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La Princesse lointaine: Pièce en quatre actes, en vers

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ACTE II

Une salle d'un palais d'un luxe moitié roman, moitié oriental. Au fond, un large vitrail s'ouvre sur des terrasses, derrière lesquelles la mer monte dans le ciel. A droite, second plan, une grande porte ouverte laisse apercevoir une galerie qui fuit, avec des colonnades sveltes et des jets d'eau. A gauche, un escalier de porphyre descend d'une lourde porte d'or. Les dalles de marbre, éblouissantes, et toutes les marches de l'escalier sont jonchées de lys fraîchement coupés. Sorte de divan aux nombreux coussins. Pendue au mur, près de la porte, une énorme hache d'armes, au manche émaillé, tout bossué de cabochons verts.

SCÈNE PREMIÈRE

LES PÈLERINS

(Au lever du rideau, le vitrail du fond est fermé. Un groupe de pèlerins, vêtus de la robe de bure à coquilles, tenant en main chacun le bourdon et une longue palme verte, se tient sur le devant de la scène. Ces pèlerins parlent à mi-voix comme des gens intimidés et éblouis de ce qu'ils voient.)

PREMIER PÈLERIN

La Dame qui nous a reçus ne revient pas.

DEUXIÈME PÈLERIN

Le silence est si pur qu'on entend sous les pas
Le craquement léger des lys que l'on écrase.

TROISIÈME PÈLERIN

Chut!… Écoutez!… Non, rien, c'est un jet d'eau, qui jase.

QUATRIÈME PÈLERIN

Je n'ai plus d'où je suis le sentiment bien net.
Nous avons traversé combien de salles?

PREMIER PÈLERIN

Sept.

DEUXIÈME PÈLERIN

Il y avait des mosaïques singulières!

TROISIÈME PÈLERIN

Il y avait des oiseaux d'or dans les volières!

QUATRIÈME PÈLERIN

Et des tapis de pied, et des coussins d'appui!

DEUXIÈME PÈLERIN, au troisième.

As-tu vu ce colosse inquiétant?

TROISIÈME PÈLERIN

Celui
Qui nous dévisagea l'un après l'autre? Certes!

PREMIER PÈLERIN

Taisez-vous ; c'est le Chevalier aux Armes Vertes,
L'étrange aventurier…

(A ce moment, on voit passer dans la galerie un chevalier de haute stature, à l'armure émaillée de vert.)

DEUXIÈME PÈLERIN, au premier, bas avec un coup de coude.

Chut!… Il est dans ton dos!…

TROISIÈME PÈLERIN, à voix basse, regardant le chevalier à la dérobée.

Le cercle de son heaume est fait de péridots…

QUATRIÈME PÈLERIN

Et le pommeau de son glaive d'une émeraude!

(Le chevalier disparaît.)

DEUXIÈME PÈLERIN, frissonnant.

Oh! mais je n'aime pas ce fantôme qui rôde!…

PREMIER PÈLERIN, reprenant son récit.

Oui, c'est l'aventurier magnifique et cruel
Qui représente ici l'Empereur Manuel,
Le fiancé de la Princesse…

DEUXIÈME PÈLERIN

Ah! Elle épouse
L'Empereur Manuel?

PREMIER PÈLERIN

Étant d'humeur jalouse,
Se sachant accepté pour la raison d'État,
Le César byzantin a craint qu'on ne tentât
De conquérir d'amour le cœur de la Très-Belle,
Et ce guerrier, dit-on, veille, pour lui, sur Elle, —
Barrant aux jeunes gens l'accès de ce palais,
A moins…

TROISIÈME PÈLERIN

Mais je suis jeune!

PREMIER PÈLERIN

A moins qu'ils ne soient laids!

QUATRIÈME PÈLERIN

C'est qu'il semble doué d'une force…

PREMIER PÈLERIN

Effroyable!

(Montrant la hache accrochée au mur.)

Nul ne peut soulever sa hache d'armes.

DEUXIÈME PÈLERIN

Diable! —
Ce beau jeune homme, alors, que tantôt, sur le quai,
Sautant de son esquif, nous avons remarqué, —
Et qui disait à des Génois et des Morisques
De le mener vers la Princesse, — court des risques!…

TROISIÈME PÈLERIN

Il criait comme un fou que même Belzébuth
Ne l'empêcherait pas d'arriver à son but.
— Et c'est qu'il n'a pas l'air d'un que l'on fait démordre!

(Depuis un moment, dans la porte de la galerie, le chevalier a reparu. Sur les derniers mots il fait un mouvement et s'éloigne très vite. Au bruit, les pèlerins se retournent.)

PREMIER PÈLERIN

Hum! il nous écoutait!

DEUXIÈME PÈLERIN

Il va donner quelque ordre
Pour empêcher d'entrer notre inconnu…

PREMIER PÈLERIN, au deuxième pèlerin.

Vieux sot!
Vous avez trop parlé!

TROISIÈME PÈLERIN

Ah! bah! le jouvenceau
Est d'abord descendu, pour revêtir ses armes,
Chez le chef du parti génois. Donc, point d'alarmes!
Maître Squarciafico, ce fin matois, saura
L'aviser du danger, et le conseillera.
Car il souhaite fort qu'un candidat se pose
Contre cet Empereur, qu'il redoute, et pour cause…

PREMIER PÈLERIN

Chut!… J'entends des accords de viole et de luth,
Et la Dame revient qui nous a reçus! — Chut!…

SCÈNE II

Les Précédents, SORISMONDE, puis MÉLISSINDE

SORISMONDE, paraissant au haut de l'escalier devant la porte d'or fermée.

Pèlerins qui demain repartez pour la France,
La Princesse connaît par moi votre présence,
Et que vous avez tous, d'Antioche ou de Tyr,
Voulu venir la voir avant de repartir!

PREMIER PÈLERIN

Oui, pour que son image enchante notre errance!

SORISMONDE

La Princesse n'a pas avec indifférence
Connu que vous étiez venus dans cet espoir,
Et, généreuse, elle veut bien se laisser voir.
Elle entend maintenant sa matinale messe…

(On entend tinter une cloche.)

Mais la messe est finie. Elle vient.

UN HÉRAUT

La Princesse!

(Les portes d'or s'ouvrent, Mélissinde paraît, revêtue d'une lourde chape surchargée de pierreries de toutes sortes, le front ceint d'un tressoir de perles. Autour d'elle des enfants portent des gerbes de lys.)

PREMIER PÈLERIN

C'est elle!

DEUXIÈME PÈLERIN

Ho! quelle grâce inattendue elle a!

TROISIÈME PÈLERIN

Dans les perles de l'Inde et les lys, voyez-la!

QUATRIÈME PÈLERIN

Oui, les récits qu'on fait d'elle sont véridiques :
Elle efface les lys et les perles indiques!

PREMIER PÈLERIN

Telle Hélène, quand les vieillards causaient entre eux!

MÉLISSINDE, du haut des marches.

Ainsi, vous reverrez la France, gens heureux!
Ainsi, vers votre nef, vous croirez que s'avance,
Bientôt, dans un brouillard bleuâtre, la Provence!
Je vous envie! — Hélas! je suis comme ces fleurs
Qui naissant sous des cieux qui ne sont pas les leurs,
Et devinant au loin qu'elles ont des patries,
Peuvent sembler fleurir, mais se sentent flétries!

(Elle descend quelques marches.)

Vous verrez, sur la mer, le sol natal qui poind!…
— Moi, ma vie est d'aimer en ne connaissant point,
Et d'avoir des regrets, sans une souvenance…

(Elle descend une dernière marche et s'avance entre les pèlerins.)

Mais déjà, comme il sied aux chrétiens en partance,
Vous avez tous cueilli la Palme.

(Prenant des lys aux mains des enfants.)

Voulez-vous
Chacun joindre à la palme un lys fragile et doux,
Et le garder, ce lys, relique bien légère,
Pour vous remémorer la française étrangère?

(Elle leur distribue les lys.)

UN PÈLERIN

La Palme redira nos durs chemins ; — le Lys,
Ta beauté qui nous fut la meilleure oasis!

DEUXIÈME PÈLERIN

La Palme nous sera le sévère trophée,
Le Lys, le souriant souvenir d'une fée!

TROISIÈME PÈLERIN

Adieu, Princesse, Lys toi-même, de beauté!…

QUATRIÈME PÈLERIN

Lys toi-même de grâce et de gracilité!…

(Les pèlerins remontent peu à peu.)

MÉLISSINDE

Adieu!…

(Les pèlerins sortent. On les entend repasser sous le vitrail ouvert. Mélissinde va y paraître. Les enfants ont déposé sur une table une gerbe restante de lys, — et ils renouvellent sur les dalles la jonchée que les pas des pèlerins ont dispersée.)

LES VOIX DES PÈLERINS, passant sous le vitrail.

Noël!… Noël!…

(Mélissinde, après un geste d'adieu, referme le vitrail et redescend. Les enfants sortent.)

SCÈNE III

MÉLISSINDE, SORISMONDE

SORISMONDE

Quelle aménité fine!
Quelle condescendance!… Elle fut, la divine,
Bonne plus joliment que jamais aujourd'hui!

MÉLISSINDE

Oh! tu sais bien que je suis bonne par ennui!

(Elle dégrafe nerveusement son manteau.)

Manteau brodé, stellé, gemmé, toi qui m'écrases
De corindons, de calcédoines, d'idocrases,
De jaspes, de béryls, de grenats syriens,
De tous ces vains cailloux, de tous ces riches riens,
Manteau, fardeau, sous qui je ploie et deviens blême,
O somptueux manteau, tu me sembles l'emblème
D'un autre que je porte et qu'on ne peut pas voir
Et qui me pèse encor,

(Elle le laisse glisser de ses épaules à terre.)

quand je t'ai laissé choir!

(Elle émerge dans une gaine blanche. Sorismonde ramasse la chape. Elle lui tend aussi sa couronne.)

Prends mes perles aussi, tout ce qui me déguise.
Ouf!

(De quelques lys prestement arrachés à la gerbe, elle se coiffe.)

Me voici coiffée à peu près à ma guise,
De quelques fleurs encor perlières de la nuit!

(Se jetant dans le fauteuil.)

Oui, tu sais bien que je suis bonne par ennui!

(Un temps.)

Au fait, est-ce bien par ennui que je suis bonne?
Non, c'est par intérêt qu'aux pèlerins je donne
Mes plus beaux lys avec de touchantes façons.

SORISMONDE

Et qu'attendez-vous d'eux, Madame?

MÉLISSINDE

Des chansons!
C'est grâce à la chanson d'un de ces pauvres hères
Que je suis aujourd'hui la plus chère des chères,
Celle qu'aime Joffroy Rudel le Troubadour
D'un si miraculeux et si célèbre amour!
Oui, ce poète à moi que j'ai là-bas en France,
Commença de m'aimer au bruit d'une romance,
Et tu sais combien plaît à mon cœur isolé
Cet amour dont la gloire a jusqu'à nous volé!
Combien, dans le médiocre où vivre nous enserre,
Le sublime de cet amour m'est nécessaire!

(Avec un geste vers la fenêtre.)

Eh bien, ces pèlerins, en France, ils s'en iront
Dire partout, de moi, de mes yeux, de mon front,
Des choses qui feront rêver les jeunes hommes…

SORISMONDE

Et Rudel le saura. Voilà comme nous sommes!

MÉLISSINDE

Et peut-être, en effet, Rudel le saura-t-il,
Et c'est une façon, pour mon âme en exil,
De correspondre un peu par-dessus la mer vaste
Avec mon amoureux.

SORISMONDE

C'est une façon chaste.

MÉLISSINDE

Oui, je veux l'exalter toujours plus dans l'orgueil
De m'adorer ainsi. Voilà pourquoi l'accueil
Que j'ai fait à ces gens. Ma bonté n'est pas grande,
Non, mais tout simplement je soigne ma légende!

SORISMONDE

Vous voici de nouveau toute à ce rêve vain.
Moi, j'aimerais Rudel, mais il faudrait qu'il vînt!

MÉLISSINDE

Mais j'aime son amour, j'aime son âme, j'aime…

SORISMONDE

Je ne comprends pas bien. Si par un stratagème
De sorcier, si par un anneau de magicien,
Vous pouviez voir d'ici quel visage est le sien?…

MÉLISSINDE

Tu veux des sentiments trop nets…

SORISMONDE

Et vous, trop vagues.
Que n'avez-vous un tel anneau parmi vos bagues!
Mais votre esprit se plaît dans un doux errement…

MÉLISSINDE

Oui, dans mes grands jardins, pâles lunairement,
J'écoute murmurer la brise entre les myrtes…
Je vais voguer sur l'eau glauque et lisse des Syrtes,
Où ma belle galère aux flancs ornementés
Mire le jour des fleurs et le soir des clartés ;
Et puis, du son des luths que le plectre suscite
Je donne de l'envol aux vers que je récite ;
Et puis, m'enfermant seule en ces vastes pourpris,
Je m'y attriste, — et ma tristesse a bien son prix! —
Enfin, j'erre aux parfums de ces lys sur ces dalles,
Et le rêve, m'ouvrant de vaporeux dédales,
M'oblige à peu à peu déserter le réel,
Et ma raison s'endort au bruit sempiternel…
Au bruit sempiternel des jets d'eau dans les vasques!

SORISMONDE

Oui, nous manquons ici d'éperons et de casques.
Il nous faudrait beaucoup de jeunes chevaliers!
Mais votre affreux gardien les éloigne… Riez!
Cet homme est près de vous placé, bien qu'il le nie,
Comme auprès du Trésor on place le Génie!
Depuis qu'il est ici, nul ne frappe au vantail!

MÉLISSINDE, riant.

Prendre un garde d'honneur pour un épouvantail!

SORISMONDE

L'Empereur est jaloux…

MÉLISSINDE, haussant les épaules.

S'en donne-t-il la peine?

SORISMONDE, s'asseyant sur un coussin, à ses pieds.

Et vraiment, vous allez l'épouser, ce Comnène?

MÉLISSINDE

Pourquoi pas?… Un mari, ce n'est pas un amant.

SORISMONDE

Mais puisqu'il vous ennuie?

MÉLISSINDE

Impérialement!

SORISMONDE

Ce Turquois ne peut vous comprendre…

MÉLISSINDE

Sorismonde,
Nul homme à qui je sois plus illisible au monde…
C'est tout à fait celui qu'il me faut pour mari.
Un jour je lui disais ma tristesse, il a ri!…
Eh bien, je trouverai, comme ont fait d'autres dames,
Des plaisirs d'ironie à nos distances d'âmes!…
Qui pouvais-je épouser de mieux que Manuel
Pour rester toute à mon amant incorporel?

SORISMONDE

Si pourtant quelque jour un amour véritable
Venait dans votre cœur, glouton, se mettre à table?…

MÉLISSINDE

Non, l'invisible ami me protège trop bien!

SORISMONDE

Ce n'est pas l'ange, enfin, mais c'est l'amant gardien.

MÉLISSINDE

C'est celui dont je sens, le soir, longeant la grève,
Les pensers m'arriver comme à tire de rêve,
Si bien que je réponds dans la brise : Merci!

SORISMONDE

Vous ne lui devez rien à ce poète?

MÉLISSINDE

Si!…
Je lui dois mes fiertés, mes soucis, mes scrupules,
Mes tendances de cœur, mon goût des crépuscules,
Mes frissons délicats et mes larmes aux yeux,
Tout ce qui m'envahit de noble et d'anxieux,
Je lui dois la blancheur des robes que je porte,
Et je lui dois enfin mon âme, en quelque sorte!

SORISMONDE, secouant la tête.

Et faut-il pour cela lui dire tant merci?…
J'en veux à cet amour…

MÉLISSINDE

Moi, quelquefois, aussi.

(Elle se lève.)

Il fait trop beau. L'orage est dans l'air. Ah! j'étouffe!

(Sorismonde veut éloigner les lys posés sur la table.)

Non, laisse. C'est pour moi, maintenant, cette touffe.

SORISMONDE

Vous vivez trop parmi les lys. Les lys sont blancs.
Les lys sont fiers et purs. Mais les lys sont troublants.

MÉLISSINDE

Peut-être as-tu raison. Ce sont des fleurs étranges,
Et traîtresses, avec leurs airs de sceptres d'anges,
De thyrses lumineux pour doigts de séraphins :
Leurs parfums sont trop forts, tout ensemble, et trop fins.

(Elle prend la touffe et la regarde.)

Peut-être as-tu raison : ce sont des fleurs mauvaises!
On contracte, à frôler ces candeurs, des malaises ;
Leur orgueil solitaire est d'un fâcheux conseil,
Et le rire vaut mieux des roses au soleil.

(Respirant les lys.)

Ah! ce parfum! Je ne sais plus ce qu'il me verse.
Cette mysticité n'est-elle pas perverse?

(Avec une frivolité forcée.)

Soit, vivons : trouvons-nous de petits passe-temps!
J'ai mandé mon marchand génois. Mais oui. J'attends
Squarciafico!… J'en suis à me faire des joies
Avec les curieux objets, les pâles soies,
Et j'use de longs jours à choisir des dessins
Imprévus, et des tons mourants pour mes coussins.

(Elle s'est assise parmi les coussins du divan.)

SORISMONDE

Votre rusé Génois vous fournit d'amusettes,
Et vous ne voyez pas, distraite que vous êtes,
Tout ce qu'il vous extorque, ici, jouant son jeu,
Pour lui, pour le quartier des marchands, peu à peu!…
Commodes aux voleurs sont les princes artistes!
Aussi, tous nos Génois trafiquants sont-ils tristes
De vous perdre, ô Princesse éprise de beaux vers,
Dont les yeux sont fermés, et les doigts sont ouverts!…
Ah! votre mariage, ils le voient avec peine,
Car ils savent quel maître ils auront dans Comnène!

UNE FEMME, entrant.

Le Chevalier aux Armes Vertes attend là
L'autorisation de venir prendre…

MÉLISSINDE, haussant les épaules.

Il l'a.

SCÈNE IV

MÉLISSINDE, SORISMONDE, LE CHEVALIER AUX ARMES VERTES

LE CHEVALIER

(Il a l'air préoccupé et regarde souvent vers la galerie ou vers le vitrail.)

Princesse, pardonnez si ce matin je tarde
A venir prendre ici vos ordres, — Dieu vous garde!…

MÉLISSINDE, souriant.

Ne serait-ce pas vous, plutôt, qui me gardez?…

LE CHEVALIER

Oh, Madame…

MÉLISSINDE

Je sais, vous vous en défendez.
— Mes ordres? — Je ferai, peut-être, un tour en rade.

LE CHEVALIER

Bien.

MÉLISSINDE

Y a-t-il des fleurs sur ma nef de parade,
Et des musiciens?

LE CHEVALIER, galamment.

Il y en a toujours.

MÉLISSINDE, se levant.

Au fait, si nous sortions tout de suite?

(A Sorismonde.)

Va, cours
Prendre un voile…

LE CHEVALIER, vivement.

Oh! non, pas tout de suite!

(Mouvement de Mélissinde.)

Madame,
J'agis avec vraiment le désespoir dans l'âme…
Mais à cette sortie il vous faudrait surseoir.

MÉLISSINDE

Hein!… Qu'est-ce à dire?

LE CHEVALIER

Oh, pas longtemps! Jusqu'à ce soir.

MÉLISSINDE

C'était donc vrai?

LE CHEVALIER

Las! je ne suis que l'homme-lige
De l'Empereur, Madame. Un grand serment m'oblige.
Or, ce matin, je dois redoubler…

MÉLISSINDE, vivement.

Ah! Pourquoi?

LE CHEVALIER

J'ai dû placer mes gens armés — pardonnez-moi! —
Aux portes du Palais. Cette porte dernière,
Moi-même y resterai.

MÉLISSINDE

Mais je suis prisonnière!

SORISMONDE, à la fenêtre.

Ciel, aux portes, partout, des esclaves armés!

MÉLISSINDE

Et mes gens?

LE CHEVALIER

Par mes soins, pour une heure, enfermés.

(Montrant la galerie.)

D'ailleurs, vous ne pourriez, puisqu'ici, moi, je veille,
Leur faire parvenir un seul ordre.

MÉLISSINDE

A merveille!
Je suis la châtelaine enchantée à présent!…
Sorismonde, ceci devient presque amusant.
Nous mettons les romans en action, ma chère!
— Mais que se passe-t-il? Pourquoi?

LE CHEVALIER, s'inclinant.

Je dois le taire!

(Il remonte un peu, puis s'arrêtant au moment de sortir.)

J'oubliais. Ce marchand est là, ce prêteur d'or,
Ce sournois de Génois, plus juif qu'un juif, signor…

MÉLISSINDE

Squarciafico?

LE CHEVALIER

Je peux permettre qu'on lui dise
D'entrer, s'il vous convient de voir sa marchandise.

MÉLISSINDE

Ah! vraiment? Vous daignez ne pas m'ôter jusqu'au
Plaisir de recevoir mon cher Squarciafico?…

LE CHEVALIER

Vous le recevrez donc, madame, — en ma présence.

(Il sort.)

SORISMONDE

Il fait bon d'épouser l'empereur de Byzance.

MÉLISSINDE

Mais que se passe-t-il!

SCÈNE V

MÉLISSINDE, SORISMONDE, SQUARCIAFICO suivi de son valet NICHOLOSE, qui porte des ballots de marchandises, LE CHEVALIER AUX ARMES VERTES, les bras croisés sur le seuil.

SQUARCIAFICO,
obséquieux, vif, volubile, et ne perdant pas le chevalier de coin de l'œil.

Oh! plus belle toujours!
Le sourire lui-même, elle l'a, des Amours!

(A son valet qui ouvre les ballots.)

Nicholose, tous les objets, tu les disposes…

(A Mélissinde, en un salut.)

Princesse, nous avons beaucoup de belles choses!

MÉLISSINDE

Toujours plus riche, alors?

SQUARCIAFICO

Bon Jésus! Pauvre, moi!

MÉLISSINDE

Vieux menteur! Comme tous nos Génois, riche, toi!
Ayez donc, ô chercheurs de gains en Palestine,
Non pas la Croix, mais le Sequin sur la poitrine!
Vous vous enrichissez à la Croisade? Oh! fi!

SQUARCIAFICO

La gloire est pour les Francs!

MÉLISSINDE

Et pour vous le profit?

SQUARCIAFICO

Non! Tout va mal, malgré notre patron saint George!
Des péages partout, Princesse ; on nous égorge!
On nous a supprimé les fours et les moulins!

(Câlin.)

Vous nous les ferez rendre?

MÉLISSINDE

On verra.

SQUARCIAFICO, montrant des sacs.

Des sacs pleins
De parfums, tous exquis!…

(Déroulant un tapis.)

Voyez! Tapis de Perse!

(Tout en donnant des petits coups sur le tapis.)

La ville d'Ascalon, protégeant le commerce,
Donne aux Génois, par an, cent besants ; c'est joli!

(Câlin.)

Vous devriez en faire autant dans Tripoli!

MÉLISSINDE

On verra!

SQUARCIAFICO, présentant un coffret.

Ce coffret, admirez-vous?

MÉLISSINDE

J'admire.

SQUARCIAFICO, à genoux devant elle et déballant.

Tissu d'or de Moussoul! Perles du Golfe! Myrrhe
De l'Arabie Heureuse! Ivoire éthiopien!…

(Bas.)

Chut! Je vais vous parler tout bas, écoutez bien!

(Mouvement de Mélissinde. Haut.)

Beau brocart!

(Bas.)

Un jeune homme rôde…

(Haut, faisant bouffer et miroiter l'étoffe.)

Teintes mates!…

(Bas.)

Rôde autour du Palais.

MÉLISSINDE, à part.

Je comprends!

SQUARCIAFICO, haut.

Aromates!

(Bas.)

On l'empêche d'entrer.

(Haut.)

Ambre! — Daignez sentir!

(Bas.)

Il voudrait vous parler.

(Haut.)

Satin broché de Tyr!

MÉLISSINDE, bas.

Son nom?

SQUARCIAFICO, bas.

Je ne sais pas. C'est, je crois, un poète!

MÉLISSINDE, avec un petit cri qu'elle rattrape immédiatement.

Ah!… Ah! Cette écarlate, aux yeux, est une fête!

SQUARCIAFICO

Par ruse, pouvez-vous le faire entrer chez vous?

MÉLISSINDE, bas.

Mais non!

SQUARCIAFICO, haut.

Fin lin d'Égypte! Est-ce souple? Est-ce doux!

MÉLISSINDE, haut.

D'où vient-il?

SQUARCIAFICO, bas.

Mais de France! A l'instant il débarque,
Beau comme un pâtre grec, et fier comme un monarque!
— Est-ce que ce gardien jamais ne s'en ira?

(Haut.)

Des épices venant de Kiss-Ben-Omira.

MÉLISSINDE, bas.

Non, il reste, pareil au dragon dans les mythes!

SQUARCIAFICO, haut.

De l'encens, que je tiens du roi des Axumites!

(Bas.)

Ce jeune homme m'a dit que le cas est pressant,
Et, pour vous voir, qu'il se battrait un contre cent!

MÉLISSINDE

Alors?

SQUARCIAFICO, haut.

Du calamus!

(Bas.)

Si tantôt quand il sonne
Du cor, on ne vient pas à son appel, il donne
L'assaut!

(Haut.)

Baume Arabesque, un baume tout-puissant
Mis sur une blessure, il arrête le sang!…

(Se levant et lui offrant un petit sac.)

Et de Provence enfin, pour que sous vos dents fines
Vous les fassiez craquer, de blondes avelines!

MÉLISSINDE

C'est bon, laisse cela. J'achète tout. Va-t'en.

(A part.)

Il me semble déjà que là dehors j'entend!…

SQUARCIAFICO, repliant les étoffes.

J'aurai de beaux brocarts aux prochains arrivages.

(Sur un geste impatient de Mélissinde.)

Je m'en vais!…

(Câlin.)

Vous ferez supprimer les péages?

MÉLISSINDE

Oui.

SQUARCIAFICO, bas.

Beau comme Paris. J'en étais ébloui!

(Haut. Câlin.)

Et la subvention, vous nous l'accordez?…

MÉLISSINDE

Oui.

SQUARCIAFICO, à lui-même.

Je crois que je n'ai pas manqué de ce qu'on nomme
Du flair, en m'attachant au sort de ce jeune homme.
Hé, hé, ceci pourrait bien nuire à Manuel…

(Se retournant sur la seuil avant de sortir en un salut plein de grâce.)

C'est dit, cent bons besants de crédit annuel!

(Le chevalier sort derrière lui.)

SCÈNE VI

MÉLISSINDE, SORISMONDE, puis LE CHEVALIER AUX ARMES VERTES

MÉLISSINDE, à Sorismonde.

As-tu tout entendu?

(Sorismonde fait signe que oui.)

Ce jeune homme!… un poète!…

SORISMONDE

Eh mais, vous paraissez inquiète.

MÉLISSINDE

Inquiète?
Moi? Non!

SORISMONDE, avec malice.

Est-ce que vous vous ennuyez encor?

MÉLISSINDE, se jetant sur le divan.

Pourquoi pas? Ne dis pas de sottises!…

(On entend sonner un cor au loin.)

Le cor!

SORISMONDE, au vitrail.

Oui, le voilà. C'est lui. Pour s'annoncer il sonne.

MÉLISSINDE, tout à fait étendue, avec indifférence.

Que m'importe?

SORISMONDE

C'est qu'il est bien de sa personne!

MÉLISSINDE, haussant les épaules.

Comment peux-tu le voir de si loin?

SORISMONDE

Je le vois.
Il appelle ; et l'on sort en armes à sa voix.
Il est à la première porte.

MÉLISSINDE

Que m'importe?

(Un temps.)

Eh bien, qu'est-ce qu'il fait à la première porte?

SORISMONDE

Les gens de l'Empereur l'arrêtent.

MÉLISSINDE

Le pauvret!
Il s'en retourne?

SORISMONDE

Non. Il se bat.

MÉLISSINDE, s'accoudant.

Est-ce vrai?

SORISMONDE

Mais c'est qu'il les bouscule. Il passe. Vierge sainte!
Il est déjà devant la deuxième enceinte.
Il se bat!

MÉLISSINDE, se soulevant.

Est-ce vrai?

SORISMONDE

Oh! quel superbe élan!

(Le cor résonne plus près.)

Écoutez-le sonner du cor!

MÉLISSINDE, debout.

Comme Roland.

SORISMONDE

Il va passer.

MÉLISSINDE, à la fenêtre derrière elle.

Il passe!

SORISMONDE

Il tombe!…

MÉLISSINDE

Il se relève!

SORISMONDE

Sa lance s'est brisée!

MÉLISSINDE

Il a saisi son glaive.
Ah!

(Elle recule.)

SORISMONDE

Qu'avez-vous?

MÉLISSINDE

Ses yeux! J'ai rencontré ses yeux.
Il vient de les lever, et de me voir.

SORISMONDE

Tant mieux!
Comme dans les tournois, jetez-lui votre manche.

MÉLISSINDE, se dressant dans la fenêtre et arrachant sa manche qu'elle élève.

Messire, frappez dru! Voici ma manche blanche!
Je vous enjoins ici d'en changer la couleur!
Défendez votre sang! Faites couler le leur!
Et ce samit d'argent à la blancheur si pure,
Ne me le rapportez que rouge.

(Elle lance la manche.)

LA VOIX DE BERTRAND.

Je le jure.

(Tumulte et cliquetis, puis silence.)

MÉLISSINDE, descendant.

Il est entré dans le Palais…

(Sorismonde referme le vitrail. Silence.)

On n'entend rien…
Plus rien… Que voulait-il me dire?

SORISMONDE, lui montrant la galerie.

Oh, voyez!

(Un esclave entre dans la galerie, couvert de sang, l'épée à la main, les vêtements en lambeaux. Il parle bas au chevalier.)

LE CHEVALIER

Bien.

(Il prend sa hache d'armes, et avec une courtoisie tranquille, à Mélissinde.)

Vous permettez? Je ferme un instant cette porte.

(Il la ferme. On l'entend que pousse les verrous. Silence.)

MÉLISSINDE

Que va-t-il se passer? — Ah! je suis demi-morte!

(On entend du bruit qui se rapproche dans le palais.)

Il vient! — Le Chevalier aux Armes Vertes, là,
Va le tuer avec cette hache qu'il a! —
Le pauvre enfant ne peut abattre cette brute! —

(Bruit de pas derrière la porte. Cliquetis.)

Ah! ils ont commencé!… Comme c'est long! On lutte.
On piétine!

(Bruit sourd.)

Quel choc!

(On n'entend plus rien, la porte s'ouvre ; elle recule.)

Ha!… les battants ouverts!

(Bertrand paraît sur le seuil, l'épée au poing, blessé au front ; et il jette aux pieds de Mélissinde la manche empourprée.)

MÉLISSINDE, reculant toujours.

Messire!… Ah!… Qu'avez-vous à me dire?…

BERTRAND

Des vers.

SCÈNE VII

MÉLISSINDE, BERTRAND, SORISMONDE

BERTRAND, mettant un genou en terre.

C'est chose bien commune
De soupirer pour une
Blonde, châtaine ou brune
Maîtresse,
Lorsque brune, châtaine,
Ou blonde, on l'a sans peine…
Moi, j'aime la lointaine
Princesse!
C'est chose bien peu belle
D'être longtemps fidèle,
Lorsqu'on petit baiser d'Elle
La traîne,
Lorsque parfois on presse
Une main, qui se laisse…
— Moi, j'aime la Princesse
Lointaine!

MÉLISSINDE, continuant.

Car c'est chose suprême
D'aimer sans qu'on vous aime,
D'aimer toujours, quand même,
Sans cesse,
D'une amour incertaine,
Plus noble d'être vaine…
Et j'aime la lointaine
Princesse!
Car c'est chose divine
D'aimer lorsqu'on devine,
Rêve, invente, imagine
A peine…
Le seul rêve intéresse,
Vivre sans rêve, qu'est-ce?
Et j'aime la Princesse
Lointaine!

BERTRAND

Quoi! vous saviez ces vers?…

MÉLISSINDE

Par plus d'un ménestrel!

BERTRAND

Et vous savez qu'ils sont?

MÉLISSINDE

Oui, de Joffroy Rudel.

BERTRAND

Et cet étrange amour aurait eu la fortune?…

MÉLISSINDE

Ah! parlez-moi de lui, car l'heure est opportune!

BERTRAND

Vous saviez la constance et le zèle fervent
De cet amour?…

MÉLISSINDE

J'aimais cet amour!… Si souvent
Dans le bruit de la vague arrivant sur le sable
La voix de cet amour me parut saisissable,
Si souvent dans le bleu d'une fuite de jour
J'ai senti près de moi l'âme de cet amour!…

BERTRAND défaillant.

Ciel!

MÉLISSINDE, penchée presque sur son front.

Vous êtes heureux?

BERTRAND

Oh! bien heureux, Madame!
Car celui… Mais le sang perdu… Je…

MÉLISSINDE

Il se pâme…
Sorismonde!

SORISMONDE, accourant.

Attendez!… Il faut l'étendre… là.

(Elles l'étendent dans les coussins.)

MÉLISSINDE, affolée.

Va! cours! De l'eau! L'aiguière! Eh, vite! donne-la!

SORISMONDE, s'agenouillant à côté de Mélissinde et de Bertrand, avec l'aiguière.

Qu'il est pâle! Il est beau comme un dieu de l'Olympe!

MÉLISSINDE

Son front saigne. Du linge! Attends. J'ai…

(Elle déchire à sa gorge de la mousseline.)

SORISMONDE

Votre guimpe!

MÉLISSINDE

Non, ce n'est rien! — Le cœur bat sous le siglaton!
— Prends le baume Arabesque! Eh, vite, il est, dit-on,
Tout-puissant! — Doucement! il va reprendre mine!
— Non, ne lui tache pas son pelisson d'hermine! —
Chut! — Il faut qu'il revienne à lui, mais sans sursauts.
— Il porte les cheveux comme les Provençaux. —
Ah! sur la joue, on voit renaître un peu de rouge ;
Il respire ; les cils tremblent ; la lèvre bouge ;
Il a serré ma main dans la sienne…

SORISMONDE

Il va mieux.

MÉLISSINDE

Il entr'ouvre les yeux. Il ouvre grands les yeux.

BERTRAND ouvrant les yeux et la voyant.

Je rêve! Je suis Flor. Et Blancheflor, c'est Elle!
A moins que, ma blessure ayant été mortelle,
Mon réveil maintenant se fasse en paradis.

MÉLISSINDE

Entends-tu, Sorismonde?

SORISMONDE

Il va mieux, je vous dis.

BERTRAND, la tête sur le bras de Mélissinde, d'où la manche a été arrachée.

Je ne me souviens plus… j'éprouve une faiblesse…
Ce bras contre ma joue…

(Mouvement de Mélissinde.)

Oh! non, laissez!

MÉLISSINDE

Je laisse.

BERTRAND

O brûlante fraîcheur de ce bras inconnu,
De ce bras fin, de ce bras nu!

MÉLISSINDE, retirant vivement son bras.

Mais c'est vrai, — nu!

BERTRAND, se soulevant, à Mélissinde.

Mais qui donc êtes-vous?

MÉLISSINDE

Vous savez bien, messire,
Celle à qui vous aviez une nouvelle à dire…
Mais vous êtes tombé du long, évanoui!

BERTRAND, reculant.

Oh! non! vous n'êtes pas la Princesse?

MÉLISSINDE, souriant.

Mais oui!

BERTRAND

Vous, mais alors!… Vous, la Princesse!… — A la malheure!
Et moi!… Grand Dieu!… Courons, car l'heure passe, l'heure
Passe!…

(Il veut s'élancer et chancelle.)

Ouvrez ce vitrail. Regardez… je ne puis…

(Mélissinde ouvre le vitrail du fond.)

Que voyez-vous?

MÉLISSINDE

Mais la terrasse en fleurs.

BERTRAND

Et puis?

MÉLISSINDE

La mer.

BERTRAND

Et sur la mer, — grand Dieu, le cœur me manque! —
Sur la mer voyez-vous une galère franque?

MÉLISSINDE

Une petite nef ventrue, au loin, là-bas,
A l'ancre, — et qu'en effet hier je ne vis pas!

BERTRAND

C'est elle! Et tout en haut du mât?

MÉLISSINDE

Des hirondelles!

BERTRAND

Et pas de voile noire à la vergue?…

MÉLISSINDE

Des ailes,
Des ailes d'alcyon, blanches!

BERTRAND

Il est donc temps!
Oh! madame, courons! — Oh! Vierge qui m'entends,
Prolonge un peu sa vie, et qu'il quitte ce monde,
L'ayant vue! Il mourrait si content!

MÉLISSINDE

Sorismonde,
Regarde, en ses beaux yeux désespérés, des pleurs!

BERTRAND

Il mourrait si content! Car c'est la fleur des fleurs,
Et c'est l'étoile des étoiles! — Et les rêves
Seront outrepassés! Et les peines grièves,
Et tous les souvenirs amers s'aboliront,
Sitôt qu'il recevra la clarté de ce front,
Qu'il pourra contempler entre les grands cils fauves,
Ces yeux bleus, qui sont gris, et qui pourtant sont mauves!
Voyant celle dont, sans la voir, il fut épris,
Ah! je comprends qu'il faut qu'il la voie à tout prix!
— Hélas! on ne peut plus le transporter à terre!
Venez donc apparaître au pauvre grabataire
De qui l'instant dernier sera délicieux,
S'il ferme sur l'image adorable ses yeux!
Ne vous reculez pas d'une façon hautaine!
Ne redevenez pas la Princesse lointaine!
Princesse d'Orient, Princesse au nom de miel,
Venez pour que, vivant, il connaisse le ciel,
Et venez, pour qu'il ait, sur sa nef misérable,
Le mourir le plus doux, — et le plus enviable!

MÉLISSINDE, qui a reculé à mesure qu'il s'avance.

Mais de qui parlez-vous?

BERTRAND

De ce Joffroy Rudel
Duquel la dernière heure est instante, — duquel
Vous prétendiez aimer l'amour! Oh! il expire!
Hâtez-vous. J'ai promis…

MÉLISSINDE

Mais alors, vous, messire,
Vous, qui donc êtes-vous?

BERTRAND

Bertrand d'Allamanon,
Son frère, son ami… Ho! venez vite!

MÉLISSINDE

Non.

RIDEAU

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