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La philosophie zoologique avant Darwin

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Les plastides qui demeurent associés, ne sont pas astreints à conserver une forme unique; ils forment, dès qu'ils se différencient, un organisme relativement simple, sans type défini, auquel nous donnerons le nom de méride[133].

Les mérides se multiplient comme les plastides: tantôt ils produisent directement des œufs; tantôt ils donnent naissance à des mérides nouveaux qui peuvent, dès qu'ils sont formés, se séparer de leur parent et vivre d'une façon indépendante: c'est le cas de quelques éponges inférieures, de l'hydre d'eau douce et d'un certain nombre de vers inférieurs. Une partie des phénomènes de la génération alternante et de la généagénèse se rattache à ce mode de développement des mérides jouissant de ce que Van Beneden a appelé la digénèse.

Les mérides nés les uns des autres peuvent aussi demeurer unis entre eux. Ils forment alors ce qu'on nomme des communautés ou des colonies. Les mérides d'une même colonie peuvent revêtir des formes diverses, accomplir des fonctions différentes; des groupes de mérides appropriés à ces fonctions peuvent se détacher de la colonie sur laquelle ils sont nés et donner lieu aux cas les plus remarquables de généagénèse ou de génération alternante. C'est ce qu'on observe dans la génération alternante des méduses et des annélides. Mais aussi tous les mérides nés les uns des autres peuvent demeurer unis entre eux, se modifier de façons différentes, devenir tellement solidaires qu'ils soient inséparables; leur ensemble constitue alors un organisme nouveau ayant tous les caractères d'un individu; c'est le cas de tous les animaux supérieurs auxquels on peut donner le nom de zoïdes ou de dèmes, suivant qu'ils sont directement décomposables en mérides ou qu'il faut d'abord distinguer en eux des groupes de mérides, de zoïdes, ayant des propriétés ou des fonctions particulières, comme chez les animaux dont le corps présente plusieurs régions distinctes.

Quand le protoméride se fixe, il produit par bourgeonnement des colonies irrégulières, arborescentes, ramifiées ou incrustantes, sur lesquelles il suffit qu'un certain nombre d'individus équivalents entre eux se rapprochent autour d'un centre commun pour produire des organismes rayonnés. Quand le protoméride demeure libre et rampant, il présente une symétrie bilatérale, ne produit de bourgeons qu'à son extrémité postérieure et donne naissance à des organismes segmentés dont les vers annelés, les arthropodes et les vertébrés sont les principales formes. Les différents modes de symétrie qui caractérisent les grands types organiques trouvent donc une explication rationnelle, et il n'est plus nécessaire de faire intervenir directement une pensée créatrice distincte pour en rendre compte.

La production du protoméride, la formation des mérides et des zoïdes, tous les phénomènes de reproduction qui ne nécessitent pas la fécondation, tous ces phénomènes de métagénèse, peuvent avoir lieu successivement et former plusieurs étapes plus ou moins distinctes du développement; elles peuvent aussi avoir lieu plus ou moins rapidement et souvent assez vite pour s'être déjà accomplies avant l'éclosion; c'est grâce au degré plus ou moins grand de cette accélération des phénomènes métagénésiques qu'il semble exister chez les animaux plusieurs types de développement.

Cette accélération arrive à son maximum chez les organismes les plus élevés de chaque groupe: certaines méduses, quelques-uns des échinodermes actuels, les crustacés supérieurs, les arachnides, les insectes, les mollusques, les vertébrés sortent ainsi de l'œuf avec tous les mérides qui doivent les constituer et ne subissent plus que des modifications de détail, tandis que la plupart des cœlentérés, les crinoïdes, le plus grand nombre des vers et des crustacés inférieurs ne possèdent encore à leur naissance qu'un petit nombre de mérides et souvent un seul.

Ainsi une même théorie réunit tous les grands traits de la formation graduelle et de la structure définitive des individus organisés. Rien n'est plus simple que de faire comprendre ce que sont ces individus, si l'on cherche d'abord comment ils se sont réalisés, si on les considère comme un résultat; rien n'est plus difficile que de les définir si on les considère indépendamment de toutes les formes qu'ils ont présentées, si on s'obstine à voir en eux des faits primordiaux. Nous retrouvons ici l'opposition que nous avons déjà signalée entre la clarté qu'apporte dans les sciences naturelles l'hypothèse du transformisme et l'inextricable confusion qu'entraîne avec elle et partout l'hypothèse de la fixité des formes vivantes. C'est une erreur que de vouloir englober dans une même définition l'individu tel que nous le montrent les groupes supérieurs du règne animal et les formes flottantes si fréquentes dans les groupes inférieurs; là l'individu n'existe pas encore.

Il est presque inutile de faire remarquer que la théorie de la formation de l'individualité que nous venons d'exposer, peut être présentée comme indiquant également la voie qu'ont dû suivre les êtres vivants pour arriver à leur degré actuelle de complication, si la vie a commencé sur la terre par des formes simples comparables aux plastides. Chercher quelles ont pu être les conditions de cette apparition est permis; mais là nous en sommes réduits aux conjectures. Quelles conditions ont présidé à la formation des premiers plastides? Pourquoi cette formation paraît-elle avoir cessé? Pourquoi sommes-nous demeurés incapables jusqu'ici de former de toutes pièces du protoplasme vivant? Ce sont là des questions auxquelles nous n'entrevoyons même pas de réponse scientifique. D'ailleurs aucune science n'a pu remonter, pour les phénomènes dont elle s'occupe, jusqu'à ces questions d'origine: l'astronomie ignore d'où vient la matière et comment se sont formés les astres dont elle étudie la course et la constitution; la physique ne connaît pas la cause des diverses sortes de mouvements et de leurs rhythmes, bien qu'elle ait su enchaîner par des lois mathématiques les innombrables phénomènes que produisent la pesanteur, la chaleur, la lumière, l'électricité, le magnétisme, simples formes du mouvement; la chimie cherche encore pourquoi il existe des corps simples et dans quelles conditions ces éléments, en apparence immuables, ont pu prendre naissance. La biologie, réservant la question de la première apparition de la vie et de la substance vivante, demeure dans les conditions communes à toutes les sciences d'observation. Il lui suffit d'avoir acquis la connaissance des éléments dont les combinaisons variées constituent les êtres vivants qu'elle étudie.

Avant l'apparition du livre de Darwin, tous les traits nécessaires à la constitution de cette théorie de l'individualité animale étaient dans la science; il n'est pas un de ses chapitres qui ne se soit présenté à un moment donné à l'esprit de quelque naturaliste. Mais tous ces traits étaient épars; c'est seulement dans ces dernières années qu'ils ont pu être réunis.

L'individu étant ainsi connu dans sa constitution intime et dans son mode probable d'évolution paléontologique, il faut déterminer comment cette constitution arrive à se réaliser dans chaque individu: c'est là le rôle de l'embryogénie, dont nous devons mieux préciser que nous ne l'avons fait jusqu'ici la part contributive à l'édification de la philosophie zoologique.

CHAPITRE XIX

L'EMBRYOGÉNIE

L'épigenèse et l'embryogénie.—Harvey: Influence de la théorie cellulaire.—L'œuf considéré comme cellule.—Théorie des feuillets blastodermiques.—Généralisation exagérée des résultats obtenus par l'étude des vertébrés.—L'embryogénie au point de vue de l'histogenèse et de l'organogenèse.—Serres et l'anatomie transcendante: l'embryogénie considérée comme une anatomie comparée transitoire; arguments à l'appui de cette théorie.—Classifications embryogéniques; causes de leur insuffisance.—L'embryogénie d'un organisme en est la généalogie abrégée.—Accélération embryogénique; phénomènes perturbateurs qui en résultent.—Liens réels entre l'embryogénie, la morphologie générale et la paléontologie.

L'embryogénie ne date évidemment que du jour où fut définitivement renversée l'hypothèse que l'être vivant était tout entier contenu dans le germe; que toutes ses transformations consistaient dans un accroissement de ses parties et dans le fait que des organes d'abord invisibles, quoique ayant une existence réelle, devenaient peu à peu apparents. Une hypothèse à laquelle se rattachaient les grands noms de Swammerdam, de Malebranche, de Leibnitz, de Haller, de Bonnet et de Cuvier lui-même devait, si stérile qu'elle fût, résister longtemps aux efforts tentés pour la renverser. Jusque dans la première moitié de ce siècle, ses partisans luttèrent contre l'évidence même, et cependant, dès 1652, Harvey, en affirmant que tout être vivant procède d'un œuf, avait posé sur ses bases véritables le problème embryogénique. C'était là, à la vérité, une intuition de génie, mais une simple intuition; l'aphorisme: «Omne vivum ex ovo,» ne pouvait avoir toute sa valeur que si l'on établissait, au préalable, en quoi consistait un œuf, et si l'on retrouvait des œufs chez tous les êtres vivants. Régner de Graaf, mort en 1673, aperçut le premier l'œuf des mammifères dans les trompes de la matrice et découvrit la partie de l'ovaire où se forme l'œuf, mais sans y reconnaître l'œuf lui-même. Cent cinquante ans après seulement, von Baër établit que c'est précisément dans le follicule de Graaf que l'œuf des mammifères prend naissance, mais l'assimilation des parties de cet œuf à celles de l'œuf des oiseaux ne put être faite d'une manière satisfaisante qu'en 1834 par Coste.

La découverte des spermatozoïdes, due à de Hamm et à Leuwenhoek, ne servit guère d'abord qu'à alimenter les discussions entre les ovulistes et la animalculistes, les uns voulant que le germe réside dans l'œuf, les autres dans le spermatozoïde, et ce sont des contemporains, MM. Prévost et Dumas, qui ont définitivement établi que la pénétration des spermatozoïdes dans l'œuf est, en général, nécessaire au développement de ce dernier et constitue, à proprement parler, la fécondation. Toutefois, comme l'a observé M. de Quatrefages sur les œufs de Hermelle, comme cela résulte du développement constant des œufs non fécondés des abeilles et d'autres hyménoptères, et de beaucoup d'autres faits analogues, la fécondation n'est pas indispensable au début du travail génésique. Swammerdam avait déjà vu que les matériaux de l'œuf fécondé se partageaient en plusieurs masses distinctes. Ce sont aussi MM. Prévost et Dumas qui ont établi que cette segmentation du vitellus de l'œuf était le premier phénomène de l'évolution embryonnaire. Bientôt on reconnut la généralité à peu près absolue de ce phénomène, dont toute l'importance ne devait apparaître qu'après l'établissement de la théorie cellulaire. Les anatomistes ne tardèrent pas, en effet, à pressentir que l'œuf n'était autre chose qu'une cellule, le premier des éléments histologiques de l'embryon, le progéniteur de tous les autres. Kölliker en conclut aussitôt que la segmentation n'est qu'une forme de la division cellulaire; et il soutient, avec Bischoff, Reichert et Virchow, que toutes les cellules de l'embryon, toutes celles de l'animal adulte descendent par une série ininterrompue de divisions successives, par une véritable filiation, de la cellule ovulaire. À l'aphorisme Omne vivum ex ovo de Harvey vint s'ajouter l'aphorisme de Virchow: Omnis cellula è cellula. Au fond, la seconde de ces propositions comprend la première. Les êtres vivants les plus simples pouvant être considérés comme constitués par un élément histologique, par un plastide unique, et réciproquement les plastides ou cellules associées pour former un organisme étant eux-mêmes de véritables êtres vivants, ayant une existence, indépendante, l'aphorisme de Harvey et celui de Virchow reviennent à dire qu'il ne saurait y avoir de génération spontanée ni dans les organismes vivants, ni en dehors d'eux. À la vérité, il faut ici s'entendre sur les mots, et cette proposition n'exclut pas la possibilité de la transformation en cellules bien définies de masses protoplasmiques amorphes, telles que celles qu'on a quelquefois signalées dans les tissus en voie de formation sous le nom de blastèmes. Cette opinion a été soutenue par des histologistes éminents, tels que M. Ch. Robin.

Savoir comment procèdent de l'œuf tous les éléments qui concourent à former le corps humain ou celui d'un animal, déterminer toutes les étapes que traverse l'embryon avant d'arriver à l'état d'organisme définitif, tel est désormais le problème tout entier de l'embryogénie, problème qui se complique de cet autre: déterminer la raison d'être de ces formes successives, souvent si différentes les unes des autres, que l'embryon ne fait que traverser pour arriver à une forme dernière qui marque le terme de son évolution.

Bien avant que la signification de l'œuf et des premières phases de son évolution ait pu être comprise, les phénomènes embryogéniques étaient déjà considérés sous deux points de vue différents. Tandis que certains embryogénistes s'efforçaient surtout de déterminer le mode de formation des tissus et des organes, d'autres envisageaient surtout les rapports généraux qui peuvent exister entre les formes successives des embryons et celles des animaux adultes. Il est aujourd'hui possible de rattacher étroitement les uns aux autres les résultats obtenus dans ces deux directions différentes; mais les deux écoles n'en ont pas moins laissé des traces séparées. Il est encore facile de reconnaître leur influence respective dans les recherches de nos contemporains.

L'homme, quelques rares mammifères, le poulet servaient naturellement de point de départ aux embryogénistes qui se préoccupaient de rechercher le mode de formation des tissus et des organes. L'embryogénie, comme les autres branches de l'histoire des animaux, se trouva donc engagée, dès le début, dans cette voie essentiellement antiscientifique qui consiste à prendre comme types les phénomènes les plus compliqués et à tenter d'y ramener les plus simples, au lieu de procéder, comme dans les sciences expérimentales, du simple au composé.

Gaspard-Frédéric Wolf (1733-1794) avait vu, chez le poulet, le tube intestinal apparaître sous la forme d'un feuillet plan qui se repliait peu à peu et dont les bords arrivaient finalement à se souder. Il admit une origine analogue pour les autres systèmes d'organes, et Pander, en 1817, évalua à trois le nombre des feuillets superposés d'où provenaient tous les organes. Ces trois feuillets germinatifs, dont il est aujourd'hui sans cesse question dans les recherches embryogéniques, étaient, pour Pander, le feuillet muqueux, le feuillet séreux et le feuillet vasculaire. Sous l'influence évidente d'idées théoriques analogues à celles de Bichat, Von Baër porta à quatre le nombre des feuillets embryogéniques et les divisa en deux couches: la couche animale, comprenant le feuillet cutané et le feuillet musculaire; la couche végétative, comprenant le feuillet vasculaire et le feuillet muqueux. Depuis les recherches de Reichert et de Remak, on s'accorde assez généralement aujourd'hui à admettre trois feuillets blastodermiques: 1° l'exoderme ou feuillet externe qui produit l'épiderme, le système nerveux ainsi que leurs dépendances, et qu'on pourrait, par suite, appeler le feuillet sensoriel; 2° le mésoderme ou feuillet moyen, qui produit les muscles et les vaisseaux, et qu'on désigne aussi sous le nom de feuillet moto-germinatif; 3° enfin l'entoderme ou feuillet interne, qui, produisant l'épithélium du tube digestif et celui des glandes qui en dépendent, mérite la dénomination de feuillet intestino-glandulaire.

Avoir ramené tous les phénomènes embryogéniques à l'histoire des transformations des trois feuillets distincts, c'était sans doute avoir singulièrement facilité la comparaison de ces phénomènes chez les divers organismes. Les observateurs n'ont, en conséquence, cessé de mettre tous leurs soins à retrouver ces feuillets chez les embryons de tous les animaux, à déterminer leur mode de formation et leurs transformations diverses, étendant ainsi au règne animal tout entier les résultats qui avaient été fournis par l'étude des seuls vertébrés. Une telle généralisation n'a pu être obtenue sans modifier considérablement le sens primitif des mots. Les embryons de la plupart des animaux inférieurs ne sont plus constitués par trois lames planes superposées, mais par deux sacs emboîtés l'un dans l'autre, ayant un orifice commun, et entre lesquels se forment de diverses façons des tissus nouveaux auxquels on a appliqué en bloc la dénomination de mésoderme. Ces deux sacs eux-mêmes n'existent pas toujours. Les larves des éponges, celles de la plupart des cœlentérés ne présentent que tardivement des parties comparables à un exoderme et à un entoderme, de sorte qu'aucune théorie générale de l'embryogénie ne saurait prendre pour point de départ les trois feuillets blastodermiques des vertébrés. Aussi bien le problème n'est-il pas de retrouver plus ou moins exactement les analogies de ces feuillets dans le règne animal tout entier, mais d'expliquer pourquoi l'embryon de la plupart des vertébrés se trouve au début formé de trois feuillets plans. La théorie des feuillets a pu avoir son utilité, au point de vue de l'organogenèse ou de l'histogenèse; elle a permis de coordonner un certain nombre de faits; mais la philosophie zoologique n'a évidemment rien à attendre d'une doctrine qui regarde tout d'abord comme résolu le problème dont elle devrait, au contraire, se proposer la solution.

Des horizons autrement étendus s'ouvrent devant les embryogénistes qui se placent au point de vue de la morphologie générale et recherchent quels rapports peuvent exister entre les formes embryonnaires et les formes adultes des animaux de même groupe.

La ressemblance évidente que les têtards des grenouilles et des autres batraciens présentent avec les poissons avait déjà inspiré à Kielmeyer l'idée que les animaux supérieurs traversent, avant d'arriver à l'état adulte, les formes que montrent à l'état permanent les animaux inférieurs du même groupe. Nous avons retrouvé cette idée dans les écrits d'Autenrieth, dans ceux des philosophes de la nature et surtout dans ceux de Geoffroy Saint-Hilaire, qui en fait la plus heureuse application à la détermination des parties analogues dans les diverses classes de vertébrés; mais un élève de Geoffroy, qui fut, comme lui, professeur au Muséum d'histoire naturelle, Serres, est, sans contredit, le savant qui fit le plus d'efforts pour mettre en relief les liens étroits qu'il pressentait entre l'embryogénie, l'anatomie comparée et même la morphologie extérieure des animaux[134]. À l'exemple des philosophes de la nature, avec qui il n'est pas sans présenter parfois un peu trop de ressemblance, Serres admet comme un principe évident que «la constitution de l'homme est en réalité un petit monde[135]» dans lequel doit venir se refléter l'histoire entière du règne animal. Cette hypothèse, qui pourrait être la conclusion finale de toute sa philosophie, en est, en réalité, le point de départ. C'est un a priori autour duquel il essaye de grouper les faits, et la doctrine qu'il édifie sur cette base n'est pas, au premier abord, sans une certaine apparence de grandeur. L'homme étant le résumé du règne animal, ses organes, ses appareils traversent successivement, au cours de leur développement, les états définitifs que présentent les mêmes organes, les mêmes appareils dans les genres, les familles et les classes dont se compose l'échelonnement du règne animal. L'histoire de la formation des organes de l'homme est ainsi en petit la répétition de l'histoire des organes des animaux. «La série animale n'est qu'une longue chaîne d'embryons, jalonnée d'espace en espace, et arrivant enfin à l'homme[136].» Doués d'une somme de vie plus ou moins grande, les organismes inférieurs s'arrêtent plus ou moins tôt dans la voie que parcourt rapidement l'embryon humain. «Arrêt d'une part, marche progressive de l'autre, voilà tout le secret des développements, voilà la différence fondamentale que l'esprit humain peut saisir entre l'organogénie humaine d'une part et l'anatomie comparée d'autre part,» et l'on peut dire que «l'organogénie humaine est une anatomie comparée transitoire, comme, à son tour, l'anatomie comparée est l'état fixe et permanent de l'organogénie de l'homme

Dans sa discussion académique avec Cuvier, É. Geoffroy Saint-Hilaire avait été conduit à ramener implicitement l'unité de plan de structure du règne animal à l'unité de plan de développement. C'est cette dernière unité qui est, suivant Serres, la loi même de la nature, «de sorte que le règne animal tout entier n'apparaît plus que comme un seul animal qui, en voie de formation dans les divers organismes, s'arrête dans son développement, ici plus tôt et là plus tard, et détermine ainsi, à chaque temps de ces interruptions, par l'état même dans lequel il se trouve alors, les caractères distinctifs et organiques des classes, des familles, des genres, des espèces[137].» L'histoire des animaux inférieurs, l'histoire des monstres, l'histoire des animaux fossiles se rattachent ainsi étroitement à l'organogénie, et l'on comprend qu'en présence des vastes domaines qu'il essaye de lui conquérir, Serres ait décoré la science grandiose qu'il entrevoit du nom d'anatomie transcendante. Pourtant le point de vue auquel s'est placé l'ingénieux professeur d'anatomie comparée du Muséum n'est point encore assez élevé. Sa préoccupation de retrouver l'homme partout l'empêche de bien saisir toute la variété du règne animal et de reconnaître les véritables rapports qui unissent entre elles les formes vivantes. On se tromperait étrangement si l'on croyait que les choses, dans la nature, se passent aussi simplement que Serres le supposait. Si l'homme s'élève par son intelligence à une hauteur incommensurable au-dessus du règne animal, si son cerveau peut être considéré comme indiquant, au point de vue du système nerveux, le terme extrême de l'évolution organique, il n'en est certainement pas de même de ses autres organes. Les organes de la digestion sont, chez l'homme, moins parfaits que chez les ruminants; ses organes de la respiration et de la circulation sont moins compliqués que les organes analogues des oiseaux, et ses autres organes de nutrition n'ont rien qui les place incontestablement au-dessus de ceux de beaucoup d'animaux. Ses organes des sens sont moins délicats que ceux de beaucoup de mammifères carnassiers et sa main, sur laquelle on a écrit tant de dithyrambes, est beaucoup moins éloignée des formes primitives, toutes pentadactyles, que le pied d'une antilope ou d'un cheval. Il n'y a donc aucune raison pour que l'embryogénie humaine résume celle du règne animal tout entier, pour qu'elle soit, à elle seule, une anatomie comparée complète. À aucune phase de son développement un embryon humain n'est un véritable poisson; il n'est pas davantage reptile ou oiseau à une phase plus avancée. Voilà ce qui est objecté par tous les embryogénistes à la théorie de Serres, et ce qui fera tomber dans le discrédit son anatomie transcendante.

Cependant une grande partie des faits sur lesquels elle s'appuie ne sauraient être mis en doute. Bien réellement la circulation du fœtus de mammifères rappelle à un certain moment celle des reptiles; la constitution de leur crâne n'est pas au début sans analogie avec celle du crâne des poissons; leur face présente tout d'abord des arcs comparables aux arcs branchiaux des poissons; les premières phases du développement de la tête et du corps sont communes à tous les vertébrés. D'autre part, les très jeunes batraciens sont par toute leur organisation de véritables poissons; les embryons des oiseaux ont beaucoup plus d'analogie avec les reptiles que n'en ont les oiseaux adultes, et, si l'on compare, dans l'embryon des vertébrés et dans celui des animaux articulés, la position des principaux systèmes d'organes relativement au vitellus, on est frappé de trouver chez ces embryons une identité absolue, là où les adultes ne présentent qu'opposition.

À ces faits, connus depuis plus ou moins longtemps, chaque jour vient en ajouter de nouveaux, et l'embryogénie ne cesse de causer les plus grandes surprises aux zoologistes. Sans parler de ces phénomènes si merveilleux des générations alternantes, dont nous avons précédemment montré toute l'importance, on découvre que le plus grand nombre des acalèphes de Cuvier commencent par être des polypes; ces deux classes d'animaux sont désormais confondues, et il semble qu'on puisse considérer les polypes comme des acalèphes arrêtés dans leur développement. Johannes Müller étudie les singulières métamorphoses des échinodermes, et l'on peut un moment se croire en droit de comparer à des acalèphes les larves transparentes de ces rayonnés. Un instant, Thomson croit avoir découvert une petite encrine vivant sur nos côtes; il constate bientôt que cette encrine n'est autre chose qu'une larve de comatule; le comatule reproduit ainsi, dans son jeune âge, une forme inférieure de son groupe, dont presque tous les représentants sont demeurés à l'état fossile. Les animaux actuels peuvent donc ressusciter, dans leur jeune âge, des formes vivantes aujourd'hui disparues, et voilà rendu probable ce lien entre la paléontologie et l'embryogénie que Serres se plaît à signaler.

Bien qu'elles n'aient pas cette signification, les métamorphoses des Trématodes et des Cestoïdes peuvent si bien paraître relier les vers parasites aux infusoires que Louis Agassiz propose la suppression de cette classe d'êtres microscopiques, qui ne sont, suivant lui, que des larves d'animaux plus élevés. Le développement des annélides suggère à M. Milne Edwards et à M. de Quatrefages les belles idées que nous avons déjà exposées. Thompson, Nordmann et d'autres observateurs montrent que tous les crustacés inférieurs ont une forme larvaire commune, le nauplius, que l'on avait pris d'abord pour un organisme autonome, pour un genre spécial de crustacés. Beaucoup de crustacés décapodes sont, à leur naissance, de véritables schizopodes; les Crabes conservent longtemps un abdomen normal avant de devenir brachyures. Fait plus remarquable encore, Thompson découvre que le nauplius est aussi la forme larvaire des cirripèdes, qui abandonnent ainsi définitivement l'embranchement des mollusques pour entrer dans celui des arthropodes; Spence Bate démontre que, après avoir été nauplius, les cirripèdes prennent une forme qui rappelle complètement celle d'autres crustacés, les cypris, en qui l'on pourrait voir dès lors des cirripèdes arrêtés dans leur développement. De nombreuses recherches très concordantes établissent que tous les mollusques gastéropodes d'une part, tous les mollusques lamellibranches de l'autre, ont une forme larvaire commune, et que ces deux formes peuvent aisément se ramener l'une à l'autre. Les gastéropodes nus ne se distinguent pas tout d'abord des autres, et leur larve possède une coquille et un opercule comme celle des gastéropodes ordinaires; l'étude du développement du taret montre à M. de Quatrefages que ce lamellibranche si étrange, quand il est adulte, revêt d'abord la même forme larvaire que les autres lamellibranches et présente ensuite, comme eux, une coquille bivalve dans laquelle il peut se retirer complètement. Bien plus, les magnifiques études de M. de Lacaze-Duthiers sur le Dentale révèlent cette particularité frappante d'un mollusque intermédiaire entre les gastéropodes et les lamellibranches dont la larve est d'abord à très peu près celle d'un ver et devient ensuite identique à une larve de lamellibranche ordinaire. La larve des oscabrions, observée par Lovén, a également toute l'apparence d'une larve de ver. Les mollusques que Serres comparait à des fœtus de vertébrés qui ne se seraient jamais débarrassés de leurs membranes fœtales, revêtiraient donc tout d'abord la forme de vers.

Les services rendus par l'embryogénie à la zoologie systématique ne cessent ainsi de se multiplier. Les rapports les plus imprévus sont souvent établis par elle entre des groupes dont il était impossible de supposer la parenté. Non seulement on se trouve obligé de reconnaître l'identité spécifique d'êtres que l'on plaçait dans des genres ou même des familles différentes, mais des classes entières d'animaux doivent être abolies. Les naturalistes les plus éminents affirment l'impossibilité de déterminer la position systématique d'un animal quelconque si l'on ne s'est astreint à le suivre depuis les premières phases d'évolution de l'œuf d'où il doit sortir, jusqu'à ce qu'il devienne lui-même capable de se reproduire par voie sexuée. C'est l'origine de ces belles monographies dont M. de Quatrefages a donné le modèle lorsqu'il écrivit l'Histoire naturelle du Taret, et dont M. de Lacaze-Duthiers n'a cessé depuis trente ans d'enrichir la science française.

Le sens du mot embryogénie s'étend d'ailleurs beaucoup. La génération agame, la génération alternante, les métamorphoses, qu'elles s'accomplissent dans l'œuf ou hors de l'œuf, rentrent désormais dans le cadre des recherches embryogéniques. Nous avons montré, en traitant de ces phénomènes, quels liens étroits les unissent aux phénomènes de développement proprement dit et quelle lumière a répandue leur étude sur le mode de constitution des organismes.

L'embryogénie ne pouvait prendre une si grande importance sans qu'on cherchât à systématiser les résultats auxquels elle avait conduit. L'explication des transformations que subit chaque organisme dans son évolution individuelle paraît beaucoup trop éloignée pour qu'on s'en embarrasse beaucoup; on ne s'arrête pas plus qu'il ne faut à la tentative de Serres; mais on demeure convaincu que son avortement n'est pas définitif, et, en attendant d'avoir découvert une meilleure formule, on fait servir à la classification les caractères transitoires fournis par l'embryogénie, malgré la réprobation dont Cuvier les avait frappés.

Von Baër peut être considéré comme le premier qui ait publié une classification purement embryogénique. Les quatre modes d'évolution qu'il distingue dans le règne animal ne lui servent à la vérité qu'à reconstituer, à peu de chose près, les embranchements de Cuvier; mais la caractéristique de l'embranchement des vertébrés, par rapport à celui des articulés, est si nette que c'est la seule qui ait pu être conservée de nos jours, et les subdivisions qu'il propose pour cet embranchement ont servi de point de départ à tous les perfectionnements ultérieurs. C'est là, en effet, que pour la première fois les vertébrés pourvus d'une allantoïde sont séparés de ceux qui n'en ont pas, et qu'il est fait appel aux dispositions diverses du cordon ombilical de l'allantoïde et du placenta, pour distinguer, parmi les mammifères, les sous-classes et les ordres. On sait quel heureux parti on a tiré depuis, pour la classification des mammifères, des diverses modifications de forme que peut présenter leur placenta.

Les groupes primordiaux de Von Baër étaient insuffisamment caractérisés. M. Van Beneden a pensé à définir ces groupes en se servant comme caractères des rapports de l'embryon et du vitellus. Il nomme Hypocotylédonés ou Hypovitelliens les animaux dont l'embryon repose sur le vitellus par son côté ventral (vertébrés); Epicotylédonés ou Epivitelliens, ceux dont le vitellus est dorsal (articulés); Allocotylédonés, tous les autres animaux, qui reconstituent ainsi l'ancienne grande classe des Vermes de Linné. Il est évident que cette dernière division, basée sur des caractères exclusivement négatifs, n'est nullement équivalente aux deux autres. Cela seul suffit à montrer qu'au moment où le système de Van Beneden a été conçu l'embryogénie n'avait pas encore dit son dernier mot.

M. Kölliker a préféré faire intervenir, pour caractériser ses divisions, la part plus ou moins grande que prend le vitellus à la formation de l'embryon. Enfin, M. Carl Vogt a proposé, à son tour, un système dans lequel il tient compte des caractères employés par Von Baër, Van Beneden et Kölliker, mais où il introduit en même temps d'autres caractères empruntés à l'anatomie ou tirés de l'existence d'un vitellus céphalique chez les Céphalopodes.

Il faut bien le dire, ces essais de classification n'ont pas été heureux, et il en a été de même de tous ceux qu'on a essayé depuis de baser sur l'embryogénie. On pouvait mieux espérer d'une science qui avait permis de faire aux anciennes méthodes de si heureuses rectifications, qui avait introduit tant d'idées nouvelles dans la biologie. Comment expliquer les déceptions qu'elle semble avoir causées? Cela est facile.

On remarquera que dans toutes les prétendues classifications embryogéniques qui ont été proposées, y compris les plus modernes, il n'a été tenu aucun compte de la signification relative des phénomènes embryogéniques. Depuis Bonnet jusqu'à Fritz Müller, les naturalistes se sont efforcés en vain de démontrer, dans des spéculations trop générales pour être précises, que le développement de l'individu n'était autre chose que la répétition abrégée du développement de son espèce. Cette proposition, que tous les transformistes acceptent aujourd'hui et qui semblerait devoir mériter de nouveau à l'embryogénie le titre d'anatomie transcendante, cette idée qui semblerait devoir être si féconde, ne trouve son application dans aucune des classifications proposées.

C'est qu'en effet l'embryogénie d'un animal est la résultante d'au moins trois facteurs qui interviennent simultanément pour produire la série des phénomènes qu'elle présente. Ces facteurs sont: 1° l'hérédité, 2° l'accélération embryogénique, 3° le mode de nutrition de l'embryon, l'indépendance des plastides, des tissus, des organes et des appareils.

En vertu de l'hérédité, un animal devrait passer, dans le cours de son développement, par la série de toutes les formes qu'ont revêtues ses ancêtres directs dans la succession des temps. Comme ces ancêtres ont laissé des descendants modifiés de diverses façons et d'autres qui reproduisent plus ou moins exactement les formes ancestrales, il est évident que, si notre proposition est vraie, l'embryogénie comparée devrait toujours permettre de reconnaître le degré de parenté des animaux appartenant à une même lignée; à elle seule, elle devrait fournir les moyens de dresser un arbre généalogique authentique du règne, de formuler les lois de l'anatomie comparée, d'instituer une méthode de classification vraiment naturelle. Les caractères fournis par elle devraient primer tous les autres.

Toutes ces conclusions sont parfaitement légitimes, mais c'est à la condition que rien ne soit venu troubler la succession des formes imposées par l'hérédité à l'embryon, que rien ne soit venu modifier ces formes elles-mêmes. Or il n'en est pas ainsi. Toutes les formes qu'ont revêtues les ancêtres d'un animal donné étaient nécessairement des formes capables de se prêter à une existence indépendante, au moins pendant la période de reproduction. Quelle que soit l'époque où l'on vienne à briser les enveloppes d'un œuf, il semblerait donc que l'embryon abrité par elles devrait être capable de continuer à vivre librement, de chercher lui-même sa nourriture, d'assurer son développement ultérieur. Or chacun sait qu'il n'en est pas ainsi. Si les formes successives de l'embryon sont des formes ancestrales, ce sont certainement des formes ancestrales profondément modifiées. Comme, au point de vue de la comparaison des animaux adultes, que visent avant tout la classification et l'anatomie, les formes ancestrales ont seules de l'importance, tant qu'on n'aura pas distingué, dans les formes de l'embryon, ce qui est primitif de ce qui est modifié, ces formes ne pourront donner que des indications douteuses.

Cette distinction serait évidemment facilitée si l'on connaissait les causes qui ont modifié l'embryogénie telle qu'elle devrait être théoriquement. Or parmi ces causes sont précisément les trois autres facteurs dont nous avons parlé tout à l'heure et dont il nous faut apprécier l'influence. En premier lieu, il est évident que, si l'embryon passe par toutes les phases qu'a traversées son espèce, il en abrège considérablement la durée. À mesure que les générations de forme différente se succèdent, cette durée se raccourcit de plus en plus de manière que le développement tienne à peu près dans le même espace de temps; il y a donc nécessairement une accélération de plus en plus grande des phénomènes embryogéniques. Cette accélération entraîne avec elle des modifications rapides de la forme de l'animal, analogues à celles que subissent les larves d'insectes, arrivées au terme de leur croissance. Pas plus pour les embryons, en général, que pour les larves d'insectes, ces transformations incessantes ne peuvent s'accorder avec l'activité des organes. L'embryon passe donc, au repos, protégé par les enveloppes de l'œuf, la plus grande partie de sa période de développement. Toutefois, dans un même groupe zoologique, son éclosion peut avoir lieu aux stades évolutifs les plus divers. C'est ainsi que, dans l'ordre des crustacés décapodes, les Penœus sortent de l'œuf à l'état, de Nauplius, les crevettes et la plupart des autres Décapodes à l'état de Zoë qui succède, chez les Penœus, à celui de Nauplius. Ces Zoës revêtent ensuite l'aspect des Mysis, et c'est sous ce dernier aspect seulement qu'éclosent les Scyllares, les Langoustes et même les Homards; enfin le stade Mysis est, à son tour, traversé dans l'œuf par les Bernard l'Ermite et les Écrevisses, qui naissent avec tous les caractères des vrais décapodes.

On peut conclure de là que l'accélération embryogénique est loin d'être la même pour toutes les espèces d'un même groupe. Ses effets peuvent être très variés, porter sur tel stade plutôt que sur tel autre, laisser subsister celui-ci tandis que celui-là sera devenu méconnaissable ou sera même entièrement supprimé. Enfin, l'accélération portant sur tous les stades en même temps, le développement courant, en quelque sorte, vers le but à atteindre de manière à réaliser l'animal adulte le plus rapidement et le plus économiquement possible, la marche entière des phénomènes d'évolution pourra être entièrement transformée: c'est ainsi que les phases entières du développement pourront être sautées, que la cavité générale et les organes qu'elle contient se constituent de diverses façons, que des enveloppes embryonnaires, résultant des mues accomplies dans l'œuf ou de diverses autres causes apparaîtront ou non, sans que les formes réalisées au terme du développement diffèrent essentiellement les unes des autres.

D'autre part, les transformations, les métamorphoses que l'embryon subit sous les enveloppes de l'œuf représentent un travail qui ne peut s'accomplir si les éléments anatomiques qui prennent part à ce travail ne sont pas suffisamment nourris. Un certain degré d'accélération embryogénique comporte donc l'accumulation dans l'œuf de réserves alimentaires que l'embryon trouvera à sa portée; plus l'éclosion sera tardive, plus la réserve devra être considérable, et la présence simultanée, dans un espace restreint, d'une provision d'aliments et d'un embryon qui se développe, devra entraîner dans la façon d'évolution de celui-ci des modifications importantes. À ce genre de modifications appartiennent, sans aucun doute, l'apparition plus ou moins tardive de la bouche, son mode de formation, ou encore la disposition en feuillets superposés et largement ouverts, des premières ébauches embryonnaires des vertébrés. Si l'on examine les caractères sur lesquels ont été fondées les diverses classifications embryogéniques, il est évident que les seuls auxquels on ait fait appel sont précisément ceux qui résultent de l'intervention de ces deux éléments perturbateurs des phénomènes embryogéniques normaux: l'accélération embryogénique, l'accumulation de matériaux nutritifs dans l'œuf. Il est cependant bien clair que de tels caractères ne sauraient avoir qu'une importance tout à fait subordonnée. Ils ne pourront être utilement employés que dans les groupes très élevés, où une adaptation étroite à certaines conditions d'existence aura entraîné, chez l'embryon, l'apparition de véritables organes héréditaires, chargés de le nourrir. C'est ainsi que l'allantoïde distingue les vertébrés définitivement adaptés à l'existence aérienne de ceux qui ne le sont pas encore complètement ou qui ne le sont pas du tout; que les différentes formes du placenta dénotent assez bien les affinités qui existent entre les ordres de la classe des mammifères. Mais là ce sont de véritables organes, bien définis, constitués par une longue élaboration, qui interviennent dans la classification au même titre que les pattes ou les dents de l'animal adulte, et non des modes de développement. Toutes les classifications purement embryogéniques sont donc tombées parce qu'elles ont emprunté leurs caractères à des mécanismes de développement qui peuvent se reproduire dans les types les plus divers, à des processus résultant des perturbations de l'embryogénie normale, et non aux phénomènes essentiels de celles-ci. Avant que l'hypothèse du transformisme ait donné à l'embryogénie la valeur d'un véritable état civil, les naturalistes, sans doute par une réaction bien naturelle contre les exagérations des philosophes de la nature, ont trop perdu de vue ce parallélisme entre le développement individuel des organismes supérieurs et la série des êtres qui, partant des formes les plus simples, s'élève graduellement jusqu'à eux; depuis que la doctrine de l'évolution a conduit à attribuer à l'embryogénie de chaque animal la valeur d'un livre généalogique, on a trop négligé le texte même du livre pour ses enluminures, et cela était presque inévitable, étant donnés les errements où avaient été engagés les embryogénistes par suite de la prépondérance qu'ils attribuaient à l'embryogénie humaine.

Actuellement, grâce aux nombreuses et importantes recherches dont les animaux inférieurs ont été l'objet, la morphologie et l'anatomie comparée sont en mesure de montrer par quelle voie se sont constitués les grands types organiques, de déterminer comment les organismes appartenant à chacun de ces types se sont graduellement compliqués, d'indiquer par conséquent la marche normale des phénomènes embryogéniques. On entrevoit donc la possibilité de déterminer exactement en quoi ces phénomènes ont été troublés dans chaque cas, et de remonter jusqu'à la cause des perturbations. Le moment semble donc venu où il sera possible de relier par les liens les plus intimes, comme Serres l'espérait, l'embryogénie à la morphologie et à la paléontologie.

* * * * *

Nous avons montré dans ce chapitre et dans le précédent comment se sont établies les notions que nous possédons sur le mode de constitution de l'individu. C'est à l'aide d'éléments anatomiques, ou de véritables organismes, nés les uns des autres, mais variables dans leur forme avec les circonstances extérieures ou avec leur ordre de succession, que les individus organiques quelque peu compliqués se sont formés. Ces individus, qui sont eux-mêmes capables de donner naissance à des individus nouveaux, peuvent-ils revendiquer réellement, pour leurs descendants, une permanence de la forme que nous ne trouvons à aucun degré dans les éléments ou les groupes d'éléments dont ils sont composés? Cette succession d'êtres nés les uns des autres est précisément ce que nous nommons une espèce. Nous sommes ainsi amenés à discuter enfin la question de la fixité ou de la variabilité des espèces.

CHAPITRE XX

L'ESPÈCE ET SES MODIFICATIONS

Revue rapide des idées relatives à l'espèce.—Position véritable dit problème de l'espèce: manières directes de résoudre ce problème.—Essais de solution indirecte.—Opposition de la race et de l'espèce.—Prétendus critériums de l'espèce: fécondité limitée; instabilité des formes hybrides.—Théorie de Godron.—Expériences et théorie de M. Ch. Naudin.—Identité de la race et de l'espèce.—Théorie de la variabilité limitée.—Comparaisons des doctrines d'Isidore Geoffroy Saint-Hilaire et de Charles Darwin.—Conclusions.

Le sens que nous devons attacher au mode de constitution de l'individu est évidemment lié d'une façon intime à cet autre problème: la série généalogique des êtres qui a abouti aux organismes vivant autour de nous et que nous rangeons dans une même espèce est-elle entièrement composée d'individus identiques entre eux, ou ces individus ont-ils subi de graduelles modifications qui permettent de considérer les animaux fossiles, différents des animaux actuels, comme leurs ancêtres, et autorisent à supposer que des animaux fossiles des dernières périodes géologiques on peut remonter à des formes de plus en plus simples aboutissant finalement à des plastides isolés?

Pour la première de ces alternatives se décident franchement Linné, Cuvier, de Blainville, Flourens, Dugès, Louis Agassiz. Les partisans de la variabilité des espèces sont tout aussi nombreux; mais ils entendent la variabilité de diverses façons. Pour Bonnet, la variabilité n'est qu'apparente; les germes ont reçu à l'origine des choses une organisation appropriée aux diverses époques géologiques; ils se développent lorsque ces époques ont amené des conditions qui leur sont propices. Pour Buffon, les espèces primitivement créées se modifient; mais leurs modifications, directement produites par l'action des milieux, sont de simples dégénérations du type primitivement établi. Étienne-Geoffroy Saint-Hilaire, Gœthe, Richard Owen, admettant que les êtres ont été créés avec leur degré actuel de complication et n'ont fait que se modifier dans le détail, se rapprochent beaucoup de l'opinion de Buffon, tout en montrant plus de hardiesse. Érasme, Darwin et Lamarck pensent, au contraire, que des formes très simples, créées par Dieu ou nées spontanément, se sont graduellement compliquées, perfectionnées pour arriver jusqu'à leur forme actuelle. De ces diverses opinions, quelle est la vraie? Avant l'époque où Darwin publia son livre mémorable sur l'origine des espèces, divers savants avaient cherché à formuler une réponse en discutant soigneusement tous les faits acquis à la science, en même temps que d'habiles expérimentateurs attaquaient le problème par divers moyens. Nous citerons surtout Flourens, Koelreuter, Godron, Isidore Geoffroy St-Hilaire et M. Naudin. Il faut reconnaître que leurs conclusions furent loin de s'accorder; mais il est facile de montrer que les longues discussions auxquelles a donné lieu la question de l'espèce tiennent, en grande partie, à ce qu'on y a mêlé une foule de questions accessoires, au lieu de se borner à suivre les faits pas à pas, à ce qu'on s'est jeté à corps perdu dans les pétitions de principe, au lieu de suivre résolument la méthode scientifique.

Choisissons un couple d'animaux aussi voisins l'un de l'autre que possible et considérons les divers individus nés de leur union. Ces individus, quoique frères et par conséquent incontestablement de même espèce, présentent déjà entre eux des différences suffisantes pour qu'un examen attentif permette toujours de les distinguer. Il est donc de toute évidence qu'il existe dans l'espèce des caractères qui varient en quelque sorte spontanément. De ces individus nés d'un même père et d'une même mère, faisons deux parts, dont l'une continue à vivre dans les conditions mêmes où vivaient les parents, tandis que l'autre, transportée sous un climat différent, sera placée dans des conditions d'existence aussi éloignées que possible des conditions premières. Sûrement, durant le cours de la croissance des individus, des dissemblances notables apparaîtront entre les deux groupes. Si, dans ces conditions d'existences différentes, on laisse les individus composant chacun des deux groupes se reproduire, il arrivera généralement qu'à chaque génération, les dissemblances s'accentueront et pourront, au bout d'un certain temps, devenir considérables. Finalement, si l'on ramène aux conditions d'existence premières les descendants du groupe qui en a été écarté, les caractères acquis se maintiendront très longtemps et seront transmis presque intégralement à leur descendance, à la condition de ne laisser s'unir que des individus présentant les mêmes déviations du type primitif. Les individus sur qui se sont fixés de la sorte des caractères nouveaux et héréditaires forment, dans l'espèce, un groupe nettement défini, auquel on donne le nom de race.

Les diverses espèces ne se prêtent pas aussi bien les unes que les autres à la formation des races. Il en est qui, transportées dans les contrées les plus variées, conservent tous leurs caractères avec une persistance remarquable. Certains papillons cosmopolites sont dans ce cas. De ce que ces espèces, pour des raisons qu'il y aurait lieu de rechercher, ne se laissent pas facilement briser en races, on ne saurait évidemment pas conclure que chez d'autres la formation des races ne soit au contraire relativement aisée, et c'est le seul point qu'il soit, pour le moment, indispensable de retenir.

Les races, une fois obtenues, demeurent pures si l'on ne laisse s'unir entre eux que des individus qui en présentent tous les caractères, et surtout si l'on maintient ces individus dans les conditions d'existence où la race s'est produite. Supposons maintenant que des individus ayant constitué une race nouvelle, par suite du transfert de leurs parents dans un pays éloigné de leur pays d'origine, aient subi dans leurs éléments reproducteurs, dans leurs organes génitaux, dans l'époque de leur accouplement, ou même dans les humeurs de leur organisme des modifications telles qu'ils ne puissent s'unir aux individus demeurés sur place; les deux races vivront côte à côte sans aucun mélange, et d'après toutes les définitions, sauf celles d'Agassiz, nous appellerons ces races des espèces. Nous avons fait ici une hypothèse: c'est que des individus de même espèce, mais de race différente, pouvaient subir des modifications de leur appareil reproducteur ou du reste de leur organisme capables de les isoler complètement des individus demeurés identiques à leurs parents communs. Toute la question de l'espèce est là: le jour où cette séparation sera constatée scientifiquement, le problème de l'espèce sera définitivement résolu, quelque difficulté que puisse présenter tel ou tel cas particulier. C'est de plus la manière la plus directe de le résoudre. On a avancé plusieurs faits de ce genre, mais ils ne sont malheureusement pas absolument concluants.

On obtiendrait encore une solution complète du problème par une marche inverse. Des espèces très voisines, dont l'accouplement serait authentiquement infécond, ne pourraient-elles être amenées, par l'obligation de vivre dans des conditions communes, à s'accoupler fructueusement? Plusieurs auteurs ont pensé qu'il avait dû en être ainsi de quelques-uns de nos animaux domestiques, les chèvres, les bœufs, les chiens surtout, dont les nombreuses variétés proviendraient d'espèces sauvages séparément domestiquées et mélangées ensuite. Ici, un point capital manque à l'argumentation, la preuve que les espèces dont il s'agit n'étaient pas de simples races. Mais ce qu'on n'a pu faire jusqu'ici est faisable pour l'avenir, et l'expérience mériterait d'être tentée.

Les deux procédés directs de solution faisant défaut, on a cherché à tourner la difficulté en étudiant les effets de l'accouplement d'individus unanimement considérés comme d'espèce différente: par exemple, le chien et le chacal, le chien et le loup, le chien et le renard, le chien et le chat; l'âne et le cheval, le chameau et le dromadaire, le mouton et la chèvre, le taureau et la biche, le mouflon et la brebis, le bouquetin et la chèvre, le bouquetin et la brebis, le chamois et la chèvre, les diverses espèces de lamas, le lièvre et le lapin, les diverses espèces de volailles et de passereaux, etc. On espérait trouver ainsi un critérium absolu de l'espèce, et l'on avait même formulé des lois à cet égard. Les accouplements entre individus de même espèce sont seuls indéfiniment féconds, disait Frédéric Cuvier; les hybrides nés de l'accouplement d'individus d'espèces différentes sont souvent stériles; quelquefois la stérilité n'apparaît qu'après un certain nombre de générations. Les accouplements entre individus de genre différent, ajoutait Flourens, sont toujours inféconds.

Frédéric Cuvier, Flourens et aussi Godron[138] sont d'accord pour considérer la fécondité limitée des hybrides comme une preuve de la fixité des espèces. On se demande, à la vérité, en quoi l'impossibilité de créer par des croisements des formes permanentes, intermédiaires entre deux formes spécifiques distinctes, peut démontrer que les formes spécifiques actuelles ne sont pas susceptibles de se modifier au point que les individus sur qui ont porté les modifications soient incapables de s'unir avec ceux qui ont gardé les caractères primitifs de la souche commune. Mais les savants dont nous venons de citer les noms admettent évidemment a priori la fixité de l'espèce et se préoccupent de chercher non pas des preuves de cette fixité, mais des arguments en sa faveur. Tout autre eût été leur manière de raisonner et d'expérimenter s'ils se fussent laissé guider exclusivement par les faits et les conclusions que suggère leur comparaison.

Ce que nous montre l'observation de tous les jours, c'est que les êtres vivants se perpétuent sous un certain nombre de formes qui sont toujours les mêmes et qui n'ont subi, depuis que nous sommes en état de les observer, que des modifications peu importantes. Ces formes sont ce que nous appelons les espèces. De ce fait la science doit avant tout rechercher l'explication, et elle la trouve dans cet autre fait que les animaux et végétaux d'espèce différente sont incapables, en se mêlant, de produire des formes intermédiaires stables et permanentes, soit parce que les croisements sont inféconds, soit parce que les hybrides sont stériles. Le physiologiste se demande alors quelle est la cause de cette infécondité des croisements, de cette stérilité des hybrides. À la première de ces questions, aucune réponse n'a été faite jusqu'ici. À la seconde, Koelreuter, M. Godron, M. Ch. Naudin répondent en démontrant que, chez les hybrides, les éléments reproducteurs et notamment les éléments mâles demeurent imparfaits; mais cette imperfection des éléments reproducteurs, qui d'ailleurs n'est pas constante, a une cause qu'il faudrait aussi découvrir; là se sont arrêtées les investigations, et le plus grand nombre des auteurs ont cru se tirer d'embarras en prétendant que le Créateur avait voulu de la sorte maintenir la pureté des espèces, ce qui est tout simplement tourner dans un cercle vicieux.

D'autre part, la barrière que le Créateur aurait établie entre les espèces est loin d'être toujours également solide. Les hybrides ne produisent jamais qu'entre animaux de même genre ou de genres voisins. Mais, dans ces limites, ils présentent tous les degrés possibles de fécondité. Le plus souvent, les mâles seuls sont inféconds, et les femelles peuvent être fécondées indifféremment par les mâles des deux espèces parentes. C'est le cas pour les mulets de l'âne et de la jument. D'autres fois, comme pour le chien et la louve, les métis peuvent produire entre eux pendant plusieurs générations, puis la stérilité survient; d'autres fois encore, comme pour le lièvre et la lapine, les métis sont indéfiniment féconds, comme si ces animaux, généralement si antipathiques l'un à l'autre, étaient de même espèce. Cette inconstance des caractères physiologiques des hybrides ne semble-t-elle pas indiquer que la distance qui sépare les unes des autres les espèces voisines n'est pas toujours la même? Les choses ne se passeraient pas autrement si les espèces voisines ou même celles que nous considérons comme de même genre étaient issues d'une souche commune. Les expériences sur l'hybridation, loin de démontrer la fixité des espèces, fournissent donc des arguments en faveur de la formation graduelle des espèces par suite d'une modification des espèces préexistantes, et c'est en effet la conclusion à laquelle M. Charles Naudin est conduit par ses belles recherches sur le croisement de nombreuses espèces de pavots, de mirabilis, de primevères, de datura, de tabacs, de cucurbitacées, etc.

«Un fait me frappe, dit cet habile expérimentateur[139], dans la contemplation du monde organisé et vivant qui nous entoure et dont nous faisons partie: c'est que, quelque variés qu'ils soient dans leurs formes, les êtres organisés ont entre eux de puissantes analogies. C'est en vertu de ces analogies que leur classement est possible en règnes, en classes, en familles, en genres, en espèces. Supprimez ces analogies, supposez autant de mondes radicalement différents qu'il y a d'individualités dans la nature, et toute possibilité de classement disparaîtra. Ce grand phénomène des analogies est-il susceptible d'explication? Oui, si l'on adopte le système de l'origine commune et de l'évolution des formes; non, si l'on s'en tient au système de la primordialité de ces formes. Voici sept à huit cents solarium disséminés sur une immense étendue de pays de l'Ancien et du Nouveau-Monde; tous sont distincts spécifiquement, mais tous se ressemblent par une certaine somme de caractères communs incomparablement plus importants, aux yeux du classificateur, que les différences tout extérieures, et je dirais même superficielles, qui les distinguent, puisque ces caractères communs leur assignent à tous leur place dans une même classe, une même famille, un même genre. Eh bien, je le demande, ces analogies sont-elles un fait sans cause dans l'ordre physique? Existent-elles fortuitement ou simplement parce qu'il a plu à Dieu qu'elles existassent? Si vous vous en tenez au système de l'origine indépendante des espèces, vous avez à choisir entre le hasard (une absurdité) et un fait surnaturel, c'est-à-dire un miracle, deux faits qui ne peuvent avoir cours dans la science. Accordez, au contraire, un ancêtre commun à toutes les espèces, généralisez dans le règne végétal cette faculté, dont les formes actuelles conservent un dernier reste, de se subdiviser graduellement, et suivant le besoin de la nature, en formes secondaires qui s'en vont divergeant à partir du point commun de leur origine, pour se subdiviser elles-mêmes en de nouvelles formes, vous arriverez sans secousses, et par le seul principe de l'évolution, jusqu'aux espèces, aux races et aux variétés les plus légères. Les traits superficiels varieront d'une forme à l'autre; mais le fond commun, essentiel, subsistera; vous pourrez avoir mille espèces dérivées, mais chacune d'elles portera l'empreinte de son origine, le signe de sa parenté avec toutes les autres, et c'est ce signe qui vous guidera pour les réunir dans une même famille, dans un même genre.»

C'est là la conclusion à laquelle Buffon, au début de sa carrière, redoutait de voir les naturalistes se laisser entraîner par l'usage des classifications, mais à laquelle il était plus tard arrivé lui-même.

Si les expériences sur les hybrides peuvent conduire à des conclusions aussi opposées que celles que soutiennent Godron et M. Naudin, il est indispensable d'avoir recours à d'autres arguments pour sauver le dogme de la fixité des espèces. On pense y parvenir par d'ingénieuses distinctions entre les espèces sauvages et les espèces domestiques, entre les espèces et les races, entre les hybrides et les métis. De là tout un système philosophique qui peut être résumé dans les propositions suivantes, textuellement empruntées à l'ouvrage de M. Godron, De l'espèce et de la race chez les êtres organisés[140]:

«1° Les espèces animales sauvages qui vivent actuellement ne se modifient pas, même sous l'influence des agents extérieurs, de manière à changer leurs caractères spécifiques. Ceux-ci sont inaliénables et fournissent toujours les moyens de distinguer nettement les unes des autres les espèces animales actuellement vivantes.

«2° Les seules modifications qu'elles éprouvent sont légères; elles naissent accidentellement et ne deviennent jamais permanentes, tant que les animaux continuent la vie sauvage.

«3° Il n'y a donc pas de races naturelles, dans le sens strict du mot; la race est le cachet de l'intervention de l'homme.

«4° Les espèces animales sauvages qui ont vécu dans les siècles antérieurs au nôtre, et en nous rapprochant autant qu'il est possible de l'origine de la période géologique actuelle, ont conservé leur conformation et leurs caractères distinctifs, comme le démontre l'étude des débris de ces espèces qui sont conservés depuis une longue suite de siècles[141].

«5° Malgré les changements qui ont pu se produire dans les agents physiques à l'action desquels les espèces sont soumises, elles ne se sont pas modifiées dans leur organisation, ni transformées de manière à se confondre les unes avec les autres ou à donner naissance à des types spécifiques nouveaux, de telle sorte que les animaux qui vivent aujourd'hui représentent exactement ceux de même espèce qui vivaient à l'origine de la période géologique actuelle et dont ils sont les descendants directs.

«6° Les espèces n'ont pas varié davantage durant les périodes géologiques qui ont précédé la nôtre. Les espèces vivant durant ces périodes n'ont pu, en conséquence, produire en se transformant celles qui sont nos contemporaines[142].

«7° Si cette transformation progressive des êtres était un fait réel, si les animaux et les végétaux les plus simples avaient, en se perfectionnant, donné naissance à des êtres plus complexes, si les invertébrés s'étaient métamorphosés en vertébrés, les poissons en reptiles, les reptiles en oiseaux et en mammifères, ou bien les plantes acotylédonées en monocotylédonées, puis dicotylédonées, des mutations aussi complètes n'auraient pu s'opérer que pendant une longue suite de siècles… En passant d'une période géologique à une autre, on trouverait des êtres en voie de transformation, de véritables intermédiaires qui représenteraient toutes les phases de ces métamorphoses, et le règne animal comme le règne végétal montreraient une série continue d'êtres se nuançant de manière qu'on ne puisse plus trouver entre les espèces de lignes de démarcation, de caractères spécifiques; on ne trouverait plus que confusion là où tout nous révèle un ordre admirable. Mais loin de là, nous observons au contraire, en comparant les êtres organisés de deux périodes géologiques successives, une interruption brusque entre les formes animales ou végétales; nous constatons que des faunes et des flores distinctes se remplacent dans la série régulière des formations, et tous ces faits viennent nous démontrer la pluralité et la succession de créations organiques spéciales aux divers âges de notre planète.

«L'espèce n'a donc pas plus varié pendant les temps géologiques que durant la période de l'homme; les différences qui ont pu et qui ont dû même se manifester, aux différentes époques géologiques, dans l'action des agents physiques, les révolutions, enfin, que notre globe a subies et dont il porte dans son écorce les stigmates indélébiles, n'ont pu altérer les types originairement créés; les espèces ont conservé, au contraire, leur stabilité, jusqu'à ce que des conditions nouvelles aient rendu leur existence impossible; alors elles ont péri, mais ne se sont pas modifiées.

«8° Si les espèces animales sauvages ne varient pas, si depuis leur création elles sont restées fixes, il n'en est pas de même des espèces domestiques; celles-ci, soumises depuis un temps plus ou moins long, et quelquefois depuis bien des siècles, à des conditions d'existence exceptionnelles et extrêmement variées, ont subi des modifications plus ou moins nombreuses et importantes dans leurs caractères physiques, dans leurs mœurs, dans leurs habitudes et même dans leurs instincts; enfin la domesticité est un modificateur d'autant plus puissant que son action a été plus complète et s'est prolongée pendant une plus longue période de temps[143].»

Godron ajoute plus loin[144] que ces modifications ont pu devenir héréditaires et produire ainsi des races durables, se distinguant nettement de l'espèce par la faculté que possèdent les individus appartenant aux races différentes d'une même espèce de se mêler en produisant des métis indéfiniment féconds, transmettant leurs caractères mixtes à leur descendance et susceptibles ainsi de servir de point de départ à autant de races intermédiaires qu'on en peut concevoir. Il termine sa théorie de la race par cette proposition: «Si Dieu a fait l'espèce, les races ou variétés permanentes sont le produit de l'industrie de l'homme.»

L'homme est lui-même considère comme constituant une espèce unique, profondément séparée du règne animal tout entier et méritant de constituer à elle seule un règne particulier, dominant les trois autres, le règne moral (de Barbençois, 1816), règne hominal (Fabre d'Olivet, 1822), ou règne humain. Rien d'étonnant dès lors que cet être privilégié participe dans une certaine mesure aux attributs de la divinité.

Ainsi l'espèce est, pour Godron, une entité totalement immuable quand elle est livrée à elle-même; les forces aveugles de la nature sont incapables de produire en elle aucune modification. Créée pour un milieu, pour des conditions d'existence déterminées, elle disparaît quand ces conditions viennent à changer. À chaque révolution du globe, la création tout entière est anéantie, une création nouvelle marque la renaissance du calme et de la stabilité; cette création demeure ce que Dieu l'a faite tant que dure la période de repos du globe pour laquelle elle a été instituée. Toutefois, l'apparition de l'homme ouvre une ère nouvelle pour les espèces animales et végétales; une intelligence faite à l'image de l'intelligence divine va désormais plier les formes vivantes à des exigences inconnues jusque-là. Ces formes vont céder dans une certaine mesure aux caprices de l'homme; mais celui-ci ne saurait parvenir à créer des espèces nouvelles, privilège qui n'appartient qu'à Dieu, il produit simplement des races et des variétés.

Il est impossible d'ériger plus complètement en système cette intervention du miracle dans les phénomènes naturels, que nous avons vu tout à l'heure si hautement repoussée par M. Naudin. Mais, de même qu'on ne peut être transformiste à demi, on ne peut être à demi partisan de la fixité des espèces; tous les tempéraments que l'on peut apporter aux deux doctrines ne servent qu'à marquer un désaccord, souvent inavoué, entre les faits qui entraînent avec eux des conclusions nécessaires, et de chères idées auxquelles on regrette de voir ces conclusions livrer bataille. En somme, quiconque croit à la fixité des espèces est rapidement amené à appeler le miracle à son aide; quiconque croit à la théorie de la descendance croit par cela même que pour la production des phénomènes biologiques, comme pour celle des phénomènes physiques, le Créateur s'en est remis entièrement au conflit des forces et de la matière.

M. Naudin ne s'y trompe pas. L'intelligence humaine n'a pas pour lui de pouvoir spécial, j allais dire de délégation spéciale relativement aux espèces; c'est bien, suivant lui, le milieu qui a tout fait:

«Il n'y a, dit-il, aucune différence qualitative entre les espèces, les races et les variétés; en chercher une est poursuivre une chimère. Ces trois choses n'en font qu'une, et les mots par lesquels on prétend les distinguer n'indiquent que des degrés de contraste entre les formes comparées… Les contrastes entre les formes comparées sont de tous les degrés, depuis les plus forts jusqu'aux plus faibles, ce qui revient à dire que, suivant les comparaisons qu'on établira entre les groupes d'individus semblables, on trouvera des espèces de tous les degrés de force et de faiblesse, et, si l'on essayait d'exprimer ces degrés par autant de mots, tout un vocabulaire n'y suffirait pas. La délimitation des espèces est donc, comme je le disais tout à l'heure, entièrement facultative; on les fait plus larges ou plus étroites suivant l'importance qu'on donne aux ressemblances et aux différences des divers groupes mis en regard l'un de l'autre, et ces appréciations varient suivant les hommes, les temps et les phases de la science.

«Suit-il de là que les mots race et variété doivent être bannis de la science? Non sans doute, car ils sont commodes pour désigner les faibles espèces qu'on ne veut pas enregistrer parmi les espèces officielles; mais il convient de leur donner leur vraie signification, qui est absolument la même que celle d'espèce proprement dite, et de voir, dans les formes désignées par ces mots, des unités d'une faible valeur, qu'on peut négliger sans inconvénient pour la science[145].»

M. Naudin entend d'ailleurs, par espèce, un groupe d'individus semblables contrastant dans une mesure quelconque avec d'autres groupes, et conservant, dans la série des générations, la physionomie et l'organisation communes à tous les individus.

Cependant le savant botaniste a contribué lui-même à établir un fait qui pourrait être invoqué et qui l'a été effectivement à l'appui de la fixité des espèces. De ses recherches sur l'hybridation de végétaux appartenant aux groupes les plus variés, comme aussi de nombreuses expériences de croisement faites sur les animaux, il résulte que les individus directement issus de ces croisements présentent, en général, une combinaison des caractères de leurs parents telle qu'on peut les considérer comme à peu près exactement intermédiaires entre eux; mais si l'on unit ensemble ces individus mixtes, ces hybrides, au bout d'un certain nombre de générations et souvent dès la seconde, il se fait un départ entre les caractères spécifiques; parmi les individus nés des mêmes parents et appartenant à la même génération, les uns se rapprochent étroitement de l'espèce du père, les autres de l'espèce de la mère; les individus intermédiaires sont rares et très différents les uns des autres; enfin le plus souvent tous les individus finissent par revenir presque entièrement à l'une des espèces parentes, comme si le sang de l'autre avait été complètement éliminé. Les croisements féconds ne permettent donc pas, dans les conditions où ils ont été réalisés jusqu'ici, d'obtenir une espèce exactement intermédiaire entre deux autres.

Si l'on croise au contraire entre eux des individus qui ne diffèrent que par la race, les individus mixtes ou métis que l'on obtient ainsi sont réputés produire assez souvent, quand on les unit exclusivement entre eux, une suite de générations dans lesquelles sont conservés leurs caractères intermédiaires. Il serait donc relativement facile de créer des races métisses; il serait impossible de créer des espèces hybrides. C'est là, pour de très éminents naturalistes, le caractère essentiellement distinctif de la race et de l'espèce, et rien n'est plus légitime que cette distinction. On ne saurait méconnaître, nous n'avons cessé de le dire, qu'il existe dans la nature des groupes d'individus semblables suffisamment isolés les uns des autres, par leurs aptitudes reproductrices, pour que la formation de groupes intermédiaires soit rendue très difficile, et rien n'empêche de considérer chacun de ces groupes comme constituant une espèce. Mais entre les groupes moins isolés, que leur commune origine conduit à considérer comme de simples races, on observe, à ce point de vue, de nombreuses gradations; certaines races métisses ont aussi une tendance à disparaître et à laisser se reconstituer les deux races parentes ou l'une d'elles seulement; de plus, les conditions dans lesquelles les métis et les hybrides sont placés paraissent influer notablement sur le degré de permanence de leurs caractères.

Cette séparation du sang des deux races unies dans la race intermédiaire, cette réversion des métis, exclusivement accouplés entre eux, aux deux types auxquels ils doivent leur origine, «n'est pas seulement l'exception, ni même la règle; elle est la loi, dit un zootechniste éminent, M. Sanson[146]. Dans aucun des cas connus de reproduction entre individus issus de deux ou plusieurs races différentes, c'est-à-dire ayant des caractères fondamentaux ou spécifiques différents[147], cette loi n'a failli. Nous en pouvons citer des preuves non douteuses, empruntées à tous les genres d'animaux qui sont les sujets de la zootechnie.» Et ces preuves, M. Sanson les trouve dans l'état actuel de toutes les races croisées de chevaux, de bœufs, de moutons, de porcs, de chiens, de pigeons, etc. Ainsi, de même que lorsqu'il s'est agi de la fécondité limitée, cette nouvelle opposition entre les hybrides et les métis s'efface, et il faut bien reconnaître, avec M. Ch. Naudin, qu'il n'y a entre les races et les espèces d'autre différence qu'un degré plus ou moins grand de contraste avec les formes les plus voisines. Mais alors disparaît entièrement la doctrine de la fixité des espèces. Les formes spécifiques jouissent d'un degré de stabilité plus ou moins considérable, mais non pas d'une réelle fixité. C'est, en définitive, sur cette distinction entre une stabilité acquise mais révocable et une fixité originelle et inaltérable que repose la théorie de la variabilité limitée, à la démonstration de laquelle Isidore Geoffroy Saint-Hilaire a consacré la presque totalité de son Histoire naturelle générale des règnes organiques.

Ce beau livre, demeuré malheureusement inachevé, parut de 1854 à 1662. On peut donc le considérer comme contemporain du livre de Godron, des mémoires de M. Ch. Naudin, et il demeure tout à fait indépendant des doctrines propres de C. Darwin. La question de variation de l'espèce, celle du croisement sous toutes ses formes y sont discutées à l'aide de tous les documents qui sont dans la science et des résultats de nombreuses expériences faites à la ménagerie du Muséum d'histoire naturelle, expériences qui sont la plupart l'œuvre d'Isidore Geoffroy Saint-Hilaire lui-même.

Les conclusions de cette longue et savante discussion sont textuellement résumées dans les propositions suivantes[148]:

«Les caractères des espèces ne sont ni absolument fixes, comme plusieurs l'ont dit, ni surtout indéfiniment variables, comme d'autres l'ont soutenu. Ils sont fixes pour chaque espèce, tant qu'elle se perpétue au milieu des mêmes circonstances. Ils se modifient si les circonstances ambiantes viennent à changer.

«Dans ce dernier cas, les caractères de l'espèce sont, pour ainsi dire, la résultante de deux forces contraires: l'une, modificatrice, est l'influence des circonstances ambiantes; l'autre conservatrice du type, est la tendance héréditaire à reproduire les mêmes caractères de génération en génération.

«Pour que l'influence modificatrice prédomine d'une manière très marquée sur la tendance conservatrice, il faut donc qu'une espèce passe, des circonstances au milieu desquelles elle vivait, dans un ensemble nouveau, et très différent, de circonstances; qu'elle change, comme on l'a dit, de monde ambiant.

«De là les limites très étroites de variations observées chez les animaux sauvages.

«De là aussi l'extrême variabilité des animaux domestiques.

«Parmi les premiers, les espèces restent généralement dans les lieux et les conditions où elles se trouvent établies, ou elles s'en écartent le moins possible, car leur organisation est en rapport avec ces lieux et ces conditions; elle serait en désaccord avec d'autres circonstances ambiantes. Les mêmes caractères doivent donc se transmettre de génération en génération.

«Les circonstances étant permanentes, les espèces le sont aussi.

«Déjà pourtant la permanence, la fixité ne sont pas absolues. L'expansion graduelle des espèces à la surface du globe est, à la longue, la conséquence nécessaire de la multiplication des individus. D'autres causes, d'un ordre moins général, peuvent aussi amener des déplacements partiels.

«D'où, aux limites surtout de la distribution géographique des espèces qui se sont le plus étendues, des différences notables d'habitat et de climat, qui, à leur tour, entraînent quelques différences secondaires dans le régime et même dans les habitudes. À ces divers genres de différences correspondent des races caractérisées par des modifications dans la couleur et les autres caractères extérieurs, dans les proportions et la taille, et parfois dans l'organisation intérieure. Ces races ont été fort arbitrairement tantôt appelées variétés de localités, tantôt considérées comme des espèces distinctes.

«Chez les animaux domestiques, les causes de variation sont beaucoup plus nombreuses et plus puissantes. Dans une longue série d'expériences, qui, pour avoir été entreprises dans un but tout pratique, n'en ont pas une moindre importance théorique, des espèces de plusieurs classes, au nombre de quarante environ, ont été contraintes par l'intervention de l'homme de quitter l'état sauvage et de se plier à des habitudes, à des régimes, à des climats très divers. Les effets obtenus ont été en raison directe des causes; il s'est formé une multitude de races très distinctes. Parmi elles, plusieurs offrent même des caractères égaux en valeur à ceux par lesquels on différencie d'ordinaire les genres.

«Le retour de plusieurs races domestiques à l'état sauvage a eu lieu sur divers points du globe. De là une seconde série d'expériences, inverses des précédentes et en donnant la contre-épreuve. Si des animaux domestiques sont replacés dans les circonstances au milieu desquelles avaient vécu leurs ancêtres sauvages, les descendants reprennent, après quelques générations, les caractères de ceux-ci. Ils revêtent seulement des caractères analogues, s'ils sont rendus à la vie sauvage dans des conditions analogues, mais non identiques…»

Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, à l'inverse de Godron,—et ses arguments sont bien difficiles à réfuter,—admet donc comme pleinement démontrée, à la fois par l'observation et par l'expérience, la variabilité limitée de l'espèce.

D'ailleurs, ajoute-t-il, cette théorie «peut conduire à des solutions rationnelles à l'égard de questions qui sont complètement insolubles pour les partisans de la fixité absolue, ou que ceux-ci ne résolvent qu'à l'aide des hypothèses les plus complexes et les plus invraisemblables.

«Il en est ainsi de la question fondamentale de l'anthropologie. L'origine commune des diverses races humaines est rationnellement admissible au point de vue de la variabilité et à ce point de vue seul. Les partisans de la fixité absolue ont dû, pour l'admettre avec nous, conclure contre leur propre principe.

«En paléontologie, à la théorie de la variabilité limitée correspond une hypothèse simple et rationnelle, celle de la filiation; à la doctrine de la fixité, deux hypothèses également compliquées et invraisemblables, celle des créations successives et celle dite de la translation

Isidore Geoffroy se range naturellement à l'hypothèse de la filiation, qui nous autorise, «par exemple, à rechercher les ancêtres de nos éléphants, de nos rhinocéros, de nos crocodiles parmi les éléphants, les rhinocéros, les crocodiles dont la paléontologie a démontré l'existence antédiluvienne.»

Au moment même où Darwin donnait en Angleterre à la doctrine de la descendance un éclat qu'elle n'avait jamais eu, l'illustre héritier du grand nom de Geoffroy devenait donc en France le défenseur calme et convaincu de cette doctrine. Sans aucun doute, si la mort n'était venue le surprendre au moment où la science pouvait encore attendre beaucoup de ses laborieuses, patientes et impartiales investigations, Isidore Geoffroy aurait élargi les bases de sa théorie, il se fût établi une sorte de compromis entre les deux savants qui représentaient de chaque côté du détroit des idées analogues. Mais nous ne pouvons prendre la théorie de la variabilité limitée qu'au point où l'a conduite Geoffroy, et nous devons préciser en quoi elle diffère de la doctrine de Charles Darwin.

Que signifie d'abord cette épithète de limitée accolée au mot variabilité? Des limites sont-elles imposées à l'étendue des variations que peuvent subir les formes spécifiques, ou ces limites doivent-elles s'entendre du temps pendant lequel ces variations peuvent s'effectuer, la variabilité étant de la sorte limitée à certaines époques? Il est probable que ces deux interprétations étaient également dans l'esprit d'Isidore Geoffroy. Quand on parcourt la surface entière du globe, les conditions moyennes d'existence offertes aux êtres vivants, les diverses variations du milieu semblent, au premier abord, osciller entre des limites assez étroites; ces limites déterminent celles des modifications que peuvent subir les espèces, toujours étroitement dépendantes des agents extérieurs. Les grandes variations du milieu, à supposer qu'il y en ait jamais eu, n'ont lieu que dans les intervalles qui séparent une période géologique d'une autre; c'est pendant ces époques intermédiaires que surviendraient également les grandes transformations des espèces.

Isidore Geoffroy ne se prononce nulle part sur l'étendue que l'on peut attribuer à ces dernières transformations; mais, du moment qu'on admet l'hypothèse de la filiation, il devient totalement impossible de limiter en quoi que ce soit cette étendue. Il paraît, en effet, bien établi aujourd'hui qu'il n'y avait durant la période primaire ni oiseaux ni mammifères, que les reptiles ne se sont montrés qu'après les batraciens et les poissons, et que les poissons eux-mêmes ne sont venus qu'après les animaux sans vertèbres. L'ordre de succession des mammifères durant la période tertiaire a pu être fixé de la façon la plus remarquable. L'idée de filiation, pour conserver sa généralité, implique que ces animaux ont été tirés les uns des autres, et l'on ne peut évidemment admettre de telles modifications sans attribuer en même temps à l'espèce une variabilité régie, à la vérité, par des lois précises, mais absolument indéfinie: Si les variations qu'une espèce peut subir durant une période géologique paraissent au premier abord limitées, il est donc impossible d'admettre cette restriction quand on embrasse la durée tout entière des temps.

Mais peut-on même admettre que, durant une période géologique donnée, les espèces conservent cette stabilité qui ne leur permet tout au plus que de former des races géographiques? Une telle hypothèse est évidemment liée à la supposition qu'il y a eu dans l'histoire du globe des périodes successives de changement et d'immobilité. Or la géologie s'éloigne de plus en plus de cette manière de voir; il paraît de plus en plus démontré que la surface de la terre s'est toujours modifiée avec la lenteur que nous constatons aujourd'hui dans ses transformations, et qu'il n'y a jamais eu aucune démarcation tranchée entre deux périodes géologiques successives. Dès lors, il faut admettre que les espèces peuvent varier indéfiniment et à toutes les époques, et les mots «variabilité limitée» ne signifient plus que variabilité lente et graduelle, soumise à la fois aux lois de l'hérédité et de l'adaptation aux conditions ambiantes, mais, en somme, illimitée.

L'exercice de cette variabilité suppose-t-il enfin, comme le veut Isidore Geoffroy, des modifications importantes dans l'état du globe terrestre? Non sans doute. Isidore Geoffroy lui-même fait remarquer que l'extension graduelle des espèces à la surface du globe, conséquence nécessaire de la multiplication des individus, place ces individus dans des conditions différentes, susceptibles de déterminer en eux des modifications. Mais quelle limite attribuer à cette force expansive des espèces? N'est-elle pas capable, à la longue, d'amener les individus faisant partie d'une même lignée à vivre dans les conditions les plus différentes? Est-il nécessaire de supposer des changements dans un milieu déjà essentiellement varié, si les individus d'une espèce donnée sont eux-mêmes forcés, sous peine de mort, de se plier aux genres de vie les plus dissemblables et vont spontanément, pour ainsi dire, à la recherche des états les plus divers du milieu? Evidemment non. C'est là ce que Charles Darwin a si brillamment démontré, et c'est en cela que sa doctrine diffère de celle d'Isidore Geoffroy Saint-Hilaire.

Pour le savant français, les organismes se transforment pour ainsi dire passivement, à la suite des transformations du milieu dont ils ne font que subir le contre-coup; pour le naturaliste anglais, l'active multiplication des individus, la lutte pour la vie qui en résulte, oblige les animaux et les plantes à profiter de toutes les conditions d'existence qui leur sont offertes. Le milieu peut rester immuable, dans son infinie variété; mais l'espèce est plastique, elle jouit d'une force expansive illimitée et vient prendre d'elle-même les empreintes qui lui donnent ses aspects si variés. Dès lors, le champ des modifications possibles n'a plus de bornes, car, d'une part, les individus d'une même espèce gardent indéfiniment de leur origine commune quelque chose qui les distingue au milieu des autres êtres vivants, et, d'autre part, la postérité de chacun d'eux a toujours devant elle, à mesure qu'elle s'accroît, la possibilité de s'établir dans l'un des innombrables domaines que le globe tout entier offre à l'activité des espèces fécondes. Isidore Geoffroy nous montre des agents modificateurs fonctionnant en quelque sorte d'une façon intermittente; Charles Darwin nous signale, à côté de ces agents et au-dessus d'eux, une cause modificatrice d'une puissance infinie et qui détermine en quelque sorte ces agents à entrer en scène: c'est la force expansive que les espèces tiennent du pouvoir reproducteur des individus qui les composent. Dans cette nouvelle hypothèse, les espèces n'ont cessé de se modifier depuis l'époque où la vie s'est montrée sur la terre, et l'on comprend sans peine comment les formes vivantes sont parvenues à la prodigieuse diversité que nous révèle l'étude de la botanique, de la zoologie et de la paléontologie, Il n'est plus nécessaire, pour expliquer les modifications dont les espèces sont susceptibles, de faire appel à des phénomènes exceptionnels, inconnus à notre époque et dont l'homme n'aurait jamais été le témoin; il n'est même pas nécessaire de supposer dans le milieu où vivent les organismes des changements plus ou moins profonds; les modifications des formes vivantes sont, comme tous les phénomènes physiques et chimiques que nous observons, les effets de causes encore agissantes et déterminables.

* * * * *

On arrive bien vite, sur cette pente, à poser le problème de la zoologie et de la botanique tout autrement que ne l'avaient fait jusque-là les naturalistes. Chaque forme vivante apparaît comme le résultat d'une série d'actions successives du milieu sur les ancêtres de l'être qui la présente, et l'on conçoit la possibilité de déterminer quelles ont été ces actions, quels effets elles ont produits, dans quel ordre elles se sont succédé.

Ce n'est plus, cette fois, un simple tableau de la Nature qu'il s'agit de tracer, ce n'est plus le mystère de ses intentions qu'il s'agit de dévoiler, ce ne sont plus même les lois auxquelles elle s'astreint dans la production des organismes qu'il s'agit d'énoncer; c'est une véritable explication de chaque être vivant qu'il faut trouver, une explication au sens où les physiciens et les chimistes entendent ce mot, au sens où le prennent déjà les physiologistes. La méthode des sciences naturelles se trouve ramenée à la méthode commune aux sciences physiques. La vraie supériorité de la doctrine de l'évolution est dans cette conséquence, encore incomplètement dégagée par Darwin, mais qui devait nécessairement s'imposer et qui a déterminé une incontestable renaissance dans toutes les branches de l'histoire naturelle. Sans doute, nous sommes encore loin d'avoir obtenu les brillants résultats dont notre imagination se plaît à espérer la réalisation; mais n'est-ce rien que de s'être dégagé de l'anthropomorphisme étroit qui pendant de si longs siècles a pesé sur les plus belles conceptions des naturalistes, d'avoir compris que l'explication des êtres vivants devait se trouver dans le monde où ils vivent et non pas hors de lui, de s'être convaincu que la biologie ne serait faite que le jour où l'on pourrait dire de chaque forme organique quelle est la cause qui l'a produite, où la classification zoologique ne serait autre chose que l'histoire des adaptations successives que les êtres vivants ont subies?

Si les naturalistes ont longtemps considéré ce but comme au-dessus de leurs forces, si, jusque dans la première moitié de ce siècle, las de chercher dans la nature une explication qu'ils ne trouvaient pas, ils croyaient devoir rattacher chaque forme vivante à l'intervention d'une volonté surnaturelle, nous espérons avoir démontré dans les pages qui précèdent que leur ambition nouvelle est pleinement justifiée par les résultats déjà obtenus. À la vérité, des difficultés d'un autre ordre se dressent devant eux. L'ancienne doctrine, en faisant de la nature l'œuvre immédiate d'un créateur tout-puissant, semblait en quelque sorte mettre l'homme en commerce incessant avec Dieu. On a redouté que, en montrant les êtres vivants livrés comme les corps inanimés à l'action aveugle des forces physiques, le transformisme ne fît oublier le Créateur. Mais c'est encore là de l'anthropomorphisme. À ceux que tourmenteraient de tels scrupules, il convient de rappeler que la chimie, la physique, l'astronomie, en expliquant les faits qui appartiennent à leurs domaines respectifs, n'ont nullement atteint la cause première. La biologie moderne n'atteint pas davantage cette cause; elle ne supprime pas Dieu; elle le voit plus loin et surtout plus haut.

NOTES

[1: Ce sont nos vertébrés.]

[2: Aristote a surtout en vue les arthropodes et les vers.]

[3: Lucrèce, De natura rerum, livre V, vers 781 à 875.]

[4: Liv. VIII, ch. XLII, § 27 et 28.]

[5: Cette phrase est attribuée à Pascal par Ét. Geoffroy Saint-Hilaire, et sa contexture semble bien celle d'une phrase de l'auteur des Provinciales; mais les recherches faites par M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, celles faites par M. Jules Soury n'ont pas permis de la retrouver; nous n'avons pas été plus heureux, et il reste par conséquent quelque doute sur son authenticité.]

[6: Ch. Bonnet, Contemplations de la nature, Amsterdam, 1764, t. Ier, p. 29.]

[7: Ibid., p. 21.]

[8: Ibid., p. 25.]

[9: Ibid., t. II, p. 74.]

[10: Ibid., p. 77.]

[11: Charles Bonnet, Palingénésie philosophique, ou idées sur l'état passé et sur l'état futur des êtres vivants, 1768.]

[12: Bonnet, Palingénésie philosophique, Œuvres complètes, t. VII, p. 65, éd. de Neufchâtel, 1783.]

[13: Bonnet, Considérations sur les corps organisés, Œuvres complètes, t. III, p. 37 et 38.]

[14: Bonnet, Œuvres, t. VII, p. 68.]

[15: Ibid., p. 67.]

[16: Ch. Bonnet, Palingénésie philosophique; Œuvres, t. VII, p. 152.]

[17: Ibid., p. 163.]

[18: Ibid., t. III, p. 152.]

[19: Zoonomie, vol. I, p. 507.]

[20: Nous devons à notre vénérable ami, M. Victor Considérant, la communication de ces passages des œuvres de Maupertuis.]

[21: M. le conseiller d'État du Mesnil et M. Victor Considérant nous ont signalé l'un et l'autre les opinions transformistes, plusieurs fois exprimées, de Diderot.]

[22: Diderot, Pensées sur l'interprétation de la nature, LI, 1754.]

[23: Histoire naturelle des animaux, Animaux communs aux deux continents.]

[24: Dégénération des animaux.]

[25: Réflexions sur les expériences de Leuwenhoek.]

[26: Histoire des animaux, chapitre II.]

[27: Philosophie zoologique, éd. 1809, t. I, p. 76.]

[28: Ibid., t. I, p. 98.]

[29: Ibid., t. I, p. 80.]

[30: Ibid., t. I, p. 58.]

[31: Ibid., t. I, p. 92.]

[32: Ibid., t. I, p. 118.]

[33: Histoire de la création naturelle, traduction française, Reinwald, édit., 1874, p. 102.]

[34: Philosophie zoologique, t. I, p. 101.]

[35: Ibid., t. I, p. 265.]

[36: Ibid., t. I, p. 349.]

[37: Ibid., t. I, p. 357.]

[38: Histoire naturelle des animaux sans vertèbres.]

[39: On lit, on effet, dans l'Optique de Newton, question 31: «On peut en dire autant de cette uniformité que nous montre la structure des animaux. Tous les animaux ont, en effet, deux côtés semblables, le droit et le gauche; en arrière correspondent à ces deux côtés deux pieds; en avant, deux bras, deux pieds ou deux ailes fixés aux épaules; entre les épaules, un cou, faisant suite à l'épine dorsale et auquel est fixée la tête; sur cette tête, deux oreilles, deux yeux, un nez, une bouche, une langue sont semblablement placés chez presque tous les animaux.»]

[40: Voir Vie, travail et doctrine d'Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, par Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, p. 143.]

[41: Philosophie anatomique, Introduction, p. xxx, 1818.]

[42: Mémoires de l'Académie des sciences, t. XII.]

[43: Annales des sciences naturelles, t. I, p. 116.]

[44: Ibid., 1820, p. 462 et 539.]

[45: Voir sur cette parenté des vertébrés et des animaux segmentés notre ouvrage Les colonies animales et la formation des organismes, p. 662 à 700.]

[46: Recherches sur les Sauriens fossiles, p. 4.]

[47: Influence du monde ambiant sur les formes animales, p. 76.]

[48: Geoffroy condamne surtout le choix des preuves particulières sur lesquelles Lamarck a appuyé sa doctrine; quant à l'influence des habitudes sur les modifications organiques, aucun physiologiste ne voudrait, pensons-nous, la mettre en doute. Il serait facile de réunir un grand nombre de formes organiques qui ont été figées, en quelque sorte, par l'hérédité dans l'attitude qui leur est le plus habituelle, attitude qui est devenue le point de départ de modifications organiques importantes.]

[49: Mémoire sur l'influence du monde ambiant pour modifier les formes animales, p. 82, 1831.]

[50: Il s'agit ici de William Edwards, frère de M. Henri Milne Edwards, le doyen actuel de la Faculté des sciences de Paris.]

[51: De l'influence des circonstances extérieures sur les corps organisés, p. 26.]

[52: Page xi, note.]

[53: Voir, par exemple, à ce sujet, Credner, Traité de géologie, trad. française, p. 255.]

[54: Ed. 1829, p. 9.]

[55: Discours sur les révolutions du globe, édit. Didot, p. 62.]

[56: Règne animal, 2e édit., 1829, t. I, p. 46.]

[57: Annales du Muséum d'histoire naturelle, t. XIX, p. 76, 1812.]

[58: Ce sont les poulpes, les seiches, les calmars et les animaux analogues.]

[59: Principes de philosophie zoologique, p. 70, 1830.]

[60: Article Nature du Dictionnaire des sciences naturelles.]

[61: Vie, travaux et doctrine scientifique d'Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, par Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, p. 376.]

[62: Mémoire sur l'Hectocotyle. Par une bizarre coïncidence, dans ce même, mémoire, où des faits positifs sont seuls censés devoir trouver place, Cuvier s'arrête à une conclusion étrangement erronée, à savoir que l'hectocotyle, qu'on sait être aujourd'hui un simple bras de poulpe, est une sorte de ver parasite.]

[63: Mémoire sur l'oreille osseuse des crocodiles et des téléosaures, p. 136, 1831.]

[64: Notions de philosophie naturelle, 1837, p. 111. Geoffroy venait d'être dépouillé au profit de Frédéric Cuvier de la direction de la ménagerie du Muséum, qu'il avait fondée.]

[65: Études progressives d'un naturaliste, 1835, p. 84.]

[66: Johannes Müller, Handbuch der Physiologie des Menschen, II Band, p. 522: «Die wichtigsten Wahreiten in den Naturwissenchaften sind weder allein durch Zergliederung der Begriffe der Philosophie, noch allein durch blosses Erfahren gefunden worden, sondern durch eine denkende Erfahrung welche das Wesentliche von dem Zenfälligen unterscheidet, und dadurch Grundsätze findet, aus welchen viele Erfahrungen abgeleitet werden. Dies ist mehr als blosses Erfahren; und wen Man will, eine philosophische Erfahrung.»]

[67: Leçons de physiologie et d'anatomie comparées, t. I, p. 2, 1857.]

[68: Linné, Philosophie botanique, édit. Gleditsch, p. 361.]

[69: Linné, Aménités académiques, vol. VI, p. 324.]

[70: Gœthe, Essai sur la métamorphose des plantes, propositions 87-90, 1790.]

[71: De l'existence d'un os intermaxillaire à la mâchoire supérieure de l'homme, aussi bien qu'à celle des animaux (Acta naturæ curiosorum, t. XV, 1786).]

[72: Mémoire sur la conformité organique, p. 31.]

[73: Les origines animales de l'homme, 1 vol. in-8, Germer Baillière, 1871.]

[74: Mémoire sur la conformité organique, p. 19.]

[75: Voir: De l'âme du monde, hypothèse de haute physique pour expliquer l'organisme universel, 1798; et Premier plan d'un système de philosophie de la nature, 1799.]

[76: Colonies animales, 1881, p. 710.]

[77: Les premières vues théoriques de Richard Owen sur la constitution du squelette remontent à 1838 (Geological Transactions, p. 518). Mais on consultera surtout ses Principes d'ostéologie comparée, publiés en français, en 1855, et ses Lectures on physiology and comparative anatomy of the vertebrata.]

[78: R. Owen, Principes d'ostéologie comparée, 1855, p. 11.]

[79: Rathke, Ueber die Bildung und Entwickelung des Flusskrebses, 1829, in-folio, Leipzig.]

[80: H. Milne Edwards, Mémoire sur les changements de forme que les Crustacés éprouvent pendant leur jeune âge (Annales des sciences naturelles, t. XXX, 182)].

[81: On en connaît aujourd'hui, les Penæus, par exemple, qui n'ont à leur naissance, comme les crustacés inférieurs, que trois paires d'appendices.]

[82: H. Milne Edwards, Histoire naturelle des Crustacés, t. I, p. 197, 1834.]

[83: Histoire naturelle des Crustacés, t. I, p. 14, 1834.]

[84: Voir notre ouvrage sur Les colonies animales, p. 505, 1881.]

[85: Milne Edwards, Observations sur le développement des annélides (Annales des sciences naturelles, 3e série, t. III, 1843, p. 174).]

[86: Milne Edwards, Considérations sur quelques principes relatifs à la classification naturelle des animaux (Annales des sciences naturelles, 3e série, t. I, p. 65, 1844.)]

[87: Thompson, Zoological researches and illustrations, or natural history of non descript or imperfectly known animals, 1831.]

[88: Nordmann, Mikrographische Beiträge zur Naturgeschichte der wirbellosen Thiere, 1832.]

[89: Histoire naturelle des Crustacés, t. I, p. 50.]

[90: Dictionnaire classique d'histoire naturelle, t. XII, article Organisation, p. 339, août 1827.]

[91: Histoire naturelle des crustacés, t. I, p. 5, 1834.]

[92: Ibid., p. 126.]

[93: Ibid., p. 147.]

[94: Ibid., p. 20.]

[95: Émile Blanchard, Recherches anatomiques et zoologiques sur le système nerveux des animaux sans vertèbres (Annales des sciences naturelles, 3e série, t. V, 1846).]

[96: Lacaze-Duthiers, Recherches sur l'armure génitale femelle des insectes (Annales des sciences naturelles, 3e série, t. XII à XIX, 1829 et années suivantes).]

[97: Louis Agassiz, Contributions to the natural history of United States, 1857; Essay on classification, Londres, 1859; De l'espèce et de la classification en zoologie, Paris, 1862.]

[98: L. Agassiz, De l'espèce et de la classification, p. 8.]

[99: Ibid., p. 14.]

[100: Ibid., p. 9.]

[101: Ibid., p. 8.]

[102: Ibid., p. 12.]

[103: Ibid., p. 10.]

[104: Ibid., p. 43.]

[105: Ibid., p. 218.]

[106: Les colonies animales, notamment page 714.]

[107: L. Agassiz, De l'espèce et des classifications, page 262.]

[108: Recherches sur l'organisation et les mœurs des Planaires (Annales des sciences naturelles, 1re série, t. XV, 1828), et Aperçu de quelques observations nouvelles sur les Planaires et plusieurs genres voisins (Annales des sciences naturelles, 1re série, t. XXI, 1850).]

[109: S. Lovén, Observations sur le développement et les métamorphoses des genres Campanulaire et Syncoryne (Annales des sciences naturelles, 2e série, vol. XIV, 1841).]

[110: Biblia naturæ, p. 75, fig. 7 et 8 de la pl. 9, 1752.]

[111: Isis, Bd. I,1818, p. 729.]

[112: Nova acta Academiæ Leopoldinæ, t. V, p. 2, 1826.]

[113: Même recueil, vol. IX, p. 75, 1835.]

[114: Naturforscher Stuck, 25, p. 72.]

[115: Göze's Naturgeschichte der Eingeweidervürmern, Suppl., 1800.]

[116: Considérations sur les corps organisés (Œuvres d'histoire naturelle et de philosophie, éd. Fauche, 1779, t. III, p. 37).]

[117: Ueber den Generationsvechsel, oder die Fortpflanzung und Entwickelung durch abwechselneden Generationen, eine eigenthumlehre Form der Brutpflege in den niederen Thierclassen. Copenhague, 1842.]

[118: E. Perrier, Les Colonies animales, p. 726 et suivantes.]

[119: Van Beneden, Mémoire sur les cestoïdes (Bulletin de l'Académie de Bruxelles, 1847, p. 106).]

[120: Leuckart, Ueber den Polymorphismus der Individuen oder die Erscheinungen der Arbeitstheilung in der Natur. Giessen, 1851.]

[121: Richard Owen, On parthenogenesis, 1849.]

[122: Voir notre ouvrage Les colonies animales et la formation des organismes, p. 701.]

[123: A. de Quatrefages, Métamorphoses de l'homme et des animaux (Revue des Deux-Mondes de 1855 et 1856 et 1 vol. in-12, 1862).]

[124: Ibid., p. 268.]

[125: Anatomie générale, Introduction, p. lxvj. Ed. Blandin, 1831.]

[126: Nous possédons de nombreux traités d'embryogénie humaine; un seul traité d'embryogénie comparée a été publié jusqu'à ce jour, celui de Balfour, paru en 1881, et l'on y trouverait encore plus d'une preuve de ce que nous avançons. En même temps paraissaient nos Colonies animales, où nous avons tâché de nous rapprocher autant que possible de la méthode que nous indiquons ici.]

[127: Bonnet, Considérations sur les corps organisés, Œuvres, t. III, p. 226.]

[128: Ibid., proposition 255.]

[129: Tome II, p. 284 (1859).]

[130: Ibid., p. 295.]

[131: Le texte de ces leçons, publiées dans la Revue des cours scientifiques, n'est pas revêtu de la signature du professeur; mais nous avions l'honneur d'être à cette époque, à l'École normale supérieure, l'un des élèves les plus attentifs de l'éminent auteur de l'Histoire naturelle du corail, et, si nos souvenirs sont exacts, la rédaction de la Revue des cours rend bien, sinon dans la forme, au moins dans le fond, la pensée de M. de Lacaze-Duthiers.]

[132: De πρωτον, première, et μερος, partie.]

[133: Voir nos Colonies animales, pages 403 et 705.]

[134: Voir notamment le Précis d'anatomie transcendante appliquée à la physiologie, 1842.]

[135: Serres, loc. cit., t. I, p. 95.]

[136: Loc. cit., page 91.]

[137: Loc. cit., p. 19.]

[138: De l'espèce et de la race chez les êtres organisés, t. I, p. 217.]

[139: Ch. Naudin, Nouvelles recherches sur les hybrides végétaux (Nouvelles archives du Muséum d'histoire naturelle, tome 1, p. 169, 1863).]

[140: Godron, De l'espèce et des races chez les êtres organisés, t. I, p. 51, 1859.]

[141: Ibid., p. 144.]

[142: Ibid., t. I, p. 332.]

[143: Ibid., t. I, p. 463.]

[144: Ibid., t. II, p. 46.]

[145: Ch. Naudin, Nouvelles recherches sur l'hybridité dans les végétaux (Nouvelles archives de Muséum d'histoire naturelle, 1re série, vol. I, 1863, p. 162). Bien que ce mémoire soit daté de 1863, M. Ch. Naudin avait déjà exprimé des idées analogues en 1832, dans la Revue horticole, plusieurs années, par conséquent, avant l'apparition du livre de C. Darwin sur l'origine des espèces.]

[146: A. Sanson, Traité de zootechnie, t. II, p. 62, 2e édition.]

[147: M. Sanson prend ici le mot spécifique dans le sens des zootechnistes qui comptent autant d'espèces de chevaux, de bœufs, de moutons, de chiens qu'il y a de races solidement fixées de ces animaux.]

[148: Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, Histoire générale des règnes organiques, t. II, p. 431, 1839.]

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