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La philosophie de M. Bergson

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Sans cette intuition, le raisonnement seul ne permettrait jamais au moi de se connaître lui-même. Appuyé sur le principe de substance: l'accident suppose un sujet, il n'aurait pas droit de conclure que ce sujet est notre moi, notre personne. Au lieu de dire: je pense, je veux, je choisis, il devrait conclure seulement—sous une forme impersonnelle:—on pense, on veut, on choisit, comme on dit: il pleut ou il neige!

Cette intuition immédiate d'un agent sous l'action, il était difficile à M. Bergson de la reconnaître, après avoir fait profession du plus pur phénoménisme, sans se contredire ouvertement et renverser de fond en comble son propre système. Il a donc là comme une apparence d'excuse.

Mais ceux-là n'en ont aucune qui, après avoir combattu le phénoménisme et admis des agents sous les actions, des êtres sous les modes d'être, osent traiter «d'illusion d'ultra-raffinés» la perception immédiate du moi-agent[465]. Ceux-là sont sans excuse qui tentent de chasser de la psychologie expérimentale la perception de cet agent, quelle qu'en soit d'ailleurs la nature, spirituelle ou matérielle. En cela, il font le jeu, sans s'en douter, des positivistes et des phénoménistes, et en deviennent, bon gré, mal gré, les prisonniers, parce qu'il est impossible de décrire les faits psychologiques sans les juger, et que les décrire comme le fait un pur phénoméniste, c'est déjà juger que le phénoménisme est vrai.

Par exemple, impossible de dire, comme psychologue, que l'âme (quelle qu'en soit la nature) est une «hypothèse superflue» pour expliquer les faits psychiques;—et puis d'ajouter, comme métaphysicien, qu'elle est indispensable pour expliquer les mêmes faits.

Ce raisonnement est tellement évident qu'il a forcé l'adhésion de M. Bergson lui-même dans une page mémorable que nous recommandons à la méditation des philosophes spiritualistes auxquels nous venons de faire allusion.

«A première vue, il peut paraître prudent d'abandonner à la science (la Psychologie positive) la considération des faits.... A cette connaissance, le philosophe superposera une critique de la faculté de connaître et aussi, le cas échéant, une métaphysique: quant à la connaissance même, dans sa matérialité, il la tient pour affaire de science et non pas de philosophie.

«Mais comment ne pas voir que cette prétendue division du travail revient à tout brouiller et à tout confondre? La métaphysique ou la critique que le philosophe se réserve de faire, il va les recevoir toutes faites de la science positive, déjà contenues dans les descriptions et les analyses dont il a abondonné au savant tout le souci. Pour n'avoir pas voulu intervenir, dès le début, dans les questions de fait, il se trouve réduit dans les questions de principe à formuler purement et simplement en termes plus précis la métaphysique et la critique inconscientes, partant inconsistantes, que dessine l'attitude même de la science vis-à-vis de la réalité....

«On ne peut pas décrire l'aspect de l'objet sans préjuger sa nature intime et son organisation. La forme n'est pas tout à fait isolable de la matière, et celui qui a commencé par réserver à la philosophie les questions de principe, et qui a voulu, par là, mettre la philosophie au-dessus des sciences comme une Cour de cassation au-dessus des Cours d'assises et d'appel, sera amené, de degré en degré, à ne plus faire d'elle qu'une simple cour d'enregistrement chargée tout au plus de libeller en termes plus précis des sentences qui lui arrivent irrévocablement rendues.»[466]

Voilà qui est fort bien dit. C'est la psychologie expérimentale qui tiendra la psychologie métaphysique prisonnière, si celle-ci abdique tout contrôle sur la marche de la première: ce qui se fera sans elle, se fera contre elle. Et cette bonne leçon nous vient de nos adversaires eux-mêmes: fas est et ab hoste doceri!


A l'intuition du moi-agent et de tous les agents extérieurs perçus à travers leurs actions, il faut ajouter une troisième espèce d'intuition, bien différente des deux premières, l'intuition intellectuelle, fonction propre de l'intelligence humaine. Elle seule sait lire à l'intérieur (intus-legere) de l'objet concret, contingent et périssable, le type éternel et nécessaire dont il est l'expression sensible[467]. Elle seule, conçoit l'idée ou notion générale, et, par l'intuition des rapports nécessaires entre les idées, nous découvre les jugements ou principes premiers.

Or, les notions les plus élémentaires—avant leurs combinaisons savantes dans des notions complexes—sont directement perçues par une pure intuition dans les réalités extérieures ou intimes qui les expriment. Telles sont les notions transcendantales d'être[468], d'unité, de bonté, de beauté, etc.; ainsi que les notions catégoriques de substance et d'accident, de qualité et de quantité, d'action et de passion, d'espace et de temps, etc. Tout cela, nous l'expérimentons à chaque instant; bien plus, tout cela, nous le sommes, nous le saisissons sur le vif en nous-mêmes, nous le vivons, et s'il y eut jamais des connaissances «vécues», ce sont bien celles-là.

Grâce à cette antique notion d' «intuition», désormais reconquise, la philosophie tout entière se transfigure. L'intuition du réel, comme un phare lumineux, l'enveloppe de la base au sommet. Elle est à la base, puisqu'elle tire du réel toutes ses données concrètes, tous les matériaux de ses constructions idéales, et qu'elle peut vérifier sans cesse la conformité de ses images sensibles avec le réel intuitivement perçu. Elle est au sommet, car c'est encore à l'intuition sensible que revient l'esprit, à chacune des étapes de ses ascensions vers la vérité totale, soit pour juger de la valeur objective de ce qu'elle a bâti, en reprenant contact avec le réel, soit pour approfondir davantage ses notions, ses théories, en les replongeant dans le milieu réel d'où elles ont surgi, en les regardant de nouveau à la lumière de ce concret dont la profondeur de sens est inépuisable, suivant l'adage scolastique: omne individuum ineffabile.

La beauté et surtout la vérité d'une telle science philosophique, ainsi reconstruite sur l'intuition du réel, éclatent à tous les regards. Elle n'est plus une divination hypothétique d'un noumène inconnaissable;—est une contemplation de la vérité—sinon directement dans le Soleil divin où elle habite,—du moins dans les réalités créées où se réfléchissent et se jouent, plus accessibles à nos faibles regards, les innombrables rayons de sa lumière. A ses yeux, les lois de l'être sont perçues dans l'être lui-même et leur portée philosophique est désormais fondée[469].

Au contraire, supprimez toute intuition du réel, le sujet pensant tourne; au dedans de lui-même sans en pouvoir sortir. Comme l'écureuil dans sa cage, il peut en tournant rapidement se donner l'illusion de franchir l'immensité des espaces; de fait, il reste toujours sur place.

Le philosophe subjectiviste, incapable de confronter sa pensée avec le réel qu'elle doit représenter, ne pourra plus la confronter qu'avec elle-même: ce qui n'a aucun sens, car la norme de la pensée ne peut être la pensée elle-même, sans une évidente contradiction; ou bien comparer ensemble deux pensées: un prédicat et un attribut, pour voir leur conformité logique: ce qui n'a aucune utilité pour juger de leur valeur réelle ou ontologique.

Dès lors, à quoi lui sert d'avoir des notions et des principes, par exemple les notions de cause et d'effet, et le principe de causalité, si l'esprit ne peut plus constater, en lui et hors de lui, l'existence de causes et d'effets réels correspondant à ces notions abstraites? A quoi lui sert le principe de causalité, s'il ignore s'il y a dans la nature des réalités concrètes auxquelles il serait applicable?

Toute sa métaphysique a priori reste ainsi suspendue en l'air comme un monde possible, mais peut-être irréel ou fort différent de celui que nous habitons et sans aucune application légitime à notre monde actuel. En un mot, sans l'intuition de l'être, toute la Métaphysique s'évanouit comme science du réel.

Ces conséquences, M. Bergson les a fort bien vues—rendons-lui cette justice,—et il a eu le courage de les rappeler à nos contemporains qui les avaient perdues de vue ou plutôt entièrement méconnues. Il a même su poser le problème avec une parfaite netteté: l'esprit humain est-il, oui ou non, incapable d'aucune intuition du réel?—Toute la question est là, déclarait-il fort justement, et il ajoutait: «Les doctrines qui ont un fond d'intuition (du réel) échappent à la critique kantienne, dans la mesure même où elles sont intuitives.»[470]

C'est, en effet, la seule manière de tourner ou de briser la barrière artificielle élevée par Kant entre la pensée et l'objet réel. M. Bergson n'aurait-il écrit que ces paroles pour résumer sa théorie de l'intuition, nous devrions lui en savoir gré, car elles sont le mot d'ordre d'une révolution antikantienne et antisubjectiviste.

Malheureusement, sa réaction si légitime, si nécessaire, a dépassé le but, comme il arrive ordinairement à toute réaction.

Il a imaginé une intuition de l'objet, en soi, par le dedans, qui nous le ferait saisir tel qu'il est à l'intérieur de lui-même, dans la synthèse profonde et inexhaustible de son essence, alors qu'il nous suffit d'une intuition de l'objet en soi, mais vu par le dehors, dans les manifestations physiques ou psychiques qui l'expriment et que mon image mentale a la prétention légitime de reproduire. Il était d'ailleurs entraîné à cet excès par son préjugé monistique où tous les êtres, sujets ou objets, se confondent et se compénètrent dans une identité chimérique, ne pouvant plus rien avoir de caché ou d'insaisissable les uns pour les autres.

A cet excès sur un point, il a ajouté un très grave défaut sur un autre point non moins important. Ce défenseur à outrance de l'intuition sensible a nié ou méconnu l'intuition intellectuelle, encore plus nécessaire que la première, car si l'intuition sensible nous donne la matière contingente et périssable, l'intuition intellectuelle nous en donne la forme éternelle et nécessaire. Or, c'est la forme qui nous fait comprendre la matière, et, sans elle, la matière resterait inintelligible et incomprise, comme pour les animaux sans raison qui voient tout sans rien comprendre.

Non seulement la forme éternelle nous fait comprendre ce qui est mais encore et surtout ce qui doit être, c'est-à-dire les principes qui doivent orienter notre action et notre vie morale. Or, il est bien impossible de passer de l'intuition de ce que nous sommes présentement à l'intuition de ce que nous devons être, sans le secours de l'intelligence, faculté intuitive des principes nécessaires aussi bien en morale qu'en logique et en métaphysique. Sans elle, par conséquent, il est impossible à M. Bergson de couronner sa psychologie par une science morale vraiment digne de ce nom.

Pour se «connaître soi-même», suivant l'antique maxime, il ne suffit ni d'un regard sur le présent ni d'un retour sur le passé, il faut en outre une vue de l'avenir, ou plutôt de l'idéal éternel à réaliser, idéal de bonté et de beauté qui doit nous attirer et nous entraîner en orientant notre vie tout entière. Or, ce progrès moral individuel et social, cette «ascension dans une voie de spiritualité croissante», ce n'est pas un fait universel que l'on constate; c'est un principe d'ordre qui s'impose à notre esprit et à notre action, malgré tous les faits contraires. Ici, l'intuition morale va bien au delà de l'expérience présente; elle est donc intellectuelle. Elle porte sur des principes et non sur des faits, sur ce qui doit être et non sur ce qui est. Elle n'est pas une perspective sur le temps ni même sur l'avenir, mais sur l'éternité. La science morale sera donc intellectuelle ou elle ne sera pas.

Cette négation audacieuse de l'intelligence par l'école nouvelle—qui se dit elle-même néo-positiviste et antiintellectualiste—a brisé les ailes de l'esprit humain, dont «toute, la dignité consiste, non à sentir, mais à penser». Elle a déconsidéré, en même temps, sa philosophie, car le premier devoir du penseur qui cherche à expliquer la nature humaine est de ne pas la mutiler, sous prétexte de la mieux expliquer.

Par cette mutilation, les néo-positivistes renversent la législation naturelle de l'esprit humain, dont ils ne peuvent pourtant pas plus se passer que nous, puisqu'ils se servent de l'idée, et partant l'affirment encore au moment même où ils la nient.

Une intuition sensible du concret, sans une intuition correspondante de l'idéal et des principes premiers, ne peut conduire qu'à la confusion des idées, à l'anarchie et au chaos. Témoins toutes ces incohérences, toutes ces contradictions, toutes ces inintelligibilités que nous n'avons cessé, à chaque page de ce travail, de relever en détail et de dénoncer au lecteur.

Elle conduit aussi à tous les écarts de l'imagination—cette folle du logis, si brillante soit-elle—qui lient désormais les rênes du char embourbé, aux lieu et place de la raison. A chaque page de cette étude, nous aurions pu en souligner l'influence fatale et parfois délirante. Sans remonter plus haut, la théorie même de l'intuition bergsonienne va nous en fournir une preuve tangible.

Après avoir posé la thèse que l'intuition nous fait pénétrer «à l'intérieur même de la vie et des vivants», il s'efforce d'atténuer l'étonnement que doit en éprouver tout lecteur de bon sens par la comparaison suivante:

«Qu'un effort de ce genre n'est pas impossible, c'est ce que démontre déjà l'existence, chez l'homme, d'une faculté esthétique à côté de la perception normale.... L'artiste vise à ressaisir (les sentiments intérieurs de son modèle) en se replaçant à l'intérieur de l'objet par une espèce de sympathie, en abaissant par un effort d'intuition (?) la barrière que l'espace interpose entre lui et le modèle. Il est vrai que cette intuition esthétique, comme d'ailleurs la perception extérieure, n'atteint que l'individuel. Mais on peut concevoir une recherche orientée dans le même sens que l'art et qui prendrait pour objet la vie en général.... Par la communication sympathique qu'elle établira entre nous et le reste des vivants, par la dilatation qu'elle obtiendra de notre conscience (!), elle nous établira dans le domaine propre de la vie, qui est compénétration réciproque et création indéfiniment continuée. Mais si par là elle dépasse l'intelligence, c'est de l'intelligence que sera venue la secousse qui l'aura fait monter au point où elle est.»[471]

Encore un mirage décevant de l'imagination! Sans doute, l'artiste qui veut peindre un modèle, comme le romancier qui veut composer un personnage, peut pénétrer par sympathie dans l'intérieur de cette individualité étrangère, lire dans sa pensée, ressentir ses impressions et ses sentiments les plus intimes. Mais qui donc en lui accomplit ce prodige, sinon l'imagination?

En vérité, il rêve, il ne voit point ce qu'il décrit d'une manière si émouvante. Il n'y a de même qu'un rêve de l'imagination dans l'effort intuitif inventé par l'auteur de l'Evolution créatrice. Une intuition supérieure à celle de l'intelligence n'existe point, et le pouvoir mystique qu'on lui prête de lire à découvert tous les secrets de la nature est vain.

L'intuition d'une vie individuelle distincte de la nôtre, à plus forte raison l'intuition de la vie en général, n'est donc qu'un mythe; et si M. Bergson en a fait l'âme de sa philosophie nouvelle, il a tout simplement réalisé une abstraction, caressé une chimère, galvanisé un brillant fantôme, auprès duquel pâlissent toutes entités scolastiques les plus célèbres.

A ce jeu élégant, et qui, par sa nouveauté, peut plaire à un certain public, la philosophie ne peut rien gagner; elle s'abaisse au contraire en devenant un art, un prolongement des beaux-arts, nous allions dire un roman philosophique, au lieu de rester ce qu'elle doit être: un amour incorruptible et une recherche parfaitement sincère de ce qui est, de la Vérité. L'intuition du réel, tant prônée, s'est changée en songe fantastique! Comme dans le poème de Lakmé, «la fantaisie y déploie ses ailes d'or» et s'imagine planer bien au-dessus des simples mortels ... alors qu'elle rêve!


NOTE SUR LE «PRAGMATISME» DE M. BERGSON.

Nous avons omis de parler du «Pragmatisme» de M. Bergson, parce que—quoi qu'on en ait dit—nous n'avons pu découvrir en ses ouvrages ni le mot ni la chose. Sans doute, il est facile de, passer de l'antiintellectualisme et du mobilisme pur au Pragmatisme, mais ce passage, nous n'avons pu le surprendre chez notre auteur.

Pour M. Bergson, l'action prime la connaissance. Bien plus, l'intelligence est impuissante à spéculer, parce qu'elle est née pour l'action et tout entière orientée vers l'action. Cette préoccupation constante ne lui permet pas de voir pour comprendre, mais seulement de voir pour agir. En sorte que «nos perceptions nous donnent le dessin de nos actions possibles sur les choses, bien plus que celui des choses elles-mêmes»; «c'est notre action éventuelle qui nous est renvoyée par la matière, comme par un miroir, quand nous la contemplons»[472].

De là, le morcelage du continu, la solidification du fluent, la cristallisation de la vie et notre incapacité intellectuelle. Or, tout cela est une certaine Philosophie de l'action, sans être un Pragmatisme. Nulle part M. Bergson ne prend l'utile, ni le succès, ni le bien[473] pour critère du vrai, comme les pragmatistes anglo-saxons; nulle part il ne prend à son compte leur fameuse définition de la vérité des premiers principes, tels que deux et deux font quatre, où ils ne voient que des «hypothèses commodes à succès extraordinaire».

Bien au contraire, pour M. Bergson, le vrai se trouverait plutôt là où le besoin pratique de l'action—l'utilité—ne ferait plus sentir son influence déformatrice. Ainsi, par exemple, si les qualités sensibles lui apparaissent si pleinement objectives, c'est que «la perception des qualités sensibles est beaucoup plus indépendante du besoin et présente par là même une réalité objective supérieure»[474].—Autre exemple. Il exalte la philosophie bien au-dessus des sciences positives, pour cette raison: la science ne cherche «à voir que pour prévoir et pour agir», tandis que la philosophie intuitionniste cherche «à voir pour voir»[475]. Toute l'excellence de l'intuition est là. La vérité serait donc plutôt en raison inverse de l'utilité. Ce qui est le contre-pied du Pragmatisme américain.

Toutefois, l'absence d'utilité ne serait encore qu'une marque négative et comme une présomption de vérité. Resterait à préciser sa marque positive, son critère; et c'est ici que notre auteur devient muet.

Parfois, il est vrai, il insinue que le seul moyen de comprendre une chose serait de la vivre. Le vrai critère serait donc la vie?[476] Comme si une hypothèse fausse ne pouvait pas être aussi vécue qu'une hypothèse vraie! Toutes les philosophies, toutes les religions existantes ou vivantes seraient donc également vraies?... A son tour, la vie consisterait à n'avoir plus de critère?... Autant de problèmes qui restent en l'air, dans la philosophie bergsonienne, sans qu'on en puisse préjuger encore la solution.

M. Bergson ne peut manquer d'aborder de front un sujet si important et si plein d'actualité. Aussi attendrons-nous qu'il ait plus clairement formulé son opinion définitive pour la discuter. Que si le lecteur plus exigeant réclamait de nous un pronostic, nous lui dirions que nous serions fort surpris de ne pas voir M. Bergson se séparer nettement des pragmatistes qui—un peu hâtivement—se réclamèrent de lui comme d'un maître.


IX

LE PROBLÈME DE LA CONTINGENCE ET DE LA DESTINÉE HUMAINE.

Toute philosophie qui se respecte doit bien finir, au terme de ses spéculations ou de ses divagations, par rencontrer le problème «angoissant» de la contingence et de la destinée humaine. Aussi bien la philosophie «nouvelle» n'a-t-elle pu complètement l'esquiver.

Vers la fin du volume de l'Evolution créatrice auquel nous venons de consacrer les cinq derniers chapitres de cette critique, nous trouvons, en effet, posée la fameuse et inévitable question, mais elle nous a paru accompagnée de deux réponses bien différentes et même opposées.

La première—la moins satisfaisante des deux—est un effort puissant de dialectique a priori pour nous démontrer que ce n'est là qu'un «pseudo-problème soulevé autour d'une pseudo-idée». Volontiers, l'auteur nous dirait avec Littré: «Laissez là ces chimères.... Ces problèmes sont une maladie. Le moyen d'en guérir, c'est de n'y pas penser.»[477] C'est par l'examen de cette première solution que nous allons commencer.


I.—Tous nos lecteurs savent ce que l'on entend par la contingence. Tout ce qui commence ayant une cause est un être ab alio, un être dérivé, second, c'est-à-dire un être contingent, tandis que ce qui n'est pas par un autre est par lui-même, a se, et trouve en lui-même, dans la perfection de sa propre nature, son explication ou sa raison d'être.

Ainsi un fils vient de son père et de sa mère: il est donc contingent. Et comme le père et la mère ont commencé par être eux-mêmes engendrés, ils sont encore des êtres contingents. De même, ma pensée actuelle vient de la fécondité de mon esprit, elle est donc contingente, et mon esprit lui aussi est contingent s'il n'est pas nécessaire et éternel.

Tandis que l'être contingent, pour avoir passé de la puissance à l'acte, reste marqué du sceau de la puissance qui est une dépendance et une relativité essentielles, comme nous l'avons vu, l'être qui serait acte, pur, sans aucun mélange de potentialité, serait l'indépendance même et l'absolue nécessité.

Or, cette théorie, qui est d'une complète évidence pour ceux qui nous ont suivi jusqu'ici, en même temps qu'elle est d'une simplicité et d'une beauté merveilleuses, ne pouvait avoir le don de plaire aux philosophes qui ont saccagé et ruiné les premières notions du bon sens sur lesquelles notre théorie est fondée, notamment les notions d'être, d'identité, de contradiction et de causalité. Désormais, il sera, non seulement curieux, mais très instructif de les voir se heurter et se débattre impuissants contre cette nouvelle barrière, et, ne pouvant plus résoudre le problème qu'elle suscite, chercher du moins à le subtiliser. Voici, en effet, comment ils ont essayé de supprimer le grand problème inéluctable, celui de la contingence.

Avant d'attaquer la contingence possible de l'être lui-même, M. Bergson commence, par une savante stratégie, à combattre la contingence d'une des manières d'être les plus frappantes des choses de ce monde, à savoir leur ordre[478]. L'idée de désordre, dit-il, n'est qu'une pseudo-idée, soulevant un pseudo-problème, celui de l'origine ou de la raison d'être de cet ordre. Or, le désordre n'est même pas possible; donc l'ordre est nécessaire; donc, «du même coup s'évanouissent (avec l'idée de désordre) les problèmes que l'on faisait lever autour d'elle»[479].

Tout d'abord, l'auteur distingue «deux espèces d'ordre irréductibles l'un à l'autre»: 1° l'ordre «voulu», où les choses sont disposées de concert vers un but; 2° l'ordre «automatique», où les choses sont dispersées d'une manière quelconque. Ainsi, tracez au hasard sur le tableau noir n'importe quelle figure: elle constituera toujours une figure géométrique.

Voici maintenant l'application de ces deux notions à un cas donné: «Quand j'entre dans une chambre et que je la juge «en désordre», qu'est-ce que j'entends par là? La position de chaque objet s'explique par les mouvements automatiques de la personne qui couche dans la chambre, ou par les causes efficientes, quelles qu'elles soient, qui ont mis chaque meuble, chaque vêtement, etc., à la place où ils sont: l'ordre au second sens du mot est parfait. Mais c'est l'ordre du premier genre que j'attends, l'ordre que met consciemment dans sa vie une personne rangée, l'ordre voulu, enfin, et non pas l'ordre automatique. J'appelle alors désordre l'absence de cet ordre.»[480]

Le désordre n'est donc que la désillusion de l'esprit qui cherche un ordre et qui en trouve un autre. Mais il faut nécessairement que l'un ou l'autre existe; l'ordre est donc nécessaire; il est partout et toujours. Et s'il est nécessaire, il n'est plus un mystère à éclaircir et n'a plus besoin d'explication. La seule question: «pourquoi il y a de l'ordre» n'a plus de sens.

A ce raisonnement d'apparence spécieuse, nous répondrons en accordant à M. Bergson, qu'en effet, si l'on admet sa définition—et nous l'admettrons pour simplifier la discussion,—si l'on admet qu'on doive appeler du mot d'ordre tout arrangement quelconque des choses—ordonné ou désordonné,—sa conclusion s'impose: il est nécessaire que nous trouvions toujours et partout dans les choses l'un de ces deux ordres. Mais est-il nécessaire d'y trouver l'un plutôt que l'autre? il est clair que non. Le choix entre les deux est contingent. A plus forte raison, si nous sommes en présence d'un ordre intentionnel, le choix de tel ou tel plan parmi le nombre infini de plans également possibles sera contingent. Et alors le problème premier, que l'on a voulu supprimer, revient tout entier avec sa force impérieuse: pourquoi ce plan plutôt qu'un autre? S'il est nécessaire qu'il y en ait un, aucun d'eux pourtant n'était nécessaire: et s'ils sont tous contingents, ils ont donc une cause.

M. Bergson lui-même nous aide dans notre raisonnement lorsqu'il reconnaît «qu'un ordre est contingent et nous apparaît contingent par rapport à l'ordre inverse, comme les vers sont contingents par rapport à la prose et la prose par rapport aux vers»[481].—C'est là tout ce que nous demandons. Il est donc contingent et nullement nécessaire que l'univers soit un poème écrit en vers ou en prose; si c'est en vers, il est contingent que ce soit en vers de telle ou telle mesure, soumis à telles ou telles lois, etc. La contingence renaît ainsi de ses cendres; et le problème de savoir quelle est la cause de l'ordre contingent que nous admirons, au lieu de s'évanouir, avec la pseudo-idée du désordre, comme on nous l'avait annoncé, s'impose aussi impérieux que jamais aux investigations de l'esprit humain.

Ce premier problème nous conduit naturellement au second. De la contingence de l'ordre qui n'est qu'une manière d'être, passons à la contingence de l'être lui-même. Ici, nous allons serrer encore de plus près et voir plus à fond la difficulté qu'on nous oppose. La nécessité d'un certain ordre que nous avons accordée n'était d'ailleurs qu'une nécessité hypothétique. Si tel être existe, il lui faut nécessairement une manière d'être et un ordre quelconque; mais aucune manière d'être, aucun ordre n'est nécessaire à cet être si, loin d'être lui-même nécessaire, il est contingent. C'est donc la contingence de l'être lui-même qu'il importe surtout d'examiner.

La seconde attaque de M. Bergson contre la contingence sera parallèle à la première[482].

Elle en sera presque une répétition. Le désordre était une pseudo-idée soulevant un pseudo-problème: quelle est la cause de l'ordre?—Le néant sera ici la pseudo-idée soulevant un autre pseudo-problème: quelle est la cause de l'existence?—On entrevoit déjà tout le plan de bataille, ou plutôt la trame subtile du piège qu'on nous prépare.

L'auteur ne consacre pas moins de vingt-six pages à nous démontrer la majeure de sa preuve, à savoir que l'idée du néant absolu est «une idée destructive d'elle-même, une pseudo-idée, qui se réduit à un simple mot». Cette longue dissertation, déjà parue sous forme de cours et d'article, de Revue[483], est, en effet, très instructive à relire, si l'on veut comprendre le fort et le faible de ce merveilleux analyste psychologue qu'est M. Bergson, conférencier aussi brillant que subtil, aussi habile à jongler avec les idées qu'avec les images et les formes littéraires. Mais pourquoi sa pénétrante psychologie n'est-elle pas doublée d'une logique impeccable? Qu'on juge de la portée de notre doute par un simple trait.

Après s'être évertué à nous montrer que l'idée de néant n'était elle-même qu'un pur néant et un mot vide, voici qu'à son tour, victime sans doute de l'illusion commune, il se prend à lui attribuer un rôle; et non seulement un rôle négatif, comme on le fait couramment dans l'Ecole, mais encore un rôle positif, et même un premier rôle. «Ainsi, d'après lui, nous nous servons du vide pour penser le plein»;—nous allons de l'absence à la présence»;—«nous passons par l'idée du néant pour arriver à celle de l'être»;—«l'idée du néant est souvent le ressort caché, l'invisible moteur de la pensée philosophique», etc. L'auteur a beau ajouter que c'est «en vertu d'une illusion fondamentale de l'entendement», il n'en reste pas moins qu'un rôle si utile et si puissant, attribué à une idée qui n'existe même pas, semble quelque peu contradictoire.

Aristote et saint Thomas, qui reconnaissent pourtant la réalité de cette idée négative du néant, ne lui ont jamais attribué une telle vertu. Jamais ils n'ont dit que notre pensée doit s'élever du vide au plein, du néant à l'être. Pour eux, au contraire, l'idée d'être est la première que puisse saisir l'intelligence[484]; et le néant n'est conçu qu'en second lieu, négativement et par le contraste de la présence avec l'absence; pour eux, c'est l'idée d'être qui est «le ressort caché et l'invisible moteur de la pensée philosophique» et non pas l'idée du néant. Jamais ils n'auraient écrit, comme M. Bergson: «l'existence m'apparaît (par une illusion naturelle) comme une conquête sur le néant»;—«je me représente toute réalité comme étendue sur le néant comme sur un tapis»;—«si quelque chose a toujours existé, il faut que le néant lui ait toujours servi de substrat ou de réceptacle, et lui soit, par conséquent, éternellement antérieur.»

Toutes ces prétendues «illusions fondamentales à notre entendement» ne sont que des imaginations fantastiques et puériles, auxquelles aucun esprit sérieux ne s'arrête, et qu'il suffit de classer à côté de la fameuse méthode à fabriquer les canons: prenez un trou, et tout autour de ce trou, coulez du bronze....

Mais voici qui paraît encore plus fort. Après avoir soutenu que l'idée de néant n'est qu'un mot vide, on ajoute, sans hésiter, qu'il est très plein, car il contient autant et même plus que l'idée d'être. Ici nous devons citer textuellement, tant la chose est invraisemblable: «Si étrange que notre assertion puisse paraître, il y a plus, et non pas moins dans l'idée d'un objet conçu comme «n'existant pas» que dans l'idée de ce même objet conçu connue «existant», car l'idée de l'objet «n'existant pas» est nécessairement l'idée de l'objet «existant», avec, en plus, la représentation d'une exclusion de cet objet par la réalité actuelle prise en bloc[485]

Par là, M. Bergson voudrait-il dire avec Michelet et les sophistes hégéliens: «le néant est une catégorie plus riche que celle de l'être?»[486]—Nous nous refusons à le supposer. Il faut donc expliquer autrement sa pensée. On peut soutenir, en effet, qu'il y a plus de complication dans une formule négative que dans une formule positive. Ainsi, dans la formule Xn-Xn, il y a plus de signes que dans la simple, formule Xn. Mais il est clair qu'il n'y a pas plus d'être, et qu'une personne à qui il manque cent francs n'est certes pas plus riche que celui qui les a. Nous aimons à croire que telle est la vraie pensée de l'auteur, d'accord avec celle du bon sens. Mais, alors, on conviendra que, pour arriver à ce résultat, tout cet appareil brillant de thèses et d'antithèses, d'affirmations et de négations, n'était pas indispensable. C'est là un jeu qui amuse sans instruire beaucoup, un feu d'artifice qui éblouit sans éclairer; et loin d'éclaircir ainsi les questions, on les embrouille à plaisir.

Quelque utiles que soient ces observations pour comprendre la manière brillante de notre adversaire, revenons à sa thèse capitale: l'idée du néant absolu n'est qu'une pseudo-idée, un mot vide de sens; elle n'existe même pas subjectivement.

En effet, si elle était quelque chose en nous, ce serait ou une image, ou une idée positive, ou une idée négative. Or, elle n'est rien de ces trois choses. Les deux premières hypothèses sont longuement développées, et l'auteur a ici le triomphe facile. On pourrait dire qu'il enfonce des portes ouvertes. Personne n'a jamais prétendu que le néant pût être dessiné, photographié ou mis en image, ni que son idée eût un contenu positif. Quant à la troisième hypothèse, celle d'une idée vraie, quoique négative, la question est beaucoup plus délicate et subtile, nous le reconnaissons volontiers, mais pour des motifs bien différents de ceux par lui allégués.

Dire, par exemple, qu'on ne peut nier une chose sans la remplacer par une autre, au moins implicitement, ne nous paraît pas un principe universel. Cela est vrai pour la soustraction physique des objets, car on ne peut enlever un objet matériel sans le remplacer en même temps au moins par de l'air, puisque le vide est impossible. Cela est vrai aussi pour les jugements, car on ne peut nier une proposition sans affirmer, au moins implicitement, sa contradictoire.

Mais cela ne nous paraît plus évident pour les simples notions. Si je mets un signe négatif devant une quantité quelconque, il n'en reste plus rien, et la quantité n'est nullement remplacée par une autre quantité ni par une qualité ou toute autre notion. C'est ainsi que se forment les notions de quantités négatives et les autres notions négatives.

Du reste, M. Bergson reconnaît, comme tout le monde, qu'on peut nier l'existence de chaque chose en particulier, parmi toutes celles qui nous entourent; ce serait seulement la négation en bloc de toutes ces choses à la fois qui serait impossible et contradictoire. Mais d'où pourrait venir cette prétendue contradiction?

Sans doute, la réalisation ou la possibilité extrinsèque de cette supposition, à savoir: il aurait pu se faire qu'il n'existât rien du tout, est en contradiction avec les faits, soit avec l'existence de cette pensée elle-même, soit de toute autre réalité présente, car, selon la parole bien connue de Bossuet: «Si rien n'existe, rien n'existera jamais.»

L'hypothèse qu'à un moment donné il a pu n'y avoir rien est donc démentie par les faits; elle est en contradiction avec les faits, mais est-elle en contradiction avec elle-même? Nous ne le voyons pas. Et lorsque M. Bergson la prétend contradictoire parce qu'elle serait «un fantôme chevauchant sur le corps de la réalité positive auquel elle est attachée», je reconnais qu'en effet elle serait contradictoire si, en même temps qu'elle suppose que rien n'existe, elle supposait sa propre existence ou celle du sujet pensant où elle «chevauche». Mais il n'en est pas ainsi, et ce concept implique que rien n'existe, sans s'excepter lui-même. Supposition contradictoire avec les faits, nous le répétons, c'est clair; mais nullement contradictoire en elle-même: ce qui constitue sa possibilité intrinsèque. Si le néant absolu ne peut être affirmé, il peut du moins être pensé: c'est un être de raison, c'est-à-dire un concept auquel, dans la réalité, ne correspond aucun être, mais seulement une relation que la raison conçoit[487].

Quoi qu'il en soit de cette subtile controverse, accordons à M. Bergson que cette idée de néant absolu soit contradictoire et impossible;—pour n'avoir pas l'air d'asseoir sur une pointe d'aiguille la grave conclusion que nous allons tirer.

Accordons-lui qu'on peut supposer la non-existence de chacun des êtres qui nous entoure, mais pas de toutes les existences à la fois. Que faut-il en conclure? Qu'il y a au moins une ou plusieurs existences nécessaires? Assurément. Mais que toute existence est nécessaire et qu'aucune n'est contingente? On ne le peut sans braver la plus élémentaire logique. Ce serait d'ailleurs contredire trop ouvertement aux faits: puisqu'il y a des êtres qui ne sont pas par eux-mêmes, mais par d'autres, ab alio, comme les fils qui viennent de leurs pères, et, en général, comme tous les effets qui viennent de leurs causes, et, par suite, sont contingents.

Et alors, la question de savoir «pourquoi existent ces êtres contingents» reparaît tout entière. Pour la seconde fois, le contingent qu'on avait cru anéantir renaît de ses cendres, et l'on a fait faillite à la promesse de supprimer avec sa notion les problèmes qu'elle soulève à tout esprit qui pense.

«Dès le premier éveil de la réflexion, avait-on déclaré, c'est elle (l'idée du néant absolu) qui pousse en avant, droit sous le regard de la conscience, les problèmes angoissants, les questions qu'on ne peut fixer sans être pris de vertige. Je n'ai pas plutôt commencé à philosopher que je me demande pourquoi j'existe.»—Après cette déclaration qui n'est pas entièrement juste, puisqu'il suffit pour poser la même question que le néant partiel soit possible, par la non-existence de ma seule personne, l'auteur a ajouté témérairement la promesse de faire évanouir ce problème troublant, rien qu'en soufflant sur la notion de néant absolu; il nous a promis qu'après l'extinction de cette idée obsédante, on pourra conclure avec assurance «que la question de savoir pourquoi quelque chose existe est une question dépourvue de sens, un pseudo-problème soulevé autour d'une pseudo-idée»[488]. Et voici que le résultat est loin d'être obtenu: on a bien établi la nécessité de l'existence de l'être nécessaire (la belle affaire!), mais on n'a pas même commencé d'établir la nécessité des autres existences, de vous et de moi, et la question «angoissante»: pourquoi j'existe?—impossible à subtiliser par les mains les plus habiles—demeure aussi ce angoissante» que jamais.


II.—Cette première solution toute négative était si peu satisfaisante que M. Bergson n'a plus hésité à en chercher une autre[489]. Après avoir traité dédaigneusement le problème «angoissant» de la contingence comme un «pseudo-problème», qu'il n'était plus permis de poser à nos contemporains, voici qu'il va le prendre lui-même assez au sérieux pour lui chercher une solution positive.

A nos yeux, c'est là bien moins une contradiction qu'un développement et un progrès de la pensée de ce philosophe. En effet, sa première dissertation sur le néant, déjà connue de ses auditeurs, paraît être plutôt une œuvre de jeunesse, si l'on s'en tenait à la critique interne. On n'y retrouve aucune de ses préoccupations systématiques actuelles sur le Temps, la Durée pure, l'Evolution, l'Intuition et ses demi-concepts, encore moins sur l'impuissance métaphysique de l'intelligence humaine, car elle est un modèle de spéculation a priori, un «jeu d'entités conceptuelles» audacieusement débridé. Ce morceau nous semble donc composé antérieurement, puis ajouté après coup et comme égaré dans le système de l'Evolution créatrice.

Quoi qu'il en soit, voici la nouvelle solution proposée, et celle-ci prétend bien être tirée des entrailles mêmes du nouveau système.

1° M. Bergson nous déclare d'abord que «dans le présent travail (l'Evolution créatrice) un Principe de création enfin a été mis au fond des choses»[490]. Ce Principe (avec un grand P), on ne le découvre, il est vrai, nulle part bien clairement exprimé, mais il ne saurait être que son dieu-Cronos, le Temps, la Durée pure, dont il a fait la «substance» même des choses.

Dans ce cas, malgré cette confusion panthéistique de la créature avec son principe, la création tout entière et, partant, l'humanité sont bien reconnues contingentes—la contingence de l'homme est ainsi confessée,—ce qui est un premier pas en avant d'une importance incontestable. Pourquoi j'existe?—parce que je suis créé par un Principe supérieur. Telle est mon origine: reste à savoir quelle est ma fin.

2° Sur la destinée humaine, M. Bergson n'a pas encore dit son dernier mot, mais il a posé des pierres d'attente significatives. Pour lui, l'immortalité est un dogme à la fois affirmé par l'Intuition et nié par l'intelligence et la science,—comme tous les autres dogmes spiritualistes, d'ailleurs, sujets à la même antinomie. Ecoutons sa profession de foi:

«Certes, elles (les doctrines spiritualistes) ont raison d'écouter la conscience, quand la conscience affirme la liberté humaine;—mais l'intelligence est là, qui dit que la cause détermine son effet, que le même conditionne le même, que tout se répète et que tout est donné.

«Elles ont raison de croire à la réalité absolue de la personne et à son indépendance vis-à-vis de la matière;—mais la science est là, qui montre la solidarité de la vie consciente et de l'activité cérébrale....

«Elles ont raison d'attribuer à l'homme une place privilégiée dans la nature, de tenir pour infinie la distance de l'animal à l'homme;—mais l'histoire de la vie est là, qui nous fait assister à la genèse dès espèces par voie de transformation graduelle et qui semble ainsi réintégrer l'homme dans l'animalité.

«Quand un instinct puissant proclame la survivance probable de la personne, elles ont raison de ne pas fermer l'oreille à sa voix;—mais s'il existe ainsi des «âmes» capables d'une vie indépendante, d'où viennent-elles? quand, comment, pourquoi entrent-elles dans ce corps que nous voyons, sous nos yeux, sortir très naturellement d'une cellule mixte empruntée aux corps de ses deux parents?

«Toutes ces questions resteront sans réponse, une philosophie d'intuition sera la négation de la science; tôt ou tard, elle sera balayée par la science, si elle ne se décide pas à voir la vie du corps là où elle est réellement, sur le chemin qui mène à la vie de l'esprit.»[491]

Nous avons déjà vu, en ce qui concerne les trois premières questions, combien ces antithèses sont artificielles et systématiques; tenons-nous-en, pour le moment, à la dernière et répondons aux interrogations de M. Bergson.

D'où viennent les âmes?—Mais de celui qui les crée: réponse autrement intelligible que celle de l'auto-création et des commencements absolus et sans cause, dont M. Bergson a rempli son Evolution.

Pourquoi viennent-elles dans les corps?—C'est pour y vivre d'une manière complète, puisqu'elles ont besoin d'organes corporels pour vivre de la vie végétative, de la vie sensible, et même, indirectement, de la vie intellectuelle, comme le prouve surabondamment l'expérience vulgaire et scientifique, d'après M. Bergson lui-même.

Comment entrent-elles dans les corps?—Elles y viennent du dehors, θύραθεν, d'en haut, comme le disait Aristote, suivant les lois providentielles de la Biologie, que savants et philosophes cherchent à découvrir peu à peu, mais que personne ne peut nier.

Quand l'âme entre-t-elle dans le corps?—Dès qu'il est apte à la recevoir: en cela, rien de plus raisonnable.

Il est donc entièrement inexact d'affirmer que «toutes ces questions resteront sans réponse», alors que des réponses, si simples et si satisfaisantes, sont déjà faites depuis longtemps et connues de tous. C'est même plus qu'inexact, c'est entièrement faux, d'ajouter que ces doctrines spiritualistes sont «la négation de la science». Une si énorme assertion, dépourvue de la moindre preuve, n'a aucune valeur.

Quant à «se décider à voir la vie du corps sur le chemin qui conduit à la vie de l'esprit», il y a longtemps que les spiritualistes partisans de l'évolution s'y sont «décidés», sans renier pour cela aucun de leurs principes, comme nous le propose M. Bergson.

Ainsi, l'Intuitionnisme spiritualiste n'a rien à redouter des objections de l'intelligence ni de la science. Ce sont là de vains scrupules qu'une étude plus attentive des premières notions et des premiers principes d'Ontologie suffirait à dissiper.

En revanche, cet Intuitionnisme spiritualiste a, croyons-nous, tout à redouter de lui-même, c'est-à-dire de ses autres doctrines soi-disant intuitionnistes, et c'est sur ce point capital que nous voudrions attirer l'attention du lecteur.


Qu'est-ce que l'âme, qu'est-ce que la personne humaine pour M. Bergson?

Le mot «âme», toujours mis par lui entre guillemets, est complètement vidé de son sens naturel; il ne signifie plus un agent ni un principe substantiel d'activité psychique, puisqu'il n'y a plus dans ce système que des actions sans agent, des attributs sans sujet, des modes d'être sans être.

L'âme n'est donc plus qu'un «mouvement», un pur phénomène, une ombre d'elle-même. Or, un mouvement, un phénomène, une ombre, n'ont rien, comme la substance, de stable ni de permanent, et, de par leur nature, ne peuvent avoir aucune prétention à l'immortalité.

En réalité, au contraire, l'âme est une substance simple et spirituelle, c'est-à-dire, de par sa nature même, incorruptible et suffisamment indépendante de la matière pour vivre séparée dans l'immortalité.

Qu'est-ce que la personne pour M. Bergson?—Pour nous, c'est une substance individuelle et raisonnable, suivant la définition classique: rationalis naturæ individua substantia. On peut donc lui attribuer encore, malgré son union naturelle avec un corps corruptible, la spiritualité, l'incorruptibilité, l'immortalité. Pour M. Bergson, au contraire, elle n'est que «la continuité d'un mouvement» purement psychique, il est vrai, comme la mémoire qui en fait le fond[492];—ou bien encore elle est «un élan en avant». Qui donc pourrait désormais nous garantir qu'il ne s'arrêtera pas?

Mais nous avons à faire un reproche encore plus grave à la théorie bergsonienne. Les âmes séparées de leurs corps ne seraient plus distinctes et fusionneraient comme des mouvements dans une résultante commune. En effet, d'après ce système moniste, à l'origine toutes les âmes étaient confondues dans l'unité du grand Tout psychique. Ce grand «courant de la conscience» universelle essaya ensuite d'entrer dans la matière «pour la convertir à ses fins», c'est-à-dire «en faire un instrument de liberté». Mais bientôt paralysé, brisé, par les obstacles matériels, il a dû se dissocier et se distinguer en personnalités indépendantes. C'est donc la multiplicité des corps qui seule ferait la multiplicité, au moins apparente et provisoire, des âmes et des personnes. Or, cela est inadmissible[493].

Il est vrai que les scolastiques, à la suite de saint Thomas, ont bien admis le principe d'individuation des esprits par la matière, mais dans un tout autre sens. Pour saint Thomas, telle âme, créée à la mesure de tel corps, doit à ce corps d'être telle âme. La multiplication des corps n'est donc que l'occasion de la multiplication des âmes, déjà distinctes par leur aptitude à tel ou tel corps.

En sorte qu'après la séparation de son corps, cette âme garde son aptitude à l'informer de nouveau, et partant son individualité. Elle demeure donc toujours distincte des autres âmes.

Or, ici il n'en est rien. Le corps a découpé une âme dans le grand Tout psychique[494], et cette âme, après sa séparation de ce corps, revient s'y plonger et s'y perdre de nouveau pour refaire l'unité passagèrement brisée. L'immortalité, au sens bergsonien, serait donc impersonnelle, si tant est qu'elle existe encore; et ce n'est plus là qu'une contrefaçon de l'immortalité véritable.


Enfin, un dernier reproche, le plus essentiel à nos yeux: Dans le spiritualisme sans Dieu de M. Bergson, toutes les grandes preuves morales de l'immortalité s'écroulent, et ce dogme demeure en l'air sans aucun fondement.

On ne peut plus soutenir, en effet, que la Justice de Dieu exige qu'il rende à chacun selon ses œuvres dans une autre vie; ou qu'il réponde par des sanctions futures à cette sublime protestation de la conscience humaine contre toutes les injustices des méchants, contre toutes les tyrannies de l'iniquité triomphante: «Tremblez, tyrans, vous êtes immortels!»

On ne peut plus prétendre que la Sagesse de Dieu se doit à elle-même de ne pas détruire sans motif son chef-d'œuvre, qui est l'âme humaine, après l'avoir créée avec une nature et des aspirations immortelles; et surtout de ne pas détruire sur cette terre l'ordre moral par la suppression des sanctions futures, base essentielle du devoir, de la morale et de la vie sociale.

On ne peut pas davantage faire appel à la Bonté de ce Dieu, gage non moins certain que sa Sagesse et sa Justice de notre immortalité future. Après avoir mis au tréfond du cœur humain le désir infini du Vrai, du Bien, du Beau, dans une vie sans limite—désir dont l'animal sans raison est incapable;—après nous avoir créés pour le bonheur et pour la félicité suprême, la Bonté divine ne peut, en effet, nous anéantir au moment où nous semblons toucher au but désiré et prêts à recueillir la récompense de nos travaux, de nos luttes et de nos souffrances terrestres. En imposant à l'homme de si décevantes espérances, cette Bonté se renierait elle-même et se changerait en absurde cruauté!

Eh bien! toutes ces preuves, toutes ces intuitions évidentes—qui ont arrêté et vaincu le scepticisme universel de Kant, de Renan et de tous les cœurs simplement honnêtes—s'écroulent, disons-nous, et disparaissent après la négation de l'existence de Dieu. Et comme elles sont le fond même de cet «instinct profond» d'immortalité, allégué par M. Bergson, et tout pétri du sentiment de la Justice, de la Sagesse et de la Bonté éternelles, cet instinct n'est plus qu'un mot vide, sur lequel nous ne pouvons plus fonder nos espérances.

Que M. Bergson y réfléchisse bien, avant de faire subir une si grave mutilation à un système qu'il dit être encore spiritualiste. Et puisqu'il médite si souvent sur la mort; puisqu'il semble hanté et poursuivi par le tourment de l'au-delà—au témoignage des amis qui l'approchent et même des journalistes admis à l'interviewer [495],—nous gardons encore espoir. La pensée de la mort a toujours été une si sage conseillère!

Sans doute, elle peut, de prime abord, effaroucher l'orgueil de l'homme et le provoquer à la révolte. Il fera alors appel aux découvertes de la science future qui finira—peut-être!—par arracher aux forces de la nature le secret de vaincre la mort et de nous élever à la «surhumanité»[496]. Ou bien il s'imaginera voir et entendre dans le lointain des siècles cette «charge irrésistible de l'Evolution créatrice, qui doit culbuter tous les obstacles au progrès sans fin et nous affranchir de la mort elle-même....»[497]

Mais ce premier rêve d'orgueil une fois passé et son frémissement calmé, l'intuition de l'esprit et du cœur, en face des réalités présentes, ramènera cet homme, très doucement, très humblement, aux pieds du souverain Maître de la vie, qui seul peut commander à la mort, nous laver de nos iniquités et nous ouvrir les portes de la Vie bienheureuse.

Pour les amis de Dieu, en effet, la vie n'est point enlevée par la mort, mais seulement transformée, vita mutatur, non tollitur; Il est pour eux la Résurrection et la Vie. C'est donc à lui qu'il faut aller, car il a seul les secrets de la Vie éternelle!

L'expérience «vécue» de cette intuition religieuse en est faite et refaite chaque jour par des milliers d'esprits superbes qui s'essayent à redevenir humbles, et l'un d'eux, l'un des plus incrédules, adressait récemment dans un «Testament» suprême, «à quelques-uns de ses frères, de qui elle est attendue, peut-être», cette éloquente profession de foi:

«L'existence d'une Pitié suprême (du Créateur pour sa créature), on la sent plus que jamais s'affirmer universellement dans les âmes hautes qui s'éclairent à toutes les grandes lueurs nouvelles.... La Pitié suprême vers laquelle se tendent nos mains de désespérés, il faut qu'elle existe, quelque nom qu'on lui donne; il faut qu'elle soit là, capable d'entendre, au moment des séparations de la mort, notre clameur d'infinie détresse; sans quoi, la création, à laquelle on ne peut raisonnablement plus accorder l'inconscience comme excuse, deviendrait une cruauté par trop inadmissible à force d'être odieuse et à force d'être lâche.»[498]

Celle belle parole de Pierre Loti, toute pleine de sanglots et d'espérances, est, à son insu peut-être, un écho de la grande voix du Roi-prophète dans son De Profundis qu'ont redit et que rediront jusqu'à la consommation des siècles, chacune en sa langue, toutes les nations et toutes les générations humaines. Elle est le cri de la nature, la voix de Dieux!


NOTE SUR LE «MONISME» DE M. BERGSON.

Deux lettres importantes de M. Bergson au P. de Tonquédec, récemment publiées dans les Etudes (20 fév. 1912), démontrent que la méditation des problèmes moraux commence—comme nous l'espérions—à faire évoluer sa pensée et à l'orienter des confins du monisme vers un certain dualisme encore vague. Mais ce serait une grande illusion de croire que, pour opérer cette évolution et faire apparaître un Créateur transcendant à sa créature—tel que l'enseigne un vrai spiritualisme,—il suffirait de quelques retouches superficielles au système de l'Evolution créatrice. Non, il ne peut suffire de changer, par exemple, le «centre ou la continuité de jaillissement» d'où dérivent les mondes, en «source de jaillissement»[499]. Certes, la première formule est malheureuse. Un «centre» ne peut faire fonction de cause transcendante. Il ne peut être réellement distinct des flots qui jaillissent, encore moins être du nature différente. La «continuité de jaillissement» n'eut qu'un nom collectif de ces flots incessants, ce n'est point une cause supérieure.

Quant à la «source de jaillissement», elle est une formule meilleure, mais encore bien vague, qui se prête trop aisément à une interprétation monistique. Sans doute, à sa source, la vie est plus pure; elle n'est pas encore chargée de cette matérialité qu'elle produira par une espèce de dégradation d'énergie, de relâchement d'intensité, qui rappelle un peu trop la chute de l'Absolu chez les Alexandrins. Elle est donc plus pure, mais est-elle de nature différente? Il est clair que non. Une «source de jaillissement» pourrait être une image d'un panthéisme émanationniste, nullement d'une création théiste.

Bien plus, l'évolution des mondes, loin de se produire ad extra hors de sa source, se ferait plutôt ad intra par un simple grossissement intérieur, si nous nous en rapportons à cette explication de M. Bergson: «Tout est obscur dans l'idée de création, si l'on pense à des choses (des substances) qui seraient créées et à une chose (une substance) qui crée.... Mais que l'action grossisse en avançant, qu'elle crée au fur et à mesure de son progrès, c'est ce que chacun de nous constate quand il se regarde agir.»[500] C'est ce que l'auteur, dans le même passage, explique en termes encore plus clairs en disant: «Dieu, ainsi défini, n'a rien de tout fait.» Il se fait donc sans cesse et progresse avec le jaillissement des mondes[501].

Après cela, que M. Bergson se défende d'être encore moniste ou panthéiste, cela ne peut avoir qu'un sens. Il ne l'est pas à la manière de Spinosa, de Spencer, de Taine ou d'Hœckel, assurément, car il ne professe pas comme eux un monisme par identité et homogénéité substantielle, encore moins un monisme matérialiste, mais ce n'en est pas moins un autre monisme par croissance et évolution à travers des états successifs toujours nouveaux et irréductibles aux précédents.

Libre à M. Le Roy d'appeler cela «un panthéisme orthodoxe»[502]; pour nous, nous l'appellerons un panthéisme tout court, parce qu'il efface la distinction substantielle entre le Créateur et ses créatures, pour ne laisser entre eux que des distinctions modales[503].

On comprend maintenant que pour transformer en Dualisme le Monisme Bergsonien, quelques retouches superficielles ne puissent suffire. Il ne s'agit point ici de formules, il s'agit de l'âme, même du système.

Encore deux remarques pour le faire mieux comprendre.

1° Le système de M. Bergson, nous l'avons vu très longuement, est tout entier fondé sur le Devenir pur: ce n'est plus l'Acte qui prime la Puissance, mais la Puissance qui prime l'Acte. Or, cela est aux antipodes de la doctrine spiritualiste qui a fait de Dieu l'Acte pur, infiniment actif et parfait. Le dieu Bergsonien qui est «en train de se faire» ne sera jamais qu'une caricature du vrai Dieu.

2° Le système Bergsonien est essentiellement antiintellectualiste. Or, je le défie bien de revenir au vrai Dieu par des considérations morales—à la manière de Kant—sans user comme lui de l'intelligence, c'est-à-dire des notions intellectuelles et des procédés intellectuels qu'il a commencé par répudier comme illusoires.

Kant, pour réédifier par la Raison pratique ce qu'il a démoli par la Raison pure, recourt à la foi aveugle du sentiment moral. Bergson changera seulement d'étiquette en appelant du nom d'intuition la foi morale de Kant, mais le paralogisme sera le même.

Les notions fondamentales et les raisonnements contenus dans l'œuvre de réédification par la Morale, sont du domaine et sous le contrôle de l'Intelligence ou de la Raison pure. L'antiintellectualisme est ainsi acculé dans une impasse, emmuré dans la prison sans issue qu'il s'est bâtie de ses propres mains.

Son auteur, malgré ses meilleures intentions, est donc le prisonnier de son système. Pour en sortir, il ne suffit plus de le retoucher par les sommets, il faut le refaire par la base.... Certes, c'est là un sacrifice douloureux et même héroïque pour tous les inventeurs célèbres: aussi se contentent-ils, d'ordinaire, de dédoubler leur personnalité. Ils séparent par une cloison étanche la raison théorique et la foi morale, la spéculation pure et l'action pratique—démontrant ainsi, mieux que par des raisonnements, la fausseté de systèmes qui ne peuvent être vécus.

Quoi qu'il en soit, nous saluerons de tous nos vœux cette tentative d'évolution de M. Bergson vers une Morale théiste. Se ferait-elle au prix d'un dédoublement de la pensée et de la conscience, ce ne serait pas la payer trop cher. Au surplus, qui pourrait la taxer d'inconséquence dans un système où les effets de l'Evolution créatrice sont toujours «imprévisibles» et «sans aucune proportion avec leurs antécédents»?...


CONCLUSION GÉNÉRALE.

I. Arrivés au terme de cette étude, une vue rétrospective peut nous permetter de mieux saisir l'ensemble et la synthèse de la philosophie bergsonien.

Dès le début, nous disions que son point de départ n'était pas sans analogie ni sans parenté avec celui d'Aristote. Pour le philosophe d Stagire, c'est le mouvement; pour M. Bergson, c'est le Temps, qui est la forme la plus saillante du mouvement, comme le mouvement est la forme la plus saillante du réel.

Mais si les points de départ diffèrent déjà, les procédés diffèrent encore plus. Aristote, par une simple analyse, distingue d'abord le mouvement du mobile ou du sujet en mouvement: substance et accident. Puis, dans le mouvement, qui est un passage de la puissance à l'acte, il distingue aussitôt deux états opposés de la réalité: l'état potentiel et l'état actuel: clé de voûte de toute sa métaphysique.

M. Bergson, au contraire, synthétise ou plutôt confond tous ces termes: le mouvement ne se distingue plus du mobile en mouvement, et le mobile se trouve ainsi supprimé: plus d'agent ni de patient, plus de substance: le mouvement est le tout du réel.

Enfin, le temps lui-même est identifié au mouvement et devient la «substance» même des choses, la seule réalité. C'est un pur phénoménisme.

Quant à la nature de cette «substance», Aristote avait encore distingué la matière et l'esprit. M. Bergson ne les distingue que pour mieux les confondre. Tout est psychique, et la matière elle-même n'est que du psychique dont le mouvement est «inverti».

En conséquence, tandis qu'Aristote s'achemine vers une conception pluraliste de l'Univers où l'unité se fait dans la hiérarchie des formes, M. Bergson s'oriente vers le monisme universel où l'unité ne se fait que par l'identification et la confusion des parties. La seule différence du monisme psychique de M. Bergson avec le monisme matérialiste ordinaire est qu'il donnera le rôle de substance universelle, non plus à l'Espace-matière, mais au Temps-esprit, où tout ne sera pas moins confondu.

Désormais, tout étant identique à tout, la logique de l'identité n'a plus de raison d'être; les principes premiers sont caducs; et l'antiintellectualisme triomphe sur les ruines de l'intelligence et du bon sens.

Pour relever ensuite de ses ruines immenses la métaphysique—car l'esprit humain ne saurait s'en passer,—l'on fait appel à une faculté nouvelle qu'on appelle l'intuition. Malgré sa prétention de lire dans l'intérieur même des choses, elle n'est autre que l'imagination créatrice, et c'est elle que l'on charge de refaire le plan de l'Univers. Une esthétique subtile et brillante, parfois mystique, le plus souvent poétique, va détrôner la raison froide et calculatrice, en attendant que cette «folle du logis» se détruise elle-même par ses extravagances et ses excès.

Voici les principales conclusions auxquelles elle aboutit et qui sont les traits les plus saillants de la métaphysique nouvelle:

Négation de l'être; tout est Devenir pur[504], sans que rien soit déjà devenu, ou puisse jamais être et demeurer identique à lui-même, sous le flot changeant des phénomènes. En d'autres termes, il n'y a plus de personnes permanentes, ni de substances stables, ni de causes actives, mais seulement des actions sans agent, des attributs sans sujet, des accidents sans substance, des manières d'être sans être, un devenir perpétuel de ce qui ne peut jamais être!

Négation du vrai; plus de vérité stable ou acquise une fois pour toutes. La vérité, en effet, c'est ce qui est, ce que je conçois comme il est. Mais puisque rien n'est ni ne peut être, et que tout le réel est entraîné dans un écoulement perpétuel et insaisissable, il faut bien que la Vérité suive le sort de l'être et s'abîme dans le gouffre sans fond de l'inconnaissable.

De là ces formules si souvent rencontrées dans la philosophie nouvelle: «plus de doctrine arrêtée», pas même de «méthode fixe», mais une «simple tendance», une «orientation de la pensée plutôt que des résultats»[505], ou bien encore, comme le dit W. James: «les choses ont moins d'importance que la recherche des choses»; «les vérités ne sont que des inventions commodes qui ont réussi»,—mot célèbre qui a fait fortune. En sorte que nous serions réduits à chercher toujours sans pouvoir rien trouver jamais. C'est le travail désespérant de Pénélope ou de Sisyphe auquel on voudrait condamner l'esprit humain!

Négation des principes d'identité ou de contradiction, «lois du discours», disent-ils, mais non du réel. En effet, puisque l'être n'est pas, on ne peut le dire jamais identique à lui-même. Quant au contradictoire, il reste encore impensable, vu la constitution actuelle de notre esprit, mais il n'est plus impossible. Au contraire, il est au fond du Devenir et à la racine même des choses, le Devenir étant à la fois être et non-ètre, c'est-à-dire fusion ou identité des contradictoires. Ainsi les contradictoires logiques s'allient à merveille dans ce que M. Le Roy appelle les «profondeurs supra-logiques», et désormais la fière devise de l'inventeur sera: «Au-dessus ou au delà de la Logique!»

Négation du principe de causalité. Puisqu'il n'y a plus ni causes ni effets, le principe de causalité n'a plus aucun sens et doit être relégué au musée des antiques. Désormais, ce qui commence n'a plus de cause et se fait tout seul.

Aussi bien l'Evolution créatrice est-elle conçue comme un pur mouvement, sans aucune chose, qui soit mue ou qui meuve; comme un mouvement qui se crée lui-même, en se donnant incessamment à lui-même l'existence qu'il n'a pas. L'idée de commencement absolu et sans cause—nous l'avons déjà fait remarquer—est ainsi mise partout dans l'Univers, au commencement, au milieu, à la fin de toute existence, et poussée jusqu'à la plus éclatante absurdité.

Négation de la multiplicité réelle des individus et des choses: tout est un. Le moi et le non-moi, le sujet et l'objet, la cause et l'effet, le père et le fils, la matière et l'esprit, ne sont, paraît-il, que des illusions de notre «postulat du morcelage» ou des exigences et des nécessités de l'action. En réalité, tous les individus et toutes les natures fusionnent dans le grand Tout.

Mais là où l'on ne peut plus distinguer des termes définis et multiples, il n'y a plus de relations ni de lois. Toute loi devient donc illusoire, c'est-à-dire que toute la législation de la Logique et de la Morale, de la Physique et de la Métaphysique s'écroule dans un abîme chaotique et sans fond où l'esprit n'a plus de prise.

Négation du primat de la Raison. L'instinct est, nous dit-on, supérieur à l'intelligence, laquelle n'est qu'un «rétrécissement par condensation d'une puissance plus vaste», à savoir de «l'élan vital» primitif ou de l'instinct. C'est l'évolution de «l'élan vital» qui «l'a déposée en cours de route», lorsqu'il était sur son déclin.

Aussi faut-il se défier des concepts qui ont maladroitement «cristallisé» le fluent, ainsi que de ces jeux de concepts qu'on appelle les jugements et les raisonnements, les déductions et les inductions, dont l'apparente nécessité est illusoire; il ne faut se fier qu'aux «intuitions» de l'instinct réfléchissant sur son principe, l'élan vital, d'où il est sorti.

Cet instinct supra-intellectuel est une «sympathie divinatrice»—impossible à définir par des concepts—qui nous donne une vision directe et immédiate de l'intérieur même des choses avec lesquelles nous communions intérieurement par l'action. C'est là que nous découvrons comme un monde nouveau, où tout s'auréole de fluidité dans un perpétuel écoulement. Telle est la vision de la durée pure ou du Temps, qui ressemble à une continuité opaque et mouvante, à une hétérogénéité indistincte et amorphe où tout fusionne dans l'Unité suprême de la vie, comme dans un abîme mystique où l'esprit se perd.

Or, cette vision pure est tellement ineffable, que M. Bergson lui-même, se sentant impuissant à l'exprimer, nous déclarait au Congrès de Bologne qu'il passerait toute sa vie à la balbutier sans pouvoir jamais arriver à se faire comprendre.

Voici ses paroles textuelles: «Tout se ramasse en un point unique (la durée pure) ... et ce point est quelque chose de simple, d'infiniment simple, de si extraordinairement simple que le philosophe n'a jamais réussi à le dire, et c'est pourquoi il a parlé toute sa vie sans pouvoir être compris».[506]

Cette vision de la Durée pure ou du Temps—s'élevant de la subconscience à la limite de la conscience par une «torsion» de l'esprit sur lui-même—nous remet en mémoire la fameuse, vision de l'Etre simpliciter, tant célébrée par les Ontologistes, et, qui eut un moment de vogue enthousiaste, il y a quelque quarante ans. Nous étions alors au collège, et parmi nos camarades les plus fervents pour les nouvelles doctrines, plusieurs, qui croyaient avoir vu l'Etre, se levaient pendant la nuit pour le revoir et le contempler à loisir dans la lune ou les étoiles. Et ces visions nocturnes ou diurnes aboutissaient régulièrement à un détraquement cérébral....

Aussi ne conseillons-nous pas aux lecteurs de trop prolonger les exercices de vision de «la durée pure», si tant est qu'ils les veuillent essayer. Ce n'est pas l'univers qu'elle mettrait à l'envers, mais leurs cerveaux.

Du reste, il n'y a rien à contempler dans ce trou noir, et M. Bergson se flatte ou s'illusionne grandement s'il croit y avoir vu le plan et les développements de son «Evolution créatrice».

Divorce de la Philosophie avec les Sciences. Une telle Philosophie toute imaginaire ne pouvait pas ne pas aboutir tôt ou tard à un divorce complet avec la Science positive. Et ce sera là le dernier trait caractéristique de la Philosophie nouvelle.

Inaugurée dans un élan généreux de réaction contre toutes les méthodes a priori, elle se posait comme un retour légitime à l'observation directe des choses, comme un effort pour se rajeunir et se retremper, en se plongeant avidement dans la réalité, ou, comme elle le répétait, pour faire enfin «redescendre du ciel sur la terre» la pensée humaine[507].

Et ce n'était pas là une vaine protestation de sa part. Les travaux qu'elle inspirait étaient tout hérissés de l'appareil scientifique le plus accentué: formules, comparaisons et démonstrations mathématiques, physico-chimiques, biologiques, psychologiques, etc. C'était bien avec les sciences positives une alliance ardemment recherchée et définitivement conclue. Malheureusement, les serments de fidélité éternelle n'auront duré que l'espace d'une lune de miel!

Il suffirait de relire le discours de Bologne pour se bien convaincre que le divorce est bien définitivement proclamé.

Pour nous et tous les disciples d'Aristote et de saint Thomas, l'esprit philosophique prend son point de départ dans les données positives de la science expérimentale et fait effort pour la continuer et l'approfondir en l'universalisant. Ce n'est, du reste, qu'une application du principe fondamental que toutes les idées nous viennent par les sens, et toutes les théories, dignes de ce beau nom, θεωρηματα, doivent nous venir de l'expérience vulgaire ou scientifique.

Pour M. Bergson, au contraire, la philosophie, bien loin d'être immanente à la Science, lui est transcendante, en ce sens que ce sont deux connaissances entièrement différentes et hétérogènes. La Philosophie, grâce à l'Intuition, saisit le dedans même du réel, l'âme de l'Univers, jouit d'une communion mystique avec sa vie intime, son «élan vital».

A l'opposé, la Science ne saisit que le dehors de l'être, la gangue, la matière. Voilà pourquoi, au lieu de pouvoir communier à la vie de la nature, le savant est obligé de la heurter de front comme un ennemi qu'il faut dompter pour les besoins pratiques de l'action quotidienne. Donc, il la saisit, il l'analyse, la torture, la dissèque, il la tue pour la dominer.

Comme on le voit, la Philosophie et la Science sont ainsi conçues comme deux mondes aussi différents que la vie et la mort, et étudiés par deux procédés hétérogènes. D'où la conclusion de M. Bergson: «La règle de la Science a été posée par Bacon; obéir (à la nature) pour commander. Le philosophe n'obéit ni ne commande: il cherche à sympathiser.»[508]

L'union dont on s'était flatté au début est donc devenue entièrement impossible. Les caractères des deux conjoints, leurs méthodes, leurs fins sont opposés et antipathiques. Que, chacun reste donc à sa place! Sans doute, on ne nie pas la science[509], mais on la prie de rester désormais chez elle. C'est un libellum repudii aussi clair, aussi catégorique qu'on puisse le formuler en belle langue diplomatique.

De son côté, d'ailleurs, la Science en a facilement pris son parti. Elle a même proclamé bien haut son antipathie pour l'antiintellectualisme par cette protestation célèbre de M. Poincaré: «La science sera intellectualiste ou elle ne sera pas.»[510] La désunion est donc mutuelle et complète.

En résumé, s'il était possible de synthétiser tous ces caractères en un seul mot typique, nous dirions de la Philosophie nouvelle: elle prétend se passer de l'Intelligence pour philosopher; elle prétend, comme elle l'a audacieusement déclaré, «pousser l'intelligence hors de chez elle par un acte de volonté ... par la torsion du vouloir sur lui-même.... Effort d'ailleurs douloureux que nous pouvons donner brusquement en violentant la nature, mais non pas soutenir au delà de quelques instants»[511]....

Nous n'exagérons rien, et tel est bien le sens et la portée de ces étranges formules, reconnus unanimement par tous les commentateurs[512]. W. James l'avouait: «C'est bien là une sorte de catastrophe intérieure que Bergson réclame de nous, et tout le monde n'est pas capable d'une telle révolution logique».—«Il n'y a, je crois, ajoutait-il, qu'un petit nombre d'entre vous qui auront pu obéir à l'appel de Bergson.»—James a voulu être du petit nombre de ces élus et a proposé à son tour de «renoncer tout à fait au rationnel»[513] et de faire fi de la Logique.

N'est-ce pas, vraiment, rêver les yeux ouverts!...

Mais ce qui n'est pas moins étrange, c'est de rapprocher ce point d'arrivée final avec le point de départ. Partie d'une certaine théorie du Temps ou de la Durée, construite avec une confiance audacieuse dans la toute-puissante force d'abstraction de la raison humaine, la pensée Bergsonienne aboutit à une conclusion antiintellectualiste qui dénie à l'intelligence tout vrai pouvoir de connaissance objective.

Cette pensée se détruit donc elle-même et se suicide!

8° Après le divorce de la philosophie, bergsonienne avec la Science et avec la raison, il est bien inutile de parler de son Divorce avec la foi religieuse et chrétienne.

Les preuves en seraient si nombreuses et si profondes qu'il serait impossible de les énumérer en quelques mots. Aussi bien une seule peut les résumer toutes. Comme l'a si bien compris et dit un philosophe laïque: «Une philosophie qui blasphème l'intelligence ne sera jamais catholique.»[514]

Non, jamais la foi du chrétien ne pourra consentir à ne plus être raisonnable, c'est-à-dire fondée en raison et justifiée par les données de la raison, selon la maxime de nos pères; Fides quærens intellectum, ou le précepte de saint Paul: Rationabile sit obsequium vestrum.

La foi même du charbonnier n'est jamais totalement aveugle, et si ses raisons de croire sont extrinsèques et banales, elles n'en sont pas moins des raisons à sa portée qui lui donnent une certitude relative de la révélation, et justifient sa conduite. A plus forte raison la foi des savants et des génies, des Augustin, des saint Thomas ou des Bossuet a-t-elle besoin d'être illuminée par toutes les lumières intellectuelles et fortifiée par tous les arguments logiques dont l'ordonnance rigoureuse constitue l'œuvre colossale et merveilleuse de la Théologie.

Cette citadelle inexpugnable de la foi catholique, l'Eglise ne peut y renoncer, et c'est pour cela qu'elle est tout naturellement la protectrice et la gardienne de la raison humaine non moins que de la foi révélée, défendant la raison contre ses propres excès, tour à tour contre les orgueils rationalistes et contre les défaillances fidéistes. Tel est son rôle séculaire qu'elle n'abdiquera jamais!

Bien aveugles ou bien naïfs furent donc certains penseurs catholiques qui ne l'ont pas compris et qui, emportés par l'engouement général, crurent pouvoir emprunter à la philosophie bergsonienne la plupart de ses méthodes et de ses thèses, espérant qu'elles pourraient être acceptées ou assimilées par la foi catholique. C'est là une illusion qu'il serait vain d'entretenir davantage: l'expérience de ces philosophes «modernistes» l'a démontré assez clairement et trop douloureusement pour qu'il soit utile d'insister davantage[515].


II. Comment une telle philosophie, ennemie-née de la raison et si renversante pour le sens commun, a-t-elle pu—surtout en France, terre classique des idées claires et du bon sens—obtenir un succès colossal, pour ne pas dire un succès fou? C'est le secret qu'il nous reste à expliquer au lecteur avant de prendre congé de lui.

Ce succès inouï tient assurément à des causes multiples. Nous ne dirons rien des causes artificielles telles que la réclame dans les journaux, les revues et la presse des deux mondes—par la légion des thuriféraires officiels et officieux,—sans méconnaître pour cela son efficacité prodigieuse à notre époque. Bornons-nous à indiquer les causes naturelles; encore n'avons-nous pas la prétention de les énumérer toutes, mais seulement les principales, celles qui nous ont le plus frappé.

1° La première cause—la plus évidente—d'une telle fortune vient de ce que la Philosophie nouvelle a paru inaugurer une réaction courageuse contre le Logicisme outrancier et le verbalisme de la philosophie classique postérieure à Kant, et surtout une réaction vengeresse contre le kantisme lui-même, dont le public français commençait à en avoir «soupé». L'attrait persistant de l'esprit humain pour la métaphysique et ses problèmes vitaux, trop longtemps comprimé par l'interdit kantien, se réveillait et préparait enfin sa revanche. Le mot d'ordre: il faut traverser Kant! venait de retentir à la Sorbonne, comme le commencement d'un exode qui provoquait l'enthousiasme. On cherchait un prophète des temps nouveaux et l'on crut l'avoir trouvé[516].

Malheureusement, M. Bergson restait encore, en secret, le prisonnier de Kant, puisqu'il aboutit, comme Kant, quoique par d'autres voies, à la négation de la valeur métaphysique de l'intelligence humaine. Pour lui, comme pour Kant, la critique de la Raison pure est définitive. Il était donc réduit à faire de la métaphysique, non en intellectuel, mais en artiste.

2° La deuxième cause me paraît résumée dans l'attrait des idées spiritualistes, élevées et généreuses, hautement professées par le nouveau maître. Pour lui, «la philosophie ne peut être qu'un vaste effort pour transcender la condition humaine....», qu'un «irrésistible courant pour hausser l'âme humaine au-dessus de l'idée»[517]. Or, tout cela devait plaire à cette multitude d'âmes qui souffrent de l'insuffisance si manifeste de la vie terrestre. Il les a aussi charmées en se posant crânement, dès le début, en défenseur de la liberté contre le déterminisme, du spiritualisme contre le grossier matérialisme et même contre le mécanisme par qui en est la première étape. On sait avec quelle force, en effet, et quel succès il a combattu sans relâche ces deux erreurs à la mode. Il y revient sans cesse, à tout propos, et toutes ses professions de foi spiritualistes sont applaudies vigoureusement par son auditoire.

Malheureusement, ses préjugés monistiques l'inclineront plus tard à effacer peu à peu les distinctions essentielles qui opposent l'esprit à la matière, la liberté à la nécessité. Après les avoir fusionnées dans l'identité universelle, on ne saura plus les reconnaître.

Ses préjugés antiintellectualistes, d'autre part, le porteront à réhabiliter le sensible aux dépens de l'idée, la matière aux dépens de l'esprit, et à faire ainsi le jeu de ceux qu'il voulait combattre. Mais tout cela est trop subtil pour effacer dans l'esprit du public la bonne impression première de sa doctrine nettement spiritualiste.

Il est vrai que cette doctrine, en même temps qu'elle exalte les aspirations élevées de l'âme humaine, rabaisse son intelligence et sa raison, dont les croyants faisaient logiquement la base et le soutien de leur foi religieuse: fides quærens intellectum. Mais Pascal, l'auteur de la célèbre apostrophe: Taisez-vous, raison imbécile! ne leur a-t-il pas appris à voir, au contraire, dans l'impuissance de la raison, un secours inespéré pour leur foi?

De là une grande cause de succès auprès de certaines âmes, au fond religieuses, mais surtout amies d'une religiosité vague, sans symbole et sans dogme et même sans rite obligatoire. Privée du contrepoids de la raison, l'intuition sentimentale ou mystique leur permet de tout croire, comme le pragmatisme qui en dérive si facilement leur permet de tout faire, puisque «agir c'est créer la vérité de ce qu'on fait». Et chacun peut ainsi «vivre sa vie» et se faire, à son gré, pour son usage personnel, comme la princesse Palatine, «son petite Religion». Quoi de plus commode et de mieux prédestiné à une immense vogue?

3° A ce spiritualisme élevé, M. Bergson a su ajouter discrètement quelques idées irréligieuses qui en ont fait un spiritualisme sans Dieu et vraiment «laïque»: autre cause de succès par ce temps de laïcité à outrance.

Ses critiques dédaigneuses et d'ailleurs injustes sur le Dieu de Platon et d'Aristote font assez pressentir ce qu'il n'a pas encore exprimé bien clairement, mais qui reste partout sous-entendu. Sa religion—si tant est qu'on puisse lui appliquer ce grand mot—sera panthéistique et mystique. Les amateurs des rêves flottants et nuageux—ils sont si nombreux!—éprouvent déjà dans la sensation dissolvante de l'éternel écoulement le frissonnement de l'être universel qui est l'âme des choses et qui nous met en communication invisible avec l'intérieur même de toutes les activités cachées de la nature. Télépathie, rayonnement des esprits dans l'espace, conscience et communion universelle des êtres, mystérieux secrets de l'occultisme, sont des croyances qui n'ont rien à redouter—nous dit-on—des dogmes de la Religion nouvelle.

Quant à la nouvelle Morale, elle est attendue, dans la crise actuelle, comme le Messie d'Israël.... On n'en connaît pas encore les contours précis, encore moins la base, mais on devine que, sans un Dieu personnel, elle ne saurait être que sans obligation ni sanction, c'est-à-dire parfaitement «laïque». Eh! comment l'antiintellectualisme pourrait-il trouver une loi morale supérieure à l'expérience humaine?...

De même qu'il aura affranchi la science de la notion de Vérité, la Religion, de l'idée de Dieu, il ne peut donc manquer d'affranchir la Morale de la notion du Bien obligatoire ou du Devoir.

Attendons toutefois qu'il nous révèle clairement son secret sur des questions futures qu'il lui a plu de réserver.

4° A ce fonds de vérités et aussi d'erreurs séduisantes pour le public de noire époque, le maître a su ajouter l'éclat de la forme. Parfois, c'est un appareil scientifique solennel et austère, comme un théorème qui marche et qui en impose au vulgaire. A ce liait, on reconnaît l'ancienne vocation de M. Bergson pour les mathématiques.

Mais, d'ordinaire, c'est l'artiste qui se révèle sous les formes littéraires les plus brillantes. Nous avons déjà parlé de ses métaphores à jet continu, qui ont la vertu de masquer des erreurs ou de faire paraître à l'endroit ce qui est retourné à l'envers, car le public les interprète spontanément suivant les données du bon sens. Elles ont aussi le don de prêter de la vie et de l'intérêt aux théories les plus abstruses que l'auditoire serait bien incapable de suivre, et de lui donner au moins l'illusion de les avoir comprises.

L'ancienne école repoussait la philosophie littéraire avec ses considérations esthétiques ou mystiques. La nouvelle, au contraire, en fait sa méthode essentielle d'exposition. L'image, qui venait parfois compléter la preuve, ici tient sa place; elle tient lieu d'argument, car elle suffit à satisfaire certains esprits peu exigeants ou du moins à obtenir d'eux qu'ils lui fassent crédit.

D'ailleurs, elle charme et captive par son éclat imprévu, sa tournure pittoresque, originale et vraiment neuve; et on applaudit l'incomparable virtuosité de l'artiste. On l'écoute donc volontiers; sa musique est comparée au chant de «l'alouette» dans le ciel bleu, et l'on se presse, l'on s'entasse autour de sa chaire pour l'entendre.

Il est vrai que sa lecture est moins facile; à côté des pages merveilleusement enlevées; on en rencontre d'autres—beaucoup plus nombreuses—d'un opacité soporifique et vraiment ennuyeuses, qui nous ont fait trop souvent redire le quandoque bonus dormitat Homerus. Ses ouvrages manquent aussi de suite et de composition. Il suffit d'en parcourir la table des matières pour être surpris de leur pauvreté, surtout de l'imprécision et du vague dans la division et l'enchaînement des sujets. Le logicien est ici pris en défaut: l'artiste fait tort au professeur.

Toutefois, l'artiste excelle à ouvrir des horizons de rêve, propres à satisfaire les tendances de l'imagination et les besoins du cœur dans toutes les âmes que le Positivisme du siècle passé n'a pu contenter tout à fait et qui désirent s'élever plus haut: au delà et audessus du Positivisme! Tel est le secret de bien des enthousiasmes.

5° Enfin, une dernière cause d'un si grand succès—et ce n'est sûrement pas la moindre,—c'est le goût du public actuel, ou, si l'on veut, la mode du jour, qui se passionne également pour la philosophie nouvelle comme pour le théâtre nouveau.

A propos d'une pièce à grand succès, de la Vierge folle—si j'ai bonne mémoire,—un des plus distingués critiques parmi nos contemporains—après avoir salué cette pièce comme un chef-d'œuvre,—suivant la formule protocolaire obligatoire, ajoutait aussitôt ces judicieuses remarques:

«Cet art est en train de dévier. Il n'est que temps de le reconnaître et de signaler la fâcheuse erreur de direction qui le mène droit a l'écueil. L'art, et cela peut se dire aussi bien de tous les arts, à une tendance continuelle à s'écarter du réel et du vrai. Cette vérité ... est une insupportable contrainte dont il médite sans cesse de s'affranchir. Nature, raison, logique, vraisemblance, autant de, dures maîtresses qui lui interdisent les plus agréables tours d'adresse et les plus prestigieuses jongleries. Le jour où il se libère de ces entraves, il se peut qu'il y soit encouragé par la complaisance du public, celui ci ne demandant qu'à être diverti et commençant par applaudir à toutes les excentricités qui le distraient de son ennui. C'est alors que la critique peut tenir un emploi utile. Elle rappelle à l'écrivain que l'art du théâtre est essentiellement un art d'imitation, qu'une comédie de mœurs est un portrait et que son premier mérite est de ressembler.... Tant que vous n'aurez pas changé les conditions de l'humanité, vous serez obligé de vous y conformer, ou vous aurez tort....

«Ce tort est celui du théâtre nouveau.... Il se place en dehors de toutes les conditions de la vie réelle, il imagine des situations de fantaisie, il en tire des effets qui peuvent donner l'illusion de la vigueur, mais ne supportent ni la discussion ni l'examen[518]. Il nous est cependant impossible de dépouiller toutes les données que l'expérience et la réflexion nous ont lentement apportées. On exige de nous que nous déposions au vestiaire, avec notre paletot, toutes les notions acquises, toutes les constatations, tous les souvenirs qui risquent de démentir des tableaux enlevés de chic par une brosse exaspérée. Pourquoi et de quel droit?»[519]

Eh bien! ces réflexions sévères mais justes, nous étions en train de les faire en lisant l'Evolution créatrice, parce que nous n'avions pas cru devoir déposer «au vestiaire» de ce grand Cinéma toutes les notions premières ni tous les premiers principes de la raison humaine.

Après avoir rendu un juste hommage à ce qu'on est convenu d'appeler un chef-d'œuvre, ou tout au moins le chef-d'œuvre de M. Bergson, nous nous demandions comment on avait pu concevoir une Evolution qui serait créatrice d'elle-même, ou une création sans aucun Créateur et sans aucune chose créée; comment une si prodigieuse imagination, qui froisse à la fois la nature, la raison, la logique, les vraisemblances et toutes ces «dures maîtresses de la vérité», qui sont les garde-fou de l'esprit humain, avait pu être caressée par un esprit supérieur. Nous nous le demandions avec angoisse, sans pouvoir trouver d'autre réponse que le goût du public qu'il faut bien satisfaire, et dont la tyrannie a fait tant d'autres victimes.

Renan, ce grand romancier de la religion auquel on peut bien comparer les grands romanciers de la philosophie, écrivait quelque part cette plainte bien connue: «Sitôt que j'eus montré le petit carillon qui était en moi, le monde s'y plut, et, peut-être pour mon malheur, je fus engagé a le continuer.»

Or, ce goût déprave du public contemporain vient de l'état intellectuel de la génération présente. Dépourvue de toute culture la plus élémentaire en Logique et en Ontologie—car on ne les enseigne plus dans nos lycées ni nos collèges,—elle se laisse facilement séduire par toutes les nouveautés et les hardiesses de l'imagination.

On dirait qu'aujourd'hui les esprits sont fatigués d'idées claires et précises; que le goût des fuyances de la pensée a remplacé l'antique goût des crédos positifs et des vérités éternelles; qu'on préfère les rêveries poétiques aux solides démonstrations expérimentales et rationnelles. Les contradictions elles-mêmes ne choquent plus; leurs dissonances amusent plutôt comme un jeu original et élégant. Est-ce l'anémie intellectuelle des races décadentes?

Nous n'osons répondre à cette angoissante question; mais ce que nous ne craignons pas de dire, avec la plus profonde conviction, c'est que la nouvelle philosophie antiintellectualiste n'est point le remède cherché, qu'elle est, au contraire, dans une certaine mesure, à la fois cause et effet de ce recul et de cette décadence de la pensée contemporaine ou de l'esprit public.

Heureusement que les modes du jour sont éphémères et sans aucune prétention à la durée éternelle. Après une éclipse momentanée, nous reverrons de nouveau—n'en doutons pas—se lever sur notre horizon et briller de son éclat naturel cette foi calme et tranquille en la valeur de la raison humaine, qui a inspiré tous les chefs-d'œuvre et orienté tous les plus grands génies des siècles passés.

M. Bergson ne nous démentira pas, au contraire. Il domine de trop haut son auditoire pour ne pas avoir senti où est le point vulnérable de son brillant système, et il a eu plus d'une fois la loyale franchise de nous avouer ses doutes.

A la fin de son cours, en mai 1911, adressant ses adieux à son bel auditoire, il lui confiait que «la joie de créer est la meilleure de toutes» et qu'il éprouvait cette joie de créateur en contemplant son système. Puis il ajoutait ces paroles significatives: «Si le philosophe s'attache à la poursuite de la renommée, c'est parce qu'il lui manque la sécurité d'avoir créé du viable. Donnez-lui cette assurance, vous le verrez aussitôt faire peu de cas du bruit qui entoure, son nom.»[520]

Notre créateur d'antiintellectualisme a donc la crainte—d'ailleurs bien fondée—de n'avoir point créé du viable. C'est l'opposé de l'auteur classique qui terminait son œuvre par ce cri de confiance en l'immortalité: Exegi monumentum ... ære perennius!

Cet aveu de M. Bergson, loin d'être isolé, semble au contraire le tourmenter et le poursuivre, comme un secret remords.

Dans son Evolution créatrice, après avoir célébré, en termes magnifiques, cette philosophie intellectualiste des génies de la Grèce, dont il a pris le contrepied; après avoir reconnu que «si l'on fait abstraction des quelques matériaux friables qui entrent dans la construction de cet immense édifice, une charpente solide demeure, et cette charpente dessine les grandes lignes d'une métaphysique qui est, croyons-nous, la métaphysique naturelle de l'intelligence humaine», il se demande quel sera son avenir et sa durée dans les siècles futurs, et voici sa loyale réponse: «Un irrésistible attrait ramène l'intelligence à son mouvement naturel et la métaphysique des modernes aux conclusions générales de la métaphysique grecque.» Et il ajoute mélancoliquement: «Illusion, sans doute, mais illusion naturelle indéracinable qui durera autant que l'esprit humain.»[521]

Ce pronostic, sur les lèvres de M. Bergson, est, ce nous semble, un aveu loyal, complet, dépassant toutes nos espérances. C'est en vain qu'on luttera contre l'intelligence au nom de l'intelligence même; cette lutte est contre nature. La raison finira toujours par avoir raison.

Cet espoir est pour nous une certitude fondée sur ce fait constant et universel de la biologie: les produits déraisonnables—quelque curieux ou énormes que soient ces monstres—sont éliminés par la nature fatalement. Or, la philosophie de M. Bergson recèle en ses flancs ce que son ami W. James appelait «le monstre inintelligible du Monisme»[522], accouplé avec le monstre non moins inintelligible de l'Antiintellectualisme absolu. Elle est donc réformée et condamnée deux fois.

Elle ne parle que de vie ou d'élan vital, et elle est une philosophie anémique, incapable de vivre et de nous faire vivre de la vie la plus haute, la vie intellectuelle, principe de la vie morale et prélude de la vie divine.

Aussi, concluons-nous, cette œuvre de M. Bergson, qui a pu paraître belle par l'art de l'écrivain et le talent prestigieux qu'il révèle, est, pour ceux qui négligent la forme pour s'attacher au fond, entièrement décevante. Il lui manque cette foi robuste en la puissance de la raison humaine qui guérirait les esprits contemporains si malades et les retiendrait sur la pente d'une décadence fatale; il lui manque ce rayon de lumière venu de l'Infini, qui seul peut nous dévoiler nos destinées immortelles, relever nos courages et attirer nos cœurs en haut, vers Celui qui est par essence le Vrai, le Bien et le Beau, triple source d'où jaillit la Vie bienheureuse!


NOTES:

[1] S. THOMAS, Somme théol. I°, q. i, a. 8, ad 2.

[2] H. BERGSON, A propos d'un article de M.W. Pitkin intitulé «James et Bergson», Journal of Philosophy, 7 juill. 1910, p. 385-388. (Voir les articles de PITKIN et de KALLEN dans les numéros des 28 avril et 23 juin 1910, et celui de W. JAMES, 20 janv.)—Voir aussi TONQUÉDEC: M. Bergson est-il moniste? (Etudes, 20 févr. 1912) et les lettres de M. Bergson à M. de Tonquédec.

[3] Etudes philosophiques, I. Ier. Théorie fondamentale, 7e édition. Chez Berche et Tralin, Paris.

[4] Le mot est de W. James, V. p. 476.

[5] MAURICE PUJO, La fin du Bergsonisme, cf. JULIEN BENDA, Le Bergsonisme.

[6] M. Henri Bergson est né à Paris, de famille juive et d'origine étrangère, le 18 octobre 1859. Il fit de brillantes études au lycée Condorcet de 1868 à 1878. Ses biographes le représentent surtout comme un «fort en thème», avec des succès marqués en mathématiques. Aussi hésita-t-il entre les lettres et les sciences. En 1878, il entrait à l'Ecole normale, section des lettres, et devenait agrégé en philosophie en 1881. Sa thèse est de 1889. Après avoir enseigné dans divers lycées de province, il vint à Paris au collège Rollin, puis au lycée Henri IV de 1888 à 1898, fut maître de conférences à l'Ecole normale de 1898 à 1900, et nommé au Collège de France en 1900. L'Institut l'a élu en 1901.

[7] Nous verrons plus loin cette formule appliquée à Dieu lui-même qui serait en train de se faire!

[8] Discours au Congrès de Bologne, 10 avril 1911, dans la Revue de Méta. et de Morale, nov. 1911, p. 812.—On voit par là combien exagère le thuriféraire cité plus haut, lorsqu'il nous représente cette philosophie sortie d'un seul jet et toute armée, comme Minerve du cerveau de Jupiter.

[9] Essai sur les données immédiates de la conscience (1889);—(Matière et Mémoire 1896);—l'Evolution créatrice (1907, Alcan.) Plusieurs éditions avec de légères variantes dans la pagination.

[10] Notons dans la Revue de Méta. et de Morale: Le Paralogisme psychophysique, l'Introduction à la Métaphysique et l'Intuition.—Dans la Revue philosophique (1908): La paramnésie ou fausse reconnaissance.—Deux conférences à Oxford, la Perception du changement (1911), etc.

[11] BERGSON, les Données immédiates de la conscience, p. 178. Nous citons d'après la deuxième édition.

[12] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 217. Cf. p. 52, 216, 225, 251, 387, 389.

[13] Revue philosophique, 1906, vol. LXI, p. 143.

[14] «Elle (la philosophie) doit nous ramener, par l'analyse des faits et à comparaison des doctrines, aux conclusions du sens commun.» (Bergson, Matière et Mémoire, Avant-propos, p. iii.)

[15] Le Roy, Revue de Méta. et de Morale, 1901, p. 141, 142.—«Le sens commun nous masque la nature.» (Rev. des Deux Mondes, 1er fév. 1912, p. 558.)—Il ajoute, il est vrai (p. 559): «Du sens commun le fond est sûr et la forme suspecte». Mais, pour lui, le fond n'est qu'un commandement pratique: Agis comme si.... Seule la forme a un sens intellectuel et partant suspect. D'où la fameuse question: Qu'est-ce qu'un Dogme? Réponse: c'est un commandement pratique: Agis comme si ... sans aucun sens intellectuel acceptable.—«La philosophie nouvelle s'ouvre par une analyse critique du sens commun.» (Revue de Méta. et de Morale 1901, p. 407.) C'est la décapitation préalable du sens commun.

[16] Cf. PLATON, Cratyle, 402 A; 404 D; Théat., 152 D; 160 D.

[17] Ces premiers principes ont été traités d'hypothèses à succès extraordinaire!

[18] De même pour W. James: «Je me suis vu contraint de renoncer à la Logique, carrément, franchement, irrévocablement!» A Pluralistic Universe (London, 1909).

[19] Nous donnerons alors citations et références.

[20] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 352.

[21] Rappelons sa sentence fameuse: Τοϋτ έστι μυθολογεϊν καί μεταφορας ποιεϊν ποιητικας.

[22] LE ROY, Revue de Méta. et de Morale, 1901, p. 310. C'est nous qui soulignons.

[23] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 270. «Toutefois, ajoute-t-il, je ne donne pas ce centre pour une chose, mais pour une continuité de jaillissement.» (Ibid. p. 270.)

[24] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 17.

[25] «Exister consiste à changer.... L'état lui-même est déjà du changement.... Si un état d'âme cessait de varier, sa durée cesserait de couler.» (BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 1, 2, 3, 8, 251, 260, etc.)

[26] B. SAINT-HILAIRE, trad. d'Aristote, Logiq. Préf. t. III, p. v.

[27] Le Roy, Revue de Méta. et de Morale, 1901, p. 304, 305, 306.

[28] M. Fouillée lui-même ne se gêne plus pour parler de «la renaissance de la sophistique grecque».—D'autres, encore moins respectueux, rapprochent ce besoin d'obscurité de celui qu'éprouvent les médiums spirites, tels qu'Eusapia qui réclame toujours moins de lumière: Meno luce! C'est la condition indispensable de leurs succès.—M. Gaudeau l'a fort bien dit: «L'obscurité est précisément le contraire de la profondeur. La profondeur de la pensée, chez un écrivain, doit être une puissance d'éclairement qui nous permet de voir ou même nous force à voir le fond des choses. Or, l'obscurité, d'où qu'elle vienne, est un voile qui s'interpose entre notre regard et le fond des choses, entre nous et la profondeur.... La pensée qui est un regard et qui doit être une lumière, n'est profonde que si elle est claire parfaitement.» (La foi catholique, avril 1910, p. 172.)

[29] PLATON, Sophiste, p. 191, 300 (Ed. Cousin).

[30] MOISANT, dans les Etudes du 5 mai 1908.

[31] Réflexions d'un Philistin, Grande Revue, 10 juill. 1910, p. 16, par M. LE DANTEC.

[32] «Tout est obscur(!) dans l'idée de création, si l'on pense à des choses qui seraient créées et à une chose qui crée, comme on le fait d'habitude et comme l'entendement ne peut s'empêcher de le faire.» (L'Evolution créatrice, p. 269.)—Une création sans aucun agent qui crée ni sans chose créée est-elle donc plus claire?... Nous reviendrons plus tard sur cet étrange paradoxe.

[33] BERGSON, Essai sur les données, p. 74 (2° édit.).

[34] BERGSON, Essai sur les données, p. 78.

[35] ARIST., Phys., I. IV, c. xi, §§ 5 et 12. Cette définition regarde surtout le temps qui mesure. Quant au temps qui est mesuré, il n'est autre que le mouvement en tant qu'il tombe sous la mesure de l'avant et de l'après. C'est la même distinction que pour le nombre nombrant et le nombre nombré, το ηριθμημένον, το αριθμητόν (Phys. l. IV, c. xiv, § 3.)

[36] Voici le texte complet d'Aristote: Quantum dicitur quod est divisibile in ea, quæ insunt, quorum utrumque vel unumquodque unum, quiddam et hoc aliquid aptum est esse. Ποσν λέγεται τo διαιρετoν είς eνυπάρχοντα, ὧν ὲκάτερον η ἕκαστον ἕν τι και τόδε πεϕυκεν εϊναι. Méta., l. V, c. xiii, text. 18.

[37] Pour les purs esprits, les notions tirées des êtres matériels sont métaphoriques. Ainsi l'égalité ou l'inégalité des intelligences n'est qu'une quantité métaphorique. Mais l'âme humaine n'est pas un pur esprit. Elle a des opérations organiques douées de quantité extensive et mesurable au moins indirectement.

[38] BERGSON, Revue de Méta. et de Morale, janvier 1903, p. 28.

[39] FOUILLÉE, la Pensée et les nouvelles écoles antiintellectualistes, p. 42, 44

[40] BERGSON, Essai sur les données, p. 2.

[41] Species quantitatis distinguntur secundum diversos modos divisionis. (S. THOM., Pot., ix, 7, b. 4.)

[42] Paroles de saint Thomas (De ente et essentia), citées par Pie X dans le Motu proprio du 1er septembre 1910.

[43] La nature de la quantité virtuelle, quantitas virtatis, a été, disons-nous, merveilleusement analysée par les scolastiques. On en pourra juger par cet échantillon. Saint Thomas dit qu'on peut la considérer dans sa racine ou dans ses effets extérieurs. Dans sa racine, elle se confond avec la perfection de la forme ou de la qualité: In radice, id est, in ipsa perfectione formæ vel naturæ. Mais on peut la considérer aussi dans ses effets extérieurs, surtout dans l'intensité de ses effets: Attenditur quantitas virtualis in effectibus formæ, et c'est à ce point de vue qu'elle est divisible et mesurable. (I Sent., dist. XVII, q. II, a. I, c.) Et comme la quantité, ajoute-t-il, se définit par la divisibilité, il suffit que ses effets extérieurs soient divisibles et mesurables pour qu'elle ait, à sa manière—équivalemment—la nature de la quantité. Bien plus, elle participe à la fois à la quantité discrète et à la quantité continue. A la première, par le nombre de ses effets ou des objets simultanés auxquels sa vertu peut s'étendre à la fois; à la seconde, par l'intensité ou le degré de vertu de son action sur le même objet. Elle a donc deux fois le titre de quantité, mais à sa manière propre, car il y a autant d'espèces de quantité que d'espèces possibles de division. «Species quantitatis distinguntur secundum diversos modos divisionis» (Post., ix, 7, b. 4.)—«Ratio quantitatis in communi consistit in quâdam divisibilitate: unde ratio quantitatis invenitur propriè in illis quæ secundum se dividuntur.... Invenitur etiam quodammodo in illis quorum divisio attenditur secundum ea quæ extrinsecus sunt, sicut virtus dicitur divisibilis et quantitatis rationem habens, ex ratione et divisione actuum et objectorum.» (I Sent., dist. XIX, q. I, a. 1, ad 1.)—«Quantitas virtutis attenditur dupliciter: vel quantum ad numerum objectorum, et hoc per modum quantitatis discretæ; vel quantum ad intensionem actus super idem objectum, et hoc est sicut quantitas continua.» (I Sent., dist. XVII, q. II, a. 1 ad 2.)—«Duplex est quantitas. Una scilicet quæ dicitur quantitas molis vel quantitas dimensiva, quæ in solis rebus corporalibus est.... Sed alia est quantitas virtutis, quæ attenditur secundum perfectionem alicujus naturæ vel formæ quæ quidem quantitas designatur secundum quod dicitur aliquid est magis vel minus calidum, in quantum est perfectius vel minus perfectum in tali caliditate. Hujusmodi autem quantitas virtualis attenditur primo quidem in radice, id est in ipsa perfectione formæ vel naturæ; et sic dicitur magnitudo specialis, sicut dicitur magnus calor propter suam intensionem et perfectionem....—Secundo autem attenditur quantitas virtualis in effectibus formæ. Primus autem effectus formæ est esse (durare); nam omnis res habet esse secundum suam formam. Secundus autem effectus est operatio, nam omne agens agit per suam formam. Attenditur igitur quantitas virtualis et secundum esse et secundum operationem. Secundum esse quidem, in quantum ea quæ sunt perfectionis naturæ, sunt majoris durationis. Secundum operationem vero, in quantum ea quæ sunt perfectionis naturæ sunt magis potentia ad agendum.» (I, q. xlii, a. 1, ad 1.—Cf. ARISTOTE, Méta., l. V, c. xiii.—S. THOM., in Méta., l. V, lec. 5; Opuscule de Natura generis, c. xx.—SUAREZ, COMPLUTENSES, SCOTUS, GOUDIN, LOSSADA, etc.)

[44] BERGSON, Essai sur les données, p. 62.

[45] Nous retrouverons plus tard la même méprise dans la conception du moi dont M. Bergson fera la somme ou la file des phénomènes psychiques, alors qu'il en est la cause et le principe;—et dans la notion de continu, dont M. Le Roy fera «une poussière incohérente et infiniment ténue, ne présentant ni liens intérieurs ni lacunes». (Revue de Méta. et de M., 1899, p. 547.) Une telle notion serait celle du discontinu absolu ou du contigu et non du continu. Le continu est une unité dont les fractions sont seulement en puissance.

[46] ARISTOTE, Polit., l. I, c. 11.

[47] ARISTOTE, Méta., l. IV, c. xxvi, § 1.

[48] Profecto impossibile ex individuis esse aliquid continuum, ut lineam ex punctis, siquidem linea est res continua, punctum autem individua. ARISTOTE, Phys., l. VI, c. 1.

[49] Au sens psychologique, on peut aussi introduire l'idée d'un maintenant (nunc) dans la notion de temps, comme l'idée d'un ici présent (hic) dans la notion d'espace. Le nunc du temps définit l'avant et l'après par rapport à la sensation présente. Le hic de l'espace définit la gauche et la droite, l'avant et l'arrière, le dessus et le dessous, par rapport à un ici. On dit alors que l'espace ou le temps sont centrés. Mais ce sont là des données accessoires dont les sciences et la philosophie font abstraction.

[50] Voir notre réfutation de Zénon: Théorie fondamentale de l'acte et de la puissance, p. 62 et suiv.

[51] BERGSON, Essai sur les données, p. 64.

[52] BERGSON, Essai sur les données, p. 60, 64, 172. «L'idée même du nombre deux, ou plus généralement d'un nombre quelconque, renferme celle d'une juxtaposition dans l'espace ... comme si la représentation du nombre deux, même abstrait, n'était pas déjà celle de deux positions différentes dans l'espace.» (Ibid., p. 67.)—«L'impénétrabilité fait donc son apparition en même temps que le nombre.» (Ibid., p. 68.)

[53] BERGSON, Ibid., p. 62.

[54] BERGSON, Essai sur les données, p. 64.

[55] BERGSON, Essai sur les données, p. 74.

[56] ARISTOTE, Phys., l. IV, c. x, text. 95, 96, et S. THOMAS, Ibid., lec. 16; opuscule de Tempore, c. ii.—Cf. S. AUGUSTIN, COMPLUTENSES, RUBIUS, DE SAN, etc.—E contra, SCOT, SUAREZ ..., NYS, etc.

[57] S. THOMAS, In Phys., l. IV, lec. 17.

[58] BERGSON, Essai sur les données, p. 88.

[59] BERGSON, Essai sur les données, p. 87, 89.

[60] Nous ne voudrions pas nier cependant que, pour des durées très courtes, la conscience ne puisse apprécier directement l'égalité ou l'inégalité de deux mouvements. Ainsi l'horloger apprécie à l'oreille si les battements d'un pendule sont isochrones. Par la répétition, et pour ainsi dire la superposition idéale d'un intervalle temporel sur un autre intervalle, l'uniformité des durées est assez clairement appréciée. On peut même apprécier directement s'il bat la seconde. Mais ce mode de mensuration, outre qu'il est exceptionnel, est encore trop subjectif pour être rigoureux et scientifique. Il exige comme complément des mesures externes. Ainsi l'on a déterminé qu'à Paris, pour battre exactement la seconde, le pendule doit avoir une longueur de O,99384.

[61] M. Bergson imite en cela Berkley qui avait fait sur l'espace une analyse analogue à celle de M. Bergson sur le temps. L'un et l'autre distinguent deux sortes de notions, l'une vulgaire et illusoire, l'autre métaphysique et vraie, à leur sens, qu'ils prennent pour base de leurs systèmes. Mais l'un et l'autre, au cours de leur exposition, ont été obligés de se contredire et de rétablir implicitement celle des notions qu'ils avaient explicitement niée. Ainsi, par exemple, la notion d'un minimum sensible de temps s'imposera à M. Bergson, comme à Berkley s'était imposé le minimum sensible d'espace (Cf. BERTHELOT, Revue de Méta. et de Morale, 1910, p. 744-775.)

[62] «Le temps conçu sous la forme d'un milieu homogène est un concept bâtard dû à l'intrusion de l'idée d'espace dans le domaine de la conscience pure.» (BERGSON, Essai sur les données, p. 74.)

[63] BERGSON, Essai sur les données, p. 66.

[64] «Le temps entendu dans le sens d'un milieu où l'on distingue et où l'on compte n'est que de l'espace.» (Ibid., p. 69.)

[65] «Lorsque nous parlons du temps, nous pensons le plus souvent à un milieu homogène où nos faits de conscience s'alignent, se juxtaposent comme dans l'espace.» (Ibid., p. 68.)—Que ce milieu idéal soit partiellement analogue au milieu idéal de l'espace, oui; identique, non. L'un a trois dimensions, l'autre n'en a qu'une; l'un est simultané, l'autre successif.

[66] «Si une somme s'obtient par la considération successive de différents termes, encore faut-il que chacun de ces termes demeure lorsqu'on passe au suivant, et attende, pour ainsi dire, qu'on l'ajoute aux autres: comment attendrait-il s'il n'est qu'un instant de la durée? et où attendrait-il si nous ne le localisons dans l'espace?» (BERGSON, Ibid., p. 60.)

[67] Quædam sunt quæ habent fundamentum in re extra animam, sed complementum rationis eorum, quantum ad id quod est formale, est per operationem animæ, ut patet in universali ... et similiter est de tempore, quod habet fundamentum in motu, scilicet prius et posterius motus, sed quantum ad id quod est formale in tempore, scilicet numeratio, completur per operationem intellectus numerantis. (S. THOM., I dist., d. 19, q. v, a. 1.—Cf. II dist., d. XII, q. i, a. 5, ad 2.—Phys., lec. 3 et sq.)

[68] «Lorsqu'on fait du temps un milieu homogène où les états de conscience se déroulent (comme dans un contenant solide) on se le donne par là même tout d'un coup (?), ce qui revient à dire qu'on le soustrait à la durée. Cette simple réflexion devrait nous avertir que nous retombons alors inconsciemment dans l'espace.» (BERGSON, Essai sur les données, p. 74.)

[69] «La durée interne se confond avec l'emboîtement des faits de conscience les uns dans les autres.» (BERGSON, Essai sur les données, p. 81.) «On peut donc concevoir la succession sans la distinction, comme une pénétration mutuelle ... d'éléments l'un dans l'autre.»—«Ils se fondent l'un dans l'autre, se pénètrent et s'organisent, sans aucune tendance à s'extérioriser les uns par rapport aux autres, sans aucune parenté avec le nombre....» (Ibid., p. 76, 78, 79, 87, 96.)

[70] BERGSON, Essai sur les données, p. 79, 80.

[71] FOUILLÉE, La Pensée et les nouvelles écoles, p. 311.

[72] BERGSON, Essai sur les données, p. 90.—«Il en résulte qu'il n'y a dans l'espace ni durée ni même succession, au sens où la conscience prend ces mots: chacun des états dits successifs du monde existe seul, et leur multiplicité n'a de réalité que pour une conscience capable de les juxtaposer.» (Ibid., p. 87.)

[73] Nous ne disons pas qu'il est une cause active, car ni l'espace, ni le temps ne sont des agents; mais ils sont la condition indispensable pour que les agents de la nature puissent déployer leurs activités.

[74] BERGSON, Essai sur les données, p. 83, 84, 90.

[75] BERGSON, Ibid., p. 81.

[76] Permanentia rei in existendo. (S. THOM, I, dist. XIX q. 1.)

[77] Nous verrons alors la vaine tentative de M. Bergson pour remplacer la substance par un Temps qui ferait «boule de neige» par la conservation du passé.

[78] Quare non male Plato ait, quum dixit sophisticam circa non ens immorari, Τὸν σοϕιστἡν περι τo μἡ ὄν διατρίβειν. Méta., l. X, c. viii, § 2. Et putantes de ente troclare, de non ente dicunt, και οίόμενοι τὁ ὅν λέγειν περἱ τοϋ μἡ ὄντος λέγουσιν, Méta., l. III, c. iv, § 17.

[79] BERGSON, Essai sur les données, p. 80.

[80] BERGSON, Essai sur les données immédiates, p. 167.—Principe réfuté plus haut, p. 75.

[81] Cette tactique n'est pas nouvelle. Leibnitz avait ainsi procédé à l'égard des disciples de Descartes, au nom des droits de la raison, et Locke au nom des droits de l'expérience.

[82] ARISTOTE, Méta., l. III, c. v, § 12.

[83] BERGSON, Essai sur les données, p. 161, 165, 168.

[84] Ailleurs, il raille Kant de ce qu'au lieu de proscrire la liberté, il «la respecte par scrupule moral, et la conduit avec beaucoup d'égards dans le domaine intemporel des choses en soi, dont notre conscience ne dépasse pas le seuil mystérieux». (BERGSON, Ibid., p. 181.)

[85] BERGSON, Essai sur les données, p. 177, 179.

[86] BERGSON, Essai sur les données, p. 120.

[87] BERGSON, Essai sur les données, p. 121, 124.

[88] M. Bergson a vainement essayé d'expliquer ces faits avec sa théorie, dans une conférence sur la Théorie de la personne, au Collège de France, en mai 1911 (Cf. Etudes, 20 nov. 1911, art. de Grivet, p. 449 et suiv.).

[89] Cette multiplicité de séries parallèles ou divergentes dans un même temps ne suffît pas à faire un temps à plusieurs dimensions, comme l'a imaginé Ostwald (Esquisse d'une philosophie des sciences), espérant faire ainsi le pendant à l'espace non-euclidien à n dimensions. De même qu'une seconde, troisième ou n° dimension spatiale est reliée aux précédentes par un nouveau rapport spatial, ainsi une deuxième dimension temporelle devrait se relier à la première par un rapport temporel différent. Or, il n'en est rien. C'est au même moment que les séries d'états psychologiques s'écoulent simultanément. Il n'y a donc pas ici une seconde relation temporelle différente de la première. La simultanéité ne peut constituer un temps différent (Cf. LECHALAS, Revue de Méta. et de Morale, sept. 1911, p. 803).

[90] BERGSON, Essai sur les données, p. 172.

[91] BERGSON, Essai sur les données, p. 124.

[92] Il eût été plus exact de dire que l'existence de l'être substantiel—du moi-agent—a seule une continuité nécessaire, de sa naissance à sa mort. Ses opérations, conscientes ou inconscientes, peuvent, au contraire, se succéder sans aucune continuité. De là vient qu'elles sont si souvent interrompues et reprises. Mais M. Bergson n'admettant l'existence d'aucun être substantiel, nous avons dû, pour le moment, nous placer sur son terrain et montrer que, même dans la succession continue des états de conscience, il y a distinction et multiplicité.

[93] BERGSON, Essai sur les données, p. 134.

[94] BERGSON, Essai sur les données, p. 136, 137, 138.

[95] BERGSON, Essai sur les données, p. 139.

[96] «Cette figure ne me montre pas l'action s'accomplissant, mais l'action accomplie.» (BERGSON, Ibid., p. 137.)

[97] BERGSON, Essai sur les données, p. 140, 141.

[98] BERGSON, Essai sur les données, p. 151.

[99] BERGSON, Essai sur les données, p. 140 à 151.

[100] BERGSON, Essai sur les données, p. 143, 144.

[101] BERGSON, Essai sur les données, p. 145, 150.

[102] BERGSON, Essai sur les données, p. 152, 153.

[103] BERGSON, Essai sur les données, p. 118.

[104] Ce sont parfois les monstres les plus rares de la nature qui nous font le mieux connaître ses lois. Aussi, les cas tératologiques sont-ils d'une importance capitale pour l'étude des lois biologiques.

[105] BERGSON, Essai sur les données, p. 153.

[106] Nous verrons plus tard si M. Bergson n'a pas dû modifier sur un point si important sa première opinion.

[107] BERGSON, Essai sur les données, p. 158.

[108] BERGSON, Essai sur les données, p. 161.

[109] BERGSON, Essai sur les données, p. 167.

[110] BERGSON, Essai sur les données, p. 167.

[111] BERGSON, Essai sur les données, p. 126, 128.

[112] BERGSON, Essai sur les données, p. 131, 132.

[113] BERGSON, Essai sur les données, p. 129.

[114] BERGSON, Essai sur les données, p. 128.

[115] BERGSON, Essai sur les données, p. 134.

[116] BERGSON, Essai sur les données, p. 164, 165. Dans l'ouvrage suivant, Matière et Mémoire, p. 205, il cherche un correctif, en appelant l'acte libre «une synthèse de sentiments et d'idées», mais il revient bientôt à sa conception monistique.

[117] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 199.

[118] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 198.

[119] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 13, 257, 262.

[120] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 197, 263.

[121] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 252.

[122] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 199.

[123] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 207. «Nous n'avions pas à explorer ce domaine. Placés au confluent de l'esprit et de la matière, désireux avant tout de les voir couler l'un dans l'autre, nous ne devions retenir de la spontanéité de l'intelligence que son point de jonction avec son mécanisme corporel.» (Ibid., p. 269.)

[124] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 1.

[125] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 3.

[126] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 2.

[127] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 7.

[128] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 23, 56, 62.

[129] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 22.

[130] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 49

[131] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 262.

[132] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 199.

[133] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 31, 240.

[134] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 20, 21.

[135] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 159.

[136] «Toutes les sensations participent de l'étendue; toutes poussent dans l'étendue des racines plus ou moins profondes.... L'idée que toutes nos sensations sont extensives à quelque degré pénètre de plus en plus la psychologie contemporaine. On soutient, non sans quelque apparence de raison, qu'il n'y a pas de sensation sans «extensité» ou sans un «sentiment de volume». L'idéalisme anglais prétendait réserver à la perception tactile le monopole de l'étendue, les autres sens ne s'exerçant dans l'espace que dans la mesure où ils nous rappellent les données du toucher. Une psychologie plus attentive nous révèle, au contraire, et nous révélera sans doute de mieux en mieux, la nécessité de tenir toutes les sensations pour primitivement extensives, leur étendue pâlissant et s'effaçant devant l'intensité et l'utilité supérieures de l'étendue tactile, et sans doute aussi de l'étendue visuelle.» (Ibid., p. 242, 243. Cf. p. 237.)

[137] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 50, 51.

[138] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 151.

[139] «C'est bien véritablement dans la matière que la perception pure nous place, et bien réellement dans l'esprit même que nous nous plaçons déjà avec la mémoire.» (Ibid., p. 198.) «En passant de la perception pure à la mémoire, nous quittons définitivement la matière pour l'esprit.» (p. 263.)

[140] De ces deux mémoires, l'une imagine, l'autre répète. La seconde peut suppléer la première et en donner l'illusion. «Alors le mécanisme moteur supplée l'image qui fait défaut.» (BERGSON, Matière et Mémoire, p. 79, 83.) «La seconde, celle que les psychologues étudient d'ordinaire, est l'habitude éclairée par la mémoire plutôt que la mémoire même.» (Ibid., p. 81.)

[141] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 164.

[142] Cf. Ibid., p. 166.

[143] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 146.

[144] «Le souvenir pur est une manifestation spirituelle. Avec la mémoire, nous sommes bien véritablement dans le domaine de l'esprit.» (Ibid., p. 269.)

[145] M. Bergson a exprimé cette gradation par un graphique, p. 143.

[146] BERGSON, Matière et Mémoire, p. iii. Cf., p. 75, 124, 135, 193, 265. (C'est nous qui soulignons.)

[147] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 195.

[148] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 14.

[149] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 247.

[150] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 248 et 249.

[151] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 273.

[152] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 44.

[153] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 273, 274.

[154] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 200, 201. Cf., p. 275.

[155] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 278, 279.

[156] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 256.

[157] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 262, 263.

[158] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 245.

[159] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 278.

[160] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 248.

[161] «Esse cujusque rei consistit in indivisione; et inde est quod unumquodque, sicut custodit suum esse, ita custodit suam unitatem.» (S. THOMAS, Sum. theol., I°, q. xi, a. i, ad 3.)

[162] Etudes, t. II, Matière et Forme en présence des sciences modernes.

[163] Le lecteur sait que le monisme a deux degrés: 1° Identité de nature de tous les êtres créés; 2° des créatures et du Créateur.—Nous ne parlons ici que du premier degré. Mais le premier conduit au second, car l'un et l'autre se fondent sur l'identité des contraires et l'indifférence des différents.

[164] ARISTOTE, De ausculta, naturæ, Physic., l. III, c. i.

[165] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 342.

[166] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 35, 79, 263, 329.

[167] Voir cette réfutation dans notre Théorie fondamentale, t. Ier de nos Etudes, p. 62 et suiv.

[168] ARISTOTE, Physic., l. VIII, c. iii, §§ 2 et 6. Cf. 1. Ier, c. ii, § 6; l. II, c. i, § 6; c. iv, § 10, etc.

[169] Notons que la même solution avait déjà été indiquée par Platon: «Voici donc que le philosophe est absolument forcé de n'écouter ni ceux qui croient le monde immobile, ni ceux qui mettent l'être dans le mouvement universel. Entre le repos et le mouvement de l'être et du monde, il faut qu'il fasse comme les enfants dans leurs souhaits, qu'il prennent l'un et l'autre.» (Sophiste, 248E, 249D.)

[170] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 348.

[171] Voir RIVAUD, le Problème du devenir dans la philosophie grecque, p. 44, 373, etc.

[172] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 342.

[173] Voir notre Théorie fondamentale de l'Acte et de la Puissance ou de Mouvement, 7° édition, in-8° de 410 pages (chez Berche et Tralin).

[174] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 295. «La chose résulte d'une solidification opérée par notre entendement, et il n'y a jamais d'autres choses que celles que l'entendement a constituées.» (Ibid., p. 270.) «La matière ... doit être un flux plutôt qu'une chose.» (Ibid., p. 203.)

[175] BERGSON, Ibid. p. 1, 2.

[176] BERGSON, Ibid. Cf. p. 12, 139, 203, 251, 260, 327, 342, 395, 398, etc., etc.

[177] Cf. PLATON, Cratyle, 402 A; 404 D; Théat., 152 D; 160 D.

[178] Réplique des modernistes, p. 10. De même LE ROY: «Le devenir est la seule réalité concrète.» (Revue de Méta. et de Morale, 1901, p. 418.)

[179] «Elle coule (la réalité) sans que nous puissions dire si c'est dans une direction unique, ni même si c'est toujours et partout la même rivière qui coule.» (BERGSON, préface à une traduction de W. James [Flammarion, 1910], Philosophie de l'expérience.)

[180] B. SAINT-HILAIRE, Physique, préface, p. xxviii.

[181] Revue philosoph., avril 1911, p. 354.

[182] LE ROY, Revue de Méta. et de Morale, 1901, p. 411.

[183] L'illusion serait due aux préjugés utilitaires de l'action! «L'immobilité étant ce dont notre action a besoin, nous l'érigeons en réalité.» (BERGSON, Confér. d'Oxford, p. 20.) Comme si notre action n'avait pas un égal besoin de mobilité!

[184] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 326, 327.

[185] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 219, 220, 225, 260.

[186] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 1 à 3.

[187] «Il y a simplement (en nous) la mélodie continue de notre vie intérieure, mélodie qui se poursuit, indivisible, du commencement à la fin de notre existence consciente. Notre personnalité est cela même.» (BERGSON, Conférences d'Oxford, p. 26.)

[188] Cette causalité efficiente de la substance par rapport aux accidents est enseignée par saint Thomas et tous les scolastiques; la seule question en litige entre eux est celle de la nature de cette causalité. La substance joue-t-elle le rôle de cause efficiente principale ou seulement instrumentale? Par exemple, lors de la production d'une substance, se trouve-t-on en présence de deux actes, dont l'un serait la production de la substance, l'autre la génération des accidents par cette même substance (telle est la doctrine de Suarez); ou bien, n'y a-t-il qu'un seul acte consistant dans la production simultanée de la substance et des accidents, avec cette réserve que la substance jouerait dans la génération des accidents le rôle d'une cause instrumentale (c'est l'opinion de saint Thomas)? Mais dans l'une et l'autre thèse, la causalité de la substance est sauvegardée, en sorte que dans les deux opinions, la nature des accidents permet de conclure par induction à celle de la substance, tandis que dans l'opinion de Kant, il serait impossible de s'élever du phénomène au noumène qui reste inconnaissable. (Cf. S. THOM., Quodlib, ix, a. 5;—Sum theol., p. I, q. LXXVII, a. 6, 7;—Ia IIæ, q. LXXVII, a. 1;—De Virtut., q. I, a. 3;—De Verit., q. xiv, a. 5;—In IV Sent., q. I. a. 1.—UBRABURU, Ontol., n. 319-325;—DE MARIA, Ontol., p. 578, etc.)

[189] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 3, 4.

[190] TAINE, De l'Intelligence, I, p. 343. Au lieu de file, les bergsoniens disent plus souvent le continu, mais la pensée est au fond la même. Pour eux, «la seule réalité est celle du continu».

[191] TAINE, Ibid., p. 345.

[192] Voici un aveu de M. Bergson: «La psychologie substitue donc au moi une série d'éléments qui sont les faits psychiques. Mais ces éléments sont-ils des parties? Toute la question est là. Et c'est pour l'avoir éludée qu'on a posé en termes insolubles le problème de la personnalité humaine.... Ils cherchent le moi et prétendent le trouver dans les états (ou la file des états) psychologiques.... Aussi, ont-ils beau juxtaposer des états aux états, en multiplier les contacts, en explorer les interstices, le moi leur échappe toujours, si bien qu'ils finissent par n'y voir qu'un vain fantôme.... Bien vite, elle (la psychologie) arrive à croire qu'elle pourrait, en composant ensemble tous les points de vue, reconstituer l'objet. Est-il étonnant qu'elle voie fuir cet objet devant elle, comme l'enfant qui voudrait se fabriquer un jouet solide avec les ombres qui se profilent le long des murs.... L'unité du moi ne pourra plus être qu'une forme sans matière. Ce sera l'indéterminé et le vide absolu.» (BERGSON, Revue de Méta. et de Morale, janv. 1903, p. 10, 12, 13.)

[193] «Il y a des changements, mais il n'y a pas de choses qui changent; le changement n'a pas besoin d'un support. Il y a des mouvements, mais il n'y a pas nécessairement des objets invariables qui se meuvent: le mouvement n'implique pas un mobile.» (BERGSON, Conférences d'Oxford, p. 24.) (C'est l'auteur qui a souligné.)

[194] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 325.

[195] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 270.

[196] BERGSON, Revue de Méta. et de Morale, nov. 1911, p. 814. De même W. James qui les appelle une mascarade de noms. (Phil. de l'expérience, p. 200.) Même caricature dans Laberthonnière, qui ose définir l'âme: «Entité inerte qu'on imagine au-delà de la conscience (!) par-dessous (!!), comme un morceau de matière (!!!) sur lequel viendraient s'imprimer les diversités de la vie psychique....» (Annales de philosophie chr., nov. 1910, p. 178.) W. James, Ibid., appelle aussi l'âme: «Un bouche-trou théorique; il marque une place et réserve cette place à une explication qui devra venir l'occuper plus tard.»—Plus tard! c'est toujours commode. En attendant, l'unité de l'agent que j'appelle mon âme explique seule l'unité de mes actions et du «courant de ma conscience».

[197] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 327.

[198] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 338.

[199] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 262, 293, 295. Cf. p. 42, 343, 390, etc. «Il n'y a pas d'étoffe plus résistante ni plus substantielle.» (p. 4.)

[200] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 2, 5.

[201] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 16.

[202] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 181, 218, 270. «Le passé fait corps avec le présent.... Ce n'est pas seulement notre passé à nous qui se conserve, c'est le passé de n'importe quel changement....» (BERGSON, Conférences d'Oxford, p. 33, 34.)

[203] FOUILLÉE, Revue philosophique, avril 1911, p. 353.

[204] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 259.

[205] PLATON, Cratyle, trad. de Cousin, p. 154.

[206] PLATON, Sophiste, Ibid., p. 263.

[207] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 14.

[208] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 148, 149.

[209] «Ma personne à un moment donnée est-elle une ou multiple?... Je suis donc ... unité multiple et multiplicité une.... Je n'entre ni dans l'une ni dans l'autre (de ces catégories) ni dans les deux à la fois, quoique les deux réunies puissent être une imitation approximative de cette interpénétration réciproque et de cette continuité que je trouve au fond de moi-même.» (BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 280. Cf. 283.)

[210] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 295.

[211] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 222 et 226.

[212] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 219, 265, 280, 283, 292.

[213] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 18, 49, 58, 260, 367, 368, 370, 371, 372, 373, etc.

[214] «Il n'y a plus que des directions.» (BERGSON, Ibid., p. 17.)

[215] LE ROY, Revue de Méta. et de Morale, 1901, p. 305; 1907, p. 167. Cf. juill., p. 480, etc.

[216] BERGSON, Essai sur les données, p. 158.

[217] «Qu'est-ce que le devenir, sinon une fuite perpétuelle de contradictoires qui se fondent?» (LE ROY, Revue de Méta. et de Morale, 1901, p. 411.)

[218] LE ROY, Revue de Méta. et de Morale, 1905, p. 200-204.

[219] Voyez avec quelle énergie Aristote a stigmatisé ces sophismes, dans notre Théorie fondamentale, p. 82 et suiv.

[220] «Item si contradictiones simul veræ de eodem omnes, patet quod omnia erunt unum, δἦλον ὡς άπαντα ἔσται ἔν, erit etenim idem et triremis, et paries, et homo, si de omni contingit quicquam aut affirmare aut negare ... patet quod homo non erit triremis: sed est etiam, si contradictio vera est. Et jam fit quod Anaxagoras aiebat: «Simul omnes res esse», ita ut nihil vere sit unum.»—«Nam si verum est quod homo est non-homo, patet quod etiam nec homo, nec non-homo erit.» (ARISTOTE, Méta., l. III, c. iv, §§ 16, 19.)

[221] BERGSON. l'Evolution créatrice, p. 10, 366.

[222] «Accidit eis qui simul dicunt esse et non esse, magis dicere quiescere cuncta, quam moveri. Non enim est in quod quicquam mutetur, ουγαρ ἔστιν είς ὅ τι μεταβάλλει, nam omnia omnibus insunt.» (ARISTOTE, Méta., l. III., c. v., § 16.)

[223] «Accedit igitur id quod fertur vulgo his omnibus orationibus, eas seipsas perimere, αύτους ἐαυτους άναιρειν.» (ARISTOTE, Méta, l. III, c. viii, § 5.)

[224] Voici une réplique de M. Bergson: «On ne croit plus aujourd'hui que le vrai puisse être donné une fois pour toutes, saisi dans son intégralité (??) par l'effort hardi d'un vigoureux génie. Si pareille chose était possible, ce serait l'arrêt final de la pensée humaine désormais inutile.» (Congrès de Bologne, 10 avr. 1911.) C'est le sophisme du tout ou rien que le lecteur n'aura pas de peine à démasquer.

[225] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 211.

[226] BERGSON, l'Evolution créatrice, Introd., p. vi.

[227] BERGSON, l'Evolution créatrice, cf. p. 393 et suiv.

[228] BERGSON, l'Evolution créatrice, cf. p. 207.

[229] BERGSON, l'Evolution créatrice, cf. p. 92.

[230] Cf. l'Evolution créatrice, p. 59, 62, 82.

[231] BERGSON, l'Evolution créatrice, cf. p. 93.

[232] BERGSON, l'Evolution créatrice, cf. p. 185.

[233] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 111.

[234] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 91.

[235] Cf. FARGES, la Vie et l'évolution des espèces, c. vii.

[236] DELAGE, la Structure du protoplasme et les théories sur l'hérédité, p. 184.

[237] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 92.

[238] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 141.

[239] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 92.

[240] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 114.

[241] BERGSON, l'Evolution créatrice, Ibid.

[242]«Comme si tout servait de moyen à tout.» (L'Evolution créatrice, p. 136.)

[243] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 278.

[244] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 42, 261, 391. Nous avons vu que le Temps n'est pas un être, mais une condition d'existence et d'activité pour tous les êtres créés.

[245] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 203.

[246] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 137, 154, 376.

[247] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 28.

[248] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 107, 108.

[249] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 108.

[250] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 109.

[251] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 58.

[252] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 130.

[253] BERGSON, l'Evolution créatrice, cf. p. 115 et suiv.

[254] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 122.

[255] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 121.

[256] BERGSON, l'Evolution créatrice, cf. 122.

[257] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 58.

[258] «Quelque chose a grandi (dans l'élan originel), quelque chose s'est développé par une série d'additions qui ont été autant de créations. C'est ce développement même qui a amené à se dissocier des tendances qui ne pouvaient croître au-delà d'un certain point sans devenir incompatibles entre elles.» (BERGSON, Ibid., p. 57, 58.)

[259] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 123, 124.

[260] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 126.

[261] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 140.

[262] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 138.

[263] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 139.

[264] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 140, 141.

[265] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 138-144.

[266] BERGSON, l'Evolution créatrice, cf. p. 137, 284.

[267] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 144.

[268] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 146, 147.

[269] Cf. FARGES, le Cerveau, l'Ame et les Facultés, p. 420-460.

[270] BERGSON, l'Evolution créatrice, cf. p. 147 et suiv.

[271] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 151, 152.

[272] BERGSON, l'Evolution créatrice, cf. p. 153.

[273] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 155.

[274] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 155, 156.

[275] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 139.

[276] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 156.

[277] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 158.

[278] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 188 et suiv.

[279] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 191.

[280] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 190.

[281] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 185.

[282] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 286, 287.

[283] BERGSON, l'Evolution créatrice, cf. p. 56, 114, 128, 148.

[284] «C'est la même inversion du même mouvement qui crée à la fois l'intellectualité de l'esprit et la matérialité des choses.» (L'Evolution créatrice, p. 225.)

[285] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 182.

[286] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 50.

[287] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 50; cf. p. 182.

[288] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 57.

[289] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 182.

[290] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 204.

[291] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 210.

[292] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 200, 201.

[293] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 220.

[294] BERGSON, l'Evolution créatrice, p, 201.

[295] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 243.

[296] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 237.

[297] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 257, 258.

[298] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 266, 267.

[299] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 217, 220-221, 238, 226, 299; cf. p. 271.

[300] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 293, 294.

[301] «Un création de la matière ne serait ni incompréhensible ni inadmissible.» (BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 260.)

[302] Cf. FARGES, Théorie fondamentale, p. 180-192.

[303] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 299.

[304] BERGSON, l'Evolution créatrice, cf. p. 348, 350, 377, 381, 385.

[305] «Il n'y a pas de choses, il n'y a que des actions.... J'exprime cette similitude probable quand je parle d'un centre d'où les mondes jailliraient comme les fusées d'un immense bouquet,—pourvu toutefois que je ne donne pas ce centre pour une chose, mais pour une continuité de jaillissement. Dieu, ainsi défini, n'a rien de tout fait; il est vie incessante, action, liberté.» (BERGSON, Ibid., p. 270.)

[306] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 209. (C'est nous qui soulignons.)

[307] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 49; cf. p. 367, 373.

[308] Au fond, c'est la confusion de l'essence et de l'existence que les scolastiques avaient si bien distinguées. L'existence n'est identique à l'essence que dans un seul être, l'Etre parfait. Dire que le monde existe parce qu'il dure, qu'il est la durée même, c'est dire qu'il est l'Etre parfait, alors que son imperfection et sa contingence éclatent de toute part.

[309] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 341.

[310] LE ROY, Revue de Méta. et de Morale, juill. 1907, p. 482.

[311] Semper prius est quod melius est. ᾽Αει τὸ βέλτιον πρότερον. ARISTOTE, Méta., l. II, c. iii, § 12.—. Ούκ οϋν βέλτιον τὸ πρὦτον. Méta., l. XI, c. vi, § 11.

[312] BOUTROUX, Etudes d'hist. et de philosophie, p. 202.

[313] RENAN, Averrhoès, p. 7.

[314] «La formule maîtresse de ces novateurs est précisément le contraire de la nôtre, et toute leur doctrine se résume dans cette phrase: le non-être prime l'être. Aussi, de là, ces belles conclusions que l'on sait: tout a commencé par le néant;—le devenir est la seule existence véritable;—le plus sort du moins;—ce qui passe est réel; ce qui demeure, une abstraction;—l'Etre infini est la dernière et la plus vide des abstractions. Toujours et partout, c'est la primauté du néant affirmée impudemment; le dernier mot de tout ceci est la formule: le non-être prime l'être.» (DE RÉGNON, la Métaph. des causes, p. 116.)

[315] «Dieu, ainsi défini, n'a rien de tout fait.»—Il est «une continuité de jaillissement».—(Il est donc en train de se faire et d'évoluer avec l'univers.) (BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 270.)

[316] PLATON, Sophiste, trad. Cousin, p. 261.—ARISTOTE, Méta., l. XII, c. ix.

[317] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 299.

[318] BERGSON, l'Evolution créatrice, Introd., p. vii; cf. p. 96, 111.—«La doctrine des causes finales ne sera jamais réfutée définitivement. Si l'on écarte une forme, elle en prendra une autre.» (p. 43.)

[319] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 347.

[320] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 67-83.

[321] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 75, 83.

[322] BERGSON, l'Evolution créatrice, cf. p. 84.

[323] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 95.

[324] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 111.

[325] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 112.

[326] BERGSON, l'Evolution créatrice, cf. p. 97.

[327] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 114.

[328] HAMELIN, Essai sur les éléments de la représentation, 1907, p. 321.

[329] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 104, 110, 200, 283.

[330] Τὸ γαρ ὅλον πρότερον άναγκαιον είναι του μέρους. (Polit.. l. I, c. ii.)

[331] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 184.

[332] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 96.

[333] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 105.

[334] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 113.

[335] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 268.

[336] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 269.

[337] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 270.

[338] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 272.

[339] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 283.

[340] SULLY-PRUD'HOMME, le Problème des causes finales, p. 157.

[341] BERGSON, l'Evolution créatrice, Introd., p. vi.

[342] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 193, 194, cf. p. 201.

[343] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 399.

[344] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 226.

[345] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 3.—Cf. l'Evolution créatrice, p. 316.

[346] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 37.

[347] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 39.—Cf. p. 53, 56, 151, 262, etc.

[348] Elles ont même le maximum possible d'objectivité, parce que «la perception des qualités sensibles est beaucoup plus indépendante du besoin et présente par là même une réalité objective supérieure». (BERGSON, «Réponse à Pitkin», Journal of Philosophy, 7 juill. 1910.)

[349] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 225; cf. 228, 66.

[350] La qualité sensible consisterait dans une espèce de contraction du réel opéré par un état variable de tension ou de relâchement, p. 21, 232.

[351] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 40, 56.

[352] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 60, 61.—Cf. p. 145, 147, 150, 264.—«De là l'illusion qui consiste à voir dans la sensation un état flottant et inextensif, lequel n'acquerrait l'extension et ne se consoliderait dans le corps que par accident: illusion qui vicie profondément la théorie de la perception extérieure.... Il faut en prendre son parti: la sensation est, par essence, extensive et localisée.» (Ibid., p. 151.)

[353] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 147, 267.

[354] Cf., sur ce double jeu, notre étude l'Objectivité de la perception, p. 229 et suiv.

[355] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 239.

[356] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 267.

[357] «Les états cérébraux qui accompagnent la perception n'en sont ni la cause ni le duplicat.» (Matière et Mémoire, p. 263. Cf. p. 52, 68.) «Le cerveau est un instrument d'action, non de représentation.» (p. 69.)

[358] Cette théorie profonde d'Aristote et des scolastiques trouve un écho dans l'Evolution créatrice, p. 182, où la vision est appelée «un toucher rétinien».

[359] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 227.

[360] HAMILTON, Lec. on Met., t. I, p. 288.

[361] B. SAINT-HILAIRE, De Anima, préf., p. 117.

[362] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 59, 37, 61, 257, 244.

[363] Voir notre étude I. Théorie fondamentale, p. 370 à 402.

[364] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 263, 245, 143, 260, 19.

[365] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 105, 106.

[366] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 245.—Cf. p. 263.

[367] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 244, 256, 36.

[368] «Elle (la vraie philosophie) doit nous ramener, par l'analyse des faits et la comparaison des doctrines, aux conclusions du sens commun.» (Ibid. Avant-propos, p. iii.) Un aveu si précieux est à retenir pour juger la philosophie nouvelle. On ne saurait trop le répéter.

[369] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 70; cf. p. 49, 52, 261.

[370] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 20, 21, 63.

[371] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 65, 60, 67.

[372] BERGSON, Matière et mémoire, p. 255. Les besoins des animaux et ceux de l'homme étant différents, on peut en conclure que leur perception du monde est différente de la nôtre, dans une certaine mesure, mais le fond est le même.

[373] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 197, 62.

[374] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 257.

[375] «Pourvu que l'on ne considère de la Physique que sa forme générale et non pas le détail de sa réalisation, on peut dire qu'elle touche à l'absolu.» BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 217, 216; cf. p. 52, 225, 251, 387, 389, etc. On voit par là combien M. Bergson est loin de ne voir dans les sciences—avec nos pragmatistes—que des définitions nominales ou conventionnelles plus ou moins déguisées, auxquelles le succès tiendrait lieu de vérité.

[376] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 390, 391.

[377] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 54.

[378] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 177.

[379] «Originellement, nous ne pensons que pour agir. C'est dans le moule de l'action que notre intelligence a été coulée. La spéculation est un luxe, tandis que l'action est une nécessité.» (BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 47.) Le même reproche est adressé au Sens commun: p. 48, 49, 166, 167, 306, 322, etc. On le traite d'«intéressé»; d'«utilitaire», et partant de «suspect».

[380] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 168, 169.

[381] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 169.

[382] ARISTOTE, Phys., l. III, c. i, § 6; Méta, l. X, c. ix, § 2, 4.

[383] ARISTOTE, Phys., l. III, c. i, § 9.

[384] BARTHÉLÉMY SAINT-HILAIRE, Phys., Préf., p. 38; et l. III, c. ii, § 4, note.

[385] «Progrès qui est le mouvement même.» (BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 168.)

[386] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 179; cf. p. ii, 175, 193.

[387] BERGSON, l'Evolution créatrice, introd., p. ii; cf. p. 53.

[388] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 225.

[389] BERGSON, l'Evolution créatrice, introd., p. i, ii; cf. p. 173, 175, 213, 289, 398.

[390] Cf. BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 151, 157, 166, 190, 198.—«(L'intelligence) est la faculté de fabriquer des objets artificiels, en particulier des outils à faire des outils, et d'en varier indéfiniment la fabrication.» (Ibid., p. 151.)

[391] FOUILLÉE, la Pensée, p. 79.

[392] FOUILLÉE, Ibid., p. 161.

[393] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 137, 105, 148, 130, 125.

[394] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 11, 17, 22, 29.

[395] Cette confusion de l'étendue abstraite avec la matière a été relevée plus haut. Ni l'anatomiste ni le chimiste ne peuvent décomposer les corps à leur fantaisie. Ils doivent en respecter les «articulations» naturelles.

[396] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 167.

[397] On peut voir ces trois notions dans Aristote, VI Phys., c. i;—Continua, quorum extrema sunt unum: Συνεχῆ, ὦν τά ἔσχατα ἓν.—Contigua, quorum extrema sunt simul: 'απτόμενα δʹὦν τά ἔσχατα αμα. —Dissita, ea interquæ nihil est medium, quod sit ejusdem rationis: 'εφεξῆς δʹὦν μηδἑν μεταξυ συχχενές.

[398] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 13, 160, etc.

[399] BERGSON, Matière et mémoire, p. 218.

[400] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 10, 366.

[401] «Moi et non-moi, moi et vous, moi et tous, forment une discontinuité primitive qu'aucun artifice ne saurait supprimer.» (FOUILLÉE, la Pensée, p. 16.)—«Si nous découpons le réel, c'est qu'il est découpable, c'est qu'il est jusqu'à un certain point découpé, c'est que nous y sommes découpés nous-mêmes; c'est, par exemple, qu'un homme n'est pas un autre homme, qu'un homme n'est pas un cheval ... bref que nos idées, nos concepts et nos lois ont un fondement dans le réel.» (Ibid.. p. 74.)

[402] «Multitudinem esse et divisibile, magis est sensibile quam esse indivisibile. Quare multitudo ratione prior quam indivisibile per sensum est.» Τὸ μαλλον αισθητὸν τὸ πλἦθος εϊναι και τὸ διαιρετὸν ἢ τὸ άδιαίρετον, ὤστε τῷ λόγῳ πρότερον τὸ πλἦθος τοϋ άδιαιρέτου δια τῆν αϊσθησιν. (Méta., l. IX, c. iii, § 2.)

[403] FOUILLÉE, la Pensée, p. 223.

[404] S. THOMAS, I°, q. LXXXV, a. 3.

[405] ARISTOTE, Phys., l. I, c. ii, § 15.

[406] PLATON, Phèdre, 265 E.—Voir aussi contre l'unité de l'être Parménide et le Sophiste, surtout, p. 248, trad. Cousin.

[407] ARISTOTE, Méta., l. XII, c. iii, § 8, 9.

[408] ARISTOTE, Phys., l. II, c. ii, § 3;—Méta., l. XII, c. iii, § 8.

[409] S. THOMAS, I°, q. LXXXV, a. 4.

[410] SAINT THOMAS, Contra Gent., l. II, c. xcv.

[411] «Quocirca idem erit bonum et non bonum, idem homo et equus: nec de hoc erit illius disputatio, an omnia entia sint unum, sed eo potius an nihil sint: item tale esse et tantum esse, idem erunt.» ὥστε ταύτον ἔσται άγαθὸν και ούκ άγαθὸν, και άνθρωπος και ίππος, και ού περι τοϋ ἓν εϊναι τα ὄντα ὁ λόγος ἔσται αύτοϊς, άλλα περι τοϋ μηδέν, και τὸ τοιῳδι εϊναι και τοσᾡδι ταύτόν (Phys., l. I, c. ii, § 14.)

[412] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 170.

[413] LE ROY, Revue de Méta. et de Morale, sept. 1899, p. 517.

[414] M. Fouillée l'a très bien vu: «La tentative pour expliquer entièrement l'origine des idées et leur vérité par la biologie constitue une immense pétition de principe.» (La Pensée, p. 80.)

[415] «In quantum dicit verbum anima cognoscit objectum.» S. THOMAS, de Verit., q. iv, a. 2. Après l'intuition de son objet, l'esprit se l'exprime et se le dit à lui-même.

[416] «Omnis scientia est universalium.... Quodam modo scientia est universalis» (dans ses principes); «quodam modo autem minime» (dans ses applications particulières). (ARISTOTE, Méta., l. XII, c. x, § 8.) «Un joueur d'échecs, par exemple, ne crée pas une science en gagnant une partie. Il n'y a de science que du général.» (POINCARÉ, la Science et l'hypothèse, p. 13.)

[417] «Loin de faire fi des principes, nous croyons qu'ils sont l'essentiel. Y substituer la pure étude des faits biologiques, c'est vouloir faire marcher une montre sans y introduire le grand ressort.... Vainement on nous invite à délaisser pour les questions pratiques du jour «la paix des questions éternelles»—dites plutôt le tournant des questions éternelles. Les problèmes du jour ne peuvent vraiment se résoudre qu'en vertu de raisons qui les dépassent: l'actuel dépend du perpétuel.» (FOUILLÉE, Morale des idées-forces, p. XXVII, XXIX.)

[418] Φανερὸν τοινυν έκ τουτων ὄτι ἔστι τὸ πρώτος κινοϋν άκίνητον (ARISTOTE, Phys., l. VIII, c. v.)

[419] Pour Aristote, c'est quelque chose de divin, τὸ θείον; pour saint Thomas et pour nous, c'est la pensée même de Dieu reflétée par ses créatures.

[420] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 340.

[421] «Concevoir (le concept) est un pis aller (!!) dans les cas où l'on ne peut pas percevoir (!!).... Une conception ne vaut que par les perceptions éventuelles qu'elle représente (!!).» (BERGSON, Conférences d'Oxford, p. 5.) Le lecteur appréciera si ce n'est pas là une inintelligence totale.

[422] «Persistance inextinguible d'un reste: c'est la tare essentielle du concept.» (Revue néo-scolastiq., nov. 1910, p. 489.)

[423] SAINT THOMAS, in Il Cœlor., l. XVIII.

[424] Quidquid esse potest intelligi potest. S. THOMAS, Contra Gent., l. II, c. 98.—La raison en est que tout ce qui vient à l'existence est la réalisation d'un possible et partant d'une idée.

[425] BERGSON, Revue de Méta. et de Morale, 1903, p. 8.

[426] Nominaliste pour tous les concepts, excepté pour celui de Temps, où M. Bergson est ultra-réaliste, puisqu'il en fait la substance des choses dans le grand Tout. En faisant du Temps non pas un fluide, mais la fluidité même, il hypostasie une abstraction.

[427] L'universel veut dire essence commune à plusieurs individus. Ainsi la rondeur est une essence commune à toutes les choses rondes. La première vue de l'esprit découvre une essence, v.g. la rondeur de ce cercle: c'est l'universel direct. La seconde vue la considère comme étant commune à tous les autres cercles, existants ou possibles, c'est-à-dire comme infiniment imitable: c'est l'universel réflexe.

[428] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 56, 114, 128, 136, 148.

[429] BERGSON, l'Evolution créatrice, introd., p. iii.

[430] En général, l'intuition désigne l'acte de connaître un objet immédiatement, sans raisonnement ni passage par des idées intermédiaires. Elle s'oppose à l'acte discursif.

[431] «Une faculté tout autre que celle d'analyser. Ce sera, par définition même, l'intuition.» (BERGSON, Revue de Méta. et de Morale, 1903, p. 35.)

[432] BERGSON, l'Evolution créatrice, introd., p. iv; cf. p. 216.

[433] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 31, 47, 49, 164, 323, etc.

[434] Voici un aveu: «Même quand elle se lance dans la théorie, la science est tenue d'adapter sa démarche à la configuration générale de la pratique (et du réel). Si haut qu'elle s'élève, elle doit être prête à retomber dans le champ de l'action et à s'y retrouver tout de suite sur ses pieds. Ce ne lui serait pas possible si son rythme différait absolument de celui de l'action elle-même.» (L'Evolution créatrice, p. 356.) Bien loin de s'opposer, le théoricien et le praticien se complètent.

[435] Il s'agit «d'une connaissance par le dedans, qui les saisit (les faits) dans leur jaillissement même au lieu de les prendre une fois jaillis, qui creuserait ainsi au-dessous de l'espace et du temps spatialisé....» (BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 390.)

[436] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 50; cf. p. 216.

[437] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 53.

[438] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 210, 211.

[439] Même hésitation chez M. Le Roy qui écrit: «La tâche propre du philosophe serait de résorber l'intelligence dans l'instinct, ou plutôt de réintégrer l'instinct dans l'intelligence.» (Revue des Deux Mondes, février 1912.)

[440] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 179.

[441] BERGSON, l'Evolution créatrice, cf. p. 197.

[442] «La première (connaissance) implique qu'on tourne autour de cette chose; la seconde, qu'on entre en elle.» (BERGSON, Revue de Méta. et de Morale, 1903, p. i.)

[443] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 290.

[444] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 209.

[445] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 258, cf. p. 259.—«En les rapprochant les unes des autres (les formes de l'instinct), en les faisant ensuite fusionner avec l'intelligence, n'obtiendrait-on pas cette fois une conscience coextensive à la vie et capable, en se retournant brusquement contre la poussée vitale qu'elle sent derrière elle, d'en obtenir une vision intégrale, quoique sans doute évanouissante?» (Ibid., introd., p. v.)

[446] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 272.—«On appelle intuition cette espèce de sympathie intellectuelle par laquelle on se transporte à l'intérieur d'un objet pour coïncider avec ce qu'il a d'unique et partant d'inexprimable.» (Rev. de Méta. et de Morale, 1903, p. 3.)

[447] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 209.

[448] BERGSON, Discours de Bologne, 10 avril 1911, dans la Revue de Méta. et de Morale, nov. 1911, p. 826, 827.

[449] BERGSON, Ibid., p. 813, 824.

[450] Pour Kant, c'est le concept qui recoud le décousu informe de l'intuition sensible. Pour Bergson, c'est, au contraire, l'intuition sensible qui recoud le morcelage du concept. Opposition curieuse qui trahit le caractère artificiel de ces systèmes!

[451] Aristote avait déjà dit: «Sentir n'est pas encore savoir.» (Anal. Post.)

[452] FOUILLÉE, la Pensée, p. 363.

[453] «Concevoir est un pis-aller dans le cas où l'on ne peut pas percevoir.» (BERGSON, conf. d'Oxford, la Perception du changement, p. 5.)

[454] Cf. S. AUG. De Genes. ad litt., IV, 32, 50.—S. Thomas ajoute que la vision dans le Verbe est la connaissance la plus parfaite, soit du général, soit du particulier. Perfectius (res) cognoscitur per Verbum quam per se ipsam, etiam in quantum est talis, (De verit. q. 8, a. 16, ad II; cf. q. 4, a. 6.)

[455] BERGSON, Revue de Méta. et de Morale, janv. 1903, p. 13.

[456] FOUILLÉE, la Pensée, p. 353.

[457] BERGSON, Revue de Méta. et de Morale, janv. 1903, p. 9, 15, 27. Voici quelques jolis exemples de ces concepts «fluides». Définition de l'idée: «Une certaine assurance de facile intelligibilité.» Définition de l'âme: «Une certaine inquiétude de vie.» (Ibid., p. 31.) On comprend que de tels concepts soient perpétuellement changeants.

[458] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 393.

[459] Cf. notre étude I sur le Mouvement, p. 142 et suiv.

[460] BERGSON, Revue de Méta. et de Morale, 1903, p. 32, 33.

[461] Aristote, lui aussi, a voulu revenir «de la sécheresse et de l'insuffisance logique à la richesse féconde de l'expérience, de l'artificiel au naturel.» (RAVAISSON, Testament philosophique, p. 7.)

[462] LE ROY, Revue de Méta. et de Morale, 1907, p. 488, 495.

[463] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 389.

[464] BERGSON, Matière et Mémoire, p. 54.

[465] «L'intuition de soi est l'illusion d'un ultra-raffiné qui prend la conscience aiguë d'une sensation pour la coïncidence avec l'être.» (Revue néo-scolastique, nov. 1910, p. 490.) Une méprise si grossière n'est certes pas d'un ultra-raffiné!... La conscience ne saisit pas seulement la pensée, mais aussi celui qui pense: intellectus intelligit semetipsum—, dit saint Thomas. Et ce n'est pas seulement l'école d'Aristote et de saint Thomas qui est unanime sur ce point capital, mais encore l'école suarésienne: «Prima cognitio accidentis non terminatur ad abstractum sed ad concretum ... sicque substantia cognoscitur simul cum accidente, hoc est in confuso, in quantum est pars talis concreti accidentalis.» (SUAREZ, De Anima, l. IV, c. iv.) Quant aux écoles spiritualistes modernes, contentons-nous de citer cette magnifique et décisive parole de F. Bouillier: «Dénier à la conscience le pouvoir d'atteindre, en même temps que les phénomènes, l'être que nous sommes, l'être un, identique, essentiellement actif, vie et pensée, c'est la mutiler profondément, c'est rejeter la meilleure partie de ce qu'elle nous atteste, et cela seul qui est continuellement présent au milieu de la diversité de tous ses autres témoignages.» (La Conscience en psychologie, p. 95). Une psychologie expérimentale «sans âme» n'est donc qu'une mutilation profonde de l'expérience.

[466] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 212, 213.

[467] C'est ce que les scolastiques ont appelé la quiddité: «Intellectus humani proprium objectum est quidditas sive natura in materia corporali existens.» (S. THOMAS, Sum. theol., I, q. LXXXIV, a. 3, et q. LXXXIX, a. 3.)

[468] La première notion acquise est celle de l'être: «Ens est primum quod cadit in apprehensione simpliciter.» (S. THOMAS, Quæst. disp., De Verit., q. x, a. 1.) Or, l'être le dit d'abord de ce qui est de soi (substance), puis de l'être dérivé (accidents): «Ens absolute et primo dicitur de substantia, posterius, secundum quid de accidentibus.» (S. THOMAS, De ente et essentia, c. ii.)

[469] On sait que, pour Aristote et saint Thomas, c'est l'intuition de l'être réel qui fonde toute la métaphysique. (S. THOMAS, I°, q. LXXXXV, a. 5.) La connaissance qui en découle est progressive: 1° connaissance de l'être (quelque chose qui est); 2° connaissance confuse de la substance; 3° connaissance confuse des accidents; 4° connaissance distincte de la substance; 5° connaissance distincte des accidents. Ensuite vient la connaissance de la nature des êtres étudiés: essences et propriétés. On voit par là que l'intelligence saisit la substance avant les accidents (c'est l'inversé pour les sens), parce qu'elle ne peut comprendre l'être dérivé qu'après l'être de soi. «Sicut prædicamenta non habent esse nisi per hoc quod insunt substantiæ, ita non habent cognosci nisi in quantum participant aliquid de modo cognitionis substantiæ quod est cognoscere quid est». (S THOMAS, In libro XII métaph., l. VII, lec. I.) C'est l'inverse pour les sens qui sont tout d'abord frappés par les accidents et ne saisissent l'objet que par concommitance, comme on saisit une main gantée sous le gant. En résumé, la substance est sensible per accidens et intelligible per se.

[470] BERGSON, Revue de Méta. et de Morale, 1903, p. 33, 35; cf. Matière et Mémoire, p. 203, 205-207. Grâce à cette intuition directe du réel, nous pouvons confronter l'image du souvenir avec le réel pour la rendre de plus en plus adéquate. L'adæquatio rei et intellectus est ainsi rendue possible. Elle est impossible, au contraire, pour ceux qui nient l'intuition et ne peuvent plus comparer l'image qu'avec d'autres images, sans jamais saisir l'original.

[471] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 192, 193.

[472] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 206; et réponse à Pitkin, Journal of Philosophy, 7 juill. 1910.

[473] D'ailleurs, qui distinguera les véritables biens, la véritable utilité, les succès dignes d'envie, sinon l'intelligence éclairée par d'autres critères?

[474] BERGSON, Réponse à Pitkin, Ibid.

[475] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 323.

[476] Cf. Revue de Méta. et de Morale, 1901, p. 317.

[477] LITTRÉ, Revue des Deux Mondes, 10 juin 1865.

[478] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 239-257.

[479] BERGSON, Ibid., p. 242.

[480] BERGSON, Ibid., p. 253.

[481] BERGSON, Ibid., p. 253.

[482] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 295-323.

[483] A l'exemple de M. Bergson, nous avons nous-même réédité dans ce paragraphe, presque littéralement, notre réplique déjà parue ailleurs.

[484] S. THOMAS, I Sent., dist. VIII, q. i, a. 3.

[485] BERGSON, Ibid., p. 310.

[486] MICHELET, Esquisse de logique.

[487] «Ens rationis dicitur, quod cum in re nihil ponat, et in se non sit ens, formatur tamen seu accipitur ut ens in ratione.» (S. THOMAS, V. Méta., l. IX;—Summa theol., I°, q. XVI, a. 3, ad 2.—Cf. JEAN DE S. THOMAS, Log., II, q. 2.)

[488] BERGSON, Ibid., p. 320.

[489] Dans sa lettre au P. de Tonquédec (Etudes, 20 janv. 1912, p. 516), M. Bergson a eu la loyauté de reconnaître l'insuffisance de cette première argumentation: «Elle aboutit simplement à montrer que quelque chose a toujours existé. Sur la nature de ce «quelque chose», elle n'apporte, il est vrai, aucune conclusion positive.» Le lecteur comparera cet aveu à ses prétentions premières.

[490] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 299.

[491] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 291.

[492] Pour ces citations et les suivantes, voy. Bergson, son cours au Collège de France, en mai 1911: Théorie de la Personne, cité par Grivet, Etudes, 30 nov. 1911.

[493] «Seule, la matière qu'il (le courant de la conscience universelle) charrie avec lui, et dans les interstices de laquelle il s'insère, peut le diviser en individualités distinctes. Le courant passe donc, traversant les générations humaines, se subdivisant en individus: cette division était dessinée en lui vaguement (?), mais elle ne se fût pas accusée sans la matière. Ainsi se créent sans cesse des âmes, qui cependant, en un certain sens, préexistaient. Elles ne sont pas autre chose que les ruisselets entre lesquels se partage le grand fleuve de la vie, coulant à travers le corps de l'humanité.» (BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 292.)

[494] Nous avons vu plus haut, en parlant du «morcelage», que c'est l'esprit, au contraire, qui se découpait un corps. Ce sont là des assertions difficilement conciliables à nos yeux.

[495] Voir, par exemple, l'interview de Maurice Verne dans l'Intransigeant du 26 nov. 1911.

[496] Voir l'interview ci-dessus.

[497] Cf. l'Evolution créatrice, p. 294.

[498] PIERRE LOTI, le Pèlerin d'Angkor (Calmann-Lévy). Cf. Discours de réception à l'Académie française de M. Jean Aicard, par Pierre Loti, 23 déc. 1909.

[499] «Je parle de Dieu comme d'une source d'où sortent tour à tour, par un effet de sa liberté, les «courants» ou «élans» dont chacun formera un monde: il en reste donc distinct (??), et ce n'est pas de lui qu'on peut dire que «le plus souvent il tourne court», ou qu'il soit «à la merci de la matérialité qu'il a dû se donner.» (1re lettre au P. de Tonquédec, p. 517 des Etudes.)—M. Bergson avait écrit (Evolution créatrice, p. 270): «Je parle d'un centre d'où les mondes jailliraient comme les fusées d'un immense bouquet,—pourvu toutefois que je ne donne pas ce centre pour une chose [une substance] mais pour une continuité de jaillissement. Dieu, ainsi défini, n'a rien de tout fait....»

[500] L'Evolution créatrice, p. 270, 271.

[501] De même pour M. Le Roy: «Pour nous, Dieu n'est pas, mais devient. Son devenir est notre progrès même.» (LE ROY, Revue de Méta. et de Morale, 1907, p. 509.)

[502] LE ROI, Dogme et Critique, p. 145.

[503] Malgré cela, M. Bergson persiste à croire qu'il n'est pas panthéiste, et sa bonne foi ne saurait être mise en doute. «De tout cela, écrit-il, se dégage nettement l'idée d'un Dieu créateur et libre, générateur à la fois de la matière et de la vie, dont l'effort de création se continue du côté de la vie, par l'évolution des espèces et par la constitution des personnalités humaines. De tout cela se dégage, par conséquent, la réfutation du monisme et du panthéisme en général (??). Mais, pour préciser encore ces conclusions et en dire davantage, il faudrait aborder des problèmes d'un tout autre genre, les problèmes moraux. Je ne suis pas sûr de jamais rien publier à ce sujet; je ne le ferai que si j'arrive à des résultats qui me paraissent aussi démontrables ou aussi «montrables» que ceux de mes autres travaux.» (Lettre au P. de Tonquédec, IIe lettre, Etudes, p. 515.)

[504] Autre formule de la même erreur: «Le temps n'est jamais; il devient toujours.»—Comme si le présent n'était pas en acte! «Nihil est temporis, dit saint Thomas, nisi nunc.» (Iº q. 46, a. 3, ad 3.)

[505] Cf. LE ROY, Revue de Méta. et de Morale, 1901, p. 292 et suiv.

[506] Congrès de Bologne, 10 avril 1911, dans la Revue de Méta. et de Morale, nov. 1911, p. 810.

[507] Sa première devise était: «Mettre plus de science dans la métaphysique et plus de métaphysique dans la science.» (BERGSON, Revue de Méta et de Morale, janv. 1903, p. 29.)

[508] BERGSON, Congrès de Bologne, 10 avril 1911, dans la Revue de Méta. et de Morale, nov. 1911, p. 825.

[509] «En principe, la science positive porte sur la réalité même, pourvu qu'elle ne sorte pas de son domaine qui est la matière inerte.» (BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 225; cf. p. 216.)

[510] POINCARÉ, la Valeur de la science, p. 214.

[511] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 218, 258, 211, 272.

[512] «D'après cette nouvelle méthode, pour connaître les choses telles qu'elles sont, il ne faut pas user de l'intelligence, qui ne peut que les dénaturer, mais se rapprocher (par l'intuition) de l'expérience brute, se plonger dans le tourbillon des sensations, s'abîmer enfin dans le torrent de la vie animale et végétative, se perdre dans l'inconscience et se noyer dans les choses. Ce réalisme psychologique conduit à l'idolâtrie du fait en métaphysique et en morale....»(COUTURAT, Revue de Méta. et de Morale, 1897, p. 241, 242.)

[513] W. JAMES, Philosophie de l'expérience, p. 257, 264, 265, 309, 316. «Le meilleur chemin à suivre est celui de Fechener, de Royce, de Hégel: Fechener n'a jamais entendu le veto de la Logique; Royce entend sa voix, mais refuse délibérément de savoir ce qu'elle dit; Hégel n'entend ce qu'elle dit que pour en faire fi; et tous passent joyeusement leur chemin. Serons-nous les seuls à subir son veto?» (Ibid., p. 197.) C'est Bergson, dit-il, qui l'a enhardi dans cette voie.—«Je me suis vu contraint de renoncer à la Logique carrément, franchement, irrévocablement!» (A Pluralistic universe.)

[514] MARITAIN, l'Evolutionnisme de M. Bergson, dans la Revue de Philosophie, sept. 1911, p. 539.

[515] Cf. Card. MERCIER, Discours du 8 déc. 1907 à l'Université de Louvain.

[516] M. Bergson est à peu près le seul philosophe universitaire à traiter les questions de métaphysique, comme on peut s'en convaincre en feuilletant le catalogue d'ouvrages philosophiques publiés chez Alcan.

[517] BERGSON, Revue de Méta. et de Morale, janv. 1903, p. 30, 31.

[518] Cette critique, il est vrai, n'est pas nouvelle. Déjà Platon l'adressait aux artistes de son temps: «N'est-il pas vrai que les artistes, s'inquiétant peu de la vérité, donnent à leurs ouvrages, au lieu de proportions naturelles, celles qu'ils jugent devoir faire le plus bel effet?» (Le Sophiste, trad. Cousin, p. 220.)

[519] RENÉ DOUMIC, Revue des Deux Mondes, 15 mars 1910, p. 433.

[520] Cité par GRIVET, Etudes, 20 nov. 1911.

[521] BERGSON, l'Evolution créatrice, p. 375, 355, 369.

[522] W. JAMES, Philosophie de l'expérience, p. 305.



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