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Le Livre 010101: Enquête

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Parallèlement, le Molecular Machines Research Group, équipe de recherche du Media Lab du MIT, travaille sur des projets de papier électronique et de livre utilisant le papier électronique. IBM et Xerox s'intéressent eux aussi au sujet. Une équipe d'IBM élabore le prototype d'un journal électronique de 16 pages utilisant l'encre électronique. Les chercheurs de PARC (Palo Alto Research Center), le centre Xerox de la Silicon Valley, mettent au point un papier électronique utilisant une nouvelle technique d'affichage appelée le gyricon.

8.3. Le "j'ai testé pour vous" d'Alex Andrachmes

A la question: "Quel est votre sentiment sur le livre électronique (e-book)?, Alex Andrachmes, producteur audiovisuel, écrivain et explorateur d'hypertexte, répond en janvier 2001 en envoyant un texte superbe et foisonnant qui fait le tour de la question: problématique, modèles, logiciels, textes disponibles, sécurisation du contenu, etc. [Ce texte est disponible dans le livre: Entretiens (1998-2001).]

9. LIVRE NUMERIQUE, LIVRE BRAILLE ET LIVRE VOCAL

[Dans ce chapitre:]

[9.1. L'édition en braille // 9.2. Les perspectives offertes par le livre numérique // 9.3. Le livre numérique vocal // 9.4. Un publiphone pour écouter la presse // 9.5. Un web plus accessible aux aveugles et malvoyants]

9.1. L'édition en braille

Alphabet tactile inventé en 1829 par le français Louis Braille, le braille est le seul système d'écriture accessible aux aveugles. Il s'agit d'un système de six points composé de deux colonnes de trois points. La combinaison de ces six points permet de former toutes les lettres de l'alphabet, les signes de ponctuation, les symboles techniques, etc.

Le braille est d'abord embossé sur papier au moyen d'une tablette et d'un poinçon. A la fin des années 70, il est produit à l'aide d'un afficheur braille piézo-électrique permettant un affichage dynamique. Vient ensuite la machine Perkins avec son clavier de six touches. Puis apparaît le matériel informatique, par exemple le blocs-notes braille, qui sert à la fois de machine à écrire le braille et, quand il est connecté à un PC, d'écran tactile permettant de lire l'écran. Le braille informatique s'affiche sur huit points, ce qui permet d'augmenter par quatre le nombre de combinaisons possibles.

Dans de nombreux pays, malgré l'existence de matériel informatique, l'édition en braille reste encore confidentielle - pour la France, 400 titres par an dont 200 scolaires - et même clandestine, le problème du droit d'auteur sur les transcriptions n'étant pas résolu. Les livres en gros caractères et en version enregistrée sont eux aussi peu nombreux par rapport à la production imprimée standard, malgré tous les efforts dispensés par quelques éditeurs spécialisés et nombre de bénévoles depuis tant d'années.

Pourtant les choses peuvent aller vite quand existent à la fois la motivation et les moyens. Aux Etats-Unis, le dernier titre de Harry Potter (Harry Potter and the Goblet of Fire, de Joanne K. Rowling) est publié en braille par la National Braille Press (NBP) le 27 juillet 2000, soit vingt jours seulement après sa sortie, avec un premier tirage de 500 exemplaires. Les 734 pages du livre imprimé chez Scholastic donnent 1.184 pages en braille, mais le prix du livre braille n'est pas plus élevé. Ce très court délai a été possible grâce à deux facteurs. D'une part Scholastic a fourni le fichier électronique, une initiative dont feraient bien de s'inspirer nombre d'éditeurs . D'autre part les 31 membres de l'équipe de NBP ont travaillé sans relâche pendant quinze jours. Comme les titres précédents de la série, le livre est également disponible au format PortaBook, à savoir un fichier en braille informatique abrégé stocké sur disquette et lisible au moyen d'un lecteur braille portable ou d'un logiciel braille sur micro-ordinateur (voir 16.2 pour le récit détaillé des aventures de Harry Potter sur l'internet).

9.2. Les perspectives offertes par le livre numérique

La généralisation des livres numériques offre enfin aux malvoyants et aux aveugles la possibilité d'accéder à de très nombreux textes, chance qu'ils n'avaient pas jusque-là. Le document numérique permet de dissocier contenu et présentation. Le lecteur peut modifier la présentation à son gré. Quant au contenu, on dispose maintenant des technologies permettant de le convertir automatiquement dans un autre système de codage ou une autre langue, y compris le braille et la synthèse vocale. De l'avis de Patrice Cailleaud, directeur de la communication de HandiCaPZéro, le livre numérique "devrait s'imposer comme une nouvelle solution complémentaire aux problèmes des personnes aveugles et malvoyantes". Toutefois "les droits et autorisations d'auteurs étaient et demeurent des freins pour l'adaptation en braille ou caractères agrandis d'ouvrage. Les démarches sont saupoudrées, longues et n'aboutissent que trop rarement."

Lors du Salon du livre de la jeunesse de Montreuil de décembre 1999, les éditions 00h00.com et l'association BrailleNet lancent l'opération "2000 livres jeunesse sur internet pour les aveugles et malvoyants en l'an 2000", à savoir un service internet permettant de commander en ligne des ouvrages en différents formats. Ces ouvrages sont soit des versions numériques téléchargeables et consultables sur micro-ordinateur, terminal braille électronique ou synthétiseur de parole, soit des versions imprimées en gros caractères ou en braille.

Pour répondre au problème soulevé par le manque d'ouvrages adaptés, BrailleNet crée aussi la base de données Hélène, qui propose en accès restreint des livres numériques (oeuvres littéraires récentes, documentations techniques, ouvrages scientifiques, ouvrages scolaires, supports de cours adaptés) permettant des impressions en braille ou en gros caractères, en partenariat avec les organismes (associations, éditeurs, établissements d'enseignement) réalisant ces versions adaptées. Dans le cadre de sa participation au projet de BrailleNet, l'INRIA (Institut national de recherche en informatique et en automatique) développe une bibliothèque numérique comportant des ouvrages du domaine public mis en ligne sur différents serveurs web et des ouvrages préparés pour une impression braille par des écoles ou des centres de transcription.

Mais il reste encore beaucoup à faire pour proposer un véritable service public du type de celui qui est proposé aux Etats-Unis par la Library of Congress depuis août 1999. Géré par le National Library Service for the Blind and Physically Handicapped (NLS/BPH), un serveur permet aux aveugles et malvoyants de télécharger des livres au format braille pour une lecture sur plage tactile et par synthèse vocale. Les collections de départ - 2.700 livres en braille abrégé disponibles en téléchargement ou consultables en ligne - augmentent de plusieurs centaines de titres par an. Les sources sont codées pour une impression (à l'aide d'une imprimante braille) ou une lecture en ligne en braille abrégé (à l'aide de plages tactiles ou toute autre interface d'accès braille). Ce service fournit aussi un logiciel de relecture, qui permet de désagréger le texte pour l'utiliser sur synthèse vocale.

Dans le domaine des livres électroniques - appareils de lecture permettant de lire à l'écran des livres numériques - les choses bougent aussi.

En novembre 2000, Microsoft décide de collaborer avec Pulse Data, une entreprise néo-zélandaise spécialisée dans les produits informatiques pour non-voyants. Pulse Data est l'auteur de BrailleNote, un PDA (personal digital assistant) sans écran utilisant le système d'exploitation Windows CE. Une interface permet de transformer en braille les textes lus au moyen du Microsoft Reader. Les aveugles peuvent ainsi avoir accès à un catalogue de près de 2.000 livres numériques. Après ouverture du fichier, ils ont le choix entre la version vocale et la version en braille électronique. Alors qu'il faut en général des mois pour qu'un livre soit traduit en braille, la traduction des livres numériques est instantanée.

Livre électronique conçu par la société Cytale et commercialisé depuis janvier 2001, le Cybook permet l'agrandissement des caractères, l'inversion des contrastes, la suppression de la couleur, le changement de police, etc., en bref tout ce qui permet de contourner un handicap visuel. Cytale travaille avec l'INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale) à l'adaptation de son logiciel pour permettre la lecture de livres numériques au moyen d'une extension braille ou d'un système de synthèse vocale.

9.3. Le livre numérique vocal

Depuis vingt ans sinon plus, les aveugles et malvoyants écoutent des livres enregistrés sur bande magnétique ou sur cassettes, le plus souvent par des bénévoles. Depuis quelques années, ils ont à leur disposition des livres en version audio sur CD-Rom. Depuis peu, il existe des technologies permettant de convertir automatiquement un document dans un autre système de codage ou une autre langue, y compris le braille et la synthèse vocale. Des logiciels - notamment ceux de Quack - permettent la lecture d'un fichier texte au moyen d'une voix synthétique. Les outils informatiques standard sont en train d'intégrer la synthèse de parole, avec possibilité de traduction automatique. Et la qualité de la synthèse de parole s'améliore.

Cependant, les aveugles s'accordent souvent à dire que rien ne remplace une "vraie" voix, moins parfaite peut-être, mais vivante, avec des nuances, des intonations, des inflexions, etc. C'est ce que pense l'équipe du RAAMM (Regroupement des aveugles et amblyopes du Montréal métropolitain), qui a choisi d'enregister la presse sur publiphone (voir 9.4). Des dizaines de titres sont lus par plus de 150 volontaires voyants. L'enregistrement ou l'écoute se fait à domicile à partir de son poste de téléphone.

Par ailleurs, nombreux sont les organismes qui disposent d'enregistrements réalisés en analogique au fil des années, sur bandes magnétiques et sur cassettes. On envisage maintenant la numérisation et le stockage informatique de tous ces enregistrements, qui pourraient être utilisés non seulement par la communauté desservie par l'organisme propriétaire mais partout ailleurs. Ce potentiel à destination des bibliothèques audio permettrait à chaque organisme d'accroître ses collections de manière exponentielle. De nouvelles bibliothèques audio pourraient être constituées à moindre coût, notamment dans les pays en développement. Pour ce faire, le consortium international DAISY (digital audio information system) a été créé en 1996 afin d'élaborer une norme internationale pour la production, l'échange et l'utilisation du livre numérique vocal et organiser la numérisation du matériel audio à l'échelle mondiale.

Le consortium DAISY regroupe des organismes du monde entier au service des personnes handicapées visuelles. Ses activités comprennent entre autres la définition de normes de spécification de fichiers (à partir de celles du Consortium W3C), la conception de logiciels nécessaires à l'industrie du livre numérique vocal (notamment pour passer de bandes son analogiques à des bandes son numériques), la normalisation de lignes directrices de production, l'échange de livres numériques vocaux entre bibliothèques, la définition d'une loi internationale du droit d'auteur pour les personnes atteintes de déficience visuelle, la protection des documents faisant l'objet d'un droit d'auteur, et la promotion de la norme DAISY à l'échelle mondiale.

9.4. Un publiphone pour écouter la presse

Même si elle n'a pas (encore) directement trait au numérique, il importe de revenir sur l'expérience du RAAMM, brièvement mentionnée plus haut. Le RAAMM (Regroupement des aveugles et amblyopes du Montréal métropolitain) est une association à but non lucratif qui rassemble des personnes ayant une déficience visuelle, afin de défendre leurs droits, promouvoir leurs intérêts et favoriser leur intégration à part entière dans tous les domaines (emploi, sécurité du revenu, transports en commun, santé, services sociaux, habitation, éducation, loisirs, culture, etc.). Des bénévoles offrent des services d'accompagnement pour les activités de la vie quotidienne (recherche d'emploi ou de logement, sorties, inscriptions, courses, achats, etc.). Ils assurent aussi des services de lecture à domicile (contrats d'affaires, manuels, notes de cours, articles de revues, recettes de cuisine, etc.) et de lecture sur cassettes, ainsi que la production de documents en braille. A cela s'ajoutent des activités de formation et de loisirs.

Entre autres activités, le RAAMM a mis sur pied un publiphone, qui est un système téléphonique interactif. Créé en 1993, le publiphone proposait à l'origine une vingtaine de rubriques d'information. Trois ans après, en 1996, elles sont au nombre de 67. Sept ans après, en 2000, on en compte 350, avec plusieurs rubriques pour un quotidien comme La Presse par exemple. Les chiffres sont éloquents: 10.500 connexions et 100.000 rubriques consultées par mois, et 163 bénévoles pour assurer la lecture. "Avant l'instauration du publiphone, je n'avais accès à l'information écrite que lorsque les autres avaient le temps et le goût de me lire cette information, déclare un auditeur. Maintenant, à toutes fins pratiques, je lis ce que je veux, quand je le veux."

En composant un simple numéro de téléphone, on a accès à des menus à touches permettant de sélectionner la rubrique souhaitée. De ce fait, les rubriques sont réparties en neuf grandes catégories: 1) les informations provenant du RAAMM et d'autres organismes desservant la population des handicapés visuels; 2) les rubriques "consommation et emploi": marchés d'alimentation, produits en pharmacie, produits en quincaillerie, magasins à rayons, magasins de disques, offres d'emplois; 3) les horaires: télévision, radio, cinémas, arts et spectacles, expositions des musées et des maisons de la culture de Montréal, événements spéciaux, livres et autres documents adaptés ; 4) les quotidiens: La Presse, Le Journal de Montréal et Le Devoir; 5) les hebdomadaires: 7 Jours, Les Affaires, Le Courrier Laval, Le Courrier du Sud, Voir, Ici; 6) le coin jeunesse; 7) les revues: Le Bel âge, Coup de pouce, Capital santé, Femme plus, Elle Québec, Infotech, L'Actualité, Québec science, Guide ressources, Protégez-vous, Enfants Québec, Clin d'oeil; 8) les programmes de télévision et les quotidiens en langue anglaise (Lottery results, TV listings, The Gazette, The Globe & Mail, The Mirror, Hour); 9) les périodiques en langue anglaise (Time Magazine, Today's Parent Magazine, National Geographic, Sports Illustrated Magazine).

Dans un deuxième temps, un nouveau système devrait être mis en place, qui utiliserait les technologies les plus récentes ainsi que l'internet. Il permettrait notamment d'archiver les enregistrements précédents, ce qui n'est malheureusement pas le cas pour le moment.

9.5. Un web plus accessible aux aveugles et malvoyants

"Réflexions, conceptions, tests ont longtemps été à l'étude pour donner aux internautes aveugles et malvoyants un véritable outil doté d'informations pragmatiques, explique Patrice Cailleaud, directeur de communication de HandiCaPZéro. Depuis le 15 septembre 2000, tous les services de l'association dans des domaines comme les loisirs, la télé, la communication, la santé sont accessibles sur le site www.handicapzero.org. Plus de barrage pour les internautes aveugles: quel que soit le type de périphérique employé (synthèse vocale, plage braille), la navigation se fait sans obstacle. Par exemple, les images et illustrations qui abondent sur la toile et rendent les sites inaccessibles à cette population sont légendées. Plus d'illisibilité pour les internautes malvoyants: pour la première fois sur le web, le site dispose, dès la page d'accueil, d'une interface 'confort de lecture' qui permet, en fonction de son potentiel visuel, de choisir la couleur de l'écran, la taille et la couleur de la police. Les pages vues à l'écran sont également imprimables selon le format défini."

L'activité de Patrice Cailleaud consiste à "convaincre les décideurs socio-économiques de prendre en compte les besoins spécifiques des usagers, clients et citoyens déficients visuels. Mettre en oeuvre les dispositifs d'accessibilité. J'ai participé à la conception éditoriale et graphique du site. Aujourd'hui, mon rôle consiste à développer de nouveaux services accessibles pour le site."

"Internet n'est pas entré dans la majorité des foyers des personnes déficientes visuelles, ajoute Patrice Cailleaud. A cela, trois principales raisons: l'âge du public concerné, qui se situe au delà de la soixantaine (pour 70% du public); le coût trop élevé pour une acquisition personnelle d'un matériel spécialisé; le nombre trop restreint de sites accessibles de façon autonome. L'avenir de l'accès à l'information pour les personnes aveugles devrait passer par le web. Ce support, à condition d'une responsabilité des développeurs de sites sous l'impulsion d'une autorité qui commence à légiférer, donne un accès instantané à une information actuelle au contraire des supports braille ou caractères agrandis qui nécessitent des délais et des coûts d'adaptation, de transcription et fabrication. (…) Pour les développeurs de sites que ça intéresse, des recommandations sont disponibles en nous contactant à HandiCaPZéro, ou sur des sites comme VoirPlus ou BrailleNet. En règle générale, les dispositions à prendre ne sont pas trop contraignantes. Il ne faudrait pas que le message pour rendre un site accessible soit trop compliqué au risque de dissuader les bonnes volontés."

Quelles sont les suggestions des professionnels du livre voyants pour rendre le web plus accessible aux aveugles et malvoyants?

Jean-Pierre Balpe, directeur du département hypermédias de l'Université Paris 8: "Le son est une solution, les claviers adaptés en sont une autre, je ne sais s'il existe des écrans spécialisés, mais peut-être… On peut aussi imaginer des interactions sonores, Denize en a utilisé quelques-unes dans son cédérom Machines à écrire (Gallimard, 1999, ndlr)."

Olivier Bogros, créateur de la Bibliothèque électronique de Lisieux: "Autant que possible j'essaie de rendre accessible à tous la bibliothèque électronique de Lisieux. Les recommandations du consortium W3C ne sont pas toujours évidentes à suivre. Les sites textuels ne requièrent pas une charte graphique sophistiquée à base de Java et autres niaiseries."

Marie-Aude Bourson, créatrice des sites littéraires La Grenouille Bleue et Gloupsy: "La Grenouille Bleue (qui a dû fermer pour un problème de marque et qui a été remplacée par Gloupsy, ndlr) avait une partie destinée aux malvoyants: il suffit de créer des pages sans images ni tableau. Uniquement du texte, et une structure de site plus simple qui va droit à l'info. Ainsi les logiciels de reconnaissance/lecture de pages web sont très efficaces. Il faut donc sensibiliser les webmestres."

Richard Chotin, professeur à l'ESA (Ecole supérieure des affaires) de Lille: "Il faudrait une réelle motivation des concepteurs de sites envers le problème des aveugles et une volonté politique d'intégration des handicapés (et pas seulement financière)."

Jean-Pierre Cloutier, auteur des Chroniques de Cybérie, chronique hebdomadaire des actualités de l'internet: "Mes suggestions s'adressent surtout aux diffuseurs de contenus qui ne respectent pas les normes techniques. Je m'explique. Le Consortium W3C est un organisme de normalisation des techniques du web. Ses comités étudient les nouvelles techniques, et prescrivent des normes d'utilisation. Or les producteurs et diffuseurs de contenus utilisent souvent des techniques propriétales, hors normes, propres à un logiciel ou à une plate-forme, ce qui donne lieu, par exemple, à des 'sites optimisés' pour Netscape ou pour Internet Explorer. Si ces sites soi-disant optimisés pour un fureteur ou un autre causent des problèmes pour les utilisateurs ordinaires, imaginez la difficulté d'adapter des contenus livrés hors normes à un consultation pour non-voyants. Il y a des efforts énormes pour rendre accessible à tous le contenu du web, mais tant et aussi longtemps que les diffuseurs utiliseront des technologies hors normes, et ne tiendront pas leurs engagements pris, notamment, dans le cadre du Web Interoperability Project (WIP), la tâche sera difficile."

Luc Dall'Armellina, co-auteur et webmestre d'oVosite, espace d'écritures hypermédias: "Jakob Nielsen évoque dans La Conception de sites web - l'art de la simplicité (Campus Press, 2000) un système vocal basé sur la lecture de balises HTML ou XML capables d'interfacer un synthétiseur vocal qui paraît convaincant. La WAI (Web Accessibility Initiative) du Consortium W3C a publié, le 5 mai 1999, la première version des directives (téléchargeables) pour un accès web aux personnes handicapées, accessible en français."

Anne-Bénédicte Joly, écrivain qui auto-édite ses oeuvres: "Je pense que nous devrions voir apparaître des sites disposant de modes d'emplois ou de guides de découverte sonores. L'idéal serait de pouvoir guider un internaute malvoyant, depuis la mise en route des navigateurs (pour taper l'adresse du site ciblé), jusqu'à l'arrivée sur un site. Sur un site équipé, un assistant guide l'internaute en lui exposant les fonctionnalités du site. L'accès aux rubriques se fait via des codes alphanumériques (sur le même principe que les serveurs téléphoniques à fréquence vocale). Le code d'accès à la rubrique est possible grâce à un clavier adapté (touche possédant des caractères braille). Puis l'assistant propose des choix: téléchargement des rubriques pour éditions sur imprimante braille ou lecture de la rubrique sous forme d'extraits sonores. Il faudra se montrer vigilants face au temps de chargement du son. Puis, pour favoriser les échanges, prévoir la possibilité de déposer des témoignages vocaux (voire des images via des webcams) sur le serveur du site."

Olivier Pujol, PDG de Cytale et promoteur du Cybook, livre électronique, préconise "le développement des moteurs de type BrailleSurf associés à de la synthèse vocale, et le respect par les concepteurs de sites de quelques règles (documentation des images, ou association de commentaires textuels à certaines applications telles que les animations flash). Dès que notre site atteindra un niveau opérationnel suffisant, il sera entièrement adapté à cet effet."

Patrick Rebollar, professeur de littérature française dans des universités japonaises, suggère d'"améliorer les logiciels de lecture orale de l'écrit. Créer des écrans tactiles qui affichent le texte en braille et développer des logiciels de traduction automatique et d'affichage sur écran braille (sous l'égide d'une fondation internationale subventionnée par les gouvernements, l'Unesco, etc., et qui lèverait des fonds auprès des entreprises intéressées)."

Zina Tucsnak, ingénieur d'études en informatique à l'ATILF (Analyses et traitements informatiques du lexique français): "Il faudrait fournir des alternatives équivalentes au contenu visuel et auditif: le texte peut être expédié directement à des synthétiseurs vocaux et à des générateurs de braille et peut être représenté sur du papier. La voix synthétique et le braille sont indispensables aux individus non voyants et mal entendants."

Plusieurs des réponses reçues, non citées ici, montrent qu'il serait nécessaire de sensibiliser les voyants au fait que les aveugles ont eux aussi droit à deux modes de connaissance, la lecture et l'écoute, tout comme les voyants. Pourquoi les aveugles devraient-ils se limiter à l'écoute, alors que le numérique permet enfin la conversion facile du document, et donc la lecture de ce document en braille?

La conclusion de ce chapitre appartient à Richard Chotin, professeur à l'Ecole supérieure des affaires (ESA) de Lille. A la question: "Quoi de neuf cette année?", il répond en mai 2001: "Une seule nouveauté, mais de taille, les conséquences de l'accessibilité du web aux aveugles: ma fille vient d'obtenir la deuxième place à l'agrégation de lettres modernes. Un de ses amis a obtenu la maîtrise de conférence en droit et un autre a soutenu sa thèse de doctorat en droit également. Outre l'aspect performance, cela prouve au moins que si les aveugles étaient réellement aidés (tous les aveugles n'ont pas évidemment la chance d'avoir un père qui peut passer du temps et consacrer de l'argent) par des méthodes plus actives dans la lecture des documents (obligation d'obtenir en braille ce qui existe en 'voyant' notamment), le handicap pourrait presque disparaître."

10. LES LIBRAIRIES "CLASSIQUES" ET CYBER

[Dans ce chapitre:]

[10.1. Qu'apporte l'internet aux librairies "classiques"? / Un exemple: les librairies de voyage / Autre exemple: les librairies d'ancien // 10.2. Les librairies en ligne // 10.3. Les premières librairies numériques / L'exemple de Numilog]

10.1. Qu'apporte l'internet aux librairies "classiques"?

A titre d'exemple, on a choisi ici deux catégories de librairies: les librairies de voyage et les librairies d'ancien.

= Un exemple: les librairies de voyage

Au coeur de Paris, dans l'île Saint-Louis, la librairie Ulysse propose plus de 20.000 livres, cartes et revues neufs et anciens sur tous les pays et pour tous les voyages. Créée en 1971 par Catherine Domain, elle est à l'époque la première librairie au monde uniquement consacrée aux voyages. Sur le site web de la librairie, Catherine Domain raconte: "Au terme de dix années de voyages sur tous les continents, je me suis arrêtée, en 1970, et me suis dit: 'Que vais-je bien pouvoir faire pour vivre?' Consciente de la nécessité de m'insérer dans une société d'une façon ou d'une autre, j'ai procédé à un choix par déduction et par le refus d'avoir patron et employé. Me souvenant de mes grand-pères, l'un navigateur au long cours, l'autre libraire en Périgord, et constatant que j'étais obligée de visiter une quinzaine de librairies avant de trouver la moindre documentation sur un pays aussi proche que la Grèce, une 'librairie de voyage' s'est imposée à mon esprit, entre Colombo et Surabaya, au cours d'un tour du monde."

Catherine Domain n'a pas pour autant abandonné les voyages. Elle est à la fois membre du SLAM (Syndicat national de la librairie ancienne et moderne), du Club des explorateurs et du Club international des grands voyageurs. Elle a fondé le Cargo Club, un club de rencontre pour les passionnés de la mer, et le Club Ulysse des petites îles du monde. Elle a visité à ce jour 141 pays et les voyages la tenaillent toujours. En 1998, elle explore à la voile les îles du Kiribati et les îles Marshall, au milieu du Pacifique. En 1999, en tant que membre du jury du Prix du livre insulaire, elle fait une escale à Ouessant, puis elle fait le tour de la Sardaigne à la voile. En l'an 2000, toujours à la voile, elle visite la Croatie pendant un mois. De nouveau membre du jury du Prix du livre insulaire, elle refait escale à Ouessant et aussi à l'île de Sein.

En 1999, Catherine Domain se lance dans une expérience autrement plus ingrate, qui est la réalisation d'un site web. "Mon site est embryonnaire et en construction, écrit-elle, il se veut à l'image de ma librairie, un lieu de rencontre avant d'être un lieu commercial. Il sera toujours en perpétuel devenir! Internet me prend la tête, me bouffe mon temps et ne me rapporte presque rien mais cela ne m'ennuie pas… Pour qu'internet marche, il faut ne faire que ça ou avoir des 'esclaves'. Je ne veux ni l'un ni l'autre. Je n'ai pas une âme de patron mais d'artisan, et j'attrape vite la bougeote et mal aux yeux." Elle est très pessimiste sur l'avenir de sa librairie: "Internet tue les librairies spécialisées. En attendant d'être dévorée, je l'utilise comme un moyen d'attirer les clients chez moi, et aussi de trouver des livres pour que ceux qui n'ont pas encore internet chez eux! Mais j'ai peu d'espoir…"

Autre librairie de voyage, située à Paris dans l'ancien quartier des Halles, la librairie Itinéraires rassemble tous les ouvrages permettant de préparer, accompagner et prolonger un voyage: guides, cartes, manuels de conversation, reportages, récits de voyage, livres de cuisine, livres d'art et de photographie, ouvrages d'histoire, de civilisation, d'ethnographie, de religion et de littérature étrangère, et cela pour plus de 160 pays et 250 destinations.

Comment la librairie en est-elle venue à utiliser le minitel puis l'internet? "Dès 1985, nous avons créé une base de données avec classement des ouvrages par pays et par thèmes, écrit Hélène Larroche en juin 1998. Il y a un peu plus de trois ans (début 1995), nous avons rendu la consultation de notre catalogue possible sur minitel et nous effectuons aujourd'hui près de 10% de notre chiffre d'affaires avec la vente à distance. Passer du minitel à internet nous semblait intéressant pour atteindre la clientèle de l'étranger, les expatriés désireux de garder par les livres un contact avec la France et à la recherche d'une librairie qui 'livre à domicile' et bien sûr les 'surfeurs sur le net', non minitélistes. La vente à distance est encore trop peu utilisée sur internet pour avoir modifié notre chiffre d'affaires de façon significative. Internet a cependant eu une incidence sur le catalogue de notre librairie, avec la création d'une rubrique sur le web, spécialement destinée aux expatriés, dans laquelle nous mettons des livres, tous sujets confondus, qui font partie des meilleures ventes du moment ou/et pour lesquels la critique s'emballe. Nous avons toutefois décidé de limiter cette rubrique à 60 titres quand notre base en compte 13.000. Un changement non négligeable, c'est le temps qu'il faut dégager ne serait-ce que pour répondre au courrier que génèrent les consultations du site. Outre le bénéfice pour l'image de la librairie qu'internet peut apporter (et dont nous ressentons déjà les effets), nous espérons pouvoir capter une nouvelle clientèle dans notre spécialité (la connaissance des pays étrangers), atteindre et intéresser les expatriés et augmenter nos ventes à l'étranger." En janvier 2000, elle mentionne "un net regain de personnes qui viennent à notre librairie après nous avoir découvert sur le web. C'est donc plutôt une clientèle parisienne ou une clientèle venue de province pour pouvoir feuilleter sur place ce que l'on a découvert sur le web. Mais l'expérience est très intéressante etnous conduit à poursuivre."

= Autre exemple: les librairies d'ancien

Les librairies d'ancien n'ont elles aussi pas tardé à utiliser l'internet pour étendre leur champ d'activité.

Le SLAM (Syndicat de la librairie ancienne et moderne), seul syndicat professionnel des libraires de livres anciens, livres illustrés, autographes et gravures, regroupe aujourd'hui quelque 220 membres. "Le SLAM avait déjà créé un premier site internet en 1997, explique Alain Marchiset, son président, en juillet 2000. Mais ce site ne nous appartenait pas et la conception en était un peu statique. Ce nouveau site plus moderne de conception a été ouvert il y a un an. Il intègre une architecture de type 'base de données', et donc un véritable moteur de recherche, qui permet de faire des recherches spécifiques (auteur, titre, éditeur, et bientôt sujet) dans les catalogues en ligne des différents libraires. Le site contient l'annuaire des libraires avec leurs spécialités, des catalogues en ligne de livres anciens avec illustrations, un petit guide du livre ancien avec des conseils et les termes techniques employés par les professionnels, et aussi un service de recherche de livres rares. De plus l'association organise chaque année en novembre une foire virtuelle du livre ancien sur le site, et en mai une véritable foire internationale du livre ancien qui a lieu à Paris et dont le catalogue officiel est visible aussi sur le site."

Comment se passe la vente en ligne? "Les libraires membres proposent sur le site du SLAM des livres anciens que l'on peut commander directement par courrier électronique et régler par carte de crédit. Les livres sont expédiés dans le monde entier. Les libraires de livres anciens vendaient déjà par correspondance depuis très longtemps au moyen de catalogues imprimés adressés régulièrement à leurs clients. Ce nouveau moyen de vente n'a donc pas été pour nous vraiment révolutionnaire, étant donné que le principe de la vente par correspondance était déjà maîtrisé par ces libraires. C'est simplement une adaptation dans la forme de présentation des catalogues de vente qui a été ainsi réalisée. Dans l'ensemble la profession envisage assez sereinement ce nouveau moyen de vente."

En juin 2001, Alain Marchiset poursuit: "Après une expérience de près de cinq années sur le net, je pense que la révolution électronique annoncée est moins évidente que prévue, et sans doute plus 'virtuelle' que réelle pour le moment. Les nouvelles technologies n'ont pas actuellement révolutionné le commerce du livre ancien. Nous assistons surtout à une série de faillites, de rachats et de concentrations de sociétés de services (principalement américaines) autour du commerce en ligne du livre, chacun essayant d'avoir le monopole, ce qui bien entendu est dangereux à la fois pour les libraires et pour les clients qui risquent à la longue de ne plus avoir de choix concurrentiel possible. Les associations professionnelles de libraires des 29 pays fédérées autour de la Ligue internationale de la librairie ancienne (LILA) ont décidé de réagir et de se regrouper autour d'un gigantesque moteur de recherche mondial sous l'égide de la LILA, à partir du site www.ilab-lila.com. Cette fédération représente un potentiel de 2.000 libraires indépendants dans le monde, mais offrant des garanties de sécurité et de respect de règles commerciales strictes. Ce nouveau moteur de recherche de la LILA (en anglais ILAB) en pleine expansion est déjà référencé par AddAll.com et Bookfinder.com."

Gérant de la librairie du Bât d'Argent, librairie d'ancien située à Lyon, Pascal Chartier crée dès novembre 1995 Livre-rare-book, site professionel de livres d'occasion. Le site comprend un catalogue de livres anciens et livres d'occasion classé par sujets et par librairie (environ 100 librairies et 300.000 livres en juin 2001) et un annuaire électronique international des librairies de livres d'occasion. Selon Pascal Chartier, l'internet, qui a ouvert "une vaste porte" aux libraires et à leurs clients, est "peut-être la pire et la meilleure des choses. La pire parce qu'il peut générer un travail constant sans limite et la dépendance totale. La meilleure parce qu'il peut s'élargir encore et permettre surtout un travail intelligent!" L'année 2000 est marquée par "la réalisation d'un module de gestion pour permettre aux libraires d'intégrer leurs livres facilement sur Livre-rare-book, et la traduction du site en anglais, allemand, italien et portugais."

10.2. Les librairies en ligne

Comme on vient de le voir, le web offre aux librairies "classiques" une vitrine qui leur permet d'agrandir leur rayon géographique. Elles peuvent aussi gérer une librairie en ligne. C'est le cas notamment pour la FNAC, Virgin, France Loisirs, Le Furet du Nord, qui officie dans le nord de la France, Decitre, dans la région Rhône-Alpes, etc.

D'autres librairies n'ont ni murs, ni vitrine, ni enseigne sur la rue. Leur seule vitrine est leur site web, et toutes leurs transactions s'effectuent sur la toile. Pour ne citer que les plus connues, ces librairies en ligne ont pour nom Chapitre.com, librairie en ligne indépendante créée en 1997 par Juan Pirlot de Corbion et connue pour la qualité de ses services, Alapage, créé en 1996 par Patrice Magnard et filiale de France Télécom Multimédia depuis septembre 1999, Amazon France, filiale d'Amazon.com en activité depuis août 2000, Bol.fr, filiale de Vivendi et de Bertelsmann Online (fermé en août 2001) et CDiscount.com, qui propose des livres, des DVD et "le meilleur de la musique et de la vidéo à prix fourmi". Les grandes librairies en ligne anglophones sont Amazon.com (basé aux Etats-Unis), Barnes & Noble.com (basé aux Etats-Unis), Internet BookShop (basé au Royaume-Uni), Chaptersglobe.com (basé au Canada), etc.

Outre un catalogue répertoriant tous les titres disponibles, avec recherche par auteur, par titre ou par sujet, et la possibilité de passer sa commande en ligne, les sites web permettent de lire des résumés, extraits et critiques de livres, et sont parfois de véritables revues littéraires auxquelles contribuent des chroniqueurs de renom, dont certains ont abandonné les journaux et magazines papier pour le web.

En France, la loi sur le prix unique du livre laisse peu de latitude sur les prix, et n'offre pas les possibilités de réduction qui existent dans les pays où le prix du livre est libre (Royaume-Uni, Etats-Unis, etc.). En revanche, tout comme les libraires "classiques", les libraires en ligne sont optimistes sur les perspectives d'un marché francophone international qui commence à compter dans les statistiques. Cependant, en juillet 2001, l'annonce de la fermeture de Bol.fr (le 1er août 2001, avec traitement des commande jusqu'au 15 septembre) et les difficultés rencontrées par d'autres librairies semblent montrer que le nombre de librairies en ligne françaises est trop important par rapport au marché actuel."

10.3. Les premières librairies numériques

Une librairie numérique est une librairie vendant des livres numériques (au format PDF, Acrobat eBook Reader, Microsoft Reader, etc.). Elle est à distinguer de la librairie en ligne, qui vend des livres et autres produits culturels - pas forcément numériques - sur l'internet.

Si Barnes & Noble.com a ouvert son eBook Store le 8 août 2000, suivi par Amazon.com le 28 août 2000 - suite aux accords passés par l'un et par l'autre avec Microsoft pour l'utilisation du Microsoft Reader - les librairies numériques ne sont pas l'apanage des mastodontes du métier, comme en témoigne l'activité de Numilog, qui a débuté ses activités bien avant cette date. 10.3.1. L'exemple de Numilog

"Dès 1995, j'avais imaginé et dessiné des modèles de lecteurs électroniques permettant d'emporter sa bibliothèque avec soi et pesant comme un livre de poche, explique Denis Zwirn, PDG de Numilog. Début 1999, j'ai repris ce projet avec un ami spécialiste de la création de sites internet, en réalisant la formidable synergie possible entre des appareils de lecture électronique mobiles et le développement d'internet, qui permet d'acheminer les livres dématérialisés en quelques minutes dans tous les coins du monde."

La librairie a trois pôles d'activités. "Numilog est d'abord une librairie en ligne de livres numériques. Notre site internet est dédié à la vente en ligne de ces livres, qui sont envoyés par courrier électronique ou téléchargés après paiement par carte bancaire. Il permet également de vendre des livres par chapitres. Numilog est également un studio de fabrication de livres numériques: aujourd'hui, les livres numériques n'existent pas chez les éditeurs, il faut donc d'abord les fabriquer avant de pouvoir les vendre, dans le cadre de contrats négociés avec les éditeurs détenteurs des droits. Ce qui signifie les convertir à des formats convenant aux différents 'readers' du marché: Acrobat Reader, Acrobat eBook Reader (que nous sommes les premiers en France à diffuser), et bientôt Microsoft Reader et les lecteurs électroniques du type Rocket eBook. Ce qui signifie également soigner leur mise en page numérique: la mise en page d'un livre numérique ne doit pas être la même que celle du livre papier correspondant si on veut proposer au lecteur une expérience de lecture confortable qui ne le déçoive pas. Enfin, Numilog devient progressivement un diffuseur car, sur internet, il est important d'être présent en de très nombreux points du réseau pour faire connaître son offre. Pour les livres en particulier, il faut les proposer aux différents sites thématiques ou de communautés, dont les centres d'intérêt correspondent à leur sujet (sites de fans d'histoire, de management, de SF…). Numilog facilitera ainsi la mise en oeuvre de multiples 'boutiques de livres numériques' thématiques."

Ouvert en septembre 2000, le site web présente un catalogue thématique de livres numériques (650 titres en juin 2001), avec ajout de 50 à 100 titres nouveaux par mois. "Cette base de livres est accessible par un moteur de recherche. Chaque livre fait l'objet d'une fiche avec un résumé et un extrait. En quelques clics, il peut être acheté en ligne par carte bancaire, puis reçu par e-mail ou téléchargement." Depuis mars 2001, le site présente des fonctionnalités nouvelles, comme l'intégration d'une "authentique vente au chapitre" (les chapitres vendus isolément seront traités comme des éléments inclus dans la fiche-livre, et non comme d'autres livres) et la gestion très ergonomique des formats de lecture multiples.Le but étant de "permettre à un public d'internautes de plus en plus large d'avoir progressivement accès à des bases de livres numériques aussi importantes que celles des livres papier, mais avec plus de modularité, de richesse d'utilisation et à moindre prix".

11. BIBLIOTHEQUES "EN DUR" ET BIBLIOTHEQUES NUMERIQUES

[Dans ce chapitre:]

[11.1. Du bibliothécaire au cyberthécaire / Le Projet Gutenberg / The On-Line Books Page / La Bibliothèque électronique de Lisieux / La médiathèque de l'Institut Pasteur / Le centre de documentation de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) / Le centre de documentation de l'Institut d'études politiques (IEP) de Grenoble / La bibliothèque de l'Ecole nationale supérieure de statistique et d'économie appliquée (ENSEA) d'Abidjan / L'association Juriconnexion (documentation juridique) / La médiathèque de l'Institut français de Londres // 11.2. Numérisation en mode texte et en mode image // 11.3. Les bibliothèques traditionnelles sont-elles menacées?]

11.1. Du bibliothécaire au cyberthécaire

Sur une ancienne version de son site web (1998), la British Library définissait la bibliothèque numérique comme une entité résultant de l'utilisation des technologies numériques pour acquérir, stocker, préserver et diffuser des documents qui sont soit publiés directement sous forme numérique, soit numérisés à partir d'un document imprimé, audiovisuel ou autre. Une collection numérique devient une bibliothèque numérique quand elle répond aux quatre facteurs suivants: 1) elle peut être créée et produite dans un certain nombre d'endroits différents, mais elle est accessible en tant qu'entité unique, 2) elle doit être organisée et indexée pour un accès aussi facile que possible à partir du lieu de base où elle est produite, 3) elle doit être stockée et gérée de manière à avoir une existence assez longue après sa création, 4) elle doit trouver un équilibre entre le respect du droit d'auteur et les exigences universitaires.

Choisies pour leur intérêt et leur variété, voici quelques expériences: le Projet Gutenberg, projet pilote en ligne depuis 1991 (11.1.1); The On-Line Books Page (11.1.2), en ligne depuis 1993; la Bibliothèque électronique de Lisieux, en ligne depuis 1996 (11.1.3); la médiathèque de Institut Pasteur, en ligne depuis 1996 (11.1.4); le centre de documentation de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), en ligne interne depuis 1996 (11.1.5); le centre de documentation de l'Institut d'études politiques (IEP) de Grenoble, en ligne depuis 1998 (11.1.6); la bibliothèque de l'Ecole nationale supérieure de statistique et d'économie appliquée (ENSEA) d'Abidjan, en ligne depuis 1999 (11.1.7) ; l'association Juriconnexion (documentation juridique), en ligne depuis 1999 (11.1.8); la médiathèque de l'Institut français de Londres, en ligne depuis 2000 (11.1.9)

= Le Projet Gutenberg

Projet pionnier, le Projet Gutenberg a inspiré bien d'autres bibliothèques numériques depuis. Il débute en 1971 quand Michael Hart, étudiant à l'Université d'Illinois, reçoit un compte de 100 millions de dollars de "temps machine" dans le laboratoire informatique (Materials Research Lab) de son université. Il décide aussitôt de consacrer ce crédit à la recherche et au stockage des oeuvres du domaine public disponibles dans les bibliothèques. Il décide aussi de stocker les textes électroniques de la manière la plus simple possible, au format ASCII, avec des lettres capitales pour les termes en italique, gras ou soulignés, afin qu'ils puissent être lus sans problème quels que soient la machine et le logiciel utilisés. Peu après, il définit la "mission" du Projet Gutenberg: mettre à la disposition de tous le plus grand nombre possible d'oeuvres du domaine public. Travailleur acharné, il décide de dédier toute sa vie à son projet, qu'il voit comme étant à l'origine d'une révolution néo-industrielle.

Lorsque l'utilisation du web se généralise, le projet trouve un second souffle, et un rayonnement international. Les collections se chiffrent maintenant à 3.700 oeuvres (chiffres de juillet 2001) qui, au fil des années, ont été patiemment numérisées en mode texte par des volontaires de nombreux pays (600 volontaires actifs en 2000). Un total de 1.000 nouveaux livres devrait être traité en 2001. Cinquante heures environ sont nécessaires pour sélectionner, scanner, corriger et mettre en page un texte électronique. Un ouvrage de taille moyenne - par exemple un roman de Stendhal ou de Jules Verne - est composé de deux fichiers ASCII. Si certains documents anciens sont parfois saisis ligne après ligne, le plus souvent parce que le texte original manque de clarté, les oeuvres sont en général scannées en utilisant un logiciel OCR (optical character recognition), puis elles sont relues et corrigées à double reprise, parfois par deux personnes différentes. D'abord essentiellement anglophones, les collections deviennent peu à peu multilingues.

"Nous considérons le texte électronique comme un nouveau médium, sans véritable relation avec le papier, explique Michael Hart. Le seul point commun est que nous diffusons les mêmes oeuvres, mais je ne vois pas comment le papier peut concurrencer le texte électronique une fois que les gens y sont habitués, particulièrement dans les établissements d'enseignement. (…) Ma carrière n'aurait pas existé sans l'internet, et le Projet Gutenberg n'aurait jamais eu lieu… Vous savez sûrement que le Projet Gutenberg a été le premier site d'information sur l'internet. Mon projet est de mettre 10.000 textes électroniques sur l'internet. Si je pouvais avoir des subventions importantes, j'aimerais aller jusqu'à un million et étendre aussi le nombre de nos usagers potentiels de 1,x% à 10% de la population mondiale, ce qui représenterait la diffusion de 1.000 fois un milliard de textes électroniques au lieu d'un milliard seulement. (…) J'introduis une nouvelle langue par mois maintenant, et je vais poursuivre cette politique aussi longtemps que possible."

= The On-Line Books Page

Autre projet pilote à l'époque, The On-Line Books Page répertorie plus de 12.000 textes électroniques d'oeuvres anglophones en accès libre sur le web. John Mark Ockerbloom, qui est à l'époque étudiant à l'Université Carnegie Mellon (Pittsburgh, Pennsylvanie), débute ce répertoire en 1993 dans le cadre du site web du département d'informatique, dont il est le webmestre.

"J'étais webmestre ici pour la section informatique du CMU (Carnegie Mellon University), et j'ai débuté notre site local en 1993, raconte John Mark Ockerbloom en septembre 1998. Il comprenait des pages avec des liens vers des ressources disponibles localement, et à l'origine The On-Line Books Page était une de ces pages, avec des liens vers des livres mis en ligne par des collègues de notre département (par exemple Robert Stockton, qui a fait des versions web de certains textes du Projet Gutenberg). Ensuite les gens ont commencé à demander des liens vers des livres disponibles sur d'autres sites. J'ai remarqué que de nombreux sites (et pas seulement le Project Gutenberg ou Wiretap) proposaient des livres en ligne, et qu'il serait utile d'en avoir une liste complète qui permette de télécharger ou de lire des livres où qu'ils soient sur l'internet. C'est ainsi que mon index a débuté. J'ai quitté mes fonctions de webmestre en 1996, mais j'ai gardé The On-Line Books Page, parce que, entre temps, je m'étais passionné pour l'énorme potentiel qu'a l'internet de rendre la littérature accessible au plus grand nombre. Maintenant il y a tant de livres mis en ligne que j'ai du mal à rester à jour (en fait j'ai beaucoup de retard). Mais je pense pourtant continuer cette activité d'une manière ou d'une autre. Je suis très intéressé par le développement de l'internet en tant que médium de communication de masse dans les prochaines années. J'aimerais aussi rester impliqué d'une manière ou d'une autre dans la mise à disposition gratuite pour tous de livres sur l'internet, que ceci fasse partie intégrante de mon activité professionnelle ou que ceci soit une activité bénévole menée sur mon temps libre."

John Mark Ockerbloom obtient son doctorat en informatique en 1998. En 1999, il rejoint le département des bibliothèques et de l'informatique de l'Université de Pennsylvanie, où il travaille à la R&D (recherche et développement) de la bibliothèque numérique. A la même époque, il transfère The On-Line Books Page dans cette bibliothèque numérique. La présentation est toujours la même et les mises à jour sont régulières.

= La Bibliothèque électronique de Lisieux

La Bibliothèque électronique de Lisieux ouvre en juin 1996. "Ce site est entièrement consacré et exclusivement réservé à la mise à disposition sur le réseau (librement et gratuitement) de textes littéraires et documentaires du domaine public français afin de constituer une bibliothèque virtuelle qui complète celles déjà existantes", explique Olivier Bogros, son créateur, qui est aussi directeur de la bibliothèque municipale de Lisieux (Normandie). Dès sa création, ce site pionnier suscite beaucoup d'intérêt dans la communauté francophone parce qu'il montre ce qui est faisable sur le web avec beaucoup de détermination et des moyens limités. D'abord hébergé sur les pages du compte CompuServe d'Olivier Bogros, il est depuis juin 1998 installé sur un nouveau serveur avec un espace disque plus important (30 Mo) et un nom de domaine.

Quel est l'historique du site? La première étape est la "création d'un bulletin électronique d'informations bibliographiques locales (Les Affiches de Lisieux) en 1994 dont la diffusion locale ne rencontre qu'un très faible écho", raconte Olivier Bogros lors d'un premier entretien. Les étapes suivantes sont "en 1995 la numérisation de nos collections de cartes postales en vue de constituer une photothèque numérique" puis "la saisie de nouvelles d'auteurs d'origine normande courant 1995 en imitation (modeste) du projet de l'ABU (Association des bibliophiles universels) avec diffusion sur un BBS (bulletin board service) spécialisé. L'idée du site internet vient d'Hervé Le Crosnier, enseignant à l'Université de Caen et modérateur de la liste de diffusion Biblio-fr, qui monta sur le serveur de l'université la maquette d'un site possible pour la bibliothèque municipale de Lisieux, afin que je puisse en faire la démonstration à mes élus. La suite logique en a été le vote au budget primitif de 1996 d'un crédit pour l'ouverture d'une petite salle multimédia avec accès public au réseau pour les Lexoviens (habitants de Lisieux, ndlr). Depuis cette date, un crédit d'entretien pour la mise à niveau des matériels informatiques est alloué au budget de la bibliothèque qui permettra cette année (deuxième semestre 1998, ndlr) la montée en puissance des machines, l'achat d'un graveur de cédéroms et la mise à disposition d'une machine bureautique pour les lecteurs de l'établissement…. ainsi que la création d'un emploi jeune pour le développement des nouvelles technologies."

En juillet 1999, Olivier Bogros relate: "Nous réfléchissons, toujours dans le domaine patrimonial, à un prolongement du site actuel vers les arts du livre - illustration, typographie… - toujours à partir de notre fonds. Sinon, pour ce qui est des textes, nous allons vers un élargissement de la part réservée au fonds normand. (…) Les oeuvres à diffuser sont choisies à partir d'exemplaires conservés à la bibliothèque municipale de Lisieux ou dans des collections particulières mises à disposition. Les textes sont saisis au clavier et relus par du personnel de la bibliothèque, puis mis en ligne après encodage (370 oeuvres sont actuellement disponibles en ligne). La mise à jour est mensuelle (3 à 6 textes nouveaux). Par goût, mais aussi contraints par le mode de production, nous sélectionnons plutôt des textes courts (nouvelles, brochures, tirés à part de revues, articles de journaux…). De même nous laissons à d'autres (bibliothèques ou éditeurs) le soin de mettre en ligne les grands classiques de la littérature française, préférant consacrer le peu de temps et de moyens dont nous disposons à mettre en ligne des textes excentriques et improbables. (…) La création et la maintenance du site ne sont encore que des activités marginales de la bibliothèque municipale (…) En fait, et pour les deux années à venir, l'essentiel de notre temps est consacré à la mise en place de la nouvelle médiathèque (avec une réelle intégration des nouvelles technologies) [et pour le quotidien] à l'enrichissement et la communication sur place des ressources locales (c'est-à-dire des informations physiquement localisées à la bibliothèque), le développement de la lecture dans les quartiers… La salle multimédia ouverte en octobre 1996 doit encore trouver son rythme de croisière, la consultation des cédéroms et la bureautique devançant souvent l'utilisation d'internet."

En août 2000, Olivier Bogros écrit: "La médiathèque n'ouvrira ses portes qu'en janvier 2002 et ce chantier va encore mobiliser l'essentiel de mon temps. Nous poursuivons modestement l'enrichissement du corpus de textes de la bibliothèque électronique. Une collaboration vient de s'engager entre la bibliothèque électronique de Lisieux et le site 'Langue du 19e siècle" à l'Université de Toronto. Les textes en ligne à Lisieux sont interrogeables en ligne à Toronto sous forme de bases de données interactives. L'initiative de ce projet, baptisé LexoTor, revient à M. Russon Wooldridge à la suite d'un colloque organisé en mai dernier par son université."

Lancé officiellement le 27 août 2000, LexoTor est une base de données qui fonctionne sous le logiciel TACTweb et qui permet l'interrogation en ligne des textes de la bibliothèque classés en différentes rubriques: oeuvres littéraires, notamment du 19e siècle; brochures et opuscules documentaires ; manuscrits, livres et brochures sur la Normandie; conférences et exposés transcrits par des élèves du Lycée Marcel Gambier. L'interrogation permet aussi les analyses et comparaisons textuelles. Le projet est issu de la rencontre d'Olivier Bogros avec Russon Wooldridge, professeur au département d'études françaises de l'Université de Toronto, lors d'un colloque international que ce dernier a organisé les 12 et 13 mai 2000 dans son université sur le thème: "Les études françaises valorisées par les nouvelles technologies d'information et de communication".

En mai 2001, Olivier Bogros poursuit: "La base Lexotor devrait pouvoir bénéficier dès ce mois-ci de la dernière version du logiciel TACTweb, ce qui rendra beaucoup plus riches et pertinentes les interrogations faites. Pour ce qui concerne Lisieux, le bâtiment de la médiathèque est sorti de terre, le gros oeuvre sera fini fin juin, la livraison est prévue pour novembre. Par contre l'ouverture initialement prévue pour janvier 2002 sera sans doute effective fin mars. Sur le site de la bibliothèque électronique, le travail se poursuit chaque mois avec la mise en ligne de textes. J'ai suspendu provisoirement la fabrication de hiboux (e-books, ndlr) au format Microsoft Reader ou Mobipocket. Il faudrait que je trouve un partenariat avec un autre site pour que les textes disponibles en HTML sur notre bibliothèque électronique soient aussi proposés ailleurs dans un format hiboux multiplateforme. A titre personnel, j'ai ouvert une autre bibliothèque électronique, Miscellanées, encore en devenir."

= La médiathèque de l'Institut Pasteur

Basé à Paris et dans plusieurs régions du monde, l'Institut Pasteur est une fondation privée dont la mission est de contribuer à la prévention et au traitement des maladies, en priorité infectieuses, par la recherche, l'enseignement, et des actions de santé publique.

"Le site web de la bibliothèque a pour vocation principale de servir la communauté pasteurienne, explique Bruno Didier, son webmestre. Il est le support d'applications devenues indispensables à la fonction documentaire dans un organisme de cette taille: bases de données bibliographiques, catalogue, commande de documents et bien entendu accès à des périodiques en ligne (un peu plus d'une centaine actuellement). C'est également une vitrine pour nos différents services, en interne mais aussi dans toute la France et à l'étranger. Il tient notamment une place importante dans la coopération documentaire avec les instituts du réseau Pasteur à travers le monde. Enfin j'essaie d'en faire une passerelle adaptée à nos besoins pour la découverte et l'utilisation d'internet. Il existe dans sa forme actuelle depuis 1996 et son audience augmente régulièrement."

En quoi consiste exactement son activité? "Je développe et maintiens les pages du serveur, ce qui s'accompagne d'une activité de veille régulière. Par ailleurs je suis responsable de la formation des usagers, ce qui se ressent dans mes pages. Le web est un excellent support pour la formation, et la plupart des réflexions actuelles sur la formation des usagers intègrent cet outil. C'est à la fois dans nos rapports avec l'information et avec les usagers que les changements ont eu lieu. Nous devenons de plus en plus des médiateurs, et peut-être un peu moins des conservateurs. Mon activité actuelle est typique de cette nouvelle situation: d'une part dégager des chemins d'accès rapides à l'information et mettre en place des moyens de communication efficaces, d'autre part former les utilisateurs à ces nouveaux outils. Je crois que l'avenir de notre métier passe par la coopération et l'exploitation des ressources communes. C'est un vieux projet certainement, mais finalement c'est la première fois qu'on dispose enfin des moyens de le mettre en place."

= Le centre de documentation de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

L'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) regroupe trente pays membres "au sein d'une organisation qui, avant tout, offre aux gouvernements un cadre pour examiner, élaborer et perfectionner les politiques économiques et sociales", lit-on sur le site web de l'organisation. "Ils y comparent leurs expériences respectives, s'y efforcent d'apporter des réponses aux problèmes qui leur sont communs et s'y emploient à coordonner des politiques intérieures et internationales qui, dans le contexte actuel de mondialisation des économies, doivent former un ensemble de plus en plus homogène. (…) L'OCDE est un club de pays qui partagent les mêmes idées. C'est un club de riches en ce sens que ses membres produisent les deux tiers des biens et services du monde, mais ce n'est pas un club privé. En fait, l'exigence essentielle pour en devenir membre est qu'un pays soit attaché aux principes de l'économie de marché et de la démocratie pluraliste. Au noyau d'origine, constitué de pays d'Europe et d'Amérique du Nord, sont venus s'ajouter le Japon, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, la Finlande, le Mexique, la République tchèque, la Hongrie, la Pologne et la Corée. De plus, l'OCDE a établi de nombreux contacts avec le reste du monde dans le cadre de programmes avec des pays de l'ancien bloc soviétique, d'Asie et d'Amérique latine, contacts qui pourraient, dans certains cas, déboucher sur une adhésion."

Situé dans un des bâtiments de son siège parisien et réservé aux agents de l'OCDE, le centre de documentation et d'information (CDI) permet la consultation de 60.000 monographies imprimées et 2.500 périodiques. Le CDI fournit aussi nombre de documents électroniques émanant du web, de bases de données et de CD-Rom. Peter Raggett, son directeur, a d'abord été en poste dans les bibliothèques gouvernementales du Royaume-Uni avant de devenir fonctionnaire international à l'OCDE en 1994, comme sous-directeur puis directeur du CDI. Il utilise l'internet depuis 1996. Les pages intranet du CDI, dont il est l'auteur, sont devenues une des principales sources d'information du personnel de l'organisation.

"Je dois filter l'information pour les usagers de la bibliothèque, ce qui signifie que je dois bien connaître les sites et les liens qu'ils proposent, explique Peter Raggett en juin 1998. J'ai sélectionné plusieurs centaines de sites pour en favoriser l'accès à partir de l'intranet de l'OCDE, et cette sélection fait partie du bureau de référence virtuel proposé par la bibliothèque à l'ensemble du personnel. Outre les liens, ce bureau de référence contient des pages de références aux articles, monographies et sites web correspondant aux différents projets de recherche en cours à l'OCDE, l'accès en réseau aux CD-Rom, et une liste mensuelle des nouveaux titres." En août 1999, il relate: "Notre site intranet va être complètement remanié d'ici la fin de l'année, et nous allons y mettre le catalogue de la bibliothèque, ce qui permettra à nos usagers d'y avoir accès directement de leur écran. Ce catalogue sera conforme à la norme Z3950 (une norme définissant un protocole pour la recherche documentaire d'un ordinateur à un autre, ndlr)." Depuis octobre 1999, le catalogue du CDI est disponible sur l'intranet.

Comment Peter Raggett voit-il l'avenir de la profession? "L'internet offre aux chercheurs un stock d'informations considérable. Le problème pour eux est de trouver ce qu'ils cherchent. Jamais auparavant on n'avait senti une telle surcharge d'informations, comme on la sent maintenant quand on tente de trouver un renseignement sur un sujet précis en utilisant les moteurs de recherche disponibles sur l'internet. A mon avis, les bibliothécaires auraient un rôle important à jouer pour améliorer la recherche et l'organisation de l'information sur l'internet. Je prévois aussi une forte expansion de l'internet pour l'enseignement et la recherche. Les bibliothèques seront amenées à créer des bibliothèques numériques permettant à un étudiant de suivre un cours proposé par une institution à l'autre bout du monde. La tâche du bibliothécaire sera de filtrer les informations pour le public. Personnellement, je me vois devenir de plus en plus un bibliothécaire virtuel. Je n'aurai pas l'occasion de rencontrer les usagers, ils me contacteront plutôt par courrier électronique, par téléphone ou par fax, j'effectuerai la recherche et je leur enverrai les résultats par voie électronique."

= Le centre de documentation de l'Institut d'études politiques (IEP) de
Grenoble

Pierre Le Loarer est directeur du centre de documentation de l'Institut d'études politiques (IEP) de Grenoble. Conçu dès février 1998, le site web de l'IEP ouvre trois mois après, en mai. "J'étais le chef de projet, explique Pierre Le Loarer, d'autant que j'ai une formation multimédia, outre ma formation initiale en philosophie, documentation-bibliothèques et informatique. Il y avait un comité de pilotage (au sein de notre Institut) et également plusieurs partenaires: un graphiste (qui venait de créer le logo de l'Institut) à qui j'ai demandé de décliner des éléments cohérents pour le site, en liaison avec la société de multimédia; une société de création multimédia à qui j'ai demandé de créer une 'maquette' de page d'accueil et deux modèles de pages (page de rubrique principale, page de sous-rubrique) pour disposer d'une ligne graphique; une ergonome qui avait pour objet de tester et surtout de faire tester la version 1 (maquette) du site, pour ensuite réaliser une version 2 opérationnelle, ce qui a été fait; une rédactrice qui, avec moi-même, a repris, sélectionné les informations et même partiellement réécrit certains textes et surtout organisé avec moi les rubriques et sous-rubriques, créé les libellés d'intitulés, etc., ce travail étant soumis au comité de pilotage; le CRI (centre de recherche en informatique) de l'université pour réaliser les pages HTML en suivant les modèles, une fois validés, des pages de différents niveaux et également pour héberger le site. Dans un second temps, un professeur d'anglais m' a aidé à créer quelques pages en anglais. Aujourd'hui, le site est maintenu à jour par moi-même et une personne qui m'aide grandement pour cette tâche."

En quoi consiste exactement l'activité de Pierre Le Loarer? "Elle est très variée. Je ne reviens pas sur mes fonctions de directeur d'un centre de documentation, sinon pour insister sur deux facteurs: l'importance de la formation des étudiants à la recherche documentaire, à la connaissance des sources d'information, imprimées et électroniques, et à la production de documents sous forme numérique; la conception, que je reprends à mon compte, de la 'bibliothèque hybride' qui gère, donne accès à la fois aux documents imprimés et aux documents électroniques. Il me semble que l'on peut même parler de 'lecture hybride' où l'on passe de l'écran à divers supports imprimés et l'inverse.

Mes fonctions de chargé de mission TICE (technologies de l'information et de la communication pour l'éducation) visent à mettre ces TICE au service de la stratégie de l'Institut, pour son développement, pour renforcer encore la qualité de son enseignement, faciliter des accompagnements pédagogiques, aider au développement des relations internationales grâce aux facilités de l'échange électronique. Les TICE ne sont pas un but en soi, mais bien un outil au service d'objectifs stratégiques. Ceci passe, entre autres, par la création d'intranets pédagogiques, un renforcement de la formation en bureautique communicante pour les étudiants, les enseignants et le personnel administratif.

Quant à mon activité internet, elle a divers aspects, qui sont assez différents: gestionnaire de site, formateur pour un usage à la fois réfléchi et professionnel du web, animateur, participant à des séminaires, réunions diverses sur l'internet (et l'éducation, les collectivités territoriales, etc.). Membre de l'ISOC (Internet Society), je participe aux rencontres d'Autrans."

= La bibliothèque de l'ENSEA (Ecole nationale supérieure de statistique et d'économie appliquée) d'Abidjan

L'ENSEA (Ecole nationale supérieure de statistique et d'économie appliquée) d'Abidjan assure la formation des statisticiens pour les pays africains d'expression française. Cette formation est délivrée à travers quatre filières distinctes, conçues en fonction du niveau de recrutement des élèves: la filière ISE (ingénieurs statisticiens économistes), la filière ITS (ingénieurs des travaux statistiques), la filière AD (adjoints techniques) et la filière AT (agents techniques). A ce jour, l'ENSEA est le seul établissement de formation statistique qui délivre simultanément ces quatre types de formation à tous les pays francophones situés au sud du Sahara. L'ENSEA propose par ailleurs des actions de recyclage et de perfectionnement destinées aux cadres des administrations publiques et privées, et développe progressivement des programmes d'étude et de recherche.

"Le site a été créé à la faveur d'un colloque international sur les enquêtes et systèmes d'information organisé par l'école en avril 1999, explique Bakayoko Bourahima, documentaliste. La conception et la maintenance du site ont été assurées par un coopérant français, enseignant d'informatique. Le site est actuellement hébergé par l'agence locale du Syfed (du réseau Refer de l'AUPELF-UREF - Agence universitaire de la francophonie). Le site a connu quelques difficultés de mise à jour, en raison des nombreuses occupations pédagogiques et techniques du webmestre. A ce propos, mon service, celui de la bibliothèque, a eu récemment des séances de travail avec l'équipe informatique pour discuter de l'implication de la bibliothèque dans l'animation du site. Et le service de la bibliothèque travaille aussi à deux projets d'intégration du web pour améliorer ses prestations."

Bakayoko Bourahima est responsable du service de la bibliothèque. "Je m'occupe de la gestion de l'information scientifique et technique et de la diffusion des travaux publiés par l'école, écrit-il. (…) J'espère bientôt pouvoir mettre à la disposition de mes usagers un accès internet pour l'interrogation de bases de données. Par ailleurs, j'ai en projet de réaliser et de mettre sur l'intranet et sur le web un certain nombre de services documentaires (base de données thématique, informations bibliographiques, service de références bibliographiques, bulletin analytique des meilleurs travaux d'étudiants…) Il s'agit donc pour la bibliothèque, si j'obtiens les financements nécessaires pour ces projets, d'utiliser pleinement l'internet pour donner à notre école une plus grand rayonnement et de renforcer sa plate-forme de communication avec tous les partenaires possibles. En intégrant cet outil au plan de développement de la bibliothèque, j'espère améliorer la qualité et élargir la gamme de l'information scientifique et technique mise à la disposition des étudiants, des enseignants et des chercheurs, tout en étendant considérablement l'offre des services de la bibliothèque."

= L'association Juriconnexion (documentation juridique)

Emmanuel Barthe est documentaliste juridique et responsable informatique chez Coutrelis & Associés, un cabinet d'avocats. "Les principaux domaines de travail du cabinet sont le droit communautaire, le droit de l'alimentation, le droit de la concurrence et le droit douanier, explique-t-il. Je fais de la saisie indexation, et je conçois et gère les bases de données internes. Pour des recherches documentaires difficiles, je les fais moi-même ou bien je conseille le juriste. Je suis aussi responsable informatique et télécoms du Cabinet: conseils pour les achats, assistance et formation des utilisateurs. De plus, j'assure la veille, la sélection et le catalogage de sites web juridiques: titre, auteur et bref descriptif. Je suis également formateur internet juridique aussi bien à l'intérieur de mon entreprise qu'à l'extérieur lors de stages de formation. Auparavant, j'ai été responsable pendant cinq ans de la documentation du cabinet d'avocat Stibbe Simont Monahan Duhot & Giroux, dont j'ai mis en place les structures et les collections. J'ai également effectué une mission de six mois chez Korn/Ferry International, un important cabinet de recrutement, à l'occasion de sa fusion avec Vuchot & Associés. J'ai alors travaillé sur l'installation du nouveau système informatique et la fusion des bases de candidats gérées par les deux cabinets.

Membre du conseil d'administration de Juriconnexion, je m'y suis spécialisé dans les CD-Rom puis l'internet juridique. Depuis l'automne 1999, je m'occupe de modérer et d'animer la liste de discussion Juriconnexion. L'association Juriconnexion a pour but la promotion de l'électronique juridique, c'est à dire la documentation juridique sur support électronique et la diffusion des données publiques juridiques. Elle organise des rencontres entre les utilisateurs et les éditeurs juridiques et de bases de données, ainsi qu'une journée annuelle sur un thème. Celle du 23 novembre 2000 portait sur les sites juridiques francophones. Vis-à-vis des autorités publiques, Juriconnexion a un rôle de médiateur et de lobbying à la fois. L'association, notamment, est favorable à la diffusion gratuite sur internet des données juridiques produites par le Journal officiel et les tribunaux. Les bibliothécaires-documentalistes juridiques représentent la majorité des membres de l'association, suivis par certains représentants des éditeurs et des juristes. Juriconnexion a créé la liste de discussion du même nom, qui traite des mêmes sujets mais reste ouverte aux non-membres." En mai 2001, l'association approche les 400 membres.

= La médiathèque de l'Institut français de Londres

L'Institut français de Londres est un organisme officiel français destiné à faire connaître la langue et la culture françaises dans la capitale britannique. 5.000 étudiants environ suivent les cours de langue chaque année, ce qui fait de cet institut l'un des plus importants instituts français au monde. Le centre culturel inclut une bibliothèque multimédia, un cinéma, une salle de conférence et un restaurant.

Anissa Rachef est bibliothécaire dans cet organisme. "Je suis chargée du catalogage du fonds documentaire qui est constitué de livres, de vidéos, de disques compacts et de disques optiques ainsi que de périodiques, écrit-elle. Avant mon installation à Londres, soit de 1980 à 1983, j'ai travaillé à la bibliothèque universitaire d'Alger en qualité d'attachée de recherche. C'est d'Alger et en deux ans que j'ai préparé le DSB (diplôme supérieur des bibliothèques), diplôme de conservateur assimilé à celui de l'ENSB de Lyon (Ecole nationale supérieure des bibliothèques, devenue ensuite l'ENSSIB - Ecole nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques, ndlr). Recrutée selon un statut local depuis septembre 1987 à l'Institut français de Londres, j'y exerce le métier de bibliothécaire au sein d'une équipe de huit membres. Par ailleurs, titulaire d'un diplôme de FLE (français langue étrangère), j'assure des heures d'enseignement de français dans le même institut.

La médiathèque de l'Institut français de Londres fut inaugurée en mai 1996. L'objectif est double: servir un public s'intéressant à la culture et la langue françaises et 'recruter' un public allophone en mettant à disposition des produits d'appel tels que vidéos documentaires, livres audio, CD-Rom. La mise en place récente d'un espace multimédia sert aussi à fidéliser les usagers. L'installation d'un service d'information rapide a pour fonction de répondre dans un temps minimum à toutes sortes de questions posées via courrier électronique, ou par fax. Ce service exploite les nouvelles technologies pour des recherches très spécialisées. Nous élaborons également des dossiers de presse destinés aux étudiants et professeurs préparant des examens de niveau secondaire. Je m'occupe essentiellement de catalogage, d'indexation et de cotation. Je suis chargée également du service de prêt inter-bibliothèques. J'anime des ateliers in situ de catalogage UNIMARC (MARC: machine readable catalogue) ainsi que des ateliers d'indexation RAMEAU (répertoire d'autorités matières encyclopédique et alphabétique unifié). J'élabore ponctuellement des aménagements de vedettes matières propres à notre catalogue. J'utilise internet pour des besoins de base. Recherches bibliographiques, commande de livres, courrier professionnel, prêt inter-bibliothèques. C'est grâce à internet que la consultation de catalogues collectifs, tels SUDOC (Système universitaire de documentation) et OCLC (Online Computer Library Center), a été possible. C'est ainsi que que j'ai pu mettre en place un service de fourniture de documents extérieurs à la médiathèque. Des ouvrages peuvent désormais être acheminés vers la médiathèque pour des usagers ou bien à destination des bibliothèques anglaises."

11.2. Numérisation en mode texte et en mode image

La numérisation du document imprimé, c'est-à-dire sa conversion sous une forme chiffrée binaire, peut être effectuée soit en mode texte, soit en mode image.

La numérisation en mode texte consiste à scanner le livre puis à contrôler le résultat à l'écran en relisant le tout. Les documents originaux manquant de clarté - certains livres anciens par exemple - sont saisis ligne après ligne. Ce mode de numérisation est long, et la notion de livre ou de page n'est pas conservée, puisque le texte apparaît en continu à l'écran. Cette méthode est nettement plus coûteuse que la numérisation en mode image, mais très préférable, puisqu'elle permet la recherche textuelle, l'indexation, les recherches séquentielles, les analyses, les comparaisons, etc. C'est la méthode utilisée par le Projet Gutenberg (11.1.1), la Bibliothèque électronique de Lisieux (11.1.3), et bien d'autres.

La numérisation en mode image correspond à la "photographie" du livre page après page. La notion de livre est conservée. La version informatique est en quelque sorte le fac-similé de la version imprimée. On peut donc "feuilleter" le texte page après page sur l'écran. C'est la méthode employée pour les numérisations à grande échelle, par exemple pour la constitution de Gallica, bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France (BnF). Même si, pour des raisons de coût, la BnF a choisi la numérisation en mode image, elle utilise le mode texte pour les tables des matières, les sommaires et les légendes des corpus iconographiques, afin de faciliter la recherche plein-texte. Pourquoi ne pas tout numériser en mode texte ? La BnF répond sur le site de Gallica: "Le mode image conserve l'aspect initial de l'original y compris ses éléments non textuels. Si le mode texte autorise des recherches riches et précises dans un document et permet une réduction significatice du volume des fichiers manipulés, sa réalisation, soit par saisie soit par OCR (optical character recognition), implique des coûts de traitement environ 10 fois supérieurs à la simple numérisation. Ces techniques parfaitement envisageables pour des volumes limités ne pouvaient ici être économiquement justifiables au vu des 35.000 documents (représentant presque 15 millions de pages) mis en ligne."

Selon Pierre Schweitzer, l'architecte designer qui a conçu @folio, support numérique de lecture nomade, "le mode image permet d'avancer vite et à très faible coût. C'est important car la tâche de numérisation du domaine public est immense. Il faut tenir compte aussi des différentes éditions: la numérisation du patrimoine a pour but de faciliter l'accès aux oeuvres, il serait paradoxal qu'elle aboutisse à focaliser sur une édition et à abandonner l'accès aux autres. Chacun des deux modes de numérisation s'applique de préférence à un type de document, ancien et fragile ou plus récent, libre de droit ou non (pour l'auteur ou pour l'édition), abondamment illustré ou pas. Les deux modes ont aussi des statuts assez différents: en mode texte ça peut être une nouvelle édition d'une oeuvre, en mode image c'est une sorte d''édition d'édition', grâce à un de ses exemplaires (qui fonctionne alors comme une fonte d'imprimerie pour du papier: une trace optique sur un support, numérique, c'est assez joli à réaliser). En pratique, le choix dépend bien sûr de la nature du fonds à numériser, des moyens et des buts à atteindre. Difficile de se passer d'une des deux façons de faire."

L'équipe d'@folio travaille notamment sur le logiciel Mot@Mot, une passerelle entre @folio (voir 8.1) et les fonds numérisés en mode image. "La plus grande partie du patrimoine écrit existant est fixé dans des livres, sur du papier, explique Pierre Schweitzer. Pour rendre ces oeuvres accessibles sur la toile, la numérisation en mode image est un moyen très efficace. Le projet Gallica en est la preuve. Mais il reste le problème de l'adaptation des fac-similés d'origine à nos écrans de lecture aujourd'hui: réduits brutalement à la taille d'un écran, les fac-similés deviennent illisibles. Sauf à manipuler les barres d'ascenseur, ce qui nécessite un ordinateur et ne permet pas une lecture confortable. La solution proposée par Mot@mot consiste à découper le livre, mot à mot, du début à la fin (enfin, les pages scannées du livre…). Ces mots restent donc des images, il n'y a pas de reconnaissance de caractères, donc pas d'erreur possible. On obtient une chaîne d'images-mots liquide, qu'on peut remettre en page aussi facilement qu'une chaîne de caractères. Il devient alors possible de l'adapter à un écran de taille modeste, sans rien perdre de la lisibilité du texte. La typographie d'origine est conservée, les illustrations aussi."

11.3. Les bibliothèques traditionnelles sont-elles menacées?

Face à un web encyclopédique et des bibliothèques numériques de plus en plus nombreuses, les jours des bibliothèques traditionnelles sont-ils comptés? Ou bien, au contraire, l'internet joue-t-il un rôle de catalyseur pour les relancer?

En fait, il n'est peut-être pas très opportun d'opposer bibliothèque traditionnelle et bibliothèque numérique. Nombre de bibliothèques numériques sont créées par des bibliothèques traditionnelles à partir de leurs propres fonds. Grâce à quoi la consultation de ces fonds devient facile. Ce qui n'était pas le cas jusque-là, pour des raisons diverses: souci de conservation des documents rares et fragiles, heures d'ouverture réduites, nombreux formulaires à remplir, longs délais de communication, pénurie de personnel. Autant de barrières à franchir qui demandaient souvent au lecteur une patience à toute épreuve et une détermination hors du commun pour arriver jusqu'au document. A présent, si on tient absolument à consulter l'original, on le fait en connaissance de cause, après avoir "feuilleté" le fac-similé numérique sur le web.

Autre élément à prendre en compte, la bibliothèque numérique peut enfin rendre comptatibles deux objectifs qui ne l'étaient guère, à savoir la conservation des documents et leur prêt. Dorénavant le document ne quitte son rayonnage qu'une seule fois pour être scanné, et le grand public y a facilement accès.

Un exemple parmi d'autres: depuis décembre 2000, le site web de la Bibliothèque municipale de Lyon donne accès à la plus importante collection française d'enluminures médiévales, à savoir 12.000 images scannées dans 457 documents appartenant à la bibliothèque: manuscrits allant du 5e au 16e siècle, incunables ou livres de la Renaissance. Les documents sont à dominante religieuse (bibles, missels, bréviaires, pontificaux, livres d'heures, droit canon) ou profane (philosophie, histoire, littérature, sciences, etc.). Les images qui ont été numérisées - plusieurs centaines pour certains documents - sont les peintures en pleine page et les miniatures, ainsi que les initiales ornées et les décors des marges.

Autre exemple significatif, depuis novembre 2000, la version numérique de la Bible de Gutenberg, premier ouvrage à avoir jamais été imprimé, est en accès libre sur le site de la British Library. Cette Bible date de 1454-1455, et elle aurait été imprimée par Gutenberg en 180 exemplaires dans son atelier de Mayence (Allemagne). 48 exemplaires, dont certains incomplets, existeraient toujours. La British Library en possède deux versions complètes, et une partielle. En mars 2000, dix chercheurs et experts techniques de l'Université Keio de Tokyo et de NTT (Nippon Telegraph and Telephone Communications) sont venus travailler sur place pendant deux semaines pour numériser ces deux Bibles, légèrement différentes, à l'aide de matériels hautement sophistiqués.

La bibliothèque numérique menace-t-elle pour autant la bibliothèque traditionnelle? Il y a quelques années, sur leur site web, alors que l'internet en était encore à ses débuts, plusieurs grandes bibliothèques insistaient sur la nécessité de garder son importance à la communication physique des imprimés, manuscrits, partitions musicales, bandes sonores, etc., tout en affirmant avoir conscience de la nécessité du développement parallèle des documents numériques. Ce type de commentaires a disparu. Les rôles respectifs des bibliothèques traditionnelles et des bibliothèques numériques semblent assez clairs maintenant.

Les bibliothèques nationales et autres grandes bibliothèques de conservation ont pour mission de préserver un patrimoine pluricentenaire - manuscrits, incunables, livres imprimés, collections de journaux, partitions musicales, gravures, images, photos, films, documents électroniques, etc. - accumulé au fil des siècles grâce au dépôt légal. Si le fait de disposer de supports numériques favorise à la fois la conservation et la communication, il faut bien un endroit pour stocker les documents physiques originaux, à commencer par les Bibles de Gutenberg.

Les bibliothèques publiques ne semblent pas près de disparaître non plus. A l'heure actuelle, malgré l'engouement suscité par le livre électronique, pratiquement personne n'est prêt à lire Zola ou Proust à l'écran. Mais c'est peut-être une question de génération. Et la mise sur le marché d'un livre électronique bon marché, suivi du papier électronique dans quelques années, risque de changer bien des choses.

Pour les bibliothèques spécialisées, par contre, le changement est nettement plus radical. Dans nombre de domaines où l'information la plus récente est primordiale, on s'interroge maintenant sur l'utilité d'aligner des documents imprimés sur des rayonnages, alors qu'il est tellement plus pratique de rassembler, stocker, archiver, organiser, cataloguer et diffuser des documents électroniques, et de les imprimer seulement à la demande.

L'avenir sera-t-il les bases de données numériques décrites dans les dernières pages de Chaos et cyberculture (éditions du Lézard, 1997) de Timothy Leary, philosophe et visionnaire? "Toute l'information du monde est à l'intérieur. Et grâce au cyberespace, tout le monde peut y avoir accès. Tous les signaux humains contenus jusque-là dans les livres ont été numérisés. Ils sont enregistrés et disponibles dans ces banques de données, sans compter tous les tableaux, tous les films, toutes les émissions de télé, tout, absolument tout." Reste à savoir si la consultation sera gratuite ou payante.

12. APPRENDRE ET ENSEIGNER

[Dans ce chapitre:]

[12.1. Dictionnaires et encyclopédies en ligne // 12.2. Bases de données en ligne // 12.3. L'université et le numérique / L'Université de Caen / La Webster University de Genève / L'Université de Lausanne / L'Université de Tokyo / L'Université de Toronto // 12.4. Les perspectives]

12.1. Dictionnaires et encyclopédies en ligne

Un des premiers dictionnaires disponibles gratuitement sur le web est le Dictionnaire universel francophone en ligne, qui correspond à la partie "noms communs" de la version imprimée du dictionnaire du même nom, issu de la collaboration d'Hachette avec l'AUPELF-UREF (Agence universitaire de la francophonie), et publié par Hachette Edicef. Cette partie "noms communs" répertorie 45.000 mots et 116.000 définitions. Elle présente "sur un pied d'égalité, le français dit 'standard' et les mots et expressions en français tel qu'on le parle sur les cinq continents". Pour la langue anglaise, le site Merriam-Webster OnLine permet l'accès libre au Collegiate Dictionary et au Collegiate Thesaurus, deux ouvrages de référence.

La fin 1999 marque le saut du papier au numérique pour plusieurs encyclopédies de renom. En décembre 1999, les éditions Atlas mettent en ligne gratuitement sur le web leur encyclopédie WebEncyclo. La recherche est possible par mots-clefs, thèmes, médias (cartes, liens internet, photos, illustrations) et idées. Depuis les débuts du site, un appel à contribution incite les spécialistes d'un sujet donné à envoyer des articles.

Décembre 1999 voit aussi la mise en ligne du site Britannica.com, qui propose en accès libre et gratuit l'équivalent des 32 volumes de la 15e édition de l'Encyclopaedia Britannica (dont la version imprimée est toujours disponible au prix de 1.250 $US, soit 1.320 euros). Le site propose aussi l'actualité mondiale, une sélection d'articles de 70 magazines, un guide des meilleurs sites web (plus de 125.000 sites), une sélection de livres, etc., le tout étant accessible à partir d'un moteur de recherche unique. Depuis septembre 2000, le site fait partie des cent sites les plus visités au monde. En ligne aussi, l'ensemble du fonds documentaire de l'Encyclopaedia Universalis, soit 28.000 articles signés par 4.000 auteurs. La consultation est payante sur la base d'un abonnement annuel, mais de nombreux documents sont également en accès libre. Disponible depuis mars 2000 en consultation payante, la version en ligne des 20 volumes du célèbre Oxford English Dictionary bénéficie d'une mise à jour trimestrielle d'environ 1.000 entrées nouvelles ou révisées. Le Quid, encyclopédie en un volume réactualisée une fois par an depuis 1963, met de nombreux documents en accès libre sur le web. Encarta, la fameuse encyclopédie de Microsoft, est en accès libre et gratuit depuis septembre 2000.

Toujours en accès libre, Eurodicautom, proposé par le Service de traduction de la Commission européenne, est un dictionnaire multilingue de termes économiques, scientifiques et techniques, juridiques, etc., relatifs aux divers champs d'activité de l'Union européenne. Il permet des combinaisons entre ses onze langues officielles (allemand, anglais, danois, espagnol, finnois, français, grec, hollandais, italien, portugais et suédois), ainsi que le latin.

Réalisé par l'Office de la langue française du Québec, Le Signet est dénommé à juste titre "la référence branchée en terminologie". Il donne accès à six mille fiches bilingues français-anglais dans le secteur des technologies de l'information. TERMITE est la base de données quadrilingue (anglais, espagnol, français et russe) de la Section de traduction de l'Union internationale des télécommunications (UIT). Composée de 59.000 entrées, elle est alimentée à la fois par les traducteurs de l'UIT et des spécialistes des télécommunications extérieurs à l'UIT.

Moins d'un an après la mise en ligne gratuite d'encyclopédies générales de renom, autre évènement: la mise en ligne gratuite en septembre 2000 du Grand dictionnaire terminologique (GDT), qui rassemble un fonds terminologique de 3 millions de termes français et anglais du vocabulaire industriel, scientifique et commercial, dans 2.000 domaines d'activité. Ce fonds équivaudrait à 3.000 ouvrages de référence imprimés. Sa mise en ligne est le résultat d'un partenariat entre l'Office de la langue française du Québec, auteur du dictionnaire, et la société Semantix, spécialisée dans la mise au point de solutions logicielles pour l'intégration de fonctions linguistiques. Cette mise en ligne est un succès: un mois plus tard, le GDT a été consulté par 1,3 million de personnes, avec des pointes de 60.000 requêtes quotidiennes. "Nous croyons que la nouvelle de l'accessibilité à un dictionnaire terminologique bilingue gratuit dans internet s'est répandue comme une traînée de poudre parmi les internautes, qui se communiquent très rapidement les nouvelles, explique Francis Malka, fondateur et chef de la direction technologique de Semantix (cité par l'AFP). Nous recevons des requêtes de partout à travers le globe, même si la grande majorité des requêtes provient du Canada."

Dictionnaires électroniques, une liste établie par la section française des services linguistiques centraux de l'Administration fédérale suisse, répertorie de façon aussi exhaustive que possible les meilleurs dictionnaires monolingues, bilingues et multilingues. Elle est complétée par des répertoires d'abréviations et d'acronymes et des répertoires d'informations géographiques. Responsable de la section française des services linguistiques, Marcel Grangier explique: "Conçu d'abord comme un service intranet, notre site web se veut au service d'abord des traducteurs opérant en Suisse, qui souvent travaillent sur la même matière que les traducteurs de l'administration fédérale, mais également, par certaines rubriques, au service de n'importe quel autre traducteur où qu'il se trouve. Les dictionnaires électroniques ne sont qu'une partie de l'ensemble, et d'autres secteurs documentaires ont trait à l'administration, au droit, à la langue française, etc., sans parler des informations générales."

"Travailler sans internet est devenu tout simplement impossible, ajoute Marcel Grangier. Au-delà de tous les outils et commodités utilisés (messagerie électronique, consultation de la presse électronique, activités de services au profit de la profession des traducteurs), internet reste pour nous une source indispensable et inépuisable d'informations dans ce que j'appellerais le "secteur non structuré" de la toile. Pour illustrer le propos, lorsqu'aucun site comportant de l'information organisée ne fournit de réponse à un problème de traduction, les moteurs de recherche permettent dans la plupart des cas de retrouver le chaînon manquant quelque part sur le réseau."

D'autres outils utiles sont les moteurs permettant la recherche dans plusieurs dictionnaires. Proposé par Foreignworld.com, DictSearch est un moteur de recherche dans 200 dictionnaires de langues (67 langues source et 69 langues cible, soit plus de 300 combinaisons de langues en juillet 2001). Le Logos Dictionary, dictionnaire multilingue de plus de 7,5 millions d'entrées, est un des outils linguistiques proposés par Logos, société de traduction internationale basée à Modène (Italie). Créé par Robert Ware, OneLook Dictionaries est un moteur de recherche puisant dans les quelque 3 millions de mots de 750 dictionnaires (en anglais, français, allemand, italien, espagnol, etc.) traitant de sujets divers (affaires, argot, généralités, informatique et internet, médecine, religion, sciences, sports, technologie, etc.). Son correspondant français est Dicorama.

On assiste enfin au développement de portails de dictionnaires. Par exemple yourDictionary.com, créé par Robert Beard en 1999, dans le prolongement de son ancien site, "A Web of Online Dictionaries", maintenant intégré à celui-ci. Consacré aux dictionnaires - 1.500 dictionnaires dans 230 langues - et aux langues en général (vocabulaires, grammaires, apprentissage des langues, etc.), yourDictionary.com se veut le portail de toutes les langues sans exception. Il accorde une importance particulière aux langues minoritaires et menacées.

12.2. Bases de données en ligne

Russon Wooldridge, professeur au département d'études françaises de l'Université de Toronto, est le créateur de ressources littéraires librement accessibles en ligne. Un pas de plus est franchi vers l'autonomisation de l'usager comme créateur de ressources en ligne, souligne-t-il en mai 2001. "La dernière version de TACTweb, récemment installée sur un serveur de l'Université de Toronto, permet dorénavant de construire des bases interactives importantes comme les dictionnaires de la Renaissance (Estienne et Nicot ; base RenDico), les deux principales éditions du Dictionnaire de l'Académie française (1694 et 1835), les collections de la Bibliothèque électronique de Lisieux (base LexoTor), les oeuvres complètes de Maupassant, ou encore les théâtres complets de Corneille, Molière, Racine, Marivaux et Beaumarchais (base théâtre 17e-18e). À la différence de grosses bases comme Frantext ou ARTFL (American and French Research on the Treasury of the French Language) nécessitant l'intervention d'informaticiens professionnels, d'équipes de gestion et de logiciels coûteux, TACTweb, qui est un gratuiciel que l'on peut décharger en ligne et installer soi-même, peut être géré par le chercheur individuel créateur de ressources textuelles en ligne."

A la suite de l'INaLF (Institut national de la langue française), scindée en deux organismes distincts en janvier 2001, l'ATILF (Analyse et traitements informatiques du lexique français) développe des programmes de recherche sur la langue française, principalement son vocabulaire. Traitées par des systèmes informatiques spécifiques, les données (lexicales et textuelles) portent sur divers registres du français: langue littéraire (du 14e au 20e siècle), langue courante (écrite et parlée), langue scientifique et technique (terminologies), et régionalismes.

Les bases de données de l'ATILF comprennent notamment: a) Frantext, un corpus à dominante littéraire constitué de textes français qui s'échelonnent du 16e au 20e siècle. Sur l'intégralité du corpus, il est possible d'effectuer des recherches simples ou complexes (base non catégorisée). Sur un sous-ensemble comportant des oeuvres en prose des 19e et 20e siècles, les recherches peuvent également être effectuées selon des critères syntaxiques (base catégorisée); b) l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, en collaboration avec l'ARTFL (American and French Research on the Treasury of the French Language) de l'Université de Chicago. Il s'agit de la version internet de la première édition, à savoir 17 volumes de texte et 11 volumes de planches; c) Dictionnaires d'autrefois (16e-19e siècles): Dictionnaires de l'Académie française, 1e (1694), 5e (1798), et 6e (1835) éditions, Dictionarium latinogallicum de Robert Estienne, Thresor de la langue françoyse (versions ancienne et moderne) de Jean Nicot, Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle; d) le Catalogue critique des ressources textuelles sur internet (CCRTI), un ensemble de sites qui diffusent des ressources textuelles en ligne sur le web, sélectionnés en fonction de leur sérieux sur le plan du traitement éditorial et du traitement numérique des textes; e) le Dictionnaire de l'Académie française, 8e édition (1932).

"L'avenir me semble prometteur en matière de publications de ressources en ligne, même si, en France tout au moins, bon nombre de résistances, inhérentes aux systèmes universitaire et éditorial, ne risquent pas de céder du jour au lendemain (dans dix-vingt ans, peut-être?), écrit Emilie Devriendt, élève professeur à l'Ecole normale supérieure de Paris. Ce qui me donne confiance, malgré tout, c'est la conviction de la nécessité pratique d'internet. J'ai du mal à croire qu'à terme, un chercheur puisse se passer de cette gigantesque bibliothèque, de ce formidable outil. Ce qui ne veut pas dire que les nouvelles pratiques de recherche liées à internet ne doivent pas être réfléchies, mesurées à l'aune de méthodologies plus traditionnelles, bien au contraire. Il y a une histoire de l''outillage', du travail intellectuel, où internet devrait avoir sa place."

Dans un tout autre registre, l'Ethnologue, une encyclopédie des langues, a mis la totalité de son contenu en accès libre sur le web, ce qui ne l'empêche pas d'être également diffusée en version imprimée et sur CD-Rom, tous deux payants. Cette encyclopédie très documentée répertorie 6.700 langues, avec de multiples critères de recherche. Barbara F. Grimes, sa directrice de publication entre 1971 et 2000 (8e-14e éditions), explique: "Il s'agit d'un catalogue des langues dans le monde, avec des informations sur les endroits où elles sont parlées, une estimation du nombre de personnes qui les parlent, la famille linguistique à laquelle elles appartiennent, les autres noms utilisés pour ces langues, les noms de dialectes, d'autres informations socio-linguistiques et démographiques, les dates des Bibles publiées, un index des noms de langues, un index des familles linguistiques et des cartes géographiques relatives aux langues."

Autre exemple, Rubriques à Bac, créée par Gérard Fourestier, professeur de français à Nice et diplômé en science politique. Rubriques à Bac propose deux bases de données accessibles par souscription, avec version démo en accès libre, à destination des étudiants du premier cycle universitaire et de leurs professeurs. La première, ELLIT (Éléments de littérature), a trait à la littérature française du 12e siècle à nos jours et regroupe plus de 350 articles liés entre eux par 8.500 liens, ainsi qu'un répertoire de 450 auteurs qui ont joué un rôle majeur dans la formation de cette littérature. La deuxième, RELINTER (Relations internationales depuis 1945), recense plus de 2.000 liens sur l'évolution de la situation du monde contemporain de la deuxième guerre mondiale à nos jours.

"Rubriques à Bac est une branche des activités du GRIMM (Groupe de recherche et d'information sur le multimédia), explique Gérard Fourestier. Le GRIMM est un groupement associatif de personnes physiques et morales qui pratiquent la recherche et l'information sur l'informatique, le multimédia et la communication. Cependant, les perspectives ouvertes par une fréquentation du site en progression rapide, et compte tenu de la mission que j'ai assignée aux recettes de cette activité, à savoir la réalisation de projets éducatifs en Afrique, Rubriques à Bac se constituera prochainement en entité juridique propre."

Quel est l'historique du site? "Le site de Rubriques à Bac a été créé en 1998 pour répondre au besoin de trouver sur le net, en un lieu unique, l'essentiel, suffisamment détaillé et abordable par le grand public, dans le but: a) de se forger avant tout une culture tout en préparant à des examens probatoires à des études de lettres - c'est la raison d'ELLIT (Eléments de littérature), base de données en littérature française; b) de comprendre le monde dans lequel nous vivons en en connaissant les tenants et les aboutissants, d'où RELINTER (Relations internationales). J'ai développé ces deux matières car elles correspondent à des études que j'ai, entre autres, faites en leur temps, et parce qu'il se trouve que, depuis une dizaine d'années, j'exerce des fonctions de professeur dans l'enseignement public (18 établissements de la 6e aux terminales de toutes sections et de tous types d'établissements). Faute de temps, je n'ai pu réaliser que ces deux thèmes, mais je ne désespère pas de développer aussi d'autres sujets qui font partie de ma panoplie universitaire et d'autodidacte curieux de tout comme la philosophie, l'analyse sociétale, l'analyse sémantique ou encore l'écologie, et que je tiens 'au chaud dans mes cartons'. Ceci étant, je suis à l'affût de toutes autres idées, venant d'ailleurs, pour ne me réserver alors que la supervision du contenu mis en forme, la dernière main dans la réalisation informatique et la gestion en tant que site spécialisé.

Pour l'instant et faute de mieux, en raison de mon âge, la cinquantaine, et non de mes compétences, je m'occupe de mes élèves en les préparant à leurs examens tout en leur donnant envie d'être utiles, ne serait-ce que pour eux-mêmes et en leur apportant le sens des responsabilités, en un mot un message humaniste. J'aime ce métier car, pour moi, le savoir, ça se donne, et le maître, comme en boudhisme, ne peut avoir qu'un seul but: que son élève le dépasse. En outre, alors que j'ai eu dans le passé d'importantes fonctions de fondé de pouvoir, et que j'ai dirigé pour mon compte quelques entreprises, je suis maître à bord dans mes classes et j'organise mon travail comme je l'entends. C'est pour moi essentiel. (…) Mon activité liée à internet consiste tout d'abord à en sélectionner les outils, puis à savoir les manier pour la mise en ligne de mes travaux et, comme tout a un coût et doit avoir une certaine rentabilité, organiser le commercial qui permette de dégager les recettes indispensables; sans parler du butinage indispensable pour la recherche d'informations qui seront ensuite traitées. (…) Mon initiative à propos d'internet n'est pas directement liée à mes fonctions de professeur. J'ai simplement voulu répondre à un besoin plus général et non pas étroitement scolaire, voire universitaire. Débarrassé des contraintes du programme, puisque j'agis en mon nom et pour mon compte et non 'es-qualité', mais tout en en donnant la matière grise qui me paraît indispensable pour mieux faire une tête qu'à la bien remplir, je laisse à d'autres le soin de ne préparer qu'à l'examen."

12.3. L'université et le numérique

Voici quelques expériences de par le monde, provenant de professionnels des
Universités de Caen, Genève, Lausanne, Tokyo et Toronto.

= L'Université de Caen

Directeur du centre de ressources informatiques de l'Université de Caen (CRIUC), Gérard Jean-François est chargé de l'exploitation et du développement des technologies de la communication pour la recherche et la pédagogie. "L'Université de Caen Basse-Normandie compte 24.000 étudiants, écrit-il. Elle est unique, donc pluridisciplinaire pour la région. De ce fait, elle est répartie sur une douzaines de sites. Les activités principales sont évidemment l'enseignement et la recherche. Mon activité professionnelle consiste à effectuer la veille technologique et à mettre en place les moyens nécessaires à l'activité de l'établissement. Ces moyens sont essentiellement le réseau de communication, les serveurs et les équipements individuels. Sur ces équipements sont mis en place les services (messageries, bases de données, visioconférence…) nécessaires aux utilisateurs (étudiants, enseignants/chercheurs, personnels techniques et administratifs). Par rapport à internet, je me dois de fournir l'accès internet à l'ensemble de l'établissement mais également législation en appliquant toutes les mesures de sécurité qui incombent à mon rôle de responsable sécurité du système informatique."

= La Webster University de Genève

Henri Slettenhaar est spécialiste des technologies de la communication. En 1958, dans le cadre du CERN (Laboratoire européen pour la physique des particules), il travaille sur le premier ordinateur numérique et il participe au développement des premiers réseaux numériques. Son expérience américaine débute en 1966: il rejoint pendant dix-huit mois une équipe du Stanford Linear Accelerator Center (SLAC) pour créer un numérisateur de film. De retour au SLAC en 1983, il conçoit un système numérique de contrôle qui sera utilisé pendant dix ans. Depuis près de vingt ans, il est professeur à la Webster University de Genève. Dans ce cadre, il dirige le Telecom Management Program, programme créé à l'automne 2000 pour répondre à la nécessité de former les étudiants dans un domaine en pleine expansion. Il est également consultant auprès de nombreux organismes.

En 1992, Henri Slettenhaar crée la Silicon Valley Association (SVA), une association suisse qui organise des voyages d'étude dans des pôles de haute technologie: Silicon Valley, San Francisco, Los Angeles, Finlande, etc. Outre des visites de sociétés, start-up, universités et centres de recherche, ces voyages comprennent des conférences, présentations et discussions portant sur les nouvelles technologies de l'information (internet, multimédia, télécommunications, etc.), les derniers développements de la recherche et de ses applications, et les méthodes les plus récentes en matière de stratégie commerciale et de création d'entreprise.

"Je ne peux pas imaginer ma vie professionnelle sans l'internet, écrit Henri Slettenhaar. Cela fait vingt ans que j'utilise le courrier électronique. Les premières années, c'était le plus souvent pour communiquer avec mes collègues dans un secteur géographique très limité. Depuis l'explosion de l'internet et l'avènement du web, je communique principalement par courrier électronique, mes conférences sont en grande partie sur le web et mes cours ont tous un prolongement sur le web. En ce qui concerne les visites que j'organise dans la Silicon Valley, toutes les informations sont disponibles sur le web, et je ne pourrais pas organiser ces visites sans utiliser l'internet. De plus, l'internet est pour moi une fantastique base de données disponible en quelques clics de souris."

= L'Université de Lausanne

Pierre Magnenat est responsable de la cellule "gestion et prospective" du centre informatique de l'Université de Lausanne. Lors d'un entretien électronique, il relate son parcours professionnel: "Mathématicien de formation, je me suis ensuite orienté vers la recherche en astrophysique à l'Observatoire de Genève, domaine dans lequel j'ai obtenu mon doctorat en 1982. Le sujet en était l'étude de la stabilité des orbites dans des modèles numériques de galaxies, ce qui m'a conduit à développer un usage intense de l'informatique, et m'a peu à peu dirigé totalement vers cette branche encore neuve à l'époque. En 1985, j'ai accordé mes actes à mes préférences et suis parti travailler chez un constructeur informatique. J'ai rejoint l'Université de Lausanne en 1990 pour occuper le poste où je suis encore. L'Université de Lausanne est une université généraliste fondée en 1537 (théologie, droit, lettres, sciences sociales, HEC (hautes études commerciales), sciences (maths, physique, chimie, biologie, sciences de la terre, pharmacie) et médecine. Elle comprend environ 10.000 étudiants et 2.200 chercheurs. Dès le début du web, un premier site a été créé par le personnel du centre informatique (en 1995). Chaque faculté, section ou institut s'y est mis par la suite, sans réelle unité et cohérence. Par la suite, certaines règles d'édition ont été établies, et le site remanié à plusieurs reprises avec l'aide de graphistes et d'une personne en charge de fédérer les informations. Nous avons été la première université suisse (voire européenne?) à permettre l'immatriculation des nouveaux étudiants par le web. Depuis, les applications administratives (ressources humaines, finances, grades, etc.) sont les unes après les autres adaptées à un usage par le web. Pour le futur proche, nous étudions la mise en place d'un portail dont l'accès sera personnalisé et adapté aux tâches et désirs de chacun, étudiants, personnel ou visiteur. Il permettra également un accès authentifié aux applications administratives."

En quoi consiste exactement son activité? "Je dirige la centrale d'achats informatiques de l'université. A ce titre, je définis des normes techniques, je procède aux appels d'offres et gère l'entretien du parc, ainsi que les contrats de licences de logiciels. Je suis également responsable de l'établissement et de la gestion des budgets informatiques centraux. Une bonne part de mon activité est ainsi liée à des aspects de prospective et de veille technologique. Bien avant l'arrivée du web, internet était déjà un outil essentiel à mon activité: courrier électronique, information par Usenet News puis gopher. Chaque développement nouveau de l'internet nous a permis de mettre en place des outils facilitant la vie de nos utilisateurs (listes de prix et configurations, formulaires de commandes, inventaires en ligne, etc.) tout comme la nôtre (contacts fournisseurs, informations techniques, etc.). Par ailleurs, cet usage a déteint dès le début sur mes activités personnelles (IRC, news, etc.), pour aboutir à un usage fréquent du commerce électronique et de la bourse en ligne."

= L'Université de Tokyo

Professeur de français, de littérature française et d'applications informatiques dans des universités japonaises, à Tokyo et Nagoya, Patrick Rebollar utilise l'ordinateur pour la recherche et l'enseignement depuis plus de dix ans. En 1994, il voit apparaître l'internet "dans le champ culturel et linguistique francophone". En 1996, il débute un site web de recherches et activités littéraires. En octobre 1999, il devient le modérateur de LITOR (Littérature et ordinateur), liste de diffusion francophone créée en octobre 1999 par l'équipe de recherche Hubert de Phalèse de l'Université Paris 3, et qui comptait en janvier 2000 près de 180 membres, majoritairement des universitaires d'une douzaine de pays.

En juillet 1998, Patrick Rebollar expose l'impact de l'internet sur sa vie professionnelle: "Mon travail de recherche est différent, mon travail d'enseignant est différent, mon image en tant qu'enseignant-chercheur de langue et de littérature est totalement liée à l'ordinateur, ce qui a ses bons et ses mauvais côtés (surtout vers le haut de la hiérarchie universitaire, plutôt constituée de gens âgés et technologiquement récalcitrants). J'ai cessé de m'intéresser à certains collègues proches géographiquement mais qui n'ont rien de commun avec mes idées, pour entrer en contact avec des personnes inconnues et réparties dans différents pays (et que je rencontre parfois, à Paris ou à Tokyo, selon les vacances ou les colloques des uns ou des autres). La différence est d'abord un gain de temps, pour tout, puis un changement de méthode de documentation, puis de méthode d'enseignement privilégiant l'acquisition des méthodes de recherche par mes étudiants, au détriment des contenus (mais cela dépend des cours). Progressivement, le paradigme réticulaire l'emporte sur le paradigme hiérarchique - et je sais que certains enseignants m'en veulent à mort d'enseigner ça, et de le dire d'une façon aussi crue. Cependant ils sont obligés de s'y mettre…"

En janvier 2000, son activité s'articule autour de trois pôles: "veille technologique et culturelle, enseignement assisté par ordinateur, création de pages littéraires pédagogiques (mise en ligne en février ou mars 2000 d'une oeuvre de Balzac, L'Illustre Gaudissart, avec notes de lecture préparées par des étudiants japonais en doctorat pendant l'année universitaire 1999). Pour réaliser ce document balzacien, nous avons travaillé dans une salle entièrement informatisée de l'Université Gakushuin (Tokyo) et nous avons utilisé majoritairement des données en ligne (Dictionnaire de l'Académie française, index de Balzac, cédérom Littré, etc.)."

= L'Université de Toronto

Professeur au département d'études françaises de l'Université de Toronto, Russon Wooldridge est le créateur de sites dans le domaine des études françaises, dont le Net des études françaises (site sur lequel le livre que vous êtes en train de lire est publié). Il est également éditeur en ligne (revue, actes de colloques) et chercheur (histoire de la langue, évolution des médias du papier et du web). Son activité consiste à "aider les étudiants à vivre en français (cours de langue de première année du 1er cycle d'études, par exemple), à perfectionner leurs compétences linguistiques (cours de traduction de quatrième année du 1er cycle, par exemple), à approfondir leur connaissance de domaines spécifiques du savoir exprimés en français (cours et thèses de 2e et 3e cycles) et, à tous les niveaux, à se servir des outils appropriés."

"Mes activités de recherche, autrefois menées dans une tour d'ivoire, se font maintenant presque uniquement par des collaborations locales ou à distance, explique-t-il. (…) Tout mon enseignement exploite au maximum les ressources d'internet (le web et le courriel): les deux lieux communs d'un cours sont la salle de classe et le site du cours, sur lequel je mets tous les matériaux des cours. Je mets toutes les données de mes recherches des vingt dernières années sur le web (réédition de livres, articles, textes intégraux de dictionnaires anciens en bases de données interactives, de traités du 16e siècle, etc.). Je publie des actes de colloques, j'édite un journal, je collabore avec des collègues français, mettant en ligne à Toronto ce qu'ils ne peuvent pas publier en ligne chez eux."

12.4. Les perspectives

En juin 1998, Christiane Jadelot, ingénieur d'études à l'INaLF (Institut national de la langue française), insiste sur la nécessité d'"équiper de plus en plus de laboratoires avec du matériel de pointe, qui permette d'utiliser tous ces médias. Nous avons des projets en direction des lycées et des chercheurs. Le ministère de l'Education nationale a promis de câbler tous les établissements, c'est plus qu'une nécessité nationale. J'ai vu à la télévision une petite école dans un village faisant l'expérience de l'internet. Les élèves correspondaient avec des écoles de tous les pays, ceci ne peut être qu'une expérience enrichissante, bien sûr sous le contrôle des adultes formés pour cela."

En septembre 1998, Robert Beard, co-fondateur de yourDictionary.com, portail pour les langues, insiste sur le fait que "l'internet nous offrira tout le matériel pédagogique dont nous pouvons rêver, y compris des notes de lecture, exercices, tests, évaluations et exercices interactifs plus efficaces que par le passé parce que reposant davantage sur la notion de communication. Le web sera une encyclopédie du monde faite par le monde pour le monde. Il n'y aura plus d'informations ni de connaissances utiles qui ne soient pas diponibles, si bien que l'obstacle principal à la compréhension internationale et interpersonnelle et au développement personnel et institutionnel sera levé. Il faudrait une imagination plus débordante que la mienne pour prédire l'effet de ces développements sur l'humanité."

"Il va falloir inventer et organiser les nouveaux métiers de la formation (éditeur, médiateur, tuteur, évaluateur …) et les faire prendre en compte dans les institutions de formation", écrit en décembre 1999 Jacques Trahand, vice-président de l'Université Mendès France de Grenoble.

Quelles sont les perpectives en 2001?

Pierre Magnenat, responsable de la cellule "gestion et prospective" du centre informatique de l'Université de Lausanne: "L'usage de l'internet va encore s'intensifier, tout comme ses aspects intranet au sein de notre institution. En particulier, l'apparition des 'campus virtuels' proposant des enseignements à distance et/ou collaboratifs va bouleverser l'usage que l'on en fait jusqu'à maintenant, exigeant des bandes passantes considérablement plus grandes. La téléconférence, déjà mise en place par ATM (asynchronous transfer mode) entre les Universités de Lausanne et Genève, va également s'étendre, exigeant elle aussi des moyens considérables et très sécurisés (par exemple pour les diagnostics médicaux à distance, voire la téléchirurgie)."

Russon Wooldridge, professeur au département d'études françaises de l'Université de Toronto: "Il est crucial que ceux qui croient à la libre diffusion des connaissances veillent à ce que le savoir ne soit pas bouffé, pour être vendu, par les intérêts commerciaux. Ce qui se passe dans l'édition du livre en France, où on n'offre guère plus en librairie que des manuels scolaires ou pour concours (c'est ce qui s'est passé en linguistique, par exemple), doit être évité sur le web. Ce n'est pas vers les Amazon.com qu'on se tourne pour trouver la science désintéressée."

Christian Vandendorpe, professeur à l'Université d'Ottawa: "Il faut saluer la décision du MIT (Masachusetts Institute of Technology) de placer tout le contenu de ses cours sur le web d'ici dix ans, en le mettant gratuitement à la disposition de tous. Entre les tendances à la privatisation du savoir et celles du partage et de l'ouverture à tous, je crois en fin de compte que c'est cette dernière qui va l'emporter."

13. QUEL AVENIR POUR L'IMPRIME?

[Dans ce chapitre:]

[13.1. L'imprimé vu par les auteurs // 13.2. L'imprimé vu par les bibliothécaires-documentalistes // 13.3. L'imprimé vu par les éditeurs // 13.4. L'imprimé vu par les gestionnaires // 13.5. L'imprimé vu par les linguistes // 13.6. L'imprimé vu par les professeurs // 13.7. L'imprimé vu par les spécialistes du numérique]

Nous vivons une période transitoire, marquée par la généralisation des documents numériques et la numérisation à grande échelle des documents imprimés. Comme on le verra dans les lignes qui suivent, si les professionnels du livre reconnaissent tous les nombreuses qualités pratiques du numérique dans leur vie professionnelle, certains utilisent encore beaucoup leur imprimante et tout autant les documents imprimés. A titre personnel, pour des raisons aussi bien pratiques que sentimentales, pratiquement personne ne peut se passer du livre imprimé, et encore moins de ce matériau extraordinaire qu'est le papier. Reste à attendre quelques années, lorsque le papier électronique permettra de concilier dans un même support les avantages du numérique et le plaisir irremplaçable du papier.

13.1. L'imprimé vu par les auteurs

Alex Andrachmes, producteur audiovisuel, écrivain et explorateur d'hypertexte, utilise encore beaucoup de documents papier. "A l'heure actuelle, il semble que l'internet soit encore considéré majoritairement comme un outil de travail, ou au mieux, comme un outil de consultation de documentation, d'infos en ligne, ou de services (réservations, prix, achats en ligne). Pas encore de loisir proprement dit, à part pour une minorité d'addicts de jeux, de free TV, de téléchargements musicaux ou de… sexe virtuel… La principale raison à cet état de fait est technique. La majorité des équipements se trouve dans les bureaux, et les connexions permanentes (câble, ADSL…) sont loin d'être majoritaires. Ce détour pour constater que le meilleur outil de lecture reste le livre, qu'on peut emporter n'importe où. Dans ma pratique professionnelle, et celle de la plupart de mes correspondants dans les médias, toute la création de documents (projets, scénarios, contrats, devis…) passe par l'ordinateur, les textes circulent par e-mail et attachements, mais leur lecture et/ou analyse passe par les tirages papier. Rares sont ceux qui échangent directement les infos sans ce passage obligé. Il faut une tournure d'esprit particulière pour arriver à envisager globalement un document, l'analyser, le corriger, sans l'imprimer. Par mon activité web, je m'y exerce, et ce n'est au fond pas désagréable du tout."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Il n'est pas impossible que, si on assiste à une véritable généralisation de l'e-book, ou à travers les Psion, Palm, WAP, UMTS (universal mobile telecommunications system)… qui sait, le papier finisse par être détrôné. Mais dans l'état actuel, le papier ne me paraît pas mort. Les premiers qui auront à souffrir, me semble-t-il, ce sont les journaux. Puisque la fonction info et service est déjà très répandue sur le net, via les sites des journaux eux-mêmes. Les grands médias sont en train de s'embarquer dans ce train-là, voir les sites de TF1, Canal+, etc… Les autres (l'édition principalement) passeront encore longtemps par l'étape tirage papier… Mais il se passe quelque chose via les sites de webtertainment dont je parlais plus haut, des habitudes se prennent, surtout chez les jeunes. Et là, une initiative comme la nôtre pourrait participer à un changement de la donne. En effet, l'activité proprement mail est un phénomène sociologique incontestable qui s'explique par une certaine dépersonnalisation des contacts permettant aux jeunes d'oser dire plus facilement ce qu'ils ont à dire. Paradoxalement, le texte qu'ils ont écrit leur paraît être une personnalisation de leur discours, puisqu'il existe sous forme écrite. Enfin, les fonctions envoi et retour confirment l'existence de leur discours, puisqu'il est lu, et qu'on y répond. Dans ces échanges-là, le papier a déjà complètement disparu. L'exploration de ces formes de discours par nos personnages est donc en pointe. Et leur communication à un large public un réel enjeu."

Jean-Pierre Cloutier, auteur des Chroniques de Cybérie, chronique hebdomadaire des actualités de l'internet: "Disons que, dans mon cas, l'utilisation du support papier est plus sélective. Pour mes besoins, j'imprime parfois un document récupéré en ligne car le papier est une 'interface de lecture' des plus portables. Sans connexion, sans piles, sans attirail technique, on transporte le document où on veut, on l'annote, on le partage, on le donne, on le récupère, puis il peut prendre facilement le chemin du bac de recyclage. Côté des journaux et périodiques, j'en consomme moins qu'avant mon utilisation régulière d'internet (1991). Mais là encore, c'est sélectif. Le seul périodique que j'achète régulièrement est le mensuel Wired. Je n'ai jamais été abonné, je l'achète en kiosque, c'est comme voter avec son fric pour le changement. Pour ce qui est des livres, comme je suis en guerre perpétuelle avec le temps, j'ai peu l'occasion de lire. Au cours de mes vacances, cet été, j'ai acheté des livres de cyberlibraires et je les ai fait livrer poste restante au bureau de poste du village où j'étais. Entre trois à cinq jours pour la livraison, c'est génial."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Le cinéma n'a pas sonné la mort des spectacles sur scène et des arts d'interprétation, pas plus que la radio. La télévision n'a pas relégué aux oubliettes le cinéma, au contraire, elle a contribué à une plus grande diffusion des films. Même chose pour la vidéocassette. Les technologies se succèdent, puis cohabitent. Je crois qu'il en sera de même pour le papier. Il est certain que son rôle et ses utilisations seront modifiés, que certains contenus demeureront plus portables et conviviaux sur papier, il y aura des ajustements."

Luc Dall'Armellina, co-auteur et webmestre d'oVosite, espace d'écritures multimédias: "C'est toujours une question, une frustration, cette impossibilité du papier à entrer dans la machine! Les dispositifs d'annotation informatique sont pourtant loin d'égaler ceux, analogiques, de la lecture papier: post-it, pages cornées, notes en marge, photocopies commentées, agrandies, modifiées, partagées… que j'utilise - comme beaucoup - en nombre. Tous ces procédés sont des bricolages, les morceaux de papier pris sur des nappes au déjeuner, dans les pages 'notes' des agendas, mais ils sont la base d'un processus de mémorisation, d'appropriation personnelle. (Voir pour s'en convaincre la gestion archaïque des signets sur les deux navigateurs les plus modernes. Il faut aller voir des navigateurs de recherche comme Nestor de Romain Zeiliger pour voir pris en compte l'annotation comme processus cognitif et la représentation spatiale comme mode d'organisation des données complexes.) C'est là la question la moins bien prise en compte dans les dispositifs numériques où la mémoire prise en compte est celle de la machine et du logiciel, pas celle de nos cheminements intimes."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Les 'outils numériques' deviendront peut-être peu à peu les objets banals de notre quotidien ; en attendant ce(s) jour(s), la souplesse des usages du papier n'a pas encore son pareil, je crois. Les débuts des années 80 avaient annoncé la mort du support papier: son usage - et sa consommation - se sont vus multipliés. Le papier semble devoir être encore la surface-support de confort pour la lecture séquentielle, mais pour l'écriture numérique? On peut se poser la question, l'évolution lente mais inexorable des pratiques - et des outils d'écriture - entraîne forcément la lecture vers l'ailleurs des dispositifs interactifs. La tendance qui s'amorce sur le web - mais est-ce que cela dépassera le stade de tendance? - est la double écriture (et donc la double lecture ) proposée. De plus en plus de sites sont faits pour satisfaire une expérience interactive mais proposent aussi leurs contenus 'de fond' sous forme de fichiers Acrobat, donc mis en forme, designés pour l'impression individuelle sur papier. Une écriture interactive génère ses systèmes, dispositifs, mises en relation, en espaces, en interaction… et ses appareils de lecture. Les nouvelles oeuvres se lisent sur un micro-ordinateur - connecté ou non - pensons à la spécificité des Machines à écrire de Antoine Denize, de Puppet Motel de Laurie Anderson, de Ceremony of Innocence de Peter Gabriel/Nick Bantock. Mais on peut aussi penser - et espérer - que J.M.G. Le Clézio continuera de nous enchanter avec ses récits sur papier."

Pour Raymond Godefroy, écrivain-paysan, "le papier est un support qui va subsister encore très longtemps et qui garde certains avantages. Il est cependant gourmand en matière première, le bois. Les autres supports sont complémentaires, et présentent des avantages, surtout pour la circulation et la reproduction à longue distance."

Jean-Paul, webmestre du site des cotres furtifs, qui raconte des histoires en 3D: "Je lis autant d'imprimés qu'avant. La lecture sur écran s'y est rajoutée. D'où des problèmes de temps: ces machines qui sont censées travailler à notre place contribuent en fait à nous bouffer le temps libre qu'elles nous ont dégagé."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Ses jours sont encore longs avant que la lecture sur écran présente la même souplesse que celle d'un livre ou d'un magazine que l'on peut lire n'importe où, dans la position que l'on veut, et ranger, rouler, plier, déchirer facilement (allez envelopper les pelures de pomme de terre dans un 15 pouces!)."

Anne-Bénédicte Joly, écrivain qui auto-édite ses oeuvres: "Je dois avouer que le passage par l'écrit m'est encore nécessaire. Comme tout écrivain je conserve et souhaite conserver une relation privilégiée avec l'écrit, la plume, le crissement du stylo sur une feuille blanche. Par ailleurs, je note, je rature, je corrige, je développe… bref mes premières phases de création passent encore systématiquement par le papier avant la phase de saisie de mes textes. Par ailleurs, j'entretiens une relation sentimentale avec l'objet 'livre'."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Je pense que le support papier a encore beaucoup de beaux et longs jours devant lui. Ne serait-ce que pour des raisons de contacts affectifs avec l'objet livre, mais aussi de par la faible montée en puissance (actuelle) des solutions électroniques. Je pense que l'informatique est un moyen performant et totalement nécessaire pour fabriquer des livres mais je suis une fervente défenseur du plaisir de tenir un livre dans sa main, de l'emporter partout avec soi, de l'annoter, de le prêter, de le reprendre, de le feuilleter, de glisser page 38 mon marque-page préféré… J'aime cette relation privilégiée que le lecteur noue avec un livre. J'aime voir vivre l'objet… Pour toutes ces raisons, non seulement je pense que le livre a encore de beaux jours devant lui, mais au fond, je le souhaite de tout coeur!"

Naomi Lipson, écrivain multimédia, traductrice et peintre: "Mes yeux réclament le papier! Je suis une maniaque du mèl, que je lis sur écran, pour tout le reste, je garde un grand plaisir à lire sur papier. Un de mes éditeurs préférés, José Corti, publie des livres dont il faut encore ouvrir les pages au coupe-papier. Le plaisir qui en découle est pour moi immense, mais une page web bien mise en page, une graphie claire m'en procurent aussi. Je ne distingue pas les anciens et les nouveaux médias, pour moi, la beauté prime."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Mes yeux fragiles espèrent que le papier survivra, même si j'ai des doutes là-dessus… Il paraît que les nouveaux médias ne vont pas éradiquer les anciens, mais se superposer à eux. Ce sera une possibilité de plus, un choix. Dans ce cas-là, tant mieux."

Tim McKenna, écrivain et philosophe: "Le papier joue encore un rôle vital dans ma vie. Pour moi, la lecture est une question de fierté culturelle. J'ai des origines irlandaises. Pour paraphraser Thomas Cahil, en Irlande la spiritualité a toujours été étroitement liée à l'apprentissage de la lecture et de l'écriture. Ne pas pouvoir lire sur le papier me manquerait, et la lecture à l'écran est trop fatigante pour les yeux."

Xavier Malbreil, auteur multimédia: "Dans mon travail d'écriture traditionnelle, je me sers du papier comme d'une étape intermédiaire. En imprimant ce que j'ai tapé sur l'ordinateur, je visualise mieux (mets à distance) le premier jet, afin de mieux le retravailler. Puis retour sur écran, et re-impression sur papier, autant de fois qu'il le faut."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Il y a beaucoup de choses qui pourront se passer du papier, comme les annuaires, les guides, etc… Le livre-papier reste encore un objet désirable (oui, il faut mettre en avant ce concept d'avoir du désir pour un livre et toujours se poser la question 'depuis combien de temps n'ai-je pas eu du désir pour un livre?'). Par contre, ce qui a été créé pour et par ordinateur ne gagnera rien à être transféré sur papier. Il ne sert à rien d'opposer les deux médias. On élève toujours des chevaux, même si la voiture rend des services plus performants. Feuilleter un livre, c'est une impression physique, dans laquelle la performance n'a rien à voir. Explorer ludiquement un écran, c'est une joie également."

Blaise Rosnay, poète et webmestre du site du Club des poètes, utilise "le moins possible des documents papiers. En fait nous apprenons les poèmes par coeur et ce que nous aimons le mieux, c'est de transmettre la poésie dans sa tradition orale. Mais en vérité l'internet aussi nous paraît un peu vieillot. C'est d'un coeur à l'autre, en passant par les lèvres et l'oreille, que la poésie se propage à la vitesse de la pensée."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Cela n'a qu'une importance relative. On imprime beaucoup de bêtises sur du papier et le paysage de l'internet commence aussi à se dégrader sérieusement. Les marchands de papier (lisez 'éditeurs') laisseront-ils place au marchands d'électrons par internet interposé (lisez 'producteurs de contenus sur internet' (sic))? Peu nous importe. La poésie poursuit son voyage pour l'éternité."

Murray Suid, écrivain travaillant pour une société internet de logiciels éducatifs: "Nous utilisons très peu de papier. Nous faisons cependant quelques impressions, surtout pour les réunions au cours desquelles nous discutons des manuscrits. (…) Les livres sur support papier seront encore disponibles pendant quelque temps, parce que nous avons l'habitude de ce support. De nombreux lecteurs aiment le toucher du papier, et le poids du livre dans les mains ou dans un sac."

13.2. L'imprimé vu par les bibliothécaires-documentalistes

Emmanuel Barthe, documentaliste juridique: "Professionnellement, j'utilise encore beaucoup le papier, mais nettement moins les ouvrages que la presse et les sorties papier de documents, de textes officiels et de jurisprudence. Chez moi, j'ai un faible pour les beaux livres: livres d'art et éditions originales de recueils de poésie."

Le papier a-t-il encore de beaux jours devant lui? "Ce support a mieux que de beaux jours devant lui: il a un avenir. En effet, les avantages du papier sont insurpassables: la facilité et le confort de lecture, bien supérieurs aux possibilités des meilleurs écrans informatiques (21 pouces y compris); une visualisation tridimensionnelle des informations, qui entraîne une meilleure représentation mentale des informations. Celles-ci sont alors plus faciles à comprendre et à manipuler. Pour bien me faire comprendre, je vais prendre l'exemple suivant que je connais par coeur: un juriste travaille couramment avec quatre ouvrages ouverts sur sa table et consultés en même temps ou immédiatement l'un après l'autre: un code (recueil de textes officiels annotés), une revue juridique, un recueil de jurisprudence et une encyclopédie juridique. Imaginons qu'il possède la version électronique de chacune de ces publications ou leur réunion (ça existe). Afin de ne pas compliquer la démonstration, je laisse de côté le fait que notre professionnel du droit doit aussi avoir sous les yeux le dossier de son client et la consultation ou la plaidoirie qu'il doit rédiger pour lui. Sur écran, passer d'un ouvrage ou d'un document à l'autre impose à notre juriste pressé de perdre de vue l'ouvrage ou le document précédent, sauf écran 21 pouces (prix de départ: 5.500 FF HT, le prix d'un PC de base). L'écran d'ordinateur, aussi grand soit-il, ne peut afficher, dans le meilleur des cas, que deux pages A4 et ne permet pas de feuilleter le ou les ouvrages électroniques. Autant dire que le juriste, même partisan de l'informatisation, a bien du mal à se repérer dans un monde d'une surface de 21 pouces et sans profondeur. Alors qu'avec le papier: il a à sa disposition la possibilité de feuilleter rapidement le contenu des ouvrages quand (ce qui est fréquent) il ne sait pas encore exactement ce qu'il cherche; il visualise les informations en trois dimensions partout dans son bureau, donc dans un espace d'environ 10 m2 de surface et 2 m de haut, ce qui est infiniment plus vaste que les 21 pouces maximum sans épaisseur de son écran ; ça ne tombe jamais en panne!"

Bakayoko Bourahima, documentaliste à l'ENSEA (Ecole nationale supérieure de statistique et d'économie appliquée) d'Abidjan: "Nous utilisons encore beaucoup de papier dans l'administration et notre fonds documentaire est exclusivement 'papier'. Nous comptons bien y intégrer des supports multimédias, dès que les moyens nous le permettront. Le service informatique pense déjà à une numérisation partielle du fonds documentaire, mais bon, le problème ici c'est que les idées vont nettement plus vite que les moyens."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Pour ce qui est de l'Afrique en général, je pense que le papier a encore de beaux jours devant lui. Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à voir le développement très marginal du multimédia surtout dans les institutions productrices de papier (les administrations) et dans les institutions où, comme on dit ici, on 'fait papier' (les écoles). Par ailleurs, il faut compter aussi avec la lente évolution des usages. Je me rappelle que, pour les travaux de rédaction de ma thèse, après avoir stocké un certain nombre d'articles en ligne sur mon ordinateur, j'ai jugé plus pratique pour moi de les imprimer intégralement pour pouvoir les exploiter. J'ai donc eu l'impression de mieux bosser en grattant du papier, habitude oblige."

Olivier Bogros, créateur de la Bibliothèque électronique de Lisieux: "Je ne crois pas à la mort annoncée du papier. Je l'utilise encore beaucoup sous toutes ses formes. Mais, au contraire de beaucoup, mon rapport à l'informatique n'a pas entraîné une augmentation de ma consommation de papier, bien au contraire. Je suis dans ce domaine plutôt adepte du zéro papier."

Pierre Le Loarer, directeur du centre de documentation de l'Institut d'études politiques de Grenoble, utilise beaucoup l'imprimé, "et également beaucoup l'écran". Il pense que le papier "a encore de beaux jours devant lui, même si le support électronique va continuer à beaucoup se développer et se diversifier."

Anissa Rachef, bibliothécaire à l'Institut français de Londres: "Le papier est encore présent dans la médiathèque. Cependant l'introduction de documents électroniques, tels que le CD-Rom du Monde par exemple, a permis une épuration de la collection papier."

Peter Raggett, directeur du centre de documentation de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques): "Nous fournissons toujours des photocopies d'articles de périodiques, un peu moins cependant que par le passé parce que le texte intégral de nombreux articles est maintenant disponible sur l'internet en format PDF. En revanche le prêt des monographies en version imprimée n'a pas diminué depuis que l'OCDE utilise l'internet."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Je pense que le papier aura toujours sa place, et ce malgré l'arrivée du livre numérique. Mais, quand les gens s'y seront accoutumés, l'utilisation du papier décroîtra."

13.3. L'imprimé vu par les éditeurs

Nicolas Ancion, écrivain et responsable éditorial de Luc Pire électronique: "Je suis un télétravailleur. J'habite Madrid et les éditions Luc Pire sont à Bruxelles et Liège, en Belgique. En huit mois, j'ai reçu deux plis postaux relatifs à mon travail et je suis resté plus de six mois sans imprimante. En dehors des contrats, tout se passe sur l'écran. Pour mon travail, c'est donc très clair, 99% de l'information passe par des fichiers informatiques sans gaspiller de papier. En tant qu'auteur, je continue à rédiger majoritairement à la main, au stylo sur papier. Je ne tape le texte que dans une seconde étape sur mon ordinateur. En réalité, même si je publie sur le web depuis 1998, je continue à travailler comme au 19e siècle pour mon écriture. Tout à la main dans des petits cahiers d'écolier. Sauf pour mes deux romans-feuilletons, précisément. J'ai décidé de changer mon mode d'écriture pour ces deux textes et je les écris directement à l'écran, comme ils seront lus, semaine après semaine. C'est un défi, une contrainte que je me suis posée volontairement. Pour voir si ça change quelque chose et pour répondre en détail à cette question souvent posée aux auteurs: est-ce que vous écrivez à la main ou à la machine? En tant que lecteur, bien que je lise presque exclusivement les journaux en ligne, de même que les critiques littéraires et cinématographiques, je ne peux pour autant me passer de la littérature imprimée. J'ai toujours de bon vieux romans jaunis sur ma table de nuit et dans mon sac, où que j'aille. Dans le train, le métro, je lis. De laids bouquins de poche, dont le papier ne sent pas bon et dont les couvertures sont écornées, mais qui sont légers, résistants et fourrables dans n'importe quel bagage."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Je crois qu'il est fort imbécile de penser que l'arrivée du numérique va tuer le papier. Comme si l'arrivée de la radio avait tué la presse écrite, ou la télévision le cinéma. C'est une opinion tellement stupide que beaucoup de gens la partagent. Pour ma part, je crois que l'arrivée du numérique grand public offre une panoplie de nouveaux supports pour les contenus. Qu'elle ouvre de nombreuses possibilités pour imaginer de nouveaux types de créations et de produits culturels. J'aime beaucoup le papier, j'adore les livres: ils m'accompagnent depuis toujours, que ce soient des bandes dessinées, des romans, des dictionnaires. Je pense qu'ils continueront à être présents pendant très longtemps. Mais qu'à leurs côtés apparaîtront de nouveaux formats. Le roman, tel que nous le connaissons, correspond très précisément à des contraintes techniques d'impression et de reliure; si l'on change les supports, on provoque l'apparition de nouvelles formes. La plupart des musiciens ont dû réinventer la composition de leurs albums suite à l'arrivée du CD qui ajoute vingt minutes au format 33 tours. Je me réjouis de lire ce qu'il y aura à lire dans dix ans. Mais j'aurai toujours un Dumas ou un Michaux sur ma table de nuit."

Pierre-Noël Favennec, directeur de collection et expert à la direction scientifique de France Télécom R&D: "Le papier est de plus en plus utilisé. Personnellement je suis de plus en plus inondé de paperasses. Avec l'e-mail, les collègues n'hésitent plus à envoyer de gros fichiers qu'il faut ensuite imprimer pour lecture. La lecture est plus agréable sur papier. Les fichiers reçus peuvent n'être que des projets et on peut recevoir 'n' épreuves successives que l'on imprime nécessairement. On imprime les mèls pour les lire tranquillement plus tard ou parce que c'est plus agréable de les lire sur papier. Etc. Il y a beaucoup de raisons pour utiliser toujours plus de papier."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Les livres 'd'études', comme ceux de notre collection, ont une durée de vie longue et ne seront pas remplacés par un e-book, sauf si ce livre n'est utilisé que pour une étude particulière et pour un temps court (quelques semaines). Les livres à durée de vie courte tels que les romans, journaux, magazines peuvent effectivement être un jour remplacés par des e-books. Les livres scolaires pourront être (seront) sur e-book. Les encyclopédies volumineuses dont la consultation n'est qu'épisodique seront sur le web."

Olivier Gainon, fondateur de CyLibris, maison d'édition littéraire en ligne, utilise encore beaucoup l'imprimé, "pour lire des documents, des textes, etc. Cela dit, je lis de plus en plus sur écran, mais dans un cadre professionnel (par exemple les lettres d'information auxquelles je suis abonné, etc.), dès que l'on parle de lecture-plaisir (roman, détente, etc.), je ne lis pas sur écran, j'imprime (si ce n'est pas déjà le cas), et je lis sur papier. Je me rends également compte que j'ai du mal à lire sur écran un document long et complexe. Bref, je lis des informations brèves et ponctuelles, mais pas véritablement des dossiers complexes."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Tout dépend de quoi l'on parle. Le papier comme support simple de document écrit est un peu limité: texte et image simplement / pas d'évolution en temps réel / reproduction complexe / etc. L'électronique offre beaucoup plus d'avantages. En revanche, sur les aspects plus 'pratiques' ('la valeur d'usage'), le papier reste aujourd'hui imbattable: peu cher, léger, on peut le plier, le déchirer, le tordre, le laisser tomber, il peut en plus être physiquement agréable, esthétiquement beau, etc. Sans même parler du confort de lecture qui, pour moi aujourd'hui, donne un grand avantage au papier… Bref, tout cela pour dire que je pense que le papier va décroître dans son utilisation à terme - mais que ce sera un processus long, et plutôt une question de génération, quand nos enfants n'auront plus la même relation que nous pouvons avoir avec le papier…"

Jacky Minier, créateur de Diamedit, site de promotion d'inédits artistiques et littéraires lit toujours beaucoup de documents imprimés. "La lecture directe à l'écran est encore assez vite fatigante pour de nombreuses paires d'yeux, même avec l'amélioration des capacités d'affichage des moniteurs et les lissages de polices d'écran. Et puis, pour un roman par exemple, rien n'en vaut la lecture dans un bon fauteuil au coin de sa cheminée…"

Les jours du papier sont-ils comptés? "Le livre papier a encore de beaux jours devant lui. Mais l'accès par le net à toutes ces offres inédites est une nouvelle richesse, inimaginable il y a quelques années, tant pour les lecteurs que pour les auteurs. Ça permet de sélectionner beaucoup plus tranquillement que dans une librairie (à condition que l'oeuvre y soit éditée) et surtout d'accéder à des ouvrages qui n'auraient jamais été publiés autrement. Selon moi, le papier n'est pas l'ennemi du net en matière de littérature. Il en est le prolongement et l'aboutissement. En fait, le net peut être considéré comme un formidable moyen de promotion et de relance de la lecture, par les découvertes qu'il permet de faire. Mais c'est maintenant l'internaute lui-même qui décide de ce qu'il veut lire. Il choisit, il imprime, et il lit tranquillement dans son fauteuil au coin de sa cheminée…"

Nicolas Pewny, créateur des éditions du Choucas: "Nous utilisons le papier bien sûr. Le livre papier, lorsque l'impression avec les techniques modernes sera meilleur marché, devrait devenir l'allié du livre électronique."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Cela dépend de quel domaine il s'agit. Je pense que le temps des dictionnaires et encyclopédies et autres ouvages de références techniques et scientifiques 'papier' est compté. Pour les romans ou les beaux livres, cela dépend de l'évolution des deux supports."

François Vadrot, PDG de FTPress, société de cyberpresse, utilise toujours autant l'imprimé. "Ça n'a pas changé: j'imprime souvent nos propres publications pour les lire dans les transports en commun. Je n'ai pas beaucoup le temps de lire, hormis des romans. Le papier a encore de l'avenir, il y aura toujours du papier, ou si ce n'est pas le papier (matériau) que l'on connaît, ce sera un support souple, léger et fin comme lui (pour dans dix ans en principe)."

13.4. L'imprimé vu par les gestionnaires

Patrice Cailleaud, directeur de communication de HandiCaPZéro, précise: "L'essentiel de l'activité de HandiCaPZéro aujourd'hui reste l'impression de documents papier braille et caractères agrandis. La majorité du public auquel s'adresse l'association n'est pas encore internaute."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Non, au contraire. L'internet dope les ventes de livres, comme celles des disques, quoiqu'en disent les éditeurs regroupés en association de défense de leurs intérêts. Par ailleurs, les imprimantes des micro-ordinateurs, classiques ou braille, n'ont jamais été autant sollicitées depuis l'accès au web."

Gérard Jean-François, directeur du centre de ressources informatiques de l'Université de Caen: "Pour mon activité professionnelle, j'utilise encore le papier pour travailler hors de mon bureau, de même que pour des livres autres que techniques. En effet, si des documents techniques (qui sont des bases de données) sont facilement consultables sous forme électronique, il n'en est pas de même pour des ouvrages de fond. Au sujet de la presse, il est hors de question de la supprimer pour la lecture, mais pour l'archivage oui." Le papier a-t-il encore de beaux jours devant lui? "La réponse est oui mais les usages changeront."

Pierre Magnenat, responsable de la cellule "gestion et prospective" du centre informatique de l'Université de Lausanne, utilise-t-il encore beaucoup l'imprimé? "Oui, hélas. Nous continuons à devoir imprimer beaucoup de choses, ne serait-ce que pour des raisons administratives. Par contre, pour tout ce qui est information, je ne la prends plus que sur internet."

Jacques Pataillot, conseiller en management chez Cap Gemini Erst & Young, n'utilise pratiquement plus de de documents imprimés. "Pratiquement rien en interne pour la gestion, tout est fait à travers l'internet et/ou Lotus notes. Liaison internet également avec les clients pour les offres commerciales, les documents de projets, les mémos… Seuls les contrats restent sur papier. Je reçois peu de courrier extérieur sur papier (qui est d'ailleurs le signe d'un contenu probablement peu intéressant!). Je lis la presse à travers les bases de données. Bien sûr, les journaux au petit déjeuner restent nécessaires! Quant aux livres, c'est vrai, je les utilise toujours."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Dans ce contexte, dans mon métier de consulting, les jours du papier sont comptés. Par contre, dans ma vie personnelle, si j'utilise le courrier électronique pour la correspondance, les livres ne sont pas détrônés, ou en tout cas ils sont moins affectés."

13.5. L'imprimé vu par les linguistes

Guy Antoine, créateur du site Windows on Haiti, site de référence sur la culture haïtienne, utilise les documents papier "aussi peu que possible, mais cela représente encore beaucoup de papier. Si je vois un document que je souhaite conserver en tant que document de référence, je l'imprime systématiquement et je le catalogue. Il peut ne pas être disponible quand je suis en déplacement. Mais quand je suis dans mon bureau à la maison, j'aime savoir que je peux y avoir accès d'une manière physique, sans devoir me fier seulement à une sauvegarde électronique, au bon fonctionnement du système d'exploitation, et à mon fournisseur d'accès internet. De ce fait, pour ce que je considère utile de conserver, les documents sont souvent en double exemplaire, imprimé et numérique. Le papier joue donc encore un rôle important dans ma vie."

Alain Clavet, analyste de politiques au Commissariat aux langues officielles du Canada, utilise l'imprimé "un peu moins qu'avant d'être connecté à internet". Il pense que "le papier continuera d'avoir un rôle complémentaire".

Philippe Loubière, traducteur littéraire et dramatique: "J'utilise beaucoup le support papier car, quoique j'écrive la plupart du temps sur ordinateur, j'ai besoin d'imprimer pour me relire. Je lis les journaux. Je suis très attaché au livre comme objet et comme support de connaissance. Et en tout cas je fais partie de la chaîne qui les édite."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Je pense que le papier a encore de très beaux jours devant soi. Mais il va resserrer une partie de sa gamme, naturellement, c'est-à-dire la recentrer. Je suis ravi que l'on économise ainsi la vie de milliers d'arbres, pour que certaines données d'intérêt variable ou à rotation rapide soient déviées sur les divers supports numériques. Par ailleurs, les journaux (non nécessairement les quotidiens) restent un moyen dit d''information' plus digne de foi que la presse audio-visuelle: leur lecture est le moyen d'essayer de s'informer le moins passif, celui qui permet la meilleure distanciation par rapport à l'information (on se fait moins piéger par le matraquage télé). Il y a ensuite plus de diversité dans les titres, dans les opinions, et surtout il y a des journaux spécialisés (c'est même le seul moyen d'information susceptible d'être spécialisé). Le livre, enfin, me paraît aujourd'hui le lieu idéal de refuge des valeurs de l'esprit, celles qui ne sont pas frappées d'obsolescence par le progrès technique ou par les modes. Bref, le papier, c'est la lecture, et c'est la lecture libre."

Zina Tucsnak, ingénieur d'études en informatique à l'ATILF (Analyse et traitements informatiques du lexique français), n'utilise plus de documents papier. "Les dictionnaires électroniques et autres e-books révolutionnent l'accès à la culture. En quelques clics, l'utilisateur peut trouver l'information recherchée."

Steven Krauwer, coordinateur d'ELSNET (European Network of Excellence in Human Language Technologies): "J'utilise le papier en grande quantité. J'imprime tous les documents importants, parce qu'ils sont beaucoup plus faciles à consulter de cette façon (plus faciles à parcourir, et jamais de batterie en panne). Je ne pense pas que ceci change avant longtemps."

13.6. L'imprimé vu par les professeurs

Jean-Pierre Balpe, directeur du département hypermédias de l'Université Paris 8, utilise-t-il encore l'imprimé? "Comme je voyage beaucoup, il m'arrive aussi de lire un peu de tout mais personnellement, je ne l'utilise guère dans mon travail personnel, j'ai vraiment l'habitude de tout faire sur écran…"

Richard Chotin, professeur à l'ESA (Ecole supérieure des affaires) de Lille, lit encore beaucoup de documents imprimés. "Je lis environ cinq à six journaux (quotidiens et hebdomadaires), deux à trois livres papier par mois, et environ 3 à 4.000 photocopies par an."

Emilie Devriendt, élève professeur à l'Ecole normale supérieure de Paris, utilise encore beaucoup l'imprimé. "Je suis loin de penser que le numérique doive ou puisse remplacer le papier, tout au moins dans l'état actuel des technologies liées à internet, écrit-elle. On a beau parler d'une 'ère de l'immatériel', d'une 'virtualisation' du réel etc., je reste persuadée que la trace écrite telle que le papier nous en permet la perception et la conservation (relative si l'on veut, mais fortement historicisée), n'a pas diminué, et n'est pas en passe de se voir remplacée par des séquences invisibles de 0 et de 1. La pérennité du support numérique me semble bien plus problématique que celle du papier: en termes techniques (et économiques) d'une part, en termes de politiques de conservation d'autre part. Par exemple, l'institution d'un dépôt légal sur le web pose d'immenses problèmes (concernant la quantité comme la nature des publications)."

Patrick Rebollar, professeur de littérature française dans des universités japonaises, à Tokyo et Nagoya, utilise l'imprimé autant qu'avant. "Mais je n'imprime pas beaucoup à partir de mon ordinateur, sauf pour des préparations de cours à distribuer aux étudiants."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Je ne vois pas de problème pour les 'jours du papier' dans l'avenir, alors que justement, il faudrait en diminuer la consommation. Je crains d'ailleurs que bien des gens n'impriment tout et n'importe quoi avec leur ordinateur, consommant ainsi bien plus de papier qu'ils ne le faisaient avant."

Christian Vandendorpe est professeur à l'Université d'Ottawa et spécialiste des théories de la lecture. Comment voit-il l'avenir de l'imprimé? "Le papier est un support remarquable: léger, économique, polyvalent, et dont les diverses textures en appellent non seulement au sens de la vue, mais aussi au toucher et à l'odorat. Il a encore de beaux jours devant lui, surtout pour les ouvrages de luxe ou de prestige et que l'on voudra pouvoir manipuler et conserver pour leur valeur en tant qu'objets. Le papier va aussi rester comme support pour des textes d'une certaine ampleur que l'on voudra pouvoir lire à loisir. L'impression sur demande va répondre à cette demande. En même temps, les textes destinés à la lecture courante vont de plus en plus être appréhendés sur des supports numériques. C'est déjà le cas pour le courrier électronique et les activités de lecture sur le web. Mais l'ordinateur n'est pas un support idéal pour la lecture, en raison de la position qu'il impose au lecteur. En outre, la technologie de l'hypertexte encourage une lecture ergative, tournée vers l'action et la recherche de réponses brèves et rapides plutôt que vers la lecture de fiction ou d'essais."

Russon Wooldridge, professeur au département d'études françaises de l'Université de Toronto: "J'imprime de moins en moins. Alors qu'il y a trois ans je distribuais encore beaucoup de papier à mes étudiants, depuis quelque temps je mets tout sur le web et c'est à eux d'imprimer, s'ils le souhaitent! Je n'envoie plus de papier à mes correspondants; je leur écris par courriel et, si j'ai un document à leur transmettre, je l'envoie en fichier attaché en format HTML. Je n'écris plus pour le papier mais uniquement pour le web. Je prends toujours plaisir, quand même, à lire un roman relié ou un journal sur papier, bien que je consulte régulièrement la presse en ligne."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Dangereux de jouer aux prophètes! Le sort de l'imprimé dépendra peut-être plus de facteurs écolo-économiques que de facteurs humains ou sociaux. Que peut faire en général le goût ou l'habitude face aux forces économiques? On peut constater que le coût du papier va en augmentant, que le nombre d'arbres va en diminuant, que la pollution croît tous les jours, qu'un ordinateur utilise de moins en moins d'électricité avec chaque nouveau modèle. La fabrication du papier est-elle, sera-t-elle, plus ou moins polluante et consommatrice de sources naturelles que la fabrication de l'électricité?"

13.7. L'imprimé vu par les spécialistes du numérique

Denis Zwirn, PDG de Numilog, librairie en ligne de livres numériques: "Numilog en tant qu'entreprise utilise encore beaucoup le papier dans la mesure où nous scannons de nombreux livres pour les numériser, mais il s'agit là d'une activité ayant pour but de faire disparaître la nécessité du papier! A titre personnel, j'utilise encore beaucoup le papier dans la mesure où de nombreux documents ne sont pas encore disponibles sous forme numérique, la presse hebdomadaire notamment… et les livres, puisque le volume de titres disponibles à ce jour en format de lecture à l'écran est ridicule par rapport aux quelques 600.000 titres existant en français. Pour écrire et envoyer du courrier ou des documents, par contre, j'utilise très peu le papier: le couple traitement de texte / courrier électronique en a fait disparaître quasiment totalement l'utilité."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Je pense sincèrement que l'usage du papier devrait fortement régresser dans les dix à quinze ans qui viennent, grâce à toutes les techniques de rédaction, de lecture, et de communication numérique. Et cela aura un impact positif sur les forêts! Cela ne signifie pas qu'il disparaîtra, notamment si on parvient à réaliser des hybrides papier / numérique, grâce à des techniques telles que l'encre électronique. Mais il se peut dans ce cas qu'il soit concurrencé par d'autres types de matières souples présentant des qualités de robustesse et d'agrément tactile équivalente ou supérieure."

Olivier Pujol, PDG de la société Cytale et promoteur du Cybook, livre électronique: "Les jours du papier ne sont pas comptés. Le support papier est parfaitement adapté à certains usages: la lecture numérique sur ordinateur n'est pas pratique, et ce pour de nombreuses raisons. Elle ne s'est d'ailleurs pas développée du tout depuis dix ans. Par ailleurs, le papier n'est pas seulement un support 'obligé'. C'est également un matériau noble, agréable, avec des qualités propres (toucher, odeur, flexibilité) qui font que son usage n'est en rien menacé (il s'impose même parfois dans des secteurs inattendus comme la confection!). Le livre électronique, permettant la lecture numérique, ne concurrence pas le papier. C'est un complément de lecture, qui ouvre de nouvelles perspectives pour la diffusion de l'écrit et des oeuvres mêlant le mot et d'autres médias (image, son, image animée…). Les projections montrent une stabilité de l'usage du papier pour la lecture, mais une croissance de l'industrie de l'édition, tirée par la lecture numérique, et le livre électronique (de la même façon que la musique numérique a permis aux mélomanes d'accéder plus facilement à la musique, la lecture numérique supprime, pour les jeunes générations commme pour les autres, beaucoup de freins à l'accès à l'écrit)."

Pierre Schweitzer, concepteur d'@folio, support numérique de lecture nomade, utilise-t-il encore beaucoup de documents imprimés? "Oui, encore trop. J'ai renoncé au papier de mon agenda depuis le début de l'année (2001). Ça ne se passe pas trop mal. L'organiseur de poche est un substitut du papier pour ce qu'il y a de plus primitif dans l'écriture: tenir des listes. Efficace. Jack Goody m'a fait voir ça cet été dans La raison graphique (éditions de Minuit, 1978, ndlr), un bouquin écrit à la fin des années 70! Et puis j'aime bien emprunter mes livres en bibliothèque. Ça consomme aussi moins de papier! J'y lis volontiers mes livres: les salles de lecture, leur silence, leur lumière sont des havres de sérénité dans la fureur des villes. Avec le web et internet, le pronostic sur la consommation de papier est incertain. D'un côté, la logique du réseau et la dématérialisation des supports, e-mail, documents à jour exclusivement en ligne, leur accessibilité à distance, le déclin de la paperasse, etc. Mais d'un autre côté, il y a le besoin trivial d'imprimer pour lire. Parce que la lecture s'accomode assez mal du nez collé sur un tube cathodique. Avec ou sans papier, l'évolution de la lecture est une chose remarquable avec internet. Même les radios et les télés qui s'installent sur le web donnent des contenus à lire et des espaces pour écrire. L'air de rien, c'est une sacrée innovation."

Les jours du papier sont-ils comptés? "Fabriquer une encyclopédie nécessitait, il y a peu, des dizaines de kilos de papier, des kilos d'encre. Aujourd'hui, ça tient sur une galette optique de 15 grammes et coûte environ 10 fois moins cher que l''ancien modèle' en papier. Un stick de mémoire flash (pour la photo numérique, du MP3 ou @folio) pèse 2 grammes et contient aujourd'hui jusqu'à 120 millions de caractères, l'équivalent de 5 volumes Petit Robert, soit 10 kilos de papier environ… et contrairement au papier, le stick est réinscriptible à l'infini, c'est mieux qu'un palimpseste ;-) Mais il y a plus de papier dans le secteur de l'emballage que dans celui de l'édition (journaux, livres) et le développement du e-commerce ne réduira pas les besoins d'emballage. L'atelier Design de l'Ecole d'architecture de Strasbourg a produit l'an dernier un superbe projet de mobilier urbain, un totem à l'échelle du quartier, hors gel, qui fonctionne comme une poste automatique, ouverte 7 jours/7 et 24 heures/24, où l'on vient retirer ses paquets, muni d'un code d'accès envoyé par e-mail."

14. LA MULTIPLICITE DES LANGUES: BARRIERE OU RICHESSE?

[Dans ce chapitre:]

[14.1. D'anglophone, l'internet est devenu multilingue // 14.2. Les impératifs sont d'abord économiques // 14.3. L'anglais reste "la" langue internationale d'échange // 14.4. Qu'en est-il du français? // 14.5. Communication et échanges culturels // 14.6. Le réseau au service des langues minoritaires // 14.7. Des outils pour passer d'une langue à l'autre]

14.1. D'anglophone, l'internet est devenu multilingue

A l'origine, les ordinateurs ne pouvaient "lire" que des systèmes d'écriture pouvant être traduits en ASCII (American standard code for information interchange), un standard minimal de 128 caractères alphanumériques utilisé pour les échanges d'information. Binaire, le code ASCII de chaque lettre est composé de sept bits (A=1000001, B=1000010, etc.). L'ASCII permet uniquement la lecture de l'anglais, à savoir 26 lettres sans accent, auxquelles s'ajoutent les signes de ponctuation, les symboles techniques, etc. Ce système de codage ne peut donc pas reconnaître les lettres avec accents présentes dans bon nombre de langues européennes, et à plus forte raison les systèmes non alphabétiques (chinois, japonais, coréen, etc.).

Ceci ne pose pas de problème majeur tant que l'internet, anglophone à plus de 90%, est utilisé essentiellement en Amérique du Nord. "L'internet a vraiment décollé aux Etats-Unis à cause d'un concept révolutionnaire: une langue unique - l'anglais, explique Jacques Gauchey, journaliste dans la Silicon Valley. Le mouvement 'politically correct' pour l'enseignement obligatoire multi-linguistique dans les écoles américaines et le respect des différentes sous-cultures est un désastre pour l'avenir de ce pays (comme il l'est déjà en Europe). Aux individus de décider, chez eux, s'ils veulent apprendre une autre langue." C'est aussi l'avis de Jacques Pataillot, conseiller en management à Paris chez Cap Gemini Ernst & Young: "Peu de chances, à mon avis, de voir un internet multilingue. Malheureusement le poids de l'anglais est trop fort, et la duplication des textes/informations n'est pas réaliste."

Mais les temps ont changé, et désormais moins de la moitié des internautes habite l'Amérique du Nord. Selon les statistiques de Global Reach (été 2001), le pourcentage d'internautes non anglophones est de 52,5% (47,5% pour les anglophones) et continue régulièrement d'augmenter. Le pourcentage des Européens non anglophones est de 28,9%, et celui des Asiatiques de 23,5%. Si les anglophones d'Amérique du Nord restent le plus important groupe linguistique, leur nombre est désormais inférieur à celui des internautes européens et asiatiques, dont le nombre a été multiplié par sept depuis 1993.

Le multilinguisme devient donc essentiel. "Il est très important de pouvoir communiquer en différentes langues", s'exclame Maria Victoria Marinetti, mexicaine, professeur d'espagnol dans des entreprises françaises et traductrice. "Je dirais même que c'est obligatoire, car l'information donnée sur le net est à destination du monde entier, alors pourquoi ne l'aurions-nous pas dans notre propre langue ou dans la langue que nous souhaitons lire? Information mondiale, mais pas de vaste choix dans les langues, ce serait contradictoire, pas vrai?"

De l'avis de Guy Bertrand et Cynthia Delisle, du CEVEIL (Centre québécois d'expertise et de veille inforoutes et langues, Québec), "le multilinguisme sur internet est la conséquence logique et naturelle de la diversité des populations humaines. Dans la mesure où le web a d'abord été développé et utilisé aux Etats-Unis, il n'est guère étonnant que ce médium ait commencé par être essentiellement anglophone (et le demeure actuellement). Toutefois, cette situation commence à se modifier (en mars 2000, ndlr) et le mouvement ira en s'amplifiant, à la fois parce que la plupart des nouveaux usagers du réseau n'auront pas l'anglais comme langue maternelle et parce que les communautés déjà présentes sur le web accepteront de moins en moins la 'dictature' de la langue anglaise et voudront exploiter internet dans leur propre langue, au moins partiellement. (…) L'arrivée de langues autres que l'anglais sur internet, si elle constitue un juste rééquilibre et un enrichissement indéniable, renforce évidemment le besoin d'outils de traitement linguistique aptes à gérer efficacement cette situation, d'où la nécessité de poursuivre les travaux de recherche et les activités de veille dans des secteurs comme la traduction automatique, la normalisation, le repérage de l'information, la condensation automatique (résumés), etc."

Solution provisoire, les alphabets européens commencent d'abord par être représentés par des versions étendues de l'ASCII codées non plus sur sept mais sur huit bits, afin de prendre en compte les caractères accentués. L'extension pour le français est la norme ISO-Latin-1. Mais le passage de l'ASCII à l'ASCII étendu devient vite un véritable casse-tête, y compris au sein de l'Union européenne, les problèmes étant entre autres la multiplication des systèmes d'encodage pour un ordinateur ou un serveur, la corruption des données dans les étapes transitoires, l'incompatibilité des systèmes entre eux, les pages ne pouvant être affichées que dans une seule langue à la fois, etc.

Une solution pourrait être l'Unicode. Apparu en 1998, ce système de codage traduit chaque caractère en 16 bits, lisible quels que soient la plate-forme, le logiciel et la langue utilisés. Alors que l'ASCII étendu à 8 bits pouvait prendre en compte un maximum de 256 caractères, l'Unicode peut prendre en compte plus de 65.000 caractères uniques, et donc traiter informatiquement tous les systèmes d'écriture de la planète. Il permet aussi la transmission de caractères par des logiciels de diverses provenances.

Mais, même avec l'Unicode, les problèmes restent nombreux, comme le souligne Luc Dall'Armellina, co-auteur et webmestre d'oVosite, espace d'écritures multimédias: "Les systèmes d'exploitation se dotent peu à peu des kits de langues et bientôt peut-être de polices de caractères Unicode à même de représenter toutes les langues du monde; reste que chaque application, du traitement de texte au navigateur web, emboîte ce pas. Les difficultés sont immenses: notre clavier avec ses ± 250 touches avoue ses manques dès lors qu'il faille saisir des Katakana ou Hiragana japonais, pire encore avec la langue chinoise. La grande variété des systèmes d'écritures de par le monde et le nombre de leurs signes font barrage. Mais les écueils culturels ne sont pas moins importants, liés aux codes et modalités de représentation propres à chaque culture ou ethnie. L'anglais s'impose sans doute parce qu'il est devenu la langue commerciale d'échange généralisée; il semble important que toutes les langues puissent continuer à être représentées parce que chacune d'elle est porteuse d'une vision 'singulière' du monde."

Selon Patrick Rebollar, professeur de littérature française au Japon, "il s'agit d'abord d'un problème logiciel. Comme on le voit avec Netscape ou Internet Explorer, la possibilité d'affichage multilingue existe. La compatibilité entre ces logiciels et les autres (de la suite Office de Microsoft, par exemple) n'est cependant pas acquise. L'adoption de la table Unicode devrait résoudre une grande partie des problèmes, mais il faut pour cela réécrire la plupart des logiciels, ce à quoi les producteurs de logiciels rechignent du fait de la dépense, pour une rentabilité qui n'est pas évidente car ces logiciels entièrement multilingues intéressent moins de clients que les logiciels de navigation."

Que préconise Olivier Gainon, créateur de CyLibris, maison d'édition littéraire en ligne? "Première étape: le respect des particularismes au niveau technique. Il faut que le réseau respecte les lettres accentuées, les lettres spécifiques, etc. Je crois très important que les futurs protocoles de transmission permettent une transmission parfaite de ces aspects - ce qui n'est pas forcément simple (dans les futures évolutions de l'HTML, ou des protocoles IP, etc.). Donc, il faut que chacun puisse se sentir à l'aise avec l'internet et que ce ne soit pas simplement réservé à des (plus ou moins) anglophones. Il est anormal aujourd'hui que la transmission d'accents puisse poser problème dans les courriers électroniques. La première démarche me semble donc une démarche technique. Si on arrive à faire cela, le reste en découle: la représentation des langues se fera en fonction du nombre de connectés, et il faudra envisager à terme des moteurs de recherche multilingues."

De l'avis d'Emmanuel Barthe, documentaliste juridique, "des signes récents laissent penser qu'il suffit de laisser les langues telles qu'elles sont actuellement sur le web. En effet les langues autres que l'anglais se développent avec l'accroissement du nombre de sites web nationaux s'adressant spécifiquement aux publics nationaux, afin de les attirer vers internet. Il suffit de regarder l'accroissement du nombre de langues disponibles dans les interfaces des moteurs de recherche généralistes. Il serait néanmoins utile (et bénéfique pour un meilleur équilibre des langues) de disposer de logiciels de traduction automatique de meilleure qualité et à très bas prix sur internet. La récente mise sur le web du GDT (Grand dictionnaire terminologique, rédigé par l'Office de la langue française du Québec) va dans ce sens."

Tôt ou tard, la répartition des langues sur le web correspondra-t-elle à leur répartition sur la planète? Rien n'est moins sûr à l'heure de la "fracture numérique" entre riches et pauvres, Nord et Sud, pays développés et pays en développement. Selon Zina Tucsnak, ingénieur d'études à l'ATILF (Analyse et traitements informatiques du lexique français), "le meilleur moyen sera l'application d'une loi par laquelle on va attribuer un 'quota' à chaque langue. Mais n'est-ce pas une utopie de demander l'application d'une telle loi dans une société de consommation comme la nôtre?"

14.2. Les impératifs sont d'abord économiques

Les impératifs sont d'abord économiques, comme le souligne Paul Treanor, qui gère une section sur l'avenir des langues en Europe. "La politique actuelle de l'Union européenne prétend être neutre, mais en fait elle soutient le développement de l'anglais comme langue de contact pour communiquer. (…) Le multilinguisme futur de l'internet est déterminé par les forces du marché. A présent il n'existe pas de volonté politique d'imposer le multilinguisme. Le fait d'avoir des informations dans plusieurs langues correspond à un intérêt commercial, au moins pour l'Europe. Par contre, pour les différentes langues de l'Afrique, il n'existe pas de potentiel économique."

De l'avis de Guy Bertrand, directeur scientifique du CEVEIL (Centre d'expertise et de veille inforoutes et langues, Québec), "le commerce électronique international s'est beaucoup développé depuis 1998 et les vendeurs veulent de plus en plus communiquer dans les langues préférées par les acheteurs, ce qui augmentera encore le caractère multilingue du web."

Basé à la fois à San Francisco et à Paris, Bill Dunlap est spécialiste du marketing en ligne et du commerce électronique international. "Il y a très peu d'Américains des Etats-Unis qui sont intéressés de communiquer dans plusieurs langues, explique-t-il. Pour la plupart, ils pensent encore que le monde entier parle anglais. Par contre, en Europe, les pays sont petits, si bien que, depuis des siècles, une perspective internationale est nécessaire." Dans cette optique, il a fondé Global Reach, une méthode permettant aux sociétés d'étendre leur présence sur l'internet en leur donnant une audience internationale, grâce à la traduction de leur site web dans d'autres langues, la promotion active de leur site et l'accroissement de la fréquentation locale par des campagnes promotionnelles.

"Depuis 1981, début de mon activité professionnelle, j'ai été impliqué dans la venue de sociétés américaines en Europe, raconte-t-il. Ceci est pour beaucoup un problème de langue, puisque leurs informations commerciales doivent être disponibles dans les langues européennes pour être prises en compte ici, en Europe. Comme le web est devenu populaire en 1995, j'ai donné à ces activités une dimension 'en ligne', et j'en suis venu à promouvoir le cybercommerce européen auprès de mes compatriotes américains. Promouvoir un site est aussi important que de le créer, sinon plus. On doit être préparé à utiliser au moins autant de temps et d'argent à promouvoir son site qu'on en a passé à l'origine à le créer. Le programme Global Reach permet de promouvoir un site dans des pays non anglophones, afin d'atteindre une clientèle plus large… et davantage de ventes. Une société a de nombreuses bonnes raisons de considérer sérieusement le marché international. Global Reach est pour elle le moyen d'étendre son site web à de nombreux pays, de le présenter à des visiteurs en ligne dans leur propre langue, et d'atteindre le réseau de commerce en ligne présent dans ces pays. Une fois que la page d'accueil d'un site est disponible en plusieurs langues, l'étape suivante est le développement du contenu dans chaque langue. Un webmestre notera quelles langues attirent plus de visiteurs (et donc plus de ventes) que d'autres. Ce seront donc dans ces langues que débutera une campagne de promotion multilingue sur le web. Parallèlement, il est toujours bon de continuer à augmenter le nombre de langues dans lesquelles un site web est disponible. Au début, seule la page d'accueil traduite en plusieurs langues suffit, mais ensuite il est souhaitable de développer un véritable secteur pour chaque langue."

Selon Peter Raggett, directeur du centre de documentation de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), "il appartient aux organisations et sociétés européennes d'offrir des sites web si possible en trois ou quatre langues. A l'heure de la mondialisation et du commerce électronique, les sociétés ont un marché potentiel sur plusieurs pays à la fois. Permettre aux francophones, germanophones ou japonais de consulter un site web aussi facilement que les anglophones donnera une plus grande compétitivité à une firme donnée."

14.3. L'anglais reste "la" langue internationale d'échange

Malgré tout, si le nombre des utilisateurs non anglophones (52,5% en été 2001) dépasse maintenant celui des utilisateurs anglophones (47,5%), la proportion des sites web en anglais reste encore très élevée. State of the Internet 2000, une étude menée par l'ITTA (International Technology and Trade Associates) pour l'USIC (United States Internet Council), donne le pourcentage de 78%, et de 96% pour les sites de commerce électronique.

"Cette suprématie n'est pas un mal en soi, dans la mesure où elle résulte de réalités essentiellement statistiques (plus de PC par habitant, plus de locuteurs de cette langue, etc.), explique Marcel Grangier, responsable de la section française des services linguistiques centraux de l'Administration fédérale suisse. La riposte n'est pas de 'lutter contre l'anglais' et encore moins de s'en tenir à des jérémiades, mais de multiplier les sites en d'autres langues. Notons qu'en qualité de service de traduction, nous préconisons également le multilinguisme des sites eux-mêmes. La multiplication des langues présentes sur internet est inévitable, et ne peut que bénéficier aux échanges multiculturels. Pour que ces échanges prennent place dans un environnement optimal, il convient encore de développer les outils qui amélioreront la compatibilité. La gestion complète des diacritiques ne constitue qu'un exemple de ce qui peut encore être entrepris."

Pierre François Gagnon, créateur d'Editel, maison d'édition francophone en ligne: "Je pense que, si les diverses langues de la planète vont occuper chacune le net en proportion de leur poids démographique respectif, la nécessité d'une langue véhiculaire unique se fera sentir comme jamais auparavant, ce qui ne fera qu'assurer davantage encore la suprématie planétaire de l'anglais, ne serait-ce que du fait qu'il a été adopté définitivement par l'Inde et la Chine. Or la marche de l'histoire n'est pas plus comprimable dans le dé à coudre d'une quelconque équation mathématique que le marché des options en bourse!"

Christiane Jadelot, ingénieur d'études à l'INaLF (Institut national de la langue française): "Personnellement je n'ai pas d'état d'âme par rapport à l'usage de la langue anglaise. On doit la prendre comme un banal outil de communication. Cela dit, les sites doivent proposer un accès par l'anglais et par la langue du pays d'origine." C'est ce que fait le SLAM (Syndicat de la librairie ancienne et moderne). "Notre site internet est bilingue anglais-français, explique Alain Marchiset, son président. Bien entendu l'anglais semble incontournable, mais nous essayons aussi de maintenir le français autant que possible."

Ce biblinguisme est préconisé aussi par Anne-Bénédicte Joly, écrivain qui auto-édite ses livres: "Je crois que, par nature, la langue devra être universelle et l'anglais semble le mieux placé pour gagner cette bataille. Cependant, les auteurs francophones devront défendre la langue sur le net. Nous pourrions fort bien envisager, pour un livre écrit en français, de prévoir un synopsis de type quatrième de couverture en deux langues: français et anglais. Ainsi les lecteurs étrangers prendront connaissance des grandes lignes du livre et sauront faire les efforts nécessaires pour le lire dans une langue étrangère à la leur. S'agissant de littérature ou de belles lettres, il paraît réaliste de défendre un bastion linguistique."

"Pour des raisons pratiques, l'anglais continuera à dominer le web, écrit Guy Antoine, créateur de Windows on Haiti, site de référence sur la culture haïtienne. Je ne pense pas que ce soit une mauvaise chose, en dépit des sentiments régionalistes qui s'y opposent, parce que nous avons besoin d'une langue commune permettant de favoriser les communications à l'échelon international. Ceci dit, je ne partage pas l'idée pessimiste selon laquelle les autres langues n'ont plus qu'à se soumettre à la langue dominante. Au contraire. Tout d'abord l'internet peut héberger des informations utiles sur les langues minoritaires, qui seraient autrement amenées à disparaître sans laisser de trace. De plus, à mon avis, l'internet incite les gens à apprendre les langues associées aux cultures qui les intéressent. Ces personnes réalisent rapidement que la langue d'un peuple est un élément fondamental de sa culture."

14.4. Qu'en est-il du français?

"Je vois que l'internet va tuer la langue française et bien d'autres (suppression des accents, négligence due à la rapidité, etc.)", s'inquiète Catherine Domain, créatrice de la librairie Ulysse. Il n'empêche, nombreux sont ceux qui oeuvrent pour le développement du français sur le web, et ce depuis les débuts du réseau. Pour Olivier Bogros, un de ceux-ci, la priorité est "que chacun s'efforce déjà de s'exprimer correctement dans sa langue". Dès juin 1996 il crée la Bibliothèque électronique de Lisieux, une des premières bibliothèques numériques francophones en accès libre et gratuit. Dans sa chronique hebdomadaire, présente sur le web depuis avril 1995, Jean-Pierre Cloutier, journaliste québécois, ne cesse de défendre la place du français sur le réseau.

Ces exemples ne sont que de deux exemples parmi tant d'autres. Les initiatives individuelles et collectives ont fleuri, d'abord au Québec, ensuite en Europe et maintenant en Afrique.

D'après Bakayoko Bourahima, documentaliste à l'ENSEA (Ecole nationale supérieure de statistique et d'économie appliquée) d'Abidjan, "l'évolution vers un internet multilingue ne peut être qu'une source réelle d'enrichissement culturel et scientifique sur la toile. Pour nous les Africains francophones, le diktat de l'anglais sur la toile représente pour la masse un double handicap d'accès aux ressources du réseau. Il y a d'abord le problème de l'alphabétisation qui est loin d'être résolu et que l'internet va poser avec beaucoup plus d'acuité, ensuite se pose le problème de la maîtrise d'une seconde langue étrangère et son adéquation à l'environnement culturel. En somme, à défaut de multilinguisme, l'internet va nous imposer une seconde colonisation linguistique avec toutes les contraintes que cela suppose. Ce qui n'est pas rien quand on sait que nos systèmes éducatifs ont déjà beaucoup de mal à optimiser leurs performances en raison, selon certains spécialistes, des contraintes de l'utilisation du français comme langue de formation de base. Il est donc de plus en plus question de recourir aux langues vernaculaires pour les formations de base, pour 'désenclaver' l'école en Afrique et l'impliquer au mieux dans la valorisation des ressources humaines. Comment faire? Je pense qu'il n y a pas de chance pour nous de faire prévaloir une quelconque exception culturelle sur la toile, ce qui serait de nature tout à fait grégaire. Il faut donc que les différents blocs linguistiques s'investissent beaucoup plus dans la promotion de leur accès à la toile, sans oublier leurs différentes spécificités internes."

Au Canada, pays bilingue, le Commissariat aux langues officielles a pour mandat de "faire reconnaître le statut du français et de l'anglais, les deux langues officielles du Canada; faire respecter la loi sur les langues officielles ; fournir de l'information sur les services du Commissariat, les aspects de la loi sur les langues officielles et son importance pour la société canadienne". Analyste de politiques, Alain Clavet travaille particulièrement sur les questions relatives à la dualité linguistique dans les domaines d'internet et de la radiodiffusion. Publié en août 1999, son rapport Le gouvernement du Canada et le français sur internet insiste sur la prépondérance de la langue anglaise "dans l'ensemble des réseaux électroniques, y compris sur internet. Il importe donc que la Commissaire veille à ce que le français prenne toute sa place équitable dans les échanges reposant sur ce nouveau mode de communication et de publication."

En mai 2001, Alain Clavet relate: "Le gouvernement du Canada a accepté l'ensemble des douze recommandations du rapport. Des investissements importants ont été réalisés à cet égard cette année. Notamment 80 millions de dollars (canadiens, soit 62 millions d'euros, ndlr) pour la numérisation des collections, 30 millions (23,3 millions d'euros, ndlr) pour la constitution du Musée virtuel canadien et, le 2 mai 2001, l'annonce de 108 millions supplémentaires (83,7 millions d'euros, ndlr) afin d'accroître les contenus culturels canadiens sur internet."

En France, si les efforts sont certains, il reste beaucoup à faire.

Jacky Minier, créateur de Diamedit, site de promotion d'inédits artistiques et littéraires: "Pour le français, il est certain que quand nous aurons atteint la proportion américaine de foyers connectés (50%), nous pourrons espérer une plus grande représentativité sur le web. Pour l'instant, heureusement qu'il y a les Québécois et les Belges pour maintenir la présence de la langue française. C'est tout de même un comble. Si je devais donner un conseil (mais conseiller qui, quel organisme?), je suggérerais de porter davantage d'attention à la qualité des contenus. La France a de tous temps été un pays de culture et d'invention, d'imagination. Même dans les secteurs où nous n'avons pas été pionniers comme en informatique, nous avons de belles réussites. Soyons aussi performants dans l'expression de la culture, dans la mise en valeur de notre patrimoine, historique, scientifique, littéraire, etc. Si nous pouvons mettre en ligne les multiples facettes de la richesse culturelle qui a fait notre civilisation, nul doute que le tourisme internautique vers les contenus français serait amplifié et la présence française plus opérante."

Lucie de Boutiny, écrivain papier et pixel: "Puisque la France s'inscrit dans une tradition d'interventionnisme de la puissance publique (l'Etat, les collectivités locales…) en matière de culture, nos institutions devraient financer des logiciels de traduction simultanée - ils seront opérants bientôt… -, et plus simplement, donner des aides à la traduction, et cela dans le cadre d'une stratégie de développement de la francophonie. Les acteurs culturels sur le web, par exemple, auraient plus de facilité pour présenter leur site en plusieurs langues. Les chiffres de septembre 2000 montrent que 51% des utilisateurs sont anglo-saxons, et 78% des sites aussi. Les chiffres de cette prépondérance baissent à mesure qu'augmentent le nombre des internautes de par le monde… L'anglais va devenir la deuxième langue mondiale après la langue natale, mais il y aura d'autres. Un exemple: personnellement, à l'âge de 4 ans, je parlais trois langues alors que je ne savais ni lire ni écrire. Pour parler une langue, il peut suffire d'avoir la chance de l'écouter. On peut espérer que le cosmopolitisme traverse toutes les classes sociales en raison, par exemple, de l'Union européenne, du nomadisme des travailleurs, de la facilité de déplacement à l'étranger des étudiants, de la présence des chaînes TV et sites étrangers, etc."

Blaise Rosnay, webmestre du site du Club des poètes: "Dans la mesure où la culture française, y compris contemporaine, pourra être diffusée sans obstacles, la langue française aura la possibilité de rester vivante sur le réseau. Ses oeuvres, liées au génie de notre langue, susciteront nécessairement de l'intérêt puisqu'elles sont en prise avec l'évolution actuelle de l'esprit humain. Dans la mesure où il y aura une volonté d'utiliser l'internet comme moyen de partage de la connaissance, de la beauté, de la culture, toutes les langues, chacune avec leur génie propre, y auront leur place. Mais si l'internet, comme cela semble être le cas, abandonne ces promesses pour devenir un lieu unique de transactions commerciales, la seule langue qui y sera finalement parlée sera une sorte de jargon dénaturant la belle langue anglaise, je veux dire un anglais amoindri à l'usage des relations uniquement commerciales."

C'est aussi ce que pense Philippe Loubière, traducteur littéraire et dramatique. "La langue unique est à l'évidence un système totalitaire. Tout ce qui peut contribuer à la diversité linguistique, sur internet comme ailleurs, est indispensable à la survie de la liberté de penser. Je n'exagère absolument pas: l'homme moderne joue là sa survie. Cela dit, je suis très pessimiste devant cette évolution. Les Anglo-saxons vous écrivent en anglais sans vergogne. L'immense majorité des Français constate avec une indifférence totale le remplacement progressif de leur langue par le mauvais anglais des marchands et des publicitaires, et le reste du monde a parfaitement admis l'hégémonie linguistique des Anglo-saxons parce qu'ils n'ont pas d'autres horizons que de servir ces riches et puissants maîtres. La seule solution consisterait à recourir à des législations internationales assez contraignantes pour obliger les gouvernements nationaux à respecter et à faire respecter la langue nationale dans leur propre pays (le français en France, le roumain en Roumanie, etc.), cela dans tous les domaines et pas seulement sur internet. Mais ne rêvons pas…"

Richard Chotin, professeur à l'ESA (Ecole supérieure des affaires) de Lille, rappelle non sans raison que la suprématie de l'anglais a succédé à celle du français. "Le problème est politique et idéologique: c'est celui de l''impérialisme' de la langue anglaise découlant de l'impérialisme américain. Il suffit d'ailleurs de se souvenir de l''impérialisme' du français aux 18e et 19e siècles pour comprendre la déficience en langues des étudiants français: quand on n'a pas besoin de faire des efforts pour se faire comprendre, on n'en fait pas, ce sont les autres qui les font."

De plus, la France n'est pas sans exercer pression pour imposer la suprématie de la langue française sur d'autres langues, comme on témoigne l'expérience de Guy Antoine, créateur du site Windows on Haiti, qui écrit en juin 2001: "J'ai fait de la promotion du kreyòl (créole) une cause personnelle, puisque cette langue est le principal lien unissant tous les Haïtiens, malgré l'attitude dédaigneuse d'une petite élite haïtienne - à l'influence disproportionnée - vis-à-vis de l'adoption de normes pour l'écriture du kreyòl et le soutien de la publication de livres et d'informations officielles dans cette langue. A titre d'exemple, il y avait récemment dans la capitale d'Haïti un salon du livre de deux semaines, à qui on avait donné le nom de 'Livres en folie'. Sur les 500 livres d'auteurs haïtiens qui étaient présentés lors du salon, il y en avait une vingtaine en kreyòl, ceci dans le cadre de la campagne insistante que mène la France pour célébrer la francophonie dans ses anciennes colonies. A Haïti cela se passe relativement bien, mais au détriment direct de la créolophonie.

En réponse à l'attitude de cette minorité haïtienne, j'ai créé sur mon site web Windows on Haiti deux forums de discussion exclusivement en kreyòl. Le premier forum regroupe des discussions générales sur toutes sortes de sujets, mais en fait ces discussions concernent principalement les problèmes socio-politiques qui agitent Haïti. Le deuxième forum est uniquement réservé aux débats sur les normes d'écriture du kreyòl. Ces débats sont assez animés et une certain nombre d'experts linguistiques y participent. Le caractère exceptionnel de ces forums est qu'ils ne sont pas académiques. Je n'ai trouvé nulle part ailleurs sur l'internet un échange aussi spontané et aussi libre entre des experts et le grand public pour débattre dans une langue donnée des mérites et des normes de la même langue."

S'il est la langue officielle de 50 pays, le français est aussi la deuxième langue utilisée dans les organisations internationales, après l'anglais. Là aussi, malgré la pression anglophone, réelle ou supposée selon les cas, des francophones veillent à ce que le français ait la place qui lui revient, au même titre que les autres grandes langues de communication que sont l'anglais, l'arabe, le chinois et l'espagnol, dans le respect de la diversité des peuples, des langues et des cultures. On souhaiterait pourtant moins de manifestations de prestige et davantage d'actions concrètes. "Concernant le français, il existe un groupement de pays francophones dont des délégués se réunissent régulièrement", écrit Pierre Magnenat, responsable de la cellule "gestion et prospective" du centre informatique de l'Université de Lausanne. "Le résultat de ces réunions ne m'est jamais apparu clairement; l'économie réalisée en supprimant un ou deux de ces raouts permettrait peut-être de financer un projet majeur et global pour développer des traducteurs automatiques."

14.5. Communication et échanges culturels

Pour Bruno Didier, webmestre de la médiathèque de l'Institut Pasteur, "internet n'est une propriété ni nationale, ni linguistique. C'est un vecteur de culture, et le premier support de la culture, c'est la langue. Plus il y a de langues représentées dans leur diversité, plus il y aura de cultures sur internet. Je ne pense pas qu'il faille justement céder à la tentation systématique de traduire ses pages dans une langue plus ou moins universelle. Les échanges culturels passent par la volonté de se mettre à la portée de celui vers qui on souhaite aller. Et cet effort passe par l'appréhension de sa langue. Bien entendu c'est très utopique comme propos. Concrètement, lorsque je fais de la veille, je peste dès que je rencontre des sites norvégiens ou brésiliens sans un minimum d'anglais."

Selon Alain Bron, consultant en systèmes d'information et écrivain, "il y aura encore pendant longtemps l'usage de langues différentes et tant mieux pour le droit à la différence. Le risque est bien entendu l'envahissement d'une langue au détriment des autres, donc l'aplanissement culturel. Je pense que des services en ligne vont petit à petit se créer pour pallier cette difficulté. Tout d'abord, des traducteurs pourront traduire et commenter des textes à la demande, et surtout les sites de grande fréquentation vont investir dans des versions en langues différentes, comme le fait l'industrie audiovisuelle."

Financé par la Commission européenne, ELSNET (European Network of Excellence in Human Language Technologies) regroupe 135 universités et sociétés de 26 pays différents dont l'objectif commun est de construire des systèmes multilingues pour la parole et la langue naturelle. Son coordinateur, Steven Krauwer, est chercheur en linguistique computationnelle à l'Institut de linguistique d'Utrecht (Pays-Bas). En septembre 1998, il écrit: "En tant que citoyen européen, je pense que le multilinguisme sur le web est absolument essentiel. A mon avis, ce n'est pas une situation saine à long terme que seuls ceux qui ont une bonne maîtrise de l'anglais puissent pleinement exploiter les bénéfices du web. En tant que chercheur (spécialisé dans la traduction automatique), je vois le multilinguisme comme un défi majeur: pouvoir garantir que l'information sur le web soit accessible à tous, indépendamment des différences de langue."

En août 1999, il ajoute: "Je suis de plus en plus convaincu que nous devons veiller à ne pas aborder le problème du multilinguisme en l'isolant du reste. Je reviens de France, où j'ai passé de très bonnes vacances d'été. Même si ma connaissance du français est sommaire (c'est le moins que l'on puisse dire), il est surprenant de voir que je peux malgré tout communiquer sans problème en combinant ce français sommaire avec des gestes, des expressions du visage, des indices visuels, des schémas, etc. Je pense que le web (contrairement au système vieillot du courrier électronique textuel) peut permettre de combiner avec succès la transmission des informations par différents canaux (ou moyens), même si ce processus n'est que partiellement satisfaisant pour chacun des canaux pris isolément."

A la même date, Jean-Pierre Cloutier, auteur des Chroniques de Cybérie, chronique hebdomadaire des actualités de l'internet, écrit: "L'internet est devenu multiforme et exige de plus en plus des outils performants en raison de l''enrichissement' des contenus (ou plutôt des contenants, car sur le fond, le contenu véritable, rien n'est enrichi sauf les entreprises qui les vendent). Il faut des systèmes costauds, bien pourvus en mémoire, avec des microprocesseurs puissants. Or, s'il y a développement du web non anglophone, il s'adressera pour une bonne part à des populations qui n'ont pas les moyens de se procurer des systèmes puissants, les tous derniers logiciels et systèmes d'exploitation, et de renouveler et mettre à niveau tout ce bazar aux douze mois. En outre, les infrastructures de communication, dans bien des régions hors Europe ou États-Unis, font cruellement défaut. Il y a donc problème de bande passante. Je le constate depuis le tout début des Chroniques. Des correspondants (Afrique, Asie, Antilles, Amérique du Sud, région Pacifique) me disent apprécier la formule d'abonnement par courrier électronique car elle leur permet en récupérant un seul message de lire, de s'informer, de faire une présélection des sites qu'ils ou elles consulteront par la suite. Il faut pour eux, dans bien des cas, optimiser les heures de consultation en raison des infrastructures techniques plutôt faibles. C'est dans ces régions, non anglophones, que réside le développement du web. Il faut donc tenir compte des caractéristiques techniques du médium si on veut rejoindre ces 'nouveaux' utilisateurs.

Je déplore aussi qu'il se fasse très peu de traductions des textes et essais importants qui sont publiés sur le web, tant de l'anglais vers d'autres langues que l'inverse. Je m'explique. Par exemple, Jon Katz publie une analyse du phénomène de la culture Goth qui imprégnait les auteurs du massacre de Littleton, et de l'expression Goth sur le web. La presse francophone tire une phrase ou deux de l'analyse de Katz, grapille quelques concepts, en fait un article et c'est tout. Mais c'est insuffisant pour comprendre Katz et saisir ses propos sur la culture de ces groupes de jeunes. De même, la nouveauté d'internet dans les régions où il se déploie présentement y suscite des réflexions qu'il nous serait utile de lire. À quand la traduction des penseurs hispanophones et autres de la communication?"

Henri Slettenhaar est professeur en technologies de la communication à la Webster University de Genève. De nationalité hollandaise, il enseigne en anglais, et parle aussi couramment le français. Ses réponses sur trois ans montrent combien les choses ont changé en matière de multilinguisme. En décembre 1998, il écrit: "Je vois le multilinguisme comme un facteur fondamental. Les communautés locales présentes sur le web devraient en tout premier lieu utiliser leur langue pour diffuser des informations. Si elles veulent également présenter ces informations à la communauté mondiale, celles-ci doient être aussi disponibles en anglais. Je pense qu'il existe un réel besoin de sites bilingues." En août 1999, il ajoute: "A mon avis, il existe deux catégories sur le web. La première est la recherche globale dans le domaine des affaires et de l'information. Pour cela, la langue est d'abord l'anglais, avec des versions locales si nécessaire. La seconde, ce sont les informations locales de tous ordres dans les endroits les plus reculés. Si l'information est à destination d'une ethnie ou d'un groupe linguistique, elle doit d'abord être dans la langue de l'ethnie ou du groupe, avec peut-être un résumé en anglais. Nous avons vu récemment l'importance que pouvaient prendre ces sites locaux, par exemple au Kosovo ou en Turquie, pour n'évoquer que les événements les plus récents. Les gens ont pu obtenir des informations sur leurs proches grâce à ces sites." En août 2000, il complète: "Le multilinguisme s'est beaucoup développé. De nombreux sites de commerce électronique sont maintenant multilingues, et il existe maintenant des sociétés qui vendent des produits permettant la localisation des sites (adaptation des sites aux marchés nationaux, ndlr)."

Randy Hobler, consultant en marketing internet: "Comme l'internet n'a pas de frontières nationales, les internautes s'organisent selon d'autres critères propres au médium. En termes de multilinguisme, vous avez des communautés virtuelles, par exemple ce que j'appelle les 'nations des langues', tous ces internautes qu'on peut regrouper selon leur langue maternelle quel que soit leur lieu géographique. Ainsi la nation de la langue espagnole inclut non seulement les internautes d'Espagne et d'Amérique latine, mais aussi tous les hispanophones vivant aux Etats-Unis, ou encore ceux qui parlent espagnol au Maroc."

"L'internet incite les gens à apprendre les langues associées aux cultures qui les intéressent, écrit Guy Antoine, créateur du site Windows on Haiti. Ces personnes réalisent rapidement que la langue d'un peuple est un élément fondamental de sa culture." "Je pense que la bonne question est [moins celle d'un internet multilingue que] celle d'un internet multiculturel", résume François Vadrot, PDG de FTPress.

14.6. Le réseau au service des langues minoritaires

Dès ses débuts, l'internet représente une chance pour les langues minoritaires. "Nous croyons que le web devrait chercher, entre autres, à favoriser un renforcement des cultures et des langues minoritaires, en particulier pour les communautés dispersées, écrivent en août 1998 Guy Bertrand et Cynthia Delisle, du CEVEIL (Centre dexpertise et de veille inforoutes et langues, Québec). Grâce à la tenacité de certains membres de ces communautés linguistiques minoritaires, c'est désormais le cas.

Guy Antoine, qui a créé Windows on Haiti, site de référence sur la culture haïtienne, raconte: "A la fin d'avril 1998, j'ai créé un site internet dont le concept est simple mais dont le but est ambitieux: d'une part être une source d'information majeure sur la culture haïtienne, d'autre part contrer les images continuellement négatives que les médias traditionnels donnent d'Haïti. Je voulais aussi montrer la diversité de la culture haïtienne dans des domaines tels que l'art, l'histoire, la cuisine, la musique, la littérature et les souvenirs de la vie traditionnelle. Le site dispose d'un livre d'or regroupant les témoignages personnels des visiteurs sur leurs liens avec Haïti. Pour résumer, il ouvre de nouvelles 'fenêtres' sur la culture haïtienne."

L'utilisation de l'internet a eu un impact considérable sur son activité. En novembre 1999, il écrit: "Le principal changement réside dans la multiplicité de mes contacts avec les milieux culturels, universitaires et journalistiques, et avec des gens de toutes origines dans le monde entier. Grâce à quoi je suis maintenant bien plus au fait des ressources professionnelles existant de par le monde dans ce domaine, et du réel engouement suscité à l'échelon international par Haïti, sa culture, sa religion, sa politique et sa littérature. (…) L'internet peut héberger des informations utiles sur les langues minoritaires, qui seraient autrement amenées à disparaître sans laisser de trace. Depuis que j'ai ouvert mon site, il est devenu du jour au lendemain un lieu de rassemblement de divers groupes et individus intéressés par la culture haïtienne, ce qui m'amène à effectuer des tâches quasi-professionnelles consistant à regrouper les informations, écrire des commentaires, rédiger des textes et diffuser la culture haïtienne. (…) Je vois mon avenir professionnel dans le prolongement de ce que je fais à l'heure actuelle: utiliser la technologie pour accroître les échanges interculturels. J'espère m'associer avec les bonnes personnes pour, au-delà de Haïti, avancer vers un idéal de fraternité dans notre monde."

La culture et la langue sont intimement liées. "Que sont les Haïtiens, par exemple, sans le kreyòl (créole pour les non initiés), une langue qui s'est développée et qui a permis de souder entre elles diverses tribus africaines transplantées à Haïti pendant la période de l'esclavage? Cette langue représente de manière la plus palpable l'unité de notre peuple. Elle est toutefois principalement une langue parlée et non écrite. A mon avis, le web va changer cet état de fait plus qu'aucun autre moyen traditionnel de diffusion d'une langue. Dans Windows on Haiti, la langue principale est l'anglais, mais on y trouve tout aussi bien un forum de discussion animé conduit en kreyòl. Il existe aussi des documents sur Haïti en français et dans l'ancien créole colonial, et je suis prêt à publier d'autres documents en espagnol et dans diverses langues. Je ne propose pas de traductions, mais le multilinguisme est effectif sur ce site, et je pense qu'il deviendra de plus en plus la norme sur le web."

En juin 2001, il ajoute: "Depuis notre dernier entretien, j'ai été nommé directeur des communications et des relations stratégiques de Mason Integrated Technologies, une société qui a pour principal objectif de créer des outils permettant la communication et l'accessibilité des documents créés dans des langues minoritaires. Etant donné l'expérience de l'équipe en la matière, nous travaillons d'abord sur le créole haïtien (kreyòl), qui est la seule langue nationale d'Haïti, et l'une des deux langues officielles, l'autre étant le français. Cette langue ne peut guère être considérée comme une langue minoritaire dans les Caraïbes puisqu'elle est parlée par huit à dix millions de personnes."

Autre expérience, celle de Caiomhín Ó Donnaíle, qui enseigne l'informatique en langue gaélique à l'Université Sabhal Mór Ostaig, située sur l'île de Skye, en Ecosse. Le site web de l'université, dont il est le webmestre, est aussi le principal site d'information en gaélique écossais, avec une section en anglais et en gaélique sur les langues européennes minoritaires, classées par ordre alphabétique et par famille linguistique. "Le développement de l'internet amène le danger de la suprématie de l'anglais, écrit-il en janvier 2000. Toutefois, si les gens ont la ferme volonté d'accorder une place à d'autres langues, l'internet permettra de les aider dans cette démarche." En mai 2001, il insiste encore "sur le fait que, en ce qui concerne l'avenir des langues menacées, l'internet accélère les choses dans les deux sens. Si les gens ne se soucient pas de préserver les langues, l'internet et la mondialisation qui l'accompagne accéléreront considérablement la disparition de ces langues. Si les gens se soucient vraiment de les préserver, l'internet constituera une aide irremplaçable."

Par ailleurs, il souligne "une forte augmentation de l'utilisation des technologies de l'information dans notre université: beaucoup plus d'ordinateurs, davantage de personnel spécialisé en informatique, des écrans plats. Les étudiants font tout sur ordinateur, ils utilisent un correcteur d'orthographe en gaélique et une base terminologique en ligne en gaélique. Notre site web est beaucoup plus visité. On utilise davantage l'audio. Il est maintenant possible d'écouter la radio en gaélique (écossais et irlandais) en continu sur l'internet partout dans le monde. Une réalisation particulièrement importante a été la traduction en gaélique du logiciel de navigation Opera. C'est la première fois qu'un logiciel de cette taille est disponible en gaélique."

Robert Beard, co-fondateur de yourDictionary.com, portail de référence pour les langues, relate: "Si l'anglais domine encore le web, on voit s'accentuer le développement de sites monolingues et non anglophones du fait des solutions variées apportées aux problèmes de caractères. Les langues menacées sont essentiellement des langues non écrites (un tiers seulement des 6.000 langues existant dans le monde sont à la fois écrites et parlées). Je ne pense pourtant pas que le web va contribuer à la perte de l'identité des langues et j'ai même le sentiment que, à long terme, il va renforcer cette identité. Par exemple, de plus en plus d'Indiens d'Amérique contactent des linguistes pour leur demander d'écrire la grammaire de leur langue et de les aider à élaborer des dictionnaires. Pour eux, le web est un instrument à la fois accessible et très précieux d'expression culturelle."

C'est aussi l'opinion d'Olivier Pujol, PDG de Cytale et promoteur du Cybook, livre électronique: "Par sa nature ouverte, le web est déjà aujourd'hui le meilleur outil de propagation et donc de préservation de langues qui, sans le web, pourraient être menacées d'extinction. La seule solution pour qu'une langue accroisse sa présence sur le web est que ses promoteurs aient vraiment envie de se bouger! Il faut se souvenir que l'imprimerie avait été accusée de sonner le glas de toutes les langues autres que le latin! La réalité a été que l'imprimerie, en permettant à toutes les langues de se transmettre plus facilement, a provoqué la mort du latin."

14.7. Des outils pour passer d'une langue à l'autre

Jean-Pierre Balpe est directeur du département hypermédias de l'Université Paris 8. A la question: "Quelles sont vos suggestions pour un véritable multilinguisme sur le web?", qui avait son intérêt en 1998 mais qu'il n'est peut-être plus utile de poser en 2001, il rétorque: "Ah bon! Ce n'est pas multilingue? Je croyais pourtant car il m'arrive de naviguer en italien, français, espagnol, arabe, chinois, flamand, etc. Voulez-vous dire francophone pour multilingue? (La réponse est non, ndlr.) Si c'est l'anglais que vous visez, internet ne fait que reproduire sa situation de langue internationale d'échange. Est-ce à dire qu'il n'en faudrait pas? Je n'en suis pas si sûr."

Il est vrai que le multilinguisme progresse à pas de géant et que toutes les langues sont désormais représentées sur le web. Les progrès sont énormes depuis 1998. Mais nombreux sont ceux qui sont unilingues, et ceci vaut pour toutes les communautés linguistiques. Miriam Mellman, qui habite San Francisco, ne parle que l'anglais. "Internet est planétaire, il est donc important qu'il soit multilingue, déclare-t-elle. Ce serait formidable que des gens paresseux comme moi puissent disposer de programmes de traduction instantanée. Même si je décide d'apprendre une autre langue que l'anglais, il en existe bien d'autres, et ceci rendrait la communication plus facile. Je ne sais pas si un tel programme est techniquement possible, mais il serait très pratique."

La demande ne vient pas seulement des unilingues, mais aussi de ceux qui parlent deux ou plusieurs langues. Le numérique en général et le web en particulier leur ouvrent à tous des perspectives sans précédent, et ils aimeraient bénéficier de cette manne multilingue en ayant accès aux langues qu'ils ne connaissent pas. "Je suis de langue française, raconte Gérard Fourestier, créateur de Rubriques à Bac. J'ai appris l'allemand, l'anglais, l'arabe, mais je suis encore loin du compte quand je surfe dans tous les coins de la planète. Il serait dommage que les plus nombreux ou les plus puissants soient les seuls qui 's'affichent' et, pour ce qui est des logiciels de traduction, il y a encore largement à faire."

Chercheur en traduction automatique et coordinateur d'ELSNET (European Network of Excellence in Human Language Technologies), Steven Krauwer suggère les solutions suivantes: "en ce qui concerne l'auteur, une meilleure formation des auteurs de sites web pour exploiter les combinaisons de modalités possibles afin d'améliorer la communication par-delà les barrières des langues (et pas seulement par un vernis superficiel); en ce qui concerne l'usager, des logiciels de traduction de type AltaVista Translation, dont la qualité n'est pas frappante, mais qui a le mérite d'exister; en ce qui concerne le navigateur, des logiciels de traduction intégrée, particulièrement pour les langues non dominantes, et des dictionnaires intégrés plus rapides."

Luc Dall'Armellina, co-auteur et webmestre d'oVosite, espace d'écritures multimédias: "La traduction simultanée (proposée par AltaVista par exemple) ou les versions multilingues d'un même contenu me semblent aujourd'hui les meilleures réponses au danger de pensée unique que représenterait une seule langue d'échange. Peut-être appartient-il aux éditeurs des systèmes d'exploitation (ou de navigateurs?) de proposer des solutions de traduction partielle, avec toutes les limites connues des systèmes automatiques de traduction…"

Pierre Magnenat, responsable de la cellule "gestion et prospective" du centre informatique de l'Université de Lausanne: "La seule solution que je vois serait qu'un effort majeur et global soit entrepris pour développer des traducteurs automatiques. Je ne pense pas qu'une quelconque incitation ou autre quota pourrait empêcher la domination totale de l'anglais. Cet effort pourrait - et devrait - être initié au niveau des états, et disposer des moyens suffisants pour aboutir."

Les logiciels de traduction automatique ne sont pas encore satisfaisants (voir 15), et la gestion de sites web multilingues demande beaucoup d'argent. La seule solution à court terme semble résider dans le développement des moteurs de recherche multilingues.

Il importe aussi d'avoir à l'esprit l'ensemble des langues et pas seulement les langues dominantes, comme le souligne Pierre-Noël Favennec, expert à la direction scientifique de France Télécom R&D: "Les recherches sur la traduction automatique devraient permettre une traduction automatique dans les langues souhaitées, mais avec des applications pour toutes les langues et non les seules dominantes (ex: diffusion de documents en japonais, si l'émetteur est de langue japonaise, et lecture en breton, si le récepteur est de langue bretonne…). Il y a donc beaucoup de travaux à faire dans la direction de la traduction automatique et écrite de toutes les langues."

Mais ces logiciels sont-ils une solution? Nicolas Pewny, fondateur des éditions du Choucas, rappelle que "chaque langue possède son génie propre. La difficulté, c'est de ne pas le perdre en route". C'est aussi l'avis de Guy Antoine, créateur du site Windows on Haiti: "Je n'ai pas grande confiance dans les outils de traduction automatique qui, s'ils traduisent les mots et les expressions, ne peuvent guère traduire l'âme d'un peuple."

Ces logiciels ne seront eux-mêmes qu'une étape. L'étape suivante devrait être la traduction instantanée. Alex Andrachmes, producteur audiovisuel et écrivain, attend "les fameuses traductions simultanées en direct-live… On nous les annonce avec les nouveaux processeurs ultra-puissants, mais on nous les annonçait déjà pour cette génération-ci de processeurs. Alors, le genre: vous/réservé/avion/de le/november 17-2000… Non merci. Plus tard peut-être."

"Quand la qualité des logiciels sera suffisante pour que les gens puissent discuter sur le web en temps réel dans différentes langues, nous verrons tout un monde s'ouvrir à nous, écrit Tim McKenna, écrivain et philosophe. Les scientifiques, les hommes politiques, les hommes d'affaires et bien d'autres groupes seront à même de communiquer immédiatement entre eux sans l'intermédiaire de médiateurs ou traducteurs."

"Peut-on réellement penser que toute la population du monde va communiquer dans tous les sens?, se demande François Vadrot, PDG de FTPress. Peut-être? Via des systèmes de traduction instantanée, par écrit ou par oral? J'ai du mal à imaginer qu'on verra de sitôt des outils capables de translater les subtilités des modes de pensée propres à un pays: il faudrait pour lors traduire, non plus du langage, mais établir des passerelles de sensibilité."

Pour conclure, laissons la parole à Michel Benoît, écrivain: "Lorsqu'un problème affecte une structure, quelle qu'elle soit, j'ai toujours tendance à imaginer que c'est techniquement que le problème trouve sa solution. Vous connaissez cette théorie? Si les Romains avaient trouvé le moyen d'enlever le plomb de leur couvert d'étain, Néron ne serait jamais devenu fou et n'aurait jamais incendié Rome. Escusi, farfelu? Peut-être que oui, peut-être que non. E que save? L'internet multilingue? Demain, ou après demain au plus. Voyons, pensez au premier ordinateur, il y a de cela un peu plus que cinquante ans. Un étage au complet pour faire à peine plus que les quatre opérations de base. Dans ce temps-là, un bug, c'était véritablement une mouche - ou autre insecte - qui s'insérait entre les lecteurs optiques. De nos jours, un carte de 3 cm x 5 cm fait la même chose. La traduction instantanée: demain, après-demain au plus."

15. LA TRADUCTION AUTOMATIQUE

[Dans ce chapitre:]

[15.1. Définition et historique // 15.2. Une qualité médiocre, puis des progrès sensibles]

Comme on l'a vu dans le chapitre précédent, si la traduction automatique offre déjà de réels services, on en en attend bien davantage. Voici le point sur le sujet, ainsi que le point de vue de spécialistes travaillant sur les logiciels à venir.

15.1. Définition et historique

La traduction automatique (TA) est un outil pratique, mais elle ne remplace pas et n'est pas destinée à remplacer le professionnel qui traduit. L'être humain n'intervient pas au cours du processus, contrairement à la traduction assistée par ordinateur (TAO), qui exige une certaine interaction entre l'homme et la machine.

Un logiciel de traduction automatique analyse le texte dans la langue source (texte à traduire) et génère automatiquement le texte correspondant dans la langue cible (texte traduit), en utilisant des règles précises pour le transfert de la structure grammaticale. "Il existe aujourd'hui un certain nombre de systèmes produisant un résultat qui, s'il n'est pas parfait, est de qualité suffisante pour être utile dans certaines applications spécifiques, en général dans le domaine de la documentation technique, lit-on sur le site de l'EAMT (European Association for Machine Translation). De plus, les logiciels de traduction, qui sont essentiellement destinés à aider le traducteur humain à produire des traductions, jouissent d'une popularité croissante auprès des organismes professionnels de traduction."

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