours l'idole. Devant, son autel, baigné de sang, l'humanité semble vouloir se prosterner jusqu'à la consommation des siècles, au son du tambour; au bruit des canons et des gémissements humains.
ADIN BALLOU.
2
«L'instinct de conservation est la première loi de la nature» disent ceux qui nient la loi de la non-résistance.
«D'accord, mais qu'en résulte-t-il?» demandai-je!
«Il en résulte que la défense contre ce qui menace est également une loi de la nature. Et de là, cette conclusion que la lutte et, sa conséquence, la disparition du plus faible, est une loi de la nature; et cette loi justifie incontestablement la guerre, la violence et la vengeance; de sorte que la conséquence de l'instinct de conservation,—est que la défense est légitime; par suite, la doctrine qui défend l'emploi de la violence est erronée, comme étant contraire à la nature et aux conditions de la vie sur la terre.»
—Je suis d'accord que l'instinct de conservation est la première loi de la nature, et qu'il incite à la défense. Je suis d'accord que les hommes, à l'instar des organismes inférieurs, luttent ordinairement les uns contre les autres, s'offensent et s'entre-tuent même, sous le prétexte de se défendre et de se venger. Mais j'y vois uniquement que la plupart des hommes, malgré la loi humaine supérieure qui leur est révélée continuent malheureusement à vivre suivant la loi bestiale, et se privent ainsi du moyen de défense le plus efficace: de payer le mal par le bien, ce dont ils auraient pu profiter s'ils n'avaient pas suivi la loi bestiale de la violence, mais la loi humaine de l'amour.
ADIN BALLOU.
3
Il est certain que la violence et le meurtre révoltent l'homme et que son premier mouvement est d'y opposer la violence et le meurtre. Un tel procédé, bien qu'il se rapproche de celui employé par les animaux et soit peu efficace, n'a rien d'insensé ni de contradictoire. Mais il n'en est pas de même lorsqu'il s'agit de justifier ces procédés. Dès que les gens qui organisent notre vie, veulent excuser ces actes par une argumentation raisonnable, il devient indispensable d'échaffauder des inventions ingénieuses et complexes afin de masquer l'ineptie d'une pareille tentative.
Le moyen principal de justification est de citer l'exemple d'un brigand imaginaire qui torture et assassine des innocents devant nous.
«Vous pouvez vous sacrifier en vertu de votre conviction sur l'illégalité de la violence, mais cette fois vous sacrifiez la vie d'un autre,» disent les défenseurs de la violence.
Mais d'abord, un tel brigand est un cas exceptionnel; bien des gens peuvent vivre des centaines d'années sans rencontrer un brigand qui tuerait des innocents devant eux. Pourquoi baserai-je les règlements de ma vie sur cette invention? En envisageant la vie réelle et non pas des inventions, nous apercevons tout autre chose. Nous voyons des gens, et nous-mêmes, accomplissant les actions les plus cruelles, et cela non pas isolement, comme ce brigand imaginaire, mais en commun avec d'autres personnes, et non pas parce que nous serions des malfaiteurs comme le dit brigand, mais parce que nous nous trouvons sous l'influence de la superstition suivant laquelle la violence est légitime. Ensuite, nous voyons que les actions les plus cruelles viennent non pas du brigand imaginaire, mais de gens qui fondent leur conduite sur l'existence imaginaire de ce brigand. De sorte que l'homme qui réfléchit reconnaîtrait que la cause du mal ne réside nullement en ce brigand imaginaire, mais dans la cruelle erreur qui incite à faire un mal réel en vertu d'un mal imaginaire.
V.—Les conséquences néfastes de la superstition de la violence.
1
Le mal dont les gens croient se défendre par la violence est incomparablement moindre que celui qu'ils se font en se défendant par la violence.
2
Non seulement le Christ, mais tous les sages de l'univers, et les Brahmanes, et les Bouddhistes, et les Taoistes, et les savants grecs, ont enseigné que les gens raisonnables devaient payer le mal par le bien et non par le mal. Mais ceux qui vivent eux-mêmes de la violence disent que ce n'est pas possible, que la vie serait ainsi plus malheureuse. Et ils ont raison pour eux-mêmes, mais non pas pour ceux qu'ils violentent.
3
Il est difficile d'observer la doctrine de la non-résistance au mal par la violence; mais est-il plus facile d'observer celle de la lutte et de la vengeance?
Pour obtenir une réponse à cette question, ouvrez l'histoire de n'importe quel peuple et lisez la description de l'une des cent mille batailles que les hommes se sont livrées pour obéir à la loi de la lutte. Au cours de ces guerres ont été tué des milliards d'hommes, si bien que pendant une seule on a sacrifié un plus grand nombre de vies, supporté plus de souffrances qu'il ne s'en accumulerait pendant des siècles en ne résistant pas au mal.
4
La violence provoque la colère, et celui qui en use pour se défendre non seulement n'y trouve pas une garantie, mais s'expose le plus souvent à des dangers plus grands encore. Aussi, employer la violence pour sa garantie est un mauvais calcul.
5
Toute violence ne désarme pas l'homme, mais ne fait que l'irriter davantage. Il est donc évident que la violence ne saurait améliorer la vie des hommes.
6
La violence assure un semblant de justice, tandis qu'elle éloigne les hommes de la possibilité de mener une vie juste sans violence.
7
Pourquoi le christianisme a-t-il été perverti? Pourquoi la moralité est-elle tombée si bas? Il n'y a qu'une seule raison à cela; la foi en l'efficacité du régime de violence.
VI.—Seule la non-résistance au mal par la violence permet à l'humanité de substituer la loi de l'amour à la loi de la violence.
1
La signification des paroles: «Vous avez entendu qu'il a été dit: œil pour œil, dent pour dent. Mais moi je vous dis: ne résiste pas au méchant. Et celui qui te frappera etc.,» est absolument claire et n'exige aucune explication ni commentaire. Il est impossible de ne pas comprendre que ces paroles signifient que le Christ, en reniant l'ancienne loi de violence: œil pour œil dent pour dent, renie par cela même tout l'ordre des choses fondée sur cette loi, et institue une nouvelle loi d'amour entre tous les hommes sans distinction et, par cela même, une nouvelle organisation sociale qui n'est plus fondée sur la violence, mais sur l'amour universel. Alors, comprenant cette doctrine dans son véritable sens et prévoyant que sa mise en pratique fera disparaître tous leurs privilèges et avantages, certains hommes ont crucifié le Christ et continuent à crucifier ses disciples. D'autres hommes ayant également compris le sens réel de la doctrine sont allés et vont encore à la croix, en rapprochant de plus en plus le moment de la nouvelle organisation de la vie fondée sur la loi de l'amour.
2
La doctrine de la non-résistance au mal par le mal n'est pas une nouvelle loi, mais simplement le signalement de la déviation de la loi de l'amour, savoir que toute admission de violence contre son prochain, que ce soit sous prétexte de vengeance ou sous celui de la libération de soi-même ou de son prochain du mal, est incompatible avec l'amour.
3
Rien n'entrave l'amélioration de la vie humaine tant que le désir des hommes d'améliorer leur vie par des actes de violence. Et la violence des uns envers les autres, nous détourne plus que tout de la seule chose qui pourrait améliorer notre vie: l'effort sur nous-mêmes pour devenir meilleurs.
4
Moins l'homme est satisfait de lui-même et de sa vie intérieure, plus il se fait remarquer dans la vie extérieure, publique.
Afin de ne pas tomber dans cette erreur, l'homme doit comprendre et se souvenir qu'il n'a pas le pouvoir et qu'il n'est pas appelé à organiser la vie des autres, mais qu'il doit s'occuper, comme tous les hommes, uniquement de son perfectionnement intérieur que cela seulement est en son pouvoir et que cette conduite seule peut avoir une action sur la vie des autres.
5
Si les hommes consacraient le temps et les forces dépensés aujourd'hui à l'organisation de la vie des autres à la lutte de chacun contre ses propres péchés, le but qu'ils veulent atteindre—la meilleure organisation de la vie—serait bien vite réalisé.
6
Lorsqu'on demandait à Socrate où il était né, il disait: sur la terre. Lorsqu'on lui demandait de quel pays il était; il répondait: du pays universel.
Nous devons nous souvenir que, devant Dieu, nous sommes tous les habitants de la même terre, et que nous sommes tous sous le pouvoir suprême de la loi divine.
Cette loi est toujours la même pour tous les hommes.
7
Aucun homme ne peut être ni un instrument, ni un but. Là est sa dignité d'homme. Et de même qu'il ne peut disposer de sa personne à aucun prix (ce qui serait contraire à sa dignité), il n'a pas le droit de disposer de la vie d'autrui; autrement dit, il doit reconnaître la dignité humaine de chaque homme, et c'est pourquoi, il doit exprimer son respect à chaque homme.
KANT.
8
A quoi servirait aux hommes la raison, si l'on ne peut les influencer que par la violence?
9
Chose étrange! L'homme se révolte à la vue du mal venant du dehors, des autres, du mal qu'il ne peut supprimer; mais il ne lutte pas contre son propre mal, bien que cela soit toujours en son pouvoir.
MARC-AURÈLE.
10
On peut instruire les autres en leur révélant la vérité et en leur donnant l'exemple du bien, et non pas en les forçant à faire ce que nous voulons.
11
Si, au lieu de vouloir sauver l'humanité, chacun travaillait à son propre salut et au lieu de vouloir libérer l'humanité, tentait de se libérer soi-même,—combien on aurait fait pour le salut et la libération de l'humanité.
HERZEN [1].
12
Accomplis ton œuvre de vie en perfectionnant et en améliorant ton âme, et sois persuadé que ce n'est qu'ainsi que tu pourras contribuer de la façon la plus féconde à l'amélioration de te vie commune des hommes.
13
Notre vie serait belle si nous avions aperçu seulement ce qui détruit notre bonheur. Et c'est la superstition de la violence qui ne peut nous donner ce bonheur qui le détruit.
VIII.—Interprétation erronée du commandement du Christ interdisant d'user de la violence contre le mal.
1
La base de l'organisation sociale des païens était la vengeance et la violence. Cela devait être ainsi. Il semblerait, par contre, que l'amour et la renonciation à la violence auraient dû inévitablement être à la base de notre société. Cependant, la violence règne toujours. Pourquoi? Parce que ce qui est professé au nom du Christ n'est pas la doctrine du Christ.
2
Doit-on comprendre les paroles du Christ sur l'amour envers ceux qui nous haïssent, envers nos ennemis, amour qui n'admet aucune violence, comme elles ont été dites, c'est-à-dire commandant l'humilité et l'amour, ou bien doit-on les comprendre autrement? Et si c'est autrement, on doit dire comment. Or, personne ne le fait. Pourquoi? Parce que ceux qui se disent chrétiens veulent cacher à eux-mêmes et aux autres le sens véritable de la doctrine du Christ commandant le changement profond de leur vie. Or, l'ordre actuel leur est profitable.
3
Chose étrange: ceux qui reconnaissent la doctrine du Christ se révoltent contre la règle qui n'admet en aucun cas la violence.
L'homme qui reconnaît que le sens et l'œuvre de la vie est dans l'amour, se révolte parce qu'on lui indique à cet effet une voie sûre, en même temps que les erreurs les plus dangereuses qui pourraient le détourner de cette voie. C'est comme si le marin s'indignait contre l'indication de la bonne direction au milieu des bancs de sables et de récifs. «Pourquoi cette contrainte? Il se peut que j'aie besoin d'échouer sur un banc de sable.» Les gens parlent de même lorsqu'ils s'indignent contre la défense d'employer la violence et de rendre le mal pour le mal.
[1] Célèbre écrivain russe, émigré à l'étranger. (N. du Tr.)
CHAPITRE XV
DU CHÂTIMENT
Chez l'animal, le mal provoque le mal. N'ayant pas de frein pour se maîtriser, l'animal cherche à rendre le mal pour le mal, sans s'apercevoir que le mal accroît inévitablement le mal. L'homme, pourvu de raison, ne peut pas lui, ne pas s'en rendre compte et doit, par suite, savoir se contenir. Malheureusement, sa nature bestiale l'emporte souvent sur sa raison et il emploie cette même raison à justifier le mal qu'il commet en le qualifiant de châtiment, de punition.
I.—Le châtiment n'atteint jamais le but par lequel on le justifie.
1
On affirme qu'on peut rendre le mal pour le mal dans un but de correction. C'est une erreur. On rend le mal pour le mal, non pour corriger les hommes, mais pour se venger. On ne peut corriger le mal par le mal.
2
Punir veut dire en russe: donner une leçon. Or, on ne peut enseigner que par la bonne parole et le bon exemple. Lorsqu'on rend le mal pour le mal on n'instruit pas, mais on déprave.
3
L'erreur qu'on peut supprimer le mal par la punition est tout particulièrement dangereuse, pour cette raison que les gens qui commettent ainsi le mal considèrent que cela est non seulement permis, mais encore bienfaisant.
4
Par la punition, par la menace du châtiment on peut effrayer l'homme, le retenir du mal pour un temps, mais on ne peut le corriger.
5
La plus grande partie des malheurs des gens provient de ce que les hommes—pécheurs—se sont reconnu le droit de punir.
6
La preuve la plus éclatante de ce que sous le nom de «science» on entend souvent des choses insignifiantes, voire monstrueuses, est dans l'existence d'une science de punitions, c'est-à-dire visant l'acte le plus grossier qu'un homme puisse commettre.
II.—Superstition de l'efficacité de la vengeance.
1
De même qu'il existe des superstitions d'idolâtrie, de présages, de culte extérieur, etc., il existe chez les hommes une superstition universelle en vertu de laquelle les uns peuvent contraindre les autres à mener une bonne vie. Les premières superstitions commencent à disparaître ou ont disparu, mais celle qui fait croire à la possibilité de rendre les hommes heureux par le châtiment des mauvais, continue à être reconnue de tous, et l'on commet en son nom les plus grands crimes.
2
«Alors les scribes et les pharisiens Lui amenèrent une femme surprise en adultère et, l'ayant placée au milieu d'eux, Lui dirent: Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d'adultère. Or, Moïse nous a ordonné dans sa loi, de lapider de telles femmes. Et toi, qu'en dis-tu? Ils disaient cela pour L'éprouver, afin de pouvoir L'accuser. Mais Jésus, s'étant baissé, se mit à écrire de son doigt sur le sable. Et comme ils continuaient à L'interroger, Il se releva et leur dit;—Que celui de vous qui est sans péché lui jette le premier la pierre. Et s'étant de nouveau baissé il se remit à écrire sur le sable. Quand ils entendirent cela, dénoncés par leur conscience, ils se retirèrent l'un après l'autre, en commençant par les plus notables jusqu'aux derniers, et Jésus lut laissé seul avec la femme. Alors Jésus s'étant relevé et ne voyant personne que la femme, lui dit:—Femme, où sont tes accusateurs? Personne ne t'a-t-il condamnée? Elle dit: Personne, Seigneur; Jésus lui dit: Je ne te condamne pas non plus; va et ne pèche plus.»
JEAN VIII, 3-11.
3
Les hommes font du mal par méchanceté pour se venger d'une offense, par une fausse notion des moyens de se protéger; puis, afin de se justifier, ils persuadent les autres et eux-mêmes qu'ils agissent ainsi afin de corriger celui qui leur a fait du mal.
4
Un certain ordre subsiste dans notre société, non pas parce qu'on inflige des punitions à ceux qui troublent cet ordre, mais parce que, malgré la mauvaise influence de ces châtiments, les hommes s'aiment et ont pitié quand même les uns des autres.
5
Le châtiment est nuisible, moins parce qu'il irrite celui qu'on punit, que parce qu'il déprave celui qui punit.
III.—La vengeance dans les rapports individuels.
1
Punir un homme pour ses mauvaises actions revient au même que de chauffer le feu. Tout homme qui a fait le mal est déjà puni, parce qu'il est privé de tranquillité, est tourmenté par sa conscience. Mais si sa conscience ne le tourmente pas, toutes les punitions que les hommes peuvent lui infliger ne le corrigeront pas, mais ne feront que l'irriter davantage.
2
Le vrai châtiment pour chaque mauvaise action est celui qui se produit dans l'âme du criminel même, et qui est dans l'abaissement de sa faculté de jouir des bienfaits de la vie.
3
Un homme a fait le mal. Et voilà qu'un autre homme ou des hommes, ne trouvent rien de mieux que de commettre une nouvelle mauvaise action qu'ils qualifient de châtiment.
4
On tue un ours en suspendant une grosse bûche à une corde au-dessus d'une auge remplie de miel. L'ours repousse la bûche pour manger le miel. La bûche revient et lui donne un coup, l'ours se fâche et repousse la bûche plus fort; elle le frappe plus fort encore. Et cela dure jusqu'à ce que la bûche tue l'ours. Les hommes agissent de même lorsqu'ils rendent le mal pour le mal. Est-il possible que les hommes ne puissent être plus raisonnables qu'un ours?
IV.—La vengeance dans les rapports sociaux.
1
La thèse sur la rationalité du châtiment non seulement n'a pas contribué et ne contribue pas à la bonne éducation des enfants, à la meilleure organisation des sociétés et à la moralité de ceux qui croient au châtiment dans l'autre monde, mais encore a causé et cause des malheurs innombrables: elle endurcit les enfants, affaiblit les liens sociaux et déprave les hommes par les promesses de l'enfer en privant la vertu de son fondement principal.
2
Si les hommes ne croient pas qu'il faut rendre le bien pour le mal, c'est uniquement en raison de ce fait qu'on les a habitués, depuis leur enfance, à croire qu'en ne rendant pas le mal, aucun ordre social ne saurait exister.
3
S'il est vrai que les hommes bons souhaitent de voir cesser tous les méfaits: vols, misère, meurtres, tous les crimes qui souillent la vie humaine, ils doivent comprendre qu'on ne saurait y parvenir par la lutte et la vengeance. Toute chose engendre une chose à son image et tant que nous ne neutralisons pas les offenses et les violences des malfaiteurs par des actes absolument contraires et que nous continuons à agir comme eux, nous ne ferons qu'encourager et cultiver en eux tout le mal que nous désirons supprimer. Nous arriverons à redonner au mal un aspect différent, mais le fond restera.
D'après BALLOU.
4
Des dizaines, des centaines d'années s'écouleront peut-être, mais il viendra un temps où nos petits enfants s'étonneront de nos châtiments comme nous nous étonnons aujourd'hui des autodafés et des tortures. «Comment pouvaient-ils ne pas voir l'ineptie, la cruauté, l'inutilité de ce qu'ils faisaient» diront nos descendants.
V.—Dans les rapports personnels des hommes, la vengeance doit faire place à l'amour fraternel et le mal ne sera plus enrayé par la violence.
1
Que faire lorsqu'un homme se fâche contre toi et te fait du mal? On peut faire bien des choses, mais il ne faut sûrement pas en faire une; il ne faut pas faire de mal, c'est-à-dire la même chose qu'il t'a fait.
2
Ne dites pas que si les gens vous font des bienfaits, vous leur en ferez aussi, et que si les gens vous humilient, vous les humilierez aussi; mais agissez ainsi: si les gens vous font des bienfaits, faites-leur en aussi, et s'ils vous humilient, ne les humiliez pas.
MAHOMET.
3
La doctrine d'amour n'admettant pas la violence est utile non seulement parce que c'est bien pour l'homme et pour son âme de subir le mal, et de rendre le bien pour le mal, mais encore parce que seul le bien arrête le mal, l'éteint, ne lui permet pas de se propager. La vraie doctrine d'amour est salutaire parce qu'elle ne permet pas au mal de s'éteindre.
4
Il y a assez longtemps que les hommes ont commencé à comprendre l'incompatibilité du châtiment avec l'essence supérieure de l'âme humaine, et qu'ils ont commencé à imaginer différentes doctrines qui permettent de justifier ce penchant bestial. Les uns disent que le châtiment est nécessaire pour effrayer; les autres, qu'il est nécessaire pour corriger, les troisièmes pour instaurer la justice. Mais toutes ces doctrines ne sont qu'un amas de vaines paroles parce qu'elles n'ont pour base que de mauvais sentiments: la vengeance, la peur, l'égoïsme, la haine. On invente bien des choses, mais on ne se décide pas à faire une seule chose utile: ne rien faire; laisser celui qui a péché se repentir ou ne pas se repentir, se corriger ou ne pas se corriger; quant à ceux qui imaginent ces doctrines et ceux qui les mettent en pratique, ils n'ont qu'à laisser les autres tranquilles et à avoir eux-mêmes une bonne conduite.
5
Réponds au mal par le bien et tu feras disparaître chez le méchant tout le plaisir qu'il voit au mal.
6
Rien ne réjouit les hommes tant que de voir qu'on leur pardonne, et rien ne procure plus de joie à celui qui le fait.
7
La bonté vainct tout, et elle-même est invincible.
8
On peut résister à tout hormis à la bonté.
D'après ROUSSEAU.
9
Rendez le mal pour le bien; pardonnez à tous, alors seulement il n'y aura plus de mal sur la terre. Peut-être n'auras-tu pas la force de le faire; mais sache qu'il ne faut désirer que cela, qu'il ne faut aspirer qu'à cela, car cela seul nous sauvera du mal dont nous souffrons tous.
10
Dieu estime le plus celui qui pardonne l'offense, surtout lorsque l'offenseur est au pouvoir de l'offensé.
MAHOMET.
11
Alors Pierre, s'étant approché de Lui, dit: Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon frère lorsqu'il pêchera contre moi? Sera-ce jusqu'à sept fois? Jésus lui répondit: je ne te dis pas jusqu'à sept fois, mais jusqu'à septante fois sept fois.
(MATTH., XVIII, 21, 22)
12
Lorsqu'on pardonne, il ne s'agit pas de dire: «je pardonne», mais il faut extirper de son cœur le mauvais sentiment que l'on éprouve à l'égard de l'offenseur. Et pour le faire, il faut se souvenir de ses propres péchés; alors on découvrira sûrement en soi des actes plus repréhensibles que ceux pour lesquels on se fâche.
13
La doctrine d'après laquelle, on ne peut se venger quand on aime, est tellement claire qu'elle découle elle-même du sens général de cette doctrine. Si même il n'était pas expressément mentionné dans la doctrine du Christ que tout chrétien doit rendre le bien pour le mal et aimer ceux qui vous haïssent, quiconque comprend cette doctrine déduit lui-même cette exigence d'amour.
VI.—Il est tout aussi important de ne pas combattre le mal par la violence dans les rapports sociaux que dans les rapports individuels.
1
Les hommes désirent rester aussi mauvais qu'ils sont et veulent en même temps que leur vie soit meilleure.
2
Nous ne savons pas, nous ne pouvons savoir en quoi consiste le bien public; mais, nous savons formellement qu'il ne peut être réalisé que par l'accomplissement de la loi éternelle du bien, qui est révélée à chaque homme, à sa raison et dans son cœur.
3
On dit qu'on est forcé de payer le mal par le mal, parce que si on ne le fait pas, les méchants prendront le dessus sur les bons. Je pense que c'est tout le contraire: les méchants opprimeront les bons, lorsque les hommes croiront qu'il est permis de payer le mal par le mal, comme cela se passe, en effet, chez tous les peuples chrétiens. Les méchants sont aujourd'hui les maîtres des bons précisément parce qu'il a été suggéré à tous qu'il est non seulement permis, mais encore utile de faire du mal aux hommes.
4
En parlant de la doctrine chrétienne, les savants écrivains font généralement semblant de croire que la question de l'impossibilité d'appliquer le christianisme dans son sens réel est déjà définitivement tranchée depuis longtemps.
«Il est inutile de s'occuper de rêves, il faut penser aux choses sérieuses, il faut vérifier les rapports entre le capital et le travail, organiser le travail, la propriété foncière, ouvrir des marchés, instituer des colonies pour le trop plein de la population, régler les rapports de l'Église et de l'État, conclure des alliances, garantir la sécurité des États et ainsi de suite.
«Il faut s'occuper de questions sérieuses, dignes de l'attention et des soins des hommes et non pas rêver à un ordre de choses permettant de tendre la joue lorsqu'on vous frappe l'autre, donner aussi son vêtement lorsqu'on vous enlève votre chemise et de vivre comme les oiseaux du ciel, tout cela n'est que du radotage, dit-on, sans remarquer que le fond de toutes ces questions, est précisément contenu en ce qui est qualifié de vain radotage.
En effet, toutes ces questions, depuis celle de la lutte entre le capital et le travail, jusqu'à celle des nationalités et des rapports entre l'Église et l'État, reviennent à cette seule question: Y a-t-il des cas dans lesquels l'homme peut et doit faire le mal à son prochain, ou ces cas n'existent-ils pas et ne peuvent-ils pas exister pour un homme raisonnable? Est-ce raisonnable ou non, et par suite, doit-on ou ne doit-on pas rendre le mal par le mal? Il y eut un temps où les hommes pouvaient ne pas comprendre et ne comprenaient pas, en effet, l'importance de cette question. Mais les souffrances affreuses qui accablent l'humanité d'aujourd'hui ont conduit les hommes à reconnaître la nécessité de trouver à cette question une solution. Il y a dix neuf cents ans que cette question est définitivement résolue par la doctrine du Christ. Et c'est pourquoi, à notre époque, nous ne pouvons plus faire semblant de méconnaître cette question et d'ignorer sa solution.
VII.—La véritable conception des conséquences de la doctrine défendant la nécessité de la violence, commence à pénétrer dans la conscience de l'homme moderne.
1
Le châtiment, est une idée que l'humanité commence à dépasser.
2
L'esprit de Jésus, qu'on s'efforce d'étouffer, se manifeste néanmoins partout d'une façon éclatante. L'esprit évangélique n'a-t-il point pénétré dans les peuples, ne commence-t-il pas à venir à la lumière? Les idées sur les droits et les obligations ne sont-elles pas devenues plus claires pour chacun? N'entend-on pas de toutes parts des appels aux lois plus équitables, aux institutions protégeant les faibles, fondées sur une juste égalité? L'ancienne inimitié entre ceux qu'on a désunis par force, ne s'éteint-elle pas? Les peuples ne se sentent-ils pas frères?
Tout cela est l'œuvre d'un germe prêt à lever, l'œuvre de l'amour, qui débarrassera le monde du péché, qui ouvrira aux peuples une nouvelle voie de vie, dont la loi intérieure ne sera plus la violence, mais l'amour des uns pour les autres.
LAMENNAIS.
CHAPITRE XVI
DE LA VANITÉ
Rien ne pervertit la vie des hommes et ne les prive aussi sûrement de leur vrai bonheur, comme l'habitude de vivre non d'après les préceptes des sages et selon leur propre conscience, mais d'après ce qui est reconnu comme bon et approuvé par les gens parmi lesquels l'on vit.
I.—En quoi consiste la tentation de la vanité.
1
La raison principale qui rend notre vie mauvaise, réside en ce que nous réglons notre conduite non selon les besoins de notre corps ou de notre âme, mais uniquement dans l'espoir d'obtenir l'approbation des gens.
2
Aucune tentation ne captive les hommes aussi longtemps, ne les éloigne autant de la compréhension du sens de la vie humaine et du vrai bonheur, que la préoccupation de la gloire, de l'approbation, de l'estime, des louanges des autres.
L'homme ne peut se libérer de la tentation que par une lutte constante contre lui-même, et par l'évocation continuelle de son unité avec Dieu, cherchant ainsi son approbation seule.
3
Il ne nous suffit pas de vivre de notre vie intérieure, la seule vraie, nous voulons vivre d'une autre vie encore, d'une vie imaginaire dans la pensée des autres, et nous nous efforçons à cette fin de paraître autres que nous ne sommes en réalité. Nous nous efforçons sans cesse de dompter cet être imaginaire, sans nous soucier du vrai, de celui que nous sommes en réalité. Si notre âme est paisible, si nous avons foi, si nous aimons, nous nous empressons d'en parler au plus tôt, afin que ces vertus ne soient pas seulement nos vertus, mais aussi celles de l'être imaginaire qui existe dans la pensée des autres.
Pour faire croire aux gens que nous avons des qualités, nous sommes prêts même à y renoncer. Nous sommes prêts à devenir lâches à condition de passer pour braves.
PASCAL.
4
L'une des expressions des plus dangereuses et des plus nuisibles est: «tous font ainsi.»
5
Lorsqu'il est difficile, et presque impossible, de comprendre pourquoi l'homme agit comme il le fait, sois sûr que la raison de ses actes réside dans le désir d'être glorifié par les hommes.
6
On ne berce pas un enfant pour le débarrasser de ce qui le fait crier, mais pour qu'il ne puisse pas crier. Nous agissons de même avec notre conscience lorsque nous l'étouffons pour être agréables aux gens. Nous n'apaisons pas la conscience, mais nous obtenons ce que nous désirons: nous ne l'entendons plus.
7
Intéresse-toi non à la quantité, mais à la qualité de tes admirateurs; il est désagréable de ne pas plaire aux bonnes gens, mais c'est toujours bien de ne pas plaire aux mauvaises gens.
SÉNÈQUE.
8
Nos plus grandes dépenses sont effectuées pour ressembler aux autres. Ni pour notre esprit, ni pour notre cœur nous ne dépensons autant.
EMERSON.
9
Dans chaque bonne action, il y a un peu de désir d'être approuvé par les gens. Mais c'est mauvais quand tu agis comme tu le fais uniquement pour être glorifié par les autres.
10
Un homme demanda à un autre pourquoi il travaillait à ce qu'il n'aimait pas.
—Parce que tous le font, répondit celui-ci.
—Pardon, pas tous; moi, je ne le fais pas, quelques autres, non plus.
—Si ce n'est pas tous, beaucoup le font, la plupart des gens.
—Mais dis-moi quels sont les plus nombreux, les sots ou les intelligents?
—Certainement ce sont les sots.
—Dans ce cas, tu agis comme tu le fais pour imiter les sots.
II.—Si beaucoup de gens partagent la même opinion, cela ne prouve pas que cette opinion soit juste.
1
Le mal ne cesse pas d'être mauvais parce que beaucoup de gens agissent ma! et qu'ils s'en vantent, comme cela arrive souvent.
2
Plus il y a de gens qui croient à la même chose, plus il faut être prudent à l'égard de cette croyance et avoir plus, d'attention.
3
Lorsqu'on dit: il faut faire comme font les autres, cela veut dire presque toujours qu'il faut faire mal.
LA BRUYÈRE.
4
Il n'y a qu'à s'habituer à faire ce que «tout le monde» exige pour être insensiblement entraîné à commettre de mauvaises actions et à les considérer comme bonnes.
5
L'homme a son tribunal—sa conscience. On ne doit tenir qu'à son jugement.
6
Cherche celui qui est le meilleur parmi ceux qui blâment le monde.
7
Si la foule déteste quelqu'un, il faut, avant d'en juger, bien examiner pourquoi il en est ainsi. Si la foule vénère quelqu'un, il faut également, avant d'en juger, bien examiner pourquoi il en est ainsi.
CONFUCIUS.
III.—Conséquences pernicieuses de la vanité.
1
La société dit à l'homme: «Pense comme nous pensons; crois comme nous croyons; mange et bois comme nous buvons et mangeons; habille-toi comme nous nous habillons.» Si quelqu'un ne se soumet pas à ces exigences, la société l'accable de ses sarcasmes, de ses injures. Il est difficile de ne pas y obéir, mais cependant, si tu t'y soumets, tu t'en sentiras plus mal encore: tu ne seras plus un homme libre, mais un esclave.
D'après LUCIE MALAURY.
2
C'est très bien quand les hommes s'instruisent pour leur âme, pour être plus sages, meilleurs. De telles études leur sont utiles. Mais s'ils étudient pour la gloire, afin de paraître instruits, l'instruction devient non seulement inutile, mais nuisible; elle rend les hommes moins sages et moins bons qu'ils ne le seraient s'ils n'avaient pas étudié du tout.
Traduit du chinois.
3
Non seulement vous ne devez pas vous vanter vous-mêmes, mais encore vous ne devez pas permettre aux autres de vous glorifier. Les louanges font périr l'âme en reportant les préoccupations de l'âme sur la gloire des hommes.
4
Il arrive souvent de voir qu'un homme bon, sage et juste, tout en sachant que la guerre, l'exploitation du travail des autres, le blâme, la consommation de la viande et divers actes du même genre sont mauvais, continue à accomplir ces actes. Pourquoi? Parce qu'il tient plus à l'opinion publique qu'au jugement de sa conscience.
5
L'inobservation des traditions n'a pas occasionné une millième partie du mal causé par le respect des anciennes coutumes.
Les gens ne croient plus depuis longtemps aux anciennes coutumes, mais ils les observent néanmoins parce qu'ils pensent que la plupart des gens les blâmeraient, s'ils n'observaient plus les anciennes coutumes auxquelles personne ne croit plus depuis longtemps.
IV.—La lutte contre la tentation de la vanité.
1
Pendant les premiers temps de sa vie, dans son enfance, l'homme vit principalement pour son corps: il mange, il boit, il joue, il s'amuse. C'est le premier degré. Plus l'homme grandit, plus il commence à se préoccuper de l'opinion des gens parmi lesquels il vit, et plus il commence à négliger les besoins de son corps pour ne penser qu'à la gloire des hommes. C'est le second degré. Le troisième et dernier degré est celui où l'homme se soumet surtout aux exigences de son âme et où il néglige le corps, les amusements et l'opinion publique, pour ne penser qu'à son âme.
2
Il est difficile de déroger tout seul aux coutumes établies; cependant, à chaque pas que l'on fait pour devenir meilleur, on se heurte contre l'usage établi et l'on subit la critique des gens. L'homme qui consacre sa vie à se perfectionner y doit être préparé.
3
C'est mal d'irriter les gens en dérogeant aux coutumes établies, mais c'est plus mal encore de déroger aux exigences de la conscience et de la raison en subissant les coutumes pernicieuses.
4
On ridiculise celui qui garde le silence, comme celui qui parle trop, comme celui qui parle trop peu; il n'y a pas un homme sur terre qu'on ne critique pas. Il n'y a jamais eu, il n'y a pas et il n'y aura jamais personne qu'on aurait toujours blâmé pour tout ce qu'il fait, de même qu'il n'y a personne qu'on aurait toujours loué. C'est pourquoi, il est inutile de se préoccuper ni des louanges, ni des blâmes des gens.
5
Tu crains que les gens ne te méprisent pour ta douceur; mais les gens justes ne peuvent pas te mépriser pour cela; quant aux autres, tu n'as pas besoin de t'en préoccuper—ne fais pas attention à leur opinion. Un bon menuisier ne se chagrinera pas parce qu'un homme qui ne comprend rien à son métier n'approuve pas son travail.
Les gens qui le méprisent pour ta douceur ne comprennent rien à ce qui est bien pour l'homme. Pourquoi donc te préoccuper de leur appréciation?
D'après ÉPICTÈTE.
6
Il est temps pour l'homme de connaître sa valeur. Serait-il, en effet, quelque être bâtard? Il est temps de cesser de regarder humblement de tous côtés pour voir s'il a plu ou déplu aux gens. Non; que ma tête reste droite et ferme sur mes épaules! La vie ne m'est pas donnée pour la montrer, mais pour que je la vive. Je reconnais l'obligation de vivre pour mon âme. Et je veux me préoccuper non pas de l'opinion que les gens auraient de moi, mais de ma vie, de savoir si je n'accomplis ou si je n'accomplis pas ma destinée devant Celui qui m'a envoyé dans la vie.
EMERSON.
7
Quiconque s'est abandonné depuis sa jeunesse à ses grossiers instincts d'animal, ne cesse de s'y adonner, bien que sa conscience réclame autre chose. Il agit ainsi parce que les autres font comme lui. Et les autres agissent ainsi pour la même raison que lui. Il ne peut y avoir qu'une issue: chaque homme doit se libérer de la préoccupation de l'opinion publique.
V.—On doit se préoccuper de son âme et non pas de sa gloire.
1
Le moyen le plus rapide et le meilleur pour gagner la réputation d'un homme vertueux, n'est pas de paraître tel devant les hommes, mais de faire des efforts sur soi-même pour devenir vertueux.
Causeries de SOCRATE.
2
Celui qui ne réfléchit pas par lui-même, se soumet aux idées d'un autre homme. Soumettre sa pensée à quelqu'un est un servage plus humiliant que de soumettre son travail. Réfléchis toi-même et ne te préoccupe pas de ce que te diront les gens.
3
Personne ne manifeste tant de respect et d'attachement pour la vertu, que celui qui perd volontiers la réputation d'un homme de bien, uniquement pour rester bon dans son for intérieur.
SÉNÈQUE.
4
Lorsqu'un homme est habitué à ne vivre que pour l'opinion publique, il lui répugne, parce qu'il ne fait pas ce que font les autres, d'avoir la réputation d'un sot, d'un ignorant ou d'un vilain homme. Mais on doit travailler à tout ce qui est difficile. Et à cette œuvre, on doit travailler des deux côtés: apprendre à mépriser l'opinion des gens; apprendre à vivre pour de telles œuvres qui, bien qu'elles soient critiquées par la foule, n'en restent pas moins des bonnes œuvres.
5
Les hommes vivent et agissent d'après leurs idées, ainsi que d'après les idées des autres. Suivant que les uns et les autres influencent leurs actes, les hommes se distinguent entre eux.
6
Il est difficile de distinguer si tu sers les autres pour ton âme, pour Dieu, ou pour la gloire des hommes. Il n'y a qu'un seul moyen de contrôle: si tu accomplis une œuvre que tu crois bonne, demande-toi si tu continuerais à y travailler si tu savais d'avance que personne n'apprendrait jamais ce que tu fais. Si tu réponds que tu le ferais, c'est que tu travailles sûrement pour ton âme, pour Dieu.
VI.—Celui qui vit de la vraie vie n'a pas besoin de louanges.
1
Vis seul, a dit le sage. Cela veut dire que tu dois résoudre le problème de ta vie tout seul, avec le concours du Dieu qui vit en toi, et non pas d'après les conseils et les opinions des autres.
2
Si tu veux être tranquille, tâche de plaire à Dieu et non pas aux hommes. Ceux-ci ont des désirs différents: aujourd'hui, ils veulent une chose; demain une autre. Jamais, ils ne sont satisfaits. Mais le Dieu qui vit en toi désire toujours une seule chose, et tu sais ce qu'il veut.
3
Il n'y a qu'un seul moyen pour ne pas croire en Dieu: ce moyen consiste à toujours reconnaître l'opinion des gens comme juste, et à ne prêter aucune attention à notre voix intérieure.
JOHN RUSKIN.
4
Si nous sommes sur un bateau en marche et que nous regardons un objet qui se trouve sur le même bateau, nous ne remarquons pas que nous voguons, mais en regardant de côté sur ce qui ne se meut pas avec nous, par exemple la berge, nous nous apercevons immédiatement que nous sommes en mouvement. Lorsque tous les hommes vivent autrement qu'il ne le faut, nous ne le remarquons pas; mais il suffit, qu'un seul se ressaisisse et qu'il commence à vivre selon Dieu, pour qu'il devienne clair combien les autres vivent mal. Mais les autres persécutent toujours celui qui ne vit pas comme eux.
PASCAL.
CHAPITRE XVII
DES FAUSSES CROYANCES
Les fausses croyances sont celles que les gens acceptent non pas parce qu'elles leur sont nécessaires pour leur âme, mais parce qu'ils croient en ceux qui les prêchent.
I.—En quoi consiste la supercherie des fausses croyances.
1
Souvent les hommes pensent qu'ils croient à la loi de Dieu, alors qu'ils ne croient qu'à ce que tous croient. Et tous les hommes ne croient pas à la loi de Dieu, mais qualifient telle ce qui leur convient et ne les empêche pas de mener la vie qui leur plaît.
2
Quand les hommes vivent dans le péché et les tentations, ils ne sauraient être tranquilles. La conscience les dénonce. C'est pourquoi ils sont obligés de choisir entre ces deux alternatives: ou se reconnaître coupables devant les hommes et devant Dieu, et cesser de pécher, ou bien continuer à mener une vie de pécheurs, commettre de mauvaises actions et les qualifier de bonnes. C'est pour ces hommes que l'on a inventé les fausses croyances, grâce auxquelles on peut se considérer comme juste, tout en menant une mauvaise vie.
3
C'est mal de mentir devant les hommes, mais c'est pis encore de se mentir à soi-même. Ce mensonge est tout particulièrement nuisible parce que les autres peuvent dénoncer ton mensonge, tandis que personne ne t'accusera de t'être menti à toi-même. C'est pourquoi, garde-toi de te mentir à toi-même, surtout lorsqu'il s'agit de la foi.
4
«Crois ou sois maudit.» C'est la qu'est la raison principale du mal. Si l'homme accepte sans discuter ce qu'il aurait dû examiner par sa propre raison, il finit par perdre l'habitude de raisonner, il est soumis à la malédiction et induit ses proches au péché. Le salut des hommes réside en ce que chacun doit apprendre à vivre de sa raison.
EMERSON.
5
On ne peut ni peser ni mesurer le tort qu'ont produit et produisent encore les fausses croyances.
La religion règle les rapports de l'homme envers Dieu, à l'égard de l'univers; elle détermine la destinée de l'homme qui découle de ces rapports. Quelle doit être la vie de l'homme si ces rapports et la destination déterminés ainsi sont faux?
6
Il y a trois sortes de fausses croyances. La première est de croire à la possibilité de pouvoir apprendre par l'expérience ce qui ne peut l'être d'après les lois de l'expérience. La seconde fausse croyance fait admettre, dans le but de notre perfectionnement moral, des choses sur lesquelles nous ne pouvons nous former aucune idée par notre raison. La troisième fausse croyance reconnaît la possibilité d'évoquer par un moyen surnaturel une action mystérieuse à l'aide de laquelle la divinité exerce son influence sur notre moralité.
KANT.
II.—Les fausses croyances ne satisfont pas les exigences supérieures, mais les exigences inférieures de l'âme humaine.
1
L'unique et vraie religion ne contient rien que des lois, c'est-à-dire des éléments moraux dont nous pouvons reconnaître et étudier nous-mêmes la nécessité incontestable, et que nous concevons par notre raison.
KANT.
2
L'homme ne peut plaire à Dieu que par une vie juste. C'est pourquoi tout ce par quoi l'homme croit plaire à Dieu, en dehors d'une vie pure et juste, n'est qu'un grossier et nuisible mensonge.
D'après KANT.
3
Faire pénitence en s'infligeant des souffrances, au lieu de profiter de l'état d'esprit où l'on se trouve afin d'amender sa conduite, est un travail inutile. De plus, une telle pénitence a cette mauvaise conséquence; l'homme croit avoir payé ainsi toutes ses dettes, et ne songe plus à son perfectionnement qui seul est nécessaire lorsqu'on reconnaît ses erreurs.
KANT.
4
C'est mal lorsque les hommes ne connaissent pas Dieu, mais c'est plus mal encore lorsqu'ils reconnaissent comme Dieu ce qui n'est pas Dieu.
LACTANCE.
5
On dit: Dieu a créé l'homme à Son image; on aurait mieux fait de dire que c'est l'homme qui a créé Dieu à son image.
LICHTENBERG.
6
Lorsqu'on parle du ciel comme d'un endroit où se trouvent les heureux, on se le représente généralement quelque part très haut, dans les régions infinies de l'univers. On oublie que notre terre, vue de l'une de ces hautes régions, ressemble également à l'un des astres célestes, et que les habitants de ces planètes ont absolument le même droit de dire, en désignant la terre: «Voyez-vous cet astre-là, c'est l'endroit de la félicité éternelle, l'asile céleste préparé pour nous et où nous irons un jour.» Le fait est que, par une étrange erreur de notre raison, l'élan de notre croyance est toujours connexe avec l'idée de notre élévation vers les hauteurs, et nous ne songeons pas que nous aurions beau nous élever, nous devrons néanmoins redescendre encore, afin de pouvoir poser un pied ferme dans quelque autre monde.
7
Les mahométans font bien de couvrir leurs yeux de leurs doigts et de se boucher les oreilles, lorsqu'ils entrent au temple et commencent à prier.
La vraie prière est dans l'abstraction de toutes nos préoccupations habituelles, de tout ce qui peut nous rappeler l'existence de nos sens, et dans l'évocation en soi de l'élément divin. Dans ce but, le mieux est de faire ce que nous dit le Christ: d'entrer seul dans un lieu clos, et de s'y enfermer, c'est-à-dire de prier dans la solitude complète, que l'on soit chez soi, dans la forêt ou dans les champs. La vraie prière est dans ce détachement de toutes les choses extérieures, pendant lequel on contrôle son âme, ses actes, ses désirs, non pas d'après les exigences extérieures du monde, mais d'après les exigences de l'élément divin que nous sentons en nous.
Une telle prière est un secours: elle fortifie et élève l'âme, elle confesse et vérifie les actions passées, elle indique la conduite future.
III.—Le Culte extérieur.
1
Bien qu'il y ait une différence de procédé entre un chamane tounghouse et un prélat catholique européen, ou bien, en prenant pour exemple des gens simples, entre un voghoul grossier et sensuel qui, tous les matins, pose sur sa tête la patte d'une peau d'ours, et prononce les paroles de sa prière: «Ne me tue pas,» et un puritain indépendant de Connecticut; il n'y a aucune différence dans les principes de leurs croyances, car ils appartiennent tous deux à la même catégorie de gens dont le culte ne consiste pas à devenir meilleurs, mais de croire et d'exécuter certains règlements arbitraires. Seuls ceux qui croient que le culte de Dieu consiste à aspirer à une vie meilleure diffèrent des premiers, parce qu'ils reconnaissent un tout autre principe et infiniment plus élevé, réunissant tous les hommes de bonne foi dans un temple invisible qui seul peut être un temple universel.
KANT.
2
«Et quand tu prieras, ne fais pas comme les hypocrites; car ils aiment à prier en se tenant debout dans les synagogues et aux coins des rues, afin d'être vus des hommes. Je vous dis, en vérité, qu'ils reçoivent leur récompense. Mais toi, quand tu pries, entre dans la chambré et, ayant fermé ta porte, prie ton Père qui est dans ce lieu secret; et ton Père qui te voit dans le secret, te récompensera».
MATTH., VI, 5-6.
3
«Gardez-vous des scribes qui se plaisent à se promener en longues robes, et qui aiment les salutations dans les assemblées et les premières places dans les synagogues, et les festins; qui ruinent les maisons des veuves, tout en affectant de faire de longues prières.»
Luc, XX, 46-47.
IV.—La pluralité des croyances et l'unité de la religion vraie.
1
L'homme qui ne pense pas à la religion, s'imagine qu'il n'y a qu'une seule vraie religion—celle dans laquelle il est né. Mais tu n'as qu'à te demander ce qui arriverait si tu étais né dans une autre religion, toi chrétien si tu étais né mahométan; toi bouddhiste—chrétien; toi chrétien—brahmane. Est-il possible que seuls, avec notre religion, nous soyons dans le vrai, et que tous les autres soient dans le mensonge? La religion ne deviendra pas vraie parce que tu te persuaderas toi-même et que tu persuaderas les autres qu'elle seule est vraie.
IV.— Conséquences de la confession des fausses croyances.
1
En 1682, en Angleterre, le docteur Leyton, un homme respectable qui avait écrit un livre contre l'épiscopat anglican, a été jugé et condamné aux châtiments suivants. On le fouetta cruellement, puis on lui coupa une oreille et on lui ouvrit un côté du nez, puis on inscrivit sur sa joue, au fer rouge, les lettres SS: semeur de sédition. Sept jours plus tard on le fouetta à nouveau, bien que les plaies qu'il avait au dos n'aient pas encore été fermées; puis on lui ouvrit l'autre côté du nez, on lui trancha l'autre oreille et on lui tâtoua l'autre joue. Tout cela fut fait au nom du christianisme.
MORISSON DAVIDSON.
2
En 1415, Jean Huss fut reconnu comme hérétique pour avoir dévoilé la fausse croyance des catholiques et les mauvaises actions du pape, et il fut condamné à mort, sans que son sang puisse être versé, c'est-à-dire à être brûlé.
L'exécution eut lieu derrière les portes de la villes, entre deux jardins. En arrivant sur place, Huss se mit à genoux et commença à prier. Lorsque le bourreau lui ordonna de monter sur le bûcher, il se leva et dit très haut:
«Jésus-Christ. Je vais à la mort pour avoir prêché Ta parole, je souffrirai docilement.»
Les bourreaux, déshabillèrent Huss et lui attachèrent les mains derrière le dos au poteau; ses pieds se trouvaient sur un banc. On mit du bois et de la paille autour de lui. Le bois et la paille lui venaient jusqu'au menton. Le chef impérial s'approcha alors de Huss et lui annonça qu'il serait pardonné s'il se rétractait.
«Non, dit Huss, je ne me connais aucune faute.»
Les bourreaux allumèrent alors le bûcher, et Huss se mit à chanter la prière: «Jésus, Fils du Dieu vivant, aie pitié de moi.»
Le feu monta, très haut, et bientôt Huss se tut.
C'est ainsi que les gens qui se qualifiaient de chrétiens, défendaient leur croyance.
N'est-il pas évident que ce n'était pas une religion, mais la superstition la plus grossière?
3
Les gens ne commettent jamais de mauvaises actions avec plus de sang-froid et d'assurance en leur justice, que lorsqu'ils le font en vertu d'une fausse croyance.
PASCAL.
VI.—En quoi consiste la vraie religion?
1
«Ne vous faites point appeler maître; car vous n'avez qu'un maître—le Christ; et vous, vous êtes tous frères. Et n'appelez personne sur la terre votre père; car vous n'avez qu'un seul Père, Celui qui est dans les cieux; et ne vous faites point appeler docteur, car vous n'avez qu'un seul Docteur—le Christ.» MATTH., XXIII, 8-10.
C'est ainsi qu'enseignait le Christ. Et il enseignait ainsi parce qu'il savait que, de même qu'en son temps il y avait des gens qui prêchaient une fausse loi de Dieu, il y en aurait aussi dans l'avenir. Il le savait et disait qu'il ne fallait pas écouter ceux qui s'intitulaient maîtres parce que leur enseignement obscurcit la doctrine simple et claire qui est révélée à tous et qui vit dans le cœur de chaque homme.
Cette doctrine consiste à aimer Dieu, comme le suprême bien et la suprême vérité, à aimer son prochain comme soi-même et à faire aux autres ce qu'on veut qu'ils vous fassent.
2
La religion ne consiste pas à savoir ce qui a été et ce qui sera, ni même ce qui est actuellement, mais elle consiste à savoir ce que chaque homme doit faire.
3
«Si donc tu apportes ton offrande à l'autel, et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre loi, laisse-là ton offrande devant l'autel, et va-t-en premièrement te réconcilier avec ton frère; et après cela viens, et présente ton offrande».
MATT., V. 23.
Voilà où est la vraie religion: ni dans la cérémonie, ni dans l'offrande, mais dans l'union des hommes.
4
La doctrine chrétienne est tellement claire que les tout petits enfants la comprennent dans son sens exact. Seuls ceux qui ne veulent pas vivre comme des chrétiens ne la comprennent pas.
Pour comprendre le vrai christianisme, il faut tout d'abord renoncer au faux christianisme.
5
Le vrai culte de Dieu est exempt de superstitions; lorsque la superstition y pénètre, le culte même s'écroule. Le Christ nous a montré en quoi consistait le vrai culte de Dieu. Il nous enseignait que de tout ce que nous faisons dans le monde, il n'y a qu'une lumière et qu'un seul bonheur pour les hommes,—c'est notre amour des uns pour les autres; Il nous disait que nous ne pourrons atteindre notre bonheur qu'en servant les autres, et non pas nous-mêmes.
6
Si ce qui est présenté comme loi de Dieu ne demande pas d'amour, ce ne sont que des inventions des gens, et non pas la loi de Dieu.
D'après SKOWORODA.
7
On ne peut pas apprendre à connaître Dieu d'après ce que l'on raconte de Lui. On ne peut le connaître qu'en accomplissant Sa loi, la loi que le cœur de chaque homme connaît.
8
Le sens de la doctrine du Christ est dans l'indication de la perfection divine vers laquelle les hommes doivent tendre. Mais les hommes qui ne veulent pas suivre la doctrine du Christ, comprennent volontairement ou non, la doctrine du Christ non pas comme il l'a prêchée—rapprochement continu vers la perfection—mais comme une règle conformément à laquelle le Christ exigerait des hommes la perfection divine. Et en interprétant aussi faussement la doctrine du Christ, ceux qui ne veulent pas la suivre adoptent l'une de ces deux attitudes: ou bien, considérant la perfection comme inaccessible (ce qui est parfaitement juste), ils rejettent toute la doctrine comme un rêve irréalisable, ou bien, attitude la plus nuisible et la plus générale, tout en reconnaissant la perfection comme inaccessible, ils corrigent c'est-à-dire, dénaturent la doctrine et observent des règles que l'on appelle chrétiennes, mais qui sont, pour la plupart, contraires, au christianisme.
9
L'idée de l'union des chrétiens, comme une réunion des élus, des meilleurs, est une idée anti-chrétienne présomptueuse et fausse. Quel est le meilleur, quel est le plus mauvais? Pierre était le meilleur avant que le coq chantât, et le brigand était le plus méchant avant la croix. Ne connaissons-nous pas en nous-mêmes tantôt l'ange, tantôt le diable, qui se mêlent si bien à notre vie, qu'il n'y a pas d'homme qui aurait complètement chassé l'ange, ni qui aurait laissé apparaître le diable derrière l'ange. Comment pouvons-nous, nous qui sommes des êtres si complexes, former la réunion des élus, des justes?
Il y a une lumière de vérité, et il y a ceux qui s'approchent d'elle de tous côtés; d'autant de côté qu'il y a de rayons dans un cercle, c'est-à-dire par des routes infiniment variées. Tâchons de toutes nos forces d'arriver à la lumière de la vérité qui nous unit tous, et ce n'est pas à nous de juger si nous sommes près d'elle et unis à elle.
VII—La seule religion, vraie unit les hommes de plus en plus.
1
Voyez le mécontentement profond de la forme actuelle du christianisme, qui se répand dans la société et s'exprime par le murmure, parfois, par l'irritation, la tristesse. Tous attendent l'avènement du Royaume de Dieu. Et il approche.
Le pur christianisme, bien que lentement, mais toujours de plus en plus, prend la place de celui qui porte ce nom.
CHANNING.
2
Depuis Moïse à Jésus, il s'est opéré chez les individus et les peuples un grand développement mental et religieux. Les anciennes erreurs sont abandonnées, de nouvelles vérités ont pénétré dans la conscience de l'humanité. Un seul homme ne peut être aussi grand que l'humanité. Si un grand homme est tellement en avance sur ses frères qu'ils ne le comprennent pas,—il arrive un temps où ils le rejoignent d'abord, puis le devancent et s'en vont si loin qu'ils deviennent, à leur tour, incompréhensibles pour ceux qui se trouvent à l'endroit où était l'ancien grand homme. Chaque grand génie religieux explique de plus en plus les vérités de la religion et contribue ainsi à l'union, de plus en plus grande, des hommes.
PARKER.
4
Chaque homme séparément, de même que toute l'humanité dans son ensemble doit se transformer, passer de l'état inférieur à l'état supérieur, sans s'arrêter dans sa croissance dont la limite est en Dieu lui-même. Tout état est la conséquence de l'état précédent. La croissance s'effectue continuellement et imperceptiblement et, pareille à la croissance de l'embryon, elle a lieu de façon à ce que rien ne détruit le but des situations successives de ce développement continu. Mais s'il est donné à l'homme et à tout le genre humain de se transformer, cette transformation, tant pour l'individu que pour tout le genre humain, doit s'effectuer dans le travail et les souffrances.
Avant de se parer de grandeur, avant d'apparaître à la lumière, on doit se mouvoir dans les ténèbres, supporter les persécutions, sacrifier son corps pour sauver son âme; il faut mourir pour ressusciter à la vie plus puissante, plus parfaite. Et après dix-huit siècles, ayant accompli un des cycles de son développement, l'humanité tend de nouveau à se transformer. Les anciens systèmes, les anciennes sociétés, tout ce qui composait l'ancien monde s'écroule déjà, et les peuples vivent maintenant au milieu de décombres, dans l'effroi et la souffrance. C'est pourquoi on ne doit pas perdre courage à la vue de ces ruines, de ces morts qui se sont déjà accomplies et qui s'accompliront encore, mais, au contraire, prendre courage. L'union des hommes est proche.
LAMENNAIS.
CHAPITRE XVIII
DE LA FAUSSE SCIENCE
La superstition de la science se révèle par la croyance en ce fait que le vrai savoir nécessaire à la vie de tous les hommes est contenu dans les seules connaissances prises au hasard dans le domaine illimité du savoir qui, à un moment donné, ont attiré l'attention d'un petit nombre d'hommes, de ceux-là même qui se sont affranchis du travail indispensable à la vie et qui mènent, par suite, une vie déraisonnable et dépravée.
I.—En quoi consiste la superstition de la science.
1
Quand les hommes acceptent comme vérité incontestable ce que les autres leur présentent pour telle et qu'ils ne la vérifient point, ils tombent dans la susperstition. Telle est, à notre époque, la superstition de la science.
2
De même qu'il existe des hérésies pour religion, il y a une hérésie pour la science. Cette hérésie est dans la reconnaissance comme science unique et véritable de tout ce qui est considéré comme tel par les gens qui se sont, à un certain moment, arrogé le droit de déterminer la vraie science. Et aussitôt qu'on considère comme science non pas ce qui est nécessaire à tous les hommes, mais ce qui est déterminé par les gens qui, à un certain moment se voit arrogé le droit de définir ce qu'est la science, il est forcé que cette science soit fausse. C'est ce qui s'est produit dans notre monde.
3
La science occupe à notre époque exactement la même place que celle qu'occupait la prêtrise il y a quelques siècles.
Les mêmes bonzes attitrés: les professeurs; les mêmes castes dans la science; académies, universités, congrès. La même confiance et le manque de critique de la part des croyants, les mêmes différends, et les mêmes discussions. Les mêmes paroles incompréhensibles, la même présomption.
—Inutile de discuter avec lui: il nie la révélation.
—Inutile de discuter avec lui: il nie la science.
4
Ce qu'il y a de plus nuisible pour la vraie science, c'est l'emploi d'expressions et de termes peu clairs. C'est précisément ce que font les pseudo-savants, en imaginant, pour exprimer des idées incertaines des mots inexistants.
5
La fausse science et les fausses religions expriment toujours leurs dogmes en un langage emphatique qui apparaît aux non-initiés comme mystérieux et grave. Les raisonnements des savants sont souvent peu compréhensibles non seulement pour les autres, mais pour les raisonneurs eux-mêmes, et cela au même degré que les discours des professionnels de la foi. Le savant pédant, en se servant de termes latins et de nouveaux mots, rend souvent les choses les plus simples tout aussi incompréhensibles que le sont les prières latines des prêtres catholiques pour les paroissiens illettrés. Le mystère n'est pas un signe de sagesse et de science. Plus un homme est véritablement éclairé, plus le langage dont il exprime ses pensées est simple.
II—La science sert à justifier l'organisation de la vie sociale.
1
Il semblerait que pour reconnaître l'importance des occupations qu'on qualifie de scientifiques, il faudrait prouver leur utilité. Mais les servants de la science affirment ordinairement que dès l'instant qu'ils s'occupent de certains sujets, ces occupations seront sûrement utiles un jour.
2
Le but légitimement poursuivi par la science est la connaissance des vérités servant au bonheur des hommes. Le faux but est de justifier les mensonges qui insinuent le mal dans notre vie. Telles sont la jurisprudence, l'économie politique et, surtout, la philosophie et la théologie.
3
La science contient les mêmes mensonges que la religion et elles partent du même point: le désir de justifier les faiblesses des hommes, et c'est pourquoi les mensonges scientifiques sont tout aussi nuisibles que les mensonges confessionnels. Les hommes errent, vivent mal. Logiquement, ayant compris qu'ils vivent mal, ils devraient s'employer à modifier leur genre de vie afin d'améliorer leur situation. Au lieu de cela, apparaissent toutes sortes de sciences: financière, théologique, pénale, policière, l'économie politique, l'histoire, et la plus à la mode: la sociologie, indiquant les lois de la vie sociale et suivant lesquelles la vie mauvaise ne provient pas des hommes, mais des lois mauvaises que les savants ont découvertes et formulées. Ce mensonge est tellement déraisonnable et contraire à la conscience, que les hommes ne l'auraient jamais accepté, si la conscience n'avait pas encouragé leurs faiblesses.
4
Nous avons organisé notre vie contrairement à la nature morale et physique de l'homme, et nous sommes persuadés,—uniquement parce que tout le monde le pense—que c'est là précisément la vraie vie. Nous sentons vaguement que tout ce que nous appelons notre organisation sociale, notre religion, notre culture, nos sciences et nos arts, que tout cela n'est pas ce qu'il faudrait, parce que cela ne nous débarrasse pas de nos misères, mais ne fait que les accroître. Cependant, nous ne nous décidons pas à soumettre tout cela au contrôle de la raison parce que nous pensons que l'humanité, qui a toujours reconnu la nécessité du régime social de contrainte, de religion et de science qu'il a pour base, ne peut pas vivre en dehors de lui.
Si un poussin dans sa coquille avait été doué de la raison d'un homme et savait tout aussi peu en profiter que les gens de notre époque, il n'aurait jamais brisé la coquille de son ouf et n'aurait jamais connu la vie.
5
La science est devenue maintenant une distributrice de diplômes donnant le droit de profiter du travail d'autrui.
6
Le phraséologie méthodique des écoles supérieures a le plus souvent pour but d'éviter la solution des questions difficiles, et l'on donne aux paroles un sens équivoque parce que le «je ne sais pas» commode et pour la plupart du temps raisonnable, n'est pas en faveur dans nos académies.
KANT.
7
Rien n'est plus inconciliable que le savoir et le profit, la science et l'argent. Si pour devenir plus instruit, il faut de l'argent, si la sagesse s'achète et se vend, l'acheteur et le vendeur sont également trompés. Le Christ a chassé les marchands du temple; ils auraient dû être chassés de même du temple de la science.
8
Ne considère pas la science comme une couronne pour t'en parer, ni comme une vache pour t'en nourrir.
III.—Conséquences nuisibles de la superstition de la science.
1
Il est dangereux de propager l'idée que notre vie est le résultat des forces matérielles et qu'elle dépend d'elles. Mais, lorsque cette idée fausse s'appelle science, et qu'elle est présentée comme la sainte sagesse de l'humanité, le tort causé par elle est effrayant.
2
Le développement de la science ne contribue pas à la purification des mœurs. Chez tous les peuples dont nous connaissons la vie, le développement des sciences contribuait à la dépravation des mœurs. Si nous pensons à présent le contraire, cela vient de ce que nous confondons nos connaissances futiles et trompeuses avec le vrai savoir suprême. La science, dans son sens abstrait, la science, en général, doit être respectée; mais la science actuelle, ce que les insensés appellent science, ne peut-être que ridiculisé et méprisé.
J.-J.-ROUSSEAU
3
L'unique explication de la vie insensée, contraire à la conscience des meilleurs hommes de tous les temps, que mènent les gens de notre époque, se trouve dans le fait que les jeunes générations étudient des matières innombrables: la constitution des astres de la terre, l'origine des organismes, etc., ils n'omettent qu'une chose, c'est de savoir quel est le sens de la vie humaine, comment il faut la vivre, ce qu'ont pensé de cette question les grands sages de tous les temps, et comment ils l'ont résolue. Non seulement les jeunes générations n'en sont pas instruites, mais on leur apprend, sous le nom de religion, les inepties les plus flagrantes, auxquelles ceux qui les enseignent ne croient pas eux-mêmes. Tout l'édifice de notre vie sociale repose sur des bulles gonflées d'air et non sur de la pierre.
4
Ce qu'on appelle aujourd'hui science est un composé d'inventions des gens riches, nécessaire pour occuper leur oisiveté.
5
Nous vivons dans un siècle de philosophie, de sciences et de raison. Il semble que toutes les sciences se soient réunies pour éclairer notre route dans le labyrinthe de la vie humaine. D'immenses bibliothèques sont ouvertes à tous et partout, des lycées, des écoles, des universités nous donnent depuis l'enfance la possibilité de profiter du savoir des hommes qui s'est accumulé pendant des milliers d'années. Il semblerait que tout contribue à la formation de notre intelligence et au consolidement de notre raison. Eh bien, sommes-nous devenus meilleurs ou plus sages? Connaissons-nous mieux la voie et le but de notre vie? Connaissons nous mieux nos obligations et surtout le bien de la vie? Ou qu'avons-nous acquis par ces vaines connaissances, sinon l'inimitié, la haine, l'ignorance et les doutes? Chaque doctrine et chaque secte religieuse prouve qu'elle a trouvé la vérité. Chaque écrivain sait seul en quoi consiste notre bonheur. L'un nous prouve qu'il n'y a pas de corps, l'autre—qu'il n'y a pas d'âme, le troisième—qu'il n'y a aucune connexion entre l'âme et le corps, le quatrième—que l'homme est un animal, le cinquième—que Dieu n'est qu'un miroir.
ROUSSEAU.
6
N'étant pas capable de tout pénétrer et ne sachant pas sans l'aide de la religion ce qu'on doit étudier, la science d'aujourd'hui ne s'occupe que de ce qui est agréable aux savants qui mènent une vie irrégulière. Et leur agrément est de profiter du régime existant, afin de satisfaire leur oisive curiosité qui ne demande pas de grands efforts intellectuels.
IV.—La quantité de matières à étudier est innombrable, tandis que les capacités du savoir de l'homme sont limitées.
1
Un savant persan dit: «Lorsque j'étais jeune, je me suis dit: je veux connaître toute la science; et j'ai appris presque tout ce que savaient les hommes. Mais lorsque je suis devenu vieux et que j'ai jeté un coup d'œil sur tout ce que j'ai appris, je me suis aperçu que ma vie a passé et que je ne sais rien.»
2
Les observations et les calculs des astronomes nous, ont appris bien des choses dignes d'étonnement; mais le résultat le plus important de leurs études est, sans doute, celui qu'ils nous ont révélé l'abîme de notre ignorance. Sans ces connaissances, la raison humaine ne pourrait jamais se représenter toute l'immensité de cet abîme. Si l'on réfléchi à cela, on peut arriver à une grande transformation dans la détermination des buts finals de l'activité de notre raison.
KANT.
3
«Il y a des herbes sur la terre; nous les voyons; de la lune nous ne pourrions pas les apercevoir. Sur ces herbes il y a des fils—sur ces fils des petits organismes; mais plus loin—il n'y a plus rien.» Quelle présomption!
«Les corps complexes sont composés d'éléments et les éléments sont indécomposables.» Quelle présomption!
PASCAL.
4
Il nous manque des connaissances pour comprendre ne serait-ce que la vie du corps humain. Voyez ce qu'il faut savoir pour cela. Le corps a besoin de place, de temps, de mouvements, de chaleur, de lumière, de nourriture, d'eau, d'air et de bien d'autres choses encore. Mais dans la nature, toutes les choses sont si étroitement liées entre elles qu'on ne peut comprendre l'une sans avoir étudié l'autre. On ne peut comprendre une partie sans avoir compris le tout. Nous ne comprendrons la vie de notre corps que lorsque nous aurons étudiés tout ce qu'il lui faut: et pour cela, il est indispensable d'étudier tout l'univers. Mais l'univers est infini et sa compréhension est inaccessible à l'homme. Par conséquent, nous ne pouvons nous expliquer entièrement la vie de notre corps.
PASCAL.
5
Les sciences expérimentales, lorsqu'on s'en occupe pour elles-mêmes, en les étudiant sans aucun but philosophique, ressemblent à un visage sans yeux. Elles représentent une des occupations qui convient aux capacités moyennes, privées de dons suprêmes qui ne feraient qu'entraver leurs recherches minutieuses. Les gens doués de ces capacités moyennes concentrent toutes leurs forces et tout leur savoir sur un champ d'études limité, où ils peuvent, par suite, atteindre des connaissances aussi complètes que possible, mais à condition d'être complètement ignorants dans tous les autres domaines. Ils peuvent être comparés aux ouvriers qui travaillent dans les ateliers d'horlogerie dont les uns ne font que les roues, les autres les ressorts, et les troisièmes les chaînes.
SCHOPENHAUER.
6
Ce n'est pas la quantité des connaissances qui importe, mais leurs qualités. On peut savoir bien des choses et ignorer ce qui est le plus nécessaire.
7
Socrate n'avait pas la faiblesse commune de parler pendant ses entretiens de tout ce qui existe, de chercher la provenance de ce que les sophistes appelaient nature et de remonter jusqu'aux causes premières dont sont sortis les corps célestes. Est-ce possible, disait-il, que les gens croient avoir pénétré tout ce qu'il importe à l'homme de savoir, s'ils s'occupent de ce qui se rapporte si peu à l'homme?
Il s'étonnait surtout de l'aveuglement des faux savants qui ne se doutent pas de ce que la raison humaine est incapable de pénétrer ces mystères. C'est pourquoi, disait-il, ceux qui s'imaginent savoir en parler ne sont pas d'accord dans leurs principes même, et lorsqu'on les entend parler ensemble on se croirait parmi des fous. De fait, quels sont les signes particuliers de ceux qui sont pris de folie? ils craignent ce qui n'a rien d'effrayant et n'ont pas peur de ce qui est réellement dangereux.
XÉNOPHON.
8
La sagesse est une chose vaste et grande: elle demande tout le temps libre qui peut lui être consacré.—Indépendamment du nombres de questions que tu pourrais résoudre, tu devras, néanmoins, te tourmenter d'une quantité de questions, qui doivent être examinées et résolues. Ces questions sont tellement vastes et nombreuses qu'elles exigent l'expulsion de notre esprit de toute chose superflu, afin d'offrir une liberté entière au travail de la raison. Dois-je dépenser ma vie en vaines paroles? Il arrive fréquemment, néanmoins, que les savants pensent plus aux paroles qu'à la vie. Remarque quel mal produit la philosophie outrée et combien elle peut être dangereuse pour la vérité.
SÉNÈQUE.
V.—La quantité des connaissances est innombrable. C'est à la vraie science de choisir les plus importantes et les plus nécessaires.
1
Il n'y a ni honte, ni faute de ne pas savoir. Personne ne peut tout connaître; mais il est honteux et nuisible de faire semblant de savoir ce que l'on ignore.
2
La capacité de l'esprit à absorber des connaissances, n'est pas illimitée. C'est pourquoi on ne doit pas croire que plus on sait, mieux cela vaut. La connaissance d'un grand nombre de sottises est une entrave insurmontable pour savoir ce qui est réellement nécessaire.
3
La raison se fortifie par l'étude de ce qui est nécessaire à l'homme, et elle s'affaiblit par l'étude de ce qui est insignifiant et inutile; ainsi le corps se fortifie par l'air frais et la nourriture fraîche, ou s'affaiblit par l'air vicié et la nourriture corrompue.
JOHN RUSKIN.
4
A notre époque naissent un grand nombre de sciences, dignes d'être étudiées. Bientôt nos capacités seront trop limitées et la vie sera trop courte, pour que nous puissions assimiler même la partie la plus utile de ces connaissances. Nous avons à notre service une grande abondance de ces trésors intellectuels, et nous sommes obligés, après y avoir puisé, de rejeter bien des choses comme du bric-à-brac inutile. Il serait plus simple de ne jamais nous en embarrasser.
KANT.
5
Le savoir est infini, c'est pourquoi on ne peut pas dire de celui qui sait beaucoup, qu'il sait plus que celui qui sait très peu.
6
La chose la plus ordinaire à notre époque est de voir des gens qui se considèrent comme savants et éclairés, qui connaissent, en effet, une quantité innombrables de choses inutiles, croupir dans l'ignorance la plus grossière, parce que non seulement ils ne connaissent pas le sens de leur vie, mais encore parce qu'ils sont fiers de cette ignorance. Et, d'autre part, il n'est pas moins fréquent de rencontrer parmi des gens presque illettrés, et même complètement illettrés, qui ignorent tout du tableau chimique, des parallaxes, des propriétés du radium, et qui sont pourtant des gens très éclairés, connaissant le sens de la vie, sans se montrer plus fiers pour cela.
7
Les hommes ne peuvent comprendre et savoir tout ce qui se fait dans le monde; par conséquent, leurs jugements sur bien des choses sont inexacts? L'ignorance de l'homme se montre sous deux aspects; l'ignorance pure, naturelle, dans laquelle les hommes naissent; l'autre est celle du vrai sage. Lorsque l'homme aura étudié toutes les sciences, et qu'il saura ce que les gens ont su et savent, il verra que toutes ces sciences, prises dans leur ensemble, sont tellement, insignifiantes, qu'elles ne donnent aucune possibilité de comprendre le monde, et cet homme se persuadera qu'en réalité, les savants ne savent absolument rien de plus que les simples ignorants. Mais il y a de ces demi-savants qui ont acquis quelques éléments de diverses sciences et qui s'en montrent très fiers. Ils se sont éloignés de l'ignorance naturelle, mais n'ont pas eu le temps d'arriver à la vraie sagesse des savants, qui ont compris l'imperfection et l'insignifiance de toutes les connaissances humaines. Ce sont ces gens qui, se croyant de fortes têtes, troublent le monde. Ils jugent de tout avec assurance et promptitude et, naturellement, ils se trompent constamment. Ils savent jeter de la poudre aux yeux et jouissent souvent du respect des hommes, mais les masses populaires les méprisent, voyant bien leur inutilité; quant à eux, ils méprisent le peuple, le croyant ignorant.
PASCAL.
8
Les gens croient souvent que plus on sait, mieux cela vaut. C'est une idée fausse. Il ne s'agit pas de savoir beaucoup de choses; il importe de savoir l'essentiel de tout ce que l'on peut connaître.
9
Les sages ne sont jamais savants, les savants ne sont jamais sages.
LAO-TSEU.
10
Les hiboux voient dans l'obscurité, mais deviennent aveugles à la clarté du soleil. Il en est de même des savants. Ils connaissent quantité de futilités scientifiques, mais ils ne savent pas et ne peuvent rien savoir de ce qui est le plus nécessaire dans la vie: comment l'homme doit vivre sur la terre.
11
Le sage Socrate disait que la bêtise ne provient, pas de peu de science, mais de ce qu'on ne se connaît pas soi-même, et qu'on croit connaître tout ce que l'on ignore. Il appelait cela bêtise et ignorance.
12
Quand l'homme connaît toutes les sciences et parle toutes les langues, mais ignore ce qu'il est et ce qu'il doit faire, il est bien moins instruit que la vieille femme illettrée qui croit à son Seigneur le sauveur, c'est-à-dire en Dieu, selon la volonté duquel elle reconnaît qu'elle vit, et elle sait que ce Dieu exige d'elle une vie juste. Elle est plus instruite que le savant, parce qu'elle possède la réponse à la question essentielle: ce qu'est sa vie et comment doit-elle vivre; tandis que le savant, tout en possédant des réponses ingénieuses à toutes les questions complexes, mais peu importantes de la vie, n'a pas de réponse à la question principale de tout homme de raison: pourquoi je vis et que dois-je faire?
13
Les gens qui croient que la science est l'œuvre principale de la vie, sont pareils aux papillons attirés par la clarté de la bougie: ils périsssent eux-mêmes et obscurcissent la lumière.
VI.—En quoi consiste le sens et le but de la vraie science.
1
Le savant est celui qui a appris beaucoup de choses dans les livres; l'homme instruit est celui qui est au courant de tout ce qui intéresse actuellement les hommes; l'homme éclairé est celui qui sait pourquoi il vit et ce qu'il doit faire. Ne t'efforce ni d'être savant, ni d'être instruit tâche de devenir un homme éclairé.
2
Si dans la vie réelle l'illusion défigure la réalité pour un instant seulement, dans la région abstraite, l'erreur peut dominer pendant des milliers d'années, peut peser de son joug sur des peuples entiers, étouffer les élans les plus nobles de l'humanité, et, à l'aide de ses esclaves qu'elle a trompés, elle peut mettre aux fers celui qu'elle n'a pu tromper. Elle est l'ennemi contre lequel les plus grands esprits de tous les temps ont mené un combat inégal, et l'humanité n'a gagné que ce qu'ils ont pu lui enlever. Si l'on dit que l'on doit rechercher la vérité même là où l'on en attend aucun profit parce que l'utilité peut en apparaître là où elle n'avait pas été prévue, il faut ajouter encore qu'on doit rechercher et supprimer avec le même zèle toute erreur, là même où elle ne peut faire aucun tort, parce que le danger des erreurs peut facilement apparaître un jour, là où on ne s'y attendait pas, toute erreur contenant du poison. Il n'y a pas d'erreur inoffensive et il y a d'autant moins d'erreur honorable et sacrée.
Pour consoler ceux qui consacrent leur vie et leurs forces à la noble et difficile lutte contre les erreurs, on peut hardiment dire que, si avant la venue de la vérité, l'erreur continuera quand même à faire son œuvre, elle n'évincera pas jusqu'au bout la vérité conquise et clairement exprimée, pour prendre librement sa place vacante, pas plus que les hiboux et les chauves-souris pendant la nuit n'intimideront et n'empêcheront le soleil de réapparaître radieux à son lever. Telle est la puissance de la vérité; sa victoire est difficile et pénible, mais une fois gagnée, elle ne peut pas être reprise.
SCHOPENHAUER.
3
Depuis que les hommes vivent sur la terre, tous les peuples ont eu des sages qui leur ont enseigné ce qui était le plus nécessaire de savoir: quelle est la destination et, par conséquent, le vrai bonheur de chaque homme et de tous les hommes. Seul l'homme qui connaît cette science peut juger de l'importance de toutes les autres.
Les objets d'études sont innombrables; aussi, l'ignorance de la mission et du bonheur des hommes rend-elle impossible le choix dans cette quantité infinie des connaissances et c'est pourquoi sans cette connaissance primordiale, toutes les autres deviennent et sont, en effet, un amusement vain et nuisible.
4
Tous les hommes qui s'adressent à la science de notre époque, non pour satisfaire une vaine curiosité, non pour jouer un rôle dans la science, écrire; discuter, enseigner, non pour vivre de la science, mais pour lui poser des questions directes, simples, vitales, s'aperçoivent que tout en répondant à des milliers de questions très ingénieuses et complexes, elle est impuissante à répondre à la seule question qui intéresse tout homme de raison: que suis-je et comment dois-je vivre?
5
On peut étudier les sciences inutiles à la vie spirituelle, telles que l'astronomie, les mathématiques, la physique, de même que jouir de divers plaisirs, jeux, promenades, quand ces occupations ne nous empêchent pas de faire ce que nous devons; mais ce n'est pas bien de s'occuper de vaines sciences et de jouir de plaisirs, quand ils entravent la véritable œuvre de la vie.
6
Socrate démontrait à ses élèves qu'une instruction bien organisée commande de parvenir dans chaque science à une certaine limite qu'on ne doit pas franchir. Il suffit de connaître assez de géométrie, disait-il, pour être, à l'occasion en état de mesurer régulièrement une bande de terre que l'on achète ou que l'on rend, pour diviser un héritage ou pour savoir répartir le travail aux ouvriers. «C'est si facile, disait-il, qu'avec un peu de bonne volonté on ne s'arrêtera plus devant aucun calcul, quand bien même il faudrait mesurer toute la terre. Mais il n'approuvait pas lorsqu'on se passionnait pour les difficultés de cette science, et, bien qu'il les connût, il disait, qu'elles pouvaient occuper toute la vie d'un homme et le distraire des sciences utiles, tandis qu'elles ne servaient à rien. Il trouvait bien que l'on connaisse assez d'astronomie pour pouvoir, d'après de menus indices reconnaître les heures de la nuit, les jours du mois, et les saisons de l'année, s'orienter sur sa route, maintenir la direction en mer, et relever les gardes. Cette science, est si facile, ajoutait-il, qu'elle est accessible à chaque chasseur, à tout navigateur et, en général, à tout homme qui voudrait quelque peu s'en occuper. Mais lorsqu'on voulait arriver à étudier les différentes orbites parcourues par les astres célestes, calculer la dimension des planètes et des étoiles, leur éloignement de la terre, leurs mouvements et modifications,—il blâmait les gens, car il ne voyait aucune utilité à ces occupations. Il en avait une si basse opinion, non pas par ignorance, car il avait étudié ces sciences, mais parce qu'il ne voulait pas qu'on dépense à des études superflues, le temps et les forces qui pourraient être employés à la chose la plus nécessaire à l'homme: à son perfectionnement moral.»
XÉNOPHON.
VII.—De la lecture des livres.
1
Fais attention que la lecture de nombreux écrivains, de livres de tous genres n'embrouillent et ne troublent ta raison. On ne doit alimenter son esprit que par la lecture d'écrivains dont la valeur est incontestable. Trop de lecture distrait l'esprit et le déshabitue du travail personnel. C'est pourquoi ne lis que les vieux livres incontestablement bons. Si jamais tu as envie de passer à des œuvres d'un autre genre, n'oublie pas de revenir aux anciennes.
SÉNÈQUE.
2
Lisez avant tout les meilleurs livres; autrement vous n'aurez pas le temps de les lire.
THOREAU.
3
Il est préférable de ne jamais lire un seul livre que d'en lire beaucoup et de croire à tout ce qui y est dit. On peut être intelligent sans lire un seul livre, tandis qu'en croyant à tout ce qui est écrit dans les livres, on devient forcément sot.
4
Dans la fabrication des livres se répète le même fait que dans la vie. La plupart des gens s'égarent sottement. C'est pour cela que tant de mauvais livres, tant de relent littéraire s'accumulent parmi la bonne graine. Les hommes ne font que perdre leur temps, leur argent, et leur attention à la lecture de ces livres.
Les mauvais livres ne sont pas seulement inutiles, mais encore nuisibles. Car neuf dixièmes de tous les livres ne s'impriment que pour prendre l'argent des autres.
C'est pourquoi il est préférable de ne pas lire du tout les livres dont on parle et dont on écrit beaucoup. Les gens doivent chercher avant tout à lire et à connaître les meilleurs écrivains de tous les siècles, et de tous les peuples. Ce sont ces livres là qu'on doit lire en premier lieu; autrement, on n'aura pas le temps de les lire du tout. Seuls ces écrivains nous instruisent et contribuent à notre éducation.
Nous ne lirons jamais trop peu de mauvais livres et nous ne réussirons jamais à lire trop de bons livres. Les mauvais livres sont un poison moral qui ne fait que griser.
D'après SCHOPENHAUER.
5
Les superstitions et les erreurs tourmentent les hommes. Il n'y a qu'un moyen pour s'en débarrasser: la vérité. Or, nous apprenons la vérité tant par nous-mêmes que par l'entremise de sages et de saints qui ont vécu avant nous. C'est pourquoi pour mener une vie de bien, il faut chercher soi-même la vérité, tout en profitant des indications qui sont venues jusqu'à nous des anciens sages et des saints.
6
L'un des moyens les plus puissants de connaître la vérité qui libère des superstitions, consiste à apprendre tout ce que l'humanité a fait dans le passé pour connaître et exprimer la vérité commune à tous les hommes.
VIII.—De la pensée indépendante.
1
Chaque homme peut et doit profiter de tout ce que la raison commune de l'humanité a élaboré, mais il doit en même temps contrôler par sa propre raison les données élaborées par toute l'humanité.
2
Le savoir est vraiment le savoir, lorsqu'il est acquis par les efforts de la pensée et non par la mémoire.
Nous commençons à savoir réellement lorsque nous nous arrivons à oublier complètement ce que nous avons appris. Je ne me rapprocherai pas à une distance d'un cheveu de la connaissance des objets, tant que je considérerai l'objet comme on me l'a appris. Pour connaître un objet, je dois m'en approcher comme d'une chose d'absolument inconnue de moi.
THOREAU.
3
Nous attendons du professeur qu'il fasse de son élève un homme raisonnable, d'abord, sage, ensuite, et savant, enfin.
Ce procédé présente cet avantage que si l'élève n'atteint jamais le dernier degré, comme cela a, en effet, généralement lieu dans la réalité; il gagnera néanmoins à s'instruire et aura plus d'expérience et de sagesse dans la vie.
Mais si l'on retourne ce procédé à l'envers, alors les élèves saisissent quelque chose qui ressemble à la raison avant d'avoir acquis la faculté de raisonner et emportent de l'enseignement une science empruntée, comme collée à eux et non n'adhérant, sans compter que leurs facultés spirituelles restent tout aussi improductives que par le passé et se trouvent en même temps fortement corrompues par la sagesse imaginaire. C'est là la raison pourquoi nous rencontrons souvent des savants (ou plutôt des gens instruits) qui manifestent très peu de raisonnement, et c'est pourquoi il sort des académies plus d'idiots que de n'importe quelle autre classe sociale.
KANT.
4
Dans toutes les classes il y a des hommes qui jouissent d'une supériorité mentale, bien qu'ils n'aient souvent aucune instruction. L'esprit naturel peut remplacer presque tous les degrés de l'instruction, tandis qu'aucune instruction ne peut remplacer l'esprit naturel, bien qu'elle possède l'avantage de la connaissance des événements et des faits (science historique), de la définition des causes (sciences naturelles)—le tout en une revue facile et régulière; mais cela ne lui donne pas une opinion plus exacte et plus approfondie du sens réel de tous ces événements, faits et causes. L'homme non instruit, mais perspicace et prompt à voir les choses, saura se passer de ces richesses. Un incident de sa propre expérience lui apprendra bien plus qu'à un savant qui connaît des milliers de cas, mais qu'il ne comprend pas très bien, parce que le peu de savoir de l'homme non instruit est vécu.
SCHOPENHAUER.
5
J'aime les paysans: ils ne sont pas assez instruits pour pouvoir raisonner erronement.
MONTAIGNE.
6
Combien de lectures multiples nous aurions pu éviter si nous savions réfléchir avec indépendance.
Est-ce que la lecture et l'étude sont la même chose? Quelqu'un a affirmé, non sans raison, que si l'impression des livres a contribué au développement plus vaste de l'instruction, cela a été au détriment de leur qualité et de leur teneur. Trop lire est mauvais pour la pensée. Les plus grands penseurs, rencontrés parmi les savants que j'ai étudiés, étaient précisément les moins érudits.
Si l'on avait enseigné aux hommes comment ils doivent penser, et non pas à quoi ils doivent penser, le malentendu aurait pu être évité.
LICHTENBERG.
CHAPITRE XIX
L'EFFORT
Les péchés, les tentations, les superstitions arrêtent, voilent à l'homme son âme. Pour se révéler à soi-même son âme, l'homme doit faire des efforts de conscience. C'est donc dans ces efforts de conscience que consiste l'œuvre principale de la vie de l'homme.
I.—La libération des péchés, des tentations et des superstitions est dans l'effort.
1
L'abnégation libère les hommes des péchés, l'humilité—des tentations, la véracité—des superstitions. Mais pour que l'homme puisse renoncer aux désirs charnels, s'humilier devant les tentations de l'orgueil et contrôler par la raison les superstitions qui le désorientent, il doit faire des efforts. Seul l'effort de sa conscience permet à l'homme de se libérer des péchés, des tentations et des superstitions qui le privent de bonheur.
2
Le Royaume de Dieu est conquis par l'effort. Le Royaume de Dieu est en vous (Luc, XVI, 16; XVII, 21). Ces deux strophes de l'Evangile signifient que ce n'est que par des efforts de conscience que les hommes peuvent vaincre en eux les péchés, les superstitions et les tentations qui retardent l'approche du Royaume de Dieu.
3
Ici, sur la terre, il ne peut et ne doit pas y avoir de repos, parce que la vie est une marche vers le but qu'on ne peut jamais atteindre. Le repos est immoral. Je ne puis dire en quoi consiste ce but; mais quel qu'il soit, il existe et nous savons que nous nous en approchons. Sans ce rapprochement, la vie serait une absurdité et un mensonge. Et nous ne pouvons nous rapprocher de ce but que par notre propre effort.
JOSEPH MAZZINI.
4
Devenir de plus en plus meilleur, c'est toute l'œuvre de la vie, et on ne peut devenir meilleur que par l'effort.
Chacun sait que sans effort, on ne peut rien faire dans le travail. Il faut savoir également que dans l'œuvre principale de la vie, dans la vie spirituelle, on ne peut rien faire sans effort.
5
La force ne se manifeste pas par le pouvoir de faire un nœud avec un attisoir en fer, par la possession des billions et des trillions de roubles, ni par la domination sur des millions d'hommes; la vraie force est dans le pouvoir sur soi-même.
6
Ne dis jamais d'une bonne action: «Ce n'est pas la peine de se donner du mal; c'est si difficile que je n'y arriverai jamais;» ou bien: «C'est si facile que je n'ai qu'à vouloir pour le faire.» Ne pense pas et ne parle pas ainsi: même si le but visé n'est pas atteint, ou si ce but est insignifiant, chaque effort fortifie l'âme.
7
Les gens pensent souvent que pour être un vrai chrétien, il faut accomplir des actes extraordinaires. C'est une erreur. Le chrétien n'a pas besoin d'œuvres spéciales, extraordinaires; il ne lui faut qu'un effort d'esprit perpétuel qui le libère des péchés, des tentations et des superstitions.
8
Les mauvaises actions—celles qui causent nos malheurs,—s'accomplissent facilement; mais ce qui est noble et bon pour nous se fait uniquement au prix d'un effort.
Sagesse bouddhiste.
9
Si l'homme prend pour règle de faire ce qu'il veut, il ne restera pas longtemps à vouloir faire ce qu'il fait. La vraie œuvre n'est jamais que celle à laquelle on doit travailler pour l'accomplir.
10
La route vers la connaissance du bien n'a jamais été tracée sur un gazon soyeux jonchée de fleurs; l'homme a toujours dû escalader des rochers dénudés.
JOHN RUSKIN.
11
On ne cherche jamais la vérité avec joie, mais avec émotion et inquiétude; et cependant, on doit la chercher; car n'ayant pas trouvé la vérité et appris à l'aimer, tu périras. Mais, diras-tu, si la vérité voulait que je la cherche et que je l'aime, elle se serait révélée à moi-même. Aussi se révèle-t-elle à toi, mais tu n'y prêtes pas attention. Cherche donc la vérité,—elle le veut.
PASCAL.
II.—La vie pour l'âme exige des efforts.
1
Je suis l'instrument avec lequel Dieu travaille. Mon vrai bonheur consiste à participer à Son travail. Mais je ne peux y parvenir qu'au moyen des efforts que je fais pour garder toujours en état propre et aiguisé l'instrument de Dieu qui m'est confié: moi-même, mon âme.
2
La chose la plus chère à l'homme, c'est d'être libre, de vivre à sa guise et non suivant la volonté d'autrui. Afin de vivre ainsi, l'homme doit vivre pour son âme. Et afin de vivre pour l'âme, l'homme doit réprimer les désirs du corps.
3
La vraie vie humaine n'est autre chose que le passage progressif de la nature bestiale inférieure à une conception de plus en plus grande de la vie spirituelle.
4
Nous faisons un effort pour nous réveiller et nous nous éveillons effectivement lorsque le rêve devient affreux et que nous n'avons plus de forces de le supporter. Il faut agir de même dans la vie réelle lorsqu'elle devient intolérable. Dans ces moments-là, il faut faire un effort de conscience pour s'éveiller à une vie nouvelle, supérieure, spirituelle.
5
La lutte contre les péchés, les tentations et les superstitions est nécessaire déjà pour cette raison que si tu cesses de les combattre, ta chair prend le dessus.
6
Il nous semble qu'un vrai travail ne peut être fait qu'à quelque chose de visible: à bâtir une maison, à labourer un champ, à nourrir le bétail, mais que travailler à son âme, à quelque chose d'invisible, n'est pas une besogne importante, une besogne que l'on peut faire ou ne pas faire; pourtant tout autre travail,—en dehors du travail intérieur, celui qui nous rend tous les jours plus moral et plus aimant,—tout autre travail n'est rien. C'est le seul vrai, et tous les autres ne sont utiles que si ce travail principal de la vie s'effectue.
7
Celui qui reconnaît que sa vie est mauvaise et qui veut commencer à vivre mieux, ne doit pas penser qu'il ne peut commencer à le faire que lorsqu'il aura modifié les conditions de sa vie. On doit et on peut améliorer sa vie non pas par les transformations extérieures, mais par un changement de soi-même, en notre âme. Et cela, on peut le faire toujours et partout. Et chacun a suffisamment à faire dans ce but. C'est seulement lorsque ton âme aura changé au point que tu ne pourras plus vivre comme par le passé, que tu pourras la modifier, et non quand tu croiras qu'il te sera plus facile de te corriger si tu changes ta vie.
8
Il n'y a, dans la vie, qu'une seule chose importante pour tous les hommes. Cette œuvre seule est destinée à tous les hommes. Tout le reste n'est rien en comparaison avec elle. On voit que cela est ainsi parce que dans cette œuvre seule, l'homme n'a pas d'entraves et qu'elle seule donne toujours la joie.
9
Prends l'exemple du ver à soie: il travaille tant qu'il n'est pas en mesure de voler. Et toi, tu t'es collé à la terre. Travaille à ton âme, et il te poussera des ailes.
D'après ANGÉLUS.
III.—Le perfectionnement de soi-même ne saurait être atteint que par des efforts de conscience.
1
«Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait», est-il dit dans l'Evangile. Cela ne signifie point que le Christ ordonne à l'homme d'être aussi parfait que Dieu, mais que chaque homme doit faire des efforts de conscience pour se rapprocher de la perfection et que la vie de l'homme est dans ce rapprochement.
2
Tout être ne grandit pas d'un coup, mais peu à peu. On ne peut non plus apprendre une science d'un coup. De même, on ne peut pas vaincre le péché d'un coup. Il n'y a qu'un moyen pour devenir meilleur: le raisonnement sage et l'effort continu et patient.
CHANNING.
3
Lessing disait que ce n'est pas la vérité qui donne la joie à l'homme, mais l'effort qu'il fait pour la connaître, Il en est de même de la vertu: la joie que donne la vertu est dans l'effort qui nous rapproche d'elle.
4
Les paroles suivantes étaient gravées sur la baignoire du Roi Tching-Tchang: «Renouvelle-toi tous les jours complètement; fais-le à nouveau et encore à nouveau.»
Sagesse chinoise.
5
Si les gens ne s'occupent pas d'explorations, et s'ils s'en occupent, mais qu'ils n'y réussissent pas, ils ne doivent pas se désespérer ni s'arrêter; si les gens n'interrogent pas les personnes éclairées sur les choses qu'ils ignorent, et si, en interrogeant, ils ne deviennent pas plus avancés, ils ne doivent pas désespérer; si les gens ne raisonnent pas, et s'ils raisonnent, mais ne peuvent pas comprendre clairement en quoi consiste le bien, ils ne doivent pas désespérer; si les gens ne distinguent pas le bien et le mal, et s'ils le distinguent, mais n'en ont pas une conception exacte, ils ne doivent pas désespérer; si les gens ne font pas le bien, et s'ils le font, mais sans lui consacrer toutes leurs forces, ils ne doivent pas désespérer: ils feront en dix fois ce que d'autres auraient fait en une fois; ils feront en mille fois ce que d'autres auraient fait en cent fois.
Celui qui suivra réellement cette règle de la continuité de l'effort deviendra, si ignorant qu'il soit, sûrement fort, et, si vicieux qu'il soit, il deviendra sûrement vertueux.
Sagesse chinoise.
6
Lorsque l'homme fait le bien uniquement parce qu'il est habitué à le faire, ce n'est pas encore la vie de bien. Cette vie commence lorsque l'homme fait un effort pour être bon.
7
Tu dis: ce n'est pas la peine de faire des efforts; on aura beau s'appliquer, on ne parviendra jamais à la perfection. Ton œuvre n'est pas d'atteindre la perfection, mais de t'en rapprocher de plus en plus.
8
Pour que la vie soit non un chagrin, mais une joie continuelle, on doit toujours être bon pour tous, hommes et animaux. Et pour être bon, il faut s'y habituer; et pour s'y habituer, il ne faut, pas laisser passer une seule de ses mauvaises actions sans s'en faire de reproches.
Si tu agis ainsi, tu t'habitueras bientôt à être bon pour tous les hommes et pour tous les animaux. Et si tu t'habitues à la bonté, tu auras toujours la joie au cœur.
9
La vertu de l'homme ne se mesure pas par ses exploits extraordinaires, mais par son effort de chaque jour.
PASCAL.
IV.—Pour se rapprocher de la perfection, l'homme ne doit compter que sur ses propres forces.
1
Combien il est erroné de demander à Dieu, ou même aux hommes, de me délivrer d'une situation difficile. L'homme n'a besoin de l'aide de personne; il n'a pas besoin non plus de sortir de la situation où il se trouve; il ne lui faut qu'une seule chose: faire un effort de conscience pour se libérer des péchés, des tentations et des superstitions. La situation de l'homme changera et s'améliorera seulement en tant qu'il se sera libéré des péchés, dés tentations et des superstitions.
2
Rien n'affaiblit les forces de l'homme que l'espoir de trouver le salut et le bonheur ailleurs que dans son effort.
3
Il faut se débarrasser de l'idée que le Ciel peut corriger nos erreurs. Si vous préparez négligemment quelque plat, vous n'espérez pas que la Providence le rendra bon; de même, si pendant une série d'années de folie, vous avez mal dirigé votre vie, vous ne devez pas espérer que l'intervention divine dirigera et arrangera tout pour le mieux.
JOHN RUSKIN.
4
Tu possèdes la connaissance de ce qui est la perfection suprême. En toi également sont les obstacles qui t'empêchent d'y arriver. Ta situation est précisément celle qui t'engage à travailler pour te rapprocher de la perfection.
CARLYLE.
5
C'est toi qui pèches, c'est toi qui projettes le mal, c'est toi qui fuis le péché, c'est toi qui purifies tes desseins, c'est toi qui es méchant ou pur; un autre ne pourra pas te sauver.
DJAMAPADA.
6
Il n'y a pas de loi morale si je ne puis l'accomplir. Les gens disent: nous sommes nés égoïstes, avares, sensuels, et nous ne pouvons pas être autres. Non, nous le pouvons. La première chose, c'est de sentir dans son cœur ce que nous sommes et ce que nous devons être, et la seconde est de faire des efforts pour nous rapprocher de ce que nous devrions être.
SOLTER.
7
L'homme doit développer ses germes de bien. La Providence ne les a pas semés entièrement levés dans l'homme; ce ne sont que des germes. Se rendre meilleur, cultiver soi-même—voilà l'œuvre principale de la vie de l'homme.
KANT.
V.—Il n'y a qu'un seul moyen d'améliorer la vie sociale: l'effort de chaque homme pour obtenir une vie morale et bonne.
1
Les hommes se rapprochent du Royaume de Dieu, c'est-à-dire de la vie bonne et heureuse, uniquement par l'effort de chaque individu vers une vie morale.
2
Si tu vois que l'organisation de la société est mauvaise et que tu veux l'améliorer, sache qu'il est pour cela un seul moyen: tous les hommes doivent devenir meilleurs. Et pour rendre tous les hommes meilleurs, tu n'as qu'un moyen: c'est de devenir meilleur toi-même.
3
On entend souvent dire que tous les efforts faits pour améliorer la vie, supprimer le mal, instituer la justice sont inutiles, et que tout cela se fera de soi-même. Les gens avançaient, en ramant, mais les rameurs, arrivés à destination, sont descendus; les voyageurs restés dans le bateau ne se mettent pas à ramer parce qu'ils pensent que le bateau continuera à avancer comme il l'a fait jusque-là.
4
«Oui, cela serait ainsi, si tous les hommes avaient compris d'un coup que tout cela est mauvais et inutile pour nous,» dit-on en parlant du mal de la vie humaine. «Mettons qu'un homme renonce au mal, qu'il refuse à y participer, cela avançera-t-il l'œuvre du bien commun? La transformation de la vie sociale s'opère grâce aux efforts de toute la société et non pas à ceux des individus isolés.»
Il est vrai, qu'une hirondelle ne fait pas le printemps. Serait-il possible, cependant, que parce qu'une hirondelle ne fait pas le printemps, elle ne doit pas s'envoler alors qu'elle sent l'approche du printemps? Si chaque bourgeon et chaque herbe attendaient, il n'y aurait jamais de printemps. De même, pour établir le Royaume de Dieu, je ne dois pas me demander si je suis la première ou la millième hirondelle, mais faire immédiatement, même si je suis seul, en sentant l'approche du royaume de Dieu, tout ce qu'il faut pour le réaliser.
«Demandez, et il vous sera donné; cherchez, et vous trouverez; frappez, et on vous ouvrira. Car quiconque demande, reçoit, et quiconque cherche, trouve; et l'on ouvre à celui qui frappe.»
MATTH., VII, 7-8.
5
Notre vie est malheureuse. Pourquoi?
Parce que les hommes vivent mal. Et ils vivent mal parce qu'ils sont eux-mêmes mauvais. De sorte que pour que la vie ne soit plus mauvaise, il faut changer les mauvaises gens en bonnes gens. Comment faire cela? Personne ne peut transformer tout le monde, mais chacun peut s'amender lui-même. Il semble, tout d'abord, qu'on ne peut pas remédier à cela ainsi, car que peut faire un homme contre tous? Pourtant, tous se plaignent de leur vie malheureuse. Si donc tous les hommes comprennent que la mauvaise vie vient des mauvaises gens, et que chacun peut non pas corriger les autres, mais se corriger lui-même, toute la vie deviendra immédiatement meilleure.
C'est donc que la mauvaise vie dépend de nous, et cela dépend également, de nous qu'elle devienne bonne.
VI.—L'effort vers la perfection donne le vrai bonheur.
1
L'effort moral et la joie de la conscience de la vie alternent de même que le travail corporel et la joie du repos. Sans travail corporel on n'éprouve pas la joie du repos: sans effort moral, il n'y a pas de joie d'être conscient de la vie.
2
La récompense de la vertu est dans l'effort même de faire une bonne action.
CICÉRON.
3
N'attends pas non seulement un succès rapide, mais même un succès perceptible de tes efforts vers le bien. Tu ne verras pas le fruit de tes efforts, parce que tu t'es avancé 'tout autant que s'est avancée la perfection à laquelle tu aspires. L'effort de la conscience n'est pas un moyen pour obtenir le bonheur, mais l'effort de la conscience donne par lui-même le bonheur.
4
Dieu a donné aux animaux tout ce qu'il leur faut. Mais il ne l'a pas donné à l'homme. L'homme doit se procurer lui-même tout ce qui lui est nécessaire. La sagesse supérieure de l'homme n'est pas née avec lui; il doit travailler pour la gagner, et plus son travail est pénible, plus la récompense est grande.
Tablettes des Babides [1].
5
Le Royaume de Dieu est conquis de haute lutte. Cela veut dire que pour se débarrasser du mal et devenir bon, il faut un effort.
L'effort est nécessaire pour se contenir du mal. Contiens-toi du mal, et tu feras le bien, parce que l'âme humaine aime le bien, et elle le fait, si elle est exempte de mal.
6
Vous êtes des travailleurs libres et vous le sentez. Toutes sortes de raisonnements mensongers voulant prouver que la destinée ou les lois de la nature sont maîtresses de tout, ne seront jamais en état de faire taire les deux témoins incorruptibles de la liberté: les reproches de la conscience et les grands martyres. Depuis Socrate jusqu'à Christ, et depuis Christ jusqu'aux hommes qui, de siècle en siècle, meurent pour la vérité, tous les martyrs de la foi montrent le mensonge de cette doctrine d'esclaves et nous, disent tout haut: «Nous aussi, nous avons aimé la vie, et aussi tous les hommes qui ont embelli notre vie et qui nous suppliaient de cesser la lutte. Chaque battement de notre cœur semblait nous crier: vivez! Mais pour accomplir la loi de la vie, nous avons préféré la mort.»
Depuis Caïn et jusqu'à l'homme le plus profondément misérable de notre époque, tous ceux qui ont choisi la voie du mal entendent au fond de leur âme la voix du blâme, du reproche, une voix qui ne leur donne pas de repos, qui leur répète éternellement: Pourquoi avez-vous abandonné le chemin de la vérité? Vous pouviez, vous pouvez faire un effort. Vous êtes des hommes libres et il était dans votre pouvoir de moisir dans les péchés ou de vous en libérer.
MAZZINI.