Le Livre 010101: Enquête
The Project Gutenberg eBook of Le Livre 010101: Enquête
Title: Le Livre 010101: Enquête
Author: Marie Lebert
Release date: October 26, 2008 [eBook #27036]
Most recently updated: January 4, 2021
Language: French
Credits: Produced by Al Haines
Produced by Al Haines
LE LIVRE 010101: ENQUETE
MARIE LEBERT
NEF, University of Toronto, 2001
Copyright © 2001 Marie Lebert
Datée de septembre 2001, une enquête sur le livre numérique menée auprès de tous ses acteurs: auteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires-documentalistes, professeurs, traducteurs, linguistes, concepteurs de machines de lecture, etc. La version originale est disponible sur le NEF: http://www.etudes-francaises.net/entretiens/00livre.htm
TABLE
1. Introduction
2. Chronologie
3. Qu'apporte l'internet aux auteurs?
4. Presse en ligne et cyberpresse
5. Le respect du droit d'auteur sur l'internet
6. L'édition électronique
7. Le livre numérique se généralise
8. Le livre électronique émerge
9. Livre numérique, livre braille et livre vocal
10. Les librairies "classiques" et cyber
11. Bibliothèques "en dur" et bibliothèques numériques
12. Apprendre et enseigner
13. Quel avenir pour l'imprimé?
14. La multiplicité des langues: barrière ou richesse?
15. La traduction automatique
16. Le livre et l'internet: quelques sagas
17. L'avenir du réseau
18. Cyberespace et société de l'information
19. Expériences et souvenirs
20. Répertoire de sites web
21. Glossaire
22. Personnes citées
23. Adresses web
24. Index
1. INTRODUCTION
Le développement de l'internet depuis quelques années, la généralisation des livres numériques (versions numérisées d'un livre) depuis trois ans et l'apparition des livres électroniques (appareils de lecture permettant de lire à l'écran des livres numériques) depuis quelques mois amènent de profonds changements dans le monde du livre.
Le grand vecteur du numérique est le web, qui est la partie visible de l'iceberg et joue souvent le rôle de vitrine. S'il est peut-être contaminé par l'emprise des multinationales, le web n'en est pas moins devenu une gigantesque encyclopédie, une énorme bibliothèque, une immense librairie et un organe de presse des plus complets. Il est aussi une discothèque, une vidéothèque et une artothèque. Le web est relayé par les autres services procurés par l'internet, à commencer par le courrier électronique, les listes de diffusion, les forums de discussion, etc. A ceci s'ajoutent un certain nombre de services purement informatiques, notamment la production de textes électroniques sous diverses formes et divers formats, et la numérisation des oeuvres imprimées en mode texte et en mode image.
Le numérique secoue durement le monde de l'imprimé, réputé jusque-là pour sa stabilité. Le livre n'est pas menacé pour autant, loin s'en faut, mais il se convertit: publication de livres en version numérique, avec impression uniquement à la demande, oeuvres multimédias et hypermédias, éditeurs électroniques, librairies en ligne, bibliothèques numériques, dictionnaires et encyclopédies en ligne, logiciels de traduction automatique, appareils de lecture de la taille d'un livre, etc.
Point n'est besoin de pleurer la mort du papier. On a désormais deux supports (papier et numérique) au lieu d'un (papier). Plutôt que de se lamenter sur le bon (?) vieux temps, beaucoup ont choisi d'explorer les avantages du numérique. Cependant, jusque-là, peu de professionnels sont devenus des adeptes du "zéro papier". Le plus souvent, l'imprimante reste la fidèle compagne de l'ordinateur. Certains s'accordent à dire qu'ils n'ont jamais autant imprimé. Tous reconnaissent l'utilité du numérique pour ses qualités pratiques, mais restent amoureux du papier et de l'imprimé pour le plaisir de l'objet.
Le livre imprimé a cinq siècles et demi. Le livre numérique est plus difficile à dater. Si on le considère comme un texte électronique, il aurait trente ans et serait né avec le Projet Gutenberg, créé par Michael Hart en 1971 alors qu'il était étudiant à l'Université d'Illinois, pour répandre le plus largement possible les oeuvres du domaine public sous la forme de documents électroniques au format texte. Si on le réduit à son aspect commercial, le livre numérique n'aurait que trois ans et serait né en mai 1998 avec la mise en vente des premières versions numériques commercialisées par les éditions 00h00.com.
La boucle semble maintenant bouclée, ou plus exactement l'imprimé et le numérique se sont maintenant rejoints puisque, depuis le 23 novembre 2000, la version numérique de la Bible de Gutenberg, premier ouvrage à avoir jamais été imprimé (en 1454-1455) est en accès libre sur le site de la British Library, soit très exactement 546 ans plus tard. Dans quelques années, il deviendra probablement ridicule de distinguer l'imprimé du numérique, si ce n'est pour choisir un support, et ceci d'autant plus quand le papier électronique deviendra monnaie courante.
Comment s'effectue le passage vers le numérique pour les différents acteurs du monde du livre: écrivains, journalistes, éditeurs, libraires, bibliothécaires, documentalistes, traducteurs, chercheurs, professeurs, linguistes, etc.? Quel usage font-ils de l'internet? Comment voient-ils l'avenir? Utilisent-ils encore beaucoup l'imprimé? Quelle est leur opinion sur le livre électronique? Que pensent-ils des débats en cours sur le respect du droit d'auteur sur l'internet? Quels avantages voient-ils à la multiplicité des langues sur le web? Comment définissent-ils le cyberespace et la société de l'information?
Pour des raisons pratiques, dans les pages qui suivent, on utilisera l'expression "professionnels du livre" pour englober tous ces acteurs. "Professionnels de l'imprimé" n'est plus très opportun à l'ère du numérique. "Professionnels de l'information et de la documentation" est un peu long, de même que "professionnels du livre et de la presse". Comme l'internet fait partie de notre vie quotidienne depuis plusieurs années maintenant, on a choisi de ne plus lui attribuer de majuscule mais de le considérer comme un nom commun. La même remarque vaut pour "net", "web" et "réseau".
Le Livre 010101 se base principalement sur des entretiens conduits par courrier électronique auprès de nombreux professionnels ayant des profils très variés. Les participants n'ont en aucune façon été choisis en fonction de leur notoriété. Ils ont été choisis en fonction de leur expérience du numérique et de l'intérêt de celle-ci. Si certains ont de gros moyens financiers et bénéficient de l'appui des médias, d'autres se débrouillent avec conviction et sans moyens dans un anonymat relatif ou total, et il est grand temps de leur donner aussi la parole. Ce livre s'y emploie. Tout comme les entretiens, il est publié en ligne en juillet 2001 sur le Net des études françaises.
Débutés en juin 1998, les premiers entretiens ont constitué la trame de deux études, De l'imprimé à internet (00h00.com, Paris) et Le multilinguisme sur le web (CEVEIL, Montréal), toutes deux publiées début 1999. Les entretiens se sont ensuite poursuivis, chacun relatant sa propre expérience au fil des ans. Ceux qui le souhaitaient ont reçu de nouvelles questions chaque année, avec réponse à tout ou partie des questions dans le délai souhaité: quelques jours, quelques semaines ou quelques mois. De nouveaux participants sont régulièrement venus se joindre aux "anciens".
Le but des entretiens est aussi de connaître l'avis des professionnels du livre (et apparentés) sur un sujet donné (le livre électronique, le droit d'auteur, le multilinguisme, l'avenir du réseau, l'avenir de l'imprimé, etc.), d'où l'intérêt de poser les mêmes questions aux uns et aux autres. Comme on le verra, les points de vue sont très différents, ce qui ajoute à la richesse du livre. Que tous soient ici chaleureusement remerciés pour leur participation et leur fidélité.
= Marie, Russon, Greg et Maria Victoria
Marie Lebert, l'auteur de ce livre, est traductrice et documentaliste (spécialisée dans les catalogues, bibliographies et index) auprès d'organisations internationales, pour gagner sa vie. Depuis janvier 1998, grâce à l'internet, elle travaille exclusivement à distance. Elle est également chercheuse, écrivain et journaliste. Depuis toujours, elle est une nomade impénitente.
Russon Wooldridge, éditeur en ligne, est professeur au département d'études françaises de l'Université de Toronto. Il est le créateur de sites dans le domaine des études françaises, dont le Net des études françaises, sur lequel ce livre est publié. Il est également chercheur (histoire de la langue, évolution des médias du papier et du web).
Greg Chamberlain, journaliste et traducteur anglais, et Maria Victoria Marinetti, mexicaine, professeur d'espagnol en entreprise et traductrice, vérifient et améliorent les traductions de Marie Lebert vers l'anglais et l'espagnol. Si tous les entretiens reçus en anglais et en espagnol sont systématiquement traduits en français, on considère que les participants anglophones et hispanophones ne comprenant pas le français ont eux aussi le droit de savoir ce que pensent les francophones, d'où l'intérêt de ces traductions, malheureusement trop peu nombreuses.
2. CHRONOLOGIE
Cette chronologie présente les principales balises du développement du numérique dans le domaine du livre et de la presse. Mis à part le Projet Gutenberg, apparu dès 1971, le développement du numérique est lié à celui du web, et ne prend donc son essor qu'en 1993-1994, avec une accélération sensible depuis août 2000. Cette accélération préfigure sans doute le passage prochain au "tout numérique", au moins pour le stockage et la diffusion des données.
1971: Création du Projet Gutenberg, première bibliothèque numérique au monde
Créé par Michael Hart en 1971 alors qu'il était étudiant à l'Université d'Illinois, le Projet Gutenberg a pour but de mettre gratuitement à la disposition de tous le plus grand nombre possible d'oeuvres du domaine public. Lorsque l'utilisation du web se généralise, le projet trouve un second souffle et un rayonnement international. La plus ancienne bibliothèque numérique sur l'internet propose désormais 3.700 oeuvres (chiffres de juillet 2001) qui, au fil des années, ont été patiemment numérisées en mode texte par des volontaires de nombreux pays (600 volontaires actifs en 2000). D'abord essentiellement anglophones, les collections deviennent peu à peu multilingues.
1993: Création d'ABU: la bibliothèque universelle, première bibliothèque numérique francophone
La première bibliothèque numérique francophone voit le jour en 1993, à l'initiative de l'Association des bibliophiles universels (ABU, Paris). Ses membres, bénévoles, scannent ou dactylographient eux-mêmes des oeuvres francophones du domaine public. A ce jour, les collections comprennent 283 textes de 100 auteurs (chiffres de juin 2001).
Novembre 1994: Premier numéro des Chroniques de Cybérie, chronique hebdomadaire des actualités de l'internet
Jean-Pierre Cloutier, journaliste québécois, lance en novembre 1994 Les Chroniques de Cybérie, chronique hebdomadaire des actualités de l'internet, sous la forme d'une lettre hebdomadaire envoyée par courrier électronique (5.000 abonnés en 2001). A partir d'avril 1995, on peut également lire les Chroniques directement sur le web. Depuis bientôt sept ans maintenant, elles font référence dans la communauté francophone, y compris dans le domaine du livre.
Février 1995: Mise en ligne du site web du Monde diplomatique
Monté dans le cadre d'un projet expérimental avec l'INA (Institut national de l'audiovisuel) et présenté en février 1995 lors du forum des images Imagina, le site web du mensuel Le Monde diplomatique est le premier site d'un périodique imprimé français. A sa suite, rapidement, des quotidiens imprimés créent un site web: Libération fin 1995, Le Monde et L'Humanité en 1996, etc.
Avril 1995: Création d'Editel, pionnier de l'édition littéraire francophone
En avril 1995, Pierre François Gagnon, québécois, crée Editel, le premier site web d'auto-édition collective de langue française, devenu ensuite un site de cyberédition non commerciale en partenariat avec les auteurs maison (25 textes téléchargeables en janvier 2001) et un webzine littéraire.
Juillet 1995: Naissance du libraire en ligne Amazon.com, futur géant du commerce électronique
En juillet 1995, Amazon.com est fondé par Jeff Bezos suite à une étude de marché démontrant que les livres sont les meilleurs "produits" à vendre sur l'internet. Il crée donc une librairie en ligne qui débute avec dix employés et trois millions d'articles, et devient vite une référence dans le domaine du commerce électronique. Cinq ans plus tard, en novembre 2000, Amazon.com compte 7.500 employés, 28 millions d'articles, 23 millions de clients et quatre filiales (Royaume-Uni, Allemagne, France et Japon). Admiré par certains, son modèle économique est violemment contesté par d'autres, notamment en matière de gestion du personnel.
Février 1996: Naissance de LMB Actu (Le Micro Bulletin Actu), qui devient
Internet Actu en septembre 1999
En février 1996, François Vadrot, directeur des systèmes d'information du CNRS (Centre national de la recherche scientifique, France), crée LMB Actu (Le Micro Bulletin Actu), lettre d'information hebdomadaire consacrée à l'actualité de l'internet et des nouvelles technologies. Trois ans plus tard, en août 1999, il crée la société de cyberpresse FTPress (French Touch Press). En septembre 1999, LMB Actu est remplacé par Internet Actu (environ 55.000 abonnés en juin 2001 pour l'ensemble des éditions hebdomadaires et quotidiennes). D'autres publications suivent, ainsi que des réalisations multimédias, des émissions de télévision, etc., dont certaines suivent de près l'actualité du livre.
Août 1996: Création de CyLibris,premier éditeur en ligne français
Créé en août 1996 par Olivier Gainon, CyLibris (de Cy, cyber et Libris, livre) décide d'utiliser l'internet et le numérique pour s'affranchir des contraintes liées à l'économie traditionnelle du livre. L'éditeur peut ainsi se consacrer à la découverte et à la promotion de nouveaux auteurs littéraires, et à la publication de leurs premières oeuvres. Vendus uniquement sur le web, les livres (52 titres en juin 2001) sont imprimés à la commande et envoyés directement au client, ce qui permet d'éviter le stock et les intermédiaires. CyLibris devient membre du Syndicat national de l'édition (SNE) au printemps 2000.
Octobre 1996: Création du concept d'@folio, support numérique de lecture nomade
En octobre 1996, Pierre Schweitzer crée le concept d'@folio (prononcer a-folio), support numérique de lecture nomade, dans le cadre d'un projet de design déposé à l'Ecole d'architecture de Strasbourg. Le projet a beaucoup progressé depuis et la commercialisation d'@folio ne devrait plus tarder. Léger, et très simple de fabrication et d'utilisation (son prix serait donc modique), @folio permet d'emporter avec soi des textes glanés sur l'internet. Sa mémoire, extensible, lui permet de stocker des centaines de pages reliées en hypertexte. Son interface, ergonomique et intuitive, mime les gestes traditionnels de la lecture: tourner ou effleurer la page.
Octobre 1997: Création de Gallica, bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France (BnF)
Mise en ligne en octobre 1997 par la Bibliothèque nationale de France (BnF), Gallica est à l'échelon mondial une des plus importantes bibliothèques électroniques existant sur le réseau, avec 80.000 documents - imprimés et images fixes - allant du Moyen-Age au début du 20e siècle. Les imprimés sont essentiellement numérisés en mode image.
Mai 1998: Naissance des éditions 00h00.com, pionnier de l'édition numérique
"Zéro heure" est un nom choisi à dessein par Jean-Pierre Arbon et Bruno de Sa Moreira, fondateurs des éditions 00h00.com, pour évoquer "cette idée d'origine, de nouveau départ". En mai 1998, 00h00.com fait le pari de concilier édition électronique et commerce, en vendant des livres en version numérique (qui représentent 85% des ventes) et en version papier, imprimée à la demande. Pas de stock, pas de contrainte physique de distribution, mais un très beau site, sur lequel on lit: "internet est un lieu sans passé, où ce que l'on fait ne s'évalue pas par rapport à une tradition. Il y faut inventer de nouvelles manières de faire les choses."
Octobre 1998: Création du format Open eBook (OeB)
Apparu en octobre 1998, l'OeB (Open eBook) est un format de livre numérique basé sur les formats HTML et XML. La première version (1.0) de l'Open eBook Publication Structure (OEBPS) est disponible en septembre 1999. Elle est remplacée en juillet 2001 par la version 1.0.1. Le format OeB est utilisé notamment par le Reader de Microsoft, le Gemstar eBook et le Mobipocket. Créé en janvier 2000, l'Open eBook Forum (OeBF) développe le format OeB afin qu'il devienne le standard majeur, sinon unique, de publication des livres numériques. Ce consortium international réunit plusieurs dizaines d'entreprises: des fabricants de livres électroniques, des éditeurs, des fabricants de logiciels et de matériels, des libraires en ligne, etc.
Décembre 1999: Mise en ligne de WebEncyclo, la première encyclopédie francophone disponible gratuitement sur le web
En décembre 1999, les éditions Atlas mettent en ligne gratuitement leur encyclopédie WebEncyclo. La recherche est possible par mots-clefs, thèmes, médias (cartes, liens internet, photos et illustrations) et idées. La section "Webencyclo contributif" regroupe les contributions envoyées par des spécialistes.
Décembre 1999: Mise en ligne de l'Encyclopaedia Britannica, la première encyclopédie anglophone disponible gratuitement sur le web
Créé en décembre 1999, le site Britannica.com propose en accès libre et gratuit l'équivalent des 32 volumes de la 15e édition de l''Encyclopaedia Britannica, encyclopédie de référence de langue anglaise. Le site propose aussi l'actualité mondiale, une sélection d'articles de 70 magazines, un guide des meilleurs sites web (plus de 125.000 sites), une sélection de livres, etc., le tout étant accessible à partir d'un moteur de recherche unique. Depuis septembre 2000, le site fait partie des cent sites les plus visités au monde.
Juillet 2000: Autopublication sur l'internet de The Plant, de Stephen King, premier auteur de best-sellers à se lancer dans un tel pari
L'américain Stephen King, maître du suspense, est le premier auteur à succès à distribuer une oeuvre uniquement sur l'internet. Riding The Bullet, une nouvelle de 66 pages, provoque un véritable raz-de-marée lors de sa "sortie" sur le web le 14 mars 2000. 400.000 exemplaires sont téléchargés en 24 heures sur les sites des libraires en ligne qui la vendent. Suite à ce succès médiatique et financier, Stephen King décide de se passer des services de Simon & Schuster, son éditeur habituel. Il crée un site web spécifique et débute la publication en épisodes de The Plant le 24 juillet 2000. Le premier chapitre est téléchargeable en plusieurs formats (PDF, OeB, HTML, texte, etc.). Enthousiastes, sceptiques ou inquiets, les professionnels du livre suivent l'expérience de près. En novembre 2000, après la parution du sixième chapitre, Stephen King décide d'arrêter la publication pendant un an ou deux, le nombre de téléchargements et de paiements ayant régulièrement baissé au fil des chapitres.
Août 2000: Le Microsoft Reader disponible pour les ordinateurs de bureau
En mars 2000, une première version du Microsoft Reader (qui utilise le format OeB) permet la lecture de livres sur les ordinateurs de poche. En août 2000, le Microsoft Reader est utilisable sur un ordinateur de bureau. Des partenariats sont prévus avec les deux grands libraires en ligne, Barnes & Noble.com et Amazon.com, dans le cadre de l'ouverture prochaine de leurs librairies numériques (respectivement le 8 août et le 28 août 2000).
Septembre 2000: Rachat des éditions 00h00.com par l'américain Gemstar
Société leader dans le domaine des technologies et des systèmes interactifs pour les produits numériques, l'américain Gemstar étend son empire. En janvier 2000, il rachète les deux sociétés américaines à l'origine des premiers modèles de livres électroniques, NuvoMedia, créatrice du Rocket eBook, et Softbook Press, créatrice du Softbook Reader. Le 15 septembre 2000, il rachète les éditions 00h00.com, fondées à Paris en mai 1998 par Jean-Pierre Arbon et Bruno de Sa Moreira. Ce rachat permet à Gemstar d'accéder à l'édition numérique francophone, dont 00h00.com est devenu depuis son lancement le site de référence avec plus de 600 titres, essentiellement des rééditions électroniques d'ouvrages publiés par d'autres éditeurs.
Septembre 2000: Mise en ligne gratuite du Grand dictionnaire terminologique
(GDT), dictionnaire bilingue français-anglais
Le GDT rassemble un fonds terminologique de 3 millions de termes français et anglais du vocabulaire industriel, scientifique et commercial, dans 2.000 domaines d'activité. Son volume représenterait 3.000 ouvrages de référence imprimés. La mise en ligne gratuite du GDT le 18 septembre 2000 est le résultat d'un partenariat entre l'Office de la langue française du Québec, auteur du dictionnaire, et la société Semantix, spécialisée dans la mise au point de solutions logicielles pour l'intégration de fonctions linguistiques. Cette mise en ligne est un succès: dès le premier mois, le dictionnaire est consulté par 1,3 million de personnes, avec des pointes de 60.000 requêtes quotidiennes.
Octobre 2000: Lancement du Gemstar eBook à New York
Lancé le 12 octobre 2000 à New York, le Gemstar eBook est le successeur du Rocket eBook (de NuvoMedia) et du Softbook Reader (de SoftBook Press), suite au rachat de leurs sociétés par Gemstar en janvier 2000. Commercialisés en novembre 2000 aux Etats-Unis, les deux modèles - REB1100 (modèle noir et blanc, sucesseur du Rocket eBook) et REB1200 (modèle couleur, sucesseur du Softbook Reader) - sont construits et vendus sous le label RCA (appartenant à Thomson Multimedia). La commercialisation en Europe est prévue courant 2001.
Octobre 2000: Le eBookMan de Franklin reçoit le eBook Technology Award de la Foire internationale du livre de Francfort
Créé par Franklin, société leader spécialisée dans les PDA (personal digital assistants) et les dictionnaires de poche, le eBookMan reçoit le 20 octobre 2000 le eBook Technology Award de la Foire internationale du livre de Francfort (13-17 octobre 2000). Un mois après, la version test (beta) du eBookMan est présentée au Comdex Trade Show de Las Vegas (13-17 novembre 2000). Trois modèles (EBM-900, EBM-901 et EBM-911) sont commercialisés début 2001 aux Etats-Unis.
Novembre 2000: La Bible de Gutenberg disponible en ligne sur le site de la
British Library
Depuis le 22 novembre 2000, la version numérique de la Bible de Gutenberg est en accès libre sur le site de la British Library. Cette Bible est le premier ouvrage que Gutenberg ait imprimé, en 1454-1455, dans son atelier de Mayence (Allemagne). Il l'aurait imprimé en 180 exemplaires, et 48 exemplaires (dont certains incomplets) existeraient toujours. La British Library en possède deux versions complètes, et une partielle.
Janvier 2001: Commercialisation du Cybook, livre électronique conçu par la société Cytale
Conçu par la société Cytale, le Cybook est le premier livre électronique européen à être mis sur le marché. Olivier Pujol, PDG de Cytale, le présente le 15 décembre 2000 à un groupe de professionnels: auteurs, éditeurs, spécialistes des nouvelles technologies, etc. Distribué depuis le 23 janvier 2001, le Cybook ne nécessite qu'une prise téléphonique pour la connexion à l'internet. Le téléchargement des ouvrages s'effectue à partir de la librairie électronique située sur le site web.
3. QU'APPORTE L'INTERNET AUX AUTEURS?
[Dans ce chapitre:]
[3.1. Auteurs "classiques" / Des échanges accrus / Un outil de recherche et d'ouverture sur le monde / Une source d'inspiration romanesque // 3.2. Auteurs multimédias et hypermédias / Un rapport différent à l'écriture / Des hyper-romans publiés en feuilleton sur le web / Un espace d'écriture hypermédia / Vers un nouveau genre littéraire?]
3.1. Auteurs "classiques"
= Des échanges accrus
De l'avis général, l'internet renforce considérablement les relations de l'auteur avec le lecteur. Site web et courrier électronique permettent de multiplier les échanges, sans contrainte de temps et de lieu.
Nicolas Ancion utilise l'internet comme outil de communication et de création depuis 1997: "Je publie des textes en ligne, soit de manière exclusive (j'ai publié un polar uniquement en ligne et je publie depuis février (2001) deux romans-feuilletons écrits spécialement pour ce support), soit de manière complémentaire (mes textes de poésie sont publiés sur papier et en ligne). Je dialogue avec les lecteurs et les enseignants à travers mon site web."
En avril 2000, Anne-Bénédicte Joly, écrivain, décide d'auto-publier ses oeuvres en utilisant le web pour les faire connaître. "Mon site a plusieurs objectifs, écrit-elle. Présenter mes livres (essais, nouvelles et romans auto-édités) à travers des fiches signalétiques (dont le format est identique à celui que l'on trouve dans la base de données Electre) et des extraits choisis, présenter mon parcours (de professeur de lettres et d'écrivain), permettre de commander mes ouvrages, offrir la possibilité de laisser des impressions sur un livre d'or, guider le lecteur à travers des liens vers des sites littéraires. (…) Créer un site internet me permet d'élargir le cercle de mes lecteurs en incitant les internautes à découvrir mes écrits. Internet est également un moyen pour élargir la diffusion de mes ouvrages. Enfin, par une politique de liens, j'espère susciter des contacts de plus en plus nombreux. (…) Internet devra me permettre d'aller à la rencontre de lecteurs (d'internautes) que je n'aurai pas l'occasion en temps ordinaire de côtoyer. Je pense à des pays francophones tels que le Canada qui semble réserver une place importante à la littérature française. Je suis déjà référencée dans des annuaires et des moteurs de recherche anglo-saxons, et en passe de définir des accords d'échange de liens avec des sites universitaires et littéraires canadiens."
Poète et plasticienne, Silvaine Arabo débute en mai 1997 la cyber-revue Poésie d'hier et d'aujourd'hui. "Pour ce qui est d'internet, je suis autodidacte (je n'ai reçu aucune formation informatique quelle qu'elle soit), explique-t-elle. En 1997 j'ai eu l'idée de construire un site littéraire centré sur la poésie: internet me semble un moyen privilégié pour faire circuler des idées, pour communiquer ses passions aussi. Je me suis donc mise au travail, très empiriquement, et ai finalement abouti à ce site sur lequel j'essaye de mettre en valeur des poètes contemporains de talent, sans oublier la nécessaire prise de recul (rubrique 'Réflexions sur la poésie') sur l'objet considéré."
L'utilisation de l'internet a-t-elle des incidences sur son activité de poète? "Disons que la gestion d'un site internet - si l'on veut qu'il demeure vivant - requiert beaucoup de temps. Mais je fais en sorte que ma création personnelle n'en souffre pas. Par ailleurs, internet m'a mise en contact avec d'autres poètes, dont certains fort intéressants… Cela rompt le cercle de la solitude et permet d'échanger des idées. On se lance des défis aussi… Internet peut donc pousser à la créativité et relancer les motivations des poètes puisqu'ils savent qu'ils seront lus et pourront même, dans le meilleur des cas, correspondre avec leurs lecteurs et avoir les points de vue de ceux-ci sur leurs textes. Je ne vois personnellement que des aspects positifs à la promotion de la poésie par internet: tant pour le lecteur que pour le créateur. "En mars 2001, elle crée sur support papier, Saraswati: revue de poésie, d'art et de réflexion. Cyber-revue et revue papier, "les deux créations se complètent et sont vraiment à placer en regard l'une de l'autre."
Murray Suid écrit des livres pédagogiques et des livres pour enfants. Il est également l'auteur d'oeuvres multimédias et de scénarios. "L'internet est devenu mon principal instrument de recherche, et il a largement - mais pas complètement - remplacé la bibliothèque traditionnelle et la communication de personne à personne pour une recherche précise. A l'heure actuelle, au lieu de téléphoner ou d'aller interviewer les gens sur rendez-vous, je le fais par courrier électronique. Du fait de la rapidité inhérente à la messagerie électronique, j'ai pu collaborer à distance avec des gens, particulièrement pour des scénarios. J'ai par exemple travaillé avec deux producteurs allemands. Cette correspondance est également facile à conserver et à organiser, et je peux donc aisément accéder à l'information échangée de cette façon. De plus, le fait d'utiliser le courrier électronique permet aussi de garder une trace des idées et des références documentaires. Ce type de courrier fonctionnant bien mieux que le courrier classique, l'internet m'a permis de beaucoup augmenter ma correspondance. De même le rayon géographique de mes correspondants s'est beaucoup étendu, surtout vers l'Europe (Murray Suid habite en Californie, ndlr). Auparavant, j'écrivais rarement à des correspondants situés hors des Etats-Unis. C'est également beaucoup plus facile, je prends nettement plus de temps qu'avant pour aider d'autres écrivains dans une sorte de groupe de travail virtuel. Ce n'est pas seulement une attitude altruiste, j'apprends beaucoup de ces échanges qui, avant l'internet, me demandaient beaucoup plus d'efforts."
Dès 1998, Murray Suid préconise une solution désormais choisie par de nombreux auteurs. "Un livre peut avoir un prolongement sur le web - et donc vivre en partie dans le cyberespace. L'auteur peut ainsi aisément l'actualiser et le corriger, alors qu'auparavant il devait attendre longtemps jusqu'à l'édition suivante, quand il y en avait une. (…) Je ne sais pas si je publierai des livres sur le web, au lieu de les publier en version imprimée. J'utiliserai peut-être ce nouveau support si les livres deviennent multimédias. Pour le moment je participe au développement de matériel pédagogique multimédia. C'est un nouveau type de matériel qui me plaît beaucoup et qui permet l'interactivité entre des textes, des films, des documents audio et des graphiques tous reliés les uns aux autres. Un an après, en août 1999, il relate: "En plus des livres complétés par un site web, je suis en train d'adopter la même formule pour mes oeuvres multimédias - qui sont sur CD-Rom - afin de les réactualiser et d'enrichir leur contenu." Depuis, Murray Suid participe à des réalisations multimédias à caractère pédagogique conçues pour le réseau. Il travaille notamment pour EDVantage Software qui, de société multimédia, est devenue une société internet de logiciels éducatifs.
= Un outil de recherche et d'ouverture sur le monde
Michel Benoît écrit des nouvelles policières, des récits noirs et des histoires fantastiques. "L'internet s'est imposé à moi comme outil de recherche et de communication, essentiellement. Non, pas essentiellement. Ouverture sur le monde aussi. Si l'on pense: recherche, on pense: information. Voyez-vous, si l'on pense: écriture, réflexion, on pense: connaissance, recherche. Donc on va sur la toile pour tout, pour une idée, une image, une explication. Un discours prononcé il y a vingt ans, une peinture exposée dans un musée à l'autre bout du monde. On peut donner une idée à quelqu'un qu'on n'a jamais vu, et en recevoir de même. La toile, c'est le monde au clic de la souris. On pourrait penser que c'est un beau cliché. Peut-être bien, à moins de prendre conscience de toutes les implications de la chose. L'instantanéité, l'information tout de suite, maintenant. Plus besoin de fouiller, de se taper des heures de recherche. On est en train de faire, de produire. On a besoin d'une information. On va la chercher, immédiatement. De plus, on a accès aux plus grandes bibliothèques, aux plus importants journaux, aux musées les plus prestigieux. On pense à une toile d'un grand peintre, un instant plus tard, on l'a devant les yeux, on peut l'imprimer pour l'étudier plus en détail. Il y a une guerre quelque part dans le monde, un instant plus tard, on lit les communiqués de propagande d'un côté et de l'autre. La toile, le web, est en train de donner son vrai sens au village global, Gaïa, la terre-mère. (…)
Mon avenir professionnel en inter-relation avec le net, je le vois exploser. Plus rapide, plus complet, plus productif. Je me vois faire en une semaine ce qui m'aurait pris des mois. Plus beau, plus esthétique. Je me vois réussir des travaux plus raffinés, d'une facture plus professionnelle, même et surtout dans des domaines connexes à mon travail, comme la typographie, où je n'ai aucune compétence. La présentation, le transport de textes, par exemple. Le travail simultané de plusieurs personnes qui seront sur des continents différents. Arriver à un consensus en quelques heures sur un projet, alors qu'avant le net, il aurait fallu plusieurs semaines, parlons de mois entre les francophones. Plus le net ira se complexifiant, plus l'utilisation du net deviendra profitable, nécessaire, essentielle."
= Une source d'inspiration romanesque
Dans son roman Sanguine sur toile (Le Choucas, 1999), l'internet est un personnage en soi, explique Alain Bron, consultant en systèmes d'information et écrivain. "Plutôt que de le décrire dans sa complexité technique, le réseau est montré comme un être tantôt menaçant, tantôt prévenant, maniant parfois l'humour. N'oublions pas que l'écran d'ordinateur joue son double rôle: il montre et il cache. C'est cette ambivalence qui fait l'intrigue du début à la fin. Dans ce jeu, le grand gagnant est bien sûr celui ou celle qui sait s'affranchir de l'emprise de l'outil pour mettre l'humanisme et l'intelligence au-dessus de tout."
En quoi consiste l'intrigue? "La "toile", c'est celle du peintre, c'est aussi l'autre nom d'internet: le web - la toile d'araignée, explique l'auteur. "Sanguine" évoque le dessin et la mort brutale. Mais l'amour des couleurs justifierait-il le meurtre? Sanguine sur toile évoque l'histoire singulière d'un internaute pris dans la tourmente de son propre ordinateur, manipulé à distance par un très mystérieux correspondant qui n'a que vengeance en tête. J'ai voulu emporter le lecteur dans les univers de la peinture et de l'entreprise, univers qui s'entrelacent, s'échappent, puis se rejoignent dans la fulgurance des logiciels. Le lecteur est ainsi invité à prendre l'enquête à son propre compte pour tenter de démêler les fils tressés par la seule passion. Pour percer le mystère, il devra répondre à de multiples questions. Le monde au bout des doigts, l'internaute n'est-il pas pour autant l'être le plus seul au monde? Compétitivité oblige, jusqu'où l'entreprise d'aujourd'hui peut-elle aller dans la violence? La peinture tend-elle à reproduire le monde ou bien à en créer un autre? Enfin, j'ai voulu montrer que les images ne sont pas si sages. On peut s'en servir pour agir, voire pour tuer."
Autre roman dans lequel le web est omniprésent, La Toile, de Jean-Pierre Balpe, directeur du département hypermédias de l'Université Paris 8. Publié en 1999 par CyLibris, maison d'édition en ligne, cet roman est une projection dans l'avenir. "Notre internet (…) fait pâle figure auprès de l'omniprésente toile électronique sur laquelle repose le monde de 2015, lit-on sur le site de l'éditeur. Chacun vit, travaille, communique, s'instruit à travers le réseau… Chacun? Non, car le système engendre aussi ses exclusions, et rejette dans la marginalité les non-intégrés, ceux qui ne peuvent pas ou ne veulent pas être "citoyens du web". Dans cet avenir plus que probable, un "web artist" ouzbèque, Khamid Khan Kharamidov, est retrouvé assassiné dans une chambre d'hôtel de Montréal. Pour la police, ce n'est d'abord qu'une affaire de routine. Pour Blaise Carver, universitaire spécialisé en sciences de la communication et hisorien du réseau, enquêter sur la mort de Kharamidov et jouer les détectives amateurs n'est d'abord qu'un pari amical. Mais bientôt, tous réalisent que la mort du 'web artist' n'est que le sommet de l'iceberg, et que derrière ce crime s'étendent une infinité de ramifications qui, du Canada à l'Angleterre, de la Sibérie à l'Australie, de Paris à Sion, mettent en péril l'équilibre du monde entier. Tandis que, devant sa console, Blaise Carver commence à entrevoir l'effrayante vérité, un compte à rebours, quelque part, est déjà enclenché…"
3.2. Auteurs multimédias et hypermédias
Principe de base du web, le lien hypertexte permet de relier entre eux des documents textuels et des images. Quant au lien hypermédia, il permet l'accès à des graphiques, des documents audio et vidéo et des images animées. L'hyperlien ouvre de nombreuses perpectives pour la création en général et la littérature en particulier. Des écrivains n'ont pas tardé à en explorer les possibilités.
= Un rapport différent à l'écriture
Jean-Paul, écrivain et musicien, est le webmestre du site des cotres furtifs, qui raconte des histoires en 3D. "La navigation par hyperliens se fait en rayon (j'ai un centre d'intérêt et je clique méthodiquement sur tous les liens qui s'y rapportent) ou en louvoiements (de clic en clic, à mesure qu'ils apparaissent, au risque de perdre de vue mon sujet). Bien sûr, les deux sont possibles avec l'imprimé. Mais la différence saute aux yeux: feuilleter n'est pas cliquer. L'internet n'a donc pas changé ma vie, mais mon rapport à l'écriture. On n'écrit pas de la même manière pour un site que pour un scénario, une pièce de théâtre, etc.
En fait, ce n'est pas sur la toile, c'est dans le premier Mac que j'ai découvert l'hypermédia à travers l'auto-apprentissage d'Hypercard. Je me souviens encore de la stupeur dans laquelle j'ai été plongé, durant le mois qu'a duré mon apprentissage des notions de boutons, liens, navigation par analogies, par images, par objets. L'idée qu'un simple clic sur une zone de l'écran permettait d'ouvrir un éventail de piles de cartes dont chacune pouvait offrir de nouveaux boutons dont chacun ouvrait un nouvel éventail dont… bref l'apprentissage de tout ce qui aujourd'hui sur la toile est d'une banalité de base, cela m'a fait l'effet d'un coup de foudre (il paraît que Steve Jobs et son équipe eurent le même choc lorsqu'ils découvrirent l'ancêtre du Mac dans les laboratoires de Rank Xerox).
Depuis, j'écris (compose, mets en page, en scène) directement à l'écran. L'état 'imprimé' de mon travail n'est pas le stade final, le but ; mais une forme parmi d'autres, qui privilégie la linéarité et l'image, et qui exclut le son et les images animées. (…) C'est finalement dans la publication en ligne (l'entoilage?) que j'ai trouvé la mobilité, la fluidité que je cherchais. Le maître mot y est "chantier en cours", sans palissades. Accouchement permanent, à vue, comme le monde sous nos yeux. Provisoire, comme la vie qui tâtonne, se cherche, se déprend, se reprend. Avec évidemment le risque souligné par les gutenbergs, les orphelins de la civilisation du livre: plus rien n'est sûr. Il n'y a plus de source fiable, elles sont trop nombreuses, et il devient difficile de distinguer un clerc d'un gourou. Mais c'est un problème qui concerne le contrôle de l'information. Pas la transmission des émotions."
Jean-Paul a participé au websoap, un projet d'écriture hypertextuelle conçu pour l'internet par Olivier Lefèvre, mis en ligne le 17 novembre 2000 et interrompu (provisoirement?) quelques semaines après. Il s'agit d'"un jeu de rôles hypermédias dont l'avenir me paraît prometteur, parce qu'il est en rapport étroit avec les lois de fonctionnement du 'cyberespace': www.thewebsoap.net. Cette adresse renvoie à une constellation de sites centrés chacun sur un individu. Ils communiquent et interagissent par leur boîte à lettres, ouverte au public. L'internaute a ainsi accès à plusieurs portes d'entrée dans l'histoire. La nouveauté du feuilleton est qu'il se déroule en 'temps réel' (ce qui est impossible dans le monde de l'imprimé; quant aux séries télé, elles aussi sont cantonnées à la forme de l'épisode à horaire fixe). Les personnages correspondent quotidiennement, en quasi-direct, ce qui instaure pour les auteurs un rapport presque journalistique à leur imaginaire et à leur écriture. L'internaute suit, à son propre rythme, libre de s'intéresser ou non à l'intégralité des différentes intrigues (amours, galères, showbiz, ombres maléfiques, mystères et rebondissements) ou à l'ensemble de tous les personnages. C'est avant tout cette fluidité générale (apparente! c'est en fait un sacré travail!) qui m'a fait y participer. Elle permet de garder le côté impro-jazz que j'aime dans la mise en net."
"Les possibilités de l'écriture spécifiques à l'internet sont multiples (si pas infinies, on est en tout cas loin d'en avoir fait le tour)", écrit Alex Andrachmes, producteur audiovisuel, écrivain et explorateur d'hypertexte. A l'origine, il s'intéresse surtout à "l'écriture de mail (…): des mails fictifs". Tout comme Jean-Paul, il participe au websoap, qui "a comme particularité d'utiliser exclusivement les moyens du web pour raconter les récits qu'il se donne comme objectif de mettre en place. Le défi que lance à ses auteurs notre réalisateur/intégrateur Olivier Lefèvre est de taille. En effet, habituellement, l'écriture, qu'elle soit de roman, de scénario ou de théâtre, implique des descriptions, des indications de mise en scène (ou des didascalies pour le théâtre). Ici, rien de tout ça. Tout doit se dire sous forme d'adresse à un autre personnage. Il faut ensuite rebondir sur la ou les réponses, et s'arranger pour que le nécessaire soit dit. De plus, logiquement, une adresse à un tiers est le plus souvent succinte, pleine de référence et de sous-entendus, entre le ton parlé, un ton un peu littéraire, un ton un peu dépersonnalisé par rapport à la parole, mais proche quand même de son interlocuteur. On est plus proche du roman "épistolaire" du 19e (siècle, pas l'arrondissement qui n'a rien à voir), que d'une continuité dialoguée… Donc, exercice difficile pour tout 'tchatcheur', être court, mais tout dire, tout en restant léger… Heureusement, de temps à autre nous sommes aidés par un concept qui nous vient droit du jeu de rôle (d'autres auteurs du websoap nous viennent de ce secteur): le PNJ, le personnage non joué. Des adresses à ce personnage, proche du second rôle d'une fiction classique, mais non joué par un des "joueurs-auteurs", permet de préparer "le" mail décisif à un autre personnage principal, en mettant en place la situation. Attention tout de même: il faut rester dans la cohérence du récit et assurer stabilité et visibilité! En fait, un peu comme dans la dramaturgie cinématographique ou théâtrale, où l'importance du hors champ n'est plus à inventer, le sens saute d'un mail à l'autre. Plus clairement, un mail qui a un sens très positif en tant que tel, peut en prendre un tout autre, lorsqu'il est complété par une information distillée par un autre mail. Dans cette nouvelle forme d'écriture, tout s'invente en temps réel. Et c'est ce qui est passionnant…"
Naomi Lipson, écrivain multimédia, traductrice et peintre, fait elle aussi partie de l'équipe du websoap. "Aux côtés d'Olivier Lefèvre, qui est le concepteur du projet, j'ai créé le personnage principal, Mona Bliss, autour duquel gravitent une galaxie d'autres personnages, tous doués d'une vie propre, c'est-à-dire, sur la toile, d'un site personnel et d'une boîte aux lettres électronique dont le contenu est accessible à tous sur le Blue Mailer (site qui permet au lecteur de lire sur le web le contenu des différentes boîtes aux lettres, ndlr)."
Plus généralement, "j'ai toujours baigné dans l'écriture, raconte-t-elle, mais je n'ai produit de textes dignes de ce nom que grâce à l'ordinateur, qui a profondément modifié ma façon d'écrire et de penser. Quand il m'arrive par hasard de retourner au stylo et au papier, je suis perdue, mon écriture, comme intrinsèquement hypertextuelle, part (apparemment) dans tous les sens sur la page blanche. La structure n'est plus la même. Bien sûr, avec ma formation classique (hypokhâgne, latin-grec) je pourrais rapidement retrouver l'écriture linéaire, mais franchement, je n'en ai plus envie. Je me sens en parfaite adéquation avec l'hypertexte, tout simplement. Peut-être parce que j'ai l'esprit d'escalier…"
= Des hyper-romans publiés en feuilleton sur le web
Lucie de Boutiny est l'auteur de Non, roman multimédia publié en feuilleton sur le web par Synesthésie, revue en ligne d'art contemporain. "NON prolonge les expériences du roman post-moderne (récits tout en digression, polysémie avec jeux sur les registres - naturaliste, mélo, comique… - et les niveaux de langues, etc.), explique-t-elle. Cette hyperstylisation permet à la narration des développements inattendus et offre au lecteur l'attrait d'une navigation dans des récits multiples et multimédias, car l'écrit à l'écran s'apparente à un jeu et non seulement se lit mais aussi se regarde. Quant au sujet: NON est un roman comique qui fait la satire de la vie quotidienne d'un couple de jeunes cadres supposés dynamiques. Bien qu'appartenant à l'élite high-tech d'une industrie florissante, Monsieur et Madame sont les jouets de la dite révolution numérique. (…) Les personnages sont de bons produits. Les images et le style graphique qui accompagnent leur petite vie conventionnelle ne se privent pas de détourner nombre de vrais bandeaux publicitaires et autres icônes qui font l'apologie d'une vie bien encadrée par une société de contrôle."
Lucie de Boutiny publie aussi bien sur papier que sur écran. "D'une manière générale, mon humble expérience d'apprentie auteur m'a révélé qu'il n'y a pas de différence entre écrire de la fiction pour le papier ou le pixel: cela demande une concentration maximale, un isolement à la limite désespéré, une patience obsessionnelle dans le travail millimétrique avec la phrase, et bien entendu, en plus de la volonté de faire, il faut avoir quelque chose à dire! Mais avec le multimédia, le texte est ensuite mis en scène comme s'il n'était qu'un scénario. Et, si à la base, il n'y a pas un vrai travail sur le langage des mots, tout le graphisme et les astuces interactives qu'on peut y mettre fera gadget. Par ailleurs, le support modifie l'appréhension du texte, et même, il faut le souligner, change l'oeuvre originale."
Les possibilités offertes par l'hyperlien ont néanmoins changé son mode d'écriture. "Ce qui a changé: le bonheur d'écrire autrement, car ce qu'il se passe, depuis l'avènement d'ordinateurs multimédias, relativement peu coûteux, connectés au web, est qu'un certain nombre d'artistes éclairés par la fée électricité ont besoin d'être illuminés. Quelles que soient leurs confessions d'origine (arts visuels, littérature, poésie sonore, expérimentale…), elles/ils utilisent le média numérique comme un outil de création dont il faut découvrir les possibles. Le net étant évolutif, les artistes proposent le plus souvent des tentatives, c'est curieux, des works in progress, c'est opiniâtre, ou des pièces plus ambitieuses qui se construisent dans le temps, en fonction de l'amélioration du web (sa fluidité, sa résolution d'images, etc.). Ainsi le cyberartiste propose souvent des actualisations et des versions O.x. Voilà qui est intéressant et qui nous sort du marché."
Roman d'Anne-Cécile Brandenbourger, La malédiction du parasol s'est d'abord intitulée Apparitions inquiétantes. "Longue histoire à lire dans tous les sens, un labyrinthe de crimes, de mauvaises pensées et de plaisirs ambigus", la version originale s'est développée sous forme de feuilleton pendant deux ans sur le site d'Anacoluthe, en collaboration avec Olivier Lefèvre. L'histoire est publiée en février 2000 aux éditions 00h00.com, en tant que premier titre de la collection 2003, consacrée aux nouvelles écritures numériques. Suite au succès du livre, six mois après, en août 2000, le roman est réédité en version imprimée aux éditions "Florent Massot présente", avec une couverture en 3D et un nouveau titre.
"Les possibilités offertes par l'hypertexte m'ont permis de développer et de donner libre cours à des tendances que j'avais déjà auparavant, écrit l'auteur. J'ai toujours adoré écrire et lire des textes éclatés et inclassables (comme par exemple La vie mode d'emploi de Perec ou Si par une nuit d'hiver un voyageur de Calvino) et l'hypermédia m'a donné l'occasion de me plonger dans ces formes narratives en toute liberté. Car pour créer des histoires non linéaires et des réseaux de textes qui s'imbriquent les uns dans les autres, l'hypertexte est évidemment plus approprié que le papier. Je crois qu'au fil des jours, mon travail hypertextuel a rendu mon écriture de plus en plus intuitive. Plus 'intérieure' aussi peut-être, plus proche des associations d'idées et des mouvements désordonnés qui caractérisent la pensée lorsqu'elle se laisse aller à la rêverie. Cela s'explique par la nature de la navigation hypertextuelle, le fait que presque chaque mot qu'on écrit peut être un lien, une porte qui s'ouvre sur une histoire."
= Un espace d'écriture hypermédia
Mis en ligne en juin 1997, oVosite est l'oeuvre d'un collectif de six auteurs issus du département hypermédias de l'Université Paris 8: Chantal Beaslay, Laure Carlon, Luc Dall'Armellina, Philippe Meuriot, Anika Mignotte et Claude Rouah. oVosite est conçu et réalisé "autour d'un symbole primordial et spirituel, celui de l'oeuf, explique Luc Dall'Armellina. Le site s'est constitué selon un principe de cellules autonomes qui visent à exposer et intégrer des sources hétérogènes (littérature, photo, peinture, vidéo, synthèse) au sein d'une interface unifiante."
Les possibilités offertes par l'hypertexte ont-elles changé son mode d'écriture?
"Non - parce qu'écrire est de toute façon une affaire très intime, un mode de relation qu'on entretient avec son monde, ses proches et son lointain, ses mythes et fantasmes, son quotidien et enfin, appendus à l'espace du langage, celui de sa langue d'origine. Pour toutes ces raisons, je ne pense pas que l'hypertexte change fondamentalement sa manière d'écrire, qu'on procède par touches, par impressions, associations, quel que soit le support d'inscription, je crois que l'essentiel se passe un peu à notre insu.
Oui - parce que l'hypertexte permet sans doute de commencer l'acte d'écriture plus tôt: devançant l'activité de lecture (associations, bifurcations, sauts de paragraphes) jusque dans l'acte d'écrire. L'écriture (significatif avec des logiciels comme StorySpace) devient peut-être plus modulaire. On ne vise plus tant la longue horizontalité du récit mais la mise en espace de ses fragments, autonomes. Et le travail devient celui d'un tissage des unités entre elles. L'autre aspect lié à la modularité est la possibilité d'écritures croisées, à plusieurs auteurs. Peut-être s'agit-il d'ailleurs d'une méta-écriture, qui met en relation les unités de sens (paragraphes ou phrases) entre elles."
Cette double réponse est aussi celle de Xavier Malbreil, auteur multimédia et modérateur de la liste e-critures: "Oui: j'ai développé une écriture hypertextuelle spécifique sur mon site www.0m1.com dans les rubriques '10 poèmes en 4 dimensions' et 'Formes libres flottant sur les ondes'. Non: mon écriture traditionnelle (roman, nouvelles) n'a pas été modifiée par l'hyperlien."
= Vers un nouveau genre littéraire?
Pour Lucie de Boutiny, écrivain papier et pixel, "les écrivains français, c'est historique, sont dans leur majorité technophobes. Les institutions culturelles et les universitaires lettrés en revanche soutiennent les démarches hyperlittéraires à force de colloques et publications diverses. Du côté des plasticiens, je suis encore plus rassurée, il est acquis que l'art en ligne existe."
"Je viens du papier, ajoute-t-elle. (…) Mes 'conseillers littéraires', des amis qui n'ont pas ressenti le vent de liberté qui souffle sur le web, aimeraient que j'y reste, engluée dans la pâte à papier. Appliquant le principe de demi-désobéissance, je fais des allers-retours papier-pixel. L'avenir nous dira si j'ai perdu mon temps ou si un nouveau genre littéraire hypermédia va naître. (…) Si les écrivains français classiques en sont encore à se demander s'ils ne préfèrent pas le petit carnet Clairefontaine, le Bic ou le Mont-Blanc fétiche, et un usage modéré du traitement de texte, plutôt que l'ordinateur connecté, voire l'installation, c'est que l'HTX (littérature hypertextuelle, ndlr) nécessite un travail d'accouchement visuel qui n'est pas la vocation originaire de l'écrivain papier. En plus des préoccupations du langage (syntaxe, registre, ton, style, histoire…), le techno-écrivain - collons-lui ce label pour le différencier - doit aussi maîtriser la syntaxe informatique et participer à l'invention de codes graphiques car lire sur un écran est aussi regarder."
"L'avenir de la cyber-littérature, techno-littérature ou comme on voudra l'appeler, est tracé par sa technologie même", écrit Jean-Paul, webmestre du site des cotres furtifs. Il est maintenant impossible à un(e) auteur(e) seul(e) de manier à la fois les mots, leur apparence mouvante et leur sonorité. Maîtriser aussi bien Director, Photoshop et Cubase, pour ne citer que les plus connus, c'était possible il y a dix ans, avec les versions 1. Ça ne l'est plus. Dès demain (matin), il faudra savoir déléguer les compétences, trouver des partenaires financiers aux reins autrement solides que Gallimard, voir du côté d'Hachette-Matra, Warner, Pentagone, Hollywood. Au mieux, le statut du… écrivaste? multimédiaste? sera celui du vidéaste, du metteur en scène, du directeur de produit: c'est lui qui écope des palmes d'or à Cannes, mais il n'aurait jamais pu les décrocher seul. Soeur jumelle (et non pas clone) du cinématographe, la cyber-littérature (= la vidéo + le lien) sera une industrie, avec quelques artisans isolés dans la périphérie off-off (aux droits d'auteur négatifs, donc)."
"La couverture du réseau autour de la surface du globe resserre les liens entre les individus distants et inconnus, explique Luc Dall'Armellina, co-auteur et webmestre d'oVosite. Ce qui n'est pas simple puisque nous sommes placés devant des situations nouvelles: ni vraiment spectateurs, ni vraiment auteurs, ni vraiment lecteurs, ni vraiment interacteurs. Ces situations créent des nouvelles postures de rencontre, des postures de 'spectacture' ou de 'lectacture' (Jean-Louis Weissberg). Les notions de lieu, d'espace, de temps, d'actualité sont requestionnées à travers ce médium qui n'offre plus guère de distance à l'événement mais se situe comme aucun autre dans le présent en train de se faire. L'écart peut être mince entre l'envoi et la réponse, parfois immédiat (cas de la génération de textes). Mais ce qui frappe et se trouve repérable ne doit pas masquer les aspects encore mal définis tels que les changements radicaux qui s'opèrent sur le plan symbolique, représentationnel, imaginaire et plus simplement sur notre mode de relation aux autres. 'Plus de proximité' ne crée pas plus d'engagement dans la relation, de même 'plus de liens' ne créent pas plus de liaisons, ou encore 'plus de tuyaux' ne créent pas plus de partage. Je rêve d'un internet où nous pourrions écrire à plusieurs sur le même dispositif, une sorte de lieu d'atelier d'écritures permanent et qui autoriserait l'écriture personnelle (c'est en voie d'exister), son partage avec d'autres auteurs, leur mise en relation dans un tissage d'hypertextes et un espace commun de notes et de commentaires sur le travail qui se crée. Je rêve encore d'un internet gratuit pour tous et partout, avec toute l'utopie que cela représente. Internet est jeune mais a déjà ses mythologies, ainsi Xanadu devait être cette cité merveilleuse ou tout le savoir du monde y serait lisible en toutes les langues. Loin d'être au bout de ce rêve, internet tient tout de même quelques-unes de ces promesses."
4. PRESSE EN LIGNE ET CYBERPRESSE
[Dans ce chapitre:]
[4.1. Presse "classique" et cyber // 4.2. Trois exemples / Ouest-France, quotidien imprimé présent sur le web / Les Chroniques de Cybérie, lettre électronique hebdomadaire / FTPress, société de cyberpresse]
Bien que cet ouvrage concerne essentiellement le livre, il semble essentiel de consacrer un chapitre à la presse en ligne, que ce soit la presse imprimée présente sur le web ou la cyberpresse. Pourquoi? D'abord parce que le monde du livre et celui de la presse ont toujours été très liés. Et ensuite parce qu'il est possible que la différence entre le livre et la presse s'amenuise au fil des ans, au moins dans le domaine de la presse spécialisée. Depuis peu, chez certains éditeurs de documentaires, les livres peuvent être vendus en chapitres indépendants les uns des autres (voir 6.1), un élément que les auteurs ont désormais à l'esprit lors de la rédaction. Aussi la frontière ne deviendra-t-elle pas de plus en plus ténue entre le chapitre et l'article?
4.1. Presse "classique" et cyber
Les premières éditions électroniques de journaux sont disponibles par le biais de services commerciaux tels que America Online ou CompuServe. Puis les éditeurs de ces journaux créent des serveurs web. La plupart des journaux et magazines sur papier ont maintenant leur site web sur lequel ils proposent une sélection d'articles ou bien la version intégrale de leur dernier numéro, ainsi que des forums, des dossiers et des archives. D'autres journaux et magazines sont purement électroniques.
Monté dans le cadre d'un projet expérimental avec l'INA (Institut national de l'audiovisuel) et présenté en février 1995 lors du forum des images Imagina, le site web du mensuel Le Monde diplomatique est le premier site d'un périodique imprimé français. Il permet l'accès à l'ensemble des articles depuis 1998, par date, sujet et pays. L'intégralité du mensuel en cours est consultable gratuitement pendant les deux semaines suivant sa parution. Un forum permanent de discussions en ligne permet des échanges avec les lecteurs. Le site comprend aussi des bases documentaires comprenant des textes de référence et des dossiers d'actualité. A sa suite, rapidement, des quotidiens imprimés créent un site web: Libération fin 1995, Le Monde et L'Humanité en 1996, etc.
La presse doit maintenant compter avec l'internet pour les diverses ressources qu'offre le réseau: rapidité de propagation de l'information, accès à de nombreux sites d'information, liens à des articles et sources traitant du même sujet, bases de données documentaires allant du général au spécialisé et réciproquement (cartes, textes officiels, informations d'ordre politique, économique, social, culturel, etc.), bases de données iconographiques (photos, images, figures, graphiques, etc.), archivage avec moteur de recherche. Le réseau permet une information en profondeur qu'aucun organe de presse ne pouvait donner jusqu'ici. Derrière l'information du jour se trouve toute une encyclopédie qui aide à la comprendre.
Signe des temps, en novembre 2000, à Lille, la Fédération nationale de la presse française (FNPF) organise un congrès consacré à l'avenir de la presse face au développement de l'internet et des nouvelles technologies ("Demain la presse", 13e congrès de la FNPF, 23-24 novembre 2000, Lille). 500 acteurs de la presse française y échangent leurs expériences. Le congrès précédent s'était tenu en octobre 1991, soit dix ans auparavant. "En dix ans, il s'est passé beaucoup de choses, souligne Alain Boulonne, président de la FNPF (cité par l'AFP). Avec la montée en puissance des nouvelles technologies, nous sommes confrontés à un avenir extrêmement improbable, dans lequel la presse doit se battre pour trouver sa place." Trois questions dominent les travaux: à qui appartiendra demain l'entreprise de presse, les problèmes de labellisation des contenus sur le web, et l'internet en tant qu'opportunité pour valoriser les fonds éditoriaux.
4.2. Trois exemples
Voici trois exemples représentatifs de la presse en ligne: Ouest-France, quotidien imprimé présent sur le web depuis juillet 1996 (4.2.1), Les Chroniques de Cybérie, lettre électronique hebdomadaire créée dès novembre 1994 et présente sur le web depuis avril 1995 (4.2.2), et enfin FTPress, société de cyberpresse créée en septembre 1999 (4.2.3).
= Ouest-France, quotidien imprimé présent sur le web
Ouest-France, le grand quotidien de l'ouest avec ses 42 éditions différentes, ouvre son serveur internet en juillet 1996. Bernard Boudic en a été le responsable éditorial jusqu'en décembre 2000. "TC-Multimédia a été créée en 1986, explique-t-il. Elle prennait la suite de l'Association télématique de l'ouest qui avait expérimenté le minitel (créé à Rennes). D'abord spécialisée exclusivement dans les services vidéotex, elle a fait aussi de l'internet à partir de juillet 1996. Elle est chargée d'exploiter sur ce média l'ensemble de la production du journal Ouest-France."
"A l'origine, l'objectif était de présenter et relater les grands événements de l'Ouest en invitant les internautes à une promenade dans un grand nombre de pages consacrées à nos régions (tourisme, industrie, recherche, culture), écrit Bernard Boudic en juin 1998. Très vite, nous nous sommes aperçus que cela ne suffisait pas. Nous nous sommes tournés vers la mise en ligne de dossiers d'actualité, puis d'actualités tout court. Aujourd'hui (en juin 1998, ndlr) nous avons quatre niveaux d'infos: quotidien, hebdo (tendant de plus en plus vers un rythme plus rapide), événements et dossiers. Et nous offrons des services (petites annonces, guide des spectacles, presse-école, boutique, etc.). Nous travaillons sur un projet de journal électronique total: mise en ligne automatique chaque nuit de nos quarante éditions (450 pages différentes, 1.500 photos) dans un format respectant typographie et hiérarchie de l'information et autorisant la constitution par chacun de son journal personnalisé (critères géographiques croisés avec des critères thématiques)."
"Internet a changé ma vie professionnelle d'abord parce que je suis devenu le responsable éditorial du site, ajoute-t-il à la même époque. Les retombées sur le travail quotidien des journalistes d'Ouest-France sont encore minces. Nous commençons seulement à offrir un accès internet à chacun (la rédaction d'Ouest-France comprend 370 journalistes répartis dans soixante rédactions, sur douze départements… pas simple). Certains utilisent internet pour la messagerie électronique (courrier interne ou externe, réception de textes de correspondants à l'étranger, envoi de fichiers divers) et comme source d'informations. Mais cette pratique demande encore à s'étendre et à se généraliser. Bien sûr, nous réfléchissons aussi à tout ce qui touche à l'écriture multimédia et à sa rétroaction sur l'écriture imprimée, aux changements d'habitudes de nos lecteurs, etc. (…) Internet est à la fois une menace et une chance. Menace sur l'imprimé, très certainement (captation de la pub et des petites annonces, changement de réflexes des lecteurs, perte du goût de l'imprimé, concurrence d'un média gratuit, que chacun peut utiliser pour diffuser sa propre info, etc.). Mais c'est aussi l'occasion de relever tous ces défis et de rajeunir la presse imprimée."
Trois ans après, en janvier 2001, quelles sont les perspectives? "Nous avons la chance de disposer d'un gisement d'informations déjà utilisées pour le papier (Ouest-France publie dans ses 42 éditions 550 pages différentes toutes les nuits) et de petites annonces. Nous avons une marque connue et respectée. Mais le modèle économique n'est pas trouvé. Nous pensons développer un service payant à destination des centres de documentation qui leur permettrait de rechercher dans les 42 éditions n'importe quel article correspondant à une requête par mots-clés."
En ce qui concerne le journal imprimé en général , "mon avis est que le journal-papier est menacé à terme (20 ans ?) s'il ne se renouvelle pas dans la forme et dans le fond. La prise en mains du journal se fera de plus en plus tard (40-45 ans?). Il y aura des arbitrages avec la télévision (satellite, câble, numérique hertzien), avec l'internet rapide (ADSL, câble, boucle locale radio, satellite?). Il n'y aura pas de publicité disponible pour faire vivre tout le monde."
= Les Chroniques de Cybérie, lettre électronique hebdomadaire
Jean-Pierre Cloutier, journaliste québécois, lance Les Chroniques de Cybérie, chronique hebdomadaire des actualités de l'internet, en novembre 1994 sous la forme d'une lettre hebdomadaire envoyée par courrier électronique (environ 5.000 abonnés en 2001). A partir d'avril 1995, on peut également lire les Chroniques directement sur le web. Depuis bientôt sept ans maintenant, elles font référence dans la communauté francophone, y compris dans le domaine du livre.
Quel est l'historique des Chroniques? "Il y a deux choses ici, dans mon cas, relate Jean-Pierre Cloutier en juin 1998. D'abord une époque où j'étais traducteur (après avoir travaillé dans le domaine des communications). Je me suis branché à internet à la demande de clients de ma petite entreprise de traduction car ça simplifiait l'envoi des textes à traduire et le retour des textes traduits. Assez rapidement, j'ai commencé à élargir mon bassin de clientèle et à avoir des contrats avec des clients américains.
Puis, il y a eu carrément changement de profession, c'est-à-dire que j'ai mis de côté mes activités de traduction pour devenir chroniqueur. Au début, je le faisais à temps partiel, mais c'est rapidement devenu mon activité principale. C'était pour moi un retour au journalisme, mais de manière manifestement très différente. Au début, les Chroniques traitaient principalement des nouveautés (nouveaux sites, nouveaux logiciels). Mais graduellement on a davantage traité des questions de fond du réseau, puis débordé sur certains points d'actualité nationale et internationale dans le social, le politique et l'économique.
Dans le premier cas, celui des questions de fond, c'est relativement simple car toutes les ressources (documents officiels, dépêches, commentaires, analyses) sont en ligne. On peut donc y mettre son grain de sel, citer, étendre l'analyse, pousser des recherches. Pour ce qui est de l'actualité, la sélection des sujets est tributaire des ressources disponibles, ce qui n'est pas toujours facile à dénicher. On se retrouve alors dans la même situation que la radio ou la télé, c'est-à-dire que s'il n'y a pas de clip audio ou d'images, une nouvelle même importante devient du coup moins attrayante sur le plan du médium."
Toujours en juin 1998, quelles étaient les perspectives? "Dans le cas des Chroniques de Cybérie, nous avons pu lancer et maintenir une formule en raison des coûts d'entrée relativement faibles dans ce médium. Cependant, tout dépendra de l'ampleur du phénomène dit de 'convergence' des médias et d'une hausse possible des coûts de production s'il faut offrir de l'audio et de la vidéo pour demeurer concurrentiels. Si oui, il faudra songer à des alliances stratégiques, un peu comme celle qui nous lie au groupe Ringier (entre avril 1998 et mars 2001, ndlr) et qui a permis la relance des Chroniques après six mois de mise en veilleuse. Mais quel que soit le degré de convergence, je crois qu'il y aura toujours place pour l'écrit, et aussi pour les analyses en profondeur sur les grandes questions."
Deux ans après, en août 2000, Jean-Pierre Cloutier écrit: "Fin juillet 1998, à peu près au moment où nous avions notre tout premier entretien, j'écrivais: "Quelqu'un me demandait récemment quelles étaient les grandes tendances d'internet et si quelque chose avait changé dans la couverture journalistique de l'espace cyber. Après avoir feint de ne pas avoir entendu la question, question de songer à une réponse adéquate, je lui ai répondu qu'au début, un bon chroniqueur se devait d'avoir les deux pieds bien ancrés dans le milieu des technologues et des créatifs. Maintenant, il importe d'avoir un bureau à mi-chemin entre le Palais de justice et la Place de la bourse, et de cultiver ses amis avocats et courtiers." (Chroniques de Cybérie, 28 juillet 1998) Je constate que, depuis ce temps, mais surtout depuis un an, cette tendance s'est confirmée. Les considérations financières comme les placements initiaux de titres (les IPO - initial public offers), les options d'achat d'actions, la montée fulgurante du Nasdaq fin 1999 et début 2000, puis la correction boursière du printemps, bref, toute cette activité a dominé grandement l'actualité du cyberespace.
Puis, sur le plan juridique, il y a eu l'affaire Microsoft (qui n'est pas encore terminée en raison des appels). C'est la plus visible, celle qui a monopolisé l'attention pendant des mois. Plus récemment, c'est l'affaire Napster qui retient l'attention (là aussi, on attend les décisions en appel). L'affaire UEJF (Union des étudiants juifs de France) - LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme) - Yahoo! en France est aussi, à mon avis, éminemment importante car elle implique le concept de censure 'géographique', à partir d'un territoire donné. Mais outre ces 'causes célèbres', il ne se passe pas une journée sans que les fils de presse ne rapportent des décisions de tribunaux qui ont des incidences sur l'avenir d'internet. Ce sont donc les manoeuvres boursières et les objets de litiges portés devant les tribunaux qui façonnent le mode de vie en réseau, et ce au détriment d'une réflexion et d'une action profonde sur le plan strict de la communication."
= FTPress, société de cyberpresse
En février 1996, François Vadrot, alors directeur des systèmes d'information du CNRS (Centre national de la recherche scientifique, France), crée LMB Actu (Le Micro Bulletin Actu), lettre d'information hebdomadaire consacrée à l'actualité de l'internet et des nouvelles technologies. Trois ans plus tard, en août 1999, il crée FTPress (French Touch Press), société française de cyberpresse. En septembre 1999, LMB Actu est remplacé par Internet Actu (environ 55.000 abonnés en juin 2001 pour l'ensemble des éditions hebdomadaires et quotidiennes). D'autres publications suivent, ainsi que des réalisations multimédias, des émissions de télévision, etc., dont certaines suivent de près l'actualité du livre.
"En (très) résumé, mon activité consiste à développer une société, FTPress, spécialisée dans la presse online (enfin pour l'instant, car tout bouge tellement vite que ce pourrait bien ne plus être le cas dans quelques mois), explique François Vadrot en mai 2000. Le concept de FTPress est de réaliser des médias professionnels spécialisés chacun dans un secteur économique: la santé, l'automobile, l'image numérique, les ressources humaines, la logistique, etc. Chaque média traite de l'économie, de la technologie, des aspects politiques et sociaux, d'un secteur modifié par l'arrivée des nouvelles technologies et d'internet. Le premier a été Internet Actu, créé au CNRS en février 1996, suivi de Pixel Actu (en janvier 2000, devenu Objectif numérique en décembre 2000, ndlr), puis de eSanté Actu (en mai 2000, devenu Interactive santé en janvier 2001, ndlr). Nous sommes partis de l'écrit, mais nous allons maintenant vers le multimédia, avec prochainement des émissions de télévision. FTPress réalise aussi des médias pour des tiers."
"Mon avenir professionnel, je le vois comme un présent professionnel, poursuit François Vadrot. Si vous m'aviez posé cette question il y a deux ans (mai 1998), je vous aurais répondu qu'à force de travailler avec internet (en tant que directeur aux systèmes d'information du CNRS) et à propos d'internet (en tant que directeur de la publication LMB Actu), je rêvais de créer une entreprise internet. Mais je me demandais alors comment m'y prendre. Si vous me l'aviez posée il y a un an (mai 1999), je vous aurais répondu que j'avais fait le saut, que les dés étaient jetés, et que j'avais annoncé mon départ de l'administration… pour créer FTPress. Je ne pouvais plus supporter de rester où j'étais. Je devenais aigre. C'était créer mon entreprise ou bien… prendre une année sabbatique à ne rien faire. Et aujourd'hui je suis en plein dedans. J'ai l'impression de vivre les histoires que l'on lit dans la presse sur les start-up."
En novembre 2000, plusieurs projets en gestation ont pris corps: "de nouveaux magazines (DRH Actu, NetLocal Actu, Automates intelligents, Correspond@nces avec la Fondation la Poste, etc.), de la TV (avec un studio propre), un nouveau système d'information (ou de production) très puissant (Reef.com), le kiosque de presse (avec des partenaires presse externes, à commencer par Diora), etc." D'autres magazines ont vu le jour depuis, notamment Captain-doc, guide de la documentation électronique lancé en janvier 2001. Ariel Suhamy est à la barre du navire, en collaboration avec Geneviève Vidal.
5. LE RESPECT DU DROIT D'AUTEUR SUR L'INTERNET
[Dans ce chapitre:]
[5.1. Le web est un espace public basé sur l'échange // 5.2. Le respect du droit d'auteur est essentiel // 5.3. Il importe de ne pas freiner la diffusion // 5.4. Il n'est pas facile de contrer le piratage et le plagiat // 5.5. Les solutions sont d'ordre technologique // 5.6. Une législation adaptée semble nécessaire // 5.7. Il est essentiel d'éduquer le lecteur/client // 5.8. Ce débat occulte les vrais problèmes]
La question du respect du droit d'auteur sur l'internet est étudiée par de nombreux spécialistes. Ce ne sont pas non plus les sites web qui manquent sur le sujet. Dans le cadre de ce livre, on a préféré recueillir directement l'avis des professionnels du livre. Ces réponses s'articulent autour de huit grands thèmes: 1) le web est un espace public basé sur l'échange (5.1); 2) le respect du droit d'auteur est essentiel (5.2); 3) il importe de ne pas freiner la diffusion (5.3); 4) il n'est pas facile de contrer le piratage et le plagiat (5.4); 5) les solutions sont d'ordre technologique (5.5); 6) une législation adaptée semble nécessaire (5.6); 7) il est essentiel d'éduquer le lecteur/client (5.7); 8) ce débat occulte les vrais problèmes (5.8).
5.1. Le web est un espace public basé sur l'échange
Alain Bron, consultant en systèmes d'information et écrivain: "Je considère aujourd'hui le web comme un domaine public. Cela veut dire que la notion de droit d'auteur sur ce média disparaît de facto: tout le monde peut reproduire tout le monde. La création s'expose donc à la copie immédiate si les copyrights ne sont pas déposés dans les formes usuelles et si les oeuvres sont exposées sans procédures de revenus. Une solution est de faire payer l'accès à l'information, mais cela ne garantit absolument pas la copie ultérieure."
Jacques Gauchey, spécialiste en industrie des technologies de l'information et journaliste: "Le droit d'auteur dans son contexte traditionnel n'existe plus. Les auteurs ont besoin de s'adapter à un nouveau paradigme, celui de la liberté totale du flot de l'information. Le contenu original est comme une empreinte digitale: il est incopiable. Il survivra et prospérera donc."
Xavier Malbreil, auteur multimédia: "Il y a deux choses. Le web ne doit pas être un espace de non-droit, et c'est un principe qui doit s'appliquer à tout, et notamment au droit d'auteur. Toute utilisation commerciale d'une oeuvre doit ouvrir droit à rétribution. Mais également, le web est un lieu de partage. Echanger entre amis des passages d'un texte qui vous a plu, comme on peut recopier des passages d'un livre particulièrement apprécié, pour le faire aimer, cela ne peut faire que du bien aux oeuvres, et aux auteurs. La littérature souffre surtout de ne pas être diffusée. Tout ce qui peut concourir à la faire sortir de son ghetto sera positif."
Gérard Fourestier, créateur de Rubriques à Bac: "Les mesures de respect: oui, mais de protection: non! Et, quoi qu'il en sera, que cela n'aboutisse pas à freiner la création, tant il est vrai que chaque auteur en a digéré d'autres."
Fabrice Lhomme, technicien informatique et créateur d'Une Autre Terre, site consacré à la science-fiction. "De par mon travail, je fais plus attention aux aspects techniques du web qu'aux débats qui s'y rapportent. Il me semble quand même qu'il y a incompatibilité entre internet et la notion de droits d'auteur. Internet est un espace ouvert et il me semble impossible d'empêcher quelqu'un d'y diffuser des documents protégés. Le fait d'en parler est tout de même important car ça pourra peut-être sensibiliser certaines personnes qui n'avaient pas pensé au problème. Mais cela n'arrêtera jamais quelqu'un qui le fait en connaissance de cause. La seule solution qui me semble plausible serait que les hébergeurs surveillent un peu plus le contenu des pages qu'ils hébergent."
Blaise Rosnay, webmestre du site du Club des poètes: "La diffusion de la culture doit être facilitée sur l'internet. Les éditeurs et les pouvoirs publics doivent encourager tous les projets réalisés par des passionnés de tel ou tel auteur qui partagent leur passion avec les autres sur internet sans en faire profit. Exemple: il serait absurde qu'un jeune homme qui aime Le Petit Prince de Saint-Exupéry ne soit pas encouragé à partager son amour et à l'illustrer par quelques extraits de cette oeuvre qui, soit dit en passant, est un beau plaidoyer pour le coeur contre les raisons de l'argent. En résumé, il me semble que l'internet peut encore devenir un moyen de partage de la culture et de la beauté à condition que la culture et la beauté ne soient pas considérés comme des biens de consommation. C'est la moindre des choses, car, justement, la poésie et la beauté véhiculent d'autres valeurs morales et spirituelles."
Patrice Cailleaud, directeur de la communication de HandiCaPZéro: "Pour l'instant, les déficients visuels sont les grands bénéficiaires du manque de législation sur la toile. Pourvu que ça dure! Les droits et autorisations d'auteurs étaient et demeurent des freins pour l'adaptation en braille ou caractères agrandis d'ouvrage. Les démarches sont saupoudrées, longues et n'aboutissent que trop rarement."
Gérard Jean-François, directeur du centre de ressources informatiques de l'Université de Caen: "A mon avis, il n'y a pas de débat. Si on met quelque chose sur le web, c'est-à-dire ouvert à tout le monde, cela signifie qu'on l'offre gratuitement à tout le monde. Si on veut en faire du commerce, les moyens existent pour sécuriser les accès et les copies, il faut tout simplement les mettre en oeuvre. A l'heure actuelle (et c'est peut-être une bonne chose) on n'a que deux alternatives, ou bien on met ses créations dans un tiroir et on vend, ou bien on offre."
Jacques Pataillot, conseiller en management chez Cap Gemini Ernst & Young: "A partir du moment où internet, par conception, est un 'monde ouvert', le problème des droits d'auteurs est complexe. A mon sens, il y a peu de solutions à ce problème."
Marie-Aude Bourson, créatrice de Gloupsy, site littéraire destiné aux nouveaux auteurs: "Il est évident que toute création portée sur support électronique est copiable. Malgré toutes les protections techniques qui seront inventées, il y aura toujours un petit malin qui découvrira la clef pour copier le fichier. Aussi, je ne crois pas qu'on puisse réellement protéger une oeuvre sur internet, qu'il s'agisse d'un texte, d'une image ou d'une application. D'autre part, on assiste à une réelle 'révolution' dans le domaine informatique: l'avènement du logiciel libre qui marque un changement dans les mentalités qui s'étend au monde de l'internet. Celui-ci se traduit à tous les niveaux: côté développeur de logiciels et côté utilisateur. Les utilisateurs sont de plus en plus réticents à payer un logiciel ou de l'info qu'ils peuvent trouver gratuitement ailleurs. Le modèle économique est donc en train de changer: on ne paiera plus l'outil mais le service… Malheureusement, ce système n'est valable que pour les logiciels. Aussi, comment l'appliquer aux créations littéraires ou artistiques? Seuls les droits moraux peuvent pour l'instant être reconnus (incrustation d'un copyright sur les images, copyright moins évident pour les textes). Conclusion: on ne peut pour l'instant que se reposer sur l'honnêteté de l'homme… fragile, donc. Une expérience intéressante existe concernant la littérature: le lyber. Il s'agit de présenter une oeuvre en lecture complète sur le web. Libre ensuite au lecteur d'acheter l'ouvrage papier qui pourra rémunérer l'auteur. On part du principe que le lecteur voudra conserver chez lui une trace de sa lecture s'il l'a jugé vraiment digne d'intérêt. C'est ainsi un bon moyen d'éliminer les oeuvres de mauvaise qualité. Pour ma part, je proposerais une solution intermédiaire: proposer à la lecture sur le web le tiers du livre. Pour lire la suite, le lecteur commande l'ouvrage papier. Car je crains qu'un lecteur ne veuille pas forcément acheter un ouvrage qu'il a déjà lu entièrement… et l'auteur perd ainsi une partie de sa rémunération, ce qui est dommage et n'encourage pas à la création littéraire."
Jacky Minier, créateur de Diamedit, site de promotion d'inédits artistiques et littéraires: "Le problème est simple. La solution l'est aussi. Avant l'invention du net, les contrats d'édition ne tenaient pas compte de ce nouveau support, et pour cause. Cette nouvelle interface fait craindre aux éditeurs la perte de sources de profits par les risques de copies pirates. Mais quel est ce risque? Est-il réel? Ce n'est pas un risque de 'manque à gagner', c'est une opportunité de promotion. La plupart des gens qui accèdent à une oeuvre de manière illégale sont des lecteurs ou auditeurs qui n'auraient sans doute jamais acheté l'oeuvre en question, parfois même n'en auraient jamais entendu parler! Le simple fait qu'ils aient l'opportunité de la lire (ou de l'écouter en MP3) - et de la faire lire ou écouter à leurs amis - constitue de la promotion gratuite, du bouche à oreille qui participe de la découverte et de la promotion des artistes. Les grandes maisons de logiciels le savent bien, qui distribuent leurs programmes entiers, gratuitement pour une période limitée. Ceux qui peuvent les acheter les achètent, ceux qui ne peuvent pas les utilisent quand même et leur font de la publicité quand le produit est bon. (Quand le produit n'est pas bon, ils ne l'auraient pas acheté de toute manière!) Alors, où est le problème? Le seul problème réside dans les prix prohibitifs pratiqués par les sociétés d'édition, dans les marges commerciales de produits qui n'ont plus rien à voir avec la création artistique ou les droits d'auteurs, mais relèvent de marketing, de parts de marché, de ratios comptables et de marges de profits. Certains artistes l'ont d'ailleurs parfaitement compris qui mettent leurs oeuvres directement sur le net. En matière d'édition numérique, il suffit de créer des droits spécifiques, distincts des droits relatifs aux éditions ordinaires sur support papier. Le tatouage des oeuvres lors de l'impression personnelle est un excellent moyen de limiter la diffusion d'impressions excessives. En même temps, permettre cette impression pour utilisation personnelle est aussi un excellent moyen de promotion de l'auteur et de son oeuvre. Même si c'est un exemplaire gratuit. Et quand cet auteur (ou artiste) deviendra très connu, les mêmes éditeurs papier qui le boudent se jetteront dessus pour le publier alors qu'ils auraient à peine lu son manuscrit auparavant!"
Jean-Paul, webmestre du site des cotres furtifs, qui raconte des histoires en 3D: "Nous ne nous sentons pas concernés. a) S'il s'agit de 'respect', c'est une question de morale et d'élégance, qui n'est pas suceptible de débat: sur la toile comme ailleurs, on cite ses sources. Total respect. Pour la plupart d'entre nous. b) S'il s'agit de 'droit d'auteur', on est dans le domaine juridique, instable par essence. Le 'droit' d'auteur est une notion récente — que les Français attribuent à Beaumarchais, homme d'ombres, d'affaires, trafiquant d'armes et grand auteur. L'apparition du numérique, et donc du clonage (qui pose un autre problème que celui de la copie, résolu depuis longtemps), oblige à reconsidérer cette notion. c) S'il s'agit de 'droits d'auteur' (au pluriel, donc), on est dans la sphère de l'économie, dont la logique est connue: concurrence et rétention: devenir le premier de la classe, empêcher les autres de le devenir. Et pas vu, pas pris.
Sony est éditeur de CD (audio et Rom) parce que ça rapporte. Et il fabrique des graveurs (qui permettent de cloner ses propres CD, comme ceux de la concurrence) parce que ça rapporte. Philips faisait de même, jusqu'au jour où il a vendu sa division Polygram (que les lois de l'économie lui permettront de racheter le cas échéant). 'Il ne suffit pas d'être grand pour être performant, mais, dans un monde financier totalement mondialisé, ça aide. Surtout si on a l'ambition de jouer les premiers rôles.' (Hervé Babonneau, Ouest-France du 6 août 1999). (…) Bien que tangent à la sphère économique (il faut payer le nom de domaine, et l'abonnement au serveur), notre cotre-espace (le site des cotres furtifs, ndlr) ne s'y réduit pas, notre esprit n'est pas celui de la concurrence. Notre site est en téléchargement libre, et nous téléchargeons les sites que nous trouvons créatifs. C'est normal de cloner une oeuvre d'autrui pour en faire cadeau ; c'est partager. Ce qui est dégueulasse, c'est de vendre ce clone. (…) Copyright ou droit d'auteur, vision européenne ou vision américaine, qui va l'emporter? Le principe de propriété privée. La propriété tabou de ceux qui ont les moyens de la faire garder. Par l'OMC (Organisation mondiale du commerce) par exemple, chargée de régler la question des 'droits' partout dans le monde (même virtuel) et, espèrent-ils, pour toujours. Ceux dont la maison est sur le tracé d'une future autoroute savent le prix réel d'un tabou. Alors les droits des auteurs, créateurs, inventeurs… Mais si Orson Welles s'est fait bouffer par les studios, Kubrick s'est méthodiquement rendu indépendant des mêmes. Peu importe la loi que se fera tailler sur mesure Onc' Picsou. Les petits mammifères ont bouffé les tyrannosaures, avec le temps. Et les anciens rois, qui tenaient pourtant leur pouvoir des dieux, nous leur avons coupé la tête. En moins de temps."
5.2. Le respect du droit d'auteur est essentiel
Barbara Grimes, directrice de publication de l'Ethnologue, encyclopédie des langues, jusqu'en 2000: "Tous les copyrights doivent être respectés, de la même façon que pour l'imprimé."
Caiomhín Ó Donnaíle, webmestre du principal site d'information en gaélique écossais: "Je pense que la durée du copyright est beaucoup trop longue. A part cela, je pense que le copyright devrait être respecté en général."
Nicolas Ancion, écrivain et responsable éditorial de Luc Pire électronique: "Je ne vois pas de débat. Le droit d'auteur est un droit, il n'y a pas à revenir là-dessus. La question intéressante est de savoir comment appliquer ce droit inaliénable à la nouvelle réalité de diffusion des oeuvres. Mon point de vue est très simple: l'auteur doit être rémunéré pour son travail. Mais il reste maître de son oeuvre et peut aussi décider lui-même de céder ses droits gratuitement (par exemple pour l'encodage en alphabet braille à destination des malvoyants) ou de diffuser certains de ses textes gratuitement (ce que je fais sur internet). Je tiens beaucoup au respect du droit de paternité de l'auteur, mais je ne pense pas que tout échange sur cette planète doive être monnayé. Je suis très heureux d'offrir des textes gratuitement. Mais je ne tolère ni le vol ni la piraterie. Si quelqu'un vole un texte et le diffuse sous un autre nom, il commet un délit grave, bien entendu."
Anne-Bénédicte Joly, écrivain qui auto-édite ses livres: "Le respect du droit d'auteur, c'est la survie de la création. Le web, de par son universalité et la grande facilité avec laquelle quiconque peut s'approprier ou copier ce qu'il souhaite, constitue à n'en pas douter une limite à la diffusion de toute création. Je suis réticente à l'idée de placer mes textes en exhaustivité sur la toile car je crains les copies et plagiats. Je pense qu'il serait sans doute astucieux de présenter par exemple les premiers chapitres d'un livre ou un extrait puis d'inciter le lecteur à acquérir l'ouvrage sous forme papier ou sous forme électronique grâce à une gestion sécurisée des moyens de paiement."
Naomi Lipson, écrivain multimédia, traductrice et peintre: "En tant qu'auteur, j'aimerais que mes droits soient protégés, bien sûr. Mais rien ne semble plus difficile aujourd'hui…"
Murray Suid, écrivain et auteur de logiciels éducatifs multimédia: "Je pense que la solution est de créer des unités d'information ne pouvant être volées. En d'autres termes, l'oeuvre qui est vendue doit avoir plus de valeur que sa copie. Par exemple, il est pour le moment plus facile et meilleur marché d'acheter un de mes livres que de le photocopier dans son intégralité. J'essaie donc de concevoir mes livres de telle façon que toutes les pages aient leur utilité, et non seulement quelques-unes. J'aimerais vendre mes livres en ligne - au format PDF - mais je n'ai pas encore étudié la manière d'empêcher les acheteurs de redistribuer les fichiers. Ceci est peut-être possible par le cryptage."
Bernard Boudic, responsable éditorial du serveur internet du quotidien Ouest-France jusqu'en décembre 2000: "Les internautes ont tendance à penser que c'est un droit d'obtenir tout gratuitement. Non! Le droit d'auteur doit être respecté."
François Vadrot, PDG de FTPress, société de cyberpresse: "Ces débats sont fondés. Certaines personnes, souvent d'ailleurs celles qui ont le pouvoir donné par une institution d'appartenance, s'assoient sur le droit d'auteur, n'hésitant pas à apposer leur nom sur un texte écrit par un autre. Chez FTPress, nous appliquons grosso modo le principe de la GPL (general public licence) pour les logiciels libres. Nos textes sont reproductibles gratuitement dans la mesure où ce n'est pas fait dans des fins commerciales, et bien sûr sous réserve que la source soit mentionnée. Quant aux auteurs des dits textes, ils sont rémunérés normalement, avec un statut de journalistes, et également intéressés dans l'entreprise, par le jeu de bons de souscription (alias stock options). Cet intéressement aux résultats et à la valeur de l'entreprise complète la rémunération traditionnelle du journaliste pour un texte destiné à une publication déterminée. En contrepartie, FTPress ne paie plus les auteurs si le texte est revendu à un tiers (qui en fait un usage commercial). Je pense que c'est une solution à cette question dans le domaine de la presse. Mais c'est un problème complexe et varié, qui ne peut trouver une seule réponse."
Robert Beard, co-fondateur de yourDictionary.com, portail pour les langues: "L'accès libre n'est jamais gratuit, puisque ce sont des personnes salariées qui développent les applications en accès libre appartenant au domaine public. Mon site web est gratuit, et il n'était pas une affaire commerciale tant que l'Université de Bucknell (située à Lewisburg, Pennsylvanie, ndlr) m'a versé un salaire et m'a fait bénéficier de ses propres services d'accès à l'internet. Maintenant que je prends ma retraite et que je dois retirer mes sites des serveurs de Bucknell, j'ai eu le choix entre supprimer mes sites, les vendre ou générer des revenus permettant de continuer cette activité. J'ai choisi la dernière solution. Les ressources disponibles resteront gratuites parce que nous offrirons d'autres services qui seront payants. Ces services seront basés sur les règles du copyright pour garantir le versement des fonds à la bonne source. En ce qui concerne le débat (et les actions judiciaires) sur les liens, je pense qu'il y a excès dans l'application du copyright. Un lien vers un autre site devrait appartenir au site qui crée le lien. Il est normal de créer des liens vers d'autres sites web appartenant à un réseau public."
Guy Bertrand, directeur scientifique du Centre d'expertise et de veille inforoutes et langues (CEVEIL, Québec): "Il est très important de respecter le droit des auteurs et c'est aux auteurs de décider de ce qu'ils veulent en faire. Le web accorde une place de plus en plus grande à la gratuité des usages. Les auteurs ne sont pas tenus de s'y plier, mais de plus en plus d'auteurs s'y adaptent volontairement et avec profit. Les modèles d'affaires sur le web évoluent très rapidement et n'ont pas fini de le faire. De nouveaux modèles d'affaires se développeront et la place de la gratuité y sera forte, mais les droits des auteurs devront être respectés de façon innovatrice de la part des auteurs et des fournisseurs de services et de contenus."
Cynthia Delisle, consultante au CEVEIL: "Les droits d'auteur devraient idéalement faire l'objet du même respect sur le web que dans d'autres médias, la radio ou la presse par exemple. Cela dit, internet pose à ce niveau des problèmes inédits à cause de la facilité avec laquelle on peut (re)produire et (re)distribuer l'information à grande échelle, et aussi en raison de la tradition de gratuité du réseau. Cette tradition fait, d'une part, que les gens rechignent à débourser pour des produits et services qu'ils trouveraient tout naturel de payer dans d'autres contextes et, d'autre part, qu'ils ont peut-être moins d'états d'âme, dans le contexte du net, à utiliser des produits piratés. La problématique du respect des droits d'auteur constitue, à mon sens, un des enjeux majeurs pour l'évolution du réseau, et il sera certainement très intéressant de voir les solutions qui seront mises de l'avant à cet égard."
Steven Krauwer, coordinateur d'ELSNET (European Network of Excellence in Human Language Technologies): "Le point de départ est évidemment: 'on ne doit pas voler, même si c'est facile'. Il est intéressant d'observer que, aussi complexe que soit la définition légale de 'vol', dans la plupart des cas les gens arrivent très bien à la cerner: a) si je copie une information du web et que je l'utilise à des fins personnelles, je ne commets pas de vol, parce que cette information a été mise sur le web dans le but premier d'être utilisée; b) si je la copie à partir du web et que je la transmets à d'autres en précisant le nom de l'auteur, je ne commets pas de vol; c) si je la copie à partir du web et que je la transmets à d'autres en prétendant que j'en suis l'auteur, je commets un vol; d) si je la copie à partir du web, et que je la vends à d'autres sans avoir l'autorisation de l'auteur, je commets un vol. Je réalise qu'il existe de nombreux cas situés dans les zones limites de ces quatre ensembles et pour lesquels il serait difficile de préciser s'il y a vol ou non, mais ces précisions sont du ressort des juristes. Je préconiserais les règles suivantes: a) la liberté totale pour la copie de l'information à usage personnel; b) la retransmission de l'information uniquement avec l'accréditation de l'auteur (à moins qu'il ne soit bien précisé que cette information est du domaine public); c) la revente de cette information uniquement avec l'accord de l'auteur (à moins que celle-ci ne soit du domaine public).
Pour faire respecter ces règles, on pourrait envisager: a) l'introduction d''étiquettes normalisées' indiquant si l'information est du domaine public et, si elle ne l'est pas, renvoyant à l'auteur; b) la lecture de ces 'étiquettes' par les navigateurs, qui les afficheraient en même temps que le document: texte, image, film, etc.; c) l'adoption d'une convention ou d'une règle selon laquelle l'information ne peut être copiée sans l''étiquette' correspondante; d) (idée plus audacieuse) la mise en place d'un ISPN (international standard person number), similaire à l'ISBN (international standard book number) ou l'ISSN (international standard serial number), qui identifierait une seule personne, si bien que les références aux auteurs contenues dans les 'étiquettes' seraient moins dépendantes des changements d'adresses électroniques ou d'adresses de pages web (à condition bien sûr que les gens mettent à jour leurs coordonnées dans la base de données ISPN)."
5.3. Il importe de ne pas freiner la diffusion
Eduard Hovy, directeur du Natural Language Group de l'Université de Californie du Sud: "En tant qu'universitaire, je suis bien sûr un des parasites de notre société, et donc tout à fait en faveur de l'accès libre à la totalité de l'information. En tant que co-propriétaire d'une petite start-up, je suis conscient du coût que représente la collecte et la présentation de l'information, et de la nécessité de faire payer ce service d'une manière ou d'une autre. Pour équilibrer ces deux tendances, je pense que l'information à l'état brut - et certaines ressources à l'état brut: langages de programmation ou moyens d'accès à l'information de base comme les navigateurs web - doivent être disponibles gratuitement. Ceci crée un marché et permet aux gens de les utiliser. Par contre l'information traitée et les systèmes vous permettant d'obtenir et structurer très exactement ce dont vous avez besoin doivent être payants. Cela permet de financer ceux qui développent ces nouvelles technologies.
Prenons un exemple: à l'heure actuelle, un dictionnaire (spécialisé, ndlr) n'est pas disponible gratuitement. Les sociétés éditrices de dictionnaires refusent de les mettre librement à la disposition des chercheurs et de toute personne intéressée, et elles avancent l'argument que ces dictionnaires ont demandé des siècles de travail (j'ai eu plusieurs discussions à ce sujet avec des sociétés de dictionnaires). Mais de nos jours les dictionnaires sont des instruments stupides: on doit connaître le mot avant de le trouver! J'aimerais avoir un outil qui me permette de donner une définition approximative, ou peut-être une phrase ou deux incluant un espace pour le mot que je cherche, ou même l'équivalent de ce mot dans une autre langue, et que la réponse me revienne avec le(s) mot(s) que je cherche. Un tel outil n'est pas compliqué à construire, mais il faut d'abord le dictionnaire de base. Je pense que ce dictionnaire de base devrait être en accès libre. Par contre on pourrait facturer l'utilisation du moteur de recherche ou du service permettant d'entrer une information - partielle ou non - qui soit très 'ciblée', afin d'obtenir le meilleur résultat.
Voici un deuxième exemple. On devrait avoir accès librement à la totalité du web, et à tous les moteurs de recherche 'de base' du type de ceux qu'on trouve aujourd'hui. Pas de copyright et pas de licence. Mais si on a besoin d'un moteur de recherche qui procure une réponse très 'ciblée' et très fiable, je pense qu'il ne serait pas déraisonnable que ce service soit facturé. Le créateur d'une encyclopédie ne va naturellement pas aimer ma proposition. Mais je lui suggérerais d'équiper son encyclopédie d'un système d'accès performant. Sans ce système, l'information brute donnée par cette encyclopédie n'est qu'un stock d'informations et rien d'autre, et ce stock peut aisément se perdre dans une masse considérable d'informations qui augmente tous les jours."
Les bibliothécaires-documentalistes sont les premiers à insister régulièrement sur la nécessité de trouver un équilibre pour ne pas freiner la diffusion de l'information.
Bruno Didier, webmestre de la médiathèque de l'Institut Pasteur: "Je ne suis pas ces débats, mais je pense qu'on va avoir du mal à maintenir l'esprit communautaire qui était à la base de l'existence d'internet."
Bakayoko Bourahima, documentaliste à l'ENSEA (Ecole nationale supérieure de statistique et d'économie appliquée) d'Abidjan: "J'avoue que ce débat suscite en moi quelques inquiétudes quant à mes attentes légitimes vis-à-vis de l'internet. J'estime que, par rapport à ma vision professionnelle, le grand espoir qu'apporte l'internet à l'Afrique, c'est de lui permettre de profiter pleinement et à moindre coût du 'brain trust' mondial et de réduire sa marginalisation économique, technologique et culturelle. La légitimité des droits d'auteur ne devra donc pas faire perdre de vue la nécessité de prendre en compte les besoins et les contraintes particulières des pays moins nantis. Autrement, dans ce domaine plus qu'ailleurs, on aboutira fatalement et très vite sûrement à une situation de marginalisation et de fronde, comme celle qui oppose actuellement les autorités sanitaires d'Afrique du Sud à certaines grandes firmes pharmaceutiques, au sujet des licences des thérapies contre le Sida."
Peter Raggett, directeur du centre de documentation de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques): "Le problème du droit d'auteur est loin d'être résolu. Les éditeurs souhaitent naturellement toucher leur dû pour chaque article commandé alors que les bibliothécaires et usagers veulent pouvoir immédiatement télécharger (gratuitement si possible) le contenu intégral de ces articles. A présent chaque éditeur semble avoir sa propre politique d'accès aux versions électroniques. Il serait souhaitable qu'une politique homogène soit mise en place, de préférence en autorisant largement le téléchargement des documents électroniques."
5.4. Il n'est pas facile de contrer le piratage et le plagiat
Jacques Trahand, vice-président de l'Université Pierre Mendès France de Grenoble: "Ces problèmes me semblent voisins de ceux du photocopiage. Il faut développer un code de bons usages et tenter de le faire respecter."
Russon Wooldridge, professeur au département d'études françaises de l'Université de Toronto: "C'est une question importante, qui est loin d'être résolue. Je préfère parler de propriété intellectuelle. On a le modèle du livre imprimé: si un auteur universitaire publie un livre sur papier, son institution n'en réclame pas la propriété, alors qu'il arrive qu'un livre publié sur un serveur institutionnel soit considéré comme appartenant à l'institution en question, ce qui est, à mon avis, injuste. A part cela, tout ce que l'auteur peut faire est de mettre un copyright à son nom sur les textes qu'il a écrits et qu'il publie en ligne et puis compter sur sa réputation pour que ses lecteurs 'sérieux' en sachent la provenance. Le piratage a toujours existé: Voltaire voyait ses livres publiés anonymement en Hollande au 18e siècle, par exemple."
Jean-Pierre Cloutier, auteur des Chroniques de Cybérie: "Vaste question. Il y a d'abord les droits d'auteurs et droits de reproduction des grandes entreprises. Ces dernières sont relativement bien dotées en soutien juridique, soit par le recours aux services internes du contentieux, soit par l'embauche de firmes spécialisées. Il est certain que la 'dématérialisation' de l'information, apportée par internet et les techniques de numérisation, facilite les atteintes de toutes sortes à la propriété intellectuelle. Là où il y a danger, c'est dans le cas de petits producteurs/diffuseurs de contenus 'originaux' qui n'ont pas les moyens de surveiller l'appropriation de leurs produits, ni d'enclencher des mesures sur le plan juridique pour faire respecter leurs droits. Mais tout ça, c'est de l''officiel', des cas de plagiat que l'on peut prouver avec des pièces 'rematérialisées'. Il y a peut-être une forme plus insidieuse de plagiat, celle de l'appropriation sans mention d'origine d'idées, de concepts, de formules, etc. Difficile dans ces cas de 'prouver' le plagiat, car ce n'est pas du copier/coller pur et simple. Mais c'est une autre dimension de la question qui est souvent occultée dans le débat. Des solutions? Il faut inventer un processus par lequel on puisse inscrire sans frais une oeuvre (article, livre, pièce musicale, etc.) auprès d'un organisme international ayant pouvoir de sanction. Cette méthode ne réglerait pas tous les problèmes, mais aurait au moins l'avantage de déterminer un cadre de base et qui sait, peut-être, agir en dissuasion aux pillards."
Michel Benoît, auteur de nouvelles policières, récits noirs et histoires fantastiques: "Beau noeud de vipères, cette affaire. Non pas les débats sur la reproduction par le net, mais la reproduction elle-même. La musique, le cinéma, la littérature, tout va y passer. Peut-être suis-je trop optimiste, mais je crois que ce qui est un problème aujourd'hui trouvera sa solution demain. Lors de l'avènement de la photocopie, on s'est posé les mêmes questions. C'est évident qu'il y a eu des abus. Beaucoup d'auteurs ont été joyeusement floués par des enseignants à la moralité douteuse qui photocopiaient, sans vergogne, des textes protégés par des droits d'auteur. Les choses se replacent et plusieurs pays ont voté des lois sévères à ce sujet. Idem pour la reproduction électronique, soit d'oeuvres musicales ou visuelles, on ne peut plus faire n'importe quoi sans qu'il en coûte. Je pense qu'il en sera de même pour les documents informatiques, programmes, textes, utilitaires ou autres. Les CD, jeux, musique ou vidéos seront incopiables parce qu'ils auront des programmes autodestructeurs insérés dans leurs trames numériques. Science-fiction? La science-fiction d'aujourd'hui est la réalité de demain, demandez à vos grands-mères."
Olivier Pujol, PDG de Cytale, qui a lancé le premier livre électronique européen, préconise "des balladeurs dédiés et sécurisés pour la musique, et des livres électroniques sécurisés pour la lecture. Les mesures de protection des droits développées pour l'ordinateur sont systématiquement détournées un jour ou l'autre, et ce, universellement. Une solution de piratage trouvée à un bout de la planète peut être instantanément mise à la disposition de tous, et à portée d'un simple clic. Le PC connecté sur internet aura beaucoup de mal à être sécurisé valablement dans un avenir proche. Une autre solution serait d'imposer une 'police planétaire du web', avec accès égal à tous les pays, et à tous les ordinateurs personnels. C'est orwellien, et un peu inquiétant, mais heureusement peu facile à mettre en place."
Marcel Grangier, responsable de la section française des services linguistiques centraux de l'Administration fédérale suisse: "Le problème est réel même si la solution n'est pas évidente. On peut toutefois regretter que la lutte contre ce genre de fraude finira par justifier, avec d'autres dérives, une 'police du WWW' malheureusement bien éloignée de l'esprit dans lequel la toile a été créée."
5.5. Les solutions sont d'ordre technologique
Henri Slettenhaar, professeur en technologies de la communication à la Webster University de Genève: "Comme par le passé, des solutions doivent être trouvées dans les nouvelles technologies."
Denis Zwirn, PDG de Numilog, librairie en ligne de livres numériques: "Sur le plan juridique, une confusion est souvent faite entre la diffusion des oeuvres en réseau, l'accès à des sources d'information gratuites en ligne (mais qui ne sont pas des livres) et la vente d'exemplaires individuels de livres numériques. Il est de la responsabilité de chaque acteur du web de ne pas diffuser d'oeuvres sans l'accord de l'auteur, le web n'étant qu'un support de diffusion parmi d'autres. Dans une librairie en ligne, on achète un livre numérique comme un livre papier: après paiement et pour un usage individuel. Après le téléchargement, le code de la propriété intellectuelle s'applique à la version numérique au même titre qu'à la version papier de l'oeuvre: la reproduction n'est autorisée que pour l'usage privé de l'acheteur. Le problème est donc exclusivement d'ordre technologique (….et civique): comment faire pour que ces droits soient effectivement respectés, compte tenu de la possibilité de copier un livre numérique et de l'envoyer à des amis? Plusieurs réponses sérieuses existent déjà. Les livres destinés aux lecteurs électroniques peuvent être cryptés de telle manière que seul un appareil désigné (ou plusieurs) puisse les lire. Ils ne peuvent en général pas être imprimés et sont donc en ce sens bien plus protecteurs que les livres papier, en évitant tout 'photocopillage'. En ce qui concerne les livres numériques pour ordinateurs, des solutions logicielles comparables ont été développées, par exemple par Adobe et par Microsoft, qui permettent de désigner un ordinateur ou un PDA (personal digital assistant) comme support de lecture unique d'un livre. Des logiciels tels que Adobe Content Server proposent déjà des solutions plus sophistiquées, telles que la possibilité de définir un temps de lecture autorisée ou de prêter un livre numérique comme on prêterait un vrai livre."
Alain Clavet, analyste de politiques au Commissariat aux langues officielles du Canada: "Des logiciels devraient permettre de tarifer l'usager lorsque nécessaire et les gouvernements devraient libérer de frais le maximum de documents et services, notamment en français."
Pierre François Gagnon, créateur d'Editel, éditeur littéraire en ligne: "Le web doit ouvrir toute grande pour les auteurs une nouvelle fenêtre d'exploitation de leurs droits exclusifs, et j'ose croire qu'est concevable une solution de chiffrement qui soit étanche, non propriétaire, mais transparente et sans douleur pour l'utilisateur final."
Emmanuel Barthe, documentaliste juridique: "A titre personnel, je pense que la propriété intellectuelle va devoir s'adapter aux nouvelles conditions créées par internet, c'est-à-dire une copie à l'identique et une diffusion à de très nombreux exemplaires, devenues très faciles et d'un très faible coût, la difficulté d'un contrôle exhaustif et systématique et l'existence d'un esprit internet défendant la gratuité et le respect de la vie privée et de l'anonymat. Dans ce contexte, pour préserver une rémunération des auteurs et des éditeurs, il me semble qu'une des voies envisageables repose sur une baisse très forte des prix unitaires en audio et vidéo. Il s'agit donc de maximiser le versement des droits lors de la toute première diffusion. Vis-à-vis du grand public, une autre possibilité consisterait en un cryptage fort des données et une vérification automatique et obligatoire des licences. Les 'majors' américaines et allemandes s'orientent clairement vers une solution de ce type."
Luc Dall'Armellina, co-auteur et webmestre d'oVosite, espace d'écritures multimédias: "Le droit de l'auteur est celui d'un individu et celui de son oeuvre. L'individu a le droit de disposer d'une garantie, celle que son oeuvre ne soit pas pillée et/ou (pire?) détournée ou morcelée. La notion d'oeuvre est complexe, mais si l'on accepte celle d'une production originale et personnelle comme ensemble cohérent qui fait sens et système pour proposer un regard singulier - celui d'un auteur - ce droit doit pouvoir être garanti. Sans même évoquer les aspects financiers (royalties, etc.) qui sont bien réels, un standard comme XML devrait pouvoir garantir l'indexation des oeuvres, des artistes, et une signature numérique attachée à leurs productions en ligne. Un autre standard d'autentification - de type PNG (portable network graphics) pour l'image - devrait pouvoir permettre d'attribuer une clé numérique infalsifiable à une production. Un exemple significatif: les éditions numériques 00h00.com ont édité un roman interactif, Apparitions inquiétantes, né sur le web (donc en HTML) mais vendu au format Acrobat PDF qui permet de conditionner son ouverture par un mot de passe donné lors de l'achat en ligne du roman. On peut aisément imaginer que, si le Consortium W3 ne propose pas de système d'authentification numérique des pages web, éditeurs et auteurs vont se tourner vers des produits éditoriaux plus repérés (livre, cédérom) et pour lesquels existe un circuit de distribution. On peut imaginer qu'un auteur puisse faire enregistrer ses logiciels de création auprès d'un organisme et obtienne en échange une clef numérique (signature individuelle) qui soit automatiquement apposée dans ses fichiers. Une autre solution consisterait en un dépôt - type SACEM (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) ou SCAM (Société civile des auteurs multimédia) ou SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) ou SESAM (Gestion des droits des auteurs dans l'univers multimédia) - qui fasse antériorité, mais c'est une solution de protection et non pas un procédé de signature… Peut-être existe-t-il une question prélable cachée dans celle-ci: ne faut-il pas à l'heure du numérique, et en regard de ce que Julia Kristeva a appelé l'intertextualité, redéfinir la notion et le terme d'auteur?"
5.6. Une législation adaptée semble nécessaire
Faut-il appliquer la législation actuelle? Nicolas Pewny, créateur des éditions du Choucas: "Je me demande s'il faut un droit particulier pour le web. Les lois existent déjà. Et les contrevenants existaient bien avant la popularisation de l'internet."
Faut-il plutôt définir une législation propre à l'internet? Patrick Rebollar, professeur et modérateur de la liste de diffusion LITOR (littérature et ordinateur): "Je pense que le droit d'auteur doit être défendu, tout en étant redéfini et uniformisé au niveau international, ce qui n'est pas évident." Jean-Pierre Balpe, directeur du département hypermédias de l'Université Paris 8: "Je crois que vouloir appliquer des lois faites pour le papier à un autre médium est une erreur. Un peu comme si on voulait facturer le téléphone en exigeant que les utilisateurs achètent des timbres pour payer leurs conversations…" Maria Victoria Marinetti, professeur d'espagnol en entreprise: "Je pense que le droit est maintenant dépassé par la technologie, et qu'il n'y a pas de protection possible au niveau juridique. Il serait souhaitable de créer une véritable législation de l'internet."
Zina Tucsnak, ingénieur d'études en informatique à l'ATILF (Analyses et traitements informatiques du lexique français): "Le droit en informatique et en particulier le droit d'auteur sur la toile est une discipline de plus en plus développée et recherchée. Malgré quelques cas qui ont fait jurisprudence, le législateur n'est pas en mesure de solutionner toute la problématique actuelle. L'absence des frontières est un gros handicap."
Christian Vandendorpe, professeur à l'Université d'Ottawa: "En gros, je suis assez favorable aux positions défendues aux États-Unis par l'Electronic Frontier Foundation (EFF). D'abord, il me paraît prématuré de légiférer en cette matière, alors même que nous sommes au milieu d'un changement de civilisation. Il faudrait sans doute revoir les principes philosophiques sur lesquels repose la législation actuelle au lieu de prendre pour acquis qu'ils sont valides, tels quels et sans plus d'examen, dans le nouvel environnement technologique en train de se mettre en place. Plusieurs arguments militent en faveur d'une telle révision. D'abord, l'expérience de la lecture et l'appréhension du texte ne sont pas du même ordre selon qu'elles s'effectuent à partir d'un livre, d'un écran d'ordinateur, d'un livre électronique ou, demain, d'un codex numérique. Il y aurait donc lieu de faire des distinctions au plan du droit de citation ou du droit de lecture. Si, sur un écran, la valeur d'usage du texte n'est pas la même, ni sa pérennité en tant qu'objet, les droits ne devraient pas s'appliquer non plus de la même façon. Idéalement, l'ensemble de la production intellectuelle devrait être accessible sur le web après dix ans (et même sans aucun délai en ce qui concerne les articles scientifiques). On ne paierait pour lire que si l'on choisissait de faire imprimer un texte donné en format codex dans une librairie agréée ou si l'on choisissait de le télécharger sur son livre électronique ou son codex numérique. Évidemment, le fait qu'un texte soit accessible gratuitement sur le web ne signifierait pas que l'on ait le droit de se l'approprier. La paternité intellectuelle est un droit inaliénable. Et la piraterie resterait un délit: il ne serait pas permis à un éditeur d'éditer à son profit un texte qu'il aurait 'trouvé' sur le web.
Un autre argument à considérer est que la nouvelle technologie accélère la globalisation des échanges et que les conditions d'épanouissement de la culture sont en train de changer. On invoque généralement à l'appui du droit d'auteur le fait que l'absence de rétribution des artistes aurait un effet négatif sur la création. Mais est-ce vraiment le cas dans la situation actuelle? On voit en effet des auteurs très créatifs qui ne retirent guère de droits par manque d'une commercialisation adéquate; en revanche, des auteurs qui bénéficient d'une position dominante dans la distribution commerciale amassent des fortunes avec des productions insignifiantes. Le mouvement de globalisation va renforcer à l'extrême cette inégalité. En bref, on peut se demander si, au lieu de favoriser la diversité culturelle, le droit d'auteur ne sert pas principalement à la constitution d'immenses conglomérats de distribution qui imposent des produits standardisés. Au lieu de renforcer ce phénomène de commercialisation de la culture, et de criminaliser les comportements de millions d'usagers, il serait plus intéressant, d'un point de vue culturel, de faire du web une zone franche, à l'égal de la bibliothèque publique, où chacun peut être en contact avec la rumeur du monde, tant et aussi longtemps que l'on ne fait de celle-ci qu'un usage privé.
Surtout, il faut craindre les effets pervers d'une juridiction 'dure' en matière de droits d'auteur. Pour en gérer l'application, les empires commerciaux vont exiger la mise en place de mécanismes de traçabilité des oeuvres qui transformeront le web, et donc notre principal instrument d'accès à la culture, en un immense réseau grillagé où seront entièrement placées sous contrôle non seulement nos habitudes de consommation, mais aussi nos habitudes de lecture. Une perspective qui fait peur et qui marquerait la fin de la bibliothèque."
Olivier Gainon, fondateur et gérant de Cylibris, maison d'édition littéraire en ligne: "Il faut distinguer deux aspects: le droit d'auteur et l'application de ce droit. Pour moi, il ne fait aucun doute que le droit d'auteur s'applique sur internet (peu de gens le contestent désormais d'ailleurs), ce qui signifie que ce n'est pas parce qu'une création est mise en libre disponibilité sur le réseau que n'importe qui peut venir la copier, la commercialiser, etc. Et là, on touche surtout à de la pédagogie: je crois que les internautes ne sont pas sensibilisés à ces questions et qu'une première démarche pédagogique peut permettre de régler un certain nombre de problèmes. Autre démarche, il me semble nécessaire pour les auteurs d'indiquer les droits qu'ils laissent à une oeuvre en libre accès sur internet: si je peux télécharger une création visuelle sur un site, il vaut mieux que l'auteur indique, par exemple, s'il laisse la libre réutilisation de cette image du moment que ce n'est pas une démarche commerciale et sous réserve que son nom soit cité, s'il est contre toute réutilisation de cette image, etc. Là, tout est possible. A mon sens, sur trop de sites, on trouve des créations librement téléchargeables, et rien n'indique ce que l'on peut faire ou non avec. La vraie difficulté aujourd'hui réside dans l'application du droit d'auteur dans un contexte international face à des actes de piratages manifestes (c'est à dire la réutilisation à des fins commerciales de l'oeuvre d'un ou plusieurs artistes sans que ces derniers ne perçoivent quoi que ce soit). Et là, ce sera forcément plus lent parce qu'il faut définir des modes de coopération internationale, s'entendre sur des règles et mettre en place des procédures judiciaires adéquates. C'est un processus lent qui prendra plusieurs années, mais je suis optimiste. Finalement, tout cela est assez classique: pédagogie d'un côté, réglementation de l'autre."
5.7. Il est essentiel d'éduquer le lecteur/client
Tout comme Olivier Gainon dans les lignes qui précèdent, d'autres professionnels du livre insistent sur la nécessité d'éduquer le lecteur/client.
Tim McKenna, écrivain et philosophe: "Le droit d'auteur est une question difficile. Le détenteur de la propriété intellectuelle pense que ce qu'il a créé lui appartient. Quant au client, il achète un morceau de plastique (dans le cas d'un CD) ou un ensemble de pages brochées (dans le cas d'un livre). Les commerçants n'ont pas encore réussi à faire comprendre au client la notion de propriété intellectuelle. Le consommateur ne pense pas de manière très abstraite. Quand il télécharge des chansons par exemple, c'est simplement pour les écouter, non pour les posséder. L'industrie musicale et le monde de l'édition doivent trouver des solutions pour que le consommateur prenne en considération la question du copyright lors de ces téléchargements."
Gaëlle Lacaze, ethnologue et professeur d'écrit électronique, préconise "l'éducation du netizen; la formation des intermédiaires servant à l'utilisation des NTI (nouvelles technologies de l'information) à la nettatitude; l'analyse du rapport entre droits d'auteurs / diffusion du savoir / honnêteté scientifique."
Guy Antoine, créateur de Windows on Haiti, site de référence sur la culture haïtienne: "Ce sera un débat sans fin, parce que l'information devient plus omniprésente que l'air que nous respirons et plus fluide que l'eau. On peut maintenant acheter la vidéo d'un film sorti la semaine précédente. Bientôt on pourra regarder sur le net, et à leur insu, des scènes de la vie privée des gens. Il est consternant de voir qu'il existe tant de personnes disposées à faire ces vidéos bénévolement, comme s'il agissait d'un rite d'initiation. Cet état d'esprit continuera de peser de plus en plus lourdement sur les questions de copyright et de propriété intellectuelle. Les auteurs devront être beaucoup plus inventifs sur les moyens de contrôler la diffusion de leurs oeuvres et d'en tirer des gains. Le mieux à faire dès à présent est de développer les normes de base du professionnalisme, et d'insister sur la nécessité impérative de mentionner pour toute oeuvre citée au minimum sa provenance et ses auteurs. La technologie devra évoluer pour appuyer un processus permettant de respecter le droit d'auteur."
John Mark Ockerbloom, créateur de The On-Line Book Page: "A mon avis, il est important que les internautes comprennent que le copyright est un contrat social conçu pour le bien public - incluant à la fois les auteurs et les lecteurs. Ceci signifie que les auteurs devraient avoir le droit d'utiliser de manière exclusive et pour un temps limité les oeuvres qu'ils ont créées, comme ceci est spécifié dans la loi actuelle sur le copyright. Mais ceci signifie également que leurs lecteurs ont le droit de copier et de réutiliser ce travail autant qu'ils le veulent à l'expiration de ce copyright. Aux Etats-Unis, on voit maintenant diverses tentatives visant à retirer ces droits aux lecteurs, en limitant les règles relatives à l'utilisation de ces oeuvres, en prolongeant la durée du copyright (y compris avec certaines propositions visant à le rendre permanent) et en étendant la propriété intellectuelle à des travaux distincts des oeuvres de création (comme on en trouve dans les propositions de copyright pour les bases de données). Il existe même des propositions visant à entièrement remplacer la loi sur le copyright par une loi instituant un contrat beaucoup plus lourd. Je trouve beaucoup plus difficile de soutenir la requête de Jack Valenti, directeur de la MPAA (Motion Picture Association of America), qui demande d'arrêter de copier les films sous copyright, quand je sais que, si ceci était accepté, aucun film n'entrerait jamais dans le domaine public (…). Si on voit les sociétés de médias tenter de bloquer tout ce qu'elles peuvent, je ne trouve pas surprenant que certains usagers réagissent en mettant en ligne tout ce qu'ils peuvent. Malheureusement, cette attitude est à son tour contraire aux droits légitimes des auteurs. Comment résoudre cela pratiquement? Ceux qui ont des enjeux dans ce débat doivent faire face à la réalité, et reconnaître que les producteurs d'oeuvres et leurs usagers ont tous deux des intérêts légitimes dans l'utilisation de celles-ci. Si la propriété intellectuelle était négociée au moyen d'un équilibre des principes plutôt que par le jeu du pouvoir et de l'argent que nous voyons souvent, il serait peut-être possible d'arriver à un compromis raisonnable."
5.8. Ce débat occulte les vrais problèmes
Michael Hart, fondateur du Projet Gutenberg: "Les débats actuels sont totalement irréalistes. Ils sont menés par 'l'aristocratie terrienne de l'âge de l'information' et servent uniquement ses intérêts. Un âge de l'information? Et pour qui? J'ai été le principal opposant aux extensions du copyright (loi adoptée par le Congrès américain le 27 octobre 1998, ndlr), mais Hollywood et les grands éditeurs ont fait en sorte que le Congrès ne mentionne pas mon action en public."
Nicolas Pewny, créateur des éditions du Choucas: "Je me demande s'il faut un droit particulier pour le web. Les lois existent déjà. Et les contrevenants existaient bien avant la popularisation de l'internet. Enfin, si ces débats plaisent au ministère de la Culture… Le soutien à la publication, à la distribution, à l'existence du livre me semblent plus importants, si l'on veut éviter que l'édition, dans le futur, ne soit l'apanage de deux ou trois grands groupes. Évidemment cette action-là est moins médiatique."
Philippe Loubière, traducteur littéraire et dramatique: "Le débat sur le droit d'auteur sur le web me semble assez proche sur le fond de ce qu'il est dans les autres domaines où le droit d'auteur s'exerce, ou devrait s'exercer. Le producteur est en position de force par rapport à l'auteur dans pratiquement tous les cas de figure. Les pirates, voire la simple diffusion libre, ne menacent vraiment directement que les producteurs. Les auteurs ne sont menacés que par ricochet. Il est possible que l'on puisse légiférer sur la question, au moins en France où les corporations se revendiquant de l'exception culturelle sont actives et résistent encore un peu aux Américains, mais le mal est plus profond. En effet, en France comme ailleurs, les auteurs étaient toujours les derniers et les plus mal payés avant l'apparition d'internet, on constate qu'ils continuent d'être les derniers et les plus mal payés depuis. Il me semble nécessaire que l'on règle d'abord la question du respect des droits d'auteur en amont d'internet. Déjà dans le cadre général de l'édition ou du spectacle vivant, les sociétés d'auteurs (SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques), Société des gens de lettres, SACEM (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique), etc.) faillissent dès lors que l'on sort de la routine ou du vedettariat, ou dès que les producteurs abusent de leur position de force, ou tout simplement ne payent pas les auteurs, ce qui est très fréquent. Il est hypocrite dans ce cas-là de crier haro sur le seul internet."
Pierre Magnenat, responsable de la cellule "gestion et prospective" du centre informatique de l'Université de Lausanne: "Que cherche-t-on par là? Les évènements récents dans le monde musical ont montré que de grosses entreprises prennent prétexte du droit d'auteur pour en fait protéger leur profit. Je ne me fais aucune illusion sur la probabilité qu'a et aura un auteur peu médiatisé, dans un pays autre que les Etats-Unis, de recevoir des royalties sur un texte ou une musique diffusés sur le web, même si des dispositifs de mesure sophistiqués sont mis en place. Par ailleurs, ces dispositifs existent, permettant donc théoriquement un contrôle, alors que ça n'est pas le cas sur les photocopieurs ou les enregistreurs de cassettes. A cet égard, le web n'amène donc pas vraiment de problème supplémentaire."
Alex Andrachmes, producteur audiovisuel, écrivain et explorateur d'hypertexte: "Question épineuse s'il en est. Si c'est pour enrichir encore de grosses sociétés multinationales et surtout leurs actionnaires (les fonds de pensions américains que Beigbedder touche du doigt), de nombreux internautes dont je suis se rebellent face au 'copyright'. Par contre, si c'est pour permettre à des créateurs, des artistes ou des musiciens de vivre de leurs passions, le droit d'auteur au sens noble me paraît légitime. Le débat est le même que celui de l'exception culturelle face au GATS (General Agreement on Trade in Services). Copyright contre droit d'auteur! Mais il règne dans le domaine une confusion soigneusement entretenue, ou les deux sont amalgamés. 'On' fait monter au créneau des artistes pour défendre une liberté qui pourrait ne profiter finalement qu'aux multinationales. Firmes qui s'empresseront d'étouffer ces petits soldats de la liberté, si on leur en laisse le pouvoir, sur le net. Et oui, contrairement aux droits d'auteurs qui sont incessibles, le système de 'copyright' permet à ses 'propriétaires' de modifier les conditions contractuelles aux moments qui les arrangent. On a vu plus d'un artiste parvenir à la vice-présidence de l'une ou l'autre de ces firmes grâce à ses ventes faramineuses, puis perdre jusqu'à leur nom dès que ces ventes ne suivent plus! Il me semble qu'il faut surveiller de très près le fameux accord entre BMG et Napster, par lequel, contre un abonnement assez minime somme toute, n'importe qui pourra charger des fichiers en toute légalité. Certes BMG est une multinationale, certes Napster est en passe de perdre son procès contre les autres multinationales de la musique; mais ce système de forfait peut amener à des solutions originales d'équilibre entre la liberté de l'internaute et la rémunération légitime des artistes. Tenant compte de toutes ces contradictions, valider un modèle économique, puisque c'est le dernier concept à la mode dans le domaine du net, n'est pas des plus évidents…"
6. L'EDITION ELECTRONIQUE
[Dans ce chapitre:]
[6.1. Un développement rapide // 6.2. Un service complémentaire pour les éditeurs "classiques" / L'exemple des éditions du Choucas // 6.3. Les éditeurs en ligne francophones / Editel, créé en 1995 / CyLibris, créé en 1996 / Diamedit, créé en 1997 / 00h00.com, créé en 1998 / La Grenouille Bleue - Gloupsy, créé en 1999 / Luc Pire électronique, créé en 2001 // 6.4. Vers un nouveau type d'édition? / L'auto-édition, solution adoptée par certains auteurs / Un pari en cours: l'édition de la littérature hypertexte et hypermédia / Un pari à venir: l'édition de documentaires hypertextes et hypermédias]
6.1. Un développement rapide
De plus en plus de livres et de revues sont publiés en deux versions: numérique et imprimée. Ce qui, après tout, est assez logique puisque tout document imprimé récent est précédé d'une version électronique sur traitement de texte, tableur ou base de données. Certaines publications sont uniquement numériques, ou n'existent désormais plus qu'en version numérique. L'édition électronique est désormais en bonne place à côté de l'édition traditionnelle, du fait des avantages qu'elle offre: stockage plus simple, accès plus rapide, diffusion plus facile, coût moins élevé, etc. Tôt ou tard, tous les livres et revues auront une version numérique, et il deviendra probablement ridicule d'établir une distinction entre document électronique et document imprimé, si ce n'est le choix du support.
Pour la publication d'ouvrages et de périodiques à caractère scientifique, dans lesquels l'information la plus récente est primordiale, la numérisation permet de s'orienter vers une diffusion en ligne qui rend beaucoup plus facile les réactualisations régulières. Point n'est besoin d'attendre une nouvelle édition imprimée soumise aux contraintes commerciales et aux exigences de l'éditeur. Si nécessaire, une édition imprimée est toujours possible, mais uniquement à la demande, ou tout simplement en tirant les quelques pages nécessaires sur son imprimante. Certaines universités produisent des manuels "sur mesure" composés d'un choix de chapitres sélectionnés dans une base de données, choix complété par divers articles et commentaires. Pour un séminaire, une conférence, ou toute autre manifestation, un très petit tirage peut être effectué à partir d'un choix de textes électroniques.
Le numérique amène une certaine zizanie dans le monde de l'édition, ce qui n'est peut-être pas un mal: des éditeurs vendent directement leurs titres en ligne, des éditeurs numériques et librairies numériques diffusent les versions numériques de livres publiés par des éditeurs "classiques", des auteurs s'auto-éditent ou promeuvent eux-mêmes leurs oeuvres publiées, des sites littéraires se chargent de promouvoir de nouveaux auteurs pour pallier les carences de l'édition traditionnelle, etc.
6.2. Un service complémentaire pour les éditeurs "classiques"
Très vite, des éditeurs "classiques" exploitent les possibilités de l'internet pour faciliter et renforcer leur activité. On prendra ici l'exemple des éditions du Choucas, petit éditeur indépendant basé dans la région d'Annecy (Haute-Savoie).
= L'exemple des éditions du Choucas
En 1992, Nicolas et Suzanne Pewny fondent les éditions du Choucas, spécialisées dans la littérature et les livres d'art. Ils créent leur site web dès novembre 1996. "Lorsque je me suis rendu compte des possibilités que l'internet pouvait nous offrir, je me suis juré que nous aurions un site le plus vite possible, explique Nicolas Pewny en juin 1998. Un petit problème: nous n'avions pas de budget pour le faire réaliser. Alors, au prix d'un grand nombre de nuits sans sommeil, j'ai créé ce site moi-même et l'ai fait référencer (ce n'est pas le plus mince travail). Le site a alors évolué en même temps que mes connaissances (encore relativement modestes) en la matière et s'est agrandi, et il a commencé à être un peu connu même hors de France et d'Europe.
Le changement que l'internet a apporté dans notre vie professionnelle est considérable. Nous sommes une petite maison d'édition installée en province. L'internet nous a fait connaître rapidement sur une échelle que je ne soupçonnais pas. Même les médias 'classiques' nous ont ouvert un peu leurs portes grâce à notre site. Les manuscrits affluent par le courrier électronique. Ainsi nous avons édité deux auteurs québécois. Beaucoup de livres se réalisent (corrections, illustrations, envoi des documents à l'imprimeur) par ce moyen. Dès le début de l'existence du site, nous avons reçu des demandes de pays ou nous ne sommes pas (encore) représentés: Etats-Unis, Japon, Amérique latine, Mexique, malgré notre volonté de ne pas devenir un site commercial mais un site d'information et à connotation culturelle (nous n'avons pas de système de paiement sécurisé, etc., nous avons juste référencé sur une page les libraires qui vendent en ligne). (…) Nous voudrions bien rester aussi peu commercial que possible et augmenter l'interactivité et le contact avec les visiteurs du site. Y réussirons-nous? Nous avons déjà reçu des propositions qui vont dans un sens opposé. Nous les avons mis en veille. Mais si l'évolution va dans ce sens, pourrons-nous résister, ou trouver une voie moyenne? Honnêtement, je n'en sais rien."
Un an après, en juillet 1999, Nicolas Pewny relate: "Tous nos titres récents sont présentés sur le web, on peut contacter nos auteurs, participer à un jeu-concours, consulter le début - parfois le texte intégral - des nouveautés. Le texte intégral? Oui, nous croyons à la survie du livre dans son format classique parallèlement au format électronique. Le livre, ce n'est pas seulement un texte. C'est aussi un objet que l'on aime toucher, montrer, emmener en voyage, prêter… Nous pensons que le fait de pouvoir consulter le texte incite à se procurer le livre (si on a aimé bien sûr). La maintenance et les mises à jour du site, le courrier électronique, etc. sont devenus pour moi une tâche quotidienne s'ajoutant aux autres: mise en page des textes, correction, création des couvertures, rapport avec les auteurs, avec les médias, suivi de la distribution-diffusion, etc. Car comme dans d'autres petites maisons d'édition nous faisons tout nous-mêmes (sauf l'impression). A la suite de la mise en ligne de Corrida, l'exposition virtuelle Lorca-Puig, et plus récemment du site pour la recherche de sponsors pour Mon copain de Pékin, un livre de photographies dédié à Pékin, il semblerait que nous soyons amenés à créer des sites ayant un rapport avec l'art et/ou le livre. (…) Nous avons mis le début de chaque livre en format PDF et pour quelques livres le texte intégral en ligne. Un jeu-concours qui remporte un certain succès a aussi été mis en place. On peut gagner le livre de son choix. Beaucoup de nos visiteurs nous reprochaient de ne pouvoir acheter en ligne sur notre site. Après pas mal d'hésitations nous avons choisi Alapage pour la qualité de son service et pour la fiabilité de leur base de données. Néanmoins la page des librairies en ligne est toujours sur notre site si l'on préfère acheter ailleurs. Nous avons déjà quelques interviews d'auteurs disponibles en RealAudio sur une de nos pages. Nous allons essayer d'en faire d'autres avec de la vidéo. Enfin une alternative du site en DHTML, Javascript, Flash, existe. Nous la mettrons parallèlement en ligne à l'automne (1999)."
Fin 1999, séduit par les Fables pour l'an 2000 de Raymond Godefroy, écrivain-paysan normand, Nicolas Pewny crée la version web de ce recueil. En 2000, les éditions du Choucas lancent plusieurs versions numériques de leurs publications en partenariat avec 00h00.com et Mobipocket.
Mais le bilan des années 1992-2001 est assez lourd: dix ans de travail acharné pour publier une quarantaine de titres à l'enseigne du Choucas et de nombreux autres titres pour des tiers, des revenus sans aucune comparaison avec le travail investi, et enfin le dépôt de bilan de Distique, leur distributeur. En mars 2001, Nicolas et Suzanne Pewny décident de cesser leur activité d'éditeur, tout en condamnant sévèrement l'attitude du ministère de la Culture à l'égard des petits éditeurs indépendants. "Le soutien à la publication, à la distribution, à l'existence du livre me semblent importants, si l'on veut éviter que l'édition, dans le futur, ne soit l'apanage de deux ou trois grands groupes, écrit Nicolas Pewny en juin 2001. (…) Mais je ne regrette pas ces dix années de lutte de satisfactions et de malheurs passés aux éditions du Choucas. J'ai connu des auteurs intéressants dont certains sont devenus des amis… Maintenant je fais des publications et des sites internet pour d'autres. En ce moment pour une ONG (organisation non gouvernementale) internationale caritative; je suis ravi de participer (modestement) à leur activité à but non lucratif. Enfin on ne parle plus de profit ou de manque à gagner, c'est reposant."
6.3. Les éditeurs en ligne francophones
Comme on le verra dans les lignes qui suivent, une place importante est occupée par l'édition en ligne non commerciale. A ceux qui se demandent s'il s'agit là de véritables éditeurs, on rétorquera que le fait de publier des versions numériques de livres publiés en version imprimée par d'autres maisons d'édition ne constitue peut-être pas non plus une véritable activité d'édition. Pourquoi n'y aurait-il pas enfin de la place pour tout le monde: éditeurs commerciaux, éditeurs non commerciaux, éditeurs de versions numériques, etc.? Pourquoi l'édition en ligne devrait-elle dès ses débuts être monopolisée par une seule maison d'édition ayant le réseau de relations nécessaire et le soutien des médias? Et reproduire ainsi le schéma de l'édition traditionnelle, à savoir la difficulté qu'ont les petits éditeurs d'être entendus et diffusés, et tout simplement d'exister face à quelques maisons d'édition ayant pignon sur rue?
= Editel, créé en 1995
Dès avril 1995, Pierre François Gagnon, un québécois passionné de littérature, décide d'utiliser le numérique pour la réception des textes, leur stockage et leur diffusion. Il crée Editel, le premier site web d'auto-édition collective de langue française, devenu ensuite un site de cyberédition non commerciale en partenariat avec les auteurs maison (35 textes téléchargeables en janvier 2001) et un webzine littéraire.
En juillet 2000, il relate: "En fait, tout le monde et son père savent ou devraient savoir que le premier site d'édition en ligne commercial fut CyLibris (créé en août 1996 par Olivier Gainon, ndlr), précédé de loin lui-même, au printemps de 1995, par nul autre qu'Editel, le pionnier d'entre les pionniers du domaine, bien que nous fûmes confinés à l'action symbolique collective, faute d'avoir les moyens de déboucher jusqu'ici sur une formule de commerce en ligne vraiment viable et abordable, bien qu'il n'existe toujours pas de support de lecture 'grand public' qui soit crédible pour la publication payante de livres numériques. Nous l'attendons toujours dans le courant de l'an 2000! Nous sommes actuellement trois mousquetaires (Pierre François Gagnon, Jacques Massacrier et Mostafa Benhamza, ndlr) à développer le contenu original et inédit du webzine littéraire qui continuera de servir de façade d'animation gratuite, offerte personnellement par les auteurs maison à leur lectorat, à d'éventuelles activités d'édition en ligne payantes, dès que possible au point de vue technico-financier. Est-il encore réaliste de rêver à la démocratie économique? Tout ce que j'espère de mieux (…), c'est que les nouveaux supports de lecture, ouverts et compatibles grâce au standard OeB (Open eBook), s'imposeront d'emblée comme des objets usuels indispensables, c'est-à-dire multifonctionnels et ultramobiles, intégrant à la fois l'informatique, l'électronique grand public et les télécommunications, et pas plus dispendieux qu'une console de jeux vidéo."
= CyLibris, créé en 1996
Fondé en août 1996 à Paris par Olivier Gainon, CyLibris (de Cy, cyber et Libris, livre) utilise l'internet et le numérique pour s'affranchir des contraintes liées à l'économie traditionnelle du livre. L'éditeur peut ainsi se consacrer à la découverte et à la promotion de nouveaux auteurs littéraires francophones, et à la publication de leurs premières oeuvres (romans, poésie, théâtre, policier, science-fiction, fantastique, etc.). Si CyLibris est avant tout un tremplin pour les nouveaux talents, les auteurs confirmés y ont aussi leur place (voir à ce sujet l'entretien avec Emmanuel Ménard, directeur des publications, qui expose en détail la procédure éditoriale de CyLibris).
Vendus uniquement sur le web, avec des extraits en téléchargement libre au format texte, les livres (52 titres en juin 2001) sont imprimés à la commande et envoyés directement au client, ce qui permet d'éviter le stock et les intermédiaires. Le site procure des informations pratiques à destination des auteurs en herbe: comment envoyer un manuscrit à un éditeur, ce que doit comporter un contrat d'édition, comment protéger ses manuscrits, etc. Au printemps 2000, CyLibris devient membre du Syndicat national de l'édition (SNE).
"CyLibris a été créé d'abord comme une maison d'édition spécialisée sur un créneau particulier de l'édition et mal couvert à notre sens par les autres éditeurs: la publication de premières oeuvres, donc d'auteurs débutants, explique Olivier Gainon. Nous nous intéressons finalement à la littérature qui ne peut trouver sa place dans le circuit traditionnel: non seulement les premières oeuvres, mais les textes atypiques, inclassables ou en décalage avec la mouvance et les modes littéraires dominantes. Ce qui est rassurant, c'est que nous avons déjà eu quelques succès éditoriaux (grand prix de la Société des gens de lettres (SGDL) en 1999 pour La Toile de Jean-Pierre Balpe, prix de la litote pour Willer ou la trahison de Jérôme Olinon en 2000, etc.).
Ce positionnement de 'défricheur' est en soi original dans le monde de l'édition, mais c'est surtout son mode de fonctionnement qui fait de CyLibris un éditeur atypique. Créé dès 1996 autour de l'internet, CyLibris a voulu contourner les contraintes de l'édition traditionnelle grâce à deux innovations: la vente directe par l'intermédiaire d'un site de commerce sur internet, et le couplage de cette vente avec une impression numérique en 'flux tendu'. Cela permettait de contourner les deux barrières traditionnelles dans l'édition: les coûts d'impression (et de stockage), et les contraintes de distribution. Notre système gérait donc des flux physiques: commande reçue par internet - impression du livre commandé - envoi par la poste. Je précise que nous sous-traitons l'impression à des imprimeurs numériques, ce qui nous permet de vendre des livres de qualité équivalente à celle de l'offset, et à un prix comparable. Notre système n'est ni plus cher, ni de moindre qualité, il obéit à une économie différente, qui, à notre sens, devrait se généraliser à terme.
Aujourd'hui, CyLibris développe une activité de distribution de 'livres numériques', c'est-à-dire de fichiers téléchargeables. Nous n'avons pas lancé cette activité au départ car il nous semblait que les outils de sécurisation (c'est-à-dire permettant une réelle prise en charge des droits d'auteur) n'existaient pas il y a quatre ans. Les technologies évoluent, et nous sommes en train de tester plusieurs technologies pour lancer une réelle activité de livres numériques en 2001. Nous quittons donc notre métier d'éditeur pur pour nous intéresser de plus en plus aux technologies autour du livre sur internet. Bien entendu, nous pensons à faire bénéficier d'autres éditeurs de ce savoir-faire que nous sommes en train d'acquérir."
En quoi consiste exactement l'activité d'Olivier Gainon? "Je décrirais mon activité comme double. D'une part celle d'un éditeur traditionnel dans la sélection des manuscrits et leur retravail (je m'occupe directement de la collection science-fiction) , mais également le choix des maquettes, les relations avec les prestataires, etc. D'autre part, une activité internet très forte qui vise à optimiser le site de CyLibris et mettre en oeuvre une stratégie de partenariat permettant à CyLibris d'obtenir la visibilité qui lui fait parfois défaut. Enfin, je représente CyLibris au sein du SNE (Syndicat national de l'édition). CyLibris est aujourd'hui une petite structure. Elle a trouvé sa place dans l'édition, mais est encore d'une économie fragile sur internet. Notre objectif est de la rendre pérenne et rentable et nous nous y employons. Je pense que les choses changent et j'espère qu'en 2002 nous aurons doublé notre taille et que nous serons proche de l'équilibre."
Par ailleurs, l'équipe de CyLibris lance en mai 1999 une lettre d'information électronique sur le monde de l'édition francophone. Souvent humoristique et décapante, la lettre, d'abord mensuelle, paraît deux fois par mois à compter de février 2000. Elle change de nom en février 2001 pour devenir Edition-actu. Depuis ses débuts, son objectif n'est pas tant de promouvoir les livres de l'éditeur que de présenter l'actualité du livre tous azimuts.
= Diamedit, créé en 1997
Diamedit, site de promotion d'inédits artistiques et littéraires, est conçu en 1997 par Jacky Minier. "J'ai imaginé ce site d'édition virtuelle il y a maintenant plusieurs années, à l'aube de l'ère internautique francophone, explique-t-il. A l'époque, il n'y avait aucun site de ce genre sur la toile à l'exception du site québécois Editel de Pierre François Gagnon. J'avais alors écrit un roman et quelques nouvelles que j'aurais aimé publier mais, le système français d'édition classique papier étant ce qu'il est, frileux et à la remorque de l'Audimat, il est devenu de plus en plus difficile de faire connaître son travail lorsqu'on n'est pas déjà connu médiatiquement. J'ai donc imaginé d'utiliser le web pour faire la promotion d'auteurs inconnus qui, comme moi, avaient envie d'être lus. Diamedit est fait pour les inédits. Rien que des inédits. Pour encourager avant tout la création.
Je suis, comme beaucoup de pionniers du net sans doute, autodidacte et multiforme. A la fois informaticien, écrivain, auteur de contenus, webmestre, graphiste au besoin, lecteur, correcteur pour les tapuscrits des autres, et commercial, tout à la fois. Mon activité est donc un mélange de ces diverses facettes. Toutefois, de plus en plus, je suis amené à me consacrer davantage à la promotion de mes sites que j'avais jusque-là tendance à négliger un peu, et j'envisage de déléguer largement la sélection des tapuscrits aux auteurs eux-mêmes, qui coopteraient ainsi entre eux les nouveaux venus. De cette manière, le cercle grandissant de passionnés de l'écriture devrait maintenir de lui-même un niveau de qualité suffisant pour conserver ou amplifier l'attrait que Diamedit exerce sur ses lecteurs."
Comment Jacky Minier voit-il l'avenir? "Souriant. Je le vois très souriant. Je crois que le plus dur est fait et que le savoir-faire cumulé depuis les années de débroussaillage verra bientôt la valorisation de ces efforts. Le nombre des branchés francophones augmente très vite maintenant et, même si en France on a encore beaucoup de retard sur les Amériques, on a aussi quelques atouts spécifiques. En matière de créativité notamment. C'est pile poil le créneau de Diamedit. De plus, je me sens moins seul maintenant qu'il y a seulement deux ans. Des confrères sérieux ont fait leur apparition dans le domaine de la publication d'inédits. Tant mieux! Plus on sera et plus l'expression artistique et créatrice prendra son envol. En la matière, la concurrence n'est à craindre que si on ne maintient pas le niveau d'excellence. Il ne faut pas publier n'importe quoi si on veut que les visiteurs comme les auteurs s'y retrouvent."
= 00h00.com, créé en 1998
Créées par Jean-Pierre Arbon, ancien directeur de Flammarion, et Bruno de Sa Moreira, ancien directeur de Flammarion Multimédia, les éditions 00h00.com (prononcer: zéro heure) débutent leur activité en mai 1998. "La création de 00h00.com marque la véritable naissance de l'édition en ligne (ou plus exactement de l'édition numérique commerciale, ndlr), lit-on sur le site web. C'est en effet la première fois au monde que la publication sur internet de textes au format numérique est envisagée dans le contexte d'un site commercial, et qu'une entreprise propose aux acteurs traditionnels de l'édition (auteurs et éditeurs) d'ouvrir avec elle sur le réseau une nouvelle fenêtre d'exploitation des droits. Les textes offerts par 00h00.com sont soit des inédits, soit des textes du domaine public, soit des textes sous copyright dont les droits en ligne ont fait l'objet d'un accord avec leurs ayants-droit. (…) Internet est un lieu sans passé, où ce que l'on fait ne s'évalue pas par rapport à une tradition. Il y faut inventer de nouvelles manières de faire les choses. (…) Le succès de l'édition en ligne ne dépendra pas seulement des choix éditoriaux: il dépendra aussi de la capacité à structurer des approches neuves, fondées sur les lecteurs autant que sur les textes, sur les lectures autant que sur l'écriture, et à rendre immédiatement perceptible qu'une aventure nouvelle a commencé."
Les 600 titres du catalogue - essentiellement des rééditions numériques d'ouvrages publiés par d'autres éditeurs - sont disponibles sous la forme d'un exemplaire numérique et d'un exemplaire papier. D'après l'éditeur, les exemplaires numériques représentent 85% des ventes. Les collections sont très diverses: 2003 (nouvelles écritures), actualité et société, communication et NTIC (nouvelles technologies de l'information et de la communication), poésie, policiers, science-fiction, etc. Pas de stock, pas de contrainte physique de distribution, mais un lien direct avec le lecteur et entre les lecteurs. Sur le site, les lecteurs peuvent créer leur espace personnel afin d'y rédiger leurs commentaires, recommander des liens vers d'autres sites, participer à des forums, etc.
Les éditions 00h00.com sont rachetées en septembre 2000 par l'américain Gemstar, société leader dans le domaine des technologies et systèmes interactifs pour les produits numériques. Après avoir acquis en janvier 2000 les deux sociétés américaines à l'origine des premiers modèles de livres électroniques, NuvoMedia, créatrice du Rocket eBook, et Softbook Press, créatrice du Softbook Reader, Gemstar continue ainsi d'étendre son empire en accédant cette fois au marché francophone. Selon Henry Yuen, président de Gemstar (cité par l'AFP), "les compétences éditoriales dont dispose 00h00.com et les capacités d'innovation et de créativité dont elle a fait preuve sont les atouts nécessaires pour faire de Gemstar un acteur majeur du nouvel âge de l'édition numérique qui s'ouvre en Europe". 00h00.com prépare le lancement en Europe du Gemstar eBook, livre électronique produit et commercialisé par Thomson Multimédia sous licence de Gemstar (voir 8.1 pour un descriptif plus complet).
= La Grenouille Bleue / Gloupsy, créé en 1999
Marie-Aude Bourson, une lyonnaise passionnée de littérature et d'écriture, ouvre en septembre 1999 le site littéraire de la Grenouille Bleue. "L'objectif est de faire connaître de jeunes auteurs francophones, pour la plupart amateurs, explique-t-elle. Chaque semaine, une nouvelle complète est envoyée par e-mail aux abonnés de la lettre. Les lecteurs ont ensuite la possibilité de donner leurs impressions sur un forum dédié. Egalement, des jeux d'écriture ainsi qu'un atelier permettent aux auteurs de 's'entraîner' ou découvrir l'écriture. Un annuaire recense les sites littéraires. Un agenda permet de connaître les différentes manifestations littéraires." En décembre 2000, elle doit fermer le site pour un problème de marque. En janvier 2001, elle ouvre un nouveau site, Gloupsy.com, qui fonctionne selon le même principe que la Grenouille Bleue, "mais avec plus de 'services' pour les jeunes auteurs, le but étant de mettre en place une véritable plate-forme pour 'lancer' les auteurs". Elle envisage d'"en faire un jour une véritable maison d'édition avec impression papier des auteurs découverts".
= Luc Pire électronique, créé en 2001
Lancé en février 2001, Luc Pire électronique est le département d'édition numérique des éditions Luc Pire, créées à l'automne 1994 et basées à Bruxelles et à Liège. Le catalogue de Luc Pire électronique, en cours de constitution, comprendra les versions numériques des livres déjà publiés par les éditions Luc Pire (300 titres au catalogue papier en juin 2001) et de nouveaux titres, soit en version numérique seulement, soit en deux versions, numérique et imprimée. Nicolas Ancion, son responsable éditorial, explique: "Ma fonction est d'une double nature: d'une part, imaginer des contenus pour l'édition numérique de demain et, d'autre part, trouver des sources de financement pour les développer. (…) Je supervise le contenu du site de la maison d'édition et je conçois les prochaines générations de textes publiés numériquement (mais pas exclusivement sur internet)."
Je pense que l'édition numérique n'en est encore qu'à ses balbutiements, ajoute-t-il. Nous sommes en pleine phase de recherche. Mais l'essentiel est déjà acquis: de nouveaux supports sont en train de voir le jour et cette apparition entraîne une redéfinition du métier d'éditeur. Auparavant, un éditeur pouvait se contenter d'imprimer des livres et de les distribuer. Même s'il s'en défendait parfois, il fabriquait avant tout des objets matériels (des livres). Désormais, le rôle de l'éditeur consiste à imaginer et mettre en forme des contenus, en collaboration avec des auteurs. Il ne fabrique plus des objets matériels, mais des contenus dématérialisés. Ces contenus sont ensuite 'matérialisés' sous différentes formes: livres papier, livres numériques, sites web, bases de données, brochures, CD-Rom, bornes interactives. Le département de 'production' d'un éditeur deviendrait plutôt un département d''exploitation' des ressources. Le métier d'éditeur se révèle ainsi beaucoup plus riche et plus large. Il peut amener le livre et son contenu vers de nouveaux lieux, de nouveaux publics. C'est un véritable défi qui demande avant tout de l'imagination et de la souplesse."
6.4. Vers un nouveau type d'édition?
= L'auto-édition, solution adoptée par certains auteurs
Les éditeurs ne peuvent vivre sans les auteurs, alors que les auteurs peuvent enfin vivre sans les éditeurs. La création d'un site web leur permet de faire connaître leurs oeuvres en évitant les intermédiaires. C'est après avoir utilisé le circuit traditionnel des éditeurs - et avoir été passablement déçue par celui-ci - qu'Anne-Bénédicte Joly décide de s'auto-publier et d'utiliser le web pour se faire connaître. En avril 2000, elle crée son propre site. "Après avoir rencontré de nombreuses fins de non-recevoir auprès des maisons d'édition et ne souhaitant pas opter pour des éditions à compte d'auteur, j'ai choisi, parce que l'on écrit avant tout pour être lu (!), d'avoir recours à l'auto-édition, raconte-t-elle. Je suis donc un écrivain-éditeur et j'assume l'intégralité des étapes de la chaîne littéraire, depuis l'écriture jusqu'à la commercialisation, en passant par la saisie, la mise en page, l'impression, le dépôt légal et la diffusion de mes livres. Mes livres sont en règle générale édités à 250 exemplaires et je parviens systématiquement à couvrir mes frais fixes. Je pense qu'internet est avant tout un média plus rapide et plus universel que d'autres, mais je suis convaincue que le livre 'papier' a encore, pour des lecteurs amoureux de l'objet livre, de beaux jours devant lui. Je pense que la problématique réside davantage dans la qualité de certains éditeurs, pour ne pas dire la frilosité, devant les coûts liés à la fabrication d'un livre, qui préfèrent éditer des livres 'vendeurs' plutot que de décider de prendre le risque avec certains écrits ou certains auteurs moins connus ou inconnus.(…) Si l'internet et le livre électronique ne remplaceront pas le support livre, je reste convaincue que disposer d'un tel réseau de communication est un avantage pour des auteurs moins (ou pas) connus."
Elle place toutefois quelques espoirs dans l'édition numérique. "Certains éditeurs on line tendent à se comporter comme de véritables éditeurs en intégrant des risques éditoriaux comme le faisaient au début du siècle dernier certains éditeurs classiques. Les techniques modernes (édition numérique, e-book…) sont accessibles, n'exigent pas (ou de moins en moins) de moyens financiers importants et peuvent donc être au service de ces éditeurs. Ils jouent aujourd'hui le rôle de découvreur de talents. Il est à ma connaissance absolument inimaginable de demander à des éditeurs traditionnels d'éditer un livre en cinquante exemplaires. L'édition numérique offre cette possibilité, avec en plus réédition à la demande, presque à l'unité. En résumé, je souhaite que l'objet livre continue de vivre longtemps et je suis ravie que des techniques (internet, édition numérique, e-book…) offrent à des auteurs des moyens de communication leur permettant d'avoir accès à de plus en plus de lecteurs."
Ces commentaires font écho à ceux de Jacky Minier, créateur de Diamedit, site de promotion d'inédits artistiques et littéraires. "En matière d'édition numérique, (…) permettre une impression pour utilisation personnelle est un excellent moyen de promotion de l'auteur et de son oeuvre. Même si c'est un exemplaire gratuit. Et quand cet auteur (ou artiste) deviendra très connu, les mêmes éditeurs papier qui le boudent se jetteront dessus pour le publier alors qu'ils auraient à peine lu son manuscrit auparavant!"
Raymond Godefroy, écrivain-payan, a d'abord publié son recueil Fables pour l'an 2000 en version web sur le site des éditions du Choucas, en décembre 1999, avant d'envisager une version imprimée. "Internet représente pour moi un formidable outil de communication qui nous affranchit des intermédiaires, des barrages doctrinaires et des intérêts des médias en place, écrit-il fin 1999. Soumis aux mêmes lois cosmiques, les hommes, pouvant mieux se connaître, acquerront peu à peu cette conscience du collectif, d'appartenir à un même monde fragile pour y vivre en harmonie sans le détruire. Internet est absolument comme la langue d'Esope, la meilleure et la pire des choses, selon l'usage qu'on en fait, et j'espère qu'il ne permettra de m'affranchir en partie de l'édition et de la distribution traditionnelle qui, refermée sur elle-même, souffre d'une crise d'intolérance pour entrer à reculons dans le prochain millénaire."
Si certains auteurs manifestent un optimisme mesuré, d'autres ne se font pas d'illusion. "L'internet va me permettre de me passer des intermédiaires: compagnies de disques, éditeurs, distributeurs, écrit Jean-Paul, écrivain et musicien. Il va surtout me permettre de formaliser ce que j'ai dans la tête (et ailleurs) et dont l'imprimé (la micro-édition, en fait) ne me permettait de donner qu'une approximation. Puis les intermédiaires prendront tout le pouvoir. Il faudra alors chercher ailleurs, là où l'herbe est plus verte…"
= Un pari en cours: l'édition de la littérature hypertexte et hypermédia
"La lucidité nous a ouvert les yeux sur quoi: un écran, constate Lucie de Boutiny, auteur multimédia. Dans ce rectangle lumineux des lettres. Depuis l'archaïque minitel si décevant en matière de création télématique, c'est bien la première fois que, via le web, dans une civilisation de l'image, l'on voit de l'écrit partout présent 24 h /24, 7 jours /7. Je suis d'avis que si l'on réconcilie le texte avec l'image, l'écrit avec l'écran, le verbe se fera plus éloquent, le goût pour la langue plus raffiné et communément partagé. Faudra-t-il s'en justifier encore longtemps devant les éditeurs en papier mâché qui ont des idées de parchemin fripé? Faut-il les consoler en leur précisant que la fabrique de littérature numérique emprunte les recettes de la littérature traditionnelle (y compris celle écrite avec la voix, ou transmise sur des tablettes, voire enregistrée sur des papyrus, etc.) et pas seulement. Bref, il serait temps de rafraîchir cette bonne vieille littérature franco-française en phase d'épuisement. Ce n'est pas si grave, notre patrimoine nous sauve mais voilà la drôle de 'mission' dont il convient de s'acquitter - ceci dit, les sermons, les positions qui risquent de se sanctifier en postures, les bonnes résolutions moralisantes, je m'en tape, mais pour le coup, j'y cède -, ou alors il faut s'arrêter de se plaindre de la désacralisation du livre comme vecteur de la connaissance et de la culture, de la désertion des lecteurs, de l'illettrisme rampant, de la tristesse désuète si austère du peuple des écrivains, de leur isolement subi, de la pauvreté des moyens financiers qu'on leur accorde, et cela face à une industrialisation concentrationnaire de l'édition qui assomme le livre à coups de pilon, etc."
Encore balbutiante, l'édition d'oeuvres de fiction hypertextuelle cherche sa voie. "L'HTX (littérature hypertextuelle, ndlr) qui passe par le savoir-faire technologique rapproche donc le techno-écrivain du scénariste, du BD dessinateur, du plasticien, du réalisateur de cinéma, quelles en sont les conséquences au niveau éditorial? Faut-il prévoir un budget de production en amont? Qui est l'auteur multimédia? Qu'en est-il des droits d'auteur? Va-t-on conserver le copyright à la française? L'HTX sera publiée par des éditeurs papier ayant un département multimédia? De nouveaux éditeurs vont émerger et ils feront un métier proche de la production? Est-ce que nous n'allons pas assister à un nouveau type d'oeuvre collective? Bientôt le sampling littéraire protégé par le copyleft?"
= Un pari à venir: l'édition de documentaires hypertextes et hypermédias
Pour les documentaires aussi, il est grand temps d'utiliser les nouvelles formes d'écriture et de lecture autorisées par le lien hypertexte et hypermédia, comme c'est déjà le cas depuis quelques années dans le domaine de la fiction. Pourquoi les auteurs de documentaires n'exploiteraient-ils pas eux aussi les possibilités offertes par l'hyperlien, en permettant ainsi au lecteur toutes sortes de cheminements, linéaires, non linéaires, par thèmes, etc.? C'est la démarche qui est tentée dans le livre que vous êtes en train de lire.
Outre plusieurs possibilités de lecture, le documentaire hypertexte offre de nombreux avantages par rapport au documentaire imprimé. Un simple lien permet d'accéder aux sites web mentionnés, ainsi qu'au texte intégral des documents cités et des références bibliographiques. Les erreurs peuvent aussitôt être corrigées. Le livre peut être régulièrement actualisé (ajouts en fonction de l'actualité, derniers chiffres et statistiques, etc.).
Ces horripilants index en fin d'ouvrage - mais combien pratiques, au moins quand ils existent - sont remplacés par la fonction "recherche" sur une page donnée ou par un moteur de recherche pour l'ensemble du site (en installant celui de Google par exemple). Un index peut toujours être envisagé, mais considérablement allégé, et principalement pour répertorier les concepts et notions. Pour prendre un exemple, dans l'index de ce livre, pour "livre numérique", on a quelques renvois aux chapitres et sous-chapitres, alors qu'un moteur de recherche donnerait une liste impressionnante de réponses, le terme revenant à longueur de page. L'index offre donc un service complémentaire.
Il reste à inventer un nouveau type de maison d'édition proposant des livres web, avec une infrastructure permettant leur actualisation immédiate et constante par FTP. Si ceci vaut pour tous les sujets, cela paraît d'autant plus indispensable pour les nouvelles technologies et l'internet. La place des livres traitant du web n'est-elle pas sur le web? L'auteur pourrait choisir de mettre son livre en consultation payante ou gratuite. La question du droit d'auteur serait également entièrement à revoir, ce qui ne serait sûrement pas un mal. Paiement à la source, paiement à la consultation? Et comment l'éditeur serait-il rémunéré? Quant aux versions imprimées, globales ou partielles, elles pourraient être faites à la demande, comme c'est déjà le cas chez plusieurs éditeurs de livres "classiques".
Quant au documentaire hypermédia, il permettrait d'inclure des images animées, de la musique et des vidéos. Ceci dans un deuxième temps peut-être. En France par exemple, seule 6% de la population dispose pour le moment de l'internet à débit rapide, un élément statistique que les créateurs et webmestres oublient trop souvent de prendre en considération. Pour le moment, si on crée des oeuvres hypermédias pour qu'elles soient lues ou consultées, il est préférable de proposer deux versions, une "lourde" pour les 6% qui ont l'internet par câble et DSL, et une "légère" pour les 94% qui ont une connexion "standard". La remarque vaut aussi pour la littérature hypermédia et plus généralement pour n'importe quel site professionnel. Si les créateurs et webmestres tiennent absolument à ne proposer qu'une version "lourde", en pariant sur l'avenir, ils pourraient au moins aller tester leur site de temps à autre à partir d'une connexion "standard" (avec le risque d'être surpris, sinon horrifiés par ce que le lecteur "standard" doit endurer), ceci pendant encore deux ou trois ans (?), avant que le World Wide Wait ne soit plus qu'un mauvais souvenir.
7. LE LIVRE NUMERIQUE SE GENERALISE
[Dans ce chapitre:]
[7.1. Les différents formats // 7.2. Une vente assurée à la fois par les éditeurs et les libraires // 7.3. Quelques commentaires]
Ce chapitre traite du livre numérique, défini ici comme étant la version numérisée d'un livre. Le chapitre suivant traite du livre électronique, appareil de lecture permettant de lire à l'écran des livres numériques.
7.1. Les différents formats
Les années 1999 et 2000 sont marquées par la prolifération des formats de livres numériques: PDF (portable document format), OeB (open ebook), Microsoft Reader, Glassbook Reader, Gemstar Reader, HTML (hypertext markup language), XML (extensible markup language), texte (.txt), Word (.doc), etc. Inquiets pour l'avenir du livre numérique qui, à peine né, propose presque autant de formats que de titres, certains insistent sur l'intérêt - sinon la nécessité - d'un format unique. Depuis quelques mois, on observe un effort méritoire visant à développer les formats au sein de deux grandes familles, celle du PDF (développé par Adobe) et celle de l'OeB (utilisé notamment par Microsoft et Gemstar).
Premier-né, le format PDF (portable digital format), lisible à l'aide du logiciel Acrobat Reader, est longtemps considéré comme la norme internationale en matière de diffusion de documents électroniques. Ce format de fichier universel conserve les polices, le formatage, les couleurs et les images du document source, quelles que soient l'application et la plate-forme utilisées pour le créer. Compacts, les fichiers PDF peuvent être partagés, visualisés, parcourus et imprimés en conservant leur aspect d'origine.
Apparu en octobre 1998, l'OeB (open ebook) est un format basé sur l'HTML et le XML. La première version (1.0) de l'Open eBook Publication Structure (OEBPS) est disponible sur le web en septembre 1999. Elle a été remplacée en juillet 2001 par la version 1.0.1. Le format OeB est utilisé notamment par le Reader de Microsoft, le Gemstar eBook et le Mobipocket. Créé en janvier 2000, l'Open eBook Forum (OeBF) a pour tâche de développer et de promouvoir l'Open eBook (OeB) afin qu'il devienne le standard majeur, sinon unique, de publication des livres numériques. Ce consortium international réunit plusieurs dizaines d'entreprises: des fabricants de livres électroniques, des éditeurs, des fabricants de logiciels et de matériels (dont Adobe), des libraires en ligne, etc.
En mars 2000, une première version du Microsoft Reader (qui utilise le format OeB) permet la lecture de livres sur les ordinateurs de poche. En août 2000, le Microsoft Reader est utilisable sur un ordinateur de bureau. Ses caractéristiques: un affichage à l'écran utilisant la technologie Cleartype, le choix de la taille des caractères, l'accès d'un clic à un dictionnaire (Merriam-Webster Dictionary) et la mémorisation des mots-clés pour des recherches ultérieures. Ce logiciel étant disponible gratuitement, Microsoft facture les éditeurs pour l'utilisation de la technologie correspondante et touche une commission sur chaque vente de livre numérique. Des partenariats sont aussitôt prévus avec les deux grands libraires en ligne, Barnes & Noble.com et Amazon.com, dans le cadre de l'ouverture prochaine de leurs librairies numériques (respectivement le 8 août et le 28 août 2000).
Face au Microsoft Reader, Adobe cherche à défendre la place de l'Acrobat Reader. En août 2000, la société annonce l'acquisition de Glassbook, qui développe des logiciels de distribution et d'affichage de livres numériques, en permettant l'automatisation de la chaîne de production pour les éditeurs, les libraires, les distributeurs et les bibliothèques. Adobe annonce également une extension de son partenariat avec Barnes & Noble.com, afin de proposer davantage de titres lisibles avec l'Acrobat Reader ou le Glassbook Reader. En janvier 2001, fort de l'expérience de Glassbook, Adobe annonce deux produits de distribution de livres numériques payants. Le premier est l'Acrobat eBook Reader, disponible en téléchargement gratuit, qui est un Acrobat intégrant la gestion des droits. Le deuxième, l'Acrobat Content Server for eBooks, est destiné aux éditeurs et distributeurs. Il s'agit d'un serveur de contenu assurant le conditionnement, la protection, la distribution et la vente sécurisée de livres numériques au format PDF. Il permet de gérer les droits d'un livre donné, selon les consignes données par le gestionnaire des droits, en autorisant ou non par exemple l'impression, le prêt, etc.
7.2. Une vente assurée à la fois par les éditeurs et les libraires
Si elle existe dès mai 1998, la vente de livres numériques se généralise à compter de l'automne 2000. Elle est effectuée soit directement par les éditeurs, soit par le biais des libraires, avec impression à la demande dans les deux cas. On voit apparaître les premières librairies numériques. Ces librairies, qui vendent des livres en version numérique, sont à distinguer des librairies en ligne, qui vendent des livres et autres produits culturels sur tous supports (imprimé, CD, CD-Rom, vidéo, DVD, etc.) sur l'internet.
Le livre commence aussi à se vendre "en pièces détachées". C'est notamment le cas dans la librairie numérique Numilog (voir 10.3) ou dans la librairie en ligne de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), pour ne prendre que deux exemples. Réservé jusque-là aux manuels universitaires ou aux dossiers pour séminaires, colloques et conférences, le livre numérique / imprimé "à la carte", constitué de chapitres provenant de sources différentes, aborde lui aussi sa phase grand public.
Publiés en mai 1998 par 00h00.com, les premiers livres numériques commerciaux en langue française sont plusieurs grands classiques (Le Tour du monde en 80 jours, Colomba, Poil de carotte, Le Misanthrope, etc.), ainsi que deux inédits: Sur le bout de la langue, de Rouja Lazarova, et La Coupe est pleine, de Pierre Marmiesse. L'éditeur débute aussi des accords avec des éditeurs "classiques" pour publier certains de leurs titres en version numérique (par exemple Bill Gates et la saga Microsoft, de Daniel Ichbiah).
En mars 2000, Stephen King crée l'événement en distribuant sa nouvelle Riding The Bullet uniquement sur l'internet. Il est le premier auteur à succès à risquer un tel pari. 400.000 exemplaires sont téléchargés en vingt-quatre heures sur les sites des libraires en ligne qui la vendent (au prix de 2,50 $US, soit 2,65 euros). Suite à cette première expérience, il décide de se passer des services de Simon & Schuster, son éditeur habituel. Il crée un site web spécifique et, en juillet 2000, commence la publication en épisodes d'un roman, The Plant, en proposant un premier chapitre téléchargeable en plusieurs formats (PDF, OeB, HTML, texte, etc.) pour la somme de 1 $US (1,05 euros), avec paiement différé ou paiement immédiat sur le site d'Amazon.com. D'autres chapitres suivent. Mais cette deuxième expérience est beaucoup moins concluante. Le nombre de téléchargements et de paiements baisse de chapitre en chapitre. Fin novembre 2000, après la publication du sixième chapitre, l'auteur décide d'interrompre l'expérience pendant un an ou deux. Que l'expérience plaise ou non, le matraquage médiatique et les nombreuses critiques l'accompagnant contribuent à faire connaître le livre numérique chez les professionnels du livre et dans le grand public. D'autres auteurs de best-sellers, notamment Frederick Forsyth et Arturo Pérez-Reverte en Europe, se lancent dans des expériences numériques un peu différentes (voir 16.3).
A la même époque, durant l'été 2000, Simon & Schuster profite de la médiatisation de l'expérience de Stephen King pour se lancer dans l'aventure. Il décide de publier certains titres de Star Trek, série de science-fiction, en version numérique seulement, sans correspondant imprimé, et dans plusieurs formats. D'après l'éditeur, avec six titres vendus par minute, et quarante nouveaux titres publiés chaque année (en incluant les histoires et récits basés sur les séries télévisées et les films), Star Trek serait la série la plus vendue au monde. Le premier titre numérique, The Belly of the Beast, de Dean Wesley Smith, est disponible en août 2000 pour 5 $US (5,30 euros). D'autres éditeurs lui emboîtent le pas: Random House, IDG Books, South-Western, etc.
Autre exemple dans le monde francophone, en octobre 2000, les PUF (Presses universitaires de France) annoncent la parution de quatre nouveaux titres simultanément en version numérique et en version imprimée. Trois titres ont trait à l'internet: La presse sur internet, de Charles de Laubier, La science et son information à l'heure d'internet, de Gilbert Varet et Internet et nos fondamentaux (paru en novembre), écrit par un collectif d'auteurs. Le quatrième titre, HyperNietzsche, publié sous la direction de Paolo d'Iorio dans la collection "écritures électroniques", est disponible dans son intégralité sur le site des PUF.
En novembre 2000, pour convertir les auteurs qu'il publie à ce nouveau format, Random House, premier éditeur mondial de livres en langue anglaise, annonce que ses auteurs recevront 50% des bénéfices nets réalisés sur la vente de leurs livres numériques, au lieu des 15% habituels. Dans un communiqué en date du 1er novembre 2000 (cité par l'AFP), Erik Enggstrom, son PDG, explique: "Notre nouvelle politique en matière de droits d'auteurs sur les livres électroniques montre que Random House s'engage à mettre en place ce nouveau format en partenariat avec ses auteurs et d'une manière telle qu'il leur permette d'augmenter leur lectorat." C'est la première fois qu'une maison d'édition traditionnelle de réputation internationale propose un contrat de ce type. Des éditeurs électroniques lancent également cette formule, comme Online Originals (Londres) qui, à la même époque, commence à publier Quintet, la première série uniquement électronique de Frederick Forsyth, maître anglais du thriller.
En janvier 2001, Barnes & Noble - qui est non seulement une chaîne de librairies doublée d'une librairie en ligne (en partenariat avec Bertelsmann pour cette dernière) mais aussi un éditeur de livres classiques et illustrés - se lance dans l'édition numérique en créant Barnes & Noble Digital. Pour attirer les auteurs, Barnes & Noble Digital propose de leur verser 35% du prix de vente des livres numériques vendus sur son site et sur les sites affiliés, un pourcentage nettement supérieur aux droits versés par les autres éditeurs en ligne (qui, après avoir été de 15% à l'origine, serait début 2001 de 25% en moyenne). L'opération vise d'abord à attirer les auteurs de best-sellers désireux de passer au format électronique. L'éditeur commence aussi la publication numérique de titres tombés dans le domaine public.
En avril 2001, Adobe, fort de son nouveau logiciel Acrobat eBook Reader, qui permet d'intégrer la gestion des droits, annonce un partenariat avec Amazon.com pour la mise en vente de 2.000 livres numériques: titres de grands éditeurs américains, dont Simon & Schuster, guides de voyages, ouvrages pour enfants, etc. L'offre, qui débute dans la maison-mère, doit être étendue courant 2001 aux filiales d'Amazon en Europe et au Japon.
Comme on vient de le voir dans ces lignes, le nombre de livres numériques est sans proportion avec celui des livres imprimés. "Le volume de titres disponibles à ce jour en format de lecture à l'écran est ridicule par rapport aux quelques 600.000 titres existant en français, indique en février 2001 Denis Zwirn, PDG de la librairie numérique Numilog. Mais ceci ne devrait plus être le cas d'ici deux ou trois ans. Nombre d'éditeurs numérisent maintenant leurs fonds. Ceux qui en ont les moyens le font à la vitesse grand V. Les éditeurs (de logiciels et de livres) et les libraires qui ont pignon sur rue sont désormais soucieux de ne pas rater un marché naissant qui devrait connaître une forte expansion dans les prochaines années.
7.3. Quelques commentaires
Le livre numérique entraîne scepticisme ou curiosité chez les professionnels du livre. Il lui reste à faire ses preuves. Voici quelques réactions. D'autres opinions sont exposées dans le chapitre consacré au livre électronique, appareil de lecture permettant de lire des livres numériques.
Jean-Paul, auteur multimédia: "Il a fallu inventer la hache de pierre avant de construire la Tour Eiffel. Le but des dinosaures industriels qui s'entretuent pour imposer leur format de livre électronique (appelé ici livre numérique, ndlr) est de détourner vers eux la partie rentable du contenu des bibliothèques (rebaptisé 'information'). Ils travaillent aussi pour nous, en contribuant à banalyser l'usage de l'hyperlien."
Philippe Loubière, traducteur littéraire et dramatique: "Mon opinion est assez réservée. La lecture sur écran est moins confortable que dans un livre traditionnel. Le seul intérêt (à long terme) serait, me semble-t-il, de trouver à l'état numérique des livres épuisés, lorsqu'on ne peut se rendre dans une bibliothèque."
Richard Chotin, professeur à l'ESA (Ecole supérieure des affaires) de Lille: "Il a une certaine utilité mais ne remplacera pas le livre papier, sauf à pouvoir le tirer ultérieurement si l'intérêt est grand."
Steven Krauwer, coordinateur d'ELSNET (European Network of Excellence in Human Language Technologies): "Il y a encore un long chemin à parcourir avant que la lecture sur écran soit aussi confortable que la lecture sur papier."
Henri Slettenhaar, professeur en technologies de la communication à la Webster University de Genève: "J'ai difficulté à croire que les gens sont prêts à lire sur un écran. En ce qui me concerne, je préfère de beaucoup toucher et lire un vrai livre."
Jacques Pataillot, conseiller en management dans la société Cap Gemini Ernst & Young: "Le plaisir de la lecture commence, pour moi, par une visite et une discussion avec le libraire spécialisé. Il se poursuit par la possession et la conservation du livre."
Tim McKenna, écrivain et philosophe: "Je ne pense pas que le livre numérique séduise vraiment les amoureux des livres. Si l'internet est un excellent moyen d'information, les livres ne se bornent pas à cela. Ceux qui aiment les livres ont une relation personnelle avec eux. Ils les relisent, notent leurs commentaires sur les pages, s'entretiennent avec eux. Tout comme le cybersexe ne remplacera jamais le fait d'aimer une femme, le livre numérique ne remplacera jamais la lecture d'un beau texte en version imprimée."
Zina Tucsnak, ingénieur d'études en informatique à l'ATILF (Analyse et traitements informatiques du lexique français): "L'e-book offre une combinaison d'opportunités : la digitalisation et l'internet. Les éditeurs apportent leur titres à tous les lecteurs du monde. C'est une nouvelle ère de la publication."
Bakayoko Bourahima, documentaliste à l'ENSEA (Ecole nationale supérieure de statistique et d'économie appliquée) d'Abidjan: "Il faut voir pour la suite comment le livre numérique se développera et quelles en seront surtout les incidences sur la production, la diffusion et la consommation du livre. A coup sûr cela va entraîner de profonds bouleversements dans l'industrie du livre, dans les métiers liés au livre, dans l'écriture, dans la lecture, etc."
Jean-Pierre Cloutier, auteur des Chroniques de Cybérie, chronique hebdomadaire des actualités de l'internet: "Dans l'édition du 28 juillet 1998 des Chroniques de Cybérie, je parlais du numéro 4 des Cahiers de médiologie ayant pour thème 'Les pouvoirs du papier', et aussi des premiers livres numériques. Force est de constater que, deux ans plus tard (en août 2000, date de l'entretien, ndlr), peu de choses ont évolué. D'abord, sur le plan technique, les nouvelles interfaces de lecture n'ont pas rempli leurs promesses sur le plan de la convivialité, de l'aisance et du confort, du plaisir de l'expérience de lire. D'autre part, les contenus proposés sont encore assez maigres. Je ne dis pas qu'il n'y a rien, mais c'est peu varié, et encore peu de grands titres qui permettraient des économies d'échelle. Oui, Stephen King a fait un pied de nez aux éditeurs et publié des oeuvres originales en ligne. Et alors? On peut difficilement, encore, parler d'une tendance. J'ai une théorie des forces qui animent et modifient la société, et qui se résume à classer les phénomènes en tendances fortes, courants porteurs et signaux faibles. Le livre électronique (appelé ici livre numérique, ndlr) ne répond pas encore aux critères de tendance forte. On perçoit des signaux faibles qui pourraient annoncer un courant porteur, mais on n'y est pas encore. Cependant, si et quand on y sera, ce sera un atout important pour les personnes qui souhaiteront s'auto-éditer, et le phénomène pourrait bouleverser le monde de l'édition traditionnelle."
8. LE LIVRE ELECTRONIQUE EMERGE
[Dans ce chapitre:]
[8.1. Les différents modèles // 8.2. Ce qu'en pensent les professionnels du livre / Une machine peu séduisante pour les amoureux du livre / Un appareil monotâche à l'intérêt limité / Un intérêt certain pour les bibliothèques / Une étape vers le papier électronique de demain // Le "j'ai testé pour vous" d'Alex Andrachmes]
Ce chapitre traite du livre électronique, défini ici comme l'appareil de lecture permettant de lire à l'écran des livres numériques. On s'intéresse au véritable livre électronique, et non aux PDA (personal digital assistants) ayant de multiples fonctions, l'une d'entre elles étant la lecture de livres numériques sur un écran lilliputien. Le livre numérique, défini comme la version numérisée d'un livre, est traité dans le chapitre précédent.
8.1. Les différents modèles
Conçu par Pierre Schweitzer, architecte designer à Strasbourg, @folio est un support numérique de lecture nomade. "J'hésite à parler de livre électronique, explique-t-il, car le mot 'livre' désigne aussi bien le contenu éditorial (quand on dit qu'untel a écrit un livre) que l'objet en papier, génial, qui permet sa diffusion. La lecture est une activité intime et itinérante par nature. @folio est un balladeur de textes, simple, léger, autonome, que le lecteur remplit selon ses désirs à partir du web, pour aller lire n'importe où. Il peut aussi y imprimer des documents personnels ou professionnels provenant d'un CD-Rom. Les textes sont mémorisés en faisant: 'imprimer', mais c'est beaucoup plus rapide qu'une imprimante, ça ne consomme ni encre ni papier. Les liens hypertextes sont maintenus au niveau d'une reliure tactile."
A l'origine du concept, son projet de design, qui date d'octobre 1996. "Le projet est né à l'atelier Design de l'Ecole d'architecture de Strasbourg où j'étais étudiant. Il est développé à l'Ecole nationale supérieure des arts et industries de Strasbourg avec le soutien de l'Anvar-Alsace. Aujourd'hui, je participe avec d'autres à sa formalisation, les prototypes, design, logiciels, industrialisation, environnement technique et culturel, etc., pour transformer ce concept en un objet grand public pertinent." En été 2001, l'équipe d'@folio aborde la phase commerciale et cherche des investisseurs. La même équipe développe aussi Mot@mot, qui est une passerelle entre @folio et les fonds numérisés en mode image (voir 11.2).
Lancé en octobre 2000 à New York, le Gemstar eBook est le successeur du Rocket eBook (conçu par NuvoMedia) et du Softbook Reader (conçu par SoftBook Press), suite au rachat des deux sociétés par Gemstar en janvier 2000. Commercialisés en novembre 2000 aux Etats-Unis, les deux modèles - REB1100 (noir et blanc, sucesseur du Rocket eBook) et REB1200 (couleur, sucesseur du Softbook Reader) - sont construits et vendus sous le label RCA, appartenant à Thomson Multimedia. Avec une mémoire de 8 Mo, un modem interne de 36,6 K et une batterie lithium-ion rechargeable, le modèle en noir et blanc (REB1100) peut stocker 20 romans, soit 8.000 pages de texte. Il coûte 299 $US (316 euros). La mémoire peut être étendue à 72 Mo, permettant de stocker 150 livres. Un peu plus grand, le modèle couleur (REB1200) a un écran tactile à cristaux liquides de plus haute résolution, un modem interne de 56 K et une connection Ethernet (permettant l'accès à l'internet par câble et DSL). Il coûte 699 $US (738 euros). Le Gemstar eBook sera commercialisé courant 2001 en Europe avec l'appui des éditions 00h00.com, rachetées par Gemstar en septembre 2000 (voir 6.3.4).
En octobre 2000, le eBookMan de Franklin, société leader spécialisée dans les PDA (personal digital assistants) et les dictionnaires de poche, reçoit le eBook Technology Award de la Foire internationale du livre de Francfort (13-17 octobre 2000). Les logiciels de lecture utilisés sont le Franklin Reader et le Microsoft Reader. Un mois après, la version test (beta) du eBookMan est présentée au Comdex Trade Show de Las Vegas (13-17 novembre 2000). Trois modèles (EBM-900, EBM-901 et EBM-911) sont disponibles début 2001 à des prix allant de 129,95 à 229,95 $US (137 à 243 euros). Le prix est essentiellement fonction de la mémoire vive (8 ou 16 Mo) et de la qualité de l'écran à cristaux liquides (rétro-éclairé ou non). L'appareil permet aussi l'écoute de livres audio et des fichiers musicaux au format MP3, et le stockage de données personnelles (agenda, carnet d'adresses, mémo, etc.).
Conçu par la société Cytale, le Cybook est commercialisé en janvier 2001. Premier livre électronique européen disponible sur le marché, il coûte 867 euros. Ses caractéristiques sont les suivantes: 21 x 16 cm, 1 kg, un écran couleur 10 pouces, tactile, rétro-éclairé, à cristaux liquides, avec une résolution de 600 x 800 pixels, quatre boutons de commande, une mémoire de 32 Mo permettant de stocker 15.000 pages de texte, soit 30 livres de 500 pages, une batterie lithium-ion d'une autonomie de 5 h, un modem 56 K intégré avec un connecteur son, un port infrarouge, des extensions pour carte PCMCIA (sigle de Personal Computer Memory Card International Association) et port USB (universal serial bus) permettant de brancher des périphériques. Il suffit d'une prise téléphonique pour connecter le Cybook à l'internet et télécharger des livres à partir de la librairie électronique située sur le site web de Cytale, qui a conclu des partenariats avec plusieurs éditeurs et sociétés de presse pour constituer rapidement un catalogue de plusieurs milliers de titres.
"J'ai croisé il y a deux ans le chemin balbutiant d'un projet extraordinaire, le livre électronique, explique en décembre 2000 Olivier Pujol, PDG de Cytale. Depuis ce jour, je suis devenu le promoteur impénitent de ce nouveau mode d'accès à l'écrit, à la lecture, et au bonheur de lire. La lecture numérique se développe enfin, grâce à cet objet merveilleux: bibliothèque, librairie nomade, livre 'adaptable', et aussi moyen d'accès à tous les sites littéraires (ou non), et à toutes les nouvelles formes de la littérature, car c'est également une fenêtre sur le web. Et ceci n'aurait pu exister sans internet! (…) L'utilisation d'internet pour le transport de contenu est un secteur de développement majeur. La société a pour vocation de développer une base de contenu en provenance d'éditeurs, et de les diffuser vers des supports de lecture sécurisés."
"S'il doit s'agir d'un ordinateur portable légèrement 'relooké', mais présentant moins de fonctionnalités que ce dernier, je n'en vois pas l'intérêt, explique Emilie Devriendt, élève professeur à l'Ecole normale supérieure de Paris. Tel qu'il existe, l'e-book est relativement lourd, l'écran peu confortable à mes yeux, et il consomme trop d'énergie pour fonctionner véritablement en autonomie. A cela s'ajoute le prix scandaleusement élevé, à la fois de l'objet même et des contenus téléchargeables; sans parler de l'incompatibilité des formats constructeur, et des 'formats' maison d'édition. J'ai pourtant eu l'occasion de voir un concept particulièrement astucieux, vraiment pratique et peu coûteux, qui me semble être pour l'heure le support de lecture électronique le plus intéressant : celui du 'baladeur de textes' ou @folio (conçu par Pierre Schweitzer, ndlr), en cours de développement à l'Ecole nationale supérieure des arts et industries de Strasbourg. Bien évidemment, les préoccupations de ses concepteurs sont à l'opposé de celles des 'gros' concurrents qu'on connaît, en France ou ailleurs: aucune visée éditoriale monopolistique chez eux, puisque c'est le contenu du web (dans l'idéal gratuit) que l'on télécharge."
En bref, comme on le voit, le livre électronique n'en est qu'à ses débuts. On attend impatiemment la commercialisation d'@folio.
8.2. Ce qu'en pensent les professionnels du livre
La critique unanime est son prix. Selon les modèles, le prix oscille pour le moment entre 137 et 837 euros. "Pour qu'il devienne un produit de consommation de masse, il faudra (…) que son prix soit attractif", écrit Denis Zwirn, PDG de la librairie numérique Numilog. De l'avis de Gérard Fourestier, créateur de Rubriques à Bac, le livre électronique est "un plus, mais il faudra encore du temps et, pour l'instant, le prix, comme pour la 'voiture propre', n'est pas très attractif. Ceci dit, j'accepte qu'on m'en offre un, j'en ferai la pub." 'Hors de prix!', déclare Bernard Boudic, responsable éditorial du serveur web de Ouest-France jusqu'en décembre 2000. "Cet instrument est réservé à une classe de personnes qui peuvent financièrement s'en permettre l'acquisition", commente Jean-Philippe Mouton, gérant de la société d'ingénierie Isayas.
Il reste donc à attendre soit la mise sur le marché de modèles moins chers, soit une forte demande qui ferait baisser progressivement les prix des modèles existants, tout comme les téléviseurs ou les ordinateurs en d'autres temps.
Les autres commentaires se répartissent en quatre grandes "tendances": une machine peu séduisante pour les amoureux du livre (8.2.1), un appareil monotâche à l'intérêt limité (8.2.2), un intérêt certain pour les bibliothèques (8.2.3), une étape vers le papier électronique de demain (8.2.4). De plus, Alex Andrachmes, producteur audio-visuel, écrivain et explorateur d'hypertexte, s'est livré à un "j'ai testé pour vous" des plus passionnants (8.3).
= Une machine peu séduisante pour les amoureux du livre
Luc Dall'Armellina, co-auteur et webmestre d'oVosite, espace d'écritures hypermédias: "Ce n'est qu'un sentiment, je ne possède personnellement pas ce genre d'appareil, ni de PDA (personal digital assistant) non plus même si j'en ai eu de nombreuses fois entre les mains avec un mélange d'envie et de gêne. Il me semble que le 'fait' technologique de l'appareil nuit à une lecture un peu 'engagée'. Je lis mes livres un peu partout, ils tombent parfois de mes mains et de mon lit, j'en ai oublié dans le train, ils me suivent dans le bus, le métro, le train, en vacances, sur la plage ou à la montagne. Ils sont autonomes, je peux les prêter, les donner, je les biffe, corne, annote, bref je les lis. Avec une infinie lenteur. Je me roule dans leurs plis. Il faudrait peut-être pouvoir plier ces livres électroniques, ou qu'ils soient incassables? Mais la question est peut-être qu'ils ne peuvent ni ne doivent remplacer le livre papier bâti dans un système matériel et économique cohérent. Peut-être ont-ils une place à part à prendre? En devenant les supports de l'hyperlecture peut-être?"
Anne-Bénédicte Joly, écrivain qui auto-édite ses livres: "Le livre électronique est avant tout un moyen pratique d'atteindre différemment une certaine catégorie de lecteurs composée pour partie de curieux aventuriers des techniques modernes et pour partie de victimes du mode résolument technologique. C'est aussi sans doute le moyen de diffusion actuel le plus universel (dès lors que l'on peut se promener sur la toile!) qui puisse repousser à ce point les limites de distances. (…) Je suis assez dubitative sur le 'plaisir' que l'on peut retirer d'une lecture sur un écran d'un roman de Proust. Découvrir la vie des personnages à coups de souris à molette ou de descente d'ascenseur ne me tente guère. Ce support, s'il possède à l'évidence comme avantage la disponibilité de toute oeuvre à tout moment, possède néanmoins des inconvénients encore trop importants. Ceci étant, sans se cantonner à une position durablement ancrée dans un mode passéiste, laissons à ce support le temps nécessaire pour acquérir ses lettres de noblesse."
Xavier Malbreil, auteur multimédia: "Pour l'instant, je trouve ça moche, et peu pratique. Nous n'en sommes qu'au début. L'argument selon lequel on pourrait disposer de plusieurs livres simultanément me semble un peu fallacieux. Quand on est un lecteur, on veut lire 'un' livre et pas trente-six à la fois. Ce livre, on l'a choisi, on le désire. Quand on en veut un autre, on en prend un autre. Il y a le cas des expéditions lointaines. Oui… mais est-ce vraiment un argument? Il ne faut pas se laisser prendre aux arguments des vendeurs de gadgets électroniques."
Emmanuel Barthe, documentaliste juridique: "A priori (puisque je ne possède pas de livre électronique) je n'ai pas un enthousiasme délirant: le livre électronique n'offre en effet pas les avantages du support papier et il implique l'achat d'un matériel supplémentaire. A la limite, affichées sur un écran correct (17 pouces et une bonne carte graphique), les capacités de mise en page du format HTML me semblent suffisantes. Et pour une qualité de mise en page optimale, il existe déjà le format PDF d'Acrobat, parfaitement lisible sur les PC et les Mac."
Marie-Aude Bourson, créatrice de Gloupsy, site littéraire destiné aux jeunes auteurs: "Je n'aime lire un roman que sur papier! On ne remplacera jamais un bon vieux bouquin par un écran tout froid qui vous coupe votre lecture à cause d'une panne de pile. (…) Côté littérature, je pense qu'on ne pourra remplacer le livre papier: facile à transporter, objet d'échange, lien affectif, collection… Le livre électronique sera plus utile pour des documentations techniques ou encore les livres scolaires."
Jacky Minier, créateur de Diamedit, site de promotion d'inédits artistiques et littéraires: "L'e-book est sans aucun doute un support extraordinaire. Il aura son rôle à jouer dans la diffusion des oeuvres ou des journaux électroniques, mais il ne remplacera jamais le véritable bouquin papier de papa. Il le complétera. A mon sens, il menace beaucoup plus la presse que la librairie. Ce sera certainement un outil de substitution formidable pour les scolaires, étudiants, etc., qui auront beaucoup moins lourd à transporter dans leurs sacs que les tonnes de manuels actuels. Mais quant au plaisir de lire dessus des ouvrages de nature littéraire, poésies, romans, récits, SF, BD, etc., je n'y crois pas dans l'immédiat. Il faudra encore attendre quelques améliorations techniques au plan de l'ergonomie et surtout des changements de comportements humains. Et ça, c'est l'affaire d'au moins une à deux générations. Voyez la monnaie électronique: on ne paie pas encore son boulanger ou ses cigarettes avec sa carte de crédit et on a toujours besoin d'un peu de monnaie dans sa poche, en plus de sa carte Visa. L'achat d'un livre n'est pas un acte purement intellectuel, c'est aussi un acte de sensualité que ne comblera jamais un e-book. Naturellement, l'édition classique devra en tenir compte sur le plan marketing pour se différencier davantage, mais je crois que l'utilisation des deux types de supports sera bien distincte. Le téléphone n'a pas tué le courrier, la radio n'a pas tué la presse, la télévision n'a pas tué la radio ni le cinéma… Il y a de la place pour tout, simplement, ça oblige à chaque fois à une adaptation et à un regain de créativité. Et c'est tant mieux!"
Gérard Jean-François, directeur du centre de ressources informatiques de l'Université de Caen: "Le livre électronique tel qu'il existe actuellement est une base de données documentaires qui permet, si on le souhaite, de télécharger le contenu et ensuite de l'éditer. Les écrans étant ce qu'ils sont et ce qu'ils resteront longtemps, on ne peut pas espérer lire n'importe où et n'importe quand un texte de quelque difficulté qu'il soit. Pour des documents ne comportant que des images, il peut en être autrement."
Russon Wooldridge, professeur au département d'études françaises de l'Université de Toronto: "Il est certain que le livre électronique devient de plus en plus attrayant avec les progrès techniques, tout comme les jeux électroniques. Je dois avouer que je ne m'intéresse de près ni aux livres électroniques, ni aux jeux électroniques. Je lis en ligne pour mon travail, mais je préfère quitter mon ordinateur quand il s'agit de lire pour le plaisir."
Eduard Hovy, directeur du Natural Language Group de l'Université de Californie du Sud: "Je ne crois pas au livre électronique. Encore plus que d'assister à un concert en public ou d'aller voir un film au cinéma, j'aime l'expérience physique d'avoir un livre sur les genoux et de prendre plaisir à son odeur, son contact et son poids. Les concerts à la télévision, les films à la télévision et les livres électroniques font qu'on perd un peu de ce plaisir. Et, pour les livres particulièrement, je ne suis pas prêt à cette perte. Après tout, dans mon domaine d'activité, il est beaucoup plus facile et beaucoup plus économique de se procurer un livre qu'une place de concert ou de cinéma. Tous mes souhaits vont aux fabricants de livres électroniques, mais je suis heureux avec les livres imprimés. Et je ne pense pas changer d'avis de sitôt, et me ranger dans la minorité qui utilise les livres électroniques. Je crains beaucoup moins la disparition des livres que je n'ai craint autrefois la disparition des cinémas."
= Un appareil monotâche à l'intérêt limité
Jean-Pierre Balpe, directeur du département hypermédias de l'Université Paris 8: "J'attends de voir concrètement comment ils fonctionnent et si les éditeurs sont capables de proposer des produits pécifiques à ce support car, si c'est pour reproduire uniquement des livres imprimés, je suis assez sceptique. L'histoire des techniques montre qu'une technique n'est adoptée que si - et seulement si… - elle apporte des avantages concrets et conséquents par rapport aux techniques auxquelles elle prétend se substituer."
Nicolas Ancion, écrivain et responsable éditorial de Luc Pire électronique: "Ces appareils ne me paraissent pas porteurs d'avenir dans le grand public tant qu'ils restent monotâches (ou presque). Un médecin ou un avocat pourront adopter ces plate-formes pour remplacer une bibliothèque entière, je suis prêt à le croire. Mais pour convaincre le grand public de lire sur un écran, il faut que cet écran soit celui du téléphone mobile, du PDA (personal digital assistant) ou de la télévision. D'autre part, je crois qu'en cherchant à limiter les fournisseurs de contenus pour leurs appareils (plusieurs types de e-books ne lisent que les fichiers fournis par la bibliothèque du fabricant), les constructeurs tuent leur machine. L'avenir de ces appareils, comme de tous les autres appareils technologiques, c'est leur ouverture et leur souplesse. S'ils n'ont qu'une fonction et qu'un seul fournisseur, ils n'intéresseront personne. Par contre, si à l'achat de son téléphone portable, on reçoit une bibliothèque de vingt bouquins gratuits à lire sur le téléphone et la possibilité d'en charger d'autres, alors on risque de convaincre beaucoup de monde. Et de couper l'herbe sous le pied des 'serpent', 'memory' et autres jeux qu'on joue sans plaisir pour tuer le temps dans les aéroports."
Olivier Gainon, créateur de CyLibris, maison d'édition littéraire en ligne: "Je ne crois pas trop à un objet qui a des inconvénients clairs par rapport à un livre papier (prix / fragilité / aspect / confort visuel / etc.), et des avantages qui me semblent minimes (taille des caractères évolutifs / plusieurs livres dans un même appareil / rétro-éclairage de l'écran / etc.). De même, je vois mal le positionnement d'un appareil exclusivement dédié à la lecture, alors que nous avons les ordinateurs portables d'un côté, les téléphones mobiles de l'autre et les assistants personnels (dont les pocket PC) sur le troisième front. Bref, autant je crois qu'à terme la lecture sur écran sera généralisée, autant je ne suis pas certain que cela se fera par l'intermédiaire de ces objets. On verra si on en parle encore dans un an, mais je peux me tromper - et j'espère me tromper, comme éditeur sur internet, CyLibris bénéficierait forcément d'un développement de ce type d'appareil."
Pierre Magnenat, responsable de la cellule "gestion et prospective" du centre informatique de l'Université de Lausanne: "Comme pour toute nouvelle technologie, je m'y mettrai avec joie dès que son usage sera plus pratique et/ou agréable que la méthode traditionnelle. Il faut donc un support léger et petit, avec un écran parfaitement stable et précis. Il faudra de plus qu'il nous procure des avantages: possibilité de copier/coller des passages sur son poste de travail, accès à des bases de données bibliographiques, etc. Tant que c'est moins agréable qu'un livre, et sans avantage notable, je reste au livre. C'est comme pour l'agenda/PDA (personal digital assistant): je ne me suis pas encore résolu à passer au Palm, car mon vieux time-system est encore beaucoup plus pratique et rapide. Lors d'une séance de groupe où nous devons convenir d'une prochaine réunion, je suis toujours le premier à pouvoir dire si telle date me convient, alors que mes collègues 'palmés' en sont encore à tapoter au stylet pour trouver la bonne page…"
Jean-Philippe Mouton, gérant de la société d'ingénierie Isayas: "Cet outil présente aujourd'hui deux inconvénients. Tout d'abord, rien ne remplacera le marque-page, ni l'odeur des bouquins qui sont lus sur la plage dans le sable par toute la famille durant l'été… En bref, l'e-book ne peut remplacer le rapport charnel du lecteur et de son livre. De plus, cet instrument est réservé à une classe de personnes qui peuvent financièrement s'en permettre l'acquisition. L'UMTS (universal mobile telecommunications system) promis devrait permettre un accès mobile en temps réel à l'information, et c'est pour cette raison que ce type de système va probablement fusionner avec les autres systèmes mobiles (téléphonie, Palm…) pour se vulgariser. Il est donc clair qu'il faut se pencher sur le sujet."
François Vadrot, PDG de FTPress, société de cyberpresse: "Ce n'est rien d'autre qu'un ordinateur portable dédié. Je ne vois pas bien pourquoi on se priverait des autres fonctions de l'ordinateur, quitte à transporter un écran."
Denis Zwirn, PDG de Numilog, librairie en ligne de livres numériques: "Le concept de livre électronique représente une extraordinaire avancée technologique et culturelle. Il doit permettre de faciliter la lecture et l'accès aux livres d'un très large public dans les années à venir. Ses principaux atouts sont la possibilité de transporter avec soi des dizaines de livres, de les lire dans des conditions de très bonne ergonomie en reproduisant l'agrément des livres traditionnels, tout en bénéficiant de nombreuses fonctionnalités de lecture absentes des livres traditionnels. Pour qu'il devienne un produit de consommation de masse, il faudra toutefois qu'il perde encore du poids et surtout que son prix soit attractif. En effet, le livre électronique stricto sensu est aujourd'hui concurrencé par des appareils que les gens achètent déjà massivement pour d'autres raisons que la lecture, mais qui peuvent servir de lecteurs électroniques grâce à des logiciels dédiés à la lecture: les assistants personnels (PDA - personal digital assistants) et les ordinateurs ultra-portables. Le coût marginal de la fonction 'livre électronique' dans ces appareils est nul. Pour cette raison, je crois que l'avenir est à l'usage de plate-formes diversifiées selon les profils et les besoins des utilisateurs, et à une convergence progressive entre les lecteurs électroniques stricto sensu (qui intégreront des fonctions d'agendas) et les PDA (dont certains auront des écrans plus grands)."
= Un intérêt certain pour les bibliothèques
Olivier Bogros, créateur de la Bibliothèque électronique de Lisieux: "De quoi parle-t-on? Des machines mono-tâches encombrantes et coûteuses, avec format propriétaire et offre éditoriale limitée? Les Palm, Psion et autres hand et pocket computers permettent déjà de lire ou de créer des livres électroniques et en plus servent à autre chose. Ceci dit, la notion de livre électronique m'intéresse en tant que bibliothécaire et lecteur. Va-t-il permettre de s'affranchir d'un modèle économique à bout de souffle (la chaîne éditoriale n'est pas le must en la matière)? Les machines à lire n'ont de mon point de vue de chance d'être viables que si leur utilisateur peut créer ses propres livres électroniques avec (cf. cassettes vidéo)."
Peter Raggett, directeur du centre de documentation de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques): "Il est intéressant d'observer combien la présentation du livre électronique copie celle du livre traditionnel, à l'exception du fait que la page papier est remplacée par un écran. A mon avis, le livre électronique va permettre de remplacer certains documents papier, mais pas tous. J'espère aussi qu'ils seront imperméables à l'eau, pour je puisse continuer à lire dans mon bain."
Anissa Rachef, bibliothécaire à l'Institut français de Londres: "C'est assez révolutionnaire, avec un gain de place considérable. Je trouve cela très futuriste."
Gaëlle Lacaze, professeur d'écrit électronique dans un institut universitaire professionnel: "C'est un outil de travail intéressant. Reste le problème des droits de propriété intellectuelle sur certains documents. C'est un outil indispensable pour les bibliothèques, mais la version papier des livres disponibles sur internet ne doit pas disparaître. Il importe aussi de ne pas oublier les 'infos-pauvres' dans l'avancée de ces super-technologies."
Patrick Rebollar, professeur de littérature française dans des universités japonaises: "N'ayant pas encore eu l'objet en main, je réserve mon avis. Je trouve enthousiasmant le principe de stockage et d'affichage mais j'ai des craintes quant à la commercialisation des textes sous des formats payants. Les chercheurs pourront-ils y mettre leurs propres corpus et les retravailler? L'outil sera-t-il vraiment souple et léger, ou faut-il attendre le développement de l'encre électronique? Je crois également que l'on prépare un cartable électronique pour les élèves des écoles, ce qui pourrait être bon pour leur dos…"
Guy Antoine, créateur de Windows on Haiti, site de référence sur la culture haïtienne: "Désolé, je ne l'ai pas encore utilisé. Pour le moment, il m'apparaît comme un instrument très étrange, rendu possible grâce à la technologie, mais pour lequel il n'y aura pas de demande importante, hormis peut-être pour les textes de référence classiques. Cette technologie pourrait être utile pour les manuels des lycées et collèges, grâce à quoi les cartables seraient beaucoup plus légers. Mais pour le simple plaisir de la lecture, j'imagine difficilement qu'il soit possible de passer un moment agréable avec un bon livre électronique."
= Une étape vers le papier électronique de demain
"La technologie devra s'améliorer encore de ce point de vue afin de devenir vraiment populaire", déclare Alain Clavet, analyste de politiques au Commissariat aux langues officielles du Canada. C'est aussi l'avis de Nicolas Pewny, créateur des éditions du Choucas: "Je pense qu'on est loin des formats et des techniques définitifs. Beaucoup de recherches sont en cours, et un format et un support idéal verront certainement le jour sous peu." Selon François Vadrot, PDG de FTPress, "il y aura toujours du papier, ou si ce n'est pas le papier (matériau) que l'on connaît, ce sera un support souple, léger et fin comme lui (pour dans dix ans en principe)."
Selon Alex Andrachmes, producteur audiovisuel, écrivain et explorateur d'hypertexte, "c'est l'arrivée du fameux 'papier électrique' qui changera la donne. Ce projet du MIT (Massachusetts Institute of Technology) qui consiste à charger électriquement une fine couche de 'papier' - dont je ne connais pas la formule - permettra de charger la (les) feuille(s) de nouveaux textes, par modification de cette charge électrique. Un e-book sur papier, en somme, ce que le monde de l'édition peut attendre de mieux."
"Et voici le changement que j'attends: arrêter de considérer les livres électroniques comme le stade ultime post-Gutenberg, écrit Lucie de Boutiny, écrivain papier et pixel. Le e-book retro-éclairé pour l'instant a la mémoire courte: il peut accueillir par exemple dix livres contenant essentiellement du texte mais pas une seule oeuvre multimédia riche en son et images, etc. Donc ce que l'on attend pour commencer: l'écran souple comme feuille de papier légère, transportable, pliable, autonome, rechargeable, accueillant tout ce que le web propose (du savoir, de l'information, des créations…) et cela dans un format universel avec une résolution sonore et d'image acceptable. Dès lors nous pourrons nous repaître d'oeuvres multimédias sur les terrasses de café, alanguis sur un canapé, au bord d'une rivière, à l'ombre des cerisiers en fleurs…"
"Si l'invention du livre-papier avait été faite après celle du e-book, nous l'aurions tous trouvé géniale, écrit Pierre-Noël Favennec, directeur de collection et expert à la direction scientifique de France Télécom RD. Mais un e-book a un avenir prometteur si on peut télécharger suffisamment d'ouvrages, si la lecture est aussi agréable que sur le papier, s'il est léger (comme un livre), s'il est pliable (comme un journal), s'il n'est pas cher (comme un livre de poche)… En d'autres mots, l'e-book a un avenir s'il est un livre, si le hard fait croire que l'on a du papier imprimé… Techniquement, c'est possible, aussi j'y crois. Au niveau technologique, cela exigera encore quelques efforts (chimie, électronique, physique…). Les avantages sont le volume réduit, le téléchargement et le document personnalisé en lecture."
Selon Christian Vandendorpe, professeur à l'Université d'Ottawa et spécialiste des théories de la lecture, "le livre électronique va accélérer cette mutation du papier vers le numérique, surtout pour les ouvrages techniques. Mais les développements les plus importants sont encore à venir. Lorsque le procédé de l'encre électronique sera commercialisé sous la forme d'un codex numérique plastifié offrant une parfaite lisibilité en lumière réfléchie, comparable à celle du papier - ce qui devrait être courant vers 2010 ou 2015 -, il ne fait guère de doute que la part du papier dans nos activités de lecture quotidienne descendra à une fraction de ce qu'elle était hier. En effet, ce nouveau support portera à un sommet l'idéal de portabilité qui est à la base même du concept de livre. Tout comme le codex avait déplacé le rouleau de papyrus, qui avait lui-même déplacé la tablette d'argile, le codex numérique déplacera le codex papier, même si ce dernier continuera à survivre pendant quelques décennies, grâce notamment au procédé d'impression sur demande qui sera bientôt accessible dans des librairies spécialisées. Avec sa matrice de quelques douzaines de pages susceptibles de permettre l'affichage de millions de livres, de journaux ou de revues, le codex numérique offrira en effet au lecteur un accès permanent à la bibliothèque universelle. En plus de cette ubiquité et de cette instantanéité, qui répondent à un rêve très ancien, le lecteur ne pourra plus se passer de l'indexabilité totale du texte électronique, qui permet de faire des recherches plein texte et de trouver immédiatement le passage qui l'intéresse. Enfin, le codex numérique permettra la fusion des notes personnelles et de la bibliothèque et accélérera la mutation d'une culture de la réception vers une culture de l'expression personnelle et de l'interaction."
Les recherches sur le papier électronique de demain sont en cours. Créée en 1997 par des chercheurs du MIT (Massachusetts Institute of Technology), la société E Ink est en train de concevoir un papier électronique flexible ressemblant au papier classique, avec un système d'encre électronique permettant de changer le texte à volonté en se connectant à une ligne de téléphone ou à un système de téléphonie sans fil. Les grands caractères étant beaucoup plus faciles à produire que les petits, cette technologie - qui devrait être pleinement opérationnelle en 2003 ou 2004 - est déjà utilisée pour des panneaux de signalisation.