Le lys noir
XIII
La foudre tombant à ses pieds d'un ciel sans nuages eût moins étonné et moins terrifié le misérable Régulus que l'apparition de cet homme, qu'il croyait mort, et qui se présentait en justicier, prêt à lui faire rentrer dans la gorge ses abominables mensonges.
Il eut un geste comme pour fuir, mais il resta cloué à sa place, par l'épouvante autant que par la stupeur.
Madame de Frémilly s'était redressée.
M. de Brécourt vivant!
Mais Mareuil, emporté par l'élan furieux qui le secouait, ne leur laissa pas le temps de revenir de leur saisissement.
Se tournant vers Jacques.
—Viens, lui dit-il, te défendre d'un crime dont cet homme t'accuse! Viens lui dire toi-même qu'il a menti en prétendant que tu lui en avais fait l'aveu, et vois s'il ose redire devant toi ce qu'il m'a dit à moi et ce qu'il vient de dire à madame de Frémilly: que c'était toi qui avais déshonoré sa petite-fille.
—Infamie! dit Jacques.
Et s'adressant à Régulus, inerte et comme mort:
—Dis la vérité, misérable, dis-la, et dis-moi le nom de celui qui a commis l'acte infâme! Nomme-moi le coupable et je te pardonnerai!
Régulus ne répondait pas.
Plus blême encore et plus livide, il semblait littéralement anéanti.
Il n'eût pas été plus défait et plus hébété s'il avait vu la terre s'ouvrir devant lui pour l'engloutir.
Jacques alla à lui, lui toucha l'épaule, et le secouant:
—Parle! cria-t-il, parle, si tu veux mériter encore ton pardon; car tu penses bien que cet homme doit mourir, qu'il faut qu'il meure et que je le tue!
Régulus se taisait toujours.
Jacques reprit, avec plus de violence:
—Le nom! Je veux savoir le nom!
Régulus put enfin bégayer:
—Je ne le connais pas.
—Tu le connais, puisque tu as appris le crime, et que lui seul a pu te le dire!
Régulus secoua la tête négativement:
—Je ne le connais pas.
—Alors, pourquoi as-tu fait cela? Pourquoi as-tu eu l'idée de m'accuser, moi? Pourquoi voulais-tu souiller ma mémoire d'un acte odieux? Car c'est faux, n'est-ce pas? Tu reconnais que c'est faux? Tu n'oserais pas soutenir devant moi que je t'ai fait cet aveu, que je t'ai chargé de reconnaître un enfant qui serait le fruit de mon crime, à moi! Voyons, parle, accuse encore, si tu en as l'audace, ou rétracte tes mensonges; car, je te le jure, tu ne sortiras pas vivant d'ici, et je t'immole à mes pieds comme une bête immonde et malfaisante que tu es!
Régulus resta muet.
Il n'osait pas lever les yeux. Il avait la tête basse et semblait en proie à une telle terreur qu'il eût fait pitié à ceux qui n'auraient pas su ce qu'il avait fait.
—Ah! tu te tais, reprit Jacques, mais ton silence même te condamne! Donc, tout était faux. Tu m'as accusé faussement, me croyant mort. Tu m'as accusé devant mon ami, devant Laurence, devant sa grand'mère.
—Laurence, dit la baronne, ne l'a pas cru.
Jacques eut un cri de joie.
—Elle ne l'a pas cru! Elle me connaît, elle! Elle sait que j'étais incapable de lui manquer de respect. Mais elle ignore quel est le misérable qui a abusé d'elle, qui l'a prise violemment pendant son sommeil. Et elle souffre. Et elle souffrira tant que cet homme vivra, tant qu'elle pensera que ses yeux pourront la regarder et la faire rougir. Il faut donc qu'il meure, qu'il disparaisse, et tu vas me dire qui il est!
Jacques s'était de nouveau emparé de Régulus, qu'il secouait comme on secoue une loque sans consistance, car toute énergie, toute volonté semblaient l'avoir abandonné.
Il était lâche, comme tous les criminels, et sa lâcheté se lisait sur son visage blafard, dans ses yeux hagards, qui cherchaient à fuir le regard de tous ceux qui étaient là, de ses juges.
—Parle, répéta Jacques, dis-moi son nom. A ce prix, je te pardonnerai.
Sous l'étreinte dont il l'écrasait, Régulus se redressa.
Une flamme mauvaise s'alluma en ses prunelles troubles.
—Non, fit-il d'un air de défi, je ne parlerai pas. Je ne dirai rien!
—Ah! tu ne parleras pas!
—Non, et non!
—Tu le connais, pourtant.
—Je ne dirai rien!
—Abject drôle! fit Jacques, c'est toi, alors, qui paieras pour lui.
C'est toi qui supporteras le châtiment de son crime!
—Vous me tuerez si vous voulez, je ne parlerai pas!
—C'est moi, alors, fit Noémie, ouvrant la porte, qui parlerai!
Régulus jeta un cri sourd:
—Noémie!
—Oui, Noémie, qui sort de terre, comme celui que tu croyais mort. Noémie, que tu croyais bien ne plus revoir, qui était là, derrière la porte, qui entendait tout, et qui vient parler, elle, puisque tu ne veux rien dire!
A cette apparition inattendue, il y eut dans le salon un émoi.
Madame de Frémilly avait reconnu la femme qu'elle avait chassée, et n'avait pu s'empêcher de dire:
—Cette femme!
Mareuil, Jacques ignoraient qui elle était. Il leur semblait seulement l'avoir aperçue derrière eux, mais ils sentaient qu'elle était là pour quelque chose et qu'elle allait remplir son rôle dans la scène dramatique qui se jouait devant eux.
Et ils attendirent qu'elle s'expliquât.
Ils ne furent pas longs à comprendre.
Tout de suite, Noémie alla vers Jacques de Brécourt:
—Vous cherchez, dit-elle, le misérable qui a flétri, pendant son sommeil, l'innocence de mademoiselle de Frémilly?
Elle montra Régulus, hébété et blafard, et dit:
—Vous l'avez devant vous.
—Lui!
—Lui. Il m'a tout avoué.
Régulus fit un geste, comme pour se jeter sur son ancienne maîtresse, renfoncer dans sa gorge les accusations qui allaient en sortir et achever de le perdre.
Mais celle-ci l'écarta dédaigneusement.
—Ah! tu ne m'empêcheras pas de parler! Tu ne m'empêcheras pas de tout dire! Je t'avais prévenu que j'aurais mon heure, Régulus Boulard. L'heure est venue, et c'est moi qui te tiens, maintenant. Je me venge aussi, et je venge mon fils!
Oui, messieurs, oui, madame, ajouta-t-elle en s'adressant tour à tour à Jacques, à Mareuil et à madame de Frémilly, ce coupable que vous cherchiez, qui a mérité cent fois la mort, c'est lui! C'est lui, une nuit, dans le château de Marconnay, où vous l'aviez accueilli, qui, voyant au fond d'un couloir venir mademoiselle de Frémilly, en chemise, endormie d'un sommeil somnambulique, s'est précipité sur elle, l'a saisie, et qui, le lendemain, s'est vanté devant moi de son exploit!
—Assez! fit Jacques de Brécourt, que tordait une atroce souffrance.
Puis, allant à Régulus:
—Je vais te tuer!
Le misérable ne broncha pas.
Il ne niait plus. Il ne se défendait pas.
Il voyait tout perdu, toute sa fortune croulée.
Et il semblait jouir de son infamie et des souffrances qu'elle avait causées et qu'elle causait encore autour de lui.
—Je vais te tuer! répéta Jacques, sur qui il produisait une impression d'intraduisible dégoût. Oui, je vais te tuer, puisque c'est toi l'être infâme!
Régulus dressa la tête.
Il semblait que plus l'horreur s'épaississait autour de lui, plus il reprenait d'audace.
Il murmura:
—Je suis à vos ordres!
—Non, dit Mareuil, aux miens. C'est à moi que tu appartiens. C'est à moi que tu as menti le premier!
Il se tourna vers Jacques:
—Si je le manque, tu l'achèveras.
Jacques voulut protester.
Mareuil n'entendit rien.
—Il est à moi, dit-il.
Et s'adressant à Régulus:
—En route, drôle!
—Monsieur!
—Marche, ou je vais te sortir par les oreilles!
Il le fit passer devant lui et le suivit.
Madame de Frémilly semblait avoir été le jouet d'un horrible cauchemar.
Elle n'avait plus la notion nette de ce qui se passait.
Quand Mareuil et Régulus furent partis, Noémie tomba à ses pieds et aux pieds de Jacques.
—Vous ne me pardonnerez jamais, dit-elle, car vous ne savez pas encore qui je suis. C'est moi, misérable femme, qui suis la cause de tous vos malheurs. C'est moi, qui me suis présentée chez madame de Frémilly, envoyée par cet homme, pour lui dire que j'étais votre maîtresse, que vous m'aviez abandonnée sans ressources, avec un enfant, et qui ai montré à madame de Frémilly, comme preuve de ce que j'avançais, une photographie.
—Une photographie?
—Faite par cet homme, avec une photographie de vous qu'il avait volée et qui lui a servi pour fabriquer une image où vous êtes représenté avec moi, donnant la main à un petit enfant, à mon fils.
—Et j'ai cru cela! dit madame de Frémilly.
—Et c'est pour cela, fit Jacques, que vous m'avez chassé!
—Je voulais le bonheur de ma petite-fille.
—Et vous avez fait son malheur et le mien!
—Je ne m'en repentirai jamais assez. Mais qui aurait pu croire que de pareilles monstruosités fussent possibles?
—Oui, fit Jacques, se tournant vers Noémie, mais sans colère et presque doucement, pourquoi avez-vous fait cela?
—Ce n'est pas moi, c'est cet homme. Il était mon amant. J'étais terrorisée par lui. J'avais peur pour mon fils, qu'il martyrisait, et je n'ai pas osé lui désobéir.
—Et lui, pourquoi me voulait-il du mal?
—Il vous haïssait.
Il y eut un silence.
Jacques et madame de Frémilly étaient terrifiés par la profondeur de cette infamie, qui leur donnait le vertige.
Noémie avait dans la gorge des sanglots qu'elle contenait.
—Je suis une misérable, dit-elle, une infâme, et vous me maudissez!
—Je vous plains, dit Jacques.
—Vous ne me pardonnerez jamais.
—Peut-être, murmura-t-il.
Il regardait autour de lui, comme s'il cherchait quelqu'un.
Madame de Frémilly comprit la signification de ce regard inquiet.
—C'est Laurence, dit-elle, que vous voulez voir? Je vais la chercher.
Et elle sortit.
Noémie frappa de son front le tapis.
—Pardon, bégayait-elle, pardon!
Jacques ne l'écoutait pas.
Il pensait à Laurence qu'il allait voir, qui allait entrer, à Laurence qui n'avait pas cru à l'infâme accusation, qui avait pleuré sa mort et qui n'avait pas cessé de l'aimer!
Et il restait, les yeux fixés sur la porte par laquelle elle allait entrer, comme en extase.
A ce moment, Noémie lui prit la main pour l'embrasser.
Alors seulement il la regarda, et, ému de compassion:
—Relevez-vous, pauvre femme, dit-il.
—Vous m'avez pardonné? fit Noémie avec une exclamation de joie.
—Je ne vous en veux plus, dit Jacques, tout à sa vision.
Et il tressaillit longuement, car il venait de voir la porte tourner sur ses gonds.
XIV
Quand la baronne de Frémilly vint dire à sa petite-fille, depuis longtemps enfermée en sa chambre, et qui n'avait rien entendu des allées et venues qui s'étaient produites en bas, que Jacques de Brécourt était vivant et qu'il était là, elle resta tellement saisie qu'elle faillit s'évanouir.
Elle répéta à plusieurs reprises, comme si elle ne comprenait pas le sens des mots qu'elle prononçait:
—Jacques vivant! Jacques!
—Il t'attend, dit la grand'mère. Il veut te voir.
—Me voir! répéta Laurence.
Et un grand frisson la traversa.
Puis tout de suite:
—Jamais! jamais, je ne reparaîtrai maintenant devant lui!
Elle répéta encore, comme inconsciente:
—Jacques vivant!
—Il sait tout, dit la baronne. Il sait qu'il n'a rien à te reprocher, que tu as été victime, ma pauvre enfant, d'un véritable crime.
Et moi aussi, fit la grand'mère, avec de profonds soupirs, je sais tout maintenant, et j'ai à te demander pardon de mes soupçons injurieux, de ma dureté, de ma cruauté même.
Et se jetant dans ses bras:
—Ma pauvre enfant! ma pauvre enfant! Comme tu as été malheureuse! Mais tout peut se réparer encore. Viens!
Elle cherchait à entraîner la jeune fille.
Mais celle-ci résista.
—Non, grand'mère. Je préfère ne pas le voir.
—Pourquoi?
—Je souffrirais trop.
—Tu l'aimes toujours!
—Hélas! Je l'aime, et je suis indigne de lui. Je suis mère, et jamais il n'oubliera….
—Si, peut-être, quand l'autre sera mort.
Laurence sursauta.
—Le criminel?
Et aussitôt:
—On le connaît donc?
Madame de Frémilly inclina la tête sans répondre.
—On le connaît?
—Il était ici tout à l'heure.
—Dans la maison? Et vous l'avez, grand'mère, laissé partir?
—Il est parti avec M. Mareuil. Ils vont se battre.
—Se battre! Et Jacques sait?…
—Jacques sait tout. Il était là.
—Grand Dieu! Et ce misérable, je le connais, grand'mère?
—Tu l'as vu.
—Je l'ai vu. Et c'est pendant mon sommeil?…
—C'est pendant ton sommeil, une nuit, là-bas, à Marconnay.
Laurence tressaillit violemment.
—Je sais, grand'mère, je sais. J'en ai eu le soupçon. C'est ce misérable qui est venu avec l'enfant!
—Oui, c'est lui, un ami de Jacques.
—Et ce n'était pas vrai?
—C'était un odieux mensonge.
—Et la photographie?
—Mensonge, imposture, comme tout le reste!
—Ah! s'écria Laurence, je n'ai jamais douté de lui, moi!
—C'est vrai. Que n'ai-je, ma pauvre enfant, partagé ta confiance! Bien des douleurs nous eussent été épargnées. Mais c'est moi, vois-tu, c'est moi, avec ma défiance des hommes, ma promptitude à croire le mal quand il s'agit d'eux, qui ai fait ton malheur. Mais Jacques t'attend. Il est malheureux. Il souffre. Tu ne veux donc pas le voir, lui dire un mot d'espoir?
—Que pouvons-nous espérer maintenant tous les deux?
—L'oubli peut-être. Viens!
Laurence se laissa entraîner.
Quand elle vit Jacques, car c'est lui seul qu'elle vit tout d'abord, elle ne fit pas attention à Noémie, quand elle vit Jacques, ses bras instinctivement se tendirent vers lui.
Et le jeune homme s'y précipita.
—Laurence!
—Jacques! vivant!
—Oui, vivant, miraculeusement sauvé, pour t'aimer!
—Pour m'aimer?
—Pour t'aimer à jamais!
Laurence secoua la tête douloureusement.
—Pouvons-nous, dit-elle, nous aimer encore? Un enfant nous sépare!
—Cet enfant, dit Noémie, je l'emporterai. Je l'élèverai avec le mien.
Vous ne le verrez plus.
Laurence semblait ne pas avoir entendu.
—Un enfant, répéta-t-elle, puis le souvenir d'un homme odieux.
—Cet homme, dit Jacques, ne sera plus demain. S'il échappe aux coups de mon ami, c'est moi qui le tuerai, car je ne veux pas qu'il vive!
—Tu vois, fit Laurence, s'il vivait, tu ne pourrais pas m'aimer. Tu penserais toujours….
—Lui mort, l'oubli viendra.
—Et si tu te faisais illusion?
—Comment?
—Si tu n'oubliais pas? Si un jour je devenais pour toi, avec le souvenir de l'outrage subi, un objet d'horreur!
—Un objet d'horreur, toi!
—Qui sait?
—Jamais, fit ardemment Jacques. Jamais je n'ai cessé de t'aimer. Jamais je ne cesserai de t'adorer. Tu peux croire en moi, Laurence, en mon affection sans bornes.
La jeune fille ne répondait pas.
Elle restait soucieuse.
Une ombre voilait la lumière de ses beaux yeux.
—Je voulais, dit-elle, je l'avais dit à grand'mère, me retirer dans un couvent. Je vais y passer un an.
—Sans me voir?
—Sans voir personne, à prier et à me purifier d'une involontaire souillure, et au bout de cette année, Jacques, si vos sentiments n'ont pas changé, si l'oubli est venu pour vous et a apporté en votre coeur une paix que ne pourra plus troubler le passé, eh bien! je serai à vous, je serai à vous avec bonheur et pour toujours. Si, ce délai écoulé, je ne vous revois pas, c'est que tout sera fini et je rentrerai dans mon cloître pour n'en plus sortir. Telle est ma volonté. Et si vous m'aimez véritablement, vous n'essayerez pas de la combattre. Je partirai demain.
Laurence tendit la main à son fiancé.
Et celui-ci la saisit avec emportement pour la couvrir de baiser éperdus.
—Séparés encore!
Il suppliait.
Et c'est à peine s'il put prononcer ces paroles:
—Dans un an donc.
—Puis, surmontant son chagrin, il ajouta d'une voix plus raffermie:
—Dans un an vous me retrouverez tel que je suis, Laurence, vous aimant toujours.
La jeune fille allait se retirer.
Mais Noémie se jeta à genoux devant elle.
—Et moi, mademoiselle, partirez-vous sans m'avoir pardonné?
Laurence la regarda, la reconnut.
Un sourire effleura ses lèvres.
—Il n'est pas de faute, prononça-t-elle, qu'un repentir sincère n'efface.
Et elle passa.
* * * * *
Six mois à peine s'étaient écoulés depuis cette scène émouvante.
Régulus Boulard était mort, tué par Mareuil dans un duel à vingt-cinq pas.
Et son fils, l'enfant de son crime, venu avant terme et à peine viable, l'avait suivi, quelques jours après, dans la tombe.
Il ne restait plus, de l'odieux passé, qu'un souvenir de cauchemar dont on s'est enfin réveillé.
Jacques, plus épris encore depuis qu'il avait revu Laurence, ne restait pas un jour sans venir rendre visite à la baronne de Frémilly, qui était venue se fixer à Paris dans l'appartement où étaient nés, où s'étaient épanouis son amour et celui de Laurence, où ils avaient connu, tous les deux, des joies inoubliables, et, tous les jours, il demandait si Laurence n'allait pas revenir.
—Un an, disait-il, c'est bien long!
Et la grand'mère, devenue la meilleure amie du jeune homme, qu'elle avait si mal jugé, et son plus fidèle confident, souriait malicieusement.
Il était évident qu'elle savait quelque chose, mais elle ne voulait pas laisser échapper son secret.
Dans son impatience, Jacques laissait parfois éclater des paroles de colère.
—Elle ne m'aime pas! s'écriait-il. Si elle m'aimait, elle reviendrait. Rien ne l'oblige à demeurer là-bas. Elle n'a pas fait de voeux. Et elle sait bien que je ne pense plus qu'à elle, qu'à elle seule, et que je l'aime comme je ne l'avais jamais aimée encore. Ne le lui avez-vous pas dit, grand'mère?
—Je le lui ai répété cent fois.
—Et qu'a-t-elle répondu? Elle ne vous croit pas, peut-être? Elle croit que nous mentons tous les deux?
—Elle ne m'a rien dit.
—Et elle prétend m'aimer!
—Je suis certaine qu'elle vous aime, Jacques.
—Et il faut attendre. Mais moi je ne puis plus attendre. Je languis et je me meurs. Si elle tarde encore, je ne serai plus. Si je pouvais la voir, seulement! Mais où est-elle? Je ne le sais même pas. Elle n'a pas voulu me le dire.
Tel était le thème habituel des conversations de Jacques de Brécourt avec madame de Frémilly.
Mais, un jour, après une courte absence de la baronne, qui avait sans doute été voir sa petite-fille, comme Jacques faisait entendre des plaintes plus amères encore, madame de Frémilly, qui souriait plus malignement, alla, sans mot, ouvrir une porte, et Laurence parut.
Oh! l'explosion de tendresse et de joie!
—Tu vois que te t'aime, ingrat, fit la jeune fille, puisque me voici, et que moi-même je n'ai pas pu attendre le délai que je m'étais fixé; et toi, m'aimeras-tu?
—Jusqu'à la mort! affirma Jacques.
Et ils tombèrent dans les bras l'un de l'autre.
Quinze jours après ils étaient mariés et heureux.
Noémie et son fils, recueillis par la baronne, sont allés vivre au château de Marconnay.
FIN
TABLE DES MATIÈRES
PREMIÈRE PARTIE
L'IMPOSTURE
DEUXIEME PARTIE
LE MAUDIT
TROISIÈME PARTIE
LE REVENANT
* * * * *